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DÉBATS SUR LE LANGAGE THÉOLOGIQUE

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AUBIER EDITEUR

Publications du Centre International d'Études Humanistes et de l'Institut d'Études Philosophiques de Rome.

DEMYTHISATION ET MORALE p. 404 N.F. 35

MYTHE ET FOI p. 586 N.F. 42

LE MYTHE DE LA PEINE p. 484 N .F. 42

L'HERMENEUTIQUE DE LA LIBERTE' RELIGIEUSE p. 608 N.F. 42

L'ANALYSE DU LANGAGE THEOLOGIQUE p. 530 N.F. 42

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D É B A T S

SUR LE

LANGAGE THÉOLOGIQUE

ORGANISÉS PAR LE CENTRE INTERNATIONAL D'ETUDES HUMANISTES

ET PAR L'INSTITUT D'ETUDES PHILOSOPHIQUES DE ROME

aux soins de

E N R I C O C A S T E L L I

AUBIER

ÉDITIONS MONTAIGNE

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P R O P R I É T É L I T T É R A I R E

© - Copyright 1969 by AUBIER - Paris

Printed in Italy

TIP, DELLA PACE - VIA DELLA PACE 35 - ROMA

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Le présent volume « Débats sur le langage théologique » représente une intégration des Actes du Colloque sur « L'analyse du langage théo- logique. Le nom de Dieu », publiés par la Maison Aubier (Editions Mon-

taigne, 1969) aux soins du Centre international d'Etudes humanistes et de l'Institut d'Etudes philosophiques de Rome. Le Colloque, qui a eu lieu à l'Université de Rome du au 11 janvier 1969 sous la présidence de Enrico Castelli, est le neuvième d'une série de Colloques sur la problé-

matique de la démythisation.

Seulement de douze communications présentées au Colloque il a été possible de transcrire les discussions, et cela pour des raisons techniques (des

interruptions de l'appareil registrateur ont rendu impossible la reconstruc- tion intégrale de quelques débats).

A l'indication de l'argument en discussion, nous avons fait suivre la référence à la communication publiée dans le volume des Actes, de façon que les deux volumes peuvent constituer un tout organique. Mais étant

donné que presque tous les congressistes ont résumé au début de la dis- cussion leurs thèses, le présent volume vient à prendre sa particulière autonomie.

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SIGNIFICATION D'UN DÉBAT

Dans la prémisse au volume « L'analyse du langage théologique », prémisse ayant le titre: « Signification d'une recherche », on a fait re- marquer que les deux mots, « signification » et « recherche », exigeaient une clarification. Le vers de Michel-Ange (chi vuol saper convien che prima mòra) en un certain sens est le recours de ceux qui acceptent la formule de la pensée classique: ignoti nulla cupido. La considération po- sitive sur cette maxime serait : l 'au-delà comme aspiration suprême, l 'apax legomenon de la cupido qui efface l'ignotum.

Nous avions écrit: « Signification? C'est là le but de la recherche ... si nous trouvons quelque chose que nous désirons trouver, trouver c'est l 'apaisement du désir... Pour ceux qui ne posent pas un but à leur re- cherche, ce qui est trouvé est une trouvaille. Et une trouvaille c'est un truc... Mais la recherche dont nous allons discuter en analysant les contri- butions des participants à cette rencontre, n 'a rien à voir avec la "trou- vaille"; c'est une recherche sui generis puisqu'on ne recherche pas quel- que chose ni quelqu'un, mais la signification même du "nom de Dieu" ». Et nous avions encore relevé: « Quelqu'un pourrait avoir une angoisse cachée, quelque chose qu'on n'ose pas déclarer ouvertement, mais qui du tréfonds de sa conscience pointe vers la surface: la recherche d'une vanité...? Ou bien: un crime de vanité? ».

Après les discussions, on hésite à conclure: crime de vanité. Nous

sommes orientés vers une autre conclusion: la confession d'impuissance, qui acquiert une signification importante (la docta ignorantia de Nicolas de Cuse), ou bien la confession qui met en lumière une cupido sui generis, qui nous renvoie encore à la recherche du rapport entre le nom (dans ce cas, le nom de Dieu) et ... Dieu, celui qui est le Deus absconditus, le tremendum; mais aussi son opposé, celui dont l 'amour écrase, en un certain sens, et dans un autre sens nous permet de nous rendre compte que cet amour est filtré par un pressoir divin. Ce n'est pas là une image baroque; c'est l'iconographie médiévale qui nous suggère de parler d 'un pressoir divin, ce pressoir que l'artiste naïf du gothique décadent repré-

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sente sans scrupules par l'écrasement réaliste du corps du Rédempteur. La signification surnaturelle des passages de l'Evangile où l'on parle de vignobles et de vignes, ne refuse pas les figurations les plus repoussantes. L'iconographie de l'horrible est bien plus sacrée que profane, et la vision du Dieu fait Homme broyé sous le pressoir n'a jamais provoqué des anathèmes.

Le débat a été la mise au point du rapprochement étrange de sur- réalisme et de surnaturel. On a eu la sensation que cet étrange rappro- chement ait été le sous-entendu non conscient de toutes les discussions.

L'arrheton (l'inexprimé), le « non-dit » et tous les rapprochements (insuffisants et inévitables) que l'image sacrée propose, ont été au centre du débat sur le langage théologique.

On a dit: « Le Credo nous indique l'accès à la signification du mot "Dieu", l'accès à la signification des termes qui l'explicitent, et comment il y a, à l'intérieur même du Credo, une perpétuelle invitation à retrouver un accès à la signification... Il apparaît que la foi chrétienne n'est pas directement adhésion à des propositions énonçant des croyances, elle est en première ligne élan de l'esprit vers l'Autre, abandon de soi à cet Autre. » (H. Bouillard).

Le parcours de l'arrheton pourrait être suivi à travers l'offrande des noms impropres, les seuls noms possibles. Les noms impropres sont iné- vitables, si l'on veut parler de ce pont qui conduit de l'expérience reli- gieuse à la doctrine de l'expérience religieuse. Mais le problème est tout autre: est-il possible passer d'une doctrine de l'expérience religieuse à l'expérience religieuse?

La conclusion qu'on peut tirer du débat est celle-ci: l'impropre qui envahit le langage théologique, révèle le risque inévitable pour celui qui, à partir du Credo (le σύμβολον, le symbolum, le « signe de recon- naissance », ou bien, comme il a été défini, « le visage visible du mys- terium Del ») est tenté de bâtir une doctrine avec l'exclusion du risque des noms qui voudraient passer outre l'arrheton.

Et l'on a dit: « La première communication n'est pas le langage de la certitude, mais le langage du risque. » (E. Levinas). Et encore: « ... le nom est de l'ordre du langage... le nom n'est pas, et c'est sa spécificité, un langage évocable qui donne sens; il n'est pas catégorial, il est dé- pourvu de signification. On peut dire qu'il est un non-sens, et l'on sait que vouloir retrouver au nom une signification, est le propre de la folie, ce qui se vérifie par expérience clinique. Le nom n'existe pour moi-même que parce que les autres ont consenti et continuent à consentir à le reconnaître... Le nom marque la dépendance et désigne l'hétéronomie; l'identité de l'homme qui se fait passe par l'hétéronomie. Cela peut scandaliser les philosophes, pour autant que la philosophie veut maintenir le centrage sur le cogito, mais je dirais que ce centrage maintenu con- duirait à une mégalomanie transcendantale. » (A. Vergote).

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Parfaitement vrai, mais si tout cela a été dit à propos du nom de Dieu et du nom du Père, on a eu parfois l'impression troublante qu'on pourrait parler d'un nouveau docétisme, le docétisme du langage théolo- gique: une histoire surnaturelle des paroles au lieu d'une histoire natu- relle (pure apparence).*

Seulement assez tard dans le développement du christianisme occi- dental, affleure le mot « infaillibilité » (les recherches historiques ont déterminé l'époque: pas avant le XIVème siècle). On n'a pas discuté sur le concept d'infaillibilité, mais la conclusion des débats le propose en vue d'un approfondissement ultérieur de l'analyse du langage théologique.

Parmi tous les risques qui se présentent, celui de ne pas vouloir courir le risque est le plus grave. L'infaillibilité dans le langage théolo- gique représente-t-elle l'élimination du risque? La question attend une réponse.

ENRICO CASTELLI

Université de Rome, 1969

* Sur ce point les discussions à propos de l'Herméneutique de la liberté reli- gieuse (Aubier 1968) sont éclairantes.

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KARL KERÉNYI

L E LANGAGE DE LA THÉOLOGIE

ET LA THÉOLOGIE DE LA LANGUE

Cf. L'analyse du langage théologique, Aubier 1969, pp. 23-32

Discussion

GIORGIO DEROSSI (Université de Trieste) - ANDRÉ SCRIMA (Archimandrite

de l'Eglise Orthodoxe) - RAYMOND KLIBANSKY (Université McGill de

Montreal) - JOHANNES LOTZ (Université Grégorienne de Rome) - ENRICO

CASTELLI (Université de Rome) MOHAMED AZIS LAHBABI (Université de

Rabat) - EMMANUEL LEVINAS (Université de Paris) - JACOB TAUBES

(Université Libre de Berlin) - GIANNI VÀTTIMO (Université de Turin) -

CLAUDE BRUAIRE (Université d'Orléans-Tours) - STANISLAS BRETON (In-

stitut Catholique de Paris).

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DEROSSI :

Il me semble que l'intérêt de la communication de M. Kerényi ré- side dans le fait que sa pensé est fondamentalement structuraliste, si par structuralisme nous n'entendons pas quelque chose de purement formel, mais ce qui donne une valeur à un aperçu systématique de la langue. Il me semble aussi que la tendance humboldtienne est contestée aujourd'hui aussi par les philologues. James Barz, dans son livre La sémantique du langage biblique, nie que la structure linguistique reflète la structure de la pensée; mais même si l'idée de base peut être acceptée, la méthode de la théologie actuelle est tout à fait dépassée comme ce qui reste d'un temps précédant celui où commença l'étude scientifique du langage. Selon Barz, la théorie qui veut qu'à des différentes struc- tures linguistiques correspondent des différentes structures de pensée, est démentie par les faits. Or, la thèse humboldtienne est précisément que la langue est le reflet d'une certaine expérience.

KERÉNYI :

La langue ne reflète pas, elle est l'expérience.

DEROSSI :

Oui, mais c'est ce que disent Humboldt et les humboldtiens, par exemple dans la définition que vous citez : la langue n'est pas seulement un moyen d'échange pour la compréhension réciproque, mais un véri- table univers que l'esprit pose entre lui-même et les objets. Or, je ne s pas si vous admettez l'existence de cet univers intermédiaire...

KERÉNYI :

Pas du tout. L'admettre ce serait être humboldtien; moi, je suis kerényien!

DEROSSI :

Il me semblait que vous adhériez en quelque façon à cette thèse. Toutefois, si vous affirmez que la langue reflète en soi le lieu...

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KERÉNYI :

J'ai dit: quand on a dit pour la première fois theós, c'était theós,

DEROSSI :

Vous dites que Jahu, ancien nom mythologique, selon l'interpréta- tion de Buber, fut reçu dans la langue et inséré dans le texte scripturaire dans une situation où les Grecs s'écrieraient theós. Donc theós correspond, selon vous, à l'exclamation Jahu. A mon avis, cette traduction vient du fait, sur lequel vous insistez, qu'il est nécessaire de se référer toujours à une langue particulière, la langue étant quelque chose qui comprend en soi une structure supérieure à la structure particulière de chaque langue, n'est-ce pas? Or, il me semble que votre allusion à la différence entre langue et langage peut conduire à une atténuation de cette oppo- sition. Si nous pouvons nous rapprocher de la « langue des anges », cela doit avoir un fondement dans la langue elle-même, autrement il y aurait une impossibilité radicale de rapprochement à une langue qui parle de Dieu, et qui en parle en ayant présent, en quelque manière, le nom de Dieu. Or, la présence du nom de Dieu se configure comme rapport bi- polaire entre effabilité et ineffabilité du nom de Dieu. Ineffabilité qui est évidemment déjà le résultat d'une réflexion sur la présence du nom de Dieu dans la langue.

Vous avez distingué dans le langage divers niveaux de développe- ment. Vous avez dit qu'originairement la langue est liée étroitement aux sens, mais successivement vous avez admis qu'il y a un développement. Alors, ce développement n'est-il pas en quelque manière lié aux niveaux précédents? et en quoi consiste ce lien? est-ce un lien de réflexion sur les paroles originaires, elle-même reliée aux sens? ou bien s'agit-il d'une réflexion ultérieure qui pourrait toutefois être linguistique? C'est ici que s'introduit le structuralisme: il n'est pas nécessaire, en effet, que la ré- flexion soit strictement philosophique. Evidemment, la distinction entre ces divers niveaux du langage vient de divers degrés d'abstraction. Vous admettez qu'il y a, à l'intérieur de la langue, un passage d'un niveau sensualiste à un niveau abstrait: alors la structure de la langue, si nous ne faisons pas intervenir des facteurs étrangers — philosophiques, théo- logiques, etc. — permet d'atteindre des niveaux abstraits qui ont toute- fois un caractère linguistique, authentiquement linguistique, et qui permet- tent d'élever la langue à instrument de théologisation, d'oeuvre théologique. Ainsi donc la théologie ne serait plus détachée entièrement de la langue, et on pourrait parler non seulement d'un langage théologique, mais d'une langue théologique, qui, tout en s'avantageant des contacts avec le réel, aurait une énergie propre lui venant de cette structure « abstraite » qui consiste en une polarisation thématique, comme par exemple celle du nom de Dieu. Le nom de Dieu est un des pôles de réflexion des plus

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importants, qui consent d'établir que la langue par elle-même est ca- pable de parvenir à une auto-réflexion, donc d'assumer un caractère théologique. S'il y a des rapports entre les niveaux postérieurs et les niveaux antérieurs de la langue, ce rapport devient de plus en plus abstrait. Alors la langue de par elle-même réussit à devenir un langage, non pas un langage arbitraire, mais un langage qui reflète la langue originaire.

SCRIMA:

Ce que vous venez de nous proposer en complément de votre texte écrit recèle une substance très riche, très stimulante aussi. Je commen- cerai par la fin. Il semble donc — et les précisions apportées dans l'épi- logue de votre texte le confirmeraient — que l'expérience de Dieu prend sa place dans la langue comme dans le lieu qui lui est propre; et, à partir de l'analyse du vocabulaire grec, vous avez étendu cet élément de ré- flexion à tout parler humain. La place première de Dieu c'est la langue; mais ne faut-il pas ajouter tout de suite qu'il défait ce même langage où il vient se loger? Les racines hébraïques autant que les racines grec- ques nous le signifient. Vous venez de mentionner, en effet, l' ἄρρητον δῆμα qui n'est pas le logos mais plutôt le « dit », le dictum (plus origi- naire, s'il est permis de s'exprimer ainsi, que la Sprache) : or, Dieu ne prend place dans le dire qu'à condition de le défaire, de l'inter-dire. L'ἄρρητον ne connote pas un interdit extrinsèque, légal, mais la situation de Dieu dans le langage. Le lieu de Dieu y apparaît inévitablement comme un « non-lieu ». Je veux dire qu'il s'y tient en ouvrant le langage, en le suspendant sinon en le brisant, et avec lui l'enceinte même de l'être (je me réfère sans hésitation à Heidegger) que le langage délimite. Dans ce contexte, « Dieu n'est qu'un mot », mais c'est le mot impossible qui le nomme.

Vous avez évoqué, en outre, une racine hittite, teshas, que vous res- tituez comme vox, sommeil et songe évoluant vers la voix. Et ceci nous rappelle qu'il existe une double approche de l'interdit de Dieu, l'ἄρρητον, zone-limite où il se tient tout en ne s'y tenant pas (faut-il dire qu'il n'a Pas ou reposer la tête?) : par le phonème et par l'image. Et vous avez suggéré, subsidiairement, un parallèle entre voix et image, en privilégiant celle-là par rapport à celle-ci: une image — anthropomorphe, thério- morphe, symbolique — si j'ai bien compris, serait moins adéquate, dans l' expression de l'ἄρρητον que le mot, la voix, le phonème. Cependant, il serait intéressant de noter (et vous l'avez fait vous-même à l'occasion) combien l'image peut ménager souvent à l'expérience religieuse un lieu autrement (in)dicible que l'ἄρρητον proféré par le langage parlé. La dialectique du dissemblable à l'intérieur du même est plus puissamment assumée par l'image: le sur-plus de sens inscrit en elle précède et dépasse

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sans cesse l'ineffable articulé par la « voix », lui passe la parole et l'esprit. Le thème de l'image semble, en tout cas, plus solidaire du régi- me de l'incarnation : c'est en tant qu'image de Dieu que la doctrine chrétienne, par exemple, explicite le sens du logos éternel et du logos incarné.

Enfin, dernière remarque : la formule de Heidegger, die Sprache spricht, ne pourrait-elle pas trouver grâce au-delà même de son aire de validité germanique? Je me demande par exemple, comment s'ex- primerait un Grec, pré-socratique et heideggérianisant, dans l'occurence?

KERÉNYI :

Dans ce cas, Sprache en grec c'est ϕωνή. Et λόγοι n'est pas ϕωνή. Le logos du langage serait la ratio linguae. Les λόγοι sont deux: celui de la γλῶσσα et celui de la ϕωνή. Glossa est la forme plus concrète, qui exprime aussi l'organe et le lieu de l'acte du parler (en allemand Zunge), tandis que phoné est l'acte même dans sa forme sensuelle. Les deux lan- gues, grecque et latine, expriment précisément ce que moi aussi j'ai dit.

SCRIMA :

Cependant, je me demande, quand Heidegger dit : die Sprache spricht, au delà de la sphère particulière de sa langue où ces connexions forment des jeux sérieusement possibles, s'il peut, philosophiquement par- lant, dire qu'il dit ce qu'il entend; autrement dit, ce qu'il y a dans toutes les langues. Vous passez de la Sprache, qui est l'allemand, à la pluralité des langues (néo-latines, finno-hongroises etc.). Alors, je me dis que mon Grec hypothétique pourrait très bien dire δ λόγος λεγεί, et ceci aurait une certaine portée universelle pour la philosophie occidentale.

KLIBANSKY :

C'est la différence que j'exprimerais en grec par logos et legomenon. La phoné est, dans un sens plus élevé, τό λεγόμενον: δ λόγος λέγει.

KERÉNYI :

Ce que j'ai tâché de faire c'est ce que dans les sciences naturelles on appelle une recherche des fondements: fouiller pour atteindre ce qu'il y a à l'intérieur de la langue grecque ou romaine. Or, est-ce que je peux extraire quelque chose de nouveau par ce dangereux travail d'excava- tion? Et en comparaison de ce que j'ai extrait de cette fouille, ce quel- que chose de nouveau que j'ai trouvé à mon risque et péril, tout ce que nous savions déjà est à la fois vrai et non vrai. C'est vrai parce que c'est comme ça; mais est-il vraiment comme ça? Vous avez tous raison, et nous nous comprenons bien, mais je pourrais ajouter qu'avec ce

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λόγος λέγει Heidegger s'est fourré dans une grande équivoque, car λέγειν signifie recueillir. J'ai joué avec ϕωνή et ϕωνεῖν, et je cherche de péné- trer plus loin dans ce jeu. Qu'arrive-t-il lorsque nous osons pénétrer dans la langue sensuelle, et nous demandons si cette langue n'a pas une théologie elle aussi?

LOTZ :

Je crois qu'il y a entre les différentes langues une analogie par la- quelle on voit ce en quoi elles conviennent et ce en quoi elles diffèrent, analogie essentielle, me semble-t-il, pour pouvoir donner une interpré- tation philosophique. Je crois que l'intention de Heidegger, avec sa proposition die Sprache spricht, est de parler de la langue, la langue qui n'existe pas séparée, mais comme élément de correspondance dans l'ana- logie des langues. A cause de cela, je comprends comment dans les dif- férentes langues il y a le danger du polythéisme. Mais il y a aussi un accord : elles disent Theós, God, Gott, Dieu, Bog, par conséquent l'analogie entre les langues est très importante pour résoudre le problème du nom de Dieu. Et Dieu comme agissant est très important, parce que l'impor- tance de Dieu est dans l'action de Dieu. C'est le signe d'une expérience génuine que de trouver Dieu agissant.

CASTELLI :

Mais notre problème est le problème de l'analogie, celui qui est en discussion. Si vous présentez l'analogie comme quelque chose de donné, tous nos discours tombent.

LOTZ :

Je dis que c'est l'analogie qui est le problème.

LAHBABI :

Si l'on n'admet pas une analogie entre les langues, on ne doit admet- tre non plus la possibilité de traductions et d'interprétations. Dans le texte de M. Kerényi il est dit que la langue de la théologie est, dans notre histoire linguistique, l'histoire des langues européennes postérieures à la langue de la philosophie grecque qu'elles continuent, de même que la philosophie grecque continue la philosophie de la théologie implicite dans la langue grecque. Eh bien, je crois que cette remarque demande à être discutée, car les théologies du judaïsme, du christianisme et de l'islam se trouvent impliquées par le sort de la langue philosophique hellénistique, et, partant, par l'analyse de la langue grecque. Or, les textes religieux qui sont à la base de ces trois religions, ne sont pas ins-

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pirés par la langue grecque, ni par ses structures et sa logique. Les langues sémitiques sont les langues d 'un message révélé, qui ne rentrent pas dans les catégories aristotéliciennes, mais parlent au coeur. Donc, comment se fait-il qu'on leur a imposé des catégories d'où elles ne sont pas jaillies? Les langues sémitiques se trouvent plus à l'aise dans ce que M. Derossi appelle « actualisations exceptionnelles ». En effet, la pro- phétie a été toujours comparée, dans l'esprit sémitique, à la poésie; et les prophètes ont été accusés d'être des poètes ou des magiciens, des ma- giciens du verbe. Les hommes sont plus proches de la poésie que de la logique. La révélation procède par paraboles, par annonces et rappels historiques, par menaces et espérances, en parlant, comme je viens de le dire, au coeur. L'herméneutique devra en tenir compte. Alors, même si l'on refuse l'analogie, si on ne l 'admet pas a priori, on fait comme si on l'avait admise, car du moment qu'on veut rendre en des langues hors-occidentales le suc d'une tradition logico-aristotélicienne, on ne suit pas le bon chemin.

LEVINAS :

Mais le christianisme est vécu sur des Evangiles qui sont en grec.

LAHBABI :

Nous ne parlons pas maintenant du christianisme comme institution, nous parlons de Dieu, de comment on le nomme.

LEVINAS :

On ne connaît ce nom que par les Ecritures.

LAHBABI :

Oui, d'accord, mais je voudrais insister sur le fait que le langage est un instrument incomplet pour exprimer des réalités que le coeur met en relation avec notre être le plus profond; et que la logique est faite pour les choses raisonnables, et non point pour nos relations affectives.

TAUBES :

Je ne comprends pas le sens de la phrase de Heidegger (die Sprache spricht) et je voudrais que l'on m'explique dans quel sens on l'utilise. Je pense qu'elle est une mystification complète, au niveau philosophique, car elle n'explique pas qui parle à qui; et une mystification aussi au niveau sociologique. Je voudrais demander à M. Kerényi que signifie cette phrase chez Heidegger et chez lui. Est-ce qu'elle veut dire quelque chose?

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VÀTTIMO :

A mon avis, il est intéressant, et pas seulement pour des raisons phi- lologiques, mais aussi pour notre débat, de comprendre exactement ce que veut dire die Sprache spricht. D'abord, chez Heidegger, ce n'est pas une mystification, mais une remarque fondamentalement existentielle: je suis toujours plongé dans le langage comme dans l'existence; alors ce n'est pas moi qui parle le langage, mais c'est le langage qui me contient, comme l'existence me contient. Le sens de la Geworfenheit heideggérienne se tra- duit sur le plan du langage. Die Sprache spricht veut dire que le langage est toujours un appel, c'est-à-dire que quand je parle, je réponds toujours. M. Kerényi disait tout-à-l'heure que l'expérience est toujours sprachlich, or cela veut dire que l'expérience du monde se fait d'abord dans le langage, mon expérience du monde est avant tout le discours, et non pas la soi-disant réalité concrète; c'est le mot, la parole.

A propos de la distinction entre langue et langage, si j'ai bien com- pris, la langue tout court serait, selon M. Kerényi, une façon originaire d'expérimenter linguistiquement le monde; tandis que les langages, étant étendus dans le temps, ne seraient plus authentiques. Mais si l'expé- rience est toujours sprachlich, si la Sprache est toujours un appel auquel on répond, que veut dire la distinction entre langue et langage? L'appel est toujours un appel historique auquel je réponds historiquement, donc toujours dans un langage. Une langue au-delà du langage est impensable. Alors, si le langage est avant l'expérience, quel sens a-t-il parler de quelque chose qui est ineffable? Serait-ce quelque chose qu'on ne peut pas dire? Ineffabilité me paraît faire allusion au fait que je ne peux parler de telle chose parce que je ne trouve pas les mots adéquats. Mais si l'expérience est toujours une expérience linguistique, l'ineffabilité ne peut pas être comprise de cette façon. L'ineffabilité de Dieu devrait être com- prise seulement dans le sens que Dieu est toujours le sujet de l'annonce et jamais l'objet d'un discours, c'est-à-dire : il est toujours quelqu'un auquel je réponds, jamais quelqu'un dont je parle. Par conséquent, j'avoue que je ne comprends pas tous les problèmes historiques de la traduction. Etant né 2000 ans après la venue du Christ, je ne peux pas me mettre dans la situation de celui qui parlait à ce temps-là; il s'en suivrait que je ne peux pas être chrétien. Une position du problème qui ne peut que conduire au scepticisme. Or, si l'on pose la question du rapport entre le langage historique et une langue originaire qui serait l'expérience originaire et la vraie expérience, on n'en sort plus. Selon la conception heideggérienne, la langue est toujours seulement une sorte de vocation intérieure au langage; c'est-à-dire que le langage tâche toujours de devenir quelque chose qui n'est pas extérieur à lui, mais qui se trouve dans ses racines mêmes, et qu'il lui faut extérioriser, exprimer comme une sorte de vocation, de destinée intérieure qui est comprise dans notre situation existentielle linguistique.

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BRUAIRE :

J ' a i le sentiment, quand j'écoute des experts en linguistique, qu'il y a toujours tentative de régression. Tenter de retrouver les racines, par l'analyse, un sens primaire ou originaire, par des études comparatives ou analogiques, c'est aller vers une grande pauvreté, parce que la possibilité de la traduction — traduction n'est pas transcription —- c'est le concept, c'est le sens. Et la langue qui s'élabore, qui se rationalise, c'est la langue qui tente de s 'approcher du sens. Autrement dit, quand on décapite la langue de son logos, de son langage et de sa réflexion, pour tenter de repérer les origines linguistiques, on ne découvre jamais le sens; on le découvre en progressant par une réflexion de plus en plus nourrie, de plus en plus riche. Ce n'est pas une analogie entre les langues, ce sont les langues qui sont relativisées, relativisées par le concept, c'est-à-dire par le logos en chaque langue, qui est un.

BRETON :

L'arrheton dont parle M. Kerényi peut être envisagé selon un double rapport: rapport au theós d'une part; rapport à la langue d'autre part. Ce dernier rapport ne me paraît pas avoir été suffisamment mis en relief. Que signifie l 'apparition d 'un terme de ce genre dans une langue, eu égard à cette langue elle-même? Faut-il oser dire que l'apparition d 'un tel terme constitue, à l'intérieur de la langue et dans le vocabulaire de cette langue, l'équivalent d 'un théorème fondamental de limitation? En ce sens, à travers l 'arrheton, est-ce que cette langue ne prononcerait pas, dans une sorte de retour sur soi, un jugement dernier sur ses possibilités et ses limites? Bref, on peut se demander —- mais je me contente de poser une question — s'il n 'y a pas dans l'arrheton, en liaison étroite avec son usage religieux et théologique, une critique de la langue par elle-même; critique qui limite sa validité à son usage immanent dans la sphère des déterminations, de ce que les Grecs appelaient morphé. Peut-être faudrait-il ajouter que cette liaison des significations aux formes a besoin elle-même de s 'appuyer, pour prendre tout son relief, à un fond d'apeiron, qui en dénoncerait tacitement et la nécessité pour notre con- dition humaine d'animal loquens et aussi l 'impure richesse. Dans cette optique, religieuse et mystique, tout langage naîtrait d 'un silence originel dont il serait l'énigmatique rupture. Quant au theós, lorsque nous le considérons sur fond d'arrheton, il ne peut apparaître que comme morphé amorphou, pour reprendre, si j 'ai bonne souvenance, une expression de Plotin. Il me semble, dès lors, qu'il faudrait d 'une part le mettre en rapport avec le theion; et d'autre part, par le theion, à l'arrheton.

KERÉNYI :

A propos de l'expérience de Dieu accomplie à l'intérieur des langues

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sémitiques — soit l'hébreu que l'arabe —, non seulement je ne conteste pas cette spécificité de l'expérience, disons, dans sa modalité sémitique et de sa possibilité de traduction en langue grecque, mais je viens de donner un exemple en citant la traduction que Martin Buber donne du fameux verset de l'Exode: ehieh ascher ehieh, qui est: ich werde da sein et ich bin da. Buber traduit donc avec un futur, et puis avec un présent; c'est parce que le présent du verbe être en hébreu, le présent verbal, syntaxique, morphologiquement signifié, n'existe pas. Alors quand la Septante traduit en langue grecque un texte sémitique, une expérience sémitique, elle dit: ἐγώ εἰμι δ ὢν , et δ ὤν. Et cela nous renvoie à Parménide...

LAHBABI :

Le professeur Bruaire a tout-à-l'heure remarqué que quand on revient à l'étymologie, on risque la pauvreté, mais c'est le même risque de l'archéologue. Et l'étude de l'homme primitif, tout en étant nécessaire, est un appauvrissement par rapport à l'homme actuel. Le risque est né- cessaire pour la connaissance! Et il faut abandonner tout ce qui a été ajouté au cours de l'histoire humaine pour pouvoir retrouver la chose dans sa pureté.

BRUAIRE :

Non, ce que je veux dire me semble plus important et plus grave: on peut retrouver un sens perdu par l'étymologie, mais si on se place sur le terrain strict de la recherche de la vérité, du plus vrai, du plus adéquat, du plus conforme, je ne crois pas qu'il y ait analogie. Vous n'y arrivez pas par la récupération du sens originel d'un mot. Vous y arriverez par réflexion et mise en oeuvre discursive d'un langage. Autrement, la recherche du vrai, du plus vrai, de la proximité du sens, sera perdue.

KLIBANSKY :

Dans nos colloques philosophiques nous avons l'habitude de nous demander de quoi parlons-nous. Et c'est cette question que je me suis posée maintenant. On a parlé de Heidegger, on a parlé de questions historiques, de la terminologie grecque et aussi de certains sujets théolo- giques. D'abord Heidegger. Nous sommes venus ici pour parler de l'ana- lyse du langage théologique et du nom de Dieu; je me demande pourquoi l'on parle tant de Heidegger. Dans les pays anglo-saxons il n'est reconnu comme autorité ni en philosophie, ni en philologie grecque. Les fausses interprétations du vocabulaire et des auteurs grecs chez Heidegger sont incroyables. Et quand il s'agit de langage, pourquoi commencer par une assertion telle que die Sprache spricht, dont on donne des interprétations