Des propositions pour lutter contre l'apartheid4propositions Apartheid Philippe Doucet

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Lettre ouverte à Manuel Valls : 24 propositions pour lutter vraiment contre l’Apartheid territorial, social et ethnique M. Le Premier Ministre, Vous avez qualifié d’apartheid territorial, social et ethnique, la situation de fait qui frappe un certain nombre de villes et de quartiers sur l'ensemble du territoire national. Les Français approuvent à une forte majorité, et notamment au sein de l’électorat de gauche , le fait que 1 vous pointiez du doigt cet état de fait connu mais qu’une partie des élites politiques et sociales de ce pays ne veut pas voir, ne veut pas dire. Si les mots sont forts, c’est que la réalité qu’ils décrivent l’est tout autant : oui, il y a bien un dysfonctionnement majeur qui concerne l’une des trois valeurs de la devise républicaine, l’égalité. Après les attentats du 7 et 9 janvier, la mobilisation pour la défense de la liberté d’expression —de la Liberté tout simplement !— a été considérable, cristallisée dans un grand moment de fraternité. Immédiatement, l'attachement à la laïcité comme fondement du vivreensemble a fait l'objet d'une réaffirmation forte de la part du Président de la République, de vousmême et de la ministre de l’Éducation nationale, concrétisée par l’annonce d’un grand plan de mobilisation de l'école. Votre propos sur l’apartheid a finalement montré qu’il nous restait maintenant un long chemin à parcourir sur la voie de l’égalité réelle, la grande promesse de la République. Pour lutter vraiment contre l’apartheid, nous devons agir à la fois sur du temps court et du temps long, en questionnant de nombreuses politiques publiques. Vous ne vous contentez plus de périphrases pour qualifier la situation : ne nous contentons plus de périréformes pour la résoudre. Voici 24 propositions pour lutter vraiment contre l’apartheid. 1 Sondage Odoxa pour Le Parisien du 23/01/2015 : 54 % des Français estiment que le chef du gouvernement a eu raison d'utiliser le terme «apartheid», 74 % chez les sympathisants de gauche. 1

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Dans une lettre ouverte à Manuel Valls, le député socialiste du Val d'Oise, Philippe Doucet, rend public ses propositions pour "lutter vraiment contre l'apartheid territorial, social et ethnique".

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Lettre ouverte à Manuel Valls : 24 propositions pour lutter vraiment contre l’Apartheid territorial, social et ethnique M. Le Premier Ministre, Vous avez qualifié d’apartheid territorial, social et ethnique, la situation de fait qui frappe un certain nombre de villes et de quartiers sur l'ensemble du territoire national. Les Français approuvent à une forte majorité, et notamment au sein de l’électorat de gauche , le fait que 1

vous pointiez du doigt cet état de fait connu mais qu’une partie des élites politiques et sociales de ce pays ne veut pas voir, ne veut pas dire. Si les mots sont forts, c’est que la réalité qu’ils décrivent l’est tout autant : oui, il y a bien un dysfonctionnement majeur qui concerne l’une des trois valeurs de la devise républicaine, l’égalité. Après les attentats du 7 et 9 janvier, la mobilisation pour la défense de la liberté d’expression —de la Liberté tout simplement !— a été considérable, cristallisée dans un grand moment de fraternité. Immédiatement, l'attachement à la laïcité comme fondement du vivre­ensemble a fait l'objet d'une réaffirmation forte de la part du Président de la République, de vous­même et de la ministre de l’Éducation nationale, concrétisée par l’annonce d’un grand plan de mobilisation de l'école. Votre propos sur l’apartheid a finalement montré qu’il nous restait maintenant un long chemin à parcourir sur la voie de l’égalité réelle, la grande promesse de la République. Pour lutter vraiment contre l’apartheid, nous devons agir à la fois sur du temps court et du temps long, en questionnant de nombreuses politiques publiques. Vous ne vous contentez plus de périphrases pour qualifier la situation : ne nous contentons plus de péri­réformes pour la résoudre. Voici 24 propositions pour lutter vraiment contre l’apartheid.

1 Sondage Odoxa pour Le Parisien du 23/01/2015 : 54 % des Français estiment que le chef du gouvernement a eu raison d'utiliser le terme «apartheid», 74 % chez les sympathisants de gauche.

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I. L’apartheid territorial A. Casser les ghettos urbains Pour lutter contre l’apartheid territorial, il faut s’attaquer à l’entre­soi social qui n’a cessé de se développer ces 30 dernières années et qui a conduit à la création de vrais ghettos français : ils sont plus de 400, ce sont les quartiers de la politique de la ville. Trois décennies de ghettoïsation rampante, sur fond de silence coupable, transformé en assentiment tacite de la société française. Si le soutien de l’État, à travers le dispositif de rénovation urbaine porté par l’ANRU, a amélioré le cadre urbain de ces quartiers, il n’a agit qu’à la marge sur la non­mixité sociale de ceux­ci. Il faut aller beaucoup plus loin pour lutter contre la ghettoïsation. 4 propositions pour casser les ghettos urbains : 1. Relever les seuils de logements sociaux prévus par la loi SRU à 30 % dès 2020 (contre 25 % en 2025 à l’heure actuelle), et, à l’inverse, empêcher qu’il existe des communes au dessus de 50 % de logements sociaux ; 2. Augmenter fortement le barème des amendes pour les communes délinquantes ne respectant le seuil minimum, jusqu'à la suppression de la dotation globale de fonctionnement ; 3. Mettre en place un nouvel outil permettant à la puissance publique de reprendre le contrôle des ensembles de copropriétés dégradées, véritables poches de pauvreté ; 4. Transférer du juge au maire la capacité à interdire la mise en location de logements réputés indignes, pour en finir avec les marchands de sommeil.

B. Des Français inégalitaires devant la sécurité Même cause, autre symptôme : le système d’organisation de la police nationale, notamment en Île­de­France, fait que plus l’on s’éloigne du centre de Paris, moins la présence policière est importante, moins les forces de l’ordre sont expérimentées, encadrées, et demeurent en poste suffisamment longtemps. Ainsi les habitants des périphéries sont­ils, par une sous­sécurisation, les plus exposés aux actes de délinquance. 2 propositions pour une présence policière appropriée dans les quartiers : 5. Instaurer en Île­de­France un seuil plancher par habitant d’officiers de police affectés à des tâches de sécurité ; 6. Étendre le périmètre de la préfecture de police de Paris à l’ensemble des zones police nationale de l’Île­de­France.

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C. Refuser l’inégalité fiscale Le système de fiscalité locale est non seulement archaïque, par le nombre de ses taxes et le calcul des bases d’imposition, mais il est également un facteur déterminant de la ségrégation territoriale. En effet, plus la population d’une commune a un potentiel fiscal important, moins elle paye d’impôts, tout en touchant la même dotation de l’État (la DGF, dotation globale de fonctionnement). Ainsi, les classes moyennes des villes populaires payent, à revenu équivalent et à valeur locative inférieure, plus d’impôts locaux, que dans les villes riches où la valeur locative est plus forte : notre système marche sur la tête. Le système fiscal local pousse à la ségrégation sociale puisque les classes moyennes payant l’impôt ont intérêt à quitter une ville pauvre pour rejoindre une ville riche. Les compensations existant aujourd’hui (DSU, DDU) ne sont pas à l’échelle du manque à gagner financier des communes pauvres et ne contribuent en rien à la lutte contre la ségrégation sociale. 2 propositions pour refuser l’inégalité fiscale : 7. Remettre à plat la fiscalité locale à partir du potentiel fiscal des villes ; 8. Introduire la dégressivité, allant jusqu’à la suppression, dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement pour les villes au delà d’un certain seuil de richesse.

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II. L’apartheid social A. La ségrégation scolaire Pour lutter contre l’apartheid social, il faut regarder en face la ségrégation scolaire à l’oeuvre dans l’Éducation nationale. Il n’y a pas une mais plusieurs éducations nationales. Dans les quartiers, le constat est sans appel : une rotation plus importante des professeurs, la jeunesse de ceux­ci, le mauvais classement dans les parcours des proviseurs et principaux de ces établissements, moins de jeunes agrégés, un recrutement départemental des instituteurs à bout de souffle, etc. Au lieu d’entretenir l’illusion, il serait plus courageux et plus utile de prendre acte de la réalité et de se fixer comme objectif de rebâtir l’Éducation nationale “une et indivisible”. Sans attendre que les mesures visant à favoriser une meilleure mixité sociale produisent leurs

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effets, nous devons dès maintenant imaginer des dispositifs spécifiques pour que les enfants victimes de la ségrégation scolaire se retrouvent à égalité de traitement avec les autres. L’égalité réelle pour ces élèves passe par des mesures qui modifient l’organisation du système éducatif et notamment la gestion des carrières des personnels enseignants et de direction des établissements. Responsabilité et incitation doivent être au centre des réflexions. Nous devons également nous doter d’un certain nombre d’outils nouveaux pour lutter en priorité contre le décrochage, le mal typique de ces ghettos. Les familles doivent faire partie de la communauté éducative : renouer le lien avec elles doit faire partie des missions des personnels de chaque établissement. 5 propositions pour rebâtir l’Éducation nationale : 9. Introduire des dispositifs spécifiques dans les carrières des personnels de l’Éducation nationale, autour de nouvelles obligations et incitations, afin d’asseoir dans la durée des contrats de développement pour les établissements dans lesquels on trouve le plus de décrocheurs et où les résultats au brevet et au bac sont les plus bas. 10. Passer d’un recrutement départemental des instituteurs à un recrutement régional pour pallier le manque de candidats au concours dans les zones les plus défavorisées. 11. Généraliser les expérimentations de “busing” à la française, entreprises par le passé mais abandonnées sans raison valable sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, pour emmener les écoliers des quartiers défavorisés dans les établissements voisins et ainsi forcer la mixité sociale. 12. Faire rentrer les parents à l’école en rendant obligatoire, dans le réseau d’éducation prioritaire, une rencontre parent­professeur trimestrielle, du primaire au baccalauréat, pour tous les enseignements, généraux et professionnels. 13. Créer une école des parents pour les former à l’accompagnement et à l’orientation de leurs enfants.

B. L’accès inégalitaire à l’emploi Chacun sait qu’au delà des diplômes, l’intégration dans une entreprise se fait bien souvent par une logique de réseaux, l’accès à un stage ou un CDD en étant souvent la première marche. Aujourd’hui combien d’écoles, d’instituts de formation, de CFA n’ont aucun lien avec les entreprises, et renvoient à défaut les étudiants à leur propre réseau pour trouver ce stage débouchant sur l’obtention du diplôme et, in fine, sur l’emploi ? Cette situation est inacceptable.

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Ce manque de réseau se double par ailleurs d’une discrimination au faciès, au nom de famille ou à l’adresse considérable, contre laquelle les mesures de coercition ne fonctionnent pas, ou trop peu. 4 propositions pour l’égal accès à l’emploi de tous les jeunes : 14. Systématiser dans tous les établissements du secondaire du réseau d’éducation prioritaire un programme de rencontres avec des chefs d’entreprises, des anciens élèves au parcours modèle, des acteurs culturels, pour ouvrir le champ des possibles. Ces initiatives existent de manière éparses, il faut les rendre obligatoires et leur donner un cadre et des moyens stables. 15. Rendre obligatoire à l’ensemble des écoles, instituts de formation et CFA dans lesquels un stage ou un contrat d’apprentissage est inscrit au cursus, le fait de contracter avec les entreprises du bassin d’emploi, pour proposer à leurs étudiants des stages adéquats. 16. Réformer la formation professionnelle pour les outsiders : dédiée aujourd’hui à ceux qui sont dans l’emploi, nous devons la tourner principalement vers ceux qui n’en ont pas ou plus et qui ont un problème d’adaptation au marché du travail. 17. Ouvrir la possibilité aux associations de lutte contre le racisme et les discriminations, de procéder à de vastes campagnes de “testing” en entretien d’embauche, comme cela existe depuis longtemps pour les entrées en boite de nuit.

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III. L’apartheid ethnique A. Rompre l’hypocrisie sur les inégalités ethniques, vaincre le racisme Les villes et les quartiers populaires sont asphyxiés par l’absence de mixité sociale. Quand à la pauvreté s’ajoute les logiques de discrimination, la spirale de la stigmatisation s’enclenche. Ces jeunes qui sont français depuis deux, voire trois générations, n’en peuvent plus d’être systématiquement renvoyés à leurs origines, et maintenant à leur religion supposée. Pour changer le regard, il faut forcer la mixité sociale. Il faut rompre avec la ghettoïsation des populations d’origine immigrée. Ces familles sont les premières à souhaiter la mixité, mais c’est la société française toute entière qui en a plus que jamais besoin. Il nous faut donc une politique de peuplement. 3 propositions pour mettre un terme à l’apartheid ethnique : 18. Autoriser, sous le contrôle de la CNIL, le recours aux statistiques ethniques, notamment dans les attributions de logements par les bailleurs sociaux, pour lutter contre la ghettoïsation ;

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19. Réformer en profondeur la loi sur le droit au logement opposable (DALO) qui attribue des logements aux plus pauvres, dans des quartiers déjà très pauvres ; 20. Tripler en cinq ans le nombre de fonctionnaires de police issus de l’immigration en engageant des mesures de communication et d’aide à la préparation des examens permettant une diversification des origines. L’armée a réussi ce pari en ouvrant ses portes aux jeunes des quartiers populaires, en donnant des formations, un accompagnement, du sens. Notre police doit pouvoir faire de même.

B. Tous citoyens, tous français, tous républicains La logique de la relégation, du sentiment d’abandon, de ne pas faire partie de la République, conduit nombre d’habitants de ces villes et quartiers à s’abstenir lors des élections. La question de la citoyenneté est au coeur du projet républicain, elle doit donc être au coeur de la lutte contre l’apartheid. 3 propositions pour former des citoyens : 21. Former des citoyens en instituant un service civique obligatoire d’une durée de 6 mois pour tous les jeunes garçons et filles, à effectuer entre 16 et 18 ans. 22. Ouvrir la naturalisation pour les personnes âgées de plus de 65 ans qui ont vécu 25 ans en France et qui ont un enfant français, comme l’a annoncé François Hollande lors de l’inauguration du Musée de l'histoire de l'immigration le 15 décembre dernier. 23. Rendre le vote obligatoire, comme cela se fait en Belgique, au Luxembourg, en Grèce, en Australie etc., et rendre automatique l’inscription sur les listes électorales.

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IV. Remettre l’État au centre du jeu Aujourd’hui l’État est un acteur secondaire dans les quartiers, d’abord du fait de la faiblesse de ses moyens. Depuis trop longtemps on habille des politiques publiques sous l’appellation “politique de la ville”, sans mettre, en réalité, un euro supplémentaire pour les quartiers qui devraient être prioritaires. Les élus, mais surtout les habitants, ne sont plus dupes. La mise en retrait de l’État s’explique aussi parce que l’écosystème public fonctionne mal. Une multiplicité d’acteurs —collectivités locales, élus, CAF, associations, centres sociaux etc.— jouent leur partition en solo, mènent leurs actions en silos, générant bureaucratie et, entretiennent, parfois, de réelles féodalités au coeur des quartiers. J’en appelle au retour de l’autorité de l’État républicain, afin qu’il puisse, dans le respect du droit, permettre un retour à la verticalité dans le pilotage de grandes politiques publiques.

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1 proposition pour rétablir l’État républicain partout : 24. Permettre, dans les quartiers en situation d’urgence sécuritaire et/ou sociale, la mise sous tutelle temporaire par l’État, reprenant le contrôle sur l’ensemble des leviers de l’action publique afin de réinstaurer les valeurs et l’ordre républicain.

V. Conclusion Vous avez indiqué M. le Premier Ministre, que lutter contre l’apartheid prendra une génération : raison de plus pour s’y atteler dès maintenant. Les Français veulent la République partout et pour tous.

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