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PREMIRE PARTIE

1

Sans l'intervention divine et un lacet dnou, elle aurait pri avec les autres, ce jour-l.

Elle avait pntr dans la banque trois heures moins le quart prcises, afin de retarder jusqu'au dernier moment la clture de son compte. Cela avait un aspect tellement dfinitif ! Ensuite, il n'y aurait plus de retour en arrire possible. Toutes ses affaires taient emballes et, bientt, elle quitterait Rockford Falls - et le Montana - pour toujours.

Sherman McCorkle, le directeur de l'tablissement, fermerait les portes dans un quart d'heure, et les clients faisaient la queue car il n'y avait que deux employs derrire les guichets. Emeline McCorkle, la fille du directeur, tait apparemment encore convalescente, aprs la grippe qui s'tait abattue sur la paisible petite ville, deux semaines auparavant.

Il y avait moins de monde au guichet de Malcolm Watterson, mais c'tait un bavard notoire, et il lui poserait sans doute une foule de questions auxquelles elle n'avait aucune envie de rpondre.

Heureusement, Franklin Caroll tait de service ce jour-l, et elle prit place dans sa file. Rapide, efficace, il ne se mlait jamais de la vie prive des clients. Et puis c'tait un ami : bien qu'elle lui et dj dit au revoir aprs la messe de dimanche, elle avait envie de le saluer une dernire fois.

Elle avait horreur d'attendre. Battant nerveusement le plancher de la semelle, elle ta ses gants, les remit. La petite bourse de tissu, accroche son poignet par un ruban de satin, se balanait au rythme du tic-tac de la pendule.

L'homme qui la prcdait avana d'un pas, mais elle resta o elle tait car il dgageait une odeur atroce de transpiration et de saucisse grille.

Le client sa gauche lui offrit un sourire dent, et elle fixa le plafond afin de dcourager toute tentative de conversation.

Cela sentait le moisi, l'atmosphre tait terriblement chaude et humide. Elle transpirait, elle aussi, et elle tira sur le col amidonn de son chemisier. Comment les employs pouvaient-ils travailler toute la journe dans cet endroit sinistre ? Elle se tourna vers les trois fentres closes. travers les vitres macules de traces de doigts, le soleil filtrait chichement, faisant danser des particules de poussire dans l'air stagnant. Elle risquerait la colre de McCorkle en allant ouvrir les croises. Le directeur les fermerait aussitt en lui infligeant un sermon sur la scurit indispensable tout tablissement bancaire. Pour couronner le tout, elle perdrait sa place dans la queue...

Son tour arriva enfin. Dans sa hte, elle trbucha et se cogna le front contre la vitre du guichet. Elle avait perdu son soulier qu'elle remit l'aveuglette, sentant la languette se retourner sous ses orteils. Derrire les caissiers, la porte du bureau de McCorkle tait ouverte, et il lui lana un regard rprobateur. Elle grimaa un sourire avant de s'adresser Franklin.

- Mon lacet s'est dfait, expliqua-t-elle pour excuser sa maladresse.

Il eut un hochement de tte compatissant.

- Vous tes prte partir ?

- Pratiquement, dit-elle voix basse afin que Malcolm ne puisse l'entendre.

Cet inlassable curieux se penchait dj vers eux afin de saisir quelques bribes de conversation.

- Vous allez me manquer, lcha Franklin tout trac en rougissant violemment.

Sa timidit tait charmante, et quand ce grand chalas tait mu, sa pomme d'Adam semblait encore plus prominente. Il avait une bonne vingtaine d'annes de plus qu'elle; pourtant, ds qu'il la rencontrait, il se conduisait comme un collgien.

- Vous me manquerez aussi, Franklin.

- Vous voulez fermer votre compte tout de suite ?

Elle acquiesa en lui glissant les papiers ncessaires.

- J'espre qu'il ne manque rien.

Il vrifia les signatures et les chiffres, avant d'ouvrir son tiroir-caisse pour compter les billets.

- Quatre cent deux dollars, annona-t-il. C'est une grosse somme porter sur soi.

- Je sais. Je serai trs prudente, ne vous inquitez pas.

Elle retira ses gants pendant qu'il mettait un lastique autour des billets, puis elle rangea la liasse dans sa bourse qu'elle ferma soigneusement.

Franklin, aprs avoir jet un coup d'il furtif son patron, s'approcha de la vitre.

- L'glise ne sera plus la mme, sans votre prsence l'office devant ma mre et moi. Je regrette que vous partiez, parce que Mre aurait fini par vous apprcier, j'en suis sr...

Impulsivement, elle lui pressa la main.

- Il n'y a pas longtemps que je suis ici, pourtant vous tes rellement devenu mon ami. Je n'oublierai jamais votre gentillesse.

- Vous m'crirez ?

- C'est promis.

- Envoyez vos lettres ici, la banque, pour que Mre ne les voie pas.

Elle sourit.

- Entendu.

Quelqu'un toussota discrtement derrire elle, et elle s'carta du guichet, cherchant du regard un endroit o elle pourrait renouer son lacet. Il y avait un bureau libre derrire la porte battante qui sparait les employs des clients. C'tait celui de Lemont Morganstaff, qui se remettait lui aussi de la grippe.

Elle s'y rendit, tranant son pied demi dchauss. La table tait en fort mauvais tat. Franklin lui avait confi que McCorkle, beaucoup trop avare pour se soucier des taches d'encre et des chardes qui pointaient de partout, achetait son matriel en troisime main un imprimeur.

McCorkle traitait ses employs de faon rvoltante ! Leur salaire tait misrable, et le pauvre Franklin avait bien du mal acheter les mdicaments dont sa mre avait besoin.

Elle avait souvent eu envie d'aller voir le directeur pour lui dire ce qu'elle pensait d'une telle attitude, mais elle craignait que Franklin n'en subisse les consquences.

Elle repoussa la chaise de bureau sur laquelle elle posa ses affaires, avant de s'agenouiller le plus dcemment possible afin de remettre son lacet.

En se relevant, elle marcha sur le bas de sa jupe et se retrouva par terre, tandis que la chaise roulettes filait heurter le mur. Affreusement humilie, elle jeta un regard furtif autour d'elle pour voir si quelqu'un avait t tmoin de sa maladresse.

Les trois clients qui restaient dans la banque la fixaient, bouche be. Franklin terminait de ranger les documents qu'elle lui avait remis. Il se dirigea aussitt vers elle, inquiet, mais elle sourit et lui fit signe de ne pas se dranger. Elle s'apprtait le rassurer, quand la porte donnant sur la rue s'ouvrit avec fracas.

Trois heures sonnaient lorsque les sept hommes firent irruption dans l'tablissement. On ne pouvait se tromper sur leurs intentions, car des bandanas noirs couvraient le bas de leurs visages tandis que leurs chapeaux taient enfoncs sur le front. Ils taient arms, et le dernier entr alla fermer les stores, verrouiller la porte.

Tout le monde tait ptrifi, hormis Sherman McCorkle qui laissa chapper un hurlement d'angoisse. Ensuite, ce fut Franklin qui lana un cri strident dont le son se rpercuta dans le silence.

Ttanise par la peur, elle essayait de rassembler ses ides. Ne panique pas... se dit-elle. Ils ne peuvent pas nous tuer... Le bruit des coups de feu donnerait l'alerte... Ils veulent de l'argent, c'est tout. Si tout le monde se montre coopratif, ils ne nous feront pas de mal...

Ces bonnes penses ne lui furent d'aucun secours. Ils allaient s'emparer de ses quatre cents dollars... Et comment les en empcher? Elle prit ses billets, cherchant frntiquement une cachette. Rflchis... rflchis !

Elle leva les yeux vers Franklin. Il fixait les brigands, mais il dut sentir son regard sur lui, car il inclina imperceptiblement la tte dans sa direction. Elle comprit que les hommes ne l'avaient pas vue. Elle hsita peine une seconde avant de se faufiler sous le vieux bureau. Ensuite, elle dboutonna son chemisier et glissa les billets contre sa poitrine...

Mon Dieu! Un homme marchait vers elle ! Ses pas se rapprochaient. Son jupon ! Il s'talait comme un drapeau! Elle le rassembla vivement sous ses jambes, le cur battant si fort qu'elle craignit que le bandit ne l'entende.

Les bottes ornes d'perons passrent tout prs, et elle sentit une odeur de menthe. Elle en fut trouble. La menthe tait une odeur d'enfant, pas de criminel ! Mon Dieu, pria-t-elle, faites qu'il ne me voie pas ! Quand elle l'entendit tirer les stores, elle eut l'impression que les portes d'une prison se refermaient sur elle. Il s'tait coul quelques secondes depuis que les hommes taient entrs dans la banque, et elle se dit que tout serait bientt fini. Bientt. Ils ne voulaient que l'argent, rien de plus, et ils partiraient le plus vite possible. Chaque minute supplmentaire augmentait leurs chances d'tre surpris.

Pouvaient-ils la voir par les fissures du bureau ? Il y en avait une assez large au milieu du panneau central, et elle changea sans bruit de position. Il faisait horriblement chaud, elle avait envie de vomir...

Elle se pencha lgrement afin de jeter un coup d'il travers la fente.

Les trois clients, le teint terreux, se pressaient contre les comptoirs. L'un des voleurs s'avana. Il tait vtu d'un costume noir et d'une chemise blanche, et sans le bandeau sur son visage, on l'aurait pris pour un homme d'affaires.

Il prit la parole d'une voix extrmement courtoise et raffine.

- N'ayez pas peur, messieurs, commena-t-il d'un ton avenant, teint d'un lger accent du Sud. Tant que vous m'obirez, tout ira bien. Nous avons appris par un de nos amis que le gouvernement avait dpos une forte somme d'argent pour les soldats, et nous avons cru judicieux de nous en emparer. Ce n'est pas trs correct, je vous l'accorde volontiers, et cela vous cause des dsagrments, j'en suis dsol... Monsieur Bell, accrochez le panneau Ferm sur les stores, je vous prie.

L'homme s'excuta sur-le-champ.

Bien, trs bien... Maintenant, messieurs, mettez les mains sur la tte et regroupez-vous au milieu de la pice, afin que je puisse veiller sur vous. Allons, monsieur le directeur, venez-vous joindre vos amis et concitoyens...

Elle entendit la porte battante grincer, des souliers racler le parquet.

- C'est parfait, continua le bandit. Encore une petite chose : auriez-vous l'obligeance de vous mettre genoux? Non, non, gardez les mains sur la tte. Vous ne voudriez pas que je m'inquite, j'en suis certain. M. Bell aimerait vous allonger sur le sol et vous ligoter, mais je pense que ce ne sera pas ncessaire. Inutile de salir vos beaux vtements. Serrez-vous les uns contre les autres en petit cercle, cela suffira. Bien, trs bien...

- Le coffre est ouvert, monsieur ! Cria l'un des voleurs.

- Allez-y, rpondit le chef.

Il se tourna cet instant vers le bureau, et elle vit distinctement ses yeux bruns stris d'or. Froids, impassibles...

Le dnomm Bell toussait, et le chef reporta son attention sur lui.

- Mon ami ne se sent pas bien, expliqua-t-il ses prisonniers.

- Peut-tre a-t-il attrap la grippe, risqua Malcolm.

- Je crains fort que vous n'ayez raison, approuva le chef. C'est dommage, car habituellement il aime son travail mais, de toute vidence, il n'a pas envie de s'amuser, aujourd'hui, n'est-ce pas, monsieur Bell ?

- En effet, monsieur.

- En avez-vous termin, monsieur Robertson ?

- Nous avons tout, monsieur.

- N'oubliez pas le liquide dans les tiroirs caisses.

- Nous l'avons aussi, monsieur.

- On dirait que tout est en ordre, alors. Monsieur Johnson, voulez-vous vous assurer que la porte de derrire ne nous posera pas de problme ?

- C'est fait, monsieur.

-Dans ce cas, finissons-en.

Elle entendit les voleurs revenir dans le hall. L'un d'eux ricana.

Le chef lui tournait le dos, mais elle voyait clairement les autres. Ils se tenaient derrire le cercle des prisonniers. Ils enlevrent leurs bandanas, les fourrrent dans leurs poches. Le chef posa son arme afin de plier soigneusement son bandeau et de le ranger dans la poche de sa veste. Il tait assez proche pour qu'elle puisse constater qu'il avait de longs doigts fins, soigneusement manucurs.

Pourquoi avaient-ils enlev leurs masques ? Ne se rendaient-ils pas compte que les autres donneraient leur signalement aux autorits ? moins que... Non ! Mon Dieu, pas a!

- La porte arrire est-elle ouverte, monsieur Johnson?

- Oui, monsieur.

- Eh bien, il est temps de prendre cong. Qui commence ?

- M. Bell n'a pas commenc depuis la petite fille, vous vous souvenez, monsieur?

- Je me souviens. Vous tes prt, monsieur Bell ?

- Oui, monsieur, je crois.

- Alors, allez-y, ordonna le chef en prenant son revolver dont il arma le chien.

- Qu'allez-vous faire? hurla le directeur.

- Calmez-vous. J'ai dit que je ne ferais de mal personne, n'est-ce pas ?

Il avait une voix terriblement calme, et McCorkle hochait la tte quand Bell tira. Le crne du directeur explosa littralement.

Franklin poussa un cri d'horreur.

- Mais vous aviez promis...

Le chef le visa la nuque, lui brisant le cou.

- Je mentais.

2

Ce fut une crmonie assez particulire. L'invit d'honneur, Cole Clayborne, dormit pendant tout ce temps, ainsi que lors de la petite fte qui suivit. Une heure aprs le dpart de la plupart des participants, l'effet du sommeil artificiel commenait peine se dissiper. Dans un tat second, il flottait entre rve et ralit. Quelque chose le tourmentait, mais il n'arrivait pas rassembler suffisamment de force pour ouvrir les yeux et voir de quoi il s'agissait.

Quand il revint lentement lui, il entendit d'abord des verres qui s'entrechoquaient, et un norme rire.

Quelqu'un lui parlait, ou parlait de lui... On prononait son nom mais il ne parvenait pas comprendre ce qui se disait. Il avait l'impression que des milliers de petits bonshommes lui martelaient l'intrieur du crne.

Avait-il la gueule de bois ? se demanda-t-il vaguement. Non. Il ne buvait jamais quand il ne se trouvait pas Rosehill - et encore, chez lui, il n'avalait gure plus d'une bire pour se dsaltrer dans l'aprs-midi. Il avait horreur des effets secondaires de l'alcool. Cela diminuait la vivacit, les rflexes, et avec toutes les ttes brles qui voulaient se faire une rputation en le provoquant en duel, jamais il ne prendrait le risque de boire autre chose que de l'eau.

Il entendit rire de nouveau et tenta de tourner la tte, mais une violente douleur au cou lui fit monter un flot de bile dans la bouche. Dieu qu'il tait mal en point !

- On dirait qu'il revient lui, Josey. Tu ferais mieux de rentrer la maison avant qu'il recommence pester et vomir. a risque de te choquer.

Le shrif Tom Norton, tout en s'adressant son pouse, regardait le prisonnier derrire les barreaux de sa cellule. Celle-ci s'empressa d'obir.

Il fallut une bonne minute Cole pour comprendre o il se trouvait. Les dents serres, il s'assit sur l'troite couchette et posa les pieds par terre, agripp au matelas, la tte penche sur la poitrine.

Il parvint enfin se redresser et distinguer le shrif. Norton tait un vieil homme au visage burin, la bedaine prominente, aux yeux mlancoliques. Il semblait aussi inoffensif qu'un gros chien.

- Qu'est-ce que je fais en prison ?

Ce n'tait qu'un murmure enrou.

Le shrif vint s'appuyer aux barreaux avec un grand sourire.

- Vous avez outrepass les lois, fiston.

- En quoi ?

- En drangeant l'ordre public.

- Comment ?

- Pas la peine de crier, a vous fait du mal. Vous avez une jolie bosse l'arrire du crne, et ce n'est pas en hurlant que vous vous sentirez mieux. Vous ne vous souvenez de rien ?

Cole secoua la tte... et le regretta aussitt car il eut l'impression qu'elle explosait.

- Je me rappelle avoir t malade.

- Oui. Vous avez eu la grippe. Une fivre de cheval pendant quatre jours, et ma Josey vous a ramen la vie. Vous tes sur pied seulement depuis deux jours.

- Et quand ai-je drang l'ordre public?

- En traversant la rue ! dclara joyeusement le shrif. a m'a bien embt que vous ayez envie de partir, alors que j'essayais de vous retenir Middleton pour la nomination. J'avais promis quelqu'un de vraiment important que je vous garderais ici, fiston, mais vous ne vouliez pas cooprer.

- Alors vous m'avez assomm...

- Eh oui ! Je n'avais pas d'autre moyen. Mais c'tait seulement un petit coup avec la crosse de mon pistolet. Rien de grave, sinon vous ne seriez pas l en train de ronchonner. En plus, c'tait pour votre bien.

Le ton enjou du shrif commenait lui taper franchement sur les nerfs.

- Pardon ?

- Il y avait deux imbciles qui vous attendaient dans la rue, tous les deux bien dcids vous faire dgainer - l'un aprs l'autre, videmment. Vous tiez peine guri de votre maladie et, mme si vous refusez de l'admettre, je parierais une semaine de salaire que vous n'tiez pas assez costaud pour vous dfendre. La grippe vous avait sacrment fatigu, vous commencez seulement reprendre des couleurs. Oui, monseigneur, je vous ai sauv la vie !

- a me revient...

- N'y pensez plus, suggra le shrif. L'eau a pass sous les ponts, depuis. Il y a eu la nomination, et aussi une sympathique petite fte ici, la prison. C'tait plutt drle de se retrouver l, mais le juge s'en moquait, et tout s'est bien droul. Dommage que vous ayez dormi tout le temps. Ma femme, Josey, nous a mme concoct son fabuleux gteau glac au chocolat, et elle vous en a gard un gros morceau qui est l.

Il dsignait un tabouret l'autre bout de la cellule.

- Vous feriez mieux de le manger avant que les souris s'en chargent.

Cole tait la fois irrit et dsorient. Rien de ce que disait le shrif n'avait de sens.

- clairez-moi, demanda-t-il. Vous dites que quelqu'un d'important voulait que je reste ici. De qui s'agit-il ?

- Le marshal Daniel Ryan. D'ailleurs, il devrait arriver d'une minute l'autre pour vous librer.

- Ryan est l? Ce vaurien, ce voleur, ce...

- Pas la peine de continuer. Le marshal m'a dit que vous aviez une dent contre lui, au sujet d'une boussole qu'il a mise de ct, pour vous.

Cole retrouvait ses esprits.

- Ma mre m'apportait cette boussole et il me l'a vole. Il n'a aucune intention de me la rendre, il va falloir que je la reprenne de force.

- Vous pourriez bien vous tromper l-dessus, rtorqua le shrif avec un petit rire.

Ce n'tait pas la peine de discuter davantage avec lui, et Cole dcida de garder sa colre pour celui qui l'avait fait enfermer... Daniel Ryan. Bon sang, ce salopard allait le payer cher !

- Vous comptez me librer et me rendre mes revolvers ?

- J'aimerais bien.

- Mais ?

- Mais je ne peux pas. C'est Ryan qui a les cls. Je dois porter des papiers au juge, de l'autre ct de la ville, alors vous feriez mieux de manger un peu de gteau en attendant. Je ne serai pas long.

Il se dirigea vers la porte, se retourna.

- Au fait, flicitations, fiston. Votre famille sera fire de vous, j'en suis sr !

- Attendez ! s'cria Cole. Pourquoi me flicitez-vous?

Norton s'loigna sans rpondre. Cole secoua la tte. De quoi le vieil homme voulait-il parler?

Il regarda autour de lui. Des murs gris, des barreaux gris, un plancher gris... Sur un trpied se trouvaient une cuvette grise et un pichet d'eau. Autre dcoration : une norme araigne qui grimpait sur la paroi, et une autre pendue son fil devant la, fentre grillage. Cole mesurait un bon mtre quatre-vingt-dix, mais pour l'atteindre il lui aurait fallu monter sur une chaise, or il n'y en avait pas. Enfin, il apercevait au moins un coin de ciel, gris comme le reste.

Et comme son humeur. Il ne pouvait tout de mme pas tuer le shrif, puisque sa femme l'avait soign.

D'autre part, Norton lui avait sans doute sauv la vie, en l'assommant avant que ces types ne le provoquent en duel. En effet, la grippe l'avait laiss particulirement faible. Il aurait trouv la mort dans un affrontement. Mais bon sang, pourquoi Norton s'tait-il cru oblig de frapper aussi fort ? Il avait l'impression qu'on lui avait fendu le crne en deux !

Il voulut tter sa bosse, mais sa main heurta un objet mtallique. Il baissa les yeux et se figea. Une bote dore pendait une chane que quelqu'un - vraisemblablement Ryan - avait accroche sa veste.

Ce salaud lui avait enfin restitu son bien ! Il souleva dlicatement l'objet prcieux et le contempla une longue minute avant de l'ouvrir. La boussole tait en cuivre, remarquablement cisele, avec son cadran blanc aux lettres rouges, son aiguille noire. Souriant, il regarda la petite pointe qui oscillait avant de se fixer sur le nord.

Marna Rose serait heureuse d'apprendre qu'il avait enfin rcupr son cadeau, achet plus d'un an auparavant. Un vritable trsor! Il n'y avait pas la moindre rayure. Il fallait reconnatre que Ryan en avait pris grand soin. Pourtant, Cole avait toujours envie de lui tirer dessus, pour le punir de l'avoir garde si longtemps, bien qu'il sache qu'il vaudrait mieux s'en abstenir. On n'aimait pas les tueurs de marshals, dans la rgion. Aussi se contenterait-il d'un solide coup de poing sur le nez...

Il glissa avec prcaution la boussole dans la poche de sa veste, puis se tourna vers le tabouret et vit le gteau.

Pourquoi avait-on fait la fte dans sa cellule ? La question tait beaucoup trop complique pour son esprit encore embrum. Il se leva, s'tira, et il s'apprtait ter sa veste, quand sa manche accrocha quelque chose de pointu...

Les bras lui en tombrent, et il se retrouva assis sur sa couchette fixer son paule gauche avec incrdulit. C'tait une plaisanterie... et qui dnotait un curieux sens de l'humour ! Il y a eu la nomination... Oui, c'tait bien ce qu'avait dit le shrif. Ils avaient arros l'vnement.

- Fils de...

Il jura en fixant mchamment l'toile argente qu'on avait pingle sa veste.

Il tait devenu marshal, un fonctionnaire appoint par l'tat pour faire office de shrif!

3

Quand Norton rentra la prison, Cole bouillait de rage. Heureusement, le shrif avait rcupr les cls de sa cellule. Comme sa femme Josey l'accompagnait, Cole mit un frein sa fureur. La dame portait un plateau recouvert d'une serviette carreaux.

Norton fit les prsentations.

- Vous ne vous tes pas officiellement rencontrs, puisque vous dliriez de fivre chaque fois que ma femme s'approchait de vous... Josey, voici le marshal Cole Clayborne. Il ne le sait pas encore, mais il va aider le marshal Ryan mettre sous les verrous le gang de Blackwater qui terrorise la rgion. Cole... a ne vous ennuie pas si je vous appelle par votre prnom ?

- Non, monsieur, pas du tout.

Le shrif rayonnait littralement.

- C'est gentil de votre part, aprs le coup sur la tte que je vous ai donn. Enfin, comme je vous le disais, cette jolie petite dame qui rougit ct de moi est Josey, mon pouse depuis trente ans. Elle s'est occupe de vous comme une mre, quand vous tiez malade. Vous vous rappelez ?

Cole s'tait lev, et il s'approcha pour saluer la femme du shrif.

- Bien sr, et je vous remercie, madame, d'tre venue me soigner l'htel pendant cette terrible grippe. J'espre ne pas vous avoir donn trop de mal.

Josey tait une dame assez banale, un peu trop ronde, mais son sourire tait un enchantement. Cole ne put s'empcher de le lui rendre.

- Peu de gens auraient eu la gnrosit de veiller sur un inconnu, ajouta-t-il.

- a ne m'a pas drange du tout, assura-t-elle. Vous avez perdu un peu de poids, mais mon poulet frit va vous remettre d'aplomb.

- Ma Josey est une fine cuisinire ! dclara firement Norton.

- Il fallait bien que je rattrape la brutalit de mon mari. Il n'aurait pas d vous frapper comme a, surtout que vous tiez dj faible... Vous avez encore mal?

- Non, madame, mentit Cole.

Elle se tourna vers Norton.

- Ces deux voyous sont encore dans les parages, je les ai vus en venant ici. Il y en a un chaque bout de la rue. Tu as l'intention de ragir avant que ce garon soit tu

Norton se frotta le menton.

- Le marshal Ryan va leur parler.

- Il n'a pas l'air tellement port sur la discussion, objecta-t-elle,

- C'est moi qu'ils veulent, madame, intervint Cole, J'irai discuter avec eux.

- Ils ne veulent pas discuter, fiston: Ils ont envie d'tablir leur rputation, et le meilleur moyen pour a est de vous battre en duel. Ne vous laissez pas embarquer dans une histoire stupide.

Josey approuva de la tte, puis demanda son mari

- O veux-tu que je pose le plateau?

- Sur mon bureau.

- On touffe dans cette cellule...

Cole attendit que Josey ft sortie pour interroger le shrif.

- O est Ryan ?

- Il ne va pas tarder. Il venait ici quand on l'a appel du bureau de poste pour lui remettre un tlgramme. Je suis sr que vous avez hte de le voir.

Cole s'efforait de garder son sang-froid en se rappelant que le shrif n'avait fait que suivre les instructions de Ryan. C'tait le marshal qui avait ordonn Norton de le retenir en ville par tous les moyens, lui aussi qui avait pingl l'toile sur sa veste.

Josey avait dbarrass le bureau et pos, sur la serviette carreaux rouges et blancs, deux assiettes de porcelaine dcore de papillons et deux tasses assorties. Au centre trnait un plat de poulet qui nageait dans la graisse, ainsi que des navets bouillis, des betteraves et des petits pains carboniss.

L'estomac de Cole, encore fragilis par la grippe, se rvulsa. Comme Josey tait partie, il ne risquerait pas de la vexer s'il ne mangeait pas...

Le shrif s'assit d'un ct du bureau et lui indiqua une chaise en face, puis il servit du caf.

- Autant vous prvenir tout de suite, attaqua-t-il, ma femme est pleine de bonnes intentions, mais ce n'est pas un cordon-bleu. Elle est persuade qu'il faut que tout baigne dans l'huile. Je ne toucherais pas cette sauce, si j'tais vous.

- Je n'ai pas trs faim, avoua Cole.

Le shrif clata de rire.

- Avec une telle dose de diplomatie, vous ferez un formidable marshal !

Il tapota sa bedaine.

- J'ai fini par m'habituer la faon de cuisiner de ma Josey, mais il m'a fallu une bonne vingtaine d'annes ! Il m'est mme arriv de penser, au dbut, qu'elle cherchait m'empoisonner !

Il se servit nanmoins largement, pendant que Cole se contentait de boire son caf. Ensuite, ils remirent les assiettes vides sur le plateau et le shrif se leva.

- Je crois que je vais aller chercher une part de gteau aux noix de pcan chez Frieda. Vous m'accompagnez ?

- Non, merci. Je prfre rester ici pour attendre Ryan. Qu'avez-vous fait de mes revolvers ?

- Ils sont dans le dernier tiroir de mon bureau. Vous avez un beau Holster. Il est pratique pour dgainer, non ? C'est sans doute pour a que le marshal Ryan a le mme...

Une fois le shrif parti, Cole rcupra sa ceinture et ses armes. On les avait dcharges, mais il retrouva des balles et entreprit de charger le premier revolver. Il s'occupait du second quand Norton revint, tout essouffl.

- Je crois que le marshal va avoir besoin de votre assistance. Ces crapules attendent aux deux bouts de la rue et lui se trouve au milieu. Ils vont le tuer!

Cole secoua la tte.

- C'est moi qu'ils veulent, pas Ryan, dit-il en glissant les armes dans le Holster.

- C'est bien l le problme, fiston. Ryan ne veut pas qu'ils vous descendent, parce que vous ne pourriez plus l'aider arrter le gang de Blackwater, or il a dit cent fois qu'il avait besoin de vos talents particuliers.

De quoi parlait le shrif? Quels talents particuliers possdait-il ? Il n'allait pas tarder le dcouvrir, sans doute... Il lui suggra de rester l'intrieur, mais Norton ne l'entendait pas de cette oreille.

- Je peux tre utile, fiston. D'accord, il y a longtemps que je ne me suis pas retrouv au cur d'une fusillade, mais c'est comme la natation, a ne s'oublie pas. J'tais plutt rapide, moi aussi, autrefois.

- Merci, mais c'est moi qu'ils cherchent.

Norton se prcipita pour lui ouvrir la porte, et avant de sortir, Cole l'entendit murmurer:

- Bonne chance, mon garon.

4

La chance n'avait rien voir dans cette histoire. Des annes d'exprience avaient prpar Cole ce genre de confrontation.

Il enregistra immdiatement la situation. Les types taient l'afft chaque bout de la rue, mais il ne les reconnut pas. Pour lui, toutes ces ttes brles se ressemblaient. Combien y en avait-il qui couraient aprs le rve futile de devenir le tireur le plus rapide de l'Ouest ? Vtus de longs manteaux, ils se dandinaient d'un pied sur l'autre, avides d'en dcoudre. Ce n'taient pas des adolescents, ce qui attnuerait les scrupules de Cole s'il tait oblig de les tuer. Il savait exactement comment il allait s'y prendre. Il lui faudrait se jeter terre, rouler dans la boue, et il avait horreur de a. Mais c'tait une question de survie...

Toutefois, le marshal Ryan tait la mouche sur le pot de confiture. Il se tenait immobile comme une statue en plein milieu de la rue, et se trouverait au cur de la fusillade.

Il allait l'appeler quand Ryan lui fit signe d'approcher. Les mains cartes du corps afin de ne pas provoquer ses deux adversaires, il descendit du trottoir de bois et se dirigea vers le marshal. Il mourait d'envie de saisir son arme, non pour tuer Ryan mais pour lui assener un bon coup sur la tte.

Les deux bandits avancrent un peu, excits la vue de leur proie.

Cole prfra les ignorer pour l'instant. Ryan et lui taient en scurit... tant qu'ils ne dgaineraient pas. Pour devenir des hros aux yeux de tous les cow-boys de l'Ouest, les types devaient tirer dans les rgles. Autrement, a ne comptait pas...

Le shrif Norton observait du seuil, souriant. Un spectacle de choix, qu'il n'oublierait pas de sitt ! Les deux marshals se mesuraient du regard comme deux boxeurs sur le ring. Une sacre paire ! disait Josey. Elle avait eu peur de Ryan ds le premier regard, et elle avait eu la mme raction lorsqu'elle avait fait la connaissance de Cole, bien qu'elle s'effort de le dissimuler. Les deux hommes l'effrayaient, et Norton se rappelait encore ses paroles quand elle avait essay de lui expliquer ce qu'elle ressentait :

- C'est dans leurs yeux. Ce regard froid, perant, comme des aiguilles de glace... J'ai l'impression qu'ils voient travers ma tte et savent ce que je pense, avant mme que j'en aie conscience.

Elle avouait aussi, malgr sa timidit, qu'elle avait remarqu combien ils taient beaux garons... tant qu'ils ne la regardaient pas...

- loigne-toi, Ryan ! Gronda Cole. Sinon tu vas te faire tuer !

Le marshal ne bougea pas d'un pouce, les yeux plisss, et Cole s'arrta un mtre de lui. Ryan fut le premier briser le silence.

- Tu as l'intention de me tuer?

Il y avait dans sa voix un soupon d'ironie que Cole n'aima pas du tout.

- J'y ai song, mais j'ai d'autres proccupations pour l'instant. Si tu ne veux pas attraper une balle perdue, tu ferais mieux de te pousser.

- Quelqu'un va mourir, mais ce ne sera pas moi, dit Ryan, nonchalant.

- Tu crois que tu peux les avoir tous les deux ?

- Nous verrons bien.

- C'est moi qu'ils veulent, pas toi.

- Je suis aussi rapide que toi, Cole.

- Faux !

L'un des deux types interrompit cette discussion :

- Je m'appelle Eagle, Clayborne, et j'aurai ta peau! Tourne-toi vers moi, que je puisse te tirer dessus.

L'autre ne voulut pas tre en reste.

- Je m'appelle Riley, Clayborne, et c'est moi qui vais te descendre !

Les gens qui cherchaient la bagarre taient toujours stupides, d'aprs l'exprience de Cole, et ces deux-l ne faisaient pas exception la rgle.

- Il faut que je fasse quelque chose, reprit paisiblement Ryan.

- Quoi ? Tu veux les mettre en prison?

- Peut-tre.

Son attitude dtendue tait franchement exasprante.

- Tu es un drle de marshal !

- Un bon marshal, tu veux dire !

Cole serra les dents.

- Et plutt imbu de lui-mme !

- Je suis conscient de mes qualits. Des tiennes, aussi.

Cole tait bout de patience.

- Tu ferais mieux de rentrer avec le shrif. Tu me raconteras tout a quand j'en aurai fini avec ces deux idiots.

- Tu me demandes de m'ter de ton chemin ? Se moqua Ryan.

- Exactement.

- Pas question. D'ailleurs, j'ai un plan.

- Moi aussi, rpliqua Cole.

- Le mien est meilleur.

- Sr?

- Ouais. trois, on plonge terre et on les laisse s'entre-tuer.

Malgr sa mauvaise humeur, Cole ne put retenir un sourire.

- a serait amusant, mais ils ne sont pas assez prs l'un de l'autre pour se toucher. Et puis j'ai horreur de salir une chemise toute neuve.

- Alors, ton plan toi ?

- En tuer un, plonger, rouler et tirer sur l'autre.

- a salira aussi ta chemise neuve ! objecta Ryan. Cole esquissa une grimace.

- Tu te pousses de mon chemin, oui ou non ?

- Les reprsentants de la loi font bloc, Cole, c'est une rgle ne pas oublier.

- Je ne suis pas un reprsentant de la loi.

- Mais si! Tu n'as pas prt serment, cependant ce n'est qu'une formalit.

- Tu as un curieux sens de l'humour, Ryan. Je ne serai pas marshal.

- Tu l'es dj.

- Pourquoi as-tu fait a ?

- J'ai besoin de ton aide.

- Je crois que tu n'as rien compris. J'ai bien envie de te tirer dessus, salopard. Tu as gard ma boussole pendant plus d'un an.

Ryan n'tait pas le moins du monde intimid par la menace.

- C'est le temps qu'il a fallu pour que ta nomination arrive.

- Quelle nomination ?

- Je ne pouvais pas me contenter d'pingler un insigne sur ta poitrine, expliqua Ryan. Il fallait l'autorisation de Washington.

Cole secoua la tte.

- Ils avancent sur nous, reprit son compagnon. Tu les connais ?

- Non.

- Je prends celui de droite.

- Ta droite, ou la mienne ?

- La mienne.

Ils se tournrent tous les deux pour faire face aux voyous, puis reculrent lentement, jusqu' se toucher.

Ryan leur cria de lever les mains et de s'approcher calmement. Eagle et Riley restrent o ils taient, les mains proches de leurs armes.

- Si tu loupes Riley, sa balle te traversera et m'atteindra ensuite, dit Cole.

- Je ne loupe jamais qui que ce soit.

- Prtentieux ! murmura Cole l'instant o Eagle dgainait.

Il ragit avec la rapidit de l'clair, et l'homme eut peine le temps de lever son arme qu'une balle lui pulvrisait la paume.

Ryan fit feu au mme moment et atteignit le poignet de Riley, faisant sauter le revolver de sa main.

Les deux marshals s'approchrent de leurs victimes pour confisquer leurs armes. Sans tenir compte de ses hurlements de douleur, Ryan poussa Riley vers le bureau du shrif.

Eagle criait comme un putois et dansait une gigue effrne.

- T'as bousill ma main droite, Clayborne. T'as bousill ma main droite ! Braillait-il.

- J'ai entendu, marmonna Cole. Reste tranquille, bon sang, que je prenne tes armes.

Eagle n'arrtait pas de sautiller dans tous les sens, et Cole en eut rapidement assez de le pourchasser. Avec un soupir, il le saisit au collet et l'assomma d'un coup de poing la mchoire. Ensuite, il l'attrapa par le revers de sa veste pour le traner vers Norton.

Le shrif tait rayonnant.

- Va falloir que je fasse venir le toubib, constata-t-il.

- a me parat s'imposer, acquiesa Cole.

Norton se prcipita pour ouvrir les grilles de deux cellules, et une minute plus tard, les voyous taient derrire les barreaux.

Le shrif n'avait pas eu le temps de fliciter les marshals qu'un employ du tlgraphe appelait Ryan. Quand Cole le rejoignit sur le trottoir, il sut tout de suite que quelque chose n'allait pas. Ryan lui tendit le message, puis annona

- Il y a eu un nouveau hold-up.

- Combien de morts, cette fois ? demanda Norton.

- Sept.

- O ?

- Rockford Falls.

- Ce n'est pas trs loin.

- Quelle distance ?

- Une soixantaine de kilomtres, en terrain accident.

Ryan acquiesa.

- J'y vais. Soyez vigilant, au cas o l'un d'eux pointerait son nez par ici. Mais je doute que cela se produise, puisqu'ils ont dj dvalis la banque de cette ville. Tu m'accompagnes, Cole ?

Celui-ci rendit le tlgramme Ryan en secouant la tte.

- Ce n'est pas mon problme.

Ryan plissa les yeux et d'un geste brusque il poussa Cole, l'envoyant terre. Puis, avant mme que ce dernier se relve, les poings serrs, il s'excusa.

- Dsol. Je n'aurais pas d faire a... coute, tu as raison. Tu n'as rien demand, et ce n'est en effet pas ton problme, c'est le mien. Je pensais simplement - j'esprais - que tu serais d'accord pour m'aider. En tout cas, je n'accepterai pas ta dmission. Il faudra que tu ailles au bureau rgional pour rendre ton insigne. Le shrif Norton te dira o il se trouve. Maintenant, je dois partir Rockford Falls avant que tous les indices n'aient disparu... Sans rancune ?

Cole prit la main de Ryan contrecur.

- Sans rancune.

Ryan partit en courant vers les curies tandis que Cole suivait le shrif l'intrieur, afin de lui demander o se trouvait le bureau rgional.

- Si c'est trop loin, j'enverrai l'insigne par la poste, dit-il.

Norton s'assit lourdement son bureau et croisa les mains sur une liasse de papiers.

- Je ne crois pas que a plaira au marshal Ryan, rpliqua-t-il. Ces badges sont sacrs, fiston et, votre place, je ne me risquerais pas le contrarier. Il s'est donn un mal fou pour que vous soyez nomm, et je trouve mme bizarre quil abandonne si facilement la partie, pas vous ?

- Je ne le connais pas assez pour en juger.

- Vous tes sr que vous voulez donner votre dmission?

- Sr. Je ne suis pas fait pour reprsenter les autorits.

- Vous prfrez tre une tte brle? Il y en a ici qui pensent que ce n'est pas trs diffrent.

- Je suis un rancher, un point c'est tout.

- Alors, pourquoi tous ces types cherchent vous avoir? Que vous le vouliez ou non, vous vous tes taill une rputation de tireur d'lite, et ces garons ne renonceront pas courir aprs la gloire. Il me semble que la seule faon pour vous de rester en vie, c'est de garder cet insigne. On y rflchit deux fois avant de tirer sur un marshal.

- Pas tout le monde, rtorqua Cole. Alors, vous me dites o se trouve ce bureau ?

Norton ignora la requte.

- Je vais vous dire carrment ce que je pense, mon garon, voil ce que je vais faire ! dclara-t-il avec force. Le marshal Ryan a chou, mais moi je vous parle, et vous allez m'couter parce que je suis assez vieux pour tre votre pre et que vous me devez le respect. Nous avons un grave problme avec ce gang de Blackwater qui ravage la rgion et, comme vous vivez sur ce territoire, j'estime que a vous concerne aussi. Il n'y a pas longtemps, notre petite banque a t dvalise, et nous avons perdu quelques-uns de nos concitoyens, des gens honntes, gentils, qui ont eu seulement la malchance de se trouver l au mauvais moment. Ils ont t abattus comme des chiens ! On avait un tmoin, Luke McFarland, mais il n'a pas survcu bien longtemps, lui non plus.

- Je suis sincrement dsol, shrif, mais je ne...

- Luke a t touch pendant l'attaque de la banque, coupa le shrif, et il n'tait mme pas l'intrieur. Il passait sur le trottoir quand il a reu une balle perdue. Encore un coup de malchance. Le toubib l'a remis sur pied et, comme il avait vu deux des bandits par la fentre, il aurait t un tmoin prcieux contre ces salopards...

- Que lui est-il arriv ?

- Il a eu la gorge tranche, voil ce qui lui est arriv ! Et sa femme aussi. Ils dormaient tranquillement dans leur lit... Si vous aviez vu la chambre, fiston... Il y avait plus de sang que de peinture sur les murs. Jamais je ne pourrai oublier a! Et leurs petits garons ont vu le spectacle. C'est l'an, dix ans le mois dernier, qui les a dcouverts. Vous vous rendez compte ?

Cette histoire bouleversa Cole. Quel cauchemar ! Et qu'allaient devenir les enfants, prsent? Qui s'occuperait d'eux ? De quoi vivraient-ils ? Peut-tre seraient-ils disperss chez divers membres de la famille. Ou bien finiraient-ils par errer dans les rues, comme lui-mme quand il tait jeune.

Du coin de il vit Ryan passer au triple galop sur son cheval. Pourvu que le marshal retrouve ces monstres !

Il se tourna vers le shrif qui reprenait :

- Ils n'avaient pas de raison de tuer ces deux-l. Aucune raison. Et vous savez ce que dit Ryan ?

- Non.

- Que c'est un miracle qu'ils n'aient pas tu aussi les garons. Si l'un d'entre eux tait entr dans la pice pendant qu'ils faisaient leur sale boulot, ils l'auraient assassin, c'est sr. Et les deux autres aussi.

- Que va-t-il leur arriver?

Le shrif soupira, dcourag.

- Aux petits ? Ma Josey et moi, on a propos de les prendre chez nous, mais des parents, dans l'Est, ont dit qu'ils allaient s'en occuper. Ils se les partageront.

Moi, je n'aime pas a. Les frres, a doit tre lev ensemble.

Cole acquiesa, pensif.

- Je crois que je sais pourquoi ils ont tu la femme de Luke, poursuivit le shrif.

- Pourquoi ?

- Ils voulaient faire passer un message. Dornavant, ceux qui verront ou entendront quelque chose y rflchiront deux fois avant de parler. Pas de tmoins, c'est a le message.

- Ils finiront bien par commettre une erreur, un jour ou l'autre.

- C'est ce que tout le monde souhaite, fiston. Et je prie pour que a arrive le plus vite possible, parce que trop de braves gens sont morts, et pas seulement des hommes : des femmes et des enfants aussi. Ces types brleront en enfer pour l'ternit !

- Ils ont tu des enfants ?

- J'ai entendu parler d'une petite fille qui se trouvait dans la banque avec sa maman. Je n'en suis pas certain et j'ai interrog Ryan ce sujet, mais il a eu une drle d'expression et il est sorti sans me rpondre, alors je ne sais pas si c'est vrai ou non... Il a du pain sur la planche, en tout cas ! conclut Norton en hochant la tte. Vous avez l'intention de rentrer au ranch ?

- Je vais d'abord au Texas acheter des bouvillons. J'espre que le bureau rgional est sur le chemin, sinon...

- J'ai un service vous demander, l'interrompit le shrif. Je sais que je n'en ai pas le droit, aprs vous avoir frapp sur le crne, pourtant je me sens oblig de le faire...

- De quoi s'agit-il ?

- Gardez votre insigne jusqu' demain, le temps de rflchir. De toute faon la nuit va bientt tomber, alors a ne sera pas trop long. Au matin, si vous n'avez pas chang d'avis, je vous expliquerai quel est le chemin le plus court pour aller au bureau rgional. Avec votre belle boussole, vous ne risquerez pas de vous perdre... Non, ne secouez pas la tte, et pendant que nous y sommes, rpondez une autre question.

- Laquelle ? demanda Cole d'un ton plus sec qu'il ne l'aurait souhait.

- votre avis, pourquoi Ryan vous a-t-il bouscul avant de partir?

- Parce qu'il tait en colre.

Le shrif eut l'air satisfait.

- Vous vouliez lui taper dessus, hein ? Je vous ai vu fermer le poing - eh oui, fiston, je l'ai vu... et j'ai vu autre chose encore. Mais vous avez fait preuve de sang-froid, et puis le marshal Ryan s'est excus, je l'ai entendu de mes propres oreilles. Mais maintenant, je me demande s'il s'excusait de vous avoir molest, ou bien de cette autre chose...

Avant que Cole puisse lui demander d'tre un peu plus, clair, le shrif continua :

- Alors, vous restez ? Je vous invite avec Josey au restaurant. Si vous partez maintenant, vous ne ferez pas beaucoup de route avant le soir. votre place, je passerais une bonne nuit dans des draps bien blancs. Demain, je vous indiquerai la route prendre. videmment, vous souhaiterez sans doute passer par Rockford Falls...

Cole haussa les sourcils.

- Et pourquoi aurais-je envie d'aller Rockford Falls ?

Norton eut un petit rire.

- Pour rcuprer votre boussole, par exemple.

5

La petite communaut de Rockford Falls tait sous le choc. En deux jours, elle venait de perdre huit bons citoyens, et un autre certes moins brillant mais dont on dplorait quand mme le dcs.

L'pidmie de grippe qui avait touch la moiti de la population tait responsable de deux morts. Adlade Westcott, une dlicieuse clibataire de soixante-dix-huit ans qui possdait encore toutes ses dents, et l'adorable Tobias Dollen, g de huit mois. Tous deux avaient succomb une heure d'intervalle, suite des complications, avait dit le mdecin.

La ville portait le deuil. Les habitants valides avaient assist aux funrailles, tandis que ceux qui ne pouvaient quitter la chambre priaient pour le repos des mes.

Adlade et Tobias furent enterrs le mercredi matin et, l'aprs-midi mme, six hommes taient sauvagement assassins lors de l'attaque de la banque. La dernire victime fut Billie Bukshot, dit Jambes Torses, l'ivrogne de la ville qui, supposa-t-on, se rendait de son taudis des faubourgs vers le saloon pour y prendre son petit djeuner. Billie tait un routinier. Il commenait sa journe vers deux ou trois heures de l'aprs-midi, et prenait un raccourci par l'alle qui sparait la banque de l'picerie. Comme on le trouva avec son arme rouille serre contre lui, le shrif conclut qu'il avait eu la malchance de tomber sur les bandits alors qu'ils sortaient de la banque. Il n'avait pas eu la moindre chance. Tout le monde savait que tant qu'il n'avait pas aval son premier verre, il tremblait comme une feuille. Toutefois, il n'avait pas t tu par balle, comme les autres, mais l'aide d'un poignard, et d'aprs le nombre incalculable de blessures, celui qui s'tait charg de cette sinistre besogne avait d y prendre grand plaisir.

Personne n'avait entendu les coups de feu, ni vu les bandits, sans doute parce que la moiti de la population tait alite. Les gens qui avaient des choses faire dehors attendaient le crpuscule afin d'viter la chaleur, et les quelques passants qui avaient aperu Billie effondr dans l'alle ne s'en taient pas inquits, car c'tait un spectacle fort courant.

On perdit donc une heure prcieuse avant de se lancer la poursuite des criminels. Mme McCorkle demanda sa fille Emeline, encore convalescente, de l'accompagner la banque afin de voir ce qui retenait son mari. Folle d'inquitude, elle tambourina de toutes ses forces la porte de la banque. Comme elle n'obtenait pas de rponse, elle gagna la porte de derrire.

Elle pntra dans l'tablissement en appelant son mari, suivie par sa fille...

Leurs hurlements dchirants portrent jusqu'au cimetire, et les gens se prcipitrent pour voir ce qui se passait. Ceux qui arrivrent les premiers, avant que le shrif mt les scells, n'oublieraient jamais l'atroce spectacle. John Cletchem, le photographe que le shrif avait convoqu sur-le-champ, eut le cur si retourn qu'il dut sortir pour se soulager l'estomac. Franklin Caroll et Malcolm Watterson, touchs sans doute en mme temps, taient tombs l'un contre l'autre : toujours agenouills, ils avaient l'air de s'embrasser.

La ville tait en bullition quand Daniel Ryan arriva le lendemain matin, retard par une pluie torrentielle. Le shrif Sloan l'accueillit au seuil de la banque, lui expliqua rapidement de quoi il retournait, puis les deux hommes pntrrent dans l'tablissement.

Les corps taient toujours l, et si Ryan en fut remu, il ne le montra pas. Il se contenta d'examiner les cadavres sous tous les angles possibles, sans toutefois les bouger. Seule manifestation d'motion, il serrait les poings.

- Je ne savais pas si je devais faire emporter les corps ou non, dit Sloan d'une voix trangle. Ai-je eu raison ?

Avant que Ryan pt rpondre, il poursuivit

- On a trouv un autre cadavre, dehors. Celui de Billie, le pochard de la ville. On l'a tu avec un couteau, et le croque-mort l'a mis en terre sans me prvenir, aussi je n'ai pas de photos de lui.

La puanteur tait intolrable, et Sloan mit un mouchoir devant son nez. Incapable de regarder ses malheureux concitoyens, il contemplait le plafond.

- Je ne veux pas que les familles voient...

Le pauvre shrif ne put continuer. Il eut un haut-le-cur, se prcipita vers la porte et se plia en deux, vomissant devant la foule des badauds.

Ryan vint s'agenouiller prs d'un cadavre afin d'examiner une balle qui s'tait loge dans le plancher. Il entendit de nouveau les hoquets du shrif quand la porte s'ouvrit, laissant entrer une bouffe d'air frais.

Cole pntrait dans la pice. Ryan l'aperut et se tourna vers lui, guettant sa raction.

- Oh... Seigneur...

- Alors, tu te dfiles ou tu restes ? demanda schement Ryan.

Ses yeux flamboyaient de colre, prsent.

- Regarde bien, Cole. N'importe lequel de ces hommes pourrait tre un de tes frres. Ils vont souvent la banque, non ? Ta mre et ta sur aussi...

Sa voix claquait comme un coup de fouet.

Cole, ptrifi, ne pouvait quitter des yeux les deux corps agenouills.

- Et ne me rpte pas que ce n'est pas ton problme, continuait Ryan. a l'est depuis que je t'ai nomm marshal. Que tu le veuilles ou non, tu ne t'en iras pas. Tu m'aideras retrouver ces salauds.

Cole luttait contre l'envie de rejoindre le shrif dans la rue, et en mme temps une rage terrible l'envahissait. Personne ne mritait une telle mort. Personne.

Non, il n'allait pas tre malade. S'il se dtournait et sortait, ce serait une sorte de blasphme, une insulte envers ces morts.

Il s'broua et s'approcha enfin des cadavres.

- Je ne sais pas combien ils taient, dit-il aprs une bonne minute de silence, mais je suis pratiquement sr qu'ils ont t plusieurs tirer.

- Qu'est-ce qui te fait dire a ?

- L'angle de pntration des balles et les traces de poudre.

Il dsigna deux corps.

- La balle a pntr la tte de cet homme par la nuque, est sortie par le front et s'est ensuite plante dans le cou de celui-ci. Mme chose pour ces deux autres... Ils jouaient, ajouta Cole, cur. Ils s'amusaient essayer de faire deux victimes avec la mme balle... Mais tu l'avais dj devin, n'est-ce pas ?

- Oui.

- Le cambriolage a eu lieu hier. Pourquoi n'a-t-on pas encore enterr les cadavres ?

- Le shrif pensait qu'il valait mieux les laisser sur place pour que nous puissions les voir. mon avis, il est nouveau dans le mtier.

Cole hocha la tte.

- Il y a un corbillard dehors. Il faut une spulture ces malheureux.

- Eh bien, donne tes ordres, rtorqua Ryan avec une pointe de dfi dans la voix.

Cole se dirigea vers la porte, puis s'arrta, la main sur la poigne.

- Quand je suis hors de mon ranch, je travaille seul.

- Plus maintenant.

- Je dois t'avertir, je fais des choses... diffrentes; parfois illgales.

- a ne m'tonne pas.

Ils sortirent tous les deux, et Cole ordonna la foule de reculer afin que le corbillard puisse approcher. Le croque-mort, un homme au visage lunaire et aux larges paules, s'avana. Cole exigea que les corps soient recouverts d'un drap avant qu'on les sorte de la banque.

Le reporter du journal local protesta.

- On veut les voir ! cria-t-il. Pourquoi les cacher ?

Cole eut envie de lui mettre son poing dans la figure.

- Ils n'auraient pas aim laisser ce souvenir derrire eux.

Le gratte-papier n'abandonnait pas si facilement.

- Ils sont morts. Comment savez-vous ce qu'ils voulaient ?

Une femme dans la foule se mit sangloter bruyamment, tandis que Cole attendait de la part de Ryan une raction... qui ne vint pas.

- Oui, ils sont morts ! s'exclama Cole, furieux. Et prsent, ils parlent par la voix de la loi. Allez me chercher ces fichus draps !

Ryan acquiesa de la tte, puis il sortit la boussole de sa poche et la tendit son compagnon.

- Dsormais, tu es un vrai marshal...

6

Il fallut plus d'une heure pour dbarrasser la banque des six corps. cause de la rigidit cadavrique, le croque-mort eut toutes les peines du monde porter les deux morts agenouills dans sa voiture.

Les hommes qui l'assistaient parlaient voix basse, soit par respect pour les dfunts, soit parce qu'ils taient terrifis. L'un d'entre eux fut oblig de sortir quand l'employ des pompes funbres dclara que si les familles voulaient enterrer ceux qui taient rests genoux, il leur faudrait faire fabriquer des cercueils spciaux, ou leur couper les jambes.

Le plancher tait noir de sang sch, les traces indlbiles s'taient infiltres dans le bois.

Ryan interrogea le shrif Sloan, avant d'aller examiner le bureau du directeur et les guichets. Il rassembla tous les papiers qu'il trouvait, les mit dans une bote qu'il porta sur une vieille table tache d'encre prs des fentres. Tandis que Cole furetait afin de dcouvrir quand, pourquoi et comment le drame s'tait droul, Ryan s'assit au bureau et commena lire.

Sloan restait plant prs de la porte, visiblement nerveux.

- Quelque chose vous tracasse, shrif? demanda Ryan sans lever les yeux de ses documents.

- Je me disais qu'il faudrait que je recrute une autre quipe de volontaires, pour que nous nous lancions la poursuite de ce gang. Nous avons d cesser les recherches hier cause de la nuit. Si nous attendons davantage, nous ne verrons plus aucune piste.

- Bonne ide, approuva Ryan. Occupez-vous-en.

- Je vais prendre des hommes en qui j'ai confiance, comme hier.

Ryan haussa les paules.

- Vous connaissez vos administrs mieux que moi... Mais attention, je ne veux pas entendre parler de lynchage avant que nous ayons des preuves formelles. Si vous attrapez un suspect, amenez-le-moi ici.

Sloan grimaa.

- J'aurai du mal discipliner toute une quipe. Les gens savent ce qui s'est pass la banque, et certains pourraient...

- Vous y arriverez, shrif, coupa Ryan avec autorit.

- J'essaierai.

- a ne suffit pas. On ne rend pas la justice soi-mme, d'accord? Si l'un de vos amis s'avisait de dsobir, tirez-lui dessus.

Ryan pensait que Sloan allait sortir, mais il restait l, se dandiner d'un pied sur l'autre, visiblement embarrass.

- Autre chose ?

- Il me semble... et mes concitoyens sont de cet avis... que je devrais tre charg de l'enqute.

- Et pourquoi donc ?

- Je suis le shrif de Rockford Falls, c'est ma juridiction, pas la vtre. Je devrais tre responsable, et vous seriez mes assistants.

- Vous croyez que vous feriez du meilleur boulot que nous ?

- Peut-tre.

- Vous n'arrivez mme pas regarder les taches de sang sur le sol, objecta Ryan. Qu'est-ce qui vous fait penser que...

- C'est ma juridiction, s'entta Sloan.

Ryan soupira. Sa patience avait des limites !

- Le marshal Clayborne et moi-mme avons t envoys ici par les autorits, que cela vous plaise ou non. Laissez-nous, maintenant, et allez-vous occuper de rassembler une quipe.

Cole ne s'tait pas ml de la discussion; quand le shrif fut parti, il alla ouvrir une fentre. Une brise parfume de rsine lui caressa le visage. Il prit quelques profondes inspirations avant de se retourner vers Ryan, en s'appuyant la croise.

- Il a beaucoup plu, la nuit dernire et ce matin, fit-il remarquer.

- Je sais, je me suis fait tremper.

- On ne verra plus la moindre trace.

Ryan lui jeta un coup d'il par-dessus son paule.

- Je le sais aussi. Je voulais simplement nous dbarrasser de Sloan.

Cole croisa les bras.

- Les bandits qui ont fait le coup sont loin, l'heure qu'il est.

- Tous les reprsentants de la loi ont reu des tlgrammes ds hier, et on bloque les routes principales, ainsi que les gares et les fleuves. Pourtant, ces salauds vont passer travers les mailles du filet. Ils sont malins, trs malins... Tu sais ce que je redoute le plus ?

- Non.

Ryan baissa la voix.

- Qu'ils arrtent, et que je ne puisse plus les pincer.

- Ils n'arrteront pas, assura Cole avec un geste en direction des taches de sang. Ils y prennent trop de plaisir.

- Je pense que tu as raison. Ils aiment vraiment tuer.

- Combien de banques ont-ils dvalises ?

- Environ une douzaine.

- Et ils s'en sont sortis chaque fois ?

- Soit ils ont de la chance, soit ils sont extrmement intelligents.

- Quand a eu lieu la premire attaque ?

- Il y a deux ans, au printemps. Il s'agissait d'une banque au Texas. Blackwater, prcisment. C'est de l que vient leur nom.

- Le gang de Blackwater...

- Oui. Ils sont entrs dans la banque pendant la nuit, l'ont arrose de krosne avant de partir. Personne n'a vu quoi que ce soit.

- Il y a eu des victimes ?

- Non, rpondit Ryan. Deux semaines plus tard, a a t le tour d'une banque Holiste, dans l'Oklahoma. Toujours la nuit, mais cette fois sans mettre le feu.

- Ils l'ont vandalise ?

- Pas du tout. Ils n'ont touch qu' l'argent et n'ont laiss aucun indice derrire eux.

- Comment sais-tu que les deux cambriolages ont t perptrs par la mme bande ?

Ryan haussa les paules.

- Lintuition principalement... Et quelques similitudes. Les deux fois, ils ont agi la nuit, et aprs que le gouvernement a dpos la paye des militaires pour les forts voisins.

- Et la troisime ?

- Pelton, Kansas. L, ils ont chang de tactique. Ils sont venus juste l'heure de la fermeture, comme ici. Sur les sept personnes qui se trouvaient l'intrieur, deux ont t tues. La fusillade a commenc quand un des employs a voulu sortir son arme. Il n'a pas eu le temps de s'en servir.

- Alors l, tu avais des tmoins ?

- Oui, mais ils n'ont pas servi grand-chose. Les bandits taient masqus, et il y en avait un seul qui parlait. Avec l'accent du Sud.

- Combien taient-ils ?

- Sept.

- Et ils cherchaient aussi la paye des militaires ?

- Oui.

Cole laissa passer un silence, pour rflchir.

- Ensuite, o ont-ils frapp ?

- Au Texas de nouveau, rpondit Ryan. Dillon.

- C'est l que tu habites, n'est-ce pas ?

Devant l'air tonn de Ryan, Cole expliqua :

- J'ai effectu une vague enqute ton sujet, quand tu as vol la boussole ma mre.

- Et qu'as-tu appris d'autre

- Pas grand-chose... Il y a eu des morts, Dillon?

- Oui, dclara Ryan, la voix sourde. Sacrment trop de morts... La banque de Dillon a t la dernire, cette anne-l. Ils ont disparu pendant l'automne et l'hiver, pour recommencer au printemps. L'an pass, ils sont monts vers le nord, ils sont devenus plus violents, et cette anne, les trois banques qu'ils ont attaques se trouvaient dans le Montana.

- Sans doute parce qu'il est facile de se cacher sur ce territoire.

- C'est mon avis. Ils se tiennent l'cart des grandes villes.

- Le shrif Norton m'a parl du tmoin de Middleton.

- Luke McFarland. Il passait devant la banque au moment du cambriolage. Il m'a dit qu'il avait entendu des coups de feu, mais qu'il regardait dj par un interstice du store, car quelque chose l'avait intrigu...

- De quoi s'agissait-il ?

- Des rires.

Cole ne parut pas surpris.

- Je te l'ai dit, je crois qu'ils adorent a... Et a va empirer si tu ne les arrtes pas.

- Si nous ne les arrtons pas, rectifia Ryan. Tu es dans le coup, maintenant.

- On dirait, en effet... Luke t'a-t-il racont comment les gens qui taient l'intrieur sont morts ? Les a-t-on forcs se mettre genoux ?

- Non. On les avait aligns le long du mur. Les mettre genoux, c'est nouveau. Le poignard aussi, c'est nouveau.

Ryan se massa la nuque.

- Bon sang, je n'en peux plus...

- Tu n'aurais pas d dormir sous la pluie, ce n'est plus de ton ge.

Ryan sourit.

- Je n'ai qu'un an de plus que toi.

- Comment le sais-tu ?

- Je sais tout de toi.

Cole se garda bien de manifester son tonnement.

- Pourquoi n'as-tu pas protg ton tmoin, Middleton ?

- J'ai essay. Mais on m'a signal une autre attaque, Hartfield, et j'ai laiss au marshal Davidson le soin de veiller sur McFarland et sa famille.

- Qu'est-ce que Luke t'a dit d'autre ?

- Il n'a vu que deux hommes, par la fente. L'un d'eux a enlev son masque et il a aperu son profil. Il pensait toutefois qu'il serait incapable de le reconnatre dans la rue. Il tait grand, mince.

- C'est tout ?

- Oui.

- Que faisait le marshal Davidson quand Luke a t tu ?

- On lui avait tir dessus. Il s'en sortira, mais il en a pour un moment. Le mdecin lui a extrait trois balles du corps.

- Le shrif Norton m'a racont comment McFarland et sa femme ont t tus. Il pense que la mort de la femme tait une sorte de message, et que tu auras du mal obtenir des tmoignages.

- Norton t'a-t-il parl de son pass? demanda Ryan.

- Non, pourquoi ?

- Simple curiosit. As-tu dj entendu parler d'un type nomm Laredo Kid ?

- Bien sr ! C'tait une vritable lgende, quand j'tais enfant. Une tte brle, un fou mais sacrment rapide. Il est srement mort, prsent. C'est Norton qui l'a eu ?

Ryan sourit, amus.

- Laredo n'est pas mort. Il est mme devenu shrif.

- Norton... ? demanda Cole, incrdule.

- Je te jure que c'est vrai.

- Il aurait pu tre abattu. On trouve toujours un tireur plus rapide que soi. Il a de la chance d'tre encore en vie.

- Ouais, surtout avec la nourriture que lui mijote sa femme ! Elle t'a fait goter son fameux poulet frit ? J'ai cru que je n'y survivrais pas.

Cole clata de rire.

- Elle a essay, avoua-t-il, mais je n'y ai pas touch.

Ryan revint la triste ralit en voyant les marques brunes sur le plancher.

- Tu as eu le temps d'examiner les lieux. ton avis, comment a s'est pass ?

Cole avait retrouv son srieux.

- Je peux te dire ce qui ne s'est pas pass. Je n'ai vu aucune trace de bagarre, ils n'ont pas essay de se dfendre. Il y a des armes dans les tiroirs caisses, et elles sont charges, mais personne ne s'en est servi... Maintenant, dis-moi une chose, Ryan. Pourquoi me cherchais-tu ? Il y a des individus bien plus qualifis que moi pour porter cet insigne.

- C'tait toi que je voulais.

- Pourquoi ? Insista Cole.

- C'est compliqu...

- Ce n'est pas une rponse.

La chaise roulettes alla frapper le mur quand Ryan se leva pour s'appuyer au bureau, mais ils n'y prtrent aucune attention. Ils se fixaient, les yeux dans les yeux.

Il y eut une longue minute de silence, puis Ryan se dcida parler.

- D'accord, je vais te dire pourquoi je t'ai choisi. J'ai commenc m'intresser toi il y a longtemps, quand j'ai entendu parler de tes ennuis Abilene, et de la faon dont tu t'en tais tir.

- On a srement exagr.

- Non, j'ai vrifi. Tu savais ce qu'ils allaient faire cette femme, et tu...

- Je te le rpte, coupa Cole, on a beaucoup exagr.

- Tu as tir travers elle pour abattre cet homme.

- J'ai tir le long de son bras, la balle n'a pas touch l'os. Elle s'en est sortie avec une gratignure.

- Mais lui, il est mort.

- Il le fallait.

- Je pourrais te donner une vingtaine d'autres exemples.

- Je suis plutt bon tireur, admit Cole. Et alors ? Je ne suis pas le seul.

- Tu veux connatre la meilleure de mes raisons ?

- Certainement.

- Tu penses comme eux.

- Comme qui ?

- Les salauds qui sont venus dvaliser cette banque et ont tu ces gens.

- Fils de... ! Rugit Cole. Tu me crois capable d'une telle horreur?

Ryan leva les mains en signe d'apaisement.

- Je n'ai pas dit a, j'ai seulement dit que tu raisonnais comme eux. Tu peux te mettre leur place, Cole. Moi, j'ai essay et je n'y arrive pas.

- Tu es fou, Ryan !

- Possible, mais j'ai besoin d'un homme dcid, qui n'hsitera pas enfreindre la loi si la situation l'exige. Un homme en qui j'aie confiance, or j'ai confiance en toi.

- En vertu de quoi ?

- De toutes les histoires dont tu prtends qu'elles n'ont pas exist. J'ai voyag avec ta mre jusqu' Salt Lake City et elle m'a racont des tas de choses sur toi. Sait-elle quel point tu peux tre cruel, impitoyable ?

Cole refusa de rpondre.

- Elle pense que tu as pris la mauvaise voie, Cole. C'est pourquoi elle voulait te donner la boussole.

- Cette boussole que tu as garde pendant plus d'un an.

Ryan haussa les paules.

- Elle m'a confi que cette boussole tait destine t'indiquer le droit chemin. mon avis, je suis en train de t'y aider.

- Je ne suis pas cruel.

- Quand il le faut, si. J'ai galement entendu parler de Springfield.

- Au diable !

- Tu vas m'aider, oui ou non ?

Cole avait dj pris sa dcision. Il n'oublierait pas de sitt la vue des cadavres, et il ne dormirait plus tant qu'on n'aurait pas attrap ceux qui avaient commis cette atrocit. Il ne pouvait pas se drober, tout simplement.

- Je les veux, murmura-t-il. Mais ds que ce sera fini, je rendrai l'insigne.

- Tu pourrais dcider de le garder...

- Je n'en sais rien, concda Cole. Existe-t-il des rgles spciales pour les marshals ? J'ai horreur des rgles.

- En principe, ils sont affects un endroit prcis, mais toi et moi reprsentons des cas particuliers. Nous sommes dtachs pour une mission ponctuelle. Quant aux rgles, ne t'en proccupe pas. C'est une simple question de bon sens. Par exemple, les marshals ne peuvent tre condamns pour meurtre, mentit-il, imperturbable.

Cole clata de rire.

- a tombe bien !

Ryan se redressa, tira son dos douloureux.

- Tu devrais jeter un coup d'il ces papiers, pendant que je vrifie une dernire fois tous les tiroirs.

Ryan se dirigeait vers le bureau de McCorkle, quand Cole le rappela :

- Que suis-je cens chercher?

- Le nom des clients qui se sont prsents la banque hier. Le directeur insistait pour que ses employs notent tout.

- Et quand nous aurons la liste des clients ?

- Nous irons les voir. Peut-tre auront-ils remarqu quelque chose d'inhabituel.

- Cela s'est dj produit?

- Non, mais on ne sait jamais. Il faudra bien que ces salauds se trahissent un jour. L'un d'eux est peut-tre venu en reconnaissance, plus tt dans la journe...

- Ne rve pas, Ryan.

- En tout cas, il faut tudier toutes les possibilits. Apparemment, la banque n'a pas chm, hier. Nous en avons jusqu' la fin de la journe pour parcourir ces notes !

Ils se partagrent la liasse de feuilles, et Ryan alla consulter les siennes dans le bureau du directeur. Cole ouvrit le tiroir du vieux bureau, la recherche d'un papier et d'un crayon pour rdiger sa liste. Ensuite, il se dirigea vers la chaise que Ryan avait envoy buter contre le mur. Soudain une tache bleue sous le bureau attira son attention.

- Il faudrait tout examiner au moins trois fois, au cas o quelque chose nous aurait chapp ! lui cria Ryan depuis la pice voisine.

- Nous en avons pour une semaine ! rpliqua Cole en s'agenouillant afin de ramasser une bourse bleu ple au ruban de satin.

Il l'ouvrit. Vide. Cole considra l'objet quelques secondes, avant d'appeler son coquipier.

- H, Ryan, tu sais qui travaillait cette place ?

- Oui ! J'ai le nom dans mes notes.

- Tu te rappelles s'il s'agit d'un homme ou d'une femme ?

Il y avait dans sa voix une trange intonation qui alerta Ryan.

- Un homme.

- L'un de ceux qui ont t tus ?

- Non, il tait malade, hier.

Cole se releva.

- Tiens, tiens, tiens... murmura-t-il.

- Tu as trouv quelque chose d'intressant ?

- Peut-tre. Ou peut-tre pas... Saurais-tu par hasard quand on a fait le mnage ici pour la dernire fois ?

- C'est la premire question que j'ai pose Sloan, car nous devrons aussi fouiller les corbeilles papiers. D'aprs lui, McCorkle tait un maniaque de l'ordre. On nettoyait la pice tous les soirs, et il en vrifiait la propret chaque matin. Tout ce qu'il y a dans les poubelles date d'hier.

- Tu es certain que le mnage a t fait mardi ? Ryan, intrigu, se leva et vint rejoindre son compagnon.

- Absolument certain... Pourquoi ? Qu'as-tu dcouvert ?

- Une possibilit.

- Possibilit de quoi ?

Cole esquissa un sourire.

- D'un tmoin.

7

Trois femmes s'taient prsentes au guichet de la banque entre une heure et trois heures le jour du cambriolage : ils en taient srs, grce aux rgles draconiennes imposes par le directeur. McCorkle exigeait que chaque transaction - y compris la monnaie sur un dollar - ft rpertorie avec le nom du client. Il tenait galement ce que les comptes soient spars entre le matin et l'aprs-midi. Les reus du mercredi matin taient encore sur son bureau en trois piles bien nettes. Il y avait aussi derrire sa table un grand meuble o il rangeait les documents divers, prts, hypothques, cltures de comptes, tous soigneusement dats.

Que Dieu bnisse Sherman McCorkle pour avoir t si tatillon ! se disait Ryan.

Il leur fallut toute la fin de la journe pour examiner les papiers. En tout, vingt-neuf personnes taient venues la banque ce jour-l, dont dix-huit le matin, et aucune femme. La banque fermait de midi une heure, et l'aprs-midi avait vu dfiler onze clients, dont trois femmes.

Lune d'elles avait oubli sa bourse.

Ryan et Cole, prudents, dcidrent de garder cette nouvelle pour eux.

- Nous risquons de prendre nos dsirs pour des ralits, dit Cole.

- Possible. Pourtant, j'ai le sentiment que...

- Moi aussi. Mais peut-tre cette bourse est-elle l depuis des semaines.

- Nous devons parler le plus tt possible au couple qui s'occupe du mnage. J'ai les coordonnes, prcisa Ryan en feuilletant son bloc-notes. Voil. Mildred et Edward Stewart, Current Street... Allons-y tout de suite. a nous fera du bien de prendre un peu l'air.

Ensemble, ils se rendirent dans les faubourgs o habitaient les Stewart, et ce fut leur fille qui ouvrit. Ses parents travaillaient, expliqua-t-elle. Ils s'occupaient tous les soirs de la banque, de l'glise et de l'picerie.

Les deux marshals rebroussrent chemin.

Il y avait de la lumire derrire les stores de l'picerie, et Edward Stewart vint leur ouvrir ds qu'ils se furent prsents.

Mildred tait quatre pattes en train de frotter le plancher. Elle se releva avec peine en s'essuyant les mains sur son tablier. Son mari et elle n'taient plus tout jeunes, et leur expression lasse, leurs paules votes, on devinait qu'ils avaient travaill comme des forats toute leur vie.

- Nous savons que vous tes surchargs, mais nous vous serions reconnaissants de bien vouloir rpondre quelques questions, commena Ryan.

- On sera contents de vous aider, affirma Edward. Il y a des chaises derrire le comptoir, si vous voulez vous asseoir. Le plancher doit tre sec, de ce ct-l.

- Nous ne serons pas longs, promit Ryan. Avez-vous fait le mnage la banque, mardi soir ?

- Oui m'sieur, bien sr, comme tous les soirs sauf le dimanche, et M. McCorkle nous payait le lundi matin.

- Vous croyez que le nouveau directeur nous gardera ? Sinquita Mildred. On travaille dur, et on demande pas trs cher.

Elle tortillait le coin de son tablier, le front pliss d'inquitude.

- Je suis sr que vous n'avez rien craindre, la rassura Ryan. Quand vous faites le mnage la banque, vous lavez aussi le plancher, ou vous le balayez ?

- Les deux. Je balaie d'abord, puis je frotte avec du vinaigre et de l'eau. Quand j'ai fini, ils brillent rudement, mes parquets, hein Edward ?

- Pour sr !

- Vous ne bougez pas les meubles ? demanda Cole.

- Pas les gros, seulement les chaises et les corbeilles papiers. Je passe partout, sous les guichets, sous les bureaux des employs... On travaille vraiment srieusement, insista-t-elle.

- M. McCorkle vrifiait toujours notre boulot, renchrit son mari. Parfois il se penchait pour regarder dans tous les coins s'il ne restait pas un peu de poussire ou une toile d'araigne, et s'il en trouvait, il rduisait la paye. Il tait diablement exigeant !

- Il achetait des meubles d'occasion pour ses employs, mais il disait qu'avec un peu d'huile de coude on arriverait les ravoir. Y en avait qu'on aurait d jeter depuis longtemps, mais M. McCorkle il aimait pas gcher.

- Il avait quand mme de beaux meubles tout neufs dans son bureau...

Cole aperut un panier de pommes sur le comptoir et, aprs avoir pris une pice dans sa poche, il en choisit deux et en lana une Ryan.

- Arrive-t-il, madame, que les clients de la banque oublient des choses quand ils s'en vont ?

- Bien sr. Un jour, j'ai dcouvert une jolie broche, et Edward un porte-monnaie avec six dollars ! Il y a une bote pour les objets trouvs dans le bureau de M. McCorkle, ct du coffre-fort.

- Et mardi, vous n'avez rien trouv ?

Le couple secoua la tte.

- Vous avez bien nettoy sous les bureaux, ce soir-l ? Insista Cole.

- videmment ! Tous les jours sauf le dimanche, rpta Mildred. Pourquoi ?

- Comme a...

- Mme quand on tait fatigus, on faisait notre travail fond, sinon M. McCorkle nous retenait de l'argent sur la paye.

- Il tait dur avec le personnel, murmura Mildred.

- On ne doit pas dire du mal des morts, lui rappela son mari.

- C'est pourtant la vrit.

- Nous allons vous laisser, annona Ryan. Merci de votre aide.

Edward les raccompagna la porte.

- Vous croyez que la femme de M. McCorkle acceptera de nous payer pour les deux soirs de mnage ?

- Je lui en parlerai, mais si elle ne le fait pas, je m'assurerai que le nouveau directeur s'en chargera.

- Merci. Si on peut vous aider pincer les sales types qui ont tu nos amis, n'hsitez pas nous le dire, marshal.

- Promis.

Les deux hommes se retrouvrent dans la rue.

- Et maintenant ? demanda Cole.

- Nous allons retourner la banque et ranger tous les papiers. Il n'y en a pas pour longtemps.

- Tu crois que le restaurant est encore ouvert ?

- Non. Tu devras te contenter de ta pomme en guise de souper. J'aimerais bien rendre une petite visite aux trois clientes d'hier, mais j'ignore leurs adresses.

- Le shrif nous les donnera ds qu'il rentrera de sa mission.

- En effet.

Ils marchrent en silence quelques minutes, puis Cole reprit la parole :

- En tout cas, nous sommes certains que la bourse a t perdue le jour du cambriolage... Mais pourquoi une femme laisserait-elle sa bourse derrire elle ?

- cause de la panique, peut-tre.

- Si elle tait cache sous le bureau, elle a tout vu.

- Elle a peut-tre tout vu, corrigea Ryan. Il faut que nous parlions l'homme qui occupe habituellement cette place.

Il tendit la cl de la banque Cole, tandis qu'il consultait de nouveau ses notes. Une fois la lampe allume, il trouva ce qu'il cherchait.

- Lemont Morganstaff. Nous irons le voir demain matin. Peut-tre sait-il quelque chose au sujet de cette bourse.

- Que veux-tu qu'il sache ?

- Sans doute rien, mais mieux vaut s'en assurer.

- Et aprs ?

- Nous chercherons les trois femmes qui nous intressent. L'une d'elles a pu s'asseoir ce bureau pour remplir des papiers et avoir laiss tomber sa bourse en se relevant... Bon sang, quel dommage qu'il soit si tard !

- Il y a de nombreuses possibilits. a pourrait tre le matin, aussi. Une femme qui accompagnait son mari et l'attendait assise ce bureau.

- Mais pourquoi aurait-elle port une bourse vide ?

- J'ignore dj pourquoi les femmes en portent une. Les poches sont bien plus pratiques !

Ryan secoua la tte.

- Seigneur, j'espre qu'elle a tout vu!

- Alors, qui est cruel, cette fois ? Si elle a assist au carnage, elle doit tre absolument folle de terreur, et elle n'a certainement aucune envie de se faire connatre.

- Nous la protgerons.

- Elle ne nous fera pas confiance, surtout si elle a entendu parler de ce qui est arriv McFarland.

Ryan se mit arpenter la pice en vitant les sinistres marques brunes.

- Cette fois, nous allons suivre la procdure la lettre. Nous retournerons chaque pierre de cette rgion.

- Je ne connais pas la procdure, s'impatienta Cole. Je suis marshal depuis seulement vingt-quatre heures.

- Nous verrons d'abord les trois femmes, ensuite nous interrogerons tous les hommes qui sont venus la banque hier.

- Quelle perte de temps !

- C'est la procdure.

Cole terminait sa pomme.

- D'accord, comme tu voudras. Tu interrogeras quinze personnes et je m'occuperai des quatorze autres.

- Non, a ne marche pas comme a. Nous les questionnerons ensemble, puis nous comparerons nos notes. Ainsi, rien ne nous chappera. Nous verrons les trois femmes en premier, rpta Ryan. Puis les hommes. Ensuite, tous les gens qui se trouvaient dans la rue ou dans l'une des maisons proches de la banque. Nous allons aussi...

- Bref, nous interrogerons tout le monde, coupa Cole.

- Pratiquement. Et cela ne m'enchante pas, mais nous aurons besoin de Sloan. Il connat ces gens, et ils lui fourniront peut-tre des informations qu'ils ne donneraient pas des trangers. Je lui confierai la liste ds son retour.

Ryan s'arrta, regarda autour de lui.

- Je crois que nous en avons termin ici. Je vais ranger les papiers dans le coffre. Les comptables de la banque de Gramby seront l dimanche pour vrifier les comptes de McCorkle, et nous connatrons alors le montant exact de la somme vole. Retrouvons-nous sept heures demain matin, nous demanderons Sloan de rassembler les gens qui nous voulons parler.

- mon avis, ce ne serait pas trs astucieux de les interroger ici. Mieux vaut utiliser le bureau de la prison.

- La prison met les gens mal l'aise, protesta Ryan.

- Les traces de sang les rendront encore plus nerveux!

- Tu as raison. Va pour la prison.

Ils quittrent enfin l'tablissement.

- Tu as pris une chambre l'htel ? demanda Ryan.

- Pas encore. Je me suis rendu directement la banque. Et toi ?

- Moi non plus. Tu as toujours faim ?

- Terriblement ! rpondit Cole. Peut-tre pourra-t-on faire quelque chose pour nous l'htel ?

- J'en suis certain. En tant que marshals, nous avons tous les droits.

Cole clata de rire.

- Il faut bien qu'il y ait un ou deux petits avantages ce mtier !

Ils marchrent un moment sans rien dire, clairs par la pleine lune.

- A ton avis, combien d'argent ont-ils emport ? demanda Cole.

- J'ai vu un bordereau sur le bureau de McCorkle. Le trsorier de l'arme a dpos une grosse somme, ce matin-l. Dix-sept mille huit cents et des poussires.

Cole mit un petit sifflement.

- Un sacr tas de dollars ! Je suis sr que ces canailles taient au courant !

- C'est bien mon avis. Ils ont suivi le type, c'est aussi simple que a.

- Alors, pourquoi se donner la peine de dvaliser une banque ? Pourquoi n'ont-ils pas tout simplement attaqu le trsorier quand il convoyait l'argent ?

- Trop dangereux. Le trsorier n'tait pas seul, et les gardes qui l'accompagnent habituellement sont de fins tireurs. Les banques, c'est plus facile.

Ils atteignaient l'htel, o on leur attribua les deux chambres restantes, sortes de placards balais sous les combles. Celle de Cole donnait sur la rue, celle de Ryan se trouvait de l'autre ct. Malgr tout, les lits taient confortables, et le gardien de nuit se laissa persuader de leur prparer une collation.

Les deux marshals ne dormirent gure, cette nuit-l. Cole songeait au spectacle apocalyptique qu'il avait dcouvert dans la banque, et Ryan ne cessait de penser au tmoin ventuel.

8

Au matin, comme convenu, les marshals se retrouvrent la banque, o le shrif Sloan les attendait pour leur annoncer que l'quipe de recherche tait rentre bredouille. Pas la moindre piste. Ryan lui remit la liste des gens qu'il voulait voir la prison, les trois femmes en premier.

Le shrif y jeta un coup d'il, puis il secoua la tte.

- Certaines de ces personnes sont malades comme des chiens. La grippe a t redoutable. D'autres s'apprtent quitter la ville. J'ai crois le Dr Lawrence au restaurant, et il a pass la nuit soigner la famille Walsh, or vous avez John Walsh sur la liste. Frederick O'Malley a l'intention de partir d'ici avec les siens ds qu'il aura pu acheter des provisions au magasin.

- Personne ne quittera Rockford Falls avant que le marshal Clayborne et moi-mme lui ayons parl. Cela vaut pour O'Malley comme pour les autres.

- Mais je ne peux pas l'obliger rester!

- Moi, si, rpliqua Ryan.

- Cela me parat une perte de temps, argumenta Sloan. Si un citoyen avait vu quelque chose, il se serait manifest.

- Le marshal Ryan tient suivre la procdure la lettre, expliqua Cole.

Sloan avisa le petit sac bleu.

- D'o vient cette bourse ?

- Elle tait sous un bureau, rpondit Ryan.

- Quelqu'un l'aurait laisse l ?

- a semble vident. Et nous aimerions savoir qui elle appartient.

Le regard de Sloan s'illumina.

- Il faut qu'elle ait t oublie le jour de l'attaque, sinon les Stewart, qui font le mnage la banque, l'auraient trouve la veille... Vous ne pensez pas qu'elle puisse appartenir l'un des bandits, n'est-ce pas ?

- Non, nous ne le pensons pas, rpondit Cole avec une pointe d'ironie.

- Sous quel bureau l'avez-vous dcouverte ?

- Celui de Lemont Morganstaff. D'ailleurs, nous souhaitons nous entretenir avec lui. Vous savez o il habite ?

- Bien sr. Je connais tout le monde, en ville. Je vous y emmne. Vous allez l'interroger au sujet de la bourse ?

- Nous en avons l'intention, rpliqua Ryan. Sloan avait le cerveau en bullition.

- O l'avez-vous trouve prcisment ? ct de la chaise, ou vraiment sous le bureau ?

- Sous le bureau. Dans un coin.

Sloan ouvrit de grands yeux.

- Vous pensez que quelqu'un aurait pu tre cach l-dessous ?

- Nous n'avons encore tir aucune conclusion, dit Ryan.

- Pourtant c'est une possibilit, non ?

- En effet. Mais cette histoire est confidentielle, shrif. Elle ne doit pas s'bruiter, compris ?

Sloan devint rouge comme une pivoine.

- Allons-y, s'impatienta Cole. Conduisez-nous chez Lemont et ensuite, commencez rassembler les gens qui sont sur la liste. Nous les recevrons la prison.

- Trs bien. Je vous attends dehors, grommela Sloan.

Ds qu'il fut sorti, Cole soupira.

- Ce n'tait pas trs malin de lui dire o la bourse a t trouve.

Ryan haussa les paules.

- C'est un reprsentant de la loi, et il va nous importuner si nous ne lui donnons pas, de temps autre, un os ronger. Quel tort pourrait-il nous causer ?

9

Du tort, Sloan pouvait en causer beaucoup, ils ne tardrent pas s'en apercevoir. Avant la fin de la matine, Ryan envisageait srieusement de l'enfermer dans sa propre prison pour l'empcher de nuire. Malheureusement, les autorits n'acceptaient pas que l'on incarcre un homme sous la simple accusation d'imbcillit !

Dans une petite ville comme Rockford Falls, tout se savait, et les rumeurs se rpandaient telle une trane de poudre.

Lemont Morganstaff, un vieil homme prcieux et arrogant, fut dment interrog. L'entretien se droula chez lui, dans un petit salon touffant. Vtu d'une robe de chambre de velours jaune vif et chauss de mules, Lemont avait l'air d'un perroquet. Assis dans un fauteuil la tapisserie fatigue, les bras poss sur des accoudoirs recouverts de dentelle, il pina les lvres un bon moment, avant de dcrter que la bourse n'avait pu tre trouve sous son bureau. Il se faisait une rgle, expliqua-t-il, de ne laisser aucun client, homme ou femme, franchir sa porte. videmment, comme il n'tait pas l le jour du cambriolage, il tait possible qu'un de ses collgues et transgress cette rgle d'or.

Le shrif Sloan, qui avait tenu assister l'entretien, laissa entendre que la bourse avait t dcouverte dans un coin, tout au fond.

- Elle n'a pas pu tre pousse de l'extrieur par le pied d'une personne ngligente, puisque votre bureau fait face au hall et que le panneau central descend jusqu' terre. Il a fallu que quelqu'un franchisse votre porte. J'ai mrement rflchi et je pense qu'une femme s'tait peut-tre cache l, pendant l'attaque. Je parierais que les marshals sont arrivs la mme conclusion. Il y avait trois femmes la banque cet aprs-midi-l leurs noms sont sur cette liste et je vais les contacter le plus vite possible. J'espre que celle qui a assist au massacre est simplement trop impressionne pour se faire connatre, mais si elle se drobe volontairement, je serai oblig de l'arrter.

Lemont, horrifi, porta un mouchoir de dentelle ses lvres.

- Une femme aurait assist cette tuerie ? Oh, la pauvre crature...

Ryan tenta aussitt de rparer les dgts causs par Sloan, tandis que Cole poussait le shrif vers la porte. Si par malheur les bandits apprenaient qu'un tmoin existait, sa vie serait en danger.

- Nous n'y croyons pas, prcisa-t-il. La bourse a pu se retrouver l de mille faons. De nombreuses femmes se rendent la banque, et l'une d'elles a pu s'asseoir votre bureau et l'avoir laisse tomber par mgarde.

Lemont ne se souciait gure de la logique du marshal.

- C'tait forcment le jour de l'attaque, dclara-t-il, tout excit. Les Stewart font le mnage fond tous les soirs... Pourtant, vous n'avez pas tort, a aurait pu se passer le matin. Vous trouverez dans les tiroirs caisses la liste de tous les clients qui sont venus au cours de la journe, continua-t-il, bouffi d'importance.

Malgr les efforts de Cole, Sloan parvint revenir vers Lemont.

- Les trois femmes qui figurent sur ma liste taient l l'aprs-midi. Jessica Summers, Grace Winthrop et Rebecca James. Vous les connaissez, Lemont ?

- Rebecca James, oui... Je l'ai vue hier soir, mais elle ne se sentait pas trs bien. Je crains qu'elle n'ait attrap cette sale grippe. Je lui ai conseill d'aller se mettre au lit, videmment. Elle tait dj passe la semaine dernire, pour me dire combien mon jardin est somptueux. C'est une esthte... Je ne connais pas les deux autres, mais vous savez, je vis en reclus. Quand je rentre de la banque, il ne me reste que deux heures avant la tombe de la nuit, et je les consacre entirement mes fleurs.

- Ces dames ne vivent pas Rockford Falls depuis longtemps, intervint Sloan. Cependant, vous tes certain de n'avoir jamais rencontr Jessica Summers ou Grace Winthrop ?

- Si c'est le cas, elles ne m'ont pas fait grosse impression.

Cole saisit Sloan par le bras et le poussa dehors, tandis que Ryan se tournait vers Lemont.

- Le shrif a parl trop vite, dit-il. Ses conclusions ne reposent sur rien de solide.

- C'est peut-tre une touriste qui a laiss cette bourse, rflchit Lemont. Il y en a beaucoup, cette poque de l'anne. Ils viennent admirer les cascades et s'extasier sur les milliers de fleurs sauvages qui tapissent nos collines. Ils ont mme parfois un sacr toupet ! Figurez-vous qu'il y a deux semaines, quelqu'un a ravag mon jardin en cueillant toutes mes tulipes. J'ai demand cent fois au shrif d'intervenir, mais maintenant que vous tes l, vous serez peut-tre en mesure d'arrter les coupables. Je porterai plainte, mme s'il s'agit d'un enfant ! La place des vandales est en prison.

Cole, qui revenait au salon, avait entendu la fin de son discours.

- Vous paraissez plus concern par votre jardin que par...

- Que par les gens qui sont morts la banque ? Coupa Lemont. C'est tout fait vrai. Voyez-vous, je prfre les fleurs aux humains. Leur mission sur terre est uniquement d'tre belles, or j'aime infiniment la beaut.

- Allons-y, suggra Cole Ryan. Nous avons assez abus du temps de M. Morganstaff.

- Si j'apprends que vous avez rapport notre conversation quiconque, je vous fais enfermer, menaa Ryan.

Lemont se hta de promettre qu'il serait muet comme une tombe...

Toutefois, il fut incapable de tenir sa langue. Une heure plus tard, quand un voisin vint lui rendre visite, il relata mot pour mot l'entretien avec les marshals. Il fit de mme avec sa femme de mnage, Ernestine Hopper, qui tait une commre notoire. Un peu simplette, elle menait une vie monotone, et ne pouvait en aucun cas garder pour elle une nouvelle de cette importance. Elle alla claironner sur tous les toits qu'il tait possible qu'il y et un tmoin du massacre, et au bout de quatre ou cinq fois, le mot possible avait disparu de son rcit.

En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, l'histoire s'talait la une de la Gazette de Rockford Falls. Le reporter avait convaincu le rdacteur en chef de tirer une dition spciale. C'tait la premire fois qu'on offrait aux citoyens deux ditions le mme jour, et le journal du soir fit l'effet d'une bombe dans la petite ville.

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Daniel Ryan tait d'humeur meurtrire. Cole lui suggra de commencer par le shrif, puis d'aller exterminer Morganstaff et ses fichues fleurs.

Furieux, les deux hommes se demandaient comment se dbarrasser de Sloan, tandis qu'ils se rendaient au restaurant de Melton. Ils n'avaient toujours pas pu parler aux trois femmes. Jessica Summers et Grace Winthrop ne devaient pas rentrer leur pension de famille avant l'heure du souper ; quant Rebecca James, qui sjournait l'htel, elle tait trop mal en point pour recevoir quiconque. Avec un peu de chance, elle irait mieux le lendemain.

Ryan et Cole avaient tout de mme interrog dix-huit clients qui avaient pntr dans la banque, ce jour-l, mais jusqu' prsent, ces entretiens s'taient rvls une perte de temps. Personne n'avait rien remarqu d'anormal.

Le soir tombait, pourtant leur journe n'tait pas t