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Anne Brüske / Herle-Christin Jessen (Éds.) Dialogues transculturels dans les Amériques Diálogos transculturales en las Américas Nouvelles littératures romanes à Montréal et à New York Nuevas literaturas románicas en Montreal y en Nueva York Frankfurter Studien zur Iberoromania und Frankophonie

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Anne Brüske / Herle-Christin Jessen (Éds.)

Dialogues transculturelsdans les Amériques

Diálogos transculturalesen las Américas

Nouvelles littératures romanesà Montréal et à New York

Nuevas literaturas románicasen Montreal y en Nueva York

Frankfurter Studien zur Iberoromania und Frankophonie

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FFrraannkkffuurrtteerr SSttuuddiieenn zzuurr IIbbeerroorroommaanniiaa uunndd FFrraannkkoopphhoonniiee

Herausgegeben von Roland Spiller und Sabine Hofmann

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Anne Brüske / Herle-Christin Jessen (Éds.)

Dialogues transculturelsdans les Amériques

Diálogos transculturalesen las Américas

Nouvelles littératures romanesà Montréal et à New York

Nuevas literaturas románicasen Montreal y en Nueva York

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Umschlagabbildung: René Magritte, Le double secret.© VG Bild-Kunst, Bonn 2013.

© 2013 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KGDischingerweg 5 · D-72070 Tübingen

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ISSN 1868-1174ISBN 978-3-8233-6780-2

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INDEX

ANNE BRÜSKE/ HERLE-CHRISTIN JESSEN Littératures transculturelles à Montréal et à New York .................................. 7

I. ESTHÉTIQUE ET TERMINOLOGIE

PATRICK IMBERT Sérendipité et transculture. La réussite dans la rencontre avec l’autre ....... 29 GUDRUN RATH Hacia una nueva lectura de migraciones y literaturas. El caso de Junot Díaz ………………………………………………….………. 45 CHRISTOF SCHÖCH Ying Chen, ou : dialogues au-delà des frontières. Une lecture de L’Ingratitude et de Querelle d’un squelette avec son double …………………… 59 HERLE-CHRISTIN JESSEN Le roman migrant comme ›métamonde‹. Le pavillon des miroirs et Le maître de jeu de Sergio Kokis ……………………………………….…… 75 ANNE BRÜSKE Entre Nueva York y la isla. La memoria del espacio insular en la literatura de la diáspora dominicana en EE.UU. ................................... 89

II. MÉTROPOLES, PARCOURS ET POLITIQUES DE L’ESPACE

KLAUS-DIETER ERTLER La mise en fiction des métropoles. Montréal et New York dans le roman québécois contemporain (2005–2010) ................................... 107 URSULA MATHIS-MOSER Le Montréal de Dany Laferrière. Extrapolations du parcours d’un »acteur (trans)culturel« ………...…………………………..………….. 125

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PETER KLAUS Le Montréal transculturel. Entre havre de paix, creuset multiculturel et cauchemar ………………………………………………………………….. 139 MARTINA URIOSTE-BUSCHMANN Sentir la Salsa en Manhattan. Clubes de baile en Nueva York como espacios meta-archipiélicos en las narrativas hispanoantillanas-estadounidenses ………...………………………………………………….… 149 FRAUKE GEWECKE De transnación a counternation. Políticas del espacio en la narrativa de los Nuyoricans/ AmeRícans/ DiaspoRicans/ NeoRicans ……...……. 165

III. QUÊTES IDENTITAIRES SÉPHARADES ET ARABES DANS LE NOUVEAU MONDE

YVONNE VÖLKL L’arrivée en ville. La découverte de Montréal dans la littérature migrante juive au Québec ................................................................................ 185 MECHTHILD GILZMER Dialogue transculturel et genre dans la »littérature maghrébine« à Montréal ………………………………………………….…………………. 199 EMILIE NOTARD Sables méditerranéens. Terre d’exil et lettres nomades dans Galia qu’elle nommait Amour d’Anne-Marie Alonzo ............................................... 213 MAXIMILIAN GRÖNE Babylone – Montréal, la trace de l’Autre. Naïm Kattan à la rencontre d’Emmanuel Lévinas …………………………………………………..…….. 233

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Anne Brüske et Herle-Christin Jessen

Littératures transculturelles à Montréal et à New York

Vers une Postromania nord-américaine urbaine dans le Nouveau Monde ?

Les grandes métropoles de l’Amérique du Nord, telles que New York et Montréal, partagent un trait commun important : Elles servent de terre d’accueil à un nombre considérable de migrants originaires de pays de langue romane dans le Nouveau comme dans le Vieux Monde. Une diversité linguistique et culturelle extraordinaire caractérise donc les deux villes, pré-parant le terrain à l’émergence de nouvelles littératures. Ces littératures ouvrent le dialogue entre la ›Vieille Europe‹ et le Nouveau Monde, l’Atlantique et le Pacifique, le Nord et le Sud, le propre et l’étranger et re-mettent ainsi en question le concept de littératures nationales attachées à une seule langue et culture. Au cours du XXe siècle, New York, métropole d’immigration nord-américaine par excellence, est devenue l’une des destinations mythiques des migrants de l’archipel caribéen, lesquels continuent d’empreindre le visage économique et culturel de la ville. Les communautés hispano-caribéennes notamment se distinguent au point que le magazine Time publia déjà en 1988 sous le titre ¡Magnífico! Hispanic culture breaks out of the Barrio une série d’articles dédiés à la culture et littérature latino des États-Unis.1 À Montréal, métropole biculturelle et bilingue, la littérature migrante qui fleurit depuis bientôt deux décennies s’inscrit dans une ambiance déjà existentiellement marquée par le plurilinguisme et une politique favorisant le multicultura-lisme.

1 En particulier New York et le Sud-Ouest des États-Unis font état d’une forte présence

latino-américaine. S’il s’agit surtout à New York de populations immigrées au XXe siècle et de leurs ancêtres, il en va autrement dans les États fédéraux du Sud-Ouest où ces populations sont en partie enracinées depuis des siècles – des États comme la Cali-fornie, le Texas et le Nouveau Mexique firent partie du territoire du Royaume de Mexique jusqu’au traité de Guadeloupe Hildago en 1848 – où des migrants en prove-nance du Mexique et de l’Amérique centrale se sont installés plus récemment après avoir traversé la frontière entre les USA et le nord du Mexique.

La présence hispanique à New York frappe d’ailleurs non seulement dans les quartiers ethniques mais ailleurs aussi à travers les panneaux publicitaires et les journaux gratuits hispanophones comme El Especialito dans downtown et midtown Manhattan, c’est-à-dire dans des quartiers sans réputation hispanique particulière, et dans le métro newyorkais.

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Depuis plusieurs décennies, Montréal et New York jouent un rôle de terres d’accueil importantes. Montréal est la troisième métropole d’immigration canadienne (après Toronto et Vancouver). Les personnes nées à l’étranger forment le cinquième de la population totale.2 Plus de 85% des nouveaux arrivés au Québec s’installent dans la région métropolitaine mon-tréalaise.3 En ce qui concerne les immigrants récents – arrivés entre 2001 et 2006 –, Montréal occupe même le deuxième rang après Toronto.4 La plupart de ces nouveaux immigrants viennent d’Asie (31%), puis d’Afrique (26%), d’Europe (22,5 %) et d’Amérique (20%).5 Dans la diversité linguistique mon-tréalaise, c’est le français qui domine : Plus de 50% des locuteurs ont le fran-çais pour langue maternelle. L’importance des langues non officielles est spécialement intéressante dans notre contexte ; tandis que 13,2% des ci-toyens montréalais ont l’anglais pour langue maternelle, la quantité d‘allophones, n’ayant ni le français ni l’anglais pour langue maternelle, est presque trois fois plus élevée (34,4%).6 Parmi les langues allophones, c’est l’arabe qui est majoritairement parlé à Montréal ; viennent ensuite l’italien, l’espagnol, les langues créoles et le chinois.7 Apparemment, l’intégration linguistique à Montréal se déroule bien : Seule une faible proportion d’immigrants déclare ignorer autant le français que l’anglais (2,6%).

De nos jours, New York reste une des métropoles d’immigration les plus importantes des États-Unis : Dans l’État de New York, plus d’un cinquième de la population, c’est-à-dire 11% de la population nationale, est né à l’étranger (36% dans la ville de New York), chiffre que la Californie est la seule à égaler.8 Après la Californie, le Texas et la Floride, New York est éga-lement un des hauts-lieux de l’immigration hispanique et caribéenne, héber-geant un dixième des hispaniques nés à l’étranger.9

Au XIXe et au XXe siècle, Staten Island servait de porte d’entrée à la terre promise et au rêve américain pour des vagues d’immigration qui étaient majoritairement européennes, puisqu’en 1960 encore 75% des nouveaux arrivants venaient d’Europe, et cela même si New-York était déjà un des lieux d’exil favoris des intellectuels et leaders indépendantistes hispano- 2 Pour les pourcentages concernant les écrivains parmi les nouveaux arrivés cf. CHAR-

TIER, »Les origines de l’écriture migrante« et CHARTIER, Dictionnaire des écrivains émigrés au Québec.

3 Cf. CHUI et al., »Immigration au Canada«, 17. 4 Cf. ibid., 25 : »Selon le Recensement de 2006, la RMR [= La région métropolitaine de

recensement] de Montréal comptait 165 300 immigrants récents, soit le nombre le plus élevé observé au cours des 25 dernières années.«

5 Cf. ibid., 26–27. 6 »Montréal en statistiques. Population selon la langue maternelle« [http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/MTL_STATS_FR/MEDIA/DOC

UMENTS/08A_LANGUES%20MATERNELLES.PDF (dernier accès : 23/03/2013)]. 7 Ibid. 8 Cf. GRIECO et al., »The Foreign Born Population«, 4–5. 9 Cf. ACOSTA/ DE LA CRUZ, »The Foreign Born from Latin America and the Caribbean«,

2.

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Littératures transculturelles à Montréal et à New York 9

caribéens. En 2010, par contre, la moitié de la population née à l’étranger était d’origine latino-américaine (53%) et un peu moins d’un tiers d’origine asiatique (28%).10 Si plus de 29% de la population de la ville déclare être d’origine hispanique, ceci explique qu’un quart des Newyorkais déclare parler l’espagnol à la maison tandis que seulement un peu plus de la moitié parle uniquement l’anglais. Un bon cinquième des Newyorkais ne possède pas de très bonnes connaissances de la langue anglaise.11 Ainsi peut-on présumer que les littératures des migrants, des ›secondes générations‹ et des groupes dits ›ethniques‹ profondément enracinés dans les deux villes –mais aussi les littératures des ›autochtones‹ – s’inscrivent dans un contexte marqué par la rencontre avec ce qui est culturellement et socialement différent. Ces nouvelles écritures nouent des dialogues sur plu-sieurs plans ou, en revanche, rendent visible leur absence : Au niveau fic-tionnel, elles font interagir différentes communautés culturelles, sociales et linguistiques, différents positionnements historiques et politiques ainsi que des traditions artistiques parfois divergentes ; par ailleurs, elles instaurent au niveau extra-fictionnel et de manière performative des dialogues bien réels entre l’auteur et son lectorat. Ainsi, à travers la réflexion littéraire sur l’expérience de la différence, elles transportent un phénomène marginal au centre de la société majoritaire, laquelle se trouve invitée à revivre cette même expérience depuis le point de vue subjectif des êtres fictionnels con-cernés. Cette mise en fiction favorise non seulement l’identification empa-thique des lecteurs avec le texte en les incitant à compléter les ›blancs‹12 lais-sés dans le récit mais augmente encore la prise de conscience de l‘hétérogénéité culturelle factuelle, ébranlant (ou, du moins, mettant en question) les constructions socio-culturelles monolithiques des États-Nations traditionnels.

Si ces nouvelles écritures accordent une place importante aux quêtes identitaires, aux contacts et conflits culturels et linguistiques ainsi qu’aux motifs de la métropole et du voyage, elles ne se réduisent pour autant pas à cela. Elles soulèvent, au contraire, par leur esthétique et par les thématiques négociées, une série de nouvelles questions (géo)politiques, poétologiques et sociologiques, comme celle de l’influence de l’héritage (post)colonial et des nouvelles structures de domination politique ou économique, celle du dé-passement des États-Nations classiques, de l’hybridité des genres littéraires, des nouvelles formes d’expression ou encore celle de l’exigence

10 »America’s Foreign Born in the Last 50 Years« [http://www.census.gov/how/pdf//Foreign-Born--50-Years-Growth.pdf (dernier accès : 23/03/2013)]. 11 »Selected Social Characteristics in the United States. 2007–2011 American Community

Survey 5-year-estimates« [http://factfinder2.census.gov/faces/tableservices/jsf/pages/productview.xhtml?src

=bkmk (dernier accès 24/03/2013)]. 12 Cf. ISER, L’acte de lecture, notamment 317–398.

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d’assimilation que portent les sociétés d’accueil aux minorités trop visibles à leur goût.

Malgré leurs similitudes, les deux métropoles nord-américaines se dis-tinguent l’une de l’autre en de nombreux points, ne serait-ce déjà que par leur taille, leur appartenance géopolitique et leur statut au sein de la na-tion : Si New York peut être considéré comme la capitale économique et culturelle des États-Unis, Montréal occupe une place plus marginale au sein d’un État canadien à prédominance culturelle et économique anglo-saxonne. Si, pendant longtemps, on a tenu à New York à l’idéal de l’assimilation cul-turelle rapide des nouveaux arrivants et du monolinguisme, du moins dans la version officielle, Montréal se caractérise depuis toujours par une hybridi-té culturelle et linguistique. Ainsi, les Néo-Québécois représentent une mi-norité parmi les Québécois, qui à leur tour peuvent être considérés autant comme une minorité francophone au sein de l’État canadien que comme une communauté francophone totalement différente de celle de la France. Cette situation particulière module aussi le choix du lieu d’installation des mi-grants : Si les nouveaux arrivants choisissent New York comme terre d’accueil indépendamment de leur appartenance culturelle ou linguistique, s’installer à Montréal semblerait relever d’un choix plus conscient, laissant par exemple présupposer des affinités pour la langue française13 ou pour le contexte culturel existentiellement hybride.

Ces différences se reflètent également dans le domaine de la littéra-ture : Tandis que les États-Unis jouissent d’une tradition littéraire assez longue, la littérature québécoise commence à s’émanciper en tant que littéra-ture nationale depuis la ›Révolution tranquille‹ des années 1960. Les nou-velles littératures transculturelles s’inscrivent donc dans des histoires litté-raires et des contextes culturels entièrement différents. Si, au Québec, la littérature transculturelle fleurit dans un contexte de »surconscience linguis-tique«14 historique et si le modèle politique du multiculturalisme canadien crée un »climat favorable à la formation« de la littérature transculturelle québécoise,15 pendant les années 1980 et 1990, cette littérature se heurte éga-lement au nationalisme québécois. À New York et plus généralement aux États-Unis, la littérature écrite par des Néo-Américains et des Américains d’origine non-européenne s’inscrit dans le contexte d’une littérature natio-nale constituée d’un côté de récits d’auteurs euro-américains et de l’autre de minorités dites ›ethniques‹, comme les Native Americans, Chicanos et African Americans. Ces nouvelles écritures ne mettent donc aucunement en cause l’idée de la nation, mais cherchent leur place au sein d’un système littéraire

13 Selon le Recensement de 2006, c’est la langue qui, après les réseaux familiaux et ami-

caux, constitue le deuxième facteur décisif pour s’installer à Montréal. Cf. CHUI et al., »Immigration au Canada«, 21.

14 DUMONTET, »Pour une poétique de l’écriture migrante«, 100. 15 CHARTIER, » De l’écriture migrante à l’immigration littéraire«, 81.

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Littératures transculturelles à Montréal et à New York 11

états-unien établi.16 Ces contextes différents façonnent aussi la manière dont ces nouvelles littératures abordent des sujets comme l’américanité, la place de l’héritage européen ou non-européen ou bien encore la question du colo-nialisme. Partant de ces différences, il se pose également la question de la langue dans laquelle les auteurs néo-montréalais et néo-newyorkais étudiés dans ce recueil entament ce dialogue qui se tisse non seulement entre des cultures mais brouille fréquemment des frontières culturelles et linguistiques appa-remment naturelles. D’origine caribéenne, latino-américaine, juive ou encore asiatique, les auteurs étudiés s’expriment majoritairement dans la langue (principale) de leur ville d’accueil, c’est-à-dire en français pour Montréal et en anglais pour New York. Néanmoins, leurs textes s’inscrivent dans la con-tinuité de l’univers de langue et de culture romanes que la recherche philo-logique a traditionnellement appelé la Romania. Suite aux migrations résul-tant des grandes guerres en Europe ainsi que de la décolonisation et grâce aux nouvelles voies de communication, ils en forment le prolongement dans l’ère postmoderne.17 Cette Postromania appartenant au Nouveau Monde et liant ainsi la Romania nova d’Amado Alonso et une nouvelle Romania submer-sa, un espace latin submergé, est à son tour imprégnée par maintes in-fluences historiques, culturelles et politiques telles que la ›découverte‹ des Amériques par Christophe Colomb, la colonisation des terres, la subjugation des indigènes et la traite transatlantique des esclaves, mais également par les constellations politiques, sociales et économiques de l’époque contempo-raine. Le terme Postromania fait ainsi référence aux espaces culturels du Nouveau Monde à l’influence latine métissée (comme au Québec) et, parfois, sous-jacente (comme aux États-Unis dans les territoires autrefois hispano-phones ou parmi les groupes de population originaires d’un espace culturel roman). Ainsi comprend-t-il une Nouvelle Romania imprégnée culturelle-ment et linguistiquement par de multiples influences extérieures et une Nouvelle Romania, celle des migrants ou des minorités, dans laquelle la langue officielle et politiquement dominante (l’anglais) est en train de se superposer sur l’idiome latin au point de l’effacer. Reflétant du moins partiellement l’impact social et culturel des flux mi-gratoires les plus proéminents, les études à propos de cette Postromania 16 Pour une discussion de la littérature urbaine new-yorkaise récente cf. LENZ/ RIESE,

Postmodern New York City. 17 Tandis que, selon la terminologie d’Amado Alonso, Romania continua se réfère aux

pays européens latins et latinisés, Romania nova désigne généralement l’espace latinisé du Nouveau Monde, comme l’Amérique du Sud, la Caraïbe ou encore le Québec, ré-gions dans lesquelles l’influence des langues et cultures précolombiennes, africaines et européennes non latines jouent un rôle non négligeable. Cf. également RODRIGUEZ-VELASCO, »Romania Continua, Romania Submersa, and the Field of Romance Studies« ; DIETRICH, »Zum Sprachwandel durch Sprachkontakt in der neuen Roma-nia«, 128–129. À propos des langues romanes en dehors de l’Europe cf. le volume édité par JANSEN/ SYMEONIDIS, Dynamik romanischer Varietäten außerhalb Europas.

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nord-américaine urbaine seront dotées d’une forte composante caribéenne avec des auteurs montréalais vedette, Dany Laferrière, Gérard Étienne et Émile Ollivier, des auteurs originaires d’Haïti, les Dominico-Newyorkais Angie Cruz et Junot Díaz, en rappelant que ce dernier a été en 2008 lauréat du prestigieux prix Pulitzer, ou encore les Portoricains Esmeralda Santiago, Abraham Rodríguez et Ernesto Quiñónez. Parmi les écrivains étudiés se trouvent également de nombreux juifs ashkénazes et sépharades comme Régine Robin, Naïm Kattan et Victor Teboul, porteurs d’une expérience qui passe pour l’archétype de la communauté diasporique. D’autres auteurs néo-québécois d’origine arabe (Anne-Marie Alonzo), brésilienne (Sergio Kokis) et chinoise (Ying Chen) choisissent le français comme langue d’expression artistique de prédilection, participant ainsi également de la Postromania littéraire du Nouveau Monde.

La double perspective portant sur les littératures transculturelles des mé-tropoles Montréal et New York avec leurs différences et leurs similitudes permet donc d’apporter un regard différencié sur la création et l’évolution d’une Postromania nord-américaine.

Transculturalité, transnationalisme, diaspora et ethnicité. Théorisation du contact culturel littéraire à Montréal et à New York

En dépit et en raison de la multitude d’étiquettes désignant ces (nouvelles) littératures qui se démarqueraient des littératures nationales majeures de l’espace culturel québécois et états-unien, la terminologie pose pro-blème : Ainsi parle-t-on, selon le contexte national, l’orientation idéologique et le choix théorique du chercheur, de littératures migrantes, diasporiques, ethniques, multi-, inter- et transculturelles, transnationales, transdifférentes, nomades ou, dans le contexte du Sud-Ouest des États-Unis, de border litera-ture sans que l’apport analytique de ces étiquettes soit nécessairement im-portant. Beaucoup de tentatives de classification ou de description de ces littératures ont également recours à des termes façonnés dans le contexte caribéen, comme métissage ou créolisation/ créolité (Édouard Glissant/ Patrick Chamoiseau/ Raphaël Confiant/ Jean Bernabé), ou dans celui des études postcoloniales, comme hybridité (Néstor Canclini, Homi K. Bhabha). Au fond, ce qui lie (et différencie) ces concepts, c’est la façon dont ils théori-sent le dialogue culturel et social au niveau des individus, des communautés et des États ainsi que la place qu’ils lui accordent. À quelques exceptions près, la terminologie littéraire s’inspire de théorèmes sociologiques, ethnolo-giques ou anthropologiques (entre autres Fernando Ortiz, James Clifford, William Safran) et d‘études culturelles (Stuart Hall, Paul Gilroy, Homi K. Bhabha), à qui on a en partie reproché à leur tour de calquer leurs concepts

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Littératures transculturelles à Montréal et à New York 13

sur des textes littéraires.18 Pour cela, il est primordial de donner dans un premier temps une vue d’ensemble des tentatives les plus éminentes qui ont été faites pour décrire systématiquement et théoriser le contact culturel afin d’élucider, dans un second temps, la transposition de ces concepts aux litté-ratures dites transculturelles du Canada francophone et des États-Unis. Depuis une décennie, les termes transculturel, transculturalité ou transcul-turation sont en vogue aussi bien dans la recherche sur les cultures et littéra-tures de l’Amérique latine que dans le contexte québécois. Leur emploi dif-fère pourtant non seulement selon les auteurs et les textes fondateurs sur lesquels ils se basent mais également en fonction du contexte géographique pour lequel ils sont employés.19 Le terme transculturel renvoie à la fois à l’œuvre Contrapunteo del tabaco y del azúcar (1940) de l’ethnologue cubain Fernando Ortiz et aux réflexions du philosophe allemand Wolfgang Welsch.20 Ortiz utilise la notion de transculturation (›transculturación‹), calquée sur le modèle d’acculturation et deculturation de l’anthropologue Bronislaw Malinowski, en soulignant l’importance du processus du métis-sage pour la culture cubaine et en démontrant l’influence de la culture des ›dominés‹, c’est-à-dire des Afrocubains, sur celle des colons blancs.21 En revanche, avec la notion de transculturalité (›Transkulturalität‹), Welsch s’efforce de transcender la conception des cultures considérées comme des entités monolithiques liées à un État-Nation que le philosophe allemand Johann Gottfried Herder a développé au XVIIIe siècle avec le modèle des sphères. Selon Welsch, les cultures de l’époque postmoderne actuelle ne se contentent ni de seulement coexister (›Multikulturalität‹) ni d’entrer sim-plement en communication (›Interkulturalität‹) mais commencent, poussées par les effets de la mondialisation, à s’enchevêtrer les unes dans les autres sans pour autant constituer des entités homogènes à tous les niveaux d’interaction sociale. Depuis les années 1990, le paradigme du transnationa-lisme ou de la migration transnationale ne cesse de prendre de l’importance dans la recherche sociologique sur les mouvements migratoires contempo-rains. Il est évoqué une des premières fois par Nina Glick-Schiller, Linda Basch et Cristina Blanc-Szanton (1992) et a été repris pour désigner la pro-

18 CLIFFORD, »Diasporas« ; ORTIZ, Contrapunteo cubano del tabaco y el azúcar ; BHABHA, The

location of culture ; GILROY, The Black Atlantic. 19 Cf. SCHMIDT-WELLE, Multiculturalismo, transculturación, heterogeneidad, poscolonialismo. 20 ORTIZ, Contrapunteo cubano del tabaco y el azúcar ; WELSCH, »Transculturality« ; WELSCH,

»¿Qué es la transculturalidad?«. 21 Schmidt-Welle souligne le caractère divergent que prend la notion de transculturalité

selon les auteurs : Si Ortiz l’utilise pour rendre visible l’influence des groupes de popu-lation défavorisés, Ángel Rama l’emploie, au contraire, pour décrire l’impact culturel des élites européennes sur la littérature sud-américaine. Cf. SCHMIDT-WELLE, »Transculturación, heterogeneidad, ciudadanía cultural«, 47–51.

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duction culturelle créée dans ce même contexte.22 Les auteures définissent transnationalisme comme

the processes by which immigrants build social fields that link together their country of origins and their country of settlement [including] multiple relations – familial, economic, social organizational, religious and political – that span bor-ders

et soulignent sa force cohésive qui crée des liens à travers des relations trans-frontalières directes et indirectes entre ceux qui migrent et ceux qui restent dans le pays d’origine.23

Si les notions de transculturalité et de transculturation visent à rompre avec l’idée de cultures comme entités homogènes et stables, le concept de transnationalisme transcende l’idée de l’État-Nation et des nationalités en brouillant les binarismes culturels, sociaux et épistémologiques de la mo-dernité24 et en insistant sur la ›bifocalité‹25 de nombreux migrants qui non seulement surmonteraient les boundaries, i.e. les délimitations légales impo-sées par les États politiques, mais créeraient encore des borders, c’est-à-dire des zones frontalières géographiques et culturelles hybrides entre des na-tions.26 En raison des législations de pays émetteurs, qui dépendent en partie des rentrées de devises assurées par l’émigration et qui se montrent par conséquent de plus en plus favorables à la participation politique de leurs citoyens extraterritoriaux et grâce aussi aux moyens de communication mo-dernes, les liens politiques et sociaux continuent de se resserrer entre les états caribéens par exemple et les États-Unis ou le Canada.27 C’est pour cela que la recherche actuelle qualifie les migrants des îles caribéennes hispano-phones de sujets transnationaux ou diasporiques – qu’il s’agisse de la migra-tion cubaine récente, de la migration portoricaine, haïtienne ou dominicaine vers le continent septentrional. La notion de diaspora, concept également en vogue depuis la fin du siècle passé, renvoie à l’origine à l’épisode babylonien du peuple juif, puis aux communautés helléniques et arméniennes dispersées dans l’espace méditer-ranéen. Plus récemment, le terme a été emprunté pour décrire les nouvelles diasporas engendrées par le processus de décolonisation et les mouvements migratoires postcoloniaux ainsi que pour désigner le déplacement de popu- 22 Pour une discussion succincte, mais féconde des concepts, cf. DUANY, Blurred Borders,

17–33. 23 GLICK SCHILLER/ BASCH/ BLANC SZANTON, Towards a transnational perspective on

migration, 1. Levitt et Glick Schiller définissent le terme transnationalisme de la manière sui-

vante : »[transnationalism] connect[s] actors through direct and indirect relations across borders between those who move and those who stay behind«, LEVITT/ GLICK SCHILLER, »Conceptualizing Simultaneity«, 1009.

24 Cf. KEARNEY, »Borders and Boundaries«, 55. 25 VERTOVEC, Transnationalism, 67–66. 26 Cf. DUANY, Blurred Borders, 1 ; KEARNEY, »Borders and Boundaries«, 52. 27 Cf. DUANY, Blurred Borders, 7.

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lations africaines et la formation de communautés résultant de la traite trans-atlantique des esclaves.28 De nombreuses tentatives visant à redéfinir la no-tion de diaspora pour le monde (post)colonial, cette notion étant devenue quelque peu floue par son utilisation extensive, ont été entreprises entre autres par William Safran (1991) et par James Clifford (1993) qui souligne l’importance des racines (›roots‹) et les routes parcourues (›routes‹) ou par Robin Cohen (1997).29 Le dénominateur commun de ces concepts est l’héritage culturel partagé des communautés résidant en dehors de leur territoire d’origine, l’idée d’une patrie ancestrale perdue et mythifiée, la conscience de la différence par rapport à la population majoritaire ainsi que la tension perpétuelle entre les stratégies de »traveling« et de »dwelling«.30 Comme la notion de transnationalisme avec laquelle elle partage l’accent mis sur la ›bifocalité‹ des expériences au niveau des acteurs,31 celle de diaspora vise à dépasser l’équation ostensiblement trop simple entre territoire géopo-litique, langue et culture. À noter que, contrairement à ce que semblent par-fois suggérer les discours politiques et médiatiques, le potentiel subversif des communautés transnationales et diasporiques reste toutefois relative-ment circonscrit.32 Qu’est-ce qui distingue les communautés diasporiques des communautés ethniques, autre étiquette courante dans le contexte nord-américain ? En 1969, l’ethnologue Fredrik Barth problématise la définition courante des groupes ethniques comme »culture bearing units« selon le modèle ›une ethnie, une langue, une culture‹.33 Il souligne au contraire l’importance de l’(auto-)ascription et des liens sociaux qui stabiliseraient les groupes eth-niques malgré des interactions répétées avec d’autres.34 Cela renvoie au caractère auto-affirmatif des communautés ethniques qui contribuerait même par sa force centripète à la cohésion des sociétés multi-ethniques comme celles des États-Unis ou du Canada.35 Dans la sociologie états-

28 Cf. GILROY, The Black Atlantic, pour le concept du »Black Atlantic« ; CHIVALLON, The

Black Diaspora of the Americas, pour une vue d’ensemble. 29 Cf. SAFRAN, »Diasporas in Modern Societies« ; CLIFFORD, »Diasporas« ; COHEN, Global

diasporas, 180–187. 30 Cf. CLIFFORD, »Traveling Cultures«, 108. Dans la recherche nord-américaine sur

l’immigration caribéenne contemporaine et sa présence sur le sol états-unien, on se ré-fère de manière inflationniste au concept de la diaspora ou encore à celui des commu-nautés (pan-)ethniques, comme celle des Hispanics. Cf. DUANY, Blurred Borders, 2–3.

31 Cf. également VERTOVEC, Transnationalism. 32 Cf. DUANY, Blurred Borders, 30–31. 33 BARTH, »Introduction«, 10–15. 34 Cf. ibid., 9–10. 35 »In other words, ethnic distinctions do not depend on an absence of social interaction

and acceptance, but are quite to the contrary often the very foundations on which em-bracing social systems are built. Interaction in such a social system does not lead to its liquidation through change and acculturation ; cultural difference can persist despite inter-ethnic contact and interdependence« (ibid., 10). Cf. également BÖS/ SCHRAML, »Ethnizität«, 96–97.

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unienne du XXe siècle et notamment dans la recherche portant sur les rela-tions raciales et ethniques (›race and ethnic relations‹), les termes race et ethnicity ont tendance à se superposer jusqu’à l’interchangeabilité sans que ›race‹ se réfère uniquement à une supposée différence biologique ou ›ethni-cité‹ à la dimension culturelle.36 Il est donc encore plus difficile de les délimi-ter nettement dans l’usage du discours public états-unien ou canadien. Pour les immigrants d’origine européenne installés depuis plusieurs générations aux États-Unis, Mary G. Waters a montré que l’ethnicité est devenue un attribut secondaire optionnel que l’on adopte ou délaisse. En revanche, les habitants d’origine non-européenne, même installés sur le territoire nord-américain de longue date, ne sont pas, sous prétexte de leur soi-disant diffé-rence biologique, perçus comme des Américains à part entière capables de se fondre dans le légendaire creuset mais comme des ›hyphenated Americans‹, i.e. des African Americans, Asian Americans, Native Americans, Hispanics, etc.37

Par conséquent, les modèles d’assimilation ou d’acculturation des se-condes générations de nouvelles diasporas divergent en fonction et de l’apparence physique et du statut socio-économique, les rapprochant ou non, des Euro-Américains ›blancs‹ ou de groupes défavorisés comme celui des African Americans. Pour ce qui est du Canada et du Québec, qui parta-gent la dominance européenne mais dont le contexte historique diverge de celui des États-Unis en plusieurs points – l’institutionnalisation du bilin-guisme et de la biculturalité ainsi que l’histoire de l’esclavage et de la coloni-sation des terres –, on peut observer que l’intégration des Black Canadians/ Canadiens noirs, des Asian Canadians/ Canadiens d’origine asiatique ou de ceux appartenant aux First Nations/ Premières Nations se révèle de fait éga-lement plus difficile que celle des Euro-Canadiens.38 Reste à constater que, particulièrement au Québec, dont l’expérience de la traite des esclaves afri-cains demeure relativement limitée, les minorités appartenant à la diaspora africaine, tels que les Haïtiens ou autres migrants afro-caribéens ne se voient guère confrontées à un autre groupe important d’origine africaine qui serait déjà installé sur le sol canadien. Quant aux pratiques transnationales dans les deux pays, on observe certes un net recul des deuxièmes générations dans leur engagement financier mais pas une rupture idéologique ou cultu-relle totale avec le pays ancestral.39 Différentes phases historiques marquent l’attitude officielle des États-Unis et du Canada envers l’immigration et envers l’intégration des Native Americans ou des Premières Nations ou encore envers les descendants des

36 Cf. BÖS, »›Rasse‹ und ›Ethnizität‹«, 42–53. 37 Cf. WATERS, Ethnic options, 16–51 ; BÖS, ›Rasse‹ und ›Ethnizität‹, 178 ; PÉREZ FIRMAT, Life

on the hyphen, »hyphenated identities«. 38 Cf. par exemple ELLIOTT/ FLERAS, »Immigration and the Canadian Ethnic Mosaic«, 60–

62. 39 Cf. DUANY, Blurred Borders, 29–30 ; PLAZA, »Remittance Practices of Jamaican Cana-

dian Families«.

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esclaves africains : Tandis que les États-Unis, dont la devise ex pluribus unum était restée même avec certaines réserves longtemps programme officiel, ne commencent à abandonner l’idée du melting pot qu’à partir des années 1970, le Canada adopte déjà en 1971 une politique multiculturaliste volontariste, institutionnalisant ainsi la métaphore de la ›mosaïque verticale‹ pour une société canadienne où chaque groupe ethnique garderait ses traits culturels distinctifs tout en formant un grand ensemble cohérent.40 Après la ›décou-verte‹ du caractère inassimilable de certains groupes d’origine étrangère, les États-Unis se tournent d’abord également vers un modèle multiculturel pour se recentrer à partir des années 1990 sur l’image d’un ethnic-racial pentagon réunissant les cinq collectifs (pan-)ethniques les plus importants (White, Hispanic, Black, Asian, Native).41 Comment les paradigmes et tendances terminologiques présentés ci-dessus se reflètent-ils, face aux nouvelles littératures, dans la recherche et l’histoire littéraire de Montréal et de New York ? Quelles sont les grandes étapes de l’avènement des nouvelles littératures postromanes dans la re-cherche et dans la critique littéraire ? Dans le contexte états-unien, on parle moins de ›littérature transculturelle‹ mais plutôt de ›littérature diasporique‹ ou, plus souvent encore, de ›littérature ethnique‹ se référant au concept des groupes ethniques. Cette étiquette implique qu’il s’agit là de littératures certes foncièrement nord-américaines mais néanmoins différentes, car non issues du mainstream anglo-américain. Historiquement, le terme ethnic litera-ture fait référence à l’ethnic revival engendré dans la suite du mouvement des droits civiques des années 1960. Celui-ci réclame le droit d’existence, la re-connaissance et l’autonomie des cultures des minorités définies comme non-blanches par la color line des États-Unis, comme les Afro-Américains, les Amérindiens ou les Chicanos, au sein d’une Amérique septentrionale domi-née par les White Anglo-Saxon Protestants (WASP).42 Il est ainsi porteur d’un sens auto-affirmatif et de revendications politiques très visibles dans la litté-rature jusqu’à la fin des années 1960.43 Au niveau institutionnel, il a non seulement mené à la création de nouveaux programmes au sein des univer-sités, tels que les Latino Studies, African American Studies etc. mais a encore entraîné la fondation de maisons d’édition spécialisées, comme Arte Público Press qui publie en première ligne des textes écrits par des auteurs hispa-niques du Sud-Ouest américain. Si, de nos jours, le caractère (auto-)affirmatif du terme semble quelque peu amoindri, la recherche littéraire continue d’étudier les textes des groupes ethniques visibles sous l’angle de leur diffé-rence par rapport au mainstream, comme le montrent encore par exemple des

40 ELLIOTT/ FLERAS, »Immigration and the Canadian Ethnic Mosaic«, 59pp. ; LAUTARD/

GUPPY, »The Vertical Mosaic revisited«, 189pp. Cf. également PORTER, The Vertical Mo-saic.

41 Cf. BÖS, »›Rasse‹ und ›Ethnizität‹«, 41–42. 42 Cf. GEWECKE, »De identidades, territorios y fronteras que se cruzan«, 205–206. 43 Cf. DALLEO/ MACHADO SÁEZ, The Latino/a Canon, 1–3.

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éditions récentes du prestigieux journal de la Society for the Study of the Multi-Ethnic Literature of the United States (MELUS Journal).44 Le label ethnic litera-ture fait, par ailleurs, partie des stratégies de marketing lancées par les grandes maisons d’édition états-uniennes qui publient la plupart des textes, en partie dans des collections spécialisées, et qui sembleraient, d’autre part, imposer leurs préférences linguistiques et thématiques aux jeunes auteurs.45 Si le terme ethnic literature renvoie généralement à l’origine de l’auteur, d’aucuns ont dès les années 1970 mis en garde contre la confusion entre des critères extra- et intra-littéraires et la réduction de ces littératures à un reflet plus ou moins fidèle de la réalité sociale, faisant des auteurs des représen-tants attitrés de ›leur‹ groupe ethnique.46 Selon John Reilly, par exemple, la littérature dite ethnique se caractériserait par la présence d’éléments eth-niques dans un texte donné, accompagnée d’une trame stéréotypée menant soit à la victimisation, soit à la maturation d’un protagoniste ethnique dans son contact avec la société majoritaire.47 Dans le contexte newyorkais, les textes des Portoricains installés à Manhattan depuis la première moitié du XXe siècle, et particulièrement l’autobiographie de Piri Thomas (Down these mean streets, 1967) ou les publications des auteurs du Nuyorican Poets Café, mais aussi ceux des écrivains afro-américains marquent profondément le champ de la littérature issue des nouvelles diasporas. Du fait de l’histoire du Québec, ancienne colonie française dans le Nou-veau Monde et îlot francophone et catholique dans une Amérique du Nord à dominante anglophone et protestante, la production littéraire des (trans)migrants et des minorités ethniques joue un rôle très différent dans la littérature nationale au Québec à partir du moment où elle est écrite en fran-çais et se transforme peu à peu d’une ›littérature canadienne française‹ en une ›littérature québécoise‹.48 Celle-ci reste jusque dans le XXe siècle tardif, c’est-à-dire jusqu’à la ›Révolution tranquille‹ qui est le moment de l’émancipation politique, économique et culturelle québécoise par rapport aux élites anglo-canadiennes, une littérature en quête d’identité qui cherche en vain à se détacher de l’ancienne métropole française et du grand frère anglophone par un nationalisme exacerbé. Ce contexte explique d’une part la discussion idéologique et théorique précoce autour de la difficile ren-contre littéraire entre le québécois ›de souche‹ et l’apport des nouveaux

44 Les dernières éditions spéciales s’intitulent par exemple : The Future of Jewish American

Literature Studies (37.2, 2012), Asian American Performance Art (36.4, 2011), The Bodies of Black Folk (35.4, 2010), Multi-Ethnic Poetics (35.2, 2010).

45 L’étude de Dalleo et Machado Sáez s’oppose vivement à ce point de vue en soutenant que, malgré son arrivé dans le mainstream, la littérature latino post-années 1960 n’a rien perdu de ses revendications politiques qui seraient tout simplement présentées de ma-nière moins ostensible. Cf. DALLEO/ MACHADO SÁEZ, The Latino/a Canon, 1–15.

46 Cf. par exemple REILLY, »Criticism of Ethnic Literature«, 2, 5–6. 47 Cf. également CHRISTIAN, »Sexual Stereotypes and Ethnic Pastiche« ; MCGURL, The

program era, 227–272. 48 Cf. DUPUIS, »Le commis voyageur«, 39.

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arrivants d’abord perçu comme une menace à la jeune nation.49 D’autre part, ce processus de maturation de la culture québécoise en devenir permet aux textes d’auteurs nés à l’étranger d’occuper une place proéminente au sein du canon littéraire tout en défiant sa pensée nationaliste. Dans les années 1990, les écrivains migrants conquirent de plus en plus le champ littéraire québé-cois (dans la rubrique culture, dans des colloques, à l’université ou comme lauréats des prix littéraires nationaux). Cette évolution provoqua de vives discussions sur le statut de la littérature nationale et le tournant d’une époque – d’une littérature québécoise vers une littérature ›post-nationaliste‹ ou ›post-québécoise‹.50 Contrairement à la labélisation newyorkaise, la re-cherche littéraire montréalaise souligne, par des concepts comme celui des »écritures migrantes«51 (Robert Berrouët-Oriol) ou celui des »littératures migrantes« ou »transmigrantes«52 (Gilles Dupuis), non pas l’appartenance des auteurs à un groupe ethnique, évitant ainsi d’en faire des représentants et porte-paroles d’un collectif, mais plutôt le caractère immigré et les choix institutionnels des nouveaux arrivants.53 Le précédent panorama démontre bien que les difficultés auxquelles se heurte toute tentative de systématiser une fois pour toutes le paysage con-ceptuel et terminologique à un niveau universel ne sont pas uniquement de nature académique mais relèvent également de choix idéologiques ou poli-tiques et de la logique du marché : Comment parler de ces nouvelles écri-tures bi- et plurifocales dépassant les limites des États-Nations et des cul-tures ? Convient-il de vouloir tracer dans ces littératures la ligne entre le diasporique, le migrant ou encore le transculturel au risque de les figer ? Comment les définir : à travers les racines de l’auteur ou les chemins qu’il a parcourus ? Le choix de sujets ›typiques‹ des diasporas et groupes ethniques ou encore à travers une esthétique particulière ? Ces nouvelles littératures sont-elles fondamentalement différentes des canons nationaux et, si c’est le cas, en quoi ? Le présent recueil constitue une tentative non de trouver une solution universelle à cette myriade de questions mais d’y apporter des élé-ments de réponse sous des angles divergents.

49 Cf. DUMONTET, »Pour une poétique de l’écriture migrante«, 88–89 ; ERTLER, »Die Ent-

wicklung der écritures migrantes«, 45. 50 Cf. NEPVEU, L’écologie du réel. 51 Cf. BERROUËT-ORIOL, »L’effet d’exil«, 20–21 ; BERROUËT-ORIOL/ FOURNIER, »L’émer-

gence des écritures migrantes«, 7–22. La revue Vice versa, fondée en 1983 à Montréal, était sans doute l’un des vecteurs essentiels de la réflexion critique sur les écritures mi-grantes et transculturelles.

52 DUPUIS, »Littérature migrante«, 117–120 et »Le commis voyageur«, 39. 53 Pour une discussion critique de la terminologie cf. également DUMONTET, »Pour une

poétique de l’écriture migrante« ; ERTLER/ LÖSCHNIGG, »Introduction« ; GRUBER, »Aus einem Land – in das gleiche« et »Transdifferenzphänomene am Beispiel der littérature migrante in Québec« ; MOISAN/ HILDEBRAND, Ces étrangers du dedans ; ZIPFEL, »Migrant Concepts«.

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Dialogues transculturels dans la Postromania nord-américaine. Présentation des contributions

Que ce soit le label de ›littératures ethniques‹, celui d’›écritures/littératures migrantes‹ ou encore un autre, la plupart des concepts se basent sur des critères avant tout extra-littéraires comme l’origine, l’expérience vécue et la trajectoire de l’auteur plutôt que sur des critères intra-littéraires sans tenir compte des qualités esthétiques des œuvres. Partant de la conviction que juger les œuvres littéraires à l’aune de ces critères internes aux textes leur rend davantage justice, le présent recueil propose d’étudier en première ligne les aspects intra-littéraires. Ces critères relèvent avant tout des trois domaines suivants : de l’esthétique propre à la littérature transculturelle ; de la relation qu’ont les personnes concernées avec le pays dont eux ou leurs ancêtres sont originaires et avec leur lieu de résidence actuel ; des questions concernant la difficile quête d’identité entre les pôles de l’assimilation et du rejet ainsi que la dé- et reconstruction identitaire. Outre les négociations culturelles et identitaires comme motif central, les thèmes pouvant être con-sidérés comme définissant des textes de caractère transculturel sont ceux de la mémoire individuelle ou collective, des conflits culturels, de la ›bifocalité‹ géographique, culturelle, linguistique et discursive, auxquels on pourrait ajouter l’auto-positionnement des textes comme diasporiques, ethniques ou migratoires. En effet, se concentrer sur de tels critères intra-littéraires invite à inclure également parmi les œuvres transculturelles des textes écrits par des auteurs issus de la majorité autochtone mais portant sur les mêmes thèmes, permettant de laisser de côté l’insoluble question de l’authenticité et élargis-sant ainsi sensiblement le champ de recherche.54 Un premier chapitre, »Esthétique et terminologie«, se concentre d’une part sur la question de l’esthétique spécifique à ces nouvelles écritures et sur leur catégorisation difficile : Ainsi, la littérature en tant que médium pro-blématise toute tentative de classification simplificatrice, tantôt en utilisant les termes courants de façon incohérente, tantôt en créant de nouveaux con-cepts et labels. Certains textes ironisent sur les ascriptions se référant aux migrants et minorités, transgressant maintes conventions artistiques et so-ciales. D’autres développent une esthétique propre en ayant recours à des procédés autoréflexifs, permettant d’articuler les divers traumatismes subis par des sujets migrants ou membres d’une minorité souvent marginalisée. Le deuxième chapitre, »Métropoles, parcours et politiques de l’espace«, réunit des contributions portant explicitement sur la mise en fiction des espaces urbains montréalais et newyorkais, sur les politiques de l’espace que les textes étudiés propagent ainsi que sur l’importance de Montréal et de New York en tant que métropoles et terres d’accueil pour les auteurs et leur parcours. Finalement, dans un troisième chapitre, »Quêtes identitaires sé- 54 Cf. REILLY, »Criticism of Ethnic Literature«. Cf., par exemple, BERROUËT-ORIOL/ FOUR-

NIER, »L’émergence des écritures migrantes«.

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pharades et arabes dans le Nouveau Monde«, une attention particulière sera portée aux quêtes identitaires de ces minorités ethniques dans la métropole franco-canadienne et états-unienne. À travers l’exemple des figurations nord-américaines de l’archétype des communautés diasporiques, les ana-lyses font ressortir le leitmotiv sous-jacent de la plupart des textes littéraires transculturels, à savoir la recherche de la place d’un protagoniste au sein d’une société dont il se démarque par ses origines géographiques, son exté-rieur ou encore ses traditions culturelles et religieuses. Le chapitre »Esthétique et terminologie« débute par la contribution de Patrick Imbert sur ›sérendipité et transculture‹ au Québec. Se servant d’une nouvelle approche théorique de la transculturalité aux Amériques comme point de départ, il analyse les discours québécois sur l’impact culturel des flux migratoires depuis les années soixante et examine la façon dont des artistes migrants tel que Marilú Mallet ou Dany Laferrière s’établissent comme selfmaking men and women à Montréal. Gudrun Rath porte un regard critique sur la catégorie du genre autobiographique ainsi que sur les lectures réductrices que l’on a faites de l’œuvre de Junot Díaz jugée à l’aune de l’appartenance ›ethnique‹ de l’auteur aux groupes des Latinos et, plus parti-culièrement, des immigrants clandestins dominicains aux États-Unis. En s’interrogeant sur le statut de l’œuvre romanesque francophone de Ying Chen, Christof Schöch propose une nouvelle lecture de L’ingratitude et de Querelle d’un squelette avec son double, deux romans récents de l’auteure chi-noise ayant résidé en France et au Québec, et analyse maintes transgressions du label ›écriture migrante‹. La contribution d’Herle-Christin Jessen élucide la composition mutuelle du ›sujet migrant‹ et de l’esthétique adéquate d’une nouvelle écriture dans Le pavillon des miroirs et Le maître de jeu, romans auto-référentiels de l’auteur brésilo-québécois Sergio Kokis tandis qu’Anne Brüske montre par quels procédés narratifs la littérature diasporique domi-nicaine, écrite aux États-Unis mais axée sur l’île et son lourd passé, traite le sujet de la mémoire et des traumatismes subis par ses protagonistes immi-grés féminins. Le chapitre »Métropoles, parcours et politiques de l’espace« met l’accent explicitement sur les espaces urbains de la Postromania et notamment sur les auteurs et écritures des deux métropoles Montréal et New York. Ainsi, Klaus-Dieter Ertler propose une analyse de la mise en fiction de Montréal et de New York dans le roman québécois contemporain en s’appuyant sur Ce n’est pas une façon de dire adieu de Stéfani Meunier, Le veilleur de Naïm Kattan et Mégapolis de Régine Robin. Ensuite, la contribution d’Ursula Mathis-Moser montre en quoi Dany Laferrière est un acteur (trans)culturel fonciè-rement attaché à la ville de Montréal, dont l’importance se reflète non seu-lement dans la vie, mais également dans l’œuvre narrative et essayiste de cet auteur originaire d’Haïti. Peter Klaus souligne la place ambiguë entre creu-set multiculturel, havre de paix et cauchemar qu’occupe la ville de Montréal dans les œuvres d’auteurs québéco-haïtiens comme Gérard Étienne et Émile

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Ollivier. Martina Urioste-Buschmann se penche sur la fonction des clubs de dance caribo-newyorkais en tant qu’îlots sociaux caribéens dans le récit autobiographique Almost A Woman de la Portoricaine Esmeralda Santiago et dans Let It Rain Coffee de la Dominican American Angie Cruz, tandis que Frauke Gewecke55 (†) étudie la question d’une double appartenance sociale et culturelle des Portoricains vivant depuis des générations à Manhattan à travers les politiques de l’espace négociées dans l’œuvre d’Ernesto Quiñónez et d’Abraham Rodríguez. Les métropoles de l’Amérique de Nord accueillent également des minori-tés d’origine ashkénaze, sépharade et maghrébine. À travers leur expérience, le troisième chapitre »Quêtes identitaires sépharades et arabes dans le Nou-veau Monde« se focalise tout particulièrement sur le sentiment de déchirure marquant fréquemment la mise en scène littéraire de la diaspora. Torturés par les appartenances multiples et l’exclusion, les sujets cherchent leur place dans la métropole, soit en essayant de se fondre dans la masse, soit en reje-tant tout ce qui leur vient du mainstream. Ces diasporas, leur positionnement identitaire vis-à-vis des sociétés d’accueil occidentales et majoritairement chrétiennes ainsi que leur rapport à la ville sont mis en fiction par des au-teurs résidant ou ayant résidé au Québec. À travers les textes de Victor Te-boul, Naïm Kattan et Régine Robin, Yvonne Völkl nous fait découvrir l’image de la ville de Montréal et la quête identitaire juive dans la littérature migrante juive au Québec, pendant que Mechtild Gilzmer, utilisant la va-riable du gender comme catégorie d’analyse, concentre sa lecture sur des écrivaines et conteuses québécoises d’origine sépharade et maghrébine. Partant de l’idée des binarismes opposant des univers foncièrement diffé-rents – Montréal et Alexandrie, handicap et mobilité, hétéro- et homosexuali-té – la lecture proposée par Émilie Notard de Galia qu’elle nommait Amour d’Anne-Marie Alonzo, née en Égypte et installée au Québec depuis l’âge de douze ans, met en valeur la qualité déconstructiviste de ce roman. Égale-ment dans une perspective déconstructiviste, l’essai de Maximilian Gröne met finalement en exergue l’apparente dichotomie entre l’occidental et l’oriental dans l’œuvre de Naïm Kattan tout en la faisant dialoguer avec la philosophie d’Emmanuel Lévinas.

Finalement, nous remercions vivement toutes les personnes et institu-tions qui, par leur soutien compétent et infatigable, ont contribué à la réalisa-tion de ce volume.

55 À notre plus grand regret, Frauke Gewecke qui nous a fidèlement porté conseil durant

la réalisation de ce projet de publication est décédée avant sa finalisation. En marque de respect, nous tenons à dédier ce livre à sa mémoire.

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