De l'hydrogénation catalytique à la théorie chimique de la catalyse : Paul Sabatier, chimiste de...

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C. R. Acad. Sci. Paris, Se ´rie IIc, Chimie / Chemistry 3 (2000) 705–709 © 2000 Acade ´mie des sciences/ E ´ ditions scientifiques et me ´dicales Elsevier SAS. Tous droits rese ´rve ´s PII: S1387-1609(00)01184-1/FLA Chronique de la chimie / History of chemistry De l’hydroge ´nation catalytique a ` la the ´orie chimique de la catalyse : Paul Sabatier, chimiste de ge ´nie, apo ˆtre de la de ´centralisation Armand Lattes* Laboratoire des interactions mole ´culaires et re ´activite ´s chimique et photochimique, universite ´ Paul-Sabatier, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex 4, France Rec ¸u le 19 juin 2000, accepte ´ le 12 septembre 2000 Pre ´sente ´ par Franc ¸ois Mathey Abstract – From catalytic hydrogenation to the chemical theory of the catalysis: Paul Sabatier, genius chemist, decentralization apostle. Paul Sabatier received the aggregation degree in the physical science in 1877 and received his doctorate in the physical science in 1880. In 1884, he was named to the chair of chemistry at Toulouse, when he was thirty, the minimum age for the position. Sabatier’s initial researches were inorganic studies within the thermochemical tradition of Berthelot’s laboratory. The Mond’s preparation of nickel carbonyl instigated him to study gaseous molecules which might behave analogously to carbon monoxide: he succeeded in 1892 in fixing nitrogen peroxyde on copper, cobalt, nickel and iron. One year later he repeated the experience of Moissan and Moureu with unsaturated hydrocarbons and reduced nickel: he found that ethylene and acetylene were hydrogenated. With his student, J.-B. Senderens, he demonstrated the generality of his method to the hydrogenation of non-saturated and aromatic compounds, ketones, aldehydes, phenol, nitriles, nitrites, etc. In contrast of previous physical theories, Sabatier postulated that, in catalysis, a temporary, unstable intermediary between the catalyst and one of the reactants forms on the surface of the catalyst. He predicted the reversibility of the reaction: a catalyst of hydrogenation will be equally one of dehydrogenation. He was awarded the 1912 Nobel Prize in the same time with Victor Grignard. Paul Sabatier was a very reserved man. Elected Professor of chemistry at Toulouse in 1884, he was ever faithful to this town and turned down many offers of attractive positions in Paris. In 1913, he became the first scientist elected to one of six chairs newly created by the Academy for provincial members. © 2000 Acade ´mie des sciences/ E ´ ditions scientifiques et me ´dicales Elsevier SAS Re ´sume ´– C’est a ` partir de ses re ´flexions sur la gene `se des me ´taux carbonyles que Paul Sabatier a progressivement e ´te ´ amene ´a ` de ´couvrir l’hydroge ´nation catalytique. A ` partir de cette dernie `re re ´action, aux multiples applications, il e ´chafauda une the ´orie de la catalyse dont l’essentiel est toujours d’actualite ´. Ses de ´couvertes doivent e ˆtre attribue ´es a ` ses me ´rites propres et a ` la formation qu’il avait rec ¸ue du laboratoire de Marcellin Berthelot. © 2000 Acade ´mie des sciences/ E ´ ditions scientifiques et me ´dicales Elsevier SAS La gene `se d’une de ´couverte est souvent source de pole ´miques ou d’interpre ´tations plus ou moins ex- actes. La valeur d’un travail et sa reconnaissance sont fonction de parame `tres objectifs et subjectifs qui peuvent amener a ` s’interroger sur l’opportunite ´ d’une re ´compense. Certains scientifiques parlent de Paul Sabatier avec beaucoup de gentillesse, accompagne ´e ce- pendant de condescendance tant ce savant mo- deste, installe ´ au fond de l’hexagone dans une me ´tropole re ´gionale, a travaille ´ avec re ´serve et dis- cre ´tion. * Correspondence and reprints. E -mail address: lattes.iris.ups-tlse.fr (A. Lattes). 705 CHRONIQUE DE LA CHIMIE / HISTORY OF CHEMISTRY

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C. R. Acad. Sci. Paris, Serie IIc, Chimie / Chemistry 3 (2000) 705–709© 2000 Academie des sciences/ Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS. Tous droits reservesPII: S1387-1609(00)01184-1/FLA

Chronique de la chimie / History of chemistry

De l’hydrogenation catalytique a la theoriechimique de la catalyse : Paul Sabatier, chimiste degenie, apotre de la decentralisationArmand Lattes*

Laboratoire des interactions moleculaires et reactivites chimique et photochimique, universite Paul-Sabatier, 118,route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex 4, France

Recu le 19 juin 2000, accepte le 12 septembre 2000

Presente par Francois Mathey

Abstract – From catalytic hydrogenation to the chemical theory of the catalysis: Paul Sabatier, genius chemist,decentralization apostle. Paul Sabatier received the aggregation degree in the physical science in 1877 and received hisdoctorate in the physical science in 1880. In 1884, he was named to the chair of chemistry at Toulouse, when he was thirty,the minimum age for the position. Sabatier’s initial researches were inorganic studies within the thermochemical tradition ofBerthelot’s laboratory. The Mond’s preparation of nickel carbonyl instigated him to study gaseous molecules which mightbehave analogously to carbon monoxide: he succeeded in 1892 in fixing nitrogen peroxyde on copper, cobalt, nickel andiron. One year later he repeated the experience of Moissan and Moureu with unsaturated hydrocarbons and reduced nickel:he found that ethylene and acetylene were hydrogenated. With his student, J.-B. Senderens, he demonstrated the generalityof his method to the hydrogenation of non-saturated and aromatic compounds, ketones, aldehydes, phenol, nitriles, nitrites,etc. In contrast of previous physical theories, Sabatier postulated that, in catalysis, a temporary, unstable intermediarybetween the catalyst and one of the reactants forms on the surface of the catalyst. He predicted the reversibility of thereaction: a catalyst of hydrogenation will be equally one of dehydrogenation. He was awarded the 1912 Nobel Prize in thesame time with Victor Grignard. Paul Sabatier was a very reserved man. Elected Professor of chemistry at Toulouse in 1884,he was ever faithful to this town and turned down many offers of attractive positions in Paris. In 1913, he became the firstscientist elected to one of six chairs newly created by the Academy for provincial members. © 2000 Academie des sciences/Editions scientifiques et medicales Elsevier SAS

Resume – C’est a partir de ses reflexions sur la genese des metaux carbonyles que Paul Sabatier a progressivement eteamene a decouvrir l’hydrogenation catalytique. A partir de cette derniere reaction, aux multiples applications, il echafaudaune theorie de la catalyse dont l’essentiel est toujours d’actualite. Ses decouvertes doivent etre attribuees a ses merites propreset a la formation qu’il avait recue du laboratoire de Marcellin Berthelot. © 2000 Academie des sciences/ Editions scientifiqueset medicales Elsevier SAS

La genese d’une decouverte est souvent source depolemiques ou d’interpretations plus ou moins ex-actes. La valeur d’un travail et sa reconnaissance sontfonction de parametres objectifs et subjectifs quipeuvent amener a s’interroger sur l’opportunited’une recompense.

Certains scientifiques parlent de Paul Sabatieravec beaucoup de gentillesse, accompagnee ce-pendant de condescendance tant ce savant mo-deste, installe au fond de l’hexagone dans unemetropole regionale, a travaille avec reserve et dis-cretion.

* Correspondence and reprints.E-mail address: lattes.iris.ups-tlse.fr (A. Lattes).

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Comment a-t-il ete amene a decouvrir l’hydroge-nation catalytique ? Quelle est sa part personnelledans cette decouverte connue sous le nom de« methode de Sabatier–Senderens » ? La portee de cetravail etait-elle digne du prix Nobel qu’il partageaavec Victor Grignard en 1912 ?

Paul Sabatier (1854–1941).

On ne peut repondre a toutes ces questions qu’enparcourant la vie personnelle et scientifique de cesavant, parcours qui va nous permettre de recon-naıtre que ses decouvertes furent le fruit d’unmontage raisonne, ou les lecons qu’il avait recues deMarcellin Berthelot et ses qualites propres d’observa-tion et de raisonnement ont contribue a construire etfaconner ses hypotheses.

Apres ses etudes a l’Ecole normale superieure, lejeune agrege de physique, qui avait le choix entrePasteur et Berthelot, choisit ce dernier pour preparerle doctorat au College de France.

Le memoire de these [1] qu’il a soutenu en 1880,alors qu’il etait age seulement de 26 ans, a pourtitre : Recherches thermiques sur les sulfures.

Il y decrit de nombreux composes nouveaux de lachimie du soufre, par exemple le monosulfure anhy-

dre et le sulfhydrate de sodium, ainsi que la compo-sition exacte du sulfhydrate de potassium. Lesproprietes des sulfures sont etudiees, en particulierl’action de l’eau, ainsi la realisation de nombreusesmesures thermochimiques.

Nomme professeur a Toulouse en 1884, la suitedes travaux de Paul Sabatier s’inscrit, tout naturelle-ment, dans le meme contexte : preparation du disul-fure d’hydrogene pur, de sulfures et sous-sulfures desilicium, de bore, etudes des seleniures, etc.

Son attention est attiree en 1890 par les decou-vertes de Mond, Langer et Quincke [2], qui viennentd’isoler le nickel carbonyle et le fer carbonyle etavancent l’hypothese selon laquelle la molecule in-complete de CO s’ajoute aux metaux en donnantune combinaison facilement dissociable par lachaleur.

Paul Sabatier pensa qu’on pouvait obtenir desadditions analogues de metaux avec d’autresmolecules gazeuses incompletes, ce qu’il realisa en1894 avec son eleve Jean-Baptiste Senderens, quiavait soutenu deux ans auparavant une these intit-ulee Action du soufre sur les oxydes et les sels enpresence d’eau [3].

En employant le peroxyde d’azote, ces deuxchercheurs decouvrent les « metaux nitres » (ou nitro-syles), assez comparables aux metaux carbonyles [4].Il s’agit la des reactions charnieres entre les premierstravaux de Paul Sabatier et ceux concernant lacatalyse.

Ces resultats s’inscrivent dans une demarche gen-erale au cours de laquelle furent realisees des reac-tions entre les oxydes de l’azote et differents metaux(Cu, Co, Ni, Fe) obtenus par reduction de leursoxydes.

C’est alors que Paul Sabatier eut l’idee d’utiliser dela meme maniere les hydrocarbures insatures qui,d’apres lui, pourraient se fixer sur les metaux.Cependant, en 1896, Moissan et Moureu avaient dejatente la synthese de tels composes d’addition,l’acetylene prepare par Moissan a partir du carburede calcium etant l’exemple meme de ces composesinsatures. En dirigeant l’acetylene sur des metauxreduits (nickel, cobalt ou fer), ils avaient observe uncomportement differents de celui qu’ils attendaient[5], ce que Sabatier devait, plus tard, decrire de lamaniere suivante : « L’acetylene dirige a froid sur dunickel, du cobalt, du fer, recemment reduits, ou biensur du noir de platine, se detruit aussitot avec unevive incandescence au contact des metaux. On cons-

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tate un depot volumineux de charbon, en memetemps qu’un degagement de gaz que Moissan crutetre de l’hydrogene, et une formation de produitsliquides qui lui parurent etre du benzene accompa-gne d’autres carbures aromatiques ».

Apres avoir pris contact avec Moissan et recu decelui-ci l’autorisation de reprendre ses travaux, PaulSabatier et Senderens se livrerent a un premier essaianalogue avec l’ethylene. Ils observerent, commeleurs predecesseurs avec l’acetylene, que ce gaz,dirige a 300 °C sur du Ni, du Co ou du Fe recemmentreduits, provoquait lui aussi une vive incandescence,avec accompagnement d’un depot volumineux denoir de fumee, mais... l’analyse precise des gaz mon-tra que ceux-ci contenaient de l’ethane [6]. Les au-teurs emirent alors l’hypothese que l’ethylene sedetruisait sur le metal en liberant de l’hydrogene enmeme temps que le carbone se deposait.

Pour verifier cette hypothese, ils recommencerentcette experience, mais en ajoutant de l’hydrogene aucourant gazeux d’ethylene : sur nickel reduit, ilsobservaient ainsi la facile transformation de l’ethy-lene en ethane [7]. Des lors commencerent toute uneserie de travaux fameux qui devaient conduire nonseulement a une methode generale d’hydrogenationcatalytique, mais encore a une meilleure connais-sance des phenomenes catalytiques. En 1900, ilsreussirent la transformation du benzene en cyclohex-ane par l’hydrogene sur nickel reduit, a 180 °C [8].Cette reussite sensationnelle permettait enfin l’accesaux cyclanes, et cela sans isomerisation ni polymeri-sation [9, 10]. En effet, la methode de Berthelot apartir de l’acide iodhydrique, « agent universel d’hy-drogenation », conduisait essentiellement, depuis lebenzene, au methylcyclopentane. Lorsque Sabatierpresenta ce resultat devant la section toulousaine dela societe chimique de France, il termina son exposepar cette phrase : « plus de tube scelle, plus d’œilcreve ! » ; en effet, l’hydrogenation par HI se faisaiten tube scelle et, les explosions etant frequentes dufait du peu de fiabilite du verre de l’epoque,plusieurs chimistes avaient perdu un œil dans cesconditions.

Les decouvertes se succedent alors a grandrythme : hydrogenation de derives nitres [11], syn-these du methane a partir des oxydes de carbone[12], syntheses de derives fonctionnels du cyclohex-ane [13–15].

Depuis 1904, l’abbe Senderens ayant accepte unechaire de chimie a l’Institut catholique de Toulouse,c’est avec Alphonse Mailhe que tous ces travaux ontete poursuivis. Auteur d’environ 150 publications, etd’un ouvrage celebre traduit dans plusieurs langues

[16], Paul Sabatier cessa pratiquement de publier vers1921.

Outre l’interet synthetique de la decouverte del’hydrogenation catalytique, il convient d’insister surl’apport fondamental de Paul Sabatier a la compre-hension de la catalyse. Plusieurs faits meritent d’etrereleves : il s’agit tout d’abord d’une hypothese hardieconcernant l’explication des phenomenes cataly-tiques. A Cincinnati, en 1926, lors d’un expose quiavait pour titre How I have been led to the directhydrogenation method by metallic catalysts [17], ils’exprimait ainsi : « Mes idees sur le mecanisme desactions catalytiques en general – quelle que puisseetre leur nature – etaient tres differentes de cellesusuellement admises et je le devais certainement al’influence de mon maıtre, Berthelot. Je pensais, et jepense encore, que dans tous les cas, le catalyseurparticipe a la reaction par lui-meme, ou par un deses derives, en donnant un produit transitoireinstable. »

Cette hypothese « chimique » de la formation decomposes intermediaires instables dans les reactionsd’hydrogenation sur les metaux a ete emise tres totpar Sabatier et Senderens. Elle les a conduits ageneraliser l’origine des phenomenes a toute formede catalyse (heterogene, homogene, biologique) et aimaginer la possibilite de realiser des reactions in-verses sur un meme catalyseur, toutes choses quePaul Sabatier a decrites plus tard dans une noteparue au debut de 1927 [18] : « Les phenomenes de lacatalyse peuvent etre facilement interpretes par laformation, a partir du catalyseur et de l’un desconstituants de systeme transformable, d’un com-pose temporaire, produit tres vite et reagissant aussi-tot avec les autres facteurs du systeme, en regenerantle catalyseur, qui recommence indefiniment le memeeffet. Cette explication s’applique aussi bien auxcatalyses en systeme homogene qu’a celles realiseespar des solides pulverulents, la formation temporaireetant peut-etre, dans ce dernier cas, au lieu d’uncompose defini, une adsorption des moleculesgazeuses par la surface des grains du catalyseur,correlative a la separation des ions de cesmolecules... Quoi qu’il en soit, qu’il s’agisse d’uneveritable combinaison ou seulement d’un supportd’activation des molecules, on peut prevoir que cetteformation intermediaire fournie par le catalyseur serageneralement identique pour les deux reactions in-verses fournies par le systeme chimique, et que parconsequent les catalyseurs seront frequemment ca-pables d’agir sur ce systeme en deux sens opposes,selon les conditions ou l’on se place. »

Ainsi, la reaction d’hydrogenation du benzene estaisee et rapide entre 150 et 230 °C, mais a 250 °Ccommence la reaction inverse.

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Avec Alphonse Mailhe, Paul Sabatier avait abordeles catalyses par les oxydes metalliques [19] ; certainsetaient de bons catalyseurs de deshydrogenation etd’autres des deshydratants. La theorie de l’inversiondes reactions catalytiques les a conduits a faire despremiers des catalyseurs d’hydrogenation et des sec-onds des catalyseurs d’hydratation.

Autre constatation resultant de cette hypothese :lors de la formation et l’hydrolyse des esters, reac-tions equilibrees, le role du catalyseur est clairementdefini [20] : « la valeur de la limite n’est pas affecteepar la presence du catalyseur, qui a seulement poureffet d’accroıtre fortement la vitesse avec laquellecette limite est atteinte ».

Enfin, le caractere general de la catalyse est sievident a notre savant qu’il n’hesite pas a appeler sesmetaux catalyseurs des « ferments mineraux » paranalogie avec les « ferments » biologiques [21]. Laencore, ce qui s’applique aux uns s’appliquera auxautres, par exemple le role des « poisons » : « Commeles ferments organises, qui sont tues par des dosesinfinitesimales de certains toxiques, le ferment min-eral qu’est le metal est tue par des traces de chlore,de brome, d’iode, de soufre, d’arsenic, soit qu’elleslui viennent par l’hydrogene, soit qu’elles lui soientapportees par la substance qui doit subir l’hydro-genation. Ainsi le benzene, qui renferme des dosesminimes de thiophene, ne peut etre hydrogene parle nickel. »

Paul Sabatier a-t-il decouvert la catalyse ? Non,bien sur, d’autres avant lui avaient decrit ce phe-nomene, mais, par la mise en evidence des propri-etes des metaux communs capables de produire deshydrogenations et des deshydrogenations, par sesetudes sur les proprietes catalytiques des oxydes,sulfures et halogenures metalliques, et surtout parses hypotheses sur la theorie de la catalyse, ce savantdiscret et modeste a ete, sans aucun doute, a l’ori-gine du grand developpement de nombreuses reac-tions industrielles.

Tres attache qu’il etait a sa region qu’il n’a jamaisvoulu quitter, l’Academie des sciences a du creer despostes de membres non residents pour l’accueillir enson sein. Toulouse lui a toujours temoigne admira-tion et reconnaissance. Elu mainteneur en 1909 al’Academie des jeux floraux, vieille de plus de sixsiecles, il prit cette admission comme un temoignagede sympathie au regionaliste qu’il etait, mais aussicomme un temoignage que « la science et la poesiene sont point ennemies ». Il en eut une autre preuveen 1913 lors d’une ceremonie toulousaine ou lerecteur Paul Lapie prononca les paroles suivantes,fidelement rapportees dans l’excellent livre de Bruno

Wojckowiak [22] : « Qu’est-ce que la catalyse, lamethode favorite de M. Sabatier ?, disait-il. C’est lasynthese par laquelle deux corps n’ayant pas spon-tanement l’un pour l’autre une tres grande affiniteconsentent a s’unir lorsqu’un metal preside a leurmariage. Que certains metaux exercent cettecurieuse magistrature, on le savait avant M. Sabatier.Mais on n’avait guere assiste a la ceremonie quedans des cas ou l’un des epoux etait de l’oxygene. Lesavant toulousain a montre que l’hydrogene peutjouer le meme role et il a determine avec precisionles conditions dans lesquelles il s’y prete [...].Puisque le nickel, par exemple, est indispensable ala combinaison de l’acetylene et de l’hydrogene, ilfaut supposer que le nickel commence par attirerl’hydrogene, mais que l’hydrogene capricieux romptbientot avec le metal pour s’unir a l’acetylene. Lesyeux n’apercoivent, sous la presidence d’un metalpassif, qu’une combinaison ; l’esprit ne peut expli-quer les faits que par deux mariages separes par undivorce […]. Merveilleuse est la fecondite de cetteidee, elle est une source inepuisable de phenomenesnouveaux… les corps engendres, on peut lescompter par centaines. »

References

[1] Sabatier P., Recherches thermiques sur les sulfures, theseno 445, Paris, 1880.

[2] Mond L., Langer C., Quincke F., J. Chem. Soc. 57 (1890) 749.[3] Senderens J.-B., Action du soufre sur les oxydes et les sels en

presence d’eau, these no 19, Toulouse, 1892.[4] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 115 (1892)

236.[5] Moissan H., Moureu C., C. R. Acad. Sci. Paris 122 (1896) 1240.[6] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 124 (1897)

363.[7] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 124 (1897)

1358.[8] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 132 (1901)

210.[9] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 132 (1901)

566.[10] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 132 (1901)

1254.[11] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 135 (1902)

225.[12] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 134 (1902)

689.[13] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 137 (1903)

1025.[14] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 138 (1904)

245.[15] Sabatier P., Senderens J.-B., C. R. Acad. Sci. Paris 138 (1904)

457.[16] Sabatier P., La catalyse en chimie organique, in : Encyclope-

die de Science Chimique Appliquee, Editions Beranger, Paris,1913, 2e edition, 1920.

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[17] Sabatier P., Industrial and Engineering Chemistry 18 (1926)1005.

[18] Sabatier P., C. R. Acad. Sci. Paris 185 (1927) 17.[19] Sabatier P., Mailhe A., C. R. Acad. Sci. Paris 146 (1908) 1376 ;

ibid. 147 (1908) 16 ; ibid. 147 (1908) 106.[20] Sabatier P., Mailhe A., C. R. Acad. Sci. Paris 152 (1914)

494.[21] Cite par Naves Y.R, Centenaire Paul Sabatier 1854–1954,

Editions E. Privat, Toulouse, 1956.[22] Wojtkowiak B., Paul Sabatier, un chimiste independant, Edi-

tions Jonas, Elbeuf-sur-Andelle, 1989.

On lira egalement avec profit les raresbiographies de Paul Sabatier

[1] Babonneau L., Genies occitans de la science, 1947, EditionsE. Privat, Toulouse

[2] Partington J.R., Paul Sabatier, Nature 174 (1954) 859.[3] Nye M.J., Paul Sabatier, in : Dictionary of Scientific Biogra-

phy, XII, 1975, p. 46.[4] Nye M.J., Science in the provinces, University of California

Press, 1986, p. 117.

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