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COMPTES RENDUS 289 THOMAS MORE HARRINGTON, Vérité et méthode dans les«(Pensées » de Pascal. Préface de JEAN MESNAKD. Paris, Librairie Philosophique Vrin, 1972. Un vol. 16 x 24 de 160 p. Le problème posé par M. Harington dans cet ouvrage a déjà fait les beaux jours de là critique pascalienne : mais les recherches, en France et à l'étranger, n'avancentni au même rythme, ni sur les mêmes voies; adoptant sur Pascal un point de vue qui nous est inhabituel, un critique étranger arrive souvent à apercevoir certains problèmes auquel nous sommes devenus pour ainsi dire aveugles : le livre de M. Harrington en est un exemple, dans ce que sa démarche a parfois de déroutant. Sans doute fautai attribuer au désir de pré- ciser exactementles contours et le contexte de son étude le long résumé des Confessions de saint Augustin,qui fait l'objet du troisième chapitre, ou le rappel dès positions de la critique antérieuresur le problème de la méthode pascalien- ne ; mais l'analysey perd peut-être en netteté plus qu'elle n'y gagne en précision. L'ouvrage de M. Harrington n'en demeure pas moins très éclairant, sur un sujet difficile : le problème; essentieln'est pas seulement celui du rapport qui unit, dans les Pensées, la méthode de recherche et la conception dualiste de la vérité, propre à Pascal, selon l'auteur ; M. Harrington veut aussi définir le type de certitude qui en découle. : il définit ainsi la notion de «foi humaine », par opposition à la foi suscitée par la grâce divine. Pour dégager, de l'oeuvre de Pascal, la méthode propre aux Pensées, l'auteur s'attache essentiellement à la liasse « Raison des Effets », considérée commeun recueil de; considérations méthodologiques : Pascal y donnerait à lire les principes de sa. démarche et de son argumentation. Au terme d'une analyse détaillée des fragments de la liasse, M. Harrington distingue deux momentsdans l'ordre de la démonstration. Le «renversementdu pour au contre » consisteà éclairer successivement l'un par l'autre les deux aspects d'une vérité bivalente. Dans ce passage d'un con- traire à l'autre, c'est l'esprit de finesse qui est à l'oeuvre, dans la mesure où il s'agit de deviner la vérité, et non de la déduire géométriquement. En un second moment, la méthode consisteà remonterde l'opposition de deux vérités à la raison de leur opposition, c'est-à-dire d'une différenceà son origine. Or, montre M. Harrington, la raison d'une différence est elle-même une différence, plus profonde et plus cachée; ainsi, l'opposition des ordres de la chair et de la charité reflète et explique celle du juste et du fort, par exemple. Il y a; entre ces deux différences, une relation figurative; l'effet est comme le tableau de sa raison. Le mouvement de l'esprit de finesse consiste à deviner, dans la figure,ce qu'elle représente; ou, si l'on préfère, à deviner dans nos contrariétés la figure de notre corruption. Cette analyse a l'intérêt de montrer, que la notion de figure a dans la pensée une importance souvent méconnue ; loin d'en réduire la portée aux preuves historiques de la religion chrétierme, M. Harring- ton prouve que toute la partie morale et psychologique des Pensées est com- mandée par le système des figures. En liant ainsi les notions d'ordre, de figu- ration et de raison des effets, on prend sur l'anti-cartésianismede Pascal une vue nouvelle. Cette recherche aboutit à éclairer la notion de «foi humaine ", que les commentateursont souvent négligée; cette foi est la seule que l'apologiste puisse susciteren l'homme, car elle relève de l'ordre de l'esprit et du raison- nement; par elle, nous saisissons en un mouvement purement intellectuel la vérité du christianisme. Mais, ne pouvant changer notre coeur, elle est inutile au salut et ne nous arrache pas à la concupiscence.L'apologiste, en nous enseignant cette foi, ne fait pourtant pas un travail inutile, car cette sagesse figure celle du parfait chrétien, sans l'inspiration divine. Dans cette difficile étude de la méthode de Pascal, il faut savoir gré à M. Harrington de n'avoir pas séparé l'analysetechnique de celle du sens spirituel et religieux des. Pensées, évitant par là les écueils du formalismepur. DOMINIQUE DESCOTES. REVUE D'HIST. LITTÉRAIRE DELA FRANCE (74e Ann.). LXXIV. 19

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COMPTESRENDUS 289

THOMASMOREHARRINGTON,Vérité et méthode dans les«(Pensées »de Pascal. Préface de JEANMESNAKD.Paris, Librairie PhilosophiqueVrin, 1972. Un vol. 16 x 24 de 160 p.

Le problèmeposé par M. Harington dans cet ouvrage a déjà fait les beauxjours de là critique pascalienne: mais les recherches,en France et à l'étranger,n'avancentni au même rythme, ni sur les mêmes voies; adoptant sur Pascalun point de vue qui nous est inhabituel,un critique étranger arrive souvent àapercevoir certains problèmes auquel nous sommesdevenus pour ainsi direaveugles : le livre de M. Harrington en est un exemple, dans ce que sadémarchea parfoisde déroutant. Sans doute fautai attribuer au désir de pré-ciser exactementles contours et le contextede son étude le long résumé desConfessionsde saintAugustin,qui fait l'objet du troisièmechapitre, ou le rappeldès positionsde la critique antérieuresur le problèmede la méthode pascalien-ne ; maisl'analysey perd peut-être en netteté plusqu'elle n'y gagne en précision.

L'ouvragede M. Harrington n'en demeurepas moins très éclairant, sur unsujet difficile: le problème;essentieln'est pas seulement celui du rapport quiunit, dans les Pensées,la méthode de recherche et la conceptiondualiste dela vérité, propre à Pascal, selonl'auteur ; M. Harringtonveut aussi définir letype de certitudequi en découle.: il définitainsi la notion de «foi humaine»,par oppositionà la foi suscitée par la grâce divine. Pour dégager, de l'oeuvrede Pascal, la méthode propre aux Pensées, l'auteur s'attache essentiellementà la liasse «Raisondes Effets», considéréecommeun recueil de; considérationsméthodologiques: Pascal y donnerait à lire les principes de sa.démarche etde son argumentation.Au terme d'une analyse détaillée des fragments de laliasse,M. Harringtondistinguedeux momentsdans l'ordre de la démonstration.Le «renversementdu pour au contre» consisteà éclairer successivementl'unpar l'autre les deux aspects d'une vérité bivalente.Dans ce passage d'un con-traire à l'autre, c'est l'esprit de finessequi est à l'oeuvre, dans la mesure oùil s'agit de deviner la vérité, et non de la déduire géométriquement.En unsecondmoment,la méthode consisteà remonterde l'oppositionde deux véritésà la raison de leur opposition, c'est-à-dired'une différenceà son origine. Or,montre M. Harrington,la raison d'une différenceest elle-mêmeune différence,plus profonde et plus cachée; ainsi, l'oppositiondes ordres de la chair et dela charitéreflète et expliquecelle du juste et du fort, par exemple.Il y a; entreces deux différences,une relation figurative; l'effet est comme le tableau desa raison. Le mouvement de l'esprit de finesseconsiste à deviner, dans lafigure,ce qu'elle représente; ou, si l'on préfère, à deviner dans nos contrariétésla figure de notre corruption. Cette analyse a l'intérêt de montrer,que lanotion de figure a dans la penséeune importancesouventméconnue; loin d'enréduire la portée aux preuveshistoriquesde la religion chrétierme,M. Harring-ton prouve que toute la partie morale et psychologiquedes Pensées est com-mandéepar le systèmedes figures.En liant ainsi les notions d'ordre, de figu-ration et de raison des effets, on prend sur l'anti-cartésianismede Pascal unevue nouvelle.

Cette recherche aboutit à éclairer la notion de «foi humaine", que lescommentateursont souvent négligée; cette foi est la seule que l'apologistepuisse susciteren l'homme,car elle relève de l'ordre de l'esprit et du raison-nement; par elle, nous saisissonsen un mouvementpurement intellectuel lavérité du christianisme.Mais,ne pouvant changer notre coeur, elle est inutileau salut et ne nous arrache pas à la concupiscence.L'apologiste, en nousenseignant cette foi, ne fait pourtant pas un travail inutile, car cette sagessefigure celle du parfait chrétien, sans l'inspirationdivine. Dans cette difficileétude de la méthode de Pascal, il faut savoirgré à M. Harrington de n'avoirpas séparé l'analysetechnique de celle du sens spirituel et religieuxdes.Pensées,évitantpar là les écueilsdu formalismepur.

DOMINIQUEDESCOTES.

REVUED'HIST.LITTÉRAIREDELAFRANCE(74eAnn.).LXXIV. 19