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CDD : rupture aprs requalification et atteinte un
droit fondamental
le 21 janvier 2014
CIVIL | Droit et libert fondamentaux | Procdure civile
SOCIAL | Contrat de travail | Droit international et communautaire | Rupture du contrat de travail
Le jugement ordonnant la requalification dun contrat dure dtermine (CDD) en contrat dure
indtermine, la rupture du contrat de travail intervenue postrieurement cette dcision au motif
de larrive du terme stipul dans ce contrat est nulle.
Soc. 18 dc. 2013, FS-P+B+R, n 12-27.383
Aprs que le jugement, frapp dappel, a ordonn la requalification dun contrat de travail dure
dtermine en contrat dure indtermine, lemployeur peut-il, dans lintervalle qui spare les
deux dcisions, rompre ce contrat au motif de larrive du terme qui y tait initialement stipul ?
Par un important arrt, la Cour de cassation rpond, pour la premire fois, par la ngative. Elle
dcide, en effet, au visa des articles L. 1121-1, L. 1245-1, R. 1245-1 du code du travail et 6, 1
er
, de
la Convention europenne des droits de lhomme (Conv. EDH), que lexcution dun jugement ou
dun arrt, de quelque juridiction que ce soit, doit tre considre comme faisant partie intgrante
du procs quitable au sens du dernier de ces textes. Elle en dduit que lorsquune dcision,
excutoire par provision, ordonne la requalification dun contrat dure dtermine en contrat
dure indtermine, la rupture du contrat de travail intervenue postrieurement la notification de
cette dcision au motif de larrive du terme stipul dans ledit contrat dure dtermine est nulle.
Elle reproche, par consquent, aux juges dappel de ne pas avoir vrifi si les jugements ordonnant
la requalification avaient t notifis lemployeur avant le terme du contrat dure dtermine.
Le jugement qui ordonne la requalification dun contrat de travail dure dtermine en contrat
dure indtermine, en application de larticle L. 1245-1 du code du travail, est excutoire de droit
titre provisoire (C. trav., art. R. 1245-1). La suspension de lexcution des dcisions de justice
provoque par les dlais et voies de recours (C. pr. civ., art. 539 et 749) est ainsi carte et le
jugement devient excutoire alors mme quil nest pas encore pass en force de chose juge (C.
pr. civ., art. 501). La requalification produit donc la totalit de ses effets ds son prononc par le
juge, ce qui signifie qu cet instant, le rgime du contrat dure dtermine, dont le
fonctionnement du terme qui le caractrise, na plus lieu de sappliquer et se trouve substitu par le
rgime du contrat dure indtermine. Linvocation du terme pour mettre fin au contrat de travail
est, de la sorte, rendue impossible. En revanche, contrairement ce que pourrait laisser croire une
lecture, par trop, littrale des motifs de larrt, ce nest pas lorsquune dcision, excutoire par
provision, ordonne la requalification , mais chaque fois quune dcision, quelle quelle soit,
ordonne la requalification, que la nullit de la rupture motive par larrive du terme est encourue.
Le visa de larticle R. 1245-1 du code du travail, lequel rend excutoire de droit titre provisoire
tout jugement prononant la requalification, incline retenir cette analyse.
La Cour tire de ce raisonnement une consquence indite. Le fait, pour lemployeur, de persister
dans lapplication du rgime du contrat dure dtermine, alors que, par leffet du jugement
ordonnant la requalification, le contrat est soumis au rgime dun contrat dure indtermine,
porte atteinte lexcution de cette dcision de justice et entrane, par voie de consquence, la
nullit de la rupture. Cette nullit nest rendue possible, conformment la jurisprudence Clavaud
(Soc. 28 avr. 1988, Bull. civ. V, n 257 ; D. 1988. 437, note E. Wagner ; Dr. soc. 1988. 428, note G.
Couturier), que parce quil est port atteinte un droit ou une libert fondamentale, rang auquel la
chambre sociale rige, dans le prsent arrt, le droit lexcution des dcisions de justice. La
nature de ce droit, mis en lumire par un auteur (S. Guinchard, Le procs quitable, droit
fondamental ?, AJDA 1998. 191 ), a t dtermine par la Cour europenne des droits de lhomme
(CEDH) : constatant quun droit daccs un tribunal devenait illusoire si une dcision restait
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inoprante au dtriment dune partie, il fut dcid que lexcution dun jugement ou arrt, de
quelque juridiction que ce soit, devait tre considre comme faisant partie intgrante du procs
au sens de larticle 6 de la Conv. EDH (CEDH 19 mars 1997, Hornsby c. Grce, req. n 18357/91,
40 ;AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss ; D. 1998. 74 , note N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1009, obs.
J.-P. Margunaud ; JCP 1997. II. 22949, note O. Dugrip et F. Sudre ; 28 juill. 1999, Immobiliare Saffi
c/ Italie, req. n 22774/93, D. 2000. 186, obs. N. Fricero ; not. en droit social, V. CEDH 20 dc.
2007, Miclici c/ Roumanie, req. n 23657/03, 45 ; RDT 2008. 442, note B. Bossu et J.-P. Tricoit ).
Reprenant quasiment mot pour mot cette motivation, la Cour de cassation poursuit ici un
mouvement, initi par une srie darrts rendus en 2013, qui tend protger diffrents droits et
liberts attachs au procs (not. Soc. 6 fvr. 2013, n 11-11.740, Bull. civ. V, n 27 ; Dalloz
actualit, 27 fvr. 2013, obs. B. Ines ;D. 2013. 440 ; Dr. soc. 2013. 415, note J. Mouly ; RDT 2013.
630, obs. P. Adam ; JCP S 2013. 1385, obs. F. Bousez [droit dagir en justice] ; 9 oct. 2013, n
12-17.882, Dalloz actualit, 29 oct. 2013, obs. B. Ines ;D. 2013. 2404 ; Dr. soc. 2013. 1055, obs. J.
Mouly ; ibid. 2014. 11, chron. S. Tournaux ; JCP S 2013. 1456, note A. Bugada [principe dgalit
des armes]).
Cet emprunt fait la jurisprudence de la CEDH ne va pas sans poser difficult. En effet, la Cour
europenne a apport une srieuse limite au droit lexcution des dcisions de justice qui nest
garanti par larticle 6 de la Conv. EDH que sagissant de celles qui sont devenues dfinitives et
obligatoires (CEDH 18 avr. 2002, Ouzounis et a. c/ Grce, req. n 49144/99, 21 ; D. 2002. Somm.
2572, obs. N. Fricero ; 13 oct. 2009, Ghioi et a. c/ Roumanie, req. n
os
2456/05, 5085/05 et
6149/05, 40). Il faut entendre par l que la dcision, prise sur le fond, ne doit pas tre susceptible
dune voie de recours, et ce, quand bien elle serait excutoire par provision (Rp. pr. civ., v Procs
quitable, par S. Guinchard, n
os
446 et 452). Or, cest justement une dcision qui nest pas, au sens
o lentend la CEDH, dfinitive et obligatoire que la Cour de cassation entend mettre sous le sceau
de larticle 6 de la Conv. EDH. La position adopte est, selon toute apparence, contraire celle
retenue par le juge europen.
Une diffrence semble toutefois subsister. La CEDH statue, en principe, dans le cadre dun litige qui
oppose un tat un particulier qui reproche au droit interne dtre contraire un droit ou une
libert garanti par la Conv. EDH, laquelle produit alors un effet dit vertical (Rp. pr. civ., v
Convention europenne des droits de lhomme et procdure civile, par S. Guinchard, n 108).
Lmergence et lapplication du droit lexcution des dcisions de justice sest faite dans ce
contexte. Le juge national, de son ct, est, du fait de lintgration du droit international dans son
propre ordre juridique, souvent amen sassurer du respect de la Conv. EDH dans les relations
entre particuliers et donc donner cette convention un effet horizontal (S. Guinchard, prc.). Il
effectue alors, cette occasion, un contrle de la conventionalit des lois et rglements, qui se
rapproche, sans toutefois sy apparenter totalement, celui opr par la CEDH. La deuxime
chambre civile a ainsi dj t saisie en vue dapprcier la conformit de textes lgaux ou
rglementaires au droit lexcution des dcisions de justice tel quil ressort de larticle 6 de la
Conv. EDH (Civ. 2
e
, 10 fvr. 2005, Bull. civ. II, n 28 ; D. 2005. 671, et les obs. ; RTD civ. 2005.
455, obs. R. Perrot ; Dr. et proc. 2005. 295, note C. Lefort ; Gaz. Pal. 22 juin 2006, p. 37, note B.
Moreau ; RD banc. fin. 2005. 28, note S. Piedelivre ; 4 oct. 2007, n 06-14.669, Dalloz
jurisprudence).
Mais le juge national peut avoir galement contrler la conventionalit des pratiques et
agissements des particuliers, entre eux, au mme titre quil en contrle la conformit la loi (comp.
Civ. 3
e
, 6 mars 1996, Bull. civ. III, n 60 ;D. 1997. 167 , note B. de Lamy ; ibid. 1996. 379, obs.
CRDP Nancy II ; AJDI 1996. 704 , obs. B. Wertenschlag ; RDI 1996. 620, obs. F. Collart-Dutilleul et
J. Derrupp ; RTD civ. 1996. 580, obs. J. Hauser ; ibid. 897, obs. J. Mestre ; ibid. 1024, obs. J.-P.
Margunaud ; JCP 1996. I. 3958, n
os
1 s., obs. C. Jamin ; Defrnois 1996. 1432, obs. A. Bnabent :
clauses dun bail dhabitation ayant pour effet de priver le preneur de la possibilit dhberger ses
proches considres contraires larticle 8 de la Conv. EDH). Or, il nest pas ici question de
contrler la conformit du droit positif la Conv. EDH laune du droit lexcution des dcisions
de justice, sachant que le droit franais rpond dj toutes les exigences de ce droit (S.
Guinchard, prc., n 452), mais dapprcier le comportement dune partie qui, place dans
lobligation de se soumettre une dcision excutoire, mme provisoirement, nen respecte pas les
termes. Le droit lexcution des dcisions de justice se prsente donc comme un droit
gomtrie variable : exclu des engagements dont les tats signataires ont la charge en vertu de
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larticle 6, 1
er
, de la Conv. EDH sagissant des dcisions qui ne sont ni dfinitives ni obligatoires,
ce droit intgre la sphre des relations entre particuliers concernant les dcisions excutoire leur
gard, serait-ce provisoirement.
La chambre sociale offre ainsi une garantie supplmentaire au salari qui bnficie de la
requalification ordonne par une dcision de justice provisoirement excutoire, puisque la rupture
prononce au motif de larrive du terme est frappe de nullit. Elle revient quelque peu sur un
prcdent arrt dans lequel elle avait refus de voir dans la rupture, pourtant prononce, aprs
requalification du contrat dure dtermine, au motif de larrive du terme, une atteinte un
droit ou libert fondamental (Soc. 13 mars 2001, Bull. civ. V, n 87 ; Dr. soc. 2001. 1117, obs. C.
Roy-Loustaunau : aucun appel ne semblait cependant avoir t form).
Mais la solution trouve sa principale limite dans linvocation par lemployeur de ce motif. Tout en
reconnaissant le changement de rgime juridique du contrat de travail conclu, des employeurs
seront probablement tents de ne pas maintenir leur service les salaris concerns, comme ils
lavaient prvus initialement par la stipulation dun terme, et, pour ce faire, de licencier ces
derniers, en courant toutefois le risque que cette rupture soit, par la suite, considre comme tant
dpourvue de cause relle et srieuse. Il suffirait donc quun employeur adoptt formellement un
autre motif de rupture pour chapper sa nullit et la rintgration, conscutive, des salaris. Il
aurait t toutefois possible, toujours dans le cadre de lexcution du jugement excutoire par
provision ayant ordonn la requalification, de prsumer toute rupture, prononce avant lissue du
dlai ou de la voie de recours engage, comme contrevenant au droit lexcution des dcisions
de justice. La prsomption tant simple, lemployeur serait admis apporter la preuve que le
licenciement est motive par une cause dont la ralit est tablie ; dfaut dune cause relle de
licenciement, celui-ci serait nul.
par Bertrand Ines
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