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DOCUMENTS N°1 : AMOUR, MARIAGE ET SEXUALITÉ DANS LA ROME ANTIQUE Paul Veyne, Sexe et pouvoir à Rome , « Le couple et la sexualité à Rome » (Points Seuil, 2005) P. Veyne est un célèbre historien contemporain, spécialiste de l'antiquité romaine. Sexe et pouvoir à Rome est un recueil d'articles et d'entretiens qu'il a publiés dans la revue L'Histoire dans les années 1980. Extrait N°1 : Conditions du mariage et du divorce En Italie romaine, un siècle avant ou un siècle après notre ère, cinq ou six millions d'hommes et de femmes étaient libres et citoyens. […] On comptait aussi un ou deux millions d'esclaves […]. Nous ne savons pas grand chose de leurs mœurs, sauf que le mariage leur était interdit et qu'il le resterait jusqu'au III ème siècle. Ce troupeau passait pour vivre en état de promiscuité sexuelle, à l'exception d'une poignée d'esclaves de confiance, […] qui prenaient durablement une concubine exclusive ou qui la recevaient des mains de leur maître. Revenons donc aux seuls hommes libres […], qui pouvaient recourir à l'institution civique du mariage.[…] Le mariage était un acte privé, un fait qu'aucun pouvoir public n'avait à sanctionner : on ne passait pas devant l'équivalent d'un maire ou d'un curé. C'était un acte non écrit (il n'existait qu'un contrat de dot, à supposer que la promise en ait une). C'était même un acte informel : aucun geste symbolique n'était de rigueur. En somme, le mariage était un événement privé, comme chez nous les fiançailles. Mais alors, comment un juge pouvait-il décider, en cas de litige pour un héritage, si un homme et une femme étaient mariés en justes noces ? Eh bien, il en décidait sur indices, comme le font les tribunaux pour établir un fait. Quels indices ? Il y avait par exemple des actes sans équivoque : une dot ou des gestes prouvant que le mari présumé avait toujours qualifié d'épouse la femme qui vivait avec lui. Ou encore, des témoins pouvaient attester qu'ils avaient participé à une petite cérémonie dont le caractère nuptial était manifeste. À la limite, seuls les deux conjoints pouvaient savoir si, dans leur pensée, ils s'étaient mariés. Il était pourtant capital d'établir si les conjoints étaient unis en justes noces puisque le mariage (institution privée, non écrite ni même solennelle), était une situation de fait qui n'en créait pas moins des effets de droit. Les enfants qui naissaient de ces noces étaient légitimes : ils prenaient le nom de leur père et continuaient la lignée. À la mort du père, ils lui succédaient dans la propriété du patrimoine... s'il ne les avait pas déshérités. […] Le divorce était aussi aisé et aussi informel que le mariage. Il suffisait que le mari, à lui seul, ou la femme, à elle seule, veuille divorcer pour que la séparation ait lieu. On n'était même pas expressément tenu de prévenir l'ex-conjoint, et on a vu à Rome des maris divorcés sans le savoir. Répudiée ou divorçant de sa propre initiative, l'épouse s'en allait librement, emportant sa dot, si elle en avait en. En revanche, s'il y avait des enfants, ceux-ci restaient auprès de leur père. QUESTIONS SUR LE TEXTE §1 Quelle partie de la population est concernée par le mariage ? Quelle partie de la population en est exclue ? §2 En quoi le mariage antique est-il, d'un point de vue institutionnel, très différent du mariage actuel ? §3-4 Qu'est-ce qui permet de savoir que deux personnes sont mariées ? Pourquoi peut-il être important de le savoir ? §5 Comment le divorce se passe-t-il ? L'homme et la femme ont-ils également le droit de prendre l'initiative de divorcer ? Qu'advient-il de la fortune de chacun ? Des enfants ?

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DOCUMENTS N°1 : AMOUR, MARIAGE ET SEXUALITÉ DANS LA ROME ANTIQUE

Paul Veyne, Sexe et pouvoir à Rome, « Le couple et la sexualité à Rome » (Points Seuil, 2005)

P. Veyne est un célèbre historien contemporain, spécialiste de l'antiquité romaine. Sexe et pouvoir à Rome est un recueil d'articles et d'entretiens qu'il a publiés dans la revue L'Histoire dans les années 1980.

Extrait N°1 : Conditions du mariage et du divorce

En Italie romaine, un siècle avant ou un siècle après notre ère, cinq ou six millions d'hommes et de femmes étaient libres et citoyens. […] On comptait aussi un ou deux millions d'esclaves […]. Nous ne savons pas grand chose de leurs mœurs, sauf que le mariage leur était interdit et qu'il le resterait jusqu'au III ème siècle. Ce troupeau passait pour vivre en état de promiscuité sexuelle, à l'exception d'une poignée d'esclaves de confiance, […] qui prenaient durablement une concubine exclusive ou qui la recevaient des mains de leur maître.

Revenons donc aux seuls hommes libres […], qui pouvaient recourir à l'institution civique du mariage.[…] Le mariage était un acte privé, un fait qu'aucun pouvoir public n'avait à sanctionner : on ne passait pas devant l'équivalent d'un maire ou d'un curé. C'était un acte non écrit (il n'existait qu'un contrat de dot, à supposer que la promise en ait une). C'était même un acte informel : aucun geste symbolique n'était de rigueur. En somme, le mariage était un événement privé, comme chez nous les fiançailles.

Mais alors, comment un juge pouvait-il décider, en cas de litige pour un héritage, si un homme et une femme étaient mariés en justes noces ? Eh bien, il en décidait sur indices, comme le font les tribunaux pour établir un fait. Quels indices ? Il y avait par exemple des actes sans équivoque : une dot ou des gestes prouvant que le mari présumé avait toujours qualifié d'épouse la femme qui vivait avec lui. Ou encore, des témoins pouvaient attester qu'ils avaient participé à une petite cérémonie dont le caractère nuptial était manifeste. À la limite, seuls les deux conjoints pouvaient savoir si, dans leur pensée, ils s'étaient mariés.

Il était pourtant capital d'établir si les conjoints étaient unis en justes noces puisque le mariage (institution privée, non écrite ni même solennelle), était une situation de fait qui n'en créait pas moins des effets de droit. Les enfants qui naissaient de ces noces étaient légitimes : ils prenaient le nom de leur père et continuaient la lignée. À la mort du père, ils lui succédaient dans la propriété du patrimoine... s'il ne les avait pas déshérités.

[…] Le divorce était aussi aisé et aussi informel que le mariage. Il suffisait que le mari, à lui seul, ou la femme, à elle seule, veuille divorcer pour que la séparation ait lieu. On n'était même pas expressément tenu de prévenir l'ex-conjoint, et on a vu à Rome des maris divorcés sans le savoir. Répudiée ou divorçant de sa propre initiative, l'épouse s'en allait librement, emportant sa dot, si elle en avait en. En revanche, s'il y avait des enfants, ceux-ci restaient auprès de leur père.

QUESTIONS SUR LE TEXTE

§1 Quelle partie de la population est concernée par le mariage ? Quelle partie de la population en est exclue ?§2 En quoi le mariage antique est-il, d'un point de vue institutionnel, très différent du mariage actuel ?§3-4 Qu'est-ce qui permet de savoir que deux personnes sont mariées ? Pourquoi peut-il être important de le savoir ?§5 Comment le divorce se passe-t-il ? L'homme et la femme ont-ils également le droit de prendre l'initiative de divorcer ? Qu'advient-il de la fortune de chacun ? Des enfants ?

Héra (déesse du mariage)Musée du Louvre, Paris

Extrait N°2 : Des raisons de se marier

Finalement, pourquoi se mariait-on ? Pour transmettre un patrimoine ? Même pas : la liberté du testateur était totale et il pouvait léguer ses biens à celui qu'il élisait comme son successeur spirituel. Pour continuer la lignée ? L'adoption était une pratique courante et permettait d'élire un continuateur. Pour faire l'amour ? La chasteté n'était pas une vertu masculine et les servantes ou affranchies étaient un harem en puissance.

Tout compte fait, on ne se mariait que pour deux raisons : pour s'enrichir en épousant une dot (le mariage était considéré comme un moyen parfaitement honorable d'accroître ses revenus et le patrimoine de ses héritiers) et surtout... parce que c'était la coutume. Il n'y a pas à chercher de raison plus fondée et plus fonctionnelle.

Seulement, petit à petit, la cité romaine, en la personne de ses chefs, les sénateurs (qui étaient aussi ses penseurs politiques autorisés), n'a pas manqué de prêter à cette coutume une fonction rationnelle. Les citoyens avaient le devoir de se marier afin de procréer en justes noces des enfants légitimes qui perpétueraient le corps civique. On ne parlait pas natalisme, perpétuation de la race, future main d'oeuvre ou future chair à canon, mais maintien du noyau de citoyens qui faisaient, en principe, durer la cité en exerçant le « métier de citoyen ».

QUESTIONS SUR LE TEXTE§1 Quelles sont les trois raisons de se marier qu'envisage Paul Veyne ? Pourquoi les écarte-t-il finalement ?§2 Quelles sont les deux raisons que peut avoir un Romain de se marier ?§3 Quelle raison la cité a-t-elle donnée au mariage a posteriori ?

Extrait N°3 : Image et statut de l'épouse

L'épouse n'était qu'un des éléments de la maisonnée, qui comprenait également les fils, les affranchis, les clients et les esclaves. « Si ton esclave, ton affranchi, ta femme ou ton client ose te répliquer, tu te mets en colère », écrit [le philosophe] Sénèque. Les seigneurs traitaient les choses entre eux, de puissance à puissance, et si l'un d'eux avait une décision grave à prendre, il réunissait le « conseil des amis », plutôt que d'en discuter avec sa femme.

Toutefois, l'épouse régnait sur la domesticité servile. Tenait-elle aussi les clés du coffre-fort ? Oui, si son maître et seigneur l'en jugeait digne, et elle en était honorée. Maîtresse et servante à la fois, elle était tantôt une femme effacée, souffrant en silence des amours de son mari avec les jeunes esclaves des deux sexes, tantôt une femme obéissante mais courageuse et fière de son extraction noble. […] Le fait qu'elle avait une dot et une fortune personnelles qui ne passaient pas à son mari explique bien des choses.

Mais enfin, la femme reste une subalterne et on présumait qu'elle n'avait que les capacité de son rôle. C'est un grand enfant qu'on est obligé de ménager à cause de sa dot et de son noble père.

[…] Le cocuage était inconnu ; […]. Un mari était maître de sa femme comme de ses filles et de ses domestiques. Que sa femme soit infidèle n'est pas un ridicule, mais un malheur, ni plus ni moins que si sa fille se faisait engrosser ou qu'un de ses esclaves sortait du devoir. […]

Le mariage était donc un devoir civique et un arrangement domestique. Tout ce que la vieille morale exigeait, c'était l'exécution d'une tâche définie : avoir des enfants, faire marcher la maisonnée. Par conséquent, la moralité comprenait deux plans : ce strict devoir, et un plan facultatif, qui constituait un mérite supplémentaire ou une chance, celui de former un couple uni.

[…] [Quel est l'idéal du bon mari ?] Au I er siècle avant notre ère, il doit se considérer comme un citoyen qui a rempli tous ses devoirs ; au I er siècle après, s'il veut vivre avec son temps, il doit se considérer comme un bon mari et respecter officiellement sa femme. […] Dans la vieille morale civique, l'épouse n'était qu'un outil de citoyen de métier, chef de famille : elle faisait des enfants et arrondissait le patrimoine. Dans la seconde morale, la femme est devenue « la compagne de toute une vie ». Il ne lui reste qu'à être raisonnable, c'est-à-dire, connaissant son infériorité naturelle, à obéir ; son époux la respectera comme un vrai chef respecte ses auxiliaires dévoués, c'est-à-dire ses amis inférieurs.

QUESTIONS SUR LE TEXTE§1-3 Quel est le statut d'une femme mariée ? Comment est-elle considérée ? Quel est son rôle ?§4 Comment l'adultère est-il considéré ?§5-6 Quelle est la fonction du mariage dans « l'ancienne morale » ? Qu'est-ce qui change dans l'idée que l'on se fait des époux avec le développement d'une autre morale, vers le I er siècle de notre ère ?

Extrait N°4 : Avortement et contraception

Jusqu'au III ème siècle de notre ère (où finit véritablement l'Antiquité païenne), l'avortement n'est ni un crime, ni un délit. Le droit pénal l'ignore. Précisons qu'il l'ignore chez les hommes libres. Chez les esclaves, il n'avait même pas à le connaître ou à l'ignorer, ni, à plus forte raison, à la châtier.

[…] Une cité antique ne se considère pas comme un groupe naturel issu de la reproduction (à la façon des troupeaux) mais comme un corps constitué dont les membres sont cooptés. Un nouveau-né, et à plus fort raison un embryon, n'auront rien de sacré : il ne suffit pas qu'un enfant soit conçu ou même naisse sur un certain sol pour qu'il soit citoyen : il n'entrera dans le corps civique qu'en vertu d'une décision expresse.

Non seulement les cités ne punissent pas plus l'infanticide et l'abandon que l'avortement, mais il leur est arrivé d'ordonner à leurs membres, pour des raisons de surpopulation, d'exposer (c'est-à-dire d'abandonner) tous les nouveaux-nés d'une même année. […]

Avant le III ème siècle de notre ère, donc, aucune barrière pénale ne s'oppose à l'avortement […]. Un formidable obstacle subsistait cependant : les dangers mortels que l'avortement faisait courir à la femme. Il est à croire, donc, que l'avortement était moins répandu que chez nous. Une bonne raison : chez nous, il joue le rôle de « roue de secours » de la contraception ; chez les Romains, qui pratiquaient aussi la contraception, cette « roue de secours » était l'infanticide (pour les enfants d'esclaves) et l'abandon d'enfants (pour les rejetons des hommes libres, qui avaient le droit d'exposer – d'abandonner – leurs enfants, mais non celui de les étrangler ou de les noyer).

L'infanticide des petits esclaves étaient chose courante : quand une esclave était grosse de son maître, elle se demandait avec angoisse si celui-ci laisserait vivre l'enfant ou le ferait tuer. […] Quant à l'abandon d'enfants, il était pratiqué aussi bien par les riches que par les pauvres : les pauvres exposent les enfants qu'ils ne peuvent nourrir, en souhaitant qu'un bienfaiteur les recueille. Les riches, eux, exposent leur enfant, soit parce qu'ils ont des doutes sur la fidélité de leur femme, soit parce qu'ils ont déjà pris des dispositions testamentaires et que la naissance d'un enfant non souhaité vient bouleverser la distribution des biens entre les héritiers. En ce cas, on souhaitait que l'enfant ne fût pas sauvé, car il risquait de reparaître un jour et de réclamer sa part.

[…] Ainsi, il devait y avoir beaucoup moins d'avortements que d'expositions d'enfants. Les enfants abandonnés étaient la principales ressource pour les marchands d'esclaves.

[…] L'avortement était surtout le fait de jeunes filles engrossées. En effet, les païens ne badinaient pas avec la vertu de leurs filles, du moins tant que la fille était sous la puissance paternelle (c'est-à-dire aussi longtemps que le père était vivant – une fois le père mort et la fille devenue maîtresse de son sort, on fermait les yeux).

Enfin, il faut prendre garde à un fait méconnu : sous le nom d'avortement, on confondait la contraception et l'avortement au sens moderne du mot. En effet, le contraceptif le plus utilisé était l'eau froide. Or, l'eau froide tue le sperme et l'on sait que, pour les Anciens, le sperme est déjà vivant. Après tout, entre une contraception et un avortement, la différence, à la limite, n'est que de quelques heures...

QUESTIONS SUR LE TEXTE

§1-3 Comment le fœtus est-il considéré dans l'Antiquité ? Quel est le statut légal de l'avortement et de l'infanticide ?§4 Qu'est-ce qui limitait de fait la pratique de l'avortement ?§5-6 Quelle partie de la population pratiquait l'infanticide ? Quelle partie de la population pratiquait l'exposition d'enfants ? Pourquoi ? Que pouvaient devenir les enfants exposés ?§7 Qui pratiquait l'avortement ?§8 Quel sens large le mot avortement avait-il dans l'Antiquité ?

Éros Farnese Musée archéologique de Naples

Extrait N°5 : L'homosexualité

« Aimer un garçon ou une femme » : cette expression revient cent fois sous la plume des Anciens ; l'un valait l'autre, et ce que l'on pensait de l'un, on le pensait de l'autre. Il n'est pas exact de dire que les païens ont vu l'homosexualité d'un œil indulgent : la vérité est qu'ils ne l'ont pas vue comme une question à part.

Quand les Anciens blâmaient l'homophilie, ils ne la blâmaient pas autrement que l'amour, les courtisane et les liaisons extraconjugales, du moins, tant qu'il s'agissait d'homosexualité active. Ils avaient trois repères qui n'ont rien à voir avec les nôtres : liberté amoureuse ou conjugalité excessive, activité ou passivité, homme libre ou esclave. […]

Ainsi l'homophilie active est-elle présente dans tous les textes. […] Selon ses goûts, chacun optait pour les femmes, les garçons, ou les unes et les autres. […] Pour plaire à leur public, les poètes latins chantaient l'un et l'autre amour ; un des thèmes consacrés de la littérature amoureuse était de mettre en parallèle les deux amours et de comparer leurs agréments respectifs.

Il n'y a pas à distinguer entre auteurs grecs et auteurs latins sur ce point, et l'amour qu'on dit grec pourrait être dit aussi légitimement romain. Rome n'a pas attendu l'hellénisation pour avoir de l'indulgence envers une certaine forme d'amours masculines. […] [Pour les Romains], l'important était d'être le partenaire actif ; peu importait le sexe de la victime. La Grèce avait exactement les mêmes principes, mais en outre, elle tolérait et même admirait une pratique romanesque que les Romains avaient en horreur : elle était indulgente pour les amours censément platoniques des adultes pour les éphèbes de naissance libre qui fréquentaient l'école, ou plutôt le gymnase, et où leurs amants allaient les voir s'entraîner nus. À Rome, l'éphèbe de naissance libre était remplacé par l'esclave qui servait de mignon. […]

L'important demeurait de respecter les femmes mariées, les vierges et les adolescents de naissance libre.

[…] À Rome, on ne classait pas les conduites d'après le sexe (amour des femmes ou des garçons), mais en activité ou passivité : être un mâle, c'est être actif, quel que soit le sexe du partenaire dit passif. Prendre du plaisir virilement ou en donner servilement, tout est là. La femme est passive par définition, à moins d'être un monstre, et n'a en cette affaire pas voix au chapitre : les problèmes se traitent du point de vue masculin. Les enfants ne comptent pas davantage, à la condition que l'adulte ne se mette pas à leur service pour leur donner du plaisir et qu'il se borne à en prendre. Ces enfants sont, à Rome, des esclaves qui ne comptent pas, et, en Grèce, des éphèbes qui ne sont pas encore citoyens, si bien qu'ils peuvent encore être passifs sans déshonneur. Un mépris colossal accablait en revanche l'adulte mâle et libre qui était homophile passif ou, comme on disait, impudicus ou διατιθήμένος.

QUESTIONS SUR LE TEXTE

§1-3 Quelle différence faisons-nous aujourd'hui que les Anciens ne font pas et qui explique qu'on ne puisse pas réellement parler d'homosexualité à propos de l'Antiquité ?§4 Qu'est-ce qui, à Rome, remplace l'éphèbe prisé par les Grecs ?§5 Quelles personnes faut-ils néanmoins « respecter », c'est-à-dire éviter d'approcher sexuellement ?§6 Sur quel critère la sexualité d'une personne est-elle jugée dans l'Antiquité ? Quel est le rôle de l'homme ? Quel est le rôle des femmes, des enfants, des esclaves,... ? Qu'est-ce qui est très mal vu ?

NOM : ….................................................... NOTE :

DATE : …...................................................... / 20

DOCUMENT N°2 : INTERROGATION ÉCRITE

/ 1 1) Comment l'historien qui a travaillé sur l'amour dans l'Antiquité s'appelle-t-il ?

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/ 1 2) Quelle partie de la population, dans l'Antiquité, n'a pas le droit de se marier ?

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/ 1 3) Quelle est la principale différence, d'un point de vue institutionnel, entre le mariage antique et le mariage actuel ?

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/ 1 4) En cas de divorce, qu'arrive-t-il aux enfants ?

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/ 1 5) En cas de divorce, que se passe-t-il d'un point de vue financier ?

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/ 1 6) Quelles sont les deux raisons pour lesquelles les hommes et les femmes de l'Antiquité se marient-ils ?

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/ 1 7) Quels sont les deux rôles d'une épouse dans l'Antiquité ?

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/ 1 8) Comment l'adultère est-il considéré dans l'Antiquité ?

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/ 1 9) Comment le fœtus est-il considéré dans l'Antiquité ?

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/ 1 10) Quelle conséquence cette conception a-t-elle sur le statut légal de la contraception et de l'avortement ?

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/ 1 11) Quelle pratique, autre que l'infanticide direct, est utilisée dans l'Antiquité pour se débarrasser des enfants non-désirés ?

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/ 1 12) Qu'advient-il le plus souvent de ces enfants ?

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/ 1 13) Quel critère utilisons-nous aujourd'hui pour classer les formes de sexualité que les Anciens n'utilisent pas ?

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/ 1 14) Quel critère les Anciens utilisent-ils pour classer et juger les formes de sexualité ?

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/ 1 15) Donnez un exemple de relation sexuelle qui serait mal vue dans l'Antiquité (d'après le critère mentionné dans la question précédente).

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/ 5 16) Que pensez-vous de la manière dont les Anciens considèrent et pratiquent l'amour ? Vous paraît-elle très différente de la nôtre ? Vous semble-t-elle pertinente ? Justifiez votre réponse par des arguments.

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DOCUMENTS N°3 : L'EXPRESSION DE LA PASSION AMOUREUSE

Sappho, « Un seul regard vers toi » * Jean Racine, Phèdre (1677), I, 3

Sappho, qui a vécu sur l'île de Lesbos entre la fin du VII ème s. et le début du VI ème s. av. n.e., était une poétesse grecque très appréciée dès l'Antiquité. Dans ses poèmes, dont nous n'avons conservé que quelques fragments, elle évoque la femme dont elle est amoureuse.

Le dramaturge Jean Racine donne à voir dans cette pièce l'amour tragique qu'éprouve Phèdre pour son beau-fils Hippolyte. Dans cette scène, celle-ci décrit à sa nourrice les effets que le jeune garçon produit sur elle.

Il me semble pareil aux dieuxl'homme, quel qu'il soit,

assis face à toi qui, tout près,entend tes douces paroles

et ton rire enchanteur- et cela bouleverse en moi mon cœur ;

car un seul regard vers toi,et je ne puis plus parler,

ma langue se brise,un feu subtil se répand sous ma peau,

mes yeux ne voient plus,mes oreilles bourdonnent,

une sueur glacée m'enveloppe,un tremblement me saisit tout entière,

je suis plus verte que l'herbeet me sens près de mourir.

[…] Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ;Athènes me montra mon superbe ennemi :Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais plus parler :Je sentis tout mon corps et transir et brûler.Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.[…]

* Trad. S. Boehringer, Éditions Les Belles Lettres

P.-N. Guerin, Sappho (1800)

QUESTIONS

1) Dans quelle partie d'elle-même chacune des deux amoureuses ressent-elle la passion amoureuse ? Faites l'inventaire des différents « symptômes » de l'amour communs aux deux femmes.

2) Quel autre point commun peut-on trouver entre ces deux descriptions du sentiment amoureux en ce qui concerne la manière de considérer ce sentiment ? Appuyez-vous sur les champs lexicaux dominants.

A. Cabanel, Phèdre (1880)

DOCUMENT N°4 : AMOUR ET ABSENCE

Aristote, La Rhétorique, I, 11*

Le philosophe Aristote (IV ème av. n.e.) consacre une partie de son traité sur l'art oratoire à la définition de ce qui est agréable. Il évoque alors les plaisirs intellectuels, suscités par la mémoire et l'imagination, et prend l'exemple du souvenir amoureux.

Francesco Bassano, Pénélope défaisant son ouvrage (1575-1585), Musée des Beaux Arts de Rennes

Puisque éprouver du plaisir consiste à ressentir une impression et que l'imagination est une sensation faible, toujours le souvenir et l'espoir s'accompagnent d'une imagination de ce que l'on se rappelle ou de ce que l'on espère. S'il en est ainsi, il est clair aussi que des plaisirs sont concomitants au souvenir et à l'espoir, puisque la sensation est elle-même un plaisir. [...]

La plupart des désirs s'accompagne d'un certain plaisir ; car on aime à se rappeler ce qu'on a éprouvé, à espérer qu'on retrouvera un plaisir ; par exemple, […] les amants ont toujours plaisir à parler de celui qu'ils aiment, à dessiner son portrait, à composer des vers sur lui, car par tous ces moyens, ils se donnent l'illusion que l'aimé est présent. Toujours l'amour commence de cette manière : non seulement on goûte du plaisir à cette présence, mais au souvenir de l'absent s'ajoute la peine d'en être éloigné. Ainsi, même les deuils et les lamentations ne vont pas sans un certain plaisir : la douleur est de ne plus avoir celui que l'on regrette ; le plaisir est de se le rappeler, de le voir en quelque sorte, de se représenter ses actes et ses qualités […].

* Trad. M. Dufour, Éditions Les Belles Lettres

QUESTION

Quels sont les deux sentiments contraires que, selon Aristote, un amoureux éprouve en l'absence de la personne qu'il aime ?

DOCUMENT N°5 : « gouverner l'amour » ?

Ovide, L'Art d'aimer, I

Le célèbre poète latin Ovide (I er s. av. n.e.- I s. ap. n.e.) a écrit, sur un ton humoristique, un manuel enseignant l'art de la séduction. Dans ce texte, qui est le préambule du livre, il expose l'objet de ce livre.

S'il est quelqu'un de notre peuple à qui l'art d'aimer soit inconnu, qu'il lise ce poème et, instruit par sa lecture, qu'il

aime. C'est l'art avec lequel la rame et la voile sont maniées qui permet aux vaisseaux de voguer rapidement, l'art qui

permet aux chars de courir légèrement : l'art doit gouverner l'Amour. […] Il est farouche, à la vérité, souvent rebelle à mes

leçons, mais c'est un enfant, âge souple qui se laisse guider. […] L'Amour m'obéit, bien qu'il me perce le cœur de ses

flèches et qu'il agite et brandisse ses torches. Plus violemment l'Amour m'a transpercé, plus violemment il m'a embrasé,

mieux je saurai me venger des blessures qu'il m'a faites. […] C'est l'expérience qui dicte cet ouvrage : écoutez un poète

instruit par la pratique. La vérité, voilà ce que je chanterai : favorise mon dessein, mère de l'Amour.

QUESTIONS

1) Dans ce texte, l'amour est personnifié. Quelle image Ovide utilise-t-il en effet pour l'évoquer ?

2) Cette image permet à Ovide de mettre en évidence deux caractéristiques de l'amour. Lesquelles ?

3) Quel argument Ovide utilise-t-il pour convaincre son lecteur de la pertinence des idées qu'il va développer dans son livre ?

DOCUMENTS N°6 : ÉVOCATIONS AMOUREUSES

Virgile, Bucoliques, II, 1-29

Virgile, célèbre poète latin (I er s. av. n.e.), célèbre dans ce recueil d'églogues (= poèmes pastoraux) la campagne, la musique, l'amour,... Dans ce poème, il rapporte les plaintes du berger Corydon, qui aime le bel Alexis.

Pour le bel Alexis, chéri de son maître, Corydon, un berger, brûlait d'amour sans aucun espoir. Il se contentait de venir assidûment dans un fourré de hêtres, cimes ombreuses ; là, solitaire, il jetait sans art aux monts et aux bois ces plaintes passionnées... vainement :

« Ô cruel Alexis, tu n'as aucun souci de mes chants ? Aucune pitié de nous ? Tu finiras par me faire mourir. À cette heure, les troupeaux eux-mêmes cherchent l'ombre et la fraicheur ; à cette heure, les lézards verts eux-mêmes se cachent dans les buissons d'épines et Thestylis, pour les moissonneurs harassés par la chaleur dévorante, broie de l'ail et du serpolet, herbes odorantes. Mais moi, rôdant sur la trace de tes pas, sous le soleil ardent, je fais, avec les rauques cigales, résonner les vergers. N'eût-il pas mieux valu endurer les sombres colères d'Amaryllis et ses dédains superbes ? Ou Ménalque, si noiraud qu'il soit, si blanc que tu sois ? Ô bel enfant, ne te fie pas trop à la couleur ! On laisse les blancs troènes se flétrir, on cueille les vaciets* noirs. Tu me dédaignes et tu ne demandes pas, Alexis, qui je suis, quelle est ma richesse en bétail, quelle est mon abondance en lait neigeux. J'ai mille brebis qui paissent en liberté sur les monts de Sicile ; je ne manque de lait frais ni l'été ni durant la froidure. Je chante les airs qu'affectionnait, lorsqu'il rappelait son troupeau, Amphion de Dircé sur l'Aracynthe Actéen . Et je ne suis pas tellement laid ! Naguère je me suis miré sur le rivage quand les vents laissaient la mer en repos ; non, moi, je ne craindrais pas Daphis – de ce conflit, tu seras juge – si une image n'est jamais trompeuse. »

* vaciet = fruit sauvage (sorte de myrtille)

Pindare, « Théoxène de Ténédos » (fr. 123)* Anacréon, fr. 359 & 357*

Le célèbre poète grec Pindare (V ème s. av. n.e.) fait dans ce poème l'éloge de Théoxène, fils d'Hagésilas.

Il fallait au bon moment cueillirles amours, mon cœur, pendant la jeunesse.Mais les rayons qui jaillissent des yeux de Théoxèneen étincelant, celui qui les voitsans gonfler de désir est forgé d'acierou de fer, dans son cœur noir,par une flamme froide ; Aphroditeaux paupières courbes le méprise […].Et moi, à cause d'elle, comme, mordue par la chaleur, la cire des abeilles sacrées,je fonds dès que je vois [Théoxène] […].

Anacréon est un poète grec du VI ème-V ème s. av. n.e.

Cléobule, moi je l'aimeCléobule, je suis fou de luiCléobule, je n'ai d'yeux que pour lui.

Seigneur, toi qui joues avec Éros l'indomptable,Les nymphes aux yeux sombres et l'éclatante Aphrodite,Des hautes montagnes tu arpentes les sommets.Je t'en supplie, viens à nous avec bienveillance,Écoute et exauce ma prière.À Cléobule dispense tes bons conseilsAfin qu'il accepte, ô Dionysos, mon amour.

Catulle, Poésies, 48*

La poésie de Catulle, auteur latin du I er s. av. n.e., se caractérise par son ton léger et sa brièveté. Il évoque ici son amour pour Juventius.

Si sur tes yeux doux comme du miel, Juventius, on me laissait mettre sans relâche mes baisers, j'en mettrais jusqu'à trois cent mille et je ne me sentirais jamais rassasié, même si plus drue que les épis mûrs était notre moisson de baisers.

* Traduction & édition des Belles Lettres

QUESTION

Quelle thématique / image retrouve-t-on dans ces quatre textes ? Repérez des mots dans chacun d'eux qui le montrent.

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DOCUMENT N°7 : INTERROGATION ÉCRITE

/ 1 1) Comment la poétesse grecque qui a vécu à Lesbos aux VII -VI èmes s. av. n.e. s'appelle-t-elle ?

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/ 1 2) Comment le dramaturge qui, au XVII ème s., a écrit Phèdre s'appelle-t-il ?

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/ 1 3) Pourquoi Phèdre ne devrait-elle pas être amoureuse d'Hippolyte ?

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/ 1 4) Comment l'amour est-il vécu par Phèdre ?

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/ 2 5) Selon Aristote, quels sont les deux sentiments contradictoires que ressent l'amant lorsque la personne qu'il aime est absente ? Précisez pourquoi il ressent chacun de ces sentiments.

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/ 1 6) Quel poète latin est l'auteur du traité De l'art d'aimer ?

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/ 1 7) À quel siècle ce traité a-t-il été écrit ?

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/ 1 8) Quel est l'objet (le thème) de ce traité ?

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/ 1 9) Quelle image de l'amour ce traité donne-t-il ?

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/ 1 10) Quel est l'autre nom de la poésie pastorale ?

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/ 1 11) Quels personnages trouve-t-on dans la poésie pastorale ?

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/ 1 12) Quel genre de vie mènent-ils ?

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/ 2 13) Citez le titre d'un célèbre recueil de poèmes pastoraux et précisez qui en est l'auteur.

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/ 5 14) Quelle image de l'amour vous semble la plus pertinente : celle qu'en donnent la poétesse de Lesbos et l'auteur de Phèdre, celle qu'en propose l'auteur de L'art d'aimer, ou celle qu'en offrent les auteurs de poésie pastorale ? Justifiez votre réponse par des arguments.

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DOCUMENT N°8 : L'AMOUR COMME VOIE VERS LA Connaissance

Platon, Le Banquet, 210a-e

Dans ce texte, le philosophe grec Platon (V ème-IV ème s. av. n.e.) met en scène des convives qui, lors d'un banquet, discutent de la nature de l'amour. Socrate (maître de Platon, dont ce dernier fait un personnage qui est son porte-parole), une fois son tour de parole venu, propose la réflexion suivante.

Éros (470-450 av. n.e.)Musée du Louvre

Il faut que celui qui prend la bonne voie pour aller vers ce but [la connaissance du beau] commence dès sa jeunesse à rechercher les beaux corps. En premier lieu, s'il est bien dirigé […], il n'aimera qu'un seul corps, et alors il enfantera de beaux discours. Puis il constatera que la beauté qui réside en un corps quelconque est sœur de la beauté d'un autre corps et que, si l'on doit chercher la beauté qui réside en la forme, il serait bien fou de ne pas tenir pour une et identique la beauté qui réside en tous les corps. Quand il aura compris cela, il deviendra amoureux de tous les beaux corps, et son violent amour d'un seul se relâchera : il le dédaignera, il le jugera sans valeur. Ensuite, il estimera la beauté des âmes plus précieuse que celle des corps, en sorte qu'une personne dont l'âme a sa beauté sans que son charme physique ait besoin d'éclatant va suffire à son amour et à ses soins. Il enfantera des discours capables de rendre la jeunesse meilleure ; de là, il sera nécessairement amené à considérer la beauté dans les actions et dans les lois et à

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considérer qu'elle est toujours semblable à elle-même, en sorte que la beauté du corps soit peu de chose à son jugement. Ensuite, des actions humaines, il sera conduit aux sciences pour en apercevoir la beauté et, les yeux fixés sur l'immense étendue qu'occupe le beau, il cessera désormais de s'attacher comme le ferait un esclave à la beauté d'un jeune garçon, d'un homme ou d'une seule action et il renoncera à l'esclavage qui l'avilit et lui fait dire des pauvretés. Qu'il se tourne au contraire vers l'océan du beau, qu'il le contemple, et il enfantera de beaux discours sans nombre, magnifiques, des pensées qui naîtront de l'élan généreux de l'amour du savoir, jusqu'à ce qu'enfin, affermi et grandi, il porte les yeux vers une science unique, celle de la beauté.

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CONSIGNE

Dans ce texte, le personnage de Socrate explique comment l'amour conduit à la connaissance (ou du moins au désir de connaître). Résumez chacune des quatre étapes du processus qui se trouve décrit ici.

DOCUMENT N°9 : TYPOLOGIE & HIÉRARCHIE DES AMOURS

Platon, Le Banquet, 217a-219d

Alcibiade, un beau jeune homme, prend la parole lors du banquet pour raconter de quelle manière il a essayé de séduire Socrate et s'est fait éconduire par celui-ci.

[…] je crus qu'il y avait là pour moi une bonne aubaine et une merveilleuse fortune […]. Alors que jusque là je n'avais pas coutume de me trouver tout seul avec lui sans la présence d'un serviteur, cette fois-là, mon serviteur congédié, je me trouvais seul à seul avec lui. […] Je m'attendais qu'il m'entretiendrait tout aussitôt de cela même qui, pour un amant en tête-à-tête avec ses amours, doit être l'objet de leur entretien, et je m'en réjouissais. Mais non ! Rien de tout cela ne se produisit. Bien au contraire : sa conversation avec moi, cette journée passée ensemble ayant été ce qu'ordinairement elles auraient été, il me planta là et partit. À la suite de cela, c'est à partager mes exercices que je l'invitai et je m'exerçais avec lui, espérant de ce côté obtenir un résultat. Ainsi, il partageait mes exercices, luttant avec moi maintes fois sans témoins. Eh bien, faut-il le dire ? Je n'y gagnai absolument rien. Or, voyant que je n'aboutissais par aucun de ces moyens, je m'avisai que c'était par la violence qu'il fallait m'attaquer à l'homme et, puisqu'aussi bien l'entreprise était commencée, ne pas me relâcher que je n'en eusse désormais le cœur net ! Je l'invite donc à venir dîner avec moi, à la façon, tout bonnement, d'un amant qui veut tenter quelque chose sur un aimé. Notez que cette invitation même, il ne se hâta pas de l'accepter ; avec le temps, il finit tout de même par se laisser convaincre. Mais, la première fois qu'il vint, il voulut s'en aller dès qu'il eut dîné et, comme je me sentais honteux, je lui rendis sa liberté. Je renouvelai ma tentative ; quand il eut dîné, je me mis à l'entretenir jusque fort avant dans la nuit ; puis, lorsqu'il voulut s'en aller, je fis valoir qu'il était bien tard et je l'obligeai à rester.

Donc, il reposait sur le lit qui était contigu au mien, celui-là même sur lequel il avait dîné. […] Quand donc, en effet, messieurs, la lampe eut été éteinte et les esclaves dehors, j'eux l'idée qu'avec lui il ne fallait pas finasser, mais déclarer librement quelle était mon idée. Je dis alors en le poussant :

- Socrate ? Tu dors ?- Pas du tout, me répondit-il.- Eh bien, sais-tu quelle idée m'est venue ?- Laquelle, au juste ? dit-il.- Tu es, à mon idée, un amant digne de moi, le seul qu'il y ait, et je vois bien que tu hésites à me faire ta

déclaration. Mais moi, voici quelles sont mes dispositions : il est, j'estime, tout à fait stupide de ne pas te complaire là-dessus, aussi bien que dans n'importe quel cas où tu aurais besoin, soit de mes biens, soit de mes amis. Il n'est rien en effet à quoi je sois plus respectueusement attaché qu'à m'améliorer le plus possible et c'est une tâche dans laquelle je pense ne pouvoir être assisté par personne avec plus de maîtrise que par toi. Je serais en conséquence infiniment plus honteux, devant des gens intelligents, de ne pas avoir de complaisance pour un pareil homme, que je ne le serais, devant la foule des imbéciles, de les avoir eues !

Après m'avoir écouté, prenant cet air parfaitement naïf qui caractérise si fortement sa personnalité comme sa manière habituelle, il dit :

- Il se pourrait bien, cher Alcibiade, que réellement tu ne sois pas un écervelé, s'il est bien vrai que justement tout ce que tu dis de moi je le possède et s'il existe en moi un pouvoir grâce auquel tu deviendrais, toi, meilleur ! Oui, c'est cela, tu as dû apercevoir en moi une invraisemblable beauté et qui ne ressemble nullement à la grâce des formes qu'il y a chez toi. Cette beauté, tu l'as découverte ; tu te mets dès lors en devoir de la partager avec moi et d'échanger beauté contre beauté ; auquel cas, ce n'est pas un petit bénéfice que tu médites à mes dépends ! Loin de là : à la place d'une opinion de beauté, c'en est la vérité que tu te mets en devoir de posséder ; et, positivement, troquer du cuivre contre de l'or, tel est ton dessein. Eh bien, examine les choses, homme excellent, avec plus de soin, de peur de te méprendre sur moi et sur mon néant réel. En vérité, l'oeil de la pensée ne commence d'avoir le regard pénétrant que quand la vision des yeux commence à perdre de son acuité. Or, pour toi, c'est un point dont tu es encore loin !

En entendant cela, à mon tour je répliquai :- En ce qui est de mon fait, je me suis expliqué et dans mes paroles, il n'y a rien qui ne soit conforme à ma

pensée. C'est à toi de délibérer sur ce que tu juges le meilleur pour toi aussi bien que pour moi.- Mais oui, répondit-il, tu as parfaitement raison ; nous emploierons en effet les jours qui viennent à décider de

la conduite qui se révèlera pour nous deux la meilleure.Point de doute pour moi après ses paroles et les miennes : c'étaient comme des flèches que je venais de lancer et

je croyais bien l'avoir blessé ! Donc, je me lève et, sans lui laisser la possibilité d'ajouter le moindre mot, je couvre l'homme du manteau que j'avais (on était en hiver), je m'allonge au lit par-dessous son vieux manteau, je jette mes deux bras autour de cet être, divin et véritablement et merveilleux ; et c'est étendu ainsi que je passai la nuit entière. […] J'en atteste les dieux, j'en atteste les déesses, après cette nuit passée avec Socrate, il n'y avait, quand je me levai, rien de plus extraordinaire que si j'avais dormi aux côtés de mon père ou d'un frère plus âgé ! Vous figurez-vous quel était mon état d'esprit après cela ?!

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QUESTION

Pour quelle raison Socrate refuse-t-il les avances d'Alcibiade ? (lignes 30 à 40) N.B. : Pensez aux deux types de beauté distingués ici par Socrate et rappelez-vous le processus décrit dans le texte précédent.

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DOCUMENT N°10 : INTERROGATION ÉCRITE

/ 1 1) Où Platon a-t-il vécu ?

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/ 1 2) À quel(s) siècle(s) a-t-il vécu ?

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/ 1 3) Dans quel texte Platon parle-t-il de l'amour ?

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/ 1 4) Quel personnage est le porte-parole de Platon dans ce texte ?

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/ 1 5) Selon ce personnage, quel rapport existe-t-il entre le désir amoureux et la connaissance ?

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/ 2 6) D'après ce personnage, quels sont les deux changements qui s'opèrent peu à peu dans le désir amoureux ? (Vous pouvez, si vous le souhaitez, répondre à cette question en résumant les étapes du processus de développement du désir.)

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/ 2 7) Platon distingue entre deux types de beauté et donc d'amour. Quels sont ces deux types de beauté et d'amour ?

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/ 1 8) Des deux types d'amour mentionnés dans la question précédente, lequel est celui visé par le sage ?

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/ 10 9) Pensez-vous qu'aimer empêche de connaître ou au contraire qu'aimer aide / incite à connaître ? Justifiez votre réponse par plusieurs arguments.

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L'AMOUR – DEVOIR DE SYNTHÈSE

DOCUMENT N°11 : UNE LETTRE D'AMOUR

Ovide, Héroïdes, IV, « Phèdre à Hippolyte » (trad. M. Prévost, éd. Les Belles Lettres)

Ce livre se compose d'une série de lettres, que des personnages mythologiques adressent à la personne qu'ils aiment (Pénélope à Ulysse, Didon à Énée, Pâris à Hélène,...). Ici, il s'agit du début de la lettre que Phèdre écrit à Hippolyte.

Le salut dont elle-même sera privée, si ce n'est toi qui le lui donnes, la fille de Crète l'adresse au héros, fils de l'Amazone. Lis jusqu'au bout, quoi qu'il en soit : quel mal peut faire une lettre qu'on lit ? Même toi, peut-être y trouveras-tu de quoi te plaire. Par de tels signes les secrets sont transportés sur terre et sur mer ; l'ennemi examine celui qu'il reçoit d'un ennemi. Trois fois je m'efforçai de te parler, trois fois ma langue resta impuissante, trois fois le son expira au seuil de ma bouche. Autant qu'il se peut et qu'on le peut, il faut mêler de la pudeur à l'amour. Ce que je taisais par amour, la pudeur m'a ordonné de l'écrire. Quoi que l'amour ordonne, on ne le dédaigne pas sans péril. Il règne et étend sa loi sur les dieux souverains. Alors que j'hésitai à écrire, c'est lui qui m'a dit : « Écris, et cet homme de fer, vaincu, te livrera ses mains. » Puisse-t-il m'assister et, comme il embrase mes moelles d'un feu dévorateur, frapper aussi ton cœur de ses flèches, selon mes vœux ! [...]

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[Connaissances]

/ 1 1) Ovide est l'auteur de ce texte. À quel(s) siècle(s) a-t-il vécu ?

/ 1 2) Où a-t-il vécu ?

/ 1 3) Citez le titre d'une autre œuvre d'Ovide (par exemple celle dont un extrait a été étudié en classe).

/ 3 4) Rappelez brièvement qui sont Phèdre & Hippolyte et notamment quels liens les unissent.

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5) Quel dramaturge français a, au XVII ème siècle, repris l'histoire de Phèdre et d'Hippolyte ?

6) De quelle poétesse grecque antique cet auteur s'est-il inspiré pour évoquer les sentiments de Phèdre ?

[Analyse comparée]

/ 2 5) Dans quelle partie d'elle-même Phèdre ressent-elle sa passion amoureuse (ce qui était déjà le cas dans le texte étudié en classe) ? Justifiez votre réponse par une citation du texte.

/ 2 6) Quelle image classique retrouve-t-on dans la fin du texte qui permet d'exprimer la violence et le caractère destructeur de la passion amoureuse ? Justifiez votre réponse par une citation du texte.

/ 2 7) La passion a dans ce texte une dimension tragique, ce qui se manifeste à travers un champ lexical qui était déjà présent dans le texte étudié en classe. Quel est ce champ lexical ? Relevez au moins trois mots ou expressions qui en font partie.

/ 1 8) L'amour est ici personnifié. Citez une expression du texte qui le montre.

/ 2 9) Quelle(s) différence(s) y-a-t-il entre l'amour tel qu'il est personnifié dans ce texte et l'amour tel qu'il était personnifié dans l'autre texte d'Ovide étudié en classe ? Justifiez votre réponse par une citation du texte.

/ 3 10) Phèdre décrit ses rapports fougueux avec Hippolyte en évoquant un autre type de relation qui peut exister entre des personnes. Lequel ? Justifiez votre réponse en citant deux expressions du texte.

[BONUS]

/ 3 11) Comparez le personnage de Phèdre à un autre personnage (de votre choix), issu de la littérature ou du cinéma, lui aussi en proie à la passion amoureuse.