“Débuts des bagadoù, Chroniques d'un succès...

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“Débuts des bagadoù, Chroniques d'un succès annoncé” L'expansion du nouvel orchestre breton (1943-1970) Logann VINCE Sous la direction de Jérôme CLER Mémoire de MASTER 1 re année Année 2009 - 2010 Mention Musicologie Parcours Ethnomusicologie

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“Débuts des bagadoù, Chroniques d'un succès annoncé”

L'expansion du nouvel orchestre breton (1943-1970)

Logann VINCE

Sous la direction de Jérôme CLER

Mémoire de MASTER 1re année

Année 2009 - 2010

Mention Musicologie

Parcours Ethnomusicologie

“Débuts des bagadoù, Chroniques d'un succès annoncé”

L'expansion du nouvel orchestre breton (1943-1970)

Logann VINCE

Sous la direction de Jérôme CLER

Mémoire de MASTER 1re année

Année 2009 - 2010

Mention Musicologie

Parcours Ethnomusicologie

REMERCIEMENTS

J'adresse mes plus sincères remerciements à toutes les personnes ayant permis que ce travail voit le jour :

À Jérôme Cler, mon directeur de recherche, pour m’avoir accordé liberté, confiance et conseils avisés ;

Aux musiciens rencontrés lors des entretiens, qui ont partagé un peu de leur temps, de leurs souvenirs et de leur passion : Georges Cadoudal, Gilles Goyat, Bob Haslé, Christian Hudin, Bernard Lacroix, Alain Le Buhé, Pierre-Yves Moign, Martial Pézennec, Michel Richard ;

À Armel Morgant, pour le temps qu'il m'a consacré, la pertinence et l'intérêt de ses informations ;

Aux associations Dastum de Rennes et Ti ar Vretonned de Paris (la Mission Bretonne) pour la mise à disposition de disques, de documents sonores, et de photographies ;

À Ronan Latry, Laurent Laigneaux, Bruno Thomas, pour leur collaboration ;

À ma famille, pour leur présence et leur aide précieuse ;

À l'ensemble des sonneurs et batteurs de bagad, enfin, pour avoir su construire depuis toutes ces années un monde musical riche, multiple et complexe, qui fut des plus intéressants à étudier.

A tous, merci.

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Un CD Audio Annexe accompagne ce mémoire.

Les symboles renvoient à ce CD, le chiffre indiquant le numéro de piste.

On trouvera en Annexe I un récapitulatif de toutes les pistes.

ILLUSTRATIONS DE COUVERTURE :

Gauche : Jeunes sonneurs de biniou-nevez du bagad de Bourbriac (22) en 1954.Source : Collection Georges Cadoudal, dépôt Dastum.

Droite-Haut : Pupitre de cornemuses de la Kevrenn de Rennes.Source : Couverture du disque Festival des Cornemuses 1960, 45t., Paris, Ricordi, 1960.

Droite-Bas : Bagad Raoul-II de Fougères (35) défilant dans les années 1960.Source : www.filetsbleus.free.fr (page consultée en avril 2010).

Illustration CD : Croquis de Micheau-Vernez, Source : Couverture du recueil de partitions C'houez er Beuz, s.l., BAS, 1953.

-SOMMAIRE-

Remerciements ....................................................................................................................... 5

Sommaire ................................................................................................................................ 9

Introduction .......................................................….................................................................. 11

PRÉSENTATION DE L'OBJET ET PROCÉDURES DE RECHERCHE ................................. 15

I - L’épopée de BAS et des bagadoù : précisions ….................................................... 17II - Approche du sujet et cheminement de recherche …............................................... 25III – Présentation du corpus étudié …........................................................................... 31

1 re PARTIE : LE DÉVELOPPEMENT DES BAGADOÙ, EXPANSION D'UNE INVENTION UNIFORMISÉE ....................................... 41

Chapitre I - Les codes définis par BAS et leur application au sein des bagadoù …....... 43

Chapitre II - L'expansion d'une invention uniformisée …........................................... 119

2 e PARTIE : R ÉPERTOIRE EMBLÉMATIQUE ET DIVERSITÉ DE STYLES, LE SUCCÈS DE LA MUSIQUE DE BAGAD .................................................... 131

Chapitre I - La musique des bagadoù …....................................................................... 133

Chapitre II - Les bagadoù, formations musicales populaires et créatrices …............. 155

3 e PARTIE : UN SUCCÈS DÉPASSANT L'INTÉRÊT MUSICAL ........................................ 161

Chapitre I - Préoccupations extra-musicales des sonneurs et des dirigeants ….......... 163

Chapitre II – Les aspects extra-musicaux, sources de motivation …............................ 175

CONCLUSION .................................................…................................................................... 181

Annexes .................................................…............................................................................. 185Corpus .................................................…............................................................................... 203

Bibliographie .................................................….................................................................... 207

Table des matières .................................................…........................................................... 213

-INTRODUCTION-

Brest, Août 1955.

Le superbe temps est une aubaine pour les organisateurs de la troisième édition du « Festival International des Cornemuses de Brest », qui se déroule aujourd'hui. Des centaines et des centaines de personnes ont investi pour l'occasion la ville finistérienne : membres de bagadoù venant des quatre coins de Bretagne, habitants des environs, touristes. Tous sont là pour le moment fort du Festival : le défilé des sonneurs dans les grandes rues brestoises.

Au coin d'une rue, un sonneur est assis à la terrasse d'un café, une cornemuse posée sur les genoux. Un oeil averti reconnaîtrait son costume, aux broderies caractéristiques de la région de Cornouaille, en Sud-Finistère. Avec son bagad, il est arrivé ce matin à Brest, en car. Ils rentreront ce soir ; usés, fatigués, mais heureux, bien sûr. Ces déplacements estivaux, pour rien au monde ils ne les manqueraient.

Après avoir participé au concours des bagadoù, en fin de matinée, notre sonneur et ses comparses ont rejoint ce café, pour y déjeuner. Aux tables voisines, aux terrasses d'en face, d'autres cornemuses, des bombardes aussi ; d'autres groupes, d'autres costumes : ce sont les concurrents, meilleurs ennemis d'un jour. Le repas est une bonne occasion pour décompresser et échanger ses impressions suite au concours, pour parler musique, mais aussi pour préparer le défilé de l'après-midi.

Le déjeuner prend fin, mais il s'attarde à la table, la cornemuse toujours sur les genoux, à l'abri du soleil. Les autres membres du bagad sont déjà levés, et se dirigent vers le haut de la rue. Certains lui font des signes, l'interpellent avec malice. Le penn-soner lui fait des grands gestes. C'est vrai qu'il est l'heure.

Le public prend possession des rues, s'impatiente ; une fièvre estivale emplit Brest. Il est près de 15h00, et le grand défilé doit bientôt commencer. Le sonneur de cornemuse quitte sa table, il lui faut se préparer. Partout alentours, des bagadoù se font entendre ; chacun peaufine les derniers détails avant sa prestation. Ce sont plus d'une vingtaine de groupes qui ont fait le déplacement aujourd'hui ! Au détour d'un rue, des bombardes

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donnent du son et tentent de s'accorder. Plus loin, des cornemuses règlent leurs bourdons et des batteurs frappent quelques coups sur leurs caisses claires. Ici c'est un bagad qui répète un air de marche, là un penn-soner qui donne d'ultimes conseils à ses musiciens.

Le sonneur de cornemuse rejoint enfin les rangs de son bagad. Il est 15h00 passées, et le défilé est sur le point de commencer. Les costumes cornouillais sont étincelants, les visages tout autant. Il échange quelques sourires, remet en place le col de chemise de sa voisine, et vérifie la bonne tenue de son biniou. Le bagad se met en position de défilé. Chacun prend place dans la rue.

Tous les bagadoù sont fin prêts. Du haut de la Grand-Rue jusqu'à l'Hôtel de Ville, le public s'est massé sur les trottoirs et attend.Le sonneur de cornemuse gonfle la poche de son instrument.

Waraok, Kit1 !!...

Dans la première moitié du XXème siècle, des musiciens rompent avec une tradition

bretonne instrumentale qui ne connaissait que de la musique de petits ensembles, couples ou

solistes2. Ils font divers essais, en Bretagne mais aussi à Paris, d'ensembles instrumentaux plus

importants associant trois types d'instruments : des bombardes, des cornemuses, et des

percussions.

Si plusieurs expériences de ce type sont avérées, celle qui démarre à la fin des années 1940

au sein de la jeune fédération Bodadeg Ar Sonerion3 (BAS) connaîtra la plus extraordinaire

destinée.

Là où les précédents essais d'invention d'un nouvel orchestre breton n'ont finalement été

que des expériences relativement isolées et sans suite, BAS parviendra à développer et

pérenniser une nouvelle forme de musique, le bagad. Depuis plus de soixante ans maintenant,

ce sont plusieurs centaines de bagadoù qui ont vu le jour, plusieurs milliers de sonneurs qui y

ont joué.

1 [En avant, Marche] en breton.2 Principalement une tradition de couples de sonneurs, associant la bombarde (hautbois) et le biniou (cornemuse).3 [Assemblée de sonneurs].

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Les commentateurs s'accordent à reconnaître dans l'histoire de BAS une « épopée »4, à

considérer le développement des bagadoù comme un « phénomène »5 impressionnant, voire une

« légende bretonne »6. En effet, à partir de 1948, le nombre de bagadoù et de sonneurs n'a cessé

de croître. Mais comment, et pourquoi, cette extraordinaire aventure a-t-elle démarré et s'est-elle

inscrite dans la durée ?

La recherche présentée dans ce travail va à la source de cette épopée, dans les deux

premières décennies d'existence de la fédération BAS. Il s'agira de s'interroger sur les raisons du

succès de cette nouvelle formation qu'est le bagad. Quels sont les facteurs ayant permis la vaste

et rapide implantation de ces ensembles sur le territoire breton ? Comment BAS et l'ensemble

des sonneurs sont-ils parvenus à créer un mouvement musical dynamique et sans cesse en

renouvellement, évitant ainsi le piège d'une folkorisation stérile ?

Pour comprendre les raisons du succès durable et dynamique du phénomène bagad au sein

de BAS, il faut selon nous porter notre attention dans trois directions :

► Tout d'abord, nous nous interrogerons sur l'attitude de BAS par rapport aux groupes. Il s'agira

de voir comment la fédération gère les nouveaux groupes créés : il semble que, loin de laisser

les bagadoù se développer de façon anarchique, BAS manifeste au contraire une forte volonté

de codification. Quels critères sont uniformisés ? Comment les groupes adaptent-ils au quotidien

les directives officielles de BAS ? Et surtout, en quoi la volonté de codification de la fédération

joue-t-elle un rôle dans la large expansion des bagadoù ?

► Ensuite, nous nous intéresserons à la musique produite par les groupes. Nous analyserons le

répertoire des bagadoù de l'époque, pour en dégager ses principales caractéristiques et voir

comment leur musique est devenue emblématique d'une région.

► Enfin, les bagadoù doivent être envisagés également dans leurs aspects extra-musicaux. En

effet, en plus d'être un groupe de sonneurs jouant de la musique, un bagad est un

rassemblements d'individus, un groupe social. Il s'agira de voir quels sont les enjeux sociaux qui

4 Yves Defrance, « Une invention bretonne féconde », Les hautbois populaires : anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 139.

5 « Phénomène bagad », Documentaire de Barbara Froger, 20066 « Bagad, une légende bretonne », Documentaire de Gérard Lefondeur, DVD Pathé Distribution, 2005

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ont cours au sein du monde des bagadoù. Comment les sonneurs considèrent-ils leurs groupes ?

Quelles réponses à leurs attentes sociales trouvent-ils dans les bagadoù ?

Ces trois hypothèses nous conduiront à présenter un travail tripartite. Chacune des parties

présentera dans un premier chapitre des résultats de recherche, qui seront interpétés dans un

second chapitre pour donner des éléments de réponse à notre problématique.

Mais avant d'entrer dans le cheminement de recherche proprement dit, il nous parait

essentiel de poser le cadre de cette étude. Ce mémoire débutera donc par une grande

introduction ayant pour objectif de fournir au lecteur plusieurs précisions : époque, lieux,

personnalités, procédures de recherche et position de l'apprenti-chercheur face à l'objet d'étude,

corpus étudié.

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Présentation de l'objet

Procédures de recherche

I – L'épopée de BAS et des bagadoù : précisions

« L'histoire du bagad contient tous les ingrédients de l'épopée : pionners, héros, martyrs, heures de gloires, hauts lieux (festivals), rites, légendes, ancêtres (…), crises (…). »7

En ce début de mémoire, il nous faut poser de le décor de cette « épopée », donner les

noms de ces pionniers et ces héros, et poser le cadre historique de ces légendes, précisions

nécessaires à la compréhension de la suite du travail.

A) La fédération BAS8

Cette fédération existe depuis maintenant un peu plus de soixante ans. L'idée a été lancée

pendant la Seconde Guerre Mondiale, par une poignée de jeunes bretons, et s'est concrétisée

après la Libération. L'histoire commence en 1943 lorsque huit musiciens (bombardes,

cornemuses, et tambour) donnent un concert au Congrès de l'Institut Celtique de Bretagne, à

Rennes. Ces jeunes militants élaborent l'idée de monter une structure qui aurait pour but de

relancer la pratique musicale traditionnelle en Bretagne ; le développement de bagadoù n'est pas

encore prévu. Pendant les années d'Occupation, les sympathisants à cette cause affluent ; en

1944, la fédération BAS, qui n'a pas encore d'existence légale, compte une centaine de

membres. Mais pendant ces années de guerre, rien n'est simple : Polig Montjarret et Dorig le

Voyer, les deux têtes pensantes de la future fédération, sont détenus en Autriche entre 1944 et

1945 ; le projet est avorté.

C'est finalement le 31 mars 1946 que les statuts de l'Association Bodadeg ar Sonerion sont

officiellement déposés en préfecture de Rennes, avec à la direction Dorig le Voyer (président),

Polig Montjarret (secrétaire), Robert Marie (trésorier), Jef le Penven (censeur musical), entourés

7 Yves Defrance, « Une invention bretonne féconde », Les hautbois populaires : anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 122-141.

8 Steven Ollivier a consacré un mémoire complet à l'histoire de BAS : Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée dessonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, mémoire de Maîtrise d'Histoire, Université Rennes-II,1994.

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de quelques fidèles. En cette période complexe d'après-guerre, tout est à recommencer pour la

jeune fédération, plutôt mal vue ; la plupart des membres inscrits en 1944 ne se montrent plus...

Mais BAS se dote d'un comité de parrainage solide (divers notables, médecins, politiques,

chefs militaires, etc.), et c'est le début d'une dynamique inespérée. Des dizaines et des dizaines

de jeunes bretons adhèrent et commencent à apprendre à sonner de la bombarde ou du binioù-

bras. Naturellement, les musiciens se mettent à jouer ensemble, en groupes. Puis en 1947-48,

Polig Montjarret crée officiellement les deux premiers ensembles de sonneurs BAS9, à Carhaix

(29), puis à Rostrenen (22). L'idée du bagad est née, et elle se répand ; des bagadoù se créent un

peu partout en Bretagne, toujours sous l'égide de BAS.

Quelques chiffres10 sont parlants pour saisir le développement de BAS et des bagadoù

durant les premières années de la fédération :

Année Nombre de bagadoù

Nombre de sonneurs adhérents

à BAS1948 21949 3 5001950 61951 8 10001953 291955 47 2500

Les nouveaux bagadoù sont créés au sein de diverses structures : écoles, paroisses, troupes

scoutes, plus rarement municipalités. Les créateurs de bagadoù se mettent toujours en relation

avec les dirigeants de BAS, notamment pour commander des instruments ; le luthier « officiel »

n'est autre que Dorig le Voyer, président de la fédération. Il tourne des bombardes et des

binioù- bras par centaines (dans les années 1950, il vend en moyenne 250 bombardes et 80

biniou-bras par an), et est la plupart du temps largement débordé par la masse de commandes

(c'est l'une des raisons qui amèneront les bagadoù à importer des instruments écossais).

9 La question se pose souvent de savoir quel a été le premier bagad, puisque divers essais ont été tentés auparavant, dans les années 1930 et 1940 à Paris et à Dinan. Nous nous concentrons ici sur les bagadoù au sein de BAS.

10 Sources : Ar Soner n°2 (juin 1949) ; Polig Montjarret, préface du Traité élémentaire destiné aux sonneurs de biniou d'Emile Allain, BAS, 1955, p. 1 ; Musique Bretonne, Histoire des sonneurs de tradition, ouvrage collectif, Quimper, Le Chasse-Marée/Armen, 1996, p. 415.

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Au départ, BAS est une association ; tous les bagadoù dépendent de ses statuts et de sa

personnalité morale. Mais au cours des années 1950, beaucoup de groupes déposent eux-mêmes

des statuts, devenant associations autonomes. En 1958, BAS change officiellement de

fonctionnement, et devient une fédération ; tout nouveau bagad est alors tenu de créer une

association propre, qui adhère chaque année à la fédération. Cependant, le Comité Directeur de

BAS conserve une forte autorité : il prend des directives officielles que chaque groupe est tenu

de respecter.

Dorig le Voyer reste président de BAS jusqu'en 1963, mais c'est véritablement Polig

Montjarret qui impose ses idées et prend les décisions importantes. C'est véritablement l'homme

fort de la fédération. Il en prend d'ailleurs la présidence en 1963, pour la garder jusqu'en 1981. A

plusieurs reprises, Polig Montjarret menace de quitter la fédération, suite à diverses querelles.

De démissions en retours triomphaux (sa plus longue absence a lieu en 1955 : il part un an à

Abidjan), il instaure un chantage implicite, auquel cèdent à chaque fois les autres dirigeants. En

1953, suite à une nouvelle menace de Polig Montjarret, l'un d'eux écrit même : « Vous avez, mes

amis, senti la mort vous passer dans le dos à l’annonce du départ de Polig »11.

Au cours des années 1950 et 1960, de nouveaux jeunes sonneurs font leur entrée au sein

du cercle fermé des dirigeants de BAS : Emile Allain, Donatien Laurent, Jean l'Helgouach,

Herri Léon. Après les premières années sous une « dictature éclairée » de Polig Montjarret, c'est

un « Comité Directeur » qui dirige collégialement la fédération.

Ses membres étant éparpillés aux quatre coins de la Bretagne, le Comité Directeur de BAS fonctionne par le biais de réunions, organisées plusieurs fois par an, et de Commissions. Les décisions prises sont annoncées à l'ensemble des sonneurs grâce l'Assemblée Générale annuelle, (à laquelle chaque bagad doit se faire représenter par un ou plusieurs représentants), et sont publiées dans Ar Soner.

BAS contrôle à peu près tout concernant les bagadoù : leur création, leur dissolution12, les cachets perçus lors de prestations (dont les montants sont fixés selon le niveau des groupes, et dont une partie est perçue par la fédération). Mais surtout, elle est l'organisatrice de ce qui rythme la vie des groupes, année après année : les concours.

Après cette présentation rapide de la fédération BAS, il nous faut donc parler plus précisément de ces concours, ainsi que des autres éléments qui constituent le « milieu » des bagadoù des années 1950 et 1960.

11 Jacques Ducamp (membre du Comité Directeur de BAS), Ar Soner n°51 (avril 1953).12 En 1953 par exemple, le bagad de Scaër (29) est dissous pour “mauvaise tenue, mépris des règlements,

indiscipline” (Ar Soner n°46 – juillet 1953, p. 16).

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B) Les bagadoù et leur « milieu »

Le fonctionnement d'un bagad est complexe, et surtout multiple ; il dépend notamment des

directives de BAS, des choix de chaque leader et de l'ensemble de ses membres. Ces questions

seront étudiées au cours de ce mémoire. Nous donnons simplement ici quelques généralités pour

mieux comprendre le monde des bagadoù durant la période qui nous intéresse.

Les bagadoù, ensembles de sonneurs créés au sein de BAS, regroupent des musiciens

répartis en trois pupitres : les bombardes, les cornemuses, et les percussions (caisses claires,

toms, grosses caisses). Chaque pupitre est placé sous l'autorité d'un penn [tête, chef], et c'est le

penn-soner qui dirige l'ensemble. En outre, à l'époque, parfois une personne non-musicienne est

garante de la discipline au sein du bagad (président de l'association, curé, chef de troupe scoute,

professeur de lycée, selon la structure où a été créé le groupe).

Les sonneurs débutent pour la plupart enfants, ou adolescents ; le bagad leur fournit un

instrument. L'immense majorité des musiciens entrent dans le bagad le plus proche de chez eux,

celui de leur commune, et y restent plusieurs années. Eventuellement, certains sonneurs adultes

sonnent avec plusieurs bagadoù ou changent de groupe, au gré des envies et des déplacements

professionnels.

Le répertoire joué par un bagad est choisi par le penn-soner ou fourni par BAS. Quelques

nouveaux morceaux sont appris chaque saison ; ils peuvent rester inscrits au répertoire durant de

plusieurs années, ou au contraire être remplacés chaque année.

Un bagad se produit à l'occasion des fêtes locales (pardons, kermesses, etc.), et lors des

grands rassemblements folkloriques régionaux (Fêtes de Cornouaille à Quimper, Festival des

Cornemuses de Brest à partir de 1953, etc.). Il touche pour ses prestations un cachet, dont le

montant est fixé par BAS ; certains cachets sont reversés à la fédération. L'argent économisé par

les cachets sert à acheter des costumes ou des instruments (parfois à financer les activités de la

paroisse...). Tous les sonneurs sont bénévoles, mais l'ensemble de leurs frais sont payés

(transport, hébergement, nourriture, matériel). Les « sorties » (nom donné aux prestations) sont

assez nombreuses, jusqu'à occuper tous les week-ends en saison estivale.

Outre ces sorties, il est des rendez-vous qui focalisent toutes les attentions : les concours.

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Mises en place par BAS dès les premières années, ces joutes ont lieu deux fois par an (trois fois

certaines années). Tous les bagadoù de la fédération s'y confrontent, devant un jury composé de

dirigeants de BAS et de musiciens étrangers (écossais, irlandais). Les concours sont organisés

lors de grandes fêtes folkloriques (Pardon des oiseaux à Quimperlé, Festival des Cornemuses à

Brest), et sont ouverts au public. A chaque fois, un défilé et un triomphe13 sont également

organisés.

Les jurés notent les bagadoù et établissent un classement ; dès 1951, les nombreux

bagadoù concourant sont répartis en trois catégories, la première étant l'élite. Selon les années,

chaque catégorie joue des airs imposés (morceaux choisis par BAS, transmis quelques mois

avant aux groupes), ou des airs libres. Les changements de catégorie ont lieu à chaque fin de

saison. Ce championnat des bagadoù, comparable en beaucoup de points au système sportif, est

primordial pour tous les sonneurs, qui rêvent d'atteindre le haut du classement ou de changer de

catégorie.

Tous les bagadoù existants participent au championnat BAS, exceptés ceux qui n'ont pas

encore acquis le niveau nécessaire pour concourir (ce ne sera que bien plus tard, en 1976 que le

bagad Brest-Saint-Marc fera un choix historique : suite à des divergences avec BAS, et voulant

se consacrer à d'autres projets musicaux14, il sera le premier bagad de haut niveau à se retirer des

concours).

C) Personnalités importantes 15

Quelques personnes seront très souvent citées dans ce mémoire, ayant régulièrement fait

entendre leur voix au sein de BAS et dans Ar Soner. Il s'agit de sonneurs ayant occupé des

postes clés de la fédération (président, membre du Comité-Directeur, etc.), et/ou ayant joué un

grand rôle dans le milieu des bagadoù des années 1950 et 1960. On trouvera ci-dessous

quelques lignes de présentation pour chacune de ces figures du mouvement BAS, permettant

ainsi de mieux comprendre la suite de ce travail.

13 Moment final du défilé où tous les groupes jouent ensemble.14 Brest-Saint-Marc a par la suite monté des spectacles en collaboration avec d'autres musiciens, enregistré de

nombreux disques. En 2007, 40 ans après avoir quitté BAS, le bagad brestois a fait le choix de reprendre les concours.

15 Ne sont pas présentés ici les sonneurs rencontrés en entretien, dont on trouvera les présentations plus bas.

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► Polig Montjarret. Il est la figure la plus importante de BAS. « L'étude de la BAS seconfond avec [son] histoire. Mais peut-il en être autrement tant ce personnage mythique amarqué l'association ?»16. Malgré une personnalité complexe et des décisions parfoiscontroversées, il fut jusqu'à son décès en 2003 très respecté par l'ensemble des sonneurs.Aux yeux de tous, c'est à lui que l'on doit l'extraordinaire développement des bagadoù. Né à Pabu (22) en 1920, Polig Montjarret est tapissier de métier. Violoniste durant sesjeunes années, il apprend le biniou-bras avec Dorig le Voyer au sein du Cercle Celtique deRennes puis commence à sonner en couple dans diverses noces et fêtes. Après avoir fondéles bagadoù de Carhaix et de Rostrenen en 1947-1948, il dirige de main de maître la BASjusqu'en 1982. Il en est d'abord secrétaire, puis vice-président en 1953, et prend enfin laprésidence en 1963. Polig Monjarret est également responsable de la publication d'Ar Soneret est pendant un temps salarié de la fédération Kendalc'h (regroupant les grandesassociations culturelles bretonnes).

► Dorig Le Voyer. C'est le second « père fondateur » de BAS. Breton émigré à Paris, il ycrée en 1930 la Kenvreuriez ar Viniouerien [confrérie des joueurs de biniou], une structureque l'on considère souvent comme l'ancêtre de la BAS, mais qui périclite au bout dequelques années. En 1943, installé à Rennes, il réussit cette fois son projet en lançant BAS,dont il prend la présidence (qu'il conserve pendant 20 ans). A Rennes, puis à Ploërmel (29), Dorig Le Voyer est luthier de métier. Tourneur debombardes et de biniou-bras depuis les années 1930, il équipe les pupitres de l'ensemble desbagadoù. Président assez discret, dans l'ombre du charismatique Polig Montjarret, Dorig le Voyer n'enest pas moins très influent. Des positions très arrêtées et un caractère réputé difficile luivalent certaines inimitiés, notamment auprès de la jeune génération.

► Jef le Penven. Compositeur et chef d'orchestre de formation classique, il est présent auxcôtés de BAS dès 1943 (c'est grâce à lui que le premier concert BAS a lieu). Il occupe ausein de la fédération l'énigmatique poste de « censeur musical », chargé officiellement defaire le tri dans le répertoire destiné aux sonneurs. S'il contrôle tous les ouvrages publiés etcompose quelques marches pour bagad, il semble qu'en fait il n'ait pas eu une grandeinfluence sur le milieu des bagadoù.

► Emile Allain. Sonneur de cornemuse originaire du pays Nantes (où il réside toujoursactuellement), il a été longtemps penn-soner de la Kevrenn de Nantes, qui compte alorsparmi les meilleurs ensembles BAS. Au cours des années 1950, Emile Allain prendbeaucoup d'importance au sein de la fédération ; il est l'un des membres les plus actifs de laCommission Technique créée en 1954, chargée de toutes les questions instrumentales etmusicales. Emile Allain est alors respecté pour sa culture musicale et ses connaissancestechniques, qu'il fait régulièrement partager en signant des articles dans Ar Soner (il y traitede sujets très larges, avec par exemple des séries d'articles sur la musette baroque, sur leshautbois extra-européens, etc.).En 1954, BAS lui confie la rédaction d'une importante méthode de cornemuse, le Traitéélémentaire destiné aux sonneurs de biniou.

16 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. cit., p. 3.

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► Jean l'Helgouach. Rennais, il étudie l'alto au Conservatoire (décrochant un premier prix en1954) et sonne parallèlement de la bombarde au sein de la Kevrenn de Rennes. Il en sera l'undes principaux dirigeants, ainsi qu'un membre influent de BAS. En 1955, il écrit uneimportante méthode instrumentale, Ecole de Bombarde, qui sera utilisée pendant plusieursdizaines d'années dans les bagadoù.Professionnellement, Jean l'Helgouach mène une carrière d'archéologue réputé, spécialistedes mégalithes armoricains.

► Jacques Ducamp. Abbé, il était sonneur et membre de BAS. Il n'a pas été possible detrouver beaucoup d'informations sur lui. Néanmoins, on peut penser qu'il était un membretrès influent du Comité Directeur : il devient secrétaire de la fédération en 1953, et remplacePolig Montjarret dans ses fonctions lorsque celui-ci part vivre un an en Côte d'Ivoire.Jacques Ducamp participe à la plupart des jurys de concours. Il est l'un des dirigeants deBAS les plus stricts, consacrant de nombreux articles d'Ar Soner à des questions dediscipline.

► Ferdy Kerne : Brestois et ancien scout, il est le penn-batteur du bagad Brest-ar-Flamm.C'est à lui que l'on doit la totalité du travail effectué sur les batteries de bagad ; durant lesdécennies 1950 et 1960, il est le seul à réfléchir sur le jeu de caisse claire, à former desjeunes, à militer pour une reconnaissance de son pupitre. En 1962, BAS édite la méthode debatterie qu'il a rédigée, Skol an Taboulin [Ecole du batteur].

► Donatien Laurent : Fils de Pierre Laurent, émigré actif culturellement au sein de lacommunauté bretonne de Paris, Donatien Laurent commence à apprendre la cornemuse aubagad scout Bleimor, dont il devient par la suite le penn-soner. En 1954, il est l'un despremiers bretons à aller étudier la cornemuse en Ecosse, d'où il revient diplômé. Il estensuite l'un des fondateurs de la Commission Technique de BAS (1954), dont il sera unmembre éminent.Mais en 1957, Donatien Laurent est victime d'un grave accident, percuté par un véhicule, àla suite duquel il est trépanné et garde des séquelles. Il est alors contraint d'arrêter desonner.Suite à ce tragique événement, Donatien Laurent se lance dans une brillante carrièreuniversitaire ; après des études d'ethnologie, il devient chercheur au CNRS, spécialiste desquestions celtiques. Il réalise plusieurs travaux de référence, notamment sur le Barzaz-Breiz,(recueil de chants bretons), ou sur le calendrier celtique. Cette intense activitéprofessionnelle ainsi que les années ont fait qu'il s'est progressivement éloigné du milieu des bagadoù. Retraité, il réside toujours actuellement à Brest, continue à publier et à donner desconférences.

► Herri Léon : Ce grand sonneur de cornemuse, instituteur, est décédé accidentellement en1962). Il fut dans les années 1950 penn-soner des bagadoù Brest-Saint-Marc et Brest-ar -Flamm, et membre de la Commission Technique de BAS. Fervent partisan d'une adaptation de la musique écossaise en bagad (il a étudié la cornemuse en Ecosse avec Donatien Laurent) et disposant d'un fort caractère, il a été à l'origine de bien des querelles au sein de la fédération.Herri Léon, surnommé La Pie, est surtout connu pour avoir créé à Porspoder (29) une écolede cornemuse inspirée des College écossais, le Scolaich Beg an Treis. Il y a organisé desstages pendant quelques années, avant sa mort, révolutionnant l'enseignement dessonneurs de bagad par une discipline stricte.

23

24

II – Approche du sujet et cheminement de recherche

A) L'apprenti-ethnomusicologue : position de l'auteur

Comme dans toute étude, et notamment dans le domaine ethnomusicologique, la position

du chercheur face à son sujet est importante : qui est l'auteur, et surtout « d'où » parle-t-il ?

Autrement dit, quelles relations entretient-il avec son sujet d'étude ? Les réponses à ces

questions peuvent influer sur le discours de l'auteur, ou sur ses méthodes d'approche. Je propose

ici de présenter ma position par rapport au milieu des bagadoù, et d'esquisser quelques raisons

qui m'ont amenées à réaliser ce travail.

Originaire du Nord-Finistère (pays de Brest), je suis sonneur de bombarde depuis

maintenant douze ans. J'ai appris cet instrument au sein du récent cursus de « Musiques

Traditionnelles » de l'ENM de Brest (cycle 1, 2, 3, puis DEM de Musiques Traditionnelles en

2006). J'ai mis rapidement cet apprentissage en pratique au sein de divers groupes locaux.

Ma rencontre avec le milieu des bagadoù date de l'année 2001, où j'ai intégré le bagad Bro

an Aberioù de Plabennec (29), avec qui j'ai joué pendant 2 ans. A partir de 2002, j'ai participé

aux débuts du bagad de ma commune, An Eor Du de Ploudalmézeau (29), dont j'ai été le penn-

soner durant quelques années. Par la suite, d'autres activités estudiantines et musicales m'ont

éloigné quelque peu de la pratique en bagad. J'ai toutefois gardé un lien avec le monde des

bagadoù et de la BAS en assistant régulièrement aux concerts, concours, en cotôyant des

sonneurs de bagad, et en participant à quelques reprises à des jurys de concours.

Le fonctionnement et le dynamisme de ce milieu m'ont toujours intéressé, d'un point de

vue tant musical que sociologique. Lorsque cette année l'opportunité de mener un travail de

recherche en ethnomusicologie s'est présentée, mon intérêt s'est immédiatement porté sur les

bagadoù. Il m'apparaissait enfin possible de tenter d'étudier ce monde avec un cadre structurel et

méthodologique précis.

Cependant, l'expérience que j'avais de ce milieu musical a été à la fois un atout et un

25

inconvénient. Cela a représenté un gain de temps très précieux : j'avais de bonnes connaissances

terminologiques et pratiques, sur les instruments, le fonctionnement de la BAS et de tous les

bagadoù, sur les personnes à rencontrer, etc. Mais mes craintes ont été de justement penser trop

bien connaître ce domaine, de ne pas parvenir à adopter le « regard éloigné »17 nécessaire en ce

début de recherche. Il m'a pendant quelques semaines paru impossible de poser une

distanciation avec mon objet d'étude. Comment éprouver le fameux « étonnement » face à

« l'étrangeté des façons de faire, des façons de voir, des façons de dire de gens d'une société très

différente - éloignée »18, puisque je m'apprêtais à étudier une communauté de musiciens non-

seulement de la même culture que la mienne (situation somme toute courante pour

l'ethnomusicologie de la France), mais en plus communauté au sein de laquelle j'évolue depuis

plus de dix ans ?

Ces craintes se sont finalement dissipées lors du choix de resserrer mon travail sur une

période précise (voir paragraphe suivant). Placer mon intérêt sur les bagadoù d'il y a plusieurs

dizaines d'années permettait d'être dans un juste milieu entre bonne connaissance de ce domaine,

et « étonnement » face à des pratiques qui se sont révélées bien différentes de celles

d'aujourd'hui.

B) Périodisation choisie

C'est le dynamisme et le succès des bagadoù en Bretagne depuis plus de soixante ans qui a

toujours attiré le plus mon attention. Pour comprendre les raisons d'un tel succès et d'un tel

développement, j'ai choisi de remonter aux sources de ce monde musical. Ainsi, ce travail

s'inscrit dans une périodisation précise : 1943-1970.

La première borne chronologique (1943) correspond a une date précise : le 23 mai 1943,

première prestation publique de la future fédération BAS, au sein de laquelle les bagadoù se

sont développés. Les essais antérieures de création de bagadoù (à Paris, à Dinan), expériences

éphémères, n'entrent pas dans l'objet de ce travail. En effet, la véritable épopée du bagad est due

à BAS, et l'étude du monde des bagadoù apparaît alors indissociable de celle de la fédération.

17 François Picard, L'hypothèse ethnomusicologique, CRLM, Universisté Paris IV-Sorbonne, 2005, texte disponible à l'adresse www.plm.paris-sorbonne.fr/Textes/FPHypothese.pdf (avril 2010).

18 Ibid.

26

Si les débuts de BAS remontent à 1943, une autre date charnière retiendra notre attention :

c'est en 1947-48 que les premiers bagadoù sont créés au sein de la fédération.

La borne chronologique ultérieure (1970) est moins précise. Il s'agit ici d'étudier la

première « période » du mouvement bagad, les années où ce milieu se structure, se développe,

et où les bagadoù prennent leur place en Bretagne. C'est ce qui se passe jusqu'au tournant des

années 1970, moment qui correspond à la fin d'une ère pour BAS et les bagadoù, pour des

raisons fortement liées au contexte social. La crise de 1968 n'a en effet pas épargné la jeunesse

bretonne : « nombre d’institutions et de valeurs sont remises en cause. La BAS et les bagadou

en font partie (…). BAS perd peu à peu son image de citadelle garante des traditions musicales

bretonnes »19. Le tout début des années 1970 voit la fédération des bagadoù perdre son

hégémonisme sur le milieu musical breton ; sa tête pensante, Polig Montjarret est remis en

cause, et de nouvelles grosses structures apparaissent (notamment l'association Dastum, créée en

1972 pour sauvegarder le patrimoine oral breton). Et surtout, c'est le déferlement de la vague

« folk » des années 1970, menée en Bretagne par Alan Stivell (revélé au niveau national par un

concert à l'Olympia en 1971).

Le nombre de bagadoù diminue fortement à partir de 1968 (35 groupes participants au

concours de 1967, seulement 19 l'année suivante) , pour connaître un creux qui durera dix ans20.

Tous ces éléments nous ont fait considérer la période 1943-1970 comme la première ère du

mouvement BAS, (avec comme date charnière 1947-48 pour l'apparition des premiers

bagadoù), pendant laquelle le milieu se structure et se développe. C'est sur cette grande

vingtaine d'années que se concentrera cette étude.

C) Etat de la question

Si l'ethnomusicologie de la France et celle de la Bretagne connaissent depuis quelques

années une littérature abondante, les études concernant les bagadoù sont relativement peu

nombreuses. Outre les livres ''grand public'' qui présentent le monde des bagadoù de façon

générale, quelques journalistes ont réalisé des ouvrages de qualité, très documentés21.

19 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. cit., p. 102.

20 Voir en Annexe V le tableau recensant le nombre de bagadoù participants au concours BAS chaque année. Durant les années 1960, près de 35 bagadoù concourent. Ce nombre chute à 15 dans les années 1970. Puis 1978, le nombre revient autour de 30 bagadoù.

21 Alain Cabon, La kevrenn Brest St-Marc, Bagad d'exception(s), Spézet, Coop-Breizh, 2008 ; Gérard Classe, Hep

27

Deux travaux universitaires ont pris pour objet de recherche les bagadoù. Steven Ollivier a

consacré son mémoire de maîtrise d'Histoire à la BAS22, en se basant principalement sur le

dépouillement de la revue Ar Soner. Laurent Laigneaux a pour sa part abordé le monde actuel

des bagadoù sous un angle anthropologique23.

Enfin, l'ethnomusicologue Yves Defrance a écrit le seul article de notre discipline consacré

aux bagadoù24.

Le présent travail s'est inspiré de ces publications, tout en adoptant des méthodes et des

approches différentes. Premièrement, la périodisation choisie diffère. Il s'agit pour nous de

s'intéresser aux deux premières décennies du mouvement bagad, comme période à étudier

''synchroniquement''. La totalité des autres travaux parlent de l'évolution du bagad jusqu'à nos

jours, de manière diachronique, en évoquant la « progression » du niveau technique des groupes,

et donc en dénigrant assez unanimement le niveau des premiers sonneurs25. Notre choix a été au

contraire de se restreindre aux premiers temps de BAS sans considérer que, les bagadoù n'ayant

pas à l'époque le niveau technique de leurs actuels héritiers, ces années ne vaudraient pas la

peine d'être étudiées.

Les méthodes d'enquête diffèrent également. Si comme tous les auteurs l'étude des écrits

de BAS (collection Ar Soner notamment) a eu une place importante, le souhait a été ici de

croiser les sources (témoignages de sonneurs, par écrit et en entretiens) pour tenter d'obtenir une

vision la plus large possible du milieu de l'époque.

Enfin, le but était d'avoir une approche « ethnomusicologique », à savoir un aller-retour

permanent entre les idées, les contextes, et la musique produite. C'est pourquoi l'écoute des très

nombreux disques et enregistrements de bagadoù a été primordiale : cela nous permet de

proposer dans ce mémoire une partie plus « musicologique » (étude du répertoire et des styles,

dans la Partie 2), et également d'illustrer régulièrement le propos par des exemples sonores

(renvois au CD audio annexe).

Diskrog – Bagad Kemper, 50 ans sans relâche, s.l, Blanc Silex, 2000 ; Armel Morgant, Bagad, vers une nouvelle tradition ?, Spézet, Coop-Breizh, 2005.

22 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. cit., p. 102.

23 Laurent Laigneaux, Le Bagad : Entre conservation et réinvention du patrimoine musical breton, mémoire de Master d'Anthropologie, Université Libre de Bruxelles, 2009.

24 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit.25 A juste titre d'ailleurs, puisque selon certains critères la progression technique des musiciens de bagad est un

constat évident.

28

D) Un sujet ethnomusicologique ?

Même en écartant l'idée que l'ethnomusicologie ne s'intéresse qu'aux cultures lointaines, orales, « populaires », le choix d'étudier les bagadoù peut poser question. Il s'agit en fait d'orchestres inventés récemment, d'une pratique musicale « moderne » ; leur étude concerne-t-elle dans ce cas une discipline qui étudie le large champ de la « tradition » ? Nous proposons ici quelques pistes de réponse.

Tout d'abord, on peut dire que le milieu des bagadoù dans la période qui nous intéresse est une ''petite'' communauté de quelques centaines de membres (certes répartis sur une région entière). Les interactions qui ont cours au sein de cette communauté peuvent alors être étudiées avec une approche relevant plus de l'ethnologie que de la sociologie de masse. L'angle d'approche ethnomusicologique a consisté dans ce travail à faire un aller-retour entre le discours des individus, la musique produite, et le rôle qu'elle joue au sein de la communauté.

La question du rapport à la tradition est, comme dans toutes les études ethnomusicologiques de domaines français (ou européens) récents, une question compliquée. Les bagadoù, bien qu'étant des orchestres modernes (au sens où cette pratique n'existait pas avant eux), ont un rapport évident aux traditions musicales bretonnes, tout en s'en éloignant. Cette filiation avec d'anciennes pratiques traditionnelles sera abordée dans le présent mémoire, mais le choix a été de ne pas en faire une problématique.

En effet, se poser aujourd'hui la question du rapport des bagadoù à l’ancienne tradition rurale bretonne aurait nécessairement conduit à conclure à une rupture, à d’énormes différences dans les contextes de jeu, les instruments utilisés ou la musique jouée. Comparer le bagad, musique d’après-guerre, d’après exode rural, et la musique des sonneurs de couple, c’est poser indubitablement une dichotomie moderne/tradition, clivage qui est « un piège du démon »26 puisqu'il ferme la réflexion. Nous évoquerons cependant les rapport qu'ont entretenus les sonneurs de bagad avec les anciens sonneurs de couple, et la façon dont ils envisageaient cette filiation.

Après la question de la « tradition », celle du « folklore » arrive ; mot extrêmement polysémique et passe-partout pour désigner toutes sortes de pratiques (musicales dans notre cas) au XXe siècle. Folklore, revivalisme, nouvelle tradition ? Dans laquelle de ces cases et selon quels critères classer les bagadoù ? On verra d'ailleurs au cours de ce travail que la jeune fédération BAS a beaucoup réfléchi au qualificatif de « folkloriste » qu'on lui attribuait à l'époque.

26 François Picard, L'hypothèse ethnomusicologique, Op. Cit.

29

30

III – Présentation du corpus étudié

Outre la consultation des ouvrages et articles ayant été écrits sur les bagadoù27, une large

part de notre travail a été l’étude d’un corpus varié et conséquent (écrits, partitions,

enregistrements) et la tenue d'une dizaine d'entretiens avec des musiciens de l'époque. La

richesse de ce corpus a permis de se représenter le monde des bagadoù jusqu’aux années 1970 :

la musique jouée et enregistrée, mais aussi les courants de pensée, les débats d’idées, les

directives officielles de BAS et la vie au quotidien au sein des bagadoù.

On trouvera ci-dessous une courte présentation de ce corpus, et en fin de mémoire la liste

exhaustive des documents étudiés.

A) Les écrits

A partir de 1946, la fédération BAS édite très régulièrement (mensuellement ou bi-

hebdomadairement) une revue distribuée à l'ensemble des sonneurs et groupes adhérents.

Jusqu'en 1949, c'est une lettre rénéotypée de quelques pages. Cette « lettre mensuelle de BAS »

prend ensuite de l'importance et devient une véritable revue, Ar Soner [le sonneur], dont la

publication se poursuit encore aujourd'hui.

Pour notre travail, l'ensemble des Ar Soner de 1949 à 1970 (collection complète déposée à

la BNF28) et les lettres mensuelles de 1946 à 1949 (une partie est conservée au CRBC29 de Brest)

ont été consultés, et se sont révélés être d'extraordinaires sources d'informations.

Au fil de temps, Ar Soner et son contenu ont évolué ; mais pour la période qui nous

intéresse, une seule et même personne tient les rênes de la revue : Polig Montjarret. Sous son

nom ou sous pseudonyme, la figure importante de BAS signe l'immense majorité des articles,

des éditoriaux, ou encore des comptes-rendus de concours. Le président Dorig le Voyer est

également actif. Au cours des années 1950, les plumes se diversifient : Emile Allain, Herri Léon,

27 Cf. Bibliographie.28 Bibliothèque Nationale de France, Paris.29 Centre de Recherche Bretonne et Celtique, Université de Bretagne Occidentale, Brest.

31

Jean l'Helgouach, Donatien Laurent, Jacques Ducamp, tous responsables de bagadoù de

première catégorie, publient régulièrement. Tous les bagadoù et les lecteurs ont des tribunes

dédiées pour s'exprimer ; néanmoins, les publications sont filtrées par Polig Montjarret,

secrétaire de la revue. Lorsqu'Ar Soner publie des avis contraires à la politique de BAS, c'est

toujours pour mieux les contrer dans le numéro suivant.

Ar Soner sert à faire passer des informations concernant des domaines aussi variés que la

musique (partitions, articles concernant des aspects musicaux), la vie associative de BAS

(cotisations, assemblées générales, etc.), mais aussi des sujets plus politiques. Bien souvent, les

articles prennent la forme de directives officielles devant être appliquées au sein de tous les

groupes.

Mais cette revue Ar Soner n'est pas le seul endroit où les dirigeants de BAS écrivent : ils

signent également les notices des disques de bagadoù, les méthodes instrumentales, ou encore

les préfaces de recueils de partitions.

Signalons que ces écrits ont constitué un corpus étudié et non une bibliographie. En effet,

pour nous les articles d'Ar Soner doivent être considérés avec recul, comme témoignages des

courants de pensée ayant cours à l'époque ; et non, ainsi que cela a été fait dans d'autres travaux,

comme sources d'informations scientifiques. La position et la passion des auteurs induit parfois

une dose de fantaisie dans ces écrits (lorsqu'il s'agit d'organologie ou de rapport à l'ancienne

tradition musicale bretonne par exemple).

B) Les partitions

BAS édite dès 1947 des partitions à destination des sonneurs. Elles sont publiées dans les

numéros d'Ar Soner, ou bien au sein de recueils (Sonit 'ta sonerion en 1947, Chouez er beuz en

1953, Waraog Kit en 1976, etc.). Avant chaque concours, les airs imposés sont publiés dans Ar

Soner, et pour le reste de leur répertoire, les bagadoù puisent dans les recueils. Ils contiennent

deux types de morceaux : des airs collectés auprès de chanteurs ou sonneurs de couple, ou bien

des compositions récentes de dirigeants de bagadoù.

Pour ce mémoire, il m'a été possible de consulter les partitions dans la collection Ar Soner

de la BNF, et de me procurer facilement tous les recueils chez des bouquinistes bretons (de

nombreux sonneurs actuels sont d'ailleurs toujours en possession de ces recueils, imprimés à

plusieurs milliers d'exemplaires à l'époque).

32

L'étude de ces partitions a permis d'obtenir des informations sur le répertoire des groupes

de l'époque, mais aussi de se poser la question du rapport qu'entretenaient les sonneurs avec la

notation musicale.

C) Les méthodes instrumentales

Très intéressantes pour analyser la manière dont BAS souhaitait voir enseignée la musique

aux sonneurs, des méthodes instrumentales ont été publiées par la fédération. La première, Skol

ar Biniou [Ecole de binioù] de Dorig le Voyer (1946), est plus destinée aux sonneurs de couple,

les bagadoù ne s'étant pas encore développés. Les deux suivantes, Traité élémentaire destiné

aux sonneurs de binioù (1954) et Ecole de bombarde (1955)30, sont écrites, sur proposition du

Comité Directeur de BAS, par deux sonneurs importants : Emile Allain (cornemuse) et Jean

l'Helgouach (bombarde). Il a fallu attendre 1962 pour que soit publiée l'équivalent pour les

batteurs de bagad : Skol an Taboulin [Ecole du batteur], par Ferdy Kerne. Les sonneurs utilisent

également des méthodes de cornemuse importées d'Ecosse. Tous ces ouvrages ont été utilisés

pendant plus de vingt ans par l'ensemble des bagadoù, avant que de nouvelles méthodes ne

soient pas publiées.

Ces méthodes instrumentales sont déposées à la BNF, et, comme les recueils de partitions,

il a été facile de les acheter chez des bouquinistes bretons.

D) Les enregistrements

Dès le début des années 1950, les bagadoù de première catégorie enregistrent un grand

nombre de disques (d'abord des 78 tours, puis des 45 et 33 tours). Mais, à la différence des

publications écrites, rares sont les fois où BAS est éditrice de ces disques. Le label quimpérois

Mouez Breiz en enregistre la plupart ; les autres sont publiés, assez étonnamment, par des firmes

nationales (Barclay, Arion, Ricordi, le Chant du Monde, etc). Bien souvent, ces grandes firmes

se sont adressées au bagad champion de l'année alors qu'elles cherchaient à compléter leur

catalogue « Musique du monde » ou « Folklore ».

Les enregistrements ont été réalisés, selon le label, dans des salles en Bretagne ou dans des

studios parisiens. La qualité des prestations est parfois discutable puisque les disques ont été

enregistrés très rapidement, souvent en une seule prise. Néanmoins, ils ont été très intéressants

30 Voir en Annexes VI et VII les couvertures de ces méthodes.

33

dans le cadre de ce mémoire : le répertoire enregistré est celui que les bagadoù jouaient

habituellement, et non un répertoire spécialement travaillé pour le disque.

Les disques de bagadoù sont pour la plupart consultables à la BNF (hormis les 78 tours).

J'en possédais également un certain nombre, acquis dans diverses ventes d'occasion. Enfin, la

Mission Bretonne de Paris31 (Ti ar Vretonned) a mis à ma disposition son fond de 33 et 45 tours.

Au total, une quarantaine de disques ont été consultés (sur environ soixante enregistrés entre

1950 et 1970). J'ai numérisé vingt de ces vinyls. Un traitement audio ultérieur a été nécessaire

pour ceux qui étaient les moins bien conservés.

Outre ces disques, j'ai pu consulter et numériser des enregistrements amateurs de bagadoù

dantant des années 1950, conservés par l'association Dastum32 à Rennes.

Les numérisations de ces vinyls et bandes ont permis d'insérer au cours de ce mémoire des

exemples audios (Cf en Annexe I la liste des pistes du CD audio annexe).

E) Les entretiens

L’étude des Ar Soner et des divers écrits pré-cités permet une première approche de ce que

pouvait être le quotidien d’un sonneur de l’époque. Mais il apparaît bien vite que ces

publications ne représentent que le discours « officiel » de la fédération BAS. Cette ''pensée

unique'', aussi intéressante à analyser soit-elle, ne représente qu'un aspect du mouvement bagad.

J’ai souhaité avoir d'autres avis sur cette époque, en savoir plus sur ce que vivaient les sonneurs

au quotidien, au sein-même de leur groupe. C’est dans cette optique que je suis allé à la

rencontre d’anciens sonneurs de bagad, des quatre coins de Bretagne, ayant sonné dans les

décennies 1940, 1950 et 1960.

Cela me permettait par la même occasion de donner une dimension humaine à ce travail de

recherche, d’effectuer un travail de « terrain », par l’exercice pas toujours aisé de l'entretien.

J’ai mené une dizaine d’entretiens, de janvier à avril 2010. Il m’a fallu tout d’abord

trouver les bonnes personnes à rencontrer. J’en connaissais déjà certaines, célèbres depuis

plusieurs décennies dans le milieu des sonneurs de bagad. D'autres noms m’ont été donnés par le

31 Association des bretons de Paris, proposant cours, stages, concerts, et disposant d'une bibliothèque/médiathèque. J'en profite pour les remercier, en particulier Claude Devries.

32 Dastum a pour but de recueillir, sauvegarder, et transmettre le patrimoine oral breton. Elle conserve notamment un grand nombre d'enregistrements de collectages. Je leur adresse mes remerciements pour la mise à disposition de leur fond et pour leur disponibilité.

34

journaliste Armel Morgant, ou suggérés par mes lectures des Ar Soner de l'époque. Ces anciens

sonneurs ont été contactés par courrier33. La plupart a répondu à la proposition de rendez-vous34.

Après réception d'une réponse positive à mon courrier, un rendez-vous était fixé avec les

sonneurs, souvent à leur domicile. J’ai été très agréablement surpris de constater, à chaque fois,

un très bon accueil de leur part. Ils m’ont été de bon conseil, constamment soucieux du bon

déroulement de l’entretien et de la pertinence de leurs propos. Beaucoup avaient préparé ma

venue en sortant des documents d'époque (photos, disques, revues). Certains ont même eu la

délicate attention de favoriser la poursuite de mes recherches, en me confiant des photos ou des

enregistrements, ou en me mettant en relation avec d'autres anciens sonneurs à rencontrer.

J’adresse ici une nouvelle fois mes sincères remerciements à ces gens passionnés et

passionnants.

On trouvera ci-dessous une présentation de chacun des « informateurs » :

► Armel Morgant (entretien mené le 18/01/2010 à Quimper – 29). Aujourd'hui journaliste, il aété secrétaire administratif de BAS pendant 15 ans, et travaille actuellement pour la revueArMen et la maison de disques Coop-Breizh. Fin connaisseur du milieu des bagadoù et dessonneurs, il est notamment l'auteur de l'important ouvrage Bagad, vers une nouvelletradition ?35. Suite à la rédaction de ce livre et à son travail au sein de BAS, Armel Morgant asu notamment m'orienter vers d'anciens sonneurs à aller rencontrer.

► Michel Richard (le 26/01/10 au Conquet – 29). Sonneur de cornemuse, Michel a commencéà jouer en 1957, au lycée du bagad de Landerneau. Il a sonné au sein de la Kevrenn Brest-Saint-Marc et du bagad Brest-ar-Flamm. Après avoir mené sa vie professionnelle, Michel estde retour au Conquet où il a ressorti ses instruments. Je le côtoie depuis plusieurs années ausein de divers groupes musicaux du Nord-Finistère (chants de marins, musique de fest-noz,pipe-band).

► Bob Haslé (le 02/02/10 à Rennes – 35). Il est le président actuel de la fédération BAS, depuis 13 ans. Sonneur de cornemuse, Bob Haslé a commencé à jouer en 1954 dans les YaouankizBreiz de Rennes. Puis il a successivement sonné et/ou été penn-soner des groupes Kadoudal(Rennes), Kevrenn de Rennes, bagad de Vern-sur-Seiche (35).

► Pierre-Yves Moign (le 04/03/10 à Plouguerneau – 29) Il s'agit du seul musicien non-sonneur de bagad rencontré. Mais son rôle a été déterminant dans le monde des bagadoù, de la fin des années 1950 jusqu'aux années 1970. Compositeur d'origine brestoise, diplômé du CNSM de Paris (premier prix de contrepoint), Pierre-Yves Moign a été sollicité par plusieurs bagadoù

33 Ce mode de communication ayant été préféré au contact direct ou téléphonique, pour laisser aux personnes le choix de répondre ou non à la sollicitation.

34 A l'heure de la rédaction de ce mémoire, je n'ai pas encore pu rencontrer toutes les personnes ; je prévois depoursuivre ce travail d'entretiens (des rendez-vous sont d'ores et déjà fixés pour l'été).

35 Armel Morgant, Bagad, vers une nouvelle tradition ?, Spézet, Coop-Breizh, 2005.

35

de première catégorie (Brest-Saint-Marc, Rennes, Brest-ar-Flamm) pour leur arranger des partitions. Il apporta alors à partir de 1957 de réelles nouveautés dans la musique de bagad. Outre ses rapports avec ces groupes, Pierre-Yves Moign est considéré comme l'un des artisans du renouveau de la musique bretonne, ayant collaboré avec divers artistes de premier plan (chorales, groupes, ou récemment avec le pianiste Didier Squiban).

► Bernard Lacroix (le 12/03/2010 à Plougastel – 29). Ayant débuté la cornemuse au bagadBrest-ar-Flamm à la fin des années 1950, alors qu'il était étudiant en médecine, il en devientle penn-soner trois ans plus tard. Bernard Lacroix a par la suite abandonné la cornemuse,pour se consacrer à son métier et à sa famille, et n'y a plus jamais retouché.

► Georges Cadoudal (le 16/03/10 à Brennilis – 29). C'est l'une des figures incontournables dela musique en Bretagne depuis plus de cinquante ans. Georges Cadoudal a joué de labombarde et de la cornemuse en couple (avec le grand sonneur de bombarde Etienne Rivoallan) comme en bagad. Il a décroché plusieurs titres de champion de Bretagne à la fin des années 1950, et a notamment été l'un des fondateurs du bagad de Bourbriac (22). Avec sa cornemuse, il a été de toutes les aventures, de toutes les manifestations. Installé en plein coeur du Centre-Bretagne (Brennilis), depuis sa retraite il se produit de plus belle avec la nouvelle formation Re an Are.

► Alain Le Buhé (le 29/03/10 à Locoal-Mendon – 56). Né à Quiberon mais élevé en régionparisienne, Alain le Buhé a été tout d'abord membre du bagad des scouts Bleimor, où ilapprend la bombarde et la cornemuse. Puis, de retour en Bretagne, il a successivement fondéles bagadoù de Carnac (56) et de Locoal-Mendon (56). Il fut enfin président de BAS de1991 à 1998. Alain Le Buhé possède par ailleurs une extraordinaire collection de soixante hautbois et cornemuses d'Europe, qu'il expose régulièrement.

► Martial Pézennec (le 30/03/10 à Rennes – 35). Ayant commencé à sonner en 1947, il futprésent au tout départ de la fédération BAS, au sein de laquelle il a pris des responsabilitésdès 1951. Il en fut notamment le président de 1982 à 1990, après avoir été pendant plus detrente ans membre du Comité Directeur. En tant que musicien et formateur, Martial Pézennec a fait partie de la Kevrenn Rostren (le second bagad BAS créé) et de la Kevrenn de Rennes. Il a en outre été président du centre Amzer Nevez de Ploemeur (56), centre culturel dédié aux pratiques culturelles bretonnes.

► Christian Hudin (le 06/04/10 à Rennes – 35). En 1952, Christian “Titi” Hudin décide delancer la Kevrenn de Rennes, après qu'un bagad dépendant du Cercle Celtique rennais aitpéréclité. Sonneur de cornemuse et formateur, il sera l'un des principaux artisans du succès decette Kevrenn pendant de nombreuses années. A la suite d'une vie professionnelle bienremplie (chef d'entreprise, président du Tribunal de Commerce, juriste au journal OuestFrance), Christian Hudin a cessé de sonner, mais continue à retrouver chaque semained'anciens comparses de la Kevrenn lors d'une rencontre hebdomadaire à leur local historiquedu centre de Rennes36.

► Gilles Goyat (le 12/04/10 à Plozévet – 29). Linguiste bretonnant réputé, professeur de bretonpendant de nombreuses années, Gilles Goyat a également été sonneur à la Kevrenn BrestSaint-Marc pendant plus de trente ans. Il y a débuté la cornemuse en 1963, et en a été le penn-soner quelques années plus tard.

36 A laquelle Christian Hudin m'a conduit, après notre entretien le 06/04/2010.

36

Plusieurs remarques s'imposent quant aux profils des informateurs rencontrés. Bien que

certains aient joué de la bombarde plus jeunes, ils sont pour la plupart sonneurs de cornemuse. Il

n'a pas été possible de rencontrer d'anciens batteurs de bagad. Cependant, les sonneurs

rencontrés ont évoqué le jeu de tous les instruments et pas uniquement leur pupitre.

De plus, on peut remarquer que l'ensemble de ces musiciens a officié dans les bagadoù de

première catégorie de l'époque ; leurs témoignages n'ont pu alors concerner que ce qui passait au

sein de ''l'élité'' des bagadoù. Tous ont d'ailleurs occupé des postes à responsabilités (penn-soner

de leur bagad, voire même président de BAS pour trois d'entre eux) ; leur vision des faits relatés

est ainsi celle d'un dirigeant, d'un formateur, d'un président, et non celle d'un ''simple'' sonneur

membre d'un bagad.

Ci-après, on trouvera une carte de Bretagne présentant les lieux où se sont déroulés les

entretiens :

37

La plupart des musiciens rencontrés résident

toujours actuellement dans la ville du bagad

dans lequel ils ont joué (soit ils étaient déjà

originaires de cette commune, soit ils s'y sont

installés pour continuer à jouer au bagad).

38

Illustration 1: Répartition géographique en Bretagne des entretiens réalisés.

Les entretiens ont duré entre 1h00 et 3h00, autour d'un verre, parfois en compagnie de

l'épouse du sonneur. Ces moments ont pris la forme d’entretiens semi-directifs, où, après avoir

présenté l’objet de mon travail, je laissais mes interlocuteurs évoquer leurs souvenirs tout en

posant ponctuellement les questions qui me paraissaient importantes. J’ai utilisé un enregistreur

numérique (Zoom H4N) pour garder une trace de toutes les informations échangées, et ai

transcris par la suite les enregistrements.

Les attitudes face au principe de l’entretien enregistré ont été diverses, bien que personne

n’y ait été réticent. Certains avaient l’habitude d’être interrogé sur ces questions : ils avaient

déjà été interviewés pour des livres ou des études universitaires. D’autres au contraire n’avaient

pas évoqué cette époque depuis un long moment.

Beaucoup ont été surpris ou dérouté par mon institution d’origine - comment se fait-il que

« La Sorbonne » s’intéresse aux bagadoù ? BAS et les bagadoù sont-ils vraiment des objets

d'étude « dignes » d'intérêt ?

L’angle d’approche « ethnomusicologique » que j’ai tenté à chaque fois d'expliquer,

brièvement, modifiait aussi parfois leur discours. Certains sonneurs se concentraient pour

donner des informations qui correspondaient à l’idée qu’ils se faisaient de mes attentes. Ainsi,

après plus d’une heure d’entretien l’un d’eux me dit : « Ce n’est pas ça qui doit vous

intéresser… Je n'arrive pas à parler que d' ''ethnomusicologie'' ! ». Lors d’un autre entretien,

l'épouse d’un sonneur nous a rejoint et s’est étonnée qu’il n’ait pas sorti ses photos ; son mari de

répondre : « Mais non, les photos ça ne l’intéresse pas, ce qu'il fait c’est de la musicologie ! »37.

Certains fois, les entretiens prenaient la forme de « cours ». Le sonneur tenait à me

réexpliquer la genèse du mouvement BAS, voire toute l’histoire de la musique bretonne… Mes

connaissances du « milieu » étaient testées : « tu as déjà vu cette photo ? Tu peux me dire qui est

dessus ? », « Untel, j’espère que tu l'a déjà rencontré ? », « J'espère qu'au moins tu sais le

breton ? », etc. Mais cela se passait toujours avec de bonnes intentions, dans le but que

l’entretien soit fructueux.

De cette dizaine d'entretiens sont ressortis non-seulement une somme d'informations

capitales, mais aussi des échanges passionnants ayant donné une dimension humaine et concrète

à mon travail.

37 Nous avons tout de même fini par sortir les photos, qui se sont révélées très intéressantes pour observer les instruments et la disposition du groupe en défilé.

39

40

Première Partie :

Le développement des bagadoù,expansion d'une invention uniformisée

BAS manifeste dès sa création une forte volonté de codifier tous les aspects du bagad. Par

le biais du publications dans Ar Soner ou de conseils prodigués directement aux groupes, les

dirigeants de la fédération établissent des règles que les tous les bagadoù sont théoriquement

tenus de respecter.

Nous détaillerons ci-après les cinq grands domaines concernés par cette codification : la

standardisation du bagad (dénomination, effectif, visuel, etc.), les modèles musicaux à imiter, les

instruments, les méthodes d'apprentissage, et enfin la théorie musicale. Pour chacun de ces

domaines, nous verrons quels sont les codes édictés par BAS, et comment les groupes les

appliquent au quotidien.

I – Standardisation du bagad

A) Dénomination

Aujourd’hui le mot « bagad » est communément utilisé pour désigner les ensembles de

bombardes, cornemuses et batterie. Mais à la toute fin des années 1940, lorsque cette nouvelle

façon de jouer ensemble commence à peine à se développer, le nom que l’on donne à ces

regroupements de sonneurs n’est pas encore tout à fait fixé : les termes « clique organisée »,

« bagad-sonerion », « bagad », ou encore « kevrenn » sont utilisés.

43

CHAPITRE 1

LES CODES DÉFINIS PAR B.A.S ET LEUR APPLICATION AU SEIN DES GROUPES

Le premier terme employé est « clique », avec une distinction entre les « cliques » et les

« cliques organisées ». Voilà ce qu'indique la revue Ar Soner en 1949 :« Le nombres des cliques organisées en Bretagne est excessivement réduit. Il existe bien des cliques mais qui n'ont pas le caractère d'une clique organisée comme celle des cheminots de Carhaix. Nous entendons par clique organisée, un groupe de sonneurs n'ayant d'autre vie... disons ''folklorique'' que celle de leur clique. Les cliques connues à ce jour sont : SNCF-Karaez, Rostren, Glazik, Vannes, Rennes, Paris, Nantes, J.A.C (Léon), Concarneau-Scaer-Fouesnant38».

En avril 1950, après « cliques organisées », les trois plus importants groupes du moments (Carhaix, Glazik, Rostrenen) sont appelés « band »39, en référence aux pipe-bands écossais.

Et puis dès le mois de mai 1950, le terme « bagad » fait son apparition, d’abord sous la forme « bagad-sonerion » [groupe de sonneurs]. Dorig le Voyer, le président de BAS, tient d’ailleurs à signaler que le mot « clique » ne doit plus être employé :

« Pour nommer un ensemble ''biniou, bombarde, tambour'', il ne faut pas dire ''clique'' mais BAGAD-SONERION. Pour simplifier, je dirai simplement bagad (les cliques sont des ensembles de cuivres et tambours). Un bagad-sonerion est un ensemble très intéressant, et qui est encore peu connu40.»

C’est donc le terme « bagad-sonerion », raccourci en « bagad » qui s'est imposé progressivement dans le monde des sonneurs. Mais parallèlement, un autre terme coexiste, celui de « kevrenn ».

La kevrenn est à l’origine un découpage administratif mis en place par BAS pour décentraliser son action. Chaque kevrenn correspondait à un territoire assez réduit (quelques cantons), avec un président et un bureau associatif, un responsable de la formation, etc. Il y avait par exemple la kevrenn C’hlazik pour le pays de Quimper, la kevrenn Baris pour la région parisienne, et même la kevrenn Tunis pour la Tunisie ! Théoriquement, une même kevrenn peut peut contenir plusieurs bagadoù. C’est le cas en 1951 à Quimper, où la kevrenn C’hlazik compte 3 groupes (bagad Quimper, bagad du Likès et bagad de l’Ecole Normale).

Mais souvent, le terme « kevrenn » est employé avec le même sens que celui de « bagad ». Il ne désigne alors plus le territoire administratif imaginé par BAS, mais bien le groupe de sonneurs qui s’y trouve. C'est le cas pour la Kevrenn de Rennes, la Kevrenn Brest-Saint-Marc ou encore la Kevrenn Alre (Auray). En 1958, sur la notice d'un disque du bagad Brest-ar-Flamm, il est écrit :

« Une batterie, des bombardes, des cornemuses, cela s'appelle en breton un bagad. Ce mot tend d'ailleurs, de plus en plus, à être remplacé par le mot kevrenn. »41

La même année , la Commission Technique de BAS témoigne de ce flou sémantique : « Définition du mot bagad : « ensemble ou orchestre de sonneurs comportant des binious, des bombardes, et des tambours ». Le mot kevrenn est plus dur à définir. »42

38 « Goulenn ha respont » [questions-réponses], Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 8.39 Ar Soner n°11 (avril 1950).40 Dorig le Voyer, « le bagad-sonerion », Ar Soner n°14 (juillet 1950), p. 8.41 Notice du disque de la Kevrenn Brest-ar-Flamm, s.n, Barclay 76045, 1958.42 Ar Soner n°104 (juillet 1958).

44

Finalement, les deux termes coexistent, de nos jours encore ; certains groupes se nomment

« bagad », et d'autres « kevrenn ».

B) Effectif

L'une des premières normes que BAS s'attache à fixer est le nombre de musiciens que doit

comporter un bagad. Pendant une dizaine d'années, la fédération tente d'imposer un effectif

standard, notamment par le biais des règlements de concours. Le nombre total de musiciens est

défini, mais aussi le nombre d'instrumentistes par ''pupitre'' (binious, bombarde, percussions).

Ci-dessous, un tableau synthétique des règlements de 1949 à 1957 qui évoquent l'effectif :

Total

Minimum

Total

MaximumBinioù Bombardes Percussions

Mai 194943 6 minimum 4 minimum 2 tambours

Juin 194944

6 minimum 4 minimum 2 tambours

10 8 2 + 1 grosse caisse

12 10 4 + 1 grosse caisse

20 14 4 + 1 grosse caisseNovembre 195145 21

Février 195246 8 4

4 tambours de

fond

2 ténors

1 grosse caisseDécembre 195447 18 23 8 8 7 caisse claires

Août 195548 18 23 6 minimum 6 minimum

Juin 195749 15 23 6 minimum 6 minimum3 tambours de

fond minimum

Tableau 1: Effectifs recommandés par les règlements de concours entre 1949 et 1957

43 Règlement du premier concours meilleurs sonneurs comprenant une catégorie « clique », Ar Soner n°1 (mai 1949), p. 9-10.

44 « Goulenn ar Respont » [questions-réponses], Ar Soner n°2 (juin 1949), p.8.45 Compte-rendu du CA de BAS, Ar Soner n°26 (novembre 1951).46 Petra Eo BAS, supplément au Ar Soner n°30 (février 1952), p. 12.47 Compte-rendu du Comité Directeur de BAS, Ar Soner n°61 (décembre 1954), p. 12.48 « Les concours annuels des bagadoù BAS : considérations et règlementations générales », Ar Soner n°75 (Août

1955), p. 1.49 Commission Technique BAS, « règlement du concours de Brest », Ar Soner n°101 (mai-juin 1957), p. 6.

45

On peut voir que la norme fluctue quelque peu, et la manière de la fixer aussi : c'est tantôt

le nombre maximum de musiciens qui est indiqué, tantôt le nombre minimum. Le règlement de

Juin 1949 est le seul à proposer plusieurs solutions, pour garder de bonnes proportions selon le

nombre total de musiciens.

Ces règles, émanant la plupart du temps de Polig Montjarret, sont édictées de manière

empiriste puisqu'il indique qu'elles sont « le produit de multiples essais effectués en 1948, 1949,

195050 ».

Les bagadoù appliquent-ils à la lettre ces prescriptions ? Lors des concours, oui, pour la

plupart. Bernard Lacroix et Georges Cadoudal se souviennent51 que, puisque les règlements

l'effectif minimal à 6 cornemuses, leurs groupes (bagad Brest-ar-Flamm et bagad de Bourbriac)

en profitaient pour n'envoyer que les 6 meilleurs musiciens au concours.

Mais il arrive aussi que le jour de la compétition, certains groupes dépassent le nombre de

sonneurs fixé par BAS. C'est le cas du bagad de Kemperlé qui à deux reprises, aux concours de

1952 et 1953, se voit sanctionné pour « un sérieux handicap (...) : le nombre trop important de

sonneurs »52 (30 au lieu des 21 règlementaires).

En revanche, en-dehors des concours, les effectifs des groupes sont beaucoup plus

variables ; loin de tenir compte des prescriptions de la fédération, chaque bagad emmène en

prestation l'ensemble des sonneurs disponibles ce jour-là.

C) Equilibre des trois pupitres

Les dirigeants des bagadoù se trouvent donc confrontés à un problème de répartition des

masses sonores : un bagad, c'est un rassemblement de musiciens de trois pupitres d'instruments

(bombardes, binioù, percussions). Tous les instruments n'ont pas la même puissance. Quel

pupitre d'instruments doit être mis en valeur ? De quelle manière ? Les avis divergent.

Au départ, Polig Montjarret est favorable à ce que le pupitre de binioù soit le plus fourni,

étant donné que les bombardes ont une puissance plus importante :

50 Polig Montjarret, « Un breton émigré traduit-il la pensée de BAS », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10.51 Entretien avec Bernard Lacroix et Georges Cadoudal, les 12/03/2010 et 16/03/2010.52 Résultas des concours 1952 et 1953, dans les Ar Soner n°33 (juin 1952) et n°45 (juin 1953).

46

« Le nombre des membres d'une clique organisée varie selon le nombre de binious. Le nombre des bombardes doit toujours être inférieur au nombre de binioù. Le nombre de tambours dépend également du nombre de binioù et de bombardes. La grosse caisse n'a sa raison d'être que lorsque le nombre de 15 sonneurs est dépassé. »53

C'est pourquoi les premiers règlements imposent un nombre supérieur de binious (voir

tableau ci-dessus). Mais à partir de 1954, les proportions prescrites se modifient, pour arriver à

nombre égal de sonneurs par pupitres. Cette décision fait suite aux remarques de Dorig Le

Voyer, qui considère que les binious sont alors plus puissants que par le passé, d'où un

déséquilibre de l'ensemble. Sa proposition de répartir les pupitres « par tiers » (8 binious, 8

bombardes, 7 caisses claires) est adoptée54.

Dès 1950, Le Voyer était partisan d'un nombre égal d'instruments par pupitre. Cela permet

selon lui un respect des proportions du couple de sonneurs de couple traditionnel (1 bombarde,

1 biniou, éventuellement accompagnés d'un tambour), le bagad devenant alors un couple

''multiplié'' :« Autrefois le chef - ou bombarder - se faisait accompagner par le biniawer et le tabouliner. Il faut garder cet équilibre et composer un bagad avec un nombre égal de biniaweron, bombarderion, et tamboulinerion.»55

Le fait d'avoir beaucoup de caisses claires n'est pas considéré comme un problème par Dorig Le

Voyer, puisque cela permet au contraire « d'éviter de devoir taper fort, et comme ça pouvoir

nuancer »56.

Jean l'Helgouach, penn-soner de la Kevrenn de Rennes, milite pour sa part en faveur d'une

prédominance de la bombarde :«[Les binious] doivent se faire petits lorsque les bombardes sont en jeu ; ils ont un rôle de soutien de thème, un rôle d'accompagnement. Au besoin, ils peuvent reprendre le thème. Les tambours, eux, ont pour mission de soutenir le rythme et la cadence mais non de les maintenir, car alors la bombarde ne peut plus se livrer à sa fantaisie (...).Le résultat final doit converger vers la supériorité très nette de la bombarde. »57

Mais lorsque les dirigeants choisissent d'équilibrer le nombre d'instrumentistes, ce n'est

pas forcément du goût de tous les sonneurs. Gilles Goyat se souvient58 des tensions qui

apparaissaient inévitablement lorsqu'il décidait au bagad de Brest-Saint-Marc, pour des raisons

d'équilibre sonore, de limiter le nombre de caisses claires lors des prestations en salle. Les

batteurs refusaient, en disant « on est venu, on joue ! ».

53 « Goulenn ha Respont » [questions-réponses], Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 8.54 Compte-Rendu du Comité Directeur de BAS, Ar Soner n°61 (décembre 1954), p. 8.55 Dorig le Voyer, « Comment équilibrer un bagad-sonerion », Ar Soner n°14 (juillet 1950), p. 9.56 Ibid.57 Jean l'Helgouach, « Bombarde et Bagad », Ar Soner n°61 (décembre 1952), p. 6.58 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.

47

Outre le nombre de sonneurs, il est un autre moyen de répartir la puissance des différents

pupitres : ne pas faire jouer tous les instruments en même temps. Les premiers bagadoù jouent

systématiquement à l'unisson, les binious assurant les réponses des phrases de bombardes, et les

caisses claires accompagnant l'ensemble du morceau. Mais progressivement les pennoù, en

charge de l'écriture des partitions, vont varier les combinaisons instrumentales au sein de leurs

bagadoù. Dès 1955, dans un article appelé « La bombarde à l'honneur », le bagad du lycée de

Saint-Brieuc annonce qu'il « expérimente des nouvelles techniques pour donner plus de place à

la bombarde, moments où les cornemuses s'arrêtent, par exemple »59. Puis à partir des années

1960, les bagadoù proposent du nombreux passages de pupitres solistes ou d'instruments

solistes, comme dans l'exemple suivant :

Suite La Parade de la Kevrenn de Rennes (solos de caisse claire, et de bombarde).Disque 33t. La Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964.

D) Conventions visuelles

Costumes, allure de chaque sonneur et de l'ensemble, position en défilé : dans les années

1950 et 1960, une grande importance est accordée à l'aspect visuel des bagadoù. Les règlements

et les directives de BAS sont très strictes sur cette question. Le sonneur est avant tout un breton,

et un bon breton se doit d'être digne et présentable ; cette bonne présentation passe d'abord par le

costume : « Un breton en chaussures de basket-ball ne peut être qu'un je m'enfoutiste, un

inconscient ou un mauvais breton ! »60.

En 1956, le comité des fêtes de Cornouaille va même jusqu'à attribuer des prix aux

groupes qui ont la « meilleure tenue », pour les inciter à se préoccuper de l'image qu'ils offrent

au public. Il semble en effet que ce ne soit pas toujours la priorité des sonneurs : le compte-

rendu du concours de 1956 pointe par exemple ici des « chapeaux déformés »61, là des « velours

usés »62. Martial Pézennec considère que les choses ont beaucoup évoluées depuis :

« Aujourd'hui les groupes savent se présenter sur scène, ils saluent, ils ont un respect du public.

A l'époque, il ne fallait même pas essayer de leur dire quelque chose sur leur tenue ! »63.

59 « La bombarde à l'honneur », Ar Soner n°62 (janvier 1955), p. 5.60 Polig Montjarret, « Les leçons d'un concours », Ar Soner n°33 (juin 1952), p. 3.61 Ar Soner n°93-94 (septembre 1956), p. 30.62 Ibid.63 Entretien avec Martial Pézennec le 16/03/2010.

48

A chaque concours, des juges sont présents pour noter la « présentation », la « tenue » ou

« l'allure » des bagadoù. Parfois les juges sont placés anonymement dans le public, à différents

endroits du défilé. En juin 1952, au concours de Kemperlé, 10 personnes dans la foule sont

choisies au hasard par Polig Monjarret pour juger la tenue des groupes.

Certaines années le « paraître » importe presque autant que le « sonore » pour le

classement : en 1956 par exemple, sur 5 juges, 2 notent la présentation. Jusqu'en 1957, la note

ainsi obtenue pour l'aspect visuel compte dans la moyenne générale des concours.

Les bagadoù étant avant tout des groupes de défilé, la BAS insiste beaucoup pour qu'ils

sachent bien marcher en jouant, pour qu'ils aient fière allure lors des grands défilés estivaux.

Bernard Lacroix raconte64 que son bagad Brest-ar-Flamm s'entraînait à défiler dans la grande

cour de leur local brestois ; la Kevrenn de Rennes, selon Martial Pézennec65, faisait les mêmes

entraînements dans une grande salle prêtée par le Conservatoire de Rennes.

Savoir bien défiler devient une épreuve lors des concours, appelée « évolution ». Lors du

concours de 1955 par exemple, les bagadoù ont l'obligation de jouer leur premier air en défilant,

en suivant un itinéraire de marche qui leur a été préalablement transmis. Ils doivent « prendre les

virages comme des angles de rues »66 :

64 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.65 Entretien avec Martial Pézennec66 Ar Soner n°75 (août 1955).

49

Illustration 2schéma paru dans Ar

Soner n°75 (août 1955)

Il est une autre préoccupation de l'époque où les aspects visuels et musicaux se rejoignent :

la disposition des musiciens en défilé. Cette question fait beaucoup débat, les uns étant partisans

de suivre le modèle des cliques de cuivres et tambours, les autres le modèle des pipe-bands. Au

fil des années BAS propose différentes configurations de défilé, tentant de réunir de façon

optimale plusieurs paramètres : il faut que le bagad ait fière allure, que tous les musiciens

s'entendent mutuellement, et que le son perçu par le public soit agréable.

En 1949, il est dit que le bagad doit se disposer ainsi :

« Devant, le chef de clique (biniou). Si le chef de clique est talabarder67, il se place au milieu de la clique. Derrière le chef, les binious sur 3 ou 4 rangs, puis les bombardes, et les tambours. »68

Dans le même article, la « disposition militaire française (tambours devant) »69 n'est pas

conseillée car elle est « nuisible à l'accord général »70.

Pourtant, l'année suivante, Dorig Le Voyer préconise précisément cette disposition inspirée

des cliques françaises, qu'il schématise ainsi :

Il explique sa proposition par des raisons pratiques, pour améliorer les conditions de jeu des

sonneurs, et donc le rendu de l'ensemble. Les batteries sont placées à l'avant « pour bien voir la

67 Joueur de bombarde68 « Goulenn ha respont » [questions-réponses], Ar Soner n°2 (juin 1949).69 Ibid.70 Ibid.

50

Illustration 3 : schéma extrait de « Le bagad-sonerion »,Ar Soner n°14 (juillet 1950), p. 8

mesure du penn »71 (qui marche toujours devant l'ensemble ; il est sous-entendu sur le schéma).

Les binious « jouent tout le temps donc doivent bien entendre les caisses claires »72 ; quant aux

bombardes, elles ont « plus d'intérêt à être groupées »73.

Mais il semble que cette disposition avec tambour à l'avant ait été peu utilisée par les

bagadoù. Deux ans plus tard, Polig Montjarret écrit que « les avis sont partagés quant à la

disposition des tambours, des binioù, des bombardes, les uns par rapport aux autres »74.

Il propose une autre disposition, « consacrée par des années d'expérience et des centaines

de défilés en bagad »75 ; cette fois, ce sont les cornemuses qui mènent le groupe, suivies des

bombardes, et enfin des batteries ferment la marche. Cette nouvelle disposition est schématisée

en 1952, reproduite à la page suivante :

Illustration 4: Schéma paru dans « Petra eo BAS »numéro spécial d'Ar Soner n°30 (février 1952), p. 32.

Yves Defrance considère76 que les bagadoù se sont inspirés pour cette disposition de celle des

pipe-bands (notamment après la venue en Bretagne du pipe-band de Glasgow en 1947). Cette

manière de placer les binious en tête « diffère sensiblement de celle des cliques françaises,

tambours en tête, cuivres derrière »77.

71 Dorig le Voyer, « Le bagad-sonerion », Ar Soner n°14 (juillet 1950) , p. 8.72 Ibid.73 Ibid.74 « Le Bagad en Marche », Petra eo BAS, numéro spécial d'Ar Soner, n°30 (février 1952), p. 32.75 Ibid.76 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit, p. 128.77 Ibid.

51

En pratique, les bagadoù défilent exclusivement selon cette disposition, comme on le voit par

exemple sur les clichés suivants.

Illustration 5: Bagad Raoul-II de Fougères (35) défilant dans les années 1960.Source : www.filetsbleus.free.fr (page consultée en avril 2010).

Illustration 6: Bagad des cheminots de Carhaix, défilant en 1950 à Douarnenez (29). Source : Collection Georges Cadoudal, Dépôt Dastum.

52

Illustration 7: Bagad de Plomodiern (29), défilant en 1959.Source : www.pagesperso-orange.fr/bagad-plomodiern (page consultée en avril 2010).

On remarquera sur cette dernière photo le penn-soner (recteur) marchant devant l'ensemble.

Bien que le défilé reste l'activité la plus importante pour les premiers bagadoù, il leur

arrive aussi de jouer en position statique. C'est le cas lors des concours, où les groupes se

présentent devant un jury et un public assis ; c'est le cas également lors des prestations en

« concert » sur scène ou estrades, lors de certaines fêtes. Si la BAS débat longuement du

positionnement en défilé, on ne trouve aucune recommandation pour la disposition statique.

Les sources iconographiques à notre disposition permettent cependant de se faire une

idée de la manière dont les groupes se disposent en version "concert" ; plusieurs solutions

s'offrent à eux.

La première est la disposition en demi-cercle. Les instruments sont regroupés par

pupitre, avec (de gauche à droite pour le public) bombardes, batteries, cornemuses. Le pupitre

batterie est soit intégré à l'arc de cercle (le bagad joue sur un rang), soit placé au milieu de l'arc-

de-cercle, constituant un premier rang, comme sur la photo suivante :

53

D'autres fois, les groupes conservent sur scène leur disposition de défilé :

54

I

llustration 9: Bagad Saint-Joseph de Paimpol sur podium - Bleun Brug de Bourbriac, vers 1955.Source : Collection Georges Cadoudal, dépôt Dastum.

Illustration 8: Bagad, vers 1960. Source : carte postale, collection personnelle.

Enfin, plus rarement, certains bagadoù s'inspirent des pipe-bands en adoptant leur

disposition de concert, à savoir le cercle fermé :

E) Autres critères d'évaluation en concours

Dans Ar Soner sont mentionnés après chaque concours les critères utilisés par les juges

pour effectuer leur notation. Tous les bagadoù sont très attentifs à ces critères de jugement, qui

contribuent à définir le stéréotype du bagad. Un « vrai » bagad est celui qui porte son attention

sur l'ensemble de ces critères.

Outre la présentation, et l'effectif, évoqués plus haut, certains critères sont récurrents d'une

année sur l'autre. C'est le cas de la « cadence », domaine sans cesse mentionné par les rapports

de jury, qui concerne à la fois le tempo choisi et sa régularité. Les airs imposés sont transmis aux

groupes avec une « cadence » (tempo) indiquée. Elle est notée le plus souvent sous forme

numérique ( noire=110, par exemple), ou sous forme littérale (andante).

Le respect de la cadence imposée est très important pour le jury ; des mesures précises

sont effectuées lors des concours, au besoin en enregistrant les prestations sur magnétophone

pour avoir la possibilité de les réécouter78.

78 Par exemple au concours de Juin 1955.

55

Illustration 10: Bagad scolaire Moulin-Vert de QuimperSource : www.filetsbleus.free.fr (page consultée en avril 2010).

Les commentaires sont très précis : en 195479, il est reproché à un bagad d'avoir démarré

l'air de marche à 112 « battements » par minute (au lieu des 110 imposés), et d'avoir terminé

122. Un autre groupe a démarré à 112 pour finir à 118... En 1955, le jury reproche aux bagadoù

d'avoir été trop rapides sur un air noté andante80.

Le jury attache également une grande importance aux démarrages, arrêts, et à

« l'exécution » (enchaînements des airs). Au milieu des années 1950 apparaissent les notes

techniques pour chaque pupitre d'instruments. Il faut attendre les années 1960 pour que soient

pris en compte officiellement des critères « musicaux » comme les arrangements, les choix d'airs

ou encore « l'interprétation »81.

Selon les années, chaque membre du jury note dans l'ensemble des critères, ou bien

chacun est spécialisé dans un domaine.

Ci-dessous, nous proposons pour exemple un tableau présentant les critères de jugements

lors de quatre concours (chaque domaine était noté sur 20) :

195482 195583 195784 195985

Cadence ● ● ● ●Justesse ● ● ●

●Sonorité ● ●Démarrages / Arrêts86 ●

●● ●

Enchaînements (changements

d'airs)●

Présentation / Tenue / Allure ● (●)87

Interprétation musicale ●Bombardes ● ● ●Binioù ● ● ●Batterie / Tambours ● ● ●

79 Ar Soner n°57 (juin 1954), p. 6.80 Ar Soner n°73 (juin 1955), p. 2.81 En Piste 23 du CD Audio, on trouvera un enregistrement de 1965, où Donatien Laurent, juge, explique au bagad

Bourbriac, après concours, les critères sur lesquels il les a notés.82 Ar Soner n°57 (juin 1954), p. 6.83 Ar Soner n°63 (janvier 1955), p. 2.84 Ar Soner n°101 (mai-juin 1957), p. 7.85 Ar Soner n°112 (juillet-août-septembre 1959).86 Aussi appelés « Introduction ».87 Ne compte plus dans la moyenne, mais peut servir à établir le classement général.

56

Dénomination, effectif, aspect visuel ou vitesse d'exécution, tels sont les domaines que

BAS veut codifier pour standardiser son invention, le « bagad ». Ces codes sont connus de tous

les sonneurs, par le biais des Ar Soner ou des rapports de concours.

Il est un autre domaine que BAS souhaite contrôler précisément : les instruments. Le but

est d'uniformiser leur fabrication, leur échelle, ou encore leur doigté. Mais cela n'est pas chose

aisée. Dans le domaine instrumental comme toujours dans le milieu des bagadoù, les directives

officielles s'adaptent aux réalités de terrain.

II – Les instruments, de la facture à l'exécution

Les bagadoù utilisent deux pupitres d’instruments mélodiques : les bombardes et les

cornemuses. BAS définit des normes pour la facture de ces instruments, ce qui est d’autant plus

facile que le luthier « fournisseur exclusif »88 n'est autre que Dorig le Voyer, président de la

fédération. Les instruments distribués aux sonneurs répondent donc aux exigences des dirigeants

de BAS. Mais la fédération ne peut pas tout contrôler, et le monopole du luthier-président ne

dure pas très longtemps. On voit apparaître d’autres instruments (importés d’Ecosse) au cours

des années 1950. Les instruments du troisième pupitre (percussions) suivent eux une autre

évolution.

Entre normes de lutherie officielles, souhaits des sonneurs, et réalités d’un marché colossal

de vente d’instruments, il faut tenter d’y voir plus clair.

88 dénomination utilisée dans les publicités de Dorig le Voyer, visible par exemple sur la 4° de couverture de C’houez er Beuz, recueil de partition, s.l., 1953.

57

A) Instruments tempérés : une standardisation jugée nécessaire

En 1947, Jef Le Penven, membre pionnier et censeur musical de BAS, fait l’apologie des

diverses factures de bombardes et binious traditionnels.« Le charme et l'originalité de notre musique sont précisément faits de la justesse relative des instruments non-tempérés, de cette gamme naturelle (…). Pourquoi dans ces conditions vouloir ''améliorer'' le biniou et la bombarde en adoucissant leur sonorité et en normalisant leur tonalité ? Ne vaut-il pas mieux jouer du hautbois ou de l'orgue qui eux sont l'aboutissement logique et parfait de nos deux instruments ?89 »

Mais c’est tout le contraire de ce qu’il prône qui va se passer avec le développement de BAS.

Les bombardes et les binioù-braz utilisés par les sonneurs vont en effet être standardisés en un

modèle unique, ayant notamment une échelle tempérée90.

Avant l’import généralisé de cornemuses écossaises, la quasi-totalité des instruments de

bagad est fabriquée par Dorig le Voyer. C’est lui qui fait le choix de tempérer l’échelle de ses

bombardes et de ses binioù-braz. A l’époque comme aujourd’hui, on explique ce choix par

différentes raisons :

- volonté de tourner le dos aux instruments des anciens sonneurs de couple. Dorig le Voyer

considère que les binioù kozh91 étaient pour la plupart « atrocement faux »92

- acculturation aux « musiques françaises » ou internationales, qui répandent l’emploi du

tempérament égal

- « condition peut-être nécessaire pour développer la musique instrumentale bretonne en

direction de la polyphonie »93

Outre la standardisation de l’échelle, une tonalité unique est également définie : celle de Si

bémol. Le choix de cette hauteur a été fait dans les années 1940, et utilisé par Dorig le Voyer

dans l’ensemble de sa production. Plus tard, Polig Montjarret attribue ce choix parfois à Jef Le

Penven, parfois à Dorig le Voyer lui-même.

La tonalité de Sib est justifiée comme étant une tonalité médiante entre toutes les hauteurs

de bombardes des sonneurs traditionnels. Les anciens sonneurs utilisaient en effet, selon les

régions de Bretagne, tout un panel de tonalités : des plus graves en pays vannetais (Fa#, Sol),

89 Jef le Penven, Introduction du recueil Sonit’ta Sonerion, s.l., BAS, 1947.90 Le terme « tempéré » est employé ici dans le sens de tempérament égal.91 Cornemuse utilisée par les sonneurs traditionnels, comportant un bourdon, et jouant une octave plus haut que la

bombarde avec laquelle elle forme un couple musical.92 Dorig le Voyer, « Tradition, que de crimes on commet en ton nom », Ar Soner n°100 (mars-avril 1957), p. 1.93 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 135.

58

jusqu’aux plus aigus en pays bigouden (Do, Do#), en passant par toutes les hauteurs

intermédiaires ailleurs : « Si Dorig a adopté la tonalité de Sib (…) c'est parce qu'elle est la tonalité ''médium'' en Bretagne, et, en même temps, la plus vulgarisée (…). [Si bémol] est le meilleur ton pour la bombarde, pas trop ''aigre'' mais permettant d'atteindre la seconde octave. »94

Mais il s’agit surtout pour les fondateurs de BAS de fournir aux sonneurs un instrument sonnant

à la même hauteur que les cornemuses écossaises (celles-ci ayant progressivement monté

jusqu’au Si bémol après avoir été au départ en La) :

« Jef le Penven a décidé d'adopter le Sib pour tout le monde, une tonalité géniale car la bombarde s'est alors trouvée à l'unisson des cornemuses internationales. Cela a permis le développement fantastique des bagadoù. J'ai vécu cette période de près, j'étais dedans95. »

Les normalisations de l’échelle et de la tonalité des instruments sont donc antérieures au

lancement des bagadoù. Ces normes sont fixées au cours des années 1940, pendant les

premières années d’existence de BAS. Déjà lors des précédents essais de bagad (notamment par

la KAV parisienne dans les années 1930), des instruments tempérés en Si bémol étaient utilisés.

Lorsque les premiers bagadoù se forment, dans les années 1948 à 1950, tous les sonneurs

possèdent donc des mêmes instruments, fabriqués par Dorig le Voyer (ou par d’autres luthiers

minoritaires, sur le même modèle). Si la bombarde ne connaît ensuite que peu d’évolutions, ce

n’est pas le cas du binioù-braz, qui, délaissé au profit de la cornemuse écossaise ou âprement

défendu, fait beaucoup débat.

B) Bombardes 96

Jusqu’aux années 1970, toutes les bombardes des bagadoù proviennent des mêmes

luthiers : Dorig le Voyer (le plus gros vendeur), Lanig (instruments commercialisés par

Laurenceau à Nantes), et Capitaine. Tous les instruments possèdent à peu de choses près les

mêmes caractéristiques de perce, d’échelle et de hauteur, puisque les luthiers se conforment au

modèle de Dorig le Voyer.

94 Polig Montjarret, « Ecossophile et Cornemusophobe », Ar Soner n°87-88 (juin 1956), p. 1-4.95 Polig Montjarret, dans Bretagne, Terre de Musiques de Daniel Morvan, Briec, E-Novation, 2001, p. 14.96 Hautbois à 7 trous. Il ne s’agit pas ici de proposer une histoire complète de l’instrument, mais simplement de son

utilisation en bagad.

59

Illustration 11: Bombarde tournée en 1950 par Dorig Le Voyer,

conservée au MUCEM de Paris

Les bombardes BAS se composent de deux parties : un corps de perce conique, et un

pavillon détachable. Le corps comporte sept trous, le dernier se fermant grâce à une clé. Une

anche double en roseau et liège, très courte, vient se glisser dans l’embouchure ; les lèvres du

sonneur sont directement en contact avec cette anche. Les bombardes sont faites d’ébène, ou de

divers bois selon les disponibilités. Trois cornes d’ivoire cerclent le pavillon et l’embouchure.

Ces bombardes ont un ambitus de deux octaves, la deuxième étant accessible beaucoup

plus difficilement, à l’aide d’un renforcement de la pince des lèvres et de la pression d’air. Cette

seconde octave n’est pas utilisée couramment par les sonneurs avant 195797. Ils explorent

ensuite l'échelle, ne dépassant presque jamais le Fa jusqu'au années 1970.

L’échelle est diatonique, avec possibilité d’obtenir un La bémol médium :

Illustration 12: Echelle des bombardes de bagad

97 La kevrenn Brest-Saint-Marc s’illustre brillamment cette année-là avec un arrangement de Pierre-Yves Moignsur le morceau Arzon - Evit mont d’an iliz dans lequel les bombardes démarrent sur un Do octave. Après ce coup d’éclat, l’usage de la seconde octave se généralise.

60

La méthode Ecole de Bombarde98 explique en 1955 que l’on peut obtenir la plupart des demi-

tons en variant la pince (Ré bémol, Mi bécarre, Sol bémol). Cette technique est cependant assez

rarement utilisée par les musiciens. En revanche, dès les années 1950, ils prennent l’habitude de

scotcher certains trous pour modifier l’échelle (le plus souvent la moitié du 5ème trou est bouchée

pour obtenir un Ré bémol), ou de trouver des doigtés de « fourche » pour disposer d’une

« gamme mineure »99.

La taille de l’anche et la forme de l’instrument font qu’il est impossible de contrôler

efficacement le volume du son produit, qui est très puissant. Néanmoins certains sonneurs

maîtrisent la technique des « sons filés », qui consiste à pincer plus fortement l’anche pour

diminuer quelque peu le volume sur une note longue. Cette technique est citée dans la méthode

de Jean l'Helgouach Ecole de Bombarde100, et fréquemment utilisée par les bombardes de son

bagad, la Kevrenn de Rennes. On en entendra des exemples dans l'extrait suivant :

A labouzig ar c'hoat par la Kevrenn de Rennes (sons filés de bombarde).Disque 33t. La Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964.

Les bombardes des sonneurs BAS s’éloignent assez fortement des instruments utilisés par

les sonneurs de couple traditionnels. Le sonneur Laurent Bigot considère que « sonner de la

bombarde, c’est surtout utiliser un instrument qui n’est plus celui de la tradition »101.

L’instrument mis au point par le Voyer possède une échelle tempérée et une tonalité standard de

Si bémol. Mais surtout, il n’est plus possible pour le musicien de faire varier la hauteur de

chaque note, comme pouvaient le faire les anciens sonneurs. En effet, le but est de disposer

d'instruments dont les notes varient le moins possible, pour que « les jeunes sonneurs puissent,

en quelques mois, avoir une justesse suffisante pour jouer en groupe »102.

La standardisation a également cours pour les anches de bombarde, fabriquées par les

mêmes luthiers.

98 Ecole de Bombarde, Jean l'Helgouach, Op. Cit.99 Le règlement du concours de meilleurs sonneurs de 1953 mentionne que «les truquages des levriadou ou

bombardes par des papiers collants ou abbuplastes pour obtenir une gamme mineure ne sont pas autorisés », Ar Soner n°43 (avril 1953), p.12.

100 Op. Cit.101 Laurent Bigot, sonneur et enseignant, cité par Yves Defrance dans « Itinéraire d'un sonneur de couple en

Bretagne : Laurent Bigot », Les hautbois Populaires, anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p.224.

102 Ibid.

61

Il semble que la facture des bombardes ne varie que très peu pendant les trois premières

décennies de BAS. Le seul fait notable est l’adjonction du 2nde clé à la main droite servant à

jouer le La bémol grave103 (pour se calquer sur le chanter104 des cornemuses écossaises).

Un travail plus approfondi sur le tempérament des bombardes dans les années 1950 et

1960 serait à mener. Après avoir produit pendant de nombreuses années des instruments

uniquement tempérés, il est possible que Dorig le Voyer ait tourné des bombardes conçues pour

s'adapter aux cornemuses écossaises, qui possédent un tempérament propre. Les tempérament

des instruments n'a jamais été évoqué explicitement. Mais Yves Tanguy, penn-bombarde de

Brest-Saint-Marc parle de « bombardes qui pouvaient s’aligner des cornemuses Hardie »105 et de

« nouvelles bombardes Dorig dont l'échelle s'adapte mieux aux cornemuses »106.

C) Binioù-braz et bagpipe

Il faut mentionner que quelques essais éphémères de bagadoù utilisant le binioù kozh et

non le grand biniou ont été tentés. C’est le cas du bagad de Carnac, fondé par Alain le Buhé en

1964. Ce dernier espère d’ailleurs encore que de telles expériences puissent voir le jour :

« J’attends, encore aujourd’hui, qu’un bagad ait le courage de jouer avec un pupitre entier de petit biniou, qui est l’instrument breton, et pas avec un pupitre de cornemuses. De qui, de quoi avons-nous honte ? »107

Mais c’est véritablement le grand binioù qui s’impose au sein des bagadoù, pour de multiples

raisons. Les jeunes veulent tourner le dos à une pratique jugée ancienne et démodée (dès les

années 1930, le petit biniou tendait à être remplacé par le grand), imiter les écossais, disposer

d’un instrument adaptable en ensemble, moins aigu et plus facile à accorder.

Une distinction préalable est nécessaire, puisqu'une confusion règne souvent dans les

termes utilisés pour parler de la cornemuse de bagad. Le binioù-braz108 est le nom donné par

Dorig Le Voyer à la cornemuse qu’il invente et fabrique en Bretagne. La cornemuse écossaise

est l’instrument importé d’Ecosse, utilisé massivement par les bagadoù après 1955.

103 Nous avons trouvé les premières traces de ces clés de La bémol en 1957, mais il n’a pas été possible de déterminer l’époque où ce principe se généralise.

104 Tuyau mélodique des cornemuses écossaises, dont le La grave est bémol.105 Yves Tanguy, cité dans Alain Cabon, La kevrenn Brest-Saint-Marc, bagad d'exception(s), Spézet, Coop-Breizh,

2008.106 Yves Tanguy, cité dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Gilles Goyat, et. alii., Op. Cit., p. 56.107 Entretien avec Alain le Buhé, le 29/03/2010.108 [Grand biniou].

62

Les deux termes sont fréquemment employés l’un pour l’autre, à l’époque comme

aujourd'hui. Il est vrai qu’ils sont proches, puisque Dorig le Voyer s’est grandement inspiré de

l’instrument écossais pour mettre au point son binioù-braz. Mais c’est précisément les quelques

différences qui existent entre les deux instruments qui font débat au sein des bagadoù.

Jusqu’au milieu des années 1950, tous les bagadoù jouent sur des binioù-braz de Dorig le

Voyer. En effet, lorsqu’un bagad se monte, BAS lui conseille de commander l’ensemble de ses

instruments au luthier officiel. Les exceptions sont rares, il s’agit de sonneurs qui possédaient

déjà un instrument avant leur affiliation à la fédération. Ainsi Georges Cadoudal sonne-t-il au

bagad de Bourbriac sur une cornemuse écossaise Hardie109, tandis que tous les autres sonneurs

utilisent des binioù-braz. Dorig le Voyer propose également d’autres modèles de binioù-braz à

un ou deux bourdons, pour les jeunes sonneurs (ces instruments sont parfois nommés biniou-

nevez110).

Illustration 13: Biniou-bras fabriqué parDorig le Voyer en 1950.

Conservé au MUCEM de Paris.

Illustration 14: Cornemuse écossaise du début du XXe siècle.

Conservé au MUCEM de Paris.

109 Fabricant écossais de cornemuses.110 [Nouveau biniou].

63

Puis à partir de 1953-54, les bagadoù commencent à se procurer des cornemuses

écossaises, directement en Ecosse, par le biais de système plus ou moins légaux. L’importation

d’instruments écossais n’est pas récente, elle est antérieure au développement des bagadoù111,

mais c’est la première fois qu’elle a lieu de façon aussi généralisée. Cela s’explique par deux

raisons. Premièrement, les délais d’attente pour obtenir des binioù-bras de Dorig le Voyer sont

relativement longs. Martial Pézennec se souvient que le luthier de BAS étaient « avant tout un

artiste, et qu’il livrait quand il pouvait »112 . Les bagadoù voient en Ecosse un moyen plus sûr et

plus rapide de commander des instruments.

Mais surtout, les sonneurs de bagad préfèrent les instruments écossais, au son jugé plus

puissant et plus agréable. Ils se désintéressent des binioù-bras du luthier breton. C'est le début

du courant qu'on nomme à l'époque « écossomanie », qui se caractérise par une véritable

fascination des instruments écossais. Une longue querelle va avoir lieu entre les partisans du

binioù-bras de Dorig le Voyer, et les ''écossomanes'' qui vantent les mérites des cornemuses

écossaises.

Dorig le Voyer tente par tous les moyens de défendre son affaire en affirmant que le

binioù-bras qu’il a mis au point est un instrument bien breton, et pas une simple copie de

cornemuse de piètre qualité. Il élabore une théorie selon laquelle son instrument serait inspiré

d’une cornemuse ancienne, jouée dans toute l’Europe, « le biniou idéal, d'une tonalité identique

à celle de la bombarde, et certainement du même type que les autres cornemuses

européennes »113. Le binioù-kozh breton ne serait selon lui qu’une mauvaise évolution, bien trop

aigue114, de cet instrument idéal : une mauvaise évolution qu’il se serait attaché à rectifier en

fabriquant ses binioù-bras. Il a « la prétention d'avoir conservé le timbre du biniou-koz et de

jouer une octave plus bas »115.

Polig Montjarret soutient tout d'abord Dorig le Voyer sur ce sujet, admettant avoir lui-

même participé à l'élaboration du biniou-bras (c'est lui qui a démandé de réduire la volume

sonore). Mais à partir de 1956, il remet finalement lui-aussi les instruments bretons en question,

pensant qu'ils ne sont pas assez puissants pour jouer en bagad. Polig Montjarret explique que

111 C’est notamment cette importation de cornemuses écossaises qui menacé, après la 1ère Guerre Mondiale, lapratique du binioù bihan. C’est à ce moment que le qualificatif de koz [vieux] a été attribué à l’ancien binioù.Voir à ce sujet le mémoire de Steven Ollivier sur l’acculturation de la cornemuse écossaise en Bretagne (cf.Bibliographie).

112 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.113 Dorig le Voyer, « Traditions, que de crimes on commet en ton nom », Ar Soner n°100 (mars-avril 1957).114 le binioù-kozh sonne une octave plus haut que la bombarde, avec une tessiture La4-Sib5 .115 Dorig le Voyer, Ar Soner n°84 (mars 1956), p. 2.

64

Dorig le Voyer « n'avait pas créé son biniou-bras pour le bagad, mais pour le couple »116, et

avoue donc penser que les bagadoù « ne [peuvent] se satisfaire des biniou-bras bretons, ceux ci

ayant perdu les caractéristiques essentielles des bagpipes117 (puissance, dimension d'outres,

anches dures...) »118.

D’ailleurs la majorité des sonneurs ne semblent pas convaincus par les théories quelque

peu fumeuses de Dorig le Voyer, et ne voient dans le binioù-bras qu’une mauvaise copie de

cornemuse écossaise, avec des défauts de puissance et de sonorité.

Les deux instruments possèdent une poche, un tuyau d’insufflement (le sutell en breton),

un tuyau mélodique (le chanter en anglais ou levriad en breton) et trois bourdons. Le levriad, de

perce conique, est muni d’une anche double, et les trois bourdons cylindriques d’anches

simples ; toutes ces anches sont en roseau. Les deux bourdons « ténors » donnent un Si bémol,

et le bourdon « basse » un Si bémol à l’octave inférieure.

Outre la différence de puissance sonore, binioù-bras et cornemuse écossaise diffèrent au

niveau du doigté. Dorig avait mis au point un levriad pensé pour être très simple à jouer. Ainsi,

on pouvait le jouer en « doigté ouvert », de la même façon que la bombarde (avec l’idée que les

sonneurs puissent jouer les deux instruments). La cornemuse écossaise se joue elle en doigté

fermé119. Plus compliqué au premier abord, il n’a pas rebuté les sonneurs de bagad ; au contraire,

ce raffinement de doigté les a même attiré. Le doigté fermé, appelé aussi « doigté écossais », se

répand rapidement au sein des bagadoù, en même temps que les instruments écossais. En 1955,

il devient le doigté officiel de la fédération, suite à une décision de la Commission Technique :

« Le doigté appelé à tort doigté « spécial » ou « écossais » est à considérer désormais comme le doigté « normal » du biniou120. »

La seconde différence importante, source de conflits, concerne l'échelle donnée par le

levriad. Deux camps, menés par Dorig Le Voyer et Herri Léon, s’opposent sur cette question.

Le binioù-bras donne une gamme comprenant deux La bécarres :

116 Polig Montjarret, « Ecossophile et Cornemusophobe », Ar Soner n°87-88 (juin 1956).117 Cornemuses écossaises.118 Polig Montjarret, « Traditions anciennes et récentes », Ar Soner n°117 (juin 1960).119 En doigté ouvert, il suffit de lever un doigt pour changer de note. En doigté fermé, c'est plus compliqué ;

certaines notes nécessitent des doigtés différents.120 Compte-Rendu de la Commission Technique de décembre 1954, Ar Soner n°63 (janvier 1955), p. 1.

65

Illustration 15: Echelle du biniou-bras

Il est néanmoins possible d’obtenir le La bémol aigu avec un doigté fourché. Il s'agit d'une

échelle en tous points identique à celle de la bombarde.

Le chanter des cornemuses écossaises donne une échelle ou les deux La sont bémols :

En 1956, Dorig le Voyer, Jean l’Helgouach et Herri Léon s’affrontent par articles

interposés concernant ces fameux La bécarres et bémols. Chacun y va de ses arguments plus ou

moins fondés, pour défendre l’un ou l’autre des instruments.

Dorig le Voyer et Jean l’Helgouach justifient121 la gamme du biniou-bras en disant qu’elle

est citée par Maurice Duhamel122 comme étant la plus couramment employée en Bretagne. Herri

Léon raille cette affirmation en disant qu’il s’agit aussi de la « gamme des airs modernes »123

(gamme majeure). En effet, cette véritable gamme de Si bémol majeur semble en complète

« contradiction avec l'ambition modale [de BAS]»124.

De son côté, Herri Léon prône une adoption totale de l'échelle écossaise, qui selon lui

était déjà utilisée par les anciens sonneurs (mode de Sol). Il considère que cette échelle

121 Dorig le Voyer, « Réponse à Herri Léon », et Jean l’Helgouach, « L’invasion écossaise », Ar Soner n°84 (mars1956)

122 Dans son ouvrage Musiques Bretonnes, Gwerzioù ha sonioù Breiz-Izel, Paris, Rouart-Lerolle, 1913, rééd.Dastum 1997.

123 Herri Léon, « Tradition et évolution, considérations sur le doigté du biniou-bras », Ar Soner n°84 (mars 1956),p. 1.

124 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., , p.125.

66

Illustration 16: Echelle de la cornemuse écossaise

permettrait de jouer dans différents modes (mode de Sol sur Si bémol, mode de La sur Do, etc.).

Il veut même convaincre Dorig de modifier l’échelle de ses binioù-bras « non parce que c'est la

gamme utilisée en Ecosse, mais parce que les exigences de l'harmonie comme celles de la

tradition s'accordent pour nous le recommander »125.

La discussion et la compréhension entre les deux camps est d’autant plus difficile que les

premiers utilisent la notation en hauteur réelle (et parlent donc d’une échelle de Si bémol) tandis

qu’Herri Léon persiste à parler en notation écossaise (il parle d'une échelle de La).

Les cornemuses écossaises se répandant, leurs La bémols posent des problèmes de

compatibilité avec les bombardes ; ces dernières ne disposent dans le grave que d'un La bécarre.

Le même problème se pose dans l'aigu. Cela ne semble pas gêner outre-mesure les bagadoù qui

jouent simultanément des La bémols et des La bécarres.

On trouvera dans la piste audio suivante deux exemples de ce fait. Dans le premier, les La

bémols graves des cornemuses sont joués en même temps que les La bécarres graves des

bombardes. Dans le second exemples, les La bémols aigus des cornemuses sont joués en même

temps que les La bécarres aigus des bombardes :

1) Gavotte Pourlet, par la Kevrenn de Rennes Disque 33t. La Bretagne, Vol.II, Paris, Barclay, 1964

2) Plinn, par la Kevrenn de RennesDisque 45t. s.n, Festival des Cornemuses 1960, Paris, Ricordi, 1960

Patrick Molard se souvient126 qu'au bagad de Saint-Malo, pour remédier à ce problème, on

apprenait aux sonneurs de bombardes à ne pas jouer les La graves. Sur certains morceaux, ils

devaient donc « sauter » des notes...

Mais surtout, binioù-bras et cornemuses écossaises n’ont pas le même tempérament. Les

premiers sont tempérés, tandis que les secondes possèdent une échelle proche de la gamme

« naturelle » ou « acoustique » (basée sur la progression des harmoniques d’un son, en

l’occurrence le Si bémol).

125 Herri Léon, « Tradition et évolution, considérations sur le doigté du binioù-bras », Ar Soner n°84 (mars 1956).126 Anecdote racontée lors de la Conférence-Hommage à Herri Léon, le 10/04/2010 à Porspoder (29).

67

On trouvera ci-dessous un tableau comparant l’échelle d’une cornemuse écossaise (des

années 1950 et 60)127, et du binioù-bras tempéré (avec un Sib à 474 Hz) :

Note Sib Do Ré Mib Fa Sol La (b) Sib2

Intervalle 2nde 3ce 4te 5te 6te 7eme 8ve

Cornemuses(gamme “naturelle”) 1 9/8 5/4 27/20 3/2 5/3 9/5 2

Binioù-bras(tempérament égal) 1 22/12 24/12 25/12 27/12 29/12 210/12 2

Fréquences cornemuses (en Hz) 474 533,25 592,5 639,9 711 790 853,2 948

Fréquences binioù-bras (en Hz) 474 532 597,2 632,7 710,2 797,2 844,6 948

Il semble que cette différence de tempérament n’ait pas été théorisée à l’époque, aucun

témoignage écrit ne l’évoque explicitement. Néanmoins la majorité des sonneurs trouvent que

l’échelle de la cornemuse écossaise est « plus agréable », et surtout qu‘elle « sonne mieux »

avec les bourdons que celle du binioù-bras. Emile Allain écrit en 1953 qu’un « bon levriad doit

être faux, c'est à dire ne pas reproduire la gamme d'un piano, par exemple, mais au contraire

posséder une gamme propre. Cette gamme s'accorde davantage au son invariable des

bourdons »128.

Cette préférence vient du fait que les bourdons de l’instrument produisent un spectre très

riches en harmoniques. La gamme « naturelle » de la cornemuse écossaise comporte des notes

dont les fréquences sont proches des différentes harmoniques générées, à la différence de la

gamme tempérée du binioù-bras. L’association des bourdons et des chanter écossais est donc la

plus plaisante pour le sonneur breton des années 1950.

Pendant quelques années, les instruments écossais cohabitent avec ceux de Dorig le Voyer.

Mais finalement, ce sont les cornemuses écossaises qui triomphent ; en plus des différences

sonores (puissance, timbre, échelle), les musiciens trouvent que les cornemuses écossaises ont

127 D'après les informations du site www.pipingup.com de Ronan Latry, à qui nos plus vifs remerciements sont adressés.

128 Emile Allain, Ar Soner n°49-50 (octobre-novembre 1953), p. 13.

68

plus « d’allure » (les bourdons sont montés de manière plus verticale que ceux des binioù-bras).

Alain le Buhé explique que cet échec a été pour le luthier de BAS « une véritable

cassure, ça l’a complètement démoli »129. Il arrête donc sa production de binioù-bras, mais

continue à fournir les bagadoù en bombardes.

D) L'obsession de la justesse

Faire jouer juste les sonneurs est le principal cheval de bataille des dirigeants de bagadoù.

Yves Defrance écrit même que la justesse est une « véritable obsession des cadres de la BAS

jusque dans les années 1970 »130.

Se préoccuper de la justesse apparaît comme un moyen de légitimer la musique de bagad,

de se hisser au niveau des autres instruments et de se démarquer de la pratique des anciens

sonneurs traditionnels, que l'on considère comme « faux » :« Les sonneurs doivent obtenir de leurs instruments la note juste. A ce jour, la plupart des sonneurs ne se sont jamais attachés à une telle recherche, le rythme nécessaire à la danse ayant seul pour leur auditoire de l'intérêt (...). Si l'on veut que [nos instruments] cessent d'être considérés comme mineurs, il faut leur donner des titres de noblesse131. »

Les rapports de jury publiés après chaque concours fustigent inévitablement les bagadoù

qui ne présentent pas un « bon accord », et en 1954 Polig Montjarret fait même adopter une

mesure draconienne, adoptée à l'unanimité par le comité directeur de BAS :

« Le jury estimant mauvais l'accord d'un bagad aurait la faculté d'arrêter immédiatement les épreuves et de renvoyer le groupe s'accorder. Si l'accord n'était pas meilleur, lors de sa deuxième présentation devant le jury, le groupe serait définitivement disqualifié. La première qualité d'un bagad est de sonner juste. (...) Désormais on n'entendra plus de bagadou faux aux concours BAS puisqu'ils seront invités à aller s'accorder, ou ne se feront plus entendre132. »

Il n'y a néanmoins aucune trace de l'application de cette mesure.

Cette obsession de la justesse de la BAS a pour but de lutter contre une attitude assez laxiste des sonneurs à cet égard. Les personnes rencontrées en entretien, qui étaient tous cadres et formateurs, se souviennent des difficultés rencontrées lorsqu'il s'agissait d'accorder les musiciens, et surtout de faire comprendre à tous l'importance de jouer juste. Nombreuses sont les anecdotes de bagadoù s'accordant une seule fois « pour la saison entière », ou de sonneurs sortant les cornemuses des étuis en pensant être toujours justes :

129 Entretien avec Alain le Buhé, le 29/03/2010.130 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 136.131 Ar Soner n°21 (avril 1951).132 « Compte-rendu du C.D de BAS », Ar Soner n°61 (décembre 1954), p. 8.

69

« Je me rappelle une fête à Rostrenen même. Le jour dit, nous nous y retrouvons. Et le défilé partit sans que personne n'ait éprouvé le besoin d'accorder les instruments, puisque l'accord avait été fait lors de la répétition précédente...133 »

Les dirigeants des bagadoù de première catégorie passent de longues minutes à accorder

les bourdons des cornemuses avant chaque prestation, et sont régulièrement sollicités pour

accorder les groupes des catégories inférieures. D'ailleurs Christian Hudin, responsable de la

Kevrenn de Rennes, assure avoir conservé une oreille très sensible à la justesse plus de trente

ans après avoir arrêté de jouer, au point de réaccorder parfois des jeunes enfants qui jouaient du

violon dans sa maison !

La première norme de justesse imposée par BAS est la fréquence du Si bémol, les

instruments ayant été uniformisés dans cette tonalité. BAS, et surtout Dorig le Voyer,

recommandent aux groupes d'opter pour un Si bémol ni trop haut, ni trop bas. Il écrit en 1954 un

compte-rendu de concours très virulent sur cette question :« Il y a quelques années, le Si bémol a dégénéré en Si naturel ; les binious sonnaient faux, mais peu importe. Puis, la mode a changé, d'un extrême à l'autre toujours, on a joué presque en La. Résultat, les binious sont restés faux, mais d'une autre façon134. »

La virulence et le ton passionné de Dorig le Voyer viennent du fait qu'il est encore à cette

époque le principal luthier de bombardes et de cornemuses, et qu'il tourne ses instruments pour

être accordés avec un Si bémol à une certaine fréquence. Lorsque les sonneurs accordant leurs

instruments à une autre hauteur se plaignent d'avoir une échelle fausse, et remettent en cause

son travail, il leur renvoie la faute. Le même problème, se répètant en 1955, le fait s'écrier « le

Si bémol n'est pas une note fantaisiste, il est temps que chacun le sache ! »135.

Ces accordages propres à chaque groupe posent aussi problème lorsqu'il s'agit de faire jouer

plusieurs bagadoù ensemble. En 1955, Albert Hémery remarque136 qu'il est impossible de faire

jouer les bagadoù lors des triomphes137, puisque chacun est accordé à une hauteur différente. Il

propose donc l'achat par tous les groupes d'un diapason de même marque, le « Magic Key », qui

donnerait le même Si bémol à tout le monde. La même année Dorig le Voyer écrit l'article « Il

vous faut un diapason »138, où il préconise lui aussi l'achat de cet appareil. La fréquence de Si

bémol préconisé est donc sans doute celle correspondant au La 440 Hz (Si bémol = 466.16 Hz).

133 Martial Pézennec, dans Armel Morgant, « Bagad , vers une nouvelle tradition ? », Op. Cit., p. 11.134 Dorig le Voyer, « Après Quimperlé », Ar Soner n°58 (juillet 54), p. 5.135 Dorig le Voyer, « Il vous faut un diapason », Ar Soner n°80 (novembre 1955), p. 7.136 Compte-Rendu du Comité Directeur de BAS, Ar Soner n°80 (novembre 1955), p. 3.137 Clôture d'un défilé lors des grandes fêtes folkloriques, où tous les sonneurs présents jouent ensemble.138 Dorig le Voyer, « Il vous faut un diapason », Ar Soner n°80 (novembre 1955), p. 7.

70

Rien n'y fait, à l'écoute des disques on se rend compte que les bagadoù continuent à

utiliser des hauteurs de diapason différentes.

Hormis la hauteur absolue du diapason, les jugements concernant la justesse portent sur

les intervalles de l'échelle. Pendant une dizaine d'années, alors que la majorité des groupes

utilisent les instruments fabriqués par Dorig le Voyer, « sonner juste » signifie jouer selon les

intervalles du tempérament égal. Plus tard, avec l'adoption massive des cornemuses écossaises,

cette question de justesse devient très relative ; les instruments écossais ont une échelle qui leur

est propre, tandis que celle des bombardes reste tempérée.

E) Les batteurs

Si les cornemuses et dans une moindre mesure les bombardes focalisent toutes les

discussions du monde de la BAS, le troisième pupitre - la batterie139 - semble être le « parent

pauvre » du bagad. Les jeunes s’engageant alors dans un bagad sont pourtant nombreux à

choisir d‘être batteurs. Mais la formation des musiciens, la standardisation des instruments et

des techniques instrumentales sont beaucoup plus tardives que pour les deux autres pupitres.

Nous avons relativement peu d'informations sur la facture instrumentalea des instruments

de percussions pour la période qui nous intéresse. Il semble que des caisses claires diverses

soient utilisées, selon les approvisionnements possibles, avant qu'à la fin des années 1950 ne se

répandent progressivement les « batteries BAS » (caisses claires écossaises, grosse caisse, toms

ténors écossais). En revanche, les Ar Soner parlent souvent du jeu des batteurs.

Dans les premières années, la considération de ces musiciens comme partie intégrante du bagad n’est pas toujours évidente ; on ne les nomme pas « sonneurs », mais « batteurs ». Souvent, ils ont un statut un peu à part au sein des groupes. Batteurs dans d’autres formations (cliques, par exemple) ils peuvent ne rejoindre le bagad que ponctuellement, à l’occasion des concours et des prestations estivales, sans forcément suivre tout le cycle annuel de cours et de répétitions.

En 1951, le Conseil d’Administration se pose même la question de « savoir si les batteurs doivent appartenir à BAS »140. La réponse donnée est oui, et de nouveaux rubans permettant d’identifier les batteurs sont alors créés.

139 terme employé à l’époque pour désigner les percussions : caisses claires (appelées aussi « tambours de fond » , toms (« ténors ») et grosse caisse.140 Compte-rendu du Conseil d’Administration de BAS, Ar Soner n°26 (novembre 1951)

71

D’un point de vue musical, le pupitre batterie est loin d’être considéré comme le plus

important du bagad, n’étant qu’accompagnateur rythmique des deux autres pupitres mélodiques.

En 1965, Donatien Laurent, juré du concours, explique volontiers qu’un groupe « a beau avoir

de très bons tambours, on ne mettra pas un groupe premier pour ses tambours. Par contre, on le

mettra premier pour ses bombardes141 ».

C’est à la fin des années 1950 que se met en place, à l’image de ce qui a été fait pour la

bombarde et la cornemuse, une véritable entreprise de codification de la batterie de bagad.

La présence historique en Bretagne de trios instrumentaux bombarde-biniou-tambour est

attestée. Mais, en l'absence de sources concrètes, le jeu de batterie en bagad ne se fait pas par

rapport à une tradition bretonne. Les modèles des batteurs de bagad sont autres : les pipe-bands

écossais, et les tambours militaires ou « de patronages ».

L’influence écossaise est la plus forte et la plus affirmée. Ce sont les pipe-bands qui ont

donné l’idée d’introduire ce pupitre de percussions. BAS revendique haut et fort ce modèle des

batteurs écossais, sans que cela ne pose le moindre problème parmi les sonneurs142. Pierre

Lavanant se souvient que « les batteries adoptaient, sans grand débat à [sa] connaissance, les

techniques écossaises »143.

La seconde influence, qui au contraire est complètement désavouée par BAS, est celle des

batteries militaires françaises, et par extension de ceux que l’on appelle les batteurs de

« patro[nages] ». Bien souvent, les batteurs de bagad ont une expérience antérieure ou parallèle

en clique. La fédération, si elle encense le fait d’imiter le jeu des batteurs écossais, fustige

systématiquement toute ressemblance avec un jeu de clique de patronage. C’est le cas de la

Kevrenn de Rennes au concours de 1954 ; le jury indique que son pupitre batterie « a de la peine

à se débarrasser des battements traditionnels de patronage144 ».

Polig Montjarret écrit à plusieurs reprises qu’il est plus facile d’apprendre la batterie à des

débutants que de changer le style d’anciens batteurs :

« Il est plus aisé de travailler un terrain neuf, que d'essayer d'adapter à une nouvelle formule de vieux batteurs militaires chevronnés145. »

« Il est certain qu'il est plus aisé de former un batteur de bagad et d'exiger de lui aussitôt une technique difficile, que de reformer un excellent batteur de patronage ou de l'armée146. »

141 Source : Enregistrement par Daniel Le Ny de Donatien Laurent, s’adressant au bagad de Bourbriac à l'issue du concours de 1965. Document déposé à Dastum.

142 Ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne le modèle écossais pour la cornemuse.143 Pierre Lavanant, cité dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 77.144 Compte-rendu de concours, Ar Soner n°58 (juillet 1954), p.7145 Ar Soner n°45 (juin 1953), p.8146 Ar Soner n°58 (juin 1954), p.7

72

Jusqu’à la fin des années 1950, il est frappant de constater qu’il n’y a en Bretagne aucun

moniteur reconnu de batterie, aucun travail de formation des batteurs. En l’absence de bretons

spécialistes, BAS se tourne alors vers l’Ecosse et ses champions de caisses claires. Ar Soner de

Mars 1953 publie un communiqué intitulé « La technique écossaise au secours des bagadoù de

Bretagne », évoquant le projet de formateurs écossais intervenant de façon itinérante au sein des

groupes bretons.

Le projet voit le jour l’année suivante, en 1954 ; c’est le départ d’une formation standardisée des batteurs de bagad. Un moniteur écossais « champion du monde », Bobby Mc Gregor, intervient en Bretagne pendant deux mois. Accompagné de Polig Montjarret, il se déplace chez tous les bagadoù qui en font la demande. Les cours qu’il donne sont enregistrés et édités sur un disque par BAS et la Kevrenn C’hlazik quimpéroise.

La relation avec les batteurs écossais a lieu également par le biais de « jumelages », échanges entre jeunes bretons et écossais. En 1954, des batteurs de bagadoù vont fréquenter les écoles écossaises, et des batteurs écossais viennent en retour aider les groupes bretons. L’échange est unilatéral : les bretons vont se former, les écossais viennent former.

La totale dépendance des batteurs bretons aux cousins d’outre-Manche se manifeste également par le fait de faire appel exclusivement à des juges étrangers lors des concours. Alors que pour les bombardes et les cornemuses, la BAS privilégie petit à petit un jugement par des bretons, pour la batterie cela est impossible :

« [Les juges étrangers ne seront admis que s'ils] connaissent dans ses grands principes notre musique instrumentale populaire et sont conscients de la position particulière de nos bagadou. Ils devront de préférence être assistés d'un juge breton. Il va sans dire qu'une telle restriction ne concerne pas la batterie pour laquelle, en l'absence d'une école vraiment bretonne du tambour, la compétence des juges irlandais et écossais n'est pas mise en cause. » 147

Le souhait de voir émerger cette « école bretonne du tambour » n'est pas nouvelle. Dès 1950, BAS voulait que les batteurs utilisent « des battements appropriés aux airs bretons »148. Mais il faut attendre 1955 pour que cette école bretonne commence à se développer, sous l’impulsion d’un seul homme : Ferdinand ''Ferdy'' Kerne. Penn-batteur au bagad Brest-ar-Flamm, il est régulièrement sollicité par Polig Montjarret pour uniformiser et développer la pratique des batteries bretonnes. La BAS et Ferdy Kerne veulent un style de batterie propre aux bagadoù, inspiré des pipe-bands sans en être trop dépendant, mais surtout libéré du style des cliques de patronage :

« Le moment est venu de laisser l'ère des battements bâtards issus de clique ou composés « à l'estime. »149

147 Ar Soner n°100 (mars-avril 1957), p.17148 Compte-Rendu de la CEAF, Ar Soner n°17 (Octobre 1950)149 Ferdy Kerne, cité par Emile Allain dans « A quand une véritable école bretonne du tambour ? », Ar Soner n°77

73

Ferdy Kerne met progressivement en place la formation des batteurs de bagad, pour

succéder à un apprentissage quelque peu anarchique. Le principal projet est la publication d’une

méthode de batterie, pour faire suite aux méthodes de bombarde et de cornemuse qui viennent

d’être publiées150 :

« Actuellement BAS sort des bouquins pour biniou et bombarde. Le parent pauvre reste le tambour. » 151

Cette méthode tant attendue verra finalement le jour en 1962152, après que Ferdy Kerne ait

régulièrement publié dans Ar Soner des articles, conseils et partitions à destination des batteurs

de bagad.

Il s’agit d’abord d’uniformiser et de complexifier le jeu des batteurs, nombreux étant les

groupes qui se contentent alors de répéter une seule mesure pendant tout le morceau. Les cycles

rythmiques joués en boucle sont de plus en plus longs (plusieurs mesures), et, progressivement,

à chaque air mélodique va correspondre une partition de caisse claire. Il faut attendre la

décennie 1960 pour que les airs imposés aux bagadoù soient systématiquement accompagnés de

leur partition de caisses claires.

Il faut également uniformiser la notation des partitions de batterie. Les batteurs bretons

utilisent le système symbolique rythmique commun à toutes les techniques européennes de

caisses claires (RA, FLA, etc.) ainsi que la notation solfègique.

Il y a débat sur le fait de savoir s’il faut aller jusqu’à codifier avec quelles mains sont

jouées les coups. Jusqu’en 1960, cela ne se fait pas, chaque batteur alterne à sa guise main

gauche et main droite. Lorsque proposition est faite par BAS de noter les mains, Ferdy Kerne

s’y oppose :

« [Cela] serait contraire aux règles traditionnelles de la batterie [et] équivaudrait à imposer absolument une manière de jouer à tous, sans laisser la moindre place au goût, à l'interprétation, à l'imagination. Un batteur n'est pas une mécanique sans cerveau mais bien un musicien qui possède le sens du rythme, libre à lui de maintenir ce rythme à sa manière, avec ses deux mains et sans que l'une ou l'autre ne soit imposée à tel ou tel coup précis.153 »

Pourtant, les leaders des pupitres batterie ont déjà commencé depuis longtemps à uniformiser les

coups de leurs batteurs. Les partitions vont donc indiquer progressivement selon quelle manière

doivent être joués les coups ; tout d’abord en indiquant MD ou MG (main droite/main gauche)

(septembre 1955).150 Traité élémenaire destiné aux sonneurs de biniou en 1954, Ecole de Bombarde en 1955, Op. Cit.151 Ferdy Kerne, « A propos de tambour », Ar Soner n°72 (juin 1955), p. 3.152 Ferdy Kerne, Skol an Tanboulin, BAS, 1962.153 Ferdy Kerne, Ar Soner n°116 (avril-mai 1960), p. 12.

74

au dessus des notes, puis en écrivant les rythmes sur deux hauteurs correspondant à droite et

gauche (notation encore utilisée aujourd’hui).

Mais au sein des bagadoù, « peu de batteurs lisent la musique de tambour »154. A la différence des autres pupitres, où la notation solfégique n'est jamais simplifiée malgré les difficultés rencontrées, l'écriture de la batterie est elle parfois adaptée pour plus de simplicité.

En 1958 par exemple, Ferdy Kerne propose à une frappe de batterie pour l’air imposé au triomphe du festival des Cornemuses (Bale Guéméné). Il simplifie la notation et le jeu, pour faciliter la mémorisation et l’exécution :

« J'ai aussi pensé à ceux qui ne connaissent que peu de battements. Donc pas question de vous présenter quelque chose d'écrit ni de trop difficile. J'ai composé quelque chose de simple. Ça ne suit pas exactement le rythme par endroit, mais il fallait rester pratique. En combinant les deux phrases, prenant les notes de l'une pour les placer sur l'autre où il n'y en a pas, j'ai construit une frappe de 16 temps qui servira pour tout l'air. C'est plus vite appris et c'est mieux retenu. »155

Il abandonne alors la notation solfègique pour écrire sa partition sous cette forme :

PRRRAP – PA – PRRRRRRRRR G D G D etc.1 2 3 4

Cette tablature permet de lire de gauche à droite la frappe de batterie en syllabes symboliques

(ligne 1) en rapport avec les pas en défilé (ligne 2, Gauche et Droite) et les temps de la mesure

(ligne 3).

Mais ce système de tablature ne se généralise pas. Finalement, les batteurs de bagad

utilisent la notation rythmique solfégique. Progressivement, grâce à Ferdy Kerne, le pupitre

batterie prend une place aussi importante que les bombardes et les cornemuses au sein des

bagadoù.

154 Ferdy Kerne, Ar Soner n°104 (juillet 1956), p. 6.155 Ar Soner n°104 (juillet 1958), p. 6.

75

On voit donc que la standardisation instrumentale menée par BAS se fait progressivement

et de manière assez aléatoire. Les codes édictés concernant la facture des instruments et ceux

concernant l'exécution sont intimement liés.

Selon les instruments, la réussite de la campagne d'uniformisation est différente. Certes, la

fédération parvient à imposer certaines règles au niveau de la facture ou du jeu des bombardes,

mais elle ne s'occupe que peu des batteurs, et ne parvient pas à contrôler les sonneurs de binious

qui importent en masse des instruments écossais.

Pour qu'un jeu uniformisé se répande dans le monde des bagadoù, il faut un enseignement

commun. BAS définit donc également tout un système d'apprentissage, d'enseignement et

transmission pour les groupes, basé notamment sur l'usage de partitions, que nous allons

maintenant présenter. Il s'agit de l'un des points on l'on peut observer le plus de divergences

entre les directives officielles de BAS et leur application au sein des groupes.

76

IV – L'enseignement et la transmission au sein de BAS et des

bagadoù

BAS a conscience dès sa création que son succès reposera sur un large travail de formation

des sonneurs. Mais les questions sont nombreuses : quelles méthodes d'enseignement utiliser ?

Quelle forme doit prendre cet enseignement : cours hebdomadaires, stages, répétitions

collectives ? De plus, les dirigeants doivent convaincre leurs sonneurs, souvent réticents, qu'un

apprentissage est nécessaire. Sa taille importante impose en outre à BAS de réfléchir à une

décentralisation de l'enseignement.

Un autre problème est celui de la transmission des airs. Que ce soit dans un cadre

d'enseignement ou simplement un échange d'airs entre groupes, BAS souhaite utiliser la notation

musicale solfégique, une technique qui n'est pas toujours pratiquée par tous les sonneurs.

A) Former des cadres

Tout au long des deux premières décennies d’existence de la BAS, le principal credo des

dirigeants est « former des cadres » c’est-à-dire former des sonneurs qui soient à leur tour

capables d’enseigner dans les groupes, autrement dit « délocaliser » l’enseignement.

Polig Montjarret s’est toujours inquiété publiquement du développement trop rapide des

bagadoù, et donc du manque de « cadres » par rapport au nombre croissant de jeunes sonneurs.

Dès 1951, il écrit : « Nos cadres et nos techniciens ne sont pas assez nombreux pour faire face à

ce vaste mouvement »156 . Ce problème est récurrent ; BAS se réjouit de l’augmentation

exponentielle du nombre de groupes et de sonneurs, mais déplore le manque de sonneurs

chevronnés aptes à enseigner :

« Ce développement trop rapide des bagadou pose un problème sérieux. Chaque commune veut avoir son bagad, mais personne n'est compétent pour en former les membres. » 157

156 Polig Montjarret, « La renaissance musicale populaire instrumentale, Ar Soner n°17 (octobre 1950), p. 6.157 Compte-rendu du Comité Directeur de BAS, Ar Soner n°61 (décembre 1954), p. 8.

77

« 1954 aura été l'année de la consécration des Bagadoù. Près de vingt bagad nouveaux se sont présentés au public l'an passé ; avec les défauts des débutants, les hésitations d'élèves formés hâtivement, mais aussi dans l'enthousiasme des jeunes, et avec la fierté bretonne qui les anime. » 158

La formation des cadres est officialisée par la mise en place en 1956 d’un examen de

penn-bagad, projet de Polig Montjarret depuis le lancement de BAS :

« Pour être chef cantonnier, il faut passer un examen, il en est de même pour être trente-sixième sous fifre dans le vingt-septième bureau de la dernière administration. Alors pourquoi n’en serait-il pas de même pour être chef d’un cercle ou d’une kevrenn ? » 159

S’il existe officiellement, cet examen semble n’avoir que rarement été attribué. Néanmoins, un

réseau de formateurs, diplômés ou non, se met en place de manière informelle à travers la

Bretagne. Issus des bagadoù de première catégorie, des musiciens de haut niveau parcourent les

groupes de niveau inférieur pour sonner avec eux et les faire progresser. Plusieurs des sonneurs

rencontrés en entretien, « cadres » de leur bagad, se souviennent ainsi avoir « donné un coup de

main » à un grand nombre de bagadoù de l’époque160.

B) La formation des sonneurs : cours, répétitions, stages

Le volonté de disposer de cadres compétents pour proposer un enseignement solide aux

groupes reste à l’état de projet ; l’enseignement au sein des bagadoù se déroule de façon moins

ordonnée. Hormis les interventions ponctuelles de sonneurs extérieurs, et la participation

éventuelle à des camps BAS, la formation se déroule en interne : les plus anciens apprennent

aux débutants. Martial Pézennec raconte avec nostalgie ce mode de transmission ayant cours

dans les années 1950 et 1960 :

« Un bagad, c’était un esprit : tu apprenais avec les plus vieux, puis tu devenais un ''bon'' du bagad, et tu formais à ton tour. C’est très différent d’aujourd’hui où il y a des professionnels qui viennent donner des cours. A notre époque il y avait un réel esprit de club. »161

Les sonneurs les plus doués de chaque groupe enseignent indifféremment la bombarde et

la cornemuse. Le temps consacré par les sonneurs aux cours et répétitions du bagad est très

important : jusqu’à trois soirs par semaine, plus certains week-ends. Il peut arriver que les cours

158 Dorig le Voyer, « Bonne année », Ar Soner n°62 (janvier 1955), p. 1.159 Polig Montjarret, « Former des cadres », Ar Soner n°9 (1949), p. 2.160 Il faudra attendre les années 1980 pour que ce principe soit professionnalisé. Quelques dizaines de sonneurs

sont depuis salariés de la fédération et vont donner des cours aux groupes de leur département.161 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.

78

techniques instrumentaux et les répétitions d’ensemble soient des moments bien distincts ; mais

dans la plupart des cas, le tout est mêlé dans la même soirée.

Le travail se déroule dans tous les groupes de la même façon : tout d’abord « en pupitre »

(chaque groupe d’instruments apprend les morceaux dans son coin), puis « en ensemble » (tout

le bagad réuni).

La méthode d’enseignement utilisée est doublement héritée du système scolaire (un

professeur devant un groupe d’élèves) et des Conservatoires (recours à l’écrit et à des méthodes

publiées, cours techniques hebdomadaires). Les sonneurs semblent pour beaucoup rechigner à

travailler, ce que regrette bien sûr Polig Montjarret :

« Sur [la] cinquantaine de bagadoù existants, quelques-uns seulement s'astreignent à un effort continu et progressif, à un travail méthodique et sérieux ; les autres, et ils sont hélas la grande majorité, semblent se contenter de peu ; et ils ne sont cependant pas toujours les moins ambitieux.Il en est qui estiment que trois conditions essentielles sont à remplir pour être consacré sonneur : payer une cotisation, acheter un instrument, endosser le costume du grand-père !!! Et les voilà sur le chemin de la renommée... »162

Les formateurs enseignent différentes choses à leurs élèves : aux débutants, ils apprennent

à connaître leur instrument, et savoir le faire fonctionner rapidement, pour jouer dès que

possible en bagad. A cette époque, un débutant peut intégrer le bagad après quelques mois

d’apprentissage seulement.

Pour les sonneurs plus aguerris, la majeure partie du temps est passée à apprendre de

nouveaux morceaux, au practice163 d’abord, à l’instrument ensuite. Outre cet apprentissage de

nouveaux airs, ils étudient des points techniques particuliers : les détachés et les sons filés pour

les bombardes, l’ornementation pour les cornemuses, etc. Eventuellement, les formateurs

transmettent quelques notions d’accordage et de solfège (lecture de partitions).

Dans les années 1950 et 1960, les cornemuses sont apparemment les instruments qui

« travaillent » le plus ; depuis l’adoption de la technique écossaise, des cours rigoureux sont

indispensables pour apprendre aux sonneurs tout le système d'ornementation. En comparaison,

l’apprentissage chez les deux autres pupitres semble être moins stricte ; on joue « comme ça

vient » de la bombarde et de la batterie : « Il faut se rappeler […] que la cornemuse prenait alors un développement considérable, et commençait à adopter une technique rigoureuse. A côté d’elle la bombarde faisait n’importe quoi ! Il suffisait de souffler dedans et ça marchait comme ça…»164

162 Polig Monjarret, préface du Traité élémentaire destiné aux sonneurs de biniou d'Emile Allain, BAS, 1954.163 petits instruments pour travailler le doigté, sans faire trop de bruit ni dépenser trop d‘énergie. Les bombardes

utilisent souvent un « pipeau » (flûte à bec), désapprouvé par BAS. Les cornemuses se servent d’un practice écossais à partir de 1953, instrument en plastique avec une anche souple. Les caisses claires utilisent un rond en bois et caoutchouc.

164 Jean l’Helgouach, « Entretien avec Jean l’Helgouach, Ar Soner n°333 (avril-mai 1995).

79

Jean l’Helgouach, penn-soner de la Kevrenn de Rennes et cadre de BAS, s’est

particulièrement attaché à changer cet état de fait, à « montrer que [la bombarde] devait être

étudié comme tout autre instrument »165. Au fil des années, l’apprentissage devient finalement

aussi rigoureux dans les trois pupitres des bagadoù.

Les groupes cherchent chaque année à faire progresser leur « technique », principalement

pour briller lors du concours. Les bagadoù de première catégorie veulent décrocher la première

place, et ceux des catégories inférieures rêvent d’intégrer l’élite.

Pour espérer obtenir de bonnes notes, il faut maîtriser différents points techniques, qui

sont donc travaillés d’arrache-pied dans chaque groupe. Les cornemuses cherchent en priorité

un doigté uniforme (tous les sonneurs jouant le bon doigté écossais) ainsi qu'une maîtrise des

ornementations. Les bombardes veulent conquérir l’octave aigüe de leur instrument. La

recherche de la justesse reste également un des domaines de travail principaux.

Les cours ne suffisent pas pour progresser, il faut aussi jouer des airs qui permettent

d’utiliser les nouvelles acquisitions techniques. Au fil des ans, les airs imposés aux concours et

les airs libres se complexifient techniquement : ornementation de plus en plus fournie pour les

cornemuses, seconde octave systématique pour les bombardes, figures rythmiques complexes

pour les batteurs. Pierre-Yves Moign se souvient166 que la Kevrenn Brest-Saint-Marc lui

réclamait des arrangement difficiles pour pouvoir progresser. Les sonneurs peinaient alors à

jouer les passages compliqués, puis y parvenaient au bout de quelques mois. Michel Richard

explique167 que certains des airs composés par Herri Léon étaient volontairement complexes,

pour faire progresser les sonneurs.

La progression technique est à la fois le principal objectif et le principal moteur des

bagadoù, stimulés par les concours annuels. Dans cet état d'esprit, une formation est donc

indispensable au sein des groupes. Former des débutants est également primordial pour assurer

une relève et donc pérenniser le bagad. D’ailleurs, les bagadoù qui n’assurent pas ce travail de

formation disparaissent à petit feu. C’est le cas de la Kevrenn de Rennes qui, après avoir

compté parmi les meilleurs ensembles bretons, s’est éteinte au début des années 1980 par

manque de renouvellement. Certains de ses membres sont entre temps partis former des jeunes

sonneurs dans des bagadoù alentours, notamment au bagad de Vern-sur-Seiche (35).

165 Ibid.166 Entretien avec Pierre-Yves Moign, le 04/03/2010.167 Entretien avec Michel Richard, le 26/01/2010.

80

Les cours et les répétitions internes à chaque bagad sont les moments privilégiés pour

l’enseignement technique. Mais il y a d’autres évènements très importants dans la formation des

sonneurs : les camps (appelés plus tard stages). Une fois par an, les musiciens ont la possibilité

de participer à des camps BAS, où les meilleurs sonneurs de Bretagne sont présents pour leur

donner des cours. Ces camps ont lieu dans différentes communes bretonnes : Gouézec, Sarzeau,

Pont-l’Abbé, etc. Les premières années, ces grands rassemblements ne sont pas vraiment axés

sur un travail technique poussé, il s’agit plus de « vacances bretonnes »168, de camps se

rapprochants du scoutisme. Mais progressivement l'influence scoute disparaît, et la technique

instrumentale devient le principal objectif des camps.

A la fin des années 1950, Herri Léon, surnommé ''La Pie'', ancien penn-soner de la

Kevrenn Brest-Saint-Marc, révolutionne l’enseignement de la musique de bagad. Il fonde à

Porspoder (29) le Scolaich Beg an Treis169, une « école de biniou, dotée d'enseignants spécialisés

et préparant à des diplômes de différents niveaux »170, inspirée des College171 écossais. S’y

tiennent des camps où viennent se former les cadres de différents bagadoù bretons, exportant

ensuite une nouvelle pédagogie au sein de leurs groupes. Il concrétise en quelque sorte le vieil

objectif de BAS de « former des cadres ». Sa méthode est basée sur une stricte maîtrise

technique de l'instrument, totalement inspirée du jeu écossais, ainsi que sur une formation

« complète » du sonneur (au Scolaich Beg an Treis sont par exemple dispensés des cours de

« Musicologie »). Au-delà même de ses camps, Herri Léon est à l’origine de l’extraordinaire

développement technique des bagadoù :

« C'est grâce à La Pie qu'il y a eu autant de progression chez les bagadoù de la fin des années 1950. Polig Montjarret se serait contenté que beaucoup de monde joue, sans forcément se préoccuper de la progression technique. »172

Cette courte période du Scolaich (Herri Léon décède accidentellement en 1962) laisse un

souvenir marquant à tous les sonneurs l’ayant fréquenté. A sa suite, BAS reprend dans les

années 1960 l’organisation de camps (jusqu’à trois par an) qui sont maintenant appelés

« stages ». Ces grands rassemblements de sonneurs ont l’avantage de faire se retrouver des

musiciens provenant de bagadoù différents, qui ne se croisent que rarement le reste de l’année.

168 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée de sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien bretonOp. Cit., p. 140.

169 Cf. le livre de Gilles Goyat, Armel Morgant, Anne-Marie Léon, Donatien Laurent, Herri Léon et le ScolaichBeg an Treis, Saint-Thonan, éd. Diskawell ar big, 2003.

170 Ibid, Donatien Laurent, p. 11.171 Écoles de cornemuses écossaises.172 Entretien avec Michel Richard, le 26/01/2010.

81

L'enseignement instrumental de l'époque est basé avant tout sur l'idée de faire progresser le

niveau technique global de l’ensemble des sonneurs. Certains, tels Herri Léon, vont jusqu’à

souhaiter la mise en place d’examens, dont l’obtention serait nécessaire avant de jouer en public

« L'idéal serait que tous les sonneurs puissent être formés dans une école de biniou et ne soient admis à jouer en bagad ou en solo qu'après en avoir été reconnus dignes à l'issue d'examens. »173

Il y a d’ailleurs dès le début de BAS un article du règlement intérieur interdisant au sonneur

non-diplômé de jouer en public.

C ) Utilisation de la notation musicale

Dans le milieu des bagadoù, les airs circulent : BAS transmet les airs imposés aux groupes

(pour les concours), le penn-soner apprend les nouveaux morceaux aux membres de son groupe,

le professeur apprend des nouveaux airs aux jeunes élèves sonneurs, etc.

Sous quelle forme ces airs se transmettent-ils ? Le règlement intérieur de la fédération

mentionne que « le solfège, la lecture et l'écriture musicales [doivent être] à la base de la

formation [des sonneurs] »174. « Dans le discours de la BAS (…) l'apprentissage de la musique

bretonne doit impérativement passer par l'écrit »175. Théoriquement, le vecteur de transmission

est donc la partition. C’est pourquoi BAS publie régulièrement des partitions à destination des

bagadoù, dans des recueils ou dans Ar Soner.

Mais en dehors de cette directive officielle, il apparaît que la réalité du terrain est très

variable. Tous les bagadoù n’ont pas le même rapport à notation musicale. Certes, quelques

groupes assurent et revendiquent la formation solfégique de leurs éléments ; mais une majorité

de sonneurs ne sont en fait pas lecteurs de partitions.

Les partitions diffusées par BAS utilisent toutes les ressources de la notation solfègique

occidentale.

Les instruments sont notés une octave plus bas que leur hauteur réelle, pour des facilités

de lecture (s'ils étaient écrits en hauteur réelle, des lignes supplémentaires seraient nécessaires).

Les bombardes et les cornemuses sont écrites dans un premier temps sur une même portée ; puis

173 Herri Léon, Breiz n°1 (décembre 1956), cité par Donatien Laurent dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 11.

174 Article 11 du règlement intérieur, paru dans le Ar Soner n°12 (mai 1950).175 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 132.

82

chaque voix est écrite séparément lorsque les ornementations de cornemuses se complexifient et

que le jeu de bagad devient polyphonique. Les partitions de caisses claires sont parfois publiées

en même temps que celles des autres pupitres, parfois séparément.

Quelques bagadoù proposent à leurs sonneurs des cours de solfège et enseignent la lecture

de notes.

Au bagad scolaire du lycée le Likès à Quimper (29) par exemple, les jeunes sonneurs ont

un cours de solfège journalier d’une demi-heure ; « la plupart des vingt membres savent lire

leurs notes, solfient convenablement »176. Au bagad Brest-ar-Flamm « les cours de solfège sont

suivis avec assiduité »177. D’ailleurs Bernard Lacroix, penn-soner de ce groupe, se souvient

encore aujourd’hui de l'utilité de tels cours, l'apprentissage des nouveaux airs se déroulant

toujours par écrit :

« On travaillait sur des partitions, toujours. Jamais à l’oreille. Il y avait tellement d’ornementations, il fallait qu’elles soient écrites. »178

Dans Ar Soner, BAS présente ces groupes enseignant le solfège comme des modèles à

suivre. L’apprentissage de la lecture de partitions est vue comme un progrès par rapport aux

anciens sonneurs :

« Les jeunes sonneurs peuvent apprendre les thèmes de leurs improvisations dans un livre, alors que la plupart des anciens devaient les apprendre par coeur, faute de documentation et de connaissances musicales. »179

Officiellement, les bagadoù sont invités à dispenser un enseignement à l’image des

Conservatoires, c’est-à-dire en deux moments distincts : un cours théorique de solfège, et cours

pratique à l’instrument : « [au cours de solfège] il ne sera pas question de prendre un instrument

d'étude, encore moins un biniou ou une bombarde »180.

Mais la réalité est différente ; la majorité des groupes intègrent les leçons de solfège aux

répétitions hebdomadaires. L’apprentissage théorique sur partition et pratique sur l’instrument se

déroulent simultanément. Martial Pézennec se souvient qu’à la Kevrenn de Rennes :

« Le solfège, c’était évolutif : c’était en fonction des difficultés qu’on rencontrait. On nous disait alors : ''ça c’est un bécarre, ça c’est un bémol''… On n’a jamais dit ''allez, on va faire une demi-heure de solfège''. »181

176 Ar Soner n°24 (décembre 1951), « La vie des groupes » p. 5.177 Ibid.178 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.179 Jef le Penven, introduction de Sonit’ta Sonerion, BAS, 1947.180 « Pour les bagadoù en formation », Ar Soner n°80 (novembre 1955), p. 8.181 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.

83

C’était le cas également à la kevrenn Brest-Saint-Marc, où « il n’y avait pas de cours de solfège,

mais plutôt des moments théoriques dans la répétition »182.

Plusieurs dirigeants de BAS prônent l’enseignement d’un « solfège adapté »183 au besoin

réel d’un musicien de bagad. Pour Emile Allain « la connaissance du solfège en entier n'est pas

nécessaire. Rien ne sert de connaître les clés de Fa et d'Ut, puisque la musique ne sera écrite

qu'en clé de Sol. Quantité de connaissances sont inutiles à un sonneur de biniou »184. Selon lui,

seules trois compétences sont nécessaires :

« – identifier la note immédiatement sur la portée– connaître le rapport des notes entre elle– connaître certains signes (barre de reprises) »185

Pour toujours plus de facilité, Roje Charles propose même en 1955 un système de tablature pour

sonneurs, indiquant les trous bouchés et la durée de notes186. Mais BAS n’approuve pas ce

principe jugé « inopérant »187. La fédération tient bec et ongle à l’utilisation de partitions : « Une

note a une valeur, cela s'apprend, cela se retient »188.

Les pupitres de cornemuses sont ceux qui utilisent le plus volontiers les partitions, bien

pratiques pour noter les ornementations qui sont de plus en plus fournies. Les pupitres de

bombardes emploient au contraire les partitions d’une manière beaucoup moins rigoureuse.

En fait, la plupart des sonneurs se débrouillent bien mal avec les partitions imposées par

BAS et par les dirigeants de leur bagad ; le projet de sonneurs-lecteurs de partitions reste une

utopie. Au mieux, les portées sont pour les musiciens des « aide-mémoire » :

« On avait des partitions - écrites par Yann l’Helgouach, le penn-soner - qu’on apprenait quand même un peu. C’était compliqué pour nous de solfier ; mais au moins, ça nous permettait d’avoir les bases des morceaux… »189 « On distribuait les partitions, qui servaient d’aide-mémoire, et à force de lire les gens acquéraient quelques réflexes... »190

182 Gilles Goyat à propos de la Kevrenn Brest-Saint-Marc. Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.183 Gaston Mesnard, penn-soner du bagad de Vannes, « L’entraînement d’un bagad », Ar Soner n°85-86 (avril-mai

1956), p. 6.184 Emile Allain, « Une méthode ne suffit pas », Ar Soner n°51 (décembre 1953), p. 8.185 Ibid.186 Décrit dans « War wellaat, atao Sonerien », Ar Soner n°64 (février 1955), p. 7.187 Ibid.188 Ibid.189 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.190 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.

84

Selon les groupes, les difficultés ou réticences à utiliser l'écrit s'expliquent différemment.

Les bagadoù implantés en milieu rural préfèrent souvent employer la transmission orale ; « étant

plus proche d’éventuelles sources, dans un tissu social qui a changé moins vite et globalement

moins lettré, [ils utilisent] de manière plus significative le vecteur oral »191. Georges Cadoudal se

souvient de cet enseignement oral au sein de son bagad de Bourbriac :

« On apprenait d’oreille les airs aux sonneurs. On rabâchait, on rabâchait sans cesse sur les petits jeunes, c’était dur... »192

BAS transmet toujours les airs imposés au concours par partitions. Ces bagadoù étant

incapables de les déchiffrer, c’est un système Débrouille qui se met en place… Au bagad de

Camors (56), les airs sont appris auprès du curé de la paroisse, qui lit la musique193. A Bourbriac,

le bagad compte sur l’aide d’une cousine de Georges Cadoudal, qui leur joue les partitions au

piano :« On n’avait pas d’enregistreur, donc on revenait régulièrement la voir pour vérifier que le morceau, qu’on jouait de mémoire, était toujours bon ! »194

Dans les bagadoù urbains, bien souvient les dirigeants maîtrisent la lecture de partitions.

Mais les autres sonneurs sont « hostiles à apprendre le solfège »195, n’y sont pas formés, ou sont

tout simplement peu performants en lecture de notes.

On voit qu'il y a une grande distance entre la volonté de BAS et la réalité au sein des

groupes. La fédération a « la conviction que l'apprentissage de la musique bretonne doit

impérativement passer par l'écrit »196. « Par le filtre d’une culture de type moderne, l’écrit

apparaît comme supérieur à l’oral »197. BAS veut donc uniformiser les processus de transmission

au sein des bagadoù, et a sans cesse recours à des partitions.

Mais l'utilisation de la notation musicale est l'un des codes de standardisation qui est le

moins applicable, à cause des compétences des sonneurs en matière de lecture. C'est bien

souvent un « apprentissage d'oreille de partitions écrites »198 qui a cours.

191 Gwénolé Kéravec, Tradition orale, pratique écrite : enseignement de la bombarde en bagad, Op. Cit., p. 23.192 Entretien avec Georges Cadoudal, le 16/03/2010, à propos du bagad de Bourbriac.193 Anecdote racontée par Gwénolé Kéravec dans son mémoire Tradition orale, pratique écrite : enseignement de

la bombarde en bagad, mémoire du CEFEDEM Bretagne/Pays de la Loire, 2005, p. 23.194 Entretien avec Georges Cadoudal.195 Pierre Lavanant, à propos des élèves sonneurs du bagad scolaire de Saint-Brieuc, « Le coin du moniteur », Ar

Soner n°62 (janvier 1955), p. 5.196 Yves Defrance, « Une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 132.197 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 103.198 Ibid.

85

Le prochain code d'uniformisation mis en place par BAS que nous allons présenter est la

définition des modèles musicaux à imiter. Lorsque les quelques pionniers de BAS lancent les

premiers bagadoù, ils ne partent pas de rien. Ils n'inventent pas une manière entièrement

nouvelle de jouer mais s'inspirent, plus ou moins consciemment, de modèles musicaux

préexistants.

Tout au long de la période qui nous intéresse, l'ensemble du monde des bagadoù continue

d'être soumis à l'influence d'autres formations musicales : pipe-bands écossais, couples de

sonneurs binioù/bombarde, cliques françaises, armée, ou encore de la musique savante

occidentale. Ces modèles influent sur différents paramètres des bagadoù (répertoire,

instruments, aspect visuel, etc.).

BAS tente de contrôler ces jeux d'influence. Elle définit plus ou moins explicitement les

modèles musicaux dont il est bon de s'inspirer, ou au contraire ceux dont il faut à tout prix se

démarquer.

86

IV – Les modèles musicaux

A) Le modèle des pipe-bands

Dans l’imaginaire collectif, il y a soixante ans comme aujourd’hui, le bagad est la

version bretonne du pipe-band199 écossais. La réalité est certes plus complexe, mais il est vrai

que l’influence des groupes écossais a été plus que déterminante pour les bagadoù.

Pendant la période qui nous intéresse, cette influence est constamment revendiquée par

BAS, et est fortement perceptible pour le public. Les bagadoù empruntent aux écossais des

instruments, du répertoire, ou encore des techniques de jeu. Tout cela provoque inévitablement

des débats houleux au sein de la fédération.

Pourquoi s’inspirer des écossais ? Tout d’abord parce qu’aux yeux des bretons, ils sont

ceux qui ont réussi un objectif précis : créer un véritable orchestre (le pipe-band) à partir d’un

instrument populaire emblématique (la cornemuse), en jouant un répertoire relativement ancien.

BAS veut faire exactement la même chose, en Bretagne :

« Les kevrennoù se lancent peu à peu ; d'ici quelques années des groupes puissants et expérimentés donneront aux instruments nationaux bretons une place identique à celle qu'occupe le bagpipe200 en Ecosse. Rien ne saurait plus arrêter maintenant la marche en avant de BAS. » 201

La marche en avant ne s’est en effet pas arrêtée, mais le souhait d’utiliser les « instruments

nationaux bretons » ne s’est qu’en partie concrétisé. Si la bombarde est représentée au sein du

bagad, les deux autres pupitres sont constitués d’instruments empruntés aux écossais.

Dans les premières années de développement des bagadoù, les pipe-bands apparaissent

comme les grands frères, un modèle qu’il faut imiter, égaler, voire surpasser. La rivalité avec les

groupes écossais est fréquemment exprimée : BAS considère dès 1953 que les bagadoù de

199 Ensembles écossais de cornemuses et percussions (caisses claires, toms ténors, grosse caisse).200 La cornemuse.201 Ar Soner n°4 (septembre 1949), p. 10.

87

premières catégorie sont « aptes à rivaliser à tous les points de vue avec les meilleurs pipe-

bands d’Eire202 ou d’Ecosse »203. Cette mise en concurrence perdure longtemps au sein de la

fédération ; atteindre le niveau technique des écossais reste jusqu’aux années 1970 un excellent

moteur de progression chez les sonneurs.

Bien que dès 1953, Polig Montjarret envisage « sans trop de craintes une participation

bretonne aux compétitions internationales de piping »204, jamais un bagad ne participe à une

compétition étrangère. La rivalité entre bretons et écossais reste théorique ; d'ailleurs les

bagadoù et leurs pupitres de bombardes n'auraient pas été acceptés aux compétitions de piping.

Ce n’est que plus tard (fin des années 1970) que des solistes bretons de cornemuses ou des pipe-

bands issus de bagadoù commenceront à aller concourir en Ecosse.

Les sonneurs bretons connaissent relativement bien la musique écossaise, cela pour deux

raisons.

Premièrement, ils côtoient à plusieurs reprises des pipe-bands qui font le déplacement

jusqu’en Bretagne, dans le cadre de congrès militaires ou de fêtes folkloriques. En 1947 par

exemple, le City Police Pipe-Band de Glasgow vient à Morlaix ; en 1950 celui d’Edimbourg

vient à Saint-Malo ; et dans les années 1950, des groupes sont systématiquement invités au

Festival des Cornemuses de Brest. Les dirigeants de BAS sont à chaque fois aux premières

loges, en profitent pour s’inspirer et pour acheter des instruments205.

La venue de ces groupes écossais fait naître beaucoup de vocations de sonneurs.

Dominique Molard, célèbre percussionniste et batteur de bagad, se souvient que « la révélation a

été pour Patrick206 et [lui] le passage du pipe-band d'Edimbourg dans les rues de St-Malo.

L'éblouissement »207. Le lendemain, ils s’incrivaient au bagad de Saint-Malo. Michel Richard se

souvient pour sa part de sonneurs écossais dans les rues de Brest, lui ayant donné envie de

sonner208. De tels témoignages sont légion.

Plus rarement, des groupes bretons font le déplacement Outre-Manche. C’est le cas de

Bleimor, qui en 1952 visite le Pays de Galles et l’Ecosse.

202 Irlande.203 « Soutenir l’effort », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 2.204 Polig Monjarret, Résultats du concours des bagadoù, Ar Soner n°45 (juin 1953), p. 8.205 Tout un système plus ou moins légal de vente d’instruments se met en place dans les années 1950. Les écossais

viennent en Bretagne avec leurs instruments, et repartent sans. Ainsi, les bagadoù ne paient aucun frais dedouane…

206 Patrick Molard, son frère, célèbre sonneur de cornemuse207 Dominique Molard, dans Daniel Morvan, Bretagne, Terre de Musique, Briec, E-Novation, 2001, p. 35.208 Entretien avec Michel Richard, le 26/01/2010.

88

La seconde raison de cette bonne connaissance de la musique d’Ecosse est que plusieurs

jeunes sonneurs bretons sont allés étudier directement là-bas, et sont revenus pour certains

diplômés des College of Piping [écoles de cornemuse]. Ils ont pris ensuite des responsabilités au

sein de BAS. C’est le cas d’Herri Léon, de Donatien Laurent, d’Alain le Hégarat, ou encore de

Jakez Pincet, accueillis à leur retour en Messies par les membres des bagadoù.

Mais les dirigeants de BAS ne veulent pas s’inspirer des Ecossais de façon aveugle. Ils

aiment à penser qu’ils vont chercher ailleurs des moyens de développer la pratique musicale

bretonne. Il ne s’agit pas d’être de simples imitations de pipe-bands, mais d’emprunter des idées

pouvant servir à faire progresser les bagadoù. Polig Montjarret raconte qu’après avoir voulu

expérimenter par lui-même ce que devait être un bagad (nombre de sonneurs, manière de défiler,

etc.), il s’est finalement « rendu-compte que ce n’était pas la peine d’aller chercher des

formules, il n’y avait copier ce qui existait. Les écossais avaient déjà trouvé »209. Les bretons

veulent s’inspirer intelligemment de leur cousins écossais, sans en devenir de vulgaires copies.

Le mot d’ordre devient alors adapter, et non pas adopter.

Les sonneurs de cornemuses voient ainsi en la méthode écossaise un moyen de

perfectionner leur propre technique. Selon Emile Allain, grand promoteur de la méthode

écossaise au sein de BAS, « emprunter aux sonneurs écossais certains de leurs moyens ou leur

méthode ce n'est cependant pas une trahison envers le biniou ni envers la Bretagne »210. Le mode

de jeu « à l’écossaise » se répand chez les bagadoù au milieu des années 1950.

Les pupitres de cornemuses adaptent aux airs de bagad le très élaboré système

d’ornementation écossais. Appelées initialement « notes de séparation » par les bretons, il s’agit

d’ornements standardisés comportant une ou plusieurs notes, à placer à des endroits stratégiques

d’un morceau. Ces ornementations portent des noms : le birl, le grip, etc. Elles sont notées sur

les partitions à la manière des ornements de la musique savante (groupes de doubles-croches,

taille réduite). Emile Allain propose d’utiliser la traduction bretonne pour désigner ces

ornements, mais l’usage consacre les termes en anglais.

Les partitions pour cornemuse sont ornementées à l’écossaise à partir du concours de

1953211. L’ornementation devient par la suite une véritable obsession pour les sonneurs de

209 Polig Montjarret, lors de la conférence Le bagad, une formation militaire ?, le 22/07/2002 à l'université d'été du festival de Cornouaille, Quimper, enregistré par Pierre-Yves Pétillon et déposée à Dastum.

210 Emile Allain, « Méthode et non répertoire », Ar Soner n°47-48 (août-septembre 1953).211 Partition imposée Kleier Koad-Serc’ho, publiée dans Ar Soner n°36-37 (septembre-octobre 1952), p. 7.

89

cornemuse et pour les dirigeants qui écrivent les partitions. Maîtriser cette technique écossaise

permet de prouver son haut niveau technique ; les airs deviennent ornementés à l’extrême,

comme le raconte le sonneur Jean-Claude Léon212 :

« A partir du moment où certaines techniques d'ornementation ont été maîtrisées, possédée par les sonneurs, ceux-ci étaient tout à la joie de l'avoir fait, comme un enfant qui va vous répéter le gros mot qu'il vient d'apprendre à prononcer (…). Il eût suffit de mettre un [birl], mais on en mettait dix, parce qu'on maîtrisait la technique. » 213

Outre cette importance de l’ornementation, les dirigeants de bagadoù se mettent à écrire

pour leurs groupes des compositions « dans le style écossais ». Ces morceaux, qui s’inspirent

des marches de pipe-bands, sont immédiatement reconnaissables par certaines caractéristiques :

– métrique à 6/8 (au lieu des 2/4 ou 4/4 de la plupart dans précédents airs de bagad)– 4 phrases, voire plus (au lieu de 2 dans la plupart des précédents airs de bagad)– omniprésence du rythme de « sicilienne » – et, bien sûr, profusion d’ornementations

Les principaux compositeurs de ces marches à l’écossaise (dont on trouvera à la page suivante

deux exemples) sont Emile Allain, Herri Léon, et Donatien Laurent.

.

212 Frère d’Herri Léon.213 Jean-Claude Léon, dans Herri Leon et le Scolaich Beg an Treis, Gilles Goyat, et. alii, Saint-Thonan, Diskawell

ar Big, 2003, p. 195.

90

Illustration 17: Partition de Adieu à la Baie de la Baule (Emile Allain).Source : Traité Elémentaire destiné aux sonneurs de biniou, Emile Allain, BAS, 1954, p. 68.

Illustration 18: Partition de cornemuse de An Enes C'hlas, de Donatien LaurentReproduite dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 168.(les deux altérations Fa# et Do# sont ''sous-entendues'' ici)

An Enez C'hlas, par la Kevrenn Brest-Saint-MarcDisque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d.

Il est cependant frappant de constater que les bagadoù ne jouent jamais d’airs réellement

écossais, mais seulement des airs composés « dans le style écossais » par leurs dirigeants.

On voit, sur la partition reproduite ci-dessus, que le morceau Enez C’hlaz n’est pas écrite à

la hauteur à laquelle le jouent les bagadoù, mais un demi-ton plus bas (la première note Si est en

fait jouée Do). Il s’agit là d’une influence supplémentaire des écossais sur les bretons : la

notation écossaise. Cette notation qui diffère d’un demi-ton par rapport aux hauteurs entendues

est héritée d’un temps où les cornemuses sonnaient en La et non en Si bémol. Depuis, la tonalité

des instruments a évolué mais les écossais continuent à utiliser la même notation.

BAS avait pris le parti dès sa création de noter au contraire ses airs en hauteur réelle (donc

en Si bémol). Mais à la fin des années 1950, le courant de fidélité à l’Ecosse mené par Herri

Léon, veut utiliser la notation écossaise pour les partitions de bagad. Cela provoque de grosses

discussions (notamment avec Dorig le Voyer, président de BAS) et, une fois n’est pas coutume,

le modèle écossais ne triomphe pas : la notation en hauteur réelle est conservée.

Le pupitre des bagadoù le plus influencé par l'Ecosse est, après les cornemuses, celui des

batteurs. BAS encourage fortement cette influence ; les groupes sont invités à s’inspirer du jeu

des écossais en « écout[ant] avec attention et fréquemment des disques de pipe-band »214.

214 Polig Montjarret, « Résultats du concours 1953 » Ar Soner n°45 (juin 1953).

91

Le modèle écossais est perçu comme bénéfique par la fédération, pour contrer la trop forte

imitation des batteries de clique.

Les bagadoù se procurent petit à petit des caisses claires écossaises, et adoptent également

les autres percussions de pipe-bands : grosse caisse et « ténors » (toms peu sonores mais

important visuellement215).

L’influence de l’Ecosse atteint son paroxysme au cours des années 1960. Les sonneurs de

cornemuse sont formés à la méthode écossaise, de façon parfois extrême. Bernard Lacroix se

souvient utiliser comme beaucoup d’autres le fameux Tutor216 pour former ses élèves, et avoue

qu’ils ont « subi une sacrée influence écossaise, même un peu excessive »217. Patrick Molard

raconte même que ses premières années d’apprentissage « se caractérisent par une

méconnaissance de la musique bretonne »218.

Un évènement va provoquer un véritable taulé au sein de BAS. Il s’agit de la création en

1965 du groupe An Ere à Rennes. Fondé par le sonneur de cornemuse Jakez Pincet, c’est un

véritable pipe-band (sans bombarde, donc), une première en Bretagne. La création de ce groupe

provoque une « grande bagarre »219 au sein de la fédération, qui considère que l’influence de

l’écosse a atteint un tel degré qu’elle menace même l’existence des bagadoù au profit de pipe-

bands. Patrick Molard, qui a joué dans ce groupe, raconte :

« On a été très critiqués à l'époque en Bretagne, désignés comme des traîtres. On était de véritable « écossomanes », on portait le kilt. »220

BAS s’aperçoit que, la fascination de l’Ecosse étant tellement grande, les meilleurs sonneurs de

cornemuse quittent leur bagad pour rejoindre ce premier pipe-band breton :

« An Ere a fait mal. Il a piqué tous les meilleurs sonneurs des bagadoù ; il n’y avait plus de penn-soner nulle part ! Cela aurait pu être bien s'ils étaient restés parallèlement dans leur bagad. On a mis des années à se remettre de ça. » 221

Cette querelle entre partisans et opposants au modèle écossais, si elle atteint son plus fort

degré en 1965, n’est pas récente. Dès le début des années 1950, des voix s’élèvent au sein de

215 Les batteurs de « ténors » font des moulinets avec leurs mailloches.216 Méthode de cornemuse éditée par le College of Piping de Glasgow.217 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.218 Jean Blanchard, « Créer une bulle sonore, entretien avec Patrick Molard, joueur de Pibroch », Cornemuses,

souffles infinis, souffles continus, éds. Jean Blanchard et Eric Montbel, Gestes, coll. « Modal », 1991, p. 104.219 Expression d'Alain le Buhé, entretien du 29/03/2010.220 « Créer une bulle sonore, entretien avec Patrick Molard, joueur de Pibroch », Op. Cit., p. 104.221 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.

92

BAS pour mettre en garde contre une influence trop importante de l’Ecosse sur les bagadoù,

phénomène qu’on appelle alors « écossomanie ».

La tension étant grandissante entre les écossomanes et les autres, la Commission

Technique décide de débattre officiellement du problème en 1954 :

« Un malaise se faisait sentir depuis quelques mois au sein du Comité-Directeur et même au sein des bagadoù de la BAS. Malaise indéfinissable mais dont on pouvait situer l'origine dans l'opposition de deux techniques » :1 : « technique écossaise adaptée chez nous » (représentée par E.Allain, C.Hudin, J.Malard)2: « partisans d'une adaptation prudemment limitée à quelques parties de cette méthode écossaise (D.Le Voyer, P.Montjarret) » 222

Lors de la réunion de décembre 1954, le premier camp expose ses arguments au second. Il

explique que les ornements écossais ne dénaturent pas les mélodies, que la bombarde reste

l’instrument principal du bagad, si bien que « les craintes de Dorig Le Voyer et de Polig

Monjarret de voir la musique bretonne perdre son caractère, et la bombarde son jeu traditionnel

et ses possibilités, s'estomp[ent] peu à peu »223. A l’issue de cette Commission Technique de

1954, BAS approuve officiellement l’influence écossaise.

Mais malgré cette décision officielle, le débat va continuer à faire rage tout au long des

décennies 1950 et 1960, certains se montrant toujours aussi réticents face aux écossomanes.

La menace qui pèse sur les pupitres bombardes inquiète. Plusieurs groupes ont en effet la tentation de supprimer les bombardes pour devenir des pipe-bands. Emile Allain écrit dès 1952 un article intitulé « La bombarde survivra-t-elle ? »224, et avoue en 1954 que les principales difficultés sont de faire cohabiter « cette bombarde que nous ne voulons pas abandonner »225 avec le désir de jouer de la musique écossaise. Même lorsqu’ils conservent leurs bombardes, beaucoup de bagadoù les font passer au second plan, donnant le premier rôle aux cornemuses. Certains fustigent cet état de fait, considérant qu’au contraire ce sont les bombardes qui doivent prédominer, comme c'était le cas dans les couples traditionnels biniou/bombarde.

Le plus virulent contre l’écossomanie est Dorig le Voyer. Président mais aussi luthier de BAS, les réactions personnelles et professionnelles se mêlent dans son discours. Il voit d’un très mauvais œil le fait que les bagadoù achètent des cornemuses écossaises et non ses binioù-braz, mais considère aussi que les écossomanes brisent les objectifs premiers de BAS en dénaturant la musique bretonne :

« La BAS qui s'est donné pour tâche de maintenir la tradition et de sauver la musique bretonne, fera-t-elle en quelques années tout le mal que les siècle passés n'ont pu faire ? » 226

222 Compte-Rendu de la Commission technique des bagadoù, Ar Soner n°63 (janvier 1955), p. 1.223 Ibid.224 Emile Allain, « La bombarde survivra-t-elle ? », Ar Soner n°36-37 (septembre-octobre 1952), p. 5.225 Emile Allain, « Commentaires sur le concours de Toulfouen », Ar Soner n°57 (juin 1954), p. 6.226 Dorig le Voyer, « Tradition, que de crimes on commet en ton nom », Ar Soner n°100 (mars-avril 1957), p. 5.

93

Le débat prend parfois des allures de querelles entre Anciens et Modernes, opposant les

pionniers fondateurs de BAS (Polig Montjarret, Dorig le Voyer, etc.) aux jeunes sonneurs

influents. Polig Montjarret s’exprime ainsi en 1960 :

« Ces ''croûlants'' fondateurs de BAS qui ont eu le privilège de fréquenter la dernière génération de vieux sonneurs et d'en être les légataires, sont convaincus (moi du moins) que cela leur confère, sur les ''écossomanes'' de la nouvelle vague, une SUPERIORITE INCONTESTABLE. »227

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas uniquement une question de génération. Jean l’Helgouach,

jeune responsable de la Kevrenn de Rennes, est lui aussi farouchement opposé à l’influence de

l’Ecosse. Il écrit à plusieurs reprises les craintes qu’il a de cette « manie dangereuse : celle de

vouloir modifier la musique bretonne à l'écossaise »228. S’enfonçant dans l’extrême inverse,

L’Helgouach n’hésite pas à dénigrer violemment la musique des écossais, pour mieux glorifier

la musique bretonne :

« Toute notre musique [bretonne] est faite de sentiments, ce qui lui donne une finesse remarquable. La musique de pipe229 (celles dont s'inspirent nos nouveaux "maîtres") est d'une monotonie et d'une platitude désolantes (…). La masse des pipers230 [est] plus préoccupés de spectacle que de musique (entendue dans le sens d'expression humaine et non comme "bruit", plus ou moins harmonieux). » 231

Polig Montjarret, dont l’avis est sans doute celui qui importe le plus pour l’ensemble des

sonneurs, a toujours oscillé entre confiance et méfiance à l’égard du modèle écossais. Il dit s’en

être inspiré pour lancer l’idée du bagad, s’en est méfié quand l’influence est devenue trop

grande, s’est laissé convaincre par les écossomanes en 1954, puis les a fustigé ensuite. En 1960,

une fois de plus, il affirme une position intermédiaire : adopter les instruments et les

ornementations écossaises, mais sans dépasser une limite qui conduirait à la perte de la musique

bretonne :

« Je m'étais rendu compte à mes dépens que le Bagad, inspiré du pipe-Band écossais, ne pouvait se satisfaire des biniou bras bretons, ceux ci ayant perdu les caractéristiques essentielles des Bag-Pipes (puissance, dimension d'outres, anches dures...).Mais alors, allez-vous dire, je suis moi-même l'un des écossomanes que je fustige ? Entendons-nous bien. Je suis pour l'adaptation chez nous de tout ce qui peut être utile, à condition que cela n'aille pas contre ces principes de base de notre tradition, et je suis contre les abus d'ornementation et les ornementations eux-mêmes (qui conviennent certainement aux strathpey, reels, jigues, etc.) lorsqu'ils sont placés n'importe comment dans nos airs de gwerzes [sic], de sônes ou de marches. » 232

227 Polig Montjarret, « Traditions... anciennes et récentes », Ar Soner n°117 (juin 1960), p. 2.228 Jean l’Helgouach, « L’invasion écossaise », Ar Soner n°84 (mars 1956), p. 3.229 Cornemuse.230 Joueurs de cornemuse.231 Jean l’Helgouach, « L’invasion écossaise », Ar Soner n°84 (mars 1956), p. 3.232 Polig Montjarret, « Traditions… anciennes et récente », Ar Soner n°117 (juin 1960).

94

B) Le modèle des couples de sonneurs

Le couple de sonneurs biniou/bombarde233 est, avec le pipe-band écossais, le modèle

musical le plus régulièrement cité par les premiers sonneurs de BAS. Ce duo d’instrumentistes

représente pour les musiciens d’après-guerre l’archétype de la véritable musique traditionnelle

bretonne, celle qu’il faut sauver, et celle dont il faut s’inspirer pour jouer en bagad. Les

membres de BAS, peu importe le degré de connaissance qu’ils ont des anciens sonneurs,

manifestent donc toujours pour la musique de couple un certain respect.

Mais différentes raisons font que ce modèle est âprement discuté voire renié : souhait de

tourner la page à une pratique jugée ancienne, méconnaissance de cette tradition, inadéquation

entre une musique de couple et un jeu d’ensemble.

BAS a toujours souhaité promouvoir la pratique en couple chez les jeunes générations,

parallèlement au jeu en bagad. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être la structure ayant permis le

développement des bagadoù, la fédération avait pour but de sauvegarder la pratique de la

musique de couple. L’objectif des toutes premières années est de relancer cette pratique qui,

selon Polig Montjarret, avait presque disparu pendant l’entre-deux guerres : « L'objectif initial

est de former un couple de sonneurs par canton et, si possible, un par commune. Très vite les

volontaires abondent et il faut imaginer une nouvelle formule »234. Malgré le succès de cette

nouvelle formule (le bagad), BAS continuera parallèlement - non sans dissensions internes - de

chercher des moyens pour faire perdurer la musique de couple.

C’est ainsi qu’en octobre 1954 est créée la « Commission Couple » de BAS, notamment

chargée d’organiser depuis 1956 un championnat annuel des sonneurs de couple, se déroulant

depuis sa création sur la commune de Gourin (56).

Pendant plusieurs décennies, certains membres de BAS ont une double pratique, en couple

et en bagad. Souvent, ils commencent par sonner en bagad, puis découvrent la pratique en

couple par la suite. Plus rarement, le cheminement est inverse, des sonneurs de couple sont

amenés à jouer en bagad. C’est le cas de la Kevrenn de Rostrenen (22), bagad éphémère

consistant en un rassemblement de couples de sonneurs des environs. Georges Cadoudal,

233 Pour plus d'informations sur cette tradition musicale bretonne, voir le très bel ouvrage Musique Bretonne, Histoire des Sonneurs de Tradition, ouvrage collectif, Quimper, Le Chasse-Marée/Armen, 1996.

234 Yves Defrance, Bagad invention bretonne féconde, Op. Cit., p. 127.

95

responsable du bagad de Bourbriac (22), s’est pour sa part illustré en tant que sonneur de couple

avant, pendant et après son engagement au bagad. Martial Pézennec, président de BAS pendant

plusieurs années, explique pour sa part :

« Je n’ai pas été ce qu’on appelle un sonneur de bagad, bien que j’ai joué en bagad. J’étais avant tout un sonneur de couple. J’étais cependant bien obligé de m’y intéresser quand j’étais président de BAS. »235

Le renouveau de la musique de couple lancé par BAS ne fait pas de distinction entre les

couples associant la bombarde et le binioù-kozh et ceux utilisant la cornemuse. Pour la BAS des

débuts, cela importe peu, pourvu qu’il soit dit que la pratique de couple perdure. En ce qui

concerne le championnat, ce n’est qu’en 1964 que deux catégories sont créées :

bombarde/biniou, et bombarde/cornemuse.

Outre la relance de la pratique en couple, le modèle des anciens sonneurs influe sur la

musique des bagadoù. Il y a déjà, pour commencer, deux aspects empruntés à cette tradition :

les instruments (utilisation de la bombarde, association de bombardes et de binioù236), et une

partie du répertoire.

Mais au-delà de ces deux aspects constitutifs des bagadoù, BAS et chacun des groupes se

positionnent : faut-il que les bagadoù soient continuateurs ou au contraire en rupture avec cette

tradition ? Les avis divergent considérablement sur cette question. Comme pour l’influence

écossaise, deux camps s’affrontent.

Le premier est partisan d’adapter au maximum le jeu des sonneurs de couple au bagad.

C’est l’avis premier des pionniers de BAS (Dorig le Voyer, Polig Montjarret). Cela permet selon

eux de donneur un aspect vraiment « breton » aux bagadoù, et de limiter ainsi l’influence

grandissante de la musique écossaise :

« Seul le jeu que nous ont légué les Anciens est un jeu breton, et les uns et les autres ont constamment besoin de revenir aux sources de la vérité aux heures d'indécision (…). On ne peut évidemment pas traiter le bagad exactement comme le couple. Mais je crois sincèrement que nous parviendrons un jour à adapter au bagad l'essentiel de ce qui peut l'être en provenance du jeu de couple. Ce jour là nous aurons gagné la partie et nos groupes ne seront plus de pâles inspirations de ce qui se fait chez nos cousins écossais. »237

235 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.236 BAS tentera également de justifier que le pupitre batterie est inspiré du tambour qui accompagnait parfois les

anciens couples de sonneurs.237 Dorig le Voyer, « Le jeu traditionnel des sonneurs a sa place au bagad », Ar Soner n°106 (septembre 1958), p. 1

96

Cette adaptation du jeu des sonneurs de couple doit se caractériser selon eux par plusieurs

choses : maintenir la supériorité du pupitre bombarde (puisque la bombarde était l’instrument

meneur du couple), conserver certains principes de jeu (principe de questions/réponses entre

bombardes et cornemuses), ou encore ne pas se laisser envahir par l’ornementation écossaise.

Au début des années 1950, les dirigeants de BAS sont à peu près tous d’accord pour

s’inspirer du jeu des sonneurs de couple. Les anciens sonneurs sont présentés comme des

modèles à suivre, BAS « entend marcher sur les traces des anciens », comme l'illustre ce cliché :

Illustration 19: "BAS entend marcher sur les traces des anciens", cliché paru dans « Petra eo BAS », numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952)

97

La fédération des bagadoù érige le couple de sonneurs en modèle, mais paradoxalement

« une rupture sembl[e] s’être opérée entre les Anciens et les Modernes. Les couples [biniou]-

koz/bombardes symbolis[ent] l’ancienne Bretagne, respectés mais appelés à disparaître »238.

BAS clame fort son respect pour les anciens, mais a du mal à conjuguer leur style avec son

besoin de standardisation. En 1961, Gus Salaün (64 ans) se présente au concours de meilleurs

sonneurs organisés par BAS. Voilà ce que dit le compte-rendu de jury :

« La notation de ce couple en fonction du barème commun est pratiquement impossible. Déjà, l’an dernier à Gourin, le jury s’était trouvé dans l’obligation de la mettre hors concours parce qu’aucune des normes appliquées aux autres concurrents ne s’appliquait à lui. Il est probable que la plupart des sonneurs de la vieille école nous poserait le même problème (…). »239

En effet, difficile d’appréhender le jeu des anciens sonneurs selon les nouveaux canons de

justesse et de style prônés par BAS.

BAS aurait aimé pouvoir s’inspirer des couples traditionnels pour forger la musique des

bagadoù. Mais la difficulté est grande pour adapter un jeu de couple aux exigences d’un jeu

d’ensemble. La standardisation du doigté, de l’ornementation, du jeu rythmique sont nécessaires

pour pouvoir sonner à plusieurs. Alors, au cours des années 1950, un nouveau courant de pensée

devient majoritaire au sein de BAS. Pour eux, tenter d’adapter le jeu du couple au bagad est

irréalisable, tant il y a de différence entre la liberté d’exécution que pouvait avoir un duo, et

l’uniformité indispensable d’un orchestre. Polig Montjarret se laisse convaincre par les

arguments de ce camp :

« Cinq ans d'expérience de bagad permettent de classer les difficultés dans l'ordre : nous avons lancé quelque chose de non traditionnel et nous avons voulu dans le détail respecter la tradition. Les faits sont là et nous prouvent aujourd’hui que nous avons eu tort et que le problème doit être reconsidéré entièrement. L'expérience de couple que peuvent avoir des chefs ou des sonneurs de bagad ne vaut rien ! » 240

Il rédige alors un article important où il liste point par point toutes les différences qui existent

selon lui entre la pratique de couple et celle de bagad241.

Plusieurs dirigeants de bagadoù sont partisans de se positionner en rupture avec la

tradition des sonneurs de couple. Ils continuent bien sûr à leur emprunter du répertoire, mais

veulent exploiter les possibilités orchestrales que présente un bagad, et ne pas être seulement un

« couple multiplié »242. Le respect des principes de jeu du couple sont remis en question : ce sont 238 Jean-Christophe Maillard, Talabarderien mod koz, le jeu et la technique de la bombarde chez les sonneurs

bretons de tradition », Les hautbois populaires : anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 153.

239 Cité dans Musique bretonne, histoire des sonneurs de tradition, Op. Cit, p. 439.240 Polig Montjarret, « Un breton émigré traduit-il la pensée de toute la BAS ? », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10.241 Ibid. Cf. en Annexe III la reproduction de cet article.242 Expression employée par Bob Haslé et Gilles Goyat, entretiens les 02/02/2010 et 12/04/2010.

98

par exemple les premiers essais de polyphonie en bagad au début des années 1960, ou encore

une prédominance du pupitre des cornemuses sur celui des bombardes243.

Les deux camps coexisteront toujours au sein de BAS. Dans les années 1960, certains

bagadoù comme Bleimor ou Bourbriac revendiquent un respect au jeu des sonneurs de couple,

se préoccupant de questions stylistiques et jouant une musique peu harmonisée. A l’opposé, des

groupes comme Brest-Saint-Marc ou la Kevrenn de Rennes poursuivent leurs recherches

polyphoniques, avec une « volonté de jouer des choses nouvelles, ne pas se contenter d’imiter

les anciens »244 .

On voit que les pionniers de BAS se positionnent sur le rapport entre bagad et couple de

sonneurs. Mais quelles connaissances ont-ils réellement de cette tradition sonnée bretonne ?

Lorsque le mouvement BAS est lancé, la plupart des derniers sonneurs de tradition ont

alors disparu. Le déclin des couples biniou/bombardes a en fait démarré quelques dizaines

d’années plus tôt : « comme la plupart des musiques de tradition populaire en Europe, la

musique bretonne a été gravement menacée dès la première guerre mondiale »245. Après 1920, le

début d’une « uniformisation nationale »246 accélère le déclin des sonneurs bretons, qui sont en

concurrence avec l’accordéon, la radio, le jazz ou l’opérette. A la fin des années 1940, à la

création de BAS, le nombre de couples encore en activité est donc très réduit. Toutefois la

pratique de la musique de couple perdure, notamment dans les milieux bretons de Paris.

Les premiers membres de BAS n’ont en fait qu’une connaissance assez approximative de

la musique des anciens sonneurs. « [Polig Montjarret], comme beaucoup de danseurs et de

musiciens de folklore, connaît assez mal le monde des campagnes »247. Il a certes réalisé des

collectages dès 1942, mais avouera avoir rencontré principalement des accordéonistes et des

chanteurs. La fédération érige en modèle le couple de sonneurs, mais en ayant de cette tradition

une vision quelque peu idéalisée.

Durant les décennies 1950 et 1960, la fracture perdure entre nouvelle pratique du bagad et

ancienne musique de couple. Les anciens continuent à être présentés comme un modèle qu’on

admire ou qu’on renie, mais en fait les sonneurs de bagad connaissent peu leur musique, bien

243 Certains bagadoù allant même jusqu’à envisager de supprimer leur pupitre bombarde.244 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.245 Jean-Christophe Maillard, « Talabarderien mod koz, le jeu et la technique de la bombarde chez les sonneurs

bretons de tradition », Les hautbois populaires : anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 151.

246 Ibid.247 Musique Bretonne, histoire des sonneurs de tradition, ouvrage coll., Op. Cit., p. 411.

99

que quelques sonneurs mod koz248 se présentent parfois aux concours organisés par BAS.

Bernard Lacroix parle des rapports des musiciens de son bagad (Brest-ar-Flamm) avec la

tradition des sonneurs de couple :

« A vrai dire, on avait pratiquement pas de rapports avec les anciens sonneurs. Il n’y en avait pas par ici, et on ne se déplaçait pas où il y en avait encore. On apprenait tous les airs traditionnels sur des revues, sur des cahiers. Quelques-uns s’intéressaient à cette question de la tradition, mais la majorité, non. Ils étaient contents de jouer en groupe, ils sonnaient ce qui était au programme, c’était tout. Ils n’étaient pas des ''mordus de tradition''. »249

La distance est grande entre le discours de BAS, qui incite les jeunes à aller écouter les anciens,

et la réalité. Alain le Buhé estime qu’à cette époque « il y avait deux mondes. Celui du bagad, et

celui du couple »250. D’ailleurs, la méconnaissance, voire la méfiance, est réciproque : « les

anciens sonneurs se sentaient mis de côté par le mouvement bagad »251. Ils n’approuvent pas

vraiment l’importation de la cornemuse écossaise qu’ils nomment « biniou à étages » ou

« triniou » (pour ses trois bourdons).

Il faut attendre les années 1960 pour que le monde des bagadoù s’intéresse de manière poussée et sérieuse à la tradition de la musique de couple, sans plus se contenter de les présenter comme un modèle idéalisé. Plusieurs groupes s’attachent à jouer des airs (surtout des danses) dans un style qu’ils veulent proche de celui des anciens sonneurs de couple. Alors qu’auparavant « la subtilité du jeu des sonneurs de couple échappait à la plupart des musiciens de bagad »252, ils sont maintenant prêts - par leur technique instrumentale et par l’état d’esprit - à attaquer une recherche d’authenticité :

« A partir des années 60, on a commencé à redécouvrir la musique de couple, qui jusque là était jugée trop compliquée pour les sonneurs de bagad. Comme nos bagadoù avaient acquis suffisamment de technique, on pouvait se risquer à jouer les airs des anciens sonneurs de couple. La kevrenn de Rennes a été la première à jouer une suite de l’Aven253, nettement plus difficile que ce qu’on jouait jusqu’alors, avec notamment des montées sur la deuxième octave de la bombarde. » 254

La mode est lancée, et se poursuivra aux cours des années 1970, où les derniers « anciens » (Gus Salaün, Lanig Guéguen, etc.) bénéficieront d’un regain d’intérêt de la part de jeunes sonneurs.

BAS a donc toujours considéré le couple de sonneurs comme un modèle, mais successivement selon différentes approches : modèle idôlatré mais paradoxalement méconnu, modèle désavoué, puis modèle que l’on cherche à mieux connaître pour s’en inspirer.

248 [Ancien style].249 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.250 Entretien avec Alain le Buhé, le 29/03/2010.251 Ibid.252 Entretien avec Alain le Buhé.253 Suite de gavottes traditionnellement jouées dans le Pays Aven (sud-est du Finistère).254 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.

100

C) Influence des cliques

Dans les toutes premières années de BAS, avant que le terme « bagad » ne se généralise,

la BAS et les sonneurs utilisent le mot « clique » pour parler de leurs groupes. Ce n’est pas

hasard ; les ensembles de cuivres et percussions ont en effet été une influence importante pour

les sonneurs de bagad, influence d’ailleurs largement désavouée par BAS.

Au cours de la première moitié du XXe siècle, les batteries-fanfares et les orphéons se sont

fortement implantés en Basse-Bretagne. Ces cliques participent à la vie locale, aux défilés, aux

fêtes et pardons. Bien avant le développement des bagadoù, les sonneurs bretons côtoient les

fanfares. Parfois même, sonneurs et cuivres jouent ensemble ; en 1931 par exemple, on aperçoit

à Bourbriac une cornemuse défilant au beau milieu de la fanfare :

Lorsque les bagadoù naissent et se développent, ils sont donc eux-aussi régulièrement en

contact avec des cliques. Nombreuses sont d'ailleurs les occasions où un bagad et une clique

participent au même défilé. En 1948 par exemple le bagad de Carhaix (29), nouvellement créé,

défile en alternance avec la clique de la même ville255. En 1951, c'est le bagad de Lorient (56)

qui défile avec les cuivres, évènement que ne manque pas de relater Ar Soner :

« Pour la première fois un bagad participait à la procession [du pardon de Moëlan-sur-Mer, (56)]. Clique de cuivres et binioù/bombardes alternèrent, marches militaires et cantiques. Ce fut une surprise agréable pour les gens du pays. »256

255 Musique Bretonne, histoire des sonneurs de tradition, ouvrage coll., Op. Cit., p. 412.256 « La vie des groupes », Ar Soner n°25 (octobre 1951), p. 5.

101

Illustration 20: Sonneur de Cornemuse défilant avec la fanfare de Bourbriac, 1931. Source : Collection Georges Cadoudal, dépôt Dastum.

Mais entre ces deux groupes populaires locaux que sont le bagad et la clique, ce n'est pas

toujours la parfaite entente ; souvent un bagad est créé pour concurrencer la clique locale, jugée

“moins bretonne”. En 1952, le sous-préfet du Finistère félicite par exemple la municipalité de

Châteaulin (29) pour la création de son nouveau bagad257, qu'il trouve « bien plus caractéristique

de notre région qu'un quelconque orphéon »258. La même année, Polig Montjarret exprime

clairement sa rivalité face aux « cuivres », qu'il considère, au même titre que les autres

instruments ''modernes'', comme des ennemis des instruments bretons :

« Je prétends qu’à chaque occasion qui nous est donnée de marcher sur les brisés du ''cuivre'', nous manquerions à notre devoir en refusant de le faire (…). Le cuivre, l’accordéon, le piano mécanique ont pris la place du biniou ; le biniou doit la reconquérir »259.

Néanmoins, bien que les cliques soient présentées comme leurs concurrentes, les bagadoù

s'en inspirent. A leurs débuts les bagadoù sont, à l'image des fanfares, des groupes avant tout

destinés aux défilés. BAS prône un temps l'adoption pour le défilé de la disposition des

batteries-fanfares (tambours menant le groupe).

Le pupitre de bagad le plus influencé par les cliques est sans consteste la batterie. Les

joueurs de caisse claire de bagad (qui parfois jouent parallèlement dans une clique), reprennent

des techniques de jeu des tambours de fanfare. Dans les années 1950, ils utilisent également les

mêmes instruments (caisses claires type « jazz » ou « roulante »). BAS n'aura cesse de fustiger

le jeu de batterie inspiré des cliques. Elle parviendra à sa fin dans les années 1960, avec

l'adoption massive des caisses écossaises (au timbre plus aigu et plus claquant) et des techniques

de jeu écossaises, qui marque la fin de l'influence des cliques sur les bagadoù.

D) Le modèle militaire

A nouveau à l’image des pipe-bands écossais et des cliques françaises, BAS adopte

certains principes de fonctionnement militaire pour ses groupes. A la différence des modèles

précédemment cités, le modèle militaire n’a que peu d’incidence sur la musique jouée, mais

influence le fonctionnement de la fédération.

Les bagadoù réellement militaires sont peu nombreux (bagad du 71.BI à Dinan en 1946-

47, bagad de la Lande d'Ouée, bagad de Saint-Mandrier, et bien sûr le célèbre bagad de Lann-

257 Le bagad de Châteaulin est d'ailleurs l'un des rares cas de « bagad municipal ».258 « La vie des groupes », Ar Soner n°28-29 (janvier-février 1952).259 « Ar Foater Hent » alias Polig Montjarret, « Mi-Carême et Mascarade », Ar Soner n°28-29 (janvier-février

1952).

102

Bihoué) et ne sont pas affiliés à BAS. Mais pour tous les autres groupes civils, BAS donne des

directives apparentées à la discipline militaire, notamment en ce qui concerne les défilés :

« En bagad il est indispensable de pratiquer '' l'Ecole de Soldat''. Un bagad, comme toute musique qui se respecte, doit avoir un minimum de pratique militaire. La marche au pas, l'évolution sur le terrain, et même les évolutions sur plateau, sont INDISPENSABLES si nous voulons donner à nos groupes une ALLURE, une dignité forçant le respect et l'admiration. » 260

D’ailleurs les sonneurs ayant effectué leur service sont jugés plus compétents pour défiler.

Au début des années 1950, tout un système de commandements en breton est mis au point

pour diriger les bagadoù, « pas par un esprit adjudantiste punitif, mais par le souci de l'ordre et

la dignité que mérite la Bretagne, ses instruments, sa musique et ses musiciens »261. Le penn-

soner dispose d’une liste de plusieurs commandements en breton pour diriger son bagad262. On

trouve de rares exemples enregistrés de l’utilisation de ces commandements :

Introduction de la marche Bale Quic-en-Groigne par le bagad de Saint-Malo (utilisation des commandements par le penn-soner).Disque 45t. s.n, Quimper, Mouez Breiz 4505, s.d. [195?]

Outre la discipline de défilé et les commandements, l’influence militaire se fait sentir dans

l’importance accordée au visuel. En 1953 sont mis au point le drapeau BAS et l’uniforme BAS,

obligatoires lors du concours estival. La fédération établit également tout un système de rubans

de différentes couleurs : à la manière des décorations militaires, les sonneurs arborent une

couleur correspondant à leur niveau technique. Mais comme les commandements, ces éléments

visuels n’ont pas eu une longue durée.

Polig Montjarret expliquera plus tard263 que c’est surtout l’influence des pipe-bands qui a

amené BAS à prôner une discipline militaire264. Il raconte que, dans le contexte de l’après-

guerre, « certains [leur] ont reproché de faire ressembler le bagad à une formation militaire, mais

pas tant que l’on croit »265. Les quelques exemples d’influence militaire cités ici datent du début

des années 1950, et ne perdurent guère plus de quelques années.

260 Polig Montjarret, « Un breton traduit-il la pensée de BAS ? », Ar Soner n°44 (Mai 1953), p. 10.261 Petra eo BAS, numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952), p. 30.262 Voir en Annexe VIII la liste des commandements. 263 Polig Montjarret, Conférence à l'université d'été du festival de Cornouaille, Quimper, enregistrée par Pierre-

Yves Pétillon, 22/07/2002, dépôt Dastum.264 Les pipe-bands ont une origine militaire datant du XIXème siècle, où ils accompagnaient les régiments

écossais. Devenus civils au cours du XXème siècle, ils conservent néanmoins une discipline militaire.265 Polig Montjarret, Conférence à l'université d'été du Festival de Cornouaille, 2002, Op. Cit.

103

E) La musique savante occidentale

L’influence du milieu musical « savant »266 sur le monde des bagadoù n’est que peu

revendiquée explicitement par les têtes pensantes de BAS. Cependant cette influence est

fortement perceptible dans le monde des sonneurs des années 1950 et 1960 ; le modèle des

Conservatoires et des orchestres ''classiques'' se reflètent dans les méthodes d’enseignement et

dans la musique des bagadoù.

Tout d'abord, BAS a pour souhait de dispenser des cours de théories musicales, fortement

inspirés de la théorie savante. En 1953-54 par exemple, les sonneurs découvrent, publiés dans

leur Ar Soner mensuel, des cours de théorie musicale rédigés par Polig Montjarret. Le fondateur

de BAS distille aux musiciens de bagad des éléments techniques poussés, sautant

indifféremment de Guy d’Arrezo aux commas et limmas, des gammes exaphones à la Clé d'Ut.

De tels enseignements ont parfois lieu directement au sein des bagadoù. Alain le Buhé se

souvient de « cours théoriques sur les gammes, donnés par Georges Cochevelou »267 au bagad

Bleimor, tandis que Michel Richard conserve encore les cours de « musicologie » copiés au

Scolaich Beg an Treis.

La principale acculturation à la technique savante consiste à utiliser la notation solfégique

sur portée pour transmettre et enseigner la musique aux sonneurs.

Un autre exemple frappant est la publication par BAS de deux méthodes instrumentales,

l'une pour cornemuse, l’autre pour bombarde. Elles sont écrites par deux membres influents de

la fédération, Emile Allain et Jean l’Helgouach, et éditées en 1954 et 1955 :

• Traité élémentaire destiné aux sonneurs de biniou268 (Emile Allain), 1954.

• Ecole de bombarde (Jean l’Helgouach)269, 1955.

La parenté avec les méthodes d’enseignement des instruments classiques y est avouée et

revendiquée. Il s’agit pour BAS de se hisser au niveau d’un enseignement académique,

considérant qu’auparavant les jeunes sonneurs « novices étaient désavantagés par rapport à leurs

camarades qui avaient choisi un autre instrument »270.

266 L’adjectif « savant », qualifiera ici la musique occidentale de tradition écrite, que l’on nomme couramment « musique classique ».

267 Entretien avec Alain le Buhé, le 29/03/2010.268 Emile Allain, Traité Elémentaire destiné aux sonneurs de biniou, éd. BAS, 1954, rév. 1965.269 Jean l'Helgouach, Ecole de Bombarde, éd. BAS, 1955. Cf. en Annexe VI et VII les couvertures de ces deux

méthodes.270 Jef le Penven, préface de la méthode Ecole de Bombarde de Jean l’Helgouach, BAS, 1955.

104

Ce sont toutes deux de véritables méthodes d’étude instrumentale utilisant tous les partis-

pris et les techniques d’enseignement de la musique savante occidentale : dichotomie

exercices techniques/morceaux, enseignement des gammes, apprentissage inscrit dans une

longue durée, recours à tous les ressources écrites du solfège (phrasés, etc.).

Les deux ouvrages préviennent d’abord les sonneurs que l’apprentissage va être long, et

que la patience doit être de mise :

« Modérez votre impatience, votre désir de jouer tout de suite du biniou. Il y a une étape, un peu longue, un peu dure, à franchir. Ce traité doit vous y aider, c'est sa raison d'être. »271

« Il ne sert de à rien de brûler les étapes (…), il faut savoir être patient et s‘habituer à recommencer mesure par mesure si cela est nécessaire, et plutôt cent fois qu'une. »272

Les auteurs font tous deux une très stricte distinction entre les exercices techniques,

indispensables pour la progression, et les morceaux, secondaires :

« [Les morceaux] peuvent être un excellent délassement de fin de cours, mais en aucun cas [ils] ne doivent déborder sur le temps imparti aux exercices théoriques. » 273

D’ailleurs chacun explique bien que sa méthode n’a pas pour but de donner un répertoire aux

sonneurs, mais seulement de « donner une base technique solide, par le maximum

d’exercices »274. Les aspects stylistiques et musicaux viendraient après l’acquisition de cette

technique minimale.

Ainsi la méthode de Jean l’Helgouach commence par apprendre aux sonneurs à monter et

descendre des gammes, des arpèges, et celle d’Emile Allain à effectuer correctement toutes les

ornementations. Les airs sont remisés dans les derniers chapitres, et « ce serait une grave erreur

de [leur] attribuer une durée [d’étude] supérieure à celle des exercices »275.

On trouvera à la page suivante des exemples de ces exercices techniques (extraits de la

méthode Ecole de Bombarde) :

271 Emile Allain, Traité Elémentaire, Op. Cit., p. 10.272 Jean l'Helgouach, Ecole de Bombarde, Op. Cit., p. 8.273 Ibid.274 Jean l'Helgouach, Ecole de Bombarde, Op. Cit., p. 7.275 Emile Allain, Traité Elémentaire, Op. Cit., p. 45.

105

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Illustration 21: Extrait de la méthode Ecole de Bombarde de Jean l'Helgouach, BAS, 1955, p. 27.

Globalement, on peut dire que ces deux méthodes de bombarde et cornemuse ont un

aspect sévère, ne privilégiant pas vraiment la notion de plaisir du jeu. « Astreignez vous à

étudier [ces airs] même s'ils ne vous plaisent pas. Il ne s'agit pas de constituer votre répertoire

mais de faire, encore, des exercices »276 écrit Emile Allain pour présenter le dernier chapitre. Les

valeurs de travail méthodique, de progrès, de technique pure sont évoquées. Il s’agit de

convaincre les jeunes débutants d’avoir le courage de suivre cette dure route, de goûter à cette

technique qui n’est pas le privilège de tous :

« Comparez votre situation à celle des sonneurs qui ont erré, cherché, et qui n'ont pas fait ou ne feront pas de grands sonneurs parce qu'ils n'ont pas eu de base solide sérieuse. Ils ont eu le plaisir de faire du bruit, tout de suite, de se montrer en public, d'être applaudis (il y a toujours des fanatiques qui applaudissent, plus ils applaudissent et mieux c'est : ainsi le biniou s'entend moins...). » 277

La grande majorité des sonneurs de bagad des années 1950 et 1960 ont accès à ces deux

méthodes instrumentales. Elles constituent la base de l’enseignement donné aux jeunes

musiciens.

Mais il semble que tous ne soient pas astreints à une discipline aussi stricte que l’auraient

voulu les auteurs. En 1965, dans la nouvelle édition de son Traité, Emile Allain écrit d'ailleurs

qu’il « n’ignore pas que qu’il n’y [a] eu que très peu de sonneurs à lire entièrement le texte de la

première édition »278.

Outre ces méthodes instrumentales, l’influence savante se fait sentir dans la musique elle-

même. Cela s'explique probablement par le fait qu'au cours des années 1950, des musiciens de

formation classique prennent des responsabilités au sein des bagadoù (Armel Morgant parle des

décennies 1950 et 1960 comme la période des « classiques »279). On peut citer Jean l’Helgouach,

penn-soner de la kevrenn de Rennes et premier prix d’alto du Conservatoire de Rennes, Bernard

Pichard, son successeur au bagad, également bassoniste, ou encore à Brest le compositeur

Pierre-Yves Moign, diplômé en contrepoint du CNSM de Paris, sollicité par la Kevrenn Brest-

Saint-Marc pour écrire ses arrangements.

276 Ibid.277 Ibid., p. 54.278 Ibid., « Avertissement de la seconde édition » [1965].279 Entretien avec Armel Morgant, le 18/01/2010. Il met ces années en relative opposition avec les décennies

suivantes (1970-1980) qui seront celles des « jazz » (Roland Becker, bagad de Kemperle, …).

107

Les bagadoù dirigés par ces musiciens élaborent un nouveau style de musique de bagad

inspiré par la musique savante. Les groupes expérimentent la polyphonie et harmonisent des

anciens airs :

Kevrenn de Rennes, harmonisation de la marche CadoudalDisque 33t. Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

De nouveaux airs sont écrits avec des voix instrumentales de plus en plus indépendantes.

Bombardes et cornemuses ne jouent plus nécessairement à l'unisson. Et, bien que l'alternance

questions/réponses héritée des sonneurs de couple soit toujours de mise, les cornemuses ne

répondent plus forcément la phrase énoncée par les bombardes :

Kevrenn de Rennes, Lanig et Monica(Chaque pupitre joue une partie, les cornemuses ne répondent pas la phrase des bombardes)Disque 33t. Le bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, Paris, Barclay-Bel Air 311046S, 1964

On peut constater plus généralement au cours des années 1950 un certain fantasme

orchestral, un souhait de voir le bagad fonctionner musicalement et matériellement comme un

orchestre. BAS se plaît à rêver de bagadoù composés de sonneurs-lecteurs de partitions,

recherchant une justesse parfaite et une sonorité d’ensemble, en étant éventuellement dirigés par

un chef d’orchestre.

Jean l’Helgouach imagine un pupitre bombarde qui musicalement se rapprocherait d’un

pupitre d’orchestre. Selon lui, « l'homogénéité du groupe bombarde d'un bagad doit être le

premier but à atteindre (…). A ce groupe, il faut nécessairement un chef d'attaque, comme il en

existe à la tête de chaque pupitre d'un orchestre symphonique ».280 Il mettra ces recherches en

application au sein du pupitre bombarde de la Kevrenn de Rennes.

Emile Allain aimerait pour sa part que les sonneurs, censés connaître le solfège, aient la

« volonté de suivre un texte [une partition] »281, à l’image des « meilleurs orchestres qui font des

répétitions alors que chacun a déjà travaillé sa partition »282. Cela permettrait ainsi de gagner un

280 Jean l’Helgouach, « Bombarde et bagad », Ar Soner n°61 (décembre 1954), p. 6.281 Emile Allain, « Une méthode ne suffit pas », Ar Soner n°51 (décembre 1953), p. 8.282 Ibid.

108

temps précieux en réduisant la durée du laborieux déchiffrage des morceaux. Mais ce projet de

bagad-orchestre ne se concrétise jamais vraiment. Les sonneurs sont certes formés au solfège

mais la majorité d'entre-eux ne devient jamais réellement lecteurs de partitions. Ces dernières

sont utilisées comme aide-mémoire lors de l’apprentissage des airs, elles sont abandonnées

ensuite ; aucun sonneur ne se sert d’une partition lors d’une prestation.

Par contre le recours à un chef d’orchestre (le penn-soner) qui bat la mesure et indique les

changements d'airs se généralise progressivement chez les bagadoù. Curieusement, BAS

désapprouve ces initiatives. En 1952 le règlement du concours stipule que « le chef d'orchestre

est interdit. Un bagad doit connaître l'enchaînement des airs imposés. Tout bagad qui se fera

diriger par son penn-soner sera disqualifié »283. En 1956, Polig Montjarret considère que « les

batteurs de mesure (…) sont de trop »284, et note plus durement les groupes dirigés. Mais malgré

ces avis défavorables, la présence d’un chef d’orchestre lors des prestations en concert se répand

chez l’ensemble des bagadoù et perdure encore aujourd’hui.

Enfin, depuis sa création, BAS a un projet un peu fou pour égaler la musique savante sur

son propre terrain : créer son propre Conservatoire. Cette idée est évoquée dès 1943, puis tentée

à de multiples reprises ensuite, à différents endroits de Bretagne (Guidel, Gourin). La

construction de ce Conservatoire Régional de Musique Traditionnelle est malheureusement à

chaque fois repoussée.

Il faut attendre 1977, et la Charte Culturelle Bretonne (signée par Valéry Giscard

d'Estain), octroyant de nouveaux moyens à la région, pour que le projet voit enfin le jour à

Ploemeur (56). BAS dispose enfin de son Conservatoire, qui fonctionne quelques années avant

de devenir finalement le centre culturel Amzer Nevez, géré par plusieurs associations culturelles

bretonnes.

283 Règlement du concours des bagadoù-sonerion, Petra eo BAS, numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952), p.8284 Polig Montjarret, Ar Soner n°93-94 (septembre 1956), p. 2.

109

Sonneurs traditionnels, pipe-bands, cliques, ou orchestres classiques, autant de modèles

musicaux ayant une forte influence sur le mouvement naissant des bagadoù. BAS revendique

certains de ces modèles, fustige les autres ; tout cela contribue à forger un modèle, à uniformiser

la nouvelle invention qu'est le bagad.

BAS, tout en cherchant à codifier la musique jouée par les bagadoù en définissant les

modèles à imiter, va aussi vouloir définir ce qui est propre à la musique bretonne. S'élabore

alors un nouveau concept, celui de « musique bretonne ». Non-contente de définir à quoi doit

ressembler la musique jouée par les bagadoù, la fédération étend son discours à des

considérations plus générales, donne des explications sur l'ensemble de la tradition musicale

bretonne ; elle veut expliquer ce qu'est la musique bretonne.

110

V) – Elaboration du concept de « musique bretonne »

« Ce que je trouve remarquable dans le mouvement de BAS, c’est la manière dont l’idée de musique bretonne a ''pris corps'' pour devenir une véritable composante de l’identité

bretonne. On peut dire d’une certaine façon que le concept de musique bretonne est consubstantiel à BAS. Aussi depuis 1950 tous les musiciens, groupes, ou même les

mouvements musicaux prétendant faire de la musique bretonne, ou s’occuper d’elle, n’ont pu échapper aux représentations et aux imaginaires de BAS, quand bien même ils se

faisaient parfois les détracteurs de cette association. » 285

Dans ce chapitre, nous tenterons de présenter le nouveau concept de musique bretonne que

développe BAS, une musique ayant pour principales caractéristiques une certaine « pureté »

(débarrassée de toute influence française), et une modalité qui lui est propre.

On verra également que, tout en définissant ce que doit être la musique bretonne, BAS

s'interroge sur son rôle face à la tradition, ne voulant pas, malgré son fort besoin de codification,

tomber dans un folklorisme qu'elle exècre.

A) I nfluence « française », censure

La conceptualisation par BAS de la « musique bretonne » passe par une volonté

d’élimination des influences « étrangères », en l’occurrence française, du répertoire des

sonneurs. Polig Montjarret est encore une fois le principal instigateur d’une épuration ambigüe

du répertoire :

« Les quelques rares airs qui ont été inspirés par les airs français sont lamentables. (…) Nous les avons reniés et rejetés de notre répertoire parce qu'il n'étaient pas bien bretons. » 286

Un discours se répand dans le monde des sonneurs, établissant qu’il existe deux catégories

d’airs : les bretons et les autres. On se plaint que « certains sonneurs adaptent hélas des airs

venus de l’étranger : Travadja la moukère, Bon voyage Mr Dumollet, ou J'ai du bon tabac »287.

285 Armel Morgant, Bagad, vers une nouvelle tradition ?, Op. Cit., p. 40.286 Polig Montjarret, « Libres propos », Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 10.287 Polig Montjarret, « Sommes-nous des folkloristes ? », Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 2.

111

La situation n’est pas nouvelle - les sonneurs de couple ont depuis longtemps adapté des

airs français à la mode - et les dirigeants de BAS le savent bien. Ils reprennent cette situation à

leur compte, en rendant hommage à ces anciens sonneurs, mais en affirmant bien que cette

époque d’influence française est révolue :

« A une époque où il n'existait aucun règlement, où toute musique nouvelle venue de loin était un attrait pour nos campagnards isolés du monde, nos sonneurs croyaient bien faire et nous ne devons pas leur en tenir rigueur. Ces bouleversements sont heureusement très rares. Et un bon nombre d'apport non bretons se sont bretonnisés sous les doigts d'artistes populaires, incapables de faire autrement que de leur donner la couleur de leur région à ces musiques lointaines. » 288

La principale mesure prise pour préserver la musique bretonne est la nomination d'un « censeur

musical », chargé de trier les airs recueillis avant leur publication. Il s’agit du jeune Jef Le

Penven, par ailleurs compositeur et chef d’orchestre.

Tout au long des années 1950, la fédération impose à tous les membres une vision unique

de ce qu’est la « musique bretonne ». Comme l'explique Emile Allain (penn-soner de la Kevrenn

de Nantes) en 1957, les sonneurs se doivent de connaître l'histoire de leur musique, en cette

période où l'influence de la musique française est forte :

« [Avant, ce n'était pas utile car] les bretons vivaient beaucoup plus que maintenant à l'état pur. Ils subissaient des influences musicales de l'extérieur, c'est certain, mais n'étaient pas soumis comme nous à une imprégnation constante et profonde par toutes les musiques étrangères. » 289

La vigilance est constante, ne s’appliquant pas seulement au répertoire sonné par le groupe, mais

aussi aux chants entonnés en commun lors des voyages en car : « les seuls chants admis en

déplacement sont les chants bretons (pas d'Etoiles des neiges, de Nantes à Montaigu, etc.) »290 !

« Il n'est pas interdit de chanter et de rire, (…) mais que les chants soient bretons »291

Mais la censure semble n’avoir au final que peu de poids sur la musique des bagadoù, dont

le répertoire dans les années 1950, loin de ne comporter que des airs considérés comme

« purement bretons », se compose pour une grande part de compositions récentes et d’airs

écossais ou gallois.

Néanmoins, l’objectif a été atteint puisque la majorité des sonneurs a fait sien le concept

de « musique bretonne » pure, débarrassée des scories françaises, prônée par BAS. La plupart

288 Ibid. 289 Emile Allain, Ar Soner n°100 (mars-avril 1957), p. 23.290 Ar Soner n°26 (novembre 1951), p. 8.291 ''Yves'', « Tenue et discipline », Ar Soner n°95-96 (octobre 1956), p. 3.

112

manifestent -encore aujourd’hui- une grande reconnaissance à BAS et Polig Montjarret pour

avoir préservé la musique bretonne :

« Polig a insisté pour que la musique reste bien bretonne. Sinon, il n’y avait plus qu’à jouer la Toccata, ou autre chose ! C’est grâce à lui qu’on a sauvegardé la musique bretonne. »292

On dit souvent que Polig Montjarret a renié cette censure plus tard, à la fin des années

1970. Il a en effet publié en 1979 et en 2003 deux importants recueils de partitions, les Toniou

Breizh Izel293, qui contiennent notamment des airs précédemment censurés :

« Un certain nombre de ces airs furent impitoyablement écartés par Jef Le Penven, censeur musical de Bodadeg ar Sonerion (airs importés, ou inspirés d'airs populaires ou classiques en vogue en occident au XIX° siècle). On ne manquera pas de s'étonner de les trouver ici, mêlés aux airs authentiquement bretons : j'ai considéré qu'à une époque de leur histoire, les Bas-Bretons ont utilisé ces airs, ont dansé sur ces musiques. »294

Mais s’il a consenti à publier ces airs, le secrétaire général de la BAS n’est en fait jamais

vraiment revenu sur l’idée que la censure était à l’époque nécessaire. Il a simplement considéré

au bout de quelques décennies que la musique bretonne n’était plus menacée, que les airs

incriminés ne représentaient plus un danger :

« Leur publication ne présente plus aujourd'hui les mêmes risques. »295

« La musique instrumentale bretonne a aujourd’hui les reins solides ; elle peut, sans risquer désormais la contamination, s’offrir le luxe d’ajouter à son répertoire ce que nous avons volontairement rejeté voici 35 ans ! » 296

B) Le fantasme d'une modalité typiquement bretonne

BAS ne définit pas que par la négative sa vision de la musique bretonne, en excluant les

airs considérés comme étrangers. Elle explique aussi, à grands renforts d’articles et de cours,

que l’authentique musique bretonne présenterait une caractéristique propre : sa modalité.

« Le credo s'appuie sur une théorie des modes, véritable cheval de bataille de BAS. La musique bretonne serait radicalement différente des autres musiques, voir même supérieure, parce qu'elle serait la seule à utiliser une douzaine de modes autres que les seuls ''majeur'' et ''mineur'' du système tonal. » 297

292 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.293 [Airs de Basse-Bretagne].294 Polig Montjarret, Toniou Breizh Izel n°2, Ploemeur, BAS/Dastum, 2003, Avant-Propos, p. XVIII.295 Ibid.296 Polig Montjarret, « Parution prochaine du Toniou Breizh Izel », Ar Soner n°246 (1979).297 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 132.

113

A de nombreuses reprises298, Polig Montjarret expose aux sonneurs ses théories modales,

plus ou moins inspirées des folkloristes Maurice Duhamel et Burgault-Ducoudray, le plus

souvent douteuses car peu fondées, usant de raccourcis simplistes.

La Basse-Bretagne serait la seule région a n’avoir pas connu un « délaissement des modes

au profit du majeur/mineur, délaissement que l'on a pu voir dans tous les pays occidentaux »299.

Elle aurait ainsi conservé une douzaine de modes, « survivance des musiques médiévales

d'Europe Occidentale, fortement influencés par la musique grecque, et par le plain-chant, lui-

même influencé par la musique grecque », dont les « plus répandus [seraient] les modes de MI

et de LA »300.

Suivent de complexes explications, par forcément fausses, mais souvent mal orientées,

destinées avant tout à prouver une prétendue supériorité de la musique bretonne. L'arrière-

pensée d’appliquer ces théories au répertoire des bagadoù est constamment présente.

La majorité des sonneurs de bagad est sans nul doute dépassée par ces considérations

théoriques. Comme l’explique Yves Defrance, « il va de soi que devant les explications

sophistiquées de Polig, l'apprenti sonneur ne peut que s'incliner ».

C) “Sommes-nous des folkloristes ?” : BAS face à son rapport à la tradition

Dès le second numéro d'Ar Soner, Polig Montjarret se pose, dans un éditorial, la question

“Sommes-nous des folkloristes ?”301. Cette problématique théorique récurrente agite la BAS des

années 1950 : comment envisager le bagad dans son rapport à la « tradition » musicale

bretonne ? Est-ce un orchestre complètement moderne, ou une continuation de la tradition, ou

encore un ensemble « folkorique » ? Il s’agit d’un débat auquel ne participent certes qu’un

nombre réduit de sonneurs - quelques dirigeants de bagadoù - mais dont les tenants et les

aboutissants influent grandement sur les directives officielles de la fédération. De plus, on peut

penser que nombre de musiciens de l’époque se posent les mêmes questions.

Par articles interposés publiés dans Ar Soner, chacun tente de définir les degrés

d’invention, de tradition et de folkorisation de cette nouvelle pratique musicale qu’est le bagad.

298 Dans « Petra eo BAS », numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952), dans les Avant-Propos des Toniou Breizh Izel, dans le programme imposé à l’examen du Trec’h seizenn paru dans les Ar Soner n°49 à 57 (octobre 1953 à juin 1954).

299 Polig Montjarret, Toniou Breizh Izel n°2, Op. Cit., Avant propos, p. VII.300 Polig, « La musique bretonne », Petra eo BAS, numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952), p. 15.301 Polig Montjarret, « Sommes-nous des folkloristes », Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 1.

114

Bien que la BAS se pose en continuatrice des sonneurs de couple traditionnels, tout le

monde est à peu près d’accord pour poser une rupture entre les bagadoù et la pratique musicale

de l’ancienne société rurale bretonne. Le bagad est alors considéré comme une « nouveauté »

que l’on oppose à « l’ancienne pratique », selon tout un panel de contraires : rural/citadin,

oral/écrit, musique de solistes/musique d’ensemble, musique traditionnelle figée/musique

composée novatrice. Polig Montjarret écrit même un article ou, point par point, il énumère

toutes les différences entre la musique de bagad et la musique de couple302.

La BAS, via Ar Soner, explique donc à de multiples reprises aux sonneurs que leurs

bagadoù ne sont pas « traditionnels » :« Nous avons lancé quelque chose de non traditionnel. » 303

« Le bagad, chez nous, n'est pas traditionnel ; je ne crois pas que l'on pourrait prouver le contraire. Il n'y a donc pas de musique traditionnelle mais des marches composées pour ensemble de sonneurs et de batteurs » 304

Il est donc établi que la musique des bagadoù n’est pas à considérer comme

« traditionnelle ». Pourtant, de l’extérieur, le public entend et voit des ensembles en costumes,

avec des bombardes, des binious. Dans les années 1950 et 1960 les bagadoù n’ont pas l’image

d’orchestres modernes bretons que BAS voudrait faire passer. Pour la majorité de la population,

ce sont des « groupes folkloriques ». La fédération va lutter rageusement contre cette étiquette

de « folkloristes ».

On sait que le terme « folkore » est extrêmement polysémique. BAS admet être une

fédération de folkloristes dans sa signification la moins péjorative, c’est à dire avoir pour

préoccupation tous les aspects de culture des générations précédentes (musique, danse, langue,

etc.). C’est pourquoi la revue Ar Soner sera un temps sous-titrée « Revue du folklore vivant de

Bretagne », ayant pour but de s’adresser à « toute la jeunesse folklorique »305.

Mais les dirigeants de BAS refusent catégoriquement le titre de folkloristes dans son

aspect négatif, qui qualifie ceux qui sclérosent une culture en la standardisant pour l’adapter au

spectacle. Ils opposent donc deux types de folklore : le « folklore vivant » et le « folklore de

musée »306, en refusant catégoriquement d’être de ces « folkloristes de musée » :

302 Polig Montjarret, « Un breton émigré traduit-il toute la pensée de BAS ? », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10, reproduit en Annexe III.

303 Ibid.304 Pierre Bigot, « Une lettre d’un breton émigré », Ar Soner n°52 (janvier 1954), p. 8.305 Ar Soner n°15-16 (août-septembre 1950), p. 1.306 Ibid.

115

« Le folklore breton n'est pas un sujet de musée figé dans un type 1850 ou 1910. Il est vivant. La mode bretonne comme toute mode évolue. La Bretagne n'est pas seulement celle d'hier, dont on entend respecter et perpétuer les meilleures traditions, mais celle d'aujourd'hui. » 307

Polig Montjarret veut couper court aux critiques qui reprochent à BAS de ne faire que

conserver des éléments d’une culture disparue. Il souhaite convaincre que sa fédération perpétue

avant tout une tradition vivante :« Oeuvrer pour maintenir ce qui est traditionnel, voilà notre but. A notre sens, un folkloriste est celui qui se penche sur les choses mortes à demi, dans le but de les reconstituer, de les coucher noir sur blanc et leur donner asile dans les cartons poussiéreux d'un musée. (…) Mais ce qui est mort ne nous intéresse plus. Nous n'entendons pas faire revivre ce qui a disparu. La passé nous intéresse dans la mesure où il est relié au présent. (…) Nous croyons ne pas avoir droit au titre de folkloriste. » 308

BAS affirme donc dans les années 1950 une position - qui n’est pas sans paradoxe -

d’institution à la fois intéressée par la tradition mais détachée d’elle, ni folkloriste ni

complètement moderniste.

Mais malgré ces affirmations, tout au long des décennies 1950 et 1960 certains jugent au

contraire que la fédération est trop folkloriste, empêchant la musique bretonne de continuer son

évolution. Les avis des mécontents sont régulièrement publiés dans Ar Soner, souvent pour être

mieux contrés :

« Pour ma part, je vois en son œuvre un travail négatif. (…) BAS empêche de s'éteindre cette beauté qu'est le folklore breton. Mais ne semble-t-elle pas oublier que cette beauté peut encore se rafraîchir ? » 309 (1949)« Car, chose qui n’est pas comprise à l’étranger, et qui échappe parfois à certains compatriotes de Rennes ou de Nantes, le folklore breton est un folklore vivant qui n’a cessé d’évoluer. Le codifier équivaudrait à le fossiliser, à l’amputer gravement de son passé, et à le condamner sans espoir d’avenir. » 310 (1959)« Certains anciens seraient sans doute fort surpris de voir qu’en leur nom on élabore des postulats sclérosant l’expression musicale et engendrant une impuissance créatrice fort opposée à l’esprit qui les animait. » 311 (1969)

En fait, le discours officiel de BAS change selon le sujet. Lorsqu’il s’agit de revendiquer

le dynamisme des bagadoù, la fédération explique être un mouvement vivant, loin de la tradition

et de l’aspect poussiéreux du folklore. Mais lorsqu’il s’agit de se présenter comme des militants

307 Yann Morgant, Ar Soner n°24 (septembre 1951), p. 2.308 Polig Montjarret, « Sommes-nous des folkloristes », Ar Soner n°2 (juin 1949).309 Emile ar Scan « Rénover l’art celtique », Ar Soner n°2 (juin 1949), p. 11. Emile ar Scan est le nom d’état civil

du célèbre chanteur et militant breton Glenmor, mais rien ne prouve qu’il soit l’auteur de ces lignes.310 P. ar Gwenn, « Réflexions d’un vieil immigré sur la pratique et l’évolution des danses bretonnes », Ar Soner

n°110 (mars-avril 1959).311 Pichard, « Aliénation négative et aliénation de réaction », Ar Soner 174-175 (1969).

116

bretons, défendant leur région, BAS affirme sa proximité et son respect pour la tradition

musicale bretonne.

Leur souhait le plus cher serait non pas d’être des folkloristes, mais de parvenir à lancer,

en étant plus ou moins inspirés de l’ancienne tradition, une « nouvelle tradition »312 :

« Nous avons lancé quelque chose de non-traditionnel. Dans vingt années, dans un siècle, il sera admis par tous que le BAGAD en Bretagne est une tradition des plus pures. » 313

Le plus important pour Polig Montjarret et son équipe n’est peut-être pas le rapport à entretenir

avec la tradition passée, mais plutôt de tourner leur mouvement vers l’avenir, de s’inscrire dans

la durée314 :

« C'est le temps qui consacre les traditions. Le bagad a huit ans ! A peine l'âge de raison. Nos fils en reparleront dans cent ans... Qui vivra, entendra ! » 315

312 En 2003, Armel Morgant a d’ailleurs intitulé son ouvrage sur les bagadoù « Bagad, Vers une nouvelle nouvelle tradition ? », Op. Cit.

313 Polig Montjarret, « Un breton émigré traduit-il toute la pensée de BAS ? », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10.314 Il fut assez visionnaire sur l’ampleur qu’allait prendre le mouvement bagad, qui, près de 60 ans plus tard, n’est

pas près de péricliter.315 Polig Montjarret, « Ecossophile et cornemusophobe », Ar Soner n°87-88 (juin 1956), p. 1.

117

Dans la partie précédente, nous avons présenté la codification mise en place par BAS, et

avons vu comment les groupes appliquent les directives au quotidien. Il nous faut maintenant

expliquer quel rôle a joué cette volonté d'uniformisation dans le développement rapide et

durable des bagadoù.

Nous pourrons également nous interroger sur le degré d'application des codes officiels au

sein des groupes : BAS parvient-elle à implanter des ensembles identiques en tout point ? Ou

bien, au contraire, les bagadoù ne prennent-ils pas des libertés, posant les bases d'un mouvement

dynamique, loin d'une folklorisation stérile ?

I – Se reconnaître dans une même pratique : le bagad

On peut dire que BAS ne laisse pas le développement des bagadoù suivre le simple

principe d'une « mode », entendue comme une reproduction imitée mais aléatoire de pratiques.

Cela aurait pu être le cas : si les règles édictées pas la fédération n'avaient pas été aussi strictes,

les bagadoù créés un peu partout en Bretagne auraient pu être beaucoup plus différents les uns

des autres. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. BAS a toujours eu au contraire pour but

d'implanter des ensembles identiques ; c'est pourquoi dans les années 1950 elle tient à

uniformiser tous les paramètres du bagad, du nombre de sonneurs à la tonalité des instruments,

en passant par la disposition en défilé.

Cette standardisation ne se fait pas sans raison : le but est que les sonneurs des quatre

coins de Bretagne se reconnaissent dans une même pratique, la musique de bagad, et que celle-ci

119

CHAPITRE 2

L'EXPANSION D'UNE INVENTION UNIFORMISÉE

se répande largement. Plus la pratique est uniformisée, et plus la masse des sonneurs apparaît à

BAS comme un véritable « mouvement » unitaire. On peut citer à titre d'exemple l'adoption de

la tonalité de Si bémol par Dorig le Voyer pour tous les instruments BAS. Polig Montjarret

estime qu'il s'agit là de son plus « grand mérite »316 et que cela a permis à des « milliers de

jeunes sonneurs bretons »317 de jouer ensemble.

Que ce soit pour les instruments, le répertoire ou la façon de s'habiller et de marcher, se

conformer aux règles de BAS représente pour un musicien le gage d'entrée dans la grande

communauté des sonneurs. Pour un bagad entier, respecter les usages prescrits par la fédération

est le moyen de se faire accepter des cadres de BAS et de ses pairs.

Il faut dire que les sonneurs et les bagadoù n'ont pas vraiment le choix... Créer un

ensemble de musique bretonne dans les années 1950 et 1960, c'est obligatoirement monter un

bagad adhérent à BAS. Par extension, c'est commander des instruments au luthier officiel (Dorig

le Voyer), jouer le répertoire imposé par BAS, et participer aux concours de la fédération.

Les quelques pionniers de BAS créent d'abord quelques bagadoù en 1947-48, les

façonnant selon leurs souhaits (notamment Polig Montjarret à Carhaix et Rostrenen). Puis ils

donnent l'envie à des centaines de personnes partout en Bretagne de suivre leur modèle :« Les cliques se développent d'une manière anarchique à partir de 1948-1949 alors que la BAS gagne en effectif. Le comité directeur comprend alors la nécessité d'organiser ces ensembles (…). » 318

Les choses sont bien vite prises en main. Les bagadoù continuent à se multiplier, mais en étant

tenus de suivre les directives officielles de BAS.

Cette grande vague de codification qui a cours dans les premières décennies de BAS n'est

pas exempte de paradoxe. Certaines choses sont prônées puis désavouées, au gré des années. On

pensera par exemple à la référence aux sonneurs de couple, présentés successivemment comme

des modèles à imiter, ou au contraire comme une ancienne pratique n'ayant plus rien à voir avec

le jeu en bagad.

On peut penser également à la question de la notation musicale. Celle-ci est imposée aux

groupes (les airs imposés aux concours sont donnés sur partitions, les recueils également), et

utilisée comme un moyen de légitimation de la musique de bagad ; il s'agit de se hisser au

niveau des autres musiques : « en s'appropriant l'écrit, outil de la culture dominante, les

316 Polig Montjarret, « Cornemusophile et Ecossophobe », Ar Soner n°87-88 (juin 1956), p. 1-4.317 Ibid.318 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 95.

120

défenseurs de la musique [ont] le sentiment de lui donner la légitimité qui lui manquait »319. Et

l'on peut considérer que le fait d'imposer cette notation musicale, bien qu'il puisse être

discutable, porte ses fruits, puisqu'un grand nombre de sonneurs sont en mesure de lire les

mêmes partitions ; comme le dit Yves Defrance : « [La partition], vecteur de transmission franchement réducteur, eut le mérite de permettre à des milliers de jeunes bretons de devenir imbattables dans la lecture d'une partition, à condition qu'elle fût en Sib majeur. » 320

Pourtant, curieusement, à d'autres moments BAS fait une véritable apologie de « l'illetrisme

musical »321. Alors qu'il a convaincu son monde que l'écriture de la musique était le seul moyen

de donner une grandeur à la musique bretonne, Polig Montjarret avoue parfois sa préférence

pour les musiciens qui ne connaissent pas la notation musicale :

« Je préfère ces ruraux qui ignorent tout de la gamme et de la clé de Sol, du dièse et du bémol, et qui ont en eux la musique bretonne dans leurs tripes, dans leur cœur, dans leur tête. »322

Mais, outre ces quelques incohérences de discours, la stratégie de BAS pour codifier les

bagadoù atteint son but. Tous les aspects du bagad sont définis. L'uniformisation fait que tous

les sonneurs ont eu le sentiment d'appartenir réellement à la même communauté, de pratiquer la

même musique. Une grande famille des sonneurs à laquelle on adhère d'autant plus facilement

qu'à l'époque tout est fait pour qu'un débutant puisse jouer le plus rapidement possible en groupe

(instrument, répertoire, méthode d'enseignement).

319 Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 132.320 Ibid.321 Expression utilisée dans Petra eo BAS, numéro spécial Ar Soner n°30 (février 1952), p. 12.322 Polig Montjarret, cité par Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du

sonneur au musicien breton, Op. Cit., p. 103.

121

122

II - Se reconnaître dans la même « musique bretonne »

Que serions-nous sans celui qui est parti dans cette petite barque de bois ?Brilleraient-ils de fierté les yeux des sonneurs ?

Brilleraient-ils d’émoi les yeux de ceux qui les écoutent ?A quelle musique serions-nous condamnés, ou même soumis ?323

En plus de faire en sorte que les sonneurs se reconnaissent dans une même pratique, le bagad, BAS parvient à répandre son concept de « musique bretonne ». Des centaines et des centaines de sonneurs à l'époque et aujourd'hui encore s'identifient à cette musique qu'on leur a présentée comme « bretonne », à grand renfort d'explications modales ou organologiques.

Polig Montjarret tente sans cesse d'imposer sa vision de ce que doit être la musique bretonne, une musique débarrassée des influences ''françaises''. Pour se faire, une seule solution, imposer des règles strictes, comme la mise en place d'un poste de censeur musical de BAS (Jef Le Penven) chargé de contrôler le répertoire. Comme pour le reste, BAS répand son idée de la musique bretonne en définissant des règles :

« Je prétends (…) que la seule façon de rester Breton, c'est de préciser une fois pour toutes et dans le moindre détail, la méthode obligatoire du sonneur de Bagad. Ainsi serait fermée à jamais la porte aux importations innopportunes que chacun provoque aujourd'hui et qu'en toute bonne fois il dispense à son entourage. »324

Le répertoire est trié pour qu'il « sonne » breton, en particulier selon sa modalité. C'est là l'une des clés du concept de musique bretonne de BAS. La musique de Bretagne possèderait une modalité qui lui est propre, modalité que Polig Montjarret explique dans de nombreux articles. Bien que probablement dépassés par ces questions théoriques modales, les sonneurs se laissent convaincre. C'est surtout que petit à petit, les caractéristiques des airs de BAS leur paraissent familières ; ils ont véritablement le sentiment de jouer de la musique bretonne, la pure, une musique qui a quelque chose de spécial ;

« En imposant de façon autoritaire un type de répertoire aux sonneurs néophytes, la BAS créé artificiellement un environnement modal qui devient progressivement familier aux oreilles bretonnes. »325

323 Gilles Servat dans sa chanson « Le général des binious », écrite en hommage à Polig Montjarret. CD Sous le ciel de Cuivre et d'Eau, Coop-Breizh, 2005. Voir le texte complet en annexe IV.

324 Polig Montjarret, « Un Breton émigré traduit-il la pensée de toute la BAS ? », Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10, reproduit en Annexe II.

325 Ibid.

123

Outre ces questions modales, BAS se présente comme le mouvement ''sauveur'' de la musique bretonne, garant d'une certaine authenticité traditionnelle. Au besoin, les anciens sonneurs de couple sont présentés comme un modèle à suivre, moyen d'inscrire le mouvement des bagadoù dans une filiation traditionnelle.

Le concept de « musique bretonne » n'est pas sans paradoxe. Les rapports à la tradition

musicale bretonne sont bien plus complexes qu'une simple filiation directe. Ainsi les bagadoù

utilisent des grands binious et non des binioù kozh, ainsi la majorité du répertoire est

nouvellement composé, etc. Néanmoins, la plupart des sonneurs de bagad se soucient peu de

tous ces détails. La propagande de la fédération est puissante, et tous les membres des bagadoù

partagent alors en commun le sentiment de jouer une même musique : la musique bretonne, la

vraie. BAS et ses fondateurs apparaissent comme ceux qui ont sauvé cette musique bretonne,

qui l'ont relancée, qui ont permis que la tradition se perpétue (et non pas ceux qui l'auraient

inventée, ou standardisée).

C'est l'une des raisons principales de l'engouement populaire pour les bagadoù. Comme

plus tard le mouvement folk, le mouvement BAS fédère un grand de nombre de personnes

autour d'une même idée de la musique « traditionnelle » ; de plus les sonneurs s'engagent avec

d'autant plus de passion qu'on leur explique qu'ils sont les continuateurs mais surtout les

« sauveurs » de leur musique régionale.

On peut d'ailleurs mentionner que cet état de fait se poursuit encore actuellement. La BAS

des débuts est toujours considérée comme la structure sans laquelle il n'y aurait aujourd'hui plus

de musique bretonne. En témoigne la chanson de Gilles Servat citée en exergue de ce chapitre

qui rend hommage à Polig Montjarret (après son décès en 2003) en disant que sans lui les

musiciens bretons d'aujourd'hui seraient sans doute « soumis » à d'autres musiques326.

326 Cf. en Annexe IV le texte complet de la chanson.

124

III - Une communauté soudée par l'émulation et l'obsession de

progrès

En sus de partager la même pratique musicale et la même vision de la musique qu'ils

jouent, la communauté des sonneurs des années 1950 et 1960 est soudée par une volonté

commune de progression technique, qui trouve son application dans la véritable raison d'être de

tous les groupes : les concours.

Ces concours jouent un rôle très important dans le dynamisme du monde des bagadoù.

Pour BAS, ils sont l'occasion de répandre toujours plus fortement son modèle de bagad ; les

groupes les mieux classés sont ceux qui se conforment le mieux aux critères de qualité définis

par la fédération, et réaffirmés tout au long des rapports de jury. A chaque concours un bagad

tente alors à de ressembler le plus possible, à tous les points de vue (technique, musical, visuel),

au modèle prôné par BAS.

Pour les bagadoù, les concours sont l'occasion de se mesurer, donc de tenter d'être

supérieur aux autres. Mais c'est aussi paradoxalement l'occasion la plus propice pour constater

qu'on appartient à une même communauté ; aux concours, les groupes peuvent constater

concrètement qu'ils sont bien semblables aux autres.

De plus, BAS suscite dès les premières années une « obsession de progrès » ; les bagadoù

sont invités à toujours progresser, dans différents domaines : la justesse, l'ornementation, la

sonorité, etc. Chaque année, les groupes sont invités à aller plus haut encore, le but final n'étant

pas vraiment explicite. Dans la période qui nous intéresse, il s'agit souvent de tenter d'égaler les

modèles musicaux auquels sont comparés les bagadoù. Il faut par exemple être aussi doué en

ornementation que les pipe-bands écossais, ou encore savoir lire des partitions parce que les

musiciens d'orchestre le font.

BAS a réussi le tour de force de convaincre l'ensemble des membres de la nécessité de leur

125

progression technique. Ainsi, au bout de quelques années de concours, il n'est plus besoin de

stimuler les sonneurs ; une extraordinaire émulation s'est mise en place, qui dure jusqu'à

aujourd'hui. L'obsession de progrès est permanente, les bagadoù ont toujours eu des nouveaux

objectifs techniques à atteindre.

Il est frappant de constater que depuis soixante ans le monde des sonneurs évolue de

manière téléologique, ne se retournant jamais en arrière. Les bagadoù ne se préoccupent que très

rarement de la musique jouée quelques années plus tôt (le répertoire est sans cesse renouvelé).

Et jamais un bagad ne prendrait pour modèle un groupe des années 1950, 1960 ou 1970, tant

l'idée est répandue que le niveau technique n'a fait que progresser depuis.

L'émulation des concours, liée à l'obsession permanente de progrès technique, ont

provoqué dès les débuts de BAS un dynamisme permanent, chacun souhaitant faire un pas sur la

longue route ascendante des bagadoù.

126

IV – L'adaptation des règles officielles, ou l'évitement d'une

folklorisation stérile

En se limitant aux directives officielles lancées par BAS, on pourrait croire que tous les

bagadoù étaient semblables, obéissant aux mêmes règles de répertoire, d'instruments, aux

mêmes conventions visuelles. Mais on se rend rapidement compte que la réalité est bien

différente.

En fait, chaque groupe adapte un peu à sa guise les normes de la fédération. Cela se fait

parfois de manière consciente (certains leaders de bagad sont en désaccord sur certains points, et

mènent leur groupe à leur guise) ; mais souvent, cela arrive de manière fortuite.

Il est tout simplement impossible pour un bagad de mettre en application toutes les

directives de BAS. Pour les directives pratiques, c'est déjà compliqué : il faudrait contrôler le

nombre de sonneurs (et donc écarter certains membres...), leurs tenues, leurs positions en

défilés, leurs techniques à l'instrument, etc. Mais concernant les directives plus « morales »

(militantisme des sonneurs, par exemple), les bagadoù sont dans l'incapacité de les appliquer

formellement.

Indirectement, le fait que les bagadoù n'appliquent pas exactement la codification de BAS

fait qu'il règne une certaine liberté sur le monde des sonneurs. Les groupes ne sont pas

entièrement soumis aux dictats de la fédération, chacun suit dans une certaine mesure sa propre

voie.

Il semble qu'en fait BAS tolère les écarts de ses bagadoù ; car une fédération où les choses

seraient strictes, trop uniformisées, serait synonyme pour les dirigeants de BAS d'une véritable

dictature à laquelle ils donnent un nom : le folklorisme. Et pour rien au monde ils ne veulent

donner l'image de folkloristes figés et stérilisateurs ; au contraire, le souhait est d'être une

fédération de « folklore vivant », afin d'éviter à tout prix une « standardisation à outrance, cette

marche à pas accélérés vers la banalisation et la médiocrité »327.

327 Ar Soner n°15-16 (août-septembre 1950), p. 2, commentaire sur l'article « Le folklore vivant » de Jos Le Doaré.

127

Les libertés prises par les bagadoù par rapport aux normes officielles concernent d'abord

des points techniques (effectif, instruments, etc.) ; plus tard, les groupes individualisent

également leur répertoire et les choix stylistiques. Alors, comme nous l'évoquerons dans la

partie suivante, cela se traduit par l'éclosion de véritables « écoles de style » au sein de la

fédération.

128

Il est possible, pour conclure cette étape de la réflexion, de dire que durant les décennies

qui nous intéressent les bagadoù oscillent entre un respect des codes prônés par BAS, et une

adaptation à leurs réalités de terrain. L'entreprise de codification menée par la fédération a

indéniablement été primordiale dans la large expansion des bagadoù.

La nouvelle invention -le bagad-, s'est d'autant plus répandue du fait qu'elle était bien

codifiée. L'uniformisation du bagad sur des plans tant techniques que conceptuels a permis

d'obtenir une réelle unité au sein de la communauté croissante des sonneurs, tandis que les

différentes applications des directives officielles ont posé les bases d'un mouvement dynamique.

129

Deuxième Partie :

Répertoire emblématique et diversité de style,le succès de la musique de bagad

Le répertoire des bagadoù, que nous présenterons en début de chapitre, comporte plusieurs

genres d'airs : des marches, des ''mélodies'', des danses, ou encore des airs écossais. Dans les

premières années, tous les groupes ont un répertoire commun, diffusé par BAS.

Puis nous verrons dans un second temps qu'au cours des années 1950, les répertoires des

groupes s'individualisent, donnant naissance à différentes écoles de style.

I) Les ''genres''

A) Les marches

Polig Montjarret se souvient du répertoire interprété lors de la première représentation

officielle de BAS, en mai 1943 au Congrès de l’Institut Celtique à Rennes : les huit sonneurs

présents ce jour-là ont joué trois airs : « une marche dite Robert Bruce, qui n'était en fait qu'une

version très approximative du Scotts Wha Hae328, la Marche des moutons blancs de Pontivy et la

marche de BAS composée par Dorig [Le Voyer] »329. Bien que l’on sache que « la préparation de

ce concert fut en partie improvisée »330, ces trois morceaux préfigurent l'omniprésence d'un

genre dans le répertoire des bagadoù, les marches, inspirées du répertoire des sonneurs de

couple ou composées par les dirigeants.

Le bagad est alors considéré avant tout comme un groupe de défilé. Un bagad, pour

répondre aux attentes des organisateurs de fêtes, se doit donc de savoir défiler et de posséder à

328 Chant patriotique écossais.329 Dans l’interview « Polig Montjarret parle de Dorig le Voyer », Ar Soner n°299 (décembre 1987, p. 16-20), Ar

Soner n°300 (janvier-mars 1988, p. 8-11), Ar Soner n°301 (avril-juin 1988, p. 19-22).330 Ibid.

133

CHAPITRE 1

LA MUSIQUE DES BAGADOÙ

son répertoire des airs de marche. En 1952, sur les 32 bagadoù existants, BAS juge que 18 sont

aptes à se présenter en public lors de fêtes, c’est-à-dire « entrainés à défiler et à sonner

correctement plusieurs marches »331.

Parmi les marches jouées par les bagadoù, certaines sont des ''classiques'' que tous les

groupes connaissent. Nous avons choisi d'en présenter deux : les célèbres marches de Cadoudal

et de Fouesnant.

La première serait une complainte ancienne, évoquant « Julian Cadoudal »332, adaptée en

marche dès le début de BAS ; la seconde est une composition de Polig Montjarret pour le camp

BAS ayant eu lieu à Fouesnant (29). On trouvera à la page suivante la partition de chacune de

ces deux marches, ainsi que des enregistrements.

331 Petra Eo BAS, numéro spécial Ar Soner n°30 (févirer 1952), p. 26.332 Frère du chef chouan Georges Cadoudal (1771-1804).

134

Illustration 23: Partition de la Marche Bale Kamp Fouesnant (Polig Montjarret)Source : Traité Elementaire destiné aux sonneurs de biniou, Emile Allain, BAS, 1954, p. 50.

Illustration 22: Partition de la marche de Kadoudal. Source : Sonit'ta Sonerion, BAS, 1947, p. 2.

Marche de Cadoudal par la Kevrenn Brest-Saint-MarcDisque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d. [196?]

Suite de marches Cadoudal et Fouesnantpar le Bagad de Lann-BihouéDisque 45t. Marine Nationale, Paris, Decca 450.737, s.d.

Tous les sonneurs de bagad des années 1950 et 1960 connaissent ces deux marches,

tous les groupes les ont à leur répertoire. Georges Cadoudal se souvient que le bagad de

Bourbriac jouait « des airs classiques de Polig, comme la marche de Fouesnant et Cadoudal

deux fois »333. En 1951, la Kevrenn Rouzik, qui vient de se monter, publie un communiqué dans

Ar Soner334 annonçant qu’elle a déjà deux airs au répertoire, dont Cadoudal. Disposer ainsi

d’airs communs est utile lors des « triomphes de sonneurs », ces moments clôturant les fêtes

folkloriques et les concours, où tous les sonneurs présents défilent ensemble sur un même

morceau.

Mais entendre à chaque fois le même morceau peut lasser le public ou les musiciens

eux- mêmes… En 1955 le journaliste J.Fontaine, dans un article pour le journal La terre

bretonne présentant le Festival des Cornemuses de Brest, écrit : « Avouons-le : la Marche de

Cadoudal, entendu mille fois, si ce n'est davantage, pendant ces trois jours, crispait »335.

En 1956, c’est au tour de Polig Montjarret lui-même de s’attaquer à ces airs trop souvent

ressassés. Pour le Festival des Cornemuses de Brest, BAS avait justement choisi cette année-là

de changer les airs programmés pour le triomphe des sonneurs. Mais c’était sans compter sur

certains sonneurs, qui n’entendaient pas changer les bonnes habitudes : « Il y avait un air

imposé, mais certains ne l'ont pas joué ; il a donc fallu attaquer « les vieilles rengaines :

Cadoudal-Fouesnant »336. L'attrait pour ces « vieilles rengaines » s'est poursuivi pendant de

nombreuses années, jusqu'à aujourd'hui encore pour la Marche de Cadoudal.

En 1964, la Kevrenn de Rennes choisit de parer cette marche de nouveaux attraits337 : elle

enregistre une version harmonisée par son penn-soner Jean L'Helgouach (dont on trouvera ci-

dessous l'enregistremeent), expliquant ce choix dans la notice du disque :

« La marche de Cadoudal a présidé aux débuts de tous les bagadoùs et de tous les sonneurs, c'est la plus célèbre de toutes les marches bretonnes. La kevrenn de Rennes rend hommage à cette musique en la parant (…) d'une harmonisation et d'une orchestration qui lui donnent une nouvelle jeunesse et un air triomphal. » 338

Kevrenn de Rennes, harmonisation de la marche CadoudalDisque 33t. Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

333 Entretien avec Georges Cadoudal (l'actuel), le 16/03/2010. « 2 fois » devient le sous-titre inconscient de cet air, que tous les groupes sonnaient deux fois.

334 Ar Soner n°57 (décembre 1951).335 J.Fontaine, « Les Irlandais nous réconcilient avec la cornemuse », article reproduit dans le Ar Soner n°77

(septembre 1955).336 Polig Montjarret, « Discipline et désintéressement », Ar Soner n°91-92 (Août 1956), p. 6.337 Marche de Cadoudal, Kevrenn de Rennes, 33 tours « La Bretagne » vol.2, Barclay licence Arion, 1964.338 Ibid, notice rédigée par Yvon Laigle.

136

Cadoudal et Fouesnant sont représentatives des marches jouées par les bagadoù au début

des années 1950. Destinées aux défilés, elles ne comportent pas de difficultés techniques pour

pouvoir être apprises rapidement par les jeunes sonneurs, et présentent les mêmes

caractéristiques : binaires, à deux phrases et à carrures régulières, en Sib majeur.

Outre quelques emprunts au répertoire des sonneurs de couple, la plupart des marches sont

des compositions récentes, construites selon les mêmes principes. Dès 1952, Polig Monjarret

déclare qu’il a « composé plus de trente marches de kevrenn »339 ; chaque nouveau bagad,

chaque nouveau camp de BAS se voit dédier un air de marche par le maître de BAS (marche de

Carhaix pour le bagad des Cheminots de Carhaix en 1949, marche Kevrenn-Rostren pour le

bagad de Rostrenen en 1949, marche Kevrenn-Duik pour celui de Kemperlé, marche Camp

Pont-Abad pour le camp BAS de Pont-l’Abbé en 1951, Kleier Koad-Serc'ho pour le bagad de

Morlaix en 1951, Marche des Etudiants Bretons en 1953 …). D'autres marches sont écrites par

des responsables de BAS et des dirigeants de bagadoù (Pierre Pulvé pour le bagad du Moulin-

Vert, Yann Camus pour Brest-Saint-Marc, etc.).

Au début des années 1950, les bagadoù commencent à ajouter à leurs répertoires des airs

de danses traditionnelles. Mais ils modifient la vitesse de ces danses pour en faire à nouveau des

airs convenant à la marche. Emile Allain propose dans son Traité élémentaire de biniou340 des

partitions de ce type. C’est le cas par exemple du Jabadao (p. 67), ainsi que de la Marche pour

débutants (p. 64) qui sont des « une danse[s] dont la cadence est réduite en marche »341. Emile

Allain explique même que sonner une danse à vitesse réduite pour défiler est plus simple

rythmiquement que de sonner les marches de la tradition bretonne :

« Il est à remarquer [...] que les airs bretons traditionnels de marche sont presque toujours à mesure irrégulière. D'où difficulté pour interprétation en bagad. Les danses, par contre, sont à mesure régulière et fournissent un répertoire inépuisable. Souvent il suffit de réduire la cadence métronomique. » 342

Le bagad Quic-en-Groigne de Saint-Malo enregistre un exemple de ces danses à vitesse réduite pour être sonnée en marches :

Bale an Deskidi, par le Bagad Quic-en-Groigne (Saint-Malo)Disque 33t. Bretagne, Paris, Philips 77001 L, s.d. [196?](le bagad annonce « arrangement en forme de marche sur des airs de gavottes de la région de Scaër » sur la pochette. Il s'agit en effet d'airs de danse ralentis)

339 Ar Soner n°28-29 (janvier-février 1952).340 Emile Allain, Traité élémentaire destiné aux sonneur de biniou, Op. Cit.341 Ar Soner n°83 (février 1956, p. 3.342 Emile Allain, « A propos du Traité élémentaire », Ar Soner n°80 (octobre 1955), p. 4.

137

A la fin des années 1950 apparaît dans le répertoire des bagadoù un nouveau type de

marches, toujours destinées aux défilés mais dont le style est complètement différent des

précédentes compositions de Polig Montjarret. C’est l’ère des marches ''à l’écossaise'', c'est à

dire composées selon les règles des marches de pipe-bands : airs à 4 phrases, aux nombreux

rythmes pointés (''sicilienne'' en métrique ternaire), et aux ornementations de cornemuse

fournies. Les compositions les plus célèbres dans ce style sont signées Herri Léon, avec par

exemple sa marche Deut mat oc'h Ian, écrite en hommage au piper écossais John Weatherston :

Deut mat oc'h Ian, marche composée en 1960 par Herri Léon,enregistrée ici par la Kevrenn de Rennes.Disque 33t. Le Bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, Barclay-Bel Air 311046S, s.d.

Donatien Laurent, proche d'Herri Léon, compose également dans le style écossais. Sa marche

Bale an Ene Reiz, dont nous reproduisons la partition ci-dessous, est composée « presque sous

forme d’exercice de style ; le rythme montre une évidente influence écossaise343 » :

Illustration 24 : Partition de la marche Bale an Ene Reiz, composée par Donatien Laurent, reproduite dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 166.

343 Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Gilles Goyat et alii, Op. Cit, p. 148.

138

B) Les « mélodies »

Au cours des années 1950, les bagadoù manifestent une quête d'authenticité en ce qui

concerne leur interprétation de musique traditionnelle bretonne. Si le répertoire des premiers

groupes ne contient en majorité que des marches récentes, les bagadoù souhaitent

progressivement jouer des airs qu'ils nomment « mélodies ». Il s'agit d'airs lents, parfois non-

mesurés, pour la plupart empruntés à la tradition bretonne chantée : des chansons, des

gwerzioù344, plus rarement des cantiques. Avant 1960, à l'image des danses, ces « mélodies »

sont simplifiées pour être jouées plus facilement ; les bagadoù les jouent mesurées et

accompagnés des batteurs.

Le déclic a lieu en 1959. Le morceau imposé par BAS au concours des bagadoù est une

« mélodie » traditionnelle, Al labouzig ar c'hoat [L'oiseau de la forêt], recueillie auprès du grand

sonneur Léon Braz à Carhaix. Pour la première fois, les groupes doivent jouer cet imposé sans

batterie. Le but est de les familiariser avec un jeu non-mesuré, comme le faisaient les chanteurs

ou sonneurs pour ces mélodies. Donatien Laurent, à qui revient l'idée d'un tel air imposé,

explique :

« Quand on considère la place de plus en plus importante que tendent à prendre les bagadoù dans nos manifestations musicales, on peut trouver dommage de limiter le programme d'un bagad à l'exécution de marches et éventuellement de danses et d'en écarter toutes les mélodies à rythme libre qui tiennent une telle place dans notre tradition musicale. Les convertir en marches lentes où les tambours trouveraient cette fois naturellement leur place équivaudrait dans bien des cas à en détruire toute la beauté et on ne saurait non plus s'y résigner. »345

Le jeu de « mélodies » sans batterie et non-mesuré se répand ensuite. L'année suivante, ce sont

un Ton Kenavo346 et la mélodie Plac'hig koad Rouan qui sont imposés, respectivement en 1ère et

2nde catégories. Ces deux airs sont à jouer sans batterie.

Ton Kenavo, Bagad de la Kevrenn de RennesDisque 45t. Festival des Cornemuses 1960, Paris, Ricordi, 1960

Ces airs lents trouvent tout à fait leur place dans le répertoire des bagadoù. Il y a en effet

lors des fêtes folkloriques, après les défilés, « toujours une prestation sur la scène, ou plutôt sur

l'estrade ! »347. Donc, en plus des airs de marche, les bagadoù disposent grâce aux mélodies

d'airs « à écouter » pour les jouer sur scène.

344 Complaintes.345 Donatien Laurent, à propos de la mélodie Al labouzig ar c'hoat, Compte-Rendu du concours 1959, Ar Soner

n°112 (juillet-août-septembre 1959).346 [Chanson d'au revoir].347 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.

139

C) Les danses

La recherche d'authenticité concernant l'intérêt porté à la musique de couple fait que, à

partir des années 1960, les bagadoù jouent des airs de danse traditionnels. Si auparavant les

quelques danses sonnées par les bagadoù étaient modifiées pour être jouables en marche, après

1960 le but est de les interpréter au plus proche du style des anciens sonneurs. Les bagadoù

jouent le plus souvent des suites de gavottes348, mais aussi des danses de tous les terroirs

bretons :

Suite de Gavottes de Fouesnant, par la Kevrenn de RennesDisque 33t. Bombardes et Binious de Bretagne, Paris, Arion 30T089, s.d.

Laridé349, par le bagad Quic-en-Groigne de Saint-MaloDisque 33t. Bretagne, Paris, Philips 77001 L, s.d.

D) L’invention de la « Suite » :

Les bagadoù ont donc à leur répertoire trois genres de morceaux (marches, danses,

mélodies). On assiste dans les années 1950 à la naissance d'un enchaînement stéréotypé d'airs, la

« suite ». Cela consiste à enchaîner une marche, une danse, une mélodie350.

Cet enchaînement se généralise non-seulement lors des concours (dès 1956, les airs

imposés de chaque concours se présentent sous la forme d'une suite) mais aussi pour toutes les

prestations sur scène des bagadoù. On trouvera ci-dessous, pour exemples, les suites imposées

aux concours 1959 et 1960 (1re et 2e catégories), et la page suivante la transcription et

l'enregistrement d'une suite de bagad (jouée en 1961 par le bagad Quic-en-Groigne de Saint-

Malo lors du concours de 2nde catégorie).

19581re An Enez c'hlas (marche), An durzunell (mélodie), Gavotte de Scrignac (danse) 2e Gwerz Maro Pontkalleg (mélodie), Bale Meslan (marche), An Dro d'Elven (danse)

19591re Al Labousig ar c'hoad (mélodie), An enez iog (marche), Jabadao (danse)2e Ba'I en Turki (marche), Glau ag auel e hra (mélodie), Laridé (danse)

Tableau 2 : Airs imposés sous forme de « Suites » aux concours de 1958 et 1960

348 Danse la plus répandue en Basse-Bretagne, dont il existe plusieurs variantes.349 Danse du pays Vannetais.350 Selon un ordre qui n'est pas immuable.

140

Suite jouée par la Kevrenn Brest-Saint-MarcMarche de CadoudalMélodie An Hini a GaranDanse An Dro

Disque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d. [196?]

Allant de pair avec la volonté d'authenticité traditionnelle, un effort est progressivement consenti

pour que les trois airs (parfois plus) d'une suite proviennent du même « terroir »351. On parle

alors par exemple de « Suite du Léon » ou « Suite vannetaise » :

Suite Vannetaise, Kevrenn de RennesEvit Mont d'an iliz (marche), Va merc'h deo an Amzer (Mélodie), Hanter Dro (danse), Ar Voraerion (mélodie), gavotte pourlet (danse). Disque 33t. Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

Tous les airs de cette suite étaient joués dans la région de Vannes, d'où l'appellation. Il s'agit là

d'une des suites les plus longues de l'époque (5 éléments, 9 minutes).

Une suite représente pour un bagad une manière agréable d'alterner airs de différents

caractères et vitesse.

E. Airs écossais et gallois

Enfin, pour terminer ce tour d'horizon du répertoire des bagadoù, il faut mentionner que

depuis le début da BAS, les bagadoù jouent tous des airs célèbres d’origine écossaise ou

galloise, qui n'appartiennent à aucun genre pré-cité. Il s'agit de chants ou d'hymnes. Cette

dizaine d'airs est souvent jouée en utilisant un titre ''bretonnisé'', si bien qu'une grande partie des

sonneurs ne connait pas sa véritable origine :

Ar Menezioù Glaz (d'après l'air écossais Grenn Hills of teal)par le bagad Lann-BihouéDisque 45t. Ar Menezioù Glaz, s.l, Pacific 90 317 B, s.d. [195?]

Dalc’h Sonj (d'après l'air irlandais Let erin remember)par le bagad Brest-ar-FlammDisque 33t. s.n, Paris, Barclay 76045, 1958

On pourrait citer également les célèbres Gwir Vretonned, ou Bro gozh ma zadou (sur l’air

de l’hymne national gallois).

351 Différents terroirs bretons sont définis, correspondant plus ou moins à des réalités musicales historiques.

142

Néanmoins, il faut mentionner que jouer ces airs d’origine « étrangère » ne relève pas pour

les bagadoù d’une influence directe au même titre que l’adoption de la cornemuse ou de

l’ornementation écossaise. En effet, il s’agit uniquement d’airs déjà adaptés par les militants

bretons des décennies précédentes (le barde Taldir Jaffrenoù notamment). Les bagadoù ne font

que reprendre ces chants patriotiques sur lesquels ont été écrites des paroles bretonnes (ils les

nomment d'ailleurs par leur titre en breton). On sait que dès les années 1930, les sonneurs de la

KAV de Paris352 jouaient déjà Gwir Vretonned et Bro gozh ma zadou353.

L’interprétation de ces airs écossais et gallois par les bagadoù correspond donc plus à une

filiation aux générations précédentes de l’Emsav354 qu’à une nouvelle preuve de fascination pour

les celtes d’Outre-Manche. D'ailleurs, s’ils s’en inspirent dans leurs compositions, rares sont les

bagadoù qui jouent directement des marches écossaises.

352 Kenvreuriez Ar Viniouerien, confrérie des sonneurs de Paris, association que l'on considère souvent commel'ancêtre de la BAS.

353 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. Cit., p. 53.

354 Terme dérivé du breton en em sevel [se lever], dénomination informelle du « mouvement breton ».

143

144

II) Les différentes « écoles » de style

Dans les toutes premières années du développement des bagadoù, l'autonomie créatrice des

groupes est inexistante. Les nouveaux ensembles en formation apprennent tous les mêmes airs,

fournis par BAS, qui sont également imposés aux concours annuels. Mais au cours des années 1950,

la situation change. Les bagadoù acquièrent une relative indépendance par rapport à la fédération, et

peuvent progressivement définir des choix artistiques. Chaque groupe est invité à proposer des airs

libres aux concours, les répertoires s'individualisent.

Quelques pennoù d'ensembles de 1ère catégorie font alors connaître leurs sensibilités musicales

au travers d'articles publiés dans Ar Soner. Ils mettent en application ces théories au sein de leur

bagad, et naissent de véritables « écoles de style », dont trois limportantes, Rennes, Brest, et

Bourbriac, que nous présenterons ici. Les originalités stylistiques de ces bagadoù, insufflés par des

leaders charismatiques, sont autant de façon de penser, d'écrire, et de jouer la musique de bagad.

A) La Kevrenn de Rennes

Très tôt, Jean355 l'Helgouach souhaite qu'il puisse exister une diversité de styles chez les

bagadoù, comme cela était le cas chez les couples de sonneurs. Il compare les bagadoù jouant de la

même façon aux pipe-bands et aux cliques, considérant que « rien n'est plus désagréable que

d'entendre cinquante pipe-bands (ou cinquante cliques municipales) jouer le même air strictement

de la même façon »356. Ce sonneur de bombarde laisse pour sa part une très forte empreinte à la

musique de la Kevrenn de Rennes, qu'il dirige. Altiste de formation357, l’influence de la musique

savante est fortement perceptible dans les orientations musicales données à son ensemble rennais.

L’Helgouach milite pour une application de l’enseignement instrumental savant aux

instruments du bagad, et notamment à la bombarde. Pour lui, la progression technique des

musiciens est primordiale, permettant « d’aborder une musique plus variée et certainement plus

355 Il utilise souvent la traduction bretonne de son prénom, Yann.356 Jean l'Helgouach, « Bombarde et bagad », Ar Soner n°52 (décembre 1951), p. 6.357 Il est premier prix d’alto du Conservatoire de Rennes en 1954.

intéressante »358 que les premiers bagadoù. C’est dans cette optique qu’il écrit en 1955 sa

méthode Ecole de Bombarde, utilisée par l’ensemble des bagadoù, qui faire la part belle aux

gammes, arpèges, et autres exercices techniques.

Il fait adopter à son pupitre bombarde la technique des sons filés (diminution du volume

en fin de notes), et une pince d'anche très forte, à la manière des hautbois, comme on peut

l'entendre sur l'exemple suivant :

Er Boked359, par les bombardes de la Kevrenn de RennesDisque 33t. La Bretagne vol.II, Paris, Barclay, 1964

Pour lui, « dans le bagad c'est la bombarde qui doit être l'élément dominant »360.

Jean l’Helgouach s’illustre aussi dans les arrangements d’airs qu’il réalise pour la Kevrenn

de Rennes. Il est parmi les premiers à tenter un jeu polyphonique en bagad, mais refuse une

écriture simplement harmonique, verticale, qui est selon lui « inadaptée à l'art populaire, et

rarement possible avec des instruments à tessiture limitée »361. A l’inverse, la plupart de ses

arrangements utilisent des techniques de contrepoint ; il écrit notamment des contrechants sur

des thèmes traditionnels :

Evit mont d'an Iliz [pour aller à l'église] Kevrenn de Rennes, Disque 33t. La Bretagne vol.II, Paris, Barclay, 1964.L'air est joué une fois à l'unisson, puis avec le contrechant de Jean l'Helgouach.

Martial Pézennec, sonneur à cette époque à la Kevrenn de Rennes, raconte que les

arrangements de Jean l’Helgouach, inspirés par l’écriture classique, donnaient une certaine

réputation au bagad :

« Yann l’Helgouach a donné un style à la Kevrenn de Rennes : sérieux, une ligne assez pure. Tout le monde savait que comme il était très fort en musique, lorsqu’il adaptait une mélodie c’était toujours fait « dans les règles de l’art. »362

358 Jean l’Helgouach, notice du disque Bombardes et Binious de Bretagne, 33t., Paris, Arion 30T089, s.d. [196?].359 On reconnaîtra ici un air célèbre, utilisée notamment dans le chant Que ne suis-je la fougère, dans divers

cantiques, ou pour les plus nostalgiques dans la série télévisée Bonne nuit les petits...360 Jean l’Helgouach, notice du disque War zu an heol, 45t., Ducretet-Thomson 450 V 038, 1956.361 Jean l’Helgouach, notice du disque Bombardes et Binious de Bretagne, Op. Cit.362 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.

146

L'Helgouach écrit également plusieurs compositions « pouvant être jouées en

contrepoint »363, c’est-à-dire comportant plusieurs phrases destinées à être superposées, selon le

principe du canon.

C’est le cas de la marche War zu an heol, écrite en 1954 pour la Kevrenn de Rennes et

imposée au concours de 2nde catégorie 1957. On trouvera à la page suivante la partition de ce

morceau dont les trois phrases doivent être jouées en canon.

363 Expression de Jean l’Helgouach pour parler de sa composition War zu an heol, Ar Soner n°99 (janvier-février 1957), p. 11.

147

Illustration 25: Partition de War zu an heol de Jean l'Helgouach, marche composée en 1954, à jouer en canon.Transcription réalisée d'après le disque de la Kevrenn de Rennes War zu an heol, 45t., Ducretet Thomson – 450 V 038 – 1956.

Jean l’Helgouach emprunte à l’écriture savante d’autres termes et procédés, comme ceux

d’« exposition/développement »364 ou de « variations »365. Il est pionnier dans le fait de réfléchir

à différentes orchestrations pour la Kevrenn de Rennes, et non plus seulement faire jouer

constamment tous les pupitres ; les suites qu’il arrange comportent de nombreux solos de

bombardes ou de batterie, et le bagad est fier d'être prionnier en ce domaine :

« Le problème de la répartition des masses sonores a toujours particulièrement intéressé la Kevrenn de Rennes. Tout en conservant au pupitre bombarde le rôle d'animateur qui lui revient, elle a cherché des instrumentations moins rigides que celles voulues par la coutume et capable de varier la couleur et l'atmosphère des oeuvres. »366

Ces différents éléments font que la Kevrenn de Rennes est alors considérée par le monde

des bagadoù comme un groupe jouant une musique « classique », ou « stricte ». Bernard

Lacroix raconte qu’il a « souvent fait le reproche à Yann l’Helgouac’h de jouer du Bach. C’était

tellement carré ! »367. Les sonneurs connaissent le parcours de Jean l’Helgouach et ses

compétences techniques, mais désapprouvent parfois son attachement un peu extrême à

s’inspirer de la musique savante. Gilles Goyat se souvient que certains trouvaient « qu’il singeait

les musiciens classiques, même s’il jouait de la musique populaire »368.

Néanmoins, là n’est pas la seule direction prise par la Kevrenn de Rennes. La discipline

technique imposée aux sonneurs leur permet également d’être très performants lorsqu’il s’agit

d’effectuer des recherches stylistiques. Ainsi le bagad rennais est-il le premier à tenter de jouer

des airs de danse dans le style des sonneurs traditionnels :

Suites de gavottes bigoudènes369, par la Kevrenn de RennesDisque 33t. Bretagne, Paris, Philips 77001 L, s.d.

Si Jean l’Helgouach était le principal instigateur du style et de la discipline au sein de la

Kevrenn de Rennes, il n’en était pas moins secondé par d’autres sonneurs réputés qui

partageaient les mêmes idées, tels Christian Hudin ou Bernard Pichard.

364 Notice du disque War zu an heol, Op. Cit.365 Ibid.366 Notice d’Yvon Laigle pour le disque de la Kevrenn de Rennes La Bretagne vol.II, 33t., Paris, Barclay, 1964.367 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.368 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.369 Danse du pays bigouden (Sud-Finistère), dont l'accompagnement musical est périlleux par la vitesse et le

phrasé nécessaires, ainsi que les envolées mélodiques à la seconde octave pour les bombardes.

149

B) La Kevrenn Brest-Saint-Marc

Le bagad brestois a vu se succéder plusieurs dirigeants musicaux, ayant chacun donné

une direction musicale.

Le premier est Marcel Ropars, arrivé à la Kevrenn Saint-Marc en 1953, alors dirigée

depuis sa création par Yann Camus. Chargé de formation en biniou et bombarde, Marcel Ropars

mise beaucoup sur l’authenticité : il enseigne les pas de danse aux jeunes sonneurs, leur apprend

des airs traditionnels en expliquant les contextes originels de jeu. Pour lui, « l’essentiel [est] de

respecter en tout une civilisation paysanne dont tout le monde est conscient qu’elle est

mourante »370.

En 1955, Marcel Ropars (qui quitte la Bretagne en 1958 pour des raisons professionnelles)

laisse sa place à Yves Tanguy, sonneur de bombarde. Ce dernier partage les mêmes idées, mais

apporte en plus une nouvelle idée qui sera la marque de fabrique de la Kevrenn de Brest : le

bagad est un orchestre, dont toutes les possibilités polyphoniques doivent être utilisées.

Mais en 1956, un troisième grand leader arrive à Brest-Saint-Marc. Il s’agit du sonneur de

cornemuse Herri Léon (surnommé La Pie). Dès lors, c’est une confrontation de points de vue

avec Yves Tanguy. Herri Léon mise sur un apprentissage technique poussé, complètement

inspiré du modèle écossais, tandis qu’Yves Tanguy souhaite faire perdurer les idées de Marcel

Ropars (transmission d’un héritage culturel). Finalement, jusqu’en 1960, c’est La Pie qui

devient le penn-soner du groupe, comme le raconte Claude Perrot, sonneur de l’époque :

« [La Pie] a adhéré à la Kevrenn avec la certitude d'en être le penn-soner et d'avoir la haute-main sur tout ce qui concernait la formation, le répertoire, et même le choix des sonneurs qui effectuaient les prestations publiques. » 371

Herri Léon impose alors sa vision de la musique de bagad : c’est la période « écossomane » de

la Kevrenn Brest-Saint-Marc. Il fait remplacer les binioù-bras par des cornemuses écossaises,

les tambours par des caisses claires écossaises, et surtout, écrit pour le groupe de nombreuses

marches complètement inspirées des airs écossais.

Les bombardes, toujours sous la responsabilité d’Yves Tanguy, deviennent un pupitre

secondaire qui doit s’adapter tant bien que mal au nouveau style de la Kevrenn. Yves Tanguy

raconte même372 qu’Herri Léon faisait exprès d’utiliser dans ses compositions des La bémols

370 Yves Tanguy à propos de Marcel Ropars, cité par Alain Cabon dans Kevrenn Brest-Saint-Marc, bagad d'exception(s), Spézet, Coop-Breizh, 2008.

371 Claude Perrot, cité dans Herri Léon et le scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 60.372 Yves Tanguy, cité par Alain Cabon dans Kevrenn Brest-Saint-Marc, bagad d'exception(s), Op. Cit.

150

graves, notes caractéristiques des nouvelles cornemuses écossaises, mais que les bombardes ne

pouvaient pas jouer…

Ces nouvelles orientations musicales données au bagad de Brest sont vivement critiquées

par certains dirigeants de BAS, notamment le président Dorig le Voyer, qui y voit une menace

pour le pupitre bombarde et une trop forte influence des pipe-bands écossais. Malgré tout, la

progression technique exigée par Herri Léon porte ses fruits et en 1957, le bagad devient

champion pour la première fois de son histoire (il le sera ensuite à dix reprises).

La période écossaise extrême de la Kevrenn ne dure que très peu d’années, se terminant

à la fin des années 1950, alors qu’Herri Léon se retire de la direction musicale. La voie est

ouverte à une collaboration avec des arrangeurs de talents, qui définissent un style propre à la

Kevrenn Brest-Saint-Marc : arrangements complexes et originaux, traitant le bagad comme un

véritable orchestre, mais moins influencés par l’écriture savante que la Kevrenn de Rennes. Yves

Tanguy explique que « l’idée [leur] est venue de rompre avec l’unisson, de ne plus considérer le

bagad comme un couple multiplié par huit, mais comme un orchestre où les interventions sont

programmées, harmonisées, arrangées selon une suite prévue »373.

Le premier des arrangeurs travaillant pour la Kevrenn est Pierre-Yves Moign,

compositeur brestois formé au CNSM de Paris (premier prix de contrepoint en 1952). Il écrit

pour le bagad des arrangements sur des airs traditionnels, en cherchant, à la demande du groupe,

une certaine complexité pour faire progresser les sonneurs. Sa première contribution est un

contrechant pour la marche communément nommée Arzon, jouée au concours 1957, dont se

souviennent encore certains sonneurs :

« Je me rappelle la forte impression qu'avait faite sur tous les auditeurs le départ des bombardes à l'octave, alors quelque chose de très nouveau. Là, je pense qu'une brèche s'est ouverte vers l'avenir : c'était vraiment quelque chose de neuf. »374

Les autres arrangements de Pierre-Yves Moign produisent le même effet sur le monde des

bagadoù, comme ce contrepoint sur un thème traditionnel, Evid Mond Ouz Taol [Pour passer à

table] :

Evid Mond Ouz Taol, par la Kevrenn Brest-Saint-MarcDisque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d. [196?]L'air est joué une fois à l'unisson, puis avec l'arrangement de Pierre-Yves Moign.

373 Ibid.374 Jean-Claude Léon, frère d’Herri Léon et sonneur de cornemuse à la Kevrenn Saint-Marc, dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Gilles Goyat et alii, Op. Cit., p. 195.

151

La Kevrenn Saint-Marc acquiert alors la réputation d’un groupe très performant

techniquement et novateur musicalement. Pierre-Yves Moign travaille à plusieurs reprises avec

Brest jusqu’aux années 1970, arrangeant des airs qui sont pour certains encore joués aujourd'hui

(Danse Bro Ac’h, une suite de Gavotte des Montagnes, la marche Gwendal, etc.).

Brest-Saint-Marc collabore avec d’autres arrangeurs, extérieurs ou membres du bagad

(Alain Trovel, Gilles Goyat), et poursuit sa recherche pour traiter le bagad de manière

polyphonique. L’ensemble des bagadoù de l’époque reconnaît la qualité indéniable de cet

ensemble moderniste. Pourtant, adapter des instruments tels que la bombarde et la cornemuse ne

va pas toujours de soi, comme l’explique Gilles Goyat, arrangeur et penn-soner de la Kevrenn :

« On prenait plaisir à essayer de faire de la musique polyphonique avec un bagad. Mais il faut dire que les instruments, notamment la cornemuse, ne sont pas faits pour faire de la polyphonie. On rencontrait un certain nombre de difficultés : les intervalles de sa gamme ne sont pas ceux de la gamme tempérée, le volume sonore n’est pas homogène sur toute l’échelle375. »

Après s’être retirée des concours BAS en 1976, la Kevrenn Saint-Marc trouvera une solution à

ces problèmes en ne réalisant pas la polyphonie uniquement avec les instruments du bagad, mais

en choisissant de lui adjoindre des musiciens extérieurs (claviers, basse, guitare, batterie).

C) Le bagad de Bourbriac

Le bagad de Bourbriac, évoluant en 1ère catégorie dans les années 1950 et 1960, propose

un style radicalement différent des autres bagadoù. Il est mené par deux sonneurs

emblématiques, Etienne Rivoallan (bombarde) et Georges Cadoudal (cornemuse). Il n’a

malheureusement pas été possible de constater directement ces différences stylistiques, puisque

le groupe n’a jamais été enregistré ; néanmoins les témoignages de Georges Cadoudal et de

nombreux autres sonneurs évoquent les singularités du bagad costarmoricain.

Le bagad de Bourbriac se caractérise par plusieurs originalités qui influent sur son style

musical. Tout d’abord il s’agit du seul groupe de 1ère catégorie de l’époque implanté en milieu

rural et non dans une grande ville. Georges Cadoudal mentionne encore aujourd’hui avec malice

cette opposition entre les bagadoù des « villes » et « celui des champs » :

« On n'était pas un groupe de ville ! Lors des rassemblements de bagadoù (concours, fêtes), on ne restait pas traîner au bar comme ces arsouilles des groupes de Rennes et de Brest, on avait les gosses à ramener chez eux dans les fermes ! »376

375 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.376 Entretien avec Georges Cadoudal, le 16/03/2010.

152

Cette particularité géographique fait que le répertoire et le style du bagad sont très

influencés par la tradition musicale locale (principalement chantée) encore bien présente.

Georges Cadoudal et Etienne Rivolloan réalisent plusieurs collectages auprès de chanteurs377, et

s’en inspirent pour la musique du bagad :

« A la différence des groupes de villes, on se référait beaucoup plus à des chanteurs traditionnels du coin, qui étaient encore très nombreux »378.

A l’époque, Bourbriac a une réputation de bagad attaché à la tradition, qu’elle soit chantée ou

instrumentale. Plusieurs sonneurs pratiquent d’ailleurs la musique de couple, certains s’illustrant

aux concours (Rivoallan/Cadoudal, couple champion à 3 reprises, Daniel Philippe, champion à 9

reprises). Le bagad a alors à son répertoire des airs et des cantiques locaux, mais peu de

compositions récentes ou d’airs répandus dans le milieu des bagadoù, excepté à l’occasion des

concours.

Le bagad de Bourbriac ne se sent alors apparamment que peu concerné par les

''innovations'' des autres groupes. Il n’utilise pas la notation musicale, ne réalise pas

d’arrangements des airs (harmonisations, contrechants, etc.). Surtout, bien que Georges

Cadoudal possède depuis longtemps une cornemuse écossaise Hardie, Bourbriac est assez

réticent à l’adoption des techniques de jeu écossaises, notamment le système d’ornementations :

« On faisait les doigtés écossais mais pas toutes les ornementations. Il y avait des birls379 extrêmement lourds, à Brest-Saint-Marc, à la Kevrenn de Rennes. Nous on avait plus de finesse. On voulait bien mettre quelques ornementations, aux bons endroits, mais pas couiner avec des birls partout ! Jakez Pincet380 un jour a voulu venir nous apprendre l’ornementation écossaise pour un concours, en 1960. Le jour où il est venu nous montrer comme faire, on lui a dit ''tu peux prendre la porte, on n’a pas besoin de toi ! '' »381.

C'est cette sobriété et cet attachement à un jeu proche de la tradition qui ont forgé la

réputation du bagad de Bourbriac pendant de nombreuses années.

377 Notamment un collectage en collaboration avec Claudine Mazéas auprès de Mme Bertrand, chanteuse du Centre-Bretagne, édité par Dastum Marie Josèphe Bertrand, coll. « Grand interprètes de Bretagne, Rennes, Dastum/Coop-Breizh, 2009.

378 Entretien avec Georges Cadoudal.379 Type d'ornements écossais.380 Sonneur de cornemuse rennais, spécialiste de la musique écossaise.381 Entretien avec Georges Cadoudal, le 16/03/2010.

153

D) Autres

Ces trois groupes (Rennes, Brest-Saint-Marc, et Bourbriac) ont chacun marqué fortement

leur époque par un style qui leur était propre. Pendant de nombreuses années, ils ont été des

modèles pour d'autres bagadoù.

Il est également possible de mentionner un certain nombre d'autres bagadoù et leaders

possédant également l'époque des styles musicaux bien individualisés. C'est le cas de Brest-ar-

Flamm (dirigé par Bernard Lacroix), de Bleimor (dirigé par Alan Stivell, ou Youenn Sicard), ou

encore du bagad Quic-en-Groigne de Saint-Malo (dirigé par Jacques Malard).

154

Après avoir présenté et analysé la musique des bagadoù dans le chapitre précédent, nous

tenterons de comprendre ici en quoi elle a joué un rôle primordial dans le succès populaire que

connaissent les bagadoù dès le début de leur développement.

Mais loin d'être figée et uniforme, la musique des bagadoù commence au cours des années

1950 et 1960 à connaître une profusion de styles différents. Il s'agira pour nous d'expliquer en

quoi cette diversité stylistique est le reflet d'un mouvement dynamique et créatif.

I – Un répertoire en adéquation avec les attentes du public

La musique des bagadoù devient rapidement très populaire en Bretagne, voire même emblématique d'une région. Cela est sans doute dû au fait que le répertoire des groupes contient ce qu'il faut pour être en adéquation avec les attentes du public. Il s'agit non pas d'un répertoire constitué à l'envie, avec des choix artistiques, mais plutôt d'un répertoire qui s'adapte aux contextes de jeu.

Ainsi, un bagad des décennies 1950 et 1960 est considéré avant tout comme un groupe de défilé. Chaque organisateur de fêtes attend des bagadoù qu'ils puissent jouer en défilé, durant plusieurs heures parfois, avec un répertoire approprié. C'est pourquoi le répertoire des groupes contient avant tout de nombreux airs de marches. Un sonneur débutant apprend rapidement quelques marches pour être apte à sonner le plus rapidement possible en défilé.

Du côté des spectateurs, c'est la même chose ; à cette époque le public vient avant tout voir les groupes défiler. Grâce à des airs de marches simples et souvent joués – que chaque spectateur a l'impression de connaître - et grâce à un son puissant d'ensemble, le public ne peut que vibrer à l'unisson des bagadoù.

155

CHAPITRE 2

LES BAGADOÙ, FORMATIONS MUSICALES

POPULAIRES ET CRÉATRICES

Au fil des années, les contextes de jeu des bagadoù évoluent, et leur répertoire suit. On leur demande petit à petit de jouer ''sur scène'', en ''concert''. Les groupes se mettent donc à jouer des « mélodies », qui sont nommés « airs de concerts » ; l'ajout de ces airs au répertoire va de pair avec une recherche d'authenticité en ce qui concerne le jeu des airs traditionnels. C'est ce qui amène les bagadoù à jouer également des airs de danses.

Dernier contexte de jeu, très important pour les groupes : le concours. Si au départ les groupes jouaient des airs isolés, rapidement s'est mis en place un véritable genre de concours : la suite (enchaînement stéréotypé de plusieurs airs de genres différents : marches, danses, ''mélodies''). La suite est devenue une unité de mesure du répertoire, et cela perdure aujourd'hui encore : les sonneurs parlent de la « Suite 2003 » de tel groupe, on se demande à quoi ressemblera la prochaine suite de tel autre. Les suites sont renouvelées chaque année, selon les participations aux concours (donc deux nouvelles suites par an pour la plupart des groupes ; une convention implicite étant de ne jamais présenter deux années d'affilée la même suite au concours). Cette entité qu'est la Suite de bagad est bien pratique pour les prestations hors- concours ; cela permet de ne pas faire que jouer des airs de deux ou trois minutes qui pourraient lasser. Le public entend au contraire des enchaînements construits d'airs, durant cinq à vingt minutes (la durée d'une suite est fixée par les règlements de concours selon les catégories ; à l'époque qui nous intéresse, les suites des bagadoù varient entre cinq et dix minutes). Il suffit pour un bagad de jouer quelques suites (les deux de l'année, plus une ou deux ''anciennes'') pour construire un programme de concert complet, varié et plaisant pour le public.

On peut ajouter également le fait que les bagadoù jouent régulièrement des airs « patriotiques » bretons (comme le Gwir Vretonned, Bro Goz ma zadou, … ces airs gallois ou écossais adaptés par les précédentes générations de militants bretons). Ces airs constituent la dernière pierre d'un répertoire auquel adhère toute la population bretonne. En effet, si dans les toutes premières années après-guerre BAS était parfois vu d'un oeil suspicieux, ensuite le mouvement des bagadoù a suscité (et suscite toujours actuellement) un réel engouement populaire.

Cela est notamment dû au répertoire joué (airs simples donc vite retenus, même par une oreille non-avertie, airs connus, airs coïncidant parfaitement avec les contextes de jeu en vogue à l'époque), et à la manière dont il est joué (en défilés, qui constituent de grands rassemblements populaires, et avec le son puissant des instruments de bagad).

Pour le public, en cette période d'après-guerre et de grands bouleversements de société (exode rural, nouvelle société urbanisée), les bagadoù apparaissent comme de nouveaux orchestres populaires. Et puisque BAS explique à tous (aux sonneurs comme à la population) qu'elle oeuvre pour sauvegarder la musique traditionnelle, l'engouement est d'autant plus massif : les bagadoù représentent de nouveaux orchestres de musique traditionnelle.

156

II – Rivalités, diversité ; dynamique stylistique

Au cours des années 1950, on l'a vu, naissent plusieurs ''écoles de style'' chez les bagadoù.

Ce phénomène ne touche pas que la 1re catégorie, les groupes des autres catégories se

positionnent également sur ces questions stylistiques. Chacun soutient le style de tel ou tel

groupe, suit sa voie en lui empruntant du répertoire ou des techniques de jeu.

Cette diversité est une autre raison de l'émulation qui a cours au sein du monde des

bagadoù, les concours étant le lieu idéal pour confronter les choix stylistiques.

La grande question de l'époque est de savoir à quoi doit ressembler la musique des

bagadoù. Confrontés à cette nouvelle formation musicale qu'ils ont imaginée, les responsables

de BAS ont proposé des réponses à cette question ; mais finalement, les groupes ont cherché

leur propre voie, comme le raconte le sonneur Jean-Claude Léon :

« [Depuis que Polig Monjarret et BAS] « avaient décidé de faire un nouvel ensemble instrumental, il est évident que des données nouvelles apparaissaient et qu'une musique nouvelle allait se mettre en place. Il fallait donc la chercher, et chacun la cherchait suivant sa propre voie, persuadé que c'est en creusant son propre sillon qu'il aurait raison. A bon droit, puisque si nous creusons tous notre sillon sur la planète, nous nous retrouverons tous au centre de la Terre. Je crois que c'est ainsi qu'il faut procéder. »382

La diversité qui ressort de ces choix stylistiques se mue bien souvent en rivalité. Le monde des

bagadoù des années 1950 et 1960 connaît des affrontements de différents courants, chaque

leader ou chaque groupe revendiquant ses particularités. Chacun au sein de BAS sait qui

appartient à tel ou tel ''courant'' ; on dit que le bagad de Bourbriac est plus '''traditionnel'',

(comme le sera également le bagad Bleimor), que la Kevrenn Brest-Saint-Marc est plus

''moderne'' ou encore que la Kevrenn de Rennes est plus ''classique''. Comme nous l'avons

montré dans le chapitre précédent, ces sentiments sont fondés, étant donné que de véritables

différences existent entre les groupes.

Les joutes atteignent leur plus haut degré après les concours (le jour même, ou quelques

jours plus tard par écrit dans Ar Soner), parfois au sein même du jury : « débats, polémiques et

382Jean-Claude Léon, dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, ouvrage collectif, Op. Cit., p. 194.

157

''coups de gueule'' accompagnent régulièrement les délibérations de jurys »383. Les échanges par

écrits interposés dans Ar Soner sont parfois violents. Youenn Sicard, penn-soner du bagad

Bleimor s'oppose par exemple régulièrement à la Kevrenn de Rennes (dirigée alors par Bernard

Pichard) ; dans un article intitulé « Arrêtons le Massacre », il qualifie ainsi la prestation du

pupitre bombarde de ses concurrents : « succession d’accords dissonants imitant les concerts de

klaxon et les sirènes de voitures de pompiers »384. Ce n'est pas là la seule querelle entre plusieurs

leaders de bagadoù ; les sonneurs rencontrés en entretien se souviennent aujourd'hui encore de

plusieurs de ces « véritables bagarres »385, chacun étant persuadé que son style est le bon.

A la fin des années 1960, Bob Haslé, tout récemment entré à la Commission Technique de

BAS, est chargé de publier un recueil de partitions composé d'extraits de répertoire de plusieurs

groupes de 1re catégorie. Mais il n'a finalement jamais pu publier ce recueil ; les groupes étaient

tellement attachés à leur répertoire et leur style qu'aucun n'a voulu lui transmettre ses

partitions386.

Cependant, malgré les querelles de personnes, il faut signaler que les échanges entre les

groupes sont tout de même nombreux, les amitiés également. Des sonneurs voyagent entre les

bagadoù, au gré des études ou des mutations professionnelles.

Des échanges et hommages musicaux ont lieu. La Kevrenn de Rennes enregistre par

exemple sur son disque Bombarde et Binious de Bretagne387 un air arrangé par la Kevrenn-Saint-

Marc 388 et un hommage au sonneur de Bourbriac Etienne Rivoallan389.

Plus largement, certains phénomènes et personnalités dépassent les rivalités des groupes.

Ainsi, l'influence d'Herri Léon (penn-soner à Brest), est telle qu'elle se ressent chez l'ensemble

des bagadoù. Le bagad Kadoudal (Rennes) enregistre même un disque lui rendant hommage

quelques temps après sa mort (Le bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon390), et déclare que

« [Herri Léon] a trouvé chez les sonneurs du bagad Kadoudal ses plus fidèles élèves et

disciples »391.

383Yves Defrance, « Bagad, une invention bretonne féconde », Op. Cit., p. 131.384 Youenn Sicard dans « Arrêtons le massacre », cité par Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des

sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. Cit., p. 126.385 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.386 Anecdote raconté par Bob Haslé, entretien le 02/02/2010.387 Kevrenn de Rennes, Bombardes et Binious de Bretagne, 33t., Paris, Arion 30T089, s.d. [196?].388 Kendalc'h toniou–bale a vro-Rouzik, [suites de marches du pays Rouzik].389 Sonerez evit ar sonerien maro, [Musique à la mémoire des sonneurs disparus].390 Bagad Kadoudal de la Kevrenn de Rennes, Le bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, 33t., Barclay-Bel Air,

311046S, s.d.391 Site web du Bagad de Vern-Sur-Seiche (35) : www.kadoudal.free.fr/Bagad_kadoudal.html (consulté en mai 2010)

158

On peut avancer, pour conclure, l'idée que l'éclosion de ces différentes écoles de style est

la preuve visible (audible) du dynamisme qui agite le milieu des bagadoù. La force des choix

artistiques posés prouvent l'autonomie que prennent les groupes par rapport à BAS. Ainsi, le

milieu des sonneurs n'évolue pas sous la dictature d'une fédération toute puissante imposant ses

canons esthétiques ; c'eût été un exemple assez dramatique de folklorisation stérile, au sens

d'une pratique figée empêchant toute créativité. Au contraire, c'est une véritable émulation

créatrice (allant de pair avec l'émulation technique des concours) qui a cours, et qui fait que le

répertoire des bagadoù se trouve être en permanent renouvellement.

Les fortes tensions induites par trop de rivalités et de styles différents auraient pu conduire

à un éclatement de BAS. Or on peut remarquer, avec Pierre-Yves Moign, que l'existence de la

fédération n'a jamais été menacée :

« Il faut préciser qu'en dépit des controverses, la BAS ne connut aucune vélléité de scission, chacun montrant une maturité culturelle certaine. Elle joua le rôle d'une véritable institution et brisa l'esprit sectaire »392.

Cela s'explique par un savant dosage des bagadoù entre deux attitudes : attitude

« individualiste »393 (chaque groupe suit sa propre voie, veut imposer un style personnel et se

sentir supérieur aux autres) et attitude « collectiviste » (tous les bagadoù conservent le besoin de

se sentir unis, de garder le sentiment d'appartenir à la même communauté). Le subtil équilibre

entre ces deux attitudes inter-dépendantes assure la pérennité et le succès de BAS depuis six

décennies : chaque bagad a besoin de l'ensemble de la fédération pour se mesurer, se confronter,

avoir une raison d'être ; et d'un autre côté, c'est l'addition de plusieurs individualités qui permet

de faire naître un dynamisme et une émulation créatrice.

392 Pierre-Yves Moign, « Chemins croisés », Bretagne au coeur des lèvres, mélanges offerts à Donatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais », 2009, p. 45.

393 Au sens sociologique du terme ; un affranchissement des normes collectives.

159

Troisième Partie :

Un succès dépassant l'intérêt musical

L'intérêt des sonneurs pour leur pratique en bagad dépasse le simple fait musical. Leurs

groupes représentent plus que des orchestres ; selon l'époque, les groupes, selon l'âge des

personnes et leur rôle au sein de BAS, les bagadoù sont perçus comme des ensembles de

jeunesse, des groupes sociaux ou encore des médias de préoccupations politiques.

I – BAS et les bagadoù : mouvement de jeunesse etgroupes sociaux

A) Un mouvement inspiré du scoutisme

A la différence des modèles musicaux, le modèle scout n'est pas souvent revendiqué par

BAS. Une seule fois, en 1950, Polig Montjarret écrit qu'il souhaite « une unification du

mouvement folklorique basé sur les méthodes du scoutisme »394. Cependant, l'influence

philosophique et organisationnelle du mouvement scout est omniprésente.

Cette influence ne paraît pas surprenante lorsque l’on sait qu’un très grand nombre de

cadres des bagadoù ont fait partie de groupes scouts. Polig Montjarret, Herri Léon, Ferdy Kerne,

Christian Hudin et Patrick Coué, Donatien Laurent, Alain le Buhé ou encore Alan Cochevelou,

sont tous issus de rangs scouts.

Pour certains, la formation musicale et la pratique en bagad se sont déroulées au sein-

même des troupes scoutes, certains bagadoù s’étant créés dans ces structures. On pensera au

394 Polig Montjarret, « Compte-rendu de la Commission d'étude et d'action folklorique », Ar Soner n°15-16 (août-septembre 1950), p. 16.

163

CHAPITRE 1

PRÉOCCUPATIONS EXTRA-MUSICALES

DES SONNEURS ET DES DIRIGEANTS

plus célèbre exemple, le bagad Bleimor dépendant de l’organisation scoute parisienne du même

nom jusqu’en 1967, au bagad Saint-Patrick créé en 1952 au sein des Scouts de France de

Quimper, ou encore au bagad Brest-ar-Flamm créé par des scouts au patronage Ar-Flamm de

Brest.

Dans ces groupes, les jeunes suivent à la fois la formation musicale pour intégrer le bagad,

et la formation commune à tous les louveteaux. Mais ces bagadoù-scouts sont des cas

particuliers ; la plupart du temps, des jeunes rejoignent les bagadoù à l'issue de leur expérience

de scout.

Au début de BAS, les jeunes sonneurs évoluent en passant des examens « plus de type

scout que de type scolaire »395 : l'hanter-drec'h396, le treich seizenn397, et le trec'h Seizenn Aour398.

L'obtention de ces diplômes donnent aux sonneurs des droits : jouer seul en public, porter un

ruban d'une certaine couleur, arborer une insigne, etc.

« L'expérience de Polig Montjarret en matière de scoutisme a bien sûr fortement contribué à mettre en place ce système de hiérarchie, de grades et d'insignes. La BAS ne fait pas alors figure de marginale ; au contraire elle se place en concurrente sérieuse auprès des organismes de jeunesse qui proposent des modes de fonctionnement relativement identiques. » 399

Comme les scouts, les apprentis-sonneurs ont un « livret-BAS » qui leur explique le

fonctionnement de l'association, ses objectifs, mais aussi diverses informations sur la Bretagne.

Tout nouvel arrivant dispose de trois mois pour connaître ce livret sur le bout des doigts, puis il

passe l'examen.

Ce système hiérarchique basé sur l'obtention d'examens (ou plutôt le passage d'étapes)

perdure jusqu'au milieu des années 1950.

La fédération organise également d'importants rassemblements, comme le font les

organisations scoutes ; ce sont les camps BAS. Dès 1946, ces camps ont lieu dans différentes

communes bretonnes : Argol, Sarzeau, Pont-l'Abbé, ... Ils « ne se limitent pas à la simple

formation musicale (…), ils sont plus des camps de jeunesse, tels qu'a pu les pratiquer Polig

Montjarret dans son adolescence »400.

395 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. Cit., p. 87.

396 [Demi-victoire], jeune sonneur.397 [Ruban de la victoire], sonneur expérimenté398 [Ruban doré de la victoire], division d'honneur.399 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 88.400 Ibid., p. 83.

164

Ce sont de grands rassemblements où se retrouvent des jeunes venant des quatre coins de

Bretagne, issus de bagadoù différents. Les sonneurs y reçoivent des cours d'instruments, de

chant, d'histoire, accueillent des musiciens gallois ou écossais, donnent des aubades dans les

bourgs voisins, etc. « La manière de ces camps et les images qui s'y rattachent peuvent rappeler

certains organismes de jeunesse sous le régime de Vichy ».

L'organisation de camps prend fin autour de 1955 (comme la tenue des examens et le port

des insignes). Certes, d'autres rassemblements de sonneurs ont lieu (montés par Herri Léon à

Porspoder à partir de 1957, repris par BAS dans les années 1960), mais « ces cycles de

formation n’ont sans doute plus grand-chose à voir avec les vacances bretonnes de l’époque

pionnière »401. D'ailleurs, ces rassemblements ne sont bientôt plus appelés « camps » mais

« stages ».

C'est donc de ses débuts jusqu'au milieu des années 1950 que le modèle du scoutisme

influe sur le fonctionnement de BAS. Par la suite, si le référent scout est moins présent, les

bagadoù n'en restent pas moins un important mouvement de jeunesse ; l'ambiance et les

avantages d'un bagad attirent les jeunes bretons...

B) Une agence de voyage bon marché...

Un bagad voyage beaucoup, tant en Bretagne (diverses prestations dans des fêtes locales

ou des festivals importants) qu'en dehors (déplacements à Paris, en France, voire à l'étranger

pour certains groupes). Gilles Goyat se souvient402 qu'il suffisait de 200 ou 300 francs à l'époque

pour participer à voyage à l'étranger ; souvent, les sonneurs n'ont même pas à débourser un

centime, le voyage du bagad étant pris en charge par la structure organisatrice. On peut alors

penser, comme Jean-Claude Léon l'explique, que nombre de jeunes gens voient dans le bagad un

moyen très bon marché de voyager, des voyages que jamais la jeunesse de cette époque n'aurait

eu l'opportunité de réaliser :

« [Le bagad] permettait à des jeunes d'aller voir des villes de Bretagne, ou même hors de Bretagne, qu'ils n'auraient jamais pu voir autrement. Ce fut certainement une des raisons pour lesquelles beaucoup de jeunes gens sont entrés dans les bagadou à cette époque là »403.

401 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, Op. Cit., p. 140.

402 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.403 Jean-Claude Léon dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Gilles Goyat et alii, Op. Cit., p.196.

165

C)... ou une agence matrimoniale

Outre la possibilité de voyager, comme tout groupe de jeunesse les bagadoù apparaissent

pour un jeune d'après-guerre comme un lieu propice aux rencontres, notamment avec la gente

féminine. Certes, peu de bagadoù sont mixtes (à part la Kevrenn Brest-Saint-Marc, mixte à

partir de la fin des années 1950) ; mais il est par contre fréquent qu'un bagad s'associe à un

Cercle Celtique404, où les sonneurs rencontrent les jeunes danseuses. Bernard Lacroix raconte

que son bagad (Brest- ar-Flamm) partait régulièrement en car avec le Cercle Celtique de

Plougastel : il cite de mémoire quatre mariages entre sonneurs et danseuses.

Les grands rassemblements BAS sont eux aussi l'occasion de rencontres entre jeunes des

deux sexes. D'ailleurs en 1956, le président du Comité des Fêtes Folkloriques Bretonnes, Yves

Griveau, se plaint dans Ar Soner de l'attitude des « jeunes gens et filles qui éprouvent des

sentiments réciproques »405 ; selon lui « leurs costumes ne les autorisent pas à les extérioriser en

public »406... Il implore les dirigeants BAS de trouver une solution pour surveiller ces jeunes (qui

de surcroît boivent trop) afin de « les faire rester dignes jusqu'au soir »407.

Plus largement, les mariages entre acteurs du mouvement bagad/BAS (musiciens,

danseurs, et leurs frères/soeurs) sont extrêmement nombreux ; la plupart des témoins rencontrés

en entretien mentionnent ce fait.

Pour l'ensemble des sonneurs de BAS, dont la moyenne d'âge tourne autour d'une

vingtaine d'années, la dimension extra-musicale et sociale apparaît donc importante, que ce soit

sous la forme d'un mouvement inspiré du scoutisme dans les premières années, ou bien de

groupes de jeunesse ensuite.

404 Groupe de danseurs et de danseuses.405 Ar Soner n°83 (février 1956), p. 4.406 Ibid.407 Ibid.

166

II – BAS, Militantisme, Politique

A) L'oscillement de la BAS entre militantisme et neutralité politique

Officiellement, BAS a toujours revendiqué une neutralité politique ; les règlements et les

statuts de la fédération interdisent aux membres « toute propagande ou action politique ou

philosophique au sein de l'Assemblée »408 et incitent les bagadoù à observer « la plus grande

prudence afin de ne jamais compromettre la neutralité de la kevrenn et de BAS »409. Au cours

des premières décennies de BAS, Polig Montjarret ne cesse d'affirmer la nécessité de conserver

cette neutralité politique.

BAS est régulièrement accusée publiquement d'être une association à connotation

politique, proche des militants séparatistes ou autonomistes. Polig Montjarret répond à chaque

fois à ces attaques dans Ar Soner, réaffirmant la neutralité politique de sa fédération, présentant

comme preuve les textes fondateurs (statuts et règlements) apolitiques.

Mais, il n'y a pas de fumée sans feu, les accusations contre la fédération des sonneurs ne

viennent pas de nulle part. En réalité, le discours des dirigeants traite constamment de sujets

politiques. Cela est déjà perceptible dans le règlement de l'association ; l'article 12 interdit toute

propagande politique mais l'article 14 n'accepte au sein de BAS que les « bretons de

naissance »410, posant les bases d'une ambiguité raciale et nationaliste.

La revue Ar Soner symbolise bien cet oscillement entre une neutralité officielle et un

engagement politique dans les faits. Dans les années 1950, le contenu d'Ar Soner n'a cesse de

varier entre ligne éditoriale fortement marquée politiquement, et articles purement musicaux.

Les lettres de lecteurs mécontents affluent des deux camps. Beaucoup ne comprennent pas

pourquoi, alors que ce sont des musiciens (les sonneurs) qui financent le journal, la plupart des

408 Règlement de BAS, cité par Polig Montjarret dans « Prendre parti », Ar Soner n°87-88 (juin 1956), p. 1-2.409 Ar Soner n°12 (mai 1950), Règlement de la Kevrenn, Article 12.410 Ar Soner n°12 (mai 1950), Règlement de la Kevrenn, Article 14.

167

articles parlent de tout sauf de musique. D'autres au contraire se plaignent dès qu'un numéro

d'Ar Soner est trop axé sur des questions musicales.

Régulièrement, BAS annonce qu'elle compte recadrer le contenu de sa revue sur des

articles musicaux, et pourtant chaque numéro contient toujours autant d'articles engagés. Le plus

gros recadrage a lieu en 1956 ; Polig Montjarret explique que Ar Soner « ne traitera plus que des

questions musicales et ce qui en dépend : le chant, la danse, la musique instrumentale »411.

Pourtant, trois numéros plus tard, il recommence de plus belle à parler politique (prisonniers de

guerre bretons, loi-programme pour la Bretagne, etc.).

B) Les sujets politique discutés

Les articles engagés d'Ar Soner traitent de quelques questions politiques récurrentes, se

rapportant toutes à une vision régionaliste voire nationaliste de la Bretagne. Ces diatribes

politiques sont écrites par un nombre très réduit de personnes, le plus actif étant sans conteste

Polig Montjarret.

Tout d'abord, la centralisation française est régulièrement fustigée. Le trop fort pouvoir de

l'Etat français est décrié ; il est accusé d'écraser les minorités régionales. Polig Montjarret

réclame plus de considération pour la Bretagne, il explique à son lectorat que « la

régionalisation reste LA réforme du siècle. Elle est plus que jamais nécessaire et urgente »412.

Lui et quelques autres dirigeants demandent des moyens pour sauvegarder les

particularités régionales de la Bretagne, à commencer par sa langue. Chaque année, BAS

participe à la « Quête pour la langue bretonne » (tous les bagadoù sont invités un jour par an à

quêter en musique dans les rues de leur ville ; l'argent récolté est utilisé pour financer des actions

en faveur de la langue bretonne). En 1959, BAS menace même les autorités régionales d'une

« Grève Générale », suite à la suppression de l'épreuve de breton au baccalauréat :

« Grève générale, A partir du 1er Janvier 1960 : Plus un seul air de biniou en public, plus une seule fête folklorique, tant que ce droit de voir enseignée notre langue ne sera pas reconnu »413.

La grève n'a finalement pas lieu puisque le ministre de l'époque revient sur sa décision (cette

menace de grève n'étant sans doute pas la seule raison de ce revirement...).

411 Polig Montjarret, « Non, ce n'est pas une recul de 10 ans », Ar Soner n°98 (décembre 1956), p. 1.412 Polig Montjarret, « La régionalisation est plus que jamais nécessaire », Ar Soner n°174 (1969).413 Ar Soner n°112 (juillet-août-septembre 1959), p. 1.

168

Les convictions régionalistes amènent Polig Montjarret à cautionner voire soutenir

publiquement les combats - même violents - des autres minorités régionales. Ainsi, lorsqu'en

1957 l'IRA414 irlandaise réalise de sanglants attentats, Polig Montjarret condamne dans Ar Soner la violence des actes, mais « admet qu’un peuple poussé à bout par les exactions de l’occupant,

par son aveuglement et sa surdité devant toute proposition de solution pacifique et légale, soit

appelé à l’employer »415.

La position de BAS par rapport aux actions terroristes du FLB416 est également ambiguë.

Ainsi, en 1976, le Comité Directeur publie un communiqué disant que BAS s'associe à la

journée de deuil suite à la mort de Y-K Kernaléguen, autonomiste tué à Quimper par sa propre

bombe. BAS condamne dans le communiqué l’emploi d’explosifs pour attirer l’attention, mais

dit comprendre l’attitude et les actes des terroristes « ulcérés de l’état complet de dépendance et

d’impuissance que connaît leur pays face aux oukases parisiens »417.

Polig Montjarret associe publiquement la fédération à divers autres combats politiques

concernant la Bretagne (réunification de la Loire-Atlantique, défense de l'Agriculture, etc.).

Mais parfois, le discours ne reste pas uniquement régionaliste. A plusieurs reprises, Polig

Montjarret dévie vers des convictions nationalistes et raciales, maniant avec ambiguité le

concepts de « race bretonne ». Le secrétaire de BAS présente les Bretons comme un peuple qui

possèderait une propre unité ethnique.

Le règlement de la fédération qui mentionne que seuls des « bretons de naissance »418

peuvent faire partie des groupes choque beaucoup de sonneurs en 1950. Cela provoque des

plaintes de sonneurs bretons expatriés ou « étrangers ». Alors Polig Montjarret s'enfonce, précise

qui est vraiment breton et qui ne l'est pas, croyant en la loi du sang :« Le breton naît où il peut (fils de marin, de fonctionnaire) (...). Il n'en est pas moins breton de naissance si dans ses veines coule le sang riche et ardent de la vieille race bretonne (…). [Mais] un enfant né de parents étrangers, même né en Bretagne, ne peut être considéré comme breton de naissance. »419

Ces propos qui datent de 1950 sont réitérés à plusieurs reprises les années suivantes. En 1952

par exemple, BAS publie ce communiqué dans Ar Soner :« Tous nos groupes folkloriques sont ouverts aux Bretons de Naissance, c'est à dire nés de père et de mère bretons, ou à la rigueur d'un des deux. La Bretagne n'a jamais eu la prétention de s'étendre au Rhin ou à la Méditerranée ! »420

414 Armée Républicaine Irlandaise.415 Polig Montjarret, Ar Soner n°102 (1957).416 A la fin des années 1960, le Front de Libération de la Bretagne (FLB) réalise différentes actions violentes.417 Ar Soner n°230 (1976).418 Ar Soner n°12 (mai 1950), Règlement de la Kevrenn, Article 14.419 Polig Montjarret, Ar Soner n°14 (juillet 1950), p. 22.420 Non-signé, Ar Soner n°36-37 (septembre-octobre 1952), p. 5.

169

Puisque le peuple breton présenterait une unité raciale, le pas est vite franchi de considérer

la Bretagne comme une nation. En 1953, un article (non-signé) intitulé « Bretagne et Nation »421

explique aux lecteurs d'Ar Soner qu'il faut cinq choses pour être une nation (unités

géographique, historique, raciale, linguistique, religieuse), et que, bien sûr, la Bretagne possède

ces cinq caractéristiques.

Le discours racial et nationaliste extrême disparaît d'Ar Soner à la fin des années 1950.

Mais Polig Montjarret continue pendant longtemps à traiter de politique au sein de la revue,

redoublant de verve lorsque la France est agitée par des débats politiques houleux (à l'époque de

la guerre d'Algérie par exemple).

C) Le souhait de sensibiliser tous les sonneurs à ces questions politiques

Les articles d'Ar Soner sont écrits à destinations des membres de BAS. Mais quelle est

réellement la portée du discours politique au sein des bagadoù ? Les dirigeants-militants,

souhaitent que l'ensemble des membres de BAS s'intéressent aux questions politiques qui les

occupent. Pour eux, « un sonneur n'est pas seulement un sonneur. Il est d'abord et avant tout un

breton »422. Ils élaborent l'idée d’un ''sonneur cultivé'', qui s’intéresserait à tout ce qui concerne

sa région : la musique, bien sûr, mais aussi la langue bretonne, la politique, etc. Le jeune

sonneur cultivé se devrait d'être particulièrement conscient des risques que court sa culture,

devenant lui-même un militant.

S'ils ne parviennent pas à se mettre d’accord lorsqu’il s’agit de questions musicales, les

têtes pensantes de la fédération partagent par contre le même avis sur l’égale importance que

devrait revêtir le militantisme dans les bagadoù. Herri Léon écrit par exemple en 1960 :

« Former l’esprit de cette organisation doit être notre premier souci. Changer l’esprit, avant de s’occuper des nombreux problèmes de notre musique. Faire de notre fédération une confrérie de gens conscients des problèmes de notre pays, de gens généreux à tout point de vue et pleins de foi en l’Avenir de la Bretagne (…). Ne croyez-vous pas que beaucoup de problèmes seront alors résolus et que nous ferons du bon travail pour la Bretagne ? » 423

Nombreux sont de tels articles qui exhortent les sonneurs à s'intéresser aux « problèmes » de

leur région. Au besoin, la musique est présentée comme une activité secondaire. Les membres

de BAS se devraient d’être des « bons bretons », militants, avant d’être des sonneurs :421« Bretagne et Nation », Ar Soner n°47-48 (août-septembre 1953), p. 3.422« Voeux de Polig Montjarret », Ar Soner n°82 (janvier 1956), p. 1.423 Herri Léon, Ar Soner n°118 (juin-juillet 1960), traduction de Gilles Goyat dans Herri Léon et le Scolaich Beg

an Treis, Op. Cit., p. 80.

170

« Certes c’est œuvrer utilement pour le pays que d’étudier consciencieusement ses traditions et ses usages, que de les maintenir et les développer puisque s’y faisant on y maintient un esprit et son particularisme. Mais la Bretagne a moins besoin d’excellents sonneurs que d’une jeunesse consciente de ses problèmes quotidiens. Elle a moins besoin de ses talents ambulatoires et dominicaux des mois chauds, que d’une action permanente de tous les enfants pour la sauver de la ruine et de la désertion.Etre bon sonneur et bon Breton n’est pas incompatible. Mais on acceptera plus volontiers un médiocre sonneur s’il est bon Breton, qu’un excellent soliste dont les sentiments bretons n’ont pas plus d’étendue qu’une gamme de Si bémol ! » 424

Dans les articles de ce type, Polig Montjarret est volontiers provocateur avec les bagadoù,

n’hésitant pas à dénigrer leurs activités et préoccupations habituelles (technique musicale,

défilés estivaux, répertoire, tenue) - préoccupations qu’il fixe lui-même par ailleurs. Ces

activités ne devraient finalement être selon lui qu’une partie des objectifs d’un bagad :

« Les comités de fêtes s'imaginent (…) que le cercle celtique ou la kevrenn n'ont d'autre ambitions que de parcourir des kilomètres devant les foules. La kevrenn pense qu'avec un répertoire de vingt marches, de quelques airs de concert, une tenue impeccable, une possession parfaite de l'évolution sur plateau ou dans la rue, une discipline de fer librement consentie, elle a atteint son but. Et pourtant nous sommes là, bien loin du véritable but de nos associations. Ce n'est qu'un aperçu des activités, une détente, une rencontre, un revenu financier. » 425

Régulièrement, BAS publie dans Ar Soner des articles invitant les sonneurs à ne pas

devenir des « déguisés du dimanche »426, c’est-à-dire être conscients des problèmes de la

Bretagne au quotidien et pas seulement au moment des prestations de leur groupe. En 1955,

l’abbé Ducamp, secrétaire de BAS, écrit : « si vous êtes sonneurs le dimanche, vous êtes bretons

chaque jour »427. Pour lui, un sonneur doit se sentir breton à toutes les heures de la journée, « au

travail et aux loisirs, en évitant le laisser-aller qui le ferait assimiler à la foule des hommes

quelconques sans idéal et sans but. Un sonneur, s'il comprend bien son rôle, doit s'élever au-

dessus du vulgaire, et ne pas être qu'un ''déguisé'' »428.

Le bagad apparaît comme le lieu privilégié pour sensibiliser des jeunes aux

problématiques culturelles bretonnes. Certains bagadoù proposent aux sonneurs une formation

élargie au-delà du domaine musical : histoire bretonne, danse, géographie économique, langue

bretonne, etc. Les plus actifs dans ce domaines sont les scouts de Bleimor, qui organisent même

des conférences à Paris avec des grands noms du mouvement breton429.

424 Polig Montjarret, « Les déguisés du dimanche », Ar Soner n°128 (1962).425 Polig Montjarret, « Les comités des fêtes, les autres, et nous… », Ar Soner n°25, (octobre 1951), p. 1-3.426 Polig Montjarret, « Les déguisés du dimanche », Op. Cit.427 J. Ducamp, « Bilan », Ar Soner n°80 (novembre 1955), p. 1.428 Ibid.429 Parfois en invitant illégalement des militants interdits de séjour en France, voire condamnés par coutumace

comme Yann Goulet.

171

BAS tient particulièrement à sensibiliser les sonneurs sur un domaine : celui de la langue

bretonne. Un grand nombre de dirigeants (Polig Montjarret, Herri Léon, Bernard Lacroix, etc.)

ne sont pas bretonnants de naissance, ils ont appris le breton à l'adolescence. Ils considèrent

l’apprentissage et le parler du breton comme un acte militant que devraient accomplir tous les

sonneurs de bagad.

Herri Léon écrit quelques articles dans Ar Soner en breton, en s’expliquant sur ce choix :

« Quelle langue nous conviendrait le mieux pour exprimer nos idées, particulièrement à propos de ce qui nous est le plus cher : la vie de BAS ? Il est possible que certains me reprochent d'utiliser le breton, notamment ceux qui ont manqué de courage pour apprendre notre langue. » 430

Parfois, Polig Montjarret voient en les sonneurs de bagad une masse d'individus pouvant

donner du poids à leurs revendications, et ils les exhortent à se joindre à un état d'esprit ambigu :

« Chaque membre de cercle, chaque sonneur [...] est le MAINTENEUR non seulement de la tradition, mais de l’ESPRIT BRETON (…). Faisons de notre mouvement cercle-BAS un bastion défenseur de l’esprit traditionnel de la race (…). Préparons-nous, préparons notre entourage à entrer en croisade contre les vices de ce siècle. » 431

À de rares occasions, ces appels au militantisme se concrétisent par des actions. En 1961 par

exemple, le défilé des Fêtes de Cornouaille à Quimper se mue en une manifestation surprise,

avec banderoles et slogans. Les manifestants-sonneurs prennent la direction de la préfecture de

Quimper, réclamant une loi-programme pour la Bretagne.

Mais ce genre d'actions n'est pas fréquent ; on peut dire que les exhortations ne sont

finalement que peu suivies pas l’ensemble des sonneurs. On peut penser, avec Steven Ollivier,

que les écrits de Polig Montarret « révèlent […] plus la personnalité de la figure de proue de

l’Assemblée des Sonneurs qu’ils n’engagent la BAS toute entière »432.

D'ailleurs dès les années 1950, certaines voix au sein de BAS n’approuvent pas la vocation

militante que la fédération veut se donner, pensant que c’est la musique qui devrait importer

avant tout.

Emile Allain par exemple, membre actif de la Commission Technique, est partisan de

donner une bonne formation musicale aux jeunes avant de vouloir en faire de « bons bretons ».

Pour lui, c’est « utopique et regrettable de demander à des sonneurs de tout connaître de la

430 Herri Léon, Ar Soner n°118 (juin-juillet 1960), traduction de Gilles Goyat dans Herri Léon et le Scolaich Began Treis, Op. Cit., p. 80.

431 Polig Montjarret, « Penser et agir », Ar Soner n°11 (mai 1950).432 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 186.

172

Bretagne ; cela peut parfois conduire à perdre un sonneur qui a des dons évidents et promet

d’être un maître mais qui n’a jamais réussi à l’école, qui n’a peut-être pas le certificat d’études

primaires »433. On lui demande - pour être sonneur - de connaître des matières (histoire,

géographie, langue) « auxquelles - qu’elles soient de France ou de Bretagne - il est parfaitement

allergique »434.

Jean-Luc le Moign, entré à la Kevrenn de Rennes en 1966, de laquelle il sera plus tard

responsable, partage ce refus de former les jeunes à autre chose que leur instrument :

« En entrant à la kevrenn de Rennes, j’y ai trouvé un aspect très militant. Heureusement, celui-ci a disparu aujourd’hui. Mais je ne puis que regretter toutefois que l’on continue quand même à vouloir imposer aux jeunes sonneurs une culture autre que musicale. Un jeune entrant dans un bagad vient-il y faire du militantisme, ou de la musique ? Que l’on donne le goût de la connaissance, oui, la musique s’inscrit bien sûr dans des contextes, et n’est pas une forme artistique isolée. Que l’on impose des noms et des dates, non. De tels éléments viendront plus tard, de façon naturelle ou fortuite. S’ils ne venaient pas, serait-ce si grave que cela ? » 435

Malgré la virulence du discours officiel de la BAS, la formation culturelle et militante n'a

pas lieu dans tous les bagadoù. Bernard Lacroix ne se souvient pas de telles volontés à Brest-ar-

Flamm436 ; Gilles Goyat estime que la kevrenn Brest-Saint-Marc avait déjà assez à faire avec les

questions de techniques musicales pour s’occuper d’autres chose437.

De plus, les jeunes sonneurs ne sont pas forcément réceptifs au discours militant de leurs leaders. Il est souvent difficile de les sensibiliser à la cause bretonne, eux qui viennent avant tout pour faire de la musique et pour rencontrer d'autres jeunes, comme l'explique par exemple Martial Pézennec à propos des sonneurs dont il avait la charge à Rennes :

« Malheureusement très vite les sonneurs sont devenus indépendants. Ils étaient jeunes, donc pas faciles à manœuvrer. Ils venaient là comme ils allaient au foot… De plus, ils étaient très occupés par la progression de leur technique instrumentale. » 438

Polig Montjarret et quelques autres dirigeants de BAS continuent pourtant pendant de nombreuses années à publier dans Ar Soner des articles pour tenter de sensibiliser la masse des sonneurs à leurs préoccupations politiques ; mais, comme l'explique Martial Pézennec, « la plupart des sonneurs ne lisaient pas ces articles »439. Les cours de « culture bretonne » disparaissent progressivement des associations. Le projet de « sonneurs cultivés » reste donc à l'état d'utopie. 433 Emile Allain, « Spécialité, Logique, etc. », Ar Soner n°155 (1967).434 Ibid.435 Jean-Luc Le Moign, cité par Armel Morgant dans Bagad, vers une nouvelle tradition ?, Op. Cit., p. 58.436 Entretien avec Bernard Lacroix, le 12/03/2010.437 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.438Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.439 Ibid.

173

En s'intéressant aux aspects extra-musicaux des bagadoù, on se rend compte que les

sonneurs comme les dirigeants projettent sur leurs groupes des attentes qui dépassent le simple

fait de jouer ensemble de la musique. Ces phénomènes varient bien sûr selon les années, selon

les bagadoù, et selon la position des personnes dans la fédération. Mais globalement, on

constate dans les premières décennies de BAS que le succès de ces nouveaux orchestres ne vient

pas que de leur musique.

Pour les figures qui sont à la tête de la fédération, les motivations sont claires. Ils le

revendiquent souvent : s'ils ont fondé BAS, ce n'est pas seulement pour former des musiciens,

mais aussi des « bons bretons ». Ainsi Polig Montjarret appelle-t-il régulièrement à se souvenir

des objectifs premiers, comme ici en 1956 :

« Si le bagad ne doit être rien de plus qu'une fanfare, d'où serait exclue toute possibilité pour ses membres d'apprendre à devenir meilleur – meilleur breton, j'entends – je regrettai à tout jamais le temps passé à le créer ». « Promettons (…) de redonner à la BAS son esprit du départ. »440

Ce qui pousse Polig Montjarret et quelques autres à investir tellement de temps et de passion

dans le développement de la fédération, c'est qu'ils y voient un moyen extraordinaire de

promouvoir leurs idées militantes :

« Ce que nous voulons, c'est former une élite. Ordinairement, cela se fait dans les écoles et les universités. Nous, Bretons, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Aucune LOI ne nous oblige à marcher, si ce n'est la loi d'Amour qui nous lie à la Bretagne. » 441

Ces fortes convictions militantes concernent la première génération de BAS, quelques dizaines

de pionniers réellement déterminés à oeuvrer pour leur région. Martial Pézennec raconte que

« les premiers bagadoù ont été créés par des militants bretons : l’oncle de Georges Cadoudal à

Bourbriac, Polig Montjarret à Carhaix ou Quimper, Job Noël et Efflam Kunven à Rostrenen, etc.

Ces militants bretons convaincus avaient un but qui n’était pas de former des sonneurs, mais

440 « Voeux de Polig », Ar Soner n°82 (janvier 1956), p. 1.441 Jacques Ducamp, vice-président de BAS, « Avec l'enthousiasme de la jeunesse », Ar Soner n°83 (février 1956),

p. 1.

175

CHAPITRE 2 LES ASPECTS EXTRA-MUSICAUX,

SOURCES DE MOTIVATION

avant tout des bretons qui défendent leur culture »442. Leurs idées militantes, que l'on peut

qualifier de convictions politiques, amènent ces quelques pionniers à écrire inlassablement des

diatribes passionnées dans Ar Soner et dans les autres revues bretonnes de l'époque. Ils

s'engagent également associativement de manière très active, non-seulement dans BAS mais

aussi dans Kendalc'h (fédération d'associations culturelles bretonnes), ou dans d'autres

structures culturelles bretonnes.

Pour les pionniers du mouvement BAS, le dynamisme et la qualité des bagadoù

constituent en quelque sorte une preuve de grandeur de la Bretagne. Les groupes sont brandis

comme les étendards d'une région. Polig Montjarret se réjouit dès 1952 du niveau des trois

bagadoù de 1re catégorie, heureux que « la Bretagne possède aujourd'hui trois bagadoù dignes de

la représenter n'importe où dans le monde »443. Et sur ce point, BAS voit juste. Les bagadoù

deviennent rapidement en effet les emblèmes d'une région, aux yeux des bretons mais aussi à

une échelle plus large. Les grands défilés lors des fêtes estivales ne peuvent qu'impressionner,

comme en témoigne ce journaliste du journal Le Monde en 1955 :

« Que l'on s'imagine ceci : mille sonneurs revêtus de couleurs éclatantes, défilant par rang de quatorze, épaule contre épaule, biniou contre biniou, bombarde contre bombarde, coeur contre coeur. Ce n'était pas une musique qui passait, mais une âme innombrable. » 444

Pour certains responsables de BAS, l'ampleur que prend le mouvement des bagadoù est la

preuve de ce que la Bretagne peut produire de grand et que, animé d'un fort sentiment de

« bretonnité », tout est possible.

Les motivations militantes ne touchent pas uniquement les têtes pensantes de la

fédération ; leurs idées convainquent aussi des jeunes d'adhérer au mouvement. D'ailleurs dans

les années 1950, voire 1960, période d'après guerre où « toute trace de bretonnité (…) était

synonyme d'arriération et de superstition »445, le simple fait d'entrer dans un bagad peut

représenter en soi un engagement militant :

« Certaines choses qui nous paraissent aujourd’hui naturelles prennent à cette époque des allures de défi. En effet jouer du biniou dans les années 50 vaut parfois au sonneur le qualificatif de chouan ou de Breiz Atao. Défiler derrière un drapeau breton n’a pas exactement la même signification qu’aujourd’hui. Le drapeau n’est pas vu d’un bon œil. »446

442 Entretien avec Martial Pézennec, le 30/03/2010.443 Polig Montjarret, « Les leçons d'un concours », Ar Soner n°33 (juin 1952), p. 3.444 Article de Léon Couvreur, dans Le Monde du 26 juillet 1955.445 Ronan le Coadic, « Les bretons, minorité laminée », Diplomatie n°2 (mars-avril 2003), p. 44.446 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 178.

176

C'est ce défi qui attire bon nombre de jeunes, qui se « mettent au bagad pour pouvoir être

bretons dans la rue »447. Dans d'autres cas, c'est une fois entré au sein d'un bagad que le déclic a

lieu ; les bagadoù sont « bien souvent à l'origine de prises de consciences politiques »448.

Les nouveaux venus dans le mouvement bagad se rendent compte, notamment par le biais

de la propagande de BAS, que l'attitude de la société face aux minorités régionales n'est pas

toujours positive. Alan Stivell explique que dès les années 1950 il pensait à créer une « musique

classique bretonne », dont il bâtira les prémices en temps que penn-soner du bagad Bleimor :

« L'idée d'une « grande musique » pour une « grande nation bretonne », comme celle d'une « grande musique hongroise » fait sourire si on oublie qu'il s'agissait de faire contrepoids à un RACISME infériorisant les Bretons »449.

Les responsables de BAS encouragent vivement le militantisme des membres ; néanmoins, il

leur faut sauver la face et présenter au grand public une image neutre, centrée sur des questions

musicales. C'est ainsi que, malgré des articles très engagés et violents, la ligne éditoriale de Ar

Soner est officiellement recadrée pour ne pas trop dévier. Fin 1956, Polig Montjarret explique

que ces recadrages sont nécessaires pour « éviter aux membres [de BAS] de glisser sur les

pentes dangereuses des opinions extrêmes »450.

Les motivations politiques et militantes influent fortement sur le milieu des bagadoù

pendant une petite dizaine d'années. Puis elles disparaissent progressivement ; chez la masse des

musiciens de bagad, à partir du milieu des années 1950, le militantisme n'apparaît plus comme

une préoccupation principale. Non pas que la direction de BAS se soit « dépolitisée » (Polig

Montjarret continue pendant de nombreuses années à publier des articles engagés), mais

simplement que d'autres motivations extra-musicales prennent le pas.

C'est toujours un sentiment de « bretonnitude » qui peut conduire au bagad, mais de

manière différente. En cette période de post-exode rural, des jeunes nouvellement installés en

ville cherchent à retrouver des valeurs rurales, qu'ils ont connu dans leur enfance, ou que les

générations précédentes ont connu. Le bagad, version urbaine d'une musique bretonne,

représente alors le lieu idéal pour avoir l'impression de se ressourcer ; Gilles Goyat témoigne

ainsi de son expérience :

447 Expression de Ferdy Kerne, batteur du bagad Brest-ar-Flamm, cité par Pierre-Yves Moign, entretien le 04/03/2010.

448 Jean-Pierre Le Dantec, Bretagne, re-naissance d'un peuple, Paris, Gallimard, 1974, cité par Laurent Laigneaux dans Le Bagad : Entre conservation et réinvention du patrimoine musical breton, mémoire de Master d'Anthropologie, Université Libre de Bruxelles, 2009.

449 Alan Stivell, « Tradition et création », dans Musique Traditionnelle, de la recherche à la création, éd. Jean-Louis Jam, Clermont-Ferrand, Service inter-universitaire d'activités artistiques, 1986 p. 73.

450 Polig Montjarret, « Non, ce n'est pas un recul de 10 ans », Ar Soner n°98 (décembre 1956), p. 1.

177

« Je suis parti de Plozévet, où l’on parlait breton, pour Brest, où l’on ne le parlait pas. Pour moi, jouer de la cornemuse a été une sorte de compensation. Je retrouvais cette culture bretonne par l’intermédiaire de la musique. Comme moi, certains jeunes des grandes villes venaient chercher au bagad une « bretonnitude »451.

L'entité sociale qu'un bagad représente prend d'ailleurs parfaitement sa place dans cette nouvelle Bretagne où « des associations viennent se substituer aux réseaux de solidarité traditionnels »452. « Ce qui est frappant dans le phénomène du bagad, c’est le naturel avec lequel se place ce nouveau module social au sein d’une société en pleine mutation »453. En ville, les étudiants ou jeunes actifs y viennent comme on va naturellement dans un regroupement de jeunesse, le « sentiment breton » en plus. En milieu rural, les bagadoù sont encore plus importants dans l'organisation sociale : « la création d’un bagad est souvent une chance pour certaines villes ou bourgades qui n’offrent pas toujours à cette époque un grand choix d’activités (en dehors du club de foot…) »454.

Le mouvement des bagadoù est donc un sérieux concurrent des autres mouvements de jeunesse de l'époque. Deux raisons sont particulièrement déterminantes pour expliquer son succès, au sein des milieux urbains et ruraux plutôt modestes desquels proviennent la majorité des sonneurs. D'une part, entrer dans un bagad, c'est bénéficier d'une formation musicale et de la mise à disposition d'un instrument, de manière complètement gratuite. Un apprentissage de la musique qui aurait été autrement impensable dans les familles concernées ; autrement dit : « Ceux qui ont joué du biniou sont ceux qui n'avaient pas les moyens de se payer un piano »455.

De plus, sonner dans un bagad c'est la certitude de voir du pays, de participer aux grandes fêtes folkloriques, mais aussi d'aller éventuellement en déplacement hors de Bretagne. Un formidable moyen de voyager pour de jeunes bretons, encore une fois sans bourse délier.

Tous ces avantages sont autant de motivations à entrer dans le monde des sonneurs ; et à rester, une fois qu'on a pris goût à ces groupes de jeunesse.

Vus de l'extérieur, les bagadoù jouent également un rôle extra-musical. Un bagad est pour sa commune un objet de fierté et d'intérêt. La population connait bien son bagad et suit avec attention ses performances en concours. Le succès dont jouissent les groupes auprès de leur public est alors très similaire de celui d'une équipe sportive. A cela s'ajoute le fait qu'un bagad participe à l'animation locale, et qu'il donne une certaine visibilité à la commune lors de ses déplacements à l'extérieur. Ce soutien populaire est primordial dans l'épopée que connaissent les bagadoù dans les années 1950 et 1960.

451 Entretien avec Gilles Goyat, le 12/04/2010.452 Steven Ollivier, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée des sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton,

Op. Cit., p. 105.453 Ibid.454 Steven Ollivier, Ibid., p. 125.455Jean-Claude Léon, cité dans Herri Léon et le Scolaich Beg an Treis, Op. Cit., p. 197.

178

Qu'elles soient militantes, politiques, sociales ou éducatives, multiples sont dans les

années 1950 et 1960 les raisons qui expliquent un tel succès des bagadoù en Bretagne. Toutes

ces raisons ne signifient pas un délaissement de l'intérêt musical (des sonneurs qui penseraient à

peu près tout sauf à leur musique), au contraire ; les motivations extra-musicales de participer au

groupe sont telles qu'elles rejaillissent sur l'intérêt porté à la musique, symbole premier de la

vitalité du groupe.

Les bagadoù peuvent donc être considérés comme des entités répondant parfaitement à

des attentes extra-musicales diverses de la part de leur protagonistes, mais dont la destination

première reste le but musical.

179

180

Brest, Mai 2010.

Aujourd'hui, des sonneurs s'apprêtent à défiler dans les rues bretoises. Le festival ne porte

plus le même nom, les groupes ne sont plus les mêmes et la fête se déroule maintenant au

printemps. Mais le public, lui, est indéfectiblement présent.

Depuis plus de cinquante, comme notre sonneur, beaucoup de musiciens se sont assis à la

terrasse d'un café, une cornemuse posée sur les genoux. Beaucoup de bombardes ont

résonné dans les rues, beaucoup de claisses claires ont frappé quelques coups en

attendant que les binious finissent de s'accorder.

Depuis plus de cinquante ans, des musiciens participent chaque année aux rendez- vous

estivaux, à Brest et partout dans la région. Et si les choses ont bien changé depuis ce mois

d'août où il s'était un peu trop attardé à sa table, les sourires échangés en se prenant sa

place dans le bagad perdurent toujours...

Il est près de 15h00 et le défilé va bientôt démarrer. Des centaines des pieds de sonneurs

s'apprêtent à fouler – au pas - les pavés brestois, tout comme des milliers de pieds les ont

foulé avant eux, et les fouleront sans doute encore.

Notre sonneur de cornemuse est vraisemblablement revenu plusieurs années de suite.

Peut-être n'a t-il d'ailleurs jamais manqué une seule de ces fêtes. Peut-être est-il, plus de

cinquante après, toujours là, prêt, sa cornemuse sur l'épaule. Peut-être qu'un oeil avisé

reconnaîtra aujourd'hui, à Brest, le costume cornouillais étincelant.

Mais, une année, peut-être n'est-il plus venu. Peut-être a-t-il un jour remisé sa cornemuse

définitivement. Peut-être n'est-il plus là.

Ou bien peut-être est-il au beau milieu de tous ces gens massés sur les trottoirs en

attendant le passage des groupes, un appareil à flash ayant remplacé le biniou.

Peut-être.

CONCLUSION

Il est quinze heures passées, et le public attend. Le défilé est sur le point de commencer.

Les bagadoù se mettent en position, chacun prend sa place dans la rue.

Des sonneurs par centaines gonflent les poches des cornemuses, et attendent le signal

de leur penn-soner.

Waraok, Kit456 !!...

Musique, hiérarchie associative, politique, sociologie : notre quête, allant à la source du

mouvement bagad pour comprendre les clés de leur extraordinaire développement nous aura fait

évoquer les multiples aspects du monde des bagadoù.

Tout d'abord, nous avons vu que cette nouvelle façon de jouer la musique se répand

rapidement car elle est uniformisée. BAS manifeste dès ses débuts une forte volonté de

codification de sa nouvelle « invention » ; tous les paramètres du bagad sont réfléchis et définis.

Mais, que ce soit au sein même de la fédération ou bien dans les groupes au quotidien, il

semble que le discours « officiel » soit sans cesse remis en question. Sur chaque sujet, des

discussions naissent, des débats passionnés ont lieu. Loin de se figer en un modèle stéréotypé, le

nouvel orchestre breton est ainsi en renouvellement permanent, entre directives de la fédération

et réalité de terrain.

Dans un second temps, nous avons montré que la musique jouée par ces bagadoù devient

rapidement emblématique d'une région. Cette « nouvelle musique bretonne », qui fascine le

public et les organisateurs de fêtes, qui fait naître des vocations par centaines chez les jeunes, est

l'une des raisons évidentes du succès des bagadoù.

Les groupes ne se figent pas dans une manière unique de jouer ; ils sont en concurrence,

456 [En avant, marche !].

182

par le biais d'un système complexe de compétitions, et produisent une musique en

renouvellement permanent. La BAS et tous les bagadoù semblent manifester une « obsession de

progrès ». Ils construisent un nouveau répertoire en perpétuelle évolution, nourris d'influences

diverses, parfois contradictoires, toujours guidés par un souci de progression.

La musique des bagadoù peut alors apparaître comme le symbole d'un monde de sonneurs

ayant choisit une émulation à l'extrême pour éviter le piège de la folklorisation.

Enfin, la dernière partie de ce travail montrait que le bagad des décennies 1950 et 1960,

pour les dirigeants de BAS comme pour l'ensemble des sonneurs, représente plus qu'un

ensemble musical. Etendard de revendications régionalistes pour les uns, groupe de jeunesse ou

micro-société pour les autres, les sonneurs manifestent dans tous les cas pour les bagadoù un

intérêt qui dépasse celui d'un loisir anodin, et y investissent beaucoup de temps et de passion.

Une poursuite et un élargissement de ce travail de Master I seraient envisageables. Cela se

traduirait alors notamment par une poursuite du travail de terrain entamé cette année. J'ai d'ores

et déjà pris contact avec un certain nombre d'anciens sonneurs de bagad, et beaucoup d'autres

encore doivent être toujours présents dans la région.

De plus les recherches et la réflexion, qui ont été cernées ici sur une période précise (les

débuts de BAS), pourraient être étendues à l'ensemble de l'histoire d'un phénomène qui a atteint

maintenant la cinquantaine d'années.

Le présent mémoire pourrait alors constituer la première étape d'une étude sur le monde

vaste et complexe des bagadoù.

183

Annexe I Liste des pistes du CD Audio annexe.

Annexe II Extraits de l'article « Le Bagad sonerion » de Dorig le Voyer,Ar Soner n°14 (Juillet 1950), p. 8.

Annexe III Extraits de l'article « Un Breton émigré traduit-il la pensée de toute la BAS ? » de Polig Montjarret, Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10.

Annexe IV Texte de la chanson Le général des binious de Gilles Servat, en hommage à Polig Montjarret. CD Sous le ciel de cuivre et d'eau, Coop-Breizh, 2005.

Annexe V Tableau récapitulatif du nombre de bagadoù participant au concours, 1949-1990.

Annexe VI Couverture de la méthode Ecole de Bombarde de Jean l'Helgouach, publiée par BAS en 1955.

Annexe VII Couverture du Traité élémentaire à l'usage des sonneurs de biniou d'Emile Allain, publié par BAS en 1954.

Annexe VIII « Les Commandements bretons » Extrait de Petra Eo BAS,numéro spécial d'Ar Soner (n°30, février 1952), p. 30.

Annexes

Annexe I

-Contenu des pistes du CD audio-

1) Kevrenn de Rennes, Suite La ParadeDisque 33t. La Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

2) Kevrenn de Rennes, Al labouzig ar c’hoat Disque 33t. La Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

3) Kevrenn de Rennes, Gavotte Pourlet (extrait), Disque 33t. La Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964et

Kevrenn de Rennes, Plinn (extrait), Disque 45t. Festival des Cornemuses 1960, Paris, Ricordi, 1960

4) Kevrenn Brest-Saint-Marc, An Enez c'hlasDisque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d.

5) Bagad Quic-en-Groigne (Saint-Malo), Bale Quic-en-Groigne (commandements)Disque 45t. s.n, , Mouez Breiz 4505, s.d.

6) Kevrenn de Rennes, harmonisation de la Marche de CadoudalDisque 33t. Bretagne Vol.II, , Barclay, 1964

7) Kevrenn de Rennes, Lanig et MonicaDisque 33t. Le bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, Paris, Barclay-Bel Air 311046S, 1964

8) Kevrenn Brest-Saint-Marc, Marche de Cadoudal Disque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d.

9) Bagad de Lann-Bihoué, Suite de marches Cadoudal et Fouesnant Disque 45t. Marine Nationale, Paris, Decca 450.737, s.d.

10) Bagad Quic-en-Groigne (Saint-Malo), Bale an Deskidi Disque 33t. Bretagne, s.l., Philips 77001 L, s.d.

11) Kevrenn de Rennes, Deut mat oc'h Ian (Herri Léon)Disque 33t. Le Bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, Bel Air 311046S, s.d.

12) Kevrenn de Rennes, Ton KenavoDisque 45t. Festival des Cornemuses 1960, Paris, Ricordi, 1960

13) Kevrenn de Rennes, Suite de Gavottes de FouesnantDisque 33t. Bombardes et Binious de Bretagne, Paris, Arion 30T089, s.d.

14) Bagad Quic-en-Groigne (Saint-Malo), LaridéDisque 33t. Bretagne, Paris, Philips 77001 L, s.d.

15) Kevrenn Brest-Saint-Marc, Suite du traditionnelle du pays de Vannes Cadoudal (marche), An hini a garan (mélodie), An Dro (danse)

Disque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d.

16) Kevrenn de Rennes, Suite VannetaiseEvit Mont d'an iliz (marche), Va merc'h deo an Amzer (mélodie), Hanter Dro (danse), Ar Voraerion (mélodie), gavotte pourlet (danse). Disque 33t. Bretagne Vol.II, Paris, Barclay, 1964

17) Bagad de Lann-Bihoué, Ar Menezioù Glaz,Disque 45t. Ar Menezioù Glaz, s.l, Pacific 90 317 B, s.d.

18) Bagad Brest-ar-Flamm, Dalc’h Sonj Disque 33t. s.n., Paris, Barclay 76045, 1958

19) Bombardes de la Kevrenn de Rennes, Er BokedDisque 33t. La Bretagne vol.II, Paris, Barclay, 1964

20) Kevrenn de Rennes, Evit mont d'an IlizDisque 33t. La Bretagne vol.II, Paris, Barclay, 1964

21) Kevrenn de Rennes, Suites de gavottes bigoudènes Disque 33t. Bretagne, Paris, Philips 77001 L, s.d.

22) Kevrenn Brest-Saint-Marc, Evid Mond Ouz TaolDisque 33t. Bretagne Eternelle, Paris, Arion, s.d.

23) Discussion entre le bagad de Bourbriac et Donatien Laurent, membre du jury en 1965Document enregistré par Daniel Le Ny, conservé à Dastum

24) Conférence de Polig Montjarret (extrait), en 2002 au Festival de Cornouaille de QuimperDocument enregistré par Pierre-Yves Pétillon, conservé à Dastum

Durée Totale du CD : 61 minutes

Annexe II

Article « Le Bagad sonerion » de Dorig Le Voyer, paru dans Ar Soner n°14, Juillet 1950, p. 8 - EXTRAITS

« Le penn-bagad se place en tête, à 5 ou 6 pas du bagad, avec une canne de tambour major.

Le bagad-sonerion doit faire beaucoup de répétitions de rassemblement, de départ, de marche, d'évolution.

Le rôle du penn-bagad sonerion :Donner, avec sa canne, tous les commandements : ''garde à vous'', ''en avant marche'', ''gauche'', ''droite''.

L'exécution est une première fois destinée aux taboulinerion. Le penn-bagad décrira un petit mouvement en rond avant d'abaisser sa canne rapidement. Les taboulinerion font un roulement. Pendant ce temps les biniawerion gonflent leur sac. Ils ont 4 temps pour le faire.

Si l'arrêt est long, pour éviter la fatigue au garde-à-vous, le penn-bagad devra commander le repos. Les sonneurs au repos, debout, doivent toutefois conserver leur place et leur alignement, éviter de parler et de fumer, car un arrêt même prolongé au cours d'un défilé n'est pas une dislocation.

Il est particulièrement recommandé de préparer une suite d'airs de marche. Il y a un arrêt entre chaque, et au signal de jouer, le penn-bagad n'a aucun ordre oral à donner. Les sonneurs savent naturellement l'ordre prévu pour les marches, et ce système tout en faisant la meilleure impression simplifie beaucoup le travail pour chacun. Ce système peut s'appliquer à tout autre air que celui de marche.

Il y a du travail pour mettre sur pied un bagad-sonerion et, pour gagner du temps, il est recommandé de faire des exercices de marche et d'évolution même sans instrument.

Il faut aussi que les taboulinerion fassent des répétitions spéciales et étudient les battements qui conviennent aux airs bretons : temps et contre-temps, roulements et battements simples. Ils doivent aussi étudier les nuances propres à chaque air. »

Annexe III

Article de Polig Montjarret, « Un Breton émigré traduit-il la pensée de toute la BAS ? »paru dans Ar Soner n°44 (mai 1953), p. 10 – EXTRAITS

« Cinq ans d'expérience de bagad permettent de classer les difficultés dans l'ordre : nous avons lancé quelque chose de non-traditionnel et nous avons voulu dans le détail respecter la tradition. Les faits sont là et nous prouvent aujourd'hui que nous avons eu tort et que le problème doit être reconsidéré entièrement. L'expérience de couple que peuvent avoir des chefs ou des sonneurs de bagad ne vaut rien !

La tradition veut que la bombarde commande le couple. En bagad c'est la grosse caisse qui commande le groupe !

La tradition veut que la bombarde suive sa fantaisie et se laisse aller à des variations sur un thème. En bagad le jeu de la bombarde (instrument que nous sommes les seuls à posséder) doit être étudié, précis, réglé d'avance. Toute fantaisie et doigté individuel sont proscrits.

La tradition veut que le talabarder attaque un air après avoir essayé son anche et procédé à des ''indicatifs'' où il prouve ses possibilités et sa virtuosité.En bagad le démarrage comme les arrêts ou les changements d'airs sont minutieusement étudiés. Ils correspondent à des roulements de batterie, des signes conventionnels de la Caisse. La valeur d'un bagad vaut autant par ses arrêts et ses démarrages que par l'accord général, l'uniformité du doigté, la qualité du son produit.

La tradition veut que la plupart des marches et des marches nuptiales soit interprêtées SANS CADENCE PRECISE, le rythme régulier faisant place à une interprétation où la bombarde ''parle'', ''explique'' ce qu'elle ressent.L'interprétation en bagad doit correspondre à une obéissance stricte de la mesure.Cette mesure elle-même étant soutenue par la batterie.

La tradition ne prévoit pas que le TIMBRE du binioù corresponde au timbre de la bb ; la justesse des instruments est celle exigée. En bagad le TIMBRE de TOUS les binious doit être le même. Egalement celui de TOUTES les bombardes. TOUS LES BINIOUS, d'une part, TOUTES LES BOMBARDES, d'autre part, doivent avoir exactement le même timbre, la même puissance de sonorisation

La tradition veut que le biniou ''sonne'' plus faible que la bombarde, afin de n'en pas couvrir le son. En bagad, le problème se pose différemment ; chaque bombarde ne doit pas nécessairement être plus puissante que chaque biniou. C'est le nombre des unes par rapport au nombre des autres qui fournit le contraste ; encore ne faut-il pas opposer le nombre des bombardes à celui des binious (six contre huit), mais l'ensemble contre les binious seuls (quatorze contre huit). Cette proportion choisie – par moi-même, je l'avoue – est le produit de multiples essais effectués en 1948, 49, 50. La batterie elle-même (une caisse pour 2 sonneurs), telle que les Ecossais ou les Irlandais l'utilisent, et telle que nous l'avons adoptée, convient parfaitement à cet ensemble.

La tradition prévoit UN bourdon au binioù-koz. Le biniou braz en a trois. En couple, deux bourdons suffisent ; parfois même un seul (ténor). En bagad il est indispensable de sonner avec trois bourdons. Cette ''pédale'' doit avoir une puissance proportionnée au nombre d'instruments. Ecossais et Irlandais ne possèdent pas la bombarde et cependant chaque bag-piper (biniou) utilise TOUJOURS les trois bourdons. Nous qui avons en outre six bombardes SANS BOURDONS, nous devons insister encore plus lourdement sur ce point. La position de ces bourdons doit être VERTICALE ; cela est encore une conclusion tirée de l'expérience. Les bourdons trop couchés sur l'épaule « dirigent » le son vers l'arrière du Bagad, ce qui nuit à chaque élément parce qu'il n'entend en fait que les bourdons du sonneur qui le précède ; cela lui ôte toute possibilité d'apprécier la qualité de l'ensemble. Les bourdons verticaux, au contraire, situent la « pédale » AU-DESSUS du bagad, ce qui permet à chacun d'entendre. Pour le public – qui ne doit pas être oublié dans cette affaire – la position des bourdons doit être UNIFORME. Pour lui c'est une question de coup d'oeil, pour nous c'est une question d'oreille !!!

Le TIMBRE des bourdons doit être le même pour TOUS. Un bourdon plus faible ou plus fort rompt la plénitude du son produit.

La tradition est contre la marche au pas. Quel est le travail habituellement demandé aux sonneurs ''en couple'' ? Précéder un cortège nuptial ? Des lutteurs porteurs du ''maout'' ?La cadence des marches nuptiales étant presque toujours inexistante, il est pratiquement impossible de marcher au pas. Par contre, en bagad il est indispensable de pratiquer ''l'Ecole de Soldat''. Un bagad, comme toute musique qui se respecte, doit avoir un minimum de pratique militaire. La marche au pas, l'évolution sur le terrain, et même les évolutions sur plateau, sont INDISPENSABLES si nous voulons donner à nos groupes une ALLURE, une dignité forçant le respect et l'admiration.

Je prétends que la seule façon de rester Breton, c'est de préciser une fois pour toutes et dans le moindre détail, la méthode obligatoire du sonneur de Bagad. Ainsi serait fermée à jamais la porte aux importations inopportunes que chacun provoque aujourd'hui et qu'en toute bonne fois il dispense à son entourage.Nous avons lancé quelque chose de non-traditionnel. Dans vingt années, dans un siècle, il sera admis par tous que le BAGAD en Bretagne est une tradition des plus pures. »

Annexe IV« Le général des binious », chanson de Gilles Servat en hommage à Polig Montjarret

CD Sous le ciel de cuivre et d'eau, Coop-Breizh, 2005

Le général des binious a pris un autre bateau,Celui de Cork partira sans lui désormais.Le général des binious était de ceux qui peuvent partir tranquilles.

Il ne laisse pas maison bâtie sur le sable,Il ne laisse pas une symphonie que lui seul puisse achever,Il ne laisse pas des orphelins de sa solitude.

Le général des binious laisse des enfants qui grandissent,Des familles de danseurs épanouis,Des générations que les chants unissent.

Que serions-nous sans celui qui est parti dans cette petite barque de bois ?Brilleraient-ils de fierté les yeux des sonneurs ?Brilleraient-ils d’émoi les yeux de ceux qui les écoutent ?A quelle musique serions-nous condamnés, ou même soumis ?

Noir le dessous des nuées confuses, Noir les regards d’amour que le chagrin farde,Noir les baguettes frappant les tambours,Noir l’ébène des bombardes,Noir les poches des cornemuses,Et les cordons reliant le noir ivoire des bourdons de Locoal-Mendon457.

Voici son bateau qui passe, voici son bateau parti,Là où les sonneurs par lui rassemblés ont leur paradis.

Noir les bleus chupenn de Quimper,Noir la claire laine des moutons de la Kerlenn458,Noir aujourd’hui les ailes du Moulin-Vert459,Noir le crin de pluie de Cap-Caval460,Noir les coiffes de la Kevrenn, au triomphe triste des festivals,Noir sur le gwenn-ha-du461 les blancs évêchés.

Voici son bateau qui passe, voici son bateau parti,Là où les sonneurs jouent les mélodies qu’il a rassemblées.

457 Bagad de Locoal-Mendon (56)458 La « Kerlenn Pondi » : le bagad de Pontivy (56)459 Le Bagad du Moulin-Vert, à Quimper (29)460 « Cap Caval » est le nom du bagad de Ploemeur (29)461 « blanc et noir », surnom du drapeau breton

General ar viniaoù,A zo bet trec'h en e vrezel,E armeou oa sonerien,Hag e denoù, tonioù Breizh-Izel

[Le général des binious][A gagné sa guerre],[Ses armées étaient faites de sonneurs],[Dont les munitions étaient des airs bretons]

Annexe V

Tableau récapitulatif du nombre de bagadoù participant au concours BAS1949-1990

D'après Steven OLLIVIER, Bodadeg ar Sonerion, L'assemblée de sonneurs (1943-1993) : du sonneur au musicien breton, mémoire de Maîtrise d'Histoire, Université Rennes-II, 1994.

AnnéeRépartition par Catégories

Total1re 2e 3e 4e

1949 21950 51951 2 4 61952 3 1 4 81953 5 5 2 121954 7 1 10 181955 6 3 5 141956 6 4 13 231957 5 5 20 301958 6 7 17 301959 3 8 18 291960 3 8 23 341961 4 4 13 211962 3 4 29 371963 5 5 27 371964 5 5 25 351965 26 261966 5 3 26 341967 5 4 26 351968 5 6 8 191969 5 6 7 181970 5 5 10 201971 7 2 7 161972 6 4 5 151973 6 6 5 171974 6 6 6 181975 6 5 5 16

1976 6 6 7 191977 3 5 6 141978 7 3 12 221979 6 6 12 241980 5 5 14 241981 5 3 18 261982 6 4 19 291983 6 4 7 13 301984 6 2 6 14 281985 5 5 12 14 361986 6 14 11 13 341987 8 5 10 15 381988 8 5 8 13 341989 9 5 9 13 361990 6 7 9 9 31

Annexe VI

Couverture de la méthode Ecole de Bombarde, de Jean l'Helgouachpubliée par BAS en 1955

197

Annexe VII

Couverture du Traité Elémentaire à l'usage de sonneurs de binioud'Emile Allain, publié par BAS en 1954

199

Annexe VIII« Les Commandements bretons »

Extrait de Petra Eo BAS, numéro spécial d'Ar Soner (n°30, février 1952), p. 30.

Revues

Ensemble des numéros de Ar Soner (éd. BAS) de 1949 à 1970

Lettre Mensuelle de BAS de 1946 à 1949

Méthodes instrumentales

ALLAIN, Emile, Traité élémentaire destiné aux sonneurs de biniou, Rennes, BAS, 1955

KERNE, Ferdy, Skol an Taboulin [l'Ecole du batteur], Lorient, BAS, 1962

L'HELGOUACH, Ecole de Bombarde, s.l., BAS, 1955

GRUBER, Ronan, Dasson ar c'horn bout, Paris, Henri Lemoine, 1960 (réed. 1980)

MAC LELLAN, John, traduction de S. et J-F. ALLAIN, Manuel du sonneur, s.l., BAS, 1977

MAC NEIL, Seumas, et Thomas PEARSTON, Green Tutor, Glasgow, College of Piping, 1958

Recueil de partitions

KENVREURIEZ AR VINIOUERIEN, éd., Airs de Binious, Paris, Lemoine, 1942

LE PENVEN, Jef, éd., Sonit'ta Sonerion, s.l., BAS, 1947

MONJARRET, Polig, éd, C'houez er Beuz, s.l., BAS, s.d [ca 1953]

MONTJARRET, Polig, éd., War-raog kit ! Toniou evit ar bagadou, Rennes, B.A.S, 1976

MONJARRET, Polig, Toniou Breizh-Izel, Rennes, BAS, 1984

MONJARRET, Polig, Toniou Breizh-Izel, vol. II, Ploemeur, BAS/Dastum, 2003

203

CORPUS

Témoignages et biographies de sonneurs

BIGOT, Laurent, « Quand on entend le bruit du biniou, on ne peut s'empêcher de sauter ! »,Cornemuses, souffles infinis, souffles continus, éds. Jean Blanchard et Eric Montbel, Gestes,coll. « Modal », 1991, p. 94-97

BLANCHARD, Jean, « Créer une bulle sonore, entretien avec Patrick Molard, joueur dePibroch », Cornemuses, souffles infinis, souffles continus, éds. Jean Blanchard et EricMontbel, Gestes, coll. « Modal », 1991, p. 104-111

LE BUHÉ, Alan, « Un métronome de campagne », Bretagne au coeur des lèvres, mélangesofferts à Donatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais », 2009, p. 27-28

LE ROUZIC, Bruno, « Du bagad au show-busines, le métier de piper en France », Cornemuses,souffles infinis, souffles continus, éds. Jean Blanchard et Eric Montbel, Gestes, coll.« Modal », 1991, p. 86-93

MOIGN, Pierre-Yves, « Chemins croisés », Bretagne au coeur des lèvres, mélanges offerts àDonatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais », 2009, p. 39-54

TRÉGUER, Michel, « Chances et génie d'un trépané, Aperçus sur la vie de Donatien Laurent », Bretagne au coeur des lèvres, mélanges offerts à Donatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais », 2009, p. 7-16

STIVELL, Alan, « Tradition et création », dans Musique Traditionnelle, de la recherche à lacréation, éd. Jean-Louis Jam, Clermont-Ferrand, Service inter-universitaire d'activitésartistiques, 1986

Entretiens réalisés pour ce mémoire

Entretien avec Armel MORGANT, le 18 janvier 2010 à Quimper (29)

Entretien avec Michel RICHARD, le 26 janvier 2010 au Conquet (29)

Entretien avec Bob HASLÉ, le 02 février 2010 à Rennes (35)

Entretien avec Pierre-Yves MOIGN, le 04 mars 2010 à Plouguerneau (29)

Entretien avec Bernard LACROIX, le 12 mars 2010 à Plougastel (29)

Entretien avec Georges CADOUDAL, le 16 mars 2010 à Brennilis (29)

Entretien avec Alain LE BUHÉ, le 29 mars 2010 à Locoal-Mendon (56)

Entretien avec Martial PÉZENNEC, le 30 mars 2010 à Rennes (35).

Entretien avec Christian HUDIN, le 06 avril 2010 à Rennes (35)

Entretien avec Gilles GOYAT, le 12 avril 2010 à Plozévet (29)

204

Disques

BAGAD DE LA KEVRENN DE RENNESWar zu an heol, 45t462., Ducretet-Thomson 450 V 038, 1956Festival des Cornemuses 1960, 45t., Paris, Ricordi, 1960La Bretagne, vol.2, 33t., Paris, Barclay, « Musique et Traditions Populaires des Bretons », 1964Le Bagad Kadoudal sonne pour Herri Léon, 33t., s.l, Musidisc, s.d.Bombardes et Binious de Bretagne, 33t., Paris, Arion 30T089, s.d.Petit Bal Breton, Lyon, Ricordi 45 S 015, s.d.Souvenirs de Bretagne, 45t., Paris, Barclay Licence Arion, s.d. Souvenirs de Bretagne (avec Evit Koroll, Rivoallan/Cadoudal, Albert Kerbonne), Paris, EMI, 1975

BAGAD QUIC-EN-GROIGNE, SAINT-MALOs.n, 45t., Quimper, Mouez Breiz 4505, s.d.s.n, 45t., Quimper, Mouez Breiz 4512, s.d.Bretagne, 33t., Paris, Philips 77001 L, « Airs de France », s.d.

BAGAD DE LANN-BIHOUÉ, War zu an heol, Paris, Pacific 90 267 B, s.d.Ar Meneziou Glaz [Les Montagnes vertes], 45t., s.l, Pacific 90 317 B, s.d.Marine Nationale, Paris, Decca 450.737, s.d.

KEVRENN DE NANTESEchos du château des Ducs de Bretagne, 45t., Quimper, Mouez Breiz, 1959Echos de Bretagne, 45t., Quimper, Mouez Breiz 4539, 1961

BAGAD FÉMININ NOMINOÉ DE REDONFolklore Breton, 45t., s.l., Festival 45 2344, 1963e.a, C'est toute la Bretagne, double 33t., s.l, Festival 118 Code MU 222, s.d.

BAGAD DES SCOUTS BLEIMOR, s.l.n.d., 33t., LPF2518Musique Celtique, 33.t., S.l.n.d, Keltia III.

KEVRENN DE BREST-SAINT-MARC et BAGAD QUIC-EN-GROIGNE, Festival de Brest, finale du concours des sonneurs, 45t., Quimper, Mouez Breiz 4599, 1961

KEVRENN BREST-AR-FLAMM, s.n, 33t., Paris, Barclay 76045, 1958

BAGAD KEMPER, s.n, 45t., Quimper, Mouez Breiz, s.d. [ca 1961]

KEVRENN BREST-SAINT-MARC, Bretagne Eternelle, 33t., Paris, Arion, s.d.

COLLECTIF, Défilé et triomphe des sonneurs aux fêtes de Cornouaille, 33t., Mouez Breiz 3321, 1961

COLLECTIF, 20ème festival international des cornemuses de Brest, 33t., Mouez Breiz 3331, 1963

YAOUANKIZ BREIZ, Ensemble musique et danse du cercle celtique de Rennes, Bel air 241-046, s.d

402 ARGYLL AND SUTHERLAND HIGHLANDERS, Pipes and drums, Marches et Danses Ecossaises au Festival des Cornemuses de Brest, 33t, Quimper, Mouez Breiz 3310, 1959

462 Les abréviations 45t. et 33t. signifient Disque 45 tours et 33 tours.

205

Autres enregistrements (dépôt Dastum)

BAGAD BLEIMOR, Ar Charpantour (Tenval 'eo an deiz), Festival de Cornouaille, Quimper, enregistré par René DUPLESSY, 1965

BAGAD DE BREST, An Durzhunell, Danse, Poullaouen, enregistré par René HÉNAFF, 195?

BAGAD DE BREST, Marche (compo. Polig Montjarret), Air des chevaux, Poullaouen, enregistré par René HÉNAFF, 195?

BAGAD DE RENNES, Marche, Concours de Brest, enregistré par Yvette LE FAOU-LE BIGON,1965

LAURENT, Donatien, Commentaire oral sur le bagad de Bourbriac, Concours de Brest,enregistré par Daniel Le Ny, 1965

MONTJARRET, Polig, Conférence à l'université d'été du festival de Cornouaille, Quimper,enregistré par Pierre-Yves Pétillon, 22/07/2002

206

A. MUSIQUES EN BRETAGNE : GÉNÉRALITÉS

A1. Articles et Ouvrages scientifiques

COLLECTIF, Musique Bretonne, Histoire des Sonneurs de Tradition, Quimper, Le Chasse-Marée/Armen, 1996

DEFRANCE, Yves, « Situation de la musique traditionnelle au XXème siècle », Poésie chantée de tradition orale en Flandre et en Bretagne, éd. André-Marie DESPRINGRE, Paris, HonoréChampion, coll. « Musilingue », 1991, p. 151-158

DEFRANCE, Yves, « La musique celtique, réponse à des imaginaires contemporains », Imaginaires en Bretagne, Institut Culturel de Bretagne, 1993, p. 23-39

DEFRANCE, Yves, L'archipel des musiques bretonnes, Arles, Actes Sud, 2000

DEFRANCE, Yves, « Itinéraire d'un sonneur de couple en Bretagne : Laurent Bigot », Les hautbois Populaires, anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 224-227

DEFRANCE, Yves, Tradition et concours de tradition, in Musiques traditionnelles de Bretagne,concours, joutes et rencontres, Musique et Danse en Bretagne, 2006, p. 12-26

GOYAT, Gilles, « La collection des disques 78 tours Mouez Breiz (1950-1955) », Bretagne aucoeur des lèvres, mélanges offerts à Donatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais »,

2009, p. 55-65

GUILCHER, Yves, « Le revivalisme et la tradition », Bretagne au coeur des lèvres, mélangesofferts à Donatien Laurent, éd. Fanch Postic, PUR, coll. « Essais », 2009, p. 377-387

MAILLARD, Jean-Christophe, « Talabarderien mod koz, le jeu et la technique de la bombarde chez les sonneurs bretons de tradition », Les hautbois populaires : anches doubles, enjeux multiples, éd. Luc-Charles Dominique, Courlay, Modal, 2002, p. 150-163

BIBLIOGRAPHIE

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PICARD, François, l'Hypothèse Ethnomusicologique, 2005, accessible à l'adresse www.plm.paris-sorbonne.fr/Textes/FPHypothese.pdf

211

212

Remerciements …............................................................................................................. 5

Sommaire …........................................................................................................................ 9

Introduction ….................................................................................................................... 11

PRÉSENTATION DE L'OBJET ET PROCÉDURES DE RECHERCHE …............................ 15

I - L’épopée de BAS et des bagadoù : précisions …...................................................... 17A) La fédération BAS …................................................................................................ 17B) Les bagadoù et leur « milieu » …............................................................................. 20C) Personnalités importantes …..................................................................................... 21

II - Approche du sujet et cheminement de recherche ….............................................. 25A) L’apprenti ethnomusicologue : position de l’auteur …............................................. 25B) Périodisation choisie …............................................................................................. 26C) Etat de la question …................................................................................................. 27D) Un sujet ethnomusicologique ? …............................................................................. 29

III – Présentation du Corpus étudié ….......................................................................... 31A) Ecrits …..................................................................................................................... 31B) Partitions …............................................................................................................... 32C) Méthodes instrumentales …...................................................................................... 33D) Disques et enregistrements …................................................................................... 33E) Le terrain : entretiens …............................................................................................ 34

1re PARTIE : LE DÉVELOPPEMENT DES BAGADOÙ, EXPANSION D'UNE INVENTION UNIFORMISÉE ….................................... 41

Chapitre I - Les codes définis par BAS et leur application au sein des bagadoù ..... 43

1) Standardisation de la nouvelle invention ….............................. 43A) Dénomination …................................................................ 43B) Effectif …........................................................................... 45C) Equilibre des trois pupitres …............................................ 46D) Conventions visuelles ….................................................... 48E) Critères d’évaluation en concours ….................................. 55

TABLE DES MATIÈRES

2) Les instruments : de la facture à l’exécution …....................... 57A) Instruments tempérés …................................................... 58B) Bombardes …................................................................... 59C) Binioù-bras / Cornemuses …............................................ 62D) Obsession de la justesse …............................................... 69E) Batteurs …......................................................................... 71

3) L’enseignement et la transmission …......................................... 77A) Former des cadres …......................................................... 77B) La formation des sonneurs …............................................ 78C) Utilisation de la notation musicale …................................ 82

4) Les modèles musicaux …............................................................. 87A) Les sonneurs de couple …................................................. 87B) L’Ecosse …........................................................................ 95C) La clique …...................................................................... 101D) Le modèle militaire …..................................................... 102E) La musique savante occidentale ….................................. 104

5) Elaboration du concept de « musique bretonne » …............... 111A) Censure de l’influence « française » …........................... 111B) Le fantasme d’une modalité typiquement bretonne ........ 113C) « Sommes-nous des folkloristes ? », BAS face à son rapport à la tradition …. 114

Chapitre II : Expansion d'une invention uniformisée …..........................................119

1) Se reconnaître dans une même pratique : le bagad ….......................................... 1192) Se reconnaître dans une même musique : le concept de «musique bretonne» .. 1233) Une communauté soudée par l'émulation et l'obsession de progrès ….............. 1254) L'adaptation des règles officielles, ou l'évitement d'une folklorisation stérile ... 127

2NDE PARTIE : RÉPERTOIRE EMBLÉMATIQUE ET DIVERSITÉ DE STYLES, LE SUCCÈSDE LA MUSIQUE DE BAGAD …........................................... 131

Chapitre I - La musique des bagadoù …................................................................... 133

1) Les genres …............................................................................ 133A) Les marches …............................................................ 133B) Les mélodies …............................................................ 139C) Les danses …................................................................ 140D) L'invention de la « Suite » …....................................... 140E) Airs écossais et gallois …............................................. 142

214

2) Les différentes « écoles » de style …..................................... 145A) La Kevrenn de Rennes …............................................ 145B) La Kevrenn Brest-Saint-Marc …................................. 150C) Le bagad de Bourbriac …............................................ 152D) Autres …...................................................................... 154

Chapitre II - Les bagadoù, formations musicales populaires et créatrices …....... 155

1) Un répertoire en adéquation avec les attentes du publication ... 1552) Diversité, Rivalités ; dynamique stylistique …............................ 157

3ÈME PARTIE : UN SUCCÈS DÉPASSANT L'INTÉRÊT MUSICAL …......................... 161

Chapitre I - Préoccupations extra-musicales des sonneurs et des dirigeants ….. 163

1) BAS et les bagadoù : mouvement de jeunesse et groupe social .. 163A) Un mouvement inspiré du scoutisme …................................. 163B) Une agence de voyage bon marché ….................................... 165C) … ou une agence matrimoniale ….......................................... 167

2) Bagad, Militantisme, Politique …................................................... 167A) L'oscillement de BAS entre militantisme et neutralité politique 167B) Les sujets politique discutés .................................................... 168C) Le souhait de sensibiliser tous les sonneurs à ces questions politiques … 170

Chapitre II – Les aspects extra-musicaux, sources de motivation ….................. 175

CONCLUSION ….............................................................................. 181

Annexes ….................................................................................................. 185

Corpus ….................................................................................................... 203

Bibliographie …......................................................................................... 207

Table des matières …................................................................................. 213

215