Développement des territoires

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Ce cahier est réalisé avec Nathalie Bertrand, animatrice adjointe du thème de recherche Développement territorial et agriculture multifonctionnelle, et les équipes Irstea Grenoble, Clermont-Ferrand et Bordeaux. © DR Afin de mieux affirmer ses missions, le Cemagref devient Irstea. www.irstea.fr Une ville, un champ, deux territoires : la France présente une grande variété d’espaces. © C. CEDRA/IRSTEA Questions de disparités P ourquoi s’intéresser aux disparités entre les terri- toires ? Parce que ces es- paces constituent le siè- ge d’interactions, d’échanges et d’évolutions qui concernent aussi bien l’économie, la démographie et la création de ressources que la répartition des noyaux urbains, des zones périurbaines et rurales au sein de l’espace national. « La question des disparités n’est pas nouvelle, précise Nathalie Ber- trand, économiste au centre Irs- tea à Grenoble. Présentées sous l’angle de la diversité, celles-ci peuvent être considérées comme un atout favorisant les complémenta- rités territoriales, les opportunités de valorisation, la variété des voies de développement. Mais elle se pose de façon différente dans un contexte de faible croissance , où l’attention se focalise sur le lien entre disparités territoriales et iné- galités sociales... Nous nous inté- ressons aux ressorts de développe- ment des territoires, notamment lié aux ressources naturelles et culturelles. » En France, 60 % de la population, soit 37,8 millions d’habitants, résident au sein même des pôles des grandes aires urbaines, qui représentent envi- ron 10 % du territoire. Le reste de la population se répartit dans des zones périurbaines ou rurales dont les ressources et les dyna- miques sont très variées. Qu’il s’agisse de montagne ou de litto- ral, de proximité ou d’éloigne- ment de centres urbains, les dis- parités mais aussi les inégalités territoriales s’imposent dans les choix de politiques publiques…, une problématique dont s’est saisi le thème de recherche DTAM (Développement territorial et agriculture multifonctionnelle) à Irstea. « Nous nous intéressons à la spatialisation de processus écono- miques et sociaux et à leur interac- tion avec les enjeux environnemen- taux, explique Nathalie Bertrand. Nos connaissances s’inscrivent dans une perspective d’accompa- gnement et d’aide à la décision publique. » Irstea a ainsi contri- bué en 2011 à la nouvelle typolo- Des chercheurs en sciences humaines et sociales d’Irstea étudient le développement des territoires français et européens. La question des disparités se pose sous un nouveau jour dans un contexte de stagnation économique et de défis environ- nementaux majeurs. Irstea : RECHERCHE, SCIENCES ET TECHNOLOGIES pour l’environnement DéVELOPPEMENT DES TERRITOIRES Irstea / La Recherche / N°471 / Janvier 2013 33

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n°5_janvier 2013

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Ce cahier est réalisé avec nathalie Bertrand, animatrice adjointe du thème de recherche développement territorial et agriculture multifonctionnelle, et les équipes irstea grenoble, Clermont-Ferrand et Bordeaux. © dr

afi n de mieux affi rmer ses missions, le Cemagref devient irstea.www.irstea.fr

Une ville, un champ, deux territoires : la France présente une grande variété d’espaces. © c. cedra/irStea

Questions de disparités

Pourquoi s’intéresser aux disparités entre les terri­toires ? Parce que ces es­paces constituent le siè­

ge d’interactions, d’échanges et d’évolutions qui concernent aussi bien l’économie, la démographie et la création de ressour ces que la répartition des noyaux urbains,

des zones périurbaines et rurales au sein de l’espace national. « La question des disparités n’est pas nouvelle, précise Nathalie Ber­trand, économiste au centre Irs­tea à Grenoble. Présentées sous l’angle de la diversité, celles-ci peuvent être considérées comme un atout favorisant les complémenta-rités territoriales, les opportunités de valorisation, la variété des voies de développement. Mais elle se pose de façon différente dans un contex te de faible croissance , où l’attention se focalise sur le lien entre disparités territoriales et iné-galités sociales... Nous nous inté-ressons aux ressorts de développe-ment des territoires, notamment lié aux ressources naturelles et culturelles. » En France, 60 % de la population, soit 37,8 millions d’habitants, résident au sein même des pôles des grandes aires urbaines, qui représentent envi­

ron 10 % du territoire. Le reste de la population se répartit dans des zones périurbaines ou rurales dont les ressources et les dyna­miques sont très variées. Qu’il s’agisse de montagne ou de litto­ral, de pro xi mité ou d’éloigne­ment de cen tres urbains, les dis­parités mais aussi les inéga lités territoriales s’imposent dans les choix de politiques pu bli ques…, une problématique dont s’est saisi le thème de recherche DTAM (Développement territorial et agriculture multifonctionnelle) à Irstea. « Nous nous intéressons à la spatialisation de processus écono-miques et sociaux et à leur interac-tion avec les enjeux environnemen-taux, explique Nathalie Bertrand. Nos connaissances s’inscrivent dans une perspective d’accompa-gnement et d’aide à la décision publique. » Irstea a ainsi contri­bué en 2011 à la nouvelle typolo­

des chercheurs en sciences humaines et sociales d’irstea étudient le développement des territoires français et européens. La question des disparités se pose sous un nouveau jour dans un contexte de stagnation économique et de défi s environ-nementaux majeurs.

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gie des campagnes françaises de la DATAR1 qui donne une idée de ces disparités spatiales.

L’ATTRACTIVITÉ DES TERRITOIRES Les recherches menées à Irstea ont apporté des connaissances sur les ressorts de l’attractivité rési­dentielle et touristique des terri­toires ruraux et périurbains. Ainsi,

des recherches en économie me­nées sur le développement touris­tique ont montré l’importance du capital humain, des relations so­ciales sur les facteurs de localisa­tion d’entreprises de tourisme. À Grenoble, les travaux d’économie spatiale menés sur les dynami­ques résidentielles ont montré que les choix de localisation des ménages évoluent en fonction des périodes de la vie, les jeunes re­cherchant les loisirs de centre­ville, les jeunes couples avec en­fants privilégiant les localisations plus périphériques pour l’espace et les ressources environnemen­tales, les personnes âgées se rap­prochant des services de santé.

Les travaux menés sur l’attracti­vité mettent en avant le lien étroit entre fonctionnement et trajec­toires des exploitations agricoles et l’entretien et les usages de l’es­pace. De plus, l’analyse des prix fonciers menée à Bordeaux a souligné l’importance relative de la demande d’accès aux res­sources naturelles et patrimo­niales comme facteur explicatif du différentiel de rente foncière dans les territoires littoraux.

UnE nATURE « ÉCOnOmIqUE » Au­delà des choix de protection ou de préservation des ressour ces, le lien entre les dimensions pro­ductives des activités et la fourni­ture de biens non marchands est souligné : usages productifs et ser vices environnementaux pour l’agriculture, ressources et attrac­tivité touristiques, etc… « Les acti-vités de production dans les espaces ruraux se recomposent aujourd’hui sur d’autres bases, commente Na­thalie Bertrand. Le développement de la filière bois-énergie illus tre ainsi une des nouvelles formes de rapport secteur économique-terri-toires. » Qu’il s’agisse de biodiver­sité forestière ou de littoral, les re cherches menées au centre de Bordeaux montrent l’importance des valeurs économiques non marchandes et, sur la forêt litto­rale aquitaine, celle de la concilia­tion entre les multiples usages du patrimoine forestier dans des zo­

nes à forte attractivité. Du point de vue de la sociologie et des scien ces politiques, les cher­cheurs s’interro gent sur les pro­cessus de « mise en économie de la nature », c’est­à­dire l’attribu­tion d’une valeur marchande… et ses implications sur la dimension démocratique.

L’ACTIOn pUbLIqUE à LA LOUpELes disparités territoriales conduisent à reconsidérer les politiques publiques du point de vue de leur efficacité et de leur équité. Ainsi plusieurs analyses sur l’impact des politiques pu­

J’ai travaillé avec les équipes du centre Irstea de Clermont-

Ferrand sur deux projets européens. Le premier portait sur l’agriculture multifonctionnelle. L’institut avait développé une approche très innovante et créative, qui croisait les sciences environnementales et économiques. Les équipes interdisciplinaires savent très bien travailler ensemble. Le travail s’est conclu par un livre dans lequel nous avons élaboré une analyse théorique et une mise en pratique de la gestion des paysages par les agriculteurs français. Dans le cadre d’un second projet, baptisé « Seamless », sur l’agriculture et l’environnement, les chercheurs d’Irstea ont développé de très bons indicateurs pour évaluer l’impact de l’agriculture multifonctionnelle non seulement au niveau des exploitations, mais aussi au niveau régional. Or jusqu’à présent, nous avions peu de résultats à cette échelle, qui relient la production agricole et la production de paysages. ”

Témoignage

Floor brouwer, Directeur du département de Recherches sur la gestion des ressources naturelles au LEI (Pays-Bas) © dr

Vue aérienne d’un quartier résidentiel de L’aiguillon- sur-mer, sur le littoral vendéen. © philippe devanne /Fotolia.com

60 % des Français résident au sein des pôles des grandes aires urbaines.

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bliques sont menées. À Cler­mont­Ferrand, les chercheurs ont par exemple montré l’effet des fonds structurels européens, notamment le FEDER, sur les ré­gions en retard de développe­ment et les retombées positives sur la croissance et le PIB visibles sur les zones à proximité. « Nos travaux ont aussi porté sur les ef-fets des mesures agroenvironne-mentales territorialisées (MAET) et sur le rôle d’institutions, comme les parcs naturels régionaux, sur le développement local », ajoute Na­thalie Bertrand. Les eff ets de la redistribution du revenu entre groupes sociaux (politiques fis­cales) sur les inégalités régio­nales ont aussi été étudiés. Par ailleurs, des travaux de socio­logie sont développés sur le prin­cipe de justice et la probléma­tique de l’accès aux aménités* naturelles en lien avec les poli­

tiques publiques et leur lien avec les inégalités sociales. Ainsi, lors du suivi de la concertation qui a précédé la création du Parc natu­rel régional des Calanques (voir cahier Environnement & démocra-tie participative, La Recherche n° 467), des sociologues du cen­tre de Bordeaux ont par exemple mis en évi dence les différences d’accès à cet espace entre les po­pulations de la région. Mais l’iné­galité environnementale s’étend aussi à l’exposition aux risques (sanitaire, technologique ou cli­matique). Le sentiment d’inéga­lité des populations concerne plus largement des ques tions telles que la distance physique par rapport à l’emploi, les cartes scolaires ou encore le finance­ment local des biens publics lo­caux. « Un croisement entre inéga-lités socio-économiques et environ-nementales constitue pour nous

Mené en France dans la région Auvergne, le projet PRIMA cherche à comprendre les mutations en cours dans les territoires ruraux afi n de pouvoir les accompagner. © c. tailleUX irStea

aménités : aspects agréables de l’environnement naturel ou social qui ne sont ni appropriables ni quantifi ables en termes de valeur monétaire.

une source stimulante de renouvel-lement de nos questionnements de recherche et des synergies entre sciences dites “dures” et sciences sociales, entre recherches opéra-tionnelles et fondamentales », sou­ligne Nathalie Bertrand. Avec comme préoccupation perma­nente d’améliorer les connais­sances et outils d’analyse qui fondent les choix publics.

1. Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale.

*

L’AVEnIR DES GRAnDS ESpACESComment vont évoluer les communes d’une région rurale comme l’Auvergne ? Pour le savoir, les chercheurs du centre Irstea à Clermont-Ferrand ont analysé les données démographiques, sociales et économiques des municipalités auvergnates. Ils ont notamment examiné l’évolution des individus et des ménages (naissances, décès, mises en couple, séparations…), les migrations et les changements d’activité. Cette étude commencée en 2008 s’inscrit dans le cadre du projet européen PRIMA, dont l’objectif est de modéliser ces processus à l’échelle communale afi n d’évaluer l’impact des politiques européennes sur le développement territorial en lien avec la multifonctionnalité des espaces ruraux. Cinq autres régions, situées en Angleterre, en Allemagne, en République tchèque, en Croatie et en Bulgarie, font partie du projet.

Site internet : https://prima.cemagref.fr/

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Quels aspects vous intéressent dans les recherches d’Irstea ?

À la DATAR, nous avons besoin d’une expertise pour argumenter technique-ment et politiquement autour de la mise en œuvre des politiques publi-ques en montagne, notamment pour la loi Montagne de 1985. Les travaux en sciences sociales ou sciences dures d’Irstea nous sont pour cela utiles, car ils ont des applications relativement immédiates et opérationnelles.

Quels sont vos besoins pour votre action au sein des stations de ski ?

Nous savons que l’activité des stations est menacée par le changement clima-tique. Mais comment prendre le virage de l’après « tout ski » ? Nous avons besoin pour cela de connaissances approfondies sur la dynamique des territoires touristiques ainsi que de statistiques fi ables à leur sujet. Nous devons comprendre comment ils fonc-tionnent et comment les décisions relatives à leur aménagement sont prises. Irstea nous aide à pointer la lorgnette au bon endroit. Nous avons déjà quelques hypothèses de travail, notamment pour les stations qui ne sont pas sur le marché mondial et seront plus fragilisées par le manque de neige. Elles sont aussi capables de saisir les opportunités liées aux nou-velles attentes des clientèles.

De quels outils disposez-vous ?

Une typologie fonctionnelle complète des espaces touristiques est en cours d’élaboration. C’est un outil d’orienta-tion important pour envisager, par exemple, de reconquérir la saison d’été et proposer des pistes de diver-sifi cation. Elle nous aide aussi à orien-ter l’affectation de moyens publics.

JEAn-pIERRE CHOmIEnnE,Commissaire à l’Aménagement au Développement et à la Protection du massif des Alpes © dr

3 QUesTions À

en 2015, la loi Montagne aura trente ans. C’est avec ce dispositif

que les quelque 6 100 communes de haute et moyenne montagne, seules ou en groupements, sont devenues responsables de la mise en œuvre des opérations d’aménagement touris­tique au sein de leur espace. « Pour les domaines skiables, les communes ont par exemple le choix entre la gestion directe ou la délégation à un opérateur privé, explique Emmanuelle George­Marcelpoil, qui analyse depuis plus de dix ans l’organisation de ces espaces touristiques à Irstea Grenoble. Avec la loi Montagne, les questions de partena-riat privé-public se sont retrouvées au cœur de l’organisation des stations de ski. » Les enquêtes de terrain et les recherches au sein de l’institut ont mis en relief les performances et les dys­fonctionnements des stations. Le dia­gnostic a été présenté aux acteurs de la montagne lors d’un colloque orga­nisé en 2004 à Chambéry par Irstea et le CNRS. Ces travaux ont été d’autant plus appréciés que le secteur connaît aujourd’hui des incertitudes liées, entre autres, à la maturité du mar­ché… et au changement climatique. « Les investissements massifs dans la

neige de culture pour faire face aux aléas de l’enneigement ont provoqué de fortes controverses. La consomma-tion d’énergie et la disponibilité de la ressource en eau ont été montrées du doigt – Les Arcs ont par exemple construit une retenue d’altitude de 400 000 m3. Pour les stations de moyenne montagne, la diversifi ca-tion de l’off re touristique est présentée comme un impératif. Nous avons com-mencé une veille à ce sujet. Les réfl exions varient dans chaque station selon l’histoire du lieu, les types de gouver-nance et la situation socio-économique et politique. » Un système d’informations portant sur les 147 stations alpines a été éla­boré à la demande du Commissariat de massif des Alpes. Un atlas a été mis à la disposition des acteurs publics et privés du secteur. « Un nouvel enjeu pour ces stations concerne l’immobilier loisir ancien et vétuste, inadapté à la demande de la clientèle actuelle, sou­ligne Emmanuelle George­Marcelpoil. Nous avons récemment engagé une recherche sur cette thématique afi n de disposer de données fi ables et robustes mais aussi de comprendre les stratégies foncières locales. »

Irstea, institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture Comité éditorial : Direction scientifi que, Direction de la communication-relations publiques IrsteaRédaction : Myriam DétruyConception graphique et réalisation : A noir,

alors que le marché touristique et le climat évoluent, les stations de ski doivent faire face à des incertitudes quant à leur devenir. elles sont gérées différemment selon les modes de gouvernance.

Les stations de sports d’hiver en plein virage

La station de La plagne (savoie), construite dans les années 1960, a initié des travaux de rénovation. © irStea

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