Damisch_Huit thèses pour une semiologie de la peinture
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7/29/2019 Damisch_Huit thses pour une semiologie de la peinture
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Huit thses pour (ou contre ?) une semiologie de la peinture
Hubert Damisch
Rapport gnral prsent au premier Congrs de l'Association Internationale de Smiotique.
Milan, 2-6 juin 1974.
(1)
"Y a-t-il une vrit de la peinture ou, suivant le mot, I'nonc dlibrment ambigu de
Czanne : "je vous dois la vrit en peinture et je vous la dirai" , y a-t-il une vrit en
peinture ? Et cette vrit, vrit de la peinture, vrit en peinture, appartient-il au smiologue,sinon de la dire peut-tre ne saurait elle l'tre, dite, cette vrit qu'en peinture ?, au moins de
l'inscrire dans le registre thorique, d'en dsigner le lieu d'mergence, d'en dfinir les
conditions d'nonciation par rfrenc l'objet "Peinture" tel qu'il travaille pour sa part etselon ses moyens le constituer en tant que domaine, champ ou mode spcifique de
production d'un sens lui-mme spcifique ? Outre qu'elle ne se laisse pas dissocier d'une
interrogation plus fondamentale portant sur la "ncessite" de l'art (ncessit dont louri Lotmana su montrer qu'elle tait lie la structure mme du texte artistique, son organisation
interne , la question n'est pas dplace, s'agissant d'introduire quelques remarques d'ordre
trs gnral sur une smiologie de la peinture considre comme possible, ds lors qu'unebonne part du travail, de la rflexion, de l'analyse, de la critique smiologique applique aux
productions des arts visuels peut paratre tendre au contraire en interdire l'avance : sauf
pour le smiologue, dans le meilleur des cas, reconduire ses dterminations idologiquesprofondes l'exigence de "vrit" qui se fait jour, par intervalles, dans le champ pictural, sous
des espces et des niveaux variables (et sous l'espce, par exemple, chez les initiateurs de la
Renaissance, de l'adhsion au modle optique de la vision ; mais aussi bien, un autre niveau,
celui de la "sensation", colore et colorante, signifie et signifiante, par l'assignation la
peinture, chez Czanne lui-mme, d'une valeur de dnotation au sens de Frege). n importe devoir (de voir et non seulement d'entendre) que cette question de la vrit de la peinture, de lavrit en peinture (qui est tout ensemble question de la vrit dans la peinture et question de la
vrit de l'effigie, de la vrit en effigie) est au centre du dbat auquel donne lieu, aujourd'hui,
le projet, sinon les quelques trs rares dveloppements d'une smiologie des arts visuels, et
d'abord - mais cet ordre de priorit, dans sa double dtermination logique et idologique, faitlui-mme problme - d'une smiologie de la peinture, et comment elle confre~ ce dbat une
porte qui excde largement les limites du champ spcialis sous la rubrique duquel ils'annonce.
(2)
Le projet d'tudier la peinture comme un systme de signes aura d'abord rpondu au souci
d'atteindre, par la dfinition simultane de l'objet d'une smiologie de la peinture et des
procdures d'analyse qui la constitueraient comme telle, une vrit d'ordre scientifique
touchant la production picturale. Dans une perspective saussurienne, et prenant modle sur le"patron" linguistique, ce projet conduit, dans sa formulation initiale, introduire dans le touthtrogne des faits de "peinture'' (htrogne en cela que ces faits relvent des domaines
d'enqute les plus &vers: cosmtologie, chimie des couleurs, optique gomtrique et/ou
physiologique, thorie des proportions, psychologie de la perception, mais aussi bien
mythologie compare, symbolique gnrale, iconographies particulires, etc...) une premire
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dcoupe partir de laquelle cet ensemble htroclite se laisserait penser dans sa cohrence :
tel dj le langage, une fois le partage opr entre la masse des faits de parole et le registre de
la langue, du systme auquel ces faits devraient tre rapports comme leur norme. Quelque
forme que revte l'opposition ainsi marque entre les deux registres, et si sophistiqu qu'en
puisse tre l'nonc 1' "art" pens sous le titre d'une dviation consquente par rapport la
norme, prise comme catgorie smiotique (D. Uspenskij), la "langue" de la peinturefragmente, dissmine en une multiplicit de systmes partiels, de codes d' "invention'' et de
lecture (P. Francastel), le systme du tableau distingu des structures de la figuration et l'objet
"Peinture" vis au travers et partir du texte qui le prend en charge et l'articule (J.-L. Schefer)
-, il s'agira toujours de dessiner une surface de clivage entre la performance que reprsente
l'uvre (le "chef d'uvre"), et~le rseau, sinon le systme des comptences que met en jeu sondchiffrement, son interprtation, et cela lors mme que l'on pose que 1' "art" n'est jamais
donn part des uvres singulires, que sa signifiance ne renvoie aucun code ou convention
reus, et que les relations signifiantes du "langage artistique" sont dcouvrir l'intrieurd'une composition donne (Benveniste, et dans le mme sens Schefer: "11 n'y a systme que
du tableau"). La question demeurant entire de la nature, du statut, de l'articulation des
"signes" dont s'instruit et sur lesquels s'oriente la lecture, que celle-ci tche ou non lesconstituer, dans l'ordre dclaratif, en systme.
Dans l'nonc de ce projet - tudier la peinture, les uvres de peinture (suivant la formule, elle
aussi dlibrment ambigu, de Francastel) comme un systme de signes - on soulignerasuccessivement systme et signes, pour bien faire apparatre (a) que si la peinture se laisse
analyser en termes de systme(s), systme n'est pas ncessairement a entendre comme systme
de signes et, (b) que si la problmatique du signe peut se rvler pertinente en la matire, sonniveau et dans ses limites propres, c'est peut-tre dans la mesure o la notion de signe se
laissera disjoindre de celle de systme (et rciproquement). Sauf peut-tre pour nous
travailler imposer une autre notion du signe, une autre notion du systme que celles que
toute la tradition d'Occident aura rgulirement associes la possibilit de dcouper un
ensemble, une structure articule, en lments discrets, en units identifiables comme telles.
(3)
Dans un registre qui n'a cette fois plus rien de thorique, mais qui n'en correspond pas moins la pratique de fait de l'historien ou du "connaisseur", on conviendra qu'il n'est pas de lecture,
ni mme de premire apprhension d'un tableau, d'une fresque, d'un ensemble dcoratif, etc...,
qui ne prenne appui sur un certain nombre de traits, marques ou lments discrets, qui se
prsentent comme autant d'units perceptives (ou "imageantes") ventuellement combines ensyntagmes immdiatement donns pour tels, et dont certains, par leur rcurrence travers une
srie d'uvres donne, s'ordonnent en une faon de rpertoire, plus ou moins fourni, qu'ontiendra pour caractristique d'un artiste, d'une cole, d'une poque, voire d'une culture. Tous
traits ou lments, voire syntagmes, qui ne sont certes pas tous de mme ordre ni de mme
niveau, pas plus qu'ils ne sont en nombre fini: telles les figures, reprsentatives ou non, qui se
laissent reconnatre dans le champ pictural, les motifs, attributs ou marques (attitudes, gestes,
expressions, voire couleurs, traitement, etc.) dont le discours iconographique fait sa pture,mais aussi bien les indices qui en appellent l'attention du connaisseur en qute d'attributionsfondes (et l'on se souviendra ici de l'analogie marque par Freud entre la mthode du
connoisseurship telle que l'avait dfinie Giovanni Morelli et celle de l'analyste qui, comme le
connaisseur, en est rduit travailler sur des donnes en apparence drisoires, marginales,
quelque chose, disait Freud, comme le rebut de l'observation , et jusqu'aux tracs, touches,
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empreintes, qui paraissent retenir, au titre d'index, quelque chose du travail dont l"oeuvre est
le produit. Sans compter les lettres, chiffres, inscriptions, phylactres, lgendes, titres,
signatures, etc., que l'uvre exhibe, le cas chant, dans ses limites propres ou sur sa priphrie,
et qui produisent, dans le contexte mme d'une saisie qui se voudrait strictement sensible,
"esthtique", un effet spcifique de lecture, ou pour paraphraser Paul Klee, un premier
"acquiescement au signe": la coexistence dans le cadre d'une mme composition, ou dans saproximit immdiate, d'lements de nature iconique ou indicielle, et de donnes proprement
symboliques (quand l'image ne se prsente pas comme lie explicitement au texte, donn ou
non in presentia, qu'elle illustre : voir ce sujet le travail rcent de Meyer Schapiro sur l'image
lie au mot, the word-bound image , manifeste assez que si l'on peut prtendre avec
Benveniste que c'est la langue - s'entend la langue "naturelle" - qui confre l'ensemble"peinture" (ou "tableau"), en l'informant de la relation de signe, la qualit de systme
signifiant , cette relation n'en joue pas moins, pralablement a toute lecture, toute
interprtation, l'intrieur mme de cet ensemble, ou tout au moins dans son espace dedfinition. Restant savoir si les lments proprement perceptifs, formes et/ou figures,
peuvent en toute rigueur tre qualifis d'units, au sens smiotique, en dehors ou abstraction
faite de l'opration qui les dclare, ou encore, dans les termes de Peirce, si le reprensentamen aou non qualit de signe indpendamment de l'interprtant verbal qu'il dtermine.
(4)
Tout systme signifiant doit se dfinir par le mode qui est sien de signifier. Il reste qu'poser,comme le fait Benveniste, qu'il faut en consquence ce systme "dfinir les units qu'il
met en jeu pour produire le "sens'' et spcifier la nature du "sens" produit" , on anticipe sur la
conclusion selon laquelle la langue doit tre reconnue comme l'interprtant de tous les
systmes smiotiques (et, partant, du systme ''Peinture" lui-mme, qui sera ds lors
caractris, dans la terminologie des smioticiens sovitiques, comme ''systme modlisantsecondaire"), si tant il est vrai qu' "aucun autre systme ne dispose d'une "langue" danslaquelle il puisse se catgoriser et s'interprter selon ses distinctions smiotiques, tandis que la
langue peut, en principe, tout catgoriser et interprter, y compris elle-mme'' . En ce qui
concerne les units mises en jeu pour produire le sens, le systme "Peinture" ne dispose sans
doute pas d'une "langue" qui lui permettrait de dfinir celles auxquelles il a recours. Encorepeut-il, ces units, Ies produire, les dessiner, les montrer, les exhiber par tous les artifices et
procds qui le caractrisent, d'espacement, de positionnement, de cadrage, d'clairage, detraitement, de dformation, etc. Tous artifices qui n'empruntent pas de l'ordre discursif, ni
mme ncessairement de l'ordre iconique au sens troit, en tant que celui-ci se fonderait sur la
mimesis. Et il n'est pas jusqu' la forme de prsentation, la forme "imageante" elle-mme
(sans prendre ncessairement le terme d'image dans sa connotation strictement mimtique), entant qu'elle se rglerait par exemple sur le modle perspectif ou qu'elle se ramnerait, comme
chez Mondrian ou dans le minimal art un ensemble fini de principes ou d'lments de base,dont on ne soit fond a soutenir, avec Wittgenstein, qu'elle ne puisse tre, sinon reproduite,
dcrite, reprsente, au moins produite, montre, exhibe, par les moyens qui sont ceux de
l'"image" elle-mme . Pour s'en tenir la question des units (celle de la Form der Abbildung
appelant des dveloppements qui ne sauraient trouver place ici), on observera encore que, ds
lors qu'une peinture se donne a dchiffrer a partir d'une multiplicit de codes, ds lors aussiqu'elle comporte plusieurs niveaux de lecture, I'ventualit mme qu'elle offre de glissementset aussi de renvois d'un code ou d'un niveau l'autre, la capacit qui en dcoule, pour une
unit donne, d'assumer suivant les niveaux des fonctions htrognes, sinon contradictoires,
introduisent dans le "systme" (au sens pour l'heure le plus vague) la possibilit d'un jeu
d'interprtance sinon dclarative, au moins monstrative (au sens o Lacan a pu dire que, dans
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le rve, "a montre"), d'un niveau ou d'un code l'autre, comme on le voit par les variations
auxquelles prte un mme motif formel ou iconographique et qui conduisent assigner
alternativement, voire simultanment, un mme lment (ex.: le "nuage" dans la tradition
figurative de l'occident, la colonne de tant d' Annonciations ou Nativits, mais aussi bien les
nappes dresses de Czanne ou les "carrs" de Mondrian) des fonctions (plastiques,
constructives, smantiques, syntactiques, symboliques, dcoratives, stylistiques, etc.) deniveau diffrent (le problme tant alors de savoir si l'on est fond prtendre produire le
systme de ces assignations, et cela sans prjuger pour autant de la cohrence des niveaux, de
leur degr de systmaticit). Encore convient-il de faire leur place, avec Meyer Schapiro,
cot des units immdiatement identifiables comme telles, aux lments non mimtiques, non
directement signaltiques, et pourrait-on dire non discrets, du message iconique, tous lments- la forme du support, son cadre, les proprits du fond comme champ, les rapports d'chelle
et d'orientation, de positionnement, d'espacement, les composantes de la substance iconique
comme telle, points, lignes, surfaces, taches, etc , et d'abord la couleur qui, a en croireBenveniste - mais cette affirmation, qui porte la marque d'un logocentrisme sournois, cesse
d'tre recevable pour une pense qui travaille imposer une autre notion que strictement
linguistique du signe -, la couleur qui, considre en elle-mme, ne se laisserait en aucun casdclarer au titre de signe, ni mme d'unit. Tous lments qui jouent dans la peinture
reprsentative un rle dcisif, un rle intgrant (au sens linguistique du terme), mais que la
peinture moderne, depuis Czanne et Seurat, s'efforce au contraire de dissocier de leurfonction imageante, pour les exhiber, les produire dans leur valeur d'expression, de signifiance
propre, autonome: au point que la "non-figuration", loin d'apparatre comme un cas
particulier, comme un moment limite dans l'histoire de la peinture, et qui ne se laisseraitpenser qu' partir de la structure reprsentative telle que celle-ci s'est constitue de la position
assigne au sujet dans le dispositif perspectif, conduit au contraire, si on la prend comme elle
doit l'tre au srieux, soumettre, par la "mise a nu'' du "procd" (comme parlaient les
Formalistes) et la substitution la vise de la Nature de celle de l'expression picturale elle-
mme, le systme "Peinture" un dplacement radical dans l'ordre de la signifiance, jusqu' lesoustraire, au moins pour partie, la relation d'interprtance o le discours smiologique -dont c'est peut-tre l l'une des fonctions idologiques majeures prtend au contraire l'enclore.
(5)
A la question: le systme "peinture" se laisse-t-il rduire des units ? on rpondra donc parla ngative. Restant dterminer si les units que ce systme met cependant en jeu, de toute
vidence, et qui en reprsentent peut-tre la retombe, ou l'chappe (comme on le voit
lorsqu'une organisation perspective se donne a lire a partir de quelque indice ou "flexion"
figurative: un fragment architectonique prsent en raccourci, la ''diminution" laquelle sontsoumises les figures, etc.), si ces units sont des signes, n si la notion mme de signe, dans son
acception traditionnelle, est pertinente dans le contexte d'un systme qui ne se laisse pas - saufexceptions toujours signifiantes, sinon polmiques, tactiques, voire stratgiques, et dont l'art
moderne n'est pas seul proposer l'exemple - ramener un code digital, puisqu'aussi bien il
impose de faire place, ct des lments immdiatement reprables sur le plan perceptif,
des procdures figuratives elles-mmes irrductibles un corps de rgles qui seraient censes
prsider a l'association et la combinaison d'units en nombre fini et de mme niveau. Si lanotion de signe peut s'avrer recevable dans le domaine "Peinture", ce sera partir d'une autredcoupe que celle laquelle on s'est jusqu'ici rfr. Au "patron" strictement saussurien, qui
impose de distinguer entre l'ordre du "systme" (la comptence) et celui des productions
concrtes (la performance), on substituera une articulation qui empruntera sa pertinence d'une
distinction entre les niveaux d'analyse (la question devenant peut-tre alors celle du rapport
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entre deux "performances", celle de l'uvre et celle de l'interprtation, tel qu'il s'inscrit dans un
espace commun, mais non identique, de "comptence"). Ignorant provisoirement le problme
de l'articulation proprement figurative ou plastique, on posera que si le concept de signe peut
prendre valeur opratoire dans le domaine "Peinture", c'est d'abord (et peut-tre
exclusivement) par rfrenc un niveau, un mode de signifiance qui n'est pas celui -
smiotique - ou les units perceptives, formes et/ou figures, sont reconnues pour telles (et celamme si cette reconnaissance passe par le dtour d'une "dclaration", d'un interprtant
explicite), mais a celui smantique - o l'image, d'en appeler une lecture, en vient assumer
un statut proprement discursif, ds lors, pour parler comme les iconologues de 1'ge classique,
qu'elle est "faite pour signifier une chose diffrente de celle que l'il voit". La thorie des
niveaux dveloppe par Panofsky, en mme temps qu'elle ritre la coupure marque en sontemps par Cesare Ripa entre l'ordre du visible et celui du lisible, conduit semblablement
opposer a l'univers des motifs, des objets ou des vnements figurs par des lignes, couleurs et
volumes, I'univers des images, des motifs reconnus comme porteurs d'une significationsecondaire ou conventionnelle aussi loigne qu'on voudra de leur signification primaire,
"naturelle", et qui prtent a combinaison sur le mode de 1' "histoire", de la fable ou de
l'allgorie, en mme temps qu' toutes sortes de redoublements figuratifs (I' "image" d'lsaactant son tour prise pour "figure" de celle du Christ, qu'elle pr-figure, etc.): soit l'univers
d'un discours, dont l'image, au sens qu'on a dit, constitue l'unit minimale, lors mme qu'elle
s'articule dclarativement sur le mode d'un nonc ("un personnage fminin tenant une pchedans sa main droite" tant lire, suivant l'exemple que retient Panofsky, comme une
personnification de la "Vracit"). Unite, au registre smantique ou opre l'iconologie, qui
parat devoir tre reue au titre de signe ds lors qu'elle se trouve associer un "signifiant" (lemotif donne ''voir") et un "signifi" (le concept ou l'nonc donn entendre), et qu'elle se
laisse identifier, au titre de composant et ventuellement d'integrant (au sens ou Meyer
Schapiro a pu montrer, dans une tude clbre , que l'image de Saint-Joseph fabriquant un
pige souris "intgrait" I'Annonciation du Matre de Flemalle, dans sa diffrence d'avec les
reprsentations traditionnelles de cet vnement) dans une unit de niveau suprieur, celle queconstitue le tableau. Unit, signe minimal d'un ''discours d'images" (ragionamenti d'imagini,comme disaient encore les iconologues) par lequel la peinture est mise en position de
reprsenter, de mettre en scne, de signifier par des moyens strictement reprsentatifs quantit
de notions, de relations, sinon de propositions abstraites. Et si les travaux de Panofsky sur le
symbolisme dans la peinture flamande se trouvent recouper de faon frappante les analyses deFreud sur le travail du rve (elles-mmes rfres, de la faon la plus explicite, au travail de
peinture), la rencontre n'a rien de fortuit: il suffit d'accepter que la symbolique des Van Eyck,comme celle du rve selon Benveniste , relve d'une vritable logique du discours, et que ses
figures sont d'abord des figures de style, des figures de rhtorique, des tropes. Dans la Science
des rves, Freud lui-mme avait propos de 1' Ecole d'Athnes de Raphal une description qui
va dans ce sens: le fait de rassembler dans un espace scnique pos comme unitaire desphilosophes appartenant des ges et aussi des cultures diffrentes, sinon antagonistes,
apparat comme un moyen, pour le peintre, d'imposer sur le mode strictement figuratif d'unemonstration, une notion de la philosophie comme rgne trans-historique et comme socit
d'esprits ou Platon, saint Thomas et peut-tre Averros lui-mme, se trouveraient dialoguer
par del les contingences d'espace et de temps, de langue et de croyances . Or les procds
utiliss par les Van Eyck ou par Roger van der Weyden, sont exactement de mme nature. Tel,
pour n'en retenir qu'un seul parmi tous ceux que recense Panofsky, le procd qui dans l'unitd'un mme dcor ou cadre architectural, par exemple une glise, l'interieur ou devantlaquelle se joue la scne, fait le peintre associer deux "styles" marqus comme tels, le style
roman et le style gothique, pour reprsenter la succession des temps, I'opposition de l'avant et
de l'aprs, voire celle, toute notionnelle, de l'Ancienne et de la Nouvelle Loi .
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Si l'on devait admettre, suivant toujours Benveniste, que le systme "Peinture" se caractrise
par le fait qu' la diffrence de la langue, il ne prsente qu'une signifiance unidimensionnelle
(la signifiance smantique, correspondant l'univers du "discours", l'exclusion de toutesignifiance proprement smiotique), force serait alors de reconnatre qu'une bonne partie du
programme d'une smiologie de la peinture aurait d'ores et dj t ralise sous le titre de
l'Iconologie, voire de l'iconographie entendue, suivant le mot de Panofsky, comme une
"Science d'interprtation" . Mais si l'lconologie peut prtendre rcuprer, en dernier ressort,
sous l'espce non plus de signes, mais de "symptmes'' d'une vision du monde ou d'uneconscience de classe, les traits dits "stylistiques" de l'uvre, et jusqu' sa facture, elle n'en
demeure pas moins dans l'incapacit, et avec elle toute discipline strictement interprtative, de
rendre compte de la peinture considre dans sa substance sensible, dans son articulationproprement esthtique, au sens kantien du terme. Or c'est l une question que le smiologue ne
peut ignorer, qu'il lui arrive mme de poser, que de savoir si l'uvre d'art se rduit ou non un
systme de signification . Question decisive au regard de l'interrogation dont ces "Thses" ontpris leur dpart, et qui portait sur la "vrit" de la peinture, sur la vrit en peinture, et sur le
statut (idologique, critique, thorique) du discours smiologique dans son rapport cette
vrit. S'agissant du "sens" que produirait la peinture, il est sr que la spcification n'en sauraitappartenir la peinture elle-mme, mais la langue, qui "seule peut tout interprter''. Mais
l'uvre, I'uvre d'art, I'uvre de peinture n'ont-elles d'autre destin (au sens ou Freud parle d'un
destin des pulsions) que l'interprtation, d'autre avatar prvisible, pour reprendre un mot deLotman qui ouvre une perspective trs neuve , que la smantisation ? Telle n'tait pas, semble-
t-il, l'opinion de Freud lui-mme, au moins pour ce qui regarde l'uvre dans son rapport son
producteur: "La signification ne reprsente pas grand chose pour ces gens "les artistes" . Ils ne
sont intresss que par les lignes, les formes, I'accord des contours. Ce sont des tenants du
principe de plaisir . Est-ce dire que l'univers des lignes, celui des formes, celui du contour - l'exclusion, combien significative, de la couleur - ne relve pas directement d'une analyse entermes de signification, mais d'une approche formelle, sinon "stylistique", la question
demeurant par ailleurs entire de savoir comment la forme, ainsi distingue du contenu,
trouvera s'articuler sur une conomie, ft-ce celle du "plaisir" ?
(7)
Le problme revient celui de l'existence ou de la non existence d'un niveau smiotique de lapeinture. Or la question est gnralement mal pose, ds lors qu'elle vient recouper celle du
"style" (notion dont il faudrait montrer quel rle nfaste elle joue dans les tudes d'art, etcomment son avance vise prvenir la position mme du problme qui nous occupe, en
interdire l'nonc), ds lors surtout qu'elle se trouve interfrer avec celle de l' image, qu'elle est
pose comme question de la nature, smiotique ou non smiotique, de l'image. On a vu que
pour Panofsky l'image ressortissait au niveau symbolique. Mais c'est qu'il n'y a d'image, pour
l'Iconologue, qu' compter du moment ou, la signification "naturelle", donne au registre dela perception, se superpose une signification conventionnelle. Si l'on retient l'image non plus
pour ce qu'elle signifie, mais pour ce qu'elle donne voir (et sans prjuger de la nature de
l'articulation du lisible sur le visible), il s'agira de dterminer si l'image, le "faire image" (la
"synthse imageante" des phnomnologues) se laisse penser et analyser en termes
d'articulation signifiante. D'o, indpendamment de la dtermination logique qui conduira
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penser la construction de l'image, par priorit, sous la rubrique de l'espace - notion, en matire
de peinture, des plus quivoques, des moins thoriques qui soient -, la rfrence dsormais de
rgle aux tentatives faites pour tudier.le procs imageant (et le procs perceptif lui-mme) au
titre de procs de communication, et dans les termes de la Thorie de l'Information, toutes
tentatives qui correspondent a un retour une position pr-phnomnologique du problme,
puisqu'elles reviennent tablir l'image, prise pour analogon du rel, dans un rapport ded*notation par rapport au peru ou, ce qui revient au mme, dans une relation de reproduction
et/ou d'quivalence par rapport a la perception. Comment l 'image n 'aurait-elle pas statut de
message quand la perception est elle-mme assimile une opration de dchiffrement, de
"reconnaissance", quand l'une et l'autre sont renvoyes leurs communes racines
conventionnelles ? Encore conviendrait-il, pralablement toute discussion sur ce point, des'interroger ds l'abord sur la dtermination (thorique, idologique, linguistique) qui conduit
penser la peinture sous le titre, sous la rubrique de l'image (et rciproquement). La peinture
serait une image, mais une image d'un type particulier, sinon spcifique: une image qui secaractriserait par un surplus de substance, d'o lui viendraient son poids, sa charge, son titre
de peinture, et qui produirait, ce titre, un effet de plaisir lui-mme spcifique. Elle n'en devra
pas moins tre vise, tre pose comme une varit d'image parmi d'autres, varit privilgie,sinon dominante, dans une culture o le terme mme de "peinture" (qu'on songe aux
difficults que pose cet gard la traduction de Wittgenstein) peut tre pris pour synonyme
d'image, de reprsentation, de portrait, voire de reproduction ou d'imitation (par o s'introduit, travers le thme de la mimesis, la question de la vrit de l'effigie, de la vrit en effigie).
Quant au programme d'une smiologie gnrale, la smiologie de la peinture ne s'en inscrirait
pas moins sa place, sous la rubrique d'une smiologie de l'image, et comme une brancheparticulire de celle-ci.
(8)Parodiant Merleau-Ponty, on dira qu' faire de la peinture avec du peru on ne saurait qu'enmanquer le niveau smiotique et, partant, que manquer la peinture elle-mme, dans la mesure
o une vrit travaille s'y faire jour, qui ne relve pas immdiatement de l'ordre du discours,
mais qui a rapport, au premier chef, avec la perception. Car il y a bien quelque chose comme
un niveau smiotique de la peinture, mais qui ne se laisse pas reconduire l'instance du signe,pas plus qu' celle de l'image, dont la notion fonctionne ici, de toute vidence, comme un
vritable obstacle pistmologique: le niveau, par exemple, o uvrait Czanne quand, dansune intention encore de dnotation, il disait vouloir substituer au problme de la lumire celui
de la couleur et de la reprsentation, des sensations colores par des sensations colorantes . Ce
travail, au plus prs de la perception, sur le signifiant, cette mise au travail du signifiant dans
la peinture dont l'art de Czanne aussi bien que celui, contemporain, de Seurat, offrentl'exemple, tmoigne, avec une loquence qui n'emprunte que des seules ressources de la
peinture, du fait que la surface de clivage entre le smantique et le smiotique n'est pas chercher entre le niveau de la figure (donne voir) et celui de la signification (donne
entendre), mais quelque part sur la jointure entre le lisible et le visible, entre le domaine du
symbolique et celui du smiotique, condition de penser le smiotique, avec Julia Kristeva,
comme une modalit qu'on pourrait dire en effet psychosomatique, en prise directe sur le
corps, du procs de la signifiance, et comme un moment logiquement, gntiquement,productivement antrieur au symbolique, mais qui fait dans celui-ci l'objet d'une relve parlaquelle il s'y intgre . Moment d'une articulation - celle d'un continuum - pralable celle du
signe linguistique et du signe iconique lui-mme (dans la mesure o celui-ci ne se
constituerait comme tel qu' dterminer un interprtant). Moment pr-thtique, antrieur la
position du sujet, dans sa rfrence a l'exprience de l'image spculaire, et dont l'articulation
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7/29/2019 Damisch_Huit thses pour une semiologie de la peinture
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du champ chromatique, strictement contemporaine, comme l'a montr Jakobson, de celle du
champ phonmatique , offre la meilleure illustration: d'autant que l'histoire de la peinture nous
donne aujourd'hui a voir comment le smiotique, sous l'espce prcisment de la couleur, peut
se laisser rcuprer et fonctionner, au titre de supplment, l'intrieur du symbolique, mais
aussi comment il peut faire retour, sous le symbolique et en dehors de lui, dans une position
d'extriorit par rapport au signe et toute signification constitue dans l'ordre du langageaussi bien que de l'image, de la reprsentation (sauf prendre enfin au srieux ce que Peirce
aura travaill, sur le tard, noncer sous le titre de l'hypo-icne, de l'icne qui ne se laisse
encore penser sous aucun titre, et d'une reprsentativit pralable toute relation
d'interprtance, aussi bien que l'idee o il tait qu' prendre la notion au sens le plus large, un
signe pouvait admettre d'autres interprtants qu'un concept: une action, une exprience, voireun effet sensible, une pure qualit de "feeling" En ce sens, on est fond prtendre que la
smiologie, dans son ordre de dpendance linguistique, est comme travaille par la question
de la peinture, comme elle l'est, encore, par celle de l'criture, soit les deux ouvriers, le peintreet l'crivain, que dj le Philbe associait dans une mme tche en partie double. Mais quant
l'conomie du procs signifiant dont la peinture est le thtre (et dont elle dfinit et redfinit
sans cesse la scne), cette conomie est penser, jusque dans ses limites et peut-tre son "au-del", dans le registre freudien et partir du concept qui continue de faire, dans la lecture de
Freud, I'objet d'une vritable censure, savoir celui de rgression, tel que l'introduit la Science
des rves. La rgression formelle qui est au principe en mme temps qu'elle fait le ressort dutravail du rve, un travail lui-mme pens, dans le texte freudien, dans la rfrence explicite
celui de peinture, et qui ne produit ses effets, en dehors de toute relation d'interprtation, qu'a
jouer de l'cart - et de la tension qu'il engendre entre le registre du visible (de ce qui peut tremontr, figur, reprsent, mis en scne) et celui du lisible (le registre de ce qui peut tre dit,
nonc, dclar). Ecart qui est celui d'un travail producteur d'une plus-value: une plus-value
iconique, ds lors, comme l'indique Peirce, et cela doit tre soulign, que l'icne a pour
proprit distinctive fondamentale que par son observation directe d'autres vrits concernant
l'objet peuvent tre dcouvertes que celles qui suffisent a en dterminer la construction ; maisaussi, dans le cas de la peinture, une plus-value spcifiquement picturale, qui la dfinit dans sadiffrence d'avec l'image et lui confre le privilge qu'on a dit. Ecart qu'on marquera soit
comme le lieu d'une opposition (d'une contradiction), soit comme celui d'un change, et sans
doute comme les deux ~ la fois, comme le veut la prise en compte de la "figurabilit" qui fait
la condition de toute rgression. Ecart, encore, constitutif de la textualit picturale en tant quecelle-ci est comme tisse de visible et de lisible, et partir duquel il convient de poser, par
rapport au systme "Peinture'', la question du signifiant; le signifiant dont Freud nousenseigne, bien le lire, qu'on ne saurait le produire, ni mme le reconnatre, partir d'une
position d'extriorit, puisqu'aussi bien il ne se donne qu' y tre pris.