SAINTE ROSE PHILIPPINE DUCHESNE : LA...

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1 CATHÉDRALE NOTRE-DAME GRENOBLE, France 12 novembre 2011 SAINTE ROSE PHILIPPINE DUCHESNE : LA PREMIÈRE ET LA NOUVELLE ÉVANGELISATION Introduction C’est pour moi une source de très profonde joie de venir à Grenoble, où Sainte Rose Philippine Duchesne est née, a été baptisée et a grandi jusquà lâge adulte au sein de lEglise, et où elle a entendu et répondu à lappel de la vie religieuse. Je suis particulièrement heureux de pouvoir installer demain une relique de première classe de sainte Rose Philippine dans la Collégiale Saint- André, léglise de son quartier, dans laquelle elle a fréquemment assisté à la messe et prié devant le tabernacle. Jexprime mes sincères remerciements à Son Excellence Monseigneur Guy de Kérimel pour son invitation à venir donner cette conférence sur la sainteté de vie héroïque de sainte Rose Philippine Duchesne, qui a établi un lien durable entre les villes de Grenoble et de Saint Louis, dans l’État du Missouri aux États-Unis dAmérique, dont je fus lArchevêque. Je suis profondément reconnaissant pour lhospitalité chaleureuse de Monseigneur Guy de Kérimel. Je remercie également le chanoine Jean-Paul Trézières, de lInstitut du Christ Roi Souverain Prêtre, Chapelain de la Collégiale Saint-André, qui fut le premier à demander la relique de sainte Rose Philippine et qui inspira ce qui est pour moi un pèlerinage à Grenoble, cest-à-dire un pèlerinage sur les lieux sanctifiés par la vie de notre sainte. Je suis également honoré de la présence de Monseigneur Gilles Wach, Prieur Général de lInstitut du Christ Roi Souverain Prêtre, et de tant de membres de lInstitut. Je prie pour que, par lintercession de sainte Rose Philippine Duchesne, Notre Seigneur accorde beaucoup de bénédictions à lÉglise dans le diocèse de Grenoble et à lapostolat de lInstitut. Sainte Rose Philippine Duchesne naquit le 29 août 1769 à Grenoble et mourut le 18 novembre 1852 à Saint Charles, dans le Missouri, dans larchidiocèse de Saint-Louis, dont jai eu la grâce dêtre l’archevêque du 2 décembre 2003 au 27 juin 2008. Elle a été béatifiée le 12 mai 1940 par le Vénérable Pape Pie XII 1 et canonisée le 3 juillet 1988 par le Bienheureux Pape Jean-Paul II. 2 1 Pius PP. XII, Litterae Apostolicae, I, “Venerabilis Dei Famula Philippina Duchesne, e Societate Sororum a Sacro Corde Iesu, beata renuntiatur,” die 12 Maii 1940, Acta Apostolicae Sedis 32 (1940), pp. 348-354.

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CATHÉDRALE NOTRE-DAME

GRENOBLE, France

12 novembre 2011

SAINTE ROSE PHILIPPINE DUCHESNE :

LA PREMIÈRE ET LA NOUVELLE ÉVANGELISATION

Introduction

C’est pour moi une source de très profonde joie de venir à Grenoble, où Sainte Rose

Philippine Duchesne est née, a été baptisée et a grandi jusqu’à l’âge adulte au sein de l’Eglise, et où

elle a entendu et répondu à l’appel de la vie religieuse. Je suis particulièrement heureux de pouvoir

installer demain une relique de première classe de sainte Rose Philippine dans la Collégiale Saint-

André, l’église de son quartier, dans laquelle elle a fréquemment assisté à la messe et prié devant le

tabernacle.

J’exprime mes sincères remerciements à Son Excellence Monseigneur Guy de Kérimel pour

son invitation à venir donner cette conférence sur la sainteté de vie héroïque de sainte Rose

Philippine Duchesne, qui a établi un lien durable entre les villes de Grenoble et de Saint Louis, dans

l’État du Missouri aux États-Unis d’Amérique, dont je fus l’Archevêque. Je suis profondément

reconnaissant pour l’hospitalité chaleureuse de Monseigneur Guy de Kérimel. Je remercie

également le chanoine Jean-Paul Trézières, de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, Chapelain

de la Collégiale Saint-André, qui fut le premier à demander la relique de sainte Rose Philippine et

qui inspira ce qui est pour moi un pèlerinage à Grenoble, c’est-à-dire un pèlerinage sur les lieux

sanctifiés par la vie de notre sainte. Je suis également honoré de la présence de Monseigneur Gilles

Wach, Prieur Général de l’Institut du Christ Roi Souverain Prêtre, et de tant de membres de

l’Institut. Je prie pour que, par l’intercession de sainte Rose Philippine Duchesne, Notre Seigneur

accorde beaucoup de bénédictions à l’Église dans le diocèse de Grenoble et à l’apostolat de

l’Institut.

Sainte Rose Philippine Duchesne naquit le 29 août 1769 à Grenoble et mourut le 18

novembre 1852 à Saint Charles, dans le Missouri, dans l’archidiocèse de Saint-Louis, dont j’ai eu la

grâce d’être l’archevêque du 2 décembre 2003 au 27 juin 2008. Elle a été béatifiée le 12 mai 1940

par le Vénérable Pape Pie XII1 et canonisée le 3 juillet 1988 par le Bienheureux Pape Jean-Paul II.

2

1 Pius PP. XII, Litterae Apostolicae, I, “Venerabilis Dei Famula Philippina Duchesne, e Societate Sororum a Sacro

Corde Iesu, beata renuntiatur,” die 12 Maii 1940, Acta Apostolicae Sedis 32 (1940), pp. 348-354.

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Le Bienheureux Pape Jean-Paul Deux a commencé le Décrétale par lequel il déclara la

sainteté de sainte Rose Philippine Duchesne avec des mots du décret Ad Gentes, sur l’activité

missionnaire de l’Église : « Les instituts religieux, de vie contemplative et active, ont eu jusqu’ici et

ont une très grande part dans l’évangélisation du monde »3. Parlant des « multitudes innombrables

de religieuses qui, souvent secrètement et avec un grand esprit d’abnégation, ont vécu leur don total

d’amour au Christ par un infatigable service missionnaire »,4 le bienheureux Pape a déclaré que

Rose Philippine Duchesne est « comptée à juste titre au nombre de ces saintes religieuses qui nous

ont laissé un exemple splendide de la vie et de l’esprit missionnaire »5.

À l’heureuse occasion de ma visite à Grenoble, ville natale de sainte Rose Philippine

Duchesne, pour installer dans la Collégiale Saint-André une relique, en tant qu’Archevêque émérite

de Saint Louis, où sainte Rose Philippine s’est rendue de Grenoble pour s’acquitter de son travail

héroïque de missionnaire, je souhaite réfléchir avec vous sur sa vie comme une expression de la

première évangélisation des États-Unis d’Amérique et comme une source d’inspiration pour la

nouvelle évangélisation de ses deux patries : de la France (son pays natal) et des Etats-Unis (sa

patrie missionnaire). J’espère que cette réflexion inspirera la prière, pour obtenir par son

intercession la grâce de réaliser les travaux de la nouvelle évangélisation, et l’imitation de son

exemple héroïque dans l’œuvre difficile de l’évangélisation de notre culture, partout sécularisée.

Les racines de la vie et de l’esprit missionnaire

La vie et l’esprit missionnaire qui ont animé héroïquement sainte Rose Philippine aux Etats-

Unis, dans la première évangélisation de la population, notamment des Indiens d’Amérique, ont été

reçus dans l’Eglise domestique du foyer familial, situé au numéro quatre de la Grande Rue, et dans

l’Eglise particulière de Grenoble, à la fin du 18ème siècle. Le jour de son baptême dans l’église

Saint-Louis-de-France fut le 8 septembre 1769, en la fête de la Nativité de Notre Dame. Ses parents,

Pierre-François Duchesne et Rose-Euphrosine Périer, lui ont donné le nom de Rose Philippine,

invoquant le patronage de sainte Rose de Lima et de l’Apôtre saint Philippe.

2 Ioannes Paulus PP. II, Litterae Decretales “Beatam Rosam Philippinam Duchesne Sanctam esse decernitur et

definitur,”die 3 Iulii 1988, Acta Apostolicae Sedis 83 (1991), pp. 537-539. 3 “Instituta religiosa, vitae contemplativae et activae, maximam hucusque partem in mundi evangelizatione habuerunt et

habent.” Sacrosanctum Concilium Oecumenicum Vaticanum II, Decretum Ad Gentes, “De activitate missionali

Ecclesiae,” 7 Decembris 1965, Acta Apostolicae Sedis 58 (1966), p. 987, n. 40. Traduction française sur :

http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_decree_19651207_ad-gentes_fr.html 4 “innumeras religiosarum multitudines quae, saepe secreto et magno cum abnegationis spiritu, totam suam Christo

donationem amoris exercuerunt per indefatigabile missionale servitium.” Ioannes Paulus PP. II, Litterae Decretales

“Beatam Rosam Philippinam Duchesne Sanctam esse decernitur et definitur,” 3 Iulii 1988, Acta Apostolicae Sedis 83

(1991), p. 537. [LDCan]. Traduction française par l’auteur. 5 “[i]n eiusmodi sanctarum religiosarum numero, quae fulgidum nobis reliquerunt vitae et spiritus missionalis

exemplum, iure habenda est.” LDCan, p. 537. Traduction française par l’auteur.

3

Le jour de son baptême, elle a reçu la vie dans le Christ au sein de l’Eglise. La semence de la

vie du Christ dans son âme a mûri, au fil des années, jusqu’à la réponse à Son appel à la vie

religieuse : appel à donner totalement sa vie au Christ par amour, comme épouse. Comme l’a fait

remarquer son biographe, Mère Louise Callan, une de ses filles spirituelles en Amérique, les

particularités de son baptême semblent providentielles6. Comme l’Apôtre saint Philippe, sainte

Rose Philippine, entrant dans l’âge adulte, répondra à l’appel de Notre Seigneur : «Venez et

voyez »7. Comme chez sainte Rose de Lima, la pleine floraison de sa vocation aura lieu en

Amérique. Enfin, elle a été baptisée dans l’église Saint-Louis-de-France, et la ville portant le même

nom dans l’État du Missouri deviendra le lieu où elle exercera sa mission religieuse.

Une fois introduite à la vie dans le Christ par le sacrement du Baptême, sa famille, avec

plusieurs tantes, oncles et cousins, l’ont aidée à grandir dans la connaissance, l’amour et le service

du Christ. Les deux familles Duchesne et Périer étaient connues pour leur « foi religieuse, leur

intégrité personnelle et leur force de caractère »8. Le nom "Duchesne", avec sa référence au chêne,

arbre puissant, dénote la détermination dont la sainte a fait preuve devant de grandes oppositions,

détermination héritée de sa famille paternelle. En effet, la foi de sainte Rose Philippine Duchesne a

été mise à l’épreuve quand de graves difficultés touchèrent sa France natale, ce pays où elle a

entendu pour la première fois l’appel de Dieu à la vie consacrée et où elle l’a embrassée avec toute

la force et toute la détermination dont son nom était un présage. Elle fut en effet un puissant chêne

spirituel, qui résista à de nombreux et violents orages, en servant Notre Seigneur de tout son cœur.

De sa mère et de la famille Périer, elle hérita d’une foi catholique profonde, fondée sur la saine

doctrine et nourrie par la prière quotidienne, la dévotion, la participation au Saint Sacrifice de la

Messe et la fréquentation régulière du sacrement de Pénitence.

Une de ses épreuves majeures, qui l’a affligée dès le début et tout au long de sa vie, a été la

fascination de son père pour la philosophie de Voltaire et pour la franc-maçonnerie. Bien qu’il fût

élevé dans une famille catholique dévote, Pierre-François Duchesne a été séduit par le rationalisme

qui relègue la foi religieuse au dernier plan, comme une question totalement subjective, sans aucun

fondement objectif, ou soi-disant scientifique. Il avait, en fait, deux sœurs qui étaient religieuses au

monastère de la Visitation de Romans9. Quand Rose Philippine grandit en âge, elle comprit, avec

une grande tristesse, que son père s’était dévié de la foi catholique. Cependant elle ne cessa jamais

de l’aimer et de prier pour lui. Pour sa part, même s’il s’opposa fortement à l’attrait de sa fille pour

la vocation à la vie consacrée, il finit par consentir à son entrée au monastère de la Visitation de

6 Cf. Louise Callan, R.S.C.J., Philippine Duchesne : Frontier Missionary of the Sacred Heart 1769-1852, Westminster,

Maryland: The Newman Press, 1957, pp. 14-15. [Hereafter, Callan]. 7 Jn 1:39.

8 “religious faith, personal integrity, and strength of character.” Callan, p. 14. Traduction française par l’auteur.

9 Cf. Callan, pp. 19-20.

4

Sainte-Marie-d’en-Haut. Sa mère demeura un exemple pour elle, dans ce double sentiment de

regretter de plus en plus le rationalisme athée de son père et, à la fois, de l’aimer d’autant plus. Bien

qu’il ait été pris dans l’ensemble du mouvement philosophique et populaire qui a conduit à la

Révolution, son père manifesta à la fin de sa vie du respect pour la foi dans laquelle il avait été

élevé. Il fut, sans aucun doute, beaucoup aidé par les prières de sa sainte fille.

Son caractère contemplatif

Dès son enfance, sainte Rose Philippine Duchesne a manifesté un caractère d’un aspect à la

fois fortement actif et contemplatif. Alors qu’elle était connue pour sa volonté forte et pour sa

conversation gaie, elle a ressenti également, dès ses premières années, un désir constant de passer

du temps seule, dans la prière et la méditation. Elle cherchait régulièrement dans sa vie quotidienne

des moments calmes de réflexion, au cours desquelles elle goûtait la communion avec Notre

Seigneur par la prière et la dévotion. Elle aimait, par exemple, passer des heures en prière devant le

Très Saint Sacrement dans le tabernacle. Dans le monastère de Sainte-Marie-d’en-Haut, après une

journée bien remplie d’activités diverses, elle avait l’habitude de demander à sa supérieure la

permission de passer une heure en prière devant le tabernacle. Son biographe écrivait, au sujet de

son amour pour l’adoration eucharistique silencieuse :

Ceux qui ont vécu avec elle à Sainte-Marie savaient toujours quand elle avait obtenu

la permission [pour passer une heure supplémentaire de prière avant de se retirer],

car si radieux était son sourire, si légère son allure lorsqu’elle passait dans le couloir

pour trouver sa place préférée au chœur devant le tabernacle. Elle y trouvait le repos

dans la prière. Parfois, oublieuse de tout sauf de la présence divine à l’autel, elle

passait une grande partie de la nuit, voire sa totalité, en adoration silencieuse, à

genoux, immobile, véritablement perdue en Dieu10

.

À aucun moment de sa vie elle n’a abandonné l’habitude de passer des heures en prière devant le

Saint-Sacrement.

Ce fut après la fondation par sainte Madeleine-Sophie Barat du couvent de sa nouvelle

congrégation religieuse dans ce qui avait été le Monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-

Haut qu’a eu lieu l’incident bien connu causé par ses périodes prolongées de prière immobile.

Louise de Vidard, une des élèves de sainte Rose Philippine à Sainte-Marie, qui est devenue plus

10

“Those who lived with her at Sainte Marie always knew when she had obtained the permission [to spend an extra

hour of prayer before retiring], so radiant was her smile, so light her step, as she passed down the corridor to her

favorite place in the choir before the tabernacle. There she found rest in prayer. Sometimes, forgetful of all but the

divine Presence on the altar, she spent a great part of night, even the whole of it, in silent adoration, kneeling

motionless, truly lost in God.” Callan, pp. 35-36. Traduction française par l’auteur.

5

tard une des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus, décrivant l’exemple puissant de sainte Rose

Philippine, rappelle l’incident :

[La Mère Duchesne] nous a appris à offrir toutes nos actions à Dieu, nous conseillant

d’apprendre à utiliser les prières composées par Mère Marie de l’Incarnation, et par

ce moyen, elle nous a conduit progressivement à la dévotion au Sacré-Cœur. Ses

paroles avaient d’autant plus d’influence sur nous qu’elles étaient accompagnées par

une si grande vertu. Un ange en adoration dans l’église ne nous aurait pas

impressionnées plus, tellement elle était attentionnée et recueillie dans la prière. A

genoux sur le sol, droite et sans appui, les mains jointes, elle restait immobile

pendant des heures. On sentait la présence de Dieu en elle. Outre les heures saintes

de prière nocturne, habituelle chez elle, elle passait chaque année toute la nuit du

Jeudi au Vendredi Saint ravie en adoration devant le Saint Sacrement. Aloysia

Rambaud, qui la voyait souvent à la chapelle encore à dix heures du soir, et qui la

trouvait à la même place dans la matinée, coupa un jeudi soir des petits morceaux de

papier et les jeta sur la jupe de la robe de la mère Duchesne avant de se retirer. « Si

elle se déplace », fit-elle remarquer ouvertement, un brin espiègle, « les papiers me le

diront ». Se hâtant à la chapelle tôt vendredi matin pour recueillir les preuves, elle

trouva la bonne Mère dans la même posture, les morceaux de papier exactement là

où elle les avait mis, preuve que la mère avait passé toute la nuit immobile. Il est

facile de comprendre pourquoi nous la considérions sainte11

!

Il ne fait aucun doute qu’à partir d’un âge très précoce, sainte Rose Philippine cultivait une relation

très intime avec Notre Seigneur. Pour elle, il ne pouvait y avoir rien de plus souhaitable que de

passer du temps en sa présence eucharistique, s’entretenant avec Lui et contemplant le grand

Mystère de la Foi, le mystère de son amour incommensurable et sans fin envers l’humanité.

Lorsque, sous sa direction, durant les premières années de son activité missionnaire aux

États Unis, le couvent historique Saint-Ferdinand a été construit dans la ville de Florissant, dans le

Missouri, elle se choisit comme chambre un petit espace sous la cage d’escalier menant au premier

11

“[Mother Duchesne] taught us to offer all our actions to God, suggesting that we learn to use the prayers composed

by Mother Marie of the Incarnation, and by this means she gradually led us to devotion to the Sacred Heart. Her words

had all the more influence with us because they were accompanied by such great virtue. An angel in adoration in the

church would not have impressed us more, so reverent and recollected was she at prayer. Kneeling on the floor, upright

and without support, hands clasped, she remained motionless for hours. One felt the presence of God in her. Besides the

holy hours of prayer at night, which were the ordinary thing with her, each year she spent the entire night of Holy

Thursday to Good Friday rapt in adoration before the Blessed Sacrament. Aloysia Rambaud, who often noticed her in

the chapel as late as ten o’clock in the evening, and found her in the same place next morning, cut tiny bits of paper one

Thursday night and dropped them on the skirt of Mother Duchesne’s dress before retiring. ‘If she moves,’ the little imp

remarked covertly, ‘the papers will tell me so.’ Hurrying to the chapel early Friday morning to gather evidence, she

found the good Mother in the same posture, the papers undisturbed, so the whole night had been spent motionless. It is

easy to understand why we considered her a saint.” Callan, p. 146. Traduction française par l’auteur.

6

étage du couvent. Le petit espace en question était situé directement en face de la porte de la

chapelle. En fait, de sa chambre sous l’escalier, elle pouvait voir le tabernacle et les autres sœurs

comprirent immédiatement la raison de sa demande inhabituelle, à savoir, le désir d’être

physiquement le plus proche possible de son Seigneur eucharistique.

Lorsque, durant les dernières années de sa vie, lui a finalement été accordée la permission de

rejoindre les sœurs qui ouvraient la mission chez les Indiens Potawatomi à Sugar Creek, dans le

Kansas, elle savait que son âge et ses infirmités physiques ne lui permettraient pas d’apprendre la

langue des Indiens ni de supporter les tâches physiques plus exigeantes de l’enseignement des

enfants et le soin des malades. Elle rejoignit tout de même ses Sœurs pour donner sa vie dans la

prière pour elles et pour les Indiens auprès desquels elles exerçaient leur apostolat. Les Indiens,

même s’ils ne pouvaient pas communiquer avec elle par des mots, ont été profondément émus par

les heures qu’elle passait dans la prière devant le Saint Sacrement. En fait, ils lui donnèrent le nom

de Quah-kah-ka-num-ad, « Femme-qui-prie-toujours »12

.

Son esprit profondément contemplatif s’exprime dans une prière qu’elle avait écrite, au

début de sa vie religieuse, et qui a inspiré toute sa vie jusqu’à la fin :

O mon Dieu, je désire vivre comme une victime offerte dans un esprit de pénitence et

d’amour. Alors laissez-moi préparer tout ce qui est nécessaire pour un sacrifice

d’amour dont le parfum s’élèvera, jusqu’au Cœur même de Jésus. Que mon être tout

entier soit la victime, tout ce que je suis et tout ce que j’ai. Que mon propre cœur soit

l’autel, ma séparation d’avec le monde et tous les plaisirs terrestres le couteau

sacrificiel. Que mon amour soit un feu dévorant, et mon désir la brise qui l’attise.

Que j’y verse dessus l’encens et les parfums de toutes les vertus, et que j’apporte à ce

sacrifice mystique tout ce à quoi je suis attachée, pour que j’offre tout, brûle tout,

consomme tout, ne gardant rien pour moi-même. O divin amour, mon Dieu, acceptez

ce sacrifice que je désire Vous offrir à chaque instant de ma vie13

.

Le caractère extraordinaire de sa prière contemplative, qui était vraiment l’union de son cœur avec

le Cœur Sacré de Jésus, fut la source irremplaçable et l’aliment de toute sa vie, offerte

quotidiennement au Christ par amour.

12

“Quah-kah-ka-num-ad -- Woman-who-prays-always !” Cf. Callan, p. 652. Traduction française par l’auteur. 13

“O my God, I desire to live as a victim offered in a spirit of penance and love. Then let me prepare all that is needed

for a sacrifice of love whose perfume will rise even to the Heart of Jesus. May my whole being be the victim, all that I

am and all that I have. May my own heart be the altar, my separation from the world and all earthly pleasures the

sacrificial knife. May my love be the consuming fire, and my yearning desires the breeze that fans its. Let me pour on it

the incense and perfume of all virtues, and to this mystical sacrifice let me bring all that I cling to, that I may offer all,

burn all, consume all, keeping back nothing for self. O Divine Love, my very God, accept this sacrifice which I desire

to offer You at every instant of my life.” Callan, p. 719. Traduction française par l’auteur.

7

Son caractère actif

En ce qui concerne l’aspect actif de son caractère, sainte Rose Philippine lutta toute sa vie

contre une certaine impatience, irritabilité et hypersensibilité. Ces traits sont quelque peu

imputables à sa famille, surtout à son père, mais aussi aux luttes constantes et variées qu’elle

rencontra aussi bien à la maison que dans la société de son temps. À partir du moment où elle

entendit l’appel de notre Seigneur à la vie religieuse, elle rencontra l’opposition de sa famille. Puis,

une fois que sa famille avait consenti à sa vocation, la Révolution provoqua la fermeture du

monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut, dans lequel elle s’apprêtait à faire sa

première profession. Quand elle tenta de rouvrir le Monastère, elle fut confrontée à de nombreuses

épreuves, notamment des rumeurs et des critiques décourageantes, voire même nuisibles, de la part

de sa famille et de la communauté locale. Elle souffrait beaucoup de frustrations de ne pas pouvoir

répondre à son attrait toujours plus fort à la vie missionnaire.

Enfin, dans la dernière période de sa vie, elle vécut parmi les Indiens à la mission de Sugar

Creek, dans le Kansas, en offrant ce qui restait de ses forces, en particulier ses prières et sa

contemplation, pour leur salut et pour les intentions de ses sœurs qui travaillaient avec tant de

diligence au milieu d’eux. Mais, même alors, après seulement un an parmi les Indiens Potawatomi,

elle fut appelée à retourner au couvent de Saint Charles. Sa foi profonde, qui se manifeste dans un

abandon total à la Providence divine, se reflète dans son obéissant retour à Saint Charles, après

avoir passé seulement un an parmi les Indiens qu’elle avait tant désiré évangéliser. Elle écrivait :

Dieu sait les raisons pour lesquelles je fus rappelée… Je ne peux pas détourner mon

esprit des Indiens, mon ambition était de parvenir aux Rocheuses. Je ne peux

qu’adorer le plan de Dieu, qui me prive ainsi de ce que je désirais tant14

.

Ces paroles ont été écrites par une religieuse de soixante-douze ans dont le plus grand désir était,

dès les premières années de la vie religieuse, de devenir missionnaire auprès des Indiens de la

Nouvelle-France. En un an, à la mission de Sugar Creek, elle avait laissé la marque de sa maturité

spirituelle par la prière constante devant le Saint Sacrement et sa persévérance dans les missions,

malgré une santé en déclin. Ce sont les Indiens de Sugar Creek qui l’appelèrent la « Femme-qui-

prie-toujours ». Même si elle n’a jamais appris à parler leur langue, elle enseigna aux Indiens la

leçon la plus importante de la foi, c’est-à-dire de prier toujours et de persévérer dans la volonté de

Dieu en toutes choses.

14

“God knows the reasons why I am recalled… I cannot get my mind off the Indians; my ambition was to go to the

Rockies; I can only adore the plan of God, which thus deprives me of what I wanted so very much.” T. Gavan Duffy,

Heart of Oak: A Sketch of Philippine Duchesne, Florissant, Missouri: Friends of Old St. Ferdinand, Inc. 1988, p.19.

Traduction française par l’auteur.

8

Sa biographe, Mère Louise Callan, évoquant ses efforts pour établir un couvent de la

nouvelle fondation de Sainte Madeleine Sophie Barat dans l’ancien Monastère de la Visitation de

Sainte-Marie-d’en-Haut, commente :

Pourtant, on ne peut pas échapper à la conclusion que Philippine avait gravi le

chemin de la contemplation avant l’acquisition de ces habitudes de vertu qui sont

nécessaires pour stabiliser l’âme sur les marches inférieures de la vie quotidienne et

de l’activité apostolique. Impatiente, irritable, très sensible, elle avait désormais à

faire face et à reconnaître des pertes spirituelles douloureuses, survenues pendant ses

années en dehors du cloître. La douceur et l’humilité, qui constituent une partie si

distinctive de l’esprit des Visitandines, avaient subi une éclipse partielle dans son

âme. La lutte contre des circonstances si éprouvantes pour sa personne, l’opposition

qui utilisa tous les moyens pour la détourner de son but, et la persécution qui réveilla

son audace combative et son affirmation de soi : tout cela avait eu tendance à

développer le côté colérique de son caractère…15

.

Son amour toujours plus profond pour Notre Seigneur, en particulier sa dévotion à son Sacré-Cœur,

l’a aidée à maîtriser ces faiblesses qui, autrement, auraient entravé sa croissance dans les vertus.

En ce qui concerne la maîtrise de ses faiblesses, par-dessus tout, son irascibilité, Dieu lui a

fourni une aide remarquable dans la profonde amitié spirituelle qu’elle a formée avec sainte

Madeleine Sophie Barat. Sainte Madeleine-Sophie, qui avait la plus grande admiration et affection

pour sainte Rose Philippine, n’hésita pas à lui faire remarquer ses faiblesses et à l’encourager à les

corriger. À une occasion, sainte Madeleine-Sophie écrivit ces paroles à sa chère amie spirituelle et

co-fondatrice des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus :

J’ai eu deux lettres de vous, ma chère fille, dont la lecture m’a fait grand plaisir,

parce qu’en elles vous promettez que vous êtes une fois pour toutes résolue de

corriger vos fautes de caractère, pour l’amour de Notre Seigneur et afin de Lui plaire

et d’attirer des âmes à Lui. Nous avons un double objectif dans nos efforts : notre

propre perfection et le salut des âmes. Nous devons être saintes. Si vous saviez avec

quelle ardeur je désire cela pour vous, je crois que vous feriez les efforts nécessaires.

Mais si vous saisissez combien plus Notre Seigneur le désire, alors vous seriez

15

“Yet there is no escaping the conclusion that Philippine had climbed the path of contemplation before acquiring those

habits of virtue which are needed to steady the soul on the lower walks of daily life and apostolic activity. Impatient,

irritable, highly sensitive, she had now to face and recognize some of the acute spiritual losses she had sustained during

her years outside the cloister. The gentleness, sweetness, humility which form so distinctive a part of the Visitandine

spirit had suffered partial eclipse in her soul. The struggle against circumstances that were personally so trying,

opposition that used every means to divert her from her purpose, and persecution that roused her combative daring, self-

assertion, and independence, all this had tended to develop the irascible side of her character….” Callan, p. 121.

Traduction française par l’auteur.

9

effectivement fidèle à son appel… J’espère que l’aide que Notre Seigneur vous

fournit maintenant par le contact personnel avec une âme qu’il aime si tendrement [la

Mère Thérèse Maillucheau] brisera votre longue résistance et vous permettra de

rivaliser avec elle dans la vertu16

.

Sainte Rose Philippine a appris de sainte Madeleine-Sophie que le zèle pour l’apostolat ne

pouvait jamais excuser de demander la perfection de la charité dans sa propre vie. En étudiant la vie

de sainte Rose Philippine Duchesne, on ne peut pas manquer de remarquer comment la grâce de

Dieu était à l’œuvre dans son âme, lui révélant ses faiblesses et lui donnant la force de les surmonter

pour son propre salut et pour le salut de beaucoup d’autres. En fin de compte, sa vie profondément

contemplative lui a donné l’inspiration et la force pour croître dans la perfection des vertus

chrétiennes.

L’influence des Saints

Dès sa plus tendre enfance, Rose Philippine trouvait une joie particulière à lire les vies des

saints. Les histoires de la sainteté héroïque de la vie des saints la captivaient et inspiraient en elle un

fort désir de les imiter dans leur amour total pour le Christ. Parmi les saints, outre sa dévotion forte

et constante à la Bienheureuse Vierge Marie, Reine de Tous les Saints, elle était particulièrement

attirée par saint François Xavier, le premier missionnaire jésuite.

Il est important de remarquer comment sainte Rose Philippine mit toute sa vie, et en

particulier sa vocation, sous la protection de la Bienheureuse Vierge Marie. Pendant la période de

grande incertitude, après la suppression du monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut,

elle écrivait:

Dès l’âge de douze ans et quelques mois, quand Dieu me donna la grâce d’une

vocation religieuse, je crois que je n’ai jamais laissé passer un seul jour sans Le prier

pour qu’Il m’éclaire à ce sujet et m’y rende fidèle. Dès le début, je l’ai mise sous la

protection de la Sainte Vierge, et le Memorare était la prière préférée et continue que

je lui offrais17

.

16

“I have had two letters from you, my dear daughter, which I loved reading because in them you promise that once and

for all you are resolved to love our Lord and to correct your faults of character in order to please Him and to draw souls

to Him. We have a double purpose in our efforts: our personal perfection and the salvation of souls. We must be saints.

If you realized how ardently I desire this for you, I believe you would make the necessary efforts. But if you grasped

how much more our Lord desires it, … then you would indeed be faithful to His call…. I hope that the help our Lord

now provides for you through personal contact with a soul He loves so tenderly [Mother Thérèrse Maillucheau] will

break down your long resistance and enable you to rival her in virtue.” Callan, pp. 135-136. Traduction française par

l’auteur.

17

“From the time I was twelve years and some months old, when God bestowed upon me the grace of a religious

vocation, I believe I never let pass a single day without praying to Him to enlighten me about it and make me faithful to

10

Sa forte dévotion à saint Francis Xavier et à d’autres saints la mena toujours finalement à placer sa

confiance dans l’amour maternel de la Mère de Dieu, qui est le canal de toutes les grâces dans notre

vie.

Après son entrée au monastère de la Visitation, elle se familiarisa particulièrement avec la

vie des saints jésuites, car la congrégation religieuse des Visitandines suit la spiritualité de saint

Ignace de Loyola et d’autres écrivains spirituels jésuites. Au moment de la suppression des Jésuites,

trois jésuites sont venus vivre à la résidence de l’aumônier du monastère de la Visitation de Sainte-

Marie-d’en-Haut et, après leur mort, ont légué leur bibliothèque au monastère. Parmi ces livres se

trouvait le fameux et très populaire traité sur la vie spirituelle en trois volumes : Pratique de la

perfection chrétienne, du Père Jésuite Alonso Rodriguez (qui a vécu de 1538 à 1616)18

. Leur

bibliothèque contenait également de nombreuses biographies de saints jésuites et leurs écrits. Sainte

Rose Philippine fit bon usage de ces livres et avait l’habitude de raconter des histoires de saints

jésuites à ses consœurs à la récréation.

A propos de saint François Xavier, elle écrivait :

Pendant les deux années entières de mon noviciat, je n’ai lu que du Rodriguez, sans

jamais m’en lasser ; et quand nous nous réunissions après les vêpres, je racontais à

mes sœurs la vie de presque tous les saints de la Compagnie de Jésus. Celle de saint

François-Xavier m’a touchée le plus… J’ai aimé ses appels touchants aux écoles

européennes de lui envoyer des missionnaires. Combien de fois n’ai-je pas dit de lui

depuis lors, dans mon impatience, « Grand Saint, pourquoi ne m’avez-vous pas

appelée? Je répondrais immédiatement. » Il est le saint de mon cœur19

.

C’est sans doute la proximité spirituelle de saint Rose Philippine Duchesne avec saint François

Xavier qui inspira et renforça son désir de servir le Christ dans les missions, chez les immigrés

européens incultes et les Indiens païens, dans ce qui était appelé alors le Territoire de la Louisiane.

Elle développa également une forte dévotion à un autre saint jésuite, Jean-François Régis,

qui inspira en elle un intense désir de servir les pauvres. Saint Jean-François Régis, qui a vécu de

1597 à 1640, entra dans la Compagnie de Jésus et, à partir de 1632, a été un missionnaire

infatigable dans sa France natale. Il était surtout connu pour avoir fondé des œuvres pour aider les

it. From the beginning I put it under the protection of the Blessed Virgin, and the Memorare was my favorite and

continual prayer to her.” Callan, pp. 81-82. Traduction française par l’auteur. 18

Cf. “Rodriguez, Alonso,” Enciclopedia Cattolica, Vol. X, Città del Vaticano: Ente per l’Enciclopedia Cattolica e per

il Libro Cattolico, 1953, coll. 1083-1084. 19

“During two whole years of my novitiate I read only Rodriguez, without ever tiring of it; and when we assembled

after Vespers, I used to relate to my Sisters the lives of nearly all the saints of the Company of Jesus. That of St. Francis

Xavier appealed most strongly to me…. I loved his touching appeals to the European schools to send him missionaries.

How often have I not said to him since then, in my impatience, ‘Great Saint, why do you not call me? I would respond

at once.’ He is the saint of my heart.” Callan, p. 34. Traduction française par l’auteur.

11

femmes malheureuses et les nécessiteux, et pour préserver et renforcer la foi catholique, en

particulier par les confréries du Très Saint Sacrement20

.

Sainte Rose Philippine entendit parler de saint Jean François Régis après son entrée au

Monastère de la Visitation, dans lequel sa relique était vénérée. On lit qu’elle priait souvent devant

la relique, en demandant la grâce de suivre son exemple dans l’apostolat. Quand elle comprit

qu’elle devait rétablir le monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut, qui avait été

supprimé au moment de la Révolution, elle fit un pèlerinage au tombeau de saint Jean François

Régis à La Louvesc. Bien qu’elle trouvât son tombeau dans un état dévasté, elle fut profondément

émue par la méditation qu’elle fit de sa sainte vie et par sa prière invoquant son intercession.

D’une façon particulière, elle a été inspiré par « son zèle missionnaire, son apostolat parmi

les pauvres de toutes catégories, dans lesquels il ne voyait que des âmes pour qui Jésus-Christ était

mort »21

. Pendant les années de son travail de missionnaire dans le centre des États-Unis, sainte

Rose Philippine Duchesne a favorisé une forte dévotion à saint Jean François Régis. Grâce au

travail missionnaire de notre sainte, le diocèse américain de Kansas City-Saint-Joseph continue de

vénérer la mémoire de saint Jean François Régis, patron secondaire du diocèse.

Influence des visites de missionnaires à Grenoble

Outre la lecture des vies de saints, notre sainte manifestait une grande attention au

témoignage vivant de missionnaires français aux États-Unis, qui venaient à Grenoble en visite. Un

missionnaire français, en particulier le Père Jean-Baptiste Aubert, de la Compagnie de Jésus, rentra

des missions d’Amérique pour s’installer à Grenoble. Il avait travaillé dans les régions de l’Illinois

et du Missouri, celles-là mêmes dans lesquelles sainte Rose Philippine serait envoyée en mission. Je

cite son biographe, Mère Louise Callan :

[Le Père Aubert] parla de lieux aux noms les plus étranges - Kaskaskia, où il avait

signé le registre paroissial jusqu’en 1764 ; Cahokia, juste de l’autre côté du fleuve

par rapport à un comptoir qui sera appelé Saint-Louis de France ; et Michigamea,

avec sa mission saint François Xavier abandonnée depuis longtemps. Des noms

indiens étranges sortaient de ses lèvres, mais ses yeux étaient mélancoliques,

lorsqu’il parlait du travail laissé inachevé auprès des peuples des forêts d’Amérique,

et lorsqu’il parlait de l’héroïsme des Jésuites qui avaient donné leur sang dans le

martyre dans la grande vallée du Mississippi. Ses histoires venues des régions

20

Cf. “Giovanni Francesco Regis, santo,” Enciclopedia Cattolica, Vol. 6, Città del Vaticano: Ente per l’Enciclopedia

Cattolica e per il Libro Cattolico, 1951, coll. 627-628. 21

“his missionary zeal, his apostolate among the poor of all categories in whom he saw only souls for whom Jesus

Christ had died.” Callan, p. 60. Traduction française par l’auteur.

12

sauvages captivaient Philippine. Un désir inextinguible de consacrer sa vie à l’œuvre

missionnaire fut allumé dans son âme, ainsi qu’une détermination toujours plus

profonde de faire de grandes choses pour Dieu, qui la portera, au beau milieu de sa

vie, aux confins de la civilisation occidentale22

.

Le travail apostolique remarquable, et même héroïque, de nombreux missionnaires français de

l’époque, qui se consomma souvent par l’acte d’amour suprême, le martyre, inspira à sainte Rose

Philippine le désir de se joindre à eux.

Sainte Rose Philippine attribua son premier attrait à la vocation missionnaire au récit des

missionnaires en visite. En ce qui concerne l’influence du Père Aubert sur sa vocation, elle écrivait :

Mon premier enthousiasme pour la vie missionnaire fut éveillé par les récits d’un bon

père jésuite qui avait été dans les missions de Louisiane et qui nous racontait des

histoires sur les Indiens. J’avais à peine huit ou dix ans, mais déjà je considérais

comme un grand privilège le fait d’être missionnaire. J’enviais leurs travaux sans être

effrayé par le danger auquel ils étaient exposés, car je lisais à ce moment l’histoire de

martyrs qui m’intéressait beaucoup. Le même bon Jésuite était confesseur

extraordinaire au couvent dans lequel j’étais devenue élève. Je suis allé me confesser

à lui plusieurs fois et j’aimais sa manière simple et informelle de parler, manière

qu’il avait utilisée avec les sauvages. Depuis ce temps, les mots Propagation de la

Foi et Missions Étrangères, ainsi que les noms des prêtres et des religieux qui étaient

envoyées dans ces régions lointaines, firent tressaillir mon cœur23

.

En écoutant les histoires du Père Aubert et d’autres missionnaires en visite, sainte Rose Philippine

comprit que le même Saint Esprit, qui avait inspiré la vie des martyrs et des autres saints dont elle

aimait lire la vie, travaillait encore dans l’Eglise. En fait, elle sentait en elle l’inspiration du Saint

Esprit de s’investir dans le travail des missions.

22

“[Father Aubert] told of places with the strangest names – Kaskaskia, where he had signed the parish register as late

as 1764, and Cahokia, just across the river from the site staked off that very year for a trading post to be called St. Louis

de France, and Michigamea with its mission of St. Francis Xavier long since abandoned. Weird Indian names rolled

smoothly from his tongue, but his eyes were wistful as he spoke of the work left undone among the forest folk of

America and the heroism of the Jesuits who had given their blood in martyrdom in the great valley of the Mississippi.

His stories of the wilderness held Philippine enthralled. An unquenchable desire to devote her life to missionary work

was enkindled in her soul, and an ever deepening determination to do great things for God that would carry her in

middle life to the farthest edge of Western civilization.” Callan, pp. 22-23. La traduction française par l’auteur. 23

“My first enthusiasm for missionary life was roused by the tales of a good Jesuit Father who had been on the missions

in Louisiana and who told us stories about the Indians. I was just eight or ten years old, but already I considered it a

great privilege to be a missionary. I envied their labors without being frightened by the dangers to which they were

exposed, for I was at this time reading stories of the martyrs, in which I was keenly interested. The same good Jesuit

was extraordinary confessor at the convent in which I became a pupil. I went to confession to him several times, and I

loved his simple, formal manner of speaking, a manner he had used with the savages. From that time the words

Propagation of the Faith and Foreign Missions and the names of priests destined for them and of religious in far-away

lands made my heart thrill.” Callan, p. 23. Traduction française par l’auteur.

13

Étudiante et novice au monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut

Une des expériences les plus significatives dans la croissance spirituelle et apostolique de

sainte Rose Philippine Duchesne fut l’année qu’elle passa au monastère de la Visitation de Sainte-

Marie-d’en-Haut, d’abord comme pensionnaire se préparant à la Première Communion (c’était en

1781), puis comme novice, en 178824

. Le Monastère de Sainte-Marie, construit sur le mont Rachais,

sur la rive gauche de l’Isère, a été fondé par saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal à la

demande des fidèles de Grenoble. De fait, on peut lire, au-dessus de l’entrée du monastère,

l’inscription suivante : « Saint François de Sales choisit cet endroit pour la fondation du quatrième

monastère de son Ordre de la Visitation Sainte Marie. La première pierre fut posée en sa présence

le 16 octobre 1619 »25

.

Les religieuses de la Visitation ont nourri grandement sa vie de prière et de dévotion, fondée

sur une connaissance profonde de la doctrine de la foi. À cet égard, la dévotion au Sacré-Cœur de

Jésus était au centre de la vie spirituelle des religieuses Visitandines et devint rapidement le centre

de la vie spirituelle de Rose Philippine. La dévotion qui naquit au moment même où le Cœur de

Jésus était percé sur la croix après Sa mort, reçut une impulsion particulière de la part de Notre

Seigneur Lui-même, grâce à ses apparitions à sainte Marguerite Marie Alacoque, au monastère de la

Visitation de Paray-le-Monial, juste un siècle avant l’entrée de sainte Rose Philippine à Sainte-

Marie-d’en-Haut. Son biographe, citant les paroles mêmes de Notre Seigneur à sainte Marguerite-

Marie, écrit :

Bientôt, « le cœur qui a tant aimé les hommes » devint le centre de la vie et de

l’amour de Philippine, lui donnant le courage de se prendre en main et de se

déterminer à corriger les aspérités de son caractère26

.

La dévotion au Sacré Cœur de Jésus correspondait parfaitement à la dévotion au Très Saint

Sacrement qui croissait dans l’âme de sainte Rose Philippine. La présence réelle du Christ - Corps,

Sang, Âme et Divinité -, qu’elle rencontrait dans le Très Saint Sacrement, a été de plus en plus

profondément comprise par la contemplation du glorieux Cœur transpercé de Jésus, source de toute

grâce dans l’Eglise, et en particulier du don de la Sainte Eucharistie.

En même temps, l’image du Sacré Cœur de Jésus et son invocation fréquente tout au long de

la journée aida sainte Rose Philippine, comme elle nous aide tous, à vivre toujours en la compagnie

24

Cf. Callan, pp. 20, 29, et 34. 25

“St. Francis de Sales chose this place for the foundation of the fourth monastery of his Order of the Visitation of Holy

Mary. The first stone was laid in his presence on October 16, 1619.” Callan, p. 20. Traduction française par l’auteur. 26

“Soon ‘the Heart that has so loved men’ became the center of Philippine’s life and love, giving her courage to take

herself in hand and determine to correct the asperities of her character.” Callan, p. 21. Traduction française par l’auteur.

14

de Jésus. Décrivant la période qui suivit son année comme pensionnaire au monastère de Sainte-

Marie-d’en-Haut, son biographe écrit :

En entrant gracieusement dans les projets de ses parents pour son éducation à la

maison, et en prenant part à la vie sociale de Grenoble, Philippine se tint

inflexiblement à une ligne de conduite qui nécessitait la force de la volonté et la

conviction courageuse. Elle ne négligea jamais ses pratiques de dévotion privée par

plaisir. La médiation du matin avait sa place chaque jour. Elle a bravé les critiques

ingénues de ceux qui, avec un préjudice janséniste, regardèrent de travers ses

confessions et communions tous les quinze jours. Son amour pour le Saint Sacrement

augmenta au fil de ces années à mesure que la dévotion au Sacré-Cœur prit plus

entièrement possession de son âme. L’esprit de réparation inspiré par cette dévotion

se développait en elle, et elle se voua à la pénitence volontaire avec une générosité

insoupçonnée de sa famille27

.

Avec le temps, ses parents, qui l’avaient retirée du Monastère de la Visitation, ayant vu combien

elle était fortement attirée par la vocation des moniales, finirent par accepter sa vocation, qui s’était

manifestée par des signes clairs et cohérents.

Son amitié avec sainte Madeleine Sophie Barat

Au fil des années, sainte Rose Philippine comprit que notre Seigneur l’appelait à une forme

de vie religieuse active dans l’apostolat de l’éducation et le soin des pauvres, mais à une vie qui soit

en même temps solidement et quotidiennement contemplative, enracinée dans l’amour de

l’Eucharistie et de la dévotion au Cœur eucharistique de Jésus. Son amitié avec sainte Madeleine

Sophie Barat fut un don très précieux de Dieu pour l’aider à connaître sa vocation et à l’embrasser

avec un cœur sans partage. Le Père Joseph Varin, à qui le Père Léonor de Tournély avait confié son

inspiration reçue dans la prière de « la fondation d’une congrégation de femmes consacrées au

Sacré-Cœur de Jésus pour aider à la régénération de la France par une vie contemplative, à laquelle

les activités d’enseignement et de direction de retraites serait ajoutées »28

, amena sainte Madeleine-

27

“While entering graciously into her parents’ plans for her education at home and taking part in the social life of

Grenoble, Philippine held inflexibly to a line of conduct that called for strength of will and courage of conviction. Her

private devotional practices were never neglected for pleasure. Morning meditation had a place in every day. She

braved the wide-eyed critics who with Jansenistic prejudice looked askance at her fortnightly confession and Holy

Communion. Her love for the Blessed Sacrament increased through these years, as devotion to the Sacred Heart took

fuller possession of her soul. The spirit of reparation inspired by this devotion was developing in her, and she gave

herself to voluntary penance with a generosity unsuspected by her family.” Callan, p. 27. Traduction française par

l’auteur. 28

“the foundation of a congregation of women consecrated to the Sacred Heart of Jesus to help in the regeneration of

France by a contemplative life, to which the activities of teaching and directing retreats would be added.” Louis Callan,

15

Sophie et sainte Rose Philippine à se rencontrer. Sans entrer dans les détails, d’ailleurs intéressants,

de la fondation de la congrégation des Religieuses du Sacré Cœur de Jésus (congrégation de

religieuses dont le charisme vient d’être décrit par le père de Tournély), je me contenterais

d’observer que la première rencontre des deux saintes femmes et leur amitié de toute une vie

scellèrent les bases de la nouvelle congrégation religieuse, en accord avec l’inspiration donnée au

père de Tournély.

C’était à sainte Madeleine Sophie que sainte Rose Philippine révéla finalement ses plus

profonds désirs de devenir missionnaire, désirs qui étaient également dans l’âme de sainte

Madeleine-Sophie. Grâce à une intense prière et une direction spirituelle sûre, sainte Madeleine-

Sophie comprit que sa mission était de rester en France pour œuvrer pour l’approfondissement de la

vie chrétienne dans son pays natal, et que la vocation de sa chère co-fondatrice, sainte Rose

Philippine, était d’être dans les missions du centre de l’Amérique du Nord.

Grâce à une rencontre providentielle avec Monseigneur Louis du Bourg, évêque de

Louisiane, dont la ville de Saint Louis faisait alors partie, sainte Rose Philippine sentit un très fort

désir d’accomplir sa vocation missionnaire dans la partie du monde sous la charge pastorale de

Monseigneur du Bourg. De passage à Paris, où la nouvelle congrégation avait établi sa Maison

Mère, Monseigneur supplia sainte Madeleine-Sophie d’envoyer certaines de ses sœurs en mission

en Louisiane. Finalement, la sainte supérieure accéda à sa demande et lui envoya cinq sœurs, sous

la responsabilité de Mère Rose Philippine Duchesne. Le Samedi Saint de l’année 1818, sainte Rose

Philippine et ses quatre compagnes partaient de Bordeaux pour l’Amérique. Elles arrivèrent en

Amérique, après un difficile voyage de deux mois, le jour de la fête du Sacré Cœur de Jésus. Sainte

Rose Philippine avait alors 49 ans.

Quand on étudie la vie de sainte Rose Philippine, il est remarquable de voir comment la

Divine Providence était à l’œuvre dans sa vie pour accomplir tant de bien pour son propre salut et

celui des âmes. D’une façon particulière, sa profonde amitié avec sainte Madeleine-Sophie, qu’elle

vénérait comme une mère spirituelle, l’a aidée à voir clairement la vraie nature de sa vocation

religieuse et missionnaire, et à y répondre à un degré héroïque.

Mission au centre de l’Amérique du Nord

Arrivée en Amérique, accomplissement de son profond désir missionnaire, sainte Rose

Philippine avec ses sœurs ont subi de nombreuses épreuves dans leur apostolat d’éducation et de

soin des pauvres. Leur première fondation à Saint-Charles, dans le Missouri, qu’elles avaient

Philippine Duchesne: Frontier Missionary of the Sacred Heart 1769-1852, Abridged Edition, Westminster, Maryland;

The Newman Press, 1965, p. 74. Traduction française par l’auteur.

16

entreprise à la demande insistante de Monseigneur du Bourg, connaissait des difficultés

particulières. Le froid et la pauvreté du petit pensionnat fondé par les Sœurs ne leur permirent pas

de rester à Saint-Charles. C’est alors qu’elles ont fondé à Florissant. Bien que les difficultés ne

diminuaient pas pour les Sœurs, elles commencèrent toutefois à recevoir des vocations. Leur

apostolat grandissait, sous la direction sage et forte de sainte Rose Philippine.

Malgré les maintes difficultés de la mission, douze ans après l’arrivée des sœurs en

Amérique, les Religieuses du Sacré-Cœur avaient déjà fondé six couvents, avec 64 sœurs professes

(14 Françaises et 50 Américaines). De toute évidence, Notre Seigneur bénissait abondamment la

réponse de sainte Madeleine Sophie Barat et de sainte Rose Philippine Duchesne à l’appel de fonder

une congrégation de religieuses qui soient à la fois contemplatives et actives.

Mais il restait au cœur de sainte Rose Philippine le désir d’être missionnaire chez les

Indiens. Elle demanda donc à sainte Madeleine-Sophie de la libérer de ses responsabilités de

supérieure des Religieuses du Sacré-Cœur de Jésus en Amérique. Il est à noter que ses rhumatismes

sévères, qui se manifestaient depuis un certain temps déjà, empiraient. En fait, sainte Madeleine-

Sophie refusa la demande de sainte Rose Philippine d’être envoyée en mission en Nouvelle-France,

à cause de sa santé. Mère Louise Callan, son biographe, a écrit la chose suivante au sujet de la

période de fondation du couvent des Religieuses du Sacré-Cœur dans l’ancien Monastère de la

Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut :

La présence [de Mère Madeleine Sophie] fut une joie énorme pour Philippine. Des

choses qui n’auraient jamais pu être écrites furent si facilement exprimées dans leur

conversation, occasion pour elles d’en discuter et d’en rire – car les tragédies de la

vie quotidienne deviennent souvent rétrospectivement des comédies. Philippine

aborda souvent le projet de la mission étrangère, mais la réponse était toujours la

même : « Pas encore », et il y avait de nombreuses raisons contre elle. L’une d’elles

était la santé de Philippine. La Mère Barat avait des raisons de s’inquiéter par

moment à ce sujet…. La voyant vaquer à ses tâches multiples, grande, droite,

résistante, même sous la pression du travail le plus lourd, peu dans la communauté

sont ceux qui soupçonnèrent que la souffrance physique était devenue une compagne

avec laquelle elle traverserait de nombreuses années de sa vie. Pourtant, les

rhumatismes étaient à l’œuvre dans son corps fort et actif, affectant notamment ses

mains, ....29

29

“Her [Mother Madeleine Sophie’s] presence was a tremendous joy to Philippine. The old intimacy was renewed; the

things that could never be put into writing were so easily expressed in conversation, talked over, laughed over – for the

tragedies of daily life are often comedies in retrospect. The project of the foreign mission was often broached by

Philippine, but the answer was always the same, ‘Not yet,’ and the reasons against it were numerous enough to form a

17

Sainte Rose Philippine continua néanmoins sans cesse à assumer l’apostolat.

Quand à l’occasion d’une visite en janvier 1841, l’héroïque Père missionnaire jésuite Pierre

de Smet exhorta sainte Rose Philippine à ouvrir une école chez les Indiens Potawatomi, elle

recommença à plaider pour la fondation, en demandant de faire partie du groupe de Sœurs envoyées

en mission. Il faut se rappeler que le Père de Smet n’avait alors que 40 ans, alors que sainte Rose

Philippine avait plus de 70 ans et que sa santé était en déclin. Sans entrer dans tous les détails de

l’accomplissement de sa volonté, sainte Rose Philippine figura dans le groupe de missionnaires, qui

comptait quatre sœurs, deux prêtres jésuites et un prêtre diocésain. Ils partirent en mission à Sugar

Creek le 29 juin 1841.

J’ai déjà décrit la nature des fonctions de sainte Rose Philippine dans la mission de Sugar

Creek. Sa vie extraordinaire de prière et de sacrifice a plus que compensé ce qu’elle ne pouvait pas

apporter à la mission par la force physique. Elle fut une vaillante religieuse qui a atteint la sainteté

héroïque dans la réalisation de la première évangélisation de l’Amérique. Vraiment, en sainte Rose

Philippine Duchesne, nous trouvons une femme héroïque qui a choisi « la meilleure part », celle de

tenir compagnie à Notre Seigneur dans la prière, et, en même temps, celle de faire la volonté du

Père avec un amour indéfectible et dévoué30

. Ce fut sa prière - si solidement acquise dès sa jeunesse

grâce à sa mère et grâce au Monastère de la Visitation de Sainte-Marie-d’en-Haut - qui alimenta son

zèle missionnaire et qui lui donna la sagesse d’accepter la Providence de Dieu et à embrasser, avec

une obéissance totale, sa volonté, exprimée par ses supérieurs. Sa prière s’inspirait de l’union de son

cœur avec le Cœur Sacré de Jésus et, en même temps, augmentait cette union des cœurs tout au long

d’une vie marquée par de nombreuses épreuves et difficultés.

Sainte Rose Philippine Duchesne et la Nouvelle Évangélisation

Le temps ne me permet pas de commenter les nombreux aspects de la sainteté de vie

héroïque de sainte Rose Philippine. Avant de conclure, je voudrais tirer ma conclusion de

l’inspiration et intercession que notre sainte apporta en faveur de la nouvelle évangélisation de notre

culture, tant en France qu’aux Etats-Unis.

Le Bienheureux Pape Jean-Paul II a désigné la mission contemporaine de l’Église du terme

de « nouvelle évangélisation ». Il reconnaissait qu’à notre époque l’Église était appelée et envoyée

pour mener à bien sa mission dans un contexte social et culturel bien difficile.

litany. One of these reasons was Philippine’s health. Mother Barat had cause to worry at times about that…. Seeing her

going about her multiple duties, tall, straight, resilient even under the pressure of the heaviest work, few in the

community suspected that physical suffering was becoming a companion with whom she would travel through many

years of her life. Yet rheumatism was at work in her strong active body, affecting her hands particularly, ….” Callan, p.

167. Traduction française par l’auteur. 30

Cf. Lk 10:42.

18

Pasteur Suprême de l’Église universelle, le Pape Jean-Paul II, ne cessait jamais de méditer

dans son cœur les besoins les plus profonds de toute l’humanité, les besoins spirituels angoissants

des fils et des filles de Dieu, qui vivent dans un monde qui a perdu le sens de son origine en Dieu et

de son destin final en Lui. Le Pape Jean Paul II était profondément conscient de la nécessité

urgente, pour tous ceux qui vivent dans le Christ et dans l’Église d’enseigner la foi, de célébrer la

foi dans les sacrements et dans ce qui est leur prolongement : la prière et la dévotion. Le pape était

également conscient de la nécessité de vivre la foi à travers la pratique des vertus, comme la

première fois, c’est-à-dire avec l’engagement et l’énergie des premiers disciples, des premiers

apôtres de notre patrie, pour le salut du monde, c’est-à-dire pour que le Christ puisse assouvir la

grande faim spirituelle d’une culture sans Dieu. Devant la grave situation du monde d’aujourd’hui,

nous sommes, comme nous le rappelle le Pape Jean Paul II, comme les premiers disciples qui, après

avoir entendu le discours de saint Pierre à la Pentecôte, lui demandèrent : « Que devons-nous

faire ? »31

De même que les premiers disciples étaient face à un monde païen qui n’avait pas encore

entendu parler de Notre Seigneur Jésus Christ ; de même, nous aussi, face à une culture qui est

oublieuse de Dieu et hostile à Sa loi, pourtant écrite sur chaque cœur humain. Ne voyons-nous pas

que sainte Rose Philippine Duchesne a fait face à une situation similaire à son époque, demandant

au Seigneur ce qu’Il voulait d’elle, puis se donnant totalement à la tâche de Le porter à ses frères et

sœurs, en particulier aux plus nécessiteux ?

Devant le grand défi de notre époque, le Pape Jean-Paul II nous a avertis que nous ne nous

sauverons ni nous-mêmes ni notre monde en trouvant « une formule magique » ou en inventant un

« nouveau programme »32

. En termes non équivoques, il déclarait :

Non, ce n’est pas une formule qui nous sauvera, mais une Personne, et la certitude

qu’elle nous inspire : Je suis avec vous !33

Il nous a rappelé que le programme grâce auquel nous devons répondre efficacement aux grands

défis spirituels de notre temps est finalement Jésus-Christ, vivant pour nous dans l’Église. Il

explique :

Le programme existe déjà : c’est celui de toujours, tiré de l’Évangile et de la

Tradition vivante. Il est centré, en dernière analyse, sur le Christ lui-même, qu’il faut

connaître, aimer, imiter, pour vivre en lui la vie trinitaire et pour transformer avec lui

31

Acts 2:37. 32

“formula veluti « magicam » …. « novo consilio ».” Ioannes Paulus PP. II, Epistula Apostolica Novo Millennio

Ineunte, “Magni Iubilaei anni MM sub exitum,” 6 Ianuarii 2001, Acta Apostolicae Sedis 93 (2001), p. 285, n. 29. [NMI].

Traduction française : Jean-Paul II, Lettre apostolique Novo millennio ineunte, “Au terme du Grand Jubilé de l’an

2000,” 6 janvier 2001, http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_letters/documents/hf_jp-ii_apl_..., p. 13,

n. 29. [NMI-F]. 33

“Nullo modo: servabit nos nulla formula, verum Persona una atque certitudo illa quam nobis Ipsa infundit: Ego

vobiscum sum!” NMI, p. 285, n. 29. Traduction française: NMI-F, p. 13, n. 29.

19

l’histoire jusqu’à son achèvement dans la Jérusalem céleste. C’est un programme qui

ne change pas avec la variation des temps et des cultures, même s’il tient compte du

temps et de la culture pour un dialogue vrai et une communication efficace34

.

En bref, le programme menant à la liberté et au bonheur est, pour chacun de nous, la sainteté de la

vie. N’avons-nous pas vu comment la sainteté héroïque de la vie de sainte Rose Philippine

Duchesne avait des bases solides dans sa relation personnelle avec le Seigneur, vécue surtout dans

la dévotion eucharistique, et son prolongement dans la dévotion au Sacré Cœur de Jésus ?

Le Pape Jean Paul II, de fait, établit l’ensemble du plan pastoral pour l’Eglise en termes de

sainteté. Il l’explique ainsi :

En réalité, placer la programmation pastorale sous le signe de la sainteté est un choix

lourd de conséquences. Cela signifie exprimer la conviction que, si le Baptême fait

vraiment entrer dans la sainteté de Dieu au moyen de l’insertion dans le Christ et de

l’inhabitation de son Esprit, ce serait un contresens que de se contenter d’une vie

médiocre, vécue sous le signe d’une éthique minimaliste et d’une religiosité

superficielle. Demander à un catéchumène : « Veux-tu recevoir le Baptême ? »

signifie lui demander en même temps : « Veux-tu devenir saint ? » Cela veut dire

mettre sur sa route le caractère radical du discours sur la Montagne : « Soyez parfaits

comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5, 48) 35

.

Le Pape Jean Paul II poursuivit, faisant référence au Concile œcuménique Vatican II, en nous

rappelant qu’« il ne faut pas se méprendre sur cet idéal de perfection comme s’il supposait une sorte

de vie extraordinaire que seuls quelques "génies" de la sainteté pourraient pratiquer ».36

Sainte Rose

Philippine Duchesne n’hésita pas à considérer que notre Seigneur l’appelait à l’amour parfait dans

les circonstances ordinaires de sa vie quotidienne.

34

“Iam enim praesto est consilium seu « programma »: illud nempe quod de Evangelio derivatur semper vivaque

Traditione. Tandem in Christo ipso deprehenditur istud, qui sane cognoscendus est, diligendus atque imitandus, ut vita

in ea trinitaria ducatur et cum eo historia ipsa transfiguretur ad suam usque in Hierosolymis caelestibus

consummationem. Institutum enim hoc, variantibus quidem temporibus ipsis atque culturae formis, non mutatur

quamvis rationem quidem habeat temporis et culturae, ut verum instituat diverbium efficacemque communicationem.”

NMI, pp. 285-286, no. 29. Traduction française: NMI-F, pp. 13-14, n. 29. 35

“Re quidem vera, si pastoralis ordinatio sub signo sanctitatis statuitur, aliquid compluribus cum consectariis

decernitur. Inde enim in primis firma aperitur sententia: si vera est Baptismus ingressio in Dei sanctitatem per

insertionem in Christum ipsum necnon Spiritus eius per inhabitionem, quaedam repugnantia est contentum esse

mediocri vita, quae ad normam transigitur ethnicae doctrinae minimum solum poscentis ac religionis superficiem

tantum tangentis. Ex catechumeno quaerere: « Vis baptizari? » eodem tempore est petere: « Vis sanctificari ? » Idem

valet ac deponere eius in via extremum Sermonis Montani principium: « Estote ergo vos perfecti, sicut Pater vester

caelestis perfectus est » (Mt 5, 48).” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n. 31. 36

“optima haec perfectionis species non ita est iudicanda quasi si genus quoddam secum importet vitae extraordinariae

quam soli aliqui sanctitatis « gigantes » traducere possint.” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n.

31.

20

Le Pape Jean Paul II nous enseigna la nature extraordinaire de notre vie ordinaire, parce

qu’elle est vécue dans le Christ et, par conséquent, produit en nous la beauté incomparable de la

sainteté. Il écrivait :

Les voies de la sainteté sont multiples et adaptées à la vocation de chacun. Je

remercie le Seigneur, qui m’a permis de béatifier et de canoniser ces dernières

années de nombreux chrétiens, et parmi eux beaucoup de laïcs qui se sont sanctifiés

dans les conditions les plus ordinaires de la vie. Il est temps de proposer de nouveau

à tous, avec conviction, ce « haut degré » de la vie chrétienne ordinaire : toute la vie

de la communauté ecclésiale et des familles chrétiennes doit mener dans cette

direction37

.

En voyant en nous la conversion de la vie quotidienne par laquelle nous nous efforçons d’atteindre à

la norme élevée de la sainteté (le « "haut degré" de la vie chrétienne ordinaire »), nos frères et

sœurs y découvriront le grand mystère de leur vie ordinaire propre dans laquelle Dieu les inonde

tous les jours de son amour incessant et incommensurable, les appelant à la sainteté de la vie dans le

Christ, Son Fils unique. Lorsque nous contemplons la vie de sainte Rose Philippine Duchesne, nous

sommes inspirés de mesurer notre vie quotidienne à ce « "haut degré" de la vie chrétienne

ordinaire », et ainsi d’apporter l’espoir et la joie à nos familles, à l’ensemble de la communauté et

au monde.

En pèlerinage au sanctuaire antique de saint Jacques le Majeur à Compostelle en Espagne,

en novembre 2006, le Pape Benoît XVI exhorta les Européens à reconnaître le grand don de

l’amour de Dieu dans le monde, en Jésus-Christ, et à le suivre dans la sainteté. Ses paroles aux

fidèles d’Europe, qui ont grandi si oublieux de Dieu et même hostiles à sa loi, s’appliquent

également à d’autres pays déchristianisés. Ses paroles sont encore éclairées par le contexte de son

pèlerinage, car le but même d’un pèlerinage est d’ouvrir nos yeux au grand mystère de l’amour de

Dieu dans nos vies, c’est d’ouvrir nos yeux pour voir la nature extraordinaire de la vie ordinaire.

Écoutons les paroles du Pape Benoît XVI :

Dieu est à l’origine de notre être et il est le fondement et le sommet de notre liberté,

et non son adversaire. Comment l’homme mortel peut-il être son propre fondement et

comment l’homme pécheur peut-il se réconcilier avec lui-même ? Comment est-il

possible que soit devenu public le silence sur la réalité première et essentielle de la

vie humaine ? Comment se peut-il que ce qui est le plus déterminant en elle soit

37

“Multiplices enim sanctitatis exsistunt viae atque cuiusque congruunt cum vocatione. Grates Domino referimus Nobis

quod concessit his proximis annis tot christianos et christianas inter beatos adnumerare ac sanctos, ex quibus plures laici

sanctimoniam sunt communissimis in vitae condicionibus adsecuti. Omnibus ergo tempus est iterum firmiter hunc

proponere « superiorem modum » ordinariae vitae christianae: ad hanc namque metam conducere debet omnis vita

ecclesialis communitatis ac familiarum christianarum.” NMI, p. 288, n. 31. Traduction française: NMI-F, p. 15, n. 31.

21

enfermé dans la sphère privée ou relégué dans la pénombre ? Nous, les hommes, ne

pouvons vivre dans les ténèbres, sans voir la lumière du soleil. Alors, comment est-il

possible que soit nié à Dieu, soleil des intelligences, force des volontés et boussole

de notre cœur, le droit de proposer cette lumière qui dissipe toute ténèbre ? Pour cela,

il est nécessaire que Dieu recommence à résonner joyeusement sous le ciel de

l’Europe ; que cette parole sainte ne soit jamais prononcée en vain ; qu’elle ne soit

pas faussée et utilisée à des fins qui ne sont pas les siennes. Il convient qu’elle soit

proclamée saintement ! Il est nécessaire que nous la percevions aussi dans la vie de

chaque jour, dans le silence du travail, dans l’amour fraternel et dans les difficultés

que les années apportent avec elles38

.

Les paroles de notre Saint-Père rendent clair le dynamisme inhérent à la vie du Saint Esprit en nous,

qui nous conduit à donner un témoignage au mystère de l’amour de Dieu dans notre vie, et donc de

convertir nos propres vies plus pleinement au Christ et à transformer notre monde. Sainte Rose

Philippine Duchesne est notre modèle pour laisser la lumière du Christ éclairer une fois de plus le

sens de notre vie quotidienne pour le salut du monde. De sa place au Ciel avec Notre Seigneur, elle

poursuit certainement, avec son zèle religieux et missionnaire, à nous aider dans les travaux de la

nouvelle évangélisation.

Acceptant le défi redoutable de la nouvelle évangélisation, sainte Rose Philippine nous

conduit à la prière et à la dévotion, surtout devant le Très Saint Sacrement, et elle nous fortifie par

son intercession. Comme la Vierge Marie, qui se tenait avec l’Apôtre Jean au pied de la croix et

élevait son Cœur Immaculé jusqu’au Cœur transpercé de Jésus, sainte Rose Philippine Duchesne

répondit à l’appel de Monseigneur du Bourg et à l’invitation du Père Pierre de Smet à travailler

avec eux dans l’évangélisation du troupeau, mettant au service de l’Eglise et de ses pasteurs ses

dons maternels. Sa vie, d’une manière particulière, nous rappelle combien le témoignage et les

apostolats des religieux consacrés sont importants dans la mission de l’Église. Prions, par

l’intercession de sainte Rose Philippine Duchesne, pour les jeunes femmes que le Seigneur appelle

38

“Dios es el origen de nuestro ser y cimiento y cúspide de nuestra libertad: no su oponente. ¿Cómo el hombre mortal

se va a fundar a sí mismo y cómo el hombre pecador se va a reconciliar a sí mismo? ¿Cómo es posible que se haya

hecho silencio público sobre la realidad primera y esencial de la vida humana? ¿Cómo lo más determinante de ella

puede ser recluido en la mera intimidad o remitido a la penumbra? Los hombres no podemos vivir a oscuras, sin ver la

luz del sol. Y, entonces, ¿cómo es posible que se le niegue a Dios, sol de las inteligencias, fuerza de las voluntades e

imán de nuestros coraziones, el derecho de proponer esa luz que disipa toda tiniebla? Por eso, es necessario que Dios

vuelva a resonar gozosamente bajo los cielos de Europa; que esa palabra santa no se pronuncie jamás en vano; que no se

pervierta haciéndola servir a fines que le son impropios. Es menester que se profiera santamente. Es necesario que la

percibamos así en la vida de cada día, en el silencio del trabajo, en el amor fraterno y en las dificultades que los años

traen consigo.” Benedictus PP. XVI, Homiliae, “Iter Apostolicum Summi Pontificis in urbem Compostellam – In

eucharistica celebratione sacro Compostellano anno recurrente,” die 6 Novembris 2010, Acta Apostolicae Sedis 102

(2010), pp. 881-882. Traduction française: Pape Benoît XVI, Homélie, Messe à l’occasion de l’Année Sainte

Compostellane, Place de l’Obradoiro à Saint-Jacques-de-Compostelle,

http://www.vatican.va/holy_father/benedict_svi/homilies/2010/documents/hf_ben-xvi..., p. 3.

22

à la vie consacrée aujourd’hui, qu’elles entendent son appel et y répondent avec tout leur cœur, à

l’imitation de l’exemple donné par de Sainte Rose Philippine Duchesne.

Conclusion

C’est mon espoir sincère que ces réflexions, inspirées par mon pèlerinage à Grenoble, nous

aidera tous à prendre part avec un engagement et une énergie renouvelés au travail de la nouvelle

évangélisation. Je prie pour que nous puissions tous recevoir les grâces d’une prière constante et de

la persévérance dans la volonté de Dieu, qui étaient si héroïquement à l’œuvre dans la vie de sainte

Rose Philippine Duchesne. Assurément, le défi de vivre la vie chrétienne à notre époque est grand.

Les tentations à la confusion et au découragement sont nombreuses. Mais nous ne devons jamais

perdre l’espérance, tout comme sainte Rose Philippine qui, à travers des épreuves sans fin, est restée

fermement convaincue que Notre Seigneur ne manquera pas de déverser sur elle, de son Sacré-

Cœur, les abondantes grâces de Sa miséricorde et de Son amour.

Que Sainte Rose Philippine nous inspire de donner notre cœur à Notre Seigneur Jésus, afin

qu’Il puisse le recevoir dans son Cœur glorieux, nous guérir et nous rendre forts dans son Cœur

transpercé, afin que notre cœur soit riche en son amour et soit grand ouvert pour recevoir Son

amour pour tous nos frères et sœurs.

Raymond Leo Cardinal Burke

Préfet du Suprême Tribunal de la Signature apostolique