Demoiselle des Bories, La · jambe. Son infirmité ne fera qu’accroître les mauvais pen-chants...

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LA DEMOISELLE DES BORIES

est le trois cent trente-deuxième livrepublié par Les éditions JCL inc.

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© Les éditions JCL inc., 2005Édition originale : juin 2005Première réimpression : août 2010Deuxième réimpression : février 2011Troisième réimpression : septembre 2011

Tous droits de traduction et d’adaptation, en totalité ou enpartie, réservés pour tous les pays. La reproduction d’un extraitquelconque de cet ouvrage, par quelque procédé que ce soit, tant électronique que mécanique, en particulier parphotocopie ou par microfilm, est interdite sans l’autorisationécrite des Éditions JCL inc.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Dupuy, Marie-Bernadette, 1952-

La demoiselle des bories

Suite de : L’orpheline du bois des loups.

ISBN 2-89431-332-2

1. Titre.

PQ2664.U693D45 2005 843’.914 C2005-940539-2

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Les éditions JCL inc.930, rue J.-Cartier Est, CHICOUTIMI (Québec, Canada) G7H 7K9Tél. : (418) 696-0536 – Téléc. : (418) 696-3132 – www.jcl.qc.ca

ISBN 2-89431-332-2

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MARIE-BERNADETTE DUPUY

La Demoiselledes Bories

Roman

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DE LA MÊME AUTEURE:

Les Ravages de la passion, tome V, roman, Chicoutimi, ÉditionsJCL, 2010, 638 p.La Grotte aux fées, tome IV, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2009,650 p. Les Tristes Noces, tome III, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2008,646 p.Le Chemin des falaises, tome II, roman, Chicoutimi, Éditions JCL,2007, 634 p.Le Moulin du loup, tome I, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2007,564 p.

Les Marionnettes du destin, tome IV, roman, Chicoutimi, ÉditionsJCL, 2011, 728 p. Les Soupirs du vent, tome III, roman, Chicoutimi, Éditions JCL,2010, 752 p.Le Rossignol de Val-Jalbert, tome II, roman, Chicoutimi, ÉditionsJCL, 2009, 792 p. L’Enfant des neiges, tome I, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2008,656 p.

La Demoiselle des Bories, tome II, roman, Chicoutimi, Éditions JCL,2005, 606 p.L’Orpheline du Bois des Loups, tome I, roman, Chicoutimi, ÉditionsJCL, 2002, 379 p.

Angélina: Les Mains de la vie, tome I, roman, Chicoutimi, ÉditionsJCL, 2011, 656 p.

Les Fiancés du Rhin, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2010, 790 p.

Le Val de l’espoir, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2007, 416 p.

Le Cachot de Hautefaille, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2006,

320 p.

Le Refuge aux roses, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2005, 200 p.

Le Chant de l’Océan, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2004, 434 p.

Les Enfants du Pas du Loup, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2004,

250 p.

L’Amour écorché, roman, Chicoutimi, Éditions JCL, 2003, 284 p.

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À mon fils YannÀ Isabelle

À toutes les orphelines Aux habitants d’Aubazine

qui m’ont beaucoup aidée dans mes recherches.

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REMERCIEMENTS

Écrire est toujours une aventure qui me conduit à rencontrer despersonnalités remarquables :

Jean-Claude Larouche, mon éditeur, que je tiens à remercier de tout

mon cœur pour son amitié, son professionnalisme et sa patience…

Jean-Louis Quériaud m’a initiée à cet art délicat de l’éloquence. Grâce

à lui les plaintes et les gémissements de Nanette ont pu atteindre les

sommets du patois limousin. J’espère avoir respecté la saveur de ce

parler si cher à nos campagnes. Merci à vous, Jean-Louis, merci

à Sylvie Rey et Brigitte Verniolle pour vos soigneuses relectures,

sur la piste des ultimes fautes bien cachées.

Marie-Hélène Tassain m’a fait partager avec générosité des anecdotes

poignantes qui m’ont permis d’enrichir ce récit à teneur historique.

Le colonel Léon Canard, ancien maire d’Aubazine, m’a accueillie très

aimablement, en me réservant un nid douillet pour me permettre de

mieux travailler. Son abondante documentation a facilité mes

recherches. Un grand merci à son épouse, Amélie, notre tante Nénette

à tous. Je n’oublierai jamais la chaleur de ces soirées à chanter, et la

franchise des confidences reçues.

Daniel Dauban, qui lui aussi a su me parler avec émotion de ses

souvenirs d’enfant, a découvert tardivement le secret du prénom de

tante Nénette. Je confirme, il s’agit bien d’Amélie…

Madeleine Bardy, l’enfant chérie de Marie-Thérèse Berger, que cette

femme admirable a élevée avec amour et tendresse. Madeleine habite

toujours la maison de sa «maman Théré», et elle m’a beaucoup parlé

d’elle, ce qui m’a permis de cerner ce personnage si attachant que nul

n’a pu oublier à Aubazine. J’ajouterai que Madeleine a hérité de l’infinie

gentillesse de sa mère adoptive et je lui redis ici toute mon affection.

Et encore un grand, un immense merci à mes chers amis Daniel et

Michèle Dauban, Christine et Joëlle Dauban, Lucienne Boulesteix, sans

oublier ma fidèle Guillemette, pour leur sympathique collaboration,

à monsieur Charageat, le boulanger, et les personnes rencontrées

en Corrèze qui m’ont offert leur sourire. Merci aussi à tous ceux qui

me supportent au quotidien, lorsque j’explore mes territoires

d’écriture… Et comme le dit si bien Nanette : « J’vous en cause pas! »

En bref : je ne vous oublierai jamais. Je vous aime tous.

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Résumé du 1er tome

L’Orpheline du Bois des Loups

Marie a grandi entre les murs séculaires de l’orphelinatd’Aubazine, en Corrèze. La fillette ne sait rien de sesparents, mais si cet état de choses l’attriste parfois, cela nel’empêche pas d’être gaie, affectueuse, très douée pour lesétudes.

Un jour de mars 1906, alors que Marie a treize ans, onl’appelle au parloir. Son cœur s’affole, elle s’interroge, pleined’espoir : est-ce le monsieur qui est déjà venu la voir? Peut-être va-t-il l’adopter? Non! C’est une femme revêche, AmélieCuzenac, qui propose de la prendre comme servante. Lasupérieure du couvent, mère Marie-Anselme, hésite, puis laconfie à cette famille aisée de Charente limousine.

Le cœur gros, Marie quitte son pays natal. Cependant, àPressignac, madame Cuzenac la fait descendre devant laferme du domaine. La fillette commencera à travailler à lamétairie, chez Jacques, sa femme Nanette et leur fils Pierre.Marie a voyagé dans des conditions difficiles, à l’arrièred’une carriole battue par les vents, et dès le lendemain elletombe gravement malade. Elle sera sauvée grâce au dévoue-ment de Nanette, toute prête à lui servir de mère.

Bientôt une profonde amitié lie Marie à Pierre, guèreplus âgé qu’elle; les enfants échangent des serments près dela source du Bois des Loups, réputée soigner les maux etexaucer les vœux.

Souvent, depuis la ferme de Jacques et Nanette, Marieobserve la grande maison située en haut de la colline que l’onnomme les Bories et où habitent les Cuzenac. Un jour, elleaperçoit même le maître des Bories, qui n’est autre que lemystérieux personnage venu la voir à l’orphelinat d’Aubazine.

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L’année suivante, monsieur Cuzenac vient lui-mêmechercher Marie qui entre enfin aux Bories où elle sera con-frontée à l’animosité de sa patronne ainsi qu’au mépris deson neveu, Macaire. Levée tôt, couchée la dernière, l’adoles-cente ne perd pourtant pas sa joie de vivre, d’autant plusque son ami Pierre lui rend visite matin et soir.

À seize ans, Marie qui est devenue une jolie jeune filledoit affronter les assiduités de Macaire. L’attitude dumoussur1 l’inquiète également, ce dernier se montrant bientrop gentil. Mais ce sera le sinistre Macaire qui s’en prendraà elle, en tentant de la violer.

L’avenir lui réserve cependant bien des surprises. Envérité, Jean Cuzenac, le moussur, est son père. Un soir, libérépar la mort de son épouse, il lui avoue son secret. Connaîtrela vérité sur ses origines est pour Marie une grande joie.Mais Pierre ne voit pas les choses ainsi. Se croyant désormaisindigne d’elle, il se conduit mal et la délaisse. Cependant,Jean Cuzenac ainsi que la mère supérieure d’Aubazinepermettent à la jeune fille de réaliser son rêve de devenirinstitutrice.

Son père et elle rendent d’ailleurs visite à la religieuse.Marie revoit l’orphelinat, les lieux où elle a grandi, et elleretrouve Léonie, une fillette de treize ans dont elle s’occupait,et qu’ils ramèneront aux Bories. Léonie deviendra très vitepour Marie une amie, plus encore, une sœur d’adoption.

Juste avant la guerre, Marie est nommée à l’école dePressignac, mais Pierre est mobilisé, comme les autresjeunes gens du village.

Il revient au bout de quelques mois, amputé d’unejambe. Son infirmité ne fera qu’accroître les mauvais pen-chants de son caractère, mais rien n’empêchera Marie del’aimer. Elle l’épouse en 1916, selon les traditions rurales dePressignac. La vie semble enfin sourire au jeune couple quiva habiter la grande maison des Bories.

La nuit de noces ne rapproche pas les deux jeunes gens.

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1. Maître, en patois de la Charente limousine.

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Marie, sous les caresses de Pierre, revit le viol dont Macaire,le neveu des Cuzenac, s’est rendu coupable à son endroitlorsqu’elle était domestique.

Pierre, quant à lui, pense que son infirmité rebute sajeune femme et qu’elle l’a épousé par devoir et pitié.

Ils passent la première journée de leur vie commune às’éviter, puis tout semble s’arranger…

Un premier enfant s’annonce. Il naît dans des conditionsdifficiles, en février 1917. Peu de jours avant, Macaire estrevenu harceler Marie, qui l’a gif lé sous les yeux effarés deLéonie.

C’est un fils qui voit le jour, ce qui réjouit toute la famille,surtout Pierre. Mais le bébé meurt au bout de quelquesheures. Marie en souffre cruellement, même si son père lasoutient dans ce deuil.

La vie continue; une petite Élise vient bientôt au monde,suivie de Paul et de Mathilde. En apparence, le couplesemble heureux. Pierre est régisseur du domaine. JeanCuzenac assume pleinement son rôle de patriarche, comblépar la présence de sa fille Marie et de la pétulante Léoniequi rêve de devenir médecin.

Mais Léonie s’en va. On apprendra que c’est pour fuirles avances de Pierre. La jeune fille, devenue infirmière,reviendra en 1922, pendant la période de Noël. Hélas, avantles fêtes, Jean Cuzenac meurt d’une attaque. Marie esteffondrée. Pour la soutenir, Léonie s’attarde et son fiancéAdrien, jeune médecin, la rejoint aux Bories.

Entre Marie et Adrien naît une douce attirance, tandisque, de leur côté, Pierre et Léonie cèdent à la passion qui lespousse l’un vers l’autre.

Dès que Léonie et Adrien repartent, les nouveauxmaîtres des Bories ont une autre visite. Macaire, accompagnéd’un notaire, vient réclamer son héritage, car Jean Cuzenacn’aurait ni légitimé Marie ni fait de testament en sa faveur.

Toute la famille quitte la Charente pour se réfugier àAubazine, grâce à la bonté de la nouvelle mère supérieure,Marie-de-Gonzague. Marie devient institutrice au village;Pierre gère les biens d’un propriétaire terrien. Mère Marie-de-Gonzague embauche Jacques comme jardinier, Nanette

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s’occupe des enfants. Ils vivent tous sous le même toit, dansle logement de fonction de l’école.

Mais Pierre meurt accidentellement. Cela permet àMarie d’apprendre sa liaison avec Léonie, mais aussi l’exis-tence d’un fils caché de son mari, Claude, né de ses écartsavec une veuve, Élodie.

Marie revoit Adrien et, peu à peu, se laisse séduire parcet homme qui l’adore et lui révèle sa sensualité.

Ils se marient. Adrien devient médecin à Aubazine. Ilsont une fille, Camille.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Léonie, Adrien,Paul et Claude, fils illégitime de Pierre, entrent dans laRésistance. Élise devient institutrice.

Mathilde, insatisfaite et rebelle, inquiète sa mère par soncaractère difficile.

Un jour, elle est enlevée par les miliciens, sur l’ordre deMacaire. Marie, elle aussi, est convoquée. Macaire lui pro-pose alors un ignoble marché : la liberté de sa fille contre unviol consenti.

Marie accepte. L’attitude de Mathilde change, car elledevine que sa mère l’a sauvée.

À l’orphelinat, la mère supérieure accueille les immigréspoussés par la débâcle, puis cache des fillettes juives, amenéeslà par Edmond Michelet ou par les membres de son réseaude Résistance. À la Libération, Macaire ayant été fusillé, onretrouve un testament en faveur de Marie qui hérite desBories. Préférant rester à Aubazine, elle donne le domaine àsa fille Élise, surnommée Lison.

La vie à l’orphelinat d’Aubazine, entre et pendant lesdeux guerres, y est fidèlement restituée. Cet ouvrage est engrande partie inspiré par des faits authentiques.

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Chapitre I

Des cris dans la nuit

«Cours, Marie, cours! Ils vont arriver! Vite! Sauve-toi! »Elle se retourna, surprise d’entendre la voix d’Adrien.

Pourtant, il n’était pas là. Non, il n’y avait personne autourd’elle…

«Adrien? Adrien? Où es-tu?»Les mots de Marie se nouèrent dans sa gorge. Elle venait

de remarquer qu’il faisait nuit, une nuit brumeuse, seméed’étranges lueurs. Malgré cette pénombre inquiétante, elledistinguait un vague décor, celui d’une campagne inconnue,et le son de sa voix se perdait comme face à un immenseespace ouvert.

«Adrien?… Adrien?»Marie commença à trembler. Un silence oppressant

l’entourait. Que faisait-elle là, en pleine nuit, sur un cheminsans doute, vu les petits cailloux qui roulaient sous ses pieds?Malgré l’angoisse qui l’envahissait, elle plissa les yeux pouressayer d’apercevoir la forme d’une habitation, un toit, unecheminée… Il devait y avoir quelque chose alentour… Non,rien! La peur s’insinua doucement en elle. La situation étaitinhabituelle, anormale… Elle se força à respirer lentementpour tenter de calmer les battements affolés de son cœur. Ilfallait qu’elle réf léchisse, et vite!

«Surtout, ne pas paniquer! Ne pas paniquer…»Marie se répétait ces mots comme une litanie magique

au pouvoir apaisant. Un peu plus calme, elle tenta d’iden-tifier l’endroit où elle se trouvait. Les ténèbres lui parurentmoins denses. À part le chemin caillouteux plus clair que lereste du paysage et quelques formes basses qui devaient êtredes buissons, Marie ne distinguait rien de plus. Un ventléger, chargé de senteurs diffuses, lui caressait le visage.L’esprit en alerte, elle perçut enfin une rumeur sourde etrégulière qui semblait naître de nulle part.

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Elle continua à avancer. Sous ses pieds, le sol changeapeu à peu de consistance. Les cailloux se firent moins nom-breux et la terre plus meuble. Le vent gagna en intensité. Lesodeurs se firent plus précises. L’une d’elles surtout s’impo-sait. Marie s’arrêta un instant; l’air semblait poisseux. Ellemarcha encore et découvrit soudain un cordon de dunes. Lebruit sourd et régulier qui l’avait intriguée s’amplifiait au furet à mesure de sa progression. Maintenant, elle savait!L’océan! Elle se trouvait au bord de l’océan. Le bruit, c’étaitle ressac! Et ce parfum chargé d’iode et de sel, c’était celui dela marée! Le cœur battant, elle s’élança en avant…

«Non, non! Pas là! »Paralysée par le nouvel appel de cette voix qu’elle con-

naissait si bien, elle n’osait plus avancer. Encore une fois, ellese retourna et chercha Adrien. Il ne devait pas être loin,puisqu’il la mettait en garde! Comment faisait-il pour la voiren restant invisible? Mais elle ne le trouva pas, il n’y avaitque le vide… toujours… Elle était seule, perdue…

«Adrien… Adrien?… Adrien? où es-tu? J’ai si peur!»Personne ne répondit, hormis le bruit des vagues. Tant

pis! Danger ou pas, elle devait y aller… savoir… Décidée àbraver l’interdit, elle se mit à courir à perdre haleine. Maisplus elle courait, plus la terreur l’oppressait. Le front moited’une sueur glacée, elle tomba brutalement en avant.

Au même instant, des sons gutturaux retentirent sur sagauche. Marie tendit l’oreille. Il lui sembla que deux per-sonnes discutaient, assez loin d’elle.

Elle n’était plus seule, enfin! Cependant elle n’avait pasreconnu un seul mot de la conversation qui ressemblaitdavantage à des exhortations ou des recommandations! Etces gens venaient vers elle! La mise en garde… le danger…c’était eux! Elle s’aplatit sur le sommet de la dune. Le sablefrais, chargé de l’humidité de la nuit, se colla sur sa joue.Marie regarda l’océan, mais elle n’aperçut que des vaguessombres qui roulaient bruyamment.

Peu à peu, l’obscurité se fit moins dense, chassée par laclarté du jour naissant. L’océan houleux s’étendait devant elleet venait se briser sur la plage en contrebas. Sur sa droite,Marie pouvait distinguer des toits. Il devait y avoir une ville,

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un port peut-être… à bonne distance. Tout à coup, elle vitquelque chose se balancer à la surface des f lots, un pointminuscule dans le lointain… Non, une multitude de points!Comment avait-elle pu ne pas les remarquer plus tôt? Lasurface des eaux en était couverte!

«Marie!… Marie, fuis! Ils sont là! Cours!»Cette fois, Marie entendit à peine ce cri, noyé dans un

vacarme assourdissant. Des avions surgirent tels des fan-tômes, lâchant au passage, dans un siff lement effrayant, desobjets bizarres. Les vibrations du sol se communiquèrent àson ventre, se confondant avec ses propres tremblements.Marie eut l’impression que ses membres allaient se détacherd’elle, projetés par le souff le et le choc. Elle se recroque-villa, épouvantée. Des bombes! Du sable la recouvrit aprèsun impact assez proche. L’objectif semblait être le cordon dedunes surplombant la plage. Ses yeux la piquaient… lebruit… Marie se boucha les oreilles de ses mains, la tête dansses genoux pour éviter les projectiles. Elle tremblait de toutson corps. Les paroles d’Adrien lui revinrent à l’esprit :courir! partir! Maintenant, elle comprenait. Elle aurait dûfuir, mais la terreur la clouait sur place. Les bombardiersfirent demi-tour. Marie releva la tête. Alors, dans le petitjour, ses yeux incrédules découvrirent la nature des pointsf lottants : une armada couvrait l’océan!

Cette vision lui rappelait quelque chose, mais quoi!Marie n’arrivait pas à aligner deux idées à la suite.

Partir… Fuir… Trop tard! les navires ouvraient le tir danssa direction ou plutôt vers les dunes. De nouveaux geysersde sable… Elle allait être touchée… Marie se releva en hur-lant et reprit sa course folle. Une force insensée la poussaità rejoindre la mer. Et, tout à coup, elle vit d’innombrablespetites embarcations progresser vers la plage. Soudain, desgerbes d’eau jaillirent et il ne resta plus des bateaux que desmorceaux éparpillés, poussés par le ressac vers le rivage.

«Des mines! » s’exclama Marie en reculant précipitam-ment.

Ses mots furent comme un électrochoc. Des mines…Comment pouvait-elle le savoir?

Des barges encore intactes accostèrent; des hommes en

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sautèrent, se précipitant sur la plage, courbés en deux. Bruitdes bottes dans l’eau, rafales des mitraillettes tirant desdunes… Marie, impuissante, vit les soldats tomber, fauchéspar les balles… C’était un f lot ininterrompu d’hommesprenant pied sur le rivage et de corps s’entassant. Desmorts… des blessés… encore… partout…

«Non… Non, non!» hurla Marie, tétanisée par cettevision d’horreur!

Elle tenta de fuir cette boucherie… mais rien à faire! Soncorps ne lui obéissait plus. Pourquoi n’arrivait-elle pas àbouger? Poussée par un sentiment d’urgence, elle s’appuyaenfin sur ses bras pour se soulever, mais ses doigtss’enfoncèrent dans un gouffre sans fond, happés par lesable, la dune… Marie glissait… Ses mains griffèrent l’espaceau-dessus d’elle, cherchant un appui, une branche, quelquechose à quoi se raccrocher… Soudain, des bottes passèrentau ras de son visage, des ordres brefs furent criés par-dessussa tête. Cette fois, elle reconnaissait les mots, bien quedéformés. Quelqu’un s’effondra devant elle, le casquearraché par l’explosion d’une grenade. Le visage tendu verselle n’était plus qu’une bouillie sanglante. Marie hurlaencore. Du sable s’engouffra aussitôt dans sa bouche…

***

«Marie, Marie! Réveille-toi! »Elle ouvrit les yeux. Adrien était penché au-dessus d’elle;

il ouvrait et fermait la bouche, pourtant elle n’entendaitrien. Son mari sortit un large mouchoir en lin de sa pochede gilet et lui essuya le front, constellé de gouttes de sueur.

«Voyons, ma chérie! Qu’est-ce qui se passe? Tu som-meillais tranquillement, et, tout à coup, tu as poussé un criterrible! »

Ahurie, Marie dévisagea Adrien, le docteur Mesnier. Lespremières secondes de surprise passées, elle poussa un grossoupir de soulagement en retrouvant le décor familier dusalon. Paul et Camille se tenaient juste à côté d’Adrien, dévi-sageant leur mère avec une certaine inquiétude.

«Que m’est-il arrivé! balbutia-t-elle.

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— Tu t’es assoupie quelques instants, voilà tout! Je t’avaisprévenue! la taquina Adrien. Ce petit verre de digestif étaitde trop! Tu n’en bois jamais! Tu as hurlé comme si ont’égorgeait!

— Oui! renchérit Camille. Et tu bougeais les jambescomme si tu courais, en te débattant avec les bras! Tu nousas fait une de ces peurs!

— Oh non! Ne me dites pas ça! gémit Marie. C’est cecauchemar, aussi… Je m’en souviens trop bien! Moi qui aihorreur de me donner en spectacle… Je suis désolée, vrai-ment! Félix, j’espère que vous me pardonnerez.

— Je vous en prie, ne vous excusez pas, madame. Celapeut arriver à tout le monde…

— Dis donc, maman, si tu nous racontais un peu cetaffreux rêve! demanda Paul. J’aimerais bien en savoir plus. »

Marie hésita un peu. Mais elle tenait à justifier sa con-duite pour le moins bizarre.

«Eh bien! expliqua-t-elle posément, je me trouvais surune des plages du débarquement, le matin du 6 juin 1944.Enfin, je ne l’ai compris qu’à la fin du rêve… Mon Dieu,c’était affreux, terrifiant. Les bombes, les mines, les soldatsqui s’écroulaient… En fait, mon cher Félix, je crois que lerécit que vous avez fait de cette journée historique m’avraiment impressionnée! Au point de la revivre à ma façon…

— J’en suis navré! Je vous assure! s’excusa le jeunehomme, rouge et mal à l’aise.

— Voyons, Félix, vous n’avez rien à vous reprocher! rétor-qua le docteur Mesnier. Ma femme est très émotive, voilà tout!Pourtant elle était la première à vous questionner sur le sujetpendant le dîner! Elle voulait tout savoir, et voilà le résultat!»

Félix retrouva le sourire. L’invité-surprise de Noël étaitun Québécois, ami de Paul. Ce jeune homme faisait partiede la 3e DI commandée par Keller. Ses soldats avaientdébarqué sur la plage de Courseulles-sur-Mer, sous le tirnourri des batteries allemandes qui les fauchait sans relâche.Nombreux avaient été ceux qui avaient péri dès leur des-cente des barges. Félix avait été un des survivants de cetteboucherie. Il en resterait sans doute à jamais marqué.

Dès que Camille avait appris par son frère qu’ils avaient

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l’honneur d’accueillir sous leur toit un héros d’outre-Atlantique, elle n’avait pas lâché Félix de toute la soirée, lepressant de mille questions. Félix, très ému chaque fois qu’ilévoquait le jour J, leur avait raconté les événements tels qu’illes avait vécus. La force de son évocation avait de quoifrapper des âmes sensibles. Pendant qu’il parlait, ses yeuxfixaient un point lointain, comme s’il était toujours là-bas… aumilieu de ses frères d’armes. Camille, subjuguée, était restéependue à ses lèvres. Ce jeune homme la fascinait littéra-lement. Non seulement il était très séduisant, mais il possé-dait deux atouts qui faisaient défaut aux garçons d’Aubazine:l’attrait de la nouveauté et l’inimitable accent canadien!

«Maman, si tu prenais une tasse de café, proposa Paul.Rien de tel pour reprendre ses esprits! »

Marie se redressa un peu et arrangea ses boucles d’unbrun doré du bout des doigts.

« Je veux bien, Paul! Je suis encore tout émue!— Madame, s’enquit soudain Félix, j’ai une requête à

vous soumettre. Je vois bien que vous êtes une femme sen-sible et éprise de justice. Alors, si vous abordez un jour lesujet du débarquement en leçon d’histoire, n’oubliez pasd’évoquer l’action des Canadiens. Bien que moins nombreuxque les Américains ou les Anglais, nous n’avons cependantpas failli. Juno Beach en garde le souvenir! Il y eut aussi le 1er

bataillon de parachutistes canadiens commandé par lecolonel Bradbrook. N’hésitez pas à parler du courage exem-plaire de tous ces soldats morts pour la France! Anglais,Américains, Français, Canadiens comme moi, nous étionstous unis dans une volonté commune: lutter contre lenazisme en faisant reculer les troupes allemandes. Et nousavons réussi! Le combat fut difficile et les pertes troplourdes, mais quelle victoire! L’accueil des Français futmagnifique. Dans chaque hameau, village, ville… la popula-tion nous acclamait! Paris ne sera jamais allemande! Quellebelle ville… Paris! C’est Paul qui me l’a fait visiter!

— Après votre convalescence, je suppose!» demandaMarie.

Félix donna une bourrade à son ami. Les deux jeunesgens échangèrent un regard complice et embarrassé.

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Page 21: Demoiselle des Bories, La · jambe. Son infirmité ne fera qu’accroître les mauvais pen-chants de son caractère, mais rien n’empêchera Marie de l’aimer. Elle l’épouse
Page 22: Demoiselle des Bories, La · jambe. Son infirmité ne fera qu’accroître les mauvais pen-chants de son caractère, mais rien n’empêchera Marie de l’aimer. Elle l’épouse