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L’OBSERVATOIRE FIVES CAHIER DE L’OBSERVATOIRE FIVES DES USINES DU FUTUR 4 e édition - 2016 L’industrie à la manœuvre pour une économie plus durable

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CAHIER DEL’OBSERVATOIRE FIVESDES USINES DU FUTUR 2ème édition - 2014

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L’OBSERVATOIRE FIVES

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CAHIER DEL’OBSERVATOIRE FIVESDES USINES DU FUTUR 4e édition - 2016 L’industrie à la manœuvre pour une économie plus durable

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Éditorial par Fréderic Sanchez, Président du Directoire de Fives 4À propos de l’Observatoire Fives des usines du futur 7Introduction par Philippe Joubert, expert sur l’intégration des enjeux climatiques aux stratégies d’entreprise 8

PARTIE 1 | L’ÉCO-CONCEPTION : POUR DES PRODUITS ET DES ÉQUIPEMENTS PLUS DURABLES 14L’éco-conception de machines industrielles, ça existe !, par Hélène Teulon 17EXEMPLE : Engineered Sustainability®, le programme d’éco-conception développé par Fives 26

PARTIE 2 | VERS L’USINE FRUGALE : RÉDUIRE L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL DES PROCÉDÉS 30L’usine du futur devra être frugale, ce n’est pas une question idéologique mais une véritable nécessité, par Emmanuel Julien 33EXEMPLES

L’usine frugale de BEL : une démarche globale de management de projet environnemental 37TERREAL innove pour limiter sa consommation d’énergie via un programme pionnier d’utilisation du biométhane 42LafargeHolcim : des ruptures technologiques pour réduire les émissions de CO2 dans la construction 46

PARTIE 3 | L’USINE INTÉGRÉE DANS SON ENVIRONNEMENT : VERS UNE ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE 50Développer l’intelligence collective au niveau des territoires, par Patricia Savin 53EXEMPLES

Evian : une usine intégrée et intégrante 57La Green Valley d’Épinal : l’écologie industrielle et territoriale en pratique 62

CONCLUSION | UNE VISION DE LONG-TERME 66Les entreprises et les industriels seront gagnants s’ils continuent d’innover et adoptent une vision de long terme, par Jean Jouzel 69

Remerciements 73

L’industrie à la manœuvre pour une économie plus durable

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ÉDITORIAL par Frédéric Sanchez, Président du Directoire de Fives

Frédéric Sanchez est le Président du Directoire de Fives, Président du Pôle Internationalisation & Filières du MEDEF, Président du Conseil des Chefs d’Entreprises France-Vietnam, France-Cambodge et France-Birmanie du MEDEF International. Diplômé d’HEC, de Sciences Po Paris et titulaire d’un DEA d’Économie de l’Université Paris-Dauphine, il commence sa carrière chez Renault et Ernst & Young. Il intègre en 1990 le groupe Fives-Lille, au sein duquel il occupera différentes fonctions avant d’en devenir le Directeur Administratif et Financier en 1994, puis le Directeur Général en 1997. La Compagnie de Fives-Lille (rebaptisée Fives) devient en 2002 une société à Directoire et Conseil de Surveillance ; il en est depuis cette date le Président du Directoire.Sous sa direction, Fives a accéléré son développement en se structurant autour de quatre pôles d’activité et en renforçant sa présence à l’international au travers d’acquisitions majeures et de l’ouverture de bureaux de représentation en Asie, en Russie, en Amérique Latine et au Moyen-Orient. En 2015, le Groupe a généré un chiffre d’affaires de 1,7 milliard d’euros et comptait près de 8 300 collaborateurs.Frédéric Sanchez assure par ailleurs la co-présidence de l’Alliance pour l’Industrie du Futur, un projet gouverne mental visant à moderniser l’outil industriel français et à accompagner les entreprises françaises dans la transformation de leur modèle économique, notamment par le numérique.

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LA CONFÉRENCE SUR LE CLIMAT (CONFÉRENCE DES PARTIES, COP21) QUI S’EST TENUE À PARIS EN DÉCEMBRE 2015 A MARQUÉ UNE ÉTAPE DÉCISIVE DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE. ELLE A PERMIS LA PRISE DE CONSCIENCE PAR TOUS LES ACTEURS ÉCONOMIQUES DE LA NÉCESSITÉ D’AGIR SANS TARDER POUR LUTTER DE FAÇON COORDONNÉE CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE.

L’enjeu est majeur et l’urgence absolue, comme le rappelle le climatologue Jean Jouzel en conclusion de ce Cahier : si nous voulons contenir à 2 degrés Celsius le réchauffement de la planète d’ici la fin du siècle, il faut très vite adapter nos modes de développement économique et de consommation pour diviser les émissions de gaz à effet de serre par trois entre 2020 et 2050.

Les entreprises ont déjà commencé à s’engager dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elles en ont fait la démonstration lors de l’initiative « Business Climate Summit » des 20 et 21 mai 2015. Nombre d’entre elles participent déjà à des négociations sectorielles à l’échelle internationale pour se fixer des objectifs communs et travailler à la mise en place d’un véritable prix du carbone. L’industrie, en particulier, apporte sa pierre à l’édifice en dévelop pant des innovations technologiques, parfois de rupture, permettant de significativement réduire l’impact environnemental de ses usines. Ces dernières sont, certes, à l’origine d’une partie des émissions de gaz à effet de serre mais elles sont aussi un acteur clé de la solution. Lorsque l’Observatoire Fives des usines du futur avait recueilli, en 2012, l’avis des citoyens sur la manière de remettre l’usine au cœur des enjeux de la cité, ceux-ci avaient souligné l’importance

qu’ils accordaient à la réduction de l’empreinte environnementale des usines. Pour eux, l’industrie de demain devra être économe en énergie et en matières premières, mais également propre, et éviter toute sorte de rejets toxiques ou de nuisances.

La grande majorité des industriels se soucie depuis déjà un certain temps (et ce mouvement ne cesse de s’amplifier) de l’impact environnemental de leurs processus de production et de leurs produits, et réfléchissent en amont aux moyens de minimiser cet impact tout au long de leur chaîne de production et de consommation. Les entreprises sont désormais conscientes que ces contraintes environnementales peuvent se transformer en de véritables opportunités qui passent par la conception et la réalisation d’usines plus économes en ressources, moins consommatrices d’énergie, voire même autosuffisantes, et mieux intégrées. Les exemples de Bel et Evian développés dans ce Cahier en sont une parfaite illustration.

Des progrès majeurs ont été accomplis ces dernières années, mais le chemin qui reste à parcourir est encore long. L’adaptation des lignes de production existantes est plus compliquée que la conception ex nihilo d’usines à haute performance environnementale. C’est en investissant dans l’inno vation et les nouvelles technologies que les industriels apporteront des solutions à ces différentes problématiques. Les initiatives en ce sens se multiplient et elles sont encourageantes, à l’image de celle développée par LafargeHolcim qui a mis au point un procédé de rupture pour l’intégration de béton recyclé dans la fabrication de nouveau ciment, comme décrit dans ce cahier.

Avec les outils apportés par la révolution digitale, un pilotage des installations beaucoup plus efficace et

ÉDITORIAL par Frédéric Sanchez, Président du Directoire de Fives

ÉDITORIAL

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en temps réel deviendra possible. L’usine du futur sera propre, à énergie positive et à zéro émission. Ce n’est plus un rêve mais une réalité déjà en train d’advenir ! Demain, « l’usine frugale » saura développer une gestion intelligente de ses ressources, au plus près de ses besoins ; elle limitera le recours aux énergies fossiles pour privilégier les énergies renouvelables ; elle se préoccupera d’éco-conception, de recyclage, d’insertion dans l’économie circulaire territoriale. Nos précédents travaux avaient par ailleurs montré que pour être mieux acceptée, l’usine doit également être intégrée à son environnement immédiat, à la cité et la vie locale. Pour y parvenir, le dialogue et une méthode de co-construction avec les riverains, les élus, les associations de défense de l’environnement, et plus généralement avec toutes les parties prenantes doivent être encouragés. À ce titre, les démarches d’Evian présentées dans ce Cahier sont particulièrement enrichissantes.

Tous ces thèmes, évoqués dans le Cahier, portent en germe un nouveau modèle de développement dans lequel l’industrie a toute sa place, en étant à la fois performante sur le plan économique, social et environnemental.

Ces objectifs ne sont en rien contradictoires. L’industrie française et européenne a des atouts dans ce nouveau monde qui se profile. La protection de l’environnement est trop souvent perçue comme un frein alors qu’elle peut et doit être un

levier de croissance, de performance et de progrès technologique. La transition énergétique et la lutte contre le changement climatique doivent tout à la fois permettre de gagner en compétitivité, créer de nouveaux emplois, renforcer la croissance et la performance de nos industries.

Fives est un acteur de cette transformation en collaborant avec ses clients industriels, pour leur proposer des solutions innovantes, que favorise la mise en œuvre d’une démarche systématique d’éco-conception. Aujourd’hui déjà, et demain encore davantage, la notion de performance environnementale se confond avec celle de performance tout court. Anticiper les enjeux de nos clients et promouvoir l’innovation ont toujours été au cœur même des missions de Fives. À travers la création de l’Observatoire des usines du futur puis la co-présidence de « l’Alliance pour l’industrie du futur », Fives contribue à écrire l’histoire industrielle de demain, mais aussi à promouvoir partout dans le monde le savoir-faire industriel français.

L’industrie se mobilise aujourd’hui pour prendre sa part dans la lutte contre le changement climatique. Cet engagement va dans le sens de l’histoire. Il relève de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures et trace en même temps une formidable voie d’avenir et de renouveau pour les usines de demain.

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PRÉSENTATION

LA MISSION DE L’OBSERVATOIREL’Observatoire Fives des usines du futur est un laboratoire d’idées créé par Fives en 2012. Face aux nouveaux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux qui touchent l’industrie et l’usine du XXIe siècle, cet Observatoire a pour mission d’ouvrir le débat sur l’industrie et sur l’usine de demain, et de diffuser dans l’espace public les fruits de cette réflexion.

Tout au long de ses quatre années d’existence, ce think tank a recueilli des expertises et témoignages variés, mené des enquêtes nationales et des comparaisons internationales et organisé des événements inédits – une conférence de citoyens, deux Grands Débats et quatre Matins de l’Observatoire – pour éclairer le défi de la construction des usines du futur par des points de vue multidisciplinaires et novateurs.

L’Observatoire Fives des usines du futur est animé par un comité de pilotage constitué par des membres de la Direction de Fives et des personnalités indépendantes du monde de l’industrie, mais aussi de l’économie, de l’architecture, du monde académique et associatif qui enrichissent sa réflexion.

Le site web www.lesusinesdufutur.com réunit les conclusions issues de diverses initiatives et actions de l’Observatoire.

VOCATION DE L’OUVRAGEL’édition annuelle du « Cahier de l’Observatoire » fait le bilan sur la réflexion menée durant l’année écoulée sur les thèmes de l’industrie de demain et sur l’usine du futur. En raison notamment de la Conférence des Parties (COP21) qui s’est tenue à Paris à la fin de l’année 2015, ce quatrième Cahier est plus précisément consacré au sujet du climat et de l’environnement en général. Il expose différentes initiatives développées par les industriels et leurs parties prenantes pour réduire leur empreinte environnementale et développer leurs activités dans une vision de durabilité.

Les différentes démarches traitées dans ce Cahier illustrent une réelle prise de conscience de la part de certains acteurs industriels, souvent antérieure à l’engouement généré par la COP21. Bien que l’industrie soit responsable d’une part importante des émissions mondiales de gaz à effet de serre, de rejets polluants et de production de déchets, elle ne doit cependant pas être vue uniquement comme un problème. Elle constitue aussi et surtout un atout par sa capacité à entreprendre, à apporter les solutions et à développer les technologies pour répondre aux besoins et enjeux à venir.

Ce Cahier propose ainsi des éclairages d’experts, avec un focus sur l’outil industriel et l’usine du futur, sur différentes thématiques clés : l’éco-conception, ses bénéfices et modalités ; l’utilisation et la gestion frugale des ressources (eau, énergie, matières premières…) ; l’écologie industrielle et territoriale. Elles sont illustrées par des exemples concrets ou des projets innovants conçus par des industriels engagés.

À PROPOS de l’Observatoire Fives des usines du futur

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INTRODUCTION LES ENTREPRISES À LA MANŒUVRE POUR RÉINVENTER UN BUSINESS MODEL CLIMATO-COMPATIBLEpar Philippe Joubert, expert sur l’intégration des enjeux climatiques aux stratégies d’entreprise

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Franco-brésilien, diplômé de l’ESSEC, Philippe Joubert a une grande expérience industrielle et dispose d’une expertise reconnue dans les problématiques de développement durable appliquées à l’énergie. Il a travaillé près de 25 ans au Brésil au sein du groupe Alstom. De retour en France en 2000, il a successivement pris la direction d’Alstom T&D puis d’Alstom Power avant d’occuper le poste de Directeur général délégué du groupe Alstom en charge de la stratégie et du développement entre 2011 et 2012.Philippe Joubert est aujourd’hui Senior Advisor auprès du World Business Council on Sustainable Development, une organisation rassemblant 200 grandes entreprises mondiales – qui représentent tous les secteurs d’activité, tous les continents et un chiffre d’affaires combiné de plus de 7 000 milliards de dollars – pour partager les meilleures pratiques de développement durable et développer des outils innovants dans le but d’intégrer les enjeux climatiques aux stratégies d’entreprise. Il est également Executive Chair du Global Electricity Initiative auprès du Conseil Mondial de l’Energie, Président du HRH The Prince of Wales’ Corporate Leaders Group on Climate Change et membre de l’Advisory Board de A4S (Accounting for Sustainability) et du Cambridge Institute for Sustainability Leadership de l’Université de Cambridge. Il est par ailleurs administrateur de Nexans, d’Eneo (opérateur historique du secteur de l’électricité au Cameroun) et de Voltalia.

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L’INDUSTRIE A-T-ELLE PRIS LA MESURE DU DÉFI DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ? Oui, je pense que les entreprises ont véritablement pris conscience des enjeux. Bien sûr, dans certains cas, cela peut s’assimiler à une forme de greenwashing, autrement dit de la communication sans réalité tangible derrière. Mais c’est de moins en moins vrai parce que le coût du mensonge est devenu incalculable, comme des exemples récents viennent de nous le rappeler. En réalité, les entreprises sont de plus en plus impliquées dans la lutte contre le changement climatique et une petite partie d’entre elles, une élite, est même très active et est force de proposition auprès des gouvernements ou de l’ONU. Ces entreprises qui veulent faire bouger les choses n’agissent pas seulement parce qu’elles sont altruistes mais tout simplement parce que c’est dans leur intérêt ! Elles ont compris qu’un monde chaotique ne permettait pas de générer des profits réels et sur le long terme. Se placer dans une démarche de respect de la nature est tout simplement « bon pour le business ».

CE N’EST PAS ENCORE VRAIMENT PROUVÉ... QUELS SONT LES FACTEURS QUI ONT INCITÉ LES ENTREPRISES À CHANGER DE COMPORTEMENT ET À S’INVESTIR DANS LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?Je pense qu’il y a quatre facteurs principaux. Tout d’abord, l’environnement légal et réglementaire est en train de changer à très grande vitesse. Si les décisions prises à l’issue de la COP21 se traduisent par l’adoption de règles et de lois ou des planchers de comportement, cela fera évoluer le cadre juridique, avec un fort impact pour les entreprises. Le nombre de lois relatives à la lutte contre le changement climatique passées chaque année depuis 2000 à l’échelle mondiale est en croissance exponentielle : c’est de l’ordre de 1 à 100.

Parallèlement, on assiste à une prise de conscience nouvelle de la part des cadres mais aussi des conseils d’administration. Ces derniers s’interrogent de plus en plus sur leur responsabilité à long terme. Cela se traduit notamment par des changements dans les calculs de rentabilités et les choix d’investissements. L’investissement dans les entreprises, surtout

dans l’industrie, se fait la plupart du temps à long terme, à vingt ans ou plus. Calculer un retour sur investissement en considérant que le coût de la pollution ou des impacts environnementaux est et restera gratuit est une faute majeure de vision et un risque important. Le risque étant de se retrouver à terme avec des stranded assets, des actifs qui auraient perdu leur valeur à cause de l’évolution des coûts (par exemple la hausse du prix des émissions de CO2). Comment calculer le rendement interne des investissements ou comparer plusieurs investissements entre eux si l’on ne dispose pas de l’information sur le prix du CO2 qui est un facteur de risque majeur ? Conscientes de cet enjeu, plus de 250 entreprises au niveau mondial utilisent déjà un shadow price (une unité de compte interne) pour le carbone afin de calculer la valeur de leurs investissements à long terme. Par exemple, Nestlé l’a fixé à 16 dollars la tonne, Total à 28 dollars, EDF entre 60 et 70 dollars… Plusieurs centaines d’autres entreprises sont en train d’y réfléchir.

PEUT-ON IDENTIFIER D’AUTRES RAISONS QUI INCITENT LES ENTREPRISES À PRENDRE AU SÉRIEUX LA MENACE CLIMATIQUE ?L’enjeu de réputation est majeur pour les entreprises. L’impact médiatique des politiques menées par les entreprises et de leurs impacts sociaux et environnementaux a explosé avec l’émergence des nouvelles formes de communication instantanée et le poids des réseaux sociaux. Tout le monde a en tête l’exemple de Nike avec le travail des enfants ou encore le récent mensonge de Volkswagen sur les logiciels anti-pollution. À chaque fois, ces affaires ont eu des répercussions énormes sur la réputation de ces entreprises et sur le prix de leurs actions en bourse. Le risque est devenu trop élevé ! Les entreprises ne peuvent plus se permettre de ne pas être en ligne avec leur discours environnemental.

SANS COMPTER QU’ELLES ENCOURENT AUSSI UN AUTRE RISQUE, CELUI D’ÊTRE IMPACTÉES DIRECTEMENT DANS LEUR BUSINESS PAR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE ?En effet, c’est le troisième facteur qui pousse aujourd’hui les entreprises à bouger. Les risques d’exploitation liés aux accidents climatiques sont de

INTRODUCTION LES ENTREPRISES À LA MANŒUVRE POUR RÉINVENTER UN BUSINESS MODEL CLIMATO-COMPATIBLEpar Philippe Joubert, expert sur l’intégration des enjeux climatiques aux stratégies d’entreprise

INTRODUCTION

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plus en plus élevés. Les chaînes d’approvisionnement, parce qu’elles sont mondiales, sont menacées par les risques climatiques. Rappelez-vous les inondations en Thaïlande qui avaient entraîné une rupture de l’approvisionnement en composants électroniques...Chez Alstom, j’ai vu l’exemple d’une inondation dans une fonderie en Angleterre qui a provoqué une rupture de stock sur une pièce et déstabilisé toute la chaîne de production d’équipements, des turbines à gaz, dont les prix étaient sans commune mesure avec celui des composants affectés. Toute l’industrie fonctionne aujourd’hui en flux tendus, ce qui accroît la fragilité du système. Or, les accidents climatiques vont augmenter en nombre et s’intensifier !

COMMENT PEUT-ON FAIRE FACE À L’AUGMENTATION DU RISQUE ?Les marchés financiers sont inquiets. Et c’est précisément le quatrième levier qui contribue à faire évoluer les entreprises. Les assureurs s’inquiètent du fait que des pans entiers de l’économie deviennent inassurables. Ce n’est pas un problème de prix ; un certain nombre de biens sortent du marché tout simplement parce qu’on ne peut plus les assurer tant le risque de sinistre est devenu élevé.

Parallèlement, les assureurs ont pris conscience de la nécessité de « décarboner » leur portefeuille d’actifs – c’est-à-dire de sortir des investissements dans des activités très émettrices de carbone. Les banques s’engagent dans la même voie. Elles ont de plus en plus de mal à calculer la rentabilité de leurs projets car elles mesurent mal les externalités, du fait de l’absence, entre autres, de prix du carbone. Les fonds d’investissement, qui ont un horizon à 20 ou 30 ans, se préoccupent de la même manière des risques et du calcul de la rentabilité. Et les agences de notation commencent elles aussi à prendre en compte les dérèglements climatiques : Moody’s, par exemple, a déclassé des mines en Afrique du Sud à cause du risque de pénurie en eau dans les zones d’exploitation.

Ce qui se passe dans la finance est un bon résumé des incertitudes actuelles et des risques. Cette prise de conscience va déboucher sur un changement de gouvernance et un nouveau business model, dans

lequel la nature ne sera plus ni illimitée ni gratuite. Ceux qui pensent que l’on va continuer le « business as usual », avec des ressources abondantes et disponibles pour toujours, se trompent complète-ment. Ils sont ignorants parce qu’ils ne voient pas la réalité des impacts ou n’écoutent pas la science, cyniques parce qu’ils pensent qu’ils vont s’en sortir mieux que les autres ou que le temps joue pour eux, ou fous parce qu’ils pensent que finalement tout cela se corrigera sans efforts ou sans changement de comportement.

L’INDUSTRIE FAIT-ELLE PARTIE DE LA SOLUTION ? La COP21 a permis de faire comprendre et a reconnu que les entreprises étaient au cœur de la solution. Il n’y aura pas de solution aux problèmes environnementaux sans une implication profonde du monde économique et des entreprises.

Cela commence évidement par les opérations et la logistique. Toutes les usines devront dans le futur être « zéro impact ». Elles devront être à énergie positive, à zéro impact sur l’eau, et, évidemment, à zéro rejet pour les opérations industrielles. Elles pourront aussi, comme l’ont fait les entreprises du « RE100 » (voir ci-dessous) s’engager à n’utiliser que des sources d’énergie renouvelable (100 % de leur consommation). Elles travaillent sur l’optimisation de leurs procédés et sur leur efficacité. Les industriels ont déjà les solutions en main et beaucoup, même les industries les plus traditionnelles, ont commencé à les mettre en œuvre voire à innover.

The Cement Sustainability Intitiative, par exemple, est un programme sous l’égide du World Business Council on Sustainable Development (WBCSD) qui a été lancé il y a déjà dix ans et qui réunit 25 producteurs majeurs de ciment opérant dans plus de 100 pays et totalisant 30 % de la production mondiale. Ces entreprises, à l’origine de la création du WBCSD, conscientes que la production de ciment compte pour 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se sont engagées à réduire leurs impacts environnementaux, notamment en diminuant leurs émissions de CO2. Dans le cadre de ce programme, elles s’engagent à rendre compte

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et à mesurer leurs émissions et à tenir des objectifs individuels en utilisant plusieurs leviers : l’efficacité énergétique, l’utilisation de combustibles alternatifs au pétrole dans le procédé, la capture et le stockage du carbone.

LA LUTTE CONTRE LE CHANGEMENT CLIMATIQUE IMPOSE-T-ELLE AUX ENTREPRISES DE RÉDUIRE LEUR CONSOMMATION D’ÉNERGIE ?L’industrie a déjà commencé à travailler sur les moyens d’économiser les ressources et d’utiliser davantage d’énergies renouvelables. La grande nouveauté à la Conférence de Paris en décembre 2015, par rapport aux précédentes conférences pour le climat, résidait dans la présence massive des entreprises. Beaucoup d’entre elles ont même pris des engagements concrets à cette occasion. Citons, par exemple, un certain nombre de grands consommateurs d’énergie (dont Coca Cola, Ikea, Microsoft, Walmart et d’autres) qui se sont engagés à utiliser 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2030 dans le cadre de l’initiative « RE100 ». Les technologies pour y parvenir existent déjà, à part peut-être le stockage de l’électricité – même si l’on sait déjà la stocker sous forme intermédiaire (faire remonter l’eau dans les barrages, fabriquer des gaz, injecter de l’air comprimé dans des réservoirs souterrains).

Les grandes entreprises ont compris qu’elles avaient tout intérêt à anticiper. Or, elles emmènent avec elles toute leur chaîne d’approvisionnement et leurs clients : l’effet de levier est colossal.

AU-DELÀ DE L’ÉNERGIE, COMMENT FAIRE POUR RÉDUIRE L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL D’UNE INDUSTRIE ?Il faut être conscient du fait que la production n’est qu’un des aspects du sujet. Il est indispensable de prendre en compte aussi les approvisionnements, la chaîne d’approvisionnement, et le caractère recyclable des produits : l’impact environnemental de toute cette chaine est dix fois plus élevé que l’impact de la production elle-même. Et, si l’on se penche sur l’utilisation ultérieure des produits par les clients, l’impact est encore plus fort (environ 100 fois plus).

Et c’est dans ce domaine que l’approche sectorielle avec des grands groupes multinationaux est la plus spectaculairement efficace.

On peut en déduire que le vrai challenge réside dans l’éco-conception des produits et dans l’utilisation propre de ces produits. Ce qui ne veut évidemment pas dire qu’il ne faut pas être zéro impact dans ses opérations, d’abord parce que c’est une excellente discipline : c’est grâce à cela que vous allez engager vos « troupes » car elles verront les résultats immédiatement. Et ensuite, parce que cela a un impact réellement important au niveau local, aussi en termes d’exemplarité.

LA CONCEPTION DES NOUVELLES USINES PREND AUJOURD’HUI EN COMPTE TOUS CES CRITÈRES ENVIRONNEMENTAUX, MAIS COMMENT FAIRE AVEC TOUTES LES USINES EXISTANTES ?Il est en effet plus facile de construire une nouvelle usine qui sera conçue pour être « zéro impact » que de rénover les usines anciennes… C’est pour cette raison qu’il est important de convaincre les pays qui sont en train d’investir, dans des usines africaines, chinoises ou indiennes, de l’importance de la lutte contre le changement climatique et de la mise en œuvre d’outils et d’équipements durables et peu, voire pas du tout, impactant pour l’environnement. Dans les usines européennes, les technologies existent d’ores et déjà pour rénover les structures de production mais l’amélioration se fera à la marge. C’est aussi le défi des vingt prochaines années : renouveler le parc, l’adapter aux nouvelles normes en créant des emplois de haut contenu technique.

TOUT CELA A UN COÛT. NE CRAIGNEZ-VOUS PAS QUE CELA NUISE À LA COMPÉTITIVITÉ DES INDUSTRIES ?Il est prouvé aujourd’hui qu’il n’y a pas de contradiction entre croissance et développement durable. Au contraire, les économistes prévoient que l’économie verte génèrera à long terme une croissance et des emplois durables. Au niveau des entreprises, il faut changer la manière de produire et de consommer, ce qui conduira à un développement vertueux et rentable.

INTRODUCTION

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Jusqu’à maintenant, beaucoup d’entreprises ne se préoccupaient que de la rentabilité à court terme, mais les choses sont en train de changer. Les entreprises repensent leurs procédés de manière à ne pas utiliser des ressources qui deviendront rares et trop chères pour fabriquer leurs produits. Nike vient par exemple d’inventer un procédé qui lui permet de ne plus utiliser d’eau pour ses teintures textiles, parce que le groupe a calculé que l’eau coûterait bientôt trop cher par rapport à son utilisation pour ces produits.

Encore une fois, nul ne peut imaginer que les res-sources fournies par la nature vont rester gratuites et illimitées. En adaptant les procédés, les entreprises s’assurent une compétitivité et une rentabilité à long terme. Sans coût pour les externalités, nous sommes tous des faux monnayeurs, nous distribuons des profits inexistants qui ne sont que le fruit des spoliations de la nature, des chèques sans provisions sur les générations futures.

AUJOURD’HUI, ON NE PAYE PAS LE VRAI COÛT POUR CES RESSOURCES ?En effet, et c’est pour cette raison qu’il est si important de mettre un prix en face de chaque ressource (notamment l’eau) et d’intégrer le coût des externalités, en premier lieu le coût des émissions de carbone. Aujourd’hui, la chaîne de valeur n’est pas réaliste car le coût du capital naturel n’est pas pris en compte. Le fait que le carbone n’ait pas de prix ne signifie pas qu’il n’ait pas de coût mais cela veut simplement dire que nous laissons l’addition aux générations qui nous suivront.

VOUS AVEZ DÛ ÊTRE DÉÇU QUE LA COP21 N’ABOUTISSE PAS À LA FIXATION D’UN PRIX DU CARBONE ?Non, c’est un sujet trop complexe et l’on savait que ce n’était pas dans cette enceinte que les décisions seraient prises. Mais le sujet a été abordé, certes timidement, et les choses sont en train d’avancer. Une coalition de pays et d’entreprises (dont le Corporate Leaders Group et le WBCSD) s’est formée, sous l’égide de la Banque Mondiale, pour lancer une initiative sur le sujet du prix du carbone. Des réunions vont se tenir dès mai 2016. Il faut en revanche être

réaliste : fixer un prix unique à l’échelle mondiale paraît aujourd’hui très difficile, et pas vraiment nécessaire.

Un signal prix significatif et crédible est, lui, indis-pensable pour orienter les décisions d’investis-sements et de budget de R&D. La Chine, après avoir testé le projet avec 9 régions, s’apprête à lancer un marché national du charbon qui va impliquer 1 milliard d’agents. Parallèlement, de plus en plus de zones régionales ont décidé de connecter leurs marchés : le marché du carbone de Californie va par exemple se connecter aux marchés du Québec, de l’Alberta et de 9 autres États des États-Unis. Dans le futur, ces différents prix régionaux pourraient s’intégrer graduellement au sein d’un marché unique. Toutes ces initiatives convergent et je pense que l’on peut très raisonnablement faire le pari que nous aurons un signal prix sous la forme de prix régionaux communiquant entre eux. À ce propos, l’absence, ou en tout cas la discrétion, de l’OMC à la COP21 est très regrettable. Car il faudra certainement un mécanisme de protection des marchés qui s’imposent un prix du carbone par rapport à ceux qui l’ignore, afin de rétablir des conditions équitables de concurrence.QUEL BILAN TIREZ-VOUS DE LA COP21 ?Un bilan clairement très positif et il faut d’ailleurs mentionner ici les qualités et le courage des responsables onusiens et des ministres des Affaires étrangères français et péruviens qui en ont été les chefs d’orchestre. C’est la première fois que nous avons un accord universel, avec un objectif précis et un mécanisme de révision. La Conférence de Paris a mis en place une panoplie d’instruments qui permettent désormais d’aller plus loin. Il faut bien comprendre l’urgence de la situation. En continuant à ponctionner la planète au rythme actuel, on fait supporter le coût de nos déséquilibres aux prochaines générations et aux pays pauvres, ce qui est fondamentalement injuste.

Notre monde s’est emballé depuis les années 1950, comme le montrent très bien les travaux du professeur Will Steffen de l’Université de Cambridge*. Toutes les courbes se sont envolées avec une trajectoire exponentielle : population,

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demande, consommation, énergie, etc. En 2015, on a utilisé l’équivalent des ressources de presque deux planètes (c’était moins d’une planète en 1971). Ce n’est évidemment pas tenable ! Les décisions prises à la COP21 sont ainsi fondamentales pour le volet changement climatique, en particulier l’objectif d’atteindre l’état d’émission « zéro carbone net » au cours de la seconde moitié de ce siècle.

QUELLE EST LA FEUILLE DE ROUTE POUR LES ENTREPRISES ?Les entreprises représentent 75 % de l’activité mondiale. Elles ont donc une responsabilité accrue : ce sont leurs opérations qui polluent le plus mais ce sont elles aussi qui ont les solutions. Aujourd’hui, elles ont les moyens financiers et les technologies pour agir. Le succès de cette nouvelle économie « zéro émission de carbone en net » à partir de 2050 dépendra de la capacité des entreprises à changer leur business model. Ce nouveau business model ne demande qu’à émerger : au-delà des convictions, l’efficacité économique et le bon sens finiront par l’imposer. Il convient aussi de rappeler l’importance des lois et règlements pour imposer ces règles à l’ensemble des acteurs.

Il est en effet de la responsabilité des gouvernements de prendre en compte l’aspiration des citoyens et la sécurité des générations futures. Et pour cela, de créer un cadre contraignant, de fixer des objectifs ambitieux qui libèreront l’énergie des entreprises dans la bonne direction. Il faut stopper cette spoliation honteuse des générations futures et cesser de mettre l’humanité en péril.

Ce n’est pas la planète qui est en danger, c’est d’abord nous, les humains, en tant qu’espèce.

* «The trajectory of the Anthropocene: The Great Acceleration»,

Will Steffen, The Anthropocene Review, janvier 2015.

INTRODUCTION

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1L’ÉCO-CONCEPTION :POUR DES PRODUITS ET DES ÉQUIPEMENTS PLUS DURABLES

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L’ÉCO-CONCEPTION

TOUT D’ABORD, POUVEZ-VOUS NOUS EXPLIQUER CE QU’EST L’« ÉCO-CONCEPTION » ? L’éco-conception est une démarche qui consiste à prendre en compte tous les impacts (inputs et outputs) environnementaux d’un produit, d’un service ou d’une organisation, sur tout son cycle de vie, dans une approche multicritère (consom-mation d’eau, d’énergie, de matières premières, production de déchets, émissions dans les milieux naturels…), et à les minimiser dans leur ensemble, tout en s’efforçant de préserver la qualité et les performances.

Pour minimiser ces impacts et réduire ces consom-mations, il faut bien sûr les connaître. L’« analyse de

cycle de vie » (ACV) est un outil précieux pour cela. L’ACV couvre par définition l’ensemble du cycle de vie (extraction des matières premières, fabrication, transport, distribution, utilisation, fin de vie) et l’ensemble des impacts environnementaux. Ce bilan offre une base solide pour concevoir des produits et services en évitant les transferts de pollution d’un impact vers un autre ou d’une étape du cycle de vie vers une autre.

L’objectif des démarches d’éco-conception est de mettre sur les marchés des produits et équipements dont les consommations et les rejets seront les plus faibles possible tout au long de leur existence, c’est-à-dire du design jusqu’à leur élimination en passant

Ancienne élève de l’École Polytechnique et titulaire d’un doctorat en économie industrielle de l’École des Mines de Paris, Hélène Teulon a fondé en 2005 Gingko 21, cabinet de conseil spécialisé en éco-innovation, qui accompagne les entreprises dans la transformation de leur offre vers des produits et services responsables et innovants. Gingko 21 a mis au point OpenGreen®, une méthode d’éco-conception en 7 étapes qui favorise l’innovation et permet à une entreprise de commencer à éco-concevoir sans remettre en cause son process de développement.Hélène Teulon a participé, au début des années 90, à la mise au point de l’analyse de cycle de vie en France : une méthode d’évaluation environnementale pour les produits et services. Elle est l’auteur du Guide de l’éco-innovation (Eyrolles, en 2014).

«L’ÉCO-CONCEPTION DE MACHINES INDUSTRIELLES, ÇA EXISTE !»

par Hélène Teulon, spécialiste de l’éco-innovation

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par leur fabrication et leur utilisation. Ces produits répondent par ailleurs aux objectifs « traditionnels » de fonctionnalité, de performance, de conditions de fabrication rentables, etc.

VOUS INSISTEZ SUR LE FAIT QUE L’APPROCHE DOIT ÊTRE « MULTICRITÈRES », POURQUOI ?Aujourd’hui, le climat est au centre de toutes les attentions car il y a une véritable urgence. Cependant, il ne faut pas se limiter à l’effet de serre ou à l’énergie, mais bien considérer tous les impacts sur l’environnement. D’autres impacts, bien que moins visibles, pourraient avoir des conséquences tout aussi sérieuses, comme l’écotoxicité et la perte de biodiversité. Il est donc important d’adopter une démarche multicritère, qui prenne en compte tous les impacts.

La France et l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) défendent depuis longtemps cette approche multicritères au niveau international, contrairement à certains pays comme le Royaume-Uni où prédominait jusqu’à encore très récemment une focalisation sur l’effet de serre. Cependant, les Britanniques changent petit à petit de vision et se penchent désormais aussi sur « l’empreinte eau ».

DE QUAND DATE CE MOUVEMENT ET L’ÉMERGENCE DE CET INTÉRÊT AUTOUR DE L’ÉCO-CONCEPTION ? QUELS ONT ÉTÉ LES PREMIERS PAYS À ADOPTER CETTE APPROCHE ?Une première étape dans la prise en compte des impacts environnementaux a été franchie dès la fin des années 1960, avec une première étude ACV en 1969 (qui n’a été publiée que bien plus tard) aux États-Unis par Coca-Cola, qui se demandait s’il valait mieux utiliser des bouteilles en verre, en plastique, ou encore des cannettes en aluminium, à produire en interne ou à acheter chez un fournisseur. Mais les études ACV ont vraiment pris leur essor dans les années 1980 en Europe du Nord, principalement aux Pays-Bas ainsi qu’en Allemagne et en Suède. La Suisse a très vite pris le relais et le ministère de l’environnement a publié un ouvrage de référence sur les bilans environnementaux des matériaux

d’emballage. La France ne s’est intéressée aux études ACV qu’à partir du début des années 1990, en s’inspirant des pratiques mises en œuvre dans ces pays pionniers.

Le concept d’éco-conception a émergé quant à lui vers la fin des années 1990, avec notamment la publication d’un document de l’UNEP. C’est logiquement après avoir su mesurer les impacts des produits que l’on a pu réfléchir aux moyens d’améliorer la conception des produits pour réduire ces impacts. L’éco-conception est encore une discipline relativement jeune, qui se propage progres sivement dans différents secteurs industriels.

QUELS ONT ÉTÉ LES SECTEURS PIONNIERS ?En ACV, c’est véritablement le secteur de l’embal-lage qui a été pionnier, en raison de la forte concurrence entre matériaux. Des initiatives plus récentes ont été prises dans le bâtiment, le BTP en général, avec « l’éco-construction ». Un effort particulier a été réalisé en France depuis une vingtaine d’années avec le mouvement « HQE » (haute qualité environnementale), et la publication de fiches de déclarations environnementales et sanitaires (FDES), fondées sur l’ACV des composants du bâtiment. Cet affichage environnemental est aujourd’hui standardisé au niveau européen.

Un important programme d’ACV a été enclenché en France en 1992 dans le secteur de l’agroalimentaire, véritable force de l’industrie française. Cependant, ce projet n’a pas suscité un mouvement d’ampleur à l’époque, et c’est seulement récemment que des efforts ont été repris, pour construire les bases de données dans le secteur agricole en particulier.

Les secteurs électriques et électroniques en général ont adhéré relativement tôt à l’éco-conception. Legrand et Schneider ont été très moteurs en France, ce dernier a en particulier œuvré à la rédaction de la première norme française sur l’éco-conception, qui a précédé le document ISO-TR 14062. Au niveau international, d’autres grands acteurs de l’électronique tels que Sony, Samsung ou Philips se sont eux aussi beaucoup impliqués.Le secteur automobile a pour sa part été soumis à

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une forte pression réglementaire avec la directive européenne VHU (Véhicules Hors d’Usage) en 2000 qui a imposé de valoriser, selon un calendrier échelonné, 95 % de la masse pour les voitures sorties en 2015, en recyclant au moins 85 % de la masse, et en en incinérant avec récupération d’énergie un maximum de 10 %. J’ai eu la chance de réaliser la première ACV d’un véhicule complet aux États-Unis en 1996-1997 pour Ford, Chrysler et General Motors. Aujourd’hui, l’ensemble des constructeurs automobiles disposent d’un logiciel et de bases de données pour réaliser des ACV en interne.

Certains secteurs sont encore à la traîne, mais le mouvement prend de l’ampleur, à l’image de quelques marques de textile qui se sont récemment emparées du sujet.

VOUS PROMOUVEZ PAR AILLEURS LES DÉMARCHES « D’ÉCO-INNOVATION », EN QUOI DIFFÈRENT-ELLES DE L’ÉCO-CONCEPTION ?Compte tenu de l’importance des enjeux actuels, il est essentiel de promouvoir une approche plus radicale de l’éco-conception, et de rechercher, au-delà des optimisations et réductions des impacts à la marge, un véritable progrès environnemental. Il faut pour cela adopter une approche « d’éco-innovation ».

Par ailleurs, le simple fait de se poser la question des impacts d’un produit sur l’environnement conduit à changer de point de vue sur ce produit, par exemple en adoptant une approche « cycle de vie ». Ce changement de perspective est, en soi, un puissant facteur d’innovation, car il permet de « décadrer », d’échapper au design dominant, d’ouvrir les œillères sur d’autres façons de concevoir le produit. D’où la devise de Gingko 21 : « Quitte à éco-concevoir, autant innover ! ». On obtiendra ainsi simultanément un moindre impact sur l’environnement, et une valeur accrue pour le client. Et comme l’on travaille toujours en gardant un œil sur les coûts, c’est finalement un « triple dividende : coûts – environnement – valeur client » que l’on vise avec l’éco-innovation.À ce titre, je suis très intéressée par les différents

programmes visant « zéro impact », à l’image du projet d’usine « sans eau » de Bel traité dans ce cahier (voir Partie 2) ou de l’usine Nestlé de lait condensé à Jalisco au Mexique, premier site du groupe « zéro eau » qui est même devenue productrice nette d’eau. Interface, une entreprise américaine spécialisée dans la moquette, fait ici figure de pionnier. L’entreprise a en effet opéré, au milieu des années 1990, une véritable réorientation vers l’éco-conception, à la suite d’une décision de son fondateur, Ray Anderson. L’entreprise a alors lancé la « Mission Zéro », avec l’objectif de ne plus avoir aucun impact sur l’environnement d’ici 2020, et d’avoir un impact positif au-delà. Interface a inspiré d’autres entreprises : on peut citer Sony, qui vise un impact environnemental nul d’ici 2050, ou encore le producteur de mobiliers de bureau Herman Miller.

Toutes les initiatives affichant l’objectif « zéro » sont d’excellents outils de management, de commu nication et d’action. Si, au premier regard, ces projets peuvent paraître insensés, ils constituent en réalité un facteur de motivation extraordinaire, et un puissant stimulant de l’innovation, de sorte que des objectifs a priori impossibles à atteindre peuvent être réalisés, voire même dépassés, comme cela a été le cas avec Nestlé cité plus haut – ouvrant alors un nouveau champ d’innovation : au-delà de zéro !

Cette démarche « zéro » est intrinsèquement vertueuse en ce qu’elle contraint les équipes à sortir du compromis et de l’optimisation à la marge pour repartir d’une page blanche et innover vers des objectifs réellement ambitieux – et à la hauteur des enjeux auxquels font aujourd’hui face l’industrie et la société.

ON PARLE BEAUCOUP DE PRODUITS ÉCO-CONÇUS MAIS EST-IL POSSIBLE DE FAIRE DE L’ÉCO-CONCEPTION DE MACHINES OU D’ÉQUIPEMENTS INDUSTRIELS ?L’éco-conception s’applique aussi bien aux produits qu’aux services ou aux procédés et aux systèmes. Selon les catégories de produits ou de services, les profils d’ACV seront en revanche très différents.

L’ÉCO-CONCEPTION

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Par exemple, un emballage typique aura un profil en « u », avec un impact important en production, un faible impact lors du transport et de l’utilisation et un impact significatif en fin de vie. Le profil ACV d’une usine est très différent, plutôt en « n » : il y a peu d’impacts en production mais de forts impacts en phase d’usage en raison de la très longue durée de vie, et peu d’impacts en fin de vie. En effet, la fin de vie est moins problématique dans le cas des usines que pour les produits, car les usines peuvent être démontées et réutilisées dans d’autres pays, l’acier qui les compose peut également être recyclé… L’installation et la construction des usines modernes a par ailleurs beaucoup progressé, avec par exemple la prévention des infiltrations dans les sols.

A-T-ON DÉJÀ DES USINES « ÉCO-CONÇUES » ?L’éco-conception des usines est un sujet très récent, relativement peu exploré pour le moment. Fives réfléchit depuis quelques années à ces questions et a déjà imaginé une série d’équipements éco-conçus, notamment pour l’industrie automobile (voir plus loin), mais la réflexion est relativement neuve. Il demeure ainsi un très gros potentiel de réduction d’impact dans les usines.

Contrairement aux emballages qui sont produits en grandes quantités, les usines sont en quelque sorte des prototypes, ce ne sont pas des « produits » diffusés à des millions d’exemplaires. Jusqu’à présent, la priorité était de faire en sorte que l’usine tourne, qu’elle réponde aux attentes du client industriel, mais l’on ne regardait pas précisément si elle consommait trop d’huile, si l’on pouvait optimiser la consommation d’énergie, etc. Il y a donc une marge de progression importante, sur les usines existantes comme sur les nouvelles.

Un point d’attention essentiel pour concevoir des usines « éco-innovantes » et faire des choix optimaux : penser « système », ou dit autrement « dé-zoomer ». C’est notamment ce qu’a fait Interface vers la fin des années 1990 lors de la construction d’une nouvelle usine à Shanghai. Cette usine utilise un polymère assez visqueux qu’il fallait distribuer en différents points de l’usine. Une entreprise d’ingénierie avait été mandatée pour concevoir le

système de distribution de ce fluide, dimensionner la taille des tuyaux, déterminer leur placement et définir la puissance de la pompe. Un jeune ingénieur formé à l’éco-conception a ensuite passé en revue le système proposé. Il s’est demandé pourquoi l’on prescrivait l’usage de tuyaux de petit diamètre, alors que des tuyaux plus gros permettraient de réduire la perte de charge, en limitant la friction sur les parois. On lui a répondu que les gros tuyaux étaient trop chers. Il a également constaté que le placement du réservoir, de la pompe, d’une fenêtre, des points d’utilisation du fluide dans l’usine conduisait à un circuit très tortueux, et donc une perte de charge supplémentaire. Puisque l’on partait de zéro et que les plans de l’usine pouvaient être modifiés, l’ingénieur a repensé tout le circuit pour optimiser le placement des différents éléments, les regrouper et simplifier au maximum les circuits. En utilisant des tubes droits, plutôt que des coudes, et en choisissant des tuyaux plus gros, la puissance de la pompe a pu être divisée par dix, compensant largement le surcoût des tuyaux de gros diamètre.

De plus, une pompe d’une puissance dix fois moindre génèrera des économies sur toute la durée de vie de l’usine.

Penser globalement le système « tuyaux – pompe – circuit du fluide dans l’usine » permet de gagner à la fois sur le plan environnemental et sur le plan économique. Il faut donc prendre le temps de réfléchir en amont de la construction des usines, sans hésiter à remettre en cause les habitudes et idées reçues. D’importants bénéfices environnementaux et économiques sont à la clé.

La démarche « zéro impact » fournit un outil pour justement sortir des schémas de pensée traditionnels. Elle s’applique aussi à la conception d’usines et de lignes de production. Interface témoigne de la vertu de cette démarche : en cherchant à optimiser les déchets sur une ligne de production, on va maintenir cette ligne et pérenniser la production de déchets, fussent-ils réduits en quantité. Alors qu’en visant « zéro déchet », on va être contraint à repenser complètement le procédé et à remplacer la ligne, pour un bénéfice environnemental durable.

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ON IMAGINE QUE PRODUIT ET PROCÉDÉ/USINE SONT INTIMEMENT LIÉS DANS LES APPROCHES D’ÉCO-INNOVATION…Effectivement, le cycle de vie du produit et celui de l’usine se croisent, la phase d’utilisation de l’usine correspondant à la phase de fabrication du produit. Un autre croisement intervient plus en amont, au moment du développement du produit et du développement de l’usine. Mais ce n’est pas toujours le cas car, lorsque l’on a une usine existante, celle-ci peut durer très longtemps et voir circuler plusieurs générations de produits.

AVEZ-VOUS UN EXEMPLE DE CETTE APPROCHE COMBINANT ÉCO-INNOVATION DE PRODUIT ET DE PROCÉDÉ ?Un exemple qui illustre bien ce sujet est Nike, qui s’est demandé comment éco-concevoir ses baskets. Deux problèmes se posaient : le découpage de la semelle à la forme du pied qui produisait beaucoup de chutes, c’est-à-dire des déchets ; et le recours à une colle relativement toxique pour faire adhérer la semelle au corps de la chaussure. Une approche classique aurait consisté à rechercher un compromis entre performance et protection de l’environnement, par exemple utiliser un peu moins de colle pour réduire les émissions de substances toxiques, mais suffisamment tout de même pour assurer une adhérence satisfaisante (voir graphique ci-dessous). Nike a souhaité dépasser cet arbitrage pour concevoir une chaussure à la fois performante et respectueuse de l’environnement. Cette approche a été nommée « Breaking Sustainability Barrier » et nécessitait de penser autrement, d’innover. Le résultat est « Flyknit », une basket où la même fibre, texturée différemment, constitue à la fois la semelle et le corps de la chaussure : il n’y a donc plus de chute, car la semelle est tissée, et plus de problème d’adhérence ni d’utilisation de colle, car la basket est « tricotée » d’une seule pièce. Une fois présentée, la solution a l’air évidente, mais il faut prendre la mesure de la rupture que représente cette innovation pour un fabricant habitué depuis toujours à coller les semelles.

Figure 1 : “La frontière Impact / Performance”

(“Sustainability- Oriented Innovation: A Bridge to

Breakthroughs”, MIT Sloan Management Review Blog,

Jaso Jay, Sergio Gonzalez and Mathew Swibel, 10

novembre 2015. http://sloanreview.mit.edu/article/

sustainability-oriented-innovation-a-bridge-to-

breakthroughs/

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ImportantIMPACT

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Axé sur l’impact

«Compromis»

Cet exemple de « triple dividende » illustre comment une entreprise peut remettre en question ses anciens produits et procédés pour innover, en repartant de la page blanche, et éco-concevoir simultanément le produit et le procédé.

COMMENT « ÉCO-CONCEVOIR » DES ÉQUIPEMENTS INDUSTRIELS ?Un premier point concerne la consommation énergétique. Il faut simuler très tôt la consom-mation d’énergie, avant même d’avoir précisément défini les machines, au stade de la planification. En bâtissant des hypothèses, en se basant sur des usines existantes, on peut évaluer quelle sera la puissance des différentes machines. En effectuant ces simulations, on pourra ainsi identifier les grandes masses et se demander comment les réduire, ou faire des arbitrages. Le seul fait de poser ces questions en amont fournit tout de suite des leviers d’actions.

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De nouvelles technologies comme la fabrication additive permettent par ailleurs d’éco-innover, car on produit sans créer de déchet. La matière est en effet déposée exactement là où l’on en a besoin. L’utilisation de « l’impression 3D » pour produire des machines serait donc une évolution intéressante, la taille réduite des séries confirme par ailleurs la pertinence de cette technologie pour cette application.

L’utilisation du vivant ou de micro-organismes est un autre axe d’éco-innovation. Par exemple, certaines stations d’épuration fonctionnent aujourd’hui uniquement avec des micro-organismes qui sont fixés sur les racines de plantes aquatiques ; cela fonctionne très bien avec les eaux usées de l’indus-trie agroalimentaire, très chargées en matière organique. On ne consomme pas de produit – pas de floculants -, pas ou vraiment très peu d’énergie par rapport aux stations classiques où l’eau doit être longuement brassée… et l’on produit même de la biomasse, car les roseaux poussent et peuvent être soit utilisés comme matériau, soit brulés. C’est un système gagnant-gagnant.

De la même façon, certains ateliers mécaniques ont recours aux technologies du vivant pour nettoyer la graisse sur des pièces métalliques.

Traditionnellement, ces ateliers utilisent une fontaine à solvant : le solvant dissout les graisses, il est réutilisé un grand nombre de fois mais lorsqu’il est souillé, il doit être traité par un gestionnaire de produits toxiques. Il existe aujourd’hui des fontaines de dégraissage biologique, sans solvants, qui fonctionnent à l’eau, la destruction des graisses s’effectue par transformation biologique sous l’influence d’enzymes produits par des bactéries. Ces fontaines sont très efficaces, ne produisent pas de déchet ni d’émanations toxiques… et ne coûtent pas plus cher.

Je suis persuadée qu’il y a encore énormément de choses à trouver dans l’articulation entre le vivant et la production, au-delà des filières agro-alimentaires et bio-médicales.

QUELLES SONT LES MOTIVATIONS DES ENTREPRISES ET DES INDUSTRIELS POUR ADOPTER DES APPROCHES D’ÉCO-CONCEPTION ?Il y a différentes motivations, qui s’étagent dans le temps et concernent différentes parties prenantes : réduction des risques ; gains de compétitivité puisque l’on réduit ses coûts, que l’on sécurise ses sources d’approvisionnement ; différenciation ; réponse aux attentes des clients ; développement de

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Figure 2 : Enjeux, motivations et bénéfices de l’éco-conception.

Source : Gingko 21 (mars 2016).

PARTIES PRENANTES

Générations futures

Citoyens/ONG

Riverains

Concurrents

Pouvoirs publics

Investisseurs

Clients

Fournisseurs/partenaires

Collaborateurs

Dirigeants

ÉTHIQUE ET STRATÉGIE

CAPITALIMMATÉRIELCOMPÉTITIVITÉRÉDUCTION

DES RISQUES

Risqueréputationnel

Risqueréputationnel

Risqueréputationnel

Risqueréputationnel

Risqueréglementaire

Risqueopérationnels

Réduction des coûts

Principes éthiques des dirigeants

Autorisationd’exploiterAutorisationd’exploiter

Attentes des clients

Sécurité des appro.

Sécurité des appro.

Écosystème

Attractivité de la marque

Attractivité/investisseurs

Acceptabilité sociale

Acceptabilité sociale

Différentiation/ concurrents

Court terme Long terme

TEMPS

Image de responsabilité sociale

Positionnement stratégique favorable

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nouveaux business models ; construction du capital immatériel (via l’innovation, l’image de la marque, l’attractivité pour les collaborateurs) ; motivations éthiques et stratégiques...

Pour une entreprise innovante, la prise en compte de facteurs environnementaux protège ses nouveaux produits d’une éventuelle non-conformité régle-mentaire au moment où ils sortiront sur le marché.

Lorsque l’on voit tous ces enjeux et tous ces béné-fices, on en vient à se demander pourquoi toutes les entreprises ne se sont pas encore saisies du sujet. Je vois cependant des signaux faibles prometteurs, comme par exemple une série d’articles consacrés à « l’innovation durable » – Sustainability Oriented Innovation – par la célèbre MIT Sloan Management Review, qui souligne notamment le fait qu’une entreprise qui ne réalise pas son ACV pourra se faire distancer dès lors qu’un concurrent le fera…

Walmart a par ailleurs été à l’origine du « Sustaina-bility Consortium », avant d’être rejoint par d’autres entreprises, dans le but de préparer l’affichage environnemental des produits et de pousser tous ses fournisseurs à intégrer la dimension environnementale. Bien que les politiques ne soient pas très impliqués, des acteurs importants comme Nike ou Walmart se saisissent de cet enjeu et exercent une certaine forme de pression sur leurs concurrents, car ils ont compris que la pérennité de leurs activités est en jeu. L’éco-conception n’est pas pour autant réservée aux grandes entreprises, les ETI sont également actives.

Ces démarches ne peuvent par ailleurs réellement prospérer qu’avec l’appui d’un top management impliqué et motivé. Une démarche d’éco-conception ne peut aboutir que si de multiples fonctions dans l’entreprise y collaborent, et en premier chef les responsables du marketing, de la R&D et de l’environnement. Aucun de ces trois départements n’a toutes les connaissances nécessaires pour porter seul un projet d’éco-innovation, mais tous ont des éléments à partager. D’autres fonctions devront par ailleurs être associées : en particulier les achats, puis, selon les entreprises, l’industrialisation, la qualité,

l’image de marque, le design… La prise en compte globale du cycle de vie du produit demande d’élargir cette approche transversale au-delà des frontières de l’entreprise, pour aller travailler avec des fournisseurs de rang parfois élevé, avec des clients de clients, avec des entreprises du recyclage…

COMMENT SONT ENCADRÉES CES DÉMARCHES ?Il y a un véritable intérêt de la part des entreprises et des industriels pour valoriser leurs efforts et progrès auprès de leurs clients, via des labels et autres certifications.

Il existe une norme française sur l’éco-conception, NF X30 264, elle met l’accent sur les aspects d’éco-innovation, mais n’est pas certifiable.

En France, la plateforme ADEME/AFNOR (Associa-tion Française de NORmalisation) sur l’affichage environnemental a été instauré en 2008 suite au Grenelle de l’environnement. Elle a produit un référentiel général sur l’affichage environnemental, BPX 30-323, ainsi que des référentiels sectoriels. La Commission européenne mène par ailleurs actuellement un gros projet sur l’affichage environnemental : « Product Environment Footprint » (PEF). Celui-ci se penche principalement sur les produits de grande consommation, avec 25 projets pilotes (isolants du bâtiment, café, t-shirts, vin, etc.) pour lesquels l’évaluation durera jusqu’en 2016, afin de mettre au point une méthodologie pour l’affichage environnemental.

Il existe aujourd’hui des éco-labels sur un certain nombre de produits de grande consommation, le papier par exemple, mais ceux-ci répondent à des cahiers des charges très précis, dont l’élaboration consensuelle par toutes les parties prenantes concernées demande beaucoup de temps. Il est pour cette raison difficile, voire impossible, d’établir de tels cahiers des charges sur des « produits » aussi spécifiques que les équipements industriels, qui sont souvent réalisés en toutes petites séries, voire à l’unité.

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On peut en revanche certifier la démarche, et il existe déjà plusieurs labels. En France, Bureau Veritas a développé le label « Footprint Progress » : une ACV est effectuée « avant » puis « après » la démarche d’éco-conception, et montre ainsi le progrès réalisé. Il existe aussi une « évaluation éco-conception », développée par AFAQ-AFNOR : un questionnaire d’une centaine de questions permet de positionner l’entreprise sur une échelle à quatre niveaux. Fives a pour sa part développé un label interne, « Engineered Sustainability® » (détaillé ci-après).

Le cabinet international « Cradle to Cradle » (du berceau au berceau) délivre aussi à ses clients son propre label, du même nom. Pour assurer l’indépendance de l’entité délivrant le label, un groupe d’entreprises américaines s’est inspiré du cahier des charges de Cradle to Cradle, qui s’applique à tous les produits, l’a amélioré et a créé une association neutre qui délivre le label « SMaRT », permettant de certifier une démarche d’éco-conception de manière crédible. Je pense qu’il serait intéressant de s’inspirer de cette initiative en France pour donner une réelle légitimité et valoriser les démarches mises en œuvre par nos entreprises et industries.

PENSEZ-VOUS QUE CETTE IDÉE D’USINE « ZÉRO IMPACT » FERA SON CHEMIN ?Oui, car je ne sous-estime pas l’ampleur des crises écologiques à venir ni les tensions qui surviendront sur les ressources naturelles. On devra donc s’adapter et aller vers du « tout bio-sourcé », « tout recyclé »… Le sujet de l’éco-conception n’a pas vraiment été abordé lors de la COP21, et c’est regrettable. En raison du contexte actuel, avec un prix du pétrole très bas, certaines entreprises n’ont pas encore saisi que la réduction de l’empreinte environnementale et l’adaptation de leur offre par l’éco-conception aux futures conditions de marché sont de véritables enjeux stratégiques. Je suis convaincue que les entreprises qui n’agissent pas dans les dix ans se mettent en danger.

C’est seulement en pensant de façon radicale aujourd’hui que l’on pourra se donner les moyens d’agir à la hauteur des enjeux de demain. La démarche « zéro impact » a dans ce cadre un véritable intérêt.

SELON VOUS, QUE DEVRAIT ÊTRE L’USINE DU FUTUR ? QUE FAIRE DE PLUS ? Le « re-manufacturing » est en enjeu important. Il faut en effet se demander comment penser l’usine ou l’équipement industriel comme « quasi-éternel », qu’il n’ait pas à proprement parler de « fin de vie ». Il subsiste cette idée fausse que les produits doivent nécessairement avoir une fin de vie, alors qu’ils pourraient être pensés pour durer. Par exemple, une conception modulaire permet de remplacer les pièces d’usure au fur et à mesure et de faire évoluer l’équipement pour l’adapter aux besoins changeants dans le temps. Le dernier stade de l’éco-conception serait la disparition de la vente de l’équipement en tant que tel et son remplacement par la mise à disposition d’un équipement (en leasing par exemple) entretenu et exploité par le fournisseur, qui remplacerait les pièces défaillantes. À partir du moment où celui qui fournit l’équipement en devient responsable, il le concevra d’une manière plus respectueuse de l’environnement, il fera plus d’efforts pour que la machine soit durable, qu’elle consomme moins, etc. En passant du produit au service, il est possible d’équilibrer la chaîne de valeur pour que tout le monde soit gagnant, y compris l’environnement : en vendant du service, l’entreprise génère plus de valeur ajoutée, le client dépense moins, et les gaspillages sont réduits.

On peut également aller au-delà de « l’usine zéro impact ». En effet, pour installer l’usine, quand bien même celle-ci aurait zéro impact (zéro déchet, zéro consommation d’énergie non-renouvelable, zéro consommation d’eau, zéro rejet dans l’air, dans l’eau, dans les sols…), la nature qui préexistait avant son aménagement a été altérée. Une forêt a pu être détruite, qui rendait des services éco-systémiques : elle filtrait l’eau, produisait de la biomasse pour nourrir les animaux… Même si l’on conçoit une usine « zéro impact », on restera toujours débiteur vis-à-vis de la nature.

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Le bio-mimétisme, qui promeut des approches d’éco-conception s’inspirant de la nature, peut ici être utile. En effet, la vie existe depuis plus de 4 milliards d’années, elle a eu le temps de « tester » et de « sélectionner » les solutions les plus performantes. Si l’on est capable de déchiffrer ces processus naturels, on peut les implémenter et faire de réels progrès. Interface collabore actuellement avec Janine Benyus, une experte du bio-mimétisme sur le projet « Factory as a forest », ou l’usine-forêt. Une zone de forêt a été définie dans un parc naturel en Australie, des écologues quantifient actuellement les services écosystémiques rendus par cette zone. Le travail consistera ensuite à imaginer comment l’usine pourrait rendre les mêmes services…

Le stade ultime de l’éco-conception de l’usine serait donc, non seulement de ne pas laisser de trace, mais d’aller au-delà pour apporter une contribution éco-systémique, dans une véritable intégration à la nature. Cet exemple est assez unique et extrême. Retenons-en néanmoins l’importance des interactions entre l’usine et ce qui l’entoure. À l’image des différentes zones ou parcelles d’une exploitation agricole menée en permaculture, qui se rendent des services mutuels et créent de la valeur par leur diversité même, les usines pourraient s’intégrer sur un territoire diversifié dont l’aménagement serait pensé pour maximiser les échanges et les services, dans une perspective d’économie de ressources et d’impact minimal sur l’environnement. La bonne nouvelle est que compétitivité et résilience seront au rendez-vous de cette nouvelle façon de produire.

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EXEMPLE

ENGINEERED SUSTAINABILITY®, LE PROGRAMME D’ÉCO-CONCEPTION DÉVELOPPÉ PAR FIVES

L’éco-conception adaptée aux équipements industrielsFives s’est fixé pour objectif de proposer les solutions les plus performantes, dans leurs domaines respectifs, en matière d’efficacité énergétique et environnementale.

Cet engagement s’est traduit par la création, en 2012, de la démarche d’éco-conception Engineered Sustainability®, qui est à la fois :‒ un processus d’innovation interne ;‒ une marque déposée, pour les produits

« premium » en termes de performance environnementale.

Les équipements bénéficiant de la marque Engineered Sustainability® aident les clients de Fives à atteindre leurs objectifs de réduction de

leur propre empreinte environ-nementale et de celle des produits qu’ils commercialisent.

Si le coût d’investissement d’un produit éco-conçu par rapport

à un produit standard peut être plus élevé – car il intègre des technologies de pointes permettant de hautes performances –, son coût global sur le cycle de vie est plus intéressant et présente une forte rentabilité, même à court terme, grâce à des coûts opératoires plus faibles (maintenance, consommations, flexibilité).

Une démarche en quatre étapesLa démarche Engineered Sustainability® s’appuie sur des méthodes d’analyse quantitative de l’impact environnemental généré par une technologie,

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Groupe d’ingénierie industrielle bicentenaire, Fives conçoit et réalise des équipements de procédé, des lignes de production et des usines clés en main pour les plus grands acteurs mondiaux des secteurs de l’acier, de l’aéronautique, de l’aluminium, de l’automobile et de l’industrie manufacturière, du ciment, de l’énergie, de la logistique et du verre, dont certains sont particulièrement exposés aux défis environnementaux.

Fort d’une expertise dans la gestion de projets industriels partout dans le monde, Fives a décidé de mettre les enjeux du développement durable et de l’acceptabilité au cœur de sa stratégie, afin de transformer ces contraintes en des leviers de performance et de profit industriel. Le groupe s’est engagé depuis longtemps à créer du « progrès industriel durable », à conférer une image positive de l’industrie en France et dans le monde.

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et mobilise les équipes autour de la recherche de la meilleure combinaison entre performance environnementale, facilité d’utilisation et coût d’opération minimal, tout en maintenant une qualité du produit fini optimale. Ce processus d’amélioration continue couvre ainsi toutes les dimensions du développement durable, en prenant en compte aussi bien les enjeux environnementaux et sociaux que la performance opérationnelle de l’équipement. Ce processus d’innovation et sa marque Engineered Sustainability® s’appuient sur quatre grandes étapes :

1) Identification et quantification des impactsUne analyse quantificative des impacts environ-nementaux du produit est effectuée (par exemple au travers des méthodes d’Analyse du Cycle de Vie), en comparaison avec les technologies alternatives.Cette analyse est multi-critères (changement climatique, santé humaine, environnement, eau…) et couvre tout le cycle de vie du produit. Elle est complétée par une analyse qualitative d’impacts tels que le bruit, l’encombrement, le confort et la sécurité de l’opérateur.2) Reconception/InnovationLes pistes de réduction des impacts sont listées dans le cadre de la nouvelle conception du produit, et donnent lieu à des études de Recherche et Développement dédiées lorsque cela est nécessaire.Tout transfert d’impact doit être évité autant que possible, et les arbitrages éventuels doivent être justifiés. L’équipe de conception doit démontrer que l’ensemble des solutions économiquement viables ont été mises en œuvre, pour cela une justification sera donnée chaque fois qu’une piste d’amélioration n’est pas retenue.3) Quantification des bénéficesLe produit fait l’objet d’une quantification des éléments prouvant sa performance environ-nementale et d’une analyse des risques sur son cycle de vie, indépendante du pays dans lequel la machine est utilisée.

4) Assistance à l’opérationDes moyens adéquats (automatismes, formations, audits de performance) sont mis en œuvre afin d’assurer aux clients que les performances optimales sont effectivement atteintes en situa-tion d’exploitation, et de leur permettre un suivi des performances environnementales.

Gouvernance de la démarche et engagement de long terme des entreprises du groupeCette démarche a été développée en interne dès 2012. Le département Innovation du groupe assiste les entreprises du groupe Fives dans l’application de ce programme à leurs produits. Pour chaque produit traité, l’entreprise nomme une équipe pluridisciplinaire, mêlant techniciens et commerciaux. Les travaux sont présentés à un comité interne (constitué du Directeur Général de l’entreprise membre du groupe et des directeurs de l’Innovation et du Marketing & Stratégie du groupe) qui statue sur l’attribution de la marque Engineered Sustainability®.

Les sociétés du groupe Fives qui entreprennent la démarche Engineered Sustainability® s’engagent sur la base du volontariat et entrent dans un véritable processus d’amélioration continue, qui les engage notamment à :‒ passer en revue les impacts environnementaux

de tous leurs produits clés ;‒ mener à son terme la démarche Engineered

Sustainability® pour tout nouveau produit ;‒ former leur personnel technique et commercial à

l’éco-conception.

Progressivement déployé dans l’ensemble des divisions par le biais d’un travail direct avec les équipes de conception, Engineered Sustainability® concerne aujourd’hui près de 40 % des filiales de Fives. À ce jour, onze équipements Fives utilisent la marque Engineered Sustainability® dans les spécialités Automation, Acier, Aluminium, Intralogistique, Ciment/Minéraux, Chemtec et Combustion. Le processus est par ailleurs itératif : ces travaux doivent être mis à jour tous les trois ans à la lumière des évolutions technologiques du marché et règlementaires. Les premiers équipements éco-

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conçus datant de 2012 sont ainsi aujourd’hui en cours de réévaluation tandis que cinq autres projets d’éco-conception sont développés en parallèle.

Engagement de transparence dans la communicationLa démarche d’éco-conception de Fives et la marque Engineered Sustainability® suivent les recommandations des normes ISO relatives à :‒ l’analyse du cycle de vie (ISO 14040) ;‒ l’intégration des aspects environnementaux

dans la conception et le développement des produits (ISO 14062) ;

‒ la communication de données environnementales (ISO 14020 et 14021).

En conformité avec ces normes, les gains et avantages annoncés sont calculés ou mesurés suivant des méthodes reconnues et documentées, dont les données, sources et résultats sont fournis sur demande. Cette démarche a été vérifiée de façon indépendante par Ernst & Young en 2013.

Focus sur Pillard NovaFlam® et GENI-belt™, des technologies combinant excellence opérationnelle et haute performance environnementale• Pillard NovaFlam® est l’un des onze équipements Fives ayant reçu la marque Engineered Sustainability®.

La méthodologie d’éco-conception Engineered Sustainability® a permis de mettre en avant, via de nombreux retours sur sites de clients par rapport aux solutions précédemment installées que ce brûleur pour four rotatif de cimenterie permet aux cimentiers de valoriser une grande variété de combustibles, incluant ceux dénommés « alternatifs » (jusqu’à 100 % de déchets plastiques, pneus, bois, déchets

ménagers…), tout en maintenant une qualité de clinker optimale voire même améliorée (jusqu’à +2Mpa de résistance à la compression à 3 jours).Cette technologie peut améliorer à la fois l’opérabilité du site (flexibilité de réglage, facilité d’opération, plus grande disponibilité du four grâce à une réduction importante de la volatilisation du soufre) et sa performance grâce, par exemple, à une augmentation de la production entre 2 et 4 %. La conception du brûleur peut permettre également une réduction des émissions de d’oxyde d’azote (NOx) jusqu’à 11 %.

• Le GENI-belt™ de Fives est un système de convoyage et de tri ayant également reçu la marque Engineered Sustainability®.

Ce trieur « cross-belt » permet d’automatiser la manutention et le tri d’un grand nombre d’objets pesant jusqu’à 20 kg, aussi pour des bagages dans les aéroports que pour le traitement de plusieurs lignes d’articles (colis, petits paquets, documents et paquets plats) dans les centres postaux, les plates-formes de messagerie et les centres de distribution (distribution alimentaire, pharmaceutique, e-commerce, boissons, produits culturels etc.).

Doté d’une très haute précision (à plus de 99,99 %), il est composé de petites unités de convoyage, opérant indépendamment les unes des autres. Les bandes sont activées pendant les phases de chargement et de déchargement de telle sorte que les objets sont transférés de la ligne d’induction vers les convoyeurs et vers la destination appropriée en contrôlant la trajectoire, sans impact, sans rouler ou glisser. Cette technologie précise et peu sonore assure une manutention douce quelles que soient les caractéristiques physiques des objets et peut gérer des cadences moyennes à élevées.

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D’un point de vue environnemental, les perfor-mances du GENI-belt™ sont elles aussi exception-nelles. Dans le marché de l’aéroport, ce nouvel équipement éco-conçu a permis de réduire de 23 % la consommation d’énergie par rapport à la version précédente, notamment grâce à la réduction des frottements et à l’allègement de la cellule de transport, tandis que la conception innovante des roues permet de limiter vibrations et bruit.

Il est par ailleurs possible de réduire encore la consommation d’énergie du trieur en modulant sa vitesse selon les besoins du client (-10 % d’énergie consommée en activant le mode « éco » par rapport aux moteurs à friction alternatifs). Les matériaux utilisés pour produire le trieur sont désormais recyclables à 92 % et le poids des nouveaux rails en aluminium a été allégé de 25%.

Cellule-puissance électrique Électronique-veille Puissance de friction Système-veille

20000

18000

16000

14000

12000

10000

8000

6000

4000

2000

0Standard Éco

Figure 1

Comparaison de la consommation énergétique entre

un équipement standard et l’équipement éco-conçu

GENI-beltTM.

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2VERS L’USINE FRUGALE : RÉDUIRE L’IMPACT ENVIRONNEMENTAL DES PROCÉDÉS

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VERS L’USINE FRUGALE

QUE VOUS INSPIRE CE CONCEPT DE « FRUGALITÉ » ?Le terme « frugal » émane du « fruit » : un repas frugal consiste à manger des aliments simples, mais nécessaires… et bons, pourquoi pas ! Les termes de « frugalité » et « sobriété » sont pour moi équivalents. Ils évoquent le fait de faire mieux avec moins, l’idée d’une « croissance raisonnée ». C’est pour moi quelque chose d’essentiel. C’est le souhait d’avoir, bien sûr, du progrès mais tout en limitant les ressources utilisées. Ce concept de frugalité est un peu différent de la notion d’efficacité, qui implique davantage une volonté d’optimisation.

DE QUAND DATE SELON VOUS CET ÉLAN VERS L’ÉCONOMIE FRUGALE ET QUELLES EN SONT LES MOTIVATIONS ?L’émergence de ce mouvement remonte à une dizaine d’années. Cette idée de limiter la consommation des ressources a une véritable justification économique, à cause de la hausse des matières premières – même si cette tendance s’est provisoirement interrompue depuis deux ans – et surtout du fait de la raréfaction des ressources. Il faut avoir conscience que toutes les ressources sont concernées, pas seulement l’énergie, mais aussi les métaux, les terres rares et surtout l’eau ! Toutes les usines utilisent de l’eau à des degrés

Ingénieur de formation, Emmanuel Julien est président d’Actys Bee, société de conseil stratégique et d’expertise industrielle dans les domaines de l’énergie et de l’environnement. Depuis 2012, il est également associé et directeur général d’ENEA Consulting, cabinet indépendant qui conseille et accompagne les leaders du secteur privé et les institutionnels sur l’ensemble des filières et des marchés de la transition énergétique, partout dans le monde. Emmanuel Julien a effectué l’essentiel de sa carrière dans l’industrie, notamment dans le groupe Air Liquide où il assuré entre 1988 et 2010 des fonctions dans la recherche, la production, la finance, les achats d’énergie, avant d’en devenir directeur industriel monde, puis vice-président en charge de la branche d’activité ingénierie. Il a également été président et administrateur de plusieurs filiales du groupe Air Liquide, et membre de son comité d’investissements technologiques au niveau mondial. Il est par ailleurs membre de différents think tanks qui souhaitent réinventer le rôle de l’entreprise dans la société.

« L’USINE DU FUTUR DEVRA ÊTRE FRUGALE, CE N’EST PAS UNE QUESTION IDÉOLOGIQUE MAIS UNE VÉRITABLE NÉCESSITÉ »

par Emmanuel Julien, expert de la mise en œuvre de la transition énergétique dans l’industrie

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divers et beaucoup de zones dans le monde sont déjà touchées par le manque d’eau. L’exemple du groupe Bel traité dans ce cahier est extrêmement parlant. La surconsommation de l’eau commence à poser des problèmes, car les zones soumises au stress hydrique ne sont pas seulement situées dans les pays chauds, elles concernent maintenant des pays comme les États-Unis et même certaines régions de France.

Au-delà de la raréfaction des ressources se pose aussi la question de la dégradation de la qualité des ressources. Or, il est vital pour un industriel d’assurer un approvisionnement pérenne mais également une qualité constante. Ces tensions sur les ressources ne peuvent que s’accentuer, dans le monde entier : la demande continue et continuera d’augmenter, avec la démographie et le niveau de vie, tandis que les stocks s’épuisent au fur et à mesure.

CETTE RARÉFACTION DES RESSOURCES CONTRAINT DONC LES INDUSTRIELS À S’ADAPTER ET À CHANGER DE MODÈLE ?Oui, d’autant plus que la sensibilité aux enjeux de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) s’accroît. En conséquence, l’attitude des entreprises a changé. Alors qu’il y a encore quelques années, les politiques de RSE se limitaient à mettre en place du reporting (avec des encadrements variables selon les pays et une obligation en France via le Grenelle 2) et quelques actions symboliques, aujourd’hui, les entreprises intègrent des objectifs sociétaux et environnementaux dans leur stratégie à moyen et long terme parce qu’elles ont compris que c’était dans leur intérêt. J’ai été frappé par la déclaration récente de Larry Fink, le patron du fonds d’investissement BlackRock qui est le plus gros gestionnaire mondial d’actifs : il a appelé les dirigeants des plus grandes entreprises américaines et européennes à se détacher de la pression des résultats trimestriels, du « court-termisme », pour se préoccuper plutôt de la stratégie à long terme, incluant notamment les réponses aux questions environnementales. Aussi bien leurs investisseurs que leurs clients incitent les industriels à réduire l’empreinte environnementale de leur production. Eux-mêmes en sont parfaitement conscients, dans

une logique de rentabilité et de pérennité de leurs actifs. D’où l’émergence de ce concept de frugalité, qui n’est pas une idéologie mais une véritable nécessité. L’usine du futur devra être frugale !

PAR QUELLES VOIES LES INDUSTRIELS PEUVENT-ILS PARVENIR À ATTEINDRE CET OBJECTIF ?Il faut aller bien au-delà des politiques conduites actuellement qui sont centrées sur l’efficacité et l’optimisation, démarches qui ont, elles, toujours existé. Il faut plutôt raisonner en termes de rupture pour inventer des processus de production nouveaux qui permettront de limiter radicalement l’utilisation des ressources. Prenons l’exemple de la fromagerie Bel. L’entreprise avait commencé à réduire sa consommation d’eau avec des méthodes classiques et avait déjà obtenu de très bons résultats. Puis, il est apparu aux dirigeants qu’il fallait aller plus loin en se donnant pour objectif de ne plus consommer d’eau du tout, en utilisant l’eau contenue dans le lait. C’est une idée géniale et une véritable rupture !L’industriel Rio Tinto Alcan a de son côté développé une technologie innovante avec un système intégré dans son usine de Dunkerque, qui lui permet de limiter sa consommation d’eau industrielle à un mètre cube par tonne d’aluminium produite (contre 80 m3 sans cette technologie). Dans cette même usine, les rejets fluorés sont captés à 99 % et réinjectés, car l’alumine fluorée est nécessaire au processus de fabrication de l’aluminium. Globalement, 100 % des déchets issus des fours et des chutes sont récupérés et refondus pour faire du produit noble .

ET, EN TERMES D’ÉNERGIE, QUELLE EST LA MARGE DE MANŒUVRE POUR RÉDUIRE ENCORE LA CONSOMMATION DES USINES ?La vraie rupture adviendra lorsque l’on arrivera à l’autosuffisance énergétique. Les bâtiments à énergie positive (BEPOS) sont une incarnation de ce concept : ce sont des bâtiments qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment. On parle maintenant même de quartiers et de territoires à énergie positive.La démarche est identique pour une usine. On va limiter les consommations de ressources et chercher

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à échanger au maximum les flux de matières et d’énergie entre les différents ateliers et les unités de production d’une même usine, mais aussi entre différentes usines voisines, voire à l’échelle d’un quartier pour alimenter des habitations : c’est l’écologie industrielle territoriale. Il y a encore de grands gisements de chaleur fatale récupérable, notamment à basse et moyenne températures. Le projet de Grande Synthe près de Dunkerque en est une excellente illustration : les entreprises locales ont mutualisé des services comme les collectes de déchets et développé des synergies autour de la valorisation croisée de certaines matières.

Au-delà de la question de la gestion des déchets, l’écologie industrielle territoriale se préoccupe en réalité de la gestion de toutes les ressources : les ressources matières, les ressources énergétiques, les ressources en eau. Les procédés industriels sont revus pour consommer moins de ressources et pour que ces ressources soient réutilisables par d’autres acteurs au sein d’un territoire. Le défi est double : inventer de nouvelles technologies mais aussi de nouveaux flux économiques. Les technologies existent, et continuent à se développer grâce au numérique notamment. De nouveaux modèles économiques se mettent en place, basés sur les échanges et le partage de la valeur ajoutée créée.

QUELLES SONT LES FACTEURS CLÉS DE SUCCÈS POUR PARVENIR À CRÉER DES USINES FRUGALES ? Il faut regarder au-delà de soi, élargir sa vision, se donner des objectifs forts et en rupture. L’industrie travaille maintenant beaucoup de manière col-laborative, ce qui permet d’accélérer l’acquisition et la mise en place de solutions pour maîtriser les ressources. L’outil numérique est très précieux : il permet d’avoir une gestion optimale et en temps réel. En France, nous avons beaucoup de grands et de petits industriels, mais plus beaucoup de projets industriels nouveaux sur notre territoire. Nous nous concentrons donc sur l’optimisation des outils industriels existants. Tandis que dans les économies nouvelles, comme en Chine, on part souvent de zéro, ce qui permet de conceptualiser cette démarche dès

la conception des parcs industriels et des usines en cherchant à mutualiser les besoins.

Il faut avoir la conviction que l’investissement de départ va être rentable. Tous les projets d’usine frugale s’inscrivent dans une logique de développement du recyclage, que ce soit pour l’eau, la chaleur, les déchets. Ce qui passe aussi bien par des investissements technologiques que par des solutions communes et intelligentes, comme on l’a vu.

Il est évident aussi qu’il faudra utiliser de plus en plus les énergies renouvelables et disponibles localement, du moins dans la période de transition avant d’arriver à l’autosuffisance : l’énergie solaire, qui est désormais compétitive dans beaucoup de zones dans le monde, l’éolien, la géothermie (avec l’exemple de l’Islande qui est devenue quasiment autonome en approvisionnement énergétique grâce à la géothermie ainsi qu’à l’hydraulique), la biomasse (à partir d’éléments qui étaient auparavant perdus, comme des chutes de bois lors de la production de meubles ou de résidus végétaux), la méthanisation (à partir de déchets organiques venant de l’agriculture ou du traitement des eaux). Utiliser de l’énergie produite sur site ou à proximité sera de plus en plus intéressant d’un point de vue économique, tout en apportant une garantie d’indépendance et surtout de stabilité du coût, par rapport à des prix de marché de plus en plus volatils.

COMMENT METTRE EN PLACE CES DYNAMIQUES ?Il faudrait impulser davantage de projets collectifs et des systèmes de coopération comme en Islande ou au Danemark. Il existe cependant des différences culturelles entre les pays. Pour ce faire, il est important que des collectivités, des groupements d’entreprises, des institutionnels mettent en place et animent des initiatives locales. Il faut donc trouver des intérêts communs, ce qui n’est pas toujours aisé en raison d’intérêts parfois différents et de perspectives de temps variables.

VERS L’USINE FRUGALE

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VOUS ÉVOQUIEZ TOUT À L’HEURE LE FAIT QU’IL EST PLUS FACILE DE PARTIR DE ZÉRO QUE D’INSTALLATIONS EXISTANTES. LES INVESTISSEMENTS ET LES FINANCEMENTS SONT-ILS VRAIMENT PLUS ÉLEVÉS DANS CE SECOND CAS DE FIGURE ? ON IMAGINE QUE LE FAIT DE RÉDUIRE LES CONSOMMATIONS PERMET IN FINE DE RÉDUIRE LES COÛTS… CE QUI EST PLUTÔT SOUHAITABLE D’UN POINT DE VUE ÉCONOMIQUE.Effectivement, une réduction des consommations entraîne une réduction des coûts. Mais les investis-sements sur des installations existantes soulèvent plusieurs questions : ils ne génèrent pas d’activité (de chiffre d’affaires) supplémentaire alors que c’est souvent une attente des actionnaires, la pérennité de l’installation existante n’est pas toujours certaine, il n’est pas toujours facile techniquement d’insérer un équipement neuf au milieu d’une usine ancienne… Alors que sur une installation nouvelle, il s’agit d’un investissement complémentaire, par rapport à un investissement principal pleinement justifié par une stratégie de développement économique.

D’OÙ DOIT VENIR CETTE IMPULSION AU SEIN DE L’ENTREPRISE SELON VOUS ?Les impulsions peuvent venir aussi bien d’une volonté de la direction de l’entreprise, consciente de la raréfaction des ressources et des risques que cela peut engendrer, que d’initiatives locales venant de responsables cherchant à diminuer leurs consommations et à optimiser le fonctionnement de leurs unités. Si on parle de ruptures dans les modes de production il y aura nécessité d’un consensus à tous les niveaux.

CERTAINS SECTEURS SONT-ILS PLUS EN AVANCE QUE D’AUTRES DANS CE CHEMINEMENT ?Ce sont les secteurs les plus exposés à la raréfaction des ressources qui se sont mobilisés le plus tôt. Il s’agit des secteurs gros consommateurs de ressources, que ce soit d’énergie (la chimie, la sidérurgie, l’aluminerie, le raffinage) ou d’eau (l’agroalimentaire).L’industrie numérique, qui connaît une croissance exponentielle, doit elle aussi faire face à la question

des ressources. Les data centers consomment beaucoup d’énergie, et des solutions couplées d’effi-ca cité, de recyclage de chaleur et de production d’énergie locale permettent maintenant d’avoir des data centers neutres, comme le « Net Zero Energy Data Center » de Hewlett Packard. Cette industrie consomme aussi des terres rares, dont les volumes sont limités et dont les prix fluctuent énormément, poussant à imaginer sans cesse de nouvelles solutions moins consommatrices et des schémas de recyclage.

LA TAILLE DE L’ENTREPRISE JOUE-T-ELLE SUR LA MISE EN ŒUVRE DE DÉMARCHES POUR RÉDUIRE LES CONSOMMATIONS ? EST-IL FINALEMENT PLUS FACILE POUR UNE GRANDE ENTREPRISE D’AGIR PAR RAPPORT À UNE PME ?Une grande entreprise a naturellement plus de moyens organisationnels et techniques pour mettre en œuvre ces solutions. Mais une petite entreprise est souvent plus agile et plus rapide dans ses décisions… Je pense que c’est surtout une question de vision stratégique et de volonté de changer.

LES ENJEUX SONT-ILS IMPORTANTS ?L’usine frugale est l’une des solutions pour l’avenir de la planète. Il faut bien réaliser qu’il ne sera pas possible d’avoir des usines partout avec le niveau actuel de consommation de ressources. Le basculement vers un mode de production frugal est une condition sine qua non pour que l’industrie puisse continuer à se développer.

Globalement, il y a une prise de conscience des industriels que les ressources ne sont pas infinies. Les technologies existent mais les investissements tardent à se déclencher, notamment à cause d’un problème de calcul économique : il est très difficile d’anticiper le prix futur des ressources. C’est un frein car les industriels n’aiment pas l’incertitude.

En revanche, je pense que la révolution numérique va accélérer les évolutions parce qu’elle permet le contrôle des flux, et en temps réel. C’est une clé importante qui peut faire basculer les décisions d’investissements vers l’ère de l’usine frugale.

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EXEMPLE

L’USINE FRUGALE DE BEL : UNE DÉMARCHE GLOBALE DE MANAGEMENT DE PROJET ENVIRONNEMENTAL

Fondée en 1865 dans le Jura à Lons-le-Saunier, Bel est une entreprise familiale, actuellement dirigée par la cinquième génération. L’empreinte de Bel est mondiale, le groupe est le 3e producteur mondial de fromages de marque, ses produits sont présents dans plus de 130 pays avec plus de 400 000 tonnes de fromage distribuées par an. L’entreprise est implantée dans 17 pays et s’appuie sur 28 sites industriels avec plus de 12 000 collaborateurs. Avec un chiffre d’affaires de 2,9 milliards d’euros en 2015, en croissance de 5,9 % par rapport à 2014, les zones à plus forte croissance pour le groupe sont les États-Unis (où le groupe a récemment inauguré une usine de Mini Babybel® dans le Dakota du Sud), l’Afrique – où Bel est le leader du fromage – ainsi que le Moyen-Orient et l’Asie.

Le « Bel Manufacturing model » : un savoir-faire alliant compétences fromagères et excellence mécaniqueLa notion d’articulation entre fromage et mécanique renvoie aux origines de Bel. Bel est né dans le Jura, région qui a vu historiquement se développer deux types d’activités : l’industrie du fromage et l’industrie de la micromécanique (cette seconde activité occupait les habitants l’hiver lorsque la neige les coupait du reste du monde). Bel est l’alliance de ces deux métiers.Bel est aujourd’hui le leader mondial des fromages en portion, concept très novateur inventé par le groupe en 1925. La production de fromages en portions individuelles nécessitant de développer des machines spécifiques, c’est ainsi que Bel a développé un savoir-faire dans la fabrication de ses propres machines, comme celles pour

produire les Apéricube® par exemple. Le concept de fromage en portion individuelle est d’autant plus pertinent et intéressant aujourd’hui qu’il est en phase avec l’évolution actuelle des modes de consommation et l’essor du snacking, notamment dans les pays développés. Les pays émergents posant des questions d’accessibilité de prix, le fait de pouvoir vendre des portions à l’unité est aussi un avantage important pour Bel. Bel poursuit cet axe de développement industriel avec une politique de marque autour des cinq « marques cœur » du groupe : La vache qui rit®, Boursin®, Mini Babybel®, Kiri® et Lerdammer® ont une assise mondiale et constituent les piliers de la stratégie du groupe.

Une industrie fromagère fortement consommatrice d’eauDeux procédés de fabrication de fromages sont

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utilisés par Bel et chacun d’entre eux utilise de l’eau, dans des proportions variables. Par nature, la consommation d’eau est importante dans le processus de fabrication du fromage.

Pour la première transformation, Bel collecte du lait frais chez les fermiers et le transforme en fromage. Cette transformation fait doublement appel à l’eau : pour le processus de fabrication proprement dit et pour le nettoyage des installations, l’activité de Bel étant sensible aux conditions bactériologiques. La consommation d’eau est donc inhérente aux process de production, pouvant aller de 15 à 20 litres par kilogramme de fromage transformé, ce qui est considérable. Cette première transformation représente à peu près 50 % de l’activité du groupe.

En ce qui concerne le second procédé, appelé « deuxième transformation », Bel utilise des matières laitières déjà transformées pour fabriquer le fromage : il s’agit notamment de fromage, de poudre de lait et de beurre. Une fois mélangé, le tout permet de produire des fromages « processés » (typiquement, de La vache qui rit®). Ce processus de fabrication consomme beaucoup moins d’eau – environ 6 litres par kilogramme – car les installations sont plus compactes, avec des tuyaux moins longs et nécessitent par conséquent un nettoyage moins intensif.

Au regard de la première transformation, l’accès à l’eau (au-delà de l’approvisionnement en lait) est déterminant dans le choix de sites pour installer une usine. Les facteurs à prendre en compte pour les installations relatives à la deuxième transformation sont, elles, moins contraignantes car l’accès à l’eau est moins déterminant, et Bel peut donc même s’installer dans des zones quasiment désertes. À titre d’exemple, Bel a implanté une usine de deuxième transformation quasiment en plein désert à 50 km du Caire, en Egypte.

WASABEL : une démarche environnementale et managérialeDans son passé, Bel a déjà été confronté à des problèmes d’accès à l’eau. En 2005, l’entreprise a inauguré une usine de fabrication de Vache qui rit®

en Syrie. Si la construction de l’usine, son démarrage et le développement du marché syrien ont avancé en un temps record (pose des premières fondations en septembre 2004 et sortie de la première boîte de vache qui rit® en mai 2005, un véritable exploit de la part des équipes techniques du groupe), Bel a très vite identifié de potentiels problèmes critiques d’accès à l’eau à court terme. Si les choses continuaient de la même manière, un réel problème de développement allait se présenter, voire même un arrêt total de la production de l’usine. Confronté à cette situation, le groupe a fait réaliser une étude qui a révélé qu’une plus grande attention portée à l’utilisation de l’eau, à son recyclage et à certains éléments du process pouvait permettre une diminution importante de la consommation d’eau. En mettant en œuvre certaines actions et en s’appuyant sur la mobilisation importante du directeur de l’usine et de ses équipes, Bel a été capable de diviser sa consommation d’eau par trois en l’espace de 18 mois, de 6 litres à 2 litres par kilo de fromage fondu produit.

À l’issue de cette expérience réussie, Bel a souhaité diffuser ces bonnes pratiques et a ainsi décidé de créer le programme « WASABEL » (WAter SAving At Bel). Il s’appuie en premier lieu sur un programme d’audit portant sur l’ensemble des usines du groupe. Un travail avec les équipes locales dans chaque pays et chaque usine permet ensuite de mesurer concrètement les performances, d’établir des comparaisons relatives ; un benchmark grâce auquel chaque usine peut analyser sa consommation d’eau et situer ses performances par rapport à l’ensemble des sites du groupe.

Ce dispositif a aussi été à l’origine d’une réflexion générale, en partant d’une page blanche, sur les réels besoins en eau. En effet, dans leur processus de sélection et de contrôle de gestion, les entreprises portent souvent une attention assez approximative et très générale aux différentes consommations mais ne privilégient pas forcément les machines les moins consommatrices. La première priorité pour un industriel est souvent de faire en sorte que sa nouvelle usine démarre la production le plus rapidement possible, au détriment de l’attention

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portée à la consommation d’énergie ou d’eau. Les études réalisées au sein des différents sites de Bel ont ainsi fait apparaître des niveaux de consommation d’eau anormalement élevés durant les premières phases d’exploitation des usines, ce qui a conduit le groupe à prendre des mesures pour rectifier cette situation.

ESABEL et BOOST : une dynamique et des actions globalesLa fabrication de fromages étant également très consommatrice d’énergie (notamment pour la pasteurisation du lait, le stockage des produits au froid, etc.), dans le prolongement de WASABEL, Bel a lancé « ESABEL » (Energy SAving At Bel) selon le même principe. Le groupe a par ailleurs déployé le programme « BOOST » afin de diminuer toutes les pertes en ligne et d’augmenter la pro-ductivité, en améliorant notamment l’efficience des organisations et des lignes de production. Désormais, Bel prend en compte les contraintes environnementales lorsqu’il innove et conçoit des nouvelles lignes de productions en s’imposant, par le biais de règles internes, de ne pas dégrader la situation environnementale.

Par le biais de ces programmes, le groupe a par exemple constaté l’existence de pertes en ligne importantes entre les compresseurs et les points d’utilisation, avec 50 à 60 % de fuite, et a pu repenser ses installations pour réduire la consommation d’énergie. Bel a également conclu que le système actuel de nettoyage des moules fromagers était sous-optimal et étudie la possibilité de redimensionner les buses des machines à laver. Bel a aussi diminué de manière significative la quantité d’emballages utilisés en réduisant par exemple de 20 % l’épaisseur des feuilles d’aluminium utilisées pour les portions de Vache qui rit®.

Pour atteindre ces objectifs, Bel a recalibré certaines de ses installations, en réduisant notamment la taille des tuyauteries. Selon Bel, l’usine du futur sera ainsi plus compacte car ce recalibrage permet à la fois de faire des économies d’énergie et d’eau mais aussi une réduction des coûts de construction des bâtiments. Pour concevoir l’usine du futur, il faudra donc simplifier, réduire et s’interroger constamment et à chaque étape du process sur les besoins réels en énergie et en eau.

Des résultats spectaculaires dans la réduction des consommationsPour Bel, c’est finalement la somme de petits détails et d’économies qui permet de générer des économies globales importantes. Des éléments de reporting et de comparaison ont été mis en place pour favoriser la reconnaissance du travail mené sur le terrain. Ce reporting permet aux patrons d’usine de situer les performances de leurs usines par rapport à leurs homologues. L’outil de reporting se présente sous la forme d’un diagramme à deux axes : le premier axe décrit la consommation d’énergie en Kilowattheure par tonne produite ; le deuxième axe décrit la consommation en mètres cubes d’eau par tonne produite. Sur ce diagramme, Bel a défini un cadran vertueux vers lequel chacun s’efforce de tendre. Les directeurs d’usines savent donc chacun dans quel cadran ils se situent et essayent d’améliorer leurs performances sur ces critères spécifiques de consommation d’eau et d’énergie.

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Les différents programmes et démarches mis en œuvre par Bel ont permis aux usines du groupe de réduire significativement les ratios de consommation. Entre 2008 et 2014, la consommation d’eau par tonne produite a diminué de 26 %. En parallèle, la consommation d’énergie par tonne produite a elle aussi été réduite, avec une diminution d’électricité de 8 % et de produits pétroliers et de gaz de 26 %.

Fort de ces très bons résultats, Bel a souhaité aller encore plus loin et a conçu en 2014 le projet d’usine « sans eau » : il ambitionne d’atteindre un niveau de consommation d’eau égal à 0 litre par tonne pour la première étape de transformation du fromage.

Un projet d’usine « sans eau » pour aller plus loinPar son projet « sans eau », Bel vise à réutiliser une partie de l’eau contenue dans le lait (celui-ci étant composé d’eau à environ 90 %), « l’eau de la vache », dans sa première étape de transformation du fromage. Bel explore actuellement des technologies spécifiques afin de récupérer cette fraction liquide qu’on obtient après avoir fabriqué du fromage et d’en extraire l’eau – à la manière de la désalinisation de l’eau de mer. Ces opérations s’effectuent par le biais de techniques membranaires, essentiellement via « l’osmose inverse » permettant l’épuration d’eau.

Deux sites pilotes testent actuellement ce projet : l’un en France, dans la Sarthe – qui produit essentiellement du Kiri® –, l’autre au Maroc, à Tanger – qui produit essentiellement de la Vache qui rit®. Le choix de ces deux sites s’est fait notamment en raison de l’importance de leur volume de production. Le site de Tanger s’est imposé de manière assez évidente en raison de son emplacement dans une zone à forte criticité hydrique. Une étude portant sur l’ensemble des pays où Bel est implanté a par ailleurs dévoilé que certains d’entre eux présentaient des risques de stress hydrique, soit immédiats, soit à moyen ou long terme. Contre toute attente, le site de Sablé dans la Sarthe faisait partie de ces zones sensibles et a donc été retenu comme site pilote.

Les changements climatiques font en effet évoluer la disponibilité des ressources, notamment pour l’eau, et de plus en plus de zones sont concernées par l’émergence de situations de stress hydrique.Sur ces sites, différentes mesures sont actuellement testées pour récupérer puis utiliser l’eau de la vache au cours de deux phases en particulier. Tout d’abord, lors du lavage du « caillé » fromager, ce qui exige des investissements conséquents car les eaux utilisées à cette étape doivent avoir des niveaux sanitaires et bactériologique absolument parfaits. Mais aussi dans le cadre du nettoyage des installations, car la fromagerie est une industrie de process avec de nombreux tuyaux, des cuves, des réacteurs, avec des cycles importants de nettoyage, avec de la soude, de l’acide de rinçage et des processus de désinfection, le tout consommant beaucoup d’eau.

L’objectif d’atteindre une consommation d’eau nulle pour le premier procédé de transformation est désormais une perspective crédible. Bel pense pouvoir passer d’une consommation actuelle de 6 litres par tonne à 1 litre par tonne d’ici environ sept ans. À terme, Bel souhaiterait être en mesure de traiter lui-même ces eaux de la vache avant qu’elles ne passent en station d’épuration afin de les récupérer et de les utiliser à nouveau.

Un objectif de croissance pérenne comme motivationBel et ses collaborateurs sont historiquement très attachés à optimiser la performance environ-nementale du groupe. Antoine Fiévet, PDG depuis 2009, a été moteur dans l’implantation d’une politique RSE qui s’articule autour de la notion de durabilité de ses activités et il est soutenu par les actionnaires. Par son souhait de concevoir des installations pouvant opérer sur de très longues périodes, au-delà de 50 ans pour certaines, la question du futur et de l’usine du futur est centrale pour le groupe. Bel, qui met en avant ses marques internationales, a par ailleurs le souci de développer l’image de ses produits et sa réputation d’entreprise responsable auprès des consommateurs, qui sont de plus en plus sensibles à la cause environnementale.

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Des investissements importants alliés à une implication des équipes générant des économies sur le long termeLe principal poste de dépense pour l’entreprise est la matière première, avant les emballages et l’énergie, à parité avec la main d’œuvre. Agir sur les dépenses d’énergie permet ainsi d’améliorer le rendement des autres postes de dépenses comme les matières premières. Mais, pour économiser de l’énergie, il faut d’abord investir.

Les investissements visant à réduire la consom-mation d’énergie représentent une part non négligeable de la totalité des investissements industriels de Bel. Chaque projet d’investissement du groupe soumis au comité d’investissement est évalué selon différents critères, notamment en fonction de sa qualité énergétique et de sa consommation en eau. Un projet peut être refusé en raison d’une note insuffisante sur ces aspects. Les équipes techniques sont ainsi très attentives à ce critère lorsqu’elles préparent leur dossier. Les retours sur investissement dans le cadre de ces programmes sont plus lents, les investissements s’amortissent dans les cinq à dix ans, contrairement par exemple à des CAPEX de productivité immédiate qui s’amortiraient dans les 18 mois.

Au-delà des investissements en capital, il est aussi indispensable d’investir dans les équipes. Des projets comme ceux qui ont été mentionnés antérieurement ne peuvent en effet pas s’opérer sans l’appui d’équipes expertes et dédiées, qui doivent être capables à la fois de mettre en place les audits, les outils et les guides de bonnes pratiques et de sensibiliser les opérateurs de terrain. Bel récompense les usines à forte performance environnementale moyennant un système de trophées. La rémunération des salariés et des cadres est également intéressée à leur contribution environnementale.

Une démarche applicable dans d’autres domainesLes grands principes des démarches déployées par Bel pour réduire ses consommations en eau et en énergie peuvent être appliqués dans tout type de secteur. Toutes les industries peuvent s’intéresser au processus de production, au transport ou à la consommation d’énergie ou d’eau dans chacun de leurs étapes. La réussite passe notamment par une analyse fine des consommations, un reporting régulier et précis, permettant de dégager des moyennes et de suivre les évolutions, et la mise en place d’alertes. Le développement et les innovations liées au Big Data sont considérés par Bel comme des technologies d’avenir dans le cadre de ces démarches.

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EXEMPLE

TERREAL INNOVE POUR LIMITER SA CONSOMMATION D’ÉNERGIE VIA UN PROGRAMME PIONNIER D’UTILISATION DU BIOMÉTHANE

TERREAL est depuis plus de 150 ans un acteur de référence des matériaux de construction en terre cuite. Le groupe emploie près de 2 400 collabora teurs à travers douze pays. Créateur de solutions globales pour l’enveloppe du bâtiment, TERREAL rassemble quatre grands domaines d’activités : couverture, structure, façade et décoration. L’entreprise est leader mondial des tuiles plates et galbées en terre cuite. Entreprise innovante, TERREAL s’est engagée dans le cadre de son plan stratégique 2020 à développer des solutions pour réduire son empreinte environ nementale. Elle s’est notamment fixé pour objectif de limiter la consommation d’énergie de ses usines et de réduire l’empreinte carbone de ses produits, en privilégiant la consommation d’énergies renouve lables en substitution de l’emploi d’énergie fossile (gaz naturel).

Un parfait exemple d’économie circulaire territoriale

La nouvelle tuilerie TERREAL de Chagny, en Saône-et-Loire, construite en 2008 et démarrée en 2009, est la première tuilerie au monde à utiliser le biométhane (biogaz épuré issu des déchets ménagers) pour cuire ses tuiles, en remplacement d’environ un tiers du gaz naturel actuellement consommé. L’usine produit environ 30 millions de tuiles en terre cuite par an, soit plus de 3 millions de m² par an. En 2009, le SMET 71 (le Syndicat Mixte d’Études et de Traitement des Déchets Ménagers et Assimilés), désireux de mettre en œuvre son programme de valorisation énergétique des déchets d’ordures ménagères, et TERREAL, engagé dans une démarche de réduction

de l’empreinte environnementale de ses activités par la substitution de l’utilisation de gaz naturel pour ses fours de cuisson, ont décidé de lancer le projet d’une unité de tri-méthanisation-compostage de ces déchets. Mi-2011, le SMET 71 a attribué le marché de conception, construction et exploitation de sa future unité de tri-méthanisation -compostage des déchets ménagers à un groupement dirigé par TIRU (filiale d’EDF). Les déchets ménagers produits par la moitié des foyers de Saône-et-Loire sont collectés puis triés sur le site ECOCEA : ce sont 73 000 tonnes d’ordures ménagères résiduelles et 8 000 tonnes de déchets verts qui seront traités par an.

Inaugurée en janvier 2015, l’unité de tri-méthanisation-compostage dénommée ECOCEA valorisera à terme 50 % des déchets actuellement envoyés en enfouissement sous forme de bio-méthane et de compost normé qui pourra approvisionner les agriculteurs locaux. ECOCEA dépassera ainsi les objectifs fixés par le Grenelle de l’Environnement qui vise à réduire de 15 %

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l’enfouissement et à porter le taux de recyclage matière et organique des déchets ménagers à 45 % en 2015. En juillet 2015, les premiers tests d’injection de biométhane dans le réseau de transport de gaz ont été effectués. Fin 2015, le poste d’injection a été mis en service et les premières tuiles cuites au biométhane sont sorties d’usine.

À Chagny, TERREAL utilise désormais une énergie produite sur place à partir de matières locales. TERREAL y conçoit, fabrique et commercialise des tuiles régionales qui viennent habiller les toitures des maisons dans les territoires limitrophes. Ce projet est un parfait exemple d’économie circulaire territoriale, dans laquelle les déchets des uns deviennent les ressources des autres.

Une réduction de la consommation de gaz naturel d’un tiersAprès une première phase de tri permettant de valoriser les éléments non organiques, du biogaz est produit à partir des déchets organiques avant d’être épuré pour conserver le méthane. Le respect de la qualité de cuisson des tuiles de terre cuite

nécessite un process maîtrisé à quelques degrés près ; des essais menés par le Centre de Recherche & Développement de TERREAL ont convaincu l’industriel que du biogaz brut, contenant environ 50 % d’impuretés, ne permettrait pas de préserver la qualité des tuiles lors de la cuisson. D’où le choix du biométhane, biogaz épuré, débarrassé de ses polluants et totalement identique chimiquement et énergétiquement au gaz naturel.

Ce biométhane, comprimé, est injecté dans le réseau de gaz de GRTgaz auquel est également raccordé le site industriel de TERREAL. Le biométhane, qui possède les mêmes propriétés que le gaz naturel, vient donc se substituer partiellement (à hauteur d’un tiers) au gaz naturel pour alimenter les brûleurs des fours de cuisson des tuiles en terre cuite.

À ce jour, Chagny est la plus grande installation de biométhane en France, avec une production de 28 GWh par an de gaz. Ce processus innovant a permis à TERREAL de diviser d’un tiers sa consom-mation de gaz naturel sur ce site et de réduire d’autant l’empreinte environnementale de l’usine.

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En effet, le remplacement du gaz naturel par des bio-énergies permet de réduire l’émission de gaz à effet de serre liée à l’utilisation de combustibles fossiles. Le bénéfice environnemental à Chagny est ainsi estimé à 5 800 tonnes par an de rejets de CO2 évités.

Convertir les sites aux bio-énergies afin de diminuer les émissions de gaz à effet de serreLe groupe TERREAL s’est engagé dans un programme de réduction de 20 % de ses émissions de CO2 à l’horizon 2020 ; la conversion vers les bio-énergies est un élément important de ce programme. La loi Grenelle 2 de juillet 2010 a fourni désormais un cadre technique, juridique et financier permettant de développer des projets de biométhane par le biais d’injection dans le réseau. Des études d’avant-projet ont été menées sur sept sites du groupe en France, partout où les conditions requises pour une économie circulaire réussie sont réunies.

Alléger les matériauxDans un autre secteur d’initiatives pour réduire l’impact environnemental de ses activités et toujours améliorer la qualité de ses produits, la tuilerie de Chagny a inauguré un nouveau broyeur pendulaire qui permet de broyer l’argile plus finement qu’avec les techniques traditionnelles. Cette matière première permet de produire des tuiles, en préservant les caractéristiques de durabilité des tuiles classiques, mais en allégeant leur masse unitaire. Celles-ci nécessitent, de ce fait, un temps de cuisson plus réduit, mais aussi une consommation de matières premières réduite et une amélioration des conditions de mise en œuvre sur chantier.

Réduire la consommation d’énergie et limiter l’impact environnemental de la productionDepuis 2009, TERREAL a initié un important pro-gramme de maîtrise des consommations d’énergie dans ses usines. Le secteur des matériaux de construction en terre cuite est en effet un secteur très fortement consommateur d’énergie (ce poste représente 20 % du coût de fabrication d’une tuile). Le groupe a lancé un projet d’ampleur baptisé PIMENT (PIlotage et Maîtrise de l’ENergie TERREAL).

Les diagnostics énergétiques réalisés sur 12 sites – représentant 90 % de la facture énergétique de TERREAL en France – ont permis d’identifier un potentiel de 10 % d’économies. L’objectif est de mettre les consommations d’énergie sous maîtrise opérationnelle, au plus près du terrain en insufflant une culture de l’énergie, portée par les équipes opérationnelles. Deux sites pilotes ont été retenus à Bavent et Colomiers. Les résultats obtenus alimenteront le retour d’expérience et détermineront le rythme de déploiement dans le reste des usines au fur et à mesure que seront réalisés les avant-projets simplifiés, permettant de statuer sur les gains accessibles et la rentabilité des investissements.

La nouvelle unité de fabrication de briques de terre cuite de Colomiers est, par exemple, plus performante d’un point de vue énergétique que les usines de briques plus anciennes. La consom-mation totale de ressources énergétiques par unité fonctionnelle pour une brique de 20 centimètres fabriquée y est inférieure de 45 %.

Toutes les unités de production ont fait l’objet d’un bilan thermique approfondi qui ont permis, dans la plupart des cas, d’identifier des pistes immédiates d’économie. Par exemple, le bilan thermique d’une usine moderne montre qu’une part significative, pouvant aller jusqu’à 30 %, des apports thermiques sont perdus dans les fumées du séchoir et du four. La récupération d’énergie sur les fumées du four peut poser d’importants problèmes techniques en raison de leur teneur en particules de fluor, chlore et soufre issues des argiles pendant la cuisson. Lorsqu’ils sont refroidis, ces composés condensent sous forme d’acides. Les systèmes d’échangeurs couramment utilisés sur le marché pour récupérer l’énergie des fumées ne résistent pas à ces condensats acides et de coûteux dispositifs d’épuration de fumées doivent être installés en préalable de la récupération, alourdissant les coûts d’exploitation et nécessitant le traitement des résidus avant leur élimination.

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Une avancée technologique et une innovation dans les procédés thermiquesConscient de ces enjeux, TERREAL a décidé d’être le porteur d’un projet innovant, conduisant à la démonstration industrielle d’un nouveau système de récupération de la chaleur fatale des fours à basse température : le projet HEART (improved HEat Recovery in clay roof Tiles and bricks production). Cette technologie, développée par la société ERIEE, permet d’épurer les fumées du four pour éviter la formation de condensats acides. Il devient dès lors possible de récupérer l’énergie des fumées.

L’investissement sur ce programme se monte à 3 millions d’euros, dont 1 million soutenu par le programme LIFE (LIFE12 ENV FR 000142_HEART) de la Commission européenne.

Ce système est en cours de mise en service dans l’usine de production de tuiles du Segala dans l’Aude. Il vise à réduire de 21 % la consommation de gaz naturel et à diminuer de 2 600 tonnes par an les émissions de CO2. Cette technologie permet de réutiliser l’énergie produite par la chaleur fatale des fours pour le séchage des tuiles, et cela 24 heures sur 24. Le système peut être greffé de manière simple et sans risque sur une unité de production de terre cuite déjà existante. Dans le cadre des engagements de TERREAL envers la Commission européenne, un guide de dissémination de cette technologie sera diffusé dans les prochains mois.

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EXEMPLE

LAFARGEHOLCIM : DES RUPTURES TECHNOLOGIQUES POUR RÉDUIRE LES ÉMISSIONS DE CO

2 DANS LA CONSTRUCTION

Avec une présence équilibrée dans 90 pays et une concentration sur le ciment, les granulats et le béton, LafargeHolcim (SIX Swiss Exchange, Euronext Paris : LHN) est le leader mondial du secteur des matériaux de construction. Le Groupe emploie 100 000 personnes dans le monde et a réalisé des ventes nettes combinées de CHF 29,5 milliards en 2015. Référence du secteur en termes de R&D, LafargeHolcim sert des clients allant du particulier construisant sa maison aux projets les plus grands et complexes recourant à la plus vaste gamme de produits à forte valeur ajoutée, de services innovants et de solutions de construction complètes. Grâce à son engagement pour apporter des solutions durables visant à améliorer la construction comme les infrastructures et pour contribuer à une meilleure qualité de vie, le Groupe est positionné au mieux pour relever les défis de l’urbanisation croissante.

Réduire l’empreinte carbone des matériaux de construction pour répondre au défi de l’urbanisation Leader mondial des matériaux de construction et acteur majeur dans les activités ciment, granulats et béton, le groupe LafargeHolcim travaille depuis plus de vingt ans à la maîtrise de son empreinte environnementale et notamment à la réduction de ses émissions de CO2. L’enjeu est en effet majeur pour le secteur de la construction et pour l’ensemble de l’industrie car la production de ciment compte aujourd’hui pour 5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ce matériau est un composant essentiel du béton, lui-même matériau le plus utilisé sur terre après l’eau, et est indispensable à la construction de logements et d’infrastructures. L’augmentation de la part de la population mondiale

vivant dans des villes au cours des prochaines décennies représente un défi majeur. Selon les prévisions des démographes, les deux tiers de la population vivront en ville en 2050 (contre 54 % en 2014), c’est-à-dire près de 6,5 milliards d’habitants… Les villes et les constructions sont donc appelées à s’étendre considérablement.

Si la production de ciment augmente proportion-nellement à la population urbaine, l’impact en termes d’émission de CO2 sera considérable. Des producteurs de ciment comme LafargeHolcim travaillent à la fois en amont, pour réduire les émis-sions par tonne de ciment produite, et en aval avec les autres industriels et parties prenantes, pour proposer une offre globale pour la construction qui

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permette de réduire la consommation énergétique des bâtiments, lors de leur construction et de la fabrication des matériaux mais aussi durant toute leur durée de vie. Différents projets ont notamment été développés par LafargeHolcim pour moderniser les usines, utiliser des énergies alternatives comme la biomasse, avoir recours à des ajouts cimentaires, ainsi qu’en privilégiant les voies ferroviaires et flu-viales pour le transport de produits et de matériaux.

Aether®, une nouvelle formulation du clinker pour réduire l’empreinte CO2 du cimentToutes ces innovations ont permis de réduire significativement les émissions de CO2 par tonne de ciment produite par LafargeHolcim : fin 2015 elles étaient en baisse de 26 % par rapport à la date de référence de 1990 et l’objectif est d’arriver à une réduction de 33 % d’ici 2020. Ces performances sont acquises grâce à un travail de long terme via l’optimisation énergétique et le progrès incrémental mais une partie importante des progrès vient des innovations de rupture.

Les équipes Recherche & Développement de LafargeHolcim innovent pour créer des solutions de rupture et développent des ciments à plus faible teneur en carbone. Ils ont ainsi conçu en 2013 un nouveau clinker (ingrédient central du ciment et dont la production est à l’origine d’une part importante des émissions de gaz à effet de serre d’un ciment), baptisé Aether®.

Les ciments Aether® offrent des propriétés compa-rables au ciment classique, dit « Portland », pour de nombreuses applications et peuvent être fabriqués dans une cimenterie traditionnelle moyennant peu d’adaptations, avec, au final, une plus faible empreinte écologique globale. Cette nouvelle gamme de ciments permet de réduire les émissions de CO2 de 25 % à 30 % grâce à un taux de calcaire réduit (et en augmentant celui des gypse, argile ou bauxite), à une température de cuisson plus basse et à un broyage plus facile, nécessitant moins d’énergie.

Une démarche innovante pour recycler du béton, issu de la déconstruction de bâtiments, dans le bétonLe béton, utilisé dans la construction, est fabriqué en mélangeant des cailloux ou granulats (histori-quement extraits de carrières), du sable, de l’eau et du ciment – qui représente 10 % du béton et permet de lier et de coller les différents composants par un procédé hydraulique. LafargeHolcim a engagé il y a quelques années une démarche industrielle dans le recyclage des matériaux de construction et, plus particulièrement, des granulats utilisés dans la fabrication de bétons.

Le Groupe a ainsi développé un nouveau procédé pour réutiliser du béton existant, provenant par exemple de bâtiments en fin de vie déconstruits. Ce béton peut être concassé puis réinjecté sous la forme de granulats recyclés comme matériau et mélangé avec du nouveau ciment pour produire du béton. Ce procédé innovant s’inscrit dans la logique de l’usine « frugale » en ce qu’il permet d’éviter d’extraire de nouvelles ressources « crues ».Pour que le processus soit pleinement frugal, et rentable, le concassage doit en revanche avoir lieu à proximité du chantier où le granulat recyclé sera utilisé car le transport, par camions ou barges par exemple, génèreraient des coûts et des émissions de CO2 importants. Il y a par ailleurs une limite à l’utilisation de ce béton à partir de béton recyclé : il ne pourra pas être employé dans certains ouvrages d’art ou d’exception, qui nécessitent des bétons à hautes performances.

VERS L’USINE FRUGALE

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Une nouvelle solution réduisant de 70 % l’empreinte carbone du béton préfabriquéDans le cadre d’un partenariat avec la start-up américaine Solidia Technologies®, LafargeHolcim a commencé en 2015 à commercialiser une technique innovante brevetée permettant de réduire les émissions de CO2 dans le processus de fabrication du ciment et qui utilise même du CO2 pour produire du béton préfabriqué.

Au départ, Solidia Technologies® a développé un nouveau ciment à partir de matériaux identiques à ceux utilisés pour le ciment Portland ordinaire. Produit dans un four de cimenterie traditionnel, à une température inférieure et à travers une réaction chimique différente, le ciment Solidia génère moins de CO2. Utilisé ensuite pour fabriquer du béton, ce ciment a la propriété de durcir par injection et absorption de CO2 (« carbonatation »). Cette technique permet d’économiser l’eau (il en faut seulement une très faible quantité et elle est récupérée à 80 % grâce à la condensation), ce qui est particulièrement intéressant dans les zones soumises à des stress hydriques. Mais, surtout,cette innovation permet de diminuer jusqu’à 70 % le bilan carbone global de la chaîne de fabrication. Ce béton offre en outre d’excellentes performances techniques : il atteint sa résistance maximale en moins de 24 heures, comparé à 28 jours pour du béton « classique ». Cette technique est actuellement utilisée pour produire le béton préfabriqué (pavés, tuiles, blocs). Les bénéfices sont multiples : réduction des délais et des stocks, diminution des coûts et importantes économies d’énergie. Il s’agit d’une véritable rupture technologique sur le marché du béton préfabriqué.

La collaboration avec Solidia Technologies® a démarré en 2013. Les chercheurs de LafargeHolcim ont travaillé avec la start-up pour démontrer la faisabilité d’une production commerciale dans une cimenterie conventionnelle. Puis, en 2014, un groupe de scientifiques a pu confirmer la réduction de l’empreinte environnementale et la viabilité du ciment lors d’un essai pilote à grande échelle réalisé dans la cimenterie de Whitehall de LafargeHolcim aux Etats-Unis. Le ciment produit a ensuite été

utilisé par différents pré-fabricants en Amérique du Nord et en Europe pour valider la technique. Cette offre est en train d’être déployée, dans un premier temps, sur les marchés nord-américains et européens pour la production d’éléments en béton tels que des pavés, des tuiles et des blocs. Le projet est soutenu par l’Union européenne, avec l’objectif de l’industrialiser sur une période de trois ans.

Une nouvelle ère de coopérationLe processus développé avec Solidia Technologies® implique de capter le CO2, ce qui peut être fait directement sur le site de la cimenterie. Mais le CO2 n’est pas forcément émis à l’endroit où il sera utilisé pour la fabrication du béton. Pour transporter le CO2, il faut le liquéfier, puis utiliser un réseau de distribution pour le transporter, ce qui peut ajouter des coûts importants. En outre, le CO2 émis par les cimenteries n’est pas très concentré (15 à 20 %). Ce CO2 pourra être capté et concentré au niveau nécessaire par une société productrice et fournisseur de gaz et acheminé sur le lieu de production de béton ou de ciment. L’idée est d’organiser un écosystème bénéfique à toutes les parties prenantes : le cimentier réduit ses émissions de CO2, le client dispose d’un produit avec de meilleures performances techniques (en un jour au lieu de vingt-huit jours) et le fournisseur de gaz développe un nouveau marché de masse, avec un CO2 de moindre concentration que celui vendu aujourd’hui pour des applications alimentaires par exemple.

La révolution concerne tous les acteurs. La lutte contre le changement climatique impulse une démarche d’innovation et ouvre une nouvelle ère de coopération entre les acteurs, illustrée par l’écologie industrielle et territoriale. Localement les acteurs pourront identifier les sources de CO2 les plus facilement captables et les moins chères et mettre en place une planification avec les industriels, les collectivités locales, les gaziers, les énergéticiens… L’ère des initiatives individuelles est révolue.

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VERS L’USINE FRUGALE

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3L’USINE INTÉGRÉE DANS SONENVIRONNEMENT : VERS UNE ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE

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L’USINE INTÉGRÉE

QUELLE DÉFINITION PEUT-ON DONNER DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET EN QUOI INCARNE-T-ELLE UNE SOLUTION D’AVENIR ?Le système linéaire de notre économie a atteint ses limites : épuisement des ressources, réchauffement climatique, pollution, multiplication des déchets… La loi de transition énergétique du 17 août 2015 a défini l’économie circulaire comme suit (article 70) : « la transition vers une économie circulaire vise à dépasser le modèle économique linéaire consistant à extraire, fabriquer, consommer et jeter en ap-

pelant à une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières primaires. »

L’économie circulaire est une démarche globale, systémique, multi-acteurs et territoriale. Elle implique de travailler sur tous les flux, tous les secteurs d’activité et tous les types de territoires. Le modèle dit « d’économie circulaire » débouche sur de nouveaux modes de production et de consommation plus sobres. Ce modèle permet de

Diplômée de l’Institut de Droit Public des Affaires (IDPA) du Barreau de Paris, Patricia Savin est Docteure en droit privé. Avocate associée au sein du cabinet DS Avocats, elle est plus particulièrement en charge des dossiers liés au droit de l’environnement et du Développement Durable, notamment dans les domaines des pollutions et nuisances, de l’immobilier, des déchets et des énergies renouvelables.Patricia Savin a fait partie du groupe de travail présidé par le Professeur Yves Jégouzo, installé par Christiane Taubira, ancienne Garde des Sceaux et Ministre de la Justice, chargé de préparer l’introduction de la notion de « préjudice écologique » dans le Code civil, consacrée par la Cour de Cassation. Elle a également été membre du Comité juri-dique du ministère de l’Écologie et du Développement durable en charge d’une réflexion sur la constitution nalisation du droit de l’environnement, portant rédaction de la Charte de l’environnement.Elle est Présidente de l’association Orée, créée en 1992, qui rassemble plus de 160 membres (entreprises, collecti-vités territoriales, associations professionnelles et environnementales, organismes académiques et institutionnels), « afin de développer une réflexion commune sur les meilleures pratiques environnementales et mettre en œuvre des outils pratiques pour une gestion intégrée de l’environnement à l’échelle des territoires ».

« DÉVELOPPER L’INTELLIGENCE COLLECTIVE AU NIVEAU DES TERRITOIRES »

par Patricia Savin, spécialiste des meilleures pratiques environnementales à l’échelle des territoires

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concevoir un lieu comme un écosystème intelligent, avec trois entrées : les produits et services, les territoires et les filières.

La Conférence Environnementale de 2013 a été l’occasion de préciser le concept, en insistant sur le fait que l’économie circulaire ne se résume pas au recyclage des déchets ! Cette Conférence appelait en effet à acter le passage à une logique de gestion des ressources, grâce à une coopération entre les acteurs économiques, sur les territoires aussi bien que dans les politiques nationales. L’objectif est d’éviter le gaspillage de ressources et d’énergie, de sécuriser l’approvisionnement de l’économie française en matières premières, de diminuer ses impacts environnementaux, de réindustrialiser les territoires, de limiter la production de déchets non-réutilisés et d’augmenter la compétitivité des entreprises françaises.

QUELLES SONT LES IMPLICATIONS EN TERMES DE PRODUCTION POUR LES INDUSTRIELS ? FAUT-IL REVOIR LES ORGANISATIONS ?L’économie circulaire renvoie en effet à la nécessité d’engager de nouveaux modes de production. Pour l’industrie, cela implique de s’interroger sur la conception des produits et des process : c’est toute la démarche de l’éco-conception de produits, avec notamment l’outil dit d’« Analyse de Cycle de Vie » (voir Partie 1 du Cahier).

Symétriquement, de nouveaux modes de consom-mation émergent avec le développement d’une économie de la fonctionnalité, centrée sur l’usage plutôt que sur la propriété (Vélib’) et liée à l’essor de l’économie collaborative (BlaBlaCar). L’affichage environnemental revêt aussi une importance croissante avec l’objectif de permettre aux consom-mateurs d’être informés et aux entreprises d’être reconnues par le marché. Tous ces facteurs sont des leviers très importants pour l’économie circulaire et participent à la mise en place d’un nouveau paradigme économique.

DES FILIÈRES NOUVELLES SE METTENT-ELLES EN PLACE ?Des filières se créent en effet autour du recyclage et de la valorisation des déchets. Jusqu’à une période récente, le droit ne reconnaissait en effet que deux catégories : les produits et les déchets. La réglementation européenne a évolué, permettant de faire sortir un déchet de sa qualification juridique de déchets, voire même de considérer qu’un produit fatal n’est pas nécessairement un déchet, mais peut être considéré comme un sous-produit. Par exemple, la sciure de bois qui résulte de la fabrication d’une table peut avoir de la valeur. Doit-elle être considérée comme un déchet ou comme un sous-produit, ou même sortir du statut de déchet ? L’adaptation de la législation est en cours au niveau européen. Des réglementations intéressantes ont déjà été éditées.

QUEL IMPACT CELA PEUT-IL AVOIR POUR LES INDUSTRIELS ?Cette approche permet de rassembler les acteurs par types de déchets et de produits (et non pas seulement par filières). Le problème en effet est d’atteindre une masse critique suffisante pour mettre en commun les déchets. Il est plus facile d’atteindre ce seuil critique si l’on rassemble les acteurs qui tous, de façons différentes, ont les mêmes types de déchets.

VOUS AVEZ MENTIONNÉ LES TROIS VOLETS DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE : LA PRODUCTION, LES FILIÈRES ET LES TERRITOIRES. LE CONCEPT D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE EST-IL INTIMEMENT LIÉ À LA NOTION DE TERRITOIRE ?Absolument. L’économie circulaire implique de penser un territoire « intelligent », et pas seulement en termes de ressources et de déchets. Il faut s’intéresser aux approvisionnements, penser le territoire en amont, imaginer les usages pour d’autres acteurs… L’économie circulaire repose sur la connaissance mutuelle des acteurs et de leurs flux de matières ainsi que sur leur capacité à nouer des synergies innovantes au plan local.

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QUE RECOUVRE EXACTEMENT LE CONCEPT D’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE ?C’est l’un des sept champs opérationnels de l’économie circulaire tels que définis par l’ADEME et l’un des trois axes de travail que nous avons définis précédemment (avec l’éco-conception et les filières de recyclage et la valorisation des déchets). L’écologie industrielle et territoriale travaille sur les échanges de flux de matières et d’énergie et sur la mutualisation des besoins inter-entreprises. Il est indispensable de repenser le développement de nos territoires en termes de coopérations locales et de synergies entre les différentes parties prenantes (collectivités locales, entreprises, acteurs de l’économie sociale et solidaire, associations, usagers…). Cette nouvelle approche offre des oppor-tunités de création de valeur tout en valorisant les potentialités et ressources locales.

Concrètement, il s’agit de mettre en œuvre des synergies de mutualisation et de substitution. Les stratégies de mutualisation consistent à mettre en commun des biens, des ressources ou des services, permettant ainsi de réaliser des économies d’échelle et de diminuer certains impacts environnementaux. Les synergies de substitution consistent à valoriser les externalités émises par certaines entreprises par d’autres entités voisines.

AVEZ-VOUS QUELQUES EXEMPLES EN TÊTE ?Les initiatives se développent car cela répond à une logique de bon sens. Les entreprises font depuis toujours de l’économie circulaire sans le savoir ou sans le dire… D’autres commencent à s’interroger ouvertement en prenant conscience que nous sommes dans un monde fini. Depuis sa création, l’association Orée, que je préside, encourage les meilleures pratiques environnementales à l’échelle des territoires. Dans deux documents récents (1), nous avons recensé les démarches d’écologie industrielle et territoriale déployées en France ainsi que des exemples d’économie circulaire permettant de préserver les ressources et le climat. Ces démarches sont nombreuses !

Le projet de la « Green Valley » d’Épinal (développé en pages 59-61) est sans doute l’un des exemples les plus aboutis d’Écologie Industrielle Territoriale en France. Je pourrais citer également la démarche menée à Lagny-sur-Marne par la société Yprema et le syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères : celui-ci produit des mâchefers issus de l’incinération des déchets qui sont conduits à une centrale de valorisation. Ensuite, les eaux industrielles issues de ce processus de valorisation sont consommées pour le refroidissement du même incinérateur.

L’USINE INTÉGRÉE

STRATÉGIE DE MUTUALISATIONApprovisionnement en commun, partage

d’équipements et de services. Exemples : mutualisation du transport, d’infrastructures,

collecte des déchets, achat mutualisé d’énergie…

STRATÉGIE DE SUBSTITUTIONLes rejets* des uns deviennent des ressources pour les autres.

Exemples : valorisation des eaux usées, récupération des déchets, échange d’énergie…

*(déchets, effluents, excédents énergétiques)

GouvernanceInstaurer un climat de collaboration et de confiance

Secteur primaire

Secteur tertiaire

Secteur secondaire

Habitat

Secteur tertiaire

Équipements publics

DéchetsEau

ÉnergieServices

Flux d’effluents

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CES PROJETS PEUVENT AVOIR DU MAL À S’ENCLENCHER SPONTANÉMENT ? IL FAUT SANS DOUTE UN CATALYSEUR OU UN PILOTE AU NIVEAU TERRITORIAL POUR PORTER LE PROJET ?C’est en effet un facteur clé de succès ou d’échec. La phase d’accompagnement est essentielle. C’est une approche multi-acteurs et les collectivités locales ont souvent un rôle d’impulsion, de facilitateur et parfois d’animation. Certaines régions sont très dynamiques. La région Nord-Pas-de-Calais, par exemple, est engagée dans la « troisième révolution industrielle » (projet « rev3 »), centrée sur la transition énergétique et les technologies numériques, et déploie sur son territoire des projets stratégiques. Globalement, les industriels sont désireux de développer des initiatives locales mais il faut des facilitateurs pour piloter les projets.

DE QUELS OUTILS DISPOSENT LES INDUSTRIELS ? OÙ EN EST LA LÉGISLATION SUR CES SUJETS ?Des outils sont en train de se mettre en place, notam-ment des « green deals » à la française. Il s’agit d’un contrat entre l’État et plusieurs industriels. L’État ne finance rien, mais s’engage, s’il le juge pertinent, à lever des obstacles, notamment administratifs, pour faciliter la mise en place des projets.

Un autre enjeu très important pour les industriels est le droit à l’expérimentation. À titre d’exemple, lorsqu’une entreprise installe un site de production, elle est tenue d’obtenir un titre administratif auprès du préfet en application du droit des installations classées pour la protection de l’environnement. Or, si l’entreprise souhaite expérimenter un nouveau mode de production, cela peut entraîner des changements notables dans ses conditions d’exploitation avec le risque de devoir recommencer tout le parcours d’obtention de son titre administratif… Ceci est considéré comme un risque considérable pour les industriels. D’où une demande de mise en place d’un droit à l’expérimentation pour les entreprises concernées. Ainsi, pendant x mois, l’entreprise pourrait tester sa nouvelle organisation sans risque de perte de

son titre administratif initial, et si l’expérimen-tation est concluante, l’État délivrerait alors un arrêté préfectoral complémentaire. Ce droit à l’expérimentation serait un outil très utile pour les entreprises. Il est indispensable de privilégier une approche pragmatique, opérationnelle avec le plus de prévisibilité juridique possible.

(1) « L’économie circulaire au service de la préservation

des ressources et du climat », Orée, Septembre 2015

« Le recueil des démarches d’écologie industrielle et

territoriale », Orée, Décembre 2015

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EXEMPLE

EVIAN : UNE USINE INTÉGRÉE ET INTÉGRANTE

L’usine d’Evian fut la première usine agroalimentaire achetée par le groupe Danone, en 1967. Elle est constituée de quinze lignes de production sur 100 000 mètres carrés, soit l’équivalent de quatre fois le plus gros hypermarché français (Vélizy 2). Grâce à l’emploi de 1 200 salariés, sept millions de bouteilles y sont fabriquées par jour pour être livrées en France et dans 145 pays (60 % de la production est destinée à l’exportation). L’usine fonctionne tous les jours, 24 heures sur 24 et sept jours sur sept et la production remplit quotidiennement de palettes la superficie d’un terrain de football. L’usine d’evian® est l’incarnation du double projet économique et social décrit par Antoine Riboud (ancien PDG de BSN / Danone) en 1972, c’est-à-dire qu’evian® est une usine responsable, au cœur de son écosystème, complètement intégrée à son environnement et qu’elle déploie de nombreuses actions sociales et environnementales.

Un écosystème à préserverL’eau minérale naturelle evian® provient des pluies et des neiges tombées sur les contreforts du Chablais, au nord des Alpes de Haute-Savoie. Cette eau mettra plus de 15 ans avant de rejoindre la source à Evian-les-Bains. Au cours de cette lente filtration, elle se chargera en minéraux et acquerra une composition unique constante. L’eau minérale naturelle evian®, protégée par la nature tout au long de son parcours, va rejoindre l’usine d’embouteillage en restant à l’abri de tout contact extérieur, et ce jusque sur la table des consommateurs. La première responsabilité d’evian® est donc de protéger la zone d’infiltration appelée « impluvium », d’une surface de 35 000 mètres carrés, pour protéger la ressource en eau.

Pour préserver l’impluvium et la pureté de l’eau evian®, l’entreprise a choisi de travailler en partenariat avec les maires des treize villages

concernés par la protection de la ressource. Une association de protection de l’impluvium des eaux minérales d’evian® (APIEME), regroupant les mairies et l’entreprise, a ainsi été créée en 1992.

Cette association se réunit toutes les six à huit semaines et met en place des programmes spécifiques pour la protection de l’impluvium, tels que la préservation des milieux naturels, l’implication des agriculteurs pour le maintien des cultures et d’un élevage pérennes et respectueux de l’environnement, ou encore l’accompagnement des collectivités pour un aménagement raisonné du territoire. Depuis plus de vingt ans, des actions très concrètes ont été mises en place, comme la réduction du salage des routes en hiver pour maintenir la qualité de l’eau, vingt-huit lignes de bus pour limiter les transports individuels ou encore le financement des programmes de réfection des réseaux d’eaux dans les communes concernées.

L’USINE INTÉGRÉE

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Pour evian®, la présence des agriculteurs sur le territoire est essentielle car elle permet de garder et protéger de façon pérenne la ressource en eau. Il s’agit de trouver un juste équilibre pour la vie du territoire. L’une des dernières actions en date est le programme Terragr’eau, dans le cadre duquel cinquante agriculteurs se sont engagés en 2015 aux côtés de l’APIEME et de la communauté de communes du Pays d’Evian. Ce projet, qui rassemble les différentes parties prenantes, permet de limiter l’impact des activités sur l’environnement, de développer l’économie locale et de préserver la ressource en eau. Le projet comprend la construction d’une unité de méthanisation et de compostage sur l’impluvium ainsi qu’un programme de maîtrise de l’épandage des matières fertilisantes produites par le méthaniseur.

Concrètement, grâce à une gestion collective de la fertilisation, les agriculteurs verront leurs charges diminuer de 15 % en moyenne. Terragr’Eau va permettre aux agriculteurs de mieux gérer les effluents agricoles (stockage et épandage) et donc de respecter les exigences réglementaires.

Le projet est également une opportunité pour les collectivités, puisque la maîtrise de la fertilisation permet d’assurer la protection de toutes les ressources en eau, y compris les captages d’eau potable (30 000 habitants concernés). La construction et le fonctionnement du site de méthanisation vont créer une dizaine d’emplois et un nouveau pôle d’activités. Il s’agira du premier projet de production d’énergie renouvelable sur le territoire du Pays d’Evian.

Des transports rationnalisés et mutualisés avec l’écosystème

Du fait de la situation géographique enclavée de l’usine evian®, il a été décidé dès l’origine du projet de créer un réseau ferré. Aujourd’hui, ce sont treize kilomètres de voies ferrées privées qui constituent le réseau et font d’evian® la plus grosse gare privée de France, évitant la mise en circulation de 600 camions sur les routes chaque jour. evian® réalise 70 % de ses expéditions par train, ce transport ayant une empreinte carbone dix fois moins élevée que le camion. 150 wagons quittent le site tous les jours. À partir d’Évian-les-Bains, petite ville de 8 000 habitants, l’entreprise exporte vers 145 pays dans le monde. Des livraisons se font également en camion directement de l’usine vers les clients afin de raccourcir les distances pour des flux régionaux.evian® a également d’autres axes de travail sur les flux usine. Les équipes projets réfléchissent actuellement à l’amplification du multimodal rail / route ou route / rail, et également à la réduction du nombre de trajets à vide de ses camions. Toutes ces réflexions se font en partenariat avec des entreprises locales, de la vallée de l’Arve ou du Mont-Blanc, concernées par cette problématique logistique respectueuse de l’environnement. Ce travail est également réalisé avec les prestataires logistiques, qui aident evian® à trouver des solutions et mettre en place des projets.

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Une marque portée par l’innovationLe succès d’evian® repose d’abord sur la marque, mondialement connue. Cette renommée est due au fait qu’evian® a su innover au cours de son histoire. En 1900, evian® était le premier au monde à oser mettre de l’eau minérale dans des bouteilles en verre, alors que le consommateur devait jusque-là se rendre aux thermes pour en trouver. En 1969, evian® est également l’un des premiers en France à avoir proposé de l’eau dans des bouteilles en polychlorure de vinyle (PVC). En 1980, il figure à nouveau comme pionnier en passant au polyéthylène téréphtalate (PET - plastique recyclable) pour le marché nord-américain, et, en 2008, evian® est le premier à proposer des bouteilles contenant près de 20 % de PET recyclé.

Le marché des eaux minérales subit depuis quelques années une forte pression à la baisse sur les prix. Mais les consommateurs sont à la recherche de produits de qualité et sont prêts à payer plus cher pour cela. Pour freiner la dévalorisation du marché, evian® a choisi d’accélérer sa montée en gamme en proposant des produits différents, d’une qualité irréprochable. L’entreprise développe ainsi une stratégie de plus en plus premium. Elle se dote d’une gamme de produits adaptés à tous les usages et moments de consommation, développe des services inédits et lance des innovations de rupture pour le marché. Alors qu’en 2008, 2 % du chiffre d’affaires d’evian® était lié à l’innovation, cette part est aujourd’hui passée à 15 %.

La transformation de l’usine : convertir une contrainte en opportunitéCertaines structures de l’usine étant vieillissantes et devant être remises aux normes, il a été décidé de mettre en place un projet de rénovation du site, concernant 80 % de la surface bâtie.

Dans le contexte de la crise économique de 2008-2009, qui avait vu ses volumes baisser de 20 %, evian® a choisi de convertir cette contrainte en opportunité : transformer le site bien sûr, mais aussi accélérer l’innovation et repositionner l’usine d’evian® comme une référence à l’échelle mondiale (ce qu’elle avait été entre 1965 et 1995). C’est un

pari audacieux qui a été proposé aux équipes et aux salariés : réinventer 100 000 m², tout en continuant de produire ! Le résultat est un projet de six ans, sans arrêt de production, en impliquant chaque salarié concerné et les parties prenantes, traduisant l’engagement d’une usine « intégrée et intégrante ».

Des défis majeursLa transformation du site, sans interrompre la production, représentait un défi considérable : dans le même temps, la production devait augmenter de 20 % et le nombre de références devaient doubler. L’usine n’avait d’autre choix que d’optimiser sa production.

Le planning de travaux a été fixé en tenant compte de deux contraintes : la source d’eau était, par nature, impossible à délocaliser et aucun terrain vierge de 35 hectares connecté aux voies ferrées n’existait dans la région. La réalisation d’un projet « greenfield » aurait été plus simple, c’est-à-dire de reconstruire une usine nouvelle dans une zone où aucune implantation antérieure n’existait, mais ces contraintes géographiques rendaient cette option inexécutable.

Le site de l’usine est bordé par la rivière Dranse – classée zone naturelle – et de l’autre côté ceinturé par le réseau de voies ferrées existantes. La programmation des travaux a duré plus d’un an. evian® a dessiné l’usine idéale d’aujourd’hui, a superposé cette usine sur le site et a conçu une manière d’opérer la substitution sans perdre une seule bouteille d’eau.

Repenser les bâtiments et les usinesLe projet a démarré en 2011 et devrait arriver à son terme en 2018. Pour réaliser ce gigantesque chantier, des phases préparatoires ont été néces-saires. Ainsi, des bâtiments de stockage ont été construits au nord du site et des zones de production additionnelles réalisées dans le prolongement des bâtiments existants.

L’outil de production a donc ensuite été déplacé partiellement dans ces nouveaux locaux afin de garantir une continuité de production. De nouvelles

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presses à injecter, plus performantes (temps de cycle divisé par deux), ont été achetées ainsi que deux lignes de conditionnement, pour les petits formats. La production est ainsi passée de 35 000 bouteilles par heure à un débit situé entre 55 000 et 72 000 par heure selon les lignes.

L’étape suivante a été la transformation d’un espace de stockage en zone de production. Ainsi 35 000 m2 ont été aménagés en bâtiments pouvant accueillir à terme quatre lignes de production (100 palettes produites à l’heure).

En 2018, l’ensemble de l’usine, ses flux, ses modes de fonctionnement… auront été repensés, de manière participative : créer l’usine de demain pour pérenniser un outil industriel attractif, compétitif, innovant et intégré dans son bassin d’emploi.

Et la démarche va même au-delà des besoins stricts et de la règlementation. L’usine étant située dans une zone naturelle, le choix a été fait pour la gestion des eaux industrielles de construire, en complément de la station de pré-traitement des eaux, un jardin filtrant, plus important site de traitement végétal industriel en France. Un coût supplémentaire pour l’usine, certes, mais un vrai choix en matière de développement durable, cohérent avec la vision du groupe.

La réalisation de ce projet et des différents chantiers est pilotée en interne par une équipe dédiée, d’environ vingt-cinq personnes, composée d’experts des différents domaines tels que les infrastructures et énergies, les lignes de conditionnement, la logistique, les achats… sans oublier la sécurité. Ces personnes travaillent en étroite collaboration avec les équipes de l’usine pour garantir la continuité de la production quotidienne, et avec la maîtrise d’œuvre pour la partie opérationnelle des chantiers.

L’entreprise a fait le choix de confier 80 % des travaux à des entreprises locales, pour renforcer son rôle d’acteur économique et social dans le bassin d’emploi. L’implication des entreprises est plus forte, puisque le partenariat s’inscrit dans la durée et la confiance. C’est un exemple de la responsabilité de l’entreprise intégrée et intégrante.

Un rôle central des fournisseurs pour favoriser l’innovationL’engagement responsable d’evian® se traduit également par des liens forts avec l’ensemble de ses fournisseurs, privilégiant une vision de long terme, plutôt que d’engager des appels d’offres fréquemment. evian® considère en effet que le rôle des fournisseurs est un élément clé pour atteindre les objectifs d’innovation. Les quinze lignes de production sont ainsi gérées par l’entreprise Sidel, partenaire d’evian® dès le développement des bouteilles en PVC à la fin des années 1960. Avec le temps, les fournisseurs développent un savoir-faire, et innovent eux-mêmes. Par le biais d’une relation de longue date avec son fournisseur de machines, le temps nécessaire pour faire des préformes est ainsi passé de douze à six secondes. Cette approche de long terme a également permis à l’usine de diminuer son empreinte carbone de 40 %.

Une usine intégrante La transformation physique du site a bien sûr un impact important sur l’environnement et les conditions de travail de chaque salarié. Les métiers évoluent, de nouvelles machines apparaissent, de nouveaux standards… Une démarche participative a donc été mise en œuvre mais, au-delà, chaque salarié concerné par un changement dans l’entreprise a eu un suivi individuel, en coordination avec les partenaires sociaux, pleinement intégrés dans ce projet. Diverses actions ont été menées, telles que des plans de formation spécifiques pour les nouveaux équipements, des mobilités internes, des évolutions de poste, etc. Ce projet avait pour objectif de construire l’usine de demain pour les salariés et, surtout, avec les salariés, c’est pourquoi les opérateurs ont été impliqués jusque dans le choix des équipements.

L’usine est une source de fierté collective. Elle emploie 1 200 salariés et génère au total 6 000 emplois indirects et se veut intégrante des populations locales. Sur les 1 200 personnes travaillant à l’usine, on compte trois maires, trente conseillers municipaux, une vingtaine de présidents d’associations, deux champions olympiques et trois champions du monde de ski « du pays ».

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Autre exemple d’intégration, afin de gérer le surplus de consommation d’eau durant la saison chaude, evian® a créé des CDI intermittents, des « CDII ». En hiver, la région a besoin de professeurs de ski, de perchman, de personnes travaillant dans les remontées mécaniques, etc., mais ces personnes subissent une perte de revenus et de compétences faute d’activité durant le reste de l’année. Elles peuvent désormais signer un CDII pour travailler six mois à evian® et six mois dans les stations.

Des décisions concertées avec les différents acteursLes décisions concernant l’usine et son écosystème sont prises en concertation avec les différentes parties prenantes. Être chef d’établissement de l’usine, c’est se sentir responsable au sein de son écosystème. Concrètement, des groupes de travail réunissant evian® et l’administration se chargent de prendre les décisions. L’entreprise et la ville fonctionnent en collaboration étroite. L’État apporte un appui financier et administratif à evian®.

Une usine plus productive… et plus durableSur le plan économique, l’usine a tenu son pari en doublant le nombre de références passant de 150 à 300 et en affichant une croissance continue depuis le début du projet. À l’origine du projet de transformation, evian® avait anticipé un gain de productivité de 10 %, l’innovation a été telle que les gains de productivité ont pu atteindre 20 % en préservant l’emploi.

Parallèlement, l’empreinte environnementale de l’usine a été allégée : elle affiche une consommation d’énergie en baisse de 30 % tandis que son empreinte carbone a été réduite de 40 % en cinq ans.

Ce défi de transformer l’usine, tout en continuant de produire est un vrai challenge pour l’ensemble des salariés et des équipes evian®. Ils construisent ensemble l’usine de demain.

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EXEMPLE

LA GREEN VALLEY D’ÉPINAL : L’ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE EN PRATIQUE

La Green Valley d’Épinal est aujourd’hui l’un des exemples les plus aboutis d’écologie industrielle territoriale en France, récompensé par un « Grand Prix du Jury » dans la catégorie « Economie Circulaire », lors du prix « Entreprises et Environnement » organisé par le Ministère de l’Environnement et l’ADEME en 2014. Le pilier de ce projet est l’industriel norvégien Norske Skog, leader européen du papier journal, implanté sur le site d’Épinal-Golbey depuis vingt-trois ans. L’entreprise produit 600 000 tonnes de papier par an et emploie 350 personnes. Norske Skog utilise dans son procédé à la fois de la pâte à papier vierge et des papiers recyclés. Ce sont près de 500 000 tonnes de papier recyclés qui sont collectées annuellement, ce qui représente 25 % de la collecte sélective française..

Depuis 2006, le site de Norske Skog Golbey est devenu une Business Unit, ce qui lui confère une plus grande autonomie dans sa gestion et ses décisions. Toujours proche de la collectivité et de son territoire, l’entreprise a mené une réflexion sur son avenir et son devenir. Pour gagner en compétitivité, l’idée est venue de mutualiser actifs, matière grise et compétences. En effet, le site industriel comprend de nombreuses infrastructures routières et énergétiques (vapeur), une station d’épuration et un parc à bois, qui pouvaient tout à fait servir à une autre activité. Les dirigeants se sont donc mis en quête de projets pour créer des synergies avec d’autres acteurs, afin de développer de nouvelles activités tout en renforçant leur ancrage local. L’entreprise se positionne ainsi comme un véritable acteur du territoire.

Développer les synergies autour de la matière première et des infrastructuresLes Vosges, et plus particulièrement le territoire d’Épinal, ont développé un écosystème favorable autour du bois et des fibres, avec un « Campus Fibres », regroupant l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois (ENSTIB), le centre de transfert de technologie du bois (CRITT Bois), CETELOR (plateforme de technologie textile)

et le pôle de compétitivité « Fibres Grand Est », aujourd’hui « Pôle Fibres Énergie Vie ».

Un premier projet illustre parfaitement la synergie entre les acteurs : le projet NrGaïa, fabricant de ouate de cellulose, isolant biosourcé issu de papier recyclé. Le porteur de projet travaillait avec le campus fibres sur cette idée, une mise en relation a été opérée avec le Député Maire d’Épinal et ce dernier a connecté le porteur de projet avec Norske Skog. L’entreprise s’est même implantée directement sur le site du papetier, dans son bâtiment de stockage de papiers recyclés. Elle a pu bénéficier de la synergie avec Norske Skog pour la fourniture de matière première (le papier journal recyclé), mais aussi de ses infrastructures, et des services de maintenance.

Pour accompagner ce développement, la collectivité a créé, en 2009, une SEM, Société d’Economie Mixte de développement économique.

Valoriser la chaleur fatale du process de productionNorske Skog Golbey a poursuivi sa réflexion sur les mutualisations possibles sur son site. Gros consommateur de bois (près de 500 000 m3 annuels

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pour la préparation de la pâte à papier), l’entreprise possède un parc à bois conséquent. Par ailleurs, le process papetier dégage énormément de vapeur. Une réflexion a été menée sur les coproduits qui pourraient être développés à partir de ces ressources.C’est ainsi qu’a germé l’idée de construire des panneaux en laine de bois, destinés à l’isolation. Les dirigeants du papetier sont allés rencontrer les trois leaders européens dans ce domaine, en mettant en avant l’intérêt du projet en termes de coût d’énergie, de coût des matières premières et de potentiel du marché français. L’industriel suisse Pavatex s’est déclaré intéressé par le projet et a ouvert une unité de production sur le site de Norske Skog, sur une surface de 8 hectares, en investissant 60 millions d’euros et en créant 60 emplois.

Cela a permis à Norske Skog de rentabiliser son actif (les 8 ha de terrain), et à Pavatex de réduire le coût de son investissement de 10 à 15 millions, car il bénéficiait déjà des infrastructures de Norske Skog, de la chaudière, du parc à bois.

Pavatex valorise également la chaleur fatale du process de production de Norske Skog en utilisant la vapeur produite. Les deux partenaires sont gagnants : c’est le principe de l’écologie industrielle et territoriale.

Plusieurs projets à l’étude sur le futur éco-parcDe futures implantations sont prévues sur l’éco-parc situé en face de Norske Skog, et feront l’objet d’un plan d’aménagement qui facilitera les synergies entre les acteurs. « L’écologie industrielle et territoriale est avant tout une question de bon sens. Il est logique de réunir les besoins », résume Jacques-Alexandre Vignon, le directeur de la Société d’Economie Mixte (SEM) d’Epinal-Golbey.

La SEM est très engagée dans cette démarche de la « Green Valley » et elle mène ses réflexions aux côtés de Norske Skog et Pavatex. L’objectif est de trouver des idées innovantes, de les amener à maturité et de les proposer à des industriels pour qu’ils puissent s’implanter et se développer sur l’éco-parc. Plusieurs projets sont à l’étude actuellement, en particulier dans le secteur de la chimie verte,

avec une unité de bioraffinerie et une autre dans le domaine médical, toujours dans la même optique de mutualisation afin d’utiliser les coproduits de Norske Skog, en particulier le bois.

Green Valley Énergie : une démarche innovante de mutualisation de l’énergieDans le domaine de l’énergie aussi, les possibilités de mutualisation sont très importantes. Norske Skog et la SEM travaillent aujourd’hui à la remise en route de la première chaudière à gaz du papetier, dans le but de la transformer en chaudière biomasse pour produire de l’énergie, de la vapeur haute et basse pression. Cette énergie pourrait être distribuée aux entreprises de la Green Valley au premier rang desquelles Norske Skog et Pavatex, et aussi alimenter l’usine Michelin située à proximité. Cette dernière fabrique les câbles de structure des pneumatiques et utilise l’eau chaude dans son process. Enfin, cette chaudière alimenterait également un réseau de chaleur urbain sur la commune de Golbey.

Pour ce projet, une SAS, Green Valley Énergie, a été créée. La biomasse serait constituée par les boues de papeteries, les déchets bois qui ne rentrent pas dans la fabrication de la pâte à papier, ainsi que des bois de classe B (c’est-à-dire issus de meubles grand public mis à la décharge) et la plaquette forestière. C’est un investissement de l’ordre de 14 millions d’euros. Il est prévu que la chaudière entre en fonction à l’automne 2017.

Un industriel, un financier, un énergéticien et une collectivitéL’ADEME soutient ce projet au titre du BCIAT (Biomasse Chaleur Industrie Agriculture et Tertiaire). Les futures entreprises implantées sur l’éco-parc pourront bénéficier d’une énergie à coût maîtrisé. Le futur actionnariat sera probablement partagé entre Norske Skog, la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC), Engie-Cofely et la SEM. « Nous avons une vraie complémentarité, avec un industriel, un financier, un énergéticien et une collectivité » se félicite Jacques-Alexandre Vignon. La SEM cherche à ancrer les entreprises sur le territoire à long terme, l’énergéticien trouve son intérêt dans le développement d’un réseau de chaleur urbain,

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l’industriel remet un actif (la chaudière) en route et la CDC est dans son rôle de développement économique.

Cette vision de mutualisations et de complémen-tarités à mettre en œuvre, n‘est pas encore très courante sur les territoires. Certaines entreprises préfèrent en effet continuer à travailler en circuit fermé. Mais les choses sont en train de changer. Les entreprises deviennent de plus en plus acteurs du territoire. Les exemples de mutualisation et de synergies comme celui de la Green Valley sont des sources d’inspiration et des références en termes de bonnes pratiques pour les industries qui se sentent de plus en plus concernées par l’Écologie Industrielle Territoriale et la nécessité de préserver les ressources.

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UNE VISION DE

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CONCLUSION

Pionnier dans l’analyse des changements climatiques à propos desquels il n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme, Jean Jouzel est un célèbre climatologue et glaciologue français. Après des études de chimie, il rejoint le Commissariat à l’Énergie Atomique et aux énergies alternatives (CEA), au sein duquel il est désormais directeur de recherches émérite. Scientifique reconnu grâce à ses nombreux articles dans les plus prestigieuses revues, il a reçu la médaille d’Or du CNRS et le Prix Vetlesen 2012, considéré comme le Prix Nobel dans le domaine des Sciences de l’Univers. Il a acquis une notoriété auprès du grand public grâce à son rôle au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Expert depuis 1994, il devient Vice-Président du groupe scientifique en 2002, contribuant aux rapports dont l’expertise et le rôle majeur en faveur de la planète ont été récompensés par la co-obtention du Prix Nobel de la Paix en 2007 avec Al Gore. Il a par ailleurs présidé le Haut Conseil de la Science et de la Technologie de 2009 à 2013.Parallèmement à ses travaux au sein du CEA, Jean Jouzel est également membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE), président du conseil d’administration de l’Institut de Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI) et membre du Conseil Stratégique de la Recherche depuis 2014.

CONCLUSION LES ENTREPRISES ET LES INDUSTRIELS SERONT GAGNANTS S’ILS CONTINUENT D’INNOVER ET ADOPTENT UNE VISION DE LONG TERMEpar Jean Jouzel, pionnier de l’analyse des changements climatiques

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DIRIEZ-VOUS QUE LA CONFÉRENCE DE PARIS SUR LE CLIMAT A OUVERT UNE NOUVELLE ÈRE ?Les messages de la COP21 peuvent être résumés d’une façon assez simple. Les scientifiques ont réussi à faire comprendre l’urgence de la situation aux décideurs politiques. Tout le monde est maintenant convaincu qu’il faut faire quelque chose pour limiter le réchauffement climatique. Un accord a été trouvé autour de l’objectif de contenir d’ici 2100 l’augmentation moyenne de la température de la planète en-dessous de 2 degrés Celsius par rapport au niveau pré-industriel. Le chiffre de 2 degrés Celsius maximum a été retenu parce qu’il correspond à la limite jusqu’à laquelle nous devrions parvenir à nous adapter pour l’essentiel, même si le climat sera bel et bien différent. Au-delà de 2 degrés Celsius, on basculerait dans des scénarios caractérisés par un changement radical de climat, avec des conséquences désastreuses sur les écosystèmes et les sociétés humaines.

Cet objectif est en réalité extrêmement ambitieux. L’enjeu est de diviser par deux ou trois les émissions entre 2020 et 2050, pour accéder à la neutralité carbone à la fin du siècle. Selon les travaux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), si l’on veut rester en-dessous de 2 degrés, il ne nous reste plus que 20 à 25 ans de consommation des énergies fossiles au rythme actuel.

L’OBJECTIF DE LIMITER LE RÉCHAUFFEMENT À 2 DEGRÉS CELSIUS EST-IL RÉALISTE ?Rester sous 2 degrés implique de changer de mode de développement. Tout le monde est concerné, notamment l’industrie. Il faut en priorité limiter l’utilisation des combustibles fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon, pétrole et gaz non conventionnels) qui comptent chaque année pour 85 % des émissions de CO2, dont 10 % s’expliquent par la déforestation et 5 % par la production de ciment, et pour 70 % dans l’augmentation de l’effet de serre. Le reste est dû aux pratiques agricoles et il faudra aussi agir sur les autres gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote).

Le GIEC a travaillé sur les scénarios, pour la partie énergie, qui permettent de limiter le réchauffement à moins de 2 degrés. Cela passe par une modification des flux d’investissement. Le premier levier est l’efficacité énergétique, dans laquelle il faudrait investir 600 milliards de dollars par an. Symétriquement, il faudrait désinvestir de l’extraction et de l’utilisation des énergies fossiles. L’objectif des 2 degrés implique que l’on utilise moins de 20 % des réserves actuelles d’hydrocarbures ! Autrement dit, il faudrait laisser 80 % des réserves fossiles facilement accessibles dans le sous-sol.

Les scénarios « 2°C » analysés par le GIEC pour l’avenir gardent une part de nucléaire mais le grand changement viendra de l’augmentation de l’usage des énergies renouvelables au niveau planétaire. L’électricité représente 20 à 30 % dans le mix énergétique selon les pays. Elle est appelée à prendre une plus grande part, notamment dans la mobilité.

QUELS SONT LES PRINCIPAUX DÉFIS AUXQUELS NOUS ALLONS ÊTRE CONFRONTÉS DANS LES PROCHAINES ANNÉES ?Aujourd’hui, nous comptons environ 3 milliards d’habitants dans les villes, soit près de la moitié de la population mondiale. Les démographes prévoient que cette proportion grimpera à environ deux tiers d’ici la fin du siècle, soit entre 6 et 7 milliards d’habitants : la population des villes va donc doubler. En conséquence, les villes vont continuer de s’étendre et se développer. Cependant, le processus de production du ciment génère beaucoup de gaz à effet de serre. Si l’on ne change pas de mode de construction, la seule construction de ces villes va donc prendre la moitié des « droits à émettre » dont nous disposons pour rester en deçà de 2°C ! Nous avons un défi énorme à relever pour améliorer l’efficacité dans le secteur du bâtiment et de la construction.

Dans les transports, les usages sont en train de changer très vite et cela converge avec l’impact du numérique et la diffusion des nouvelles techno-logies. Les modes de mobilité vont évoluer dans un sens qui devrait permettre d’utiliser moins de combustibles fossiles.

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En ce qui concerne le secteur de l’énergie, il y a beaucoup d’innovations à développer, notamment dans le domaine du stockage de l’énergie. A partir du moment où l’on accepte cette idée que nous allons vers un monde sans carbone, l’entreprise doit intégrer cette donnée pour s’engager dans un changement inéluctable de son mode de développement. L’efficacité énergétique est un impératif pour tout le monde, dans tous les secteurs. Cela passe par des économies d’énergie, une énergie « décarbonée » au maximum, la mise en place d’une économie circulaire…

COMMENT INCITER LES ACTEURS À CHANGER DE COMPORTEMENT ?Nous vivons dans un monde capitaliste dans lequel c’est le détenteur du capital qui décide. Il y a une quinzaine d’années, l’on espérait que les énergies renouvelables deviendraient rapidement compétitives par rapport aux énergies fossiles. Nous y étions presque quand le prix du pétrole était à 100 dollars. Evidemment, la donne a changé avec l’effondrement du cours du baril. Actuellement, la course aux prix bas est menée par l’Arabie Saoudite avec la volonté de tuer les producteurs américains mais aussi de tuer les initiatives renouvelables ! C’est pour cette raison qu’il faudrait absolument arriver à fixer un prix du carbone pour faire prendre en charge le coût des externalités. L’utilisation de ressources émettrices de carbone a un coût environnemental qui n’est pas pris en compte aujourd’hui. Donner un prix au carbone serait un moyen d’accélérer la mise en place de ce nouveau mode de développement.

PENSEZ-VOUS QUE LES ÉNERGIES RENOUVELABLES VONT MONTER EN PUISSANCE ?Certainement, car elles sont en train de devenir rentables. Le prix du solaire baisse régulièrement ; il a été divisé par un facteur 5 en dix ans. Selon l’Agence Internationale de L’Énergie, le prix de l’électricité produite à partir de panneaux solaires devrait encore baisser de 25 % d’ici 2020. Le nucléaire, en comparaison, reste cher.

D’après le GIEC, la part des énergies bas carbone – renouvelables, nucléaire, fossiles associées à un

piégeage et stockage du CO2 – sera multipliée par 3 ou 4 à l’horizon 2050. La part des énergies non carbonées dans la production d’électricité devrait largement augmenter, pour passer de 30 % aujourd’hui à plus de 80 % en 2050.

Le nucléaire se développe mais sa part restera entre 5 et 8 %. Si vous êtes un industriel à ambition mondiale, ne pas regarder les renouvelables est une erreur ! On peut s’attendre à de nombreux développements, dans le stockage de l’énergie, les réseaux…

Les grands énergéticiens commencent à investir, mais cela reste timide. Chez Total, par exemple, le solaire représente seulement 3 % des investis-sements globaux pour le moment, avec l’objectif d’atteindre 10 à 15 % du portefeuille dans une quinzaine d’années. Les difficultés actuelles des entreprises du secteur pétrolier, gazier ou charbonnier ne sont pas une bonne nouvelle à cet égard, car ce sont des capitaux qui disparaissent. Il aurait mieux valu qu’ils investissent plus tôt dans les énergies renouvelables, quand ils en avaient les moyens !

QUELS SONT LES FREINS AU DÉVELOPPEMENT DES RENOUVELABLES ?Parmi les freins, on peut citer le coût, les disponi-bilités des matériaux (terres rares, etc.), le stockage de l’énergie, la distribution et les usages. On a beaucoup de marge pour augmenter les renouvelables en France et il faudra aussi faire preuve d’inventivité sur les usages… La révolution numérique est une bonne chose dans ce domaine car elle va accompagner la révolution énergétique.

QUELS CONSEILS DONNERIEZ-VOUS AUX INDUSTRIELS ?Il faut d’abord y croire, se documenter, accepter l’idée que le mode de développement va changer. On en a les moyens techniques, on y arrivera. Ce seront les acteurs économiques qui anticipent le plus et qui ont une vision à long terme qui seront gagnants. Le problème est toujours le même : les entreprises ont tendance à privilégier le court terme par rapport au long terme.

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À la conférence de Copenhague de 2009, quand on parlait des solutions, elles paraissaient lointaines. A la Conférence de Paris, les solutions étaient là, on pouvait les toucher du doigt ! Le véhicule électrique, les énergies renouvelables… Toutes ne sont pas encore opérationnelles mais il y a eu beaucoup de recherche et développement sur les cinq dernières années. L’innovation est centrale. Pour la COP21, les pays ont rendu des contributions (synthétisant leurs engagements) qui vont dans le bon sens mais ne sont pas encore suffisantes. Pour qu’ils puissent les augmenter, il faut qu’ils entrevoient des solutions. Cela signifie qu’il faut encore beaucoup d’innovation et de ruptures technologiques dans les cinq prochaines années. Les industriels ont tout intérêt à continuer à développer les innovations !

PEUT-ON VRAIMENT ESPÉRER QUE LES PAYS VONT REVOIR LEURS CONTRIBUTIONS À LA HAUSSE ?Oui, je pense que les pays vont rentrer dans une spirale vertueuse et réviser leurs contributions pour des raisons géopolitiques. La Chine, notamment, a bien compris que le pays qui prendra le leadership dans la lutte contre le changement climatique prendra aussi le leadership économique et géopolitique.

En Chine, les choses bougent sous la pression de l’opinion publique qui n’accepte plus la pollution. En revanche, l’Inde, où la pollution est là aussi élevée, ignore le problème. L’Inde est très « charbonnière » également. En Chine, en Europe et aux États-Unis, les émissions commencent à se stabiliser, mais en Inde elles ont augmenté de 7 à 8 % l’année dernière !

LA COP21 A-T-ELLE ÉTÉ UN SUCCÈS À VOS YEUX ?Le succès tient au fait que tout le monde a marché dans le même sens, y compris les entreprises, qui se sont vraiment engagées, ainsi que les acteurs de la finance. Dans l’accord, l’un des paragraphes les plus importants est celui qui pose l’objectif de rendre les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques. Autrement dit, on demande aux financiers d’affecter leurs investissements dans

une optique qui prend en compte la lutte contre le réchauffement climatique.

L’accord de Paris est le meilleur qu’on pouvait espérer. Tous les critères de succès que nous avions définis dans le comité de pilotage ont été atteints (à l’exception de la discussion sur le prix du CO2) : succès diplomatique, signature d’un accord avec un outil juridique, mise en place d’une clause de révision, transferts de technologie, avancées dans la création d’un fonds d’aide de 100 milliards de dollars pour les pays en développement, mobilisation de la société civile...Si l’on veut réussir, il faudrait que tous les investis-sements soient jaugés par rapport à ces objectifs à moyen terme.

VOUS ÊTES DONC OPTIMISTE ?J’émets quand même quelques bémols : tout d’abord le fait que nous n’ayons pas réussi à enclencher une discussion sur le prix du CO2. Ensuite, pour rester en dessous de 2 degrés, il faudrait que le pic d’émission soit atteint en 2020 au plus tard. Or aucune date n’est évoquée dans l’accord de Paris, qui se fixe seulement comme objectif « le plus tôt possible ». Enfin, dernier point négatif, le transport maritime et le transport aérien se sont exonérés de l’accord.L’accord de la Conférence de Paris est un point de départ, qui a fixé un cadre. Maintenant, c’est la mise en œuvre qui va compter. Je pense que les pays et les entreprises vont mettre un point d’honneur à respecter leurs engagements. La réputation est très importante pour les entreprises comme pour les pays ; avec les réseaux sociaux tout le monde est sous surveillance. Ces engagements sont transparents et il y a une forme d’obligation pour les acteurs.

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REMERCIEMENTS

Les travaux de l’Observatoire des usines du futur n’auraient pas été possibles sans l’engagement des personnalités suivantes, auxquelles nous exprimons toute notre gratitude :

t Les membres du Comité d’orientation de l’Observatoire des Usines du Futur : Marc Aouston, Eric Ballot, Sylvie Bernard-Grandjean, Thierry Bogaert, Michel Dancette, Denis Ferrand, Martine Griffon-Fouco, Emmanuel Julien, Claire Mathieu, Céline Morcrette, G.V.

t Les intervenants des Matins de l’Observatoire : Stéphane Dupays, Hubert Mayet.

t Les contributeurs à ce Cahier : Bel (plus particulièrement Hubert Mayet), Evian (plus particulièrement Stéphane Dupays), Fives (plus particulièrement Pauline Plisson et Aurélie Gonzalez), Green Valley d’Épinal (plus particulièrement Jean-Jacques Vignon, Directeur de la SEM de développement économique d’Épinal Golbey), Philippe Joubert, Jean Jouzel, Emmanuel Julien, LafargeHolcim (plus particulièrement Michel Gimenez et Günther Walenta), Patricia Savin et l’association Orée, Terreal

(plus particulièrement Eric Weiland), Hélène Teulon et l’association Gingko 21.

Nous remercions également les équipes de Footprint > consultants.

REMERCIEMENTS

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CAHIER DE L’OBSERVATOIRE FIVES DES USINES DU FUTUR | 4e édition - 2016

Cahier de l’Observatoire Fives des usines du futurPublication annuelle éditée par Fives – 27/29 rue de Provence – 75009 ParisDirecteur de la publication : Frédéric SanchezDirection et coordination : Céline Morcrette et Claire Mathieu Préparation des contenus : Footprint > consultantsConception/Réalisation/Illustration : Impression : Alliance PGCrédits photos : ©Fives, ©Franck Juery, ©Le Square, ©Philippe Stroppa / CEANuméro ISSN en cours. Dépôt légal – Mai 2016Copyright © 2016 – Fives – Tous droits réservés

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