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V oilà quarante ans qu’il place les meilleurs domaines dans les plus grands restaurants français. “On m’a collé l’étiquette de four- nisseur d’étoilés Michelin mais je fais aussi les bistrots. J’aime autant la haute couture que le prêt-à-porter”, clarifie-t-il d’emblée avec son accent chantonnant de l’Hérault. De la vallée du Rhône à la Bourgogne en passant par le Languedoc-Roussillon, l’Al- sace, la Loire et la Champagne, Georges Albert Aoust a passé sa vie à ar- penter le vignoble bleu-blanc-rouge à la recherche de ce qui se faisait de mieux. Romanée-Conti, Coche-Dury, Rayas, Chave, Beaucastel, Grange des Pères…, autant de maisons mythiques qui lui font confiance parfois depuis quatre décennies pour tenir le haut du flacon au sein des plus prestigieuses tables gastronomiques de l’Hexagone. À 71 ans, cet épicurien qui fut caviste à Montpellier avant de poser défi- nitivement ses bouteilles à Beaune en 1983 a signé plus de 200 cartes des vins. Depuis juillet 2013, ce fils d’un négociant en vins de Béziers a passé la main à Hélène Yuan, rencontrée lorsqu’elle était sommelière au Bonheur du Palais, un restaurant chinois de Bordeaux réputé pour sa carte des vins. “Avec ma femme Brigitte, nous voulions quelqu’un qui perpé- tue ce que l’on avait fait éclore. Nous l’avons trouvé avec Hélène”, se réjouit-il en évoquant sa protégée. Encore consultant au sein de l’entreprise, Georges Albert Aoust pétille plus que jamais. Rencontre. ÉTÉ 2017 Vigneron 125 Georges Albert AOUST C’est un homme de l’ombre mais bien connu des spécialistes, des vignerons et des chefs. Georges Albert Aoust a conçu les cartes de vins de certains des plus grands restaurants de l’Hexagone, plaçant côte à côte étiquettes célèbres, pépites du terroir et producteurs en devenir. Il a l’oreille des vignerons et son palais devrait être classé. Entretien. PAR THIBAUT DANANCHER PHOTOS LEIF CARLSSON DÉNICHEUR DE GRANDS CRUS CET ARTICLE EST PARU DANS LE N°29 - ÉTÉ 2017 V IGNERON

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Voilà quarante ans qu’il place les meilleurs domaines dans lesplus grands restaurants français. “On m’a collé l’étiquette de four-nisseur d’étoilés Michelin mais je fais aussi les bistrots. J’aime autantla haute couture que le prêt-à-porter”, clarifie-t-il d’emblée avecson accent chantonnant de l’Hérault. De la vallée du Rhône àla Bourgogne en passant par le Languedoc-Roussillon, l’Al-

sace, la Loire et la Champagne, Georges Albert Aoust a passé sa vie à ar-penter le vignoble bleu-blanc-rouge à la recherche de ce qui se faisait demieux. Romanée-Conti, Coche-Dury, Rayas, Chave, Beaucastel,Grange des Pères…, autant de maisons mythiques qui lui fontconfiance parfois depuis quatre décennies pour tenir le haut du flaconau sein des plus prestigieuses tables gastronomiques de l’Hexagone. À 71 ans, cet épicurien qui fut caviste à Montpellier avant de poser défi-nitivement ses bouteilles à Beaune en 1983 a signé plus de 200 cartesdes vins. Depuis juillet 2013, ce fils d’un négociant en vins de Béziers apassé la main à Hélène Yuan, rencontrée lorsqu’elle était sommelière auBonheur du Palais, un restaurant chinois de Bordeaux réputé pour sacarte des vins. “Avec ma femme Brigitte, nous voulions quelqu’un qui perpé-tue ce que l’on avait fait éclore. Nous l’avons trouvé avec Hélène”, se réjouit-ilen évoquant sa protégée. Encore consultant au sein de l’entreprise,Georges Albert Aoust pétille plus que jamais. Rencontre.

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Georges Albert AOUST

C’est un homme de l’ombre mais bien connu desspécialistes, des vignerons et des chefs. Georges

Albert Aoust a conçu les cartes de vins de certains desplus grands restaurants de l’Hexagone, plaçant côte

à côte étiquettes célèbres, pépites du terroir etproducteurs en devenir. Il a l’oreille des vignerons

et son palais devrait être classé. Entretien.

PAR THIBAUT DANANCHERPHOTOS LEIF CARLSSON

DÉNICHEUR DE GRANDS CRUS

CET ARTICLE EST PARU DANS LE N°29 - ÉTÉ 2017

VIGNERON

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Comment êtes-vous tombé dans l’univers du vin?Je le dois à mon père Georges, qui était leplus important négociant en vins de l’Hé-rault. Enfant, je m’extasiais devant le rac-cordement de la SNCF que nous avionsdans notre chai pour charger des citernesqui ralliaient Saint-Étienne. Mon paternelachetait toujours la récolte pendante, c’est-à-dire qu’il payait dès janvier pour le mil-lésime vendangé à l’automne. Un jour, cequi devait arriver arriva. À la fin des années1940, il y a eu un incroyable gel et il a toutperdu. Contraint de mettre la clef sous laporte, il a monté un portefeuille de do-maines dont il gérait la distribution sursept départements du Sud. Il s’occupaitde Louis Roederer, de Louis Latour, de lafamille Cruse, de Grand Marnier… Ilm’avait emmené une fois en tournée. Ilm’épatait par ses talents de commercial.On le mettait à la porte, il rentrait par la fe-nêtre ! C’était mon idole. À 4 ans, ma mèrem’a surpris à cracher sur le tapis du salon.Alors qu’elle me passait un mémorable sa-von, je lui ai expliqué avec aplomb que jefaisais comme papa en dégustation.[Rires.] Il est malheureusement décédéquand j’avais 15 ans.

La disparition brutale de votre père vous a fait prendre conscience de votre amour pour le vin…Ça a été un déclic inconscient. Après mesdeux baccalauréats, j’ai suivi un diplômeorienté sur la législation viticole en facultéde sciences économiques. J’aurais pu deve-nir inspecteur à la Direction générale de laconcurrence, de la consommation et de larépression des fraudes (DGCCRF) mais çane me tentait pas du tout. Je ne percevais pasle vin du côté législatif. Moi, c’est le plaisirqui m’intéressait plus que tout !

De quelle façon se matérialisaitjustement ce plaisir?Comme j’aidais ma mère qui poursuivaitl’activité de mon père, j’avais facilement ac-cès à la cave. À peine majeur, au lieu de boiredes bières ou des whiskys, je m’ouvrais desbonnes bouteilles en cachette. En l’accom-pagnant à un déjeuner chez les frères Runel,une étoile à Montpellier, où j’avais notam-ment mangé du pâté en croûte de foie graset de bécasse, du loup sauvage de Méditer-ranée poché et du lièvre du Larzac en saupi-quet, j’ai compris qu’il ne pouvait pas y avoirde grands repas sans grands vins.

Cet épisode a été un tournant…J’ai décidé d’ouvrir en 1975 les cavesJacques Cœur à Montpellier. Rapidementintronisé à l’Académie du vin de France, oùj’étais le plus jeune, j’ai énormément apprisauprès de Denis Dubourdieu, de PierreCoste, négociant à Bordeaux, et RobertGoffard, importateur à Bruxelles. J’ai déni-ché de merveilleuses pépites sur la vallée duRhône, le Languedoc et la Bourgogne :Rayas et Fonsalette de Jacques Reynaud,Château de Beaucastel, Gérard Chave,Marquis d’Angerville, Henri Gouges, Ar-mand Rousseau, Tollot-Beaut… Ce sontdes rencontres presque amoureuses !Leurs vins n’étaient pas célèbres dans lemonde comme aujourd’hui. J’ai aussi eu leprivilège d’avoir pendant une petite pé-riode quelques crus d’Henri Jayer. Il m’ai-mait bien et on a partagé par la suite d’in-croyables repas avec Gérard Chave chezRégis Marcon à Saint-Bonnet-le-Froid. En1983, j’ai vendu ma boutique.

Qu’avez-vous fait alors?Mumm, pour qui j’étais prescripteur, m’avaitdemandé de me rapprocher du siège deReims. Je me suis installé en Bourgogne. J’ai

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Dans la cave deGeorges Albert etson épouse Brigitte.

« À peine majeur, au lieu de boire des bières ou des whiskys, je m’ouvrais des bonnes bouteilles en cachette. »

loué un minuscule appartement au-dessusd’un garage à Beaune avec uniquement unlit et une douche. Ma femme Brigitte estrestée avec les enfants à Montpellier afinqu’ils achèvent l’année scolaire. J’ai sillonnéla Bourgogne pour trouver les valeursmontantes. Je me suis constitué un noyaudur dès 1983 avec Jean-François Coche-Dury, Denis Mortet, les Comtes Lafon, ledomaine Dauvissat… J’ai finalementacheté une maison à Beaune où noussommes toujours avec ma femme et quinous a permis de recevoir beaucoup desommeliers. J’ai continué de tisser ma toileen représentant le domaine Méo-Camu-zet, le domaine de la Romanée-Conti etbien d’autres. En parallèle, j’ai découvert autout début de son existence la Grange desPères dans le Languedoc-Roussillon. J’aimis longtemps à percer en Bourgogne carcertains vignerons ne voulaient pas enten-dre parler de courtage. Ils ont finalementcompris qu’ils devaient faire un petit effortsur les prix des vins qu’ils me vendaient afinque je fasse ma marge en vue de les référen-cer dans les restaurants.

Y a-t-il des domaines que vous regrettezde ne pas avoir représentés?J’aurais adoré travailler avec ChristopheRoumier à Chambolle-Musigny, Jean-Marc Roulot à Meursault, Jean-Paul Jameten Côte-Rôtie, Anselme Selosse et Agra-part en Champagne, le Mas Jullien en Lan-guedoc. Et puis il y a les domaines avec quij’ai arrêté parce que j’estimais qu’il y avait untrou d’air à une époque et qui sont revenusau sommet ensuite. Je regrette de les avoirlâchés. Je pense au domaine Armand Rous-seau à Gevrey-Chambertin et au domaineRamonet à Chassagne-Montrachet. L’apo-théose serait d’achever ma carrière en deve-nant l’ambassadeur des champagnes Salon.

Y a-t-il une rencontre qui a changé votre vie?Oui, celle avec Michel et Ginette Bras. Jeme rendais à l’été 1977 avec Brigitte à unmariage à Clermont-Ferrand. Alors qu’elleétait enceinte, je l’ai convaincue de faireune halte à Laguiole dans l’Aveyron chezun chef noté à 14/20 dans le Gault &Mil-lau. C’est ainsi que j’ai atterri un samedi soirdans un tout petit restaurant sans étoiletenu par un certain Michel Bras. Dès le pre-mier plat du dîner, j’ai été bouleversé. Sonfeuilleté au gyromitre, un champignon ap-pelé la fausse morille, fut un choc ! Ginette,sa femme, a engagé la conversation avecmoi en m’entendant parler de vin. “Ça inté-resserait mon mari d’échanger avec vous sur lesujet.”À la fin du repas, Michel Bras s’est as-sis avec nous. Nous avons parlé jusqu’à3 heures du matin. J’étais tellement émupar sa cuisine que je suis revenu déjeuner lelendemain. Michel Bras, qui estimaitm’avoir pris de mon temps la veille, m’a in-vité en me concoctant un menu spécial.Étincelant ! En rentrant à Montpellier, jelui ai envoyé un carton de vins pour le re-mercier. On est rapidement devenusproches. Il m’a confié le soin de façonneravec Ginette sa carte des vins, qui ne com-portait alors que des beaujolais et des ta-vels. On a fait quelque chose de fabuleux !

Dans la foulée, d’autres chefs ont faitappel à vos services…Tout s’est enchaîné très vite. Jacques Lame-loise, Michel Rostang, Jean-Paul Lacombeet Michel Chabran, qui étaient de très bonsamis, m’ont demandé à leur tour deconstruire leur carte des vins. Avec MichelBras, ce sont eux qui ont fait ma réputation.Elle s’est encore accélérée avec un repor-tage que m’a consacré en 1980 le magazineGault &Millau sous le titre : “L’homme qui

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« J’ai mis longtemps à percer en Bourgogne car certains vigneronsne voulaient pas entendre parler de courtage. »

QUELQUES COUPS DE CŒUR DE GEORGES ALBERT AOUST

Chablis « Les Clos » 2012Domaine Vincent Dauvissat « Un vin symbolisant la singularité

d’un terroir bercé par la fusion du miel et du minéral. Au fil de sa vie, ce Closs’épanouit pour devenir un volcanincandescent. Sa lave d’une finesse sans égale coule alors sur le palais. »

Hermitage blanc 2004Domaine Jean-Louis Chave« Millésime après millésime, les

Chave vinifient et élèvent leurs vins en isolant les climats avant d’en

assembler la substantifique moelle.Ici, marsanne et roussanne étirent letemps pour le rendre éternel. »

Riesling Sommerberg 2010Domaine Albert Boxler

« Avec ce vin, on mesure la philosophiedu domaine : celle d’isoler les parcelles

pour faire frissonner la vigne. Ce riesling dévoile une structureépoustouflante et une densitédéroutante. Quel raffinement ! »

Meursault-Perrières 2002Domaine Coche-Dury

« Jean-François a confié les destinéesde ce domaine mythique à son filsRaphaël. Ce 2002 élevé par lepatriarche est d’une précision

diabolique. Perrières libère un souffled’immortalité. Vibrant. »

Châteauneuf-du-pape blanc 2001 Château Rayas

« Rayas m’a procuré tant d’émotions sur les deux couleurs ! Confidentiel, le blanc du domaine (1,8 ha) associe lapuissance de la matière au soyeux de lachair. Ce 2001 à la fabuleuse complexitéaromatique a toute la vie devant lui. »

Savennières « Fidès » 2014Domaine Éric Morgat

« La plus belle expression du cheninsur des schistes envoûtés par unvigneron qui fait danser ses terroirs(L’Enclos, La Roche aux Moines, LeClos Ferrard, La Pierre Bécherelle).

Fidès est une offrande. »

Pouilly-fuissé « Les Crays » 2015Domaine Éric Forest

« Comment ai-je pu ignorer silongtemps ce domaine lové sur laroche de Vergisson ? Éric Forestenfante les plus beaux trésors del’appellation. Leur corps, leur race, leur longueur laissent rêveur. »

Rully « Grésigny » 2013 DomaineVincent Dureuil-Janthial« En abaissant ses rendements, Vincent Dureuil a conduit son domaine au panthéon de la côtechalonnaise. Ce Grésigny est digne d’un grand puligny-montrachet.Séducteur et enchanteur. »

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apprend le vin à la restauration”. Ce fut un dé-clencheur fou ! Au fil du temps, Pierre Ga-gnaire, Marc Haeberlin, Régis et JacquesMarcon, les frères Pourcel, Bruno et Ma-rion Cirino, Jean-François Piège, ArnaudLallement, Michel Kayser pour ne citerqu’eux m’ont fait confiance. J’ai aussi créé àBeaune la fondation Wine School qui avaitpour vocation de former les épouses desrestaurateurs sur les vins afin qu’elles puis-sent conseiller les convives. Parmi les250 élèves, j’ai reçu Ginette Bras, NicoleLameloise, Michèle Marcon, MaryseTrama, Marie-Claude Rostang, JacquelineThuriès… En tout, j’ai signé plus de200 cartes de vins.

Et parmi elles, celle de Ferran Adrià pour son célèbre restaurant trois étoiles El Bulli. Comment avez-vous été choisi ?Je ne m’y attendais pas. Les frères Pourcelm’ont invité en juillet 1996 chez FerranAdrià, qui avait alors deux étoiles à Rosesen Catalogne. Ça m’avait énormémentplu. J’y suis retourné en septembre. J’avaisapporté à Juli Soler, son directeur de salleet associé, une bouteille de volnay premiercru du Marquis d’Angerville pour le re-mercier de son chaleureux accueil lors dema première visite. À la fin du repas, ilglisse à Brigitte : “Je sais depuis longtemps ceque fait votre mari. Si nous décrochons la troi-sième étoile, c’est lui qui signera notre carte desvins !” Juli Soler me demande alors macarte de visite et mon numéro de télé-phone portable. En repartant, je dis à mafemme : “En voilà un qui vient de me faire unebelle promesse de Gascon !” Le 5 janvier1997, je reçois un appel de Juli Soler. “Bon-jour Georges Albert, nous avons obtenu notretroisième étoile. Je débarque plusieurs jourschez vous avec mon sommelier pour que vous

nous fassiez notre nouvelle carte des vins.” Jen’en croyais pas mes oreilles. Pendant lesdix ans où j’ai collaboré avec El Bulli, il n’y apas un seul vin français qui soit entré dansla cave sans mon imprimatur. Ils m’ont faitune confiance aveugle. Il y avait les meil-leurs : la Romanée-Conti, Jean-FrançoisCoche-Dury, Lalou Bize-Leroy avec sondomaine éponyme et le domaine d’Auve-nay, Chave, Rayas, Latour, Yquem…

Des vignerons vous ont-ils permis de mieux appréhender les accords mets et vins?J’ai un souvenir précis avec Jacques Perrinà Beaucastel, à Châteauneuf-du-Pape.Chaque fois que je lui rendais visite, il megardait à déjeuner. Un jour, à l’hiver 1977,on passe à table pour un menu autour de latruffe noire. Pour moi, la Tuber melanospo-rum appelait forcément des rouges. À magrande surprise, je le vois remonter de lacave des vieux Beaucastel blancs des an-nées 1950. L’accord fut magique ! La leçonque j’en ai retenue, c’est qu’il faut absolu-ment sortir de l’écueil des poncifs : les pois-sons ne fonctionnent pas uniquementavec des blancs, les viandes la moitié dutemps pas avec des rouges et les fromagesquasiment jamais avec des rouges. En ma-tière d’accords mets et vins, il faut éviter lesidées préconçues !

Vous rappelez-vous le premier vin qui vous a ému?C’était un Hermitage blanc 1954 de Gé-rard Chave goûté avec lui dans sa cave en1976. J’avais le sentiment à chaque gorgéede butiner dans une ruche, comme si de laliqueur dévalait dans ma bouche. Quelleextase ! J’en suis tellement fou que je rêve-rais de me faire enterrer avec une bouteilled’Hermitage blanc vide de chez Chave.

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« Pendant les dix ans où j’ai collaboré avec El Bulli, il n’y a pas un seul vin français qui soit entré dans la cave sans mon imprimatur. »

En dégustation avec Yves Confuron, uncomplice de longue date, au domaineConfuron Cotetidot à Vosne-Romanée.

Amoureux des grandsformats, Georges Albert en garnit sacave, comme l’illustre ce mathusalem de Beaucastel.

Si vous deviez choisir entre vin blanc et vin rouge…J’ai un amour inconsidéré pour le blanc.Comme le répétait constamment PierreCoste, “il faut avoir des vertus chrétiennes pouren faire”. Et je suis fanatique des mono-cépages parce qu’on ne peut pas tricher. Cene sera évidemment pas l’avis des vigneronsqui produisent du rouge mais le blanc, pourmoi, c’est l’éloge de la patience, de la com-plexité et de la fragilité.

Quels sont vos cépages préférés?Je suis un adorateur du chardonnay et du pi-not noir. Ces deux rois nourrissent les plusgrands vins de la planète !

Trouvez-vous que les sommeliersvendent généralement les vins tropjeunes dans les restaurants?Oui, mais ils ne peuvent pas faire autre-ment. Les domaines leur fournissent sou-vent le dernier millésime produit et ils n’ontpas d’autre choix que de le mettre à la carte.S’ils stockaient trop de vins, la maison danslaquelle ils travaillent risquerait de faire fail-lite. Je salue par exemple la démarche d’Em-manuel Reynaud qui, après chaque ven-dange, immobilise au domaine desbouteilles de Rayas, de Fonsalette ou de Pi-gnan afin de les conserver pour les restau-rants. L’année où il y a une mauvaise récolte,il ressort des vieux millésimes. Récem-ment, il a proposé des cuvées de 1999 ou2000. Ils sont très peu de vignerons à pou-voir se permettre de faire ça sinon ce seraitla panique financière.

Vous êtes importateur en France des verres autrichiens Zalto. Qu’ont-ils de plus que les autres?Lorsque j’ai bu pour la première fois en2014 dans un Zalto, j’ai eu le sentiment que

le vigneron me versait directement le vinen bouche. Ces verres de l’épaisseur d’unefeuille de papier à cigarette et légerscomme une plume puisqu’ils n’ont pas deplomb dans leur pied sont de véritablesœuvres d’art. Quel bonheur quand le beause joint au bon !

Évidemment, vous avez dû vousconstituer au fil du temps une très belle cave personnelle… C’est la quête d’une vie. Un plaisir charnelsymbolisant avant tout le partage. Elleabrite environ 6000 bouteilles et 200mag-nums, mon format préféré, représentantl’ensemble des régions en France avecquelques références à l’étranger. Je me re-fuse toutefois à ce que cela soit un musée.Tout ce que j’ai est fait pour être bu et avecBrigitte je peux vous assurer qu’on s’en oc-cupe. Mais que mes enfants et mes petits-enfants se rassurent, il leur en restera. [Rires.]

C’est votre dernier jour sur terre, avec qui dînez-vous, où, et quels vinspour accompagner votre repas?Je dîne avec Brigitte, bien sûr. Nous nous at-tablons sans hésiter à l’Hostellerie Jérôme,chez Bruno et Marion Cirino à La Turbie.Nous y allons toujours pour mon anniver-saire ou celui de ma femme. Bruno Cirinome fait vibrer comme personne. Sa cartechange tous les jours au gré des produitsqu’il déniche. Il y a dans ses assiettes une pureté folle. Pour les vins, je choisirais unchampagne Salon 1996, un Hermitageblanc 2003 de chez Chave, un vosne-roma-née Les Brûlées 1999 de chez Méo-Camu-zet, et pour terminer je voudrais, non pas ungrand liquoreux, mais un digestif qui seraitune chartreuse jaune Tarragone des années1970. Voilà. Ce serait magnifique pour ter-miner ma vie… e

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« Je suis un adorateur du chardonnay et du pinot noir. Ces deux rois nourrissent les plus grands vins de la planète ! »