Descardes - Haiti, Vaudou, Droit de l'Homme

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    II

    DEDICACE

    A la mmoire de ma mre, Madame Rachelle DESCARDES

    pour que, par del la tombe, elle sache que jai gard une

    fidlit exemplaire son enseignement et que le rve nest pas

    bris

    A Jolle, Grgory, Junior, Frrot, Sherley pour quils ne

    doutent point de mon amour pour eux

    A Bernadine pour sa prsence constante, ses encouragements

    renouvels et ses conseils savants

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    III

    REMERCIEMENTS

    Nous remercions tous ceux qui nous ont aid concevoir et

    raliser cette prsente tude :

    Monsieur le professeur Etienne LE ROY, pour la qualit

    de son enseignement et lencadrement pdagogique

    quil ne nous a jamais marchand ;

    Monsieur le Recteur Michel ALLIOT, pour son zle et

    son dvouement dans la formation des jeunes

    chercheurs.

    Tous les professeurs de lUniversit Paris I (Panthon-

    Sorbonne) qui ont voulu nous donner une tte bien

    pleine et bien faite .

    Les confrres du Laboratoire dAnthropologie juridique

    de Paris I et ceux du club des Africanistes.

    Mes amis Constant et Benahi.

    Quils trouvent ici lexpression de notre plus profonde

    gratitude

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    IV

    Ce qui a donn au peuple hatien la force de

    supporter, dabord, puis de secouer tous les jougs, ce qui

    a t lme de sa rsistance, cest le patrimoine africain

    quil a russi transplanter ici et faire fructifier

    malgr les chanes .

    Andr BRETON

    Confrence prononce lInstitut

    Franais dHati,Port-au-Prince, dcembre 1945

    Nous navons pas rougir de lAfrique parce

    que ce continent a connu une poque de haute

    civilisation. Au contraire, soyons fiers dtre ngres.

    Parce que nous existons en tant que peuple, nous devonsavoir une culture propre nous-mmes. Dveloppons-la,

    mettons-la en valeur .

    Docteur Jean Price MARS

    Ainsi parla lOncle

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    V

    SOMMAIRE

    Introduction ................................................................................. 1

    Premire partie Culture et Droits de lHomme en Hati .............. 5

    Chapitre I. Du Vodou ............................................................... 6

    A. Vodou comme religion .................................... 6

    B. Vodou comme culture ..................................... 15

    Chapitre II. Des Droits de lHomme en Hati ............................. 23

    A. Les instruments ................................................ 23

    B. Des applications ............................................... 33

    Seconde partie Dynamique vodou au lieu des Droits de

    lHomme .......................................................... 44

    Chapitre I. Vodou antidote du pouvoir tyrannique .................... 45

    A. Vodou, espace de pouvoir ............................... 45

    B. Le pouvoir arrte le pouvoir ............................ 49

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    VI

    Chapitre II. Dynamique vodou et rgulation sociale .................. 55

    A. Les commandements du vodou ......................... 55

    B. Les fonctions du vodou ..................................... 60

    Conclusion .................................................................................. 65

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    VII

    Petit Glossaire du Vodou (hatien)

    Ason (asson) :

    Hochet du hougan ou de la mambo fait dune calebasse recouverte

    dun filet dans les mailles duquel sont prises des graines de

    porcelaine ou des vertbres de couleuvre.

    Attribut royal, symbole de puissance.

    Asoto (assotor) :

    Tambour sacr de grande taille frapp par plusieurs

    tambourinaires. Il est utilis au cours des grandes crmonies.

    Baka :

    Gnie malfaisant

    Chante pwen :

    Chansons engages travers lesquelles on envoie des messages ou

    des mises en garde.

    Chwal (cheval) :

    Personne possde par un loa.

    Doct fy (docteur-feuille) :

    Gurisseur

    Etranje (tranger) :

    Toute personne nappartenant pas la famille mystique.

    Govi :

    Vase de terre dans lequel sabritent les loas.

    Granmt (Grand matre) :

    Nom donn Dieu par les vodouisants.

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    VIII

    Hounf (humforts) :

    Temple vodou.

    Hougan :

    Prtre du vodou.

    Hougenikon :

    Chef chur dans une socit vodou qui envoie les chants et les

    arrte.

    Hounsi :

    Homme ou femme qui a pass les rites dinitiation et qui assiste le

    hougan ou la mambo.

    Invisible :

    Autre appellation de loa.

    Kanzo :

    Crmonie dinitiation qui habilite le nophyte servir avec le

    hougan ou la mambo.

    Lakou :

    Regroupement de plusieurs mnages ou familles sur une grande

    habitation. Rsidence du hougan ou de la mambo.

    Laplace :

    Matre de crmonie. Il conduit les processions, rend honneurs aux

    loas et assiste lofficiant.

    Loa (lwa) :

    Gnie, divinit du vodou.

    Loa-racine (lwarasin) :

    Esprit ancestral hrit dune famille ou des anctres.

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    IX

    Manger guinin (manje ginen) :

    Offrande offerte aux loas Rada.

    Manger loa (manje lwa) :

    Sacrifice danimaux et offrandes de nourriture en lhonneur des

    loas.

    Manger marassa (manje marasa) :

    Offrandes aux jumeaux divins.

    Manger yam :

    Crmonie qui consiste donner manger lme de la terre. Elle

    se compose dignames accompagnes dautres produits vivriers et

    de poissons schs.

    Mapou :

    Arbre mystique gant. Rsidence des loas.

    Mystre (mist) :

    Loa.

    Nan Campche :

    Haut lieu mystique dans le Nord.

    Nan Souvenans :

    Haut lieu mystique dans lArtibonite.

    Nom vaillant (non vanyan) :

    Non rituel donn un hougan ou une mambo lissue de son

    initiation complte. Cest aussi le nom sacr des plantes.

    Papa bon Dieu (Papa bondi) :

    Grand matre, autre appellation de Dieu.

    Pristyle (peristil) :

    Annexe de humfort o se droulent les crmonies.

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    X

    Pitite-feuille (piti fy) :

    Membre dune congrgation vodou adopt par le hougan ou la

    mambo.

    Poin (pwen) :

    Force magique. Puissance surnaturelle.

    Pierre-lorage :

    Pierres sacres dotes dune me et possdant de grandes vertus

    magiques.

    Saint (sen) :

    Loa.

    Service (svis) :

    Crmonie en lhonneur des loas.

    Tcha-tcha (tya-tya) :

    Instrument de musique fabriqu avec la coque vide et sche du

    fruit dun arbre sacr, le calebassier.

    Vodouisme :

    Amour exagr du vodou.

    Vv :

    Dessin sacr ou profane. Profane : dcoration ; sacr : armoirie

    rituelle et blason dun loa.

    Ouanga (wanga) :

    Ftiche, sortilge, charme.

    Zin (zen) :

    Pots en terre cuite dans lesquels on fait cuire les offrandes.

    Zombi :

    Individu dont un sorcier a enlev lme et quil a rduit en

    servitude.

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    TABLE DES MATIERES

    Introduction .................... ..................... ..................... ..................... 1

    Premire partie : Culture et Droits de lHomme en Hati ................... 5

    Chapitre I. Du Vodou ..................... .................... ..................... .... 6

    A. Vodou comme religion ............................ ................................ 6

    1. Formation du Vodou ........................ ................................ 6

    2. De la religion ..................... .................... ..................... .... 11

    B. Vodou comme culture ................... ..................... ..................... 15

    1. De la culture ........... ..................... ..................... .............. 15

    2. Vodou, synthse culturelle ..... .......... ................................ 17

    Chapitre II. Des Droits de lHomme en Hati ................................. 23

    A. Les instruments ................... .................... ..................... ........... 231. Les Constitutions ............................. ..................... ........... 23

    2. Les instruments internationaux .......................................... 29

    B. Des applications : de la thorie la pratique ........... .................. 33

    1. Nature du systme politique hatien .................................. 33

    2. Fragilit du modle occidental en Hati ............................. 38

    Seconde partie : Dynamique Vodou au lieu des Droits de

    lHomme .................. ..................... ..................... 44

    Chapitre I. Vodou antidote du pouvoir tyrannique .......................... 45

    A. Vodou, espace de pouvoir .................... ..................... .............. 45

    1. Vodou : bouclier protecteur .............. ................................ 45

    2. Le Hougan ....... ..................... ..................... ..................... 47

    3. Les adeptes .............................. ..................... .................. 48

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    INTRODUCTION

    Avant larrive de Christophe Colomb et de ses compagnons espagnols,

    le 5 dcembre 1492, lle dHati hbergeait une civilisation amrindienne

    reprsente par cinq caciquats ou royaumes : le Marien, la Maguana, le

    Xaraguah, le Higuey et la Magua. Assez tt, les Espagnols rduisirent les

    Aborignes dHati en esclavage. Contraints aux travaux forcs, les Indiens

    moururent en trs grand nombre. Leur dcimation rapide entrana limportation

    de Noirs venus dAfrique : Ouloffs, Peulhs, Bambaras et Mandingues issus du

    Sngal ; Bouriquis et Misrables provenant de la Cte-des-Graines et de la

    Cte dIvoire. Il y eut aussi les Aradas ou Dahomens originaires de la Cte-de-

    lOr et les Congolais.

    Aprs trois sicles de vicissitudes dans la ghenne de lesclavage, le va-nu-pieds de Saint-Domingue arrachrent la France, successeur de lEspagne

    dans la partie occidentale de lle, leur indpendance. Le 1er janvier 1804, Jean-

    Jacques Dessalines, lissue dune pope sanglante, fonda le premier Etat

    ngre du monde.

    Malheureusement, aprs lIndpendance le pays conserva la mme

    structure coloniale. Ses dirigeants, successeurs des colons, vont suivre la

    lettre les modles occidentaux : leurs modes de pense, leurs coutumes

    vestimentaires, alimentaires, leur langage politique, tout dnote une furieuse

    volont dimitation des valeurs de lancienne Mtropole.

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    Les significations et valeurs autochtones, les structures de parent, les

    solidarits claniques, les cosmogonies communautaires, les conduites quelles

    gnrent sont mutiles, perverties, discrdites. La culture traditionnelle est nie,

    noye dans la culture imitative, son oubli organis. Pourtant, le Vodou1 restera

    prsent toutes les phases de la vie nationale. Comme lcrivait Lamartine

    Petit-Monsieur, lHatien est un tre dont la psychologie est influence par le

    Vodou, car celui-ci savre tre le cadre de rfrence de tous ses problmes et

    le lieu de leur rsolution 2.

    Prparant un DEA dEtudes Africaines, option Anthropologie juridique et

    politique, nous avons cru trouver dans le Vodou un objet digne de rflexion.

    Comme la clbration en grande pompe du cinquantime anniversaire de la

    Dclaration des Droits de lHomme de lONU nous invitait rflchir sur la

    situation des Droits de lHomme en Hati, nous avons choisi de nous interroger

    sur les relations entre le Vodou et les Droits de lHomme. Ainsi est n notre

    sujet : Dynamique Vodou et Droits de lHomme en Hati.

    La Rvolution de 1804 signifie la fin de lesclavage et postule le respect

    de la dignit humaine. Dans cette perspective toutes les Constitutions hatiennes

    ont reconnu formellement aux citoyens la jouissance de leurs droits ; de plus

    Hati a ratifi un certain nombre de Conventions internationales labores pour

    la promotion des droits

    1 Lorthographe du mot varie dun auteur un autre. Dans notre tude, nous utiliserons lorthographe

    VODOU, avec une majuscule pour dsigner la religion et une minuscule quand il est employ comme

    adjectif. Mais dans les citations, lorthographe adopte par lauteur cit sera conserve.2 Lamartine PETIT-MONSIEUR :La coexistence des types religieux dans lHatien contemporain, Suisse,

    Immense, 1992, p. 160.

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    humains. Mais dans la pratique, Hati demeure le lieu privilgi de la dictature

    et de la tyrannie.

    En lieu et place des instruments lgaux, il semble que cest la

    Dynamique Vodou qui permet de freiner larbitraire des dirigeants et de ceux

    qui dtiennent du pouvoir. Il savre donc ncessaire de chercher rpondre

    quelques interrogations fondamentales en vue de leur apporter des rponses

    suffisantes.

    Quelle est la situation des Droits de lHomme en Hati ? Quelles sont les

    diffrences profondes entre lapproche de lEtat et celle de la Dynamique

    Vodou dans la reconnaissance et la dfense des Droits de lHomme en Hati ?

    Comment expliquer ces diffrences ? Par quelles procdures, la Dynamique

    Vodou freine-t-elle larbitraire de lEtat, fait-elle adapter le Droit officiel

    aux pratiques juridiques, politiques, sociales et conomiques des acteurs,

    assurant ainsi la rgulation de la socit hatienne ?

    Pour rpondre ces interrogations et dautres, nous avons men cette

    recherche. Notre travail comprend deux parties : la premire aborde les

    concepts-clefs (Vodou, Droits de lHomme) dans leurs rapports avec la culture

    hatienne et sinterroge sur la nature du systme politique hatien. La seconde

    essaie de montrer comment la Dynamique Vodou supple aux dfaillances des

    thories occidentales des Droits de lHomme, comme antidote du pouvoir

    tyrannique et comme mode de rgulation sociale.

    Cette tude peut susciter de vives polmiques, mais elle aura le mrite

    dtre originale et dapporter un surcrot de connaissances en clairant tous

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    ceux que la question intresse sur un aspect indit de la problmatique des

    Droits de lHomme en Hati.

    Si cette modeste contribution pouvait servir de base dautres tudes

    plus approfondies ou susciter un engouement pour une approche transculturelle

    des Droits de lHomme, lauteur sen estimerait satisfait et combl, et aurait

    pay en partie le dvouement exemplaire de ses illustres matres de lUniversit

    de Paris I (Panthon-Sorobnne).

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    PREMIERE PARTIE

    CULTURE ET DROITS DE LHOMME

    EN HAITI

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    CHAPITRE I

    DU VODOU

    Ce chapitre se propose de prsenter le Vodou comme Religion et comme

    Culture.

    A. VODOU COMME RELIGION

    1. Formation du Vodou

    a) Le contexte histor ique

    Le Vodou arriva en Hati avec les Noirs dAfrique aux XVe et XVIe

    sicles. Mais cest surtout sous la colonisation franaise que sest pose la

    question du Vodou.De patientes recherches nont pas pu tablir avec exactitude lorigine du

    Vodou. La raison cela est simple : cette origine est multiple et complexe.

    Dailleurs, tous les peuples qui ont vcu sur ce coin de terre ont apport des

    lments la formation de cette Religion. Mais, avant darriver l, il sagit de

    prsenter le Vodou comme une rponse lexploitation esclavagiste,

    limprialisme conomique, social, culturel des matres blancs. Un aperu sur

    les conditions dexistence matrielles des esclaves mettra en lumire ce point de

    vue.

    Arrachs brutalement du continent africain, les esclaves endurrent dans

    lenfer de Saint-Domingue toutes les misres physiques et morales. Le Code

    Noir (1685) qui rgit les ateliers et fait de lesclavage une institution officielle,

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    avait assimil les esclaves des biens meubles (Art. 44). Taillables et

    corvables merci, ces derniers sont astreints une somme de travail au-dessus

    de leur capacit physique. La rgle cest le travail gratuit, lhumiliation, la

    frocit. Lhoraire de travail est excessivement long : du lever au coucher du

    soleil en temps ordinaire, et parfois toute la nuit au temps de la rcolte. Ainsi

    ont-ils fertilis de leur sueur et de leur sang les plantations coloniales pour

    lenrichissement de leurs matres.

    En retour, que reoivent-ils en rcompense ? Aucune satisfaction !

    Aucune rmunration sous quelque forme que ce soit. Pas mme une ration

    alimentaire suffisante. Lhistorien trinidadien Robert James fait remarquer : Ce

    que lon donnait un esclave pour une semaine tait tout juste suffisant pour

    subvenir aux besoins dun homme bien portant en trois jours (). Cette ration

    tait distribue si irrgulirement quil arrivait plusieurs esclaves de passer

    plus de la moiti de la semaine sans manger 3.

    Et pour conjurer le danger dune ventuelle rvolte des esclaves, les

    Colons employrent des mthodes dshumanisantes. Ils eurent recours des

    chtiments corporels : usage abusif du fouet, arrachage des dents de lesclave,

    coulage du plomb fondu sur la plaie vive, enterrement jusquau cou aprs avoir

    enduit sa tte de sirop de canne pour ensuite labandonner aux fourmis. En plus

    des svices corporels, les matres avaient aussi imagin des chtiments moraux

    pour abtir lesclave : dfense dapprendre lire et crire, interdiction

    dattroupement, etc.

    Le contexte ne pouvait nullement offrir aux esclaves la quitude desprit.

    Le Vodou est donc une rponse aux humiliations, aux travaux forcs, au prjug

    3 Robert JAMES : Les Jacobins noirs, ditions Carabennes, 1988, premire dition 1938, p. 63

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    de couleur qui taient les marques caractristiques de la socit coloniale. Ds

    lors, le Vodou est un produit de linquitude, de langoisse aussi bien que de

    la rvolte 4.

    Le dveloppement conomique de Saint-Domingue avec lavnement de

    la monoculture sucrire augmenta considrablement le nombre des esclaves. Il

    en rsulta aussi le durcissement du systme : les matres pour accrotre leur

    marge de profit exigrent des esclaves plus de travail et se montrrent plus

    cyniques, plus sauvages et plus inhumains.

    Dans ces conditions, le dveloppement conomique de la colonie et

    laugmentation du volume de la socit coloniale vont acclrer le processus de

    formation du Vodou. Ce processus aura un caractre volutif. Autrement dit, le

    Vodou hatien ne sest pas form du jour au lendemain. Il a fallu trois longs

    sicles pour voir la fusion du naturalisme des aborignes et des mythes,

    croyances et totems africains.

    b) Les di f frents appor ts

    Le Vodou sest form grce des apports multiples ramasss a et l

    dans les croyances de tous les peuples ayant vcu en Hati : on y retrouve deslments indiens, africains et europens.

    4 Hnock TROUILLOT : Introduction une Histoire du vodou, Port-au-Prince, Revue de la Socit

    hatienne dhistoire, n 115, mars 1970, p. 96.

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    La prsence indienne se perptue dans le Vodou par le tcha-tcha,

    linhalation de la poudre de tabac, les pierres dites pierre-lorage ou pierre-

    tonnerre.

    LAfrique occupe la plus grande place dans le Vodou hatien. Un pays de

    lAfrique, en loccurrence la Guine est le centre gographique reprable de

    lunivers mystique. On connat aussi les expressions : ginen, svi ginen, pitit

    ginen.

    Dans son sens sotrique, le vocable ginen voque toute la mystique des

    croyances de nos Anctres, rappelle la nostalgie dune terre o Dieu et les

    hommes vivaient en parfaite communion. Lexpression svi ginen signifie le

    service des divinits africaines, le culte des Anctres qui consiste dans le fait de

    les honorer, leur donner manger, etc. Enfin, se considrer comme pitit ginen

    cest assumer son origine africaine avec tout ce que cela comporte dhistorique,

    de mental ou de culturel.

    Moreau de Saint-Mry remarquait que ce sont les ngres aradas qui

    sont les vritables sectateurs du vaudou dans la colonie et qui en maintiennent

    les principes et les rgles 5. Alfred Mtraux, avec une lgre nuance, fait la

    mme constatation : Le vaudou dans sa structure et son esprit est rest

    typiquement dahomen 6.

    Il nest pas superflu de rappeler que le vocable Vodou est un mot de la

    famille linguistique des Fons qui signifie esprit. Les accessoires de son

    culture portent des noms dahomens :govi,zen, asson, vv.

    5 Moreau de SAINT-MERY :Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie

    franaise de lIsle de Saint-Domingue, Paris, Socit franaise dhistoire doutre-mer, 3 volumes, 1re

    dition 1958.

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    Il est donc clair que les apports africains demeurent prdominants dans le

    Vodou hatien. Mais le Vodou moderne sest enrichi dlments europens, du

    catholicisme notamment. Lannec Hurbon rend compte de cet aspect : Il y a eu

    plutt une annexion de certains lments, croyances et rites au service du

    vodou ; jai appel cela un rapt de signifiants. Signifiants qui viennent renflouer

    le vodou ou simplement sajouter sa force 7.

    Les prires de lEglise catholique comme le Pater Noster, lAve Maria

    sont aussi celles du Vodou. La litanie des Saints catholiques occupe une grande

    place dans le rituel Vodou. Chaque loa du panthon vodou a son correspondant

    parmi les Saints de la religion catholique. Le prtre vodou dbute ses

    crmonies par le signe de la croix ; les humforts sont dcors par des images

    de Saints. Et il est coutume dentendre dire il faut tre catholique pour tre

    bon vodouisant . De plus, nombre de pratiques et de superstitions (sic)

    vodouesques viennent dailleurs dEurope et non dAfrique 8.

    La colonisation et lesclavage ont acclr le processus de formation du

    Vodou. Dans beaucoup de rgions o lhomme blanc a impos sa loi et sa

    religion () on a vu surgir des prophtes qui tout en appelant le peuple la

    rvolte, annonaient lavnement dune re o les blancs seraient humilis et les

    traditions indignes restaures dans leur gloire ancienne 9.

    Aprs Mackandal, Boukman organisa au Morne Rouge sur lhabitation Le

    Normand de Mzy, le 14 aot 1791 un grand congrs politique suivi dune

    imposante crmonie vodouesque. Depuis, lon retient 1791 comme date

    6 Alfred METRAUX : Le vaudou hatien, Paris, Gallimard, coll. Rel. 1997, 1 re dition 1958, p. 33.7 Lannec HURBON : Comprendre Hati, Essai sur lEtat, la Nation, la culture, Paris, Karthala, 1988, p.

    159.8 Lon-Franois HOFFMAN : Hati, couleur, croyances, Port-au-Prince, imprimerie Henri Deschamps,

    1990, p. 117.

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    officielle de la formation du vodou hatien. On peut donc tre daccord avec

    Alfred Mtraux quand il affirme : A la veille de la Rvolution franaise, le

    vaudou tait donc une religion organise qui ne se distinguait sans doute de sa

    formation actuelle que par son caractre africain beaucoup plus marqu 10.

    2. De la Religion

    a) Essai de dfinition

    La dfinition de ce vocable a donn lieu des controverses, voire des

    polmiques, travers les sicles qui jalonnent lhistoire de lhumanit.

    Aujourdhui encore, aucune dfinition de la Religion ne fait lunanimit.

    Pour Cicron (106-43 av. J.C.), homme politique et orateur latin, la

    religion est le respect que ressent lindividu au profond de son tre en face de

    tout tre qui en est digne, du divin en particulier. Ce respect se manifeste par le

    soin que lon met participer aux rites et autres gestes traditionnels de la

    socit 11.

    Pour Lucrce (98-55 av. J.C.), la religion est un systme de menaces et

    de promesses qui cultive et dveloppe le fond craintif de la nature humaine, qui

    crase lhomme, contre lequel, sil est noble et courageux, lhomme se rvolte etil triomphe grce la connaissance scientifique et la sagesse

    philosophique 12.

    9 Alfred METRAUX : op. cit., p. 37.10 Alfred METRAUX : op. cit., p. 22.11 Paul POULARD : Dictionnaire des religions, Paris, PUF, 1985, p. 1422.12 Paul POULARD : op. cit., p. 1424.

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    Pour Max Mller, la religion est un effort pour concevoir

    linconcevable, pour exprimer linexplicable, une aspiration vers linfini 13.

    Pour M. Rville, la religion est la dtermination de la vie humaine par

    le sentiment dun lien unissant lesprit humain lesprit mystrieux dont il

    reconnat la domination sur le monde et sur lui-mme et auquel il aime se

    sentir uni 14.

    Pour Emile Durkheim, une religion est un systme solidaire de

    croyances et de pratiques relatives des choses sacres, cest--dire spares,

    interdites, croyances et pratiques qui unissent en une mme communaut morale

    appele Eglise, tous ceux qui y adhrent 15.

    LAnthropologie a permis de voir, plus clair. Au lieu de sarrter une

    dfinition problmatique du phnomne, les anthropologues vont dcrire les

    croyances et les pratiques religieuses telles quils les observent dans des

    communauts qui les vivent. La religion contribue faire lunit dun peuple

    dans le partage dune exprience et dune explication de la vie commune. Elle

    fournit un modle de comportement, souvent une rponse aux vicissitudes de la

    vie. Donc, une religion est dabord une conception du monde, de sa cration et

    de son fonctionnement.

    b) Qu est-ce que le Vodou ?

    Le Vodou est la religion populaire des Hatiens, religion syncrtiste

    dont les principaux lments constitutifs proviennent des croyances danciennes

    tribus africaines noires, en particulier du Dahomey, auxquels sajoutent des

    13 Max MULLER : cit par E. Durkheim in Les formes lmentaires de vie religieuse.14 M. REVILLE : cit par E. Durkheim, ibidem.15 Emile DURKHEIM : les formes lmentaires de vie religieuse, 3e dition, Paris,PUF, 1994, p. 65.

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    croyances chrtiennes catholiques et a et quelques avatars du naturalisme des

    aborignes 16.

    Lethnologue franais Alfred Mtraux en donne la mme dfinition tout en

    insistant sur laspect utilitaire de cette religion : Cest un ensemble de

    croyances et de rites dorigine africaine qui, troitement mls des pratiques

    catholiques constituent la religion de la plus grande partie de la paysannerie et

    du proltariat urbain de la Rpublique noire dHati. Ses sectateurs lui

    demandent ce que les hommes ont toujours attendu de la religion : des remdes

    leurs maux, la satisfaction de leurs besoins et lespoir de survivre 17.

    Le Vodou est une religion de la nature, non point dans le sens que la

    nature y serait adore, mais parce que lhomme y est profondment insr ; il est

    un microcosme o le monde se lit tout entier ; il a sa place prcise dans une

    hirarchie de forces et dtres o tout est inclus : les dieux, les animaux, les

    vgtaux et les minraux. Les adeptes de la religion vodou croient lexistence

    des tres spirituels qui vivent quelque part dans lUnivers en troite intimit

    avec les humains dont ils dominent lactivit.

    Selon Claudine Michel, une analyse srieuse () rvle que le vodou

    repose sur une vision globale du monde, quil est un systme comprhensif qui

    faonne lexprience humaine de ses adeptes dans leur qute spirituelle et le

    dsir de bien remplir leur mission terrestre 18.

    16 Jean-Baptiste ROMAIN : Gnralits sur le Vodou, Port-au-Prince, Revue de la Facult dEthonologie,

    n 5, 1970, p. 5.17 Alfred METRAUX : op. cit., p. 58.18 Claudine MICHEL : Les aspects ducatifs et moraux du Vodou hatien, Port-au-Prince, (s.n.) Cambria

    Heights ( N.Y.), p. 24.

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    17

    B. VODOU COMME CULTURE

    1. De la culture

    a) Evolution du concept

    Le mot culture apparat la fin du XIe sicle. Il dsigne notamment la

    terre travaille pour produire les vgtaux. Il est synonyme dagriculture. Aussi

    parle-t-on de monoculture, de polyculture ou de culture vivrire. Il a gard ce

    sens unique jusquau milieu du XVIe sicle o les Humanistes de la Renaissance

    lui donnent un sens figur, synonyme desprit. Au XVIIIe sicle, la philosophie

    des Lumires lui donne un sens voisin dducation, de transformation et

    dpurement des murs. A cette mme poque le mot est aussi employ comme

    synonyme de Civilisation et renvoie des notions comme progrs ,

    ducation , volution .

    Au XIXe sicle, le mot fait son entre dans lAnthropologie. Cette

    discipline va chercher mettre en vidence une synthse. La culture est saisie

    comme une totalit et le but ultime de la recherche est de dgager le sens

    fondamental qui fonde son unit et sa globalit. E.B. Tylor dfinit la culture

    comme un tout complexe qui inclut les connaissances, les croyances

    religieuses, lart, la morale, les coutumes et toutes les autres capacits et

    habitudes que lhomme acquiert en tant que membre de la socit 19

    . Cette

    approche ethnologique a influenc la sociologie. Guy Rocher y voit un

    ensemble li de manires de penser, de sentir et dagir plus ou moins

    formalises qui, tant apprises et partages par une pluralit de personnes,

    19 Edward Burnett TAYLOR : Civilisation primitive, Cours du professeur Gerson Alexis, Port-au-Prince,

    Facult dEthnologie, Universit dEtat dHati, 1976.

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    servent dune manire objective et symbolique, constituer ces personnes en

    une collectivit particulire et distincte 20.

    Mais la question de loriginalit de la culture et les problmes soulevs

    par les mcanismes de son volution divisent les diffrents courants de

    lAnthropologie. Les volutionnistes supposent une diffusion partir dun foyer

    primitif unique, puis un dveloppement progressif. Les structuralistes, de leur

    ct, soulignent la spcificit irrductible de chaque culture qui interdit du

    mme coup tout ethnocentrisme. Dsormais, la culture nvoque plus un

    progrs, un devenir ou un idal, elle se rapporte plutt une situation sociale,

    un tat de socit quel quen soit le niveau de dveloppement. De normatif, le

    sens devient descriptif. Dautre part, la culture ne sapplique plus un individu,

    mais concerne une collectivit, une socit. Ce sens est propag travers

    lEcole dAnthropologie Culturelle amricaine.

    Margaret Mead, chef de file de cette Ecole, explique : Par culture nous

    entendons lensemble des formes acquises de comportement quun groupe

    dindividus, unis par une tradition commune, transmettent leurs enfants ().

    Ce mot dsigne donc non seulement les traditions artistiques, scientifiques,

    religieuses et philosophiques dune socit, mais encore ses techniques propres,

    ses coutumes politiques et les mille usages qui caractrisent sa vie quotidienne :

    modes de prparation et de

    20 Guy ROCHER : Introduction la Sociologie gnrale, 3 tomes, Paris, Points HMH, 1968, p. 210.

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    consommation des aliments, manire dendormir les petits enfants, etc. 21.

    b) Notre approche

    Privilgiant une approche anthropologique dynamique, nous voulons

    tenter, plutt que de dfinir, rechercher ce qui fonde lunit de lhritage

    collectif de la socit hatienne. Autrement dit, nous nous bornerons mettre en

    vidence les lments constitutifs de cet hritage pour permettre de comprendre

    comment le peuple hatien pense le monde, assure sa subsistance et sa vie

    quotidienne. Et dans le cadre de ce travail les logiques fonctionnelles seront

    privilgies sur les logiques institutionnelles . Enfin, nous attacherons la plus

    grande importance aux valeurs, traditions et symboles qui garantissent la

    jouissance de certains droits et valorisent la personne humaine comme maillon

    solidaire dune mme chane.

    2. Vodou, synthse culturelle

    a) Conception du monde

    Si une culture est dabord une vision du monde, plus quune Religion, le

    Vodou est une Culture. Comme lexplique Courlander, le vodou est un

    systme intgr de concepts concernant la conduite humaine, rgissant les

    rapports de lhumanit avec ceux qui ont vcu jadis et avec les forces naturelles

    et surnaturelles de lunivers 22. On peut comprendre le Vodou comme une

    21 Margaret MEAD : Socits, traditions et techniques, Paris, UNESCO, 1953, p. 13.22 Harold COURLANDER :Drum and the Hoe, Berkeley, Presses de lUniversit de Californie, 1973, p.

    12.

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    complexe et mystique vision du monde dans laquelle lhomme, la nature et

    linvisible sont intimement lis. Il ny a aucune sparation entre le sacr et le

    temporel, entre le saint et le profane, entre le matriel et le spirituel. De plus,

    le vodou ne renferme pas seulement un ensemble de concepts spirituels, il

    prescrit un mode de vie, une philosophie et un code thique qui rgulent le

    comportement social 23.

    Les croyances vodouesques constituent une vision du monde trs

    diffrentes de celles de la culture occidentale. Les Hatiens descendants

    dAfrique ne peroivent pas le monde comme les fils dAbraham , pour

    parler comme le Professeur Michel Alliot. Elment clef de la culture hatienne,

    le Vodou est le ciment de la mentalit hatienne. A ce sujet, il est intressant de

    rapporter le constat de lun des plus grands psychiatres hatiens : Nous avons

    lair de gnraliser et de fait nous osons gnraliser, fort que nous sommes de

    lide quil nexiste au fond quune mentalit hatienne acquise depuis de

    nombreuses gnrations et transmise avec des modifications plutt superficielles

    () chaque fois que souffle le vent des grandes contrarits, tout Hatien, quil

    soit de la ville, de la plaine ou des mornes, quil soit trs instruit ou

    analphabte, se trouve boulevers par des sentiments et des attitudes lis des

    communes sources de croyances traditionnelles 24.

    23 Wade DAVIS : The Sergent and the Rainbow, New-York, Warner Book, 1985, p. 73.24 Legrand BIJOUX : Coup dil sur la famille hatienne, Port-au-Prince, Imprimerie des Antilles, 1990,

    p. 10.

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    b) Rapports entre Vodou et autres lments de la

    culture hatienne

    Les autres lments de la culture hatienne sont issus pour la plupart du

    Vodou, pour tre plus juste, trouvent dans la Dynamique Vodou un lieu

    privilgi dexpression. Cest le cas de la langue crole, de la musique

    populaire ou de la peinture.

    Crole et Vodou

    Jusquen 1987, le franais fut la seule langue officielle du pays. La

    langue nationale tait mprise par llite dirigeante et les classes possdantes.

    Pourtant, il demeure un puissant attribut de lauthenticit. Demander un

    Hatien ce quil pense du Vaudou, comme du crole, cest le porter dvoiler

    non seulement ses positions de classe, mais aussi sa vision politique, sa

    conception de la lutte politique et sa vision de lavenir de la socit

    hatienne 25.

    Si tout un domaine de la sensibilit de lhomme ne peut sextrioriser

    dans sa langue maternelle, lHatien ne peut renoncer au crole sans ressentir

    une amputation grave de sa personnalit. Le crole a eu le mme parcours que

    le Vodou et est appel jouer le mme rle. Le Professeur Joseph Dsir le

    reconnat : Vhicule privilgi de lhritage ancestral, transmis par des voix

    multiformes, notre idiome a dsormais fait partie intgrante de notre patrimoine

    25 Lannec HURBON : op. cit., p. 117.

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    culturel. A ce compte, rien ne pourra empcher quil continue jouer son rle

    historique en tant quinstrument de cohsion et dunit nationale 26.

    Le Docteur Jean Price Mars, thoricien de lEcole indigniste a mesur la

    place du crole dans la culture hatienne de la manire suivante : Notre crole

    est une cration collective mane de la ncessit quprouvrent jadis matres

    et esclaves pour se communiquer leur pense cest grce au crole que nos

    traditions orales existent, se perptuent et se transforment, et cest par son

    intermdiaire que nous pouvons esprer combler, un jour, le foss qui fait de

    nous et du peuple deux entits apparemment distinctes et souvent

    antagonistes 27.

    Musique populaire et Vodou

    Parmi les arts hatiens, la musique et la danse occupent les premires

    places. Rien danormal cela : les esclaves originaires du continent africain sontrputs depuis toujours pour leurs dons musicaux. Le Noir est dabord un

    samba, un compositeur et un matre danseur. Il a la musique dans le sang et la

    danse colle au corps. Les rigueurs du systme esclavagiste, loin dliminer ses

    dons inns ne feront que les vivifier. La danse et la musique seront les moyens

    utiliss des fins de contestation sous une apparence anodine de divertissement.

    Cette musique populaire regroupe les textes et mlodies transmis dune

    gnration lautre sans que lon en connaisse trs bien les compositeurs et les

    chants religieux du riche rpertoire vodou. Leur accompagnement est assur par

    des instruments rudimentaires comme les tambours, les vaccines ou les cornes

    de lambi. Les chants du culte vodou sont largement exploits dans la plupart des

    26 Joseph DESIR : LEpreuve de littrature hatienne au baccalaurat, Port-au-Prince, d. La Sauvegarde,

    coll. La Renaissance, 1993, p. 23 et 24.27 Cit par Joseph DESIR : ibidem.

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    crations musicales hatiennes, pour lesquelles ils sont une continuelle source

    dinspiration. Chaque Loa28 correspond un rythme de tambour qui lui est

    propre, ainsi que son chant, quon entonne au moment o il intervient dans le

    corps de lun de ses serviteurs.

    La musique populaire dinspiration vodouesque permet au peuple

    dexprimer ses revendications fondamentales. Nous reviendrons sur cet aspect

    de faon plus dtaille dans notre seconde partie quand nous traiterons du rle

    du Vodou lgard du pouvoir politique.

    Peinture et Vodou

    En dcembre 1975, Andr Malraux visite Hati. Sduit par la richesse de

    la peinture de la communaut Saint-Soleil, il affirme que cest lexprience la

    plus saisissante la seule contrlable de peinture magique en notre sicle 29.

    En effet, le Vodou constitue pour les peintres hatiens une source fconde

    dinspiration. La peinture primitive hatienne puise sa force dans son adquation

    avec la ralit hatienne, ralit qui ne peut tre comprise, comme nous le

    soutenons qu partir du Vodou.

    Les vv, dessins symboliques du Vodou sont utiliss comme motifs de

    dcoration aussi bien en architecture que dans la couture. De grands peintres

    dits nafs avant de devenir peintres taient des faiseurs de vv. Hector

    Hyppolite, un des pionniers de la peinture nave hatienne avait orn les portes

    de sa maison par des symboles du Vodou.

    28 Voir glossaire.29 Lannec HURBON : les mystres du vaudou, Paris, Gallimard, 1993, p. 156.

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    Dans la liturgie vaudou, chaque couleur possde une signification

    propre et la peinture en subit linfluence, que le peintre en ait conscience ou non

    [ ]. Les lignes ont galement une valeur cosmique. La verticale reprsente

    lesprit ; lhorizontale, la matire, signe de Legba qui donne accs aux autres

    lwa, signe aussi du Christ, dieu fait homme. La circonfrence, qui, dune faon

    ou dune autre, se rencontre dans presque tous les vv, est non seulement le

    symbole de Dambala, le lwa serpent, mais elle est aussi limage de lhomme qui

    devient le centre de tout 30

    .

    30 Michel-Philippe LEREBOURS : Hati, art naf, art vaudou, catalogue de lexposition, Paris, 1988 .

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    CHAPITRE II

    DES DROITS DE LHOMME EN HAITI

    A. LES INSTRUMENTS

    En Hati, les fondements juridiques des Droits de lHomme sont codifis

    dans les Chartes fondamentales et les Conventions internationales ratifies par

    la Rpublique dHati.

    1. Les Constitutions

    Presque toutes les Constitutions hatiennes reconnaissent les droits

    fondamentaux de la personne et du citoyen : droit la vie, la justice, la libre

    expression ; droit de vote, de runion et dassociation

    a) Les Consti tutions davant 1986

    Deux ans aprs la proclamation de lIndpendance, la Constitution de

    1806 faisait du Prsident de la Rpublique le premier fonctionnaire excutif qui

    doit rendre compte de sa gestion et confirme les droits fondamentaux des

    Hatiens. On y lit : Les droits de lhomme en socit sont la libert, la sret

    et la proprit (art. 3)31. Aprs le long rgne de Jean-Pierre Boyer, la

    rvolution de 1843 prconise un rgime allant

    31 Louis-Joseph JANVIER : Les Constitutions dHati, 2 tomes, Port-au-Prince, Editions Fardin, 1977.

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    lencontre du despotisme prsidentiel et de la domination de la caste militaire.

    La Charte quelle enfanta reconnat le principe de la sparation des pouvoirs et

    jette les bases dun pouvoir civil, reprsentatif, libral et dcentralisateur.

    La chute dElie Lescot permet aux forces sociales et politiques du pays

    de revendiquer la libert pour tous et le partage du pouvoir. La Charte vote le

    22 novembre 1946 prend toutes les dispositions pour contrer les vellits

    despotiques du Prsident. On y remarque des innovations importantes comme

    lintroduction de lHabeas corpus, linterdiction de lextradition en matire

    politique, le respect du droit syndical des travailleurs, lobligation du cong

    annuel pay. Pour la premire fois la Police et lArme sont dcouples.

    Enfin, la Constitution de 1957 largit le contenu dmocratique et

    reconnat de nouveaux droits comme la protection sociale des dmunis ou les

    droits de la femme. Elle consacre un chapitre au rgime conomique,

    lobligation de lEtat de protger la sant publique et de procurer une assistance

    mdicale aux malades.

    b) La Consti tution de 1987

    Gnralement en Hati, la chute dun gouvernement considr comme

    dictatorial entrane le vote dune nouvelle constitution marque du sceau du

    libralisme le plus large. Ce fut le cas en 1806 aprs lassassinat de lEmpereur

    Jean-Jacques Dessalines ; en 1843, aprs le renversement de Jean-Pierre Boyer

    qui a dirig le pays pendant un quart de sicle (1818-1843) ; en 1987, aprs le

    dpart pour lexil de Jean-Claude Duvalier le 7 fvrier 1986.

    Ayant expliqu tous les malheurs du Pays par la tyrannie et la corruption

    des rgimes de Duvalier (Pre et Fils), la Constituante stait donne pour tche

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    Le chapitre II consacr aux droits fondamentaux traite du Droit la vie et

    la sant (Section A), de la libert individuelle (section B), de la libert

    dexpression (section C), de la libert de conscience (section D), de la libert de

    runion et dassociation (section E).

    Droit la vie et la sant

    Fidle la Dclaration Universelle des Droits de lHomme, la

    Constitution fait obligation lEtat de garantir le droit la vie, la sant, au

    respect de la personne humaine, de tous les citoyens (art. 20). Le crime de haute

    trahison consiste non seulement porter les armes contre la Rpublique mais

    aussi dans la dilapidation des deniers publics ou la violation de la Constitution

    par ceux chargs de la faire respecter (art. 21).

    De la libert individuelle

    Les articles 24 27 font lapologie de la libert individuelle et organisentla protection du citoyen contre les arrestations injustifies, exigent la

    prsentation dun mandat en cas darrestation, la prsence dun avocat ou dun

    tmoin au cours des interrogatoires et fixent 48 heures le dlai de comparution

    devant le Tribunal.

    Ils prcisent de faon formelle que nul ne peut tre arrt la place

    dun autre et donnent la possibilit aux personnes victimes dactes arbitraires

    de poursuivre les auteurs et excuteurs de ces actes quelles que soient leurs

    qualits et quelque Corps quils appartiennent . Il est aussi prvu lOffice de

    la Protection du Citoyen. Cet office a pour vocation, entre autres, de dfendre

    les individus contre les abus administratifs (art. 207).

    De la libert dexpression

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    La Charte fondamentale consacre la libert dexpression et libre la

    parole. Dsormais, tout Hatien a le droit dexprimer librement ses opinions en

    toute matire par la voie quil choisit (art. 28). La politique nest plus un sujet

    tabou et dangereux. Fini le temps o tout commentaire critique de laction

    gouvernementale tait peru comme un crime odieux et son auteur considr

    comme un criminel quil fallait abattre, par tous les moyens y compris la

    violence.

    Les citoyens peuvent choisir leurs reprsentants sans crainte et sans

    contraintes. Le journaliste peut exercer sa profession en toute quitude. La

    censure vole en clats. La presse se libre. Seule lthique professionnelle

    oblige le journaliste vrifier lauthenticit et lexactitude de ses sources. Il

    peut rapporter ce quil a vu ou entendu sans courir le risque darrestation, de

    bastonnades, dexil ou de disparition.

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    De la libert de conscience

    Lun des aspects les plus importants de la qute de la dmocratie de la

    Constitution du 29 mars 1987, fut la libert de conscience. Les Constituants ont

    compris quil tait urgent de remettre en cause le mode dinscription du

    religieux dans la socit hatienne. A la vrit, il tait temps de mettre un terme

    lintolrance religieuse qui avait cot tant de vies au pays. Par exemple, la

    chute de Jean-Claude Duvalier en fvrier 1986 a entran de violentes

    perscutions contre le Vodou. De nombreux prtres et prtresses de ce culte ont

    reu le Pre Lebrun 33 et leurs maisons dchouques . La liste des

    victimes est longue mais nous ne citerons quun seul tmoignage dont

    lauthenticit a t vrifie. Il est tir du journal Hati-Progrs de la semaine du

    7 au 13 mai 1986 :

    Nous avons vu, par exemple, Bariadelle, commune de Dame-Marie

    (sic) le samedi premier mars 1986, des mres, des grands-mres et des pres defamille mourir comme des chiens sans matres, comme des cabris quon mne

    la boucherie. : sept personnes ce jour-l ont eu la tte coupe () en file

    indienne et aprs interrogatoire, elles ont toutes t passes la machette () et

    tandis que les malfaiteurs poursuivent leurs odieuses oprations, les maisons

    des victimes brlent .

    Ces perscutions loin dliminer le Vodou vont ouvrir un nouveau

    moment dans son histoire. La religion populaire va lutter pour obtenir sa

    reconnaissance officielle et se dcouvrir de nouvelles dimensions et de

    nouvelles responsabilits. Les vodouisants obtinrent gain de cause et la

    Constitution de mars 1987 dcide dans son article 30 toutes les religions et

    33 Supplice du collier.

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    31

    tous les cultes sont libres. Toute personne a le droit de professer sa religion et

    son culte pourvu que lexercice de ce droit ne trouble pas lordre et la paix

    publics .

    2. Les instruments internationaux

    Membre de lAssemble gnrale des Nations Unies, la Rpublique

    dHati est cense partager le prambule de la Charte qui proclame sa foi dans

    les droits fondamentaux de lhomme, dans la dignit et la valeur de la personne

    humaine 34. Elle sest engage encourager le respect des Droits de lHomme

    et des liberts fondamentales. Dans cette perspective, Hati a ratifi nombre de

    Conventions internationales pour garantir la promotion des droits humains. Pour

    rendre compte de ces engagements, nous verrons dabord les instruments

    gnraux, ensuite ceux relatifs aux questions spcifiques et enfin les accords

    rgionaux.

    a) I nstruments gnraux

    La Rpublique dHati non seulement a ratifi la Dclaration Universelle

    des Droits de lHomme de lOrganisation des Nations Unies, mais encore les

    Constituants de 1987 vont intgrer lesprit de cette disposition internationaledans le Droit Constitutionnel hatien. En effet, on lit dans le prambule de la

    Constitution du 29 mars 1987 : Le

    34 ONU :Dclaration universelle des droits de lHomme, Rsolution 217 A (III), San Francisco, 10 dcembre

    1948.

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    Peuple Hatien proclame la prsente Constitution : pour garantir ses droits

    inalinables et imprescriptibles la vie, la libert et la poursuite du bonheur

    conformment son Acte dIndpendance de 1804 et la Dclaration

    Universelle des Droits de lHomme de 1948 35.

    Hati a aussi ratifi le Pacte international relatif aux droits civils et

    politiques 36 de 1966, entr en vigueur le 23 mars 1976.

    b) I nstruments relati fs aux questions spcif iques

    Les Pres fondateurs du premier Etat ngre indpendant rvaient den

    faire le boulevard de toutes les rpubliques noires parpilles travers le

    monde. Jean-Jacques Dessalines, ancien esclave, lev la Magistrature

    Suprme, avait fait de lamour de la race un lment clef de son idal. Il avait

    reconnu la qualit de citoyen hatien tout individu de race noire. Si sessuccesseurs ne sont pas toujours rests fidles son programme, ils ont

    nanmoins le mrite de seconder la volont de lONU pour quun terme soit mis

    aux diffrentes formes de sgrgation. On signalera les diffrentes Conventions

    internationales ratifies par Hati37. Il sagit de :

    Convention internationale sur llimination de toutes les formes de

    discrimination raciale de 1965 des Nations Unies. Entre en vigueur le 4

    janvier 1969.

    35 Ministre de lInformation (RH), op. cit.36 ONU : Recueil des traits, vol. 999, p. 171.37 Janus SYMONIDES et Vladimir VOLODIN : Droits de lHomme, instruments internationaux, Paris,

    UNESCO, mai 1998.

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    Convention internationale sur llimination et la rpression du crime

    dapartheid de 1973 des Nations Unies. Entre en vigueur le 18 juillet 1976.

    Convention de lOIT concernant la discrimination en matire demploi et de

    profession de 1958 des Nations Unies. Entre en vigueur le 15 juin 19610.

    Convention pour la prvention de la rpression du crime de gnocide de

    1948 des Nations Unies. Entre en vigueur le 12 janvier 1951.

    Convention supplmentaire relative labolition de lesclavage, de la traite

    des esclaves et des institutions et pratiques analogues lesclavage de 1956

    des Nations Unies. Entre en vigueur le 30 avril 1957.

    Convention pour la rpression de la traite des tres humains et de

    lexploitation de la prostitution dautrui de 1949 des Nations Unies. Entre

    en vigueur le 25 juillet 1951.

    Convention de lOIT concernant le travail forc de 1930 de la Socit des

    Nations. Entre en vigueur le 1er mai 1932.

    Convention de lOIT concernant labolition du travail forc de 1957 desNations Unies. Entre en vigueur le 17 janvier 1959.

    Convention relative au statut des rfugis de 1951 des Nations Unies. Entre

    en vigueur le 22 avril 1954.

    Protocole relatif au statut des rfugis de 1967 des Nations Unies. Entre en

    vigueur le 4 octobre 1967.

    Convention de lOIT concernant la libert syndicale et la protection du droit

    syndical de 1948 des Nations Unies. Entre en vigueur le 4 juillet 1950.

    Convention de lOIT concernant lapplication des principes du droit

    dorganisation et de ngociation collective de 1949 des Nations Unies.

    Entre en vigueur le 18 juillet 1951.

    Convention sur les droits politiques de la femme de 1953 des Nations Unies.

    Entre en vigueur le 7 juillet 1954.

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    Convention sur llimination de toutes les formes de discrimination lgard

    des femmes de 1976 des Nations Unies. Entre en vigueur le 3 septembre

    1981.Convention relative aux droits de lenfant de 1989 de lUNICEF.

    Entre en vigueur le 2 septembre 1990.

    c) Instruments rgionaux

    Membre de lOrganisation des Etats Amricains (OEA), la Rpublique

    dHati a ratifi huit des principales Conventions de cette Association38. Il sagit

    de :

    Convention amricaine relative aux droits de lhomme de 1969. Entre en

    vigueur le 18 juillet 1978.

    Convention sur lasile de 1928. Entre en vigueur le 21 ami 1929.

    Convention sur lasile politique de 1933. Entre en vigueur le 28 mars 1935.

    Convention sur lasile diplomatique de 1954. Entre en vigueur le 29

    dcembre 1954.

    Convention sur lasile territorial de 1954. Entre en vigueur le 29 dcembre

    1954.

    Convention sur le statut des trangers de 1928. Entre en vigueur le 29 aot

    1929.

    Convention interamricaine sur la concession des droits politiques la

    femme de 1948. Entre en vigueur le 17 mars 1949.

    Convention interamricaine sur la prvention, la sanction et llimination de

    la violence contre la femme de 1994. Entre en vigueur le 3 mars 1995.

    38 OEA : OAS Official Records, OEA/SER/A.

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    B. DES APPLICATIONS : DE LA THEORIE A LA

    PRATIQUE

    Avec des Constitutions trs librales et la ratification dune trentaine de

    Conventions et Accords internationaux relatifs aux droits de lhomme, le

    Citoyen hatien tait cens jouir de tous ses droits. Mais est-ce le cas ?

    Les Constitutions hatiennes ont toujours arrang les organes du Pouvoir

    politique de faon garantir lesprit dmocratique. Mais quel foss entre la

    thorie et la pratique ! Cette contradiction doit tre explique par la nature du

    systme politique hatien et la fragilit de lapproche occidentale des Droits de

    lHomme en milieu hatien.

    1. Nature du systme politique hatien

    Marqu profondment par les squelles du colonialisme, les traits

    dominants du systme politique hatien : lautoritarisme, la corruption et

    linjustice sociale.

    Le Chef de lEtat se veut lincarnation de lautorit en premier et dernier

    ressort. Un romancier du terroir, Jean-Baptiste Cinas fait de lui un "pontife

    comme lge dor du papisme". Cest un monarque glorieusement rgnant surla Rpublique des Esclaves 39. La prpondrance excessive de lExcutif et

    linstance politique qui sy confond entrane la chute des autres institutions. Le

    Chef de lEtat tient dans ses mains toutes les instances : arme, police, justice et

    mme le Parlement. Il nomme et rvoque tous les emplois publics et fait des

    39 Montalvo DESPEIGNES : Le droit informel hatien, Paris, PUF, 1976, p. 28.

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    largesses qui il veut et quand il veut. Il nadmet pas de contradiction. Tout

    opposant est considr tratre la Patrie.

    Les citoyens ne peuvent pas choisir librement leurs reprsentants ni

    opiner sur la gestion de la chose publique. Les rassemblements sont interdits et

    les membres des groupements sont considrs comme des camoquins ou des

    macoutes40, selon lpoque. Faire de la politique, cest sexposer voir sa

    maison pille avant dtre incendie, sa femme viole et ses enfants torturs.

    Dans ces conditions, on peut bon droit sinterroger sur la vrit des

    dispositions dmocratiques. Les citoyens reconnaissent lEtat que sous le visage

    de la violence pure.

    Le despotisme est la mthode prfre des gouvernements hatiens quils

    se disent de droite , de gauche ou quils revtent des habits de

    Rpublicain, dEmpereur ou de Roi. Les dtenteurs du pouvoir politique se

    comportent comme des matres ayant droit de vie et de mort sur les citoyens

    assimils des esclaves.

    Les sciences politiques ont toujours pris le rapport matre/esclave

    comme paradigme de la domination de lhomme par lhomme. De La Botie

    Hobbes et de Rousseau Hegel, on na pas cess de penser ce paradigme qui,

    dans la plupart des cas, est pourtant employ comme pure mtaphore. Cette

    fois, dans le cas dHati et de son histoire, rien nest plus concret.

    Lesclavagisme, qui a dur trois sicles, a laiss intacts, aprs la disparition du

    matre, ses rseaux symboliques et imaginaires au cur de la socit

    hatienne 41.

    Le mme auteur illustre :

    40 Camoquin : opposant au rgime de Duvalier.

    Macoute : dfenseur zl du rgime duvaliriste considr comme hostile au mouvement Lavalas.41 Lannec HURBON : Comprendre Hati,op. cit., p. 18.

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    On tire la nuit dans toute la ville et nul ne sait quand la balle perdue

    viendra atteindre linnocent dans son lit. Un passant ou un vacancier peut tre

    interpell par des soldats ou des civils arms, le soir, au cours dune

    promenade, et se retrouver conduit en prison sous une avalanche de coups de

    bton sans mme savoir pourquoi. Sur des foules de manifestants sans armes, on

    peut tirer bout portant 42.

    La pratique denrichissement illicite et la tradition du gain sans travail est

    aussi une caractristique du systme politique hatien. De lIndpendance nos

    jours, les responsables politiques ne cherchent qu satisfaire leurs besoins de

    luxe, de lucre et de luxure. Pour y arriver, ils rigent la corruption en systme,

    font de la contrebande et confondent les biens de lEtat avec les leurs propres.

    Malheureusement, il semble que la solution nest pas pour demain : Les

    survivances de cette mentalit de rapine, hrite du colonialisme, mettront

    encore du temps, avant de disparatre de nos murs politiques pour tre

    relgue dfinitivement au

    42 Lannec HURBON : ,op. cit., p. 17.

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    muse des fossiles. Les mfaits de ces comportements anti-sociaux et anti-

    progressistes sont tels quils ont empch, au fil des ans, les investissements

    productifs qui auraient permis de changer la physionomie du pays, en attnuant

    progressivement le clivage social et les violentes ingalits qui paralysent tout

    effort de dveloppement 43.

    Cette situation lamentable du pillage systmatique des deniers publics

    par les classes dirigeantes dbouchent sur la pauprisation des masses

    populaires rduites vivre dans lindigence la plus totale. Ainsi ce ne sont pas

    les droits civils et politiques seulement qui sont viols, la violation atteint aussi

    les citoyens dans leurs droits conomiques et sociaux. Sans un minimum de

    moyens conomiques et sociaux, lHomme ne peut jouir pleinement de ses

    liberts et quune des faons de violer les droits de lHomme est, pour un Etat,

    de laisser une trop grande partie de la population dans une situation de pauvret,

    voire de misre 44.

    Le systme politique, tel quil est organis, renvoie des pratiques

    condamnables dexclusion et de marginalisation des masses. Rien nest fait pour

    permettre aux paysans, reprsentant plus de 80 % de la population globale de

    vivre dans la dignit. On a mme limpression quun processus

    dappauvrissement des campagnes est savamment planifi. LEtat et la

    bourgeoisie commerciale sont les principaux bnficiaires des denres agricoles.

    Il nexiste en Hati ni allocations

    43 Ernst A. BERNADIN : histoire conomique et sociale dHati de 1804 nos jours (lEtat complice et la

    faillite dun systme), Port-au-Prince, Imprimatur, dcembre 1998, p. 27.44 Jacques ROBERT :Prface de Droits de lHomme et liberts fondamentales, Paris, Montchrtien, 1993,

    p. 40.

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    familiales, ni systme de Scurit sociale. Les coles, les hpitaux sont rservs

    aux riches.

    Le pays est divis en deux socits diamtralement opposes. 85 % de la

    population sont tenus loin des lumires de linstruction et font lexprience

    cruciale de vivre sans bnficier dun minimum de services sociaux. Le

    monde rural, sur le plan des infrastructures et services de base, est nettement

    plus dfavoris que le monde urbain. Laire mtropolitaine de Port-au-Prince qui

    a toujours bnfici de la majeure partie des fonds disponibles pour

    linvestissement public (80 % en moyenne) concentre la plupart des

    infrastructures du pays : plus de 50 % des hpitaux (13 sur 25), prs de 25 %

    des coles primaires, secondaires et techniques, prs de 75 % des coles

    suprieures et des facults ; prs de 65 % des installations bancaires sont

    localiss Port-au-Prince qui consomme plus de 75 % de lnergie lectrique

    disponible, alors que les autres villes du pays, des degrs divers, souffrent

    normment de la carence dinfrastructures de toutes sortes 45.

    La socit est rgie par une logique cynique : le surenrichissement des

    nantis partir de lexploitation honte des dmunis. Accule au dsespoir, la

    population se voit oblige de risquer sa vie sur de frles embarcations dans

    lespoir de dbarquer sur une terre plus clmente. Contrairement lopinion

    rpandue dans la presse internationale, les boat-people hatiens fuient moins la

    perscution politique que la misre matrielle. Il en est de mme des travailleurs

    saisonniers agricoles hatiens, les braceros qui vont couper la canne sucre en

    Rpublique Dominicaine.

    Presque tous les Codes ruraux depuis Boyer cherchent perptuer les

    pratiques du systme esclavagiste. Le pays qui jadis fut la Perle des

    45 Ernst A. BERNADIN : op. cit., p. 33.

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    Antilles , eu gard aux richesses quil produisait doit aujourdhui vivre de

    charit internationale. Les puissances amies dHati au nom de la charit

    chrtienne ont planifi les programmes de food for work !

    A tout cela sajoute la violation de la libert de conscience et des cultes.

    Les gouvernements successifs allis la puissante Eglise catholique seconde

    par les cultes rforms livreront une guerre sans merci la religion populaire.

    Jacques S. Alexis, avec son talent de grand romancier, dnonce ce qui a t

    baptis de campagne anti-superstitieuse : Quels sacrilges lenfant noir

    quil tait nallait-il pas commettre pour la plus grande gloire du Dieu des

    Blancs ! Pendant trois cents ans le "houmfort" avait dfi la Cathdrale ! De

    guerre lasse, un jour, lArchevque blanc dit : "Allez dtruire les dieux de

    lAfrique immmoriale et de cette terre ptrie de leurs mains. Toi, le premier

    Brle-les jusquau dernier" ! Et il se lverait sans un mot, sans un cri ! 46.

    2. Fragilit du modle occidental en Hati

    La situation prcaire des Droits de lHomme en Hati sexplique par la

    fragilit mme du systme tel quil est codifi travers les instruments tant

    nationaux quinternationaux. LEtat, stablissant dans le rejet de lexistence de

    la culture nationale va singer le modle occidental. Ds lors, toute culture

    vritable doit se confondre avec celle de lOccident. Comme le colonisateur, il

    croit quil est de son devoir de civiliser les Hatiens pour leur permettre de

    jouir des Droits de lHomme. Un tel systme devient donc fragile et cette

    fragilit peut tre explique par des facteurs politiques, anthropologiques,

    conomiques et technologiques.

    46 Jacques S. ALEXIS : les arbres musiciens, Paris, ditions Gallimard, 1952, p. 61.

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    a) Facteurs politiques

    Les facteurs politiques de fragilit des Droits de lHomme sont nombreux

    et difficiles synthtiser.

    Il existe en Hati un camouflage constitutionnel et lgaliste du

    despotisme. La faade constitutionnelle, irrprochable sur le plan des Droits de

    lHomme cache un pouvoir tyrannique qui ne respecte pas vraiment les droits

    des citoyens. Dans la pratique les gouvernements rejettent lidal dmocratique

    auquel ils prtendent adhrer pour plaire aux grandes puissances occidentales

    ou obtenir laide qui sera dtourne leur profit personnel. Les Constitutions

    hatiennes, en thorie, protectrices des liberts, sont violes par ceux-l mme

    qui avaient jur de les faire respecter. LEtat se donne les moyens de contourner

    les dispositions gnreusement dmocratiques en voquant la raison dEtat ,

    les circonstances particulires pour suspendre les liberts.

    La toute-puissance de lExcutif permet de rduire nant les contre-pouvoirs du pouvoir judiciaire ou de rduire le Parlement une simple

    Chambre denregistrement .

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    b) Facteurs anthropologiques

    Sur le plan anthropologique, il faut dplorer que la thorie occidentale

    des Droits de lHomme ne sinscrit pas dans la ligne culturelle hatienne. Il faut

    admettre quil nexiste pas de culture, de tradition, didologie ou de religion

    qui puisse aujourdhui, ne disons pas mme rsoudre les problmes de

    lhumanit, mais parler pour lensemble de celle-ci. Il faut ncessairement

    quinterviennent le dialogue et les changes humains menant une fcondation

    mutuelle. Mais il arrive parfois que les conditions mmes du dialogue ne soient

    pas runies, du fait de lexistence de conditions implicites auxquelles la plupart

    des partenaires ne peuvent satisfaire. Cest un fait que la formulation actuelle

    des Droits de lHomme est le fruit dun dialogue trs partiel au sein des cultures

    qui existent dans le monde 47.

    Limposition de cette vision traduit un ethnocentrisme dcevant etconstitue une manifestation de larrogance occidentale ou pour reprendre le mot

    dun camarade le fantasme de lOccident . Elle peut tre perue comme une

    continuation du syndrome colonial qui continue donner lOccident de

    nouvelles raisons dimposer sa propre vision aux autres cultures.

    Il est ncessaire, urgent mme, dacclrer le processus dune critique

    transculturelle qui vitera le pige pistmologique dvaluer une culture

    diffrente de la sienne travers des cadres thoriques ou des prismes trangers

    qui la dforment.

    Hier, le pdantisme chrtien posait les quations malhonntes :

    Christianisme = Civilisation ; Paganisme = Sauvagerie48, pour lgitimer luvre

    47 Raymond PANNIKAR :La notion des droits de lhomme est-elle un concept occidental ? Revue Diogne,

    n 120, 1982, p. 87.48 Aim CESAIRE : Discours sur le Colonialisme, Paris-Dakar, Prsence Africaine, 1995, p. 16.

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    odieuse de la civilisation. Aujourdhui, lOccident sacharne contraindre tous

    les autres peuples adhrer sa politique des Droits de lHomme.

    Lchec de ces tentatives, malgr les efforts consentis et les sommes

    investies, doit sexpliquer dabord par le fait que ces dmarches ne tiennent pas

    compte des spcificit culturelles des autres peuples. Au moment o

    lindividualisme prime en Occident, cest le communautarisme qui triomphe

    dans de nombreuses rgions du globe. Par exemple, la socit hatienne est

    fortement imprgne du sentiment communautaire. Lindividu nexiste que par

    rapport au groupe et ses droits sont garantis par le respect des normes et valeurs

    partages par le groupe. Ces valeurs sont le plus souvent les croyances

    religieuses, la fidlit aux anctres, le respect des ans ou la peur des

    sanctions. On peut admettre avec le Professeur Michel Alliot que la structure

    sociale peut tre plus importante pour lavenir des individus et des groupes que

    les dclarations des Etats 49. Le Professeur Etienne Le Roy, pour sa part, est

    convaincu que dans ces penses animistes, lide de dclaration gnrale de

    droit, le principe duniversalisme ou la croyance que tous les hommes sont ns

    libres et gaux nont aucune quivalence. Pourtant, des rgulations

    fonctionnaient de manire satisfaisante (). Le principe plural aboutissait en

    effet lexistence de contre-pouvoir au sein de la socit interdisant un

    monopole de la violence 50.

    c) Facteurs conomiques et technologiques

    49 Michel ALLIOT : Droits de lhomme et Anthropologie du droit, Bulletin de liaison du LAJP, n 11,

    Paris, juillet 1986, p. 33.50 Etienne LEROY :Les fondements anthropologiques des droits de lhomme, Enseignement donn la 28e

    session de lInstitut international des droits de lHomme de Strasbourg, p. 9.

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    La marginalisation dune partie importante de la population hatienne

    constitue des facteurs conomiques de la fragilit des Droits de lHomme.

    Hati est actuellement lunique PMA (Pays moins avanc du continent

    amricain avec un revenu per capita / an infrieur $ 300. Les conditions de vie

    prcaire des couches sociales dmunies et spcialement la carence des services

    sociaux font delles un groupe social trs vulnrable. La discrimination sociale

    est catastrophique en matire dducation : 85 % de la population paysanne

    croupissent encore dans lanalphabtisme deux ans du troisime millnaire et

    aprs cent quatre-vingt quatorze ans dIndpendance. Plus de 70 % de la

    population vivent en dessous du seuil de pauvret absolue avec un revenu

    annuel per capita infrieur $ 100 51.

    Au cours des deux derniers sicles, de nombreuses dcouvertes

    scientifiques ont t ralises dans tous les domaines. Beaucoup dentre elles

    ont permis une amlioration spectaculaire des conditions de vie et ont abouti

    soit la cration de nouvelles liberts et de nouveaux droits, soit augmenter

    les droits existants. Mais ces nouvelles technologies non matrises par les pays

    pauvres deviennent une nouvelle source dingalits.

    Hati, comme de nombreux autres Etats du Sud louvoie entre la faillite

    totale et lassistance internationale et voit sloigner les perspectives dune

    croissance de plus en plus dpendante dinnovations technologiques quelle ne

    peut matriser. La Dclaration universelle des Droits de lHomme parat des

    annes-lumire des proccupations quotidienne de la population.

    Ds lors, on peut se demander srieusement si on peut exiger les mmes

    devoirs ceux qui nont pas les mmes droits et les mmes avantages ?

    Autrement dit, luniversalisme des Droits de lHomme peut-elle prtendre

    51 Ernst A. BERNADIN : op. cit., p. 32.

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    lexistence si la reconnaissance des droits ne saccompagne pas de garanties

    efficaces ?

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    SECONDE PARTIE

    DYNAMIQUE VODOU AU LIEU

    DES DROITS DE LHOMME

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    Ils se sentent dsarms, faibles, entours de toutes sortes de maux et

    incapables daffronter les difficults de la vie ou daccder au bonheur auquel

    ils aspirent. Ils ont conscience quune puissance invisible les enveloppe et ils

    cherchent crer des liens avec cette puissance.

    Aux prises avec la violence du pouvoir, ils pratiquent la fuite en avant.

    Sublimant la violence en engendrant la sphre du sacr, ils vont y recourir

    directement contre ceux qui blessent leur amour-propre, les font subir de

    mauvais traitements ou des injustices. Humili, exploit, discrimin, mpris par

    ceux qui dtiennent du pouvoir, celui qui croit au vodou sait quen se confiant

    aux divinits et en les servant correctement, il peut devenir un homme respect,

    vnr, aim. Le vodou devient son refuge. Il lui confre une identit plus solide

    quun roc.

    Il faut rappeler que le vodou reflte toutes les proccupations des masses

    hatiennes livres elles-mmes. Alors rien danormal quelles se tournent

    souvent vers les invisibles pour solliciter moins la fortune et le bonheur que la

    protection contre la maladie et les mauvais sorts. Cest l quil trouvera la

    justice que les tribunaux lui refusent. Le vodou est la religion de lexploit. J.C.

    Dorsainvil fait remarquer :

    Tous les saints et saintes de son panthon sont rigs en vengeurs de

    petits froissements de vanit blesse, de lorgueil bris, de haine injustifie, de

    dception damour 53.

    53 J.C. DORSAINVIL : Une explication philologique du vodou, Port-au-Prince, Imprimerie V. Pierre Nol,

    1924, p. 138.

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    2. Le Hougan

    Paralllement lEtat territorial, il existe un Etat segmentaire dont la

    direction est assure dans la communaut du village par les dignitaires du

    Vodou. Au sommet de cette hirarchie, on retrouve leHougan.

    Dans lAfrique bantoue, le Hougan tait le spcialiste de la magie

    naturelle. En Hati, son personnage revt un caractre magico-religieux. Il est

    la fois prtre, devin, magicien et gurisseur. Cest lui qui administre les

    ordalies en vue didentifier le malfaiteur ou le simple contrevenant. Il rend aussi

    justice en excutant par assassinat magique () Les hommes dont les intrts

    ont t lss le voient pour attirer sur leurs ennemis la colre des dieux

    vengeurs. Par ses incantations magiques, il est aussi dispensateur de pouvoir. Le

    politicien le consulte et, dans la mesure du possible, il peut dominer travers

    celui-l. Au village, il exerce un pouvoir charismatique dont il serait difficile de

    mesurer ltendue. Le peuple accepte ses penses. Car il est oint des dieux quilpeut invoquer 54.

    Les pouvoirs du hougan sont tendus tous ses pitit-fey qui sont assurs

    de sa protection et de son assistance en toutes circonstances. Il doit traiter les

    membres de sa congrgation comme ses propres enfants. Le vodou cre une

    nouvelle parent base non sur les liens du sang mais sur des croyances en de

    mmes divinits.

    54 Montalvo DESPEIGNES : op. cit., p. 38.

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    3. Les adeptes

    Sils respectent les lois du Vodou, les serviteurs de loas sont assurs

    dchapper au malheur, de satisfaire leur besoin de scurit, de protection et

    davoir de meilleures chances de conqurir une place au soleil.

    Dtenteurs de la force sacre, ils disposent de trs grands pouvoirs tant

    sur le monde visible que sur le monde invisible. Les loas ne les abandonneront

    jamais au moment des graves dangers. Ils seront labri des attaques ennemies

    et des complots de rivaux jaloux.

    Ladhsion dune trs large partie de la population au Vodou sexplique

    aussi par le fait que ces pratiques sont lgitimes par des systmes de

    reprsentation parfaitement cohrents qui, non seulement ne les opposent en rien

    la qute du divin, mais encore les font apparatre comme des moyens dy

    intresser le plus grand nombre dindividus.

    Enfin, il est ais de comprendre que dans un contexte o les droitsfondamentaux sont pitins et les masses sans dfense, le vodou constitue un

    recours sr larbitraire.

    4. Le problme de la sorcellerie

    De nombreuses personnes assimilent les congrgations vodou dessocits secrtes et accusent leurs membres de magie ou de sorcellerie.

    Reposant sur une base religieuse, leur accs ncessite une initiation de

    faon garder jalousement les connaissances et disposer dune arme pour

    sassurer dun certain pouvoir. Mais la magie doit tre considre comme un

    compartiment particulier du systme de rituels, compartiment qui comprend les

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    manuvres et manipulations regardes comme efficaces pour lobtention

    relativement directe de rsultats concrets.

    La distinction europenne entre magie blanche et magie noire nest pas

    exactement comparable la distinction africaine entre magie et sorcellerie. La

    magie africaine est un art toujours dlicat et dangereux, mais moralement neutre

    ou ambigu : il se qualifie en bien ou en mal essentiellement par lusage quen

    fait son dtenteur 55.

    A propos de la sorcellerie, lauteur de Le Pays en dehors remarque :

    Les mcanismes institutionnels de dfense du citoyen nexistant pas, il

    appartient lintress lui-mme de prendre linitiative de la parade sil se sent

    agress. La sorcellerie devient ainsi le rgulateur des rapports de crise entre

    individus. Elle ne sexprime que dans cet espace juridique et pnal laiss libre

    par labsence dEtat 56.

    B. LE POUVOIR ARRETE LE POUVOIR

    Dans ces contextes o les pouvoirs crent linscurit et le dsordre,

    les pratiques patrimonialistes traduisent un besoin de protection de la part des

    domins. La course des indignes vers les espaces de mysticisme exprime le

    mme souci de se placer sous un patronage surnaturel en mme temps que de

    trouver un idiome cette inscription dans un champ de force suppos faire un

    contrepoids aux incertitudes du monde profane 57.

    55Dictionnaire des civilisations africaines, Paris, Fernand diteur.56 Grard BARTHELEMY :Le pays en dehors, essai surl univers rural, Port-au-Prince, Henri Deschamps,

    p. 35.57 Achille MBENBE : Afriques indociles, Paris, Karthala, 1988, p. 151.

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    1. La force de rsistance

    Face au despotisme qui est une caractristique fondamentale du systme

    politique hatien, le Vodou est un frein pour le pouvoir et limite larbitraire. La

    religion vodou est le seul frein pour des dirigeants qui ne craignent point les lois

    ou la Constitution. Seul son pouvoir peut arrter lautoritarisme et la tyrannie

    des chefs politiques.

    Le vodou a jou dans le pass un rle positif en fournissant aux esclaves

    une base idologique pur une action pratique. Il fut un stimulant rvolutionnaire

    pour les masses. En effet, dans le cadre du systme esclavagiste, le vodou sest

    donn un idal : transformer les conditions de vie de lesclave. A partir de sa

    forme de socit soumise et passive, ce culte va voluer vers une forme plus

    active et de combat en donnant prcisment le branle au mouvement

    insurrectionnel qui fera natre loccasion desprer contre toute esprance.

    La rsistance a t organise par les marrons. Et tous les grands chefsmarrons taient des prtres du vodou. Leur prestige parmi les autres marrons

    venait de leur fonction de chef religieux ou tait rehauss par cette qualit 58.

    Comme lcrit Roger Bastide : En Hati, le vaudou eut jadis une

    fonction dans la socit de production esclavagiste, comme expression de

    rsistance du peuple vis--vis de ses matres 59.

    2. Le vodou et lIndpendance hatienne

    58 Hnock TROUILLOT : op. cit., p. 72.59 Roger BASTIDE : Les religions africaines au Brsil, PUF, p. 21.

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    Alors, le vodou devint non seulement un moyen de revitalisation

    travers les traditions ancestrales africaines, mais aussi le canal par excellence

    pour exprimer leurs complaintes et pour sorganiser 60.

    En effet, galvaniss par la Crmonie du Bois-Caman, huit jours plus

    tard, dans la nuit du 21 au 22 aot 1791, les esclaves du Nord se levrent en

    trs grand nombre, avec lintention de tout dtruire. Ils massacrrent leurs

    bourreaux et livrrent leurs plantations aux flammes. Une guerre inexpiable

    commenait et elle allait durer quatorze longues annes, lissue de laquelle

    lIndpendance sera proclame. Ainsi se justifie lopinion du Docteur Jean Price

    Mars : Pendant les treize annes de violences, de privations, de tortures, les

    ngres puisrent dans leur foi aux dieux dAfrique lhrosme qui leur fit

    affronter la mort et raliser le miracle de 1804 61.

    Le vodou fut un efficace moyen de cohsion et un instrument utile aux

    mains des esclaves luttant pour le renversement des structures ingalitaires,

    oppressives, dgradantes et inhumaines.

    60 Claudine MICHEL : op. cit., p. 16.61 Jean Price MARS : Ainsi parla lOncle, New-York, 1964, p. 231.

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    lIndpendance tous les gnraux Nan-Souvenans, dans lArtibonite et avait

    proclam ce jour, jour des Aeux. Mais au pouvoir, il avait trahi. Comme les

    loas nacceptent pas linfidlit aux promesses, ils labandonnrent et permirent

    quil soit assassin au Pont-Rouge, le 17 octobre 1806.

    Cette opinion est dfendue par Milo Rigaud qui affirme : Si Toussaint,

    Dessalines et bon nombre de nos chefs dEtat ont eu une fin malheureuse, cest

    que nos plus grandes figures nationales ont pri davoir condamn le

    vaudoo 63.

    La mme remarque vaut aussi pour Christophe qui avait si svrement

    prohib le culte vodou. Jean-Baptiste Romain soutient que : Le loa Nan-Nan

    Boukoulou, non content dun tel agissement son gard, le terrassa dans tout

    lclat de son rgne 64. Heureusement, dit Claude Planson quil y avait Dde

    Magrit (une mambo), celle qui laccompagna dans tous ses combats et fut, sans

    doute, son inspiratrice. Aprs avoir particip son ensevelissement, elle se

    retira Nan-Campche 65.

    Aujourdhui encore, le vodou ne sest pas dmarqu de sa fonction

    libratrice. Les chante pwen se multiplient et fustigent le comportement des faux

    prophtes, des hypocrites ou des vendeurs de patrie. Les festivits

    carnavalesques, aprs 1986, ont le vodou pour toile de fond et permettent au

    peuple dexprimer ses revendications fondamentales. Faisons remarquer que les

    chansons qui ont enlev le sommeil nos plus rcents chefs dEtat taient

    inspires du vodou dans le fond comme dans la forme.

    Si le vodou est une arme politique utilise par les acteurs politiques pour

    accder au pouvoir ou sy maintenir, il nen demeure pas moins lantidote du

    63 Milo RIGAUD : La tradition vaudoo et vaudoo hatien, Paris, Niclaus, 1953, p. 76.64 Jean-Baptiste ROMAIN : op. cit., p. 62.65 Claude PLANSON : A la dcouverte du Vaudou, Paris, De Vecchi, 1979, p. 142.

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    pouvoir tyrannique. Nest-ce pas ce qui explique la tendance des politiciens

    hatiens dployer leur gnie pour jouer sur la terreur qui accompagne la

    rputation domniscience et de toute puissance des grands initis et des

    membres des socits secrtes parmi lesquels ils laissaient entendre quil fallait

    les compter 66.

    66 Michel S. Laguerre : Politique et Vaudou en Hati, Collectif Paroles, n 33, janvier 1987, p. 42.

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    CHAPITRE II

    DYNAMIQUE VODOU ETREGULATION SOCIALE

    Le Vodou est le systme que les Hatiens ont mis au point pur faire

    face aux souffrances de cette vie, un systme dont lobjet est de minimiser la

    douleur, dviter les dsastres, dadoucir les pertes, et de fortifier les survivantsautant que linstinct de survie 67. Dans ces conditions, le Vodou apporte une

    rponse satisfaisante et des raisons de vivre un peuple livr lui-mme. Pour

    montrer comment la dynamique Vodou assure la rgulation sociale, nous

    traiterons de ses Commandements et de ses Fonctions.

    A. LES COMMANDEMENTS DU VODOU

    Le souci majeur du Vodou est le bien-tre des individus et du groupe.

    1. La recherche de lquilibre

    Le Vodou prescrit une globalit fondamentale. Toutes les forces de la

    nature sont lies. Lunivers est un tout : chaque force de la nature a une

    signification et une connexion avec les autres entits. La plante, lanimal, le

    minral et les personnes sont sacrs et doivent tre traits en consquence. Cette

    unit de toute chose explique la place de la saintet de la vie. La perturbation de

    lquilibre naturel doit tre vit le plus possible. Lhomme doit vivre en

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    parfaite communion avec la nature. Il doit respecter ses semblables et se

    considrer en toute circonstance comme un maillon dune grande chane. Donc

    on ne peut toucher lun sans griser lensemble. Exister, cest renoncer ltre

    individuel, particulier, comptitif, goste, agressif, conqurant, pour vivre avec

    les autres dans la paix et lharmonie avec eux, les morts, lenvironnement naturel

    et les esprits prsents bien quinvisibles.

    Cette conception exige le respect de lautre, de sa scurit, de sa sant et

    de lintgrit de sa personne. De la mme manire, les animaux, les arbres, les

    sources, les rivires et la mer doivent tre protgs.

    2. Lhumanisme

    La cosmogonie vodou place les humains au centre du monde mme sils

    ne sont pas ses crateurs. Le but ultime de cette religion est de leur offrir lesmoyens de mener une existence terrestre dcente. En implorant les dieux, ell