Dictionnaire de la pensée du cinéma

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Raccord/Faux-raccord (DIANE ARNAUD) - Ralenti (ELIE DURING) - Ramain Paul (EMMANUELLE CHAMPOMIER) - Rancière Jacques (DORK ZABUNYAN) - Rashômon (CLÉLIA ZERNIK) - Réalisme (PHILIPPE CHEVALLIER) - Rebatet Lucien (PASCAL MANUEL HEU) - La règle du jeu (ALAIN BROSSAT) - Relief (TRISTAN GARCIA) - Remake (SERGE CHAUVIN) - Représentation (LUC VANCHERI) - Rio Bravo (ARNAUD GUIGUE) - Rivette Jacques (ANTOINE DE BAECQUE) - Rocha Glauber (MATEUS ARAÚJO) - Rohmer Éric (NOËL HERPE) - Rome, ville ouverte (JULIEN NEUTRES) - Rossellini Roberto (JULIEN NEUTRES) - Rouch Jean (MARIA MUHLE) - Ruiz Raoul (ANTOINE DE BAECQUE) - Rythme (LUC VANCHERI) - Sadoul Georges (VALÉRIE VIGNAUX) - Salles Gomes Paulo Emilio (MATEUS ARAÚJO ET ADILSON MENDES) - Salvatore Giuliano (JEAN-BAPTISTE THORET) - Sartre Jean-Paul (PHILIPPE CHEVALLIER) - Schefer Jean-Louis (ANTOINE DE BAECQUE) - Science-fiction (TRISTAN GARCIA) - Seguin Louis (HERVÉ JOUBERT-LAURENCIN) - Sémiologie (DOMINIQUE CHATEAU) - Septième art (TRISTAN GARCIA) - Série B (SERGE CHAUVIN) - Séries américaines (PASCAL LOUGARRE) - Shoah (RÉMY BESSON) - Sitney P. Adams (DARIO MARCHIORI) - Situationnisme (FABIEN DANESI) - Skorecki Louis (ANTOINE DE BAECQUE) - Son (JEAN-PAUL FOURMENTRAUX) - Sorlin Pierre (ANTOINE DE BAECQUE) - Sous-titrage (SERGE CHAUVIN) - Spielberg Steven (MICHEL ETCHEVERRY) - Spiritualité (PHILIPPE CHEVALLIER) - Stalker (ALAIN BONFAND) - Star (YANNICK DEHÉE) - Still Life (FABIEN DANESI) - Studio (EMMANUEL DREUX) - Style (CLÉLIA ZERNIK) - Sueurs froides (ELIE DURING) - Surimpression (VINCENT AMIEL) - Surréalisme (EMMANUEL DREUX) - Suspense (SERGE CHAUVIN) - Tailleur Roger (ANTOINE DE BAECQUE) - Tarkowski Andreï (VINCENT AMIEL) - Taxi Driver (CHRISTIAN DELAGE) - Tedesco Jean (EMMANUELLE CHAMPOMIER) - Télévision (DORK ZABUNYAN) - Temps (VINCENT AMIEL) - Les temps modernes (EMMANUEL DREUX) - Théâtre (ALAIN NAZE) - Théorème (ALAIN NAZE) - Titanic (JEAN-CHRISTOPHE FERRARI) - To Be or Not To Be (HERVÉ JOUBERT-LAURENCIN) - Travelling (ELIE DURING) - Trucage (RÉJANE HAMUS-VALLÉE) - Truffaut François (ANTOINE DE BAECQUE) - Vampire (ANTOINE DE BAECQUE) - Vertov Dziga (VINCENT DEVILLE) - Vidéo (NICOLAS THÉLY) - La vie est belle (EMMANUEL DREUX) - Virtuel (AURÉLIE LEDOUX) - Visage (JEAN BRESCHAND) - Voix off (SERGE CHAUVIN) - Volte/Face (ANTOINE DE BAECQUE) - Voyage à Tokyo (CLÉLIA ZERNIK) - Voyage en Italie (JULIEN NEUTRES) - Le voyeur (NATACHA THIÉRY) - Vuillermoz Émile (PASCAL MANUEL HEU) - Watkins Peter (ANTOINE DE BAECQUE) - Wenders Wim (VINCENT AMIEL) - Xavier Ismail (MATEUS ARAÚJO SILVA) - Yoshida Yoshishige ou Kijû (CLÉLIA ZERNIK) - Žižek Slavoj (ANTOINE DE BAECQUE) - Zombie (ANTOINE DE BAECQUE) Truffaut a laissé dans son journal intime de jeunesse, en novembre 1952, à 20 ans, une note qui souligne chez lui la précocité de cette intuition : critiquer, c’est écrire avec des idées. […] Malgré les dénégations de Truffaut, nous soutiendrons la thèse suivante : il pensa le cinéma en inventant la critique, ou plus précisément : en réinventant la critique, il repensa le cinéma. Éloge du décalé et du mineur, contre-culture cinéphile, usage spectaculaire d’une politique critique, ton intempestif et savoir-faire polémique, amour du cinéma incarné en élections et en rencontres, connivence rituelle avec des lecteurs considérés en alter ego, tout cela apparaît en définitive comme la quintessence de la pensée truffaldienne du cinéma. Pour toute une génération, Truffaut a joué le rôle d’un catalyseur d’énergie et d’une instance de goût. Beaucoup se sont identifiés à lui, si bien qu’il est devenu le porte-parole, même sans le vouloir ni le revendiquer, d’une culture cinéphile jusqu’alors méprisée et qui, par sa plume, s’est affirmée soudain. VISAGE Jean BRESCHAND La puissance du visage est telle que l’on conçoit plus aisément qu’un per- sonnage nous apparaisse comme une tête sans corps, plutôt que comme un corps sans tête… Pourtant, qu’un visage se donne à travers cette valeur de plan que l’on appelle un gros plan n’est pas si évident qu’il y paraît. Un tel plan renvoie à la façon dont on s’en approche, à la place qu’on lui accorde au sein d’un récit, à la fonction dramaturgique qu’on lui attribue. Autrement dit, la manière de filmer un visage et le moment de son apparition reflètent inséparablement une conception du cinéma et de ce qui fait humanité. Historiquement, on sait que le gros plan du visage est le fruit d’un patient rapprochement. Les débuts du cinéma sont remarquables pour leurs plans d’ensemble, au mieux y rencontre-t-on des plans rapprochés qui conservent aux personnages leur décor. […] À compter de 1929, le passage au parlant et le développement des scènes dialoguées qui l’accompagnent va fixer pour longtemps (pour ne pas dire figer) cette figure fondamentale de la grande forme hollywoodienne qu’est le champ/contrechamp. Car tel est le premier des effets d’un visage filmé en gros plan : organiser le récit autour du personnage ainsi mis en avant. Mieux encore, articuler les plans en fonction des directions de regard de ce visage. […] On pourrait émettre l’hypothèse que l’histoire du cinéma est celle de sa représentation des visages. L’ANNÉE DERNIÈRE À MARIENBAD (1961) par Laurence SCHIFANO Apparu sur les écrans français en septembre 1961, après avoir reçu le Lion d’or deVenise,soupçonné un temps de n’être qu’un objet de mode,pourquoi L’Année dernière à Marienbad occupe-t-il aujourd’hui une place centrale dans l’histoire de la pensée du cinéma ? À quelle puissance théorique et poétique ce film né à la jonction du cinéma moderne et du Nouveau roman, cette forme inédite de récit, le statut particulier de l’image qu’il crée, le régime de visibilité et de croyance qu’il instaure, doivent-il de servir aujourd’hui encore de repère incontournable dans la réflexion sur le cinéma? Alain Resnais définit son film comme « une histoire simple » : un homme tente de persuader une femme qu’ils se sont aimés un an auparavant, dans ce même palace de Marienbad où elle séjourne avec son mari. De cette « simplicité », les critiques ont tiré, dans le monde entier et sans discontinuer, des flots d’exégèse. Film-labyrinthe comme Rashomon (Kurosawa, 1953), Le Procès (Welles, 1962) ou Inland Empire (Lynch, 2006), voici donc un film à voir et à revoir, à scruter avec les instruments sophistiqués qu’offrent la sémiologie, la psychanalyse, la sociologie, l’esthétique, ou plus banalement la culture de chacun et les innombrables pistes d’exploration que celle- ci lui ouvrira. « L’envoûtement peut naître en face d’une œuvre dont de multiples lectures ne sauraient épuiser tous les itinéraires, et dont le véritable sujet est sans doute qu’elle ne peut exister dans sa totalité sans la rencontre et la compréhension d’une totalité aussi grande de spectateurs. Par ce paradoxe, qui n’est peut-être qu’une dernière manifestation du contrepoint cher à Resnais, Marienbad ouvre la voie à un autre cinéma, mais il en montre en même temps les limites », remarquera Marie-Claire Ropars dès 1962, en reprochant comme beaucoup la froideur désincarnée, anti-bazinienne, d’un tel cérémonial. Ce cinéma dont Marienbad est le passeur plus encore que le précurseur, c’est celui des Fantômas de Feuillade, du cinéma français des années 1920, de Jean Cocteau et des avant-gardes surréalistes,d’un cinéma à la recherche d’images hantées. Le corps de Delphine Seyrig réveille le souvenir des dive du muet et des actrices des années 1930 ; le travail de Sacha Vierny fait le lien avec celui d’Edouard Tissé, l’opérateur de tous les films de Sergueï Eisenstein ; les lieux, les décors, les éclairages, les séquences entrent en évidentes résonnances avec la mémoire proche ou lointaine du cinéma : Fritz Lang (l’escalier des Trois Lumières) ; Jean Epstein (l’évanouissement démultiplié de Madeline dans La Chute de la maison Usher ; le miroir à trois faces) ; Jean Cocteau (les intermittences du noir et du blanc autour de la Princesse d’Orphée), Luchino Visconti (la voix de Giorgio Albertazzi déjà entendue dans Nuits Blanches où il double Jean Marais), etc. De sorte que l’image acquiert dans sa texture même une dimension réflexive qui doit bien plus au musée imaginaire d’André Malraux qu’au dispositif fictionnel d’Alain Robbe-Grillet. L’« histoire simple » et spectrale de Marienbad contient à vrai dire, avant les Histoire(s) du cinéma de Godard, « Toutes les histoires », celles du cinéma et celles de l’art en général, du classicisme racinien au mélodrame d’Ibsen et au théâtre de Pirandello, des fausses statues réalisées d’après les tableaux de Poussin à l’inspiration surréaliste et aux silhouettes de Magritte. À bout de souffle À nos amours Acteur Action Actor’s studio Adaptation Adieu Philippine Adorno Theodor W. Agamben Giorgio Agee James Agel Henri Amengual Barthélemy Animation L’année dernière à Marienbad Annie Hall (Emmanuel Dreux) Antonioni Michelangelo Apocalypse Now Aragon Louis Archives et Cinémathèques Arnheim Rudolf Arrêt sur image Artaud Antonin Arts plastiques Assayas Olivier Astruc Alexandre Attractions Dictionnaire de la pensée du cinéma Presses Universitaires de France Tél. : 01 58 10 31 00 www.puf.com On s’est connus, on s’est reconnus, on s’est perdus de vue, on s’est r’perdus d’vue on s’est retrouvés, on s’est réchauffés, puis on s’est séparés. Elu SOUS LA DIRECTION D’ANTOINE DE BAECQUE ET DE PHILIPPE CHEVALLIER ATTACHÉE DE PRESSE Patricia IDE-BERETTI 01 58 10 31 89 Portable : 06 07 12 50 31 [email protected] DIRECTRICE DES RELATIONS EXTÉRIEURES Dominique REYMOND 01 58 10 31 85 [email protected] © Création Divali Communication Parution le 9 mai 2012

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Dossier de presse

Transcript of Dictionnaire de la pensée du cinéma

Page 1: Dictionnaire de la pensée du cinéma

Raccord/Faux-raccord (Diane arnauD) - Ralenti (elie During) - Ramain Paul (emmanuelle Champomier) - Rancière Jacques (Dork Zabunyan) -

Rashômon (Clélia Zernik) - Réalisme (philippe Chevallier) - Rebatet Lucien (pasCal manuel heu) - La règle du jeu (alain brossat) - Relief (tristan garCia)

- Remake (serge Chauvin) - Représentation (luC vanCheri) - Rio Bravo (arnauD guigue) - Rivette Jacques (antoine De baeCque) - Rocha Glauber (mateus araújo) - Rohmer Éric (noël herpe) - Rome, ville ouverte (julien neutres) - Rossellini Roberto (julien neutres) - Rouch Jean (maria muhle) - Ruiz

Raoul (antoine De baeCque) - Rythme (luC vanCheri) - Sadoul Georges (valérie vignaux) - Salles Gomes Paulo Emilio (mateus araújo et aDilson

menDes) - Salvatore Giuliano (jean-baptiste thoret) - Sartre Jean-Paul (philippe Chevallier) - Schefer Jean-Louis (antoine De baeCque) - Science-fiction (tristan garCia) - Seguin Louis (hervé joubert-laurenCin) - Sémiologie (Dominique Chateau) - Septième art (tristan garCia) - Série B (serge Chauvin)

- Séries américaines (pasCal lougarre) - Shoah (rémy besson) - Sitney P. Adams (Dario marChiori) - Situationnisme (Fabien Danesi) - Skorecki Louis (antoine De baeCque) - Son (jean-paul Fourmentraux) - Sorlin Pierre (antoine De baeCque) - Sous-titrage (serge Chauvin) - Spielberg Steven (miChel etCheverry)

- Spiritualité (philippe Chevallier) - Stalker (alain bonFanD) - Star (yanniCk Dehée) - Still Life (Fabien Danesi) - Studio (emmanuel Dreux) - Style (Clélia Zernik)

- Sueurs froides (elie During) - Surimpression (vinCent amiel) - Surréalisme (emmanuel Dreux) - Suspense (serge Chauvin) - Tailleur Roger (antoine De baeCque) -

Tarkowski Andreï (vinCent amiel) - Taxi Driver (Christian Delage) - Tedesco Jean (emmanuelle Champomier) - Télévision (Dork Zabunyan) -

Temps (vinCent amiel) - Les temps modernes (emmanuel Dreux) - Théâtre (alain naZe) - Théorème (alain naZe) - Titanic (jean-Christophe Ferrari) -

To Be or Not To Be (hervé joubert-laurenCin) - Travelling (elie During) - Trucage (réjane hamus-vallée) - Truffaut François (antoine De baeCque) -

Vampire (antoine De baeCque) - Vertov Dziga (vinCent Deville) - Vidéo (niColas thély) - La vie est belle (emmanuel Dreux) - Virtuel (aurélie leDoux)

- Visage (jean bresChanD) - Voix off (serge Chauvin) - Volte/Face (antoine De baeCque) - Voyage à Tokyo (Clélia Zernik) -

Voyage en Italie (julien neutres) - Le voyeur (nataCha thiéry) - Vuillermoz Émile (pasCal manuel heu) - Watkins Peter (antoine De baeCque) - Wenders Wim (vinCent amiel) - Xavier Ismail (mateus araújo silva) - Yoshida Yoshishige ou Kijû (Clélia Zernik) - Žižek Slavoj (antoine De baeCque) - Zombie (antoine De b aeCque)

truffaut a laissé dans son journal intime de jeunesse, en novembre 1952, à 20 ans, une note qui souligne chez lui la précocité de cette intuition : critiquer, c’est écrire avec des idées. […] malgré les dénégations de truffaut, nous soutiendrons la thèse suivante : il pensa le cinéma en inventant la critique, ou plus précisément : en réinventant la critique, il repensa le cinéma. éloge du décalé et du mineur, contre-culture cinéphile, usage spectaculaire d’une politique critique, ton intempestif et savoir-faire polémique, amour du cinéma incarné en élections et en rencontres, connivence rituelle avec des lecteurs considérés en alter ego, tout cela apparaît en définitive comme la quintessence de la pensée truffaldienne du cinéma. pour toute une génération, truffaut a joué le rôle d’un catalyseur d’énergie et d’une instance de goût. beaucoup se sont identifiés à lui, si bien qu’il est devenu le porte-parole, même sans le vouloir ni le revendiquer, d’une culture cinéphile jusqu’alors méprisée et qui, par sa plume, s’est affirmée soudain.

VISAGEjean bresChanD

la puissance du visage est telle que l’on conçoit plus aisément qu’un per-sonnage nous apparaisse comme une tête sans corps, plutôt que comme un corps sans tête… Pourtant, qu’un visage se donne à travers cette valeur de plan que l’on appelle un gros plan n’est pas si évident qu’il y paraît. un tel plan renvoie à la façon dont on s’en approche, à la place qu’on lui accorde au sein d’un récit, à la fonction dramaturgique qu’on lui attribue. Autrement dit, la manière de filmer un visage et le moment de son apparition reflètent inséparablement une conception du cinéma et de ce qui fait humanité. historiquement, on sait que le gros plan du visage est le fruit d’un patient rapprochement. les débuts du cinéma sont remarquables pour leurs plans d’ensemble, au mieux y rencontre-t-on des plans rapprochés qui conservent aux personnages leur décor. […]À compter de 1929, le passage au parlant et le développement des scènes dialoguées qui l’accompagnent va fixer pour longtemps (pour ne pas dire figer) cette figure fondamentale de la grande forme hollywoodienne qu’est le champ/contrechamp. Car tel est le premier des effets d’un visage filmé en gros plan : organiser le récit autour du personnage ainsi mis en avant. mieux encore, articuler les plans en fonction des directions de regard de ce visage.[…] on pourrait émettre l’hypothèse que l’histoire du cinéma est celle de sa représentation des visages.

L’aNNée DeRNIèRe à MaRIeNBaD (1961)par laurence sChiFano

apparu sur les écrans français en septembre 1961, après avoir reçu le lion d’or de Venise, soupçonné un temps de n’être qu’un objet de mode, pourquoi L’Année dernière à Marienbad occupe-t-il aujourd’hui une place centrale dans l’histoire de la pensée du cinéma ? À quelle puissance théorique et poétique ce film né à la jonction du cinéma moderne et du Nouveau roman, cette forme inédite de récit, le statut particulier de l’image qu’il crée, le régime de visibilité et de croyance qu’il instaure, doivent-il de servir aujourd’hui

encore de repère incontournable dans la réflexion sur le cinéma? Alain Resnais définit son film comme « une histoire simple » : un homme tente de persuader une femme qu’ils se sont aimés un an auparavant, dans ce même palace de Marienbad où elle séjourne avec son mari. De cette « simplicité », les critiques ont tiré, dans le monde entier et sans discontinuer, des flots d’exégèse. Film-labyrinthe comme Rashomon (Kurosawa, 1953), Le Procès (Welles, 1962) ou Inland Empire (Lynch, 2006), voici donc un film à voir et à revoir, à scruter avec les instruments sophistiqués qu’offrent la sémiologie, la psychanalyse, la sociologie, l’esthétique, ou plus banalement la culture de chacun et les innombrables pistes d’exploration que celle-ci lui ouvrira. « L’envoûtement peut naître en face d’une œuvre dont de multiples lectures ne sauraient épuiser tous les itinéraires, et dont le véritable sujet est sans doute qu’elle ne peut exister dans sa totalité sans la rencontre et la compréhension d’une totalité aussi grande de spectateurs. Par ce paradoxe, qui n’est peut-être qu’une dernière manifestation du contrepoint cher à resnais, Marienbad ouvre la voie à un autre cinéma, mais il en montre en même temps les limites », remarquera Marie-Claire ropars dès 1962, en reprochant comme beaucoup la froideur désincarnée, anti-bazinienne, d’un tel cérémonial. Ce cinéma dont Marienbad est le passeur plus encore que le précurseur, c’est celui des Fantômas de Feuillade, du cinéma français des années 1920, de jean Cocteau et des avant-gardes surréalistes, d’un cinéma à la recherche d’images hantées. le corps de Delphine seyrig réveille le souvenir des dive du muet et des actrices des années 1930 ; le travail de Sacha Vierny fait le lien avec celui d’Edouard Tissé, l’opérateur de tous les films de Sergueï Eisenstein ; les lieux, les décors, les éclairages, les séquences entrent en évidentes résonnances avec la mémoire proche ou lointaine du cinéma : Fritz Lang (l’escalier des Trois Lumières) ; Jean Epstein (l’évanouissement démultiplié de Madeline dans La Chute de la maison Usher ; le miroir à trois faces) ; Jean Cocteau (les intermittences du noir et du blanc autour de la princesse d’orphée), luchino visconti (la voix de giorgio albertazzi déjà entendue dans nuits blanches où il double jean marais), etc.De sorte que l’image acquiert dans sa texture même une dimension réflexive qui doit bien plus au musée imaginaire d’André Malraux qu’au dispositif fictionnel d’Alain Robbe-Grillet. L’« histoire simple » et spectrale de Marienbad contient à vrai dire, avant les Histoire(s) du cinéma de Godard, « Toutes les histoires », celles du cinéma et celles de l’art en général, du classicisme racinien au mélodrame d’ibsen et au théâtre de pirandello, des fausses statues réalisées d’après les tableaux de poussin à l’inspiration surréaliste et aux silhouettes de magritte.

À bout de souffle • À nos amours • Acteur • Action • Actor’s studio • Adaptation • Adieu Philippine • Adorno Theodor W. • Agamben Giorgio • Agee James • Agel Henri • Amengual Barthélemy • Animation • L’année dernière à Marienbad • Annie Hall (Emmanuel Dreux) Antonioni Michelangelo • Apocalypse Now • Aragon Louis • Archives et Cinémathèques • Arnheim Rudolf • Arrêt sur image • Artaud Antonin • Arts plastiques • Assayas Olivier • Astruc Alexandre • Attractions

Dictionnaire de la pensée

du cinéma

Presses Universitaires de France Tél. : 01 58 10 31 00

www.puf.com

On s’est connus, on s’est reconnus, on s’est perdus de vue, on s’est r’perdus d’vue on s’est retrouvés, on s’est réchauffés, puis on s’est séparés. Elu

SouS la direction d’antoine de Baecque et de PhiliPPe chevallier

AttAchée de pressepatricia Ide-BerettI 01 58 10 31 89 Portable : 06 07 12 50 31 [email protected]

dIrectrIce des relAtIons extérIeuresdominique reYMond 01 58 10 31 85 [email protected]

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Parution le 9 mai

2012

Page 2: Dictionnaire de la pensée du cinéma

Photographie en hommage à Jeanne Moreau, à François Truffaut et à « Jules et Jim », à l’occasion du soixantième anniversaire du film, sorti sur les écrans en 1962.

Antoine de Baecque et philippe chevallier

Le cinéma fait son entrée dans la collection des Diction-naires de référence des Presses universitaires de France.

nous avons choisi pour titre, tel un manifeste : dictionnaire de la pensée du cinéma.

Écrire sur le cinéma est en effet une des manières de penser, particulièrement en France où la théorie a très tôt entouré et comme relancé les films, où la critique est née de façon précoce dans la lignée d’une tradition de commentaire des images.

Ce Dictionnaire reprend à son compte cette façon de penser par le film que Jean-Luc Godard a su illustrer dans une de ces formules balancées dont il a le secret : « le cinéma est une pensée qui prend forme, une forme qui pense. » C’est là affirmer que, pour le

XXe siècle, le septième art est, à l’égal de la philosophie, de l’histoire, de la littérature ou de la sociologie, de l’anthro-pologie, une boîte à outils offerte à chacun afin qu’il se représente le monde, le décrive, le formule, le visualise en termes cinématographiques.

pour une nouvelle génération intellectuelle, qui s’est natu-rellement nourrie de textes sur le cinéma, ce dernier est de-venu l’un des instruments de leur réflexion, sans doute le plus maniable, le plus proche, le plus excitant.

Les 73 collaborateurs de ce dictionnaire, philosophes, his-toriens, sociologues, critiques, historiens d’art, autant que spécialistes du cinéma, incar-nent avec une belle fidélité ce phénomène générationnel.

‘‘‘‘

Cinema has arrived to take its place among the refe-rence dictionaries published by Presses Universitaires de France.

We chose a title that reads like a manifesto: dictionary of cinema thought.

Indeed, writing on cinema is a mode of thinking. This is perhaps especially the case in France where very early on theory supported and even revived film, where criticism was quick to develop out of a tradition of com-mentary on images.

This dictionary takes up the way of thinking through film that Jean-Luc Godard, in one of his inimitable formulations, defined thus: “cinema is a thought that takes form, a form that thinks.” This is to

assert that for the 20th century the cinematic art is as much as philosophy, history and literature or sociology and anthropologya set of tools with which to picture the world, to describe, formulate, and visualize it in cinemato-graphic terms.

For a new generation of intellectuals weaned on films and texts on cinema the latter has become an instrument of thought, and probably among the most versatile, intimate, and exciting.

The 73 contributors to this dictionary philosophers, his-torians, sociologists, critics, art historians, as well as specialists of cinema—are all faithful representatives of this generational phenomenon.

‘‘‘‘

Antoine de Baecque et philippe chevallier

« Le cinéma est une pensée qui prend forme, une forme qui pense. » Jean-Luc Godard

« Cinema is a thought that takes form, a form that thinks. » Jean-Luc Godard

collection Quadrige dicos poche 39 € - 768 pages

With its nearly 400 entries, the Dictionary of Cinema thought offers, in so many concise and stimulating essays, a guide to the central place of film in our understanding of the world. It includes entries of four different types:

Concepts: approximately 130, around which reflections on cinema have crystallized and been structured.

Critic-theorists: 110 in total, from around the world, whose work is renowned and constitutes the body of texts which comprise the basis for this volume.

Thinker-filmmakers: about 50, some of whom prior to making films produced texts on cinema that shaped their subsequent work as filmmakers, and some who drew on their own films to articulate fundamental principles for the understanding of cinema. And some who did both...

Films: around one hundred, which stand out not so much for their place in the history of cinema as for the way they mark a certain moment which suddenly materialized as pivotal or defining.

À travers près de 400 entrées, le Dictionnaire de la pensée du cinéma donne à lire, comme autant de courts essais stimulants, la place centrale du film dans notre compréhension du monde. On trouvera dans ce Dictionnaire quatre types d’entrées :

Des concepts : environ 130, autour desquels se structurent et se cristallisent toutes les réflexions sur le cinéma.

Des théoriciens-critiques : au nombre de 110, largement internationaux (à la seule condition d’être accessibles en langue française), dont l’œuvre est reconnue, qui offrent à notre lecture, d’hier à aujourd’hui, le corpus de textes qui fonde ce volume.

Des cinéastes-penseurs : une cinquantaine, soit qu’ils aient écrit sur le cinéma, préalablement à leurs films, des textes dont la portée a pu influencer l’œuvre, soit qu’ils aient commenté leurs propres films en en tirant des principes fondamentaux pour la compréhension du cinéma. parfois font-ils les deux…

Des films : une centaine, qui ont marqué non pas tant l’histoire du cinéma qu’un certain moment soudain matérialisé comme pivot ou fondateur.

À bout de souffle • À nos amours • Acteur • Action • Actor’s studio • Adaptation • Adieu Philippine • Adorno Theodor W. • Agamben Giorgio • Agee James • Agel Henri • Amengual Barthélemy • Animation • L’année dernière à Marienbad • Annie Hall (Emmanuel Dreux) Antonioni Michelangelo • Apocalypse Now • Aragon Louis • Archives et Cinémathèques • Arnheim Rudolf • Arrêt sur image • Artaud Antonin • Arts plastiques • Assayas Olivier • Astruc Alexandre • Cinéma des attractions • Audiberti Jacques • Aumont Jacques • L’aurore • Autant en emporte le vent • Auteur • Avant-garde (Vincent Deville) L’aventure de Mme Muir (Serge Chauvin) Aveuglement • L’avventura • Ayfre Amédée •

Dictionnaire de la pensée

du cinéma

Dictionary of

cinema thougtsous la direction d’Antoine de Baecque et philippe chevallier edited by Antoine de Baecque and philippe chevallier

Parution le 9 mai

2012

Page 3: Dictionnaire de la pensée du cinéma

philippe chevallier

Docteur en philosophie de l’université paris-est, philippe Chevallier travaille à la délégation à la stratégie et à la recherche de la bibliothèque nationale de France.

il a récemment publié : Etre soi, Actua-

lité de Kierkegaard (bourin, 2011) et Michel Foucault et le christianisme (ens éditions, 2011).

Antoine de Baecque

historien et critique de cinéma, no-tamment aux Cahiers du cinéma, dont il a été rédacteur en chef (1997-1999), puis à Libération, dont il a di-rigé les pages culturelles (2001-2006), antoine de baecque s’intéresse plus particulièrement à la nouvelle va-gue.après une Histoire des Cahiers du cinéma en deux volumes, il publie, avec serge toubiana, une biographie de François truffaut (1996, galli-mard), puis, en 1998, un essai d’his-toire culturelle, La Nouvelle Vague, portrait d’une jeunesse (Flammarion). Suivent, en 2003, une étude histori-que : La Cinéphilie. Naissance d’un re-gard, histoire d’une culture (Fayard) ; en 2008 une synthèse : L’Histoire-caméra (Gallimard) ; en 2010 une autre bio-graphie : Godard (grasset). le long-métrage documentaire qu’il a écrit (réalisé par emmanuel laurent), Deux de la vague, sur l’amitié entre Truffaut et Godard, est sorti en salles en jan-vier 2011. il a également consacré des études et essais à tim burton, Manoel de Oliveira, Andreï Tarko-vski, Maurice Pialat ou Jean Eustache. antoine de baecque est professeur d’histoire du cinéma à l’université de paris ouest nanterre.

à bout de souffle (antoine De baeCque) - à nos amours (gilles mouëlliC) - Acteur (tristan garCia) - Action (jean-baptiste thoret) - Actor’s studio (vinCent amiel) - Adaptation (philippe Chevallier) - adieu Philippine (gilles mouëlliC) - Adorno Theodor W. (mateus araújo) - Agamben Giorgio (hervé joubert-laurenCin) - Agee James (CéCile tourneur) - Agel Henri (philippe Chevallier) - Amengual Barthélemy (noël herpe) - Animation (hervé joubert-laurenCin) - L’année dernière à Marienbad (laurenCe sChiFano) - Annie Hall (emmanuel Dreux) - Antonioni Michelangelo (alain bonFanD) - apocalypse Now (jean-baptiste thoret) - Aragon Louis (antoine De baeCque) - Archives et Cinémathèques (Christophe gauthier) - Arnheim Rudolf (Clélia Zernik) - Arrêt sur image (laurent guiDo) - Artaud Antonin (julie piekarski) - Arts plastiques (Fabien Danesi)

- Assayas Olivier (antoine De baeCque) - Astruc Alexandre (antoine De baeCque) - Attractions (Cinéma des) (Diane arnauD) - Audiberti Jacques (noël herpe) - Aumont Jacques (luC vanChéri) - L’aurore (tristan garCia) - autant en emporte le vent (serge Chauvin) -

Auteur (FréDériC sojCher) - Avant-garde (vinCent Deville) - L’aventure de Mme Muir (serge Chauvin) - Aveuglement (alain bonFanD) - L’avventura (alain bonFanD) - Ayfre Amédée (philippe roger) - Badiou Alain (philippe Chevallier) - Balázs Béla (tristan garCia) - Bardèche Maurice

& Brasillach Robert (jean-Christophe Ferrari) - Bardot Brigitte (laurent garreau) - Barjavel René (pasCal manuel heu) - Barthes Roland (juliette CerF) - Baudrillard Jean (jean-baptiste thoret) - Bazin André (hervé joubert-laurenCin) - Bellour Raymond (jean-miChel DuraFour) -

Ben-Hur (julien neutres) - Benayoun Robert (antoine De baeCque) - Benjamin Walter (maria muhle) - Bergala Alain (gilles mouëlliC) - Bergson Henri (elie During) - Biette Jean-Claude (hervé joubert-laurenCin) - Blow-up (alain bonFanD) - Bogart Humphrey (serge Chauvin) -

Bonitzer Pascal (juliette CerF) - Borde Raymond (Christophe gauthier) - Bordwell David (julie piekarski) - Bory Jean-Louis (antoine De baeCque) - Boulevard du crépuscule (serge Chauvin) - Brakhage Stan (grégoire quenault) - Brando Marlon (miChel etCheverry) - Brecht Bertolt (antoine De baeCque) - Brenez Nicole (antoine De baeCque) - Bresson Robert (vinCent amiel) - Broughton James (CéCile tourneur) - Burch Noël (antoine De baeCque) - Le cabinet du docteur Caligari (thierry grillet) - Cadrage/Décadrage (emmanuel siety) -

Cahiers du cinéma (antoine De baeCque) - Caméra (grégoire quenault) - Camps de la mort (Christian Delage) - Canudo Ricciotto (tristan garCia) - Carné Marcel (antoine De baeCque) - Casablanca (serge Chauvin) - Catholicisme (philippe Chevallier) - Cavell Stanley (sanDra laugier)

- Cendrars Blaise (antoine De baeCque) - Censure (laurent garreau) - Champ/Contrechamp (vinCent amiel) - Chantons sous la pluie (gilles mouëlliC) - Charlot (emmanuel Dreux) - Les chaussons rouges (nataCha thiéry) - Chérie, je me sens rajeunir (emmanuel Dreux) - Chion Michel (gilles mouëlliC)

- Cinéma des premiers temps (laurent le Forestier) - Cinémascope (arnauD guigue) - Cinémathèques - Archives et Cinémathèques - Cinéphilie (tristan garCia) - Cinéphilie (Naissance de la) (Christophe gauthier) - Cinéphobie (pasCal manuel heu) - Cinéplastique (Diane arnauD) -

Citizen Kane (antoine De baeCque) - Clair René (noël herpe) - Classique (Cinéma) (serge Chauvin) - Cocteau Jean (philippe aZoury) - Cohen-Séat Gilbert (laurent le Forestier) - Coissac Georges-Michel (emmanuelle Champomier) - Colette (julie piekarski) - Comédie (tristan garCia)

- Comédie musicale (gilles mouëlliC) - Communisme (antoine De baeCque) - Comolli Jean-Louis (maria muhle) - Corps (nataCha thiéry) - Couleur (pierre berthomieu) - Cournot miChel (antoine De baeCque) - Crash (Fabien Danesi) - Critique (antoine De baeCque) - Le cuirassé Potemkine (vinCent Deville) - Damisch Hubert (jean-miChel DuraFour) - Daney Serge (Christian Delage) - Dead Man (nataCha thiéry) - Dean James (miChel etCheverry) - Debord Guy (Fabien Danesi) - Deleuze Gilles (Dork Zabunyan) - Deligny Fernand (hervé joubert-laurenCin) - Delluc Louis (nataCha thiéry)

- Déotte Jean-Louis (sylvie rollet) - Depardon Raymond (tristan garCia) - Deren Maya (Dario marChiori) - Désir (nataCha thiéry) - Desnos Robert (antoine De baeCque) - 2001, L’Odyssée de l’espace (thierry grillet) - Deux ou trois choses que je sais d ’elle (antoine De baeCque) -

Le Dictateur (Christian Delage) - Didi-Huberman Georges (antoine De baeCque) - Diégèse (Diane arnauD) - Disney Walter Elias (sébastien roFFat) - Divertissement (arnauD guigue) - Docteur Jerry et Mister Love (emmanuel Dreux) - Documentaire (maria muhle) - La dolce vita (julien neutres) - Dorsday Michel (antoine De baeCque) - Dort Bernard (antoine De baeCque) - Douchet Jean (philippe Chevallier) - Drogue (laurent garreau) - Dulac Germaine (laurent veray) - Duras Marguerite (philippe aZoury) - Écran (alain bonFanD) - edvard Munch, la danse de la vie (nataCha thiéry) - Effets spéciaux (réjane hamus-vallée) - Eisenschitz Bernard (antoine De baeCque) - Eisenstein Sergueï Mikhaïlovitch (vinCent Deville) - Eisner Lotte (antoine De baeCque) - elephant (juliette CerF) - elle et lui (jean-Christophe Ferrari) - Embaumement (hervé joubert-laurenCin)

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a BOUT De SOUFFLe (1960)par antoine de baeCque

Peu nombreux sont les grands cinéastes à débuter par leur film le plus célèbre. orson Welles et Citizen Kane… entrer d’emblée dans l’histoire du cinéma est une chose rare. C’est le cas de jean-luc godard avec À bout de souffle. on y a vu un manifeste esthétique, un traité de savoir vivre, ce qui a transformé le film en mythe. Cette construction légendaire, qui rattache le film à quelques fétiches — le visage de jean seberg, un geste de jean-paul belmondo, un tee-shirt New York Herald Tribune en balade sur les Champs-Élysées, « Ça veut dire quoi dégueulasse ? », mourir au bout de la rue Campagne Première, a recouvert une œuvre qui fut loin d’être conçue et réalisée dans ces circonstances mythiques.La critique, même divisée à la sortie du film en mars 1960, a immédiatement compris l’importance d’À bout de souffle, jouant comme rupture dans l’histoire du cinéma. luc moullet, dans les Cahiers du cinéma, annonce le film contemporain par excellence : « Godard accomplit la plus haute mission de l’art, il réconcilie l’homme avec le temps qui est le sien. » Et François Truffaut, dans un texte de sincère admiration, « Deux ou trois choses que je sais de lui », confirme cette place unique d’À bout de souffle (L’Avant-scène cinéma, no 70, mai 1967) : « Il y a le cinéma avant Godard et après Godard. »

aUTaNT eN eMPORTe Le VeNT (Gone with the wind, 1939)par serge Chauvin

Symbole d’un certain âge d’or hollywoodien, la superproduction de David O. Selznick a pour cette raison même été négligée par la critique. Or, jusque dans ses excès, ce film permet, mieux que tout autre, de penser la conception du cinéma qui y a présidé, et les contradictions du système de studio qui l’a engendré.Le défi résidait non seulement dans sa démesure mais dans son matériau même : la guerre de Sécession, sujet encore brûlant à l’époque. S’il s’agissait de rivaliser avec les ambitions épiques de Naissance d’une nation (Griffith, 1915), d’en offrir un équivalent pour le cinéma parlant, il était inconcevable d’en reproduire l’apologie du ku klux klan. Autant en emporte le vent se voulait consensuel et, en substituant à un racisme phobique un racisme paternaliste, permit la première attribution d’un oscar à une actrice noire. Ce triomphe de la bonne conscience reflète bien la contradiction idéologique du film : la reconnaissance de l’inéluctable défaite historique du Sud ne fait que perpétuer et même populariser la nostalgie fascinée d’une société aristocratique au sein d’une Amérique « sans classes », érigeant les motifs de la plantation et de la « belle Sudiste » au rang de mythes non plus régionaux mais nationaux.

2001, L’ODYSSee De L’eSPaCe (2001: A Space Odyssey, 1968)par thierry grillet

avec 2001, l’Odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, s’essaye à la science fiction, comme plus tard il se confrontera aux autres films de genre : guerre (Full metal jacket), fantastique (Shining), histoire (Barry Lindon), etc. – toujours pour les repenser. Dans les années 1960, la science fiction au cinéma est encore marginalisée. Cantonnée dans les films de séries b ou les séries télévisées qui popularisent une imagerie colorée et futuriste de l’avenir, elle n’a pas accès aux standards qui la qualifierait dans le champ cinéphilique officiel. Hors quelques exceptions historiques comme Metropolis de Fritz Lang, la science fiction inspire d’abord une quantité considérable de films de seconde zone. […]avec 2001, Kubrick rompt avec ces univers frelatés pour inscrire, d’une manière plus affranchie des clichés et plus contrainte par la vraisemblance, la narration dans un monde proche du nôtre. l’anticipation quasi documentaire de 2001 projette le récit à un horizon d’à peine trente ans, tout en prenant un recul de plusieurs millions d’années, avec ses vingt premières minutes consacrées au passé antédiluvien de l’espèce humaine. 2001, c’est une date et c’est notre monde tel qu’il pourrait être à cette date. Chaque grand film de science fiction est pensé : Blade Runner, Matrix, etc. Mais, peut-être de façon plus radicale, 2001 a réfléchi, à travers le voyage dans le temps et l’espace, la place de l’homme dans l’univers. Pensée grecque s’il en est (« Odyssée »), qui ne définit l’individu que dans son rapport harmonieux au cosmos.

Brigitte BARDOT, née en 1934par laurent garreau

Jacques Rozier affirmait que Brigitte Bardot était la femme la plus photographiée au monde. il n’en fallait pas moins pour en faire le pivot de son court métrage Paparazzi en 1963 sur la naissance du moment « people ». De ce point de vue, l’actrice cumule les contrastes, contradictions, oppositions dans son histoire. Ces rapports qu’elle a entretenus avec la presse à scandales ont été des rapports de fuite, d’ambivalence mais aussi d’exposition. elle se refuse aux médias qui l’assaillent mais a toujours utilisé son image pour toucher et sensibiliser son public. […] sur les quelques vingt années qu’a duré sa carrière cinématographique, Bardot s’est hissée au firmament des plus grandes stars mondiales. Si les Beatles étaient la bande musicale du film des années 1960, bardot en a été l’une des images. elle s’est forgée un caractère qui s’est affirmé au fil des films et qui, imperceptiblement, l’a fait passer des rôles de femme-enfant chez roger vadim (Et Dieu créa la femme, 1956) à ceux de « poupée » chez Michel Deville par exemple (L’Ours et la poupée, 1969).

CHARLOTpar emmanuel Dreux

Charlot salue du chapeau melon, soulevé rapidement d’une main qui s’appuie sur son rebord. Ce geste, parmi d’autres, est fameux : on y reconnaît une de ses habitudes, un de ses nombreux « tics ». Pourtant, ce geste le réinvente et nous apprend quelque chose de lui chaque fois et dans l’instant où il l’accomplit de nouveau. Au départ virtuose et un peu gratuit – d’un même élan, le melon roule le long du bras et Charlot l’attrape in extremis pour le replacer sur sa tête (Charlot et le parapluie, 1914) –, ce geste devient vite l’expression d’un insolence manifeste à l’égard de ceux – nombreux – qu’il ne salue qu’à peine (Charlot dentiste, 1914), ou bien le réflexe furtif esquissé avant la fuite devant l’uniforme (Charlot cambrioleur, 1916). […]mais Charlot est révolutionnaire pour tous : son geste est une école d’insolence, de critiques, de démolition, sa liberté dépasse toute volonté délibérée de libération. Libre par nature, « il n’est pas un trait de Charlot qui ne soit contraire à la norme, dans sa motricité et sa silhouette si caractéristiques, dans sa manipulation métaphorisée des objets, ou ses altercations surprenantes avec les comparses » (Nysenholc, 1997). Par ailleurs, Charlot est aussi Charlie Chaplin.

Louis de FUNÈS, 1914-1983par emmanuel Dreux

louis de Funès n’aura pas eu, de son vivant, le bonheur d’une reconnaissance critique. En eût-il besoin ? Champion du box-office de 1964 à sa mort, anima-teur omniprésent et souvent unique de films faits sur mesure, à la fabrication desquels il amenait une grande part de création – ou au moins d’exigence – du scénario au casting en passant par le choix des réalisateurs, il n’a jamais cherché, semble-t-il, à faire autre chose que du « de Funès », se privant par là même des louanges faites au comique quand il abandonne sa défroque et son masque pour jouer le drame ou la comédie à visage humain.

extrAItsles extraits présentés ne sont pas intégraux.

ils donnent un avant-goût de la teneur du Dictionnaire.

Page 4: Dictionnaire de la pensée du cinéma

« Je suis un clown et j’entends bien le demeurer », déclarait-il au début de sa gloire, principe auquel il se tint et que la critique lui reprocha jusqu’au bout sur le refrain du grand comédien qui gâche son talent dans la pantalonnade. Même son Avare (1980), projet personnel pour ne pas dire obsessionnel ne lui apportera pas la consécration. […]

L’Avare de de Funès n’est pas le couronnement raté d’une carrière, c’est le petit bilan tardif, l’auto-célébration plutôt modeste d’un acteur qui a déjà fait date et qui résume son emploi, révèle l’origine du masque et réunit les comparses – jean girault, michel galabru, Claude gensac, guy grosso et michel modo – pour effectuer un dernier (ou presque) tour de piste forcément un peu funèbre. l’éloge (le sait-il ?) viendra plus tard. […] valérie novarina, qui a vu de Funès sur scène dans Oscar, salue dans un texte publié en 1986, pour Louis de Funès, l’ « athlète de la dépense », le « maîtriseur d’énergie », la « silhouette du danseur exultant » qui devient soudain « dépressif pétrifié », le « maître des mimiques, des verbigérations muettes et des hurlement tus ».

Le JOUR Se LeVe (1939)par noël herpe

Ultime chef-d’œuvre du réalisme poétique français, Le Jour se lève de Marcel Carné nous ramène en même temps à ses origines : le Kammerspiel (« théâtre de chambre ») de Friedrich W. Murnau et de josef von sternberg. en intériorisant sa dimension symbolique, en la dissimulant dans les plus discrets détails du décor, ainsi que l’a marqué andré bazin dans une conférence célèbre. mais aussi en érigeant, autour de la chambre où va mourir jean gabin, un véritable mausolée du cinéma muet.

MUET (CINEMA)par jean bresChanD

Cette belle expression désigne la période du cinéma qui va de 1895 (le 28 décembre : la première projection publique du cinématographe à Paris) à 1927 (le 6 octobre : première publique, à New York d’un film produit par les frères Warner, Le Chanteur de Jazz. […]lorsqu’on se retourne aujourd’hui vers le cinéma muet, on n’échappe pas à l’impression de se tourner plus encore que vers un âge d’or, vers un continent perdu, le temps des origines. nous regardons les premiers films comme l’équipe de cinéma menée par Carl Denham regarde les monstres préhistoriques miraculeusement préservés dans la jungle de l’île du crâne où règne king kong.

Une sorte de trésor incroyable, de beauté convulsive (que le film sorte en 1933, quand l’ère du sonore prend son essor, n’est pas sans faire signe). « Sans le cinéma muet, il n’y aurait pas de cinéma ». C’est par ces mots que rené jeanne et Charles Ford concluent leur Histoire illustrée du cinéma muet, en 1947.

NaPOLeON (1927)par vincent amiel

tourné en 1927 par abel gance, Napoléon fait partie de ces grands films muets qui ont traversé l’histoire du cinéma comme des ressources inépuisables de formes, trop innovants pour être des références, trop inventifs pour n’être pas des modèles. À l’égal de certains films de Carl t. Dreyer, d’erich von stroheim, de jean epstein, non seulement il regorge de trouvailles stylistiques, d’effets visuels, mais il impose aussi une idée du cinéma. Celui-ci étant conçu comme un formidable moyen d’épuiser les sens du spectateur, en le plongeant dans un tourbillon de rythmes, de mouvements, d’images qui emportent son adhésion sans lui laisser toujours le temps de la compréhension.

Napoléon, raccourci et remonté sans cesse depuis sa sortie, sonorisé en 1934 par Gance lui-même, retravaillé en 1971 par son auteur encore, redécouvert constamment, projeté par bribes (démonstrations de polyvision dans les années 1950 à paris) ou de manière opératique (dans les lieux les plus prestigieux, comme le Colisée à rome ou le radio City hall de londres) par les Zoetrope studios de Coppola, montre assez son aspect visionnaire. Ce n’est d’ailleurs pas une œuvre, au sens académique du terme, mais une réserve de formes, que l’on peut fragmenter, dissocier, réajuster, à la fois matériau cinématographique et déjà, et totalement, extra-cinématographique.

NAVETpar Elie DURING et Dork ZABUNYAN

À la différence du « nanar », qui s’apparente en fait à un film de genre et peut toujours être goûté au second ou au premier degré pour ses qualités de comique involontaire (ainsi la série des Maciste ou certains films d’horreur de série Z), le navet semble opposer à l’analyse critique une résistance obtuse. Le propre du mauvais film – c’est là sa définition courante – est en effet de mobiliser de façon non problématique un jugement dépréciatif (« mau-vais ») qui semble interdire par avance toute démarche réflexive. Dans l’usage ordinaire, le nanar est divertissant – navrant et par là-même désopilant –, tandis que le navet suscite l’ennui, aussi fade que le légume qui lui donne son nom.

Il y a des classiques du « mauvais genre » et peut-être des chefs-d’œu-vre de « mauvais goût », comme il existe une cinéphilie perverse (in-conditionnels de Jean-Pierre Mocky ou de Max Pécas), mais on imagine mal que le navet fasse l’objet d’un semblable investissement fétichiste, et même qu’il se constitue tout simplement comme genre. […]

symétriquement, ce qui fait que le mauvais navet semble irrécupérable, ce n’est pas sa médiocrité d’ensemble (qu’il partage avec le premier nanar venu), mais certains détails relevant de choix formels : une seule scène du film peut suffire à le discréditer sans retour.

Farber Emanuel « Manny » (jean-miChel DuraFour) - Farocki Harun (antoine De baeCque) - Fassbinder Rainer Werner (alain naZe) - La féline (luC vanCheri) - Féminisme (hélène FleCkinger) - Fenêtre sur cour (luC vanCheri) - Ferro Marc (antoine De baeCque) - Fiction (serge Chauvin)

- Film noir (jean-Christophe Ferrari) - Final cut (FréDériC sojCher) - Fondane Benjamin (jean-Christophe Ferrari) - Forfaiture (pierre berthomieu) - Formalistes russes (eugénie Zvonkine) - Foucault Michel (philippe Chevallier) - Frampton Hollis (Dario marChiori) -

Francastel Pierre (antoine De baeCque) - Freaks (serge Chauvin) - Funès Louis de (emmanuel Dreux) - Futurisme (Dimitri veZyroglou) - Gance Abel (vinCent amiel) - Godard Jean-Luc (antoine De baeCque) - Gothique (antoine De baeCque) - Le grand sommeil (serge Chauvin)

- La grande bouffe (bernarD benoliel) - Green Eugène (juliette CerF) - Grémillon Jean (philippe roger) - Groupe Dziga Vertov (DaviD Faroult) - Guitry Sacha (noël herpe) - Hasumi Shiguéhiko (Clélia Zernik) - Histoire (Christian Delage) - Histoire(s) du cinéma (antoine De baeCque)

- Hitler, un film d’allemagne (Dork Zabunyan) - Hoberman Jim (CéCile tourneur) - Hollywood (serge Chauvin) - L’homme de marbre (jean-pierre ZaraDer) - Hors-champ (jean-baptiste thoret) - L’humanité (luC vanCheri) - Hypnose (mireille berton) Imaginaire (jean-pierre ZaraDer)

- Impitoyable (serge Chauvin) - Improvisation (gilles mouëlliC) - Incarnation (luC vanCheri) - India song (valérie planCheZ) - L’intendant Sanshô (Clélia Zernik) - Ishaghpour Youssef (antoine De baeCque) - James David E. (ottilie saint-Clair) - Jameson Fredric (ottilie saint-Clair)

- Johnny Guitare (arnauD guigue) - Le jour se lève (noël herpe) - Kael Pauline (julie piekarski) - Kapo (aurélie leDoux) - Keaton Buster (emmanuel Dreux) - King Kong (emmanuel Dreux) - Kyrou Ado (antoine De baeCque) - Koulechov Lev (philippe Chevallier) - Kracauer Siegfried (Christian

Delage) - Labarthe André Sylvain (antoine De baeCque) - Laffay Albert (Clélia Zernik) - Langlois Henri (maroussia Dubreuil) - Lanterne magique (grégoire quenault) - Leenhardt Roger (noël herpe) - Lemaître Maurice (Fabien Danesi) - Lettrisme (Fabien Danesi - Leutrat Jean-Louis

(Diane arnauD) - Lewis Jerry (emmanuel Dreux) - L’Herbier Marcel (laurent véray) - Lindsay Vachel (antoine De baeCque) - Lola Montès (vinCent amiel) - Lost Highway (Diane arnauD) - Lourcelles Jacques (jean-Christophe Ferrari) - Lukács György (tristan garCia) - Lumière (jean-yves Chateau)

- Lumière Louis (emmanuel Dreux) - Lyotard Jean-François (jean-miChel DuraFour) - Mac-mahonisme (antoine De baeCque) - Magie (emmanuel Dreux) - Malraux André (jean-pierre ZaraDer) - La maman et la putain (antoine De baeCque) - Marey Étienne Jules (antoine De baeCque)

- Marker Chris (maria muhle) - Marx Brothers (emmanuel Dreux) - Matrix (elie During) - Matuszewski Boleslas (antoine De baeCque) - Mekas Jonas (vinCent Deville) - Méliès Georges (emmanuel Dreux) - Merleau-Ponty Maurice (Clélia Zernik) - Metz Christian (Dominique Château)

- Millenium Mambo (Fabien Danesi) - Miracle (jean-Christophe Ferrari) - Mitry Jean (tristan garCia) - Modèle (vinCent amiel) - Moderne (jean-baptiste thoret) - Monika (antoine De baeCque) - Monroe Marilyn (julie piékarski) - Monstre (serge Chauvin) - Montage (philippe Chevallier) -

Monteiro João César (philippe aZoury) - Morin Edgar (Fabien Danesi) - Mort (philippe Chevallier) - Mort du cinéma (antoine De baeCque) - Moullet Luc (antoine De baeCque) - Moussinac Léon (valérie vignaux) - Mouvement (laurent guiDo) - Muet (Cinéma) (jean bresChanD) -

Münsterberg Hugo (Clélia Zernik) - Musée (Dork Zabunyan) - Musique (gilles mouëlliC) - Naissance d ’une nation (antoine De baeCque) - Nancy Jean-Luc (jean-pierre ZaraDer) - Nanouk, l’esquimau (rémy besson) - Napoléon (vinCent amiel) - Narboni Jean (antoine De baeCque) -

Nature (jean-yves Chateau) - Navet (elie During et Dork Zabunyan) - Néo-réalisme (julien neutres) - Noguez Dominique (antoine De baeCque) - Non, ou la vaine gloire de commander (antoine De baeCque) - Nouvelle Vague (antoine De baeCque) - La uit du chasseur (serge Chauvin)

- Numérique (jean-paul Fourmentraux) - Obsession (juliette CerF) - On connaît la chanson (Dork Zabunyan) - Opéra (jean-Christophe Ferrari) - Ophuls Max (philippe roger) - Pagnol Marcel (noël herpe) - Païni Dominique (antoine De baeCque) - Pandora (alain bonFanD) -

Panofsky Erwin (aurélie leDoux) - Les parapluies de Cherbourg (emmanuel Dreux) - Le parrain (juliette CerF) - La party (emmanuel Dreux) - Pasolini Pier Paolo (hervé joubert-laurenCin) - Le passion de Jeanne d’arc (Diane arnauD) - Pédagogie (arnauD guigue) - Pellicule (grégoire

quenault) - Persistance rétinienne (tristan garCia) - Persona (emmanuel siety) - Personnage (tristan garCia) - Phénoménologie (Clélia Zernik) - Photogénie (nataCha thiéry) - Pickpocket (julie piekarski) - Plan-séquence (hervé joubert-laurenCin) - Platon (aurélie leDoux) - Playtime (emmanuel Dreux) - Poésie (Cinéma de) (hervé joubert-laurenCin) - Politique (Fabien Danesi) - Politique des auteurs (antoine De baeCque) - Populaire (yanniCk Dehée) - Pornographie (valérie planCheZ) - Porte Pierre (emmanuelle Champomier) - Positif (julie piekarski) - Pré-cinéma (laurent le Forestier) - Prise de vue (pierre berthomieu) - La prisonnière du désert (luC vanCheri) - Projection (tristan garCia) - Promio Alexandre (philippe Chevallier) - Psychanalyse (Diane arnauD) - Psychologie de la perception (Clélia Zernik) - Psychose (emmanuel Dreux) -

Pier Paolo PASOLINI, (1922-1975)par hervé joubert-laurenCin

poète du xxe siècle pier paolo pasolini est en tout moment, en cha-cun de ses actes un jour ou l’autre écrit et mentalisé, et en tous ses mots : un penseur, autrement dit un philosophe délivré de son rôle académique. Critique de profession (critique littéraire et critique d’art, directeur de revues, éditorialiste politiquement engagé) auerbachien et spitzérien, Pasolini a la fibre théoricienne. Scénariste et cinéaste, sa pensée multiforme croise plusieurs fois le cinéma. on considérera ici deux penseurs du cinéma possibles en pasolini : le penseur métaphysi-que du cinéma, ou penseur de l’Inexprimé Existant ; le penseur matéria-liste de la temporalité de la révolution, ou penseur du retour.

PLaYTIMe (1967)par emmanuel Dreux

[…] Playtime est sorti quelques semaines avant mai 68 –, exalté en ces termes par Jacques Rivette : « Je crois que Playtime est un film révolutionnaire, malgré Tati ; le film a complètement effacé le créateur. Dans les films, ce qui est important, c’est le moment où il n’y a plus d’auteur, plus de comédiens, même plus d’histoire, plus de sujet, plus rien que le film lui-même qui parle, et qui dit quelque chose qu’on ne peut pas traduire » ? Tati dira plus tard qu’il était bel et bien, avec Playtime, sur les barricades avec les étudiants en révolte. […] hélas, Playtime fut vraiment nobody, le rendez-vous fut manqué, de peu, et coûta cher à son auteur, comme à d’autres avant et après lui, de Lola Montès à Une Chambre en ville. trop rares sont ceux qui virent Playtime à sa sortie en décembre 1967, qui prirent le temps de le regarder comme tati l’avait souhaité.quiconque a vu Playtime – c’est-à-dire en salle et dans le format 70 mm recadré par tati pour lui donner moins de largeur et plus de hauteur – sait qu’il s’y passe tant de choses qu’il est impossible de toutes les voir et de toutes les entendre, et découvre que le film continue ailleurs et longtemps après la projection. Fait pour l’œil donc – et pour l’oreille –, au-delà de l’écran, Playtime est une formidable invitation à regarder, à observer, et donc, selon le vœu de tati, à imaginer. bien qu’un peu en avance, le monde de Playtime est désormais bel et bien le nôtre, rangé, mécanisé, aseptisé, mondialisé, mais habité, tati soit loué, par de nombreux messieurs hulot.

RALENTIpar elie During

l’effet cinématographique du ralenti est obtenu en jouant de la différence qui existe entre le temps de l’enregistrement et celui de la projection : il consiste simplement à filmer une scène à une vitesse supérieure aux habituelles 24 images par seconde, pour projeter ensuite les images à vitesse normale. le cinéma primitif a d’abord exploité les ressources comiques de l’accéléré, qui est l’envers du même procédé. En tant qu’« effet spécial », le ralenti s’inscrit dans le sillage des expériences chronophotographiques de Eadweard Muybridge et Étienne-Jules Marey ;

il s’est développé ensuite dans le cinéma scientifique, notamment chez Jean Painlevé. On prendra soin de distinguer ce « ralenti mécanique » du « ralenti narratif », procédé de montage opérant par raccords de plans.[…] Le ralenti pose finalement la question de la puissance de dévoilement et de révélation du cinéma ; il offre l’occasion de préciser la portée exacte de la révolution introduite par le cinéma dans notre rapport à la réalité. À propos du Mystère Picasso (1955), commentant la manière dont Henri-Georges Clouzot a filmé le peintre au travail, André Bazin théorise la différence entre le ralenti « naturel », obtenu par le montage, et le ralenti « artificiel », qui relève d’un pur effet mécanique. […]Il faut évoquer pour finir une troisième variété du ralenti : le ralenti numérique. Le procédé du « Bullet-Time » popularisé par le film Matrix (Wachowski, 1999) en offre une illustration frappante. Pour réaliser la scène fameuse au cours de laquelle neo (keanu reeves) parvient miraculeusement à échapper au tir nourri d’un agent de la matrice.

TRAVELLINGpar elie During

l’opération du travelling ne se limite pas à l’effet obtenu à l’écran par le déplacement (frontal ou latéral, avant ou arrière) d’une caméra at-tachée à un chariot glissant sur des rails (ou des pneumatiques). une caméra installée sur un train (cas des « panoramas » Lumière), sur une gondole filmant les rives du Grand canal de Venise (Promio), ou encore sur une automobile lancée à travers les rues de moscou (vertov), font aussi bien l’affaire. L’usage de la grue mobile ou même du Steadicam peuvent concourir au même effet en associant à la prise de vue un li-bre mouvement de l’appareil. Mais il n’est même pas nécessaire que ce dernier soit effectivement déplacé dans l’espace. […] l’effet subjectif du travelling peut être décrit comme une suggestion de mouvement global que le spectateur immobile est naturellement porté à interpréter comme un déplacement de son propre point de vue dans le champ. Faut-il y voir l’expression d’une volonté de maîtrise, d’un fantasme de puissance inhé-rent au « dispositif » cinématographique et à sa « scène » (Baudry) ?

François TRUFFAUT, (1932-1984)par antoine de baeCque

François truffaut est-il un penseur du cinéma ? il est un critique, indéniablement, et même le plus important qui soit. En près de mille textes, dans les Cahiers du cinéma, dans Arts, mais aussi La Parisienne, Le Temps de Paris, Radio-Cinéma-Télévision, Cinémonde,… il a transformé le regard que les critiques pouvaient jeter sur les films, il a métamorphosé ce métier en lui donnant un enjeu véritable, une présence dans le débat d’opinion, avec une personnalité affirmée, de la conviction, une écriture, beaucoup de culot et un certain courage. Auparavant, comme Truffaut le signale lui-même, « aucun enfant de France ne rêvait de devenir critique de cinéma », ce qui n’est plus le cas après la publication de textes comme « Une certaine tendance du cinéma français », « Le cinéma français crève sous les fausses légendes », « Les 7 péchés capitaux de la critique », ou encore « Aimer Fritz Lang », « Lubitsch était un prince », « Sacha Guitry le malicieux ». […]