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Recherches cosmologiques, métaphysiques, éthiques, sur l'éternel retour Liamine Touhami 1

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Recherches

cosmologiques,

métaphysiques,

éthiques, sur l'éternel

retour

Liamine Touhami

Benoît Bohy-Bunel

1

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Sommaire

- Avant-propos

- Recherches métaphysiques, physiques et éthiques autour du concept d'éternel retour

(dialogue) 

Première partie   : Cosmologie, psychologie et métaphysique

I L'éternel retour du même   d'un point de vue cosmologique : principes élémentaires et problèmes

induits

II Loi de conservation de l'énergie, déterminisme, et liberté

III La question de l'éternité

IV Le programme épistémologique de Bergson

V La question des synchronicités

VI Ebauche d'une interprétation mathématique des synchronicités

VII Certains témoignages de la «   réalité   » de l'éternel retour au sein d'une expérience personnelle

située

VIII Tentative d'explication «   rationnelle   » de ces témoignages liés à une «   réalité   » de l'éternel

retour

IX La philosophie de l'éternel retour   : un monisme ou un dualisme   ?

X Liberté et déterminisme chez Kant

XI La question de la physiocratie

XII Question épistémologique

XIII Les principes d'une physique qualitative, ou bergsonienne

XIV L'éternel retour serait-il une «   bonne nouvelle   » pour les physiciens   ?

XV L'univers   : une implosion-explosion

XVI La notion d'infini dans le contexte théorique de l'éternel retour

XVII La notion d'une quantité de forces finie dans «   notre   » univers

XVIII Quelques principes de la connaissance humaine

XIX Y a-t-il un «   secret   » du temps   ?

XX Pourra-t-on «   prouver   » un jour scientifiquement l'éternité de la durée physique   ?

XXI Quelle théorie métaphysique se rapprocherait le plus de la conception d’un espace-temps infini

déroulé de toute éternité   ?

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XXII L'éternel retour remet-il en cause la loi de l'entropie   ?

XXIII Il existe un espace, en mécanique quantique, qui possède des propriétés analogues à celles

d’un «   super espace   » qui s’apparenterait à une multitude de degrés de liberté et qui n’a rien de

commun avec l’espace à 3 dimensions que l’œil peut connaître. Du point de vue métaphysique, un

tel espace peut-il réellement exister   ?

XXIV D’après Kant, et les nativistes, l’espace et le temps sont des formes a priori de la sensibilité.

Or, la sensibilité met elle-même en jeu ces deux formes dans quelque chose . L’être vivant ne doit-il

pas posséder une forme particulière d’espace-temps   ?

XXV Synthèse   : tentative de penser «   scientifiquement   » l'éternel retour du même

Deuxième partie   : la question politique

XXVI L'éternel retour d'un point de vue «   politique   »

Troisième partie   : la question éthique et érotique

XXVII Vu du point de vue de l’éternel retour, à quoi pourrait ressembler l’amour   ?

XXVIII L’amour universel que prônent les monothéismes pourrait-il être soluble dans une

philosophie de l’amour associée à la pensée de l’éternel retour   ?

XXIX Le salut de l'humanité tient-il à l'amour   ?

- Synthèse générale de la recherche

- Annexes :

1 ère Annexe   : une réflexion de Martin Bojowald

2 ème Annexe   : une réflexion d’Aurélien Barrau

3 ème Annexe   : une réflexion philosophique sur l’expérience de pensée du «   chat de Schrödinger   »

- Bibliographie

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Avant-propos

Benoît Bohy-Bunel :

Lorsque j’ai évoqué pour la première fois l’hypothèse cosmologique de l’éternel retour du

même avec mon ami Liamine Touhami, chercheur en physique et en philosophie, il a considéré que

cette piste était intéressante. Selon une certaine loi statistique, lui disais-je, une éternité de durée

associée à une quantité de forces finie dans l’univers implique qu’il est probable que la

« séquence » physique dans laquelle nous nous situons s’est déjà répétée à l’identique et devra se

répéter à l’identique, une infinité de fois. Nous n’aurions en fait pas une seule vie, mais une infinité

de vies identiques se répétant dans l’éternité. Il reconnut la pertinence possible de cette conclusion.

Liamine travaille lui-même depuis quatre ans sur la fondation d’une épistémologie

qualitative, bergsonienne, de la physique. Or, j’avais déjà formulé pour ma part, une interprétation

philosophique de l’éternité de la durée qui était, précisément, bergsonienne. Nous avons alors

découvert que nos travaux se complétaient, et que nous avions besoin l’un de l’autre pour avancer

dans nos recherches. Je lui apportais le concept d’éternel retour. Il m’apportait un complément

indispensable : un programme épistémologique bergsonien cohérent et novateur, permettant, entre

autres choses, de saisir quelque peu le principe d’éternité physique.

Cette recherche est donc le premier résultat de cette rencontre. Il s’agit d’une sorte de

dialogue, qui a pour but principal d’établir la légitimité potentielle de l’hypothèse de l’éternel retour

du même, sur les plans métaphysique et physique, et les implications plus vastes de cette hypothèse.

Les stoïciens, Auguste Blanqui, Nietzsche, sont bien sûr considérés dans ce projet, puisqu’ils auront

déjà envisagé une telle hypothèse. Mais il s’agira de dépasser leurs limitations théoriques et

historiques, en intégrant une métaphysique plus rigoureuse que la leur (Bergson) et une cosmologie

moderne ou contemporaine plus précise (physique relativiste, quantique, gravitation quantique).

La pensée de l’éternel retour est indissociable des phénomènes de synchronicités dont parla

le psycho-analyste C.G. Jung, et qui intéressèrent son confrère le physicien Wolfgang Pauli, l’un

des pères de la physique quantique (prix Nobel en 1945), mais intéressent aujourd’hui encore

certains chercheurs comme Philippe Guillemant, Huw Price, Joachim Soulières, ou François

Martin. En effet, la synchronicité est, très fondamentalement, une double causalité : le présent

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détermine le futur, et, réciproquement, le futur détermine le présent, au sein d’une actualité, d’une

durée épaisse, non divisible, non fragmentée. Or, si un tel « futur » a « déjà » été éprouvé par une

sensibilité inextensive antérieure, « à l’identique », sous l’hypothèse d’un éternel retour « à

l’identique » de toute sensibilité vivante, une telle épaisseur de la durée vécue reçoit une

interprétation plus complexe, et relève peut-être de sorte de « pressentiments », d’« anticipations

rétroactives », de « réminiscences » spécifiques.

Mais notre recherche a également une dimension « politique », ou « éthique », en un sens

tout aussi large. Regarder le ciel, comprendre la totalité naturelle, vivante, envisager une sensibilité

inextensive qui n’est pas seulement fragmentée et divisée, mais potentiellement connectée, voire

unifiée, cela comporte de fait des enjeux « politiques » ou « éthiques » certains. Les premiers

astronomes grecs ont voulu définir un « ordre » du ciel, et cet « ordre » fut implicitement, voire

explicitement, projeté sur quelque « ordre » « naturel » ou « légitime », hiérarchique, de la cité. La

physique moderne, cartésienne-galiléenne, newtonienne, puis einsteinienne ou quantique,

conditionne, directement ou indirectement, le développement d’une mécanique qui sera exploitée

essentiellement par les ordres socio-techniques permettant l’exploitation industrielle de la grande

majorité des individus, et du vivant non-humain, et même finalement le développement de l’outil

nucléaire, et de la capacité destructive atomique. Mais il existe aujourd’hui une cosmologie se

développant, qui nous paraît « inexploitable » par les institutions mortifères de la destruction, ou de

quelque ordre « légitime » hiérarchique naturalisé, si du moins on l’oriente vers la vocation qui lui

paraît propre. C’est celle, nous semble-t-il, d’un Aurélien Barrau (libertaire et anti-autoritaire par

ailleurs), ou d’un Martin Bojowald, tous deux réinstallant l’univers dans un principe d’éternité

intuitif, et développant l’idée d’un « univers en rebond », au sein d’une infinité temporelle, voire

spatiale, vertigineuse, et surtout : tous deux donnant à nouveau leur dignité légitime à l’imagination,

à la créativité, à la rêverie, à la fantaisie, au sein même  de la science que l’on dit la plus « dure » et

la plus « rigoureuse » (« tout arrive » nous dit Barrau, évoquant la potentialité d’une infinité

d’univers, ce qui est aussi un programme pour l’imagination). Cette « troisième »  physique, qui est

celle qui nous intéresse, aura une dimension « politique » en un sens radicalement nouveau, ou

peut-être aussi radicalement archaïque (qui nous rapproche des premières formes de liens spirituels

cosmogoniques des sociétés premières, animistes ou panthéistes). Elle est politique au sens où elle

développe une forme de spiritualité plus incarnée, peut-être plus empathique, mais aussi plus

« critique », spiritualité qui émerge à partir d’une compréhension indéfinie de ce qui fait que le tout

est tout, et de ce qui nous relie tous à ce tout (« politique » comme religare qui est « cité » par ceux

qui saisissent le tout d’une phusis incarnée). Face à cette cosmologie contemporaine qui « ouvre la

perspective », et que nous allons questionner, nous réinstallons Bergson dans le débat, car lui-même

plus que tout autre aura voulu dépasser la dimension « mécanique », quantitative, spatialisée, et

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donc potentiellement destructive, de la physique moderne, en développant les prémisses d’une

épistémologie qualitative de la physique (Durée et simultanéité), indissociable d’une pensée de la

durée pure du vivant (L’évolution créatrice), et de la durée pure de la conscience intime humaine

(Essai sur les données immédiates de la conscience). Ce sont les outils bergsoniens, réactualisés,

qui pourraient selon nous permettre d’accomplir la vocation « spirituelle-politique », pour ainsi dire,

de cette « troisième » physique d’un Aurélien Barrau, par exemple, ce que nous montrerons et

expliciterons en détails.

Durée et simultanéité est selon moi l’un des ouvrages du XXème siècle qui a les enjeux

politiques les plus décisifs de notre temps. Ici, un philosophe-épistémologue, Bergson (président,

dès 1921, de la CICI, ancêtre de l’UNESCO), soucieux de développer une dimension « spirituelle-

politique » au sein des sciences naturelles, dont il critique aussi la mathématisation inconséquente

ou inconsciente, s’adresse à un physicien génial, Einstein, mais quantifiant la durée pure, la

divisant, la morcelant, et dont la relativité générale de tout mouvement et de tout repos indique que

les systèmes de référence physiques n’ont plus aucune qualification subjective, vivante (réification

pure du sujet observateur einsteinien, qui n’est pas étrangère à la réification dont parla Georg

Lukacs, en critiquant le productivisme industriel, comme nous le verrons) : cette physique

einsteinienne ne rendra pas impossible la désolation nucléaire qui s’ensuivrait, mais fournira au

contraire des outils précieux à ses producteurs. Certes, certains résultats « positifs » développés par

Bergson ont été par la suite « invalidés ». Mais on peut dire aussi que l’intention épistémologique

générale de Bergson, émancipatrice, non seulement dans cette œuvre, mais aussi en considérant

l’ensemble de son geste philosophique, demeure fort pertinente, malgré certaines

« erreurs scientifiques » commises par lui (ces erreurs sont conjoncturelles, et ne remettent pas en

cause les structures novatrices, qui donnent encore à penser, de sa critique de la spatialisation du

temps dans les sciences naturelles).

C’est la lecture de Michel Henry, grand penseur français de la vie subjective et qualitative,

pensant une phénoménologie et une religiosité, une sacralité de la vie, en un sens cohérent, critique

du productivisme et des techno-sciences (commentateur de Marx), qui m’aura permis de ménager

un espace de synthèse entre Bergson et cette dimension « politique » au sens fort d’un certain

discours sur la « nature ».

Il s’agira donc bien finalement de réhabiliter une certaine vocation « messianique » de la

cosmologie théorique, au sens politique du terme (émancipation à l’égard de la fragmentation du

sensible qui nous tient en esclavage, vers la compréhension empathique de ce qui nous relie), contre

toutes ces tendances destructrices développées par les sciences modernes. Et je donne à ce projet le

nom de « pensée cosmologique, métaphysique, et éthique, de l’éternel retour du même ».

Cette vocation, même du point de vue épistémologique de la physique standard

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d’aujourd’hui, serait porteuse : car nous verrons ici qu’une physique qualitative bien comprise (qui

est aussi une biologie, une science cognitive bien comprises) n’est rien d’autre que la possibilité

d’unifier un jour, épistémologiquement et même mathématiquement (mathématique « intuitive »), la

physique de l’infiniment petit et la physique de l’infiniment grand, graal de tous les physiciens

« standards » aujourd’hui (question qui occupe éminemment d’ailleurs Aurélien Barrau, dans le

contexte de la gravitation quantique à boucles).

Blanqui, Nietzsche, Bergson, Michel Henry, Aurélien Barrau, Lukacs : pour faire de la

pensée du ciel et de la vie une élévation spirituelle et un principe d’émancipation et de libération,

de créativité et de joie, au sens fort. Contre une pensée « standard » qui organise le monde de la

destruction, vers son extinction finale (on songera à Stephen Hawking qui, en janvier 2016,

annonçait de façon assez froide et fataliste que l’humanité finirait certainement par périr dans

quelques centaines d’années, sans envisager la possibilité que nous puissions un jour interrompre de

façon consciente et réfléchie le procès productiviste et technologique rendu possible par le monde

théorico-technique qu’il représente, dont il dénonce à la fois les aspects destructeurs, mais sans

pouvoir empêcher leur déploiement aveugle).

Liamine Touhami :

La rencontre avec mon ami le philosophe Benoît Bohy-Bunel est une de ces rencontres que

l’on n’oublie pas. En effet, les travaux que nous menions chacun de notre côté traitaient du même

sujet, sous des angles et des disciplines différents. Benoît s’occupait de métaphysique, et ses

concepts d’éternel retour et de « résolution messianique » l’engageaient sur des recherches qui

dépassaient largement ce domaine de la philosophie. Quant à moi je travaillais depuis dix ans dans

le domaine de la physique et recherchais une nouvelle façon de voir les choses dans cette discipline.

Cela me conduisit à étudier profondément l’œuvre de Bergson et je découvris alors la durée ; je me

rendis compte qu’il était possible de pratiquer une physique qualitative. Avec Benoît, nous

échangeâmes très vite sur ces concepts et ces recherches. Ces échanges, très fructueux, et engagés

sur des voies novatrices, donnèrent lieu à cette recherche que nous vous proposons aujourd’hui. Il

s’agit de questionnements qui nous ont traversés et qui nous ont menés à chercher des réponses dans

les travaux que nous avons effectués sur ces sujets fondamentaux que sont la cosmologie de

l’univers, la théologie de l’être, l’éternité, la visée politique pouvant rassembler l’humanité dans le

bien-être… Autant de sujets qui je le crois passionneront le lecteur scientifique ou philosophe, athée

ou religieux, doué dans les études ou travailleur manuel, car ce sont il me semble des questions qui

traversent toute l’humanité.

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Recherches cosmologiques, métaphysiques, et éthiques autour du concept d'éternel retour

Dialogue

Remarques préalables   :

L’ordre de l’exposition, ici, correspond à l’ordre naturel d’une discussion vivante et

mouvante, qui s’est déroulée progressivement. Chaque titre correspond à une question que nous

avons posée à l’autre, pour approfondir des thèmes qui nous semblaient importants.

Nous avons préféré cette forme dynamique, qui traduit le mouvement réel d’une pensée

dialogique en construction, et qui se surprend parfois elle-même en découvrant des zones nouvelles,

à la forme scolaire et rigide correspondant à la réorganisation artificielle et a posteriori d’un donné

théorique organique et fluctuant.

Dans cette recherche, nous traiterons de questions cosmologiques et de questions

métaphysiques, puis éthiques, en tâchant de bien distinguer les champs, mais en les articulant entre

eux, également, de façon à suggérer des possibilités d’ajustements réciproques, et une

complémentarité irréductible de ces champs.

Nous précisons que les conclusions finales sont hautement spéculatives, du point de vue des

sciences naturelles « positives » et « expérimentales », et qu’elles s’insèrent dans une proposition

qui se veut philosophique, et non dans un discours qui prétendrait « corriger » les résultats admis

par les sciences positives aujourd’hui. Nous occupons parfois un terrain cosmologique, mais il

s’agit alors de la dimension la plus spéculative de la cosmologie, qui nous paraît très difficilement

« testable » par l’expérience en l’état actuel des choses. Il faut voir ce geste, donc, comme une

« mise en perspective » plus que comme la prétention d’avoir fait une « découverte positive »,

« mise en perspective » qui intéresse d’abord le philosophe, et qui concerne secondairement peut-

être le physicien, si du moins celui-ci se confronte parfois à des questions d’ordre métaphysique.

Toutefois, Heidegger lui-même rappellera, dans son Introduction d’Etre et temps, que le

philosophe peut jouer un rôle décisif dans la constitution des sciences positives et spécialisées. En

définissant une « ontologie générale », il définit en même temps des concepts fondamentaux qui

détermineront des ontologies régionales rendant possibles le développement et l’investigation

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positive de chaque science spécialisée. Le philosophe, en pensant l’être (l’être de ce qui est là, et du

fait d’être là), dit en même temps ce qu’est le fait d’être « naturel », « physique », « biologique »,

« psychique », « cognitif », « historique », « sociale », etc. Aristote par exemple, en définissant des

catégories logiques « exploitables » pour toutes les sciences spécialisées à venir (la substance (ou

essence), la quantité, la qualité, la relation, le lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la

passion), définit un être du logos présentifiant l’être (ontologie générale) et définit autant

d’ontologies régionales qui restent encore essentiellement le fond (souvent impensé) des sciences

naturelles d’aujourd’hui (physique, biologie, psychologie, etc.). Penser l’être différemment

aujourd’hui, c’est modifier potentiellement les ontologies régionales des sciences, soit leurs

concepts fondamentaux, et c’est intervenir de ce fait, au moins indirectement, dans le champ de ces

sciences (éventuellement pour élargir ces champs, les connecter, les synthétiser différemment, et

même peut-être pour affecter leurs expérimentations mêmes, indissociables de tels concepts

fondamentaux).

C’est donc dans une mesure très spécifique que nous prétendons « affecter » certains

discours scientifiques modernes, de façon médiatisée, en restant soigneusement sur le terrain

philosophique, épistémologique, ou sur le plan d’une cosmologie réflexive, spéculative, non

expérimentale.

L’ontologie générale que nous proposons néanmoins, ne sera pas heideggérienne au sens

« existential » (car nous rejetons l’anthropocentrisme et la philosophie politique discriminante qui

en découle). Mais bien bergsonienne, voire « henryenne », considérant que c’est la vie qualitative et

subjective fluide et continue qui est la mesure de toutes choses.

Sentences directrices

« Homme ! Ta vie tout entière sera toujours de nouveau retournée comme le sablier et

s’écoulera toujours de nouveau. Puisses-tu alors retrouver chaque souffrance et chaque plaisir,

chaque ami, chaque ennemi et chaque espoir, chaque erreur, chaque brin d’herbe, chaque rayon de

soleil, la série intégrale de toutes choses. »

Nietzsche, Fragments posthumes sur l’éternel retour

 « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de

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nouveau. »

Anaxagore

Première partie   : Cosmologie, psychologie et métaphysique

I L'éternel retour du même   d'un point de vue cosmologique : principes élémentaires et

problèmes induits

Benoît Bohy-Bunel :

Ce qui nous intéressera donc ici : l'éternel retour du même, dans l’ordre de la succession. Cet

éternel retour que Blanqui (L’éternité par les astres), puis Nietzsche (Fragments posthumes sur

l’éternel retour) ont essayé de penser, au XIXème siècle, et qui mérite, je pense, des

approfondissements philosophiques, voire « cosmologiques », aujourd’hui, avec l’émergence

contemporaine de « cosmologies du rebond » (Barrau, Bojowald). Pouvons-nous définir,

aujourd’hui, un concept « cosmologique » de l’éternel retour du même ? Voyons ce qu’il pourrait en

être.

Pour être entendu, dans un premier temps, je tenterai de m’approprier certains principes

épistémologiques des sciences physiques ou mathématiques modernes ou contemporaines. Mais

cette « description » d’une répétition à l’identique, dans l’infinité temporelle physique, de

« séquences d’univers », aura peut-être d’abord de quoi effrayer. On aura peut-être l’impression que

je décrirai là l’univers comme une espèce de grande machine automatisée, de grande usine à gaz,

reproduisant indéfiniment des exemplaires « identiques », voire standardisés, de « morceaux

d’univers », à la manière de la production en séries de l’industrie moderne. Le « déterminisme »

intégral dont je parlerai, mal interprété (car peut-être mal nommé) pourra donner l’impression que

les êtres vivants dont je parle, et qui se re-manifesteraient « à l’identique », ne seraient que des

robots purement réactifs et inconscients. Néanmoins, le problème ne se situe pas au niveau de mes

intentions, qui vont être très clarifiées au fil de la recherche, au profit d’une liberté et d’une

créativité pure des étants naturels, mais au niveau des outils conceptuels et théoriques que je dois

d’abord mobiliser, pour être entendu par ceux qui les utilisent, et qui considèrent comme illégitime

tout discours non formulé selon leur paradigme. Et ce qui pourra d’abord choquer ici dans cette

première intervention, dans cette introduction (ce qui pourra par exemple choquer une tradition

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religieuse promouvant la grâce et la sacralité de toute vie libre), pourrait bien être en fait une

certaine façon indirecte de critiquer ces paradigmes irréfléchis, qui transforment une démarche qui

tente de les dépasser et de les transcender, au profit de la vie qualitative libre, lorsqu’ils exigent

qu’elle s’exprime avec leurs « termes », en démarche paraissant d’abord totalitaire et dangereuse

(en démarche « physicaliste » au sens clivé, alors qu’elle est une démarche qualitative au sens

incarné). C’est donc bien le point de vue à partir duquel je dirai tout ceci qui sera d’abord

problématique, mais lorsque ce point de vue sera clairement défini, ce qui paraissait d’abord

« barbare » et « automatique » apparaîtra de façon spirituelle et émancipatrice. Mais proposons

donc d’abord un discours dit « sérieux », en tenant compte de ce qui vient d’être dit, et de toutes les

réserves que cela implique.

Si l'on s’appuie sur l’idée d’une durée éternelle de l’univers physique (pour l’instant

problématique, certes, et à approfondir au fil de la recherche, mais néanmoins admissible

initialement, en vertu du principe « physiocratique » – « rien ne naît de rien » -), et si l'on conserve

l’idée, encore admise aujourd’hui, d'une quantité de forces finie dans l'univers (loi de la

conservation de l'énergie), alors l’hypothèse de l’éternel retour du même, cosmologiquement

parlant, est, il me semble, potentiellement légitime, selon l’interprétation d’une certaine loi

statistique. En effet, si l’univers dispose d’une quantité finie de forces, le nombre de combinaisons

différentes possibles de ces forces est lui-même fini. Dans l’éternité de la durée, de ce fait, chaque

« séquence » d’univers (soit : un ensemble d’agencements spatiaux et une certaine combinaison des

forces qui sont initiés systématiquement par des conditions déterminées), chaque séquence physique

donc, qui renvoie à une certaine combinaison possible des forces, parmi un nombre fini de

combinaisons différentes possibles, devra très probablement se répéter à l’identique, à un moment

donné, comme pourrait l’indiquer par exemple la théorie des jeux de Neumann. En outre, puisque

cette éternité est, précisément, un infini (temporel), la répétition des séquences identiques pourrait

bien elle-même être une répétition qui se produit une infinité de fois.

Pour justifier cette notion du point de vue de la loi statistique qui la régirait, on pourrait

utiliser une analogie parlante. Disons qu’il y ait simplement six types de combinaisons des forces

différentes possibles dans l’univers, définissant six types de séquences d’univers différentes

possibles dans l’éternité de la durée physique (en réalité, il doit y en avoir un nombre plus que

considérable, mais ce nombre reste fini, par hypothèse, et c’est tout ce qui m’intéresse ici). Disons

que la manifestation d’une séquence donnée est aléatoire. L’ordre de la succession de ces six

séquences différentes serait alors comparable à l’ordre de la succession de jets d’un dé à six faces.

Intéressons-nous alors à une certaine loi statistique (issue de la théorie de jeux de Neumann) qui

régirait l’ordre de la succession de jets d’un dé. Si je jette le dé une fois, un certain chiffre apparaît,

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par exemple le « 1 ». Si je le jette une deuxième fois, il est peu probable que ce même chiffre

apparaisse encore. Mais si je le jette trois fois, la probabilité pour que le « 1 » surgisse à nouveau

augmente. Au plus le nombre de jets augmentera, au plus il sera probable d’avoir le même chiffre,

le « 1 », qui surgisse à nouveau. Et, au plus le nombre de jets augmentera, au plus le nombre de

répétitions du même chiffre sera susceptible d’augmenter. Si je jette le dé une infinité de fois, dans

l’éternité, il est dès lors fort probable que le chiffre « 1 » se répète un maximum de fois, et donc,

potentiellement, une infinité de fois. Mais cette tendance doit s’appliquer pour tous les chiffres du

dé, car, dans un régime vraiment aléatoire, c’est-à-dire dans un régime d’équiprobabilité des

occurrences possibles, ce qui s’applique à une occurrence s’applique à toutes les autres. Ainsi le

chiffre « 2 » lui-même, très probablement, si le dé est jeté une infinité de fois dans l’éternité, se

répétera une infinité de fois, tout comme les chiffres « 3 », « 4 », « 5 » et « 6 ». La somme totale des

jets de dés dans l’éternité est donc potentiellement un infini qui contiendra 6 ensembles eux-mêmes

infinis. Ceci n’étant pas forcément absurde, si l’on songe par exemple à la théorie des ensembles de

Cantor, qui montre qu’un ensemble infini peut contenir une multiplicité d’ensembles eux-mêmes

infinis.

Reprenons nos séquences d’univers. Il y n’y a plus simplement six séquences d’univers

différentes possibles, six types de combinaisons des forces différentes possibles, mais il y en a un

nombre plus qu’astronomique (des milliards de milliards de milliards de séquences différentes

possibles, et plus encore !). L’univers éternel total serait donc comparable à une succession infinie

de jets d’un dé qui comporterait un nombre astronomique de faces. Mais, le nombre de ces faces

étant, par hypothèse, fini, et le cadre temporel demeurant l’éternité, ce qui s’appliquait

statistiquement pour le dé à six faces pourrait s’appliquer pour le dé comportant ce nombre

astronomique de faces. Ainsi, très probablement (car, dans l’éternité, tout finit par arriver), chaque

face surgira à l’identique une infinité de fois. L’univers définirait dans ce contexte un ensemble

infini contenant des milliards de milliards de milliards (et plus encore !) d’ensembles eux-mêmes

infinis : l’infinité totale des séquences d’univers effectives pourrait contenir un nombre

astronomique de séquences d’univers différentes, chacune étant multipliée à l’infini.

Cette hypothèse formelle ne s’insère pas a priori dans une théorie cosmologique spécifique,

car ses conditions sont très générales. Mais on pourrait tenter, dans un premier temps, d’insérer

cette conception d’une répétition à l’infini de « séquences physiques identiques » dans la théorie

d’un univers qui connaîtrait des phases d’expansion et des phases de contraction, dans une durée

infinie (cf. la théorie d'un « univers en rebond », issue de la gravitation quantique à boucles ; Martin

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Bojowald1, Aurélien Barrau2). Une séquence d’univers donnée définirait une phase d’expansion,

suivie d’une phase de contraction déterminée. Selon cette théorie, notre « big bang » serait en réalité

la résultante d’une contraction antérieure d'une « séquence d'univers » antérieure, laquelle donnerait

lieu à certaines « conditions initiales », au sens où ces conditions initieraient l’expansion de notre

séquence d’univers (ce « big bang » serait en réalité un « big bounce », un « grand rebond »). Cette

contraction, située dans l’éternité physique3, aurait été précédée par une expansion quasi infinie

d’une séquence d’univers antérieure, et peut-être même par d’autres contractions. Nous

supposerons, dans le cadre de cette théorie d’un univers en expansion et en contraction, dans le

cadre d’une éternité physique, et dans le contexte d’une quantité de forces finie, que le nombre de

contractions de l’univers est infini, mais que le nombre d’agencements des forces différents

possibles inclus dans les « conditions initiales » (ou initiantes) découlant de ces contractions

(parvenues à leur niveau maximal) est fini. Selon l’interprétation d’une certaine loi statistique, ou

probabiliste (Neumann), très probablement, à un moment donné du futur, nous retrouverons dans

l’univers éternel une contraction, ou un « vide quantique », dont l’agencement final-dynamique est

absolument « identique » (spatialement parlant) aux « conditions initiales » qui ont déterminé notre

séquence physique actuelle, de même que, dans l’infinité passée de l’univers, il est fort probable

que ces « conditions initiales » de notre séquence d’univers actuelle, résultats d’une contraction

antérieure, ayant donné lieu à l’expansion que nous connaissons, laquelle se déploie depuis presque

14 milliards d’années, se soient déjà retrouvées à l’identique, et qu’elles aient déjà déterminé des

agencements spatiaux identiques à ceux qui se déroulent dans notre séquence d’univers. Le

raisonnement est simple : si les conditions, au niveau le plus précis, du « rebond » qui a directement

« provoqué » notre séquence d’univers se reproduisent très probablement à l’identique dans

l’éternité de l’univers physique, selon une loi statistique, et si ce « rebond », définissant certaines

« conditions initiales », conditionne, selon un déterminisme strict, absolument tout ce qui s’ensuivra

dans la séquence d’univers en expansion qu’il engendre (sous l'hypothèse d'une univocité de la

« fonction d'onde » initiale), alors cette séquence elle-même, cette expansion elle-même, se répètera

à l’identique en tout point : elle verra se reproduire à l’identique tous ses agencements spatiaux.

Autrement dit, par exemple, nous constatons que notre séquence d’univers, parmi une 1 Martin Bojowald expose le modèle d’un univers en rebond dans son ouvrage L’univers en rebond. Il montre que l’univers, dans le cadre de la théorie de la gravitation quantique à boucles, pourrait se comporter comme une balle, rebondissant indéfiniment dans une succession de cycles de contraction-expansion. Le big bang serait en réalité un « big bounce », un « grand rebond », transition entre un univers en effondrement et un univers en expansion.2 Aurélien Barrau travaille également sur la théorie de la gravitation quantique à boucles. Il expose l’hypothèse du « rebond » dans son ouvrage Big Bang et au-delà.3 Martin Bojowald, dans le cadre de sa théorie d’un « univers en rebond », parlera de durée « arbitraire » de l’univers, et non de durée « éternelle ». L’éternité est en effet une question qui concerne plus le métaphysicien que le physicien, ce que nous verrons plus loin.

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multitude astronomique de phénomènes, induit la constitution de la planète Terre, et d’habitants

vivants, puis conscients, humains, sur cette planète. Ces humains, ces terriens, par exemple, agiront

et penseront d’une certaine manière, dans des contextes spécifiques. Dans l’hypothèse où les

« conditions initiales » de notre séquence d’univers (conditions extrêmement précises du

« rebond »), se re-manifestent à l’identique, à un moment donné, dans l’éternité physique à venir,

ou dans l’hypothèse où elles se sont déjà manifestées, dans l’infinité passée, et dans la mesure où

ces « conditions initiales » déterminent invariablement et intégralement tout ce qui s’ensuit dans la

séquence physique donnée, on pourra dire que cette Terre que nous connaissons, dans sa

constitution la plus précise, avec ces vivants, ces humains qu’elle contient, mais aussi chacun des

gestes de ces vivants, chacune des paroles les plus précises de ces humains, chacun des contextes

les plus précis dans lesquels se situent ces êtres, oui que toutes ces choses, tous ces vécus, tous ces

événements qui constituent la trame extrêmement précise de notre réalité actuelle, se sont déjà

déroulés dans le passé, à l’identique, et se dérouleront, à l’identique, dans le futur.

La radicalisation de la loi statistique implique qu’une telle répétition est éternelle : il y

aurait, très probablement, une infinité de répétitions à l’identique de toute la réalité que nous

connaissons. Il s’agirait donc éventuellement d’appliquer à la théorie d’un univers en expansion et

en contraction, une certaine loi statistique, dans le cadre d’un déterminisme intégral régissant

chaque séquence d’univers, tout en s’appuyant avec fermeté sur l’idée d’une quantité de forces finie

dans l’univers, et d’une durée éternelle de l’univers physique, pour poser les fondements d’une

pensée cosmologique de l’éternel retour du même. Nous noterons tout de même que, dans la théorie

d’un univers en rebond, issue de la gravitation quantique à boucles, il existe un possible

changement de loi dans le « passage » (« passage » encore très problématique, et qui occupe

Aurélien Barrau dans ses recherches actuelles) d’une séquence d’univers à l’autre. Néanmoins, en

ce qui concerne la grande variété des systèmes de lois différents possibles régissant une grande

variété de séquences d’univers différentes possibles, on pourra considérer que, dans la mesure où

une quantité de forces finie se conserve quelque peu au fil des fluctuations cosmologiques (nous

tenterons d’établir les principes d’un tel « continuisme », issu d’un fond anaxagoréen), le nombre de

systèmes légaux différents possibles est lui-même fini, ce qui n’exclut donc pas un retour possible à

des légalités naturelles identiques, si l’on dispose d’une infinité d’essais, dans le temps éternel, ni

donc le retour, une infinité de fois, dans l’éternité, de séquences d’univers en tout point

« identiques », spatialement et légalement parlant.

Nous pouvons même penser qu’une telle répétition à l’identique de tout ce qui est dans

l’éternité pourrait aller jusqu’à concerner, non pas seulement les situations immédiatement visibles,

mais aussi un certain aspect de nos pensées, émotionnelles ou verbales, si cet aspect est soumis à un

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déterminisme potentiellement intégral. En effet, on peut supposer qu’une certaine dimension de la

pensée humaine est soumise à un déterminisme physique. Il existe en effet une neurobiologie des

émotions, qui stipule qu’un certain aspect des émotions humaines relève d’un déterminisme

neurologique (et donc, en dernière analyse, d’un déterminisme de type physico-chimique). De

même, la disposition du langage dépend elle-même de certaines manières dont le corps est affecté

physiquement et physiologiquement par d’autres corps ou éléments physiques (audition de

phonèmes, visualisation de signes, dans le monde physique), et de plus, le surgissement dans la

conscience d’une pensée verbale déterminée peut être envisagé comme une réponse à un stimulus

physique extérieur, et de ce fait nos pensées verbales elles-mêmes, si elles ne dépendent pas

exclusivement de facultés cognitives a priori, peuvent néanmoins, sous l’un de leur aspect précis,

être élucidées par le déterminisme physique rendant possible certaines expériences physiques faites

dans le monde physique. Un certain aspect de nos émotions et de nos pensées verbales pourrait

donc bien être physiquement déterminé, et se répèterait donc à l’identique, dans le cadre

déterministe de l’éternel retour du même. Néanmoins, on devra aussi admettre, avec Bergson,

qu’une certaine dimension « intime » de la conscience demeure irréductible à la spatialité physique,

qu’une certaine dimension de la conscience est inextensive, et de ce fait, il sera difficile de l’insérer

dans le déterminisme « spatial » strict que je postule ici. Sous la dimension « spatiale » (c’est-à-dire

observable, dans l’absolu, sur une « image » du cerveau vivant) des émotions et des pensées

verbales, progresserait une durée purement qualitative, fluide et continue, libre en tant que créatrice

de nouveauté constante. La difficulté sera de savoir si cette qualité inextensive de la conscience est

assez dépendante de la dimension spatiale de la pensée pour se reproduire elle aussi « à

l’identique » (en tant que continuellement différente) dans le cas où cette « spatialité psychique » se

reproduirait à l’identique.

Notons autre chose de plus général, relativement à la référence à la statistique (Neumann)

dans notre contexte. En ce qui concerne l’ordre de succession des différentes séquences d’univers,

on utilisera une loi statistique pour la penser, dans un premier temps ; mais cela n’empêche pas

d’envisager, à terme, un déterminisme total et universel, en lequel une certaine séquence

impliquerait nécessairement le surgissement d’une autre, et cela d’ailleurs conviendrait mieux au

« continuisme » intégral que je veux proposer (Anaxagore, Lavoisier, Bergson). De ce fait, l’ordre

des séquences ne serait plus purement aléatoire, mais « réglé » par des principes déterminés (de

même que les éventuels « changements de lois » dans le passage d’une séquence à l’autre pourraient

s’enchaîner selon un ordre déterminé). L’usage de Neumann, dans notre contexte, ne traduit pas

forcément ce que sont les choses « en elles-mêmes », mais pourrait être un usage provisoire de la

statistique, davantage associé à une limitation subjective de notre intelligence qu’à une réalité

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objective des choses.

En ce qui concerne maintenant un éventuel « déterminisme » intégral à l’échelle de « notre »

« séquence » d’univers (qui n’est pas l’univers tout entier selon nous, ni selon Barrau ou Bojowald,

d’ailleurs), nous considérons que tout se joue au niveau de la possibilité de penser précisément un

jour, au niveau « quantique », « l’univocité » de la fonction d’onde initiale. Car la « fonction

d’onde » initiale de notre séquence univers pourrait bien renvoyer à ces « conditions initiales » que

nous cherchons à définir. En tant qu’elle est quantique, elle est pensée de façon probabiliste, si bien

qu’il est pour l’instant difficile de dire qu’elle détermine intégralement tout ce qui s’ensuit. Mais

son « univocité », que Bojowald envisage, et qui pourrait signifier la réduction de son

indétermination, pourrait nous faire dire qu’elle enveloppe intégralement tout ce qui lui succède.

Selon nous, une telle « univocité » pourrait être pensable si nous tentions de qualifier la quantité du

quantique, dans un principe mathématique intuitionniste, voire spiritualiste (durée intime du vivant

sensible). Elle permettrait finalement de « briser » le discontinuisme essentialisé sans nuance,

propre à la pensée du « big bang » (mais même du « big bounce », parfois), en relativisant ce

discontinuisme qui ne serait plus qu’une variation spatio-temporelle selon le degré et non selon la

« nature », si bien que, comme cela se comprend de soi-même, le passage d’un « séquence » à

l’autre ayant été « fluidifié », et déterminé, le recours à Neumann, dans notre contexte, pourra être

reconnu dans sa dimension provisoire et non définitive (visée dernière : penser un « déterminisme »

qualitatif total et intégral régissant l’infinité spatio-temporelle, qui ne signifie rien d’autre que la

fluidité, la continuité pure de toute durée réelle).

Ainsi donc, après cette présentation de l’hypothèse cosmologique de l’éternel retour du

même, de nombreuses questions se posent.

Il faudrait bien, pour justifier cette hypothèse, faire en sorte que la physique

« indéterministe », c’est-à-dire quantique (régie par le principe d'incertitude de Heisenberg)

n’empêche pas de penser un déterminisme strict, à l’échelle de chaque séquence d’univers. Et nous

devrons proposer des pistes pour dépasser cet indéterminisme, en définissant les principes d’un

déterminisme qualitatif au niveau de la fonction d’onde ou du vide quantique. Cela me paraît,

intuitivement, indispensable. Car pour qu’il y ait un retour à l’identique des séquences physiques,

dans l’ordre de la succession, il faut, sur la base d’un « re-surgissement » des « conditions initiales »

dynamiques de ces séquences, que tous les phénomènes physiques se déterminent mutuellement et

intégralement de façon invariable (alors que de telles « conditions initiales » contiennent des

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données quantiques, a priori saisies de façon probabiliste). Comment ménager un espace de

rencontre entre une épistémologie qualitative de la physique et la physique quantique, principe

quantitativiste de la physique moderne par excellence ? C’est une question que nous devrons tenter

de résoudre au mieux, pour dépasser un tel problème.

Selon une perspective aristotélicienne, ce qui est indéterminé est imparfait et lacunaire, et ce

qui est déterminé est plus effectif, plus réel, plus concret. Or, la physique, même contemporaine, n’a

pas dépassé le paradigme logique aristotélicien, comme le comprenait déjà Heidegger, même si elle

l’a sophistiqué et mathématisé à l’extrême (la substance (ou essence), la quantité, la qualité, la

relation, le lieu, le temps, la position, la possession, l'action, la passion, toutes ces catégories

aristotéliciennes n’ont pas été abolies par la science physique moderne, quantique ou relativiste,

mais simplement complexifiées). En affirmant un « indéterminisme objectif », un « hasard

objectif » (cf. Heisenberg), elle se trouve en contradiction avec son fond aristotélicien. Ce

qu’Einstein, grand déterministe, et donc grand aristotélicien (tout comme Laplace avant lui), avait

bien compris en disant : « Dieu ne joue pas aux dés ». Un déterminisme qualitatif dans l’éternité de

la durée physique, qualifiant le principe microscopique de l’émergence, qui ne serait plus donc

émergence « à partir de rien », pourrait peut-être permettre de résoudre ces tensions archaïques.

Par ailleurs un autre problème, existentiel cette fois, voire ontologique, se pose : comment

sauver la liberté, si tout s'est déjà produit, une infinité de fois ? « Ton » « avenir », « tu » l'as déjà

vécu, cela n’est pas impossible, mais alors es-tu absolument impuissant ? Tout n'est-il que fatalité,

puisque tout serait déjà « écrit », en quelque sorte ?

Pour sauver la liberté, j'indique une première voie, à creuser : c'est notre « ignorance » de ce

que nous aurions « déjà » vécu qui fonderait notre possibilité de le vivre librement, subjectivement.

Y aurait-il une autre voie ? Kant maintient, sur un plan nouménal (ou intelligible) l'hypothèse d'une

liberté transcendantale, cohabitant avec le principe déterministe d'une physiocratie transcendantale

s'appliquant aux phénomènes. Cette voie est aussi à creuser. Mais l’idée bergsonienne de liberté

irréductible, comme création de soi, comme fidélité à soi, dans la durée pure, sera sûrement la clef.

Ici, Bergson évoque une interpénétration de tous les instants de la durée, donc une forme de

« détermination » qualitative stricte et intégrale, du point de vue du temps réel subjectif et vivant,

qui n’exclut en rien la liberté, mais qui n’est rien d’autre que cette liberté elle-même. Dans le

premier chapitre de son Essai sur les données immédiates de la conscience, Bergson appelle cette

liberté du vivant qualitativement déterminé, la « grâce » : la grâce d’une danseuse, par exemple, est

bien cette façon dont chaque mouvement futur est déjà contenu dans la mouvement présent, sans

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discontinuité, et elle sera une manifestation très pure de cette liberté comme fidélité, création de soi,

projection dans l’anticipation vibrante et mouvante de ce qui se dessine, et elles ne signifie pas

absence de détermination, mais au contraire surdétermination, prévisualisation de ce qui arrivera et

arrive déjà.

Cette conception d’un éternel retour au niveau cosmologique, très formelle et très générale

pour l’instant, pose d’abord plus de questions qu’elle n’en résout. A un niveau purement

« descriptif » également. Comment l’univers peut-il connaître des phases de contraction ? Quels

sont les facteurs possibles de la contraction ? Peut-on dire aujourd’hui, raisonnablement, qu’il

pourrait y avoir une infinité de contractions de l’univers ?

Par ailleurs, s’il n’y a pas de contraction future de l’univers, mais simplement une expansion

infinie de l’univers (comme le pense la majorité des physiciens aujourd’hui), peut-on néanmoins

« sauver » l’hypothèse cosmologique de l’éternel retour du même ? Autrement dit, dans le contexte

d’une expansion infinie de l’univers, et en maintenant les trois conditions que je viens de poser

(quantité de forces finie, éternité de la durée, loi statistique), est-il possible de penser un « retour » à

certaines « conditions initiales » initiant des séquences d’univers identiques ? D’autre part, peut-on

admettre la théorie d’une expansion infinie de l’univers, en maintenant l’hypothèse d’une infinité

temporelle non seulement future, mais aussi passée, en laquelle des séquences identiques passées

auraient pu se produire ?

Enfin, et c'est peut-être le plus important : comment penser le principe d'une éternité

physique de façon relativement discursive, ou comment rendre explicite par le discours une telle

intuition révélante ?

II Loi de conservation de l'énergie, déterminisme, et liberté

Liamine Touhami :

Je ne répondrai pas à toutes ces questions immédiatement, car cela supposerait trop de

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développements. Mais nous essayerons de toutes les traiter au fil de la recherche. Pour l'instant, je

tâcherai de préciser trois points importants.

Tu parles de deux notions, deux notions qui entrent dans ton argumentation sur l'éternel

retour.

D'abord tu abordes la question d’une quantité de forces finie dans l'univers, qui est un

pendant de la loi de conservation, loi sacro-sainte de la physique classique qui stipule que toute

masse ayant à subir une transformation quantitative doit pouvoir trouver son équivalent en énergie

(exemple : lorsqu'on brûle un corps ou qu'on l'accélère à haute vitesse). Cette loi, reprise par

Einstein dans sa fameuse équation e=mc2,  doit indiquer que nulle part dans l'univers une masse ne

peut disparaître sans se transformer en énergie équivalente. D'où la notion évidente d'univers fini et

de quantité finie de matière. D'ailleurs, en mécanique classique, la statistique de Laplace ne fait

qu'étendre cette loi de conservation dans une dynamique des corps en mouvement puisque, toutes

les positions étant connues, et nulle masse ne pouvant disparaître, l'avenir de tous les corps doit être

prévisible. C'est le déterminisme laplacien, et c'est donc ta première notion, mais n'oublions pas

qu'elle est classique !

La seconde notion, notamment lorsque tu parles de Heisenberg, est quant à elle quantique, et

le hasard dont tu parles n'est en fait qu'une incertitude mathématique traduisant l'impuissance de la

mesure dans l'univers du très petit. Or il me semble que les deux notions sont tout simplement

incompatibles dans leur structure et leur langage pour pouvoir être réfutées l'une par l'autre. La

vision classique newtonienne et la vision relativiste, associées au déterminisme, sont en un certain

sens philosophiquement plus « acceptables » que la vision quantique qui introduit des

invraisemblances telles que, par exemple, l'existence de relations entre deux points quantiques

indéfiniment éloignés, ou la violation de certaines lois telle que la loi de conservation ou la loi de

l'irréversibilité temporelle.

Mais effectivement, une épistémologie qualitative, « bergsonienne », remaniée, pourrait bien

constituer un terrain d’entente, une synthèse dépassant les clivages, sur le terrain d’une

prédétermination qualitative intégrale. Nous verrons cela.

Pour la question de la liberté, la voie que tu as choisie est intéressante car elle fait appel au

perceptif de la conscience qui est surpassée par une consistance quasi infinie d'un avenir qu'elle ne

peut par conséquent embrasser dans sa globalité, et donc d’un avenir « oublié » en quelque sorte.

Pour ma part, je choisirais plutôt la voie extérieure d'un avenir dont la dimension se déroule au-delà

de l'horizon perçu par la conscience, mais déjà là, là mais autre part ! Et ainsi la liberté pourrait être

conservée et hors de portée du fatalisme. La question d'horizon de perception temporelle et de

dimension du vécu conscient est à mon avis à creuser.... 

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III La question de l'éternité

Benoît BB :

Puisque tu n'as pas abordé la question de l'éternité, je tâcherai d'exposer mon point de vue à

ce sujet, point de vue qu'il s'agira bien sûr d'approfondir.

Laissons de côté pour l’instant les questions directement « physiques », au sens « positif »,

que nous avons soulevées, car nous avons déjà dégagé quelque peu le terrain à ce sujet, et tâchons

déjà de voir, sur un plan strictement philosophique, voire métaphysique, si le concept majeur que

suppose une réflexion sur l’éternel retour (le concept d’éternité, donc) est au moins pensable. Je

pense que nous ne saurions avancer de façon positive dans notre recherche sans traiter dès

maintenant cette question.

Il me paraît nécessaire de penser le principe d’éternité à fond pour établir une cosmologie et

une philosophie de l’éternel retour du même. Car, outre l’hypothèse d’une quantité finie de forces

dans l’univers et une certaine loi statistique, l’éternité de la durée naturelle demeure une condition

essentielle, si ce n’est la condition essentielle, pour affirmer la légitimité de l’hypothèse de l’éternel

retour du même. Mais les arguments concernant l’éternité sont d’abord des arguments

métaphysiques : la science ne saurait intervenir trop tôt pour traiter ces questions, il me semble.

Pour tout dire, il me semble que l’éternité au sens métaphysique ne saurait être

adéquatement définie dans le cadre du déterminisme « classique », « spatialisant », que j’ai pourtant

convoqué pour fonder cosmologiquement l’éternel retour des mêmes agencements spatiaux. Sous

cette spatialité déterminée (trop partiellement, pour l’instant) doit progresser une durée purement

qualitative, irréversible, continuellement nouvelle. C’est l’ouverture, la pure continuité de cette

durée, son « épaisseur », qui nous indique, par extrapolation, s’il existe une continuité fluide du

temps par principe (de même que les physiciens considèrent qu’il doit exister une homogénéité

« légale » de l’espace, par-delà son hétérogénéité empirique, mais espace et temps sont

indissociables comme nous l’aura appris Einstein, et l’hétérogénéité pure du temps devrait donc

signifier aussi une inhérence spécifique), c’est donc cette ouverture qui nous indique que le temps

dans sa totalisation dynamique est, certainement, lui-même ouvert, non surgissant absolument, non

disparaissant absolument : « éternel », pour ainsi dire. Tout l’enjeu sera de maintenir un

déterminisme strict au niveau spatial, pour fonder « exotériquement » la nécessité du « retour »

d’agencements spatiaux identiques, et de penser, plus en profondeur, ésotériquement, une trame de

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durée pure qui s’écoule continuellement, qui progresse continuellement, pour fonder

métaphysiquement, ou intuitivement, le principe d’éternité.

Non seulement sur un plan psychologique, mais aussi et surtout sur un plan ontologique, sur

le plan d’un temps « réel », « sensible », « vécu », « éprouvé », je pense que l'éternité est la

compénétration intuitive du passé, du présent et du futur. Avec certains phénomènes de

« synchronicités » (Jung, Pauli), sur lesquels je reviendrai, et qui me « hantent » au quotidien, une

telle compénétration des trois dimensions temporelles me paraît constamment une évidence.

A dire vrai, je fais la différence entre un "présent", qui s'oppose rigidement au "passé" et au

"futur", et l'actuel lui-même, qui est l'éternité en acte, synchronique en tant que continue et

intuitive. Le présent est "présence à" : présence à quelque altérité avec laquelle on cohabite, dans

l’espace. C'est le principe d'individuation qui régit le présent : une instance « autre », spatialement

parlant, cohabite avec moi, et dès lors je perçois la temporalité comme un déroulement segmenté,

divisible. En un certain sens, le déterminisme « classique », qui spatialise le temps, enveloppe une

telle « présenteté ». L'actuel, en revanche, est pure compénétration intuitive de tous les instants du

temps existant dans l'éternité. C'est dans l'unité avec tout ce qui est que l'on appréhende une telle

actualité. Pour reprendre et approfondir les catégories nietzschéennes, je dirai que le présent est

apollinien, lié au principe d’individuation et du visible, du superficiel, du divisible, de l’étendue, là

où l'actuel est dionysiaque, lié au principe de la reconnexion avec tout ce qui est, du profond

invisible et inextensif, du qualitatif indivisible, du temporel éternel pur incarnant le sensible

extatique. Ce sont donc deux modalités de l’expérience consciente du temps que l’on opposera :

l’une accueille l’éternité, l’autre ne la pénètre pas complètement, car elle segmente le temps.

Ainsi donc, un certain « présent » et un certain « futur » représentés, symbolisés, extériorisés

par rapport à soi, en lesquels n’est plus saisie complètement, puisqu’ils obstruent quelque peu cette

voie, cette ouverture, dans l’intuition pure, la compénétration des modalités temporelles et la

fluidité du temps, sont des appréhensions apolliniennes qui ne traduisent pas les choses telles

qu'elles « sont » ontologiquement ou « réellement ». Mais l’« actuel vécu » de la conscience qui se

laisse vivre dans l’épaisseur de la durée pure, en laquelle passé, présent, et futur se compénètrent,

est l'éternité vécue elle-même, qui est le temps « réel », immanent et « éprouvé », et qui se distingue

nettement de l’appréhension spatialisante, de la même manière que l'apollinien et le dionysiaque

sont en lutte (lutte tragique du mortel contre l’éternel).

Celui qui ne sait pas s'ouvrir à l'actuel est très souvent victime de son individuation, souvent

solipsiste. Pour celui qui sait aimer d'un amour profond et déchirant, semblable à l’amour

intellectuel du divin chez Spinoza, qui n’est rien d’autre que la saisie intuitive d’une intime

interconnexion de tout ce qui existe (déchirant le principe, imaginaire en tant que passif, de

l’individuation), l'actualité de l'éternel insécable et pacifié est une évidence.

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Une difficulté apparaît : pour accéder au principe d’éternité, la conscience doit s’ouvrir à sa

dimension inextensive, qualitative, c’est-à-dire à ce par quoi précisément la conscience n’est jamais

la « même ». Avec l’idée de durée pure, nous avons pu pénétrer la certitude intuitive de

« l’éternité », mais nous devons aussi renoncer en retour, apparemment, à l’idée d’une « mêmeté »

absolue, sur un plan temporel. Il s’agira donc bien d’articuler, d’une part, le déterminisme

« classique », qui spatialise et qui pose une « mêmeté » spatiale au moins potentielle (Aurélien

Barrau), mais qui n’accède pas adéquatement au principe d’éternité, et, d’autre part, ce principe

d’une durée pure, qui pose un temps ouvert, éternel, mais qui relativise l’idée de « mêmeté »

(Bergson), pour éventuellement penser une forme de retour éternel, dans des temps différents, des

« mêmes » qualités sensibles vécues dans le temps (l’idée de « mêmeté » ayant été ici dialectisée, et

supposant une différence temporelle irréductible) ; c’est-à-dire pour penser : une éternité de fait de

toute vie sensible concrète éprouvée, se répétant une infinité de fois, à l’identique, dans l’infini

temporel, naissant et mourant une infinité de fois, à l’identique.

Mais pour l’instant, restons focalisés sur le principe d’éternité (éternité non statique, non

juxtaposée, qui est donc plus une perpétuité qu’un temps extatique où « tout est donné » d’un coup),

qui aurait été dévoilé par une certaine appréhension de la durée pure. Il me semble que cette

conception implique un bouleversement dans la façon de faire de la physique, laquelle devrait

pouvoir adjoindre à ses méthodes classiques de spatialisation du temps des méthodes annexes, pour

penser la qualité fluide de la durée (il s'agirait de mettre en place une physique qualitative,

« bergsonienne », car tu auras compris que le concept de « durée pure » que je convoque ici est un

concept bergsonien4).

Je note juste en passant que Bergson critique la notion statique d’éternité, en laquelle tous

les instants de la durée seraient donnés « en même temps ». Cette notion d’éternité, critiquée par

Bergson, relève d’une spatialisation pernicieuse du temps. On parlera davantage avec Bergson de

perpétuité, ou de continuité indéfinie de la durée. Néanmoins, la notion d’éternité dont je viens de

parler tente de dépasser l’éternité statique critiquée par Bergson, et de comprendre « l’éternel » de

façon qualitative et fluide, comme proposition métaphysique découlant, précisément, de cette

perpétuité concrète décrite par Bergson.

Par ailleurs, j’ai évoqué rapidement l’amour, qui permettrait, au sein d’une sorte de fusion

spatio-temporelle, l’accès à cette durée pure éternelle. Cette question, comment la traiter dans notre

contexte ?

4 Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience.

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IV Le programme épistémologique de Bergson

Liamine Touhami :

Ayant retracé le parcours de Spencer dans son mécanisme des "premiers principes", Bergson

se rend compte que la durée réelle n'a pas été introduite dans cette philosophie scientifique et

constate que les mathématiques sont impuissante à intégrer qualitativement le temps vécu. Ces

moments spatialisés par l'intelligence doivent-ils, par un effort intuitif qui remonte la pente naturelle

de l'intelligence humaine, être réintégrés à une physique et à une mathématique qualitatives ? C'est

ce que préconise Bergson dans presque toutes ses oeuvres, Matière et mémoire, Durée et

simultanéité, La pensée et le mouvant, etc. Mais la chose n'est pas du tout aisée pour une science qui

ne s'occupe justement que de résultats affichés sur des écrans, ou de validité d'équations apposées

sur du papier.

D'autre part, nous abordons la question de l'amour, et donc, d’un point de vue plus

« scientifique », de la chimie des sentiments. Cela me fait penser automatiquement à la bataille âpre

qu'a livrée Bergson contre les « psychophysiciens » de son époque, tels que Fechner, au sujet des

interactions du cerveau et du psychisme, et de leurs résultats dans la perception. Bergson soutenait

que, en observant les mouvements de la matière dans le cerveau, on ne serait guère renseigné sur la

réelle teneur d'une délibération psychique ou d'un fait psychologique. Dans le même sens, l'amour

(intellectuel ou sensible, ce qui n’est pas si différent avec Bergson) étant en soi un phénomène

qualitatif, il serait très difficile d'envisager une mathématique, qui est un objet d'observation spatiale

essentiellement, capable de le décrire qualitativement. Bien sûr, l'amour et la loi du temps sont

étroitement associés, puisque l'amour est un ressenti temporel profond et donc qualitatif pur. Si

donc l'on arrivait à une physique mathématique de l'amour qualitative, on aurait certainement révélé

dans la foulée la loi du temps pur (c’est-à-dire la loi du continuum qui, par extrapolation, peut

renvoyer à un principe d’éternité ou de temporalité « ouverte », même si Bergson ne questionne pas

encore la chose en ces termes, quoique la substance infinie et éternelle de Spinoza ne soit pas

totalement étrangère à ce Bergson).

Pour obtenir un tel résultat, il faudrait qu'il existe plusieurs conditions. La première,

malheureusement, serait en elle-même contradictoire, car elle supposerait la création d'une physique

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mathématique qualitative, donc épistémologiquement parlant d’une physique qui n'en est pas une.

J’ai tenté pour ma part de résoudre quelque peu cette contradiction, mais je reviendrai là-dessus plus

tard.

V La question des synchronicités

Benoît BB :

Il me semble que cette physique qualitative dont tu parles, liée à la durée intime qui se

manifeste éminemment dans les ressentis profonds, a un rapport avec les phénomènes de

synchronicités évoqués par Jung, et aujourd’hui étudiés par des chercheurs comme François Martin,

Huw Price, Joachim Soulières ou Philippe Guillemant.

Sur le plan d’une philosophie de l’éternel retour, les synchronicités pourraient coïncider avec

des formes de pressentiments, qui auraient leur élucidation cognitive propre et autonome, mais qui

renverraient aussi potentiellement, à une échelle plus vaste (cosmologique), à la question du

« retour » de qualités psychiques semblables.

Comment interprètes-tu cette question des synchronicités, qui me paraît également

indissociable de l’ouverture, ou de la continuité de la durée ?

VI Ebauche d'une interprétation mathématique des synchronicités

Liamine Touhami :

Concernant les synchronicités, nous pourrions tenter une interprétation mathématique plus

précise.

Comme nous le disions précédemment, le temps vécu est toujours différent du temps

physique calculé sur des supports spatialisés, ce qui empêche donc d'éprouver par le calcul cette

fluidité vécue par la conscience du temps. La synchronicité d'événements prévisualisés dans une

conscience, c'est-à-dire la simultanéité d'un futur virtuel introduit dans un présent vécu, reviendrait

à poser une équation différentielle du troisième ordre où le présent, seul élément réellement connu

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du calcul, fusionnerait avec des éléments du futur sélectionnés par un opérateur. Le passé jouerait

alors le rôle de mouvement rétrograde amenant une consistance à l'opérateur de sélection. Plus

clairement, la synchronicité d'un événement, du point de vue strictement mathématique, consisterait

à rétrécir le champ temporel d'une telle manière qu'une situation non encore vécue puisse apparaître

à une conscience dont l'effort de rétrécissement a pu rendre possible la conception d'une telle

situation. Les sentiments tels que le flashback ou la réminiscence pourraient alors être des sortes

d'efforts inconscients avortés, ne permettant pas la visualisation complète du futur éprouvé. Je pense

qu'il s'agit là d'un sujet extrêmement complexe, je compte par conséquent travailler et m'informer

davantage avant de plus m'avancer sur le sujet.

VII Certains témoignages de la «   réalité   » de l'éternel retour au sein d'une expérience

personnelle située

Benoît BB :

Dans mon expérience personnelle, il y aurait trois « manifestations » (potentielles) de

l'éternel retour remarquables.

La première, la plus récente, est la plus marquante. Une impression olfactive. Je me suis mis

à porter un certain parfum (Dior), et en le sentant, je me suis "souvenu" que c'était le "mien", « de

toute éternité ». Certainement y a-t-il autour de ce parfum toute une mythologie personnelle qui

justifierait une impression vive. Mais il n'y a pas que cela : très clairement, je me suis «  souvenu »

avoir déjà été un certain homme portant ce parfum.

Une première rencontre amoureuse est une autre forme de manifestation de l'éternel retour.

Si je m'apprête à vivre une relation forte avec une personne, très souvent une familiarité immédiate

s'installe entre nous, dès la première rencontre, comme si nous « savions » déjà que nous allions

vivre une relation "à venir" (de fait déjà vécue ?), digne d'être vécue. 

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Troisième forme de manifestation : le non-désespoir « ontologique », palpable chez tous les

hommes que je rencontre. Qu'est-ce à dire ? Les individus sont « préoccupés » au quotidien : ils

semblent avoir banalisé le fait de vivre, comme s'ils appartenaient à cette Terre de toute éternité. Je

les trouve fort « installés » ici-bas, et c’est un sentiment que je crois partager avec beaucoup. C'est

qu'ils ont peut-être une conscience pré-thématique de l'éternel retour. S'ils étaient convaincus que le

néant succède à leur vie, ils ne seraient pas autant dans la quiétude moyenne et quotidienne qui

paraît si visible sur leur visage calme. Heidegger, par exemple dans la première section d’Etre et

temps, faisait de la préoccupation moyenne du quotidien de chacun, de cette façon quotidienne de

manipuler sereinement les choses et les étants, de survivre et de vivre dans la quiétude, trop souvent

quelque chose de « médiocre », ou une forme de « déchéance ».Mais on peut voir cela aussi comme

une forme de banalisation réjouissante liée au fait de vivre une vie sans dimension tragique trop

prégnante, sans dramatisation constante, qui pourrait indiquer que nous « saurions », pré-

thématiquement, que nous sommes « installés » dans cette vie de façon très radicale, de façon

totalement pleine, de façon « éternelle ». Même le dépressif est dans cette banalisation, je peux le

dire, car j’ai vécu la dépression la plus intense. Même Cioran au fond « connaît » la loi de l'éternelle

répétition, car il y a de la bouffonnerie comique dans son geste « nihiliste » adolescent, cela

n’échappera à personne (Cioran ne reconnaît plus aucune valeur, car il aime trop la vie et ne

supporte pas l’idée qu’il faille mourir ; mais il est manifeste dans ses écrits que ce nihilisme n’est

qu’une pose, et qu’une conscience pré-thématique de sa propre éternité, peut-être, s’affirme ici, en

tant qu’il n’est jamais qu’un mauvais acteur ; ce qui est comique, si nous avons raison, c’est qu’une

aurons là un sinistre individu qui se lamentera pour l’éternité de devoir mourir, et qui mourra puis

naîtra une infinité de fois pour mieux réaffirmer sa constante plainte gémissante, plainte qui

déplorerait le contraire de ce qui serait « réellement » vécu). Je regarde donc simplement le visage

impassible de mes semblables, et je « sais », intuitivement, du moins je crois « savoir », qu'ils ont

une conscience pré-thématique de l'éternel retour. Très paradoxalement, mais très certainement, leur

« extase » dionysiaque face à l’éternité, ne s’affirme pas de façon dramatique, mais elle est au

contraire on ne peut plus visible à travers leur sérénité moyenne et quotidienne. Il faudrait

simplement qu’ils s’en aperçoivent, mais alors certes, peut-être, dès lors, ils se mettraient à

s’enflammer et à crier bruyamment face à telle ou telle « révélation ». S'ils se pensaient réellement

« finis », non éternels, je pense qu'ils se rouleraient par terre toute la journée, hurleraient

constamment, et se scarifieraient continuellement pour apaiser les douleurs de leur âme, car la vie

inextensive est une chose trop extraordinaire et miraculeuse pour qu’on puisse penser qu’on la vit

en devant un jour renoncer à elle. Il y a encore des humains qui produisent, créent, édifient,

construisent, sereinement et patiemment, en donnant un sens à tout cela : cela indique pour moi

qu’il doit exister pour eux une conscience pré-thématique de leur éternité, car je ne pense pas qu’on

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puisse agir de la sorte sans qu’une dimension inconsciente de l’être ne saisisse intuitivement sa

dimension « éternelle » (ou perpétuelle).

Ces trois exemples que je viens de donner doivent pouvoir approfondir encore le concept

d’éternel retour. Je m’explique. Si l’on admet que des séquences physiques, que des agencements

spatiaux déterminés, se répètent à l’identique dans l’éternité de l’univers, on admet la possibilité

selon laquelle des êtres exactement identiques à nous (avec le même prénom, le même matériel

génétique, les mêmes vécus déroulés dans l’espace, etc.) réapparaissent dans des contextes spatiaux

exactement identiques, avec des écarts de temps certes considérables, mais non infinis. Dans cette

situation, deux options sont envisageables :

1. soit l’être vivant qui meurt puis qui resurgit « à l’identique », après un écart de temps

astronomique, au sein des mêmes agencements spatiaux, est « identique » simplement

pour un observateur (supposé éternel) qui le considérerait « de l’extérieur » (qui pourrait

même observer ses « pensées » physiquement, spatialement déterminées, mais « de

l’extérieur », sur une « image » de son cerveau en mouvement, par exemple), mais il

possède une intériorité, une conscience sensible, une identité personnelle qualitative

(inextensive) différente, qui n’est plus la « même » (et alors la vie que « je » vis

actuellement ne serait pas « éternelle » au sens strict : qu’un autre être exactement

identique à moi, spatialement parlant, resurgisse dans une séquence identique à venir, ne

signifierait pas que « moi », avec mon intériorité inextensive singulière, je resurgisse à

l’identique) ;

2. soit le fait de resurgir spatialement à l’identique, avec le même matériel génétique, dans

des contextes spatiaux exactement identiques, signifie que c’est l’intériorité elle-même,

la sensibilité consciente propre, l’identité personnelle qualitative, qui resurgit en tant que

« même » âme (et alors, « je » suis éternel au sens strict : lorsque mon corps resurgit à

l’identique au sein d’agencements spatiaux identiques, c’est encore bien « moi » qui

resurgis, avec mon « âme » singulière).

Les trois exemples que j’ai donnés tendent à suggérer que c’est bien la deuxième option que

nous pourrions choisir. Nous aurions une « réminiscence » confuse de nos vies identiques

antérieures, certaines impressions de « déjà-vu », qui pourraient nous faire dire que, au fil des

répétitions spatiales à l’identique de nos vies, une forme de continuité qualitative s’affirme (mais

alors, certes, puisque mémoire implique accumulation du passé dans le présent, progrès constant,

cette « même » âme qui resurgirait, cette « même » qualité inextensive qui se re-manifesterait, serait

« identique » en tant que prise dans une évolution permanente, peut-être infime mais néanmoins

certaine, par-delà l’identité stricte des agencements spatiaux du corps vivant). La « loi » psycho-

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physique de la synchronicité (« pressentiment » ou « pré-action ») s’appuierait sur l’unité

qualitative d’une conscience qui se re-manifeste une infinité de fois dans l’éternité. Nous

postulerions alors une forme de « métempsychose à l’identique ».

A ce titre, précisons une chose qui a son importance. J’ai déjà dit qu’il y avait une seule

dimension inextensive dans l’être, et que l’inextensif est par principe indivisible, non-multiple5. Or,

il semble ici que je divise l’inextensif, en disant qu’un corps présent sensible pourrait avoir une

dimension inextensive « différente » de celle d’un autre corps, passé, spatialement identique, mais

temporellement antérieur (selon la première option). Par définition, ce doit bien être la même

inextensivité qui se manifeste et qui meut ces deux corps, en dernière instance, si bien qu’il faut

introduire plus de finesse dans ce problème.

Pour nuancer le problème, donc, il faut préciser une chose. Mon amie qui est là devant moi,

par exemple, en tant qu’elle comporte une dimension sensible, inextensive, partage avec moi une

appartenance à un inextensif-Un. Pour autant, cette appartenance ne veut pas dire, au sein même de

ma sensation, que j’accède pleinement à la façon dont elle sent elle-même les choses, car nous

sommes deux corps sentants séparés. Sur un fond inextensif commun, nous affirmons deux

modalités différentes de cet inextensif, et c’est ce qui fonde notre identité personnelle inextensive,

notre individuation propre, distincte de toute autre. Le problème de la « métempsychose à

l’identique » renvoie donc au problème de savoir si la modalité inextensive très singulière qui est

propre à mon individuation présente elle-même se répète à l’identique au sein de l’éternel retour

d’agencements spatiaux à l’identique. Il se pourrait qu’un « clone » de moi-même ait exactement les

mêmes vécus et pensées que moi, dans le même espace, sans pour autant que ce soit « moi-même »

au sens strict qui vive « cette vie ». Nous pourrions certes avoir pour fond commun un inextensif

commun, mais pour autant, les modalités individuées de cette inextensif commun pourraient différer

d’un corps à l’autre.

« Prouver » cette métempsychose à l’identique paraît extrêmement difficile : les

réminiscences dont j’ai parlé trouvent d’autres types d’explications, moins extrinsèques, et moins

téméraires, si j’ose dire, dans les branches de la neurobiologie ou des sciences cognitives. Toutefois,

pour donner un sens nouveau à ces réminiscences, nous pouvons formuler un problème nouveau,

qui donne à penser. Voici ce problème : peut-on dire que la qualité d’une conscience, ce qu’il y a

d’invisible dans une conscience et qui lui est absolument propre, sa modalité inextensive singulière,

est assez dépendant des agencements spatiaux présents dans l’univers, et de la constitution

physiologique, génétique, matérielle, du vivant, pour que la répétition à l’identique de ces

5 Cf. Eros et religare, « Dieu-e comme conscience »

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agencements et de cette constitution implique le re-surgissement de cette même qualité ? Il me

semble qu’un monisme spécifique pourrait permettre une résolution au moins partielle de ce

problème.

VIII Tentative d'interprétation cosmologique, ontologique et biologique, de ces témoignages

liés à une «   réalité   » de l'éternel retour

Liamine Touhami :

Je vais commencer par la dernière expérience dont tu as parlé, qui nécessite à mon avis une

explication cosmologique de tout premier ordre. Nous pourrions débuter ainsi. Depuis Démocrite

jusqu'à nos jours, des preuves scientifiques de plus en plus éclairantes tendent à nous montrer que

l'univers est fait de toutes petites particules insécables, et qui constituent le coeur de toute matière,

de toute nature. Les raisonnements philosophiques concernant la nature animée, vivante ou

percevante, de ces particules, ne nous intéressent guère dans une explication scientifique, mais que

savons-nous empiriquement de celles-ci ? Les dernières théories sur ce sujet nous donnent à stipuler

qu'au lieu d'un big bang créateur de matière,  il y aurait une contraction qui, manifestement, aurait

succédé à une expansion quasiment infinie. Le modèle serait alors une fluctuation de vibrations

élémentaires de la matière en expansion et en contraction, par l’effet des accélérations de la matière

aux confins de l'univers fini. Au-delà, inutile de spéculer métaphysiquement sur des données

hypothétiques, mais il est surtout utile de savoir, dans la mesure où nous sommes nous-même

constitués de ces particules, si une conscience pré-thématique de leur éternité est possible.

Concernant la question de savoir si cette éternité doit être constamment la même, nous disons

seulement que, le nombre de fluctuations étant potentiellement infini, et les différents agencements

possibles de ces fluctuations, selon le principe de conservation, étant fini, les situations ont toutes

les chances statistiques de se répéter indéfiniment à l’identique. Nous ne disons rien de plus, la

causalité matérielle n'est pas violée et la liberté humaine n'est donc pas concernée puisque cette

considération est strictement cosmologique (et non ontologique). Dans l'explication apparemment

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complexe que nous tentons, non sans oublier de faire part du décalage qu'il existe entre des calculs

complexes qui déterminent un retour fluctuant de la matière d'une part, et la conscience a priori

qu’un éternel retour existe pour un être fait de cette matière d’autre part, nous disons que certaines

expériences spécifiques, ajoutées à un raisonnement sur la causalité cosmologique, nous amènent à

penser comme possibles ces intuitions d'un éternel retour, si du moins nous parvenons à résoudre à

un moment donné ce problème de la relation entre l’extensif et certaines modalités singulières de

l’inextensif que tu poses. Voici donc, tirée de ton dernier exemple d'expérience, l'explication

cosmologique.

Le second exemple quand à lui est ontologique, en ce sens que l'intersubjectivité qu'il

présuppose (relation de deux êtres qui s'aimeront) doit nécessairement inclure un argument

ontologique. Mais il peut se tirer, sur la base de la vue darwinienne de la biologie, de l'explication

cosmologique précédente. Si l'on considère que l'être vivant est doué d'une capacité d'évolution par

une expérience somatique dont la mémoire agirait sur la pensée, nous pouvons dire que l'expérience

des particules qui nous constituent agit en quelque sorte sur notre pensée subjective et, dès lors,

intersubjective, surtout lorsque des émotions sont en jeu, car les intuitions sont alors plus flagrantes

et remontent à la surface du psychisme. Or, nous avons justement donné comme expérience de ces

particules un éternel retour de fluctuations de matière et de vibrations élémentaires. C'est donc ce

qui devrait se trouver dans notre corps à l'état somatique, et dans notre âme par intuition de cet état.

Ainsi l'âme tire sur un support éternel ce qui, dans le corps fini, n'est qu'à l'état de pur souvenir

somatique, si du moins une certaine modalité propre d’un inextensif singulier trouve un tel support

au sein d’un corps s’étant re-manifesté à l’identique (chose encore indécidable). Voici

l'interprétation ontologique tirée de l'argument cosmologique.

Enfin, dans le premier exemple donné, l'olfaction tient une part prépondérante dans la

sensation de réminiscence. Soit nous reprenons l'angle pragmatique pour expliquer que le cerveau

des primates a toujours évolué dans sa primitivité avec un organe olfactif important, tenant lieu

d'intuition première des états somatiques, et ainsi expliquons de même la réminiscence par ce

sentiment de percevoir la mémoire de son corps par intellection d'une olfaction pure ; soit nous

utilisons un argument métaphysique qui donne à l'âme en elle-même le pouvoir de tirer par

transcendance la certitude d'une métempsychose éternelle. Les deux sont valables à mon sens mais

l'argument métaphysique, contrairement à l’argument pragmatique, ne saurait dériver d'arguments

déterministes « classiques », puisqu’aucune « causalité » (au sens courant, spatial) n'apparaît dans la

durée pure de l'âme, seuls des arguments qualitatifs la concerne. La question est encore une fois très

complexe et nécessite donc un travail continu et vigoureux, et relève plus d’un problème encore

difficile à trancher, comme tu l’as dit, que d’une vérité qui serait directement accessible.

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IX La philosophie de l'éternel retour   : un monisme ou un dualisme   ?

Benoît BB :

Concernant cette question d'une « métempsychose à l'identique », il s'agirait de préciser le

cadre « ontologique » que nous choisissons. Monisme ou dualisme ?

Le monisme d'abord concerne uniquement le plan de la substance, de la Nature (Dieu

immanent de Spinoza). Et nous posons ce monisme de la Nature.

Revenons précisément sur cette question : pourquoi le monisme de la Nature sera-t-il donc

adapté pour penser notre éternelle répétition ? Pour le comprendre, il faut savoir ce que nous

entendons par monisme. Le monisme dont je parle suppose une chose essentielle : il suppose qu’une

certaine constitution spatiale du corps, tel qu’il est compris au sein d’agencements spatiaux

déterminés, suppose invariablement une même qualité inextensive de l’âme. Et alors, dans le cas où

cette constitution et ces agencements spatiaux réapparaissent à l’identique dans un temps différent,

on retrouvera la « même » qualité inextensive de l’âme, dans ce temps différent. Ce monisme certes,

en un sens paradoxal, pourra aussi être compris comme un dualisme spécial : car on supposera que

la qualité inextensive de l’âme n’est pas assignée à une durée limitée et déterminée. Elle pourra re-

surgir dans des temps différents, si le corps vivant étendu et si les agencements spatiaux qui

entourent ce corps reviennent à l’identique. Sur ce point, je tiens à préciser une chose importante. Il

ne s’agit pas là de réhabiliter la philosophie imparfaite des « psychophysiciens » (tels Fechner) que

Bergson a critiqués. Il ne s’agit pas de réduire l’inextensif à de l’extensif, de réduire l’âme à des

agencements spatiaux. A vrai dire, on peut continuer à affirmer l’impossibilité de réduire

l’inextensif à de l’extensif, tout en maintenant une dépendance assez stricte entre ces deux sphères,

pour que l’apparition de l’une implique nécessairement l’apparition de l’autre. Ceci poserait donc

les fondements philosophiques d’une « métempsychose à l’identique ».

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X Liberté et déterminisme chez Kant

Benoît BB :

Kant, dans la Troisième antinomie de la « Dialectique transcendantale » (Critique de la

raison pure), envisage qu’une « physiocratie transcendantale », par laquelle les causes et les effets

s’enchaînent indéfiniment dans la Nature phénoménale, peut coexister avec une liberté

transcendantale, se situant sur un terrain nouménal. On peut ici, sur le plan d’une philosophie

transcendantale, penser donc la coexistence d’une forme de perpétuité (physiocratie) et d’une forme

de spontanéité libre. Penses-tu que ce cadre kantien est intéressant dans notre contexte bergsonien,

mais aussi dans le contexte d’une philosophie de l’éternel retour ?

Par ailleurs, Kant pose un dualisme spécial, qui est aussi susceptible d’être compris comme

monisme radical (de ce point de vue, on a pu dire que Kant avait une dimension « spinozienne », au

moins potentiellement).

XI La question de la physiocratie

Liamine Touhami :

Kant et Spinoza peuvent s’accorder, Spinoza et Bergson peuvent s’accorder, mais il ne me

semble pas que Kant et Bergson soient compatibles jusqu’au bout. Il s’agirait je pense d’opérer une

logique d’ajustements mutuels, pour déboucher sur une conception complexe de la durée intime

(intégrant Kant, Bergson et Spinoza, mais tels qu’ils auraient été complexifiés).

La physiocratie transcendantale dont parle Kant ne tient pas compte de la durée réelle de

l'univers, elle ne conçoit qu'une causalité strictement déterminée par les lois naturelles, et pour ainsi

dire une éternité de fait puisque la série des causes est infiniment déclinable, ainsi qu’une infinité de

droit puisque les parties de l'espace sont divisibles ou multiples à l'infini. Elle conduit donc à

considérer que l'univers dure depuis l'éternité et durera éternellement. Or, le propre de durer est

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justement d'occuper un instant, et nous ne devons nullement limiter cette durée par une infinité

d'autres moments pour la définir, mais en sentir l'écoulement en se plaçant en elle. L'infinité d'autres

moments ne servira, pour la science, qu'à expliquer extérieurement le déroulement d'une causalité.

Il faut donc se placer, au-delà de la physiocratie, dans une métaphysique de la durée pour se voir

ouvrir l'accès à un achèvement de la synthèse, autrement dit pour expliquer qualitativement la

création. C'est la thèse qui non pas seulement s'oppose en profondeur à l'appréhension quantitative

de la physiocratie, mais qui à mon sens (et sûrement selon les idéalistes transcendantaux eux-

mêmes) s'élève au-dessus du principe de toute expérience, et qui par conséquent, arrêtant net toute

tentative régressive de la causalité à l'infini jusqu'à l'inconditionné, pose la liberté comme fondatrice

de la réalité,  la causalité n'en étant que la traduction pour l'entendement. Ainsi, la liberté s'exprime

dans l'être, mais aussi dans l'origine de la matière, et pour être conciliée avec l'idée d'infini, elle doit

seulement garder son champ propre (la durée pure) et laisser à la causalité matérielle la possibilité

de s'en extraire pour expliquer spatialement les phénomènes.

Je dirais, pour ajuster et dépasser Kant, avec Bergson, que la création de l'univers a deux

aspects, l'un qui exprime la durée et l'apport actif de la création (liberté),  l'autre qui exprime

l'espace donc un apport passif qui correspond à l'étendue. Ce n'est qu'en fusionnant ces deux aspects

qu'on obtient une véritable résolution de cette antinomie cosmologique. 

XII Question épistémologique

Benoît BB :

Puisque nous débouchons encore sur Bergson, pourrais-tu exposer les principes, sur lesquels

tu travailles depuis quelques années, qui seraient ceux d’une physique qualitative, ou

« bergsonienne » ? En quoi ces principes pourraient-ils permettre par ailleurs le développement

d’une philosophie de l’éternel retour ?

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XIII Les principes d'une physique qualitative, ou bergsonienne

Liamine Touhami :

Je travaille depuis quelques années sur les principes d'une épistémologie bergsonienne de la

physique, dont je vais exposer les concepts et principes.

Le premier concept est déterminé par le contenu empirique et logique d'une insertion

qualitative dans l'espace, c'est-à-dire qu'on associe la moindre quantité d'espace et de durée

nécessaire aux interactions de la matière, on en constate la particularité, et on détermine le contenu

de cette unité d'espace qualitatif par des phases de mouvements initiaux qu'on nomme pré-actions. 

Si l'on conçoit donc un tel "espace qualitatif ", nous sommes conduits à envisager sa

composition en phases (ces phases correspondent à des mouvements primitifs exécutés par la

matière pour former l'objet de la matière, sa forme et son contenu empirique). Car le mouvement est

bien l'insertion de la durée dans l'espace, mais à la seule condition qu'il soit interprété dans sa

simplicité et son irréversibilité, ce qui signifie que, contrairement à la physique quantitative, qui

traite le mouvement comme pouvant se jouer à "rebours" (violation du principe d'irréversibilité), la

physique qualitative prendra en compte la durée comme unique en chacun de ses instants (instants

inégaux et produisant des conditions différentes, recelant une nouveauté), dans le sens où chaque

instant suivant sera pénétré du précédent.

 

L'espace de phases est par conséquent l'espace où interviennent les moindres quantités de

mouvement de matière, et les moindres unités temporelles, unités indivisibles et entre-pénétrées

dans l'essence même du mouvement. Cette "matrice" de l'espace qualitatif constituée de ces unités

temporelles pourrait s'appeler "fluxion de l'espace ", et décrirait bien la façon dont la durée

s'insèrerait dans l'espace. Cette notion est centrale dans la mesure où toute chirurgie temporelle

(explication du mouvement par ses causes initiales internes) n'est possible qu'à partir d'un tel

espace. Or l'on sait que les structures du cerveau propres à opérer une telle sélection dans le divers

de l'expérience sont elles-mêmes liées à une causalité spatio-temporelle dont les derniers ressorts

sont des mouvements indivisibles.

  On partira du principe que, pour l'espace, tout est donné lorsqu'il est homogène (lorsqu’il est

dénué de la teinte temporelle de la perception),  puisque ses parties sont infiniment divisibles et ses

multiples infiniment déclinables ; tandis que pour le temps physique s'écoulant dans le monde, rien

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ne peut être donné d'avance, la particularité temporelle étant, par essence, la simplicité, 

l'indivisibilité, et la fluidité. La durée se donne en un bloc et ne peut rebrousser chemin ni encore

rester fixement établie comme l'espace. L'espace des phases temporelles initiales est donc composé

des plus petits mouvements de la matière, matière perçue et percevante. Cet espace, dans la

physique moderne,  est un espace à multiples degrés de liberté, non euclidien et complexe, dans le

sens où, quelle que soit la succession temporelle qui puisse être constatée dans les événements, cet

espace doit nécessairement être appréhendé par des calculs tensoriels et différentiels. L'équation

tensorielle est un calcul faisant état de tenseurs métriques (unités de valeur d'un espace non

euclidien, soumis à des forces telles que la gravité ou la gravitation). Quant à l'équation

différentielle, c'est un calcul qui décrit le mouvement d'un mobile dans le temps physique

(homogène par unités de temps infiniment déclinables dans l'irréversibilité future).

Ceci étant posé, il convient de respecter le point de vue temporel bergsonien qui confère au

temps vécu par la conscience la primauté sur l'observation spatialisée, puisque c'est justement la

durée vécue qui emporte le caractère réel des événements comme insérés dans la série causale. C'est

donc bien en temporalisant l'espace (et non l'inverse, qui est le propre de la perception) que nous

pouvons seulement remonter à une réalité physique qualitative. Comment procéder ? Insérer de la

durée dans l'espace, du qualitatif dans la quantité, c'est proprement aller en sens inverse de

l'entendement humain, qui lui introduit l'espace homogène dans une durée sentie en première

personne. Or remonter cette direction en sens inverse doit correspondre à une certaine intuition de

l'espace différente de celle communément admise d'un tout homogène divisible en parties.

Dans la mesure d'un événement, la physique opère dans l'espace-temps comme s'il s'agissait

d'un plan déroulé où les équations résolvent la courbe d'un mouvement, les positions d'un mobile, et

considèrent le temps physique comme une ligne dont les "moments " sont des points de l'espace. Or,

si nous souhaitons avoir une vue qualitative de cette mesure, nous devons opérer une prévision de

tous les instants de la durée,  car si nous voulons atteindre la réalité de l'événement dans toute sa

teneur, l'explication ne peut pas être que purement quantitative et spatialisée. Ceci inclut une

interprétation différente de l'espace. Cet espace serait mesuré par une mathématique prenant en

compte la fluidité temporelle mettant en jeu des unités hétérogènes et indivisibles, uniques pour

chacune d'entre elles, et délivrant la teneur d'une durée irréversible.

 

Il apparaît par conséquent, si l'on considère un instant de durée comme n'ayant aucune

dimension finie dans l'espace mais comme une certaine tension dans le champ de l'espace, comme

une tendance à emplir d'une certaine réalité le scénario joué par la matière (les mouvements, la

causalité des phénomènes physiques), et si cette tension est traduite dans le langage mathématique

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« ordinaire » par une ligne dont les points sont des positions dans  l'espace, que la nouvelle

mathématique d'une physique qualitative devrait traiter une immensité de données en un minimum

d'équations initiales, ce qui ressemblerait à un formalisme d'un super espace possédant des milliards

de couches. Ainsi, dans une telle configuration, la prévisualisation d'événements dans le temps

deviendrait réalité, puisque le calcul d'une infinité de mouvements initiaux équivaudrait à tracer la

durée dans l'espace des phases, et ainsi, en une durée infime de temps physique écoulée, à

contracter le plan d'un devenir infini de la matière.

Ceci est, bien entendu, plus un programme qu'une doctrine en soi. Il promet plus une

méthode nous rendant capables d'envisager sous un angle différent la physique mathématique,

notamment la durée des événements et leur dimension dans un nouvel espace, que la résolution

d’une quelconque assertion cosmologique sur la composition et la structure de l'univers.

En tout cas, cette physique « nouvelle » permettrait de penser le continuum temporel (au

niveau d'une chirurgie temporelle), qui signifie l'ouverture de la durée, c'est-à-dire, par

extrapolation, l'éternité du temps physique. En outre, le concept de « prévisualisation » que je

propose (qui évoque la notion de « synchronicité », soit dit en passant), permettrait de penser un

« déterminisme » global spécifique, non « classique » mais qualitatif (et ce, potentiellement, même

au niveau quantique, ce qui permettrait peut-être, à terme, de définir cette fameuse « univocité » de

la fonction d’onde initiale)… déterminisme dont nous avons besoin pour penser l'éternel retour,

comme tu l'as déjà dit. Il serait l’articulation du déterminisme « classique » (spatialisant) et d’un

déterminisme « qualitatif » (épaisseur de la durée pure). Il serait donc, en dernière instance, un outil

méthodologique possiblement pertinent pour poser, également, la question d’une « métempsychose

à l’identique » dans le cadre de l’éternel retour du même.

XIV L'éternel retour serait-il une «   bonne nouvelle   » pour les physiciens   ?

Benoît BB :

Je pense que l'éternel retour serait une excellente nouvelle pour les physiciens.

Pourquoi donc y a-t-il là une bonne nouvelle pour les scientifiques ? Car ils disposeraient

d'un « pouvoir » décuplé, d’un point de vue spirituel. Etant secondés par un monisme philosophique

de la substance (unité de l'âme et du corps), c'est-à-dire par un monisme apte à penser une forme de

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métempsychose nécessaire associée à la répétition de l'identique, mais aussi par une pensée

philosophique de l’éternité, ils seraient à même de développer un savoir non seulement physique,

mais aussi métaphysique : ils pourraient envisager potentiellement, à terme, une eschatologie

quelque peu « rationnelle ». S'il y a une volonté de puissance du physicien, alors je pense qu'avec

l'éternel retour, cette volonté de puissance est maximisée : le physicien détient entre ses mains une

puissance importante, spirituellement parlant (du moins s’il s’associe au philosophe). En outre, on

ne pourra pas lui reprocher d'abuser de ce pouvoir, car il ne fera que supposer ce qui est probable,

matériellement parlant (certes, pour l'instant, spéculativement). Il ne sera pas comparable à quelque

prophète promettant quelque arrière-monde largement hypothétique, mais se soumettra à des

données potentiellement disponibles. Les scientifiques sont en lutte avec les religieux, car les

religieux n'aiment pas les lois naturelles (ils ont toujours besoin des miracles). L'éternel retour est

une réconciliation possible du physicien et du religieux (du moins sur un certain secteur).

Ceci étant dit, du moins, dans une perspective extrêmement hypothétique (dans la

perspective où ce concept serait développé, à travers toutes ses ramifications, non seulement

philosophiquement, mais aussi mathématiquement voire expérimentalement – projection sûrement

beaucoup trop téméraire aujourd’hui).

Liamine Touhami :

L'éternel retour est à vrai dire une réponse à la question métaphysique du temps. Pourquoi

apparaît-il au sens commun que la vie et la mort corporelles sont des discontinuités dans un temps

qui serait toujours le même, s'écoulant dans chaque atome de matière, et par là, quel est ce mystère

qui fait qu’on ne peut saisir la véritable nature du temps mais seulement en décrire les effets ? Il est

évident que le premier problème métaphysique soulevé par le temps est la limite même de l'univers,

c'est-à-dire la question de savoir si la quantité d'espace et la quantité de temps de l'univers sont

connaissables. Ceci posé, qu'y a-t-il avant et en dehors d'un univers qui, dans le présent est empli

d'une quantité de matière gigantesque, et qui continue sa course vers un temps au sujet duquel nous

n'avons qu'une idée très abstraite ? Toutes ces questions que la conscience humaine se pose ont

donné naissance à des nouvelles connaissances acquises par la physique et la cosmologie au cours

des derniers siècles. Le temps de l'univers, même à des confins cosmologiques très lointains, est

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relié à nous actuellement par le fait même de notre existence en lui. Le temps, contracté en des

milliards de mouvements dans notre conscience, doit forcément contenir une infinité d'autres

mouvements dans l'univers qui la contient. Mais l'univers est sans cesse en mouvement et le temps

que nous considérons plus vaste et en quelque sorte éternel ne nous est jamais entièrement donné. Il

est une vitesse d'expansion dans l'espace, mais il ne nous donne pas la possibilité de savoir si sa

totalité est finie ou infinie.

Certains modèles de théories cosmologiques prévoient un effondrement de l'univers lorsque

la densité critique sera atteinte, on parle alors de big crunch, mais cette forme d'univers fermé a

l'inconvénient de ne pas tenir compte des observations qui tendent à confirmer que l'univers a une

quantité de matière insuffisante pour s'effondrer à long terme sous le poids de sa gravité. Une autre

hypothèse serait que l'univers est ouvert, ce qui signifierait que l'expansion continuerait

indéfiniment.

En vertu du principe cosmologique, a priori l'univers est homogène et, entre les amas ou les

superamas de galaxies, il ne peut y avoir de vide. Or ce principe est contredit par les observations.

On peut dire aujourd'hui que, s’il existe des amas et superamas de galaxies le plus souvent

concentrés dans des espaces filamenteux réduits, cela signifie qu'ils doivent laisser des espaces

vides autour d'eux. L'existence de ces vastes volumes quasiment vides s’accorde avec les

prédictions du modèle cosmologique LCDM (théorie de l'énergie sombre et de la matière noire).

D'après les principes de la mécanique quantique, même le vide parfait (espace dépouillé de toute

particule et refroidi au zéro absolu) peut fluctuer, et c'est peut-être ce qui existait avant l'univers et

qui lui a donné naissance. La fluctuation quantique est un changement temporaire du niveau

d’énergie. Selon cette relation, de l'énergie peut être créée durant un temps très bref (sans violation

du principe de conservation). Or le vide lui-même, étant un champ dont la valeur doit fluctuer, est

une possible création/annihilation dans l'espace de particules à durée temporaires. De là à dire que

l'univers est une fonction d'onde de ce genre et que toute la matière connue (baryonique) et

inconnue (énergie sombre et matière noire)  repose sur du vide, il n'y a qu'un pas. De là aussi

l'évocation de mondes multiples issus de l'interprétation des lois de probabilité, de là finalement

toute expression de notre impuissance à traduire l'aberration que constitue pour nous toute cette

immensité soumise à un principe selon lequel cet univers fut à un moment donné contenu dans un

espace aussi petit qu'un atome.

Or, si nous voyons actuellement un univers complètement dilaté à un point tel que la matière

s'échappe à de grandes vitesses à ses confins, c'est qu'il a dû être à ses débuts complètement

contracté. Il apparaît qu'une température d'un milliard de degrés, seulement une seconde après

l'explosion d'énergie qui lui donna naissance, fut nécessaire à l'univers pour contracter toute la

matière en un si petit espace. La naissance du temps et de l'espace, pour ainsi dire, était

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certainement sujette à cette condition de température inimaginable. Il reste cependant à déchiffrer la

cause initiale d'une telle énergie déployée alors que le temps justement n'existait pas encore... Point

besoin de dire que bien des mystères sont encore à résoudre dans ces théories cosmologiques. 

L'éternel retour serait donc scientifiquement parlant la fluctuation d'un univers qui se

contracte et s'étend indéfiniment. Il est évident qu'une telle hypothèse est métaphysique et qu'elle ne

saurait, dans l'état actuel de nos connaissances, être développée autrement que par la spéculation.

Cependant, plusieurs indices concordants donnent à penser que l'univers serait bel et bien une

protubérance du vide qui, au fil de l’expansion, devrait nécessairement recommencer un cycle de

fluctuations. Si cela s'avère exact, l'apparition de la vie et la possibilité pour la conscience

d'envisager la forme de l'univers ne serait pas tout à fait aléatoire, puisque, selon les lois de

probabilité, un seul chemin finira par être emprunté par la matière.

XV L'univers   : une implosion-explosion

Benoît BB :

Tes remarques m'inspirent certaines réflexions métaphysiques qui, si elles n'ont qu'une

signification « métaphorique » pour l'instant, pourraient avoir leur utilité, à terme.

L'univers, selon une perspective dialectique, serait une explosion qui fait retour dans soi.

Métaphoriquement, la force gravitationnelle atteste de ce double mouvement de fuite et de repli

simultanés. La matière donc tend à se contracter sur elle-même dans le même temps où elle s’étend.

La conscience du vivant, toujours métaphoriquement, me paraît être un moment nécessaire dans ce

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mouvement de contraction-expansion. Comme l'indique Bergson, la durée de la conscience est la

concentration d'une infinité d'instants qu'elle réfléchit : une telle concentration renvoie précisément

à un mouvement de contraction infinie de la matière consciente sur elle-même (rétrécissement)

donnant lieu à une dilatation (épaisseur de la durée continue). Le premier éveil de la première

conscience vivante est comparable à un nouveau « big bang » : la matière consciente explose en

implosant en elle-même pour faire surgir une énergie qui tend à se dilater. En un sens, la

manifestation d'une conscience vivante dans l'univers nous dévoile bel et bien la loi du devenir de

l'univers, outre le fait qu'elle s'y soumet éminemment. De même que la gravitation est la

monstration d'une force qui se replie sur elle-même au moment où elle est tout à la fois une fuite, de

même l'éveil d'une conscience au sein de la physicalité inerte est la monstration d'une puissance de

concentration de la matière au moment même où elle est déploiement. Gravitation et conscience

vivante confirment ce fait élémentaire : l'univers est explosion-implosion, simultanément. Un

mouvement que nulle logique ne saurait appréhender apparemment, mais qui confirme en tout cas,

au moins métaphoriquement, l'hypothèse d'un éternel retour, soit le retour nécessaire, à un moment

donné, aux conditions "initiales" de notre séquence d’univers.

Liamine Touhami :

L'explosion et l'implosion de la matière, plus scientifiquement, correspondent tout à fait au

concept de la fluctuation quantique, et si ce concept est valide, l'univers cosmologique et l'univers

quantique seraient le miroir d'une fluctuation du vide cosmique, une onde de probabilité qui soutient

tout le fondement de ce que nous pouvons connaître. Ces "réactions au vide ", que traduisent la

relation d'incertitude sur les plus petits éléments de la matière, doit être la règle que se donne

l'univers pour fonctionner spatialement, mais la nature de l'origine des transformations jusqu'à la vie

est aussi le témoin indirect de cette règle, et, si la détermination des corps physiques de la

mécanique ne repose que sur des ondes de probabilité de particules, la réalité macroscopique quant

à elle n'en n'est pas moins consistante.

La matière générée par du vide a l'avantage de l'explication. Voici pourquoi. Plaçant

l'apparition de la matière dans un antagonisme avec le vide, en faisant l'alternative avec quelque

chose de physique qui le différencie, le physicien ne fait que poser un inconditionné de la matière :

en effet, l'irréductibilité dans la série des causes de la matière est la non-matière, c'est-à-dire ce qui

l'a précédé, or c'est justement ce sur quoi porte la question cosmologique. La question de la matière

est par conséquent celle qui donne la réponse au problème du temps et de l'espace, son éternité ou

sa création doivent fournir des éléments sur la forme et la nature de notre Univers. La fluctuation,

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ou l'éternel retour de certaines conditions initiales, la conception d'un univers en expansion qui

semble indiquer qu'une grande énergie en est à l'origine, et enfin la prévision d'une densité non

critique (expansion infinie) sont autant d'éléments qui laissent à penser que notre univers matériel,

sur la globalité temporelle de toute la série causale cosmologique, est une fluctuation ininterrompue

entre des états qui, d'après la loi de probabilité, devront nécessairement opérer des cycles

semblables (pour ma part, je ne pense pas qu’il soit indispensable d’être dans le cadre de la théorie

d’un « univers en rebond » pour valider la pertinence de l’hypothèse cosmologique de l’éternel

retour ; l’éternel retour pourrait être compatible avec le modèle d’une expansion infinie, si l’on

suppose, dans le contexte de cette expansion infinie, la résurgence de « vides quantiques »).

Tout ceci n'est pas en contradiction avec une durée consciente qui perçoit un temps différent

à chaque seconde, car entre les ordres temporels quantique et cosmologique se trouve, coincée dans

la limitation du corps, une seule façon de fixer la réalité dans une perception consciente : elle

implique d'abandonner toute prétention dogmatique à saisir l'infinitude et doit donc opérer la

synthèse nécessaire à l'appréhension de cette notion d'infini dans les lois naturelles.

XVI La notion d'infini dans le contexte théorique de l'éternel retour

Benoît BB :

Questionnons à nouveau cette notion d'une infinité temporelle.

Le temps physique, dans notre contexte, est défini comme un temps infini. La physiocratie

transcendantale, spatialisante, pose cette infinité « logiquement », déductivement (« tout effet

suppose une cause ») ; la durée pure (au sens bergsonien), plus adéquate en ce sens, affirme

« l’infini » temporel au sein d’un vécu actuel.

Si j'opte pour l'éternité du temps, c'est pour une raison déductive, mais aussi intuitive. En

effet, il me semble d’abord que la physiocratie transcendantale a la rationalité et l'empirisme pour

elle, là où l'idée d'une création ex nihilo est proprement la violation de toute rationalité et de toute

loi naturelle. La durée pure, de son côté, intuitivement, indique une ouverture du temps qui semble

empêcher tout surgissement absolu, à partir de rien.

Mais si je pose une éternité temporelle, je pose néanmoins une finitude de la quantité des

forces dans l'espace, sans quoi l'éternel retour ne serait pas envisageable (notons que, même dans le

contexte d'un espace infini, dans un cadre relativiste, au sein d'une géométrie hyperbolique ou

euclidienne, l'espace que je considère est un « volume de Hubble », « notre » univers théoriquement

observable, lequel possède une quantité de forces finie, et auquel on peut très bien juxtaposer une

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infinité d'autres « volumes de Hubble », sans modifier ce principe6).

XVII La notion d'une quantité de forces finie dans «   notre   » univers

Liamine Touhami :

Sur la quantité de forces finie et le principe de conservation, il serait utile de procéder à une

petite expérience de pensée pour voir comment Galilée, Descartes, Mach, puis après lui Einstein,

ont envisagé le mouvement d'un corps et les forces qu'on leur associe, le premier d'entre tous étant

le principe d'inertie.

Lorsqu'on regarde vers l'espace, et qu'on imagine un corps fait de matière, on se rend compte

que la norme, en dehors de l'attraction d'un gros corps tel que la terre, serait plutôt le mouvement

que le repos. Ce mouvement des corps célestes, qui semble ne jamais s'arrêter, doit trouver son

origine, non pas seulement dans l'influence proche des soleils, étoiles diverses du seul système

environnant, mais plutôt dans l’influence de l'ensemble de tous les corps de l'univers, dont ceux,

très lointains, qui représentent une énergie colossale (super amas, quasars, étoiles a neutron etc..).

L'idée est qu'une très grande quantité d'énergie déployée puisse se convertir en matière, matière qui,

comme empreinte de l'énergie reçue, conserve une force qui se divise en deux manifestations, d'une

part le mouvement et d'autre part la masse. Lorsqu’un corps vient à être constitué dans des

explosions stellaires qui créent les conditions d'énergie nécessaires á l'agrégation atomique de

certains éléments lourds, il entre dans un espace où seule une force contraire, d'autres corps,

peuvent dévier son mouvement initial.

Imaginons un corps tel que la lune. Il a une masse et une vitesse. Ces données sont telles

qu'elles s'insèrent dans un système où d'autres corps plus massifs les conditionnent. Nous dirons

alors que cette force est la gravitation, mais nous pouvons aussi dire, selon le principe d'inertie, que

le mouvement de chacun des corps, dévié par les forces de gravitation, a entamé une ellipse

géométrique du fait même de la valeur exacte de leur mouvement. La masse et la vitesse est

l'expression d'une énergie, d'une force qui se conserve tant qu'une autre force ne vient pas la dévier. 

Comment pourrions-nous présager qu'il ne conserve pas cette énergie lorsqu'il est en mouvement ?

6 Cf. Barrau, Aurélien, Des univers multiples

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Nous ne le pouvons, et c'est pour cela que nous devons considérer que les corps, massifs ou non, de

l'univers, sont composés d’une quantité de forces finie (et même exacte pourrait-on dire) et que leur

conservation est la règle, là où aucune force extérieure ne vient perturber le mouvement. Bien

évidemment, le fait même que l'univers soit fait de matière implique que ces perturbations du

mouvement ont créé des chocs à leur origine. La température d'une très haute énergie crée ces

conditions. Mais elle se conserve une fois la fusion  et l'agrégation acquises sous forme de

mouvement, et, par suite, d'expansion dans l'espace le plus lointain. Voici le début de la réflexion

qui a conduit Mach à formuler ce principe, qui reste une  conjecture, mais non infirmée par les

théories les plus récentes de la physique.

Nous pouvons d'autre part établir avec la physique de l'atome que de l'énergie potentielle et

de liaison lie les particules de la matière constituant le corps, et que cette énergie, sauf dans les

éléments radioactifs, est stable et finie. Dans les éléments radioactifs cependant, nous voyons une

libération de l'énergie sous forme de rayonnement mais là aussi, la masse est proportionnellement

affectée. Donc la loi de conservation et le principe de finitude des forces se vérifient mutuellement.

Ils ont l'avantage notamment de décrire un univers où tout s'explique par la valeur des énergies, des

mouvements et des masses des corps, de leur vitesse relative à des ensembles plus vastes, et où

certes, la quantité finie de forces semble s'imposer comme la logique même du fonctionnement de

la nature.

XVIII Quelques principes de la connaissance humaine

Benoît BB :

La question de l'éternel retour, et de la saisie de cette « vérité » par une conscience humaine,

questionne l'être de la connaissance humaine elle-même. Mais en quel sens ?

La connaissance humaine n'est pas, je pense, développement au sens strict, mais

approfondissement d'une intuition originaire. Le « savoir » dont je parle (éternel retour) renvoie

constamment à ce que Rilke, dans sa huitième élégie, appelle l'ouverture du regard animal.

L'intellect humain peut saisir ce que le vivant non-humain saisit a priori, mais comme il est

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médiation indéfinie, il obstrue aussi le chemin qui conduit à la révélation de l'essentiel. En un sens,

face à la vérité de l'être non prédiqué, l'intelligence humaine, tandis qu'elle se développe, est

régression : au plus se déploie la rationalité instrumentale ou technique, au plus se déploient la

logique et la logistique, au plus l'accès à la vérité que recueille l'ouverture du regard animal est

problématique. Néanmoins, si par chance l'intellect parvient à exprimer sur son propre terrain de

telles révélations, s'il désobstrue le chemin qu'il a lui-même obstrué, et ce sur son propre terrain,

alors une puissance nouvelle voit le jour : l'humain, qui possédait un savoir inférieur à l'intuition

claire de tout vivant non-humain, devient désormais un être profond. Car pouvoir exprimer

logiquement un être qui demeure par-delà vrai et faux, par-delà toute logique, c'est pouvoir rendre

clair et distinct ce qui pour l'animal n'est encore que pure intuition incommunicable (du moins pour

nous). La communication du révélé deviendra dès lors la différence spécifique de l'humain (pour

nous).

Il s'agirait donc de renoncer quelque peu à l'idée de « développement » linéaire, qu'il soit

créateur ou sélectif, pour penser le devenir du vivant humain, et même du vivant tout court ; on

substituerait à cette notion l'idée d'approfondissement, de dévoilement, de "désenfouissement", qui

supposerait aussi un saut qualitatif (par-delà tout progrès continu).

Liamine Touhami :

La science mathématique, dont les concepts doivent reposer sur l'intuition spatio-temporelle,

est elle-même il me semble un dévoilement. Pas un dévoilement total de ce qu'est la matière, mais

un dévoilement partiel qui révèle à l'entendement l'étalon, en quelque sorte, le modèle de la matière

dans ses structures et dans ses fonctions. Ainsi certainement en suivant cette logique que toutes les

connaissances de la science sont déjà à l'oeuvre dans la matière, de toute éternité, on peut aisément

concevoir que le dévoilement discontinu opéré sur sa constitution, effectué par des sauts qualitatifs

de l'intuition et de la raison humaine, aboutit à ce que l'on nomme science, connaissance

architectonique de milliards d'expériences humaines sur la matière. Certes, cette intuition doit

progresser dans un mouvement discontinu, et de ce côté-là nous pouvons considérer que l'évolution

graduelle n'a pas lieu dans un saut de ce genre.

La biologie moderne nous enseigne que plusieurs opérations corticales sont à l'oeuvre dans

ce que l'on pourrait appeler, par contraste avec la pure sensation, l'intuition sensible d'un monde

remontant progressivement à la réflexion et à la connaissance. D'abord l'aire limbique, le cortex,

produisent une certaine énergie propre à l'échange d'information chimique et électrique nécessaire à

"l'éclairage ", ou "l'allumage " du système intuitif. Certains noyaux et même tous les neurones du

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système nerveux jouent un rôle dans la circulation et le traitement des sensations (tactiles, visuelles,

olfactives, gustatives, de l'ouïe, et somesthésiques). Un échange neuronal considérable (mettant en

jeu notamment les cellules gliales et les synapses)  permet au cerveau de traiter ce qui,  dans la

conscience,  devrait apparaître comme des rassemblements de sensations tactilo-visuelles et

fournissant progressivement une représentation unifiée et cohérente, dont le travail d'abstraction fait

aboutir à la connaissance.

Nous pouvons dire, d'une certaine manière,  que l'être humain est "la" machine faite pour

dévoiler et compiler les états de la matière en connaissances. Son cerveau le lui permet, et sa

progression dans le désenfouissement d'une vérité intuitivement perçue, par l'intermédiaire de

différents cerveaux en différentes époques du temps, est discontinue à n'en point douter. Cette

discontinuité est tout simplement la caractéristique principale de l'intuition, étant un effort de

tension de l'attention dont l'intensité doit forcément s'éteindre après un certain temps. On doit

accorder néanmoins la continuité aux états psychologiques qui les sous-tendent (en toile de fond) 

sans quoi toute cohérence est perdue.

XIX Y a-t-il un «   secret   » du temps   ?

Benoît BB :

Le secret du temps, je pense que Bergson l’a déjà dévoilé : il s'agit de ce qu'il appelle la

durée pure, d'une sorte de continuum qui signifie également le dévoilement permanent de

l'absolument nouveau. Comme je l’ai déjà expliqué, je pense que la conception bergsonienne du

temps permet de fournir un argument philosophique, fondé sur l’intuition, pour poser l'éternité de la

durée, et donc de fournir une base essentielle (l’infinité temporelle) pour affirmer la légitimité de

l’hypothèse de l’éternel retour. Encore faudrait-il, certes, produire un certain « saut », que Bergson

n’a pas voulu tenter.

Une conscience vécue en première personne appréhende l'ouverture continuelle de la

temporalité. Ici, nul évanouissement possible, nul commencement premier. Le temps est saisi dans

sa fluidité pure. Je pense que cette appréhension subjective du temps renvoie à une loi du temps pur

qui concerne tout individu en général.

L'univers comme totalité pourrait bien être individualité indivisible, unique et unifiée par

elle-même : en effet, dans la conception d’un tout, quel qu’il soit, l’indivisibilité et l’unité, après

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une régression logique parvenue à son seuil critique, deviennent des prédicats nécessaires. Peu

importe pour l’instant de savoir si cette unité indivisible est « réelle » (question métaphysique

indécidable) : ce qui importe, c’est de dire que l’univers n’est pensable en dernière instance que

comme unité indivisible, par-delà toute une série de discontinuités possibles, présentes en

superficie. Or, tout individu, c'est-à-dire toute unité indivise existant dans le temps, comprend par

lui-même la fluidité temporelle qu'une conscience humaine saisit : car l'indivisible individualisé,

précisément, s'il est dans le temps, ne signifie pas autre chose que le continuum temporel (son

temps n’est pas divisible). S'il est dans le temps, il doit lui-même se situer au sein d'une ouverture

temporelle fluide et continue. Mais que signifient l'ouvert et le continu pour l'univers ? Il signifie

l'éternité. Il signifie donc l'éternel retour de « notre » parcelle d’univers.

Certes, dira-t-on, l'humain lui-même qui s'inscrit, avec sa durée pure, dans la matière, est

mortel : continuité ne signifierait pas pour lui éternité : il y aurait pour lui un commencement

premier (naissance) et un évanouissement définitif (mort). La continuité serait temporaire, et

encadrée par deux discontinuités radicales (surgissement premier et évanouissement définitif de la

conscience). Mais ces discontinuités ne sont postulées pourtant que de façon incertaine : rien

n’indique au sens strict qu’elles ne s’insèrent pas dans une continuité plus globale, quoique non

aperçue. N’y aurait-il pas une forme de sagesse empirique dans le fait de déduire de la continuité

constante du temps vécu l’impossibilité d’une discontinuité radicale de ce temps, de façon plus

globale ? Nous pourrions conclure de l’épaisseur de la durée vécue actuellement l’épaisseur de toute

durée consciente en général, qui exclurait tout surgissement absolu et tout évanouissement définitif

(éternité de toute conscience vivante : tout « présent » de la conscience impliquerait nécessairement

un passé et un futur). Dans ce contexte, l’analogie (spéculative) conscience-univers signifie, sur le

plan métaphysique, l'éternel retour de la conscience et de l'univers.

La science toutefois spatialise la durée : elle fait du temps une ligne droite, et du mobile un

point parcourant cette ligne droite. Elle calcule dès lors des vitesses, évalue des mouvements, en

définissant des intervalles sur cette ligne, c'est-à-dire en juxtaposant des simultanéités. Ce qu'il y a à

l'intérieur de ces intervalles, la science ne le saisit pas : car précisément lui échappe la durée pure

qui est celle de la conscience et de l'univers total conçu comme un individu indivisible. Ainsi, pour

une certaine science, il ne paraîtra pas absurde de déterminer un commencement premier pour un

mouvement déterminé, ni même une "fin" de ce mouvement. Parce que la science circonscrit le

mouvement pour ses calculs, parce qu'elle détermine des intervalles, parce qu'elle suppose qu'on

pourrait arrêter le temps pour définir quelque "instant" absolu, quelque atome temporel, elle ne

verra pas d'objection dans le fait de déterminer un commencement absolu ou une fin absolue pour

un phénomène déterminé. Dès lors, pour certains scientifiques, il ne serait pas absurde de dire que

le « big bang » serait le commencement de l'univers, et le « big crunch », ou quelque dilution, sa

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fin. Seulement, ces scientifiques occultent la vérité métaphysique du temps : le continuum. Par-delà

toute possibilité de déterminer fictivement (ou symboliquement) des intervalles, le temps,

métaphysiquement, est pure ouverture dès lors qu'il concerne une individualité indivise.

Ici la philosophie, avec son principe intuitif, « montre », de façon beaucoup plus évidente

que la science, l'éternité de la durée. Pourquoi plus "évidente" ? Parce que, en un sens, de façon

beaucoup plus "empirique". En effet, nulle expérience concrète intime ne nous permet de confirmer

l'atome temporel, l'instant, l'intervalle des scientifiques qui surmathématisent la nature. En

revanche, l'ouverture temporelle est trivialement constatable, au quotidien, pour une conscience

vécue hic et nunc en première personne.

La physiocratie transcendantale, certes, elle aussi, pose l’infinité temporelle, mais d’un point

de vue déductif (régression à l’infini de la série causale). Mais précisément, elle spatialise le temps,

définit des intervalles, des atomes temporels, pour différencier nettement les causes et les effets. De

ce fait, malgré son souci « logique » d’une régression à l’infini de la série causale, elle n’interdit pas

complètement de définir un commencement premier de l’univers, car elle a posé implicitement les

bases philosophiques (atome temporel) pour qu’un tel commencement absolu soit pensable. C’est

en ce sens qu’il faut, je pense, limiter l’usage de la physiocratie transcendantale, et la compléter par

la pensée d’une durée pure, qui se manifeste en profondeur, au sein d’une éternité vécue.

XX Pourra-t-on «   prouver   » un jour scientifiquement l'éternité de la durée physique   ?

Liamine Touhami :

Pour répondre scientifiquement à cette question de « l'éternité » du temps (que nous

considérons de toutes les manières comme "physique " puisqu'il est la base de l'observation, nous

n'entrerons pas pour l'instant dans des considérations métaphysiques), il faudrait pour cela passer

par des notions de physique qui ont fait entrer le monde dans la modernité. De L'Antiquité jusqu'à

Newton, le temps était généralement considéré comme uniforme et immuable. C'était un temps

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absolu et homogène qui s'écoulait de la même façon partout dans l'Univers. La révolution

intellectuelle qu'introduisit Albert Einstein au début du siècle consista à comprendre que le temps

avait un rapport étroit avec l'espace, et avec le mouvement de l'observateur (ou de son système de

référence). Avec l'espace tout d'abord car, la masse des corps influant sur sa structure, le temps

diffère grandement lorsqu’une grande source de gravitation est en jeu. C'est l'exemple célèbre des

trous noirs galactiques où un probable observateur à l'abord d'un tel corps verrait le temps s'écouler

beaucoup plus lentement que sur Terre. Avec le mouvement du système de référence ensuite, car

dans un système en mouvement le temps doit différer pour son observateur par rapport à un second

observateur au repos. Seulement, dans ce cas de figure, seuls des systèmes à grande vitesse (proche

de celle de la lumière)  révèlent un écart évident. La formule utilisée pour exprimer cet écart

temporel est la fraction de la vitesse du système sur celle de la lumière au carré. Car Einstein

découvre en ce sens que la vitesse limite des corps dans l'univers est celle de la lumière, elle

intervient donc dans tout rapport d'écart temporel. Prouvée scientifiquement par diverses

expériences, la dilatation temporelle (en même temps que celle des grandeurs à des hautes vitesses) 

nous enseigne donc sans détour que le temps n'est pas homogène dans tous les systèmes

d'observation. De plus, la nature du temps que nous pensions séparée et immuable avec Newton se

révèle être étroitement liée avec la notion d'espace et de corps environnant. Si par conséquent nous

considérons la matière, et l'espace qui lui est à chaque observation associé étroitement, comme des

entités n'ayant pas d'existence définie (c'est à dire comme n’ayant pas un début et une fin) et encore

leur immensité qui empêche la conscience de les embrasser en une observation globale et finie,

nous ne pouvons pas alors, selon les découvertes d'Einstein, mettre le temps de côté et affirmer qu'il

est fini. Einstein croyait au déterminisme physique, c'est-à-dire qu'il ne pouvait concevoir que des

phénomènes physiques s'enchaînant les uns aux autres par causalité puissent s'avérer être sans début

ni fin. Il était un défenseur d'une théorie de l'univers fini, mais cela ne veut pas dire qu'il pouvait

s'avancer à dire que l'espace et le temps ne sont pas éternels (ou le contraire d'ailleurs). Car, tenant

compte des antinomies de la raison, il savait que la question causaliste et physiocratique concernant

ce qu'il y avait avant le temps et l'espace est insoluble.

Il est donc plus confortable pour l'esprit métaphysique de poser l'univers, l'espace, le temps

et la matière comme éternels, avec le physiocrate, et de considérer comme un non-sens le fait de

vouloir donner une cause ex ou in nihilo. Mais pour le physicien qui cherche la nature causale des

phénomènes, cette explication par l'infini et l'éternité n'est pas suffisante. La nature même de la

physique invite à poser, dans une observation scientifique, un début et une fin à l'expérience. Si

l'univers est cette expérience, il ne doit pas déroger à la règle. C'est pour cela que je dirai que l'esprit

métaphysique qui souhaite saisir l'entièreté de l'expérience par intuition doit affirmer que le temps

est éternel. La physique lui répondra favorablement par nombre d'expériences modernes qui tendent

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à le prouver, mais ne pourra en même temps s'avouer vaincue par l'infinitude, de par son

épistémologie propre à une causalité déterminée.

Une dernière chose concernant l'éternité du temps physique, c'est la preuve que la

cosmologie nous donne dans ses dernières avancées. Pourquoi une telle expansion de l'univers ? À

une telle vitesse ? Les chercheurs répondent, majoritairement, par l'affirmative, lorsque nous

demandons si cette expansion sera infinie. Or, cette vitesse d'éloignement des corps lointains est le

temps même, temps matérialisé par des vitesses faramineuses et des corps à la limite de l'existence.

Par bien des exemples donc nous pouvons affirmer scientifiquement, avec le métaphysicien, que le

temps, même si nous ne connaissons pas vraiment sa nature profonde, est issu d'une éternité de

durée.

XXI Quelle théorie métaphysique se rapprocherait le plus de la conception d’un espace-temps

infini déroulé de toute éternité   ?

Benoît BB :

Spinoza pense conjointement l’espace et le temps, avant Einstein. La substance est éternelle

et infinie dans un même mouvement. L’infinité de la substance implique qu’il n’y a rien qui pourrait

être « extérieur » à elle. Elle n’a pas de contours qui la délimitent, il n’y a pas de dehors qui pourrait

la causer ou l’élucider. Dès lors, la substance, nécessairement, est cause de soi, elle est puissance

active. La Nature infinie se maintient par elle-même, en première instance.

L’éternité temporelle est inséparable de l’infinité (mais je dirais plutôt : de l’indéfinité) de

l’espace. L’indéfinité spatiale de la substance se déploie en tant que progression indéfinie

précisément parce que le temps lui-même n’a pas de limite. Dans le développement temporel

illimité, l’espace lui-même ne trouve pas de limitation, il peut se déployer indéfiniment. L’absence

de contours définitifs de l’espace est provoquée par l’absence de commencement ou de fin dans le

temps.

La causalité elle-même ne peut se penser sans la conception d’un espace-temps infini, ou

indéfini, déroulé dans l’éternité. Si nous prenons n’importe quel phénomène se déroulant à l’échelle

atomique, nous sommes comme forcés de justifier absolument toutes les forces qui déterminent ce

phénomène, mais aussi tout le rayonnement d’énergie qu’il détermine. Pour saisir ces forces

déterminantes et déterminées, dans notre investigation, nous ne pouvons pas nous « arrêter », à un

moment donné, à une « première » force absolument surgissante, car celle-ci doit pouvoir être

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expliquée à son tour par l’existence d’autres forces qui coexistent avec elles, ou qui lui sont

antérieures, au sein même de la Nature, etc. à l’infini. Sans cela, la causalité des phénomènes est

violée. Dans cette régression, c’est bien l’éternité qui devient manifeste. L’empirisme classique ne

dit pas autre chose. Mais alors l’espace lui-même, dans cette éternité, puisqu’il est en évolution

constante, ne peut pas non plus ne pas être déploiement indéfini, continu. Aucun contour ne peut

venir le circonscrire.

La durée pure de la conscience, fluide, épaisse et continue, sera, sous cette éternité

« logique », la manifestation d’une éternité vécue, comme je l’ai déjà souligné : l’actuel vécu, dans

le continuum du temps vécu, vient confirmer intuitivement ce que pose déductivement l’intellect

spatialisant dans le déterminisme « classique ».

L’éternel retour est bien cet espace-temps indéfini déroulé dans l’éternité.

XXII L'éternel retour remet-il en cause la loi de l'entropie   ?

Liamine Touhami :

Cette question est très importante. Elle touche un point central dans les interrogations

philosophiques majeures de la science moderne. Tout d’abord, un petit rappel sur l’entropie. Rudolf

Clausius et Sadi Carnot les premiers évoquent une notion de « fonction d’état extensive » qui

montre que le rapport Q / T (quantité de chaleur reçue par un système thermodynamique à la

température T) est inférieur ou égal à la variation d’une fonction d’état que Clausius nomme le

premier « entropie ». Plus tard, la thermodynamique statistique éclairera un peu plus cette grandeur

physique abstraite en l’interprétant comme la mesure du degré de désordre d’un système au niveau

microscopique. Cette interprétation est fondamentale. Plus l’entropie d’un système est élevée, plus

le système est désordonné, chaotique.

Ce qui semble apparemment contrarier le concept d’éternel retour dans cette interprétation

statistique de l’entropie en thermodynamique, c’est qu’il semble y avoir moins de chance, dans un

système thermodynamique où l’entropie est élevée, d’obtenir une répétition d’effets mécaniques à

l’identique sur une période de temps donnée T. Les éléments du système étant, selon la loi de

Boltzmann, de moins en moins liés entre eux lorsque l’entropie augmente, nous devrions avoir dans

un tel système un désordre qui empêcherait la répétition systémique d’éléments organisés. Or, ceci

serait tout à fait valable si l’univers cosmologique (c’est à dire pris dans sa globalité) correspondait

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à un tel système thermodynamique. Mais cela n’est pas le cas. Par ailleurs, l’entropie est

contrebalancée, localement, par des formes d’auto-organisations, voire de néguentropies. De plus, le

rayonnement fossile dont j’ai parlé précédemment et qui fait « baigner » littéralement l’univers dans

une température proche du zéro absolu (3 kelvins) empêche l’entropie d’augmenter et d’atteindre un

niveau tel que la loi de Boltzmann soit valable. Enfin, on songera à l’ouvrage de Bojowald que tu

cites, et dans lequel on envisage que l’entropie, dans le contexte (hypothétique) d’une contraction

progressive de l’univers, pourrait s’inverser.

Quoi qu’il en soit, cette loi concerne d’abord des environnements spécifiques, par exemples

des systèmes thermodynamiques de gaz à haute température ou pression qui donnent des résultats

intéressants pour obtenir du travail mécanique à moindre coût énergétique. Cela ne concerne pas

l’univers dans son ensemble et n’empêche pas par conséquent de penser l’éternel retour dans un

système cosmologique de la métaphysique.

XXIII Il existe un espace, en mécanique quantique, qui possède des propriétés analogues à

celles d’un «   super espace   » qui s’apparenterait à une multitude de degrés de liberté et qui n’a

rien de commun avec l’espace à 3 dimensions que l’œil peut connaître. Du point de vue

métaphysique, un tel espace peut-il réellement exister   ?

Benoît BB :

On serait tenté de répondre d’abord de manière kantienne à cette question. Dans son

Esthétique transcendantale7, Kant montre bien que toute spatialité, quelle qu’elle soit, renvoie à une

subjectivité située. L’ordre de la juxtaposition serait injecté dans les choses par le sujet

transcendantal. Il n’y aurait pas de spatialité « en soi », il n’y aurait pas de juxtaposition « en soi »,

subsistant indépendamment de toute perception humaine. Ce serait le sujet sensible, et seulement le

sujet sensible, qui ferait que les étants sont disposés d’une certaine manière dans un espace donné.

Sur un fond subjectif de spatialité, les catégories de substance, de causalité, d’universalité, de

nécessité, etc., pourraient être appliquées par l’entendement. Cette distinction entre chose en soi et

phénomène, que pose d’emblée l’Esthétique transcendantale, est nécessaire : car un sujet ne peut

connaître a priori les lois de la Nature s’il n’y a pas de forme a priori de l’intuition sensible. Parce

que le sujet doit mettre lui-même dans les choses ce qu’il doit y trouver a priori, il faut que l’espace

(et le temps) soient des données a priori de son esprit.

Un « super espace », une « super spatialité », dans ce cadre classique transcendantal, devra

d’abord apparaître comme étant un cadre subjectif pour appréhender les phénomènes. Il ne semble

7 Kant, Critique de la raison pure

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pas, avec Kant, que ce « super espace » puisse réellement exister. Ou alors, par « réellement », il

faudra entendre une détermination précise : ce « super espace » aura une réalité simplement

empirique, c’est-à-dire qu’il sera, en dernière instance, une idéalité transcendantale.

Mais j'imagine que, de ton point de vue plus « informé », cette perspective kantienne est

dépassable...

Liamine Touhami :

L’idéalisme transcendantal de Kant place l’espace et le temps comme des formes a priori de

la sensibilité. Or, cela rentre en complète contradiction avec l’espace de la science moderne. Je vais

tenter d’expliquer pourquoi. Kant souhaite réfuter l’espace de Descartes et de Newton pour la

simple raison qu’il a procédé, sous l’inspiration de Locke et de Hume, à une analyse poussée de la

perception et de la causalité. Or, il constate que seule la conscience subjective est témoin des

événements extérieurs et en cela il se positionne en tant qu’idéaliste convaincu. De là, il estime que

des conceptions telles que l’espace et le temps ne peuvent se trouver en réalité que dans la

perception du sujet, ancrées en lui de telle façon qu’il puisse établir un lien de causalité dans le

temps, cette causalité étant la matière même qu’il perçoit sous forme de corps dans l’espace. Le

sens intime du temps de la conscience et la forme indispensable de l’extériorité de l’espace sont

donc pour Kant des formes de la sensibilité animale. Mais la science moderne a opéré des

changements profonds sur la conception du temps et de l’espace, notamment sous l’impulsion

d’Albert Einstein et de sa théorie de la relativité. Si Einstein conçoit aisément que la mesure du

temps et de l’espace dépendent du système où est placé l’observateur, il n’en demeure pas moins

que ce sont des réalités extérieures à lui, dont seule la simultanéité avec le temps vécu de la

conscience d’un observateur autorise à penser ces termes dans la subjectivité. Cependant Bergson

oppose une critique tout à fait légitime à Einstein dans Durée et simultanéité : la durée réelle de

l’événement ne peut se trouver dans l’intervalle T mesuré par l’observateur mais seulement dans

l’objet même, ou, si l’on veut bien se placer du côté subjectif, dans la conscience de celui qui

perçoit l’objet. On pourrait croire que par là Bergson revient sur la position de Kant sans rien y

ajouter. Mais ce serait peu connaître le philosophe. En fait Bergson réfute tout autant la position

nativiste qui établit l’espace et le temps comme formes subjectives a priori. Il ne légitime pas pour

autant la position des empiristes qui posent l’espace et le temps comme « construits » a posteriori

par l’histoire somatique de l’espèce. Il opte pour un évolutionnisme qui prend en compte les deux

positions et les dépasse en les intégrant dans ce que l’on peut alors nommer une « physique

qualitative ». Qu’est-ce en réalité que la physique qualitative ? Ce n’est pas vraiment une physique

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mécaniste jusqu’au-boutiste qui voudrait placer la valeur du temps et de l’espace uniquement dans

l’aspect extérieur d’une mesure prise sur un intervalle. Ce n’est pas non plus une métaphysique

déconnectée du sens réel des objets qui voudrait placer le temps en première instance subjective. Ce

serait plutôt une physique constructive qui placerait dans la subjectivité de la perception l’essence

même du sens de la mesure effectué sur les événements. En prenant en compte le phénomène

intrinsèque de durée réelle de chaque objet, la particularité des fluxions observées dans

l’écoulement temporel des évènements dans l’espace, il apparaît plus facile de comprendre

comment se déroule la causalité temporelle et spatiale en physique. Cette nouvelle physique est en

quelque sorte une fusion entre la philosophie et la mécanique, avec pour objectif de concevoir avec

encore plus de vérité la façon dont les phénomènes apparaissent et peuvent être mesurés. Cette

physique qualitative dépasse les positions kantiennes dans la mesure où, prenant en compte ces

formes de la sensibilité énoncées par cette philosophie, elle ajoute une dimension relativiste

nécessaire pour comprendre dans leur globalité des conceptions telles que l’espace, le temps ou la

causalité. Cette physique qualitative est en tout cas le cadre théorique adéquat, il me semble, pour

penser l’éternel retour du même. Ceci est une explication sommaire et je ne m’étendrai pas sur les

calculs et les théories qu’a pu engendrer une telle physique qualitative. Je laisserai ce soin aux

physiciens beaucoup plus qualifiés que moi pour ce genre de travaux. Mais je crois être fidèle à

l’esprit épistémologique de cette théorie.

XXIV D’après Kant, et les nativistes, l’espace et le temps sont des formes a priori de la

sensibilité. Or, la sensibilité met elle-même en jeu ces deux formes dans quelque chose . L’être

vivant ne doit-il pas posséder une forme particulière d’espace-temps   ?

Benoît BB :

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Dans mon article « Etre et percevoir »8, je tente de réfuter le solipsisme, l’idéalisme radical,

et je réponds à ce genre de questions.

Je reprends l’expérience de pensée du chat de Schrödinger. Nous ignorons l’état du chat

(mort ou vivant) dans la mesure où les deux vies coexistantes présupposées (le chat et

l’observateur) sont simplement dans une relation de communauté. Mais on peut supposer

néanmoins qu’elles sont aussi dans une relation d’intrication intime, qu’elles ne sont jamais que la

manifestation d’une seule et même vie.

En effet, selon un déterminisme strict, la vie du chat comme celle de l’observateur se

laissent expliquer seulement si on pose une vie antérieure qui permet leur apparition. Or, si l’on doit

remonter au plus loin, nécessairement, on doit remonter à la « première vie » s’étant manifestée

dans l’univers (ou dans une séquence d’univers).

De fait, il y a une « première vie » qui surgit à l’origine, dans notre séquence d’univers, cela

est une nécessité logique. En effet, selon une compréhension claire du continuum bergsonien,

« deux » vies ne peuvent surgir simultanément une « première fois ». Car pour penser cette

simultanéité de deux vies surgissantes, il faudrait pouvoir penser un atome temporel, un instant

abstrait, dans lequel cette simultanéité serait constatable. Mais pour penser cet atome temporel, on

constatera qu’il devra se diviser à l’infini, sans que l’on puisse s’arrêter dans cette investigation.

Nulle « simultanéité » pure, en dernière instance, ne pourra être saisie.

Ainsi donc, en vertu du continuum bergsonien, nécessairement il y a une « première vie »

qui surgit dans l’univers, une première fois. Cette première vie, initialement, n’est pas dans une

relation de communauté avec une « autre » vie. Elle est une pure causalité linéaire, une pure auto-

affection se déployant dans une durée pure. Mais selon un déterminisme strict, l’observateur lui-

même, dans l’expérience de Schrödinger, n’existe que si et seulement si cette première vie existe.

De même, le chat n’existe que si et seulement si cette première vie existe. Autrement dit, le chat et

l’observateur, initialement, sont « un », ils sont cette pure auto-affection linéaire d’une première vie.

Or, cette première vie renvoie à elle-même, elle est saisie pure intuitive ou sensitive d’elle-même.

Donc le chat et l’observateur ne sont pas en fait « séparés » : le chat est saisie pure sensitive de

l’observateur, et l’observateur est saisie pure intuitive du chat, puisque l’un et l’autre sont saisie

pure intuitive ou sensitive de soi de la première vie. Dans ce contexte, l’observateur « sait », selon

un « savoir » pré-thématique, si le chat est mort ou s’il est vivant. S’il ne peut verbaliser ou

conscientiser ce « savoir », c’est que sa verbalisation est sur un terrain thématique inapte à saisir

l’unité intuitive ou sensitive du vivant. Mais, selon une connexion immémoriale, ce « savoir » est

néanmoins un savoir authentique. Il est le savoir associé au fait que le vivant est unité, et qu’il est 8 Vous pourrez trouver cet article en annexe. Il s’agit d’une tentative philosophique de définir les principes d’une épistémologie quantique quelque peu « déterministe ».

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auto-affection originelle et autoréférentielle.

L’espace-temps du vivant, dans ces conditions, n’est pas une forme de l’intuition a priori.

Dans ces conditions, le temps subjectif de la conscience d’un observateur humain est initialement

un temps qui rassemble toutes les temporalités vivantes, dans l’unité d’une première vie qui s’auto-

affecte. Le temps n’est plus assigné à un point de vue singulier, il est délocalisé (tous les temps des

vivants sont compris ensemble), sur la base d’une localisation unifiante initiale (le temps de la

« première vie »). Cette délocalisation du temps implique la possibilité de le penser de façon

indépendante, sans l’assigner à une subjectivité située : il devient un cadre relativement autonome.

Kant a fait du temps et de l’espace des déterminations subjectives. Dans le pire des cas, cela peut

consolider une forme de solipsisme. Mais si l’on réinitialise le continuum bergsonien, et l’auto-

affection une du vivant, à partir d’une « première vie » déterminante, alors l’espace et le temps

n’apparaîtront plus simplement comme des façons purement subjectives, ou humaines, de saisir le

réel. Car il apparaîtra que le vivant lui-même, dans son unité, est pris dans quelque chose subsistant

à l’extérieur de lui par lequel, précisément, son tout-un, pourra être compris.

Kant lorsqu’il voyait deux individus vivants coexister voyait avant tout une relation de

communauté, une juxtaposition dans l’espace. C’est pourquoi il faisait de cet espace avant tout une

forme projetée sur le réel par un seul sujet sensible situé. Mais si l’on songe à l’intrication de ces

deux individus, à leur unité et non plus à leur séparation, unité issue d’une première vie

déterminante, alors la question de l’espace en soi dans lequel ils sont d’abord jetés resurgit, et cet

espace en soi devient pensable. Pour m’exprimer en termes nietzschéens, je dirai que Kant était trop

apollinien, et pas assez dionysiaque. D’où les limites de son esthétique transcendantale.

Dès lors, il ne s’agit pas forcément de penser dogmatiquement une réalité absolue du temps

et de l’espace qui serait accessible à la connaissance humaine. Mais tout au moins pouvons-nous

penser une relative autonomie de l’espace-temps, à partir de l’idée d’une intrication des vivants

situés dans l’espace et dans le temps. Du point de vue d’une philosophie de l’éternel retour, cette

possibilité est une aubaine : le temps éprouvé par la conscience intime pourra gagner en extension,

si les bons ajustements sont opérés, et le principe d’une éternité « vécue », qui en découle, gagnera

en force.

XXV Synthèse   : tentative de penser «   scientifiquement   » l'éternel retour du même

Liamine Touhami :

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L’hypothèse cosmologique de l’éternel retour du même consiste à stipuler que la série

causale des événements passés et futurs se reproduira à l’identique dans l’éternité de temps. Si l’on

postule une éternité de temps, ce sera sur la base d’une étude rigoureuse de l’expansion

cosmologique en astrophysique. Nous avons déjà utilisé l’argument de la densité critique de matière

et son analyse nous permet de penser que l’expansion de l’univers que nous connaissons pourrait

bien être infinie. Dans le cadre de la gravitation quantique à boucles, on postule une contraction

future possible, mais le phénomène de « rebond » n'exclut pas la conception d'une durée éternelle.

Ajoutée à l’analyse statistique d’une série d’événements sur une période de temps très longue,

l’argument expansionniste, ou l'argument de la gravitation quantique à boucles, prennent tout leur

poids dans la conception de l’éternel retour. En effet, la répétition à l’identique des évènements

exigerait tout d’abord une période de temps immense. C’est ce que semble signifier a priori la

notion d’éternité. Cette éternité, nous la pensons plus profondément en convoquant Bergson, mais

elle est une donnée déjà potentielle au sein de la cosmologie contemporaine.

Ensuite, la loi de probabilité nous enseigne que nous sommes constamment, déjà dans

l’univers microscopique, en présence de répétitions à l’identique d’un certain nombre de

phénomènes. En prenant par exemple la théorie des jeux de Neumann, on voit que lorsqu’un joueur

jette un certain nombre de fois ses dés, il a une chance sur deux de tomber sur le même chiffre, et

lorsqu’il le jette une seule fois, une chance sur six de faire un chiffre précis, ce pourcentage de

chance augmentant avec la valeur de plus en plus grande du nombre de jets. Qu’est-ce que cela

signifie en physique ? Cela veut dire que si nous prenons en considération le nombre de

phénomènes que l’on souhaite étudier, la durée dans laquelle ils se déroulent, et que l’on veut savoir

si ces phénomènes ont une chance de se reproduire de la même façon, on devra utiliser ce genre de

théories et la loi de probabilité pour avoir une idée précise du pourcentage de chances dans la

répétition. Or, si le nombre de phénomènes est immense, et que la durée en est infinie, la loi de

probabilité nous autorise à penser qu’il existe de grandes chances pour que ces phénomènes se

reproduisent à l’identique. Au-delà, il y a bien évidemment un aspect épistémologique à la question

de la reproduction à l’identique. Cela relève d’une métaphysique de la question créatrice et de

savoir avec précision quelle serait la finalité de la matière et de la vie dans l’univers. Partant de ces

considérations, il apparaît utile de se questionner sur la possibilité réelle de l’éternel retour et ceci

même s’il est difficile d’étudier en soi un phénomène aussi complexe et inséré dans des ordres de

grandeur infinis.

Si une communauté de savants souhaitait par conséquent avoir une explication satisfaisante

de l’éternel retour du même, je dirai simplement qu’il s’agit avant tout de la stricte application du

sens commun : « tout finit par arriver un jour ». Si nous considérons une période assez longue dans

le temps, la répétition de phénomènes à l’identique n’est pas surprenante. Si nous allongeons cette

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période à l’éternité, la répétition de tous les phénomènes de l’Univers à l’identique ne l’est pas plus.

La question du déterminisme vient se surajouter à ces conceptions, dès lors qu’on considère la

relation qui existe entre des « conditions initiales » et la séquence qu’elles initient. Mais l’argument

ontologique « tout arrive » (dans l’infinité temporelle) est peut-être déjà en lui-même suffisant.

Aussi, je crois qu’il s’agit là d’un problème de logique tout à fait soluble dans la physique moderne,

et j’irai même jusqu’à dire que la majorité des physiciens, qui croient majoritairement à l’infinitude

de l’expansion cosmologique, incluent déjà du même coup la conception de l’éternel retour dans

leurs théories (je pense en effet que, si l’on considère la question d’un vide quantique résurgent,

soumis à certaines fluctuations quantiques, l’hypothèse d’un éternel retour à certaines conditions

initiales « identiques », même dans le cadre de l’expansion infinie – qu’il s’agirait d’interpréter

différemment – n’est pas à exclure. Le modèle que tu as présenté d’entrée de jeu, la théorie d’un

« univers en rebond », semble certes, intuitivement, beaucoup plus compatible avec l’éternel retour,

et c’est pourquoi ce modèle spéculatif nous intéresse d’abord. Mais le modèle d’une expansion

infinie n’exclut pas pour autant l’hypothèse de l’éternel retour. Ce dont nous avons besoin avant

tout pour fonder cette hypothèse, c’est de légitimer l’idée d’une durée éternelle, idée que ne réfute

pas un tel modèle).

Là où la difficulté peut toutefois persister, c’est lorsque nous abordons la question de la

métempsychose et de l’identique concernant les faits psychologiques. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit

en effet d’une question toute métaphysique et là nous ne pouvons que laisser chacun à ses croyances

car les arguments théologiques sont nombreux et également valables dans les différentes doctrines.

Les faits ne peuvent nous aider suffisamment pour nous suggérer de façon décisive la voie à

emprunter. Mais je reste persuadé que les découvertes scientifiques futures permettront de

développer davantage l’hypothèse de la métempsychose à l’identique.

Deuxième partie   : La question politique

XXVI L'éternel retour d'un point de vue «   politique   »

Benoît BB :

Maintenant que nous avons cerné quelque peu les enjeux théoriques de l'hypothèse de

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l'éternel retour du même, nous pourrions envisager ses enjeux pratiques plus éthiques, voire

« politiques » (au sens large).

Il y aurait, je pense, deux aspects à considérer pour penser l'éternel retour d'un point de vue

« politique ».

D’abord, il y a en jeu une certaine intuition hégélienne à appréhender, avant tout très

dangereuse, et c’est le premier aspect. On pourrait vouloir percevoir une analogie entre le

mouvement de l’univers et le mouvement historique.

Le mouvement de l’univers, dans l’éternel retour, serait, « métaphoriquement », un

mouvement dialectique. Il y aurait une unité originelle, certaines « conditions initiales », puis une

explosion, une diversification, puis une réunion, et enfin un équilibre, vers le retour à de nouvelles

conditions initiales. Le devenir humain « devrait » obéir à la même logique, puisqu’il y aurait une

stricte correspondance entre les deux, dans la mesure où « tout est un » au sein de l’éternité

physique insécable.

Néanmoins, il faut éviter un grave écueil. Il faut éviter l’écueil de la téléologie, écueil que

Hegel n’a pu éviter. La téléologie est la négation de la liberté humaine. A vrai dire, l’humain est

libre car il se dissocie aussi de sa correspondance avec le mouvement dialectique de l’univers.

L’écriture est cette dissociation : l’écriture est la déchirure de l’être, la re-connexion anticipée qui

accroît le fait de différer la sursomption (qui accroît la différance de l’achèvement dialectique).

L’écriture est le surgissement de la liberté humaine. Par l’écriture, la liberté humaine advient, mais

c’est aussi une liberté terrifiante : la réunion « dialectique » finale des humains (et vivants) de la

Terre, cette réunion qui devrait « correspondre » au mouvement dialectique de l’univers, de l’éternel

retour de l’univers, n’est plus du tout une évidence. Toute téléologie, par l’écriture, devient

caduque. Dès lors, la paix durable future n’est plus une nécessité mais une possibilité  : elle devient

un possible dont l’humain doit s’emparer, pour le réaliser comme projet. Ce possible peut et doit

s’appuyer sur l’idée d’une analogie entre mouvement physique et mouvement historique. Mais cette

analogie doit alors être revendiquée, et non plus posée dogmatiquement comme étant inévitable.

Les humains plus libres, dans l’éternel retour (hypothétique), pourraient donc faire en sorte

que se réalise ce qui se réaliserait s’ils n’étaient pas libres : une paix non oublieuse, réfléchie et

absorbée dans la mémoire des désastres passés (elle n’est donc en rien « parfaite »). Elle

confirmerait potentiellement l’analogie de mouvement entre le physique et l’historique, même si

cette analogie doit absolument être indéfiniment différée, comme attente sans atteinte. L’humain

libre doit tenter de vivre un destin qui n’est plus son destin nécessaire depuis qu’il s’est mis à écrire.

S’il parvient à l’accomplir, cette paix durable, il s’agira d’un accomplissement d’autant plus beau

qu’il n’était en fait pas programmé, mais seulement voulu, espéré, projeté. Il sera devenu un

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possible réalisé, quoique toujours imparfaitement, indéfiniment.

Contourner l’écueil de la téléologie est nécessaire : car si l’on pose la nécessité absolue de

quelque « paix perpétuelle » (laquelle pourtant n'est jamais absolument réalisée, mais toujours en

devenir, en tant qu'idéal régulateur), et non sa possibilité, c’est le fascisme, voire le totalitarisme,

qui menacent : on tentera à tout prix de faire entrer certains contenus politiques dans une idée

abstraite dogmatiquement posée. Ce n’est pas Nietzsche, mais bien un certain Hegel pernicieux (ou

très mal interprété, instrumentalisé), qui pourra devenir le grand-père du nazisme.

Le deuxième aspect de la question concerne le « rôle politique » que peut jouer l’idée même

d’éternel retour. A vrai dire, si des « possibilités » rationnelles et sensibles de l’éternel retour sont

admises (et ce genre de projet s'enracine dans un temps très long, comme Nietzsche lui-même le

comprenait), nous pourrions faire de cette « vérité » possible, disponible pour tous, un puissant

levier politique. En effet, si les hommes appréhendent la possibilité selon laquelle leur vie pourrait

bien se répéter à l’identique, une infinité de fois, dans l’éternité, ils voudront probablement se

mettre à vivre différemment. Ils considéreront certainement, plus qu'auparavant, que cette vie

terrestre est d’une extrême importance, et qu’il ne s’agit pas de la prendre à la légère. Ils voudront

probablement cesser de vivre dans la misère, ils ne supporteront plus une condition de tutelle,

d’esclavage, puisqu’ils se diraient qu’ils pourraient avoir à subir de telles souffrances non pas une

seule fois, mais une infinité de fois, dans l’éternité. Il n’est pas nécessaire, toutefois, que l’éternel

retour devienne une « certitude dogmatique », pour que sa dimension politique, ainsi comprise, se

manifeste (une telle certitude « publique », de toute façon, reste inaccessible, car cette idée

comporte une dimension métaphysique et intuitive irréductible – elle n’est pas souhaitable, en outre,

dans la mesure où la mort demeure une question à chaque fois intime). Mais le simple fait que cet

éternel retour ne soit pas impossible pourrait déjà alerter les individus, qui pourraient vivre en

tenant compte de cette possibilité (possibilité qui devient effrayante, si la vie finit par ne plus être

digne d’être vécue). La révolte des individus dominés, ou réifiés serait favorisée, éventuellement, si

l’on prend en compte le long terme.

De même, ceux qui font souffrir autrui admettraient qu’ils pourraient bien faire souffrir ces

autres une infinité de fois, dans l’éternité. Ca n’est pas impossible, dirait Chrysippe. Leur

culpabilité serait (potentiellement) multipliée à l’infini. Si l’on dénonçait les dictateurs, les

capitalistes, en tant qu’ils seraient coupables de faire souffrir potentiellement dans l’éternité

certaines vies sacrifiées, leur accablement serait maximal. L'éternel retour, en ce sens, deviendrait

une « arme » spirituelle intéressante, du point de vue de la lutte contre toutes les formes de

domination. Mais certes, cette « arme » est largement insuffisante, et ne saurait être mobilisée en

l'état actuel des choses.

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Par ailleurs, on peut considérer que, si c’est Bergson qui nous permet de penser l’éternel

retour, ou la perpétuité périodique de séquences identiques spatialement et qualitativement, dans

l’irréversibilité de la durée, on notera que nous accédons à ce « résultat » possible en critiquant une

tendance moderne à « spatialiser le temps ». Or, Lukacs, qui a lu Bergson dans sa jeunesse,

considérait que le critère de la « valeur » économique, ou sa substance, soit le « travail abstrait », le

travail en général ramené à l’unité abstraite, devenant norme productive comme temps de travail

socialement nécessaire, moyenne calculée, dérivait également d’une spatialisation du temps : les

machines industrielles opérant cette normalisation, tout comme l’organisation rationnelle du

travail, ne sont en effet que la cristallisation de théories scientifiques « naturelles » spatialisant ce

temps (psychophysique, mécanique, physiologie, etc.). Ainsi, les individus réifiés dans ces ordres

socio-techniques, comme le montrait déjà Chaplin dans Les temps modernes, mutilaient la

temporalité a priori fluide et continue, fidèle et se projetant, de tels individus, ce qui les empêchait

d’accéder au principe de perpétuité en question. Mais leur résistance, ou leur souffrance propre

plutôt, leur tendance à maintenir un noyau qualitatif vivant continu et qualitatif écrasé mais

persistant, produirait leur conscience pré-thématique sans cesse réactivée, dans la lutte et le refus,

d’une telle perpétuité nécessaire. Ils sauraient intuitivement que cette perpétuité s’affirme en

négatif : et donc finalement, selon notre perspective, on peut postuler qu’ils sauraient également que

cette perpétuité implique potentiellement certains pressentiments, qui indiquent peut-être qu’il

s’agira de vivre toujours déjà cette même vie, éternellement. Une telle situation de Tantale est trop

étouffée pour produire révoltes efficientes et luttes décisives, peut-être. Mais un détonateur, si cette

intuition est posée comme possible scandaleux (mais jamais comme dogme absolu), conduirait à

l’impérieuse nécessité d’abattre complètement le système capitaliste réifiant. Aujourd’hui, ces

individus réifiés et disloqués de la sorte sont, non seulement les « ouvriers » au sens restreint, mais

aussi les subjectivités soumises au racisme, au patriarcat, au validisme et à l’anthropocentrisme

structurels de la modernité capitaliste. Le gestionnaire de son côté, calculant, n’accède jamais à

cette intuition, car sa position est différente : devenu solipsiste ou sadique à son insu, il s’auto-réifie

par totémisme impensé, et son rapport fétichiste immédiat aux choses produites, qui n’existe que

dans la consommation, sera incapable de dépasser sa propre déprise inconsciente à l’égard de sa

propre temporalité. Par le dépassement des individus réifiés ou exclus, doublement réifiés, par

l’ordre productiviste moderne, s’annonce qu’une possible récurrence périodique de la durée intime,

se souvenant ou prévisualisant sa condition malgré et par son écrasement quotidien, pourrait devenir

plus explicite. La lutte viserait ce qu’elle est comme désir possible, toujours déjà, et peut-être

d’ailleurs qu’elle ne cesserait jamais, car aucun monde ne sera jamais assez « parfait » lorsque de

tels possibles ont été envisagés.

Quoi qu'il en soit, la perspective située de l'éternel retour, si elle se constitue un jour, sera

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une perspective « matérialiste historique », qui favorise la lutte concrète pour une liberté réelle et

une égalité réelle sur terre, à la différence de l'eschatologie chrétienne. En effet, l'eschatologie

chrétienne, qui promet aux « déshérités » une consolation post mortem, ne les engage pas à lutter

pour modifier leur situation terrestre, mais les engage à subir avec « patience » leur condition, en

vue d'une béatitude supraterrestre à venir (ce pourquoi Marx considérera que toute « religion » ainsi

entendue est « l'opium du peuple »). Cette eschatologie repose d’ailleurs, au sein du christianisme

moderne, sur la nécessité d’une atomisation/spatialisation des instants de la durée, et brise toute

projection qualitative, pour qu’une projection extatique et sublime se substitue à elle. La perspective

de l'éternel retour, comme possible, qui fait de cette vie terrestre le lieu de l'éternité, nous engage à

nous accomplir pleinement sur terre, et à ne pas tolérer l'aliénation et la soumission sur cette terre.

Elle pourrait être un principe de maximisation de la révolte et de la lutte.

Pour tout dire, si l'on voulait être fidèle à l'esprit nietzschéen (l'éternel retour comme

messianique ayant un lieu terrestre), ou spinoziste plutôt (l’éternité ou durée déterminée

sensiblement comme ayant son lieu dans l’actuel qui s’ouvre à la joie et à la lutte), et si l'on voulait

adjoindre à ce projet le projet matérialiste marxien (qui est une autre forme de messianique en

devenir, en un certain sens), on pourrait s'exprimer en ces termes.

Le problème majeur, toutefois, est le suivant : la « théorie » de l'éternel retour est

essentiellement spéculative et philosophique, pour l'instant (autant dire qu'elle n'existe pas). En ce

sens, son efficacité « politique » est totalement compromise (pour l'instant). Ce que je formule ici ne

peut s'effectuer que dans un temps très long (et peut-être même que cela ne pourra jamais

s'effectuer).

Par ailleurs, une autre question se pose : si, par hypothèse, dans l’éternel retour du même,

« nous » avons déjà vécu notre « futur », si notre « futur » est déjà « écrit » en quelque sorte, cela

n’induit-il pas une sorte de fatalisme, empêchant l’action, la lutte, la révolution elles-mêmes ?

Répondre à cette question, dans le cadre théorique que nous avons proposé, n’est pas si difficile.

Trois arguments, déjà énoncés, suffiront : sur un plan ontologique, le « retour » d’agencements

spatiaux identiques étant pensé dans le cadre d’une durée pure continuellement nouvelle,

continuellement miraculeuse (en tant qu’irréversible), il est la conciliation d’un strict déterminisme

et d’une pure liberté positive (de même que Kant parvient à concilier physiocratie transcendantale et

liberté transcendantale, à sa manière). Sur un plan psychologique, le « futur » déjà vécu, par

hypothèse, ne se manifeste qu’à travers certaines réminiscences imprécises et confuses ; l’ignorance

de ce qui aurait « déjà » été vécu fonde, subjectivement, ma « liberté » (ici, négative) dans l’éternel

retour du même. Sur le plan d’une téléologie déchirée ou différée, l’écriture, qui est un principe de

dévoilement voilant ce qu’il est censé dévoilé (principe d’obstruction sur le chemin de la

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désobstruction), fonde également, comme il a été dit, une forme de liberté négative.

De ce fait, plutôt que de dire que l’action de l’individu dans l’éternel retour serait purement

passive, « pré-programmée », on dira qu’elle est la puissance maximale, incluant une responsabilité

maximale : chaque acte que je fais dans l’éternel retour du même, puisque je l’accomplis de façon

libre, je dois l’assumer non pas pour la seule fois où je l’accomplis, mais pour l’infinité de fois où

je l’ai déjà accompli et où je l’accomplirai. Qu’une telle vision du monde, qu’une telle possibilité,

si elle est admise par un être conscient, ne change pas radicalement sa manière éthique, politique, et

même affective, d’être au monde, serait assurément fort surprenant (et cela, Nietzsche le

comprenait). Mais par qui sera-t-elle admise effectivement, pleinement ? Cela est une autre

question, indécidable pour l’instant.

Une métaphore, fournie par Bergson dans son Essai sur les données immédiates de la

conscience (1er chapitre) : la grâce de la danseuse. Cette grâce est pure liberté, légèreté choisie

(comme chez Nietzsche), et pourtant elle implique aussi que la danseuse comme le spectateur

éprouve un sentiment rythmique intime de faveur, car les mouvements courbes s’entre-pénètrent ici

de telle sorte que chacun, en miroirs fluides, regardés ou bougés, « sait » déjà quel sera le prochain

mouvement, avant son déploiement. Chacun prévisualise ou pressent l’avenir de la danse, ou du

spectacle. Cette danse s’appuie sur une mémoire conséquente, intégrale, éminemment fidèle, et

c’est en cela qu’elle est non scindée, plus créative, plus « libre », plus délibérément projetée vers

l’avant. Elle est donc on ne peut plus « déterminée », qualitativement, et pourtant elle est ce qui est

le plus libre, le plus absolument nouveau, consciemment et sensiblement. On pourrait utiliser cette

métaphore pour penser les déterminations de la physique relativiste ou la physique quantique, et

pour analogiquement penser leur unité, à partir du vivant qui les reçoit et pense. Certains outils plus

précis ont été posés plus haut pour rendre opérante « techniquement », un jour peut-être, cette

analogie. Lorsque les individus disloqués ou exclus, lorsque les individus réifiés, ressentent cette

danse qui est en eux, peut-être qu’une mémoire plus archaïque les rappelle à l’ordre, et engage une

lutte réellement fidèle et déterminée, réellement libre et projetée vers une véracité élémentaire.

Troisième partie   : La question éthique et érotique

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XXVII Vu du point de vue de l’éternel retour, à quoi pourrait ressembler l’amour   ?

Benoît BB :

L’amour est une « preuve » intégralement intuitive de l’éternel retour. La « démonstration »

rationnelle de l’éternel retour sera toujours insuffisante (cosmologie, statistique). Nous ne pourrons

jamais que « démontrer », sur le plan de la rationalité, que des séquences spatiales exactement

identiques se répètent dans l’éternité physique (et encore, ces démonstrations restent pour l’instant

très spéculatives, d’autant plus que l’éternité n’est en rien « démontrable », mais relève de la

métaphysique ; tout au mieux peut-on parler d’ouverture des « multiples univers »). Mais nous ne

pourrons jamais être certains absolument, sur le plan rationnel, que ces mêmes individus qui

resurgissent à l’identique, que ce « même » Benoît, que ce « même » Liamine, sont bien habités par

« notre » intériorité actuellement vécue. Ma tentative de penser un « monisme » spécifique est une

tentative qui va dans le sens d’une formulation d’une métempsychose nécessaire associée à l’éternel

retour du même. Mais reconnaissons-le, même cette tentative spéculative est insuffisante : nous ne

pouvons affirmer après cela avec une certitude totale que c’est bien la « même » âme qui revient.

L’amour est donc ce « savoir » intuitif qui vient compléter potentiellement le savoir rationnel

en ce qui concerne la vérité de l’éternel retour. Par l’amour, il devient, potentiellement,

intuitivement « clair », que c’est bien le même « intérieur » qui revient. Dans l’amour, une certaine

réminiscence, un certain déjà-vu, une certaine anticipation, une certaine synchronicité, s’affirment,

de telle sorte que nous pourrions être désormais relativement « convaincus » que notre vie se répète

une infinité de fois à l’identique. Lorsque je vois pour la première fois le visage de l’être que je vais

aimer follement, une sorte de sympathie immédiate, très souvent, surgit : je ne peux pas l’expliquer,

mais une connexion entre moi et cet être existe. Tout se passe comme si je « savais » déjà que

j’allais vivre avec cet être le plus bel amour.

En outre, quand j’aime autrui, je le vois différemment : sa quiétude devient palpable, sa

sérénité devient communicable. Je l’aime, ce prochain, ce parent, cet ami, et ainsi je vois son visage

sous un angle précis : il ne semble pas hanté par la perspective du néant, il semble bien installé ici-

bas. Comme s’il avait une conscience pré-thématique de l’éternel retour. Je l’aime, et en retour il

me fait le plus des cadeaux : il m’offre ce visage souriant qui semble me dire : « je ne vais pas

m’évanouir dans le néant, cela je le sais, car je reçois ton amour ; de même, tu ne vas toi-même pas

t’évanouir dans le néant ; tu peux donc cesser d’avoir cette mine inquiète et anxieuse. »

Lorsque j’aime un autre être humain, c’est un Don parfait qui m’est fait. Mais je dois

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réfléchir à la signification de ce Don. Or, la loi de la réflexion est le plaisir, comme nous l’apprend

Kant : autrement dit, au plus j’ai du plaisir dans la réflexion, au plus je suis sûr de me rapprocher du

vrai. Ainsi, donc, réfléchissant au Don de l’amour, je dois nécessairement en arriver à cette

conclusion : « ce Don est un Don parfait, plein et entier ; mais un Don parfait ne saurait être la

moitié d’un Don ; si cet amour devait disparaître après ma mort, il serait un Don inachevé ;

nécessairement donc, ce Don ne saurait s’évanouir dans le néant ; nécessairement, selon la loi de la

réflexion, selon la loi du plaisir, puisque ce Don est plein et entier, il doit se dérouler dans

l’éternité ; il doit se répéter une infinité de fois dans l’éternité ».

L’amour est donc bien ce « savoir » intuitif qui vient combler les lacunes du savoir rationnel

de l’éternel retour du même. Si l’on combine certaines « démonstrations » spéculatives de l’éternel

retour au phénomène de l’amour, phénomène que tous les humains de la Terre connaissent, alors la

« vérité » de l’éternel retour devient une « vérité » quelque peu « accessible ». Ce qui était

initialement un « savoir » ésotérique, un « savoir » de poètes, de prophètes ou de fous, devient un

savoir exotérique, partageable, qui peut, à long terme, éventuellement, s’installer dans la vie

quotidienne de tous les hommes (mais je parle ici plus d'un souhait, pour l'instant, que d'une

certitude apodictique).

XXVIII L’amour universel que prônent les monothéismes pourrait-il être soluble dans une

philosophie de l’amour associée à la pensée de l’éternel retour   ?

Liamine Touhami :

Je répondrais positivement à cette question, car l’amour universel des judéo-chrétiens ou des

musulmans est en réalité la répétition des actes de la vie dans l’éternité vécue par l’âme humaine.

Cet amour est en fait le devoir de l’humanité dans sa vie terrestre, afin qu’il puisse se répéter

éternellement dans sa vie céleste. Une philosophie de l’amour pensée dans le concept de l’éternel

retour est toute proche de ce concept théologique, puisqu’elle consiste à appliquer strictement des

principes moraux destinés à la cohérence de l’humanité dans la paix de la vie. Les deux exigent la

croyance en l’âme humaine, et les deux rejettent avec véhémence la perversité et le mal. Si de prime

abord on peut croire que la pensée associée à l’éternel retour est plutôt neutre puisqu’il pourrait ne

pas faire de distinction entre la répétition du mal ou du bien, il est évident que le monothéisme

inclut lui aussi la répétition du mal ad infinitum dans sa conception de l’enfer. Or, les deux ne font

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que constater en réalité le libre arbitre de l’être humain dans la délibération de ses choix. L’amour

universel et la croyance en une humanité dont l’avenir est la paix fait partie des deux doctrines, et

c’est pourquoi je pense qu’elles partagent un tronc commun, celui d’une conception visant à

responsabiliser les actes dans la vie terrestre et à magnifier les bienfaits d’un amour désintéressé.

XXIX Le salut de l'humanité tient-il à l'amour   ?

Benoît BB :

Je ne pense pas que le salut de l’humanité tienne à l’Amour comme abstraction, comme

injonction vague (amour d'un « prochain » indifférencié, etc.). C’est bien le problème de l’Amour

chrétien : il est devenu une abstraction sous laquelle peuvent être subsumés les actes les plus

barbares, et les idéologies les plus rances (pro-life, homophobie, prescription d’une sexualité

normée, patriarcat, etc.).

Il faut donc tâcher de faire de l’amour une pratique quotidienne et modeste. Chacun devrait

pouvoir avoir son petit mot à lui pour décrire son attachement aux êtres. Il ne devrait pas avoir à se

mettre sous la bannière dangereuse de « l’Amour pour tous », qui veut tout et rien dire. L’amour

concret renvoie à une intimité singulière à chaque fois vécue en première personne, nul ne saurait

commander cet amour.

Toutefois l’amour concret, ou tout autre mot susceptible de l’exprimer, est porteur de vérités

insignes qu’il faut savoir écouter. L’amour concret me fait découvrir ce que la contemplation du

regard ouvert de l’animal me dévoile : la possibilité d’une paix perpétuelle (indéfiniment ajournée,

mais toujours présente comme virtualité) ; la « nécessité » d’un éternel retour.

Dans l’amour concret, l’autre me dit : « soit cette paix, car nous sommes l’éternité, et je

serai ta confiance retrouvée ».

Ainsi donc, l’amour concret est bien le salut. Mais non pas un salut qui serait un pur moyen.

Un salut qui est la fin, la finalité, le but. Quand un humain aime, c’est que la partie est déjà gagnée.

Synthèse générale de la recherche

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Revenons synthétiquement sur les points importants de la recherche ici développée, qui

auront été exposés dans l’ordre qui leur convient, c’est-à-dire selon l’ordre d’une réflexion

dialogique progressant pas à pas, et ce sans éprouver la crainte de se confronter parfois à l’inconnu,

sans éprouver la crainte, non plus, de rebrousser parfois chemin dans un souci de précision et

d’exactitude. Une articulation rigoureuse de ces éléments permettra une clarté du propos

satisfaisante pour un lecteur attentif.

Le point de départ de cette recherche sur le concept d’éternel retour renvoie à une réflexion

cosmologique, dans la mesure où c’est bien la réalité physique au moins potentielle de l’éternel

retour qui nous intéresse d’abord, et non pas seulement une « vision du monde » simplement

subjective qui ne se distinguerait pas qualitativement de croyances religieuses hautement

problématiques (en effet, si une « théorie » de l’éternel retour n’est qu’une « religion » de l’éternel

retour, son efficacité pratique, existentielle, morale, voire « politique », sera compromise autant que

peut l’être celle des religions constituées).

Le cadre cosmologique spéculatif d’une théorie de l’éternel retour sera d’abord très général ;

il s’agira avant tout de postuler trois conditions formelles : une quantité de forces finies dans

« notre » univers ; une éternité de la durée physique ; l’efficacité d’une certaine « loi statistique »

issue de la théorie des jeux de Neumann. La première condition sera rattachée à la loi physique de

la conservation de l’énergie, encore admise aujourd’hui. La seconde condition sera admise, dans un

premier temps, dans le contexte d’une physiocratie transcendantale (« rien ne naît de rien »). La

troisième condition supposera l’adjonction de la théorie des ensembles de Cantor, pour être pensée

de façon cohérente. Ces trois conditions définissent la possibilité selon laquelle des « séquences »

d’univers identiques se répètent une infinité de fois, dans l’éternité physique.

A ces trois conditions, on devra ajouter une condition supplémentaire : un déterminisme

strict opérant, à l’échelle de chaque « séquence » d’univers, qui nous permette de dire que le

resurgissement à l’identique de « conditions initiales » données implique le resurgissement à

l’identique de la séquence qu’elles initient. Si ces « conditions initiales » renferment des données

quantiques, il s’agirait donc de penser une forme de « déterminisme » quantique au moins potentiel.

C’est la question de « l’univocité » potentielle de la fonction d’onde initiale, que le physicien

Martin Bojowald envisage, qui serait donc posée.

Le modèle cosmologique qui s’impose naturellement à l’esprit pour penser l’éternel retour

du même sera le modèle d’un « univers en rebond », issu de la gravitation quantique à boucles

(Martin Bojowald, Aurélien Barrau). Car, dans ce modèle précis, des « séquences » d’univers

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relativement autonomes (expansion-contraction) semblent être définies. Nous aurions à appliquer

une loi statistique à ce modèle, en supposant une éternité de durée, une « univocité » de la fonction

d’onde initiale, et une logique de conservation au moins partielle des forces dans le passage entre

deux séquences, pour fonder la légitimité de l’hypothèse de l’éternel retour du même.

Néanmoins, nous considérons que l’hypothèse de l’éternel retour est plus souple et plus

large qu’un modèle cosmologique déterminé, et qu’elle peut rester valable au sein d’autres modèles.

Nous nous référons d’abord au modèle d’un « univers en rebond » pour « donner à voir » plus

clairement ce que nous voulons dire, mais nous souhaiterions aussi, plus généralement, faire

cohabiter notre hypothèse avec le modèle d’une expansion infinie, plus couramment admis par la

physique contemporaine. Le modèle qui postule une expansion infinie (ou indéfinie) après le big

bang, n’exclut pas, en effet, la possibilité que l’univers soit éternel. Or, l’éternité de la durée

physique reste peut-être la condition la plus essentielle dans une « théorie » de l’éternel retour. Une

certaine interprétation d’un vide quantique résurgent au sein de l’expansion infinie, et du concept de

fluctuations quantiques (définissant des conditions « initiantes » potentielles), pourrait permettre

une certaine compréhension d’un « retour à l’identique » au sein même du modèle cosmologique le

plus majoritairement admis.

Sur ces bases, nous avons fait intervenir certains principes épistémologiques « nouveaux »

pour répondre à certaines questions qui restaient en suspens, et qui ne pouvaient être, selon nous,

résolues, dans le cadre conceptuel d’une physique purement quantitative. Pour penser le principe

d’éternité, d’abord, il nous a semblé que le « mécanisme » traditionnel, ou que le principe

métaphysique d’une physiocratie transcendantale, s’ils étaient porteurs et pertinents sur un plan

« spatial », étaient largement insuffisants pour pénétrer l’intimité qualitative de la durée. C’est

l’épaisseur de la durée psychique intime, son « ouverture », sa continuité, sa fluidité, qui dévoilaient

un rapport à une éternité vécue, expérimentée, et non plus spatialisée ou spéculée. Une

épistémologie bergsonienne, qualitative, dont nous avons brièvement exposé les principes, nous

semblait en ce sens être un complément utile : il s’agissait par là de faire cohabiter une physique

quantitative, mathématique, apte à fournir des résultats sur le plan d’une cosmologie rationnelle,

avec une physique plus « intuitive », apte à pénétrer plus à fond le principe d’éternité. Les concepts

de « pré-action » et de « prévisualisation », issus de cette épistémologie « nouvelle », en outre,

ajoutaient un autre avantage, décisif dans notre contexte : soit la possibilité de penser un

déterminisme intégral (et donc, éventuellement, une « univocité » de la fonction d’onde),

déterminisme « qualitatif » toutefois, et compatible avec l’irréversibilité et la nouveauté absolue du

progrès de la durée, déterminisme dont nous avions besoin pour penser un « retour à l’identique »

dans le contexte d’un progrès continuel du temps.

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Ceci étant posé, il faut bien dire que la question de l’éternel retour à l’identique des

différentes « séquences » physiques implique une question dont les enjeux sont décisifs, mais qui ne

peut être posée pour l’instant que sur un plan purement métaphysique. Ces enjeux sont décisifs, car

ils concernent la possibilité de « saisir » un savoir concernant l’éternité de la vie terrestre. Le

traitement de la question est nécessairement métaphysique, dans la mesure où ce qu’il y a « avant »

ou « après » la vie demeure, par définition, extérieur à toute donnée expérimentale tangible. Cette

question, donc, nous l’avons nommée de la sorte : la question d’une « métempsychose à

l’identique ». Peut-on dire que, dans le cas où un être vivant resurgit à l’identique, au sein des

mêmes agencements spatiaux, avec le même matériel génétique, en effectuant les mêmes gestes et

les mêmes actions, au détail près, mais dans des temps différents, peut-on dire donc que cet être

vivant ainsi « ré-apparu » possèdera la même intériorité inextensive, la même « âme » en quelque

sorte, peut-on dire que ce sera toujours « lui » qui « ré-apparaîtra », qu’il s’agira là toujours de son

« identité personnelle » propre ? Si nous répondons positivement à cette question, alors de fait,

« ma » vie terrestre est effectivement éternelle, dans le contexte de l’éternel retour, c’est

effectivement « moi » qui resurgis une infinité de fois à l’identique, dans l’éternité physique. Si

nous répondons positivement à cette question, alors nous dirons que la qualité inextensive de

l’intériorité dépend assez des agencements spatiaux extérieurs pour que, au cas où ceux-ci

resurgissent à l’identique, celle-ci resurgira également. Et nous avons « voulu » répondre

positivement à cette question, quoique de façon hautement problématique, en convoquant certains

concepts, décrivant certaines expériences spécifiques : synchronicités, pressentiments,

réminiscences, déjà-vu. Le futur déterminerait le « présent », dans la mesure où, pour une âme qui

affirmerait son unité qualitative au fil des répétitions du corps, ce « futur » aurait déjà été éprouvé.

Dans ce contexte, nous avons pu rattacher le concept de synchronicité, issu de Jung, à la notion

bergsonienne de « durée épaisse », pour donner une certaine unité à la recherche. Les concepts de

« pré-action » et de « prévisualisation », propres à une épistémologie bergsonienne, sont une

référence explicite à ce concept jungien de synchronicité. De ce fait, la pensée d’une éternité vécue

dans la durée pure, et d’un déterminisme « qualitatif », propres à une physique qualitative

bergsonienne qui vient compléter les lacunes d’une cosmologie purement quantitative de l’éternel

retour, traduit aussi, dans un même mouvement, l’exigence d’une pensée métaphysique qui tente de

fonder quelque peu une « métempsychose à l’identique » au sein de cet éternel retour.

L’éternel retour aura également une dimension « politique » au moins potentielle. Si nous

envisageons l’éternel retour tel que Nietzsche lui-même le pensait, il ne faut pas oublier la très

haute ambition du philosophe confronté à cette « vérité » tardive et sublime (quoiqu’il faille aussi

relativiser cette ambition, dans la mesure où elle s’est affirmée de façon pathologique, au sens

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psychiatrique du terme). L’éternel retour renvoie à une sorte de messianisme sécularisé « interne »

(au sens où il concerne l’intériorité de chaque individu, à un niveau très intime, et non directement

les institutions publiques). L’éternel retour semble annoncer la possibilité d’un paradis sur terre, ou

d’une « paix perpétuelle » terrestre. Nous pensons que, s’il fallait demeurer fidèle à ce projet, qui

définit une forme de « matérialisme » eschatologique, une certaine valorisation du « sens de la

terre », il faudrait lui adjoindre, politiquement, non pas les principes aristocratiques, idéalistes,

sexistes et tendanciellement antisémites que Nietzsche aura pensés par ailleurs, mais plutôt des

principes politiques authentiquement matérialistes, promouvant une liberté réelle, une égalité réelle

aux niveaux social et politique. En ce sens, le messianisme sécularisé « externe » de Marx et le

messianisme sécularisé « interne » de Nietzsche se complèteraient mutuellement9. La « vérité » de

l’éternel retour, si elle est suffisamment développée, pourrait devenir, à terme, une arme spirituelle

mobilisée dans les luttes concrètes contre toutes les formes de dominations liées au capitalisme,

vers une société post-capitaliste cosmopolitique. Des individus piétinés depuis leur naissance,

aliénés, exploités, méprisés, pris au sein d’un système où ils ne sont que des rouages d’une machine

inhumaine et inconsciente en laquelle leur qualité d’humains et leur dignité ne sont pas reconnus, et

considérant par ailleurs que cette vie qu’ils vivent est d’une extrême importance, dans la mesure où

ils pourraient être « enfermés » en elle pour l’éternité, dans la mesure où elle se répèterait à

l’identique une infinité de fois (cela n’est pas impossible), ne feront-ils pas tout pour lutter contre ce

système et pour l’abolir au plus vite ? Par ailleurs, ces individus, s’adressant à leurs bourreaux, ne

multiplieront-ils pas à l’infini l’accablement et la culpabilité de ces bourreaux, en soulignant le fait

qu’ils pourraient bien être des bourreaux une infinité de fois, dans l’éternité ? L’éternel retour,

comme pensée définissant le caractère infiniment sacré et décisif de toute vie terrestre, pourrait être

un moyen d’accélérer le mouvement révolutionnaire détruisant le capitalisme, tel que Marx l’avait

envisagé. Naturellement, en l’état actuel des choses, de telles projections sont irréalistes. Pour que

la pensée de l’éternel retour ait un jour une réelle efficacité politique, il faut que le concept

scientifique d’éternel retour soit assez développé pour que nous soyons parvenus à une « certitude »

suffisante. Or, si l’on considère le caractère hautement métaphysique de toute spéculation

concernant le principe d’éternité, ou encore la « métempsychose à l’identique », il est à craindre

qu’un tel développement soit largement inaccessible. Néanmoins, en matière de « progrès »

scientifique, l’histoire nous aura appris que nous ne pouvons jamais dire complètement « jamais »

(pour le pire et pour le meilleur, d’ailleurs). Cela étant, il faut aussi l’admettre, il est également

possible que notre recherche suive une mauvaise piste, et qu’elle ne débouche sur rien (ou, selon un

sérendipité bienvenue, qu’elle nous entraîne tout à fait ailleurs). Par ces remarques « politiques »,

nous ne souhaitons en rien « prophétiser » quelque « grand soir » ou quelque réconciliation 9 Concernant l’articulation d’une face « interne » du messianisme sécularisé et de sa face « externe », cf. Camilli, Coralie, Le temps et la loi

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mondiale de tous les peuples, mais nous tentons simplement de penser jusqu’au bout, de façon

cohérente, ce concept d’éternel retour, à travers toutes ses dimensions, et ce conformément à

l’intention première de son moderne défenseur (Nietzsche), quoiqu’en corrigeant aussi cette

intention, pour la rendre plus universelle.

Le projet d’une « cosmologie politique » semble être inscrit dans l’idée moderne d’éternel

retour, et il donne au moins à penser, du point de vue de l’exigence d’une pensée complexe qui

articulerait tous les savoirs entre eux (l’idée d’éternel retour exige que l’on systématise le mode de

la reliance tel qu’il aura été pensé par Edgar Morin10, et en tant que telle, elle reste un objet

conceptuel passionnant, indépendamment de la question de savoir si ce qu’elle décrit est « réel »).

Finalement, et c’est le plus important, l’éternel retour devra rester une éthique et une

spiritualité de l’amour. L’éternel retour affirme tout simplement la valeur absolue de toute vie

(humaine, animale ou végétale). Et, puisque cette valeur absolue de toute vie s’affirme

essentiellement dans l’amour pour soi, pour l’autre, pour la vie elle-même, l’éternel retour n’affirme

que cela : « Aimer s’impose ».

Pour conclure, nous dirons que, même si l’éternel retour du même n’était pas réel, même si

la mort était un néant, même si nous nous trompions depuis le début, nous pensons néanmoins que,

malgré la dimension fort tragique de cette idée, malgré sa dureté, elle pourrait être aussi une idée

qui nous permettrait de vivre le plus pleinement et le plus intensément notre existence, dans un

souci d’accomplissement permanent, combinant exubérance de la vie passionnée et sagesse

stoïcienne impassible (amor fati). En ce sens, nous pourrions vivre, au quotidien, comme si cette vie

se répétait une infinité de fois. Une telle illusion affirmée serait l’illusion la plus utile à la vie, très

certainement. Et, dans le cas contraire, si d’aventure nous ne nous trompons pas, nous dirons que

l’éternel retour en tant qu’il est, très certainement, pourrait être en dernière instance une excellente

« nouvelle », du point de vue d’une vie voulant s’affirmer complètement, en première personne.

Benoît Bohy-Bunel

10 Morin, Edgar, Introduction à la pensée complexe

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Annexes

Trois annexes sont proposées en vue de revenir en détail sur des points encore

problématiques de la dimension « cosmologique » de l’éternel retour.

1 ère Annexe   : une réflexion de Martin Bojowald

Martin Bojowald, dans son ouvrage L’univers en rebond, envisage assez précisément

l’hypothèse cosmologique de l’éternel retour du même, telle que nous l’avons présentée, et il la

prend relativement au sérieux. Mais il ne traite cette question que très brièvement, considérant

certainement qu’il s’agit là plus d’une question philosophique (très spéculative), voire

« cosmogonique », que d’une question concernant directement le physicien, soucieux de pouvoir

s’appuyer sur des expérimentations concrètes

Il écarte de toute façon cette hypothèse, jugeant qu’elle « ne tient pas », et nous aimerions

lui répondre, considérant que l’outil conceptuel qu’il utilise pour réfuter l’éternel retour du même

(les paradoxes de Zénon sur l’infini) n’est pas viable dans notre contexte.

Extrait :

« Dans un univers en perpétuels cycles d’expansion-contraction, les cycles de durées finies

dans un temps sans limites laissent plus de latitude pour que ces cycles remplissent les exigences

que nous leur assignons. Si l’on considère l’ensemble des cycles, on pourrait trouver des propriétés

très diverses et souvent hostiles à la vie. Il suffit cependant que, dans l’ensemble infini des cycles,

on parvienne à un morceau d’univers comme le nôtre. Si cela est possible une fois, alors cela

devrait se reproduire dès lors que l’on dispose d’un nombre infini d’essais, et notre présence ici-bas

réclame de savoir pourquoi l’univers est comme il est. Un point c’est tout. L’esprit de Zénon

resurgit là encore : on abuse de l’infini si on l’utilise pour rendre plausible l’occurrence d’un monde

comme le nôtre, cette explication ne tient pas. »

Martin Bojowald, « La cosmogonie », in L’univers en rebond

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Commentaire :

Nous avons convoqué systématiquement Bergson pour penser l’infinité temporelle, et ce

n’est pas par hasard. Bergson en effet, a réfuté de façon radicale et originale les paradoxes de

Zénon11. Selon Bergson, dans la durée pure, le mouvement est une multiplicité qualitative,

indivisible, si bien que ce mouvement est possible, par-delà sa divisibilité spatiale à l’infini, laquelle

est symbolique, et non « réelle » (Zénon affirmait que la divisibilité à l’infini du mouvement,

représenté symboliquement par une ligne droite, l’abolissait en tant que tel).

L’infinité temporelle dont nous parlons est donc une infinité qualitative, une multiplicité

qualitative en dernière instance. Le retour « à l’identique » de séquences spatiales, en ce sens, inclut

la nouveauté et l’irréversibilité constantes de la durée.

Le physicien spécialisé en physique mathématique, parce qu’il a tendance à

systématiquement spatialiser la durée pour effectuer ses mesures, perçoit l’idée d’un retour à

l’identique comme une contradiction dans les termes, dans la mesure où il l’identifie à une violation

implicite de la loi de l’irréversibilité. Mais une pensée de l’éternel retour des mêmes « séquences »

(ou des mêmes « morceaux ») d’univers qui s’inscrirait délibérément au sein d’une pensée de la

durée pure, fluide et continue, éviterait ces écueils. Tandis qu’elle se confronte à des concepts

mathématiques (théorie des jeux de Neumann, théorie des ensembles de Cantor) ou physiques (loi

de la conservation de l’énergie), elle fluidifie ces concepts, et elle les rend opérant dans un principe

intuitif ou vécu (elle est un principe opératoire de « réalisation » des concepts mathématiques).

Dans le cadre d’une physique purement quantitative, ce que dit Martin Bojowald possède

une forte légitimité. Mais dans le cadre d’une pensée de la durée qualitative qui viendrait fluidifier,

« réaliser » cette physique quantitative, il nous semble que son objection devient moins pertinente.

Par ailleurs, Martin Bojowald s’inscrit dans la théorie de « l’univers en rebond ».

Intuitivement, l’hypothèse de l’éternel retour du même paraît particulièrement compatible avec ce

modèle spécifique (même si ce physicien lui-même finit par ne pas admettre cette hypothèse ; nous

retiendrons tout de même qu’il la envisagée). Mais nos remarques devraient pouvoir concerner

également les partisans du modèle d’une expansion infinie, qui réfléchissent par ailleurs sur les

questions du vide quantique et de la fluctuation quantique (nous aimerions penser une expansion

infinie qui n’exclut pas l’hypothèse d’un retour à l’identique des mêmes « séquences » physiques,

ou des mêmes « morceaux » d’univers).

Benoît Bohy-Bunel

11 Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience

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2 ème Annexe   : une réflexion d’Aurélien Barrau

Dans son ouvrage Des univers multiples, Aurélien Barrau envisage les différents modèles

cosmologiques incluant des multivers potentiels. Il nous semble que l’hypothèse de l’éternel retour

du même s’inscrit dans certains modèles, qu’il décrit, de « multivers temporels » (et ce même si

nous pensons, à un niveau plus « métaphysique », l’unité « logique » du tout de l’univers).

Mais ce qui nous intéressera ici concerne une certaine réflexion qu’il propose relativement à

une certaine variété de « multivers spatiaux ». Ce type de « multivers spatiaux » repose sur le fait

que, en relativité générale, il peut advenir (dans deux des trois géométries possibles en cosmologie

–géométries euclidienne et hyperbolique) que l’espace soit infini et que les univers (au sens des

volumes de Hubble) y soient donc en nombre infinis. Il s’avère que, dans ce contexte, il développe

un argument s’appliquant à l’infinité spatiale (« tout arrive ») que nous avons quant à nous

également développé, dans nos recherches sur l’éternel retour du même, mais en l’appliquant à

l’infinité temporelle.

Extrait :

Tout arrive

« Si l’espace est infiniment grand, comme le prédit la relativité générale dans deux des trois

solutions envisageables en cosmologie (les cas euclidiens et hyperboliques), cela signifie que tout

ce qui a une probabilité non nulle de se produire – tout ce qui est possible – doit non seulement se

produire mais aussi se reproduire une infinité de fois. Bien qu’ici aucune théorie exotique ni

hypothèse scabreuse ne soient convoquées, la manière de penser le monde s’en trouve déjà

redessinée. Presque réinventée.

Notre propre existence est, par exemple, possible puisque nous sommes manifestement là.

Donc, elle doit, quelque part dans l’espace potentiellement infini de ce multivers, se reproduire. Il

est même envisageable de calculer explicitement la distance moyenne à laquelle cela a lieu. Elle est

immense mais finie. Nos alter egos sont indiscernables de nous-mêmes. Il doit même exister des

« volumes de Hubble », c’est-à-dire des univers, entièrement identiques au nôtre ! Jusque dans le

moindre détail. Se produit d’ailleurs à ce stade un phénomène très intéressant : une sorte de perte de

déterminisme, à un niveau purement classique (alors que l’apparition d’un aléa intervient

généralement suite à des mécanismes quantiques). En effet, ces univers identiques auraient les

mêmes passés, mais pas nécessairement les mêmes futurs. Si ces volumes de Hubble grandissent, de

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nouveaux « objets », en général différents d’une région à l’autre, vont potentiellement y pénétrer et

générer des évolutions différentes. Les copies peuvent diverger.

(…)

En intégrant, c’est-à-dire en sommant, sur le volume infini de ce multivers, il est légitime

d’attendre des univers extrêmement inégaux. En effet, l’infime parcelle que représente notre propre

univers serait loin d’épuiser tous les possibles du multivers, pour la même raison que le système

solaire est loin de représenter des exemples de tous les astres et phénomènes qui existent dans notre

univers. Certains univers pourraient donc être très denses en diverses formes de matière, d’autres

presque vides ou même entièrement vides, d’autres encore n’être composés que de lumière ou que

de gaz. Certains seraient pauvres et ternes, d’autres foisonnants de drapés diaprés. Connaissant les

lois de la physique, il est même, en principe, possible de calculer les probabilités associées à

chacune de ces circonstances et l’abondance relative des univers où elles se produisent. La distance

moyenne à laquelle se trouve le premier univers dépourvu d’étoiles, ou bien peuplé uniquement de

trous noirs, est théoriquement calculable.

Dans un univers, d’ailleurs, cette discussion vous convainc ! Dans un autre, votre alter ego,

copie conforme jusqu’alors, ne parvient pas à s’y résoudre et se détourne du propos. »

Barrau, Aurélien, « Et si l’espace était infini ? », in Des univers multiples

Commentaire :

Plus qu’une réflexion sur la seule infinité spatiale, cette réflexion d’Aurélien Barrau (qui est

aussi celle de tous les physiciens-philosophes s’intéressant à ce sujet), est une réflexion qui

concerne l’infinité de l’univers physique en général. Si nous ne pensons plus simplement l’infinité

spatiale, mais aussi l’infinité temporelle (l’éternité) de l’univers (ou du multivers), il s’avère

logiquement que, ce qui s’appliquait à l’infinité spatiale, doit aussi s’appliquer à l’infinité

temporelle.

De même que « tout arrive » dans l’infinité spatiale, « tout arrive » également dans l’infinité

temporelle puisque, dans un cas comme dans l’autre, le nombre d’essais est infini.

Pour détourner une phrase d’Aurélien Barrau, nous dirions donc : « Si le temps physique est

éternel, comme l’indique une certaine interprétation du continuum temporel, cela signifie que tout

ce qui a une probabilité non nulle de se produire – tout ce qui est possible – doit non seulement se

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produire mais aussi se reproduire une infinité de fois. Bien qu’ici aucune théorie exotique ni

hypothèse scabreuse ne soient convoquées, la manière de penser le monde s’en trouve déjà

redessinée. Presque réinventée.

Notre propre existence est, par exemple, possible puisque nous sommes manifestement là.

Donc, elle doit, quelque part dans le temps potentiellement infini de ce multivers, se reproduire. Il

est même envisageable, à terme, de calculer explicitement la durée qui nous sépare de cette

réapparition. Elle est immense mais finie. Nos alter egos sont indiscernables de nous-mêmes. Il doit

même exister des « séquences » d’univers entièrement identiques à la nôtre ! Jusque dans le

moindre détail. »

Pour penser des univers qui seraient identiques dans l’infinité spatiale, il faut déjà que ces

univers aient des contours spatiaux quelque peu définis, sans quoi on ne sait plus vraiment ce qui est

identique à quoi. La notion de « volume de Hubble » (univers théoriquement observable) permet de

définir des « contours » spatiaux à « chaque » univers et, en partant de cette notion, nous pouvons

dire que « notre » univers, « fini » dans l’espace, possède ses copies conformes dans l’infinité

spatiale.

Ainsi, pour penser des univers ou « séquences » d’univers qui seraient identiques dans

l’infinité temporelle, il faut que ces « séquences » aient non seulement des « contours » spatiaux,

mais aussi des « contours » temporels, relativement dessinés. Pour penser ces « contours » spatiaux

sous l’hypothèse de l’éternel retour du même, nous avons évoqué la notion d’une quantité de forces

finie (qui s’applique effectivement dans un « volume de Hubble » donné). Mais pour penser les

« contours » temporels, les choses sont plus compliquées, si l’on considère la fluidité et la

continuité de tout temps qui passe. La notion de « conditions initiales », en ce sens, est à penser de

façon dynamique, et non statique. En outre, la détermination de « conditions initiales » relève plus,

dans le contexte d’une éternité de durée, ou même simplement dans le contexte d’un continuum pur

de la durée, d’un choix un peu arbitraire de l’observateur, que de la saisie d’une cause absolument

première. Il en va de même en ce qui concernerait quelque « état final » d’une séquence d’univers

donnée : il serait à penser de façon dynamique (et non en tant qu’état statique), et à relativiser en

tant que dérivant d’un « choix » quelque peu arbitraire de l’observateurs. Néanmoins, au sein du

continuum de la durée, nous pouvons supposer qu’il existe de discontinuités assez radicales. Le

« big bang », s’il apparaît bien, comme nous le pensons, sur un fond d’éternité physique, opère

assurément une rupture dans l’espace-temps (il semblerait même qu’en son sein le temps

« disparaisse » presque). Nous ne pouvons d’ailleurs, pour l’instant, jeter le regard « derrière » lui,

ce qui assurément indique qu’il constitue une réelle discontinuité. En ce sens, il deviendra un

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principe de surgissement relativement clair en tant que tel, et nous pourrons dire que le phénomène

qu’il initie trouve en lui son facteur explicatif (ce pourquoi nous dirons qu’il enveloppe certaines

« conditions initiales » dynamiques d’une « séquence » d’univers donnée). En ce qui concerne

« l’état final » d’une séquence donnée, nous considérerons simplement que ce qui peut déclencher

le « big bang » ayant provoqué cette séquence (une fluctuation quantique du vide) est susceptible de

se re-manifester dans cet univers en tant qu’il est éternel, pour définir une ré-initalisation qui est à la

fois une forme d’achèvement de la séquence en question.

De quels éléments dispose Aurélien Barrau pour dire qu’un exemplaire particulier d’un

ensemble contenant une infinité d’autres exemplaires, sera lui-même présent une infinité de fois, au

sein de cette infinité ? Il dispose d’un principe pour délimiter les contours de chaque exemplaire, ce

qui lui permet de distinguer une multiplicité contenant une infinité d’unités. Il dispose d’une loi

statistique qu’il radicalise, ou d’un principe « logico-métaphysique » (au sein de ce qui est infini,

« tout arrive »). Il dispose enfin de la théorie des ensembles de Cantor, qui stipule qu’un ensemble

infini peut lui-même contenir une multiplicité d’ensembles eux-mêmes infinis.

Or, nous voyons que, dans notre raisonnement sur l’éternel retour du même, nous pouvons

également disposer de ces éléments, pour appliquer à l’infinité temporelle la logique qu’Aurélien

Barrau applique à l’infinité spatiale. Pour chaque « séquence », ont été posés des principes de

délimitation spatiale (quantité de forces finies) et temporelle (discontinuité d’un vide quantique

résurgent fondant certaines « conditions initiales » et certains « états finaux » dynamiques). Nous

ajoutons à cela une loi statistique (Neumann) ou un principe « logico-métaphysique » (« tout

arrive »), ainsi que la théorie des ensembles de Cantor.

Aurélien Barrau souligne un point important : dans les « multivers spatiaux » de la relativité

générale, une rupture « classique » du déterminisme peut s’opérer. Mon alter ego pourrait évoluer

dans le même univers que le mien, au détail près, mais son futur pourrait différer.

Philosophiquement, nous pourrions ramener cette infime différence entre deux « univers » distincts,

au fait qu’il y ait d’infimes différences au niveau des « conditions initiales » de ces deux univers.

Mais nous supposerons aussi qu’il existe, dans l’infinité des multivers, spatiaux ou temporels, des

« univers » où nos alter ego ont exactement le même passé et le même futur, et où tout se déroule

exactement comme dans « notre univers », de la phase « initiale » jusqu’à la phase « finale » (ceci

pouvant découler du fait que l’on retrouverait dans ce cas des « conditions initiales » identiques en

tout point).

L’immense variété du multivers, ne serait-ce qu’au niveau spatial, est impressionnante. Et

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elle est, comme l’indique par ailleurs Aurélien Barrau, un principe de « décentrement » du cosmos

qui pourrait bien constituer une nouvelle « blessure narcissique » pour l’humanité (après Galilée,

Darwin et Freud). L’exceptionnalité de notre sort, de notre « cosmos », et même notre

exceptionnalité en tant qu’individus uniques, sont largement remises en cause, si nous postulons

une infinité d’alter egos ayant une infinité de vies semblables à la nôtre, parfois identiques en tout

point à la nôtre, parfois soumises à des variations plus ou moins importantes. L’éternel retour du

même radicalise cette « blessure narcissique », en projetant dans le temps éternel une possibilité qui

est d’abord celle de l’espace infini. Mais l’idée d’une « métempsychose à l’identique » relativise

aussi cette blessure.

Dans le contexte de l’éternel retour du même, dans l’ordre de la succession temporelle, nous

supposerons, de façon spéculative mais cohérente, que la « métempsychose à l’identique » n’est

effective que dans le cas où mon alter ego a exactement le même passé et le même futur que moi.

Cette trajectoire identique en tout point des deux « moi » identiques, en effet, signifie,

philosophiquement, que les deux « séquences » d’univers concernées sont, du point de vue des

agencements spatiaux et de la distribution des forces, identiques en tout point, de la phase

« initiale », jusqu’à la phase « finale » (on supposera que les « conditions initiales » de ces deux

« séquences » sont, au détail le plus infime près, identiques). Ce contexte d’une stricte identité de

deux séquences d’univers, est une condition nécessaire pour poser une « métempsychose à

l’identique ».

Expliquons-nous. La constitution biologique, physico-chimique, génétique d’un vivant,

n’est pas une intériorité autarcique. Dans l’absolu, sa disposition dépend de la disposition de

l’ensemble physique spatio-temporel qui la contient (selon une radicalisation philosophique du

principe holistique de Mach). Or, chacun des actes que j’accomplirai dans le futur traduit très

précisément la disposition de cet ensemble physique, selon une stricte interconnexion (ici encore,

on se réfèrera au principe de Mach). Si mon alter ego agit différemment dans le futur, c’est que

l’ensemble physique dans lequel il se situe diffère de façon infime de celui dans lequel je suis. Ainsi

donc, lorsque mon alter ego a un autre futur que moi, il s’insère dans un ensemble physique

différent du mien, de façon infime, et ainsi sa constitution biologique, physico-chimique, génétique,

diffère nécessairement un tout petit peu de la mienne. Si la constitution biologique, physico-

chimique, génétique, de mon alter ego, diffère un tout petit peu de la mienne, en tant qu’elle dérive

d’un « univers » un tout petit peu différent du mien, alors il est difficile d’envisager une

« métempsychose à l’identique ». Car si l’égoïté inextensive peut se re-manifester lorsque les

agencements physiques du corps vivant sont en tout point identiques, encore faut-il que cette

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identité soit très stricte. La « métempsychose à l’identique » suppose très certainement des

conditions extrêmement fines qui nous font dire que, si le futur de mon alter ego diffère, traduisant

d’infimes différences entre les deux « séquences » d’univers concernées, et donc traduisant

d’infimes différences au niveau de la constitution biologique, physico-chimique, génétique, du

vivant, selon une stricte interconnexion de tous les éléments d’un système, alors cette

« métempsychose à l’identique » ne s’applique pas. Dans cette perspective, « je » vivrai bien

éternellement la même vie, à l’identique, en ayant le même passé et le même futur, au détail près, et

tous mes alter egos qui vivront des trajectoires semblables, mais différant par endroits (sous

l’hypothèse d’une « rupture » potentielle du déterminisme), seront d’autres individus, que « je » ne

serai jamais, même s’ils pourront tout aussi bien être démultipliés eux aussi à l’infini, dans le temps

et dans l’espace, au sein d’une « métempsychose à l’identique » qui leur appartient.

L’hypothèse de l’éternel retour du même peut très bien cohabiter avec l’hypothèse d’une

infinité spatiale contenant une infinité de volumes de Hubble en laquelle « tout arrive ». Dans cette

situation, nous nous rapprochons de l’univers qu’a imaginé Auguste Blanqui dans son ouvrage

L’éternité par les astres, et nous nous éloignons quelque peu de Nietzsche, qui imaginait une

reproduction d’univers identiques simplement dans l’ordre de la succession : Blanqui, en effet, dans

son long poème cosmogonique, suppose que l’infinité des mondes, et la reproduction de mondes

identiques ou semblables, se déploie non seulement dans l’ordre de la succession (éternité) mais

aussi dans l’ordre de la coexistence (infinité spatiale).

Si la reproduction à l’infini de mondes identiques s’accomplit non seulement dans le temps,

mais aussi dans l’espace, nous considérerons que la « métempsychose à l’identique » s’appliquera

exclusivement dans le cadre de « notre volume de Hubble », dans le mesure où ce sont les mêmes

forces qui, dans ce contexte, se conservent quelque peu, au moins par hypothèse. Nos alter egos en

tout point identiques, mais situés dans d’autres volumes de Hubble, dans l’hypothèse de l’existence

d’une infinité spatiale, ne serons certainement pas « nous-mêmes », avec notre intériorité

inextensive qualitative propre, dans la mesure où ils seraient issus d’un ensemble de forces

radicalement « autre ». Cette remarque paraîtra totalement métaphysique, mais elle n’est pas

complètement gratuite, dans la mesure où elle nous évite de dire absurdement que nous serions à la

fois « ici » et « ailleurs », dans le cas où nos alter egos en tout point identiques existeraient à peu

près « en même temps que nous », dans des morceaux d’univers extérieurs spatialement au nôtre.

Néanmoins, on pourra supposer que tous les « volumes de Hubble » seront eux-mêmes soumis à la

logique de l’éternel retour du même dans l’ordre de la succession, et que tous ces alter egos qui ne

seraient pas nous-mêmes, dans ces « volumes de Hubble » extérieurs au nôtre, seraient eux-mêmes

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soumis à une métempsychose à l’identique découlant de ce fait.

Benoît Bohy-Bunel

3 ème Annexe   : une réflexion philosophique sur l’expérience de pensée du «   chat de

Schrödinger   »

Cet article tente de penser philosophiquement la possibilité d’un déterminisme intégral,

régissant autant le monde macroscopique que le monde microscopique. Il est une piste de travail,

mais il n’a pas de prétentions « scientifiques » immédiates, étant donné qu’il reste sur un terrain

purement phénoménologique, et qu’il ne propose aucun calcul, même s’il se propose d’ouvrir une

voie épistémologique quelque peu originale.

« Etre et percevoir »,

par Benoît Bohy-Bunel

Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu, dans le contexte d'un idéalisme radical : "être,

c'est être perçu". Nous pouvons réduire l'être à l'être-perçu tout simplement parce que nous nous

plaçons du point de vue d'une existence vécue en première personne. Dans cette perspective, "ce qui

est en général" est : ce qui est pour moi, pour ma conscience. Dès lors, il ne saurait y avoir d'être

indépendamment de la conscience qui la saisit et qui s'éprouve présentement. De là, un problème se

pose : y a-t-il quelque chose là où je ne suis pas, là où je ne perçois pas ? Réponse : non, car je suis

ce par quoi l'être advient ; ma perception rend les choses existantes, "étantes". Peut-on dire d'une

chose qui n'est pas dans mon esprit, ou que je ne perçois pas, qu'elle est ? Non, car cette absence en

mon esprit implique l'absence tout court, l'absence de l'être. Seules les idées les perceptions, sont ce

qu'il y a de réel, d'étant, dans le monde : telle pourrait être notre position.

Dans ce cadre philosophique, il serait légitime de se demander si les manifestations

physiques précédant toute vie humaine "sont étantes" malgré tout, c'est-à-dire : malgré le fait

qu'elles ne soient pas perçues par une conscience humaine. Dans un premier temps, je serais tenté

de dire non, en vertu des principes exposés plus haut qui sont, dans leur contexte théorique,

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irréfutables. En effet, au moment où se déroulent ces manifestations, puisque nulle conscience

humaine ne les perçoit, elles ne "sont" tout simplement pas. Qui pourrait dire que l'être n'est pas ce

qui arrive par le seul biais d'une conscience humaine, de ma conscience, dirais-je même, qui le

présentifie ? Certes, on pourrait être tenté d'envisager un être-en-soi des choses, un être qui se

poserait de lui-même, par lui-même, sans qu'une affection extérieure ne l'engage. Mais cela ne tient

pas, tout comme le noumène kantien ne tient pas : car l'être est une construction, une vue de l'esprit,

et cet esprit, c'est le nôtre. N'oublions pas que l'être est aussi, et peut-être même avant tout, la copule

pour les logiciens, cela qui rend homogènes entre eux le sujet et le prédicat dans un jugement - l'être

est "l'unité de l'analogie" chez Aristote - et, en tant que tel, l'être est un outil parmi d'autres qui nous

permet de rendre signifiant le monde, de signifier sa temporalisation, pour être plus précis. Pourrait-

on dire d'une utilisation qu'elle "est" en l'absence de tout utilisateur ? Nullement. De même, on ne

pourra dire de l'être qu'il "est" en l'absence de toute activité judicatrice, ou perceptive (ce qui est la

même chose, puisque toute perception est un jugement, thématisé ou non), c'est-à-dire : en l'absence

de toute conscience humaine. Autre question plus subtile, mais se résolvant de la même manière :

peut-on dire d'un outil, et non plus d'une utilisation, qu'il est, en l'absence de tout utilisateur ? D'un

certain point de vue, oui : un marteau abandonné reste un outil. Mais d'un autre point de vue, plus

pertinent, non : s'il n'y a pas d'utilisateur au moins en puissance, l'outil ne saurait avoir été fabriqué,

ne saurait être. De la même manière, on ne pourra dire que l'être là-devant, étant en l'absence de tout

témoin conscient, est de la sorte par lui-même, en lui-même : le fait qu'il est dépend du fait qu'il a

été signifié, à un moment donné, ou qu'il s'inscrit dans une réalité où la significativité, via

l'émergence de l'aventure humaine, est advenue. Pour résumer, dans un langage typiquement

heideggérien : c'est l'entente préontologique du sens de "être" inscrite dans le Dasein, et seulement

elle, qui fonde la possibilité de "l'étantité" ; i.e. : c'est dans la mesure où une conscience humaine,

en ce qu'elle produit des jugements et perçoit des choses qu'elle juge ainsi implicitement, en ce

qu'elle utilise de ce fait constamment la copule "être" et lui confère a fortiori un sens, même vague,

même confus, c'est dans cette mesure disais-je que l'être possède une consistance.

Mais cette première approche n'est pas tout à fait satisfaisante. Car il est vrai que nous avons

une connaissance de ces manifestations physiques passées. Connaissance certes hypothétique, mais

appuyée sur des bases empiriques solides, et quasi-certaines. Nous sommes certains, par exemple,

que le soleil se levait et se couchait pareillement avant la venue de l'homme sur terre. Cela "est",

indubitablement. Mais en quel sens ? De quelle manière ? Là est la question que je vais m'employer

à élucider. Reprenons mon exemple. La certitude du jour et de la nuit terrestres avant l'homme doit

se baser sur des manifestations que l'homme a pu constater au moment où il est, où il vit. Elle est

une interprétation de signes actuellement saisis par une conscience humaine, signes censés renvoyer

à un passé jamais éprouvé par l'homme. Mais qu'est-ce à dire ? Le fait d'interpréter ces signes, de

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réitérer fictivement un passé enfoui à jamais dans les limbes du jamais-perçu, est-ce une façon de

ressusciter ledit passé pour la conscience, de le rendre désormais tangible, perceptible ? Loin de là,

vous le reconnaîtrez. Le passé pré-humain n'est pas plus "étant" sous prétexte qu'il est postulé a

posteriori. Ce qui a surgi là, dans l'interprétation d'un signe, n'est pas le passé en lui-même, mais

une conscience présente de traces actuellement visibles faisant référence à un passé enfoui, passé

dont la réelle consistance, l'être authentique, c'est-à-dire l'être en tant qu'appréhendé par une

conscience temporalisante vécue hic et nunc en première personne, est à jamais insaisissable (?).

Mais allons plus loin. N'y a-t-il pas, au fond de ma conscience, au fond de cette fameuse

propension à faire surgir l'être, une partie de moi qui contient la présence réelle, non plus

hypothétique ou fictive, de ce jour et de cette nuit pré-humains ? Certes oui, mais pas de façon

thématisée, pas sous la forme de jugements, d'intellections, de réitérations. Et c'est là que la

philosophie spinozienne peut entrer en jeu. Présentons brièvement la dimension de cette philosophie

qui nous intéresse. Spinoza affirme, dans son Ethique, que se connaître soi, ses affects, la manière

dont le monde nous affecte, renvoie à la connaissance de la totalité de ce qui est, à la connaissance

de la substance une et indivisible qui enveloppe toute réalité, dans la mesure où chaque mode

particulier de cette substance, c'est-à-dire chacune des parties dont elle est composée, renvoie à

toutes les autres en vertu d'une causalité stricte et nécessaire. Dans ce contexte théorique, on peut

dire à bon droit que, lorsque je perçois un arbre qui est là, devant moi, lorsque je le présentifie, le

fais "être", d'une certaine manière, lui aussi me fait être, en tant que nous appartenons tous deux à

une totalité dont chaque élément est causé par et cause chacun de tous les autres. Autrement dit,

l'arbre est lui aussi, du moins partiellement, détenteur de son être : parce qu'il me fait respirer, parce

qu'il est, parmi d'autres étants, quelque chose qui rend possible ma vie, et de là ma conscience qui

pose l'être, ainsi cet être que je pose est aussi un être qu'il pose. Dès lors, dans la foulée de cette

illustration, on dira à bon droit que la nuit et le jour pré-humains, d'une certaine manière, "habitent"

actuellement ma conscience : en tant que nous appartenons à la même substance, dont les

imbrications constituent un va-et-vient constant, cela même que je perçois chaque fois devant moi,

et la manière dont je le perçois, dépendent aussi du fait qu'ils se sont manifestés à un moment

donné, et ce même si une telle manifestation n'est plus visible aujourd'hui, ou encore : n'a jamais été

et ne sera jamais perçue par un homme. Ainsi donc, c'est dans cette mesure, et dans cette seule

mesure, c'est-à-dire dans la perspective où le jour et la nuit pré-humains sont des sortes de réalités

éternellement agissantes déterminant d'une manière ou d'une autre la vie qui nous traverse, que l'on

peut parler d'une expérience authentique d'un passé pré-humain, expérience qui relève de

l'invisibilité de ce qui nous détermine, qui relève de l'invisible lien qui rattache l'être, la conscience,

à ce qui n'a pas la possibilité de poser l'être.

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Il est très difficile de se représenter ce qu'implique ce complément spinoziste. Pour bien le

faire comprendre, tentons une expérience de pensée. Imaginons que, par quelque miracle

inexplicable, il n'y ait jamais rien eu que la nuit avant que les hommes et leur entente

préontologique du sens de « être » n'apparaissent sur terre. Les voici maintenant, percevant le

monde, le jugeant, "l'étantifiant". Cette perception, cette activité judicatrice, cette "étantisation", est

bien habitée par cette nuit immémoriale qui les précède, en vertu des principes que nous venons de

poser : elle est là, dans la façon dont l'homme fait être le monde, et en cela réside l'authenticité de

cette nuit. Pourtant, les hommes croient, de par les signes présents qu'ils ont interprétés, que nuit et

jour alternaient avant leur venue. Ils ont toutes les raisons de le croire, les preuves empiriques sont

là. Mais qu'est-ce qui est le plus réel ? Ces preuves empiriques, ces fictions ? Ou cette nuit

millénaire qu'ils ignorent, et pourtant qu'ils n'ignorent pas, puisqu'elle est là, présente à chaque

instant dans leur manière d'appréhender chaque chose ? La réponse est dans la question. Prenons

une autre expérience de pensée, plus parlante encore peut-être. Supposons que le jour et la nuit

préhumains aient réellement eu lieu, chose invérifiable, mais passons. Ils nous affectent donc encore

aujourd'hui, ils sont là, invisibles, dans notre façon de conscientiser les choses. Mais nous

supposerons aussi qu'ils sont en plus de cela réitérés, conscientisés, via les discours scientifiques,

cosmologiques (interprétations des traces). Le problème est : laquelle de ces deux "faces" de la

conscience contient de la façon la plus authentique ces jour et nuit pré-humains ? La première,

assurément. Car la réitération intellective, qui intervient a posteriori, ne vient alors que rendre

visualisable, représentable, ce qui est en notre fond le plus intime ; et cette visualité, contingente et

secondaire, surajoutée, c'est précisément le superficiel en soi, l'inauthentique.

Cet ajout spinozien est l'occasion de penser à nouveaux frais l'énigme du chat de

Schrödinger. Tout le monde connaît cette expérience de pensée, qui fournit une base objective,

physique, au phénoménalisme relativiste : le chat est dans sa boîte et a été contaminé ou non par le

poison qui s'est répandu en fonction d'un état atomique qui sur le plan quantique reste objectivement

incertain : il est et n'est pas tel à la fois, est véritablement à la fois mort et vivant tant que le contenu

de la boîte n'est pas perçu par un témoin extérieur, et devient l'un ou l'autre de façon assurée

seulement lorsqu'il est effectivement perçu. Ceci est un problème que l'on devrait pouvoir envisager

selon une perspective philosophique éclairante. De fait, en vertu de la conception spinoziste de la

substance, toute chose dite extérieure à moi est "présente" en moi : elle me cause, cause ma manière

d'être affecté par le monde. Le chat dans sa boîte, donc, mort ou vivant, détermine ma conscience à

ce titre. Or, actuellement, au moment où je ne perçois pas encore le contenu de la boîte, et où je ne

sais si le chat est mort ou vif, je dois bien reconnaître que mon état, mon être-affecté par le monde

reste, quant à lui, évident et certain : je suis tel : heureux, réfléchi, pensif, etc., et je ne doute pas

qu'un autre état qui est le mien soit possible, puisqu'il est, précisément, le mien. Le chat donc, qui

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loge dans cette boîte et que je ne vois pas encore, même s'il n'est qu'une infime partie de la

multitude passée et présente qui me conditionne, me conditionne néanmoins d'une certaine manière,

et doit donc lui aussi posséder un état unique, la cause devant être homogène au causé. Cet état

unique du chat, que je ne réitère certes pas intellectuellement, que je ne visualise pas, je le suis,

d'une certaine manière : je le "connais" ; ici, le mot connaître est peut-être peu approprié, mais cette

tension éclaire le fond intime de la question.

Pour comprendre cette suggestion, tâchons d'expliciter la manière de concevoir l'"action à

distance" qu'elle postule, et aussi, par la suite, les implications d'une telle conception. Pour ce faire,

posons les catégories de "causalité" (linéarité, succession, déploiement, temporalité) et de

"communauté" (simultanéité, réciprocité, coexistence, spatialité). Précisons maintenant ceci : dans

le concept traditionnel d'action à distance est supposée une communauté, c'est-à-dire une relation

qui se fonderait sur la séparation préalable de deux localités distinctes (exemple : le chat d'un côté,

et l'observateur de l'autre), et c'est seulement sur la base de cette communauté que l'on pourra

penser une causalité à l'oeuvre. Or, dans le contexte que je viens de proposer, il est possible

d'envisager cette action à distance de façon nouvelle : elle ne serait plus fondamentalement une

relation de communauté, mais une relation de la pure succession, de la pure linéarité, qui viendrait

seulement dans un deuxième temps, inessentiel et contingent, se poser comme distinction spatiale,

simultanée. Expliquons-nous. Evoquons pour ce faire Bergson.

Bergson développe constamment le concept d'une évolution continuée, non fragmentée, d'un

enrichissement progressif de l'entièrement nouveau : effet "boule de neige", ou "mélodie"

complexifiée progressivement, sans rupture, dans un même déploiement fusionné. Or, en vertu de

cette idée, on doit poser ceci, axiomatiquement : de fait, pour penser le surgissement du biologique

à partir d'un donné physique, pour penser l'apparition de la vie sur terre, il est nécessaire d'envisager

une première vie, totalement close sur elle-même, ne coexistant pas avec d'autres vies qui lui

seraient extérieures : il y a pure durée, pure linéarité de cette vie, pure intensité non passive,

absolument agissante. En effet, l'idée d'un continuum, analytiquement comprise, implique ceci : le

surgissement de l'absolument nouveau ne saurait être pensé comme surgissement de deux

nouveautés simultanées, car cela supposerait une spatialisation qui viendrait ici subvertir les

principes de la détermination qui veut se poser. Par exemple, si l'on pose, contradictoirement, cette

proposition : "deux vies entièrement nouvelles surgissent simultanément sur terre", cela signifie

ceci : il existe un instant t qui comprend cette "simultanéité entièrement nouvelle" que nous

postulons, instant en lequel ont donc été isolées et juxtaposées idéalement deux intensités distinctes.

Or, il apparaît très vite qu'une telle simultanéité nous entraîne, en vertu même des principes de cette

approche rationnelle, vers une absurdité : vers une régression à l'infini. Car ces deux "premières

vies" simultanées, juxtaposées, devront être définies via l'idée d'un instant, d'un présent, qui se

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fragmente à l'infini, sans que cette fragmentation constante ne puisse trouver un arrêt, une

résolution finale. Au nom du principe de continuum, nous admettrons nécessairement l'axiome

suivant : "une première vie surgit sur terre". Sur cette base, prenons cette première vie dans son

écoulement. Entre le temps t = "surgissement de cette première vie", et le temps t' = "apparition

d'une autre vie qui vient coexister avec cette première vie", ainsi donc, comme cela se comprend de

soi-même, nous avons affaire à une pure succession, à une pure linéarité, à une pure intensité non

accompagnée d'une intensité analogue avec laquelle elle aurait une certaine relation. Autrement dit,

dans cet intervalle, elle est prise dans une relation avec elle seule, elle n'est pas "affectée" de

l'extérieur, mais elle s'auto-affecte, continuellement, le physique pré-donné étant pour sa part certes

conditionnant, mais à la manière d'une condition hétérogène, qui dès lors n'imprime pas sa

"marque" de façon essentielle sur cette intensité qui s'auto-affecte. Si donc l'on reprend la

distinction proposée plus haut entre la communauté et la causalité, on pourra affirmer dès lors, à

bon droit ceci : la vie qui surgit renvoie fondamentalement, originellement, en tant qu'elle est

nécessairement "une première vie", ou encore "cette seule vie", à une causalité exclusivement

linéaire, elle n'est pas dès lors, du moins pour un temps, "communauté", relation spatiale, co-

existence, "présence à". On peut d'ailleurs noter, en passant, qu'il y a ici une distinction à faire entre

le "présent " et "l'actuel", le présent devant être pensé analytiquement comme "présence à" une

altérité analogue, et l'actuel comme pure intensité auto-référentielle.

Sur ces bases théoriques, reprenons le chat et l'observateur. Pour ce faire, prenons les choses

une à une :

1) Le chat, tel qu'il se trouve dans sa boîte close et dont le contenu n'est pas encore perçu par

l'observateur, peut vivre si et seulement si la première vie s'est posée avant lui, comme cela se

comprend de soi-même.

2) De la même manière, l'observateur, effectivement vivant, peut vivre si et seulement si la

première vie s'est posée avant lui, comme il va également de soi.

3) Or, la première vie en question, comme nous l'avons admis, est d'abord et avant tout pure

intensité, pure succession, pure auto-affection ne coexistant pas avec une autre vie analogue, la

relation spatiale avec d'autres intensités analogues étant quant à elle secondaire, surajoutée, partant

inessentielle.

4) Par ailleurs, cette première vie continue à s'affirmer, à se poser, d'une certaine manière, au sein

de la vie du chat, encore incertaine pour l'observateur, et au sein de la vie de l'observateur, certaine

pour lui-même.

5) Plus précisément, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, expriment en quelque sorte la puissance

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de cette première vie, sa puissance de se poser, en ce qu'ils représentent aujourd'hui sa perpétuation,

sa continuation, son déploiement, son aptitude future à se complexifier.

6) Ainsi donc, ce chat et cet observateur, s'ils vivent, doivent trouver, d'une certaine éminente

manière, la façon véritable dont se manifeste leur vie, dans la façon dont la première vie qui les a

rendus possibles se manifeste. Autrement dit, chacun est, soi-même, pure intensité, pure linéarité,

pure succession, et ce essentiellement, originellement, et ce n'est que secondairement,

inessentiellement, qu'il est pris dans une coexistence, dans une relation spatiale à une intensité autre

analogue, dans une "présence à" au sens fort.

7) Mais nous supposons pourtant que ce chat et cet observateur sont bien distincts spatialement, et

dès lors notre proposition est contre-intuitive, car il doit bien exister une relation de communauté

entre ces deux pôles simultanés (et d'ailleurs nous avons apparemment implicitement admis cette

relation dans l'apport spinozien proposé plus haut).

8) C'est précisément dans ce paradoxe que se trouve la clef de ce que nous voulons élucider. En

effet, intrinsèquement, essentiellement, ce chat et cet observateur pris ensemble ne sont pas dans

une relation de communauté, de coexistence spatiale, mais ils constituent en fait une même réalité

qui est prise dans une relation à elle-même, dans une relation renvoyant à la seule succession, à une

intensité pure autoréférentielle, à une auto-affection sans altérité.

9) Déployons cette dernière proposition pour qu'elle soit clairement entendue :

a) Le chat étant mort (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles n'expriment pas

moins une seule intensité purement linéaire, ladite "première vie", et dès lors, on dira à bon droit

qu'ils s'expriment eux-mêmes l'un et l'autre mutuellement au sein de cette intensité linéaire.

Autrement dit, le fait du chat mort, l'événement de son trépas, se manifeste actuellement dans le fait

que l'observateur soit vivant d'une certaine manière, et réciproquement.

b) Le chat étant vivant (par hypothèse) et l'observateur étant vivant, ces deux pôles, de même,

expriment également la pure succession de ladite "première vie", et de même s'expriment

mutuellement. Le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière se manifeste dans le fait que

l'observateur soit vivant d'une certaine manière.

c) L'incertitude posée par Schrödinger dans le contexte de la physique quantique se dépasse donc

comme suit : l'événement du trépas du chat et le fait que le chat soit vivant d'une certaine manière

étant pris en même temps, ils doivent donc, en même temps, s'exprimer dans le fait que

l'observateur soit vivant d'une certaine manière. Or cette certaine manière dont l'observateur vit

actuellement est pour lui certaine, sur le mode intuitif entièrement, et sur le mode thématique

partiellement ; i.e. : mon état est ressenti dans sa pleine clarté, quand bien même je ne suis pas

capable de mettre en mots toutes les composantes de cet état.

d) Ainsi, sur un mode intuitif très partiellement dicible (état ressenti), il ne peut y avoir d'incertitude

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concernant le fait que le chat dans la boîte soit mort ou vivant, d'une certaine manière, il est

appréhendé. Sur le plan thématique, certes, l'état de l'observateur n'est pas certain, et c'est ainsi qu'il

n'élucide pas complètement cet état sur le mode qu'il privilégie, ce pourquoi il dira que l'état en

question du chat n'est en fait pas exposable.

e) Or, nous l'avons vu plus haut, le plan thématique, ou spatialisant (c'est la même chose), postule

précisément la possibilité du surgissement de deux vies coexistantes, se trouvant ainsi en désaccord

avec sa propre logique (régression à l'infini). Par cette confusion, il occulte donc le fait que ce chat

et lui-même, en leurs états respectifs, expriment en dernière analyse, intrinsèquement, la même pure

intensité auto-affectée, qu'ils se révèlent l'un et l'autre, d'un point de vue purement déterministe.

Cette confusion-occultation qui pose l'incertitude de la mort ou de la vie du chat ne saurait donc

prétendre à la clarté, à l'adéquation, et elle doit être réinfléchie par l'approche intuitive, non-

thématique, qui elle "affirme" la certitude de l'événement du trépas du chat lorsque celui-ci advient

effectivement, et la certitude de sa vie et de la manière dont cette vie se manifeste lorsque celle-ci se

déploie effectivement.

f) Mais ce point de vue thématique et spatialisant confus et occultant, que l'on vient de séparer

abstraitement, par souci de clarté, du point de vue intuitif, ne doit pas, dans la perspective d'une

existence humaine vécue en première personne, vécue en chair et en os, être coupé radicalement de

ladite intuition. En effet, en un certain sens, lorsque je produis des jugements, lorsque je focalise,

via ces jugements, mon attention sur tel ou tel aspect de la manière dont j'éprouve des intensités

actuelles, lorsque donc j'introduis des "négatités" (Sartre), des négations au coeur de ma complexité

sentie, en ce que je ne fais pas honneur, en ce que je ne puis faire honneur à chaque élément de cette

complexité (je les nie), je ne suis pas réellement coupé de cela qui reste dans l'ombre. Prenons un

exemple. Je dis ceci : ce chat est là, devant moi. Lorsque je "prends" donc ce chat pour le poser

dans un jugement, il semble que je ne pose pas toutes les autres intensités qui sont les miennes,

celles qui renvoient à d'autres choses (la table qui est à côté, le sol sur lequel je me trouve, etc.

indéfiniment), à d'autres personnes (mon ami Pierre qui est à côté de moi, ma mère qui est

souffrante, dans son lit, mon grand-père qui est mort l'année dernière, etc., indéfiniment), et à

d'autres affections (le souvenir de mon premier baiser, le souhait de finir le texte que je suis en train

d'écrire, mon désir de ne plus avoir mal au ventre, etc., indéfiniment). Mais en réalité, cette "prise"

dans un jugement contient toutes ces intensités, à titre latent. Car le fait-même que je choisisse de

thématiser ce chat, ici et maintenant, l'acte que constitue ce choix, en vertu d'un strict déterminisme,

dépend de toutes ces intensités vécues par le passé, vécues maintenant, ou tendues vers l'avenir, qui

se manifestent dans mon intensité actuelle. Pour le dire plus abstraitement : la focalisation

judicatrice, la détermination qui nie, l'attention qui se concentre sur un élément donné, demeurent,

en dernière analyse, renvoi à une ouverture sur une pluralité intensive indéfinie. Elles sont un point

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de vue, mais un point de vue entendu au sens où tout point de vue, tout découpage, tout acte de

dessiner des contours, de poser un être ou une chose au détriment apparent des autres, en tant qu'ils

constituent une « fenêtre », métaphoriquement parlant, sur l'intensif complexe, expriment la totalité

du "mur", sur lequel cette fenêtre s'insère. Lorsque je regarde les gens dans la rue, à travers ma

fenêtre, ai-je pour autant oublié que je me trouvais dans les murs de ma maison ? Nullement. De

même, l'observateur, tandis qu'il juge d'une incertitude "objective" face à l'invisibilité "objective" de

tel chat, ne peut avoir oublié que cette incertitude ne peut en être une. L'occultation-confusion du

thématique disparaît ainsi d'elle-même.

g) Le scientifique, donc, qui affirme l'impossibilité de "connaître" avec certitude le fait de la mort

ou de la vie du chat encore inaperçu qui est dans sa boîte, en tant que ce jugement est un choix qui

dérive de toute la complexité intensive actuelle qu'il est, complexité qui de son côté, comme on l'a

vu, pose une certitude concernant ce fait, affirme en fait le contraire de ce qui est dit dans son dire.

Et ce contraire, qui ne saurait être contradictoire, se résout de lui-même.

h) En dernière instance, donc, si le fait de la vie ou de la mort du chat n’est plus incertain, et si ce

fait traduit adéquatement la disposition d’un état quantique dont il dépend, alors cet état quantique,

théoriquement, n’est lui-même plus incertain, même si la boîte reste close.

i) Evoquons cet indéterminisme physique apparent, tel qu’il est lié à la morbidité moderne

Aurélien Barrau, dans son ouvrage Des univers multiples, indique un fait central et scandaleux

propre à la physique moderne morbide, qui postule la possibilité d’une vie morte ou d’un mort-

vivant (solipsisme sadique et morbide, insensible, non-qualitatif, sans lieu, qui postule un « hasard

objectif » aberrant) : « Les hommes n’en finissent pas de supplicier et d’abattre leurs chats de

Schrödinger » (p.54). C’est peut-être aussi parce qu’elle suppose des aberrations relativement à

l’être du vivant, que cette science se pose des faux problèmes, et crée elle-même ses propres

contradictions logiques (non sensibles) dites « insolubles ». Un déterminisme qualitatif,

temporellement sensible, une prévisualisation gracieuse posant intuitivement et « logiquement »,

selon une logique sensible, l’unité en devenir du vivant, dépasserait ces clivages, même au niveau

de l’indéterminisme quantique apparent... En outre, lorsque Bergson reproche à Einstein, dans

Durée et simultanéité, de postuler une relativité de l’espace-temps impliquant une multiplicité

impensable « des » temps, interchangeables à l’infini, sans localité qualitative fixe, lorsqu’il lui

reproche d’avoir réifié le vivant et « subjectivé » la chose inerte, de façon fétichiste, ses « calculs »

sont peut-être « faux », mais sa démarche paraît très pertinente (corrélation sociale possible de cette

science lorsqu’elle s’applique « médiatement » dans la réalité "économique" : fétichisme de la

marchandise, réification des individus vivants pris dans les ordres socio-techniques et mécaniques

"productifs", ou cristallisant des théories scientifiques). Un "déterminisme" qualitatif, ou une

interpénétration des moments de la durée intime située, qui s’appliquerait à cette relativité

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einsteinienne devenue elle-même relative (relative au vivant qui la pose dans son unité située en

devenir), corrélé à un déterminisme qualitatif pensant les phénomènes « quantiques » (ou «

qualiques », plutôt), permettrait d’envisager une prévisualisation unitaire gracieuse, continue,

fluide, unifiant les deux niveaux, épistémologiquement parlant, et qu’une mathématique « intuitive

», soigneuse, non réifiante et non autoritaire (reconnaissant l’invisibilité et l’inaccessibilité de ce

qu’elle désigne inadéquatement) pourrait saisir quelque peu…Louis de Broglie aura envisagé cette

puissance potentielle de Bergson, lui-même : « Plus récemment, feuilletant à nouveau ces pages

célèbres et réfléchissant aux progrès accomplis par la science depuis le temps déjà lointain où nous

les lisions pour la première fois, nous avons été frappés par l’analogie de certaines conceptions

nouvelles de la Physique contemporaine avec quelques-unes des fulgurantes intuitions du

philosophe de la Durée. Et nous étions d’autant plus étonnés de ce fait que la plupart de ces

intuitions se trouvent déjà exprimées dans l’Essai sur les données immédiates de la conscience, le

premier des ouvrages d’Henri Bergson, qui est aussi peut-être le plus remarquable, du moins à notre

point de vue ; cet Essai, qui fut la thèse de Doctorat de son auteur, date en effet de 1889 et est par

suite antérieur de près de quarante ans aux idées de MM. Bohr et Heisenberg sur l’interprétation

physique de la Mécanique ondulatoire. » (De Broglie, Physique et Microphysique, Albin Michel,

1947, p. 192.).

Bergson n’est en rien un « anti-rationaliste » : au contraire, il pousse jusqu’au bout les

contradictions du rationalisme (les paradoxes sur l’infini de Zénon, par exemple), pour les dépasser,

au profit de cette raison (pour sa non-contradiction), trouvant sur un terrain intuitif ou monstratif

explicite ce qui la complètera. De même que Pascal, contre les Pyrrhoniens, « sauve » la rationalité,

contradictoire lorsqu’elle veut être l’exclusive faculté pour la « vérité », en posant les vérités

immédiates et intuitives du « cœur ». Tous deux évoquent un conatus du vivant. Spinoza appellera

cette cohabitation harmonieuse de deux facultés complémentaires, sensible et intellectuelle : «

intuition intellectuelle de « Dieu » » (ou du tout naturel en devenir, articulé et déterminé). Aristote

est ici « mis en cohérence » : la physique moderne qui utilise ses catégories retrouve un

déterminisme qualitatif, sans que ces qualités soient pour autant inaccessibles pour la géométrie ou

la mathématique, même si ces outils reconnaissent désormais leurs limites irréductibles, et leur «

inadéquation » irréductible (l’en soi intuitionné étant senti, invisible, et la forme encadrante le

trahissant quelque peu en le traduisant, mais l’exprimant tout du moins mieux, lorsqu’elle reconnaît

son caractère trahissant : elle réduira ici ses « problèmes » logiques).

Résumons-nous. Mettons en scène notre cheminement d'ensemble en ce qu'il relèverait d'une

prise de conscience. On supposera un locuteur imaginaire qui se parle à lui-même dans un discours

intérieur qui reviendrait sur sa démarche :

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"Oui, certainement, être c'est être perçu, mais le perçu lui-même, ce qu'il s'agit d'"étantiser", en ce

qu'il conditionne le vivant qui perçoit d'une manière ou d'une autre, pose aussi, d'une façon

déterminée, son être. Toutefois, je crains de m'être fourvoyé depuis le départ. Je me suis oublié dans

la régression ontique. Non, trois fois non, être ce n'est pas être perçu, c'est : percevoir. Certes, être

"étant", c'est être perçu, mais "être", "être tout court", c'est : percevoir. Une philosophie qui se

positionne réellement en première personne doit se garder d'être la victime de la "réverbération

ontologique" : elle ne doit pas partir du monde, dudit "perçu", pour ensuite tenter d'élucider l'être de

la conscience à partir de là. C'est de l'intensité actuelle qu'il faut partir, et non de l'être là-devant.

L'être là-devant est "étant", il n'"est" pas : il est "ce qui est" tel ou tel, il n'est pas "le fait d'être" tel

qu'il est d'une certaine "manière". Les choses qui sont perçues demeurent dans une spatialité figée,

atemporelle : elles possèdent des propriétés fixes, il suffit de faire l'inventaire de leurs prédicats

analytiques pour les recenser et les saisir dans leur vérité : vérité toute logicienne, scolaire,

technique, statique. Tel est l'étant, tel n'est pas l'être. L'être est temporalisé, il est un percevoir qui se

déploie, qui se dévoile progressivement au fil de sa progression. Mais là encore je m'égare. Car, de

là, de cette position, la conscience intensive actuelle contamine toutes choses qu'elle perçoit, qui

sont à leur tour prises dans un dévoilement progressif : elles perdent leur fixité. Mais ce passage du

perçu au percevoir, cette dénonciation de la "réverbération ontologique", c'est après tout ce que

voulait suggérer mon petit complément spinozien-bergsonien... Toute la question posée par l'arbre

heideggérien (Qu'appelle-t-on penser ?), arbre qui se présente plus qu'il n'est présenté par ou

représenté dans ma conscience, est condensée dans ce petit complément spinozien-bergsonien. En

outre, à la lumière de ce complément, je devrais ajouter ceci, comme visant Heidegger lui-même :

cet arbre qui se présente à moi, qui pose aussi son être, n'est-ce pas, en dernière analyse, moi-même

tel que je m'auto-affecte dans la durée pure dépourvue d'altérité spatialement appréhendée, dès lors

ce perçu n'est-il pas lui-même un percevoir, et moi-même ne suis-je pas perçu par un percevoir qui

me fonde ? Mais je suis confus. Car qui parle ici ? En voilà assez !"

Lou Andréa-Salomé

Comme l’ami aime l’ami,

Ainsi je t’aime, vie surprenante !

Que je jubile ou pleure en toi,

Que tu me donnes souffrance ou joie,

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Je t’aime avec ton bonheur et ta peine.

Et si tu dois m’anéantir,

En te quittant je souffrirai.

Comme l’ami qui s’attache au bras de l’ami,

Je t’étreins avec toute ma force :

Si tu n’as plus aucun bonheur pour moi

Soit ! Il me reste –La souffrance

Bibliographie

Physique

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