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Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
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EPS-2013-35
Rapport synthetique
Description de la vulnerabilite des societes, des organisations ou des
regimes politiques, selon leur nature, face aux possibilites offertes par
les moyens de communication
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
2 L’objet de l’etude est de decrire la vulnerabilite des societes, des organisations ou des regimes
politiques, selon leur nature, face aux possibilites offertes par les moyens de communication.
Cette etude est nee d’une certaine febrilite qui a atteint le monde occidental a la decouverte de
l’omnipresence des medias sociaux dans l’explosion des revoltes dites du Printemps arabe.
L’irresistible elan de celles-ci en Tunisie et en Egypte vis-a-vis de regimes politiques juges
forts, a laisse croire que la cle de leur succes se trouvait dans ces medias sociaux. Une nouvelle
ere imprevisible s’ouvrait alors devant nous, chassant les elites et declassant les generations.
Non maıtrisables, croyait-on, et donc non maıtrises, ces medias sociaux pouvaient amener
tous les desordres et dans une certaine mesure, decupler le pouvoir de la rue.
Au fil des mois d’etude, l’affaire est apparue plus complexe, plus embrouillee. Un outil
technique, internet et toutes ses applications, un deuxieme outil, le telephone portable, sont
venus opportunement a la rencontre d’une societe mondiale en pleine evolution. Celle-ci est
sans doute selon les etats concernes, a des stades plus ou moins avances. Mais la nature des
relations humaines, individuelles et collectives, evolue non sans contradictions et paradoxes.
L’eloignement des elites de l’attente des populations, et donc des populations, en est un des
phenomenes marquants. Bien entendu les secousses en reaction engendrees par cette
evolution, avec le facteur aggravant d’une demographie mondiale folle au regard de l’histoire
de l’humanite, creent des zones de desordres qu’il convient de tenter de maitriser. L’actualite
ne manque pas d’exemples pour le demontrer.
Il a fallu mieux connaitre d’abord de quoi on parlait. La litterature sur le sujet n’a pas manque
dans les premieres annees de cette nouvelle approche mediatique. Qui sont-ils, Facebook,
Twitter, YouTube, Skype, Google+, Dailymotion, Copains d'avant, Deezer, MySpace, Picassa etc,
quel sont leur deploiement, leur usage, leurs usagers, quelles precautions prendre…
La derive narcissique des generations les plus jeunes, et pas forcement des seuls ados, que
flattent et encouragent les reseaux sociaux, a ses multiples effets. Ainsi des details sur les
operations en cours sur tel batiment de la Marine nationale, apparaissent sur des pages,
personnelles mais tres accessibles. Ainsi les autorites russes ne peuvent masquer la presence
de troupes en Ukraine, toujours pas des indiscretions de leurs soldats vers leurs abonnes.
Ainsi les djihadistes de Daech ne s’exposent maintenant plus, ayant ete cibles et mis hors de
combat apres s’etre avantageusement exposes sur les reseaux sociaux. Sur le plan personnel,
ce sont les traces indelebiles laissees par des faits compromettants de moments de folie meme
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3 tres passagers, qui font le miel des directions de RH. Plus risquee peut-etre est la pratique du
sexting, photos erotiques theoriquement a faible duree de vie, qui circulent sur le net, avec les
effets que l’on peut imaginer pour celle qui s’est mise en scene un peu hativement. Enfin, car il
faut bien en rire un peu, la pratique des selfies, autoportraits souvent a deux, favoriserait le
developpement des poux par la proximite repetee des chevelures de ceux qui ne se lassent
pas de tourner l’appareil vers eux.
Il faut en venir aux effets vertueux. Pour une bonne part, ils reposent sur l’adage ancien,
prendre les autres a temoin. Les autres, devient une quantite incroyable de personnes,
touchees par les faits que l’on veut divulguer pour en arreter le cours, pour mobiliser l’opinion
publique dont seul le poids peut enrayer un enchaınement vicieux. Le succes n’est pas
toujours au rendez-vous, mais la demarche a pu se faire et l’alerte se donner. Ainsi le port du
voile en Iran, des femmes ont mis sur le net des photos d’elles sans leur voile. Mais malgre le
soutien ecrit de leur mari, de leurs freres, elles n’ont pas obtenu satisfaction, et se font l’une
apres l’autre rattraper par la justice. Ainsi en France tel conseiller technique d’un ministre
important se voit contraint de demissionner devant le tolle que finit par provoquer sa
situation. Effet chez l’un, Tunisie, Egypte, long feu chez l’autre, Turquie, pourquoi ? Ce ne sont
pas les medias sociaux qui provoquent le mouvement mais leur contenu et leur audience.
Alors que les journalistes occidentaux regardaient avec gourmandise le dechaınement de
critiques et d’accusations de corruption a l’encontre du premier ministre turc, evidemment
donne perdant aux elections suivantes, celui-ci les a remportees par deux fois avec une belle
majorite, non sans stigmatiser entre autre Twitter dont la menace ne l’impressionnait
visiblement pas.
Chaque cas est donc un cas particulier et merite une analyse particuliere a renouveler a
chaque situation nouvelle, que l’experience permet d’explorer avec de bonnes chances de
succes. Pour etayer cette approche d’une maniere simpliste, on peut dire que la Tunisie a ete
tres sensible aux reseaux sociaux qui ont contribue, en vehiculant l’appel a la mobilisation
soutenu par des arguments forts, a la chute spectaculaire du regime. La Tunisie est toujours la
Tunisie et sa culture profonde n’a pas ete changee par ces evenements. Pourtant les reseaux
sociaux ne la mobiliseraient plus aujourd’hui, faute de messages a vehiculer. Classer les pays,
les societes, au jour J oui, mais cela ne paraıt tres opportun dans le temps. Un des criteres est a
l’evidence la penetration d’internet dans la population, incidemment pas tres elevee encore en
Anatolie, mais quelle donnee est-elle moins fluctuante que celle-la ?
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4 Les medias sociaux semblent avoir totalement accapare la notion de reseaux au point que l’on
ne puisse plus concevoir qu’un media ne possede pas au moins une ramification dans le cyber
au travers de ce que nous nommons les reseaux sociaux et medias sociaux ; deux des
terminologies les plus cites aujourd’hui quand on parle de « l’internet ».
Mais les reseaux sociaux ne remplacent pas les autres medias. Ils s’y ajoutent comme autre
fois la television s’est ajoutee a la radio. L’envie de communiquer, d’exprimer (ou d’afficher)
son opinion, n’est en rien une nouveaute. La nature humaine est ainsi faite. Ce qui change ne
releve pas de la nature humaine mais releve des « circuits », des « tuyaux » que celle-ci invente
pour communiquer : tablette en pierre, papyrus, papier, encre, signaux, telegraphe, radio,
television, numerique et reseaux sociaux.
Le travail theorique est relativement abondant pour tenter de definir et d’exprimer ce
« nouveau monde virtuel », allant de « la societe en reseaux » a « la societe numerique » sans
omettre « les reseaux comme champ de bataille » ou encore les medias sociaux comme
« pouvoir aux sans-pouvoirs » dans un monde totalement nouveau. Or, reseaux
(technologiques ou pas) et organisation sociale ont toujours existes.
Mais la convergence des technologies et des reseaux traditionnellement humains modifient,
ou plus exactement influent, sur la structuration des pouvoirs au sein des societes. Des lors,
les reseaux sociaux favorisent-ils la structuration des pouvoirs et la cohesion des societes dans
lesquelles ils se mettent en place ? Cette question est apparue en filagramme de quasiment
tous les exemples etudies.
L’une des reponses serait de penser les reseaux sociaux au travers de la notion de medias
sociaux reticulaire au sein d’une approche strategique des reseaux sociaux car les medias
sociaux ont ete pense jusqu’a present dans des cadres operatifs ou tactiques, jamais
strategiques. Offensif et defensif d’un point de vue militaire, un reseau est propice a la
propagation de pouvoirs, qu’il soit legaux ou pas, pacifistes ou violents.
Jusqu’a encore recemment, les medias etaient les incontournables intermediaires entre le
corps de la societe, citoyen ou pas, et les elites dirigeantes. Dans ce schema, la formation des
opinions s’averait finalement cantonnee a ce que les medias voulaient traiter ou a l’inverse ce
qu’ils voulaient occulter. Ce temps semble bien revolu. Desormais un media, quel qu’il soit, se
partage, il fait emerger de nouvelles paroles (experts, temoins, …) et il repere des opinions
interessantes ou qui interpellent.
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5 Nous assistons moins a la disparition des anciens media, qu’au double phenomene de
l’affaiblissement des separations instaurees entre eux et a l’apparition de nouveaux moyens
techniques de promouvoir une information. Journaux, radios, televisions possedaient un
contenu specifique et bien souvent un public specifique. Internet fusionne les deux, tout en
transgressant les regles admises entre distribution et reception de l’information, favorisant
l’hybridation de l’information : les emetteurs composent l’information avec de multiples
sources (information patchwork) et encouragent la reactivite des recepteurs via des
plateformes type twitter.
Le premier enseignement strategique est la : l’information n’est plus une donnee finie, n’est
plus la reponse a une recherche d’une donnee finie et delimite ; l’information est devenu un
flux. La recherche d’information n’est donc plus statique (je recherche une information
stockee dans un support), mais immersive au sein d’une concentration de flux, abondants,
rapides, divers, varies et instantanes. Mais le plus interessant est certainement la fugacite de
ces informations : en 5 secondes une actualite a disparu sur twitter… Ce faisant l’actualite est
reactualisee en permanence et perissable.
L’instantaneite est le terme qui definit le mieux les reseaux sociaux : chacun peut desormais
etre informe en temps reel d’un evenement et reagir immediatement a cette information : tout
le monde peut s’exprimer sur tout. Mais s’exprimer pour ? Pour communiquer c’est-a-dire
atteindre et toucher des destinataires ? Pour propager une information ou convaincre ? Pour
un devoir de memoire face a l’oubli ? Pour perturber un pouvoir ?
Chacun est desormais en mesure de dire ce qu’il veut, de montrer ce qu’il veut et d’obtenir par
ce biais l’attention de ce qu’il veut. Les reseaux sociaux devenant un « tuyau » dont chacun
peut s’emparer afin d’y incorporer ses opinions, ses activites, ses sentiments mais aussi tout
ou partie de sa vie.
Ce tuyau determine alors le contenu selon la formule celebre, la forme structure le fond, par le
biais de messages texte (messages de persuasion, de publicite, de propagande, de discours,
d’influence, de rhetorique, …), d’images (information, identification, imitation, modes,
marques, marketing, …), de codes (langue, culture, normes, vocabulaires, thematiques, …), ou
encore de synergies (communautes, associations, ideologies, denonciations, revendications).
En parallele, la determination des opinions est passee de mecanismes verticaux a des
mecanismes horizontaux. Plus precisement, nous sommes passes d’un systeme d’information
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6 centralisee et descendant, a un ecosysteme communautaire geometrique dans lequel un
utilisateur detient a la fois le media et l’expertise : les influenceurs, identifiables par le nombre
de followers sur twitter, par le nombre de vues sur Youtube, etc...
S’informer pour creer du sens n’a jamais semble aussi facile grace a la promesse entretenue
par les reseaux et medias sociaux. Les exemples mis en exergue au sein de cette etude le
demontrent.
Par le biais d’internet et des mobiles / smartphones, on se filme, on se photographie, on
communique et on post en temps reel sur internet sa vie, son intimite, son sentiment et son
opinion sur tout sujet et ce bien au-dela du cercle traditionnel de la famille, pour celui de la
communaute). Cependant, l’etude montre que la communaute n’est pas la collectivite. Les
reseaux sociaux creent en realite, non pas un nouveau collectif, mais une agregation de
multitudes de pluri-individualites, qui se font et se defont au gre des evenements. Pour
autant, l’art de la rhetorique (art de la persuasion) existe depuis plus de 2000 ans…
L’acces aux reseaux et medias sociaux se heurte a des obstacles qui n’ont rien de nouveau.
Premier obstacle, la propagande, le faux, le mensonge, la desinformation, tant dans le texte
que dans l’image (dans ce domaine precis, les nouvelles technologies amplifient mais
n’inventent pas le « trucage »). En second lieu, la surabondance de l’information via internet et
mise en exergue par les reseaux et medias sociaux ; ce que certains nomment « l’infobesite ».
Troisieme obstacle, celui de l’effet de contagion, amplifie par la facilite du « copier-coller »,
reprenant et diffusant une donnee, une information. Ce que nous pouvons aussi definir comme
l’effet d’emballement. Quatrieme obstacle, celui de l’instantane, de l’immediatete et la mise en
exergue de l’actualite, engendrant la mise en emotivite de l’agenda evenementiel puis, apres
concentration de l’attention et mise a l’ecart de parties de la realite, la mise en forme de
l’oubli. La aussi, rien de neuf, Napoleon dans ses Memoires appelait a se mefier des
enthousiasmes spontanes. Enfin, dernier obstacle, celui de s’isoler au sein d’un groupe afin de
renforcer sa perception de la realite au detriment de tout autre pensee et forme de pensee.
Encore une fois, rien de neuf : le telegraphe, l’art de la propagande des annees 1920, la radio,
la television etaient deja soumis aux memes problematiques et obstacles. Internet n’est pas un
objet particulier, ce n’est qu’un vecteur de diffusion de donnees et donc d’informations.
D’autres outils, plus anciens, sont toujours actifs ; mais internet y ajoute la rapidite.
Quels sont les caracteristiques des reseaux sociaux mises en evidence ? D’abord, par leur
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7 rapidite de captation et leur vitesse de diffusion, ils court-circuitent les medias traditionnels,
les institutions et pouvoirs. Ensuite, ils permettent a tous de s’exprimer ou de temoigner (sans
omettre que l’important est d’etre repris, et plus encore d’etre indexe). D’autre part, ils sont le
lieu de nouvelles strategies et celui de nouveaux pouvoirs, y compris dans une dimension
altruiste que celle de l’individu-citoyen. De plus, ils ont un effet liberateur de parole avec pour
corollaire une difficulte a controler cette parole libre. Cette liberte se retrouve mise en
application au sein d’un travail collaboratif, permettant a la fois une sorte de democratie
directe et spontanee en « likant » tel ou tel evenement, telle ou telle decision ; mais aussi
permettant des mobilisations virtuelles ou reelles soudaines par le biais de coordinations
d’individus / utilisateurs epars.
De maniere evidente, ces principales caracteristiques octroient aux reseaux sociaux une
capacite a transformer les cartes des relais d’opinion de maniere imprevisible, augmentant la
difficulte a les controler, et ce faisant, a transformer la cartographie des pouvoirs.
Pour y faire face, ces pouvoirs se doivent alors de mettre en place de nouvelles strategies de
communication reposant sur des caracteristiques precises : la detection des signaux faibles de
changements cruciaux par la mise en place d’une veille (et d’outils adaptes) ; par l’anticipation
des tendances societales (matrice risques/opportunites) ; par la construction de reseaux
bases sur l’echange. Lors du declenchement de phenomene numerique, de maniere classique,
il conviendra a ces pouvoirs de mettre en place a la fois une cartographie des adversaires /
allies ainsi qu’une analyse fine des identites apparentes ; de definir les objectifs strategiques
des acteurs en presence ; enfin de mettre en place des strategies de message (texte, image, …) :
message + argumentation + mise en forme + relais + viralite + indexation.
La ou les reseaux et medias sociaux allies aux nouvelles technologies permettent une reelle
progression, est dans la capacite de comparer, d’analyser, de verifier l’information ; et tout
particulierement desormais dans une demarche d’intelligence collective ou de travail
collaboratif. On s’y sent moins seul dans l’expression de ses opinions et sentiments (y compris
qui autrefois relevaient de l’intime). Plus encore, cette mise en public, cette visibilite confere a
ces opinions une legitimite par illusion de majorite.
La premiere demarche engendree par les reseaux sociaux est celle de la confiance en d’autres
tiers, contributeurs a la verite, permettant son ciblage, son agregation, puis sa production
/coproduction et in fine sa diffusion au sein de ce process de confiance. Et c’est ce cycle qui
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8 desormais etant ouvert a tous sur tout, introduit une regle disruptive dans le processus de
l’information.
De fait, l’un des enseignements que nous pouvons emettre est que l’information (donc sa
manipulation) passe desormais moins par les medias (classiques ou pas) et davantage par des
tiers de confiance (les fameux « influenceurs » -social mediator- du web, dont la terminologie
deja, modifie la perception que nous avons d’eux) qui servent de relais aupres de groupes
identifies fortement reactifs et qui possedent un taux d’implication (taux d’engagement
politique au sens de la polis) superieur a ceux des medias qui continuent de diffuser des
depeches de maniere generale et unilaterale. Et cette problematique de l’unilateralite des
medias dans leur maniere de communiquer (diffuser) l’information est la cause premiere a la
fois de la perte de qualite de la diffusion, et du declin des medias traditionnels.
A l’inverse des medias traditionnels, il ressort de notre etude, une grande diversite de profils
des influenceurs : journalistes, bloggeurs, chercheurs, fonctionnaires, responsables politiques,
ONG, organismes etatiques, etc…, et des profils mixtes recouvrant deux voir plus profils. Autre
enseignement, en fonction de la geographie et des regions du monde etudiees, le profil de ces
influenceurs varie. Certaines regions privilegieront des influenceurs « officiels »
(fonctionnaires notamment), d’autres regions des influenceurs issus de la societe civile ou des
ONG (Moyen-Orient particulierement). Plus encore, dans certaines regions du monde, les
influenceurs, par le biais de communautes reactives et solides, sont devenus plus importants
que certaines collectivites organisees. Enfin, pour que les Etats puissent deployer une
communication efficace ces influenceurs ne doivent surtout pas etre controles par les Etats,
mais se doivent d’etre places au cœur d’un dialogue avec ces derniers.
Trois criteres majeurs transparaissent concernant la pertinence d’influence numerique :
l’exposition de celui qui s’exprime (audience reelle et frequence de publication) ; l’echo (la
viralite et la propagation de son contenu) ; la discussion (l’interactivite suscitee par son
contenu ainsi que la reprise par d’autres formes de medias).
Pour autant, les reseaux sociaux, s’agregeant en communautes, ne favorisent pas en leur
propre sein, l’emergence de debat politique ouvert et pluraliste puisqu’ils valorisent en realite
l’information/opinion/sentiment que l’utilisateur a envie de consommer. Les reseaux sociaux,
en effet, favorisent le renforcement de la communautarisation politique par preference. De ce
fait, il convient de constater que ces affiliations par communautes politiques, favorisent la
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9 creation et le renforcement de solidarites choisis et augmentent la polarisation politique des
societes.
Mais a l’evidence si les influenceurs different de profils, il en est de meme des reseaux sociaux,
a l’instar des deux plus emblematiques que sont Twitter et Facebook.
Au depart, Facebook etait un reseau social connectant des utilisateurs entre eux, dont le
modele economique etait exclusivement base sur la distribution de publicites via le « mur »
(encore le cas de nos jours). Cette politique economique a conduit a l’effondrement des
revenus publicitaires par une chute vertigineuse de l’utilisation par les utilisateurs de
l’organic reach (nombres de personnes pouvant se connecter sans payer sur une publication
au sein d’une page). Or, de ce point decoulait la viralite des contenus qui interessait en tout
premier lieu les entreprises. Facebook a du alors modifiee son modele economique afin
d’enrayer le depart des utilisateurs, essentiellement occidentaux et devient une plateforme ne
connectant plus des utilisateurs mais connectant du contenu y compris sous forme de videos,
tout en favorisant la viralite du contenu par le biais d’applications et de plateformes
specifiquement dediees.
De ce fait, Facebook a privilegie un recours massifs aux sites d’informations, permettant le
relais d’informations : a titre d’exemple le trafic entrant sur le site internet du New York Times
provient davantage des reseaux sociaux que de la page d’accueil du journal. Facebook, plus
qu’un simple reseau social est devenu un agregateur d’informations. Mais, ces informations
sont triees : ainsi, 70% des informations ne sont pas mises a dispositions (caches a
l’utilisateur), Facebook selectionnant le contenu potentiellement viral afin de le mettre a
disposition des utilisateurs, ciblant le contenu pouvant satisfaire l’utilisateur (en fonction des
champs dument renseignes par ce dernier) et occultant le reste. Toujours a titre d’exemple (et
de comparaison) lors des emeutes de Ferguson aux Etats-Unis, cet evenement etait l’un des
premiers items de Twitter tandis que Facebook mettait en avant le defi Ice Bucket…
Twitter, sans revenir dessus en detail, est un reseau de micro blogging. A l’origine, reseau de
contenus exhaustif, Twitter est tente par la publicite en ligne (raisons financieres obligent) et
envisage un temps de modifier le « fil » des usagers en fonction du contenu. Devant l’echec de
l’integration volontaire de ces modifications, Twitter les a integres de force dans son fil
d’actualite afin de creer des communautes d’interets, puis de consolider l’impact sur les listes
de communautes des differents contenus, enfin de valoriser outre le contenu, l’analyse de
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10 contenu en fonction des dites communautes d’interets. De meme, nous assistons a un
appauvrissement de contenu par le biais des mesures d’audience : les sujets evoques, les
sujets consultes sont-ils ceux dont nous avons envie de debattre ?
Nous retrouvons la, chez Facebook comme chez Twitter et la totalite des reseaux sociaux
analyses, un enseignement majeur : si la democratie repose sur un droit libre a l’information
et a l’expression d’opinions, les reseaux sociaux favorisent des informations tronquees, des
opinions polarisees, des interets communautaires ; ce que les philosophes et sociologues
rencontres nomment « une dissonance cognitive » et une « majorite illusoire ».
La recherche de l’effet s’appuie sur la rigueur (apparente ou reelle) des arguments, de la
demonstration, de l’emotion suscitee, des valeurs mises en cause. Mais, toujours en adaptant
le « message » aux recepteurs par le biais d’un systeme d’influence atomise a l’echelon de
l’individu et quasi-invisible lorsque les actions se deroulent sur les metadonnees.
De ce fait aussi, la qualite de l’information change aussi de nature : une bonne information
etant, non pas jugee en fonction de sa veracite ou de sa pertinence, celle en capacite d’etre
seduisante, c’est-a-dire signalisee, reproduite, amplifiee, valorisee dans l’instant car le gagnant
est celui qui gagne le plus de temps de cerveau. Et, pour le reseau, la question n’est plus celle
de la richesse de l’information ou de la richesse de la source, mais la correlation et la
contextualisation de l’information et des donnees : le pouvoir repose alors sur la capacite
d’indexer et de signaler.
Les reseaux sociaux et la revolution numerique entraınent un flux de donnees, donnees
massives ou « big data » conduisant en tendanciel entre 2010 et 2020 a une multiplication par
40 des informations, avec une evolution exponentielle (90% des donnees actuellement
disponible ont ete produites durant les deux dernieres annees) et un doublement tous les
trois ans : Facebook genere quotidiennement 10 teraoctets de donnees (1 teraoctet = 1 000
milliards d’octets) ; twitter 7 teraoctets ; 10 millions de photographies sont postees chaque
heure sur Facebook, tandis que 800 millions d’heures de videos sont telecharges par seconde
sur Youtube. La masse de ces donnees pose l’interrogation de la protection des donnees et de
la protection de la vie privee.
Pour les experts rencontres, ce phenomene du big data n’est pas sans implications. Premiere
consequence, les moyens technologiques permettent de traiter ces donnees de masse et de
travailler a des niveaux d’analyses de granularite variables, permettant des observations
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11 fondees sur des correlations observees jusqu’ici impossibles a realiser. Seconde consequence,
intrinsequement liee, cette masse de donnee permet de s’affranchir de la quete de la mesure
exacte permettant l’entree dans « l’ere du predictif » : un nuage de donnees et d’evenements
feront l’objet d’une probabilite de realisation, qui deviendra une certitude pour les medias y
compris sociaux dans le cadre d’une prevision auto-realisatrice (dictature des donnees). Ce
qui n’est pas sans implications, notamment en termes de personnes presumees futures
coupables. Troisieme consequence, la fin du lien de causalite. Autrement dit, les donnees de
masse ne s’interessent pas au « pourquoi » et se limitent au « quoi ». Et a partir de ce lien, des
scenarios du possible sont elabores.
Cette dictature des donnees appelle des reserves et des limites, et notamment les occurrences
isolees ne doivent pas etre interpretees comme somme de micro-occurrences, tout comme
causalite et correlation ne peuvent etre des concepts disjoints. Plus encore, la masse de
donnees ne doit pas nous abstraire de la recherche des causalites sous pretexte d’une
connaissance operatoire suffisante.
De fait, l’instantaneite engendre aussi une propension au zapping et la confiance envers la
communaute aboutit aussi a un phenomene de defiance structurelle envers le reseau. Plus
encore, ces deux notions sont changeantes, « spasmodiques » selon l’expression du sociologue
Jean-Marc Lech. Les utilisateurs adherent, suivent, se renient, se retirent, s’eloignent pour des
raisons diverses aussi rapidement et soudainement qu’ils avaient pu adherer a la communaute
et octroyer leur confiance. La confiance n’est plus donnee ni durable a jamais.
Des lors, les pouvoirs pour exister devront se moduler et se composer en fonction des parties
prenantes. En ce sens, la legitimite des pouvoirs reposera sur la capacite d’ecoute,
d’integration, de vision et definition. Mais, ce faisant, il est a craindre que les pouvoirs
politiques se contentent de suivre les pulsions sociales / societales du moment afin d’obtenir
leur legitimite a gouverner. Les societes risquent alors de devenir « molles » et
« spasmodiques », gerant les emotions dans l’instantane avec des leaders politiques (leaders
d’opinions) ephemeres.
Souvenons-nous de Ciceron et des Vespasiennes. A Rome, pour contester une decision ou se
moquer des politiques, les citoyens sur les parois des vespasiennes inscrivaient leurs opinions
/ sentiments / ressentiments … ce que nous nommerions aujourd’hui des graffitis… Que ce
soit en Chine avec Weibo, en Occident avec Twitter, que faisons-nous d’autre que de
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12 « graffiter » nos opinions… Sans objectivite, nous parlons de nous, de ce qui nous est legitime,
de ce qui nous semble important ou pas, de ce qui nous emeut ou pas, de qui nous fait rire et
sourire ou pas, …. Pas de creation reelle d’information, juste un recyclage subjectif…
Deux evolutions majeures ont rapidement vu le jour dans le monde des reseaux sociaux, elles
etaient inevitables. La premiere est le controle, aussi imparfait soit-il mais non sans effet, des
reseaux par les etats. Il devient possible de les interdire, de les limiter sur son territoire. Bien
entendu des chemins detournes existent, VPN en particulier, pour contourner la loi. Mais ils ne
relevent pas d’operations de masse. Controler les reseaux sociaux demande certainement une
bonne organisation et un peu de savoir-faire. La Syrie y parvient magistralement et son regime
mis en difficulte par le jeu des influences tribales ou confessionnelles, n’a pas succombe sous
leur pression. L’arme n’est pas toujours mortelle.
« Quand on sait que la première capitalisation boursière au monde est Apple, une entreprise
d'informatique. Quand on sait que la première fortune mondiale est mexicaine et bâtie dans les
télécommunications. Quand comme chacun on a pu assister aux révolutions iranienne en 2009
puis tunisienne, égyptienne, libyenne, yéménite, syrienne. Quand, à la Défense, à Wall Street, à
Madrid, à Athènes, à Bucarest, à Washington, à Belgrade, des groupes manifestent avec les
mêmes slogans, les mêmes outils, les mêmes références. Quand on réalise que si Facebook était un
Etat, il représenterait le troisième du monde avec sa population de 800 millions d'utilisateurs
derrière la Chine et l'Inde. Un Etat particulièrement bien documenté sur sa population, c'est le
moins qu'on puisse dire. Quand on pense à la relation tumultueuse entre Google, une entreprise,
et la Chine, un Etat. Une relation ponctuée de batailles, d'attaques, de menaces une relation entre
entités souveraines et puissantes. Quand enfin on songe aux câbles sous-marins et terrestres
d'internet qui sont devenus une des données indispensables à la compréhension et l'analyse du
monde actuel et de son économie… »
A l’ere de la mondialisation (phenomene economique et culturel) et de la globalisation
(phenomene politique et social) ce sont bien les societes qui se trouvent desormais au sein
d’un reseau dense de dependances transnationales, y compris par le biais de reconquete
nationale.
Et, c’est bien le premier phenomene qui est a la source. Les mouvances culturelles permettent
de s’extraire des filiations classiques et/ou traditionnelles. Ainsi, a titre d’exemple, le bi ou
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
13 multilinguisme permet le nomadisme y compris salarial ou economique, engendre la mobilite
permanente, les vies hors frontieres familieres ; sans pour autant remettre en cause
mecaniquement les identites. Bref, dans une belle expression, « avoir des racines et des ailes »
permet d’aboutir a des societes heterogenes a dimension planetaire mais renvoi
immediatement a une question fondamentale : quel est l’ordre politique dont le monde a
besoin ?
La mondialisation (economique) en modifie les regles de la politique internationale et les
caracteristiques du pouvoir. ; modifiant par la renegociation (violente ou pas) de la
domination legitime. L’abolition de differentes frontieres (economique, politique, societale)
marque le debut d’une nouvelle tension sur le pouvoir et les contre-pouvoirs, ainsi que sur le
notions et concepts de violence, de legitimite, de transformation, voire de revolution(s). A
rapprocher de la vision de Karl Marx predisant que la mondialisation du capital (et non pas les
politiques des Etats) qui briserait les politiques nationales…
Et ce sont bien les reseaux sociaux qui realisent en partie la vision de Kant : « se penser
comme un membre a part entiere de la societe civile mondiale, conformement au droit des
citoyens, est l’idee la plus sublime que l’homme puisse concevoir quant a sa destination ».
Double loyaute et legitimite que celle du citoyen de la polis (de la cite et de l’Etat) mais aussi
du citoyen du monde transcendant les frontieres, les langues, les ethnies, les religions, les
cultures, les classes sociales. Sorte de double patrie valable pour tous.
De ce fait, il convient de distinguer dans ce que certains sociologues appelleraient un « jeu »
ou un « meta-jeu » (Ulrich Beck), les institutions (regles implicites ou explicites presidant a
l’exercice du pouvoir), des organisations (designant les acteurs) et les individus. Desormais, la
Politique s'affranchit des Etats et des frontieres, introduisant des acteurs supplementaires,
des nouvelles regles, des nouveaux rythmes.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
14 Evolution Sociétale aux regards des thématiques réseaux sociaux
Frontieres Correspondance des frontieres
Distinction nationale entre interieur et exterieur
Appartenance politique forte
Identite nationale
Politique des frontieres (lien qui unit)
Thematiques transverses et transnationales
Appartenances politiques plurielles
Identites multiples
Fin des frontieres ?
Social Sociologie centree sur l’Etat
Inegalites sociales vecues en interne
Hierarchie infra-nationale
Classes sociales
Ethnicite sociale plus migrations = risques
Sociologie transnationale
Desetatisatiuon des problematiques sociales
Societe globale
Migration = chance
Mobilite sociale continentale et planetaire
Village planetaire
Nouveaux gueux mondiaux
Culture Ethnicite forte / religiosite
Culture hegemonique
Problemes de minorites
Assimilation / integration contre immigration
Cultures mondiales
Melange majorites et minorites
Differenciations ethniques et religions
Ethnies et religions plurielles
Village planetaire
Fin des identites au profit d’identites desesentialisees
Ethnique Exclusion
Absence de l’autre
Particulier versus universalite
Presence de l’autre
Representativite de l’autre
Universalite versus particulier
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
15 Economie Economie nationale
versus mondialisation
Marches locaux
Consommateurs locaux puis nationaux
Distinction economie nationale / internationale
Societe mondiale de l’economie
Consommateurs mondiaux
Classes sociales mondiales
Capitalisme mondial polyethnique
Globalisation capitaliste
Etat/ politique Etat = nation + territoire
Etat-nation regit la politique de la societe
Independance nationale
Souverainete nationale
Deterritorialisation du Politique et de son espace d’application
Autonomie versus souverainete
Echelle transnationale
Post-westphalie
Monde dual
Ainsi, jusqu’a recemment (de 1648 a 2001, l’age historique des Etats) le regard militaire
considerait ses semblables, c’est-a-dire les autres organisations militaires similaires.
Desormais (depuis 2001), la mode militaire est au transnational qui sont le fait d’individus ou
de reseaux infra-etatiques. Fin du monopole de la violence pour l’Etat au profit d’une
individualisation de la guerre et d’une flexibilisation de la designation de l’ennemi. De ce fait
aussi, en aparte, devalorisation des formes d’alliances rigides au profit d’alliances souples,
flexibles. En parallele, apparition de nouvelles formes de guerres, non declarees, donc rendant
impossible negociations et traites de paix… Les anciennes institutions fondamentales, les
anciennes regles, les formes d’organisation, les roles des acteurs ne sont plus clairement
definis.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
16 Evolution des caractéristiques Etats / Régimes / Organisation / Sociétés
INTERNE EXTERNE
CONCEPTS/IDEES Politique interieur
Frontieres
Reference Etat national
Politique des frontieres
Politiques transnationales
Reference hors cadre national
NORMES Etat-national
Monde westphalien
Etat souverain
Territorialite
Politique de la force
Etat international
Regulation economique
ONU/AEIA/OCDE/…
Droits de l’homme
Loi
ACTEURS / STRATEGIES Acteurs nationaux
Etat national
Gouvernements, partis politiques, etc..
Diplomatie
Positions formulees dans le cadre du systeme politique
Interets communs qui organisent la mobilisation
Centres de pouvoirs supranationaux
Politiques interetatiques et supra-etatiques
Societe civile
Acteurs transnationaux
LEGITIMATION Domination legale
Monopole de la violence
Voies democratique ou autres types de regimes y compris dictatoriaux
Fragmentation du pouvoir et des contre-pouvoirs
CULTURE Ideal commun de la Nation
Homogeneite de la societe et de la culture (y compris de la langue)
Diversite culturelle
Traditions plurielles
Langues plurielles
Heterogeneite de la societe
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17 MILITAIRE Guerre versus paix
Armee
Allie-Ami versus Ennemi
Intervention humanitaire
Ni paix ni guerre
Absence d’ennemi mais que des adversaires potentiels
REALITE Cadre de reference reste l’etat national
Problematiques nationales
Pessimisme culturel
Cadre de reference transnational
Globalisation et mondialisation
En d’autres termes (et pour simplifier) les nouveaux princes sont-ils les politiques ? Les
patrons des grands groupes transnationaux ? Des organisations comme Amnesty International
ou a titre illustratif Greenpeace ? Des medias comme Al-Jazeera ou Google, YouTube ? Des
reseaux d’individus lies par des nodes (des nœuds) a l’instar d’Instagram, Twitter ou de
Facebook ? Des groupes d’individus relies par une ideologie creatrice ou destructrice agissant
a la fois au niveau local et au niveau transnational ? Ou des individus isoles ?
La reponse est malheureusement simple : les acteurs ne sont pas definis ni identifies en tant
que tels, c’est dans l’action Politique que les acteurs se constituent, se revelent et s’organisent.
De la, decoule aussi une asymetrie de pouvoir entre les acteurs anciens (Etats, societes et
organisations traditionnelles) et les nouveaux acteurs a capacite strategique.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
18 Transformation et niveau d’application de la légitimité politique
ETATS / REGIMES / SOCIETES
RESEAUX SOCIAUX
CADRE National et International Transnational
NIVEAU D’APPLICATION Societe internationale des Etats nationaux
Souverainete du droit des Etats et de la Force
Monopole de la violence
Acteurs transnationaux
Organisations supranationaux
Grands groupes transnationaux
SUJET Etat national
Droit national / international via traites (securite collective)
Individus, Etats, societes, organisations
SOURCE DE LEGITIMITE Democratie / Religion
Pouvoirs
Autolegitimation
FONDATION Contrat social et contrat politique
Droits de l’homme
L’ordre des nations est donc fondamentalement modifie. Dans ce cadre encore theorique, le
concept de strategie (la contingence du Politique devient action) prend egalement un sens
particulier. Les anciennes regles fondant sa legitimite (objectifs et intentions) disparaissent au
profit de notions abstraites de systemes strategiques (perspectives d’actions
interdependantes) engendrant de nouveaux espaces de possibilites.
Les nouveaux acteurs se definissent comme transnationaux et trans-legaux, c’est-a-dire en
capacite d’instituer le droit en s’octroyant une capacite legislative. En parallele, ces nouveaux
acteurs visent a developper l’innovation (entendue dans un sens generique, donc comme le
recours systematique a la production de nouveaute y compris dans le cadre institutionnelle)
tout en refusant le concept de frontiere.
Non seulement l’Etat-nation ne possede plus le monopole de la violence, mais il perd celui de
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
19 la capacite legislative d’ou la diversite des modes de regulation et des processus de creation et
legitimation du droit, ce qui le privatise). Ici se pose le probleme du pouvoir et celui de la
legitimite… Celle des reseaux sociaux repose de fait sur la credibilite de role de témoins des
faits face aux auteurs des faits. Legitimation qui elle-meme reintroduit alors le processus de
politisation. L’organisation de la domination politique passe alors de l’Etat-nation (seul
depositaire des regles, principes et procedures du pouvoir) au profit de celui qui gouverne,
c’est-a-dire concretement celui qui resout les problemes…
Mais, les differents groupes d’acteurs ne peuvent pas tous se constituer en acteurs
strategiques et en acteurs politiques. Plus justement, ils n’ont pas tous les memes chances de
le devenir. Pour le realiser, ils se doivent imperativement se constituer en sujets d’action
possedant des objectifs politiques determines et ce par un processus s’inscrivant dans un
espace d’action lui-meme plus large (frontieres politiques qui subissent un débordement).
Des lors une cartographie apparaıt : une constellation d’acteurs strategiques plus ou moins
collectifs, qui interagissent, appliquent ou modifient les regles, et donc les positions, les
ressources et les parts de pouvoirs de tous en fonction de tous ; et ce par des actions
collectives et/ou particulieres mais toujours interdependantes. Implication tactique de cette
cartographie : provoquer en permanence les adversaires, sonder leurs espaces d’actions,
analyser leurs possibilites de pouvoirs. En resume, le pouvoir n’est plus autorise et intensif
(Etats/Nations/Societes) mais diffus et extensif (les reseaux).
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
20 Les reseaux sociaux visent donc a etendre leurs possibilites d’actions a l’interieur et a
l’exterieur grace a des mecanismes d’actions transnationaux dans une dependance a produire
de la veracite et a faire de cette derniere un facteur politique (art de la propagande sans
separer la realite de sa representation politique.
Leur capital de pouvoir repose en consequence sur leur credibilite en tant que producteurs
d’informations fiables, se mettant eux-memes en danger s’ils instrumentalisent les faits par
leurs interets.
La pratique concrete des reseaux sociaux repose sur le principe de non-souverainete quant
aux questions definies par eux-memes comme fondamentales, reposant sur un principe de
libre responsabilite transcendant les frontieres (notamment il s’agit de convertir la defense
des droits de l’homme en desir d’action).
Le pouvoir potentiel des differents acteurs resulte de la somme des strategies qui s’offrent a
eux. Mais attention : les strategies doivent etre dissociees de leurs realisations concretes…
Stratégies d’indispensabilité
Ce fixe comme objectif de reaffirmer le primat du politique en affirmant la difference entre le
politique et l’economie.
Implique le renouvellement des contenus.
Strategies de monopolisation (s’appuyant prioritairement sur deux leviers diplomatie et
rationalite economique)
Mais strategies essentiellement nationales et effectives.
Stratégies d’autarcie
Strategies d’usurpation, strategies d’innovation, strategies de retrait, strategies de
souverainete.
Dans ce cadre peuvent se situer des strategies de domination preventive (Etats-voyous) mais
aussi de rationalite de neo-liberalisme economique.
Stratégies de substitution / Stratégies de démonopolisation
Depossession des Etats au monopole de l’information, des medias y compris reseaux sociaux,
des marches financiers, des ressources y compris des ressources naturelles, de la violence, des
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
21 armements y compris ADM…
Stratégies de dé-spatialisation et de trans-nationalisation
Etendre les activites et capacites d’actions de l’acteur au-dela des frontieres (nationales,
locales ou autres) definis.
Strategies potentielles de-spatialisees.
Pas de renouvellement des contenus mais invention de nouveaux concepts.
Face aux initiatives individuelles, volonte dans tous les domaines de developper des solutions
« trans ».
Ce sont des strategies cooperatives et potentiellement collaboratives.
Stratégie de Grande Politique
Strategies de conflit et de crise vis-a-vis de groupes humains, d’ethnies, de nations, mais aussi
de multinationales ou vis-a-vis a l’inverse d’Etats, de societes et d’organisations (cf Davos).
Strategies de renationalisation des Etats avec la aussi crises et conflits. Les conflits potentiels
ou existants reduisent le pouvoir des acteurs mondiaux et « trans » et augmentent celui des
gouvernements.
Strategie d’utopie (utopie = pouvoirs)
Strategies d’hegemonie avec strategies de reduction de la concurrence.
Stratégies d’irremplaçabilité
S’inscrivent dans un rapport d’acteur type X vers un/des acteur(s) de type Y et absolument
pas dans un rapport acteur X vers acteur X.
Ces strategies visent a des organisations de competences.
Dans ce cadre s’inscrivent et s’opposent les strategies transnationales et les strategies de
monopolisation de la rationalite economique.
Stratégies de spécialisations
Vise essentiellement a canaliser les differences entre les acteurs.
Differents sous-strategies existent : Strategies protectrice, strategies parasitaire , strategies de
destabilisation et desetatisation (revoltes), strategies de contestations partielles, strategies de
consensus, strategies d’hegemonie (en distinguant bien les strategies d’hegemonie locale,
regionale/nationale et d’hegemonie globale… a leurs debuts).
Mais les strategies de specialisation se font toujours a l’exclusion des autres
Ces strategies ne sont pas incompatibles mais se construisent a partir de mecanismes de
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
22 pouvoirs differents.
Tres peu de modes cooperatifs et collaboratifs.
Stratégies de repolitisation
A problemes globaux, solutions globales ; a problemes locaux, solutions locales.
Strategies de coalitions multiples, mais aussi strategies de coalitions multiples d’acteurs non-
homogenes (Etats + organisations internationales + organisations autres type ONG +
individus, …).
Dans ce cadre s’inscrivent des strategies globales de risques. Prise en compte par les differents
acteurs de l’emergence d’un risque global (cf changement climatique, cf modification
genetique, …).
Donc, naissance du concept d’alliance/coalitions multiples multidimensionnelles.
Stratégies de globalisation
Volonte de fusionner avec la societe globale.
Strategies d’imbrication locales/regionales/nationales/mondiales. Bref, impliquer l’exterieur
avec l’interieur.
Strategies gagnant-gagnant. Agir preventivement dans des dimensions globales de risques
face aux politiques nationales perçues par les reseaux sociaux comme perdant-perdant.
Strategies de globalisation du droit. Exercice d’une souverainete juridique, partagee au sein
d’une population donnee. Dans ce cadre, subordination de l’autonomie juridique de l’autorite
referente (Etats) au regime des droits de l’homme.
Stratégies des droits de l’homme
Est-ce une strategie ? Potentiellement oui, car ils sont sources de pouvoir.
En tout etat de cause, le « bilan des droits de l’homme » est devenu un indicateur cle
d’inclusion ou d’exclusion.
La guerre pouvant devenir la possible poursuite de la recherche des droits de l’homme par
d’autres moyens (inversion de la doctrine de Clausewitz).
Necessite une fabrication de l’opinion publique incluant la perte de legitimation de la
domination.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
23 La deuxieme evolution est plus puissante, elle est bien de notre epoque. Les reseaux sociaux
s’engouffrent dans le business, dans un enchaınement qui fait fantasmer. Pour les financer il
faut de la publicite, directe ou indirecte mais la collecte d’argent est telle que leur orientation
finit par se tourner entierement vers cette dimension. Ils ont de solides atouts. A la strategie
du tapis de bombes identiques deversees par des raids massifs de forteresses volantes – les
mailings - succede la strategie des frappes de precision, plus couteuses individuellement mais
terriblement plus efficaces, et repetables a l’envie sur des cibles aussi nombreuses que se
trouvent d’internautes au bout de leur telephone. On caracterise chaque internaute pour lui
servir une publicite qui peut l’interesser et le taux de penetration de ces publicites est
decuple. Mais les reseaux sociaux perdent ainsi une part de leur ame et de la fraicheur qui
faisaient un de leurs atouts.
La crainte d’etre exclus d’un systeme, la crainte de la rupture sociale, ont d’autre part pousse a
une integration assez massive de la population dans les reseaux sociaux. Ce qui incite telle ado
a ecrire qu’elle quitte Facebook depuis qu’elle y rencontre sa grand-mere… Plus serieusement
les hommes politiques d’une maniere visible, les dirigeants d’entreprises plus discretement,
ont investi parfois bruyamment les reseaux sociaux et souhaitent y apparaıtre en pointe.
Qu’importe alors d’avoir un impact ou non, ce qui importe est d’y etre, est d’en etre. Croit-on.
Mais la pauvrete du contenu des reseaux sociaux, souvent par leur nature meme, a de rares
exceptions pres, celle du Pape par exemple, rend leur lecture sans aucun interet. Alors seul le
relai des medias traditionnels donne in fine un impact a une information lancee sur les
reseaux sociaux. Le compte Twitter d’un journaliste ou d’un media traditionnel se deroule
maintenant comme le defile des titres de depeches AFP.
Il faut parler des rumeurs et des fausses rumeurs. Il faut s’en mefier. De la calomnie il reste
toujours quelque chose. Sur ces reseaux, elle est tres pernicieuse. Mais attention aussi au
trucage, il est toujours possible d’en tirer avantage, quand il n’est pas evente. Tel Melenchon a
la tete d’une fausse manifestation devant les cameras de TF 1, ou ce heros syrien en boucle sur
le net pour avoir sauve un enfant sous les bombes, et qui n’etait qu’un acteur… L’image devient
le mode d’expression privilegie, particulierement chez les plus jeunes. La facilite apportee par
les logiciels adaptes, permet de retoucher les photos, de mentir, de se mentir, de diffamer ou
de creer des plaisanteries plus ou moins de bon gout. Mais l’image est encore naturellement et
instinctivement revetue du sentiment de la veracite et on s’y trompe de bonne foi.
Que reste-t-il des reseaux sociaux sur le plan defense et securite. ? Force est de constater que
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
24 l’effet le plus important par ses consequences (hors business), est le recrutement pour le
Jihad. Les reseaux sociaux disposent encore des meilleurs atouts dont la dilution dans la
masse, l’effet de tache d’huile et la legerete des structures. Il aura fallu un solide coup de
collier policier pour mettre a jour les pratiques et tenter d’enrayer le mecanisme. L’affaire
n’est pas encore entendue. En contrepartie, la lutte contre le Djihad dispose d’une source de
renseignements complementaires par l’analyse des reseaux sociaux. L’exploitation de la faille
de l’adversaire, comme la manipulation, la subversion ne sont pas l’apanage d’un seul camp.
En decembre 2010 et debut janvier 2011, un groupe de jeunes egyptiens branches sur les
reseaux sociaux, appelle a un « jour de rage » le 25 janvier 2011, jour anniversaire d’une
bataille sanglante de 1952 entre la police egyptienne et les troupes britanniques Les groupes
organisateurs formes en reaction au meurtre d’un blogueur d’Alexandrie par la police durant
l’ete 2010, demandent a leurs partisans de se rassembler au centre du Caire en leur donnant
les conseils pour se defendre contre la police anti emeutes et eviter les gaz lacrymogenes. Les
participants sont egalement incites a preserver la nature pacifique du mouvement anime du
but de « formuler des doleances et d’exprimer la colere ». Moins de 50 000 manifestants se
reunissent au Caire et a peu pres autant a Alexandrie. Le president Moubarak reagit avec une
grande nervosite car peu de jours auparavant Ben Ali avait ete renverse en Tunisie. Les forces
de securite deployees sont exagerement nombreuses, provoquant l’effet inverse de ce qui est
escompte. Une semaine plus tard, le 28 janvier, ce sont des centaines de milliers de
manifestants qui envahissent les rues du Caire, la place Tahrir, le centre d’Alexandrie et de
nombreuses autres villes. La police, une des mieux equipees et nombreuses des pays de la
region, est desemparee. Le soir elle se retire. Le regime accroit le desordre en fermant l’acces
internet, coupant la telephonie mobile. C’est le meilleur moyen de favoriser la circulation des
rumeurs les plus folles et de declencher des emeutes et pillages. La pagaille et la panique
envahit le pays. Il est alors fait appel a l’armee qui se deploie dans les grandes villes avec ses
unites blindees rassurantes. Les Freres musulmans, pousses par leur base enthousiaste
saisissent l’occasion qui leur est offerte, fournissent bataillons de manifestants et
competences d’organisateurs en masquant leur identite autant que possible. Le president
tente une autre tactique, celle de l’apaisement, de l’emotion, de la comprehension, mais il est
trop tard et cette reculade persuade les manifestants qu’ils ont gagne. Le 11 fevrier le
president Moubarak demissionne. Il a fallu moins d’un mois, au commencement etait un
groupe de jeunes blogueurs…
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
25 L’opinion publique se persuade alors que le domaine ouvert par internet et par les reseaux
sociaux, dispose d’une force a laquelle rien ne resiste, pas meme les regimes les plus forts et
les mieux defendus. Il en devient meme la raison et le moyen. L’histoire enseigne pourtant que
les regimes qui doivent mourir meurent, pour des raisons structurelles profondes, et que la
question n’est pas s’ils vont disparaıtre mais quand. La chute de l’Union sovietique devrait
nous premunir contre l’illusion des regimes forts et autoritaires.
Alors quel role pour les nouveaux moyens de communication : levier indiscutable, catalyseur,
multiplicateur d’efficacite ? Mais ni cause, ni condition indispensable, au point qu’au fil des
crises, les regimes ne commettront pas l’erreur fatale de les negliger voire de les suspendre.
Ainsi Erdogan brocarde sur Twitter pour corruption, regarde avec gourmandise par les
medias occidentaux pour une nouvelle chute de regime a commenter, apporte un dementi
vigoureux et meprisant ou peut-etre simplement un contre-exemple. Largement elu tout en
declarant « Nous allons eradiquer Twitter », sans doute remet-il quelques pendules a l’heure.
Le risque est pourtant d’enterrer les reseaux sociaux trop tot, meme s’ils sont banalises par
leur universalite, et corrompus par leur rentabilite economique. Il ne faut sans doute pas sous-
estimer leur capacite d’accompagnement du vaste phenomene social et societal qui anime
notre epoque.
Au fil du recueil des elements sur les reseaux sociaux, sur leur emploi, leur succes, les raisons
de leur developpement, leurs limites, leurs ambitions, on se perd d’abord en conjectures… Le
foisonnement est tel, la hierarchie des themes est si peu existante, a la futilite la plus
narcissique repond le coup politique le plus efficace, mais pour autant les reseaux sociaux ne
dirigent pas le monde. Porteurs enthousiastes d’une nouvelle ere, ils sont peut etre tombes de
leur piedestal pour atteindre le statut de nouveaux medias, in fine efficaces mais pas plus
efficaces que d’autres. Des revolutions ont eu lieu avant eux et sans eux, la demission d’un
president americain, Nixon, a eu lieu avant eux et sans eux, ils n’ont su influencer le cours des
choses en Turquie ou le president Erdogan, on l’a vu, malgre ses maladresses n’a pas ete
egratigne par les charges portees contre lui. Et puis le business s’en est empare, introduction
en bourse, publicite renforcee, la frontiere avec un emploi perverti n’est pas loin.
Comme toujours la nouveaute a entraine un engouement qui en a fait exagerer la diffusion,
l’impact, le poids. Le balancier repart maintenant en arriere mais ne doit pas pour autant le
faire trop sur le ton de « finalement on n’a rien invente » ou encore « effet de mode »… Apres
un pic d’enthousiasme, ou de crainte, on se situe maintenant sur un plateau, bien entendu a un
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
26 certain niveau d’utilisation. Le recul manque encore pour le definir avec certitude meme si la
banalisation est en route.
Loin de chercher l’universalisme, comme l’apparence l’indique, les reseaux sociaux creent des
communautes, reliees simplement, aisement mais avec exclusivite. C’est le but recherche. On
vit au sein de cette communaute. Elle peut etre tres nombreuse et tres fluctuante, fermee ou
ouverte.
L’analyse ne doit pas s’arreter la.
Les reseaux sociaux arrivent opportunement dans une societe qui change culturellement et
socialement tres profondement. Leur capacite de traitement et de diffusion de l’information
coıncide avec le besoin ne de ce changement. Ils accompagnent la societe dans son
changement, mais il ne le cree pas, certainement ils le favorisent.
Comme tout nouvel outil de communication, ils peuvent avoir des applications vertueuses,
comme d’autres criminelles, terroristes, malhonnetes, manipulatrices, perverses.
Vivant par les recettes publicitaires, ils sont progressivement investis par le business, compte
tenu des enjeux financiers considerables qu’ils representent. Ils vivent alors pour les recettes
publicitaires et pas seulement par les recettes publicitaires. Un chiffre eclaire ce fait et merite
d’etre medite : 25 % des tweets deja sont emis par des robots… Et pourtant. Pour simplement
rebondir sur cette derniere remarque. Leur succes commercial quand les autres medias
s’essoufflent, signe bien leur implantation, l’efficacite de leur emploi, et bientot ils seront
incontournables. Les reseaux sociaux arrivent a point quand surgit une crise de confiance
sociale et societale. La democratie representative vacille : ceux qui sont en cause investissent
massivement les reseaux sociaux pour asseoir leurs positions sur l’adhesion des electeurs. Il
ne s’agit plus de montrer le chemin, il faut se contenter de le suivre. L’argumentaire reduit aux
140 signes de Twitter ne permet guere plus.
Sauf.
Sauf si le signataire a par son action, sa stature, sa position, son rythme, une audience
particuliere et un contenu a transmettre qui lui permet d’enseigner au fil des tweets. Ainsi le
Pape François @Pontifex_fr qui emet regulierement un tweet porteur de sa mission pastorale,
comme le 28 octobre : « Aidons les personnes à découvrir la joie du message chrétien : un
message d’amour et de miséricorde» ou quelques jours auparavant, pour coller a l’actualite « La
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
27 famille est le lieu où nous nous formons en tant que personne. Chaque famille est une brique
qui construit la société. »
Sociologie
Si on veut la considerer sous un œil different et un peu provocateur, l’affaire Edouard Swoden
peut etre presentee comme une illustration de la deconnexion des elites de leurs concitoyens,
car elles n’ont pas compris l’envie de partager les informations confidentielles collectees.
Edouard Snowden considere en effet qu’il a accompli sa mission d’alerte des citoyens des
democraties occidentales, et non pas un geste de delinquant meritant la corde. La vigueur des
reactions a son egard l’incitant a s’exiler, comme a contrario la clemence d’une bonne part des
opinions publiques a son egard, posent la question du classement de son geste. La reaction des
populations civiles a ete neanmoins variee d’un pays a l’autre. Les Etats-Unis et l’Allemagne
ont ete tres indignes mais la France et le Royaume Uni l’ont ete beaucoup moins. Avec le
comportement ainsi devoile de la NSA ainsi que, au titre d’un exemple parmi d’autres et passe
inaperçu, les objectifs de la loi de programmation française en termes de recherche de
renseignements, la question se pose d’une entree de nos societes dans la post democratie. La
vie privee n’existe en effet plus face a l’etat, et il en est autant, pour d’autres raisons face aux
entreprises commerciales. Les questions sont de savoir si un etat democratique peut donner
pouvoir aux forces de police et judiciaires de poursuivre ses propres citoyens avec des
informations collectees illegalement et jamais communiquees, et si l’univers commercial peut
se focaliser sur sa clientele a partir d’informations collectees a son insu. Par exemple le prix de
l’information « telle personne fait des recherches sur Google en rapport avec une maladie du
cœur » est evalue a 0,447 dollar. Somme modeste, mais il y a 700 millions d’internautes
surveilles et de nombreuses informations a identifier. Des bonnes pratiques, des logiciels
libres permettraient de reconquerir la vie privee car l’utilisation de donnees personnelles
peut conduire a une forme de controle social et peut servir a faire changer le comportement
des individus, a destabiliser des carrieres ou des mouvements. In fine grace aux moyens
modernes de collecte et de traitement de l’information, les personnes sont davantage
surveillees que par les regimes totalitaires au temps de l’Union sovietique.
La revendication devient souvent categorielles, mono-cible et directe. Les Syndicats et les
lobbys sont alors court-circuites comme l’ont montre des cas recents : equi-taxe, pigeons,
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
28 tondus… Le bas pousse et deborde les elites. Mais pour les citoyens, il s’agit moins d’une
volonte de court-circuiter les intermediaires que d’agir differemment en reinventant une
societe a leur echelle. On assiste ainsi a une opposition entre les elites 1.0, par exemple les
banques et les elites 2.0, par exemple les services en ligne. Les consommateurs sont ultra-
connectes alors que les elites sont dubitatives sur la duree de ces nouvelles pratiques. La
philosophie du partage de l’information reste contre intuitive aussi la percee de ces nouveaux
usages est rapide a certains endroits mais pas a d’autres
Les nouvelles pratiques economiques et societales (Leboncoin.fr, blablacar, ouicar.fr,
ouishare…) ou encore le financement participatif (crowfounding, banque de particulier a
particulier), comme egalement les petitions en ligne (MesOpinions, Avaaz…) permettent un
fonctionnement social horizontal, nouveau par sa diffusion, son engouement, sa spontaneite.
En revanche l’elite dirigeante, incluant les syndicats, reste souvent unidimensionnelle. La
petition dont l’usage fleurit, par les sites dedies ou par une maree generee de tweets,
correspond dans l’esprit des initiateurs comme dans celui des participants, a une logique de
mandat imperatif. Les uns et les autres oublient cependant que les nombres parfois
impressionnants de souscripteurs, ne traduisent pas necessairement la loi de la majorite.
Pour aller plus loin, le numerique vu en termes de media, doit l’etre en termes de culture. Le
modele de la propriete comme celui de l’autorite est remis en cause. On assiste a un refus des
jeunes de toute forme d’autorite, a la generalisation des reseaux sociaux, a leur exigence
d’hyper-transparence et de bonne gouvernance. Davantage que dans la culture anglo-saxonne,
la culture française nourrie de cloisonnements, de prerequis ideologiques, avec une selection
des elites verrouillee, s’adapte mal a cette evolution.
Les citoyens pensent que les elites ne vivent pas sur la meme planete qu’eux. Ils les accusent
de vivre entre eux, d’avoir fait les memes ecoles, d’etre issus des memes universites, d’occuper
les memes postes. Et c’est un leurre de croire que la rupture entre la societe ne serait liee qu’a
une maitrise des outils du web ou a un phenomene d’age.
Dans l’administration, etre mis a la tete de la cellule internet, n’est pas jugee comme faisant
suite a une promotion. Mais l’adhesion a cet etat de fait, des personnes employees, simples
citoyens dans leur vie privee, n’est pas evidente. Le geste d’Edouard Snowden semble a
certains une felonie interessee, mais il traduit probablement davantage le rejet d’un systeme,
et depasse son seul auteur. Accumuler de l’information et la confisquer au profit d’un petit
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
29 groupe, disons l’elite, n’est pas accepte.
Il s’ensuit parfois une emission de jugements violents des nouveaux a l’egard des anciens.
Les elites françaises en donnent un bon exemple. Le reseau unidimensionnel des enarques qui
se retrouve partout (banques, assurances, grands groupes, politique, haute administration),
manque de diversite et de capteurs pour saisir la societe. Ce modele est utile pour construire
la nation mais il est un obstacle a la revolution numerique. Pour ce modele, la volonte generale
ne peut etre produite que par le haut. Mais en bas la societe fonctionne egalement en reseau.
Elle pense, communique, invente ses regles sans se soucier de les faire passer par le haut. Le
peuple se deconnecte de ses elites dirigeantes. De plus les intermediaires, intellectuels,
medias, universitaires, toujours tres seduits par l’elite cherchent a y etre associes aussi les
chercheurs connectes n’ont alors pas de capacite d’influence. La France 2.0 a un
fonctionnement horizontal, mais les elites ne le voient pas encore bien.
Tous les phénomènes conservateurs qui parcourent l’occident (tea party, Front national…)
ont alors pour point de résonnance le vaste et dangereux courant anti élite qui parcourt
l’Occident. Avec le développement des technologies, nait une sorte d’enthousiasme libertaire.
Un peu comme si réapparaissaient les cités grecques, celles du moins dans lesquelles les ci-
toyens assemblés étaient à même de prendre des décisions directement. Ce phénomène qui a
pour corollaire que plus personne ne peut mener campagne sans s’impliquer dans les réseaux
sociaux, a son revers : la démocratie représentative a cessé d’être une évidence.
Dans ce contexte, le probleme que rencontrent certains hommes politiques est qu’ils ne
comprennent pas de quoi il s’agit. Ils refusent de souscrire a ce qui est l’ADN d’internet : la
transparence et la masse. Les organisations traditionnelles veulent par nature tout controler,
tout maitriser mais elles ne voient de moins en moins les choses arriver. Des electeurs vont se
retrouver sur le web davantage que dans les partis. Il y a en effet quelque chose dans la
construction des partis politiques, des syndicats, des associations qui est incompatible avec la
vision de la societe que permet le web.
Cependant la democratie ne peut vivre sans elites. Le numerique attend les siennes. Elles
sortiront par les reseaux sociaux.
L’etude du comportement des adolescents face aux reseaux sociaux pour lesquels ils ont une
appetence prononcee, peut apporter a la comprehension du phenomene. Les risques existent,
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
30 de l’usage sordide de photos denudees aux recrutements djihadistes en passant par l’usage
perfide des RH, mais les fantasmes egalement. Quelques cles permettent de comprendre le
comportement des adolescents et eclairer celui des adultes.
Les reseaux sociaux sont un endroit ou les jeunes peuvent se retrouver avec des amis. C’est un
espace public dans lequel ils trainent comme ils ont toujours aime le faire et le font encore.
Mais bien avant le deploiement d’internet, il etait de plus en plus difficile pour les jeunes de se
rencontrer compte tenu de l’habitat et de l’urbanisme : l’eloignement de l’ecole, l’insecurite, la
diminution de leur argent de poche en etaient les causes. Quand ils sont arrives dans les
annees 90, les ordinateurs ont rapidement relie des etres humains qui discutaient entre eux.
La vie sociale renaissait. Le phenomene se repete sur les reseaux sociaux. Les adolescents ont
plusieurs niveaux de conversation dans l’intimite de leur telephone, mais generalement ils ne
parlent pas a des inconnus. Comme depuis la nuit des temps, ils veulent se voir et parler avec
les amis a l’abri des parents. Les reseaux sociaux le leur permettent.
Les jeunes sont obsedes par leur vie privee. Mais ils veulent se construire librement sans avoir
leurs parents sur le dos. Ils savent se proteger en creant de faux profils. Les parents ne
doivent pas devenir leurs amis sur Facebook ou leurs abonnes sur twitter. Ils veulent que leurs
parents s’en tiennent a l’ecart et se parlent sur leurs propres reseaux. Quand la famille
deboule la ou on traine avec ses amis, on trouve un nouvel endroit. « Facebook, c’est quand le
prof fait l’appel au debut du cours. Snapchat, c’est le delire avec les potes a la recre ».
Les adolescents sont particulierement friands des « j’aime » et des « retweets » qui les
reconfortent et sont autant de marques d’attention. Mais un « j’aime » n’est qu’un hochement
de tete. Le nombre d’abonnes est aussi recherche et vient en complement des vetements ou
chaussures de marque et il a en quelques sortes remplace le blouson de cuir noir. L’emploi
grandissant du reseau Snapchat est revelateur. Il s’appuie sur le besoin d’obtenir de l’attention
car il faut etre a l’ecoute pour regarder le message ephemere qui est transmis. De la sorte
Snapchat modifie l’usage d’internet car on revient au temps direct et non plus differe. En
complement bien entendu perdure la mise en scene frenetique des adolescents sur Twitter. A
cet egard, les selfies ne sont pas (que) narcissiques. C’est d’abord un moyen d’expression qui
evite d’avoir a se definir avec du texte. Ce n’est pas nouveau mais beaucoup plus facile a
employer. Employer l’image, mise en scene plutot que spontanee pour parler de soi est une
tendance lourde.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
31 Le rapport au corps et a l'image se trouve modifie avec a la multiplication des reseaux sociaux.
Evidemment le renvoi de l’image n’est pas toujours a la hauteur de l’envie. Les situations dans
lesquelles le corps est observe et evalue provoquent alors une augmentation de l’insatisfaction
corporelle. Quitte a se tromper soi-meme, les photos retouchees sont regulierement postees
sur Facebook, Instagram, ou envoyees via Snapshat.
In fine, les jeunes sont des internautes comme les autres plus ages. La difference est qu'ils se
construisent une identite, avec sans doute plus de contraintes que pour leurs aınes. Ils
recherchent une liberte qu'ils doivent conquerir face a plusieurs representants de l'autorite,
encore faut-il que ceux-ci ne disparaissent pas.
In fine donc les adultes sont donc des internautes (presque) comme les adolescents. Le clivage
n’est pas tant lie a l’age qu’au milieu socio-professionnel.
Politique Les autorites a la rencontre des reseaux sociaux.
Les autorites ou leur regime politique se devoilent au contact des reseaux sociaux.
Du cote des liberaux, c’est un effet de surprise qui piege tel ou tel d’entre eux. Ainsi l’episode
de la premier ministre du Danemark, de Barack Obama et de David Cameron qui se prennent
en photo en riant pendant les obseques de Nelson Mandela. Ils sont surpris dans leur attitude
par un journaliste qui s’empresse de diffuser l’information, a son tour par l’image. Cette
anecdote est doublement revelatrice, du comportement indigne des interesses et de la mise a
mal du controle rigide de leur image, et derriere la leur, de celle des hommes politiques.
Un autre effet de surprise, toujours dans cette meme sphere et dans le meme sens, se met en
place a propos de l’appel telephonique historique entre le president Obama et le premier
ministre Rohani. Dans une des pays les plus censure en termes de reseaux sociaux, l’Iran, le
premier ministre Rohani tweet l’information en temps reel et prend les Americains de court. Il
faut imaginer la dialectique : Obama en conference de presse, Rohani en tweet avec le monde.
Le coup de telephone historique est reste pour les Americains un produit intact issu des
pratiques vieillies du temps de la guerre froide. Les reseaux sociaux font exploser le cadre
norme de la diplomatie en superposant une dimension numerique decentralisee grace a
Twitter en particulier. Ainsi le meme Rohani traite de l’acces des Iraniens par un echange de
Tweets Jack Dorsey, le patron de Twitter.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
32 Dans un domaine bien different, dans les memes regimes liberaux, les campagnes électorales
se déclinent aussi sur les réseaux sociaux. Beaucoup font acte de présence, essaie de montrer
leur muscle en affichant leur nombre d’abonnés, mais le débat démocratique y est proche de
zéro. C’est une simple présence qui fait illusion. Les débats sont souvent de bas étage. La soi-
rée électorale des municipales en France racontées en 10 tweets montrent l’inanité de ceux-ci.
NKM a été mentionnée 131 000 fois sur twitter et Anne Hidalgo 104 000 seulement mais cette
dernière a pourtant été largement élue.
Enfin, a titre d’illustration sur l’usage du tweet par les conseillers en communication du
president, revient un theme unique apres un premier bon accueil, y compris le jour de la fete
nationale. « Félicitations à l'équipe d'Allemagne qui a remporté une belle finale : rendez-vous
dans deux ans en France pour l'Euro 2016 #ALLARG #CM2014 ». On ne peut vraiment rien faire
dire d’autre au President ? On est loin du contenu legitime et cible du Paper François le 9
octobre : « Chers jeunes, le Christ compte sur vous pour être ses amis et des témoins de son
amour infini » Qui a dit deconnexion des elites politique ?
Du cote des regimes autoritaires, parfois totalitaires, il n’y a pas d’effet de surprise, ni d’effet
tout court. Le 26 octobre a ete choisi par les Saoudiennes comme le jour ou elles conduiront
en plein jour. Un soutien mondial se met en place sur Twitter avec hashtags appropries,
#oct26driving #women2drive… Mais le Royaume resiste sans etat d’ame.
En Iran depuis 2009, seuls les hommes politiques du gouvernement ont accès à twitter et Fa-
cebook. Hassan Rohani on l’a vu, a provoqué la réconciliation avec les réseaux sociaux. Le
premier à sembler saisir l’occasion est le ministre des affaires étrangères mais il ne fait que
relayer la parole officielle. Hassan Rohani a reçu deouis l’injonction des anciens de cesser de
tweeter. Au début de la Révolution, de nombreuses femmes qui refusaient de porter le voile
ont été attaquées, quelques fois même à l’acide sur le visage. Aujourd’hui les femmes qui por-
tent mal le voile aux yeux des policiers sont arrêtées. Pour la première fois depuis les 30 der-
nières années, à l’approche de l’été et de la chaleur, les femmes commencent à se dévêtir et le
montrent sur le net. Pendant l’hiver, le port du voile les protège du froid. Mais le contexte poli-
tique actuel permet à ces femmes d’exprimer leur volonté de changement. Cependant ces
jeunes femmes qui postent des photos, ont accès à Internet, et appartiennent donc à des
couches aisées de la population, issues de milieux urbains. Elles ne représentent pas
l’ensemble des femmes iraniennes. L’obligation du port du voile symbolise, outre la pureté de
la femme ou le sang des martyrs, la République islamique elle-même. Ce sera donc la dernière
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
33 chose qui tombera en Iran. Il est d’ailleurs notable que quelques semaines après les faits,
quand les yeux se fixent ailleurs, les femmes qui ont transgressé l’interdit sont successive-
ment arrêtées et jugées. Les peines sont discrètes mais elles sont là… Bonne leçon de chose
pour l’occident.
En Chine, le Parti est par nature contre internet. La pression est forte pour en limiter l’emploi,
a base d’intimidations, d’arrestations, de confessions publiques, de promulgation de loi
reprimant les fausses rumeurs, de campagnes de denigrement accusant internet d’etre un
outil des forces occidentales etc.
Le gouvernement turc a interdit le reseau social dans le pays. Les medias ont denoncent une
censure a une semaine des elections municipales en Turquie. Les grandes phrases n’y ont rien
fait « Grand coup porté à la liberté : Twitter est fermé ». « Erdogan, pris au piège dans les
enquêtes de corruption, a choisi une nouvelle fois de plus l’interdiction ». Les resultats
electoraux donnant une large victoire repetee a Erdogan ont montre les limites de
l’implantation et de l’influence des reseaux sociaux. Le president turc en cours de campagne
n’hesitait pas a clamer « Nous allons eradiquer Twitter. Je me moque de ce que pourra dire la
communaute internationale ». C’est malgre tout une autre façon de decrypter un personnage…
Enfin, sans que cela n’engendre un peu d’indignation, le president Ukrainien annonce sur
Twitter sa decision de dissoudre l’assemblee nationale. La desinvolture du geste est-elle bien
mesuree ?
L’intrusion des reseaux sociaux a tout particulierement perturbe la gestion des crises. La
conduite de la manœuvre de communication pendant la gestion d’une crise, ou la gestion
d’une crise de communication, que celle soit primaire ou derivee, ce qui est le plus souvent le
cas, est tres sensiblement modifiee voire perturbee, par l’instantaneite et l’absence de
controle de l’usage des reseaux sociaux. L’affichage immediat de tout nouvel element qu’il soit
avere ou non, doit etre pris en compte et les dispositions correspondantes mises en place.
L’opinion publique en effet se forge a l’intersection des medias de masse et des medias
personnels que sont les medias sociaux.
Dans le domaine plus specifiquement conflictuel, qu’il soit militaire ou ideologique (comme
les antinucleaires) c’est bien entendu le terreau de predilection de la propagande adverse.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
34 Les entites, organismes publics ou entreprises, qui sont aux prises avec les medias sociaux, le
sont par defaut de formation et surtout par defaut d’une direction devolue a ce domaine et par
absence d’une politique etablie en la matiere. Hors celle-ci l’enchaınement des reactions et la
spontaneite parfois rageuse des echanges conduisent a lacher dans le feu de l’action des
informations confidentielles aux consequences facheuses. Seule la bonne pratique des reseaux
sociaux, y compris par le haut de la hierarchie (voir la mediocrite de ce que l’on fait ecrire au
President sur Twitter), permet d’en connaıtre les capacites mais aussi les limites. Par exemple
la brievete d’un tweet ne permet pas de traiter de politique tarifaire. L’effet de mode ne doit
pas non plus faire oublier les autres medias. La simple defense ne suffit plus pour contrer les
mises en accusation injustes sur les reseaux sociaux, ou du moins le simple dementi. Il faut
adopter les techniques, les coutumes, pour se glisser dans les habits d’un simple et modeste
abonne Le retablissement apres un Bad buzz dont on est la victime surprise, c’est-a-dire l’effet
potentiellement destructeur d’une denonciation non calomnieuse mais indigne contre une
injustice, une attitude arrogante ou une simple maladresse, demande des mesures preparees a
l’avance pour etre mises en application sur les reseaux sociaux avec un discernement
particulier et un relai positif dans les medias traditionnels.
En conclusion, l’ennemi est engage sur son champ de bataille et il faut s’y engager aussi bien
que lui.
Mais quand il n’y est pas, l’arme fait long feu. Les familles des lycéennes enlevées par le
groupe islamiste Boko Haram au Nigeria ont reçu un soutien croissant dans le monde entier,
notamment via la campagne #BringBackOurGirls relayée sur les réseaux sociaux. Ce hashtag a
été repris plus d'1,2 million de fois en une semaine sur Twitter. Michelle Obama, Hilary Clin-
ton, Christiane Taubira; Mia Farrow, Malala Yousafzai, mais toutes étaient présentes et vou-
laient sans doute qu’on le voit, avec des retweets nombreux mais bien inégaux. Incidemment
pas un d’homme dans la litanie. Mais pour quel résultat ? L’excitation occidentale sur Twitter
a laissé de marbre les terroristes de Boko Aram qui avaient assassiné plus de 300 personnes
la même semaine. Et quand quelques mois plus tard on parle libération, sans la voir, nul ne
s’en émut sur ces même réseaux sociaux.
Un exemple parmi d’autres vient l’illustrer, celui du legionnaire photographie avec son
masque au Mali. Le ministere de la defense, surpris par cette image, va se tirer une balle dans
le pied. La conversation bonne enfant sur Facebook qui accompagne cette photo non
polemique prise par un journaliste plutot favorable, montre qu’il s’agıt d’une anecdote, que
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
35 l’auteur ne veut pas generaliser dans le temps et dans l’espace. Mais le communique du
ministere de la defense s’emballe : « inacceptable, cette image n’est pas représentative de
l’action que conduit la France au Mali » et parle d’« éventuelles sanctions… » La machine
mediatique se met en route. Le ministere joue l’outrage en oubliant que le soldat risque
d’abord sa vie, va etre confronte a une situation tres penible et militairement tres dure, attend
le soutien equitable de sa hierarchie, qu’il n’a pas demande a etre photographie, et on
s’aperçoit en lisant le blog du journaliste que tous les fantasmes tombent a plat. Une reponse
dictee par la peur conduit a une faute exploitee par l’adversaire, par exemple sur Twitter
comme lors de l’echec de DGSE en Somalie.
En voulant paraitre irreprochable on se met en danger. Il faut adopter des reactions plus
subtiles que le temps court des medias sociaux ne permet pas de lecher avec attention. Les
validations successives a etage n’ont plus leur place ici.
Emploi subversif
Les Shebabs
Les Shebabs sont tres efficacement au stade 2.0. Ils emettent des tweets a un rythme soutenu
pour tenir les medias classiques en haleine. Les tweets ont fait suite aux videos grace a leurs
qualites : leurs vitesse et portabilite, leur emploi tres decentralise, la simplicite de leur mise en
œuvre, la contagion efficace par hashtag. Les tweets creent et entretiennent les liens mais ils
sont vulnerables car les deux camps peuvent les utiliser. L’inconvenient des sites classiques est
leur sensibilite aux hackeurs ce qui impose des changements incessants d’URL, sans compter
que leurs responsables peuvent etre arretes. Les forums en revanche sont moins reperables et
servent a s’auto-radicaliser, a entrer en contact avec d’autres sympathisants, a resserrer les
liens, a s’instruire. Ils ont une fonction de vivier et une fonction d’entonnoir. Ils peuvent
cependant egalement etre infiltres avec toute l’exploitation que cela peut entrainer. La video
pour etre bien utilisee demande une capacite de production assez lourde, a la portee
neanmoins des Shebabs.
Les groupes disperses se coordonnent ainsi et surtout mobilisent l’intelligence collective qui
permet d’agir et de decider sans pesanteurs hierarchiques.
En revanche, le narcissisme, tres tentant pour qui manie la video, qui conduit a poster des
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
36 images avantageuses pour soi peut entraıner la perte de leurs auteurs, les adversaires ne les
laissent pas passer.
Erdegan, Poutine, Morsi, Dilam Roussef, democratiquement elus sont aujourd’hui malmenes
par les e-revolutionnaires. Mais ces mouvements ne sont pas des revolutions de proletaires. Ce
ne sont pas les masses proletaires, les mineurs, les pauvres, les syndicalistes, ou autres qui
manifestent ainsi, mais des groupes connectes en reseaux sociaux, peu structures
politiquement, mais unis autour de quelques grands themes tels que la mauvaise gouvernance,
la corruption, la democratie directe, ou les libertes individuelles totales. Chacun a son moteur,
pour la Turquie c’est l’islamisation, pour le Bresil ce sont les jeux olympiques au detriment
d’infrastructures sociales indispensable, pour la France avec la Manif’ pour tous, c’est la
liberte d’expression et la famille
Grâce aux réseaux sociaux reliés aux téléphones portables, un pouvoir de contestation est ca-
pable de discréditer n’importe quel dirigeant, comme l’a été Erdogan, ce qui ne l’a pas empê-
ché d’être brillamment réélu. Il en faut plus pour le paralyser sans doute faute d’assiette so-
ciale assez large des usagers des réseaux sociaux. Ces mouvements ne visent pas tant les des-
potes que les leaders élus mais rejetés par ces groupes. La méthode avait déjà été appliquée
déjà par Gandhi ou par Martin Luther King, de même Lech Walesa avec Solidarnosc, fut le
premier à faire vaciller le pouvoir communiste, à réussir une révolution de velours. Le réseau
social à lui seul n’emporte pas la décision.
Des internautes pro-palestiniens ou pro-israéliens s'affrontent sur internet en France, ou ail-
leurs dans le monde, à grand renfort de propos virulents. Ils appellent à créer des affronte-
ments lors des manifestations.
Ainsi une nouvelle manifestation pro-palestinienne devrait avoir lieu un samedi à Paris. En
quelques heures, plus de 10.000 internautes ont répondu à l'appel lancé par quelques mili-
tants sur les réseaux sociaux et exprimé leur intention de se joindre au défilé. La puissance de
mobilisation à très bref préavis et le plus dérangeant pour les autorités chargées de la sécurité
publique.
Ainsi en cherchant bien sur Twitter et Facebook, il est evident que les violences paraissant
spontanees et imprevues devant la synagogue rue de la Roquette il y a quelques semaines,
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
37 etaient en fait premeditees. Des dizaines de messages appelaient en effet a l'affrontement et il
apparait que les deux camps s'etaient en realite donne rendez-vous pour se battre.
Dans tous ces échanges, les rapports compliqués entre ethnicité, politique et religion sont ré-
duits à une posture suspicieuse. Les espaces virtuels sont devenus de véritables démultiplica-
teurs émotionnels, où la haine se donne à lire sans que ne soient rendues possible l'empathie,
la modération et le conflit d'idées que permettrait un face-à-face interactif.
Les psychologues ont montre qu'une exposition repetee a la violence imagee produit des
effets reels sur les comportements humains. Il en est certainement de meme sur les reseaux
sociaux, desormais propagateurs d'une indignation qui vire souvent a la haine.
Il est alors difficile de revenir au dialogue, au mot juste pour eviter la blessure qui l’interdit.
L’intrusion dans les reseaux sociaux concernes peut tenter d’y parvenir.
Moscou n’hesite pas a recourir aux vieilles ficelles du KGB. L’enregistrement de la secretaire
d'Etat adjointe americaine pour l'Europe, Victoria Nuland (« Fuck the UE ») a ete diffuse sur
YouTube par les Russes. Il n’y a plus de diplomatie secrete. Les propos de Victoria Nuland sont
revelateurs des divergences profondes entre Americains et Europeens sur l’Ukraine, de la
maladresse, voire de l’arrogance americaine. Il s’ensuit une vive exasperation allemande a
l’encontre des Americains. Au total des degats largement plus importants que la dimension
anecdotique de la gaffe de Victoria Nuland.
On assiste a de nombreuses cyberattaques de la Syrian Electronic Army sur des sites
emblematiques americains tels que CNN, Microsoft… Leur capacite offensive est en particulier
montree par l’attaque sur MarkMonitor. La Syruian Electronic Army revendique sur ses
comptes twitter et Facebook les attaques en question. Les serveurs, en .ru pour oter tout
doute dans les esprits, qui hebergent SEA sont a leur tour l’objet d’attaques americaines. Le
compte Facebook SEA a ete supprime 300 fois, il est a chaque fois recree. Le compte twitter
n’en est qu’a la 16eme recreation.
En Ukraine la guerre cybernetique a ouvert les hostilites. La saturation des sites internet
adverses, l’humiliation de l’adversaire, le deploiement du virus extra-dangereux Snake en sont
les manifestations. Mais l’outil est a double tranchant. Alors que la Russie nie son implication
dans la guerre en Ukraine, ses soldats s'epanchent sur Instagram et VK - le Facebook russe -,
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
38 laissant deviner la presence de son armee dans le pays. L’emploi des reseaux sociaux par les
militaires et considere comme un danger pour la Russie : « ils peuvent etre utilisees par les
Occidentaux a des fins d'espionnage ou de desinformation».
Depuis le debut du conflit syrien, des centaines ou des milliers de jeunes Europeens, parfois
mineurs, dont une majorite de Français, souvent des jeunes filles, ont rejoint la zone des
combats, laissant des familles sous le coup de la surprise, incredules et desemparees.
L'enthousiasme juvenile des jeunes gens est un terreau fertile pour toute mouvance sectaire a
la recherche cynique de petites mains, de guerriers et d'activistes illumines, a la recherche
d’une aventure epique et d’une cause jugee grande ou desesperee. Les recruteurs usent
habilement du support informatique, le cyber djihad, tres decentralisee, aisement invisible.
Qu'ils soient musulman d'origine, sans conviction religieuse, catholique ou athée, élève bril-
lant ou en difficulté, issus de milieu favorisé ou de foyer modeste, les jeunes sont d'abord atti-
rés par un camarade de leur âge vers une soi-disant cause humanitaire : Il faut venir en aide
au peuple syrien, victime du régime de Bachar el-Assad. Les multiples moteurs de la rébellion
adolescente créent un climat favorable et permettent de radicaliser sans mal.
Un outil internet de propagande va alors se révéler d'une parfaite efficacité pour attirer les
jeunes dans les filets du terrorisme. La propagande s’appuie sur des vidéos d'une rare vio-
lence, crée le contact avec des comptes Facebook glorifiant les combattants islamistes, montre
à saturation des photos de vaillants combattants en treillis et en armes. Enfin il est asséné que
seul le Djihad garantira l'ordre mondial.
Dans le passé, le processus de radicalisation était beaucoup plus long. Il passait par des réu-
nions où la bonne parole était diffusée. Aujourd'hui, il y a un accès simplifié à des discours
simplistes sur des sites islamistes. Le discours djihadiste s'est démocratisé pour toucher le
plus grand nombre. Moins intellectuel, moins élitiste, il a pour vertu de convaincre les masses.
L'argumentation religieuse est très pauvre. Ensuite il y a le choc des images qui s'adressent à
l’émotion et non à la raison.
Tous ces jeunes très différents dans leur provenance ont un point commun, ils se sont tous
connus et rassemblés sur Internet et sur les réseaux sociaux. Nous sommes aujourd'hui à l'ère
du djihad 2.0, celui des réseaux sociaux et du peer to peer. Il faut comprendre le rôle clé joué
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
39 par les disséminateurs, ces sympathisants très actifs sur les réseaux sociaux, bien plus in-
fluents et suivis que les comptes Twitter officiels des groupes djihadistes
Mais là encore la médaille a un revers : pour un combattant adulte et convaincu, utiliser les
services de sociétés américaines, fussent-elles de réseaux sociaux, ne va en effet pas de soi
quand on est un djihadiste…
L'administration américaine a secrètement financé ZunZuneo, un réseau social
pour alimenter la contestation et miner de l'intérieur le pouvoir du Parti communiste cubain.
Des milliers de Cubains ont utilisé ce réseau lancé en 2010, sans en avoir conscience. Créé une
société-écran en Espagne et dissimulé les fonds l'alimentant dans les îles Caïmans. ZunZuneo
devait se développer sans attirer l'attention des autorités cubaines, en diffusant des informa-
tions relatives au football, la musique ou les tempêtes tropicales, jusqu'au point où il aurait
atteint une masse crtique lui permettant d'avoir une influence sur la société et
la politique cubaine. En septembre 2012, ZunZuneo qui a réussi jusqu'à 40 000 utilisateurs, a
disparu quand le financement a cessé.
Hongkong connaît ses plus grands troubles depuis son passage sous tutelle chinoise en
1997. Des milliers de manifestants dénoncent une reprise en main du système politique hérité
du passé britannique de l'île. Des journalistes anglo-saxons ou locaux, des associations, des
ONG ou de simples participants mettent en ligne photos et vidéos. Instagram est bloqué de-
puis 2009 en Chine alors qu'à Hongkong, où l'application est toujours accessible, le face-à-face
entre manifestants pro démocratie et les forces de l'ordre s'est considérablement tendu ces
derniers jours. L’inaccessibilité limitée au territoire chinois pourrait être la réponse de Pékin
à la multiplication des clichés liés au mouvement de désobéissance civile impulsé à Hongkong
par Occupy Central, une organisation pro démocratie. Près de 10 000 photos portant le mot-
clé #OccupyCentral ont été partagées sur le réseau social, montrant notamment
la police arrosant les manifestants de gaz lacrymogène. Le même mot-clé avait été bloqué peu
de temps auparavant sur Sina Weibo, l'équivalent chinois de Twitter.
Les dirigeants communistes redoutent par-dessus tout un effet de « contagion » des appels à
la démocratie au reste de la Chine.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
40 Le phénomène est tel qu'il a finalement conduit à la suspension d'Instagram pour les inter-
nautes résidants sur le territoire chinois. De nombreux autres sites sont inaccessibles, comme
Facebook ou Twitter. Ce blocage peut néanmoins être contourné par les chinois les plus ha-
biles, en utilisant les services d'un réseau privé virtuel (VPN) voire FireChat, une application
de discussion instantanée pour smartphone, sans internet, qui utilise le Bluethooth et les fré-
quences radio émises par les téléphones aux alentours.
Dans une première phase les Djihadistes ont fait de la guerre des images un des piliers de leur
stratégie de conquête. Ainsi ils affirment avoir exécuté 1700 militaires chiites et diffusent des
photos censées prouver leurs exactions. En réaction le 15 juin, le ministère des télécommuni-
cations irakien a ordonné un blocage complet d'Internet dans les cinq provinces où Daech, est
le plus présent, mais aussi la censure de réseaux sociaux (Facebook, YouTube, Twitter, Insta-
gram...) ou encore le blocage des services de VPN (Virtual Private Network) à certaines heures
de la journée.
La conséquence de ce blocage a été la multiplication par huit dans le pays du nombre d'utilisa-
teurs du réseau TOR (The OnionRouter), une technologie de contournement de la censure
largement utilisée en Iran notamment. Les Djihadistes sont bien formés et habiles dans
l’emploi de l’informatique.
La réponse ne s’est pas fait attendre et l’exploitation des images par le camp adverse, occiden-
tal, a donné des résultats sinon militaires, au moins contre terroristes, intéressants. C'est une
véritable paranoïa qui s’est emparée de l’organisation. Les Djihadistes s’imposent des règles
rigoureuse de conduite discrète sur les réseaux sociaux. Indiquant à ses combattants com-
ment retirer les "métadonnées" (les informations cachées dans les fichiers) des contenus de
propagande qu'ils mettent en ligne, Daech leur demande aussi de ne pas publier de noms de
personnes ou de villes et d'éviter les photos permettant d'identifier des individus. Les réseaux
Wifi sont également mis sous contrôle.
Les membres les plus importants de Daech disparaissent de Twitter et ceux qui y sont trop
visibles en particulier par de grandes déclarations sont des ceux qui meurent par des attaques
ciblées. Ainsi plus personne ne poste de selfies avec des têtes tranchées. La guerre des images
perd une partie de sa vigueur.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
41 Communication et mobilisation
On ne peut ignorer une information qui circule parmi des centaines de milliers de gens. Le
web n’a pas cree cette evidence mais il l’a accentue. La grande difference vient du manque de
temps pour la controler, avec les effets induits. Il est difficile de masquer un evenement que ce
soit pour une bonne ou une mauvaise raison, l’episode celebre de l’interview truque de
Melenchon selon une technique classique des medias l’illustre a souhait. Mais il est egalement
difficile de tordre le cou a un canular, a une diffamation, et bien entendu a une manipulation.
L’information 2.0 c’est aussi tolerer des propos racistes, violents et haineux, mais interdire de
publier des photos d'une femme allaitant son enfant, par exemple. Ces sites sont en effet
americains, et le droit americain favorise la liberte d'expression mais ils sont egalement
marques de la pudibonderie americaine. Dans les deux cas les Français ne sont pas en phase.
Selon le rapport sur l'information a l'ere numerique publie par l'Institut Reuters en juin 2014,
qui sonde les pratiques des habitants de dix pays, WhatsApp est le cinquieme reseau social
utilise par les lecteurs pour s'informer, avec 6 % d'audience, juste derriere Google+ (7 %)
et Twitter (9 %), Facebook etant loin devant (35 %). En Espagne, 26 % des mobinautes
utilisent WhatsApp pour s'informer, selon l'Institut Reuters. Un chiffre qui descend a 13 %
en Italie, 6 % en Allemagne, et 1 % aux Etats-Unis ou en France. Ces ecarts sont revelateurs de
nos ecarts de culture et d’appreciation de l’information 2.0.
Quelques exemples illustrent l’information 2.0 dans ce qu’elle a de presque quotidien.
Un bijoutier tue son agresseur et reçoit quasi instantanement un million de soutiens sur
Facebook (septembre 2013). La justice ne peut etre indifferente a cette mobilisation qui
depasse les habitants du quartier. Le pouvoir politique ne peut etre indifferent a l’expression
de lassitude devant l’insecurite non reprimee de la societe. Le pouvoir legislatif ne peut rester
indifferent a l’absurdite des termes de la loi qui qualifie la legitime defense. Sauf que, et c’est
un autre trait de l’information 2.0, une information chasse l’autre et l’oubli, l’indifference
s’installe. Un peu de patience et le bijoutier est traite comme si le mouvement d’opinion
n’avait pas existe.
En Iran, des dizaines de femmes ont décidé de braver l’interdit, non seulement en utilisant les
réseaux sociaux (officiellement bloqués par le gouvernement), mais aussi et surtout en ôtant
leur voile. Plusieurs d’entre elles affichent le soutien d’un père, d’un frère et/ou d’un mari.
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42 Mais : « Préserver la chasteté publique, respecter le hijab islamique et la sécurité morale sont
des sujets cruciaux qui ne doivent pas être oubliés au prétexte de sanctions économiques ou
d'un changement de gouvernement » disent les radicaux qui ont par ailleurs lancé une cam-
pagne sur les réseaux sociaux pour prévenir la propagation des vêtements dits impudiques. Là
également une fois le temps de l’émotion passée, la justice opère dans la discrétion.
En revanche, Hannah, une Autrichienne risquait la prison a Dubaı pour relations sexuelles
hors mariage, apres qu’elle ait denonce a la police le viol brutal qu’elle avait subi. Plus le
bouchon est gros, plus il est pousse loin ! Mais la petition au Ministre des affaires etrangeres
autrichien a rassemble plus de 150 000 signatures en une seule journee et s'est bientot
retrouvee au centre d'un tourbillon mediatique en Autriche et tout autour du monde. Trois
jours apres le lancement de la petition, Hannah etait libre. L’information 2.0 a donc ses lettres
de noblesse..
Facebook récolte un maximum d'informations globales, tandis que Twitter dispose de don-
nées plus fines sur les tendances de ses membres. WhatsApp permet quant à lui d'associer le
numéro de téléphone à une personne. Sur Instagram, l'arrivée récente de la vidéo permet de
développer des publicités quasi-personnalisées à ses utilisateurs. Et ce n'est que le début...
Facebook et les autres utilisent les donnees pour vendre de la publicite. Lorsqu’un utilisateur
se connecte sur un site qui contient l’icone Facebook, il envoie son "cookie" a Facebook.
Facebook sait alors que l’utilisateur a visite le site.
Le bouton "Like" permet aux marques de recuperer, a leur tour, des informations sur
l’utilisateur. Un "like" rapporterait 1,34 dollar, un tweet sur un evenement payant 0,80 dollar.
Si on utilise gratuitement un service sur Internet, c’est que, en fait, on en est le produit, le
client. Des societes moins connues, des "data brokers" ou "courtiers en donnees", chassent les
moindres donnees privees sur Internet grace a de puissants algorithmes.
Les informations cumulées de ces données se monteraient à plus de 300 milliards de dollars
pour les seuls Européens, avec un objectif fixé à 945 milliards de dollars d'ici 2020. Et tout ça,
sans que chaque intéressé ne touche le moindre centime...
On peut tweeter d’une main sans lacher la Kalachnikov ou la banderole. Il n’est pas besoin
d’URL ou autre pour envoyer des messages et des images, en profitant de la contagion donnee
par les hashtags et le moteur de recherche. Le tweet fait le lien dans un groupe disperse,
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43 permet de temoigner de la situation a la presse etrangere et de provoquer l’adversaire. Celui-
ci peut egalement l’utiliser pour diffuser des preuves et submerger la propagande adverse
comme l’a pratique Israel. Le tweet est ideal pour favoriser le lapidaire, le slogan, l’adresse
solennelle, la menace, l’injure ou le defi. Les tweets les plus repris sont ceux qui contiennent la
colere.
La vente d’armes et de munitions trouve quant a elle davantage d’audience sur Facebook, bien
adapte a ce genre de trafic.
L’usage du mot selfie a augmente de 17 000% entre 2013 et 2012. Les narcotrafiquants s’y
adonnent, avec le recrutement pour objectif. Les Djihadistes trop reperes par cette pratique
ont du l’abandonner en partie.
La pratique du phishing se repand, parfois canular parfois piege comme celui-ci : « Pour voir
des photos de Carla Bruni nue, cliquez ici » L’hameçon a ete envoye par les services chinois a
des diplomates de tous pays pour hacker des sites d’affaires etrangeres avant le G20. Ce fut
souvent avec succes…
La parade de l’interdiction de comptes se multiplie mais le jeu interdit/recree est devenu un
classique de la rapidite de reaction.
Outil du proselytisme par excellence, Twitter convient bien a plusieurs approches en
particulier celle d’une religion qui mise sur les jeunes. Cela explique le succes mediatique du
pape qui a 9 millions d’abonnes et qui se fait comprendre de personnes de tous bords. Il utilise
un langage simple, avec un contenu qui interpelle et fait reflechir, sans negliger les expressions
pittoresques. C’est ainsi que Benoıt XVI le definissait, lui dont l’acces a twitter montre que ce
n’est pas question d’age : Dans la substance de brefs messages, souvent pas plus longs qu’un
verset de la Bible, on peut exprimer des pensées profondes à condition que personne ne néglige le
soin de cultiver sa propre intériorité.
En quelques heures les cyber-militants ont propulse #Digitalmaidan en tete des sujets les plus
twittes dans le monde, en organisant une tempete twitter avec 80 tweets prefabriques dans
differentes langues mais cela n’ a pas donne pas la victoire a Maidan.
Aux USA les utilisateurs de Pandora (site de musique) ont des publicites qui tiennent compte
de leurs opinions politiques. « L’entreprise se sert des résultats des élections nationales au
niveau des comtés de chaque État et les croise avec le code postal que chaque membre Pandora
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44 fournit au moment de son inscription. L'orientation politique d’une personne est ensuite
déterminée en observant si les artistes qu’elle écoute sont fréquemment écoutés dans des zones à
majorité Démocrate ou Républicaine. » Le modele serait efficace a 75%.
Facebook possède la plus grande galerie de photos du monde, et a désormais la possibilité de
faire correspondre tous les visages qui s’y trouvent. Le logiciel DeepFace peut déterminer si
deux visages photographiés appartiennent à la même personne avec une précision de 97,25
%. L’objectif économique est de bien reconnaître et interpréter toutes les informations pos-
tées sur les réseaux sociaux, par une personne ou par d’autres. C’est un élément central du
modèle économique de Facebook, car cela lui permet de personnaliser les publicités ce qui
augmente sensiblement leur taux de consultation en ligne. Bien entendu la méthode peut
avoir d’autres usages. Ainsi les compagnes électorales sont désormais clientes. Le premier à
avoir utilisé cette nouvelle capacité, est Barack Obama pour sa réélection en 2012. Il a no-
tamment utilisé des données pour débusquer les électeurs indécis qu'il pouvait encore con-
vaincre. François Hollande aurait également utilisé cette méthode.
Médias sociaux et révolutions arabes : bilan en six points trois ans après
Rien de tout cela n’était vraiment nouveau. La révolution a davantage accéléré que créé le
processus de développement de ces nouvelles pratiques médiatiques, et notamment des ré-
seaux sociaux (Facebook, Twitter, etc.). Assez rapidement, dans les mois qui ont suivi les révo-
lutions, on a cependant assisté à un phénomène de saturation.
La mobilisation sur les réseaux sociaux a montré ses limites par rapport à une véritable mobi-
lisation sur le terrain. En Syrie, les acteurs et les utilisateurs du champ numérique se sont
rendu compte que les vertus que l’on prêtait aux réseaux sociaux n’étaient pas si évidentes
que cela, et en particulier la vertu de l’authenticité. Tout le monde était sur les réseaux sociaux
pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Il y a eu beaucoup de manipulations du côté du
pouvoir syrien comme du côté des rebelles.
Dès le début de l’année 2005, on observe dans la presse arabe dite traditionnelle un début
d’intérêt pour les nouveaux médias. Le premier mouvement politique où internet a été associé
de façon très forte et évidente, c’est en 2008 en Égypte : il y a eu un appel, organisé via Face-
book, à une grève générale : c’est le Mouvement du 6 avril. Ce mouvement n’a pas été suffi-
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45 samment relayé dans la presse occidentale, qui a souvent sur le monde arabe des visions pré-
conçues.
On n’a pas vu que les effets d’internet ne dépendaient pas de la quantité mais davantage du
contexte.
Si un pouvoir autoritaire comme le pouvoir syrien se maintient aussi longtemps, c’est bien
parce qu’il a su gérer la question de l’usage d’internet. Il a très rapidement pris la décision
d’autoriser l’accès aux réseaux sociaux afin de mieux les contrôler.
Être contestataire sur internet à l’époque de Ben Ali était un tour de force sur le plan du cou-
rage personnel et sur celui de l’utilisation des techniques, parce que la police cybernétique
était particulièrement efficace. Les relais tunisiens à l’extérieur, notamment en France, ont
joué un rôle important dans des formations de compétence, pour apprendre à déjouer les
processus de contrôle, ou servir de relais pour mettre en ligne des informations en prenant
moins de risques. Les diasporas ont joué un rôle utile voire important pour contourner la po-
lice cybernétique.
En conclusion, l’ennemi est engage sur son champ de bataille et il faut s’y engager aussi bien
que lui.
La nature de l’impact des reseaux sociaux dans les pays et societes, etudie tout au long de cette
etude, montre qu’elle est fluctuante, pas toujours tres previsible et surtout non categorisable
et non modelisable. Si, de fait, il semble possible de modeliser la propagation d’informations et
de donnees (comme flux) au sein des reseaux sociaux, il n’en est pas de meme de modeliser la
nature de l’impact.
Les reseaux sociaux resultant des usages sociaux des medias 2.0, dans une invention /
adaptation souvent pas prevus par les concepteurs mais inventes par les utilisateurs ; ont
donc des usages et fonctions differentes, non pas en fonction des Etats, regimes politiques,
societes et cultures, mais des utilisateurs, y compris dans une forme « un par un ».
De ce fait aussi, les reseaux sociaux, comme tout autre reseau, representent du pouvoir a la
fois en tant qu’espace d’interaction, de theatres d’influences, de champs de bataille potentiels,
etc, impliquant des strategies mises en evidence au sein de cette etude, plus pertinentes
qu’une grille de montee en puissance.
Description de la vulnérabilité des sociétés, organisations ou des régimes politiques face aux possibilités offertes par les moyens de communication
46 Lieu de facilites et de fragilites, un certain nombre de criteres d’analyse sont necessaires pour
evaluer a un moment donne, selon une situation precise, a un endroit donne, quel sera l’usage
des reseaux sociaux et quels effets on peut en attendre. Aucun pays n’y echappe, aucune
societe, aucune culture, aucun regime, liberal ou autoritaire, France comme Chine, Russie
comme Etats Unis, Egypte comme Bresil… L’impression generale cependant est que la
banalisation des reseaux sociaux est en marche, que de l’infodominance etatique nous
sommes passes au pouvoir economique des metadonnees, que leur attrait economique prime
sur tout et que leur audience vaut surtout quand leur message est relaye par des medias
traditionnels.
C’est donc un suivi de la penetration d’internet, de celle des telephones portables, de la
capacite des autorites a limiter la diffusion des medias sociaux, de la sensibilite des
populations aux messages que la conjoncture permet de diffuser avec succes, de l’habilete des
internautes a contourner les interdits etc. qu’il faut assurer, pays cible par pays cible, afin
d’etre pret le moment venu pour etablir une appreciation de situation.
D’autres recommandations suivent. Elles sont generales mais aident a se preparer a la
situation engendree par cette nouvelle approche mediatique, a en faire entrer la dimension
dans le quotidien de l’action.
Il ne faut pas attendre une crise pour se preparer. Il faut en particulier se doter d’une cellule
media sociaux, et monter un blog de crise. Il faut faire en sorte que lorsque l’on tape xxx sur
Google, yyy apparaisse. Il est Important de detecter les signaux faibles et mettre en jeu des
activateurs de « like ». Cette fonction peut s’appuyer sur un prestataire exterieur specialise.
La direction generale doit etre reellement impliquee dans des politiques medias sociaux.
L’exemplarite du leader est primordiale, l’exemple vient d’en haut.
Il faut definir et diffuser plusieurs documents politiques : pour les employes, pour la ligne
editoriale, pour la politique editoriale des commentaires, pour la chaıne d’approbation des
contenus, pour le partage des informations internes et le monitorage externe des contenus,
pour la securite des technologies de l’information.
Il convient d’avoir un compte Facebook mais sans en faire l’outil unique des reseaux sociaux.
Quand tout va bien, c’est parfait bien, mais si un probleme surgit, ou une attaque subversive, le
mur Facebook peut devenir la cible d’attaques vicieuses et repetees.
Il faut reagir aux attaques sur les medias sociaux. Il faut les recenser, former le personnel,
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47 etablir une doctrine. Elle tient dans les points suivants :
Ne pas donner d’information classifiee,
Situer l’erreur dans les faits pas dans les arguments,
Admettre les fautes,
Faire preuve de jugement,
EÉ viter les copies,
Utiliser les regles sans les enfreindre,
Ne pas violer l’intimite,
EÉ viter d’endosser,
Ne pas parler a la place d’une autre,
Faire etat de sa non responsabilite,
Rester dans sa ligne, a sa place. .
Il faut temperer avant de tweetclasher, eviter le piege de l’emportement, et de l’ego. Attention
aux querelles a coups de tweets rageurs. Il faut rechercher de failles informationnelles,
marteler les argumentaires, exemples a l’appui, et suivre le fil Twitter. Il faut exploiter les
reactions maladroites de l’adversaire et essayer d’etre le petit contre le fort, penser la
contradiction en permanence.
Si on ne regarde pas sur ce que l’on dit de soi et que l’on publie quand meme, on montre une
vulnerabilite qui sera exploitee.