Daniel Hémery, La Guerre d'Indochine (1945-1954)

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    La guerre d'Indochine (1945-1954)

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    La guerre d'Indochine

    (1945-1954)- Franais - International - Asie - Vietnam & Indochine - Histoire et dbats -

    Publication date: samedi 17 fvrier 2007

    Creation date: janvier 2007

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    La guerre d'Indochine (1945-1954)

    Aprs le coup de force japonais du 9 mars 1945 contre l'administration coloniale franaise et la proclamation de

    l'indpendance du Vietnam, du Laos et du Cambodge par les trois ex-protectorats, l'histoire indochinoise subit elle

    aussi une brutale acclration avec la fin de trois quarts de sicle de domination franaise. Tandis que le

    gouvernement imprial de Hu entreprend de runifier le Vietnam, Paris le gouvernement du gnral De Gaulle,

    qui entend rtablir la souverainet franaise sur la pninsule, proclame par la Dclaration du 24 mars sa volont de

    crer une Fdration Indochinoise remplaant la vieille Union indochinoise de 1887, compose des cinq

    anciens territoires et donc fonde sur le maintien de la division du Vietnam en trois ky (Cochinchine, Annam,

    Tonkin). C'est en outre ne pas prendre en compte le fait que la domination franaise a t renverse par l'arme

    japonaise et par la proclamation de l'indpendance des trois Etats indochinois. Car, sur place mais pour l'essentiel

    dans les trois pays vietnamiens de l'ancienne Indochine des Franais, ce qui s'est accompli ds avant le retour de

    ces derniers c'est une immense rvolution populaire assortie d'une radicale prise du pouvoir. En effet le

    gouvernement imprial de Hu devenu indpendant le 11 mars n'est pas parvenu imposer son autorit dans les

    provinces et partir de juin 1945 le pays se trouve submerg par une lame de fond populaire et nationale, la

    Rvolution d'aot . Dans les trois pays vietnamiens une immense vague rvolutionnaire soulve la paysannerie, la

    jeunesse et le petit peuple des villes : en aot, malgr la prsence de l'arme japonaise, elle-mme la veille de

    capituler, l'administration impriale (mandarins du Nord et du Centre, administration de l'ancienne Cochinchine au

    Sud) s'est effondre et partout s'ouvre la vacance du pouvoir. Les militants du PCI (Parti Communiste Indochinois)qui ont fond sous la direction de H Chi Minh en 1941 le Front Viet Minh* dans la Haute Rgion du Tonkin,

    s'emparent sans difficult, en l'absence de toute concurrence srieuse sauf au sud, du pouvoir Hanoi le 19 aot

    puis Hu et, plus difficilement, Saigon. Ils proclament la Rpublique Dmocratique du Vietnam prside par H

    Chi Minh et, une seconde fois, l'indpendance le 2 septembre 1945. L'empereur Bao Dai* a accept d'abdiquer le 25

    aot et il est devenu conseiller suprme du gouvernement H Chi Minh, l'investissant en quelque sorte du

    mandat cleste . Par contre, au Cambodge et au Laos les monarchies se sont maintenues avec Norodom

    Sihanouk* et Sisavang Vong.

    La Guerre d'Indochine, conflit non dclar, n'a pas t, contrairement la vulgate tablie, une guerre coloniale

    destine restaurer l'ordre colonial en place avant le 9 mars mais, trs exactement, comme ce sera le cas d'ailleursde toutes les rsistances armes des puissances europennes la dcolonisation, une guerre no-coloniale .

    Entreprise par la France, elle a eu pour enjeu la recherche et la mise en place, par la refonte gnrale des anciennes

    structures coloniales, d'une dpendance coloniale non seulement modernise mais historiquement nouvelle,

    no-coloniale au sens exact de ce terme. Trs proche en ce sens de ses homologues anglais et hollandais,

    l'ambitieux projet indochinois de la France, qui a t prpar au Commissariat des Colonies Alger en 1943-1944 et

    dont les matres d'oeuvre ont t Henri Laurentie, Pierre Messmer et surtout Lon Pignon, est bien sr radicalement

    incompatible avec les indpendances vietnamienne, cambodgienne et laotienne proclames cinq mois auparavant

    avec le soutien actif des Japonais. Pour le gouvernement du gnral De Gaulle et la nouvelle classe politique

    franaise issue de la Rsistance et de la Libration, il s'agit de fonder un systme no-colonial cohrent, tout d'abord

    sur la construction d'un nouveau partenariat politique avec les lites modernes des cinq pays et sur la mise en place

    d'une formule de self-government dans chacun d'entre eux sous le contrle d'un gouvernement fdral puissant

    prsid par le Haut-Commissaire de France (au dbut de 1945 un projet de Constitution indochinoise a d'ailleurs

    t secrtement rdig en ce sens). En second lieu sur la mise en oeuvre d'un plan d'industrialisation acclre de

    l'Indochine (il sera effectivement intgr au Plan Monnet) financ par l'investissement mtropolitain dans le double

    but de permettre ce dernier de participer, par le relais d'un capitalisme indochinois renouvel, la reconstruction

    conomique de la Chine et surtout de remdier au sous-dveloppement des campagnes vietnamiennes et khmres

    qui ne cesse de s'aggraver depuis les annes 1930. Tel est le vritable sens du concept gopolitique de

    Fdration indochinoise , celle-ci tant elle-mme pense comme la pice matresse du projet global d'Union

    Franaise alors en discussion. A Paris, l'on est convaincu de sa pertinence historique, malgr les avertissements

    d'un certain nombre d'acteurs de la situation indochinoise, notamment du grand orientaliste rsistant qu'est Paul

    Mus, conseiller politique du gnral Leclerc en 1945-1946.

    Ce projet est mis en oeuvre sans tarder. Aprs la capitulation du Japon, une arme franaise, le CEFEO (Corps

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    expditionnaire franais en Extrme-Orient ) dbarque Saigon le 5 septembre, tandis que l'amiral Thierry

    d'Argenlieu* et le gnral Leclerc sont nomms respectivement Haut Commissaire de France et commandant en

    chef, elle entreprend de roccuper l'Indochine. Avec la RDV qui met sur pied dans l'urgence ses premires units

    militaires rgulires, la guerre est invitable. Elle est cependant diffre par la relative faiblesse de chacun des

    adversaires et par la ncessit pour l'un comme pour l'autre d'carter par la ngociation la Chine du Guomindang

    dont les troupes, conformment aux dcisions de Potsdam, ont occup en septembre 1945 la moiti Nord de

    l'Indochine pour recevoir la capitulation de l'arme japonaise et soutiennent sur place les petits partis nationalistes

    vietnamiens farouchement hostiles au pouvoir communiste. D'o une anne de difficiles ngociations entre la RDV,les Franais, les Chinois, qui abandonnent finalement la partie en fvrier-mars 1946 alors que les troupes de Leclerc

    dbarquent Haiphong et s'installent Hanoi.

    L

    A GUERRE FRANCO-VIETNAMIENNE

    Si l'Indochine a t le lieu de la crise dcisive de la dcolonisation franaise, le conflit guerrier qui s'y ouvre ds

    l'automne 1945 participe en mme temps, avec les indpendances de l'Inde et de l'Indonsie, d'un tempo asiatique.

    Car c'est d'Asie du sud et du sud-est qu'est partie l'onde de choc de la dcolonisation et c'est l qu' l'chelle du

    monde son issue s'est dcide, quelle qu'ait pu tre l'importance des autres conflits de la dcolonisation. De mme,

    si le communisme vietnamien fait exception dans la dcolonisation de l'empire franais, il s'inscrit par contre dans un

    vaste processus de rvolutions asiatiques, synchrones, partir de l'impulsion chinoise, de la Birmanie la Core,

    mais pas forcment victorieuses.

    Ds septembre 1945 les communistes vietnamiens ont prpar l'preuve de force, sans ngliger pour autant la

    possibilit d'un compromis ngoci lequel a largement dpendu de l'volution du rapport des forces politiques en

    France et de la capacit du puissant Parti Communiste Franais de la Libration peser dans ce rapport, ils en

    savent la probabilit tant donn la volont franaise, mise en oeuvre par l'amiral D'Argenlieu et cautionn par tous

    les gouvernements qui vont se succder Paris en 1945 - 1946, d'appliquer le plan de Fdration Indochinoise.

    Certes les accords Sainteny-Ho Chi Minh du 6 mars 1946 conclus in extremis la veille du dbarquement franais

    au Tonkin ouvrent en apparence la voie ce compromis : La France reconnat un Etat libre du Viet Nam , qui fera

    partie de la Fdration et de l'Union franaise et dont l'unit sera dcide par rfrendum en Cochinchine, des

    ngociations plus compltes devant s'ouvrir sans tarder sur l'avenir. En fait, ils ont surtout permis aux deux

    adversaires de gagner du temps. Les ngociations s'avrent en fait trs difficiles comme le montre le pitinement de

    la Confrence de Dalat en mai 1946. H Chi Minh est bien reu en quasi chef d'Etat Paris en juillet, mais en

    juillet-aot la Confrence de Fontainebleau, destine dbloquer l'impasse, est un chec total. Ds lors la spirale de

    la guerre, dj en cours au Sud dans le delta du Mkong, est en marche. L'preuve de force est dlibrmentprpare depuis avril 1946 par le haut commandement franais et par D'Argenlieu*, qui, couvert par Paris, a bloqu

    en juillet le rfrendum en Cochinchine et encourag d'une phmre Rpublique Autonome de Cochinchine, et

    obtenu le dpart du gnral Leclerc en dsaccord avec ces choix. Avec le bombardement de Haiphong par la flotte

    franaise en novembre 1946 la tension est son comble. D'ultimes tentatives de ngociations n'y changeront rien :

    au soir du 19 dcembre le Viet Minh engage la bataille Hanoi contre les troupes franaises qui y stationnent et sont

    de toute faon sur pied de guerre, prtes elles-mmes passer l'action.

    La violence meurtrire de la Guerre d'Indochine s'affirme ds ses dbuts, elle prfigure et prpare la violence qui se

    dchanera dans la Guerre d'Algrie prochaine dont l'ombre porte efface aujourd'hui dans la conscience franaise

    et europenne l'ineffaable traumatisme qu'ont alors subi non seulement les peuples mais encore dans leur totalitles cosystmes humains de la pninsule indochinoise. Prolongeant les tendances lourdes de la Seconde Guerre

    Mondiale, c'est une guerre totale, une interminable spirale de feu et de sang - Apocalypse Now dira Coppola - qui

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    va emporter, un tiers de sicle durant, les populations civiles, les mobiliser de gr ou de force et les dcimer, comme

    le montrent dj en 1945 le massacre de 150 Franais et mtis la Cit Heyraud de Saigon, la sanglante bataille de

    Saigon en septembre, les oprations de pacification qui s'ensuivent sans jamais cesser dans le delta du Mkong,

    ce laboratoire des ratissages et de la gurilla rvolutionnaire, la longue bataille de Hanoi en dcembre 1946 et

    janvier 1947.

    Pour la France, la guerre a t d'abord perdue politiquement avant qu'elle ne le soit, en diffr, militairement. Car

    ds l't1947 aprs l'chec de l'offensive sur la Haute Rgion du Tonkin o s'est replie l'appareil politico-militaire de

    la RDV, l'hypothse franaise initiale d'une guerre relativement courte, qui semblait la plus crdible, s'avre

    totalement illusoire comme le prvoyaient lucidement le gnral Leclerc et son entourage. La perspective d'une

    guerre longue, qui s'installe alors, a pour premire consquence la ncessit pour la IVe Rpublique d'abandonner

    pour l'essentiel le projet de Fdration Indochinoise et d'envisager une transformation de l'ancienne monarchie des

    Nguyn en un Etat national moderne anti-communiste, par la mise en place - elle sera trs ardue - d'un accord avec

    les nationalistes, seule alternative envisageable opposer au communisme national vietnamien. Vraiment les

    Franais n'ont pas compris ce qui s'est pass en Extrme Orient , dplorera avec raison l'ex-empereur Bao Dai* qui

    a accept de devenir chef de l'Etat du Vet Nam. Paris opte donc au dbut de 1947, aprs le renvoi de d'Argenlieu,

    pour une nouvelle stratgie, celle des Etats Associs . L'ex-empereur Bao Dai signe en juin 1948 les Accords de

    la Baie d'Along sur la base de la reconnaissance, qui sera dans les faits trs rticente, par la France del'indpendance du Vietnam, mais il ne rentre qu'en avril 1949 dans son pays o les gouvernements successifs et

    l'administration de son fragile Etat du Vit Nam ne parviendront jamais s'imposer.

    A l'origine pourtant, le rapport des forces militaires penche du ct franais. Le corps expditionnaire compte

    environ 100 000 hommes en 1947 quips du matriel moderne de la Seconde Guerre Mondiale, face aux 80 000

    combattants rguliers vietnamiens, mais il faut compter avec les milices villageoises et les units rgionales qui

    pratiquent une gurilla grande chelle selon les conceptions de la guerre rvolutionnaire mises au point depuis

    1927 dans les bases de la Chine sovitique puis Yanan. Et surtout, en octobre1949 est proclame Pkin la

    Chine Populaire dont l'arme atteint la frontire du Tonkin en dcembre. C'est le tournant de la guerre : d'une part la

    France n'a plus aucune chance de l'emporter sur l'Arme Populaire vietnamienne, dsormais quipe et soutenuematriellement par son homologue chinoise (une mission chinoise permanente, militaire et politique, est pied

    d'oeuvre partir du dbut de 1950 auprs de la RDV et de l'tat-major vietnamien que dirige Vo Nguyn Giap ) ;

    d'autre part l'Indochine devient aprs l'armistice en Core le principal front chaud de la guerre froide. De no-colonial

    le conflit devient international. Son enjeu essentiel est dsormais mondial : sur quelle forme de rgimes politiques et

    sociaux, sur quelles hgmonies sociales internes, sur quels systmes d'appartenance internationale vont

    dboucher les rvolutions et les nouveaux Etats du Tiers Monde ? Les trois guerres du Vietnam vite tendues

    l'ensemble de l'Indochine - au Cambodge s'organisent les petits maquis Khmers Issarak soutenus par le Vietminh

    galement actif au Laos o il appuie les guerillas Lao Issara et celles encore faibles de son homologue lao, le Pathet

    Lao- seront bien une guerre mondiale mene localement selon le mot de Mc Namara. D'o terme l'entre en

    scne de l'Amrique sur le thtre stratgique indochinois, acquise ds le dbut de 1950 en mme temps que celle

    de la Chine Populaire. Si les Etats-Unis vont assumer partir de 1951 jusqu' 40% des dpenses militaires

    franaises (chiffre de 1953), l'arme de Giap* peut passer de la gurilla la manoeuvre en grandes units grce

    aux armes (abondant armement d'infanterie, artillerie moderne, DCA) et aux instructeurs chinois, grce ses bases

    arrire (camps d'entranement, coles de cadres militaires et politiques, hpitaux, bases de repos) des trois

    provinces du sud de la Chine, ainsi en partie sanctuarises .

    Ds octobre1950, le dsastre de Cao Bang*, la Campagne de la frontire , et l'vacuation du centre stratgique

    franais de Lang Son* confirment militairement le tournant de la guerre : c'est la premire galisation relative du

    rapport des forces militaires ; surtout, le CEFEO perd le contrle si dcisif de la frontire chinoise et doit partager

    dsormais l'initiative stratgique... La nouvelle stratgie du gnral De Lattre de Tassigny, nomm Haut commissaire

    et commandant en chef en 1951, la mise en chec russie des premires grandes offensives vietnamiennes sur le

    delta du Fleuve Rouge, la mise sur pied acclre son initiative d'une arme vietnamienne baodaiste ne peuvent

    assurer qu'un redressement militaire fragile et temporaire avant la mort de De Lattre en 1952. Ds lors l'opposition

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    la guerre, dj vigoureuse dans la classe ouvrire mtropolitaine sous l'impulsion du Parti Communiste franais,

    l'opposition active de la gauche chrtienne ( Tmoignage Chrtien , Esprit ) et de la gauche intellectuelle ( Les

    Temps Modernes de Sartre) gagne partir de 1950 les classes moyennes, la gauche de la SFIO et des partis du

    Centre et trouve un remarquable porte-parole en la personne de Pierre Mends France* qui souligne avec loquence

    devant l'Assemble Nationale en 1953 qu'il faut ou bien tripler l'effort militaire, sans garantie de vaincre, ou bien

    ngocier. Le plan du gnral Navarre, conu par le dernier commandant en chef franais - partir de la stratgie des

    hrissons exprimente par l'tat-major allemand face aux offensives sovitiques de 1943 et adapte avec

    succs par l'tat-major franais au thtre indochinois en 1952 lors la bataille de Na San - a pour but de barrer laroute du Laos (ce revers gostratgique du thtre de guerre indochinois) et surtout de ngocier sur la base d'une

    carte de guerre amliore, qui donnerait par ailleurs sa chance au Vit Nam anti-communiste de Bao Dai et son

    gouvernement. Il est mis en oeuvre la fin de 1953. Il consiste attirer sur le puissant camp retranch de Dien Bien

    Phu, dans le haut pays thai, le corps de bataille vietnamien 400 kilomtres de ses bases et le dtruire grce la

    puissance de feu et l'aviation du CEFEO, mais il sous-estime gravement la capacit de l'Arme Populaire

    dplacer longue distance ses grandes divsions rgulires et de transporter travers la si difficile zone

    montagneuse de la Haute Rgion le matriel lourd ncessaire pour soutenir ce qui va tre une sorte de Verdun

    asiatique. Il en rsulte pour les Franais un dsastre total : aprs quatre mois de combats acharns le 7 mai 1954,

    alors que se droule la Confrence de Genve runie en vue d'un rglement des diffrents conflits asiatiques, Dien

    Bien Phu* est pris d'assaut par les soldats du Vietminh. Le commandement franais n'a pratiquement plus de

    rserves mobiles. A Genve, Pierre Mends France, lu alors prsident du Conseil, ngocie dans l'urgence et signe

    les Accords 21 juillet 1954. Ils divisent provisoirement le Vietnam en deux Etats au Nord et au Sud en attendant un

    rfrendum destin unifier le pays et prvu pour 1956, prvoient l'vacuation du pays par les Franais au nord du

    17e parallle et ouvrent une accalmie temporaire avant que ne commence ds 1955-1956 au Sud la Seconde

    Guerre du Vietnam - rvolution sociale, guerre civile, et guerre internationale indissolublement mles - entre les

    deux Etats, celui du Sud bnficiant d'une aide massive puis dix ans plus tard d'une intervention directe de

    l'Amrique.

    UN COMMUNISME DE GUERRE...Les communistes ont alli une remarquable capacit d'organisation des masses, le sens des opportunits

    stratgiques tant en politique que dans la guerre et une grande prudence politique. Aprs l'crasement de la grave

    insurrection communiste de Cochinchine en novembre 1940, alors que le Parti se trouvait une fois de plus dcim et

    dmantel sous les coups de la Sret d'Indochine, sa nouvelle direction constitue autour de Nguyn Ai Quc

    retour d'URSS et de Chine la fin de 1940 dans la Haute Rgion du Tonkin a opt au printemps de 1941 pour une

    ligne officielle de large union nationale articulant de manire souple et pragmatique les deux dimensions nationale et

    sociale de la guerre d'indpendance.

    L'instrument de la mobilisation nationale que les communistes ont mis sur pied est le Front Viet Minh*, cr en mai

    1941, structure d'accueil destine runir tous les patriotes, sans distinction de fortune, d'ge, de sexe, de religion

    ou d'opinion politique, pour travailler ensemble la libration de (notre) peuple et au salut de (notre) nation , mais

    totalement contrle en fait par le Parti. Les dirigeants du Parti matrisent parfaitement l'art des gestes politiques et

    des signes du destin. Le 11 novembre 1945, le comit central du PCI ira mme jusqu' dcider de dissoudre

    officiellement ce dernier (mais il n'en sera rien bien sr dans la pratique...). De mme en 1951, nominalement du

    moins, le PCI se voit ramen, peut-tre sous la pression de Pkin qui entend satelliser le futur Vietnam jusque dans

    les mots, au rang de simple Parti des Travailleurs du Vietnam. L'autre instrument majeur de la rvolution communiste

    est la remarquable Arme Populaire, dont Giap a organis les premires units dans la rgion frontalire avec la

    Chine partir de la fin 1941, solidement encadre par un appareil efficace de cellules et de commissaires politiques.

    Pour analyser le phnomne communiste vietnamien, il est d'usage de chercher distinguer entre un nationalisme

    enracin dans la tradition confucenne, suppos constituer l'quipement intellectuel d'un H Chi Minh, et une

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    tendance l'alignement sur l'orthodoxie stalinienne qu'incarneraient des dirigeants tels que Bui Cng Trung* , Tran

    Van Giau* au Sud ou Truong Chinh* au Nord. Leur tension se manifesterait dans l'opposition entre partisans du front

    national et les partisans de l'limination des nationalistes. Cette lecture moins taye par les faits que par les

    esprances un peu naves de ses promoteurs ne rend compte ni du contenu historique prcis des notions

    convoques (confucianisme, stalinisme) ni de la complexit sociale autant que politique et culturelle du vivace

    communisme national vietnamien. Viscralement patriote comme tous les mouvements d'opposition que le rgime

    colonial a d combattre, ce dernier a t fortement investi ds ses origines par la problmatique et les thmes de la

    pense nationaliste chinoise et vietnamienne - d'autant qu'il rsulte de la brusque conversion politique et idologiqueau communisme d'une partie importante de l'intelligentsia nationaliste radicale dans les annes 1920-1930,

    conversion qui est loin d'avoir t une rupture - mais il est non moins acquis au modle communiste sovitique. Au

    Vietnam, dans les annes 1925-1939 le communisme s'est prsent et a t largement peru comme la seule

    rponse historiquement praticable la crise de la nation ouverte par l'entre de cette dernire en dpendance

    coloniale, la problmatique du cuu quc ( salut national ). La Rvolution d'Aot 1945 et la longue rsistance

    arme au retour de la France lui confrent la lgitimit nationale. En mme temps l'adhsion des jeunes gnrations

    de l'intelligentsia rvolutionnaire s'est accompagne de son indracinable implantation dans le proltariat des villes,

    des plantations, des mines et surtout dans la socit et la civilisation paysannes. Pendant toute la Guerre

    d'Indochine le Parti a t constamment attentif l'articulation entre la lutte militaire et l'appui ( l'occasion fortement

    contraint) de la paysannerie qui a donn ses fils l'Arme Populaire, lien que Giap dfinit dans ses crits comme

    fondateur de stratgie de la guerre rvolutionnaire. A la diffrence des petits partis nationalistes urbains le

    communisme se prsente donc aussi comme l'alternative historique la crise d'une socit rurale qui s'enfonce

    dans le sous-dveloppement depuis l'entre-deux guerres en nombre de rgions. Il lance en janvier 1953, peut- tre

    sous la pression de la Chine, elle-mme en plein rforme agraire, mais avec un minimum de prudence, la rforme

    agraire et vince de fait dans l'ocan des villages la classe des propritaires fonciers. Ainsi s'ouvre une longue srie

    de campagnes de masse qui aboutiront la redistribution de 80% des terres cultives en 1968, mme si en 1956 on

    reviendra sur certaines erreurs et beaucoup de violences.

    De cette complexe rencontre historique rsulte l'mergence durant le conflit contre la France d'une puissante

    bureaucratie, omniprsente, dtentrice d'un monopole politique absolu : dans la guerre et par la guerre, la rvolution

    communiste configure pour longtemps les structures fondatrices du Parti-Etat vietnamien. L'ensemble des zones

    sous son autorit et dans une mesure importante les rgions occupes par le CEFEO et l'administration du rgime

    de Bao DaiDai se trouvent quadrilles par le dense rseau des cellules du Parti, mobilises dans les multiples

    campagnes de masse qu'il lance par l'intermdiaire des organisations de masse fdres dans le Front de la Patrie

    (le Lin Vit qui remplace le Vietminh en 1951) qu'il dirige et qui ont pour fonction de contrler l'espace social. Mais

    en mme temps ces structures se trouvent investies de l'intrieur par la socit villageoise comme par les espoirs

    des intellectuels et du petit peuple des villes. Double tendance lourde du communisme vietnamien l'gal de son

    homologue chinois, mme si elle a t freine par l'asctisme des pionniers - de Nguyn Ai Quc/H Chi Minh la

    gnration de Giap ou de Pham Van Dong par exemple - et par la duret de la guerre. La tendance la substitution

    du Parti la socit politique embryonnaire qui s'tait dveloppe au coeur des villes coloniales, ses principes

    d'organisation emprunts au communisme stalinien et maoiste ont dtermin la constitution d'une nouvelle classepolitique, structure par le parti et l'APV, oprant l'chelle de l'espace indochinois, issue du milieu ouvrier urbain,

    de la paysannerie et de la petite bourgeoisie de formation moderne prive d'avenir social et national dans la

    situation coloniale. A partir de la reconstitution officielle du parti en 1950, la pratique de la rectification (le chinh

    hun), cl de vote du systme d'ducation politique maoste en partie inspir de la conception confucenne du

    chinh danh qui vise mettre les esprits en totale conformit avec l'idologie officielle, devient une composante de la

    formation des militants. Il n'y a pas de place dans ce systme pour les liberts, pour la pluralit, pour l'opposition.

    L'assassinat des trotskistes du Sud en 1945, en particulier de la grande figure de leur leader Ta Thu Thu* et de

    nombreuses personnalits nationalistes en a t l'annonce. Le cheminement populiste des intellectuels des annes

    1920 aura finalement conduit nombre d'entre eux au statut de commissaire politique.

    LA GUERRE FRANAISE

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    La guerre d'Indochine (1945-1954)

    La guerre est reste longtemps peu visible dans la socit mtropolitaine. Par l'effet de plusieurs facteurs

    conjugus, dont certains rejoueront aussi pendant la guerre d'Algrie, et tout d'abord le black out tabli par la classe

    politique franaise, communistes et gauche intellectuelle, chrtienne ou socialiste excepts, la msinformation et la

    dsinformation largement entretenues d'en haut par la propagande officielle. Guerre non dclare, guerre non-dite,

    guerre morte , pourra-t-on crire : pas plus que des crises de la colonisation, le simple citoyen ne doit gure

    s'apercevoir de celles de la dcolonisation...A partir de 1948 s'amorce un changement et avec lui la lente - et

    conflictuelle l'extrme - dcolonisation de la socit franaise. Le Monde du 17 janvier 1948 titre sur la sale

    guerre , tche indlbile qui va hypothquer l'effort de guerre franais. C'est en effet en Indochine que la torture, lesexcutions sommaires, les massacres collectifs et leur occultation ont t inaugurs bien avant l'Algrie comme

    pratique courante des guerres de dcolonisation : au dbut de 1948 une srie d'articles retentissants de Paul Mus

    les dnonce dans Tmoignage Chrtien . S'y ajoutent les affaires , depuis les fuites de secrets stratgiques

    (du fameux rapport, si pessimiste, du gnral Revers, par exemple) au trafic des piastres rvl fin 1952. Pourtant,

    entre le tiers et le quart des personnes sondes par l'IFOP sont encore sans opinion cette date. Car la guerre

    froide pse sur l'interprtation du conflit qui en devient foncirement partie intgrante, comme le note dans le

    Journal du septennat de Vincent Auriol*.

    Par contre a jou dans l'autre sens la solidarit internationaliste avec la rsistance vietnamienne sous l'impulsion de

    l'engagement actif du PCF en faveur du Vietnam, bien diffrent de ses futurs choix face la Guerre d'Algrie. Certessa participation aux gouvernements du Tripartisme l'incite au dbut bien des contorsions dialectiques, mais il

    soutient prudemment les communistes vietnamiens ds septembre 1945 dans son influente presse et dans ses

    meetings, tout en cherchant inflchir de l'intrieur la dcision gouvernementale. A partir de janvier 1949 - l'on est

    au coeur de la guerre froide - il lance sa premire grande campagne de masse contre la sale guerre et organise

    grce au soutien de la CGT manifestations et grves ouvrires sur les mot d'ordre plus un homme, plus un sou ,

    rapatriement du corps expditionnaire , paix au Vietnam . Cette campagne a eu un rel cho dans la classe

    ouvrire qui s'explique notamment parce qu'elle ouvre une perspective de rechange au combat ouvrier aprs la

    grave dfaite des grandes grves rouges de 1947-1948. Elle culmine en 1949 et au dbut de 1950 avec les

    multiples refus des dockers des ports franais et algriens, l'exception de Cherbourg, de charger et dcharger les

    navires et des cheminots de transporter le matriel de guerre par chemin de fer. Cette mobilisation ouvrire n'est

    certes pas unanime et se limite la partie, fort importante cependant, du monde du travail qu'influencent le PCF et la

    CGT, mais son cho populaire explique, la rpression aidant, que l'affaire Henri Martin* ait pu donner un second

    souffle un vritable mouvement de masse : rsistant courageux, c'est en patriote exigeant que le jeune marin qui a

    distribu des tracts contre la guerre dans le port militaire de Toulon est prsent dans la puissante campagne qui

    exige sa libration aprs sa condamnation cinq ans de prison et que rejoignent de trs nombreux universitaires,

    scientifiques et crivains de gauche ainsi qu'un grand nombre de militants chrtiens. De multiples initiatives, nombre

    de comits d'tudes et d'action, Les Temps Modernes, Esprit y participent, avec Sartre, Picasso, Paul Mus, Eluard,

    Prvert, Grard Philippe, Aragon et bien d'autres : ainsi se reforme une sorte de parti intellectuel , suffisamment

    influent pour branler la SFIO, les Radicaux, le MRP et mme les gaullistes, que l'on retrouvera dans la solidarit

    avec les Algriens quelques annes aprs. Entre temps, les milieux d'affaires ont eux aussi fait l'apprentissage de la

    dcolonisation : les actifs des socits en Indochine seraient passs de 320 millions de francs en 1945 90 en1954. Aprs 1950, le grand capitalisme indochinois entreprend la reconversion de ses activits vers l'Afrique. Ainsi

    peut s'oprer en mtropole, ds 1953, l'acceptation sociale de l'abandon - qui ne sera jamais total sur le plan

    conomique, culturel et diplomatique - de l'Indochine franaise.

    Dernire diffrence, considrable, avec l'Algrie : le CEFEO a t une arme de mtier, il n'a comport que des

    engags et des militaires de carrire (165 000 hommes en 1952), dont 60% fournis par l'outre-mer auxquels se sont

    ajouts 55 000 lgionnaires. Le chiffre officiel des soldats et officiers franais tus dans les rues sans joie des

    deltas et de montagnes de l'Indochine (20 000) est proche de celui du conflit algrien (mais il n'a pas t

    comptabilis de la mme manire), comme le sera le rsultat final des deux guerres.

    Dans ces neuf annes d'une guerre cruelle sur la terre vietnamienne, la plus dcisive des guerres de dcolonisation,

    le grand projet no-colonial de 1945 a fait naufrage. Si la IVe Rpublique n'est pas morte Dien Bien Phu,

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    La guerre d'Indochine (1945-1954)

    contrairement ce que l'on l'avance parfois, l'Union Franaise ne s'en est pas releve. L'homme domin par

    l'Occident, le petit homme jaune, le nha que*, s'est mancip, ce qu'enregistrent en 1955 la Confrence de Bandung

    et l'mergence du non alignement .. L'Europe se replie d'Asie. Le modle vietnamien a puissamment incit les

    autres nationalismes des peuples coloniss puis, plus tard, l'ensemble du Tiers Monde franchir le Rubicon. Six

    mois aprs le coup de tonnerre de Dien Bien Phu, trois mois aprs les Accords de Genve, la Toussaint de 1954,

    une autre rvolution, une autre guerre clatent en Algrie, l'Afrique du Nord puis l'ensemble du Tiers Monde se

    mettent en marche. Une esprance rvolutionnaire tricontinentale semble prendre corps que formulera un peu plus

    tard le clbre mot d'ordre lanc par Che Guevara : Un, deux, trois Vietnam ... . Mais l'exprience, terrible, duVietnam devait rester une.

    PS:

    * Ecrit pour le Dictionnaire de la colonisation franaise (sous la direction de Claude Liauzu, Larousse, Paris 2007.

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