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art press 277 esth6tique Georges Didi-Huberman Aby Warburgi, I'histoire de I'art a I'age des fantomes entretien avec ELIE DURING *Je tiens desormais pour acquis qu'il n'y a pas d'histoire de r'art. En ecrivant ces mots, en 1923, Walter Benjamin formulait une exigence et un espoir: que I'histoire de I'art recommence, qu'elle formule enfin ses problemes a partir des ceuvres elles-memes, plut6t que dans les termes artificiels herites de la tradition du commentaire historique. Fidele a ce souci, Georges Didi-Huberman fraie depuis quelques annees les voies d'une arch6ologie critique de l'histoire de l'art. Devant l'image (1990) et Devant le temps (2000) s'employaient d6ja a dermler les lignes de temps multiples, a reperer les contretemps et les anachronismes qui scan- dent l'exuberance des images, en-de9A des canons de la forme symbolique et des mode- les temporels mis en oeuvre par la disci- pline historienne. Quelques fant6mes l'avaient devance dans cette tache et conti- nuent de le hanter. Parmi eux, Aby Warburg n'est sans doute pas le moins entete, ni le plus aisement maitrisable. L'image survi- vante, publie ce mois aux Editions de Minuit, lui est tout entier consacre. Veritable intro- duction aux memoires et aux lapsus de l'art, cette somme foisonnante aux aMlures de Mille Plateaux(pres de six cents pages et une centaine d'illustrations) noue dans un rapport inedit les discours historiques, esthetiques et philosophiques. Aby Warburg en 1925. (Ph. The Warburg Institute, Londres). Warburg in 1925 * D'Aby Warburg, qui considerait l'histoire de l'art comme une Ahistoire de fantomes pour grandes personneso, vous dites quqil est lui- m6me <notre fant6me)), un ((ancetre inavoua- bleo. II est pourtant d'usage de reconnaltre en -lui, non seulement le createur de la biblio- theque qui porte son nom (i Hambdurg, puis a Londres), mais aussi le pere fondateur de la discipline appelee (iconologie)). Qu'est-ce qui, selon vous, fait de Warburg un spectre ? Warburg est, en effet, le fondateur d'une biblio- theque qui, aujourd'hui encore, est un haut- lieu pourtout historien de l'art, particulierement dans le domaine des etudes sur la Renais- sance. Mais, lorsqu'on explore les rayonnages de cette bibliotheque, on eprouve concrete- ment-tactilement et »(atmospheriquOment) - le caractere spectral du savoir mis en ceuvre par Warburg: toute la section du dernier etage consacree aux ((problemes fondamentaux)) (philosophie de l'histoire, theorie de l'incon- scient, histoire des gestes...) est tres, tres poussi6reuse. Cette poussiere accurnul6e ne signale rien d'autre que la desaffection des historiens de l'art, depuis 70 ans, pour la pens6e warburgienne en tant que telle. Certes, Warburg est aussi reconnu comme le fondateur de l'iconologie. Mais celle-ci a ete reduite par ses propres disciples - avant tout Saxl et Panofsky - au pur travail d'ur d6chif- frement d'all6gories figuratives. Ce qu'un histo- rien de l'art entend aujourd'hui par (iconologie)), c'est la discipline magistralement constituee par Erwin Panofsky comme explication des symbo- les visuels de l'Occident. Mais ce qu'enten- dait Warburg (qui n'a rien ("constitue& magis- tralement, qui a seulement lance des pistes, mais genialement) etait bien different: le d6chif- frement symbolique n'etait pour luj qu'une 6tape, ce qu'il visait etait une interpr6tation symptomale de la culture a travers ses images, ses croyances, ses continents noirs, ses resi- dus, ses deplacements d'origine, ses retours du refoul6... Quelque chose, en somme, d'assez proche de la psychanalyse freudienne (que Panofsky, lui, d6testait). Contre l'histoire de l'art aesth&tisante)> dont il ex6crait le dilettantisme, Warburg se voulait rigoureux philologue ; contre l'histoirte positi- viste et sa passion des afaits>, il affichait une ambition th6orique et meme philosophique qui n'a pas toujours facilite sa r6ception. Vous 6voquez a son propos un erempirisme.sup& rieurn, soucieux de concepts plus souples, mieux articul6s sur le ph6nomene. N'est-ce pas surtout cette audace philosophique qui le rend etranger a la tradition humaniste, et qui fournit a beaucoup l1excuse attendue pour ne pas le lire ? En effet. Warburg fait partie d'une generation d'historiens de l'art - je pense surtout a Julius von Schlosser et a Riegl - pour qui la frequen- tation rapproch6e, analytique, philologique, des ceuvres d'art etait une occasion d'inventer des concepts, c'est-a-dire de se situer acti- vement, naturellement, sur le terrain philoso- phique. Les iconologues de la ((tradition warburgiennes, notamment dans le monde anglo-saxon d'apres-guerre, ont bien voulu garder 1' outil philologique propose par Warburg (1'etude des sources antiques, la lecture des archives, l'incursion dans l'histoire des sciences, des croyances ou de la culture materielle.. .), mais ils ont laisse l'enjeu philosophique sous les parapets de la vieille Mitteleuropa. L((empirisme sup6rieur)) de Warburg ? C'est d'avoir ouvert le champ de l'histoire de l'art a de nouveaux objets, par exemple lorsqu'il pensa le portrait humaniste de la Renaissance en rela- tion avec les pratiques votives du Moyen Age chretien et les survivances de l'Antiquite palenne, etrusque notamment. Mais Warburg tirait aussi de ce deplacement du regard une veritable energie philosophique: de nouveaux concepts sont nes (((survivances)), ((formules de pathos>), ((dynamogrammes d6connect6s>), etc). II y a, aujourd'hui, beaucoup d'historiens de I'art qui refusent de penser philosophique- ment au nom d'une soi-disant ((neutralit6n philologique. D'autres, plus curieux, utilisent ou ((empruntent)) des concepts venus d'autres champs (le ((carrA s6miotique)) de Greimas, le ((point g6om6tral)) de Lacan. ..). Mais combien inventent des concepts nouveaux depuis leur experience meme de l'image ? L'6tendue des interets de Warburg est impres- sionnante. Vous donnez beaucoup d'impor- tance a ses lectures anthropologiques, par exemple aux trait6s consacr6s par certains contemporains a la mimique, auxsurvivances des gestes antiques dans la culture populaire napolitaine... L'experience dont je parle ne se limitait pas, pour Warburg, a la seule frequentation des musees des beaux-arts. Vous savez bien que, quelques mois apres avoir soutenu sa these sur Botticelli, 18

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esth6tique

Georges Didi-HubermanAby Warburgi, I'histoire de I'art a I'age des fantomesentretien avec ELIE DURING

*Je tiens desormais pour acquis qu'il n'y apas d'histoire de r'art. En ecrivant ces mots,en 1923, Walter Benjamin formulait uneexigence et un espoir: que I'histoire de I'artrecommence, qu'elle formule enfin sesproblemes a partir des ceuvres elles-memes,plut6t que dans les termes artificiels heritesde la tradition du commentaire historique.Fidele a ce souci, Georges Didi-Hubermanfraie depuis quelques annees les voies d'unearch6ologie critique de l'histoire de l'art.Devant l'image (1990) et Devant le temps(2000) s'employaient d6ja a dermler leslignes de temps multiples, a reperer lescontretemps et les anachronismes qui scan-dent l'exuberance des images, en-de9A descanons de la forme symbolique et des mode-les temporels mis en oeuvre par la disci-pline historienne. Quelques fant6mesl'avaient devance dans cette tache et conti-nuent de le hanter. Parmi eux, Aby Warburgn'est sans doute pas le moins entete, ni leplus aisement maitrisable. L'image survi-vante, publie ce mois aux Editions de Minuit,lui est tout entier consacre. Veritable intro-duction aux memoires et aux lapsus de l'art,cette somme foisonnante aux aMlures deMille Plateaux(pres de six cents pages et unecentaine d'illustrations) noue dans unrapport inedit les discours historiques,esthetiques et philosophiques.

Aby Warburg en 1925. (Ph. The Warburg Institute,Londres). Warburg in 1925

* D'Aby Warburg, qui considerait l'histoire del'art comme une Ahistoire de fantomes pourgrandes personneso, vous dites quqil est lui-m6me <notre fant6me)), un ((ancetre inavoua-bleo. II est pourtant d'usage de reconnaltre en

-lui, non seulement le createur de la biblio-theque qui porte son nom (i Hambdurg, puisa Londres), mais aussi le pere fondateur de ladiscipline appelee (iconologie)). Qu'est-ce qui,selon vous, fait de Warburg un spectre ?Warburg est, en effet, le fondateur d'une biblio-theque qui, aujourd'hui encore, est un haut-lieu pourtout historien de l'art, particulierementdans le domaine des etudes sur la Renais-sance. Mais, lorsqu'on explore les rayonnagesde cette bibliotheque, on eprouve concrete-ment-tactilement et »(atmospheriquOment) -le caractere spectral du savoir mis en ceuvre parWarburg: toute la section du dernier etageconsacree aux ((problemes fondamentaux))(philosophie de l'histoire, theorie de l'incon-scient, histoire des gestes...) est tres, trespoussi6reuse. Cette poussiere accurnul6e nesignale rien d'autre que la desaffection deshistoriens de l'art, depuis 70 ans, pour la pens6ewarburgienne en tant que telle.Certes, Warburg est aussi reconnu comme lefondateur de l'iconologie. Mais celle-ci a etereduite par ses propres disciples - avant toutSaxl et Panofsky - au pur travail d'ur d6chif-frement d'all6gories figuratives. Ce qu'un histo-rien de l'art entend aujourd'hui par (iconologie)),c'est la discipline magistralement constituee parErwin Panofsky comme explication des symbo-les visuels de l'Occident. Mais ce qu'enten-dait Warburg (qui n'a rien ("constitue& magis-tralement, qui a seulement lance des pistes,mais genialement) etait bien different: le d6chif-frement symbolique n'etait pour luj qu'une6tape, ce qu'il visait etait une interpr6tationsymptomale de la culture a travers ses images,ses croyances, ses continents noirs, ses resi-dus, ses deplacements d'origine, ses retours durefoul6... Quelque chose, en somme, d'assezproche de la psychanalyse freudienne (quePanofsky, lui, d6testait).

Contre l'histoire de l'art aesth&tisante)> dont ilex6crait le dilettantisme, Warburg se voulaitrigoureux philologue ; contre l'histoirte positi-viste et sa passion des afaits>, il affichait uneambition th6orique et meme philosophiquequi n'a pas toujours facilite sa r6ception. Vous6voquez a son propos un erempirisme.sup&

rieurn, soucieux de concepts plus souples,mieux articul6s sur le ph6nomene. N'est-cepas surtout cette audace philosophique qui lerend etranger a la tradition humaniste, et quifournit a beaucoup l1excuse attendue pour nepas le lire ?En effet. Warburg fait partie d'une generationd'historiens de l'art - je pense surtout a Juliusvon Schlosser et a Riegl - pour qui la frequen-tation rapproch6e, analytique, philologique,des ceuvres d'art etait une occasion d'inventerdes concepts, c'est-a-dire de se situer acti-vement, naturellement, sur le terrain philoso-phique. Les iconologues de la ((traditionwarburgiennes, notamment dans le mondeanglo-saxon d'apres-guerre, ont bien voulugarder 1' outil philologique propose par Warburg(1'etude des sources antiques, la lecture desarchives, l'incursion dans l'histoire des sciences,des croyances ou de la culture materielle.. .),mais ils ont laisse l'enjeu philosophique sousles parapets de la vieille Mitteleuropa.L((empirisme sup6rieur)) de Warburg ? C'estd'avoir ouvert le champ de l'histoire de l'art ade nouveaux objets, par exemple lorsqu'il pensale portrait humaniste de la Renaissance en rela-tion avec les pratiques votives du Moyen Agechretien et les survivances de l'Antiquitepalenne, etrusque notamment. Mais Warburgtirait aussi de ce deplacement du regard uneveritable energie philosophique: de nouveauxconcepts sont nes (((survivances)), ((formulesde pathos>), ((dynamogrammes d6connect6s>),etc). II y a, aujourd'hui, beaucoup d'historiensde I'art qui refusent de penser philosophique-ment au nom d'une soi-disant ((neutralit6nphilologique. D'autres, plus curieux, utilisentou ((empruntent)) des concepts venus d'autreschamps (le ((carrA s6miotique)) de Greimas, le((point g6om6tral)) de Lacan. ..). Mais combieninventent des concepts nouveaux depuis leurexperience meme de l'image ?

L'6tendue des interets de Warburg est impres-sionnante. Vous donnez beaucoup d'impor-tance a ses lectures anthropologiques, parexemple aux trait6s consacr6s par certainscontemporains a la mimique, auxsurvivancesdes gestes antiques dans la culture populairenapolitaine...L'experience dont je parle ne se limitait pas, pourWarburg, a la seule frequentation des museesdes beaux-arts. Vous savez bien que, quelquesmois apres avoir soutenu sa these sur Botticelli,

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aesthetics

Warburg arpentait en 1895 les mesas duNouveau-Mexique, d6couvrant l'incarnationrituelle, dans6e ou quotidienne, de ces ((survi-vances>) dont il cherchait a comprendre l'obscurcheminement culturel (1). La tentative warbur-gienne se situe bien entre deux extremes dutemps: d'un c6t6, il va chercher l'etat le plusfossilise des symboles (par exemple les cor-tbges dionysiaques sculpt6s sur les sarco-phages antiques); d'un autre, il cherche leur 6tatle plus incame, le plus mouvement6 (dans ladanse, dans les gestes de deuil, dans les rituelsencore pratiques sous nos yeux). Voila pourquoil'atlas Mnemosyne pr6sente les archives lesplus anciennes de la culture m6diterraneenne(par exemple les sculptures divinatoires m6so-potamiennes) et l'etat de ses survivances lesplus contemporaines (par exemple des photo-graphies du Concordat de 1929 incluses parWarburg l'ann6e meme de sa mort). II y a danscette mise en relation une hypothese magni-fique sur la longue dur6e des gestes humains,hypothbse qu'a la meme 6poque, d'ailleurs,Marcel Mauss d6fendait aussi.

L'lmage survivante deplie la pensee de Warburgselon trois axes, que signalent trois conceptsfondamentaux: le fant6me (survivance), lepathos (formules de pathos), le sympt6me(monstre). D'abord, la question des nouveauxmodeles de tem ps (anachronisme gen6ralise),ensuite la dissemination anthropologique desobjets de I'histoire de l'art (geste, affect, expres-sion), enfin une nouvelle image de la pens6e,ressaisie au bord de la folie. Vous avez choiside relire Warburg en-deg, du * issage>> qu'ontfaitsubir a sa pensee ses h6ritiers n6o-kantiens,en prenant ses concepts au s6rieux, en les(testant)) au besoin sur des cas. Prenons le

concept de survivance: qu'est-ce qui le dis-tingue effectivement, dans l'usage que peut enfaire /'historien ou le critique d'art, des notionsempiriques d'influence, de retour, de renais-sance ou de revival, reperables dans le cadred'une periodisation historique ?Permettez-moi de repondre trop brievement avotre lourde question, dans la mesure oO toutmon livre essaie- ce n'est pas facile - de cons-truire cette distinction. La terminologie des((survivances)) fut empruntee, au d6part, a l'an-thropologie de Tylor. Elle semble donc obsolbtecomme semble obsolbte cette anthropologiepr6-structuraliste et, pour tout dire, ((6volu-tionniste)). Mais, en restituant les exigencestheoriques de Warburg, il m'est apparu quel'enjeu du Nachleben - cet ((apres-vivre)) desimages, cette capacit6 qu'ont les formes de nejamais mourir tout a fait et de resurgir la etquand on les attend le moins - revenait a intro-duire, en histoire de l'art, I'hypothbse de l'in-conscient. Moment capital, donc.Les influences, les revivals, les renaissancesrelevent d'une transmission consciente, ellessont revendiqu6es jusqu'a faire l'objet d'al-bums-souvenirs ou de sagas triomphantes,comme chez Vasari quand il nous raconte sa

Art History and Its Ghosts"I am now of the firm opinion that there is nohistory of art. " When he wrote these words in 1923Walter Benjamin was expressing both a demandand a hope: that the history of art should beginagain, thatitmightatlastformulate problems onthe basis of the works themselves, rather than inthe artificial terms inherited from the tradition ofhistorical commentary. Keeping faith with Benja-min's dictum, Georges Didi-Huberman has forsome years now been exploring a critical archaeo-logy of art history. In Devant l'image (1990) andDevant le temps (2000) he set out to untanglemultiple time lines, to pick out the counter-timesand anachronisms that punctuate the exuberanceof images, upstream of the canons of symbolicform and the temporal models applied b'y thehistorian's discipline. In this task he was precededby one or two historical figures whose ghosts arestill with him today. One of these, and certainlyneither the least obdurate nor the easiest to master,isAby Warburg. L'lmage survivante, Didi-Huber-man's new book at Editions de Minuit, is whollydedicated to him. A genuine introduction tomemory and parapraxis in art, this denselytextured tome redolent of Mille Plateaux (nearlysix hundred pages and a hundred-odd illustra-tions) is a unique interweaving of historical,aesthetic and philosophical discourses.

E.D.

* Speaking of Aby Warburg, who considered arthistoryas a "ghost story forgrown-ups, " you say thathe is himself "our ghost, " an "ancestor that we are

bears his name (in Hamburg, then in London), but alsoas the founding father of the discipline known as"iconology. " What is it that makes Warburga ghost?Warburg is indeed the founder of a library thatremains a Mecca for art historians even today,particularly in the field of Renaissance studies. But,when you explore the shelves in this library youcan physically-"atmospherically"-feel andtouch the spectral character of the knowledgethat Warburg deployed. The entire section on thelast floor devoted to "fundamental problems"(the philosophy of history, the theory of the uncon-scious, the history of gesture) is very, very dusty.Whatthis accumulated dust signals is preciselythedisaffection felt by art historians for Warburgianthought as such over the last 70 years.True, Warburg is also recognized as the founderof iconology. But his own disciples-above allSaxl and Panofsky-reduced itto the job of deciph-ering figurative allegories. What art historiansmean by "iconology" today is this disciplinemasterfully constituted by Erwin Panofsky as theelucidation of Western visual symbols. But whatWarburg (who "constituted" nothing with suchmastery, who only-albeit with real genius-opened up directions) understood by it was verydifferent. For him, deciphering symbols was onlyone phase. What he was aiming for was a symp-tomatological interpretation of a culture throughits images, its beliefs, its dark continents, its resi-dues, its shifting of origins, its returns of therepressed-something, in fact, quite close to Freu-dian psychoanalysis. Which Panofsky loathed.

ashamed to acknowledge. "And yet he is commonlyrecognized, not only as the creator of the library that In opposition to "aestheticizing" art history, whose

Les Notizkasten (fichiers) d'Aby Warburg. (Ph. The Warburg Institute, Londres).Warburg's archives

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esthetique

Aby Warburg. L'atlas uMnemosyne) (planche 79). 1927-1929. (Ph. The Warburg Institute, Londres ). Warburg's

"Mnemoysne" atlas. Plate 79

fameuse rinascita florentine... Toute notre id6ede l'histoire - meme lorsqu'on revendique le((postmodernisme)) comme d6passement du((modernisme)) -tient peu ou prou a ce sch6maorient6. La survivance, elle, -tente de rendrecompte d'une m6moire inconsciente: elled6soriente par consequent les relations del'avant et de l'apres, tout son rythme etant regl6sur les pouvoirs de l'apres-coup et du retour durefoule. Warburg et Freud se sont pose lememe genre de question, a la meme 6poqueexactement. D'oO ma tentative d'6clairer reci-proquement les ((formations de survivance>>

chezWarburg et les ((formations de sympt6me))chez Freud. Freud disait des hysteriquesqu'elles asouffrent de r6miniscences*) ?Warburg disait exactement cela des images denotre culture. Freud observait dans le symp-t6me une dissociation du souvenir (que notrediscours revendique) et de la m6moire incons-ciente (qui donne lieu aux failles dans lediscours et aux d6charges corporelles).Warburg observait exactement cela dans notrehistoire de l'art. Son atlas Mnemosyne est lamise en ceuvre cartographique de cette obser-vation symptomale de la culture.

Une nouvelle image de la pensee semble icisuggeree, qui estpeut-etre fondamentalementcelle de Nietzsche. Mais il ya toutde meme unprobleme, li6 au projet m6me de Warburg - ases limites th6oriques, plus encore qu'a safolie. La multiplication kal6idoscopique desobjets, la proliferation des liens tiss6s entreles disciplines, ontpourcontrepartie un effet desid6ration, de desemparement devant la(*soupe d'anguilleso ou le nceud de problemesr6v616 par chaque image...Je dirais plut6t qu'il y a chez Warburg un "(illi-mite>) th6orique, et que c'est cela meme qui faitprobleme. Ici se rejoignent 1'exp6rience psycho-tique de Warburg - 1'effondrement en 1918, lesannees pass6es dans diff6rentes institutionspsychiatriques avant le sejour d6cisif, entre1921 et 1924, au sanatorium (4Bellevue)) dirig6par Ludwig Binswanger - et ses choix fonda-mentaux de connaissance. Ce qui ne rend pasaise, en effet, I'utilisation de ses hypotheses.Votre ref6rence a Nietzsche est a la fois n6ces-saire et insuffisante. N6cessaire, parce queWarburg est bien parti de Nietzsche pour menersa ((rupture epist6mologique)) dans le champesth6tique, contre Kant, Lessing et Winckel-mann reunis: le dionysiaque etait lb pour fonderle concept des aformules de pathos)) ; 1'6ter-nel retour 6tait la pour fonder celui de "(survi-vance)). Mais Nietzsche ne suffisait pas. La((volont6 de puissance)) a pu devenir Kunst-wollen chez Alfs Riegi, pas chez Warburg,dont le vocabulaire est plus proche d'unepsychopathologie freudienne ou binswang6-rienne. Parler, comme il le fait a la fin de sa vie,de la culture en termes d'oscillations maniaco-d6pressives, voire en termes de schizophr6nie- ce qui, soit dit en passant, n'aurait pas d6plua Gilles Deleuze -, c'est produire une ((imagede pens6ee qui d6place l'emprunt nietzsch6enpr6alable. Les emprunts th6oriques de Warburg- ils sont proliferants - sont d'ailleurs toujoursen d6placement, jamais en application.On pourrait resumer la situation ((kaleidosco-pique>) dont vous parlez en disant que Warburgvoyait chaque singularit6 (que ce f0t un chef-d'ceuvre de la Renaissance ou un timbre-postecontemporain) comme une complexit6 al'ceuvre. Tout savant - car tout savant se doitd'etre modeste devant son objet de savoir-vous dira la meme chose. C'est la sagessem8me. La folie, la ((docte folie)o de Warburgcommence a partir du moment ou il veut respec-ter cette complexit6 jusqu'au bout. Comment,d'une image, exposer le r6seau - le filet, lerhizome, le nceud de serpents - de ses surde-terminations ? La oO l'historien standard finit parprivil6gier une seule ligne de causalit6, Warburgles envisageait toutes ensemble, refusait d'enlacher aucune. II se sentait incapable de couper,de conclure, de refermer son explication. C'estce qui donne a ses textes publies leur caracteresi touffu et si fragmentaire a la fois. C'est ce quidonne a ses textes in6dits - des dizaines demilliers de pages, aussi fascinantes qued6sesperantes, et qui ne sont pas sans 6voquer

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aesthetics

Eugbne Delacroix. (Un lit ddfait)D. Aquarelle. (Coll. musee du Louvre, Paris, departement des Arts graphiques; Ph. DR). Eugene Delacroix: 'An Unmade Bed" Watercolor

dilettantism he abhorred, Warburg sought to be a rigo-rous philologist In opposition to positivist history andits passion for "facts, " he overtly harbored theoreti-cal and even philosophical ambitions that did notalways help him gain acceptance. You speak of a"superior empiricism," seeking concepts that aremore flexible and articulated around the actualpheno-menon. Isn'titabove all this philosophical daring thatmakes him so much an outsider to the humanisttradition, and that provides many with the long-awaited excuse for not reading him?Yes, indeed. Warburg belongs to a generation ofart historians-I am thinking above all here ofJulius von Schlosser and Alois Riegl-for whomclose, analytic and philological attention toartworks was an occasion for inventing concepts,that is to say, for actively and naturally occupyingthe terrain of philosophy. Iconologists working inthe "Warburgian tradition," especially in Anglo-American circles after the war, were happy tokeep the philological tool proposed by Warburg(study of ancient sources, reading the archives,forays into the history of science, belief and mate-rial culture), but they left the philosophical issueshidden beneath the parapets of old Mitteleuropa.Warburg's "superior empiricism"? Because heopened the field of art history to new objects-forexample, when he analyzed the humanist portrait

of the Renaissance in relation to votive practicesin the Christian Middle Ages and the residues ofpagan Antiquity, especially the Etruscans. But forWarburg this shifting of the gaze was a source ofreal philosophical energy, giving rise to newconcepts ("survivals," "pathos formulas,""disconnected dynamograms," etc.). There arelots of art historians around today who refuse tothink philosophically in the name of a so-calledphilological "neutrality." Their more curiouscolleagues use or "borrow" concepts from otherfields (Greimas' "semiotic square," Lacan's"geometral point," etc.), but how many of themactually invent new concepts based on theirexperience of the image?

The range of Warburg's interests is awesome. Youattach considerable importance to his anthropologi-cal readings-for example, to the treatises by hiscontemporaries on mimicry, on the survival of ancientgestures in Neapolitan popular culture.For Warburg, the experience that I am discussingwas not limited to going to art museums. As youknow, in 1895, a few months after defending histhesis on Botticelli, Warburg was out walking themesas of New Mexico, discovering the ritual,danced or everyday incarnation of these "survi-vals" whose obscure cultural progress he sought

to understand.(1) What Warburg was trying todo comes between two extremes of time: on oneside, he goes looking for the most fossilized stateof symbols (for example, the Dionysian proces-sions carved on ancient sarcophagi); on the other,he looks fortheir most embodied and most mobilestate (in dance, in the gestures of mourning, inrituals that are still observed here in front of us).That is why the Mnemosyne picture atlas presentsboth the oldest vestiges of Mediterranean culture(for example, Mesopotamian divinatory sculptu-res) and the most contemporary versions of itscontinuing echoes (for example,the photographsof the 1929 Concordat included by Warburg in theyear he died.This interconnection is underpinnedby the magnificent hypothesis about the durationof human actions, a hypothesis that Marcel Maussalso upheld in the same period.

Limage survivante opens up Warburg's thoughtalong three lines, as signaled by three key concepts:the ghost (survival), pathos (pathos formulas) andthe symptom (monsters). First, the question of newmodels of time (generalized anachronism), then theanthropological dissemination of the objects of arthistory (gesture, affect, expression) and, finally, anew image of thought, grasped on the brink ofmadness. In your reading you have chosen to ignore

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esth6tique

Fronton du Parthenon: Leto, Dion6 et Aphrodite. Vsiecle avant J.-C. Marbre. (Londres, British Museum; Ph. G. Didi-Huberman). From the pediment of the Parthenon

les Fragments posthumesde Nietzsche, maisen plus d6glingue- leur caractere si exploratoireet, pour ainsi dire, ((illimit6)).La ((docte folie)) de Warburg fut de situer l'ana-lyse historique, formelle et anthropologique auniveau des surdeterminations impos6es par ler6seau des survivances, des memoires incons-cientes. Comment constituer physiquement-par une bibliotheque, un ensemble de fichiers,une collection de photographies, un atlas - I'ar-chive inconsciente des images ? Telle etait laquestion. La reponse est, litteralement, infinie(Freud, a ia fin de sa vie, dira cela de l'analysecomme telle). Tour a tour 6puisante d'6rudi-tion et fulgurante par ses mises en relationscapables, soudain, de r6v6ler la longue dur6eimpensee d'une forme artistique.

On pourrait par/er d'une * methode warbur-gienneo procedant par d6coupes, recoupe-ments, branchements. Mais que lui permet-elle de produire, au-dela de nouveaux pointsde vue ? Et peut-il la mettre en ceuvre aussiloin qu'il voudrait ? L'adoptez-vous pour vous-meme, et la recommandez-vous aux autres ?Ou bien Warburg n'est-il (comme Freud, Benja-min ou Carl Einstein) qu'un terrain d'exercicepour vos propres manceuvres th6oriques, unelecture propice au d6placement de quelquesproblemes recurrents dans le discours sur I'art ?

Ce qu'a produit Warburg ? Du point de vuedes r6sultats, quelques r6ponses inattenduesa des problemes excessivement pointus: lessources textuelles de Botticelli, les dispositionstestamentaires d'un bourgeois florentin du 1 5esiecle, I'astrologie arabe chez Francesco delCossa... Tout cela dans trente-sept articlespubli6s, qui forment les deux volumes de sesCTEuvres completes. Certains de ces articles nefont pas plus de deux pages. C'est bien peu,compare a l'ceuvre grandiose de Panofsky.Mais Warburg a ouvert plus qu'il n'a produit. 11a constitue une bibliotheque et une photo-theque - que l'atlas Mnemosyne dispose,expose, r6agence sans cesse- dont la fonctionetait de faire lever des problemes nouveaux.Quand on frequente cette bibliotheque, quandon contemple cet atlas, on fait, aujourd'hui plusque jamais, 1'exp6rience de cette extraordi-naire f6condit6. 11 n'est pas question d'"(appli-quer la m6thode)" de Warburg, mais - par-delale raplatissement de sa pens6e dans un mainstream qui s'est content6 d'en faire l'ancetre unpeu d6jante de l'iconologie panofskienne- desituer le lieu meme de sa f6condit6 heuristiqueet philosophique. C'est une r6ponse aux insa-tisfactions que suscite la pratique actuelle del'histoire de I'art. 11 faudrait relire Warburg,d6sormais, comme Lacan a relu Freud, commeFoucault a relu Binswanger ou comme Deleuze

a relu Nietzsche. C'est-a-dire comme uneplateforme, une table de travail pour denouvelles formes de savoir. Warburg le permetmieux que quiconque, puisque sa pens6e n'ajamais rien de dogmatique ni de clos.

L'art du montage, si caracteristique de sam6thode, est un trait qu'on retrouve dans lesavant-gardes de l'6poque (Vertov, Eisenstein...).Quel 6tait le rapport de Warburg a la cr6ationcontemporaine ? Dans le domaine de l'artcontemporain, quel usage faites-vous d'unenotion telle que celle de survivance ?Contrairement a Berenson, qui 6tudiait laRenaissance italienne et collectionnait lestableaux des maitres florentins, Warburg n'aachet6 que des ceuvres contemporaines:B6cklin (sur qui il a 6crit) et Franz Marc. 11 aaussi pouss6 l'analyse des survivances del'Antiquit6 jusque dans le Dejeunersurl'herbede Manet (2). 11 y a quelques ann6es deja, j'aitravaille sur l'id6e du montage comme ((para-digme)) et comme forme de connaissancechez certains contemporains de Warburg(Georges Bataille dans ia revue Documents,Walter Benjamin dans le Livre des passages).11 est clair que Mnemosyne participe d'unereformulation complete des modeles detemporalit6 au debut du 20 siecle. Proust,Musil et Joyce sont aussi les contemporains

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aesthetics

Alain Fleischer. Paysages du sol. 1967-1968. Photographie. (Collection de I'artiste). "Groundscapes." Photograph

the "homogenization" of Warburg's ideas by his -neo-Kantian heirs and to take those ideas seriously,by 'testing" them, case by case if necessary. Let'stake the concept of survival. What is there, in the wayan art historian or critic might use it, that makes iteffectively different from the empirical notions ofretum, renaissance or revival, which we find inhistoricalperiodization?Allow me to give what is an excessively briefanswer to your weighty question. In fact, mywhole book is an attempt-and it's not easy-toconstruct this distinction. The terminology of"survivals" was originally borrowed from Tylor'santhropology. It therefore seems obsolete, asdoes pre-structuralist and, to be plain, "evolution-ist" anthropology itself. But, when I retracedWarburg's theoretical concerns, I saw that thequestion of Nachleben, this "afterlife" of images,this capacity that forms have never to die and tocome back when one is least expecting them,was tantamount to introducing the hypothesis ofthe unconscious into art history. A moment ofcapital importance.Influences, revivals and renaissances are a matterof conscious transmission. They are appropriated,to the extentthatthey inspire souvenir albums ortriumphant sagas, like Vasari relating his famousFlorentine rinascita. Our whole idea of history-even when we uphold "postmodernism" as going

beyond "modernism"-more or less fits with thisdirective scheme of things. Whereas "survival"attempts to get at an unconscious memory. Itconsequently disorients the relations betweenbefore and after, since its rhythm is entirely set bythe powers of differed action and the return of therepressed. Warburg and Freud posed the samekind of question, and in exactly the same period.Hence my attempt to have Warburg's "forma-tions of survival" and Freud's "symptom forma-tion" cast some light on one another. Didn't Freudsay that hysterics "suffer from reminiscences"?Warburg said exactlythe samething about imagesin our culture. In the symptom, Freud observedthat there was a dissociation of memory (ownedby our discourse) and unconscious memory (thatgives rise to rifts in our discourse and to bodilydischarge). Warburg observed exactly the samething in the history of art. His picture atlas, Mnemo-syne, is the cartographic application of this symp-tomatological observation of culture.

All this seems to suggest a new image of thought,which may at bottom be Nietzschean. But still, thereis a problem with Warburg's very project, with itstheoreticallimits more than its craziness. The downsideof this kaleidoscopic multiplication of objects, theseproliferating links between disciplines, is an effect ofnumbness, of helplessness before this tangle in which

the knot of problems revealed by each image...I would say, rather, that in Warburg you have atheoretical non-limitation, and that is preciselywhat is problematic. This is where we have the linkbetween Warburg's psychotic experience (hiscollapse in 1918, the years in various psychiatricinstitutions leading up to the decisive state at theBellevue sanatorium directed by Ludwig Bins-wanger, between 1921 and 1924) and his funda-mental choices with regard to knowledge. Noneof which makes it easy to use his hypotheses.Your reference to Nietzsche is both necessary andinsufficient. Necessary, because Nietzsche wasindeed Warburg's starting point as he elaboratedthe "epistemological break" in the field of aesthet-ics that saw him move away from Kant, Lessingand Winckelmann. But Nietzsche was not enough.The "will to power" became Kunstwollen (will toart) for Alois Riegl, but not for Warburg, whosevocabulary is closerto psychopathology as prac-tised by Freud or Binswanger. To speak of culturein terms of manic depressive oscillations andeven schizophrenia, as he did at the end of hislife-which, let us note in passing, would proba-bly have found favor with Gilles Deleuze-is toproduce an "image of thinking" that displacesthe initial Nietzschean trace. Warburg's theoreti-cal borrowings-and they are legion-are alwaysdisplacements, never simple application.

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esth6tique

de Warburg. II est donc notre contemporain.La ((table de travail>) dont j'ai parle est d'abordune table de montage capable de montrer letemps autre de l'histoire.II serait bien naff de croire que le mot (ssurvi-vance>> ne concerne que les vieilleries dupass6. C'est, au contraire, une nouvelle - si cemot a un sens-fagon de voir le contemporainqui s'ouvre d6sormais: une fagon de voir, par-dela l'actualite des productions artistiques,leur el6ment d'inactualite ob plusieurs tempo-ralites jouent de concert, anachroniquement.J'ai d6ja tent6 cette approche en me deman-dant - pour 1'exposition I'Empreinte, en 1997- pourquoi tant d'artistes contemporains explo-raient aussi obstin6ment la fagon la plus((pr6historiques) d'engendrer une forme. Plusr6cemment, j'ai commenc6 une enquete delongue duree en partant de la (eNymphes) (quiobs6dait litteralement Warburg, commeGradiva obs6da Freud) et d'un problbme esthe-tique aussi vieux que l'art grec: le drape. Ensuivant le fil des survivances, je suis parvenujusqu'aux images que des artistes contem-porains ont pu accorder a la draperie de toutechose lorsque atteinte par le temps: vue parun artiste d'aujourd'hui, la serpillibre qui trainecontre les caniveaux parisiens peut etremontr6e, (smont6e)s avec une draperie clas-sique (3). Encore faut-il exhumer les 6l6mentsimpens6s qui permettent de comprendre lelien entre ces deux images. Cela s'appelle:faire de l'histoire de ('art. Et le fondateur reelde cette discipline s'appelle Aby Warburg. L,

(1) La fameuse conference de Warburg sur le Rituel duserpent, traduite par S. Muller, sera publiee bientot par leseditions Macula.(2) Cf. A. Warburg, s(Le Dojeuner sur Iherbe de Manet. Lafonction prefiguratrice des divinitas elementaires palennespour 1'6volution du sentiment modeme de la nature),, (1 929),trad. M. Cohen-Halimi, Fin, n' 9, 2001, p. 43-49.(3) G. Didi-Huberman, Ninfa moderna. Essai sur le drapdtombe, Paris, Gallimard, 2002 (a paraitre en mars).

Elie During enseigne la philosophie A l'universite de Paris X

Nanterre. A publie la Science et Ihypothbse: Poincar6,aux editions Ellipses, 200 1.

We could sum up the "kaleidoscopic situation"that you mentioned by saying that Warburg sawevery singularity (whether a Renaissance master-piece ora postage stamp) as complexity at work.Any scholar-for any scholar must approach theobject of his knowledge with modesty-will tellyou the same thing.That isthe basis of wisdom.Warburg's madness, his "learned madness,"begins when he starts trying to maintain thiscomplexity all the way. How does he bring out thenetwork, the net, the rhizome, the vipers' nestunderpinning any image? Where a standard histo-rian ends up emphasizing a single line of causal-ity, Warburg envisaged them all together, refusingto abandon a single one. He felt himself to be

incapable of truncating, concluding-roundingoff his explication. That's what makes his publis-hed texts so dense and yet so fragmentary.That'swhy his unpublished texts, the tens of thousandsof pages, as fascinating as they are maddening,and which are not unlike Nietzsche' finalfragments, only even more ramshackle, are soexploratory and, so to speak, "limitless."Warburg's "learned madness" was that he locatedhistorical, formal and anthropological analysis atthe level of the overdeterminations imposed bythenetwork of survivals, of unconscious memories.How does one physically constitute-with a library,a set of files, a collection of photographs, anatlas-the unconscious archive of images? Thatwas his question. The answer is literally infinite.(At the end of his life, Freud said the same thingabout analysis.) It is by turns exhausting in itserudition and dazzling in the connections it makes,which can suddenly reveal the long and previouslyun-thought endurance of an artistic form.

Learned Madness

We could say that the "Warburgian method" proceed-ed by cutting away, cross-checking and connecting.But what, apart from newpoints of view, did it enablehim to produce? And could he apply it to the extentthat he wanted to? Is it something that you yourselfuse, and would recommend to others? Oris Warburg(like Freud, Benjamin or Carl Einstein) simply a trainingground for your own theoretical maneuvers, areference that helps you displace certain recurrentproblems in the discourse on art?What did Warburg produce? As regards theresults, a few unexpected answers to someextremely complex questions: the textual sourcesof Botticelli, the testament of a Florentine burgherin the 15th century, Arab astrology in the work ofFrancesco del Cossa... All that in the 37 publishedarticles that make up the two volumes of hiscomplete works. Some of these articles are nomore than two pages long. It's not much,compared to Panofsky's imposing corpus.But, more than an actual producer, Warbu.rg wasa pathbreaker. He constituted a library and a collec-tion of photos that he was constantly arranging,exhibiting and rearranging in the Mnemosyneatlas. Their function was to raise new issues.Today more than ever, you can feel that incredi-ble fecunditywhen you frequentthe library or lookat the atlas. It is not a matter of "applying" Warbur-g's method but, looking beyond the flattening ofhis thought by the mainstream view of him as nomore than a slightly nutty precursor of Panofskianiconology, of determining the actual locus of itsheuristic and philosophical fecundity. It is ananswer to the dissatisfaction bred by the currentpractice of art history. We now need to rereadWarburg the way Lacan reread Freud, Foucaultreread Binswanger or Deleuze reread Nietzsche.To use him, in other words, as a platform, a pointof studyfor newforms of knowledge. Warburg iseminently conducive to this because his thoughtis never dogmatic or closed.

The art of montage, which is so very characteristicof his method, is something that we findin the avant-gardes of the time (Vertov Eisenstein, etc.). What wasWarburg's relation to the contemporary arts? In thefield of contemporary art, how do you use a notionsuch as survival?Unlike Berenson, who studied the Italian Renais-sance and collected paintings by Florentinemasters, Warburg bought only contemporaryart-Bocklin (whom he wrote about) and FranzMarc. He also traced the survivals of antiquity asfar as Manet's Le Dejeuner sur l'herbe.(2). A fewyears ago, I did some work on the idea of montageas a "paradigm" and mode of knowledge in someof Warburg's contemporaries (Georges Bataille inthe journal Documents, Walter Benjamin in thePassagen-Werk). It is clear that Mnemosyne ispart of the total reformulation of models of tempo-rality that took place at the beginning of the 20thcentury. Proust, Musil and Joyce, too, wereWarburg's contemporaries. And that makes himour contemporary. The worktable that I mentionedis above all an editing table on which you can showanother dimension of historical time.Itwould be very naive to thinkthatthe word "survi-val" concerns only old stuff from the past. On thecontrary, it offers us a new-if that word meansanything-way of seeing the contemporary; a wayof looking beyond the present realities of artisticproduction to their un-present part, where severaltemporalities are at work together, anachronist-ically. I have already attempted this approachmyself when, for the exhibition L'Empreinte [TheImprint), in 1997, 1 tried to find out why so manycontemporary artists have so doggedly exploredthe most "prehistoric" ways of engendering forms.More recently, I embarked on a long-term studyaround the form of the "Nymph" (with whichWarburg was quite literally obsessed, as Freud waswith Gradiva) and an aesthetic problem that is asold as Greek art: drapery. Following along thepath of survivals, I came to the images of weathe-red and aged objects made by contemporaryartists. The floor-cloth lying in a Parisian gutter canbe shown, "edited in," with classical drapery.(3) Butyou also have to dig out the unthought elementsthat enable you to understand the connectionbetween these two images. That is what you callart history. And the real founder of that disciplineis called Aby Warburg. !3

Translation, C. Penwarden

(1) See Warburg's famous lecture on the snake ritual.(2) Cf. A. Warburg, "Le D6jeuner sur 'herbe de Manet. Lafonction prefiguratrice des divinites elementaires paien-nes pour l'6volution du sentiment moderne de la nature,"(1929), tr. M. Cohen-Halimi, Fin, n' 9, 2001,p. 43-49.(3) G. Didi-Huberman, Ninfa moderna. Essaisurle drapetomb6, (Paris, Gallimard, 2002).Warburg's writings are available in English as:The Renewal of Pagan Antiquity: Contributions to theCultural History of the European Renaissance

Elle During teaches philosophy at the Universite deParis X (Nanterre).

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TITLE: Georges Didi-Huberman: Aby Warburg, art history andits ghosts

SOURCE: Art Press no277 Mr 2002WN: 0206004392014

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