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1 DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ERE ES-TMD (LYCEE POINCARE NANCY) OBJET D’ETUDE / ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS Séquence 1 : LA RHETORIQUE AMOUREUSE DANS LA POESIE DU XVIÈME SIECLE Groupement de textes Problématique Comment s’exprime le sentiment amoureux dans la poésie du XVIème siècle ? Textes étudiés en lecture analytique - LOUISE LABE « Je vis, je meurs » Sonnets - PIERRE DE RONSARD « Marie qui voudrait votre nom retourner… » - DU BELLAY, « Déjà la nuit en son parc amassait… » L’Olive Lectures cursives - Anthologie CARPE DIEM, collection LIBRIO (mise en voix des poèmes marquants) - Textes de Ronsard « Mignonne allons voir si la rose », « Quand vous serez bien vieille », « Comme une belle fleur assise entre les fleurs » - « Une charogne » de Baudelaire : une réécriture moderne du carpe diem ? Etudes d’ensemble - Les pouvoirs de la poésie - Le message épicurien dans la poésie du XVIème Histoire des arts La Naissance de Vénus de Botticelli Activités élèves - Mise en place d’un atelier d’écriture ; écriture aléatoire, jeux d’écriture (anagrammes) Séquence 2 : UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD Œuvre intégrale Problématique Montrer comment le poète se met en scène à travers un recueil sulfureux et subversif Extraits étudiés en lecture analytique - Prologue - Nuit d’enfer - Adieu Extraits étudiés en lectures cursives - Les Chants de Maldoror de Lautréamont - Art poétique de Paul Verlaine - Lettre du voyant Rimbaud Etudes d’ensemble - Le parcours d’Arthur Rimbaud - Les conditions de la rédaction du recueil : la subversion et la polémique - La poésie doit-elle respecter les codes et conventions ou s’en affranchir ? HISTOIRE DES ARTS Etude du film Eclipse totale, Rimbaud-Verlaine, Agnieszka Holland, 1995

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DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ERE ES-TMD (LYCEE POINCARE NANCY)

OBJET D’ETUDE / ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS

Séquence 1 : LA RHETORIQUE AMOUREUSE DANS LA POESIE DU XVIÈME SIECLE

Groupement de textes

Problématique

Comment s’exprime le sentiment amoureux dans la poésie du XVIème siècle ?

Textes étudiés en lecture analytique

- LOUISE LABE « Je vis, je meurs » Sonnets

- PIERRE DE RONSARD « Marie qui voudrait votre nom retourner… »

- DU BELLAY, « Déjà la nuit en son parc amassait… » L’Olive

Lectures cursives

- Anthologie CARPE DIEM, collection LIBRIO (mise en voix des poèmes marquants)

- Textes de Ronsard « Mignonne allons voir si la rose », « Quand vous serez bien vieille », « Comme une belle fleur assise entre les fleurs » - « Une charogne » de Baudelaire : une réécriture moderne du carpe diem ?

Etudes d’ensemble

- Les pouvoirs de la poésie

- Le message épicurien dans la poésie du XVIème

Histoire des arts

La Naissance de Vénus de Botticelli

Activités élèves - Mise en place d’un atelier d’écriture ; écriture aléatoire, jeux d’écriture (anagrammes)

Séquence 2 : UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD

Œuvre intégrale

Problématique

Montrer comment le poète se met en scène à travers un recueil sulfureux et subversif

Extraits étudiés en lecture analytique

- Prologue

- Nuit d’enfer

- Adieu

Extraits étudiés en lectures cursives

- Les Chants de Maldoror de Lautréamont

- Art poétique de Paul Verlaine

- Lettre du voyant Rimbaud

Etudes d’ensemble - Le parcours d’Arthur Rimbaud

- Les conditions de la rédaction du recueil : la

subversion et la polémique

- La poésie doit-elle respecter les codes et conventions ou s’en affranchir ?

HISTOIRE DES ARTS

Etude du film Eclipse totale, Rimbaud-Verlaine, Agnieszka Holland, 1995

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OBJET D’ETUDE / LA QUESTION DE L’HOMME DANS LES GENRES DE

l’ARGUMENTATION

Séquence 3 : LA DENONCIATION DU PARAITRE DANS LES CARACTERES DE LA BRUYERE

Œuvre intégrale

(parcours)

Problématique

Comment le moraliste dénonce-t-il les travers et les vices de son temps ?

Extraits étudiés en lecture analytique

- « Acis »

- « Gnathon »

- « Ménippe »

Lectures cursives

- Œuvre intégrale : Les Caractères, étonnants classiques

- Portraits croisés de Giton et Phédon, et quelques

personnages marquants

- Etude de la préface des Caractères

Etudes d’ensemble

- Le projet de La Bruyère

- La critique des défauts des hommes : la satire sociale

HISTOIRE DES ARTS

- Diffusion et étude du film Ridicule de Patrice

Leconte

Séquence 4 : LA QUESTION DE LA PEINE DE MORT AU CŒUR DE L’ARGUMENTATION

Œuvre intégrale (parcours)

Problématique

Montrer comment les textes à visée argumentative peuvent évoquer le sujet polémique de la peine de mort

Extraits étudiés en lecture analytique :

Le Dernier jour d’un condamné de Victor

Hugo

- Préface du Dernier jour d’un condamné - extrait du chapitre VI - Dernière page du roman

Extraits ou œuvres étudiés en

lectures cursives

- Cesare Beccaria, essai extrait de Des délits et des peines, 1764

- Robert Badinter : Discours sur la peine de

mort, 1981

Etudes d’ensemble

- Débat d’idées : la question de la peine de mort : comment évoquer de manière argumentée un sujet polémique ?

- le rôle de la littérature : un moyen de faire évoluer les mentalités ?

ACTIVITES MENEES AVEC LA CLASSE - Constitution d’un groupement de textes réalisé par

les élèves et présenté à l’oral à partir des thèmes suivants : statut de la femme, liberté, guerre, fanatisme

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OBJET D’ETUDE / LE PERSONNAGE DE ROMAN DU XVIIème A NOS JOURS

Séquence 5 : L’ETRANGER d’Albert CAMUS

Œuvre intégrale

(parcours)

Problématique

Comment le roman de Camus propose-t-il une réflexion sur le statut du personnage de roman ?

Extraits étudiés en lecture analytique

- L’incipit (jusque « …pour ne plus avoir à parler »)

- La scène du meurtre (à partir de « J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini »)

- L’explicit (depuis « Lui parti… »)

Lectures cursives

- Œuvre intégrale : Le Parfum de Patrick SUSKIND

- Extrait du Mythe de Sisyphe de Camus

Etudes d’ensemble

- Analyse de l’importance des 4 éléments dans le roman : lecture thématique et psychanalytique du roman et de ses symboles

- L’absurde de la condition humaine dans le roman

- L’évolution du personnage de roman

HISTOIRE DES ARTS

- Extrait de l’adaptation de l’Etranger en bande

dessinée par JACQUES FERRANDEZ

Séquence 6 LE PERSONNAGE DE ROMAN AU TRAVAIL

Groupement de textes

Problématique

Comment le personnage de roman devient-il l’incarnation du « travailleur », et quelles valeurs véhicule-t-il ?

Extraits étudiés en lecture analytique :

- Emile ZOLA, Germinal, Maheu au travail - Gustave FLAUBERT Madame Bovary, le

portrait de Catherine Leroux - Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la

nuit, Bardamu à l’usine

Extraits ou œuvres étudiés en

lectures cursives

- Groupement de textes autour du travail du peintre :

§ Le Chef d’œuvre inconnu de Balzac § L’œuvre de Zola § Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde

Etudes d’ensemble / HDA La représentation du travail à l’usine dans l’adaptation du Voyage au bout de la nuit en BD par Tardi ; Les Temps modernes de Charlie Chaplin : l’aliénation de l’ouvrier. Les Raboteurs de Parquet de Gustave Caillebotte

ACTIVITES MENEES AVEC LA CLASSE

- Défi lecture : proposition de livres à lire en plus du programme, selon le rythme de lecture de chacun

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OBJET D’ETUDE / LE THEATRE TEXTE ET REPRESENTATION

Séquence 7 : UBU ROI d’Alfred JARRY

Œuvre intégrale

Problématique

Comment Alfred Jarry utilise-t-il les codes de la farce pour proposer une œuvre théâtrale défiant la bienséance ?

Extraits étudiés en lecture analytique

- Scène d’exposition (dans son intégralité)

- Acte II, 7 (la course)

- Acte III, 8 (les ministres à la trappe)

- Acte IV, 2 (les préparatifs pour la guerre)

- Acte V, scène 4 : le dénouement

Lectures cursives

- Rhinocéros de Ionesco Groupement de textes sur le théâtre de l’absurde :

§ Finissez vos phrases de Tardieu § En attendant Godot de Beckett § Les Chaises de Ionesco

Etudes d’ensemble

- La représentation du pouvoir dans Ubu Roi

- Le théâtre de l’absurde

- Etude de quelques photos de mises en scènes (Roland Topor, Hervé Lellardoux, Bernard Sobel)

HISTOIRE DES ARTS

- Analyse de la transposition d’Ubu Roi en Bande dessinée

par Daniel Casanave

- Etude de l’adaptation pour la télévision de Jean Christophe Averty

ACTIVITES MENEES AVEC LA CLASSE - Jeu théâtral : mise en scène de la scène d’exposition

d’Ubu Roi

- Créations personnelles : les élèves ont eu à concevoir « leur » Père Ubu (dessin, collage, photos, montage, vidéo, marionnette, masques…)

- Réalisation d’une affiche de la pièce

- Schéma de composition présentant la scénographie de la

scène de leur choix

Le professeur, M GALLO Le chef d’établissement,

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE : 1ÈRE ES TMD

OBJET D’ETUDE / ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS Séquence 1 : LA RHETORIQUE AMOUREUSE DANS LA POESIE DU XVIÈME SIECLE

v Texte 1 : « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie », Sonnets, Louise Labé (1555) Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ; J'ai chaud extrême en endurant froidure : La vie m'est et trop molle et trop dure. J'ai grands ennuis entremêlés de joie. Tout à un coup je ris et je larmoie, Et en plaisir maint grief tourment j'endure ; Mon bien s'en va, et à jamais il dure ; Tout en un coup je sèche et je verdoie. Ainsi Amour inconstamment me mène ; Et, quand je pense avoir plus de douleur, Sans y penser je me trouve hors de peine. Puis, quand je crois ma joie être certaine, Et être au haut de mon désiré heur, Il me remet en mon premier malheur.

v Texte 2 : « Marie, qui voudrait votre nom retourner », Amours de Marie, Pierre de Ronsard (1555)

Marie, qui voudrait votre nom retourner, Il trouverait aimer : aimez-moi donc, Marie, Votre nom de nature à l’amour vous convie Pécher contre son nom ne se doit pardonner. S'il vous plaît votre cœur pour gage me donner, Je vous offre le mien ; ainsi de cette vie Nous prendrons les plaisirs, et jamais autre envie Ne me pourra l’esprit d’une autre emprisonner. Il faut aimer, maîtresse, au monde quelque chose : Celui qui n'aime point, malheureux se propose Une vie d'un Scythe5, et ses jours veut passer Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure. Eh, qu'est-il rien de doux sans Vénus ? las ! à l'heure Que je n'aimerai point, puissé-je trépasser !

v Texte 3 : JOACHIM DU BELLAY, « Déjà la nuit en son parc amassait… » L’Olive Déjà la nuit en son parc amassait

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Un grand troupeau d'étoiles vagabondes, Et, pour entrer aux cavernes profondes, Fuyant le jour, ses noirs chevaux chassait ; Déjà le ciel aux Indes rougissait, Et l'aube encor de ses tresses tant blondes Faisant grêler mille perlettes rondes, De ses trésors les prés enrichissait : Quand d'occident, comme une étoile vive, Je vis sortir dessus ta verte rive, O fleuve mien ! une nymphe en riant. Alors, voyant cette nouvelle Aurore, Le jour honteux d'un double teint colore Et l'Angevin et l'indique orient.

Séquence 2 : UNE SAISON EN ENFER D’ARTHUR RIMBAUD (avril-août 1873)

- Texte 1 : Prologue Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j'ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l'ai trouvée amère. − Et je l'ai injuriée. Je me suis armé contre la justice. Je me suis enfui. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c'est à vous que mon trésor a été confié! Je parvins à faire s'évanouir dans mon esprit toute l'espérance humaine. Sur toute joie pour l'étrangler j'ai fait le bond sourd de la bête féroce. J'ai appelé les bourreaux pour, en périssant, mordre la crosse de leurs fusils. J'ai appelé les fléaux, pour m'étouffer avec le sable, le sang. Le malheur a été mon dieu. Je me suis allongé dans la boue. Je me suis séché à l'air du crime. Et j'ai joué de bons tours à la folie. Et le printemps m'a apporté l'affreux rire de l'idiot. Or, tout dernièrement m'étant trouvé sur le point de faire le dernier couac ! j'ai songé à rechercher la clef du festin ancien, où je reprendrais peut-être appétit. La charité est cette clef. − Cette inspiration prouve que j'ai rêvé ! "Tu resteras hyène, etc...," se récrie le démon qui me couronna de si aimables pavots. "Gagne la mort avec tous tes appétits, et ton égoïsme et tous les péchés capitaux." Ah ! j'en ai trop pris : − Mais, cher Satan, je vous en conjure, une prunelle moins irritée ! et en attendant les quelques petites lâchetés en retard, vous qui aimez dans l'écrivain l'absence des facultés descriptives ou instructives, je vous détache ces quelques hideux feuillets de mon carnet de damné.

- Texte 2 : Nuit de l’enfer J'ai avalé une fameuse gorgée de poison. - Trois fois béni soit le conseil qui m'est arrivé ! - Les entrailles me brûlent. La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier. C'est l'enfer, l'éternelle peine ! Voyez comme le feu se relève ! Je brûle comme il faut. Va, démon ! J'avais entrevu la conversion au bien et au bonheur, le salut. Puis-je décrire la vision, l'air de l'enfer ne souffre pas les hymnes ! C'était des millions de créatures charmantes, un suave concert spirituel, la force et la paix, les nobles ambitions, que sais-je ? Les nobles ambitions ! Et c'est encore la vie ! - Si la damnation est éternelle ! Un homme qui veut se mutiler est bien damné, n'est-ce pas ? Je me crois en enfer, donc j'y suis. C'est l'exécution du catéchisme. Je suis esclave de mon baptême. Parents, vous avez fait mon malheur et vous avez fait le vôtre. Pauvre innocent ! - L'enfer ne peut attaquer les païens. - C'est la vie encore ! Plus tard, les délices de la damnation seront plus profondes. Un crime, vite, que je tombe au néant, de par la loi humaine.

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- Texte 3 : Nuit de l’enfer L'automne, déjà ! - Mais pourquoi regretter un éternel soleil, si nous sommes engagés à la découverte de la clarté divine, - loin des gens qui meurent sur les saisons. L'automne. Notre barque élevée dans les brumes immobiles tourne vers le port de la misère, la cité énorme au ciel taché de feu et de boue. Ah ! les haillons pourris, le pain trempé de pluie, l'ivresse, les mille amours qui m'ont crucifié ! Elle ne finira donc point cette goule reine de millions d'âmes et de corps morts et qui seront jugés ! Je me revois la peau rongée par la boue et la peste, des vers plein les cheveux et les aisselles et encore de plus gros vers dans le coeur, étendu parmi les inconnus sans âge, sans sentiment... J'aurais pu y mourir... L'affreuse évocation ! J'exècre la misère. Et je redoute l'hiver parce que c'est la saison du comfort ! - Quelquefois je vois au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie. Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. J'ai créé toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames. J'ai essayé d'inventer de nouvelles fleurs, de nouveaux astres, de nouvelles chairs, de nouvelles langues. J'ai cru acquérir des pouvoirs surnaturels. Eh bien ! je dois enterrer mon imagination et mes souvenirs ! Une belle gloire d'artiste et de conteur emportée ! Moi ! moi qui me suis dit mage ou ange, dispensé de toute morale, je suis rendu au sol, avec un devoir à chercher, et la réalité rugueuse à étreindre ! Paysan ! Suis-je trompé ? la charité serait-elle soeur de la mort, pour moi ? Enfin, je demanderai pardon pour m'être nourri de mensonge. Et allons. Mais pas une main amie ! et où puiser le secours ?

OBJET D’ETUDE / LA QUESTION DE L’HOMME DANS LES GENRES DE l’ARGUMENTATION DU XVIème SIECLE A NOS JOURS

Séquence 3 : LA DENONCIATION DU PARAITRE DANS LES CARACTERES DE LA

BRUYERE

Texte 1 : Ménippe, Du mérite personnel Ménippe est l’oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent pas ; il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l’esprit des autres qu’il y est le premier trompé, et qu’il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu’il n’est que l’écho de quelqu’un qu’il vient de quitter. C’est un homme qui est de mise un quart d’heure de suite, qui le moment d’après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu’un peu de mémoire lui donnait, et montre la corde. Lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l’héroïque ; et, incapable de savoir jusqu’où l’on peut avoir de l’esprit, il croit naïvement que ce qu’il en a est tout ce que les hommes en sauraient avoir : aussi a-t-il l’air et le maintien de celui qui n’a rien à désirer sur ce chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s’en cache pas, ceux qui passent le voient, et qu’il semble toujours prendre un parti, ou décider qu’une telle chose est sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c’est le jeter dans l’embarras de savoir s’il doit rendre le salut ou non ; et pendant qu’il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l’a fait honnête homme, l’a mis au-dessus de lui-même, l’a fait devenir ce qu’il n’était pas. L’on juge, en le voyant, qu’il n’est occupé que de sa personne ; qu’il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie ; qu’il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler.

Texte 2 : ACIS De la société et de la conversation Que dites-vous ? Comment ? Je n'y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J'y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid : que ne disiez-vous : "Il fait froid" ? Vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige ; dites : "Il pleut, il neige". Vous me trouvez bon

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visage, et vous désirez de m'en féliciter ; dites : "Je vous trouve bon visage." — Mais répondez-vous cela est bien uni et bien clair ; et d'ailleurs, qui ne pourrait pas en dire autant ?" Qu'importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables, les diseurs de phébus ; vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement : une chose vous manque, c'est l'esprit. Ce n'est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ; je vous tire par votre habit et vous dis à l'oreille : "Ne songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point, c'est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l'ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit : peut-être alors croira-t-on que vous en avez." Texte 3 : GNATHON, De l’homme Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son propre de chaque service : il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé d'essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes, capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour lui un râtelier ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il se trouve, une manière d'établissement5, et ne souffre pas d'être plus pressé6 au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec plusieurs, il les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages. Il embarrasse tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa réplétion et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction du genre humain. Séquence 4 : LA QUESTION DE LA PEINE DE MORT AU CŒUR DE L’ARGUMENTATION :

Le dernier jour d’un condamné de Victor HUGO

Texte 1 : Préface du Dernier jour d’un condamné Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D'abord, – parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S'il ne s'agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? Faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ? Pas de bourreau où le geôlier suffit. Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas "punir pour se venger" ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons.

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Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l'exemple. – Il faut faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! - Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d'abord qu'il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l'effet qu'on en attend. Loin d'édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu'il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n'a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint- Pol, immédiatement après l'exécution d'un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l'échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le mardi gras vous rit au nez.

v Texte 2 : extrait du chapitre VI

Et puis, ce que j’écrirai ainsi ne sera peut-être pas inutile. Ce journal de mes souffrances, heure par heure, minute par minute, supplice par supplice, si j’ai la force de le mener jusqu’au moment où il me sera physiquement impossible de continuer, cette histoire, nécessairement inachevée, mais aussi complète que possible, de mes sensations, ne portera-t-elle point avec elle un grand et profond enseignement ? N’y aura-t-il pas dans ce procès-verbal de la pensée agonisante, dans cette progression toujours croissante de douleurs, dans cette espèce d’autopsie intellectuelle d’un condamné, plus d’une leçon pour ceux qui condamnent ? Peut-être cette lecture leur rendra-t-elle la main moins légère, quand il s’agira quelque autre fois de jeter une tête qui pense, une tête d’homme, dans ce qu’ils appellent la balance de la justice ? Peut-être n’ont-ils jamais réfléchi, les malheureux, à cette lente succession de tortures que renferme la formule expéditive d’un arrêt de mort ? Se sont-ils jamais seulement arrêtés à cette idée poignante que dans l’homme qu’ils retranchent il y a une intelligence ; une intelligence qui avait compté sur la vie, une âme qui ne s’est point disposée pour la mort ? Non. Ils ne voient dans tout cela que la chute verticale d’un couteau triangulaire, et pensent sans doute que pour le condamné il n’y a rien avant, rien après. Ces feuilles les détromperont. Publiées peut-être un jour, elles arrêteront quelques moments leur esprit sur les souffrances de l’esprit ; car ce sont celles-là qu’ils ne soupçonnent pas. Ils sont triomphants de pouvoir tuer sans presque faire souffrir le corps. Hé ! c’est bien de cela qu’il s’agit ! Qu’est-ce que la douleur physique près de la douleur morale ! Horreur et pitié, des lois faites ainsi ! Un jour viendra, et peut-être ces mémoires, derniers confidents d’un misérable, y auront-ils contribué… — À moins qu’après ma mort le vent ne joue dans le préau avec ces morceaux de papier souillés de boue, ou qu’ils n’aillent pourrir à la pluie, collés en étoiles à la vitre cassée d’un guichetier. –

v Texte 3 : Dernière page du roman Un juge, un commissaire, un magistrat, je ne sais de quelle espèce, vient de venir. Je lui ai demandé ma grâce en joignant les deux mains et en me traînant sur les deux genoux. Il m’a répondu, en souriant fatalement, si c’est là tout ce que j’avais à lui dire. — Ma grâce ! ma grâce ! ai-je répété, ou, par pitié, cinq minutes encore ! Qui sait ? elle viendra peut-être ! Cela est si horrible, à mon âge, de mourir ainsi ! Des grâces qui arrivent au dernier moment, on l’a vu souvent. Et à qui fera-t-on grâce, monsieur, si ce n’est à moi ? Cet exécrable bourreau ! il s’est approché du juge pour lui dire que l’exécution devait être faite à une certaine heure, que cette heure approchait, qu’il était responsable, que d’ailleurs il pleut, et que cela risque de se rouiller. — Eh, par pitié ! une minute pour attendre ma grâce ! ou je me défends ! je mords ! Le juge et le bourreau sont sortis. Je suis seul. — Seul avec deux gendarmes. Oh ! l’horrible peuple avec ses cris d’hyène ! — Qui sait si je ne lui échapperai pas ? si je ne serai pas sauvé ? si ma grâce ?… Il est impossible qu’on ne me fasse pas grâce ! Ah ! les misérables ! il me semble qu’on monte l’escalier…

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QUATRE HEURES.

OBJET D’ETUDE / LE PERSONNAGE DE ROMAN DU XVIIème A NOS JOURS

Séquence 5 : L’ETRANGER d’Albert CAMUS

- Texte 1 : L’incipit (jusque « …pour ne plus avoir à parler ») Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois. J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.

- Texte 2 : La scène du meurtre J'ai pensé que je n'avais qu'un demi-tour à faire et ce serait fini. Mais toute une plage vibrante de soleil se pressait derrière moi. J'ai fait quelques pas vers la source. L'Arabe n'a pas bougé. Malgré tout, il était encore assez loin. Peut-être à cause des ombres sur son visage, il avait l'air de rire. J'ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j'ai senti des gouttes de sueur s'amasser dans mes sourcils. C'était le même soleil que le jour où j'avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. A cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j'ai fait un mouvement en avant. Je savais que c'était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d'un pas. Et cette fois, sans se soulever, L'Arabe a tiré son couteau qu'il m'a présenté dans le soleil. La lumière a giclé sur l'acier et c'était comme une longue lame étincelante qui m'atteignait au front. Au même instant, la sueur amassée dans mes sourcils a coulé d'un coup sur les paupières et les a recouvertes d'un voile tiède et épais. Mes yeux étaient aveuglés derrière ce rideau de larmes et de sel. Je ne sentais plus que les cymbales du soleil sur mon front et, indistinctement, le glaive éclatant jailli du couteau toujours en face de moi. Cette épée brûlante rongeait mes cils et fouillait mes yeux douloureux. C'est alors que tout a vacillé. La mer a charrié un souffle épais et ardent. Il m'a semblé que le ciel s'ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu. Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors, j'ai tiré encore quatre fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme quatre coups brefs que je frappais à la porte du malheur.

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Texte 3 : Dernière page du roman (depuis « Lui parti… ») Lui parti, j'ai retrouvé le calme. J'étais épuisé et je me suis jeté sur ma couchette. Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage. Des bruits de campagne montaient jusqu'à moi. Des odeurs de nuit, de terre et de sel rafraîchissaient mes tempes. La merveilleuse paix de cet été endormi entrait en moi comme une marée. À ce moment, et à la limite de la nuit, des sirènes ont hurlé. Elles annonçaient des départs pour un monde qui maintenant m'était à jamais indifférent. Pour la première fois depuis bien longtemps, j'ai pensé à maman. Il m'a semblé que je comprenais pourquoi à la fin d'une vie elle avait pris un « fiancé », pourquoi elle avait joué à recommencer. Là-bas, là-bas aussi, autour de cet asile où des vies s'éteignaient, le soir était comme une trêve mélancolique. Si près de la mort, maman devait s'y sentir libérée et prête à tout revivre. Personne, personne n'avait le droit de pleurer sur elle. Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m'avait purgé du mal, vidé d'espoir, devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l'éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j'ai senti que j'avais été heureux, et que je l'étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu'il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu'ils m'accueillent avec des cris de haine. Séquence 6 : LE PERSONNAGE DE ROMAN AU TRAVAIL

Texte 1 : Emile ZOLA, Germinal, Maheu au travail

C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés, l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa lampe à un clou, près de sa tête; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang. Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une sorte de rythme entêté, toujours à la même place. Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque: elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son oeil, le faisait jurer. Il ne voulait pas lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches, ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet.

Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que ces coups irréguliers, voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et il semblait que les ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon, alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile métallique, n'y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s'ouvrait, montait ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se détachant, luisaient des blocs de houille, des pans et des arêtes, brusquement allumés d'un reflet de cristal. Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la pluie des sources.

Texte 2 : Gustave FLAUBERT Madame Bovary, le portrait de Catherine Leroux Alors on vit s’avancer sur l’estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui

paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements. Elle avait aux pieds de grosses galoches de bois, et, le long des hanches, un grand tablier bleu. Son visage maigre, entouré d’un béguin sans bordure, était plus plissé de rides qu’une pomme de reinette flétrie, et des manches de sa camisole rouge dépassaient deux longues mains, à articulations noueuses. La poussière des granges, la potasse des

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lessives et le suint des laines les avaient si bien encroûtées, éraillées, durcies, qu’elles semblaient sales quoiqu’elles fussent rincées d’eau claire ; et, à force d’avoir servi, elles restaient entrouvertes, comme pour présenter d’elles-mêmes l’humble témoignage de tant de souffrances subies. Quelque chose d’une rigidité monacale relevait l’expression de sa figure. Rien de triste ou d’attendri n’amollissait ce regard pâle. Dans la fréquentation des animaux, elle avait pris leur mutisme et leur placidité. C’était la première fois qu’elle se voyait au milieu d’une compagnie si nombreuse ; et, intérieurement effarouchée par les drapeaux, par les tambours, par les messieurs en habit noir et par la croix d’honneur du Conseiller, elle demeurait tout immobile, ne sachant s’il fallait s’avancer ou s’enfuir, ni pourquoi la foule la poussait et pourquoi les examinateurs lui souriaient. Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude.

Texte 3 : Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit, Bardamu à l’usine

Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu'on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s'entendre. A mesure qu’on avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine. On résiste tout de même, on a du mal à se dégoutter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ça pour qu’on y réfléchisse, et entendre en soi son cœur battre facilement, mais ça ne se peut plus. Ca ne peut plus finir. Elle est en catastrophe cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous ensembles ! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits qui s’écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu’ils déclenchent autour d’eux comme des espèces de silences qui vous font un peu de bien. Le petit wagon tortillard garni de quincaille se tracasse pour passer entre les outils. Qu'on se range! Qu'on bondisse pour qu'il puisse démarrer encore un coup le petit hystérique ! Et hop ! il va frétiller plus loin ce fou clinquant parmi les courroies et volants, porter aux hommes leur ration de contraintes. Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible au machines vous écœurent, à leur passer les boulons au calibre, et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre. On se laisse aller aux machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini. Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche, c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer et n’a plus de goût dans la pensée. On est devenu salement vieux d’un seul coup. Il faut abolir la vie du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle était, c’est pour ça. Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle. J'essayais de lui parler au contremaître à l'oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les gestes seulement il m'a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d'ici s'en iraient à passer des petites chevilles à l'aveugle d'à côté qui calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les mêmes. Moi j’ai fais ça tout de suite très mal. On ne me blâma point, seulement après trois jours de ce labeur initial, je fus transféré, raté déjà, au trimballage du petit chariot rempli de rondelles, celui qui cabotait d’une machine à l’autre. Là, j’en laissais trois, ici douze, là-bas quinze seulement. Personne ne me parlait. On existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire. Rien n'importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les hommes.

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Quand à six heures tout s’arrête on emporte le bruit dans sa tête. J’en avais encore moi pour la nuit entière de bruit et d’odeur à l’huile aussi comme si on m’avait mis un nez nouveau, un cerveau nouveau pour toujours.

OBJET D’ETUDE / LE THEATRE TEXTE ET REPRESENTATION Séquence 7 : UBU ROI d’Alfred JARRY

Texte 1 : I, 1 PÈRE UBU Merdre! MÈRE UBU Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou. PÈRE UBU Que ne vous assom'je, Mère Ubu! MÈRE UBU Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner. PÈRE UBU De par ma chandelle verte, je ne comprends pas. MÈRE UBU Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ? PÈRE UBU De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins : capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ? MÈRE UBU Comment ! après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à celle d'Aragon ? PÈRE UBU Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis. MÈRE UBU Tu es si bête ! PÈRE UBU

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De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu'il meure, n'a-t-il pas des légions d'enfants ? MÈRE UBU Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ? PÈRE UBU Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l'heure par la casserole. MÈRE UBU Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ? PÈRE UBU Eh vraiment ! et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les autres ? MÈRE UBU À ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues. PÈRE UBU Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que ces gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée. MÈRE UBU Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons. PÈRE UBU Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin d'un bois, il passera un mauvais quart d'heure. MÈRE UBU Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme. PÈRE UBU Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir ! MÈRE UBU, à part. Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu. PÈRE UBU Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que

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riche comme un méchant et gras chat. MÈRE UBU Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ? PÈRE UBU Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s'en va en claquant la porte.) MÈRE UBU, seule. Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne. Texte 2 : II, 7

La cour du palais pleine de Peuple. PÈRE UBU couronné, MÈRE UBU, CAPITAINE

BORDURE, LARBINS chargés de viande.

PEUPLE Voilà le roi ! Vive le roi ! Hurrah! PÈRE UBU, jetant de l'or. Tenez, voilà pour vous. Ça ne m'amusait guère de vous donner de l'argent, mais vous savez, c'est la Mère Ubu qui a voulu. Au moins, promettez-moi de bien payer les impôts. TOUS Oui, oui ! CAPITAINE BORDURE Voyez, Mère Ubu, s'ils se disputent cet or. Quelle bataille. MÈRE UBU C’est vrai que c'est horrible. Pouah en voilà un qui a le crâne fendu. PÈRE UBU Quel beau spectacle ! Amenez d'autres caisses d'or. CAPITAINE BORDURE Si nous faisions une course. PÈRE UBU Oui, c'est une idée. Au peuple. Mes amis, vous voyez cette caisse d'or, elle contient trois cent mille nobles à la rose en or, en monnaie polonaise et de bon aloi. Que ceux qui veulent courir se mettent au bout de la cour. Vous partirez quand j'agiterai mon mouchoir et le premier arrivé aura la caisse. Quant à ceux qui ne gagneront pas, ils auront comme consolation cette autre caisse qu'on leur partagera. TOUS Oui ! Vive le Père Ubu ! Quel bon roi ! On n'en voyait pas tant du temps de Venceslas.

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PÈRE UBU, à la Mère Ubu, avec joie. Écoute-les! Tout le peuple va se ranger au bout de la cour. PÈRE UBU Une, deux, trois ! Y êtes-vous ? TOUS Oui ! Oui! PÈRE UBU Partez ! Ils partent en se culbutant. Cris et tumulte. CAPITAINE BORDURE Ils approchent ! ils approchent! PÈRE UBU Eh ! le premier perd du terrain. MÈRE UBU Non, il regagne maintenant. CAPITAINE BORDURE Oh ! Il perd, il perd ! fini ! c'est l'autre Celui qui était deuxième arrive le premier. TOUS Vive Michel Fédérovitch ! Vive Michel Fédérovitch! MICHEL FÉDÉROVITCH Sire, je ne sais vraiment comment remercier Votre Majesté... PÈRE UBU Oh ! Mon cher ami, ce n'est rien. Emporte ta caisse chez toi, Michel; et vous, partagez-vous cette autre, prenez une pièce chacun jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus. TOUS Vive Michel Fédérovitch ! Vive le Père Ubu! PÈRE UBU Et vous, mes amis, venez dîner ! je vous ouvre aujourd'hui les portes du palais, veuillez faire honneur à ma table ! PEUPLE Entrons ! Entrons ! Vive le Père Ubu ! c'est le plus noble des souverains ! Ils entrent dans le palais. On entend le bruit de l'orgie qui se prolonge jusqu'au lendemain. La toile tombe. Texte 3 : III, 2 La grande salle du palais. Père Ubu, Mère Ubu, Officiers et soldats, Giron, Pile, Cotice, Nobles enchaînés, financiers, magistrats, greffiers.

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Père Ubu. — Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! Ensuite, faites avancer les Nobles. On pousse brutalement les Nobles. Mère Ubu. — De grâce, modère-toi, Père Ubu. Père Ubu. — J’ai l’honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens. Nobles. — Horreur ! A nous, peuple et soldats ! Père Ubu. — Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera. — (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ? Le Noble. — Comte de Vitepsk. Père Ubu. — De combien sont tes revenus ? Le Noble. — Trois millions de rixdales. Père Ubu. — Condamné ! Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou. Mère Ubu. — Quelle basse férocité ! Père Ubu. — Second Noble, qui es-tu ? (Le Noble ne répond rien.) Répondras-tu, bouffre ? Le Noble. — Grand-duc de Posen. Père Ubu. — Excellent ! Excellent ! Je n’en demande pas plus long. Dans la trappe. Troisième Noble, qui es-tu ? Tu as une sale tête. Le Noble. — Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau. Père Ubu. — Très bien ! Très bien ! Tu n’as rien autre chose ? Le Noble. — Rien. Père Ubu. — Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ? Le Noble. — Prince de Podolie. Père Ubu. — Quels sont tes revenus ? Le Noble. — Je suis ruiné. Père Ubu. — Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ? Le Noble. — Margrave de Thorn, palatin de Polock. Père Ubu. — Ça n’est pas lourd. Tu n’as rien autre chose ? Le Noble. — Cela me suffisait. Père Ubu. — Eh bien ! Mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Qu’as-tu à pigner, Mère Ubu ? Mère Ubu. — Tu es trop féroce, Père Ubu. Père Ubu. — Eh ! Je m’enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens. Le Greffier. — Comté de Sandomir. Père Ubu. — Commence par les principautés, stupide bougre ! Le Greffier. — Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn. Père Ubu. — Et puis après ? Le Greffier. — C’est tout. Père Ubu. — Comment, c’est tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m’enrichir, je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainsi j’aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe. On empile les Nobles dans la trappe. Dépêchez-vous, plus vite, je veux faire des lois maintenant.

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PLUSIEURS On va voir ça. PÈRE UBU Je vais d'abord réformer la justice, après quoi nous procéderons aux finances. PLUSIEURS MAGISTRATS Nous nous opposons à tout changement. PÈRE UBU Merdre. D'abord, les magistrats ne seront plus payés. MAGISTRATS Et de quoi vivrons-nous ? Nous sommes pauvres. PÈRE UBU Vous aurez les amendes que vous prononcerez et les biens des condamnés à mort. UN MAGISTRAT Horreur. DEUXIÈME Infamie. TROISIÈME Scandale. QUATRIÈME Indignité. TOUS Nous nous refusons à juger dans des conditions pareilles. PÈRE UBU A la trappe les magistrats ! Ils se débattent en vain. Texte 4, III, 8 :

Scène VIII Le camp sous Varsovie.

Soldats et Palotins Vive la Pologne ! Vive le Père Ubu !

Père Ubu Ah ! Mère Ubu, donne-moi ma cuirasse et mon petit bout de bois. Je vais être bientôt tellement chargé que je ne saurais marcher si j’étais poursuivi.

Mère Ubu Fi, le lâche.

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Père Ubu Ah ! voilà le sabre à merdre qui se sauve et le croc à finances qui ne tient pas ! ! ! Je n’en finirai jamais, et les Russes avancent et vont me tuer.

Un Soldat Seigneur Ubu, voilà le ciseau à oneilles qui tombe.

Père Ubu Ji tou tue au moyen du croc à merdre et du couteau à figure.

Mère Ubu Comme il est beau avec son casque et sa cuirasse, on dirait une citrouille armée.

Père Ubu Ah ! maintenant je vais monter à cheval. Amenez, messieurs, le cheval à phynances.

Mère Ubu Père Ubu, ton cheval ne saurait plus te porter, il n’a rien mangé depuis cinq jours et est presque mort.

Père Ubu Elle est bonne celle-là ! On me fait payer 12 sous par jour pour cette rosse et elle ne me peut porter. Vous vous fichez, corne d’Ubu, ou bien si vous me volez ? ( La Mère Ubu rougit et baisse les yeux.) Alors, que l’on m’apporte une autre bête, mais je n’irai pas à pied, cornegidouille ! (On amène un énorme cheval.)

Père Ubu Je vais monter dessus. Oh ! assis plutôt ! car je vais tomber. (Le cheval part.) Ah ! arrêtez ma bête. Grand Dieu, je vais tomber et être mort ! ! !

Mère Ubu Il est vraiment imbécile. Ah ! le voilà relevé Mais il est tombé par terre.

Père Ubu Corne physique, je suis à moitié mort ! Mais c’est égal, je pars en guerre et je tuerai tout le monde. Gare à qui ne marchera pas droit. Ji Ion mets dans ma poche avec torsion du nez et des dents et extraction de la langue.

Mère Ubu Bonne chance, monsieur Ubu.

Père Ubu J’oubliais de te dire que je te confie la régence. Mais j’ai sur moi le livre des finances, tant pis pour toi si tu me voles. Je te laisse pour t’aider le Palotin Giron. Adieu, Mère Ubu.

Mère Ubu Adieu, Père Ubu. Tue bien le czar.

Père Ubu Pour sûr. Torsion du nez et des dents, extraction de la langue et enfoncement du petit bout de bois dans les oneilles. ( L’armée s éloigne au bruit des fanfares. )

Mère Ubu, (seule).

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Maintenant, que ce gros pantin est parti, tâchons de faire nos affaires, tuer Bougrelas et nous emparer du trésor. Texte 5 : V, 4, le dénouement Le pont d’un navire courant au plus près sur la Baltique. Sur le pont le PÈRE UBU et toute sa bande. Le Commandant Ah ! quelle belle brise.

Père Ubu Il est de fait que nous filons avec une rapidité qui tient du prodige. Nous devons faire au moins un million de nœuds à l’heure, et ces nœuds ont ceci de bon qu’une fois faits ils ne se défont pas. Il est vrai que nous avons vent arrière.

Pile Quel triste imbécile. (Une risée arrive, le navire couche et blanchit la mer.)

Père Ubu Oh ! Ah ! Dieu ! nous voilà chavirés. Mais il va tout de travers, il va tomber ton bateau. Le Commandant Tout le monde sous le vent, bordez la misaine !

Père Ubu Ah ! mais non, par exemple ! Ne vous mettez pas tous du même côté ! C’est imprudent ça. Et supposez que le vent vienne à changer de côté : tout le monde irait au fond de l’eau et les poissons nous mangeront. Le Commandant N’arrivez pas, serrez près et plein !

Père Ubu Si ! Si ! Arrivez. Je suis pressé, moi ! Arrivez, entendez-vous ! C’est ta faute, brute de capitaine, si nous n’arrivons pas. Nous devrions être arrivés. Oh ! oh, mais je vais commander, moi, alors ! Pare à virer ! A Dieu vat. Mouillez, virez vent devant, virez vent arrière. Hissez les voiles, serrez les voiles, la barre dessus, la barre dessous, la barre à côté. Vous voyez, ça va très bien. Venez en travers à la lame et alors ce sera parfait. (Tous se tordent, la brise fraîchit.) Le Commandant Amenez le grand foc, prenez un ris aux huniers !

Père Ubu Ceci n’est pas mal, c’est même bon ! Entendez-vous, monsieur l’Equipage ? amenez le grand coq et allez faire un tour dans les pruniers. (Plusieurs agonisent de rire. Une lame embarque.)

Père Ubu Oh ! quel déluge ! Ceci est un effet des manœuvres que nous avons ordonnées. Mère Ubu et Pile Délicieuse chose que la navigation. [Deuxième lame embarque.) Pile (inondé). Méfiez-vous de Satan et de ses pompes.

Père Ubu Sire garçon, apportez-nous à boire. (Tous s’installent à boire.)

Mère Ubu Ah ! quel délice de revoir bientôt la douce France, nos vieux amis et notre château de Mondragon !

Père Ubu Eh ! nous y serons bientôt. Nous arrivons à l’instant sous le château d’Elseneur.

Pile Je me sens ragaillardi à l’idée de revoir ma chère Espagne.

Page 21: DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ERE ES-TMD …€¦ · La violence du venin tord mes membres, me rend difforme, me terrasse. Je meurs de soif, j'étouffe, je ne puis crier.

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Cotice Oui, et nous éblouirons nos compatriotes des récits de nos aventures merveilleuses.

Père Ubu Oh ! ça, évidemment ! Et moi je me ferai nommer Maître des Finances à Paris.

Mère Ubu C’est cela ! Ah ! quelle secousse !

Cotice Ce n’est rien, nous venons de doubler la pointe d’Elseneur.

Pile Et maintenant notre noble navire s’élance à toute vitesse sur les sombres lames de la mer du Nord.

Père Ubu Mer farouche et inhospitalière qui baigne le pays appelé Germanie, ainsi nommé parce que les habitants de ce pays sont tous cousins germains.

Mère Ubu Voilà ce que j’appelle de l’érudition. On dit ce pays fort beau.

Père Ubu Ah ! messieurs ! si beau qu’il soit il ne vaut pas la Pologne. S’il n’y avait pas de Pologne il n’y aurait pas de Polonais !