Denis Léon Giovanna Nouvelle Spirite Jys

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LEON DENIS GIOVANNA Nouvelle spirite 1

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Denis Léon Giovanna Nouvelle Spirite de Léon Denis très peu connue.

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Tous ceux qui ont parcouru la Lombardie connaissent le lac de Corne, ce lambeau du ciel d'Italie tomb entre les montagnes, ce merveilleux den o trne la nature, pare pour une fte ternelle

LEON DENIS GIOVANNA

Nouvelle spirite

Tables des matiresBiographie: LEON DENIS

3 GIOVANNA

6Synthse du livre de Gaston LUCEpar Lucette DAMICO sur Lon Denis

26LEON DENIS

1erjanvier1846 - 12 avril 1927 Auteur et porte-parole duspiritisme

Lon Denis(n Foug le1er janvier 1846 dcd Tours, le12 avril 1927 fut un philosophespiriteet, aux cts deGabriel DelanneetCamille Flammarion, un des principaux continuateurs duspiritismeaprs le dcs d'Allan Kardec. Il fit des confrences travers toute l'Europe dans des congrs internationauxspiriteset spiritualistes, dfendant activement l'ide de lasurvie de l'meet ses consquences dans le domaine de l'thiquedans les relations humaines.Ayant t oblig d'abandonner ses tudes pour travailler, il ne cessa pas pour autant de lire et, ds l'ge de 18 ans, son contact avecLe Livre des Esprits, fit de lui un adepte convaincu duspiritisme. Il avait vingt-trois ans lors de la dsincarnation du matreAllan Kardecdont il aurait reu les inspirations. Pendant laguerre de 1870il servit comme sous-lieutenant et, quand il tait l'arrire du front, il organisait des sances de spiritisme l'intention de quelques camarades. Aprs la guerre il devint reprsentant de commerce et voyagea dans de nombreux pays.

Il joua un rle important dans la diffusion duspiritisme, affrontant les partisans des philosophies opposes comme lematrialisme, l'athismeet certaines ractions hostiles desreligions. Il fut, affirme-t-on, soutenu dans sa lutte parJrme de Pragueet celui qu'on appelle l'Esprit bleu.

Autodidacte, dot d'une rare intelligence, Denis crivit des textes d'une profondeur remarquable, qui montrent une perspicacit peu commune. Il fut, par ailleurs, un membre actif de lafranc-maonnerie.

partir de 1910 sa vue ne cessa de baisser, ce qui ne l'empcha pas de continuer travailler dfendre l'existence et lasurvie de l'me. Peu aprs laPremire Guerre mondiale, il apprit lebraille.

L'abondance de sa production dans la littrature spirite, ainsi que l'affabilit de son caractre et son dvouement, lui ont valu le surnom d'Aptre du Spiritisme.Liste des publications de Lon Denis1. 1880:Tunis et l'le de Sardaigne(brochure)

2. 1880:Le Mdecin de Catane(nouvelle)

3. 1880:Giovanna(nouvelle)

4. 1885:Le Pourquoi de la Vie

5. 1889 :Aprs la Mort(dernire dition revue et corrige : 1920)

6. 1898 :Christianisme et Spiritisme(dernire dition revue et corrige : 1920)

7. 1901:L'Au-del et la Survivance de l'tre(brochure)

8. 1903:Dans l'Invisible(dernire dition revue et corrige: 1924)

9. 1905 :Le Problme de l'Etre et de la Destine(dernire dition revue et corrige : 1922)

10. 1910 :Jeanne d'Arc Mdium(dernire dition revue et corrige : 1926)

11. 1911:La Grande nigme(dernire dition revue et corrige: 1921)

12. 1919:Le Monde Invisible et la Guerre

13. 1921 :Esprits et Mdiums(brochure)

14. 1921:Synthse doctrinale et pratique du Spiritualisme

15. 1921:Le Spiritualisme et le Clerg Catholique16. 1922: Le Spiritisme dans lart

17. 1923Le Spiritisme et les forces radiantes

18. 1924: Socialisme et Spiritisme (article deLa Revue spirite)

19. 1924:Jaurs Spiritualiste

20. 1924:La Question Celtique et le Spiritisme

21. 1927 :Le Gnie Celtique et le Monde Invisible22. ??? : Catchisme spirite 1923: Le Progrs

(La confrence faite Tours dans la Salle du Cirque le 29 fvrier 1880 et Orlans dans la Salle de lInstitut le 4 avril 1800

1905 : Confrence donne au congrs de Lige en 1905

1925 : Discours prononc au Congrs mondial de 1925???? : Prires et allocution lintention des groupes spirites

Rouge

: Publi dans les deux pays (France-Brsil)Bleu

: Publi en brsilien, inexistant en France

Vert

: Publi en brsilien. Introuvable en Franais

Noir

: Publi en franais. Non traduit en brsilienGris

: Publi en Franais. Aucune infirmation pour le brsilien.Certains livres de Lon Denis sont continuellement rdits par de multiples diteurs. La liste suivante n'est qu'un exemple:

Christianisme et Spiritisme, ditions Philman, Le Peck, 2006

Aprs la mort, ditions Philman, Le Peck, 2005,

Dans l'invisible: spiritisme et mdiumnit, ditions Philman, Le Peck, 2005

La Grande nigme, ditions Philman, 2005

Le Gnie Celtique et le Monde Invisible, 2006

Le Problme de l'tre et de la Destine, 2005

Traduction en portugais. 1. Alm e a Sobrevivncia do Ser (FEB)

2. Catecismo espirita (Numrico)

3. Cristianismo e Espiritismo (FEB)

4. Depois da Morte (FEB)

5. Espiritismo e as Foras radiantes (CELD)

6. Espiritismo e o Clero Catlico (CELD)

7. Espiritismo na Arte (Lachtre)

8. Espritos e Mdiuns (CELD)

9. Gnio Cltico e o Mundo Invisvel (CELD)

10. Giovanna (Numrico)

11. Grande Enigma (FEB)

12. Joana D'Arc, Mdium (FEB)

13. Mundo Invisvel e a Guerra (CELD)

14. No Invisvel (FEB)

15. Porqu da Vida (FEB)

Problema do Ser, do Destino e da Dor (FEB)16. Problema da Dor Lon Denis (Editora Petit)

17. Problema do Destino (EditoRa Petit)

18. Problema do Ser Lon Denis (Editora Petit)

19. Progresso (CELD) (Confrencia)20. Provas Experimentais da Sobrevivncia (Clarim)

21. Sntese Doutrinria e Prtica do Espiritismo (Instituto mmaria) Resumo ???22. Socialismo e Espiritismo (O Clarim)Rouge

: Publi dans les deux pays (France-Brsil)Bleu

: Publi en brsilien, inexistant en France

Vert

: Publi en brsilien. Introuvable en Franais

Noir

: Publi en franais. Non traduit en brsilienGris

: Publi en Franais. Aucune infirmation pour le brsilien.

GIOVANNA

Nouvelle spirite

I

Tous ceux qui ont parcouru la Lombardie connaissent le lac de Corne, ce lambeau du ciel d'Italie tomb entre les montagnes, ce merveilleux den o trne la nature, pare pour une fte ternelle. Les lignes tourmentes des monts qui l'encadrent, la nappe limpide et bleue de ses eaux forment un saisissant contraste.

Les villes et les blancs villages se succdent sur ses bords comme les perles d'un collier. Au-dessus d'eux, sur le flanc des collines, s'tagent des jardins en terrasse que garnissent l'envi orangers, citronniers, grenadiers et figuiers. Plus haut le feuillage ple des amandiers, le gris d'argent des oliviers, les pampres des vignes tapissent les pentes. De gracieuses villas, peintes de couleurs tendres avec des ceintures de grands arbres ombrageant de blanches statues, trouent a et l ce verdoyant manteau.

Au loin s'lvent les Alpes majestueuses, couronnes d'un diadme de glaciers. Et sur toutes choses resplendit la lumire du Midi, lumire radieuse qui revt de tons blouissants les crtes de rocs et les voiles des bateaux de pche qui glissent, nombreux sur le lac paisible.

Pour goter la posie sereine de ces lieux, prenez une barque et gagnez le large quand vient l'heure du crpuscule. A ce moment, une brise lgre ride les eaux, fait frissonner les tamariniers de la rive. L'odeur pntrante des myrtes se marie aux douces senteurs des orangers et des citronniers. De tous les points du lac s'lvent des chants. C'est l'heure o les contadini (travailleurs des champs) et les jeunes ouvrires des fabriques regagnent les villages en chantant des barcarolles. Leurs mlodies arrivent vous affaiblies, par la distance ; dans le calme du soir, elles semblent descendre du ciel.

Bientt ces sons se joint le bruit des instruments de musique venant du rivage et des villas illumines. Le lac tout entier vibre comme une harpe. Et si, ajoutant la magie de cette scne, l'astre des nuits montre son disque au-dessus des montagnes ; si sous ses rayons tamiss les cimes alpestres se colorent ; s'il jette sur les eaux transparentes ses longues tranes d'argent fluide ; alors, cet air enivrant, ces cieux si doux, ces parfums, ces harmonies, ces jeux de la lumire et des ombres, tout cela remplira votre me d'une motion dlicieuse, inexprimable.

Une grce enchanteresse enveloppe toute la rgion sud du lac, mais plus haut, vers le nord, en se rapprochant des Alpes, l'aspect se fait svre, imposant. Les roches ont des formes plus pres ; les monts sont plus abrupts. Les jardins, les plantations d'oliviers font place aux chtaigneraies, aux sombres sapinires. De grands pics, chauves, solitaires, regardent du fond de l'horizon et semblent rver.Prs de Gravedona s'ouvre une valle troite, parcourue par un torrent qui bondit de roche en roche et fait jaillir ses eaux vives en cascatelles joyeuses. Quelques modestes habitations y sont dissmines dans la verdure. Au pied d'une chute retentissante, par laquelle le torrent se prcipite des derniers contreforts, un moulin croulant de vieillesse fait entendre son bruit monotone. De l, un sentier suit les ingalits du sol, escalade les escarpements, plonge dans les ravins pierreux et travers les cistes, les noisetiers, les sauges et les buis, aboutit une dernire chaumire que deux grands frnes protgent de leur ombre. Autour de leurs troncs robustes des guirlandes de vigne s'enroulent. Elles enlacent les branches de leurs festons et quand vient l'automne, laissent pendre ces beaux raisins d'Italie, longs d'un demi mtre, aux grains oblongs, savoureux, croquant sous la dent. La masure est presque entirement cache sous une paisse couche de lierre.

Sur son toit, chang en parterre, des gramines germent, des fleurs s'panouissent. Des hirondelles ont dress leurs nids entre les solives. Au moindre bruit on voit apparatre leurs petites ttes inquites.

Un vaste enclos, envahi par les herbes et les plantes sauvages, s'tend derrire la chaumire et une table vide, dlabre, ouverte tous les vents, s'appuie la haie touffue.

Il y a quelques annes, l'aspect de ce coin de terre tait tout diffrent. Le jardin, entretenu avec soin, tait productif, agrable voir ; l'table abritait deux belles chvres, un ne vigoureux. Pitro Menoni habitait cette masure avec sa femme Marta et leurs trois enfants. Toute cette famille vivait du produit de l'enclos.Chaque semaine, Pitro chargeait son ne Ruffo de couffins de fruits, de paniers de lgumes, de jarres d'huile qu'il allait vendre au march de Gravedona. L'hiver, on avait le lait des chvres, des chtaignes en quantit et, pendant les longues soires, on tressait des paniers, on prparait les garnitures d'osier qui prservent les fiasquettes de vin.L'abondance rgnait en cette demeure. Mais vinrent les mauvais jours, Pitro, atteint d'une maladie grave, languit longtemps, puis mourut. Il fallut vendre les chvres et Ruffo partit son tour. Le jardin dlaiss ne produisant plus, la, misre s'appesantit sur l'humble fa mille. Assujettie un incessant labeur, mine par de douloureux soucis, Marta sentit ses forces s'vanouir rapidement.

Pntrez dans cet intrieur et voyez, sur un grabat, cette femme vieillie avant l'ge, au teint jauni, aux joues creuses, aux yeux brillants de fivre ; voil ce que les veilles, la souffrance et les larmes ont fait de la robuste paysanne. Ses trois enfants sont auprs d'elle. L'ane, Lena, fillette de quinze ans, aux membres grles, aux traits dj fltris par les privations et l'inquitude, est assise sur un escabeau prs du lit et rpare quelques guenilles uses.

Ses petits frres demi couchs sur la terre battue s'essaient tresser une corbeille. Les murs sont nus, blanchis la chaux. Dans un coin, des feuilles de fougre amonceles servent de couche aux garons. Une madone de bois, recouverte d'un lambeau d'toffe jadis bleue, quelques grossires images de saints forment, avec des meubles rustiques, les seuls ornements du logis. Un pnible silence, peine troubl par la respiration oppresse de la malade, rgne dans la chaumire. Des rayons d'or, pntrant par la porte grande ouverte, se jouent au sein de cette misre.

Mais un bruit lger se fait entendre au dehors. On dirait le frlement d'une toffe sur le sable du sentier. Les enfants se retournent et poussent des exclamations joyeuses. Une jeune fille est debout dans le cadre de la porte. Est-ce bien une jeune fille ? N'est-ce pas plutt une crature surhumaine, quelque apparition cleste ? Le soleil illuminant ses tresses blondes, couronne son front d'une sorte d'aurole. Sa robe blanche, sa taille svelte, ses traits charmants, la rendent semblable ces virginales peintures de Rafal Sanzio. Elle s'avance et sa vue le visage amaigri de Marta s'claire d'un ple sourire ; les enfants l'entourent. Elle se penche vers la malade, de sa main blanche et douce presse ses doigts brlants, lui fait entendre des paroles consolantes et amies. Une matrone, ployant sous le poids d'un norme panier entre son tour. Elle s'assied, essouffle et tale bientt sur le coffre de bois des provisions de toute sorte, un flacon de vin gnreux, des vtements, une couverture. Ces objets s'entassent sur le meuble trop troit, pour les recevoir.

A l'air affectueux de la demoiselle, l'empressement avec lequel on l'accueille, on la fte, on devine que ses visites sont frquentes. La blonde et gracieuse jeune fille est la providence de cet humble logis, comme de tous ceux de la valle o il y a des afflictions consoler, des pleurs essuyer des souffrances, gurir. C'est, pourquoi on l'a nomme la fe des pauvres (fala dei poveri).

Giovanna (Jeanne) Speranzi est ne dans la villa des Lentisques, dont on aperoit de la valle les terrasses blanchissantes.

Ses dix-huit ans se sont couls dans ces lieux aims du soleil et des fleurs. On dit que l'me est lie par, de secrtes influences aux rgions qu'elle habite, qu'elle participe leur grce ou leur rudesse. Sous ce ciel limpide, au milieu de cette nature sereine, Giovanna a grandi et toutes les harmonies physiques et morales se sont unies pour faire d'elle une merveille de beaut, de perfection. Elle est grande, lance ; son teint est, blanc, sa chevelure blonde, paisse et soyeuse, sa bouche mignonne garnie de dents petites, clatantes, ses yeux d'un bleu profond et doux. Le haut du visage a un cachet de noblesse, d'idale puret. Des clarts semblent l'envelopper. Malgr l'expression de mlancolie qui lui est habituelle, Giovanna, dans la floraison de ses dix-huit printemps, est une des plus ravissantes enfants du Milanais. Orpheline treize ans, elle a conserv de la perte des siens un souvenir toujours vivant. Devenue pensive, recueillie, son front rveur se penche souvent vers la terre o dorment les morts aims. D'ardentes aspirations la portent vers les choses d'en haut, vers Dieu, vers l'infini. Elle ne ddaigne pas, le monde, cependant un trsor de sensibilit, d'ineffable charit est renferm en son cur ; toute peine, toute, douleur, y veille un cho. Aussi consacre-t-elle sa vie ceux qui pleurent. Elle ne connat pas de plus douce joie, de plus captivante tche que de secourir, de consoler les malheureux.

Ainsi s'coula sa jeunesse, entre une tante infirme et une vieille nourrice qui veille sur elle, l'accompagne dans ses visites aux indigents.

Un incident est pourtant venu depuis peu rompre l'uniformit de cette vie, jeter le trouble dans l'me candide de Giovanna. Un jour qu'elle suivait le sentier bien connu qui conduit la demeure des Menoni, des nuages noirs s'amoncelrent au-dessus du vallon, de larges gouttes d'eau tombrent avec bruit parmi les buissons de noisetiers et le tonnerre, grondant tout coup remplit les gorges des monts de ses clats retentissants. A peine entre dans la chaumire, l'orage se dchana derrire elle avec violence, courbant jusqu' terre les cimes des arbres, voilant l'horizon d'un pais rideau de pluie. Le torrent, grossissant vue d'il, mlait le bruissement de ses eaux aux clameurs de la tempte. Un jeune homme, vtu d'un costume de chasse, tenant la main un fusil, gagna la masure en courant et demanda s'y abriter. Pendant que l'orage svissait au dehors, il put examiner loisir le lieu, o il se trouvait. A la vue de ce dnuement, l'aspect de Marta tendue sur un lit de souffrance, il parut s'intresser son infortune et posa quelques questions, discrtes auxquelles Jeanne rpondit en baissant les yeux. La prsence, le rle de cet ange consolateur parmi ces malheureux le toucha. Il demanda s'associer cette bonne uvre et l'entretien s'tant engag, l'orage tait pass depuis longtemps et le soleil s'tait remis sourire qu'il ne songeait pas encore quitter cette demeure o le hasard l'avait amen. Il se retira enfin, mais pour revenir souvent. Il ne se passait gure de jour sans qu'on le vt paratre l'heure habituelle o Giovanna visitait la pauvre famille. Il restait l jusqu' son dpart, la couvant du regard, admirant sa grce virginale, son exquise bont pour la malade. Il finit mme par prolonger ses visites bien longtemps aprs qu'elle s'tait loigne, causant d'elle avec Lena, accablant celle-ci de mille questions.Quoiqu'il n'eut jamais, avant ce jour d'orage, franchi le seuil des Menoni, Maurice Ferrand n'tait point inconnu d'eux. Quinze ans auparavant, un Franais, exil la suite d'vnements politiques, tait venu se fixer dans le pays. Il avait achet Domaso, village qui borde le lac, prs de Gravedona, une petite habitation situe sur une colline d'o la vue embrasse l'immense panorama des eaux et des monts, la Brianza, la Valteline, les grands pics des Alpes. L'exil amenait avec lui son fils, jeune garon de huit dix ans, dont la mre tait morte en France. Maurice, en parcourant la contre, en suivant les petits ptres sur les rocs la recherche des nids de palombes ou les pcheurs de truites qui explorent le lit des torrents, eut bien vite appris la langue potique et sonore de Manzoni et d'Alfri, Mais il fallut renoncer ces joyeuses parties et un jour son pre l'emmena Corne, o ils prirent le chemin de fer de Milan. Arrivs dans cette grande cit, le premier soin de l'exil fut de placer l'enfant dans une des meilleures institutions, puis il retourna s'enfermer dans le pavillon o il vivait seul avec ses livres et une vieille servante du pays.

Maurice fit des progrs rapides. Sa vive intelligence, sa prodigieuse mmoire, le servirent si bien, qu'aprs quelques annes, n'ayant plus rien apprendre dans l'tablissement o il avait t plac, il dut poursuivre ses tudes 1' Universit de Pavie. En mme temps que son instruction se dveloppait, son caractre se dessinait, caractre singulier, mlange de sentiments gnreux et durs. Maurice aimait instinctivement la solitude ; il avait peu d'amis. Les allures bruyantes, expansives des Lombards et des Toscans au milieu desquels il se trouvait, lui dplaisaient. Il vivait l'cart, le plus possible, consacrant ses loisirs la lecture de potes favoris. Une curiosit profonde le portait aussi vers les tudes philosophiques. De bonne heure, il rechercha le pourquoi des choses, voulant approfondir ces mystrieux problmes qui dominent toute vie et qui, semblables au flux de la mer, chasss de notre pense par l'impuissance, y reviennent plus imprieux chaque fois.

Le sentiment religieux s'tait d'abord manifest en lui par un vif amour du catholicisme. Les pompes clatantes du culte italien, la voix puissante des orgues, les chants, les parfums, la magnificence des difices, de ce Dme de Milan, merveille de sculpture, dont les statues de marbre se profilent en lgions innombrables sur l'azur du ciel, toutes ces splendeurs du romanisme, remplissaient l'me de Maurice d'une motion profonde. Mais quand les sens s'tant habitus ces pompes retentissantes, sa raison voulut descendre au fond des dogmes, les analyser, les fouiller, quand dchirant le voile brillant et matriel qui cache aux yeux du vulgaire la pauvret de l'enseignement catholique, il ne vit plus qu'une morale ternie par la casuistique, les principes du Christ fausss, un Dieu partial et cruel, trnent sur un amas de superstitions, il chercha une, croyance claire, capable de satisfaire son cur, sa raison, son besoin de foi et de justice. Il se plongea dans l'tude des diverses philosophies, depuis celles des Grecs et des Orientaux jusqu'au moderne et desschant positivisme. De ce colossal examen, se dgagea pour lui une foi spiritualiste, base sur l'tude de la nature et de la conscience, et trouvant dans la communication intime de l'me avec Dieu une force morale qu'il croyait suffisante pour maintenir l'homme dans la voie droite. Il souponnait que l'existence prsente n'est pas la seule pour nous, que l'me doit s'lever par des vies successives et toujours renaissantes de mondes en mondes vers la perfection.II

C'tait surtout lors des voyages, trop courts son gr, que Maurice faisait la demeure paternelle et pendant les excursions qui s'en suivaient, que sa pense, stimule par la posie de ta nature, s'levait vers Dieu d'un lan rapide et sr. Il aimait alors errer dans les gorges sauvages des monts, parcourir les lieux carts o retentit le grondement perptuel des torrents et des cascades, les forts de sapins, de htres, de mlzes qui couvrent de leurs sombres dmes la pente des Alpes tessinoises.Les souffles du vent, froissant les ramures, jetant dans la profondeur des bois ses notes plaintives et harmonieuses, semblables au jeu d'un orgue invisible, le murmure des eaux jaillissantes, le chant des oiseaux, jusqu'au bruit lointain de la hache frappant les troncs sonores, toutes ces voies de la solitude beraient son esprit, lui parlaient un langage de paix. Sur les sommets baigns de lumire, sous les votes de verdure, sa prire montait vers Dieu autrement pure et ardente que dans les temples envahis par la foule. Au sein des bois odorants, des retraites ombreuses et caches l'invitaient au repos. Et les mille bruits de cette nature alpestre formaient pour lui une mlodie dlicieuse dont il s'enivrait au point d'oublier les heures et de laisser passer l'instant du retour.Il fallait cependant s'arracher ces ftes des yeux et du cur et reprendre le cours des tudes interrompues. Maurice passa ses examens avec succs. Hsitant ensuite entre les diverses carrires qui s'ouvraient lui, sur l'invitation de son pre, il fit son droit, fut reu avocat et commena exercer au barreau de Milan. Son loquence hardie, entranante, sa vive imagination, l'tude approfondie des causes lui confies, l'eurent bientt fait remarquer du monde des tribunaux ; un brillant avenir souriait son ambition s'il avait voulu plier sa conscience aux subtilits, de la chicane et de la politique, se faire le satellite des puissants. Mais cette me haute et fire ne pouvait s'abaisser un tel rle. Les intrigues, les turpitudes des cours et des salons la remplissaient d'amertume. Le spectacle d'un monde oisif, corrompu, talant avec fracas sa richesse et ses titres la cupidit, l'gosme, montant l'assaut de la socit et la dominant ; la probit chancelante ; la spculation effrne humiliant le travail rgnrateur ; tous ces ulcres de notre poque de dcadence morale se montrant dans leur laideur aux yeux du jeune homme lui apprirent ddaigner la vie, se dtacher de plus en plus des choses terrestres. Dans la coupe des plaisirs ayant voulu tremper ses lvres, il n'avait trouv que fiel ; l'amour tarif, l'orgie brutale, le jeu stupfiant, taient pour lui autant de monstres qui l'avaient fait reculer d'horreur.Avec de tels gots, une disposition naturelle la mditation, l'amour de la solitude, il vit se dnouer peu peu toutes ses relations. Ceux qui l'avaient accueilli tout d'abord, rebuts par cette rigidit, par cette misanthropie qui s'exhalait en termes amers, par l'absence de cette bienveillance si ncessaire au sage, s'loignrent de Maurice et le laissrent ses rves. Le vide se fit autour de lui. Un dgot profond saisit le jeune avocat. Il refusa les causes mauvaises ou douteuses qui lui taient offertes et vit ainsi se rduire le nombre de ses clients. Ses brillantes facults restrent sans emploi.

Un morne abattement l'envahissait, lorsque de Domaso lui parvint la nouvelle que son pre, gravement malade, le demandait prs de lui. Maurice partit aussitt.

L'exil, dvor par la nostalgie, par cet amour de la terre natale, ce besoin de la patrie que rien ne peut remplacer, l'exil luttait en vain contre un mal sans remdes. Il mourut bientt entre les bras de son fils. Cette mort rpandit une ombre encore plus paisse sur le front de Maurice ; sa tristesse, sa mlancolie naturelles augmentrent. Il renona au barreau et s'installa dans la petite maison solitaire que lui avait lgue le dfunt. Son temps fut partag entre les lectures et les excursions. Souvent, ds le matin, il prenait son fusil et sous le prtexte de chasser, il parcourait la contre en tous sens, allant l'aventure, insoucieux des sentiers. Le gibier pouvait impunment passer prs de lui. Plong dans d'interminables rveries, il ne songeait gure le poursuivre. Il s'asseyait parfois sur quelque pointe de roc dominant le lac, pour observer le mouvement des barques glissant sous les efforts des rameurs, les aigles dcrivant des cercles immenses dans le ciel, les lentes dgradations, de la lumire pendant les heures du soir et ce n'est que lorsque la nuit commenait tendre son voile sur la terre qu'il songeait regagner sa demeure.

Ce fut pendant une de ces courses que, surpris par l'orage, il se rfugia chez les Menoni et y rencontra Giovanna. De ce jour, sa vie changea.

La vue de cette enfant le rchauffa soudain. Un gai rayon de soleil pera l'obscurit de son me ; une voix inconnue chanta dans son cur. D'abord il ne se rendit pas compte du sentiment nouveau qui naissait en lui. Une force magntique le portait vers la jeune fille et il y obissait instinctivement. Quand elle tait l, devant lui, il s'oubliait la regarder, l'entendre. Le timbre de sa voix rythme veillait dans son tre des chos d'une douceur infinie. Il voyait en elle plus qu'une fille de la terre, plus qu'une crature humaine, comme une apparition passagre, reflet mystrieux d'un autre monde, un trsor de beaut, de puret, de charit, auquel Dieu prtait une forme sensible afin qu'en la voyant les hommes pussent comprendre les perfections clestes et y aspirer. La prsence de Giovanna l'arrachait sa misanthropie. Elle faisait surgir en lui un flot de penses bienfaisantes, gnreuses, un ardent dsir d'tre bon et de consoler. Son exemple l'invitait au bien ; il sentait le vide, l'inutilit de sa vie et comprenait enfin qu'il y avait mieux faire ici-bas qu' fuir les hommes et se renfermer dans une indiffrence goste. Il s'intressait aux douleurs des autres ; il songeait plus souvent aux petits, aux dshrits de ce monde, tous ceux qu'accabl l'adversit ; il recherchait avidement les moyens de leur tre utile.Pendant leurs entrevues, quoique se parlant peu, ils changeaient mille penses. L'me a des moyens de s'exprimer, de communiquer avec le dehors que la science humaine ne peut dfinir, ni analyser. Une atmosphre de fluide, en corrlation intime avec leur tat moral, enveloppe tous les tres et suivant sa nature, sympathique ou contraire, ils s'attirent, se repoussent, s'panchent ou se referment, et c'est ainsi que s'expliquent les impressions, que nous fait prouver la vue de personnes inconnues.

Les jours s'coulaient. Grce aux secours de Jeanne, grce aux soins du mdecin de Gravedona, dont Maurice payait les visites, Marta tait revenue la sant. Le jour o elle put sortir, une agrable surprise l'attendait au dehors. Le jardin, envahi nagure par les herbes gourmandes et les ronces enchevtres, tait redevenu propre et coquet. L'automne avait suspendu aux arbres des guirlandes d'or et d'meraude. Poiriers, figuiers, abricotiers, ployaient sous le poids de leurs fruits. De longues grappes de raisins vermeils pendaient entre les branches des mriers ; d'opulents lgumes couvraient les carrs. Un habile jardinier, envoy par Maurice avait taill les arbres, soign la vigne, opr cette transformation. Il avait fait de ce coin dsol un merveilleux verger. L'hiver pouvait venir. La vie de la pauvre famille tait assure.IIISur une des collines qui bordent le lac, quelque distance de Gravedona, s'tend un rideau d'ifs et de cyprs. Leur sombre verdure apparat de loin parseme de taches d'une clatante blancheur. Des cippes funraires, des croix en bois ou de pierre se dressent parmi les verts rameaux. C'est le Campo-Santo (champ des morts), le lieu o vient se dnouer la chane infinie des humaines douleurs. Une flore brillante s'panouit entre les tombes et rpand dans l'air d'agrables senteurs. La lumire ruisselle, et les oiseaux chantent sur les pierres spulcrales. Qu'import en effet la nature que tant d'esprance et de joies y soient jamais ensevelies aux yeux des humains? Elle n'en poursuit pas moins le cycle de ses merveilleuses transformations.Non loin de l'entre du cimetire, une large dalle de marbre est encadre de rosiers, de jasmins, d'illets rouges, parmi lesquels bourdonnent des insectes. Un acacia la couvre de son ombre. L dorment, bercs par les chos lointains, par les murmures affaiblis de la vie, les parents de Giovanna, et c'est sa pieuse main qui entretient ces fleurs. Plusieurs fois par semaine, elle descend prier l'glise de Gravedona, et de l, suivie de sa nourrice, gagne le champ funbre o gt la dpouille des siens ; l aussi repose le corps du pre de Maurice, et celui-ci, dans son taciturne ennui, aime parcourir ces alles silencieuses, retremper son esprit dans le grand calme de la cit des morts. Un jour, les deux jeunes gens s'y rencontrrent, Giovanna, agenouille, la tte penche sur la tombe de sa mre, semblait s'entretenir voix basse avec elle ; on voyait ses lvres s'agiter. Que disait-elle la morte ? Quel mystrieux change de penses s'oprait entre ces deux mes ? Maurice ne savait, mais craignant de troubler ce recueillement, il se tenait l'cart, immobile, attentif. En se relevant, Giovanna l'aperut, et son visage s'empourpra. Mais lui, tout heureux de cette rencontre, s'approcha et la salua.

- Signorina, lui dit-il, je vois qu'un mme mobile nous conduit en ce lieu. Il est doux, n'est-ce pas, de venir rver prs de ceux qu'on a perdus, de prouver que leur souvenir est toujours grav dans notre cur ?- Oui, rpondit-elle, et dans l'accomplissement de ce devoir on puise des forces nouvelles, on s'affermit dans le bien. Chaque fois que je viens ici, j'en sors plus calme, plus soumise la volont de Dieu.

- Ressentiriez-vous aussi ce que j'prouve auprs des morts ? Ds que je m'approche de la tombe de mon pre, il me semble qu'une communication intime s'tablit entre lui et moi. Au fond de mon tre une conversation s'engage. Je crois entendre sa voix, je lui parle et il me rpond. Mais peut-tre n'est-ce l qu'une illusion vaine, un effet de notre motion ?

Elle leva vers lui ses yeux qui brillaient d'un feu profond et doux.- Non, ce n'est pas une illusion, dit-elle, moi aussi j'entends ces voix intrieures. J'ai appris depuis longtemps les comprendre. Et ce n'est pas seulement ici qu'elles se font entendre en moi, en quelque lieu que je sois, si j'appelle par la pense mes chers invisibles, ils viennent, ils me conseillent, m'encouragent, guident mes pas dans la vie, La tombe n'est pas une prison, tout au plus peut-on la considrer comme une sorte d'autel du souvenir. Ne croyez pas que les mes y soient enchanes.- Les mes des morts reviennent-elles donc sur la terre ?

- Pourriez-vous en douter ? dit la jeune fille. Comment, ceux qui nous ont aims ici-bas se dsintresseraient-ils de nous dans l'espace ! Dlivrs des liens de la matire, ne sont-ils pas plus libres, et le souvenir du pass ne les ramne-t-il pas vers nous ! Oui, certes, ils reviennent, ils s'associent, nos joies, nos douleurs. Si Dieu le permettait, nous les verrions souvent nos cts se rjouir de nos bonnes actions, s'attrister de nos fautes.- Cependant vous tes une catholique fervente, or, le catholicisme n'enseigne-t-il pas qu' la mort l'me est juge et, selon l'arrt divin, ternellement rive au lieu du chtiment ou au sjour des bienheureux,- J'adore Dieu, j'obis de mon mieux sa loi, mais cette loi est une loi d'amour et non une loi de rigueur. Dieu est trop bon et trop juste pour punir ternellement. Connaissant la faiblesse de l'homme, comment pourrait-il se montrer si svre envers lui.- Quelle sera donc, selon vous, la sanction du bien et comment s'accomplira la justice divine ?- L'me, en quittant la terre, voit se dchirer le voile matriel qui lui faisait oublier son origine, ses destins. Elle comprend alors l'ordre du monde ; elle voit le Bien rgner au-dessus de tout. Selon que sa vie a t bonne ou mauvaise, strile ou fconde, conforme ou contraire la loi du progrs, elle jouit d'une paix dlicieuse ou souffre d'un cruel remords, jusqu' ce qu'elle reprenne la tche inacheve.- Et comment cela ?- En revenant sur cette terre d'preuve et de douleur travailler son avancement, aider ses surs dans leur marche commune vers Dieu.- Vous pensez donc que l'me doit accomplir plusieurs existences ici-bas ?- Oui, je le sens, une existence ne peut suffire pour nous permettre d'atteindre la perfection ; et comment, sans cela, expliquer que les enfants de Dieu soient si dissemblables de caractre, de valeur morale, d'intelligence ?- Permettez-moi de m'tonner qu' l'ge o tant de jeunes, filles sont rieuses et folles vous soyez si srieuse, si rflchie, si claire des choses d'en haut.- C'est sans doute que j'ai vcu plus que celles dont vous parlez.- Je crois comme vous que l'existence actuelle n'est pas la premire que nous accomplissions, mais pourquoi le souvenir du pass est-il effac de notre mmoire ?- Parce que les bruits et les occupations de la vie matrielle nous dtournent de l'observation intrieure de nous-mmes. Bien des rminiscences de mes vies d'autrefois me reviennent l'esprit. Je crois que beaucoup de personnes pourraient reconstituer leurs existences passes en analysant leurs gots, leurs sentiments.- L'amiti ou la rpugnance instinctive que nous ressentons premire vue pour certaines personnes n'auraient-elles pas leur source dans cet obscur pass ?- Oui, sans doute, mais nous devons rsister ces sentiments de rpugnance. Tous les tres sont nos frres et nous leur devons notre affection.- Ainsi, cet lan irrsistible qui me portait vers vous ds le premier jour o je vous vis, cette force qui n'a fait, que crotre depuis notre rencontre chez Marta, et qui me fait vous rechercher partout, serait une preuve que nous nous sommes dj rencontrs et connus sur terreLa jeune fille sourit et se tut.- Chre demoiselle, continua Maurice d'un ton grave et mu, dois-je le dire, nos penses s'unissent en une concordance singulire. Je retrouve en vous toutes mes ides ; mais ces ides, confuses dans mon esprit, s'agrandissent et s'clairent en passant par votre bouche. La solitude et la rflexion ont fait de vous un ange de bont, de douceur ; moi, elles m'avaient aigri, rendu indiffrent aux souffrances humaines. Mais le jour o je vous ai vue l'uvre je compris o tait le bien, le devoir. Ma vie a reu une impulsion nouvelle. C'est vous que je dois cette rvlation. En vous voyant, en vous entendant, un voile s'est dchir, un monde infini de rves, d'images, d'aspirations, s'est montr mes yeux. Aussi, votre prsence est devenue un besoin pour moi, une joie profonde. Laissez-moi esprer que nous pourrons souvent nous revoir.

Un bruit de pas et de voix l'empcha de continuer, et vint propos cacher le trouble de Giovanna. Un convoi mortuaire s'approchait ; une psalmodie lugubre montait dans l'air. La jeune fille appela sa nourrice, mais avant de s'loigner, elle fit un signe amical Maurice et lui jeta ces mots : au revoir !

Le jeune homme la suivit du regard jusqu' ce que sa robe blanche et disparu l'angle de l'alle.L'tonnement qu'avait veill dans l'esprit de Maurice sa premire rencontre avec Giovanna tait all grandissant mesure qu'il apprenait mieux la connatre. Mais peu peu cette impression s'tait change en un sentiment tout autre. Aprs chacune de leurs entrevues chez Marta, il se sentait, comme il l'avait dit lui-mme, meilleur, plus port vers le bien, plus doux envers ses semblables. La puissance mystrieuse qui rayonnait autour de la jeune fille l'enveloppait, faisait fondre ce qu'il y avait de dur, de glacial en son me. Une force attractive, invincible, l'attachait elle. Une sorte d'ivresse montait son cerveau rien qu'en entendant le son de sa voix. Maurice aimait. Il aimait avec l'ardeur juvnile, avec l'enthousiasme d'un cur qui parle pour la premire fois. Chaque jour il dcouvrait en Giovanna une perfection nouvelle. Tous ceux qui la connaissaient, tous ces humbles habitants de la valle qu'elle avait secourus, ne clbraient-ils pas ses vertus ? Et comme, malgr sa douceur et sa modestie, elle se montrait suprieure toutes les jeunes filles de son ge ! Maurice avait vu de prs les demoiselles de la grande cit lombarde, il connaissait les joyeuses enfants de Corne et des rives du lac. Nulle part, il n'avait trouv son gale. Il avait vu la vanit, le dsir de briller, rgner chez la plupart d'entre elles. Sans doute, il y avait de sduisantes personnes, des jeunes filles capables de rendre un poux heureux parmi celles qu'il avait rencontres ; aucune ne possdait cette simplicit unie cet air noble et doux, ce je ne sais quoi de surhumain, cette flamme presque divine qui se refltait dans les yeux de Giovanna, lui gagnait les curs, loignait de ceux qui l'approchaient toute pense basse ou impure. N'tait ce pas une chose merveilleuse que de l'entendre, dix-huit ans, parler avec tant de conviction des grandes lois ignores de l'homme, percer les sombres mystres de la vie et de la mort, rconforter les indcis, montrer tous le devoir. Voil ce que se disait Maurice aprs l'entrevue du cimetire, et l'image de Giovanna remplissait son esprit. Il repassait dans sa mmoire tous les incidents qui l'avaient rapproch d'elle. Il la revoyait telle qu'elle lui tait apparue un jour de fte, dans l'glise de Gravedona, abme dans sa prire tandis qu'autour d'elle tout tait bruit, mouvement de chaises remues, froissement d'toffes sur les dalles. Et de tout cela : souvenirs, penses, secrtes esprances, se dgageait un rve dlicieux, rve d'amour et de bonheur, qu'il caressait silencieusement au fond de son me.IV

Maurice, dans ses courses vagabondes, avait rencontr plusieurs fois Luisa, la vieille nourrice. Ayant su obtenir son amiti, il acquit d'elle la certitude qu'il serait bien accueilli la villa Speranzi, et s'y rendit un jour. Celui qui, rencontrant l'avocat misanthrope, aurait pu lire en lui, et t bien surpris de l'motion qu'il ressentait. La dmarche qu'il tentait n'allait-elle pas dtruire ou raliser ses esprances ? Il fut fort bien reu par la tante de Giovanna qui, affaiblie par l'ge et la maladie sentait le moment venu de donner un soutien naturel, un poux sa nice. Elle autorisa Maurice renouveler ses visites, ce qu'il fit frquemment. Alors commencrent pour les jeunes gens ces entretiens prolongs, ces causeries sur la terrasse dominant le lac, durant lesquels leurs mes s'panchaient en mutuelles confidences. Maurice racontait sa vie, sa triste vie d'enfant priv de mre, puis les dceptions, les dcouragements de sa jeunesse. Il ouvrait, comme en le dchirant, son cur Giovanna. Elle le consolait, lui confiait ses rves, ses rves aussi candides, aussi purs que ceux d'un ange. Et ces deux tres, se rapprochant de plus en plus., apprenaient s'aimer davantage, mille liens secrets se formaient, les enlaant, les unissant dans d'troites et puissantes mailles.

Le jour o, selon les usages de la haute Italie, les fianailles devaient tre clbres, fut bientt fix, et tout fut prpar pour cette fte intime, laquelle deux ou trois vieux amis devaient prendre part. La veille de ce jour, Maurice monta de bonne heure la villa. Aprs le repas du soir, les deux jeunes gens gagnrent la terrasse, d'o leurs regards pouvaient s'tendre sur un magique horizon. Ils s'assirent en silence sous un bosquet d'orangers. Luisa se tenait un peu l'cart.

La nuit s'avanait lentement ; elle tendait sur le lac son voile bleutre elle rpandait une teinte uniforme sur les champs d'oliviers, les vignes, les bois de chtaigniers, sur les villes et les villages. Tandis que l'ombre s'paississait dans les valles, les sommets des collines, rougis par la pourpre du couchant, semblaient autant de foyers d'incendie. La nuit montait peu peu ; ses sombres tranes s'tendirent sur les crtes ; deslumires innombrables tincelrent, aux fentres des villas et des chaumires. Les tnbres enveloppaient entirement le lac et son cadre de montagnes, mais vers le Nord les feux du jour mourant coloraient encore de teintes fantastiques les colosses des Alpes. Comme une arme de gants rangs en bataille, la Bernina, la Sella, le Monte-d'Oro, la Disgrazia, vingt autres pics dressaient vers le ciel leurs cimes orgueilleuses, couronnes de neige, sur lesquelles le soleil, avant de disparatre l'occident, lanait ses rayons briss.En vain, la nuit cherchait les treindre, ils luttaient avec elle. Mais son voile passa enfin sur ces fronts superbes. Les dernires lueurs s'teignirent. La nuit triomphait ; seule, elle allait rgner jusqu' l'aurore.A ce moment, un concert argentin s'leva dans les airs. Dans tous les villages, les cloches tintaient. C'tait l'anglus, la prire du soir, le signal qui veille chez tous, chez le pcheur du lac, chez le bcheron de la fort, chez le ptre de la montagne, la pense de Dieu. Giovanna et Maurice, songeurs, recueillis, observaient ce majestueux spectacle ; ils coutaient le son mlancolique des cloches, ils suivaient du regard les belles toiles d'or, mergeant des profondeurs du ciel pour monter lentement, en lgions serres, vers le znith. La posie de cette nuit remplissait leurs mes ; leurs bouches taient muettes, mais leurs curs se confondaient dans un ravissement profond. Maurice rompit le premier le silence.

- Giovanna, dit-il, pensez-vous quelquefois ces sphres lumineuses qui se meuvent dans l'espace ? Vous tes-vous demand si elles sont, comme notre terre, des mondes de souffrance, habits par des tres matrielles et arrirs, ou si des mes plus parfaites y vivent dans l'amour, la flicit ?

- Bien des fois, rpondit-elle, j'ai visit ces mondes. Des protecteurs, des amis invisibles, m'entranent presque toutes les nuits vers ces rgions clestes. A peine ai-je form les yeux, qu'un groupe d'esprits, aux longues robes flottantes, au front brillant, m'entoure ; ils m'appellent. Je vois ma propre me qui, semblable eux, se dgage de mon corps et les suit. Rapide comme la pense, nous traversons des espaces immenses, peupls d'une foule d'esprits ; partout des ocans de vie droulent leurs perspectives sans bornes. Partout retentissent des chants harmonieux, d'une suavit inconnue la terre. Nous parcourons ces archipels stellaires, ces sphres lointaines, bien diffrentes de notre globe. Au lieu d'une matire compacte et lourde, beaucoup d'entre elles sont formes de fluides lgers, aux brillantes couleurs. Tandis que les htes de la terre se tranent pniblement la surface de leur plante, les habitants de ces mondes, aux corps subtils, ariens, s'lvent facilement, planent dans l'espace environnant. Ils agissent sur ces fluides lgers et colors qui composent le noyau de leurs sphres ; ils leur donnent mille formes, mille aspects divers.

Ce sont des palais admirables, aux colonnes blouissantes, aux innombrables portiques, des temples aux dmes gigantesques, orns de statues, de pilastres de gaz, et dont les murailles transparentes laissent passer le regard. De toutes parts se dressent des constructions prodigieuses, asiles de la science et des arts, bibliothques, muses, coles monstres, toujours envahis par les foules. L'enseignement y est donn sous la forme de tableaux lumineux et changeants. Le langage est une sorte de musique.

- Quels sont les besoins corporels des habitants de ces mondes ?

- Ils sont presque nuls. Ils ne connaissent ni le froid, ni la faim, presque pas la fatigue. Leur existence est bien simplifie. Ils l'emploient s'instruire, tudier l'univers, ses lois physiques et morales. Ils rendent Dieu un culte magnifique, et dploient en son honneur les splendeurs d'un art inconnu ici-bas. Mais la pratique des vertus est surtout leur objectif. La misre, les maladies, les passions, la guerre, sont presque ignores sur ces mondes. Ce sont des sjours de paix, de bonheur, dont on ne saurait se faire aucune ide sur notre globe de fer et de larmes.

- Est-ce donc l que se rendent les hommes vertueux en quittant la terre ?- Il y a bien des degrs franchir avant d'obtenir l'entre, de ces mondes. Ce sont les derniers chelons de la vie matrielle, et les tres qui les peuplent, diaphanes et lgers pour nous, sont encore grossiers et lourds compars aux purs Esprits. Quant notre terre, elle n'est qu'un monde infrieur. C'est aprs y avoir vcu un nombre d'existences suffisant pour parfaire son ducation et son avancement moral, que l'Esprit la quitte pour aborder des sphres de plus en plus leves, et revtir un corps moins matriel, moins assujetti aux maux, aux besoins de toute sorte. Aprs un nombre incalculable de vies, toujours plus longues en mme temps que plus douces, grandissant en science et en sagesse, s'clairent, progressant sans cesse, l'me abandonne enfin les demeures corporelles et va poursuivre dans l'infini le cours de son ternelle ascension. Ses facults s'largissent, une source intarissable de charit, d'amour coule en elle ; elle comprend les lois suprieures, elle connat l'univers, elle entrevoit Dieu. Mais hlas ! Qu'elles sont loin de nous ces batitudes, ces joies ineffables ! Il faut nous lever nous-mmes vers ces hauteurs sublimes ; Dieu nous en a donn les moyens. Il a voulu que nous soyons les artisans de notre bonheur. La loi du progrs n'est-elle pas crite dans notre conscience ? Ne reculons donc pas devant les luttes, les sacrifices, devant tout ce qui purifie, lve, ennoblit. Oh ! Si les hommes voulaient savoir ! S'ils daignaient chercher le vritable but de la vie ! Quels horizons s'ouvriraient devant eux ! Comme les biens matriels, ces biens phmres, leur paratraient misrables, comme ils les rejetteraient pour s'attacher au bien moral, la vertu, que la mort ne saurait nous enlever et qui, seule, nous ouvre l'accs des rgions bienheureuses.Ainsi s'coulaient les heures. Maurice s'enivrait des paroles de la jeune fille, car ces paroles lui enseignaient des choses que ses livres lui avaient toujours laiss ignorer. C'tait pour lui comme un langage sraphique lui rvlant les mystres d'outre-tombe, et en effet Giovanna, mdium inspir, tait, son insu, l'cho d'une voix surhumaine qui retentissait dans les profondeurs de son tre.

Presque chaque jour, ils allaient ainsi, devisant travers les bosquets parfums, rchauffs des rayons du soleil d'Italie, caresss du vent, sous le bleu profond du ciel. Quelquefois, ils montaient en barque avec Luisa et se laissaient glisser doucement au gr des courants du lac. Peu peu les bruits affaiblis de la rive venaient mourir autour d'eux. Bien haut, dans l'air limpide, de grands oiseaux de proie volaient en tournoyant ; des poissons d'argent se jouaient dans l'eau transparente. Tout alors les invitait la rverie, aux doux panchements du cur. Mais, ramene par une force occulte vers de graves sujets, Giovanna parlait de prfrence de la vie future, des lois divines, des progrs infinis de l'me, de son puration par l'preuve et la souffrance.- La douleur, disait-elle, si redoute, si mconnue ici-bas, est en ralit l'enseignement par, excellence, la grande cole o s'apprennent les vrits ternelles. Elle seule habitue l'tre se dtacher des biens purils, des choses terrestres, en mesurer le nant. Sans les preuves, l'orgueil et l'gosme, ces flaux de l'me, n'auraient aucun frein. C'est leur rle d'assouplir les Esprits rebelles, de les contraindre la patience, l'obissance, la soumission. La souffrance est le grand creuset de purification. Comme le grain du crible, toujours on en sort meilleur. Il faut avoir souffert pour compatir aux souffrances des autres. L'affliction nous rend plus sensibles, nous inspire plus de piti pour les malheureux. Si les hommes taient clairs, ils bniraient la douleur comme le plus puissant agent de progrs, d'agrandissement, d'lvation. Par elle, la raison se fortifie, le jugement s'affermit, les infirmits du cur disparaissent. Plus haut que les biens terrestres, plus haut que le plaisir, plus haut que la gloire, elle montre l'me afflige, la grande figure du devoir se dressant, imposante, auguste, illumine des clarts du foyer qui ne s'teint pas.Ces rvlations, cette voix enchanteresse, ces accents loquents, inspirs, remplissaient Maurice d'tonnement et d'admiration.- O Giovanna, disait-il, parlez encore, parlez toujours, cher et vivant cho de mes esprances, de ma foi, de ma passion pour le juste et le vrai. Parlez ! Je suis si heureux de vous entendre, de vous contempler. Et cependant, je me surprends parfois craindre que notre bonheur ne s'vanouisse tout coup. Notre flicit n'a rien d'humain., Il me semble que le vent pre de la vie va souffler sur notre rve d'amour une voix secrte me dit qu'un danger nous menace.En vain la jeune fille cherchait chasser ces craintes. L'approche d'vnements douloureux nous remplit d'une apprhension vague. L'me pressent-elle l'avenir ? C'est l un problme suspendu au-dessus de notre intelligence et que nous ne saurions rsoudre.Ainsi que l'avait dit Giovanna, qui peut compter sur le lendemain ici-bas ?Joies, richesses, honneurs, amours folles, affections austres, tout passe, tout fuit entre les mains de l'homme comme un sable subtil. Les heures amres et dsoles de la vie peuvent toucher de prs aux heures de bonheur et de paix ; mais il est rare, quand les premires s'approchent que nous ne soyons pas frapps par un sombre pronostic. Ainsi tait Maurice. Cet entretien sur la douleur, pensait-il, n'tait-ce pas un prsage, comme un avertissement d'en haut ? Une oppression pnible lui serrait le cur quand il se spara de Giovanna.La nuit s'coula longue et sans sommeil. Mais les premires clarts de l'aube chassrent ces impressions et quand, revenu prs de sa bien-aime, il la vit, pleine de grce, d'enjouement, de vie, pare pour les fianailles, ses dernires craintes s'vanouirent comme un brouillard matinal sous les rayons du soleil d'aot.V

Giovanna et Maurice avaient chang les anneaux bnits par le prtre ; l'poque de leur union tait fixe. Tout entiers leur bonheur, les jours passaient pour eux rapides. Ils ignoraient qu'un pouvantable flau s'avanait, que ses ravages avaient dpeupl les plaines lombardes et que l'air pur des montagnes serait impuissant l'arrter. Que leur importait en effet les nouvelles du dehors, les bruits du monde. Le monde pour eux se rsumait en un seul tre, l'tre aim ! Leur pense, ne hantait plus que des rgions supraterrestres.Ils ne songeaient qu' leur amour, la vie qui s'ouvrait devant eux si belle, si riche de promesses. Mais la volont suprme allait renverser toutes ces esprances. Aprs avoir entrevu une flicit idale, Maurice devait retomber la sombre et dsesprante ralit.Un violent typhus s'abattit sur les rives du lac et Gravedona, la valle de Domaso, furent successivement atteints. Quelques jours s'taient peine couls et dj bien des demeures taient vides. La fume bleutre ne s'levait plus au-dessus des toits. Le silence, ce silence farouche de la mort ou de la peur remplaait le bruit du travail et des chansons ; de grandes croix blanches apparaissaient sur les portes des chaumires dsertes. La faulx de la Mort moissonna bien des existences parmi ces familles de pcheurs et d'artisans, mal vtues, mal nourries, d'une propret douteuse et qui offraient une proie facile au flau. Tout le jour la cloche de l'glise tintait le glas funbre et de nombreux cortges s'acheminaient vers le campo-santo.L'pidmie n'pargna pas les Menoni. Marta fut frappe la premire, puis sa fille tomba malade son tour. Toutes les familles, toutes les demeures atteintes par le flau furent abandonnes. Les mdecins taient peu nombreux. Nul soin attendre des parents, des amis, L'isolement, la souffrance et la mort, voil ce que pouvaient esprer ceux que la contagion saisissait. Les plaintes qui retentissaient de toutes parts, la dsolation gnrale arrachrent Giovanna sa quitude, son bonheur, La voix imprieuse du devoir s'leva en elle et domina la voix de l'amour. Ddaigneuse du danger, sourde aux supplications de Maurice, elle partagea dsormais son temps entre les malheureux abandonns. Son fianc, ne pouvant la dtourner du pril, imita son exemple. Giovanna passa un mois entier au chevet des moribonds ; plusieurs expirrent sous ses yeux. Marta et sa fille moururent malgr ses soins. Jusqu' leurs derniers moments elle les assista, supportant avec un calme apparent le spectacle de leurs convulsions, respirant le souffle empoisonn qui s'exhalait de leurs lvres. Tant de fatigues, d'motions accablaient la jeune fille. Un soir qu'extnue elle regagnait la villa avec Maurice, elle serait tombe dfaillante sur le chemin si son fianc ne l'et reue dans ses bras.Elle dut s'aliter en rentrant, et d'effrayants symptmes se manifestrent aussitt. Un cercle de feu serrait ses tempes ; des bourdonnements insolites btissaient dans ses oreilles ; les frissons la gagnrent, une teinte bistre s'tendit autour de ses yeux. Le mal faisait de rapides progrs ; la vie de Giovanna fondait comme une cire molle sous le souffle du flau. Ds le lendemain, l'ombre de la mort flottait sur ses traits. Maurice, ple, dsespr, se tenait tout prs d'elle, pressant ses mains glaces. Approchant ses lvres de sa bouche dcolore, il demandait Dieu de lui faire aspirer la mort dans un baiser.Giovanna rpondait doucement son treinte. Ses yeux, brillant dj des lueurs de l'au-del, s'attachaient sur lui avec une expression de calme, de douceur sereine. Mme ce moment solennel, malgr la souffrance qui brisait ses membres, un sourire rsign clairait son visage. Vers le soir, l'agonie commena. Giovanna s'agitait convulsivement, se dbattant sous une oppression douloureuse, implorant Dieu avec cris. A ces crises affreuses succda un abattement profond, une immobilit semblable la mort. Seules, les lvres de la jeune fille remuaient. Elle semblait s'entretenir avec des tres invisibles. Parfois aussi, on l'entendait murmurer le nom de Maurice. Un lger serrement de main, un dernier tressaillement et Giovanna expira. L'me de cet ange retournait vers Celui qui l'avait cre.Maurice, cras par la douleur, tait comme un homme ivre. Ses larmes, ne pouvant jaillir, retombaient sur son cur et le noyaient dans les flots d'un farouche dsespoir. La nuit venue, on plaa des cierges allums prs du lit; un crucifix reposait sur la poitrine de la morte dont les blonds cheveux pars formaient une couronne d'or autour de sa tte plie. Des sanglots demi comprims s'levrent des coins de la salle. La tante, la vieille nourrice de Giovanna, quelques pauvres gens qui la morte avait t secourable, priaient et pleuraient. Maurice s'approcha de la fentre toute grande ouverte. Ironie de la nature ! Le disque clatant de la lune clairait plaines et monts ; des senteurs balsamiques flottaient dans l'air ; le torrent, en courant sur les pierres, faisait entendre son joyeux murmure auquel rpondait le rossignol suspendu sur les hautes branches. Au sein de la nuit tide et parfume, tout tait lumire et chants, tout clbrait le bonheur de vivre, et l, sur sa virginale couche, la douce enfant dormait dj de l'ternel sommeil. Ainsi pensait Maurice ; mille ides sombres, tumultueuses, grondaient dans son cerveau comme, un vent d'orage.Quel est donc le Dieu cruel qui se joue ainsi de notre cur ! Lui avoir montr le bonheur, l lui avoir fait toucher pour le lui drober aussitt. Quoi, ces rves dors, ces rves forms deux taient jamais vanouis ! Ce cadavre qui gisait, l, c'tait tout ce qui restait de Giovanna ?Il ne la verrait plus, il n'entendrait plus sa voix, il ne verrait plus dans ses yeux ces clairs de tendresse qui l'enivraient, qui le rchauffaient dlicieusement. Encore quelques heures et il n'y aurait plus rien d'elle, rien qu'un souvenir, souvenir dchirant, pntrant comme un glaive dans l'me ulcre. Plus de courses, deux dans la valle, plus de promenades sur le lac, l'clatante lumire du jour, plus de causeries sur la terrasse la suave clart des nuits. Il tait triste, accabl, lorsqu'il l'avait connue ; comme un rayon son regard avait clair sa vie, et voil que soudain tout s'teignait. C'tait fini maintenant ; sa vie tait close, plus de rves joyeux, plus d'esprance, le vide, la solitude affreuse, les tnbres se reformaient autour de lui. Comme, son cur battait coups prcipits dans sa poitrine, comme sa tte brlait ! Un poids crasant faisait courber son front, ployer ses genoux. Et il appelait la mort, il la dsirait ardemment. Viens, disait-il, emmne-moi avec elle, enveloppe-nous dans le mme suaire, couche-nous dans la mme fosse ; que la mme pierre nous recouvre ! Mais non, elle tait morte et il lui fallait vivre. Quel abme s'ouvrait sous ses pas ! Et la rvolte clatait dans cette me contre, implacable destin.Evoquant les souvenirs de sa vie, depuis ses tristes annes d'enfance, Maurice voyait passer comme, dans un tourbillon les illusions dissipes, les joies si courtes, si vite vanouies, les flicits phmres de sa jeunesse. Toutes les ombres, tous les soucis du pass, montaient comme un flot amer du fond de sa mmoire, submergeant en lui les derniers espoirs. A leur place, une profonde sensation d'isolement, d'abandon demeurait. Tous ceux qu'il avait aims taient partis. Sa mre, morte alors qu'il n'tait qu'un enfant, puis son pre et maintenant c'tait Giovanna. Tout ce qui avait gay son existence, tout ce qui' avait fait battre son cur allait se rsumer en trois, spulcres. Oh ! murmurait-il, tre invisible qui te ris de, nos larmes, ne nous as-tu donc, fait vivre que pour nous torturer ? Je ne demandais cependant pas natre. Pourquoi m'as-tu tir du nant, l o l'on dort, l o l'on se repose, o l'on ne souffre pas ! L'aube vint clairer de ses ples lueurs la triste mise en scne de la mort, Giovanna dpose au cercueil, l'arrive du prtre, le dpart pour le cimetire. Semblable un automate, Maurice suivit la bire, couverte de bouquets de ross blanches, porte par des jeunes filles de Gravedona. Abm dans sa douleur, il ne vit rien du crmonial funbre de l'glise, il n'entendit point les psalmodies lugubres. Le bruit sourd de la terre tombant sur les planches du cercueil le rappela enfin lui.Les assistants loigns, la fosse comble, il se trouva seul devant la spulture de sa fiance. Alors son cur se dchira ; il se jeta surie sol, tendant ses bras au-dessus de la morte; un sanglot souleva sa poitrine et un ruisseau de larmes coula de ses yeux.

VI

L'hiver est venu ; d'pais nuages fuient dans le ciel ; le vent passe en mugissant sur les collines dpouilles et fait tourbillonner des amas de feuilles mortes. Maurice, seul, vtu de deuil, est assis prs d'un feu qui ptille dans sa petite chambre dominant le lac. Un livre est ouvert devant lui ; mais il ne lit pas ; de sombres penses l'assigent. Il songe celle qui repose l-bas, sous la terre glace, il prte l'oreille aux gmissements de la bise qui pleure comme une lgion d'mes en peine. Parfois il se lve et va regarder derrire la vitre, la nappe grise des eaux, l'horizon dont les teintes plombes s'harmonisent avec l'tat de son esprit ; puis saisissant un coffret de bois sculpt, il l'ouvre et en retire des fleurs dessches, un nud de rubans, des bijoux de femme. Il presse sur ses lvres ces reliques d'amour ; le pass voqu se rveille, dans sa mmoire. Et les heures succdent aux heures. Maurice reste l, demi pench sur ce feu qui brle dans l'atmosphre humide. Il songe au bonheur enfui, aux esprances vanouies. Le dcouragement l'a ressaisi le dgot de la vie, ce dgot amer d'autrefois, l'envahit de nouveau ; des ides de suicide germent au fond de sa pense.La nuit se fait et le feu va s'teindre, mais Maurice se complat dans cette obscurit de plus en plus paisse. Un frlement se fait entendre derrire lui. Il se retourne et ne voit rien. C'est sans doute le bruit du vent ou les pas de la servante, dans la chambre voisine. Prs de la chemine est un piano dont les touches sont muettes depuis longtemps. Tout coup des sons s'lvent de ce meuble hermtiquement ferm. Confondu de surprise, Maurice prte l'oreille. Cet air bien connu, c'est la romance de Mignon, la romance prfre de Giovanna, et qu'elle aimait jouer le soir aprs le repas. Le cur de Maurice se serre ; des larmes mouillent ses yeux. Il se lve, fait le tour du piano : personne ! le tabouret est vide. II revient vers sa place. Est-ce une illusion des sons, une ombre blanche occupe le fauteuil qu'il vient de quitter. Tremblant, il s'approche. Ces yeux, ce regard limpide, ces cheveux blonds comme des pis mrs, cette bouche souriante, cette taille svelte, lance, c'est l'image de Giovanna. 0 magie, la tombe rend-elle donc ses htes ! Une voix vient caresser ses oreilles : Ami, ne crains rien, c'est bien moi ne cherche pas me saisir, je ne suis qu'un Esprit. Ne t'approche pas davantage coute-moi. Maurice s'agenouille ; il pleure 0 mon ange, ma fiance, est-ce donc toi ? - Oui, je suis ta fiance, fiance avec toi bien avant cette vie. Ecoute, un lien ternel nous unit.Nous nous connaissons depuis des sicles, nous avons vcu cte cte sur bien des rives, parcouru, ensemble bien des existences. La premire fois que je t'ai rencontr sur terre, j'tais bien faible, bien timide, et la vie tait dure alors. Tu m'as prise par la main, tu m'as servi d'appui ; de ce moment, nous ne nous sommes jamais quitts. Toujours nous nous suivions dans nos vies matrielles, marchant dans le mme chemin, nous aimant, nous soutenant l'un l'autre. Occup de combats, d'entreprises guerrires, tu ne pouvais raliser les progrs ncessaires pour que ton esprit libre, purifi, pt quitter ce monde grossier. Dieu voulut t'prouver ; il nous spara. Je pouvais monter vers d'autres sphres, plus heureuses, tandis que tu devais poursuivre seul ton preuve ici-bas. Mais je prfrai t'attendre dans l'espace. Tu as accompli deux existences depuis lors, et durant leur cours, tmoin invisible de tes penses, je n'ai cess de veiller sur toi. Chaque fois que la mort arrachait ton me la matire, tu me retrouvais et le dsir de t'lever te faisait prendre avec plus d'ardeur la fardeau de l'incarnation. Cette fois j'ai tant pri, j'ai tant suppli le Seigneur qu'il m'a permis de revenir sur terre, d'y prendre un corps, une voix pour t'enseigner le bien, la vrit. Nos amis de l'espace nous ont rapprochs, runis, mais pour un temps limit. Je ne pouvais rester plus longtemps sur terre, ma tche tant remplie. Je ne devais pas tre toi ici-bas. L'heure est venue o les Esprits peuvent, selon la permission divine, communiquer avec les humains. Aussi je reviens, pour te guider, t'encourager, te consoler. Si tu veux que cette existence terrestre soit la dernire pour toi ; si tu veux qu' son issue nous soyons runis pour ne plus nous sparer, consacre ta vie tes frres, enseigne-leur la vrit. Dis-leur que le but de l'existence n'est pas d'acqurir des biens phmres, mais d'clairer son intelligence, de purifier son cur, de s'lever vers Dieu. Rvle-leur les grandes des lois de l'Univers, l'ascension des Esprits vers la perfection. Enseigne-leur les voies multiples et solidaires, les mondes innombrables, les humanits surs. Montre-leur l'harmonie morale qui rgit l'infini. Laisse derrire toi les ombres de la matire, les passions mauvaises ; donne tous l'exemple du sacrifice, du travail, de la vertu. Aie confiance en la divine justice. Regarde en avant la lumire lointaine, qui claire le but, le but suprme qui doit nous runir dans l'amour, la flicit. Sans tarder mets-toi l'uvre ; nous te soutiendrons, nous t'inspirerons. Je serai prs de toi dans la lutte, je t'envelopperai d'un fluide bienfaisant. Ainsi que ce soir, je me rendrai visible tes yeux, je te rvlerai ce que tu ignores encore. Et un jour, quand tout ce qu'il y a en toi de terrestre et de bas se sera vanoui, unis, confondus, nous nous lverons ensemble vers l'Eternel en joignant nos voix l'hymne universel qui monte de sphre en sphre jusqu' Lui. J'ai rencontr Maurice Ferrand, il y a quelques annes, dans une grande ville, au-del des Alpes. Il avait commenc son uvre. Par la plume, par la parole, il travaillait rpandre cette doctrine connue sous le nom de Spiritisme. Les sarcasmes et les railleries pleuvaient sur lui de toutes parts. Sceptiques, dvots, indiffrents, tous s'unissaient pour l'accabler. Mais lui, calme, rsign, n'en poursuivait pas moins sa tche. Que m'importe, me disait-il, le ddain de ces hommes. Un jour viendra, l'preuve aidant, o ils comprendront que cette vie n'est pas tout et ils songeront Dieu, leur avenir sans fin. Alors peut-tre se souviendront-ils de ce que je leur dis. La semence jete en eux pourra germer. Et, d'ailleurs, ajouta-t-il, en regardant l'espace - et une larme brilla dans ses yeux - ce que je fais, c'est pour obir ceux qui m'aiment, c'est pour me rapprocher d'eux !

LEON DENISLAPTRE DU SPIRITISMESA VIE, SON UVRESynthse du livre de Gaston LUCEpar Lucette DAMICO

Lon DENIS est n le premier janvier 1846 FOUG, localit de larrondissement de TOUL. Son pre, Joseph DENIS, tait maon. Sa mre, Anne-Lucie LIOUVILLE, de souche paysanne, tait ne MENIL LA HORGNE, commune de GONDREVILLE. Les noces eurent lieu FOUG le 3 avril 1845.

A lge de neuf ans, il vient se fixer STRASBOURG avec sa famille. Cest donc STRASBOURG, au cours priv de Monsieur HAAS, que le petit Lon fait ses dbuts dcolier.

Nouveau dmnagement BORDEAUX, o Lon doit interrompre ses tudes pour aider son pre. En 1857, celui-ci obtient un poste de chef de station de MORCENX dans les LANDES et Lon reprend le chemin de lcole.

Son nouveau matre, disciple de Jean Jacques ROUSSEAU, instruit son lve en lemmenant en promenade : celui-ci devait garder toute sa vie un souvenir mu de ce contact direct avec les choses.

Nouveau dmnagement MOUX. Lon supple aux manquements paternels, laissant les chers livres quil affectionne. Il soccupera des tlgrammes et de la comptabilit.

En 1862, la famille sinstalle TOURS. Lon travaille dans une faencerie ; il passe dans une autre maison de commerce o il travaille aux critures. Menant de front sa tche du jour et ses tudes, notre Lon na de loisirs que pour la plus austre des matresses, celle qui veille sous la lampe devant les pages des livres. Le problme que dordinaire lhomme ne se pose que dans les heures daffliction ou de maladie grave et quil sempresse doublier ds que le destin lui sourit, Lon en saisit limportance capitale. Lhomme se rue au plaisir, senivre de sensualit pour chapper lide de la mort sans arriver jamais lluder.

Quest-ce que la sagesse ? Cest apprendre mourir, dit PLATON.

Quest-ce que la vie ? Cest une mditation de la mort, dit SENEQUE.

Ainsi le jeune tudiant aborde de front lnigme o tant de hautes spculations se sont heurtes.

Au cours de sa dix-huitime anne, le hasard qui fait bien les choses dsigne un jour son intention un ouvrage au titre inusit, troublant. Cest LE LIVRE DES ESPRITS dAllan KARDEC.

Rencontre providentielle.

Aprs avoir men quelques expriences avec des amis, il commence chercher des preuves, des faits prcis. Ceux-ci sont loin de le satisfaire, et il aurait renonc sil navait t soutenu par une thorie solide et des principes levs. Et il ajoute ces mots quapprcieront les vrais spirites :

Il semble en effet, que linvisible veuille nous prouver, mesurer notre degr de persvrance, exiger une certaine maturit desprit avant de nous livrer ses secrets.

Lon DENIS en est l de ses travaux et recherches lorsquun vnement important se produit dans sa vie. Allan KARDEC tait venu passer quelques jours chez des amis, et tous les spirites tourangeaux avaient t convis venir le saluer. Ctait en 1867. Il devait le revoir deux fois encore, en son logement rue Sainte Anne PARIS, puis BONNEVAL.

Cest aprs le passage du Matre que sera fond, TOURS, le groupe de LA RUE DU CYGNE, dont il deviendra secrtaire.

Jappris par l, combien il est dangereux de se livrer lexprimentation spirite sans prparation, sans protection efficace et ces exemples me rendirent circonspect.

Lon DENIS a 24 ans en 1870, cest alors la guerre. Dabord exempt du service cause de sa mauvaise vue, il doit quand mme rejoindre les rservistes auxquels le pays fait appel aprs des combats dsastreux. Il rejoint alors la ROCHELLE le 26me corps darme. De suite, il est nomm sergent au 1er bataillon et dira :

Dans lespace de six mois, je devins successivement sous-officier, major, sous-lieutenant et je serais encore mont en grade si la paix ntait survenue.

Un sergent de sa compagnie tant mdium, en fvrier 1871 il convie celui-ci et quelques camarades venir exprimenter. Le 24 du mois le groupe reoit la communication suivante :

LAllemagne et la France attendent avec anxit le rsultat des ngociations, elles attendent lheure tant espre de la paix o toutes les familles connatront ceux qui manquent lappel du cur dune mre ou dun frre. Ceux-ci maudiront, dans les deux nations, les tyrans qui leur ont enlev leur soutien et leur seul espoir. Alors vous de profiter de ces choses pour clairer vos frres. Faites leur voir la grandeur de Dieu. Priez, consolez la souffrance. En un mot, faites le bien.

Le 28, un message sur les mondes clestes se termine par cette phrase prophtique qui a mis un demi sicle se raliser :

Mes amis, un fait solennel saccomplit en ce moment selon le dsir des hommes. Cest la paix qui vient dtre signe et dans quelques jours vos familles vous tendront les bras. Avant peu dannes, la Prusse son tour sera anantie, humilie. Priez, priez.

Servi par un don naturel pour llocution, il sentrane la parole ; orateur cout de la Loge Maonnique des Dmophiles, il y effectue un travail considrable.

Le groupe de LA RUE DU CYGNE TOURS sest renforc dune recrue notoire : le Capitaine HARMANT. Les sances reprennent avec un nouvel entrain chez le Docteur AGUZOLY. A son contact, Lon DENIS, qui tait dj mdium crivain, devient voyant. Il reconstitue ltat de veille des scnes impressionnantes de lhistoire mdivale et de lhistoire ancienne.

SORELLA est le bon gnie. DURAND, lEsprit contrle .

Les belles sances de LA RUE DU CYGNE devaient continuer chaque semaine jusquen 1877. Dans la nuit du 31 dcembre au 1er janvier 1873, une assemble nombreuse desprits emplit tout coup la salle dont les murs et le plafond se couvrent dtincelles fluidiques.

Cest le 19 fvrier 1873 que Lon subit ses premiers examens devant cinq matres spirites. Assist par SORELLA, il lit son deuxime discours. Tout est bien, lui dit-on, part quelques points de dtails. Les progrs accomplis sont sensibles et justifient les espoirs que lon a mis en toi.

Le 17 mars, il parle du matrialisme en sance prive devant les Dmophiles ; son prcdent discours traitait du patriotisme, le troisime sera une apologie du spiritisme.

Malheureusement, avec le temps ses ides spiritualistes ne seront plus suivies.

Autour de Lon DENIS, cest partout, jusque dans sa famille, lincomprhension, lhostilit mme. Lui-mme voit de plus en plus difficilement et sa sant saffaiblit. Heureusement, lange consolateur lui verse le baume dont il a tant besoin et lencourage. Son fidle guide, son tour, lui apportera son secours moral : On narrive la foi pleine et entire, dira-t-il, que par une lente et douloureuse initiation.

Le 31 juillet 1873, une rvlation lui est faite. Dans ses vies antrieures, il pntre le secret qui doit illuminer toute sa destine : il retrouve dans SORELLA une incarnation de Jeanne DARC laquelle il consacrera une majeure partie de sa vie et de son oeuvre.

Le 20 aot de la mme anne, Lon DENIS et ses amis, AGUZOLY et le Capitaine HARMANT, apprennent dans quelles circonstances se fit jadis leur premire rencontre, lissue dun combat naval sous Louis XIV.

A partir de 1876, Lon DENIS va beaucoup voyager.

Il effectue de multiples voyages pour affaires commerciales, ce qui lui permet de rencontrer comme il lavait toujours dsir dautres paysages, dautres hommes, dautres moeurs. Cest pied, bton la main tel un plerin quil traverse la France ; il visite aussi la KABYLIE, la TUNISIE, la SARDAIGNE, la CORSE, lITALIE.

Il publiera dintressants rcits tirs de ses voyages.

Ses premires publications datent de 1880 : dabord TUNIS ET LILE DE SARDAIGNE, puis deux nouvelles : LE MEDECIN DE CATANE et GIOVANNA.

Lopuscule LE PROGRES publie, sous les auspices de la ligue de lenseignement, le texte dune de ses premires confrences ; cette thse, Loi de solidarit qui relie tous les temps et toutes les races, demande tre claire.

Le 31 mars 1881, on lui demande de prononcer lhommage traditionnel sur la tombe DAllan KARDEC au cimetire du Pre Lachaise.

Le 2 novembre 1882, jour des morts, un vnement capital se produit dans sa vie. Celui qui devait tre son guide pendant un demi sicle, son pre spirituel Jrme De PRAGUE, se communique lui pour la premire fois dans un faubourg du MANS, o Lon se trouve de passage. Au mois de mars suivant, Jrme lassure dune assistance qui ne devait pas se dmentir un seul jour :

Va, mon fils, dans le sentier ouvert devant toi, je marche derrire toi pour te soutenir.

En dcembre 1882 il prend part aux travaux du congrs charg denregistrer la fondation de la socit des tudes spirites.

Le Docteur JOSSET prside la runion, assist de Messieurs CHAIGNEAU et DELANNE pre, comme secrtaires ; Monsieur LEYMARIE en est lanimateur.

Le Docteur JOSSET souligne combien la prsence de Lon DENIS est prcieuse en un tel jour o devait saffirmer la solidarit des spirites provinciaux et parisiens : ce que nous pouvons rendre, en crivant, dit le compte-rendu de la sance, cest la chaleur, linspiration, la majest du langage de lminent confrencier.

Les dirigeants, on le devine, dsirent sattacher un orateur de cette envergure.

En novembre 1883, il est au groupe rgional du MANS pour la fte des morts. A ROCHEFORT, le 14, il parle des existences progressives des tres . Les confrences se poursuivent, COGNAC le 16, puis AGEN.

En 1885, dans LE POURQUOI DE LA VIE, il dit :

Cest vous, mes frres et soeurs en humanit, vous tous que le fardeau de la vie a courbs, vous que les pres luttes, les soucis, les preuves ont accabls que je ddie ces pages.

La brochure remporte un grand succs.

Ds le mois de Mai 1885, il est vice-prsident de lUnion Spirite Franaise, fonde le 24/12/1882 et Membre dHonneur de multiples socits, notamment de lUnion Spirite de Catalogne.

1886 : dcs de son pre, Joseph DENIS.

En 1889, pour le congrs spiritualiste international, les principales coles spiritualistes sont runies : les KARDECISTES, les SWEDENBORGIENS, les THEOSOPHES, les KABALISTES et les ROSES CROIX.

Au cours de discussions fort animes, le jeune matre apparat pour la premire fois comme le plus sr mainteneur de la thse kardciste. Il est prsident du comit de propagande.

Dans son compte-rendu de la revue LETOILE, que dirige alors Ren CAILLE, LAbb ROCCA, cur brlant de foi christique, sexprime ainsi :

Je dois mentionner les chaleureuses improvisations de Monsieur DENIS de TOURS qui a pris la parole plus de trente fois, toujours avec le mme bonheur. Je me rappelle, en lcoutant, cette promesse de Jsus-Christ : Quand vous aurez rendre tmoignage de moi, ne vous proccupez pas de ce que vous devez dire. Lesprit sera l qui vous suggrera tous vos discours.

Lon fait paratre fin 1890 un texte intitul APRES LA MORT. Malgr de louables efforts, il na pu condenser le tout en 300 pages comme il avait prvu de le faire, mais personne na jamais song sen plaindre.

Les critiques seront logieuses, par exemple cet extrait des registres des messages par incorporation TOURS :

Je veux parler du temps qui scoule entre les preuves imposes et la rcompense. Je dois le redire, tout charme dans ces pages malgr la gravit du sujet.

Monsieur DUCASSE-HARISPE dit galement :

Tout livre est bon qui nous incite devenir meilleur. Lisez ce livre. Il est dune philosophie sereine et profonde. Cest un livre quon garde et quon relit.

On peut noter encore le tmoignage de cet homme qui vient de perdre sa femme, athe comme lui. Il rentre en lui-mme et mdite, scrute les mystres, les religions, lit les philosophes et crit :

Je ntais pas sans savoir, dune faon gnrale en quoi consistait le spiritisme, mais lorsquon est bien portant avec devant soi des annes, pourquoi sembarrasser de ces questions de lau-del ? On a parfois, devant limmensit des mondes, lintuition dune intelligence cratrice. Dieu ne fait en nous que de fugitives apparitions. On pense vivre et tout coup, la Mort. Jai lu Allan KARDEC, dautres traitant des questions spirites. Jai lu APRES LA MORT et jai pleur les plus douces larmes de ma vie. On nous a dit, des crivains, des journalistes, des penseurs vous ont crit que ctait l un trs beau livre. Ce nest pas cela. Ce livre, je voudrais tre riche pour lditer par millions et le voir dans toutes les mains, sur toute la terre. Rien ne sera jamais crit dans aucune langue qui soit si grand et si beau.

A partir de 1889 commencent de grandes tournes de confrences.

En 1890, il prpare un nouvel ouvrage : LE MATERIALISME ET LE SPIRITUALISME EXPERIMENTAL DEVANT LA SCIENCE ET DEVANT LA RAISON.

En 1891, autre tourne de confrences dans le midi, puis en Normandie.

Jean JAURES, alors professeur de philosophie et adjoint au Maire de Toulouse, lui ouvre la salle de confrences de la facult des lettres.

En 1892, La Duchesse De POMAR linvite pour parler de spiritisme ses matines clbres qui runissent le Tout-Paris. Lon DENIS accepte : lauteur dAPRES LA MORT est maintenant class comme un crivain de premier ordre.

Suit un cycle de confrences en Belgique en 1893.

La mme anne, LYON, il dveloppe le thmes des croyances et des ngations de son poque : LE SPIRITISME DEVANT LA RAISON. Cette mme anne BORDEAUX, la presse locale refuse dannoncer les confrences. Elles eurent lieu tout de mme dans la salle des ftes de la brasserie des chemins de fer, devant un millier dauditeurs dont beaucoup de Magistrats, de Prtres.

En 1894, les mmes confrences remportent un clatant succs, toujours BORDEAUX, mais cette fois dans la salle de lAthne.

Rien ne rebute Lon DENIS, soldat dune cause quil a faite sienne.

Au dbut de 1895, on lui demande de parler de spiritisme dans le BORINAGE devant un auditoire compos de mineurs. Il aborde pour la premire fois le SPIRITISME SOCIAL. Lon DENIS aime ces populations minires, frustres mais non dnues de solides qualits.

Entre 1895 et 1896, il se consacre diffrents exposs :

DU PROBLEME DE LA VIE ET DE LA DESTINEE

LIDEE DE DIEU

LE MIRACLE DE JEANNE DARC.

1897 : Anne record, puisquil effectue vingt-cinq confrences sur ces sujets.

1898 : A loccasion du cinquantenaire du spiritisme, il largit son champ daction en parlant la HAYE.

1899 : Encore quatorze confrences sur LE SPIRITISME DANS LE MONDE ET LIDEE DE DIEU.

En 1900 il prend sept fois la parole ALGER et continuera ensuite ses confrences en France avec toujours un norme succs.

En 1903 : son sujet de prdilection sera Jeanne DARC.

Sa mre dcdera cette anne-l et ses obsques auront lieu TOURS le 19 novembre. Lon DENIS ne manquait jamais de lui crire au cours de ses voyages pour la tenir au courant de ses succs ou de ses checs oratoires. Lorsquil rentrait TOURS rue de lAlma il retrouvait grce elle lambiance paisible qui lui tait ncessaire.

A VALENCE, quelques jours aprs, Henri BRUN et Henri SAUSSE, les dvous dirigeants de la fdration lyonnaise, viennent lui exprimer la profonde sympathie de leurs adhrents.

Ainsi, chaque anne Lon DENIS simpose la fatigue de ces tournes continuelles, au sein dauditoires mls o il doit rpondre aux sarcasmes dadversaires plus ou moins loyaux.

Cinq confrences en 1905, six lanne suivante, huit en 1907.

1908 marque la fin de cette longue tape oratoire rpartie sur trente-cinq annes, et comprenait prs de trois cents confrences.

Le pays tout entier avait donc t mme de cueillir le bon grain de la rvlation.

En 1890, Monsieur PERINNE, Magistrat la cour dappel dALGER et LEJEUNE, intendant de larme METZ, viennent sinstaller TOURS. Tous deux sont spirites. Cest avec leur concours que Lon DENIS forme le groupe de LA RUE DU REMPART. Bien des guides se rvlrent au groupe, anonymes ou intimes, mais les deux principaux inspirateurs du groupe sont Jrme De PRAGUE et LESPRIT BLEU.

Jrme fournit au groupe les enseignements philosophiques, lucide les points obscurs, explique les contradictions apparentes de notre doctrine. Son dsir est de voir fusionner le spiritisme avec le christianisme rgnr, dbarrass de ses dogmes.

LESPRIT BLEU (ainsi nomm parce que les mdiums le voient invariablement envelopp dun voile bleu) possde un rayonnement intense et remplace, au soir de la vie du Matre, la lumire qui se retire de son regard. Il donne des enseignements gnraux relatifs surtout la famille et lducation des enfants.

Lensemble constitue un enseignement complet, philosophique et moral, conforme aux principes exposs par Allan KARDEC, mais revtant une forme plus loquente et plus persuasive.

En aot 1898, parution du livreCHRISTIANISME ET SPIRITISME.

Nous savons, dit lauteur dans sa premire prface, tout ce que la doctrine du Christ contient de sublime ; nous savons quelle est par excellence une doctrine damour, une religion de piti, de misricorde, de fraternit parmi les hommes. Mais est-ce bien cette doctrine quenseigne lEglise romaine ? La parole du Nazaren nous a-t-elle t transmise pure et sans mlange, et linterprtation que lEglise nous donne est-elle exempte de tout lment tranger et parasite ?

Tels sont les points que lauteur se propose dlucider en toute bonne foi.

Louvrage comprend quatre parties :

* Les vicissitudes de lvangile ;* La doctrine secrte du christianisme ;* Relations avec les esprits des morts ;* La nouvelle rvlation.

Son tude impartiale ne tend qu jeter un peu de lumire dans une question dun intrt capital. Pourtant les attaques lui viennent du ct catholique et protestant.

En exposant sa thse, Lon DENIS nobit aucun calcul, il sert lide quil croit vraie.

Du ct catholique on sest mpris sur les intentions de lauteur. Pourtant il a expressment dclar ds lintroduction :

Ce nest pas un sentiment dhostilit ou de malveillance qui a dict ces pages. De la malveillance, nous nen avons aucune ide, pour aucune personne. Quelles que soient les erreurs ou les fautes de ceux qui se recommandent au nom de Jsus et de sa doctrine, ils ne peuvent diminuer le profond respect et la sincre admiration que nous avons pour la pense du Christ.

Il crit plus tard :

Le christianisme porte en lui des lments de progrs, des germes de vie sociale et de moralit qui, en se dveloppant, peuvent produire de grandes choses, soyons donc chrtiens mais en nous levant au-dessus des confessions diverses, jusqu la source pure do lvangile est sortie. Le christianisme ne peut-tre ni jsuite, ni jansniste, ni huguenot ; ses bras sont largement ouverts toute lhumanit.

Si de telles paroles ne peuvent satisfaire, dans son ensemble, le clerg catholique ou protestant, elles sont susceptibles de rallier un grand nombre de chrtiens.

Les journalistes de LA FRONDE et de LA REVUE DE LA FRANCE MODERNE sont favorables au livre. Le REFORMATEUR crit :

Nous ne saurions donner au lecteur une ide, mme affaiblie, de cet ouvrage extraordinaire, de la vigueur et de lloquence de ces pages o lauteur a su dployer toute la lucidit de son me de philosophe, de penseur et dartistes et encore une fois le succs vient rcompenser lcrivain.

Au congrs du 16 septembre 1900 PARIS, Lon DENIS est nomm prsident effectif assist de Monsieur H. DURVILLE pour la section magntisme, et Monsieur GILLARD pour la thosophie. Le Docteur ENCAUSSE (Paris) est maintenu dans ses fonctions de secrtaire.

Victorien SARDOU, RUSSEL, WALLACE et AKSAKOFF participent ces deuximes assises spiritualistes, chacun au titre de prsident dhonneur.

Ds la sance douverture. Lon DENIS exprime sa confiance dans les destines du spiritualisme moderne. Il aborde les questions suivantes :

Ce caractre particulier du spiritisme, quel est-il ?

Quelle sera laction du spiritisme dans le domaine de la pense ?

Monsieur Firmin NEGRE fait dintressantes dclarations sur les facults mdiumniques communes tous les hommes. Lon DENIS, le Matre de Tours, a apport sur ce point une contribution des plus prcieuses. Le Docteur MOUTIN, prsident de la Socit Franaise dtude des phnomnes psychiques, apporte toute une srie dobjections relatives la thse rincarnationiste. Lon DENIS dploie toutes les ressources de sa conviction sappuyant sur la thse kardciste, quil estime capitale.

Il examine ensuite les thories contraires, ne laissant aucune objection sans rponses.

La doctrine de linitiateur nest pas sans subir des atteintes assez brutales, mais le disciple a tenu prciser sa propre pense devant tous.

Ce qui caractrise aujourdhui le spiritisme, cest le maintien des principes fixs par Allan KARDEC et son dveloppement constant par les mthodes exprimentales.Cependant, pour nous le spiritisme nest pas tout en KARDEC ; le spiritisme cest une doctrine universelle et ternelle, qui a t proclame par toutes les grandes voix du pass sur tous les points de la terre et qui le sera par toutes les grandes voix de lavenir.

Les plus grands problmes seront abords ce congrs de 1900, dont cette question essentielle : Y a-t-il lieu daffirmer lexistence de Dieu ?

Lon DENIS ne peut pas rester en dehors dun tel dbat. Il sy jette avec toute lardeur et la foi de son me daptre.

Vous ne pouvez pas sparer leffet de la cause, vous ne pouvez pas sparer lhomme de DIEU. Et je dis plus encore : je dis : en dehors de DIEU, de laffirmation de DIEU, il ny a pas dhumanit. Parce que la notion dhumanit, nest-ce pas ce fait que nous sommes relis les uns aux autres par un lien puissant, relis par une identit de nature dorigine et de fin ? Et tout cela est DIEU, tout cela vient de DIEU.DIEU est le pre de lhumanit : nous sommes tous ses enfants et cest par cela que nous sommes unis les uns aux autres jamais.

Puis plus loin :

Lhomme ne peut pas studier et se connatre sans tudier DIEU, non pas en soi, mais dans les rapports que nous entretenons avec lui, et non seulement on le conoit, mais on veut le servir.

Fermet, bon sens et prudence allis une foi rayonnante, on ne peut quadmirer tant de force brillante et sre delle, jointe tant de simplicit. De ce congrs de 1900, Lon DENIS sort encore grandi, avec au front la couronne de MATRE.

A cette poque dactivit intense, la tche du confrencier se double de celle de lcrivain. Il publie en 1903 DANS L'INVISIBLE, ouvrage comprenant 500 pages de texte.

Une question requiert alors toute lattention de Lon DENIS : celle de la mdiumnit...

Depuis la publication du LIVRE DES MEDIUMS dAllan KARDEC, personne navait publi douvrage dcrivant les rsultats de semblables recherches. Dans la premire partie de louvrage qui a trait aux lois du spiritisme exprimental, on trouve des vues nouvelles sur la psychologie fminine. Cela parat os en ce dbut de sicle. La deuxime partie est consacre la mdiumnit en gnral, sa pratique, ses dangers, aux hypothses et aux objections quelle soulve.

Le dernier paragraphe, La Mdiumnit glorieuse, crit dans une forme admirable, est comme soulev par un souffle de haute et brlante inspiration.

Au mois de juin 1905, les spiritualistes belges reoivent Lige pour participer leurs travaux, titre de prsident dhonneur, celui que lon appelle dj laptre .

A partir de cette date, il aborde lePROBLEME DE LTRE ET DE LA DESTINEE. Lintrt vient de la parfaite analogie des messages des esprits avec les enseignements des philosophies et croyances les plus anciennes dont elle apporte une formule plus prcise, plus conforme nos gots actuels.

Cet important volume de 500 pages reoit un franc succs.

Lanne suivante un scandale clate chez les spirites parisiens. Un mdium nomm MILLER rsidant SAN FRANSISCO donne des sances de matrialisations. Il a un don mdiumnique indniable avec en plus un talent accompli dillusionniste. Les gens exercs ne sont pas longs dcouvrir les supercheries, mais ils se taisent par politesse. Lon DENIS qui a parl favorablement de MILLER se tient sur ses gardes et pousse le scrupule jusqu' le prvenir de sengager renoncer ses supercheries. MILLER nie tout. Lon DENIS nhsite plus : il faut publier la vrit, larticle quil fait paratre est ferme et mesur.

Cest au milieu de laffaire MILLER que parat LA VERITE SUR JEANNE DARC . Lon DENIS, que des rvlations personnelles ont clair, ne cesse depuis sa jeunesse de mditer sur le mystre de la vie et de la mort de notre hrone nationale.

Ds 1877, il aborde cette question et la reprend par la suite, dans LE GENIE DE LA GAULE et NOS VERITABLES TRADITIONS NATIONALES.

En 1896, il dveloppe sa thse en trois grandes confrences : Jeanne DARC, sa vie, son procs, sa mort ; Jeanne dARC, ses morts ; Jeanne DARC et le spiritualisme moderne . Des ouvrages, des essais contradictoires sont ns de ce mouvement dides.

En 1912 le livre parat sous un titre nouveau :JEANNE DARC MEDIUM.

Monsieur DEVIZES DU DESERT doyen de la facult de CLERMONT FERRAND, aprs une tude de cet ouvrage crit un magistral article dans le LIEN ; il termine larticle en opposant le livre de Lon DENIS c