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A United Nations Educational, Scient& and Cultural Organization UIESEO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Organizacion de las Naciones Unidas para la Education, la Ciencia y la Cultura CULTURE, DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET TIERS MONDE Iulia Nechifor Studies and Reports of the Unit of Cultural Research and Management - No 6 Etudes et rapports de l’Unité de recherche et de gestion culturelle - No 6 UNESCO, CLT/CIC/CRM, 1, rue Miollis, F-75352 Paris Cedex 15, Tel :+33 (0)l 45 68 44 30, Fax :+33 (0)l 45 68 55 91 e-mail: [email protected]

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A United Nations Educational, Scient& and Cultural Organization

UIESEO Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture Organizacion de las Naciones Unidas para la Education, la Ciencia y la Cultura

CULTURE, DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET TIERS MONDE

Iulia Nechifor

Studies and Reports of the Unit of Cultural Research and Management - No 6 Etudes et rapports de l’Unité de recherche et de gestion culturelle - No 6

UNESCO, CLT/CIC/CRM, 1, rue Miollis, F-75352 Paris Cedex 15, Tel :+33 (0)l 45 68 44 30, Fax :+33 (0)l 45 68 55 91 e-mail: [email protected]

Ce document a été préparé par Mme Iulia Nechifor. Les opinions exprimées dans ce travail ne reflètent pas nécessairement les vues de l’UNESCO.

CLT/CIC/CRM/98/033

TABLE DES MATIÈRES

IXTRODUCTION

Première Partie : CCLTLXE ET DÉVELOPPE~IEXT : LA DYXA~IIQUE ET LES INTÉRXTIONS; LEVRS ENJEUX

1. LES RELATIOSS ENTRE CL’LTCRE ET DÉVELOPPE~IEST . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

1. La “dimension culturelle du développement”, une réalité controversée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

J 1. Lappr-oche anthpologif~rre et Itzmarrisfe.. ................................................................ 10 ,J 2. La I*ision éconovziste ................................................................................................. 16

2. L’importance de l’intégration des facteurs culturels dans les stratégies de développement.... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..a

i\‘ I. Ln ctllitire. fbttdeuteut de lotilès les acrir,ift;s Ittu~tLzittes ................................................ 31 -

A c 7. Les spGci,t?cit& locnlrs f;tce ctt~s infe~~eltiintts esogbies.. .......... .................................. 3-l -

11. LE DÉ\‘ELOPPE>IENT ÉCOSO\llQL’E ET SO3 ISIP:\CT SL’R LA CCLTLRE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

1. Enjeux du développement économique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2s

j. 1. Le choc des crilttires et ses cons+tieitce.s... 3s . . . . . . . . . . . . . . . . . .._.............................................-

J 2. Lrr prohltkrtiqtte du tramfert des coujtclissnuces ,....................................................... 31 j’ 3. Liririe et le pouvois : stratigies et ambigtrïtk des relutiorw entre Etctts dott(ztetlIs e[

Etals receveurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

2. Limites des modèles actuels de développement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

J 1. LU dichotomie dheloppetneut konorniqrre endogdne - dt;veloppentent ecortomique exog&e ._...__...._...._,..,..___,_.,..__.,.._.....,_......,............._............ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

‘Iç 2.Le Tiers r~tomiisnte: quelle réaiitt;, quelles sigrtificatiom aujota-d%tli? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

CLT-98/WS/7

Deuxième Partie : ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES DE DE L’APPROCHE CULTURELLE

DANS LES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT

Introduction

1. É~~L~TIO~DELAPRISEENC~MPTEDESFACTE~RSC~LTURELSDANSLES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT DES INSTITUTUIONS SUPRAETATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1

1. L’approche culturelle dans les programmes des institutions internationales................51

57 1. Les institutions des Nations Unies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1 J 2. L’e,upérience des autres agences de coopération et l’action des Organisations non

gouvernementales . . . . _, . . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . , . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5 6

2. Les organismes de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

$ 1. Les organimes mondiam- ......................................................................................... 60 $ 2. L’lhion Européenne ................................................................................................ 62 J 3. Organis~~~es rkgionam et locam.. .............................................................................. 63

11. PERSPECTIVES ET PROPOSITIONS ..<....,................................................................................ 64

1. L’approche culturelle : une réponse possible à la mondialisation... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

$ 1. Participation, col~in2laiicafioii. co~lfia~ce : couditioiis essentielles de la “ri~ussite” du dél*eioppenleni . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

J 2. Identité culturelle et dialogue des cultures : les dolrnkes cultrrrelles du 110~1’eau système mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

2. La portée de la décennie mondiale du développement culturel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

& 1. Rkfome et remodelage des institutions de dtheloppenleut.. ........................................ 69 & 2. Nkcessité de repenser les bases d’élaboratio,l des projets et progranmes.. .................. 72

CONCLUSIONS.. ...................................................................................................................... 75

BIBLIOGRAPHIE.. .............. .... ................................................................................................ 77

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INTRODUCTION

-En incluant l’ensemble de l’humanité dans le paradigme du développement - considéré comme la condition partagée par tous - Harry Truman ouvrait en 1949 au Tiers-Monde la voie vers la recherche de la croissance économique et du progrès technologique, dont le modèle parfait était offert par la société occidentale. Depuis, malgré les efforts des “pays en développement” pour aboutir à ces objectifs, les écarts entre leur niveau de vie et celui des “pays développés” restent très importants : 43% de la population mondiale appartient encore aux Etats “très pauvres” tandis qu’un tiers de l’humanité souffre de carences alimentaires.

Si les exigences du Nouvel Ordre Economique International (NOEI) ont dû s’effacer au début des années 80 devant la rigueur imposée par les programmes d’ajustement structurel, les nouvelles idéologies (stratégie des besoins essentiels, développement à visage humain, développement durable, développement humain, etc.) des organisations internationales et des Organisations non-gouvernementales, elles- mêmes en quête de légitimité, n’ont nullement réussi à offrir une solution viable pour améliorer de manière significative et définitive le niveau de vie de l’ensemble de la population.

“Otage” de la guerre froide, la croyance dans le developpement se trouve aujourd’hui confrontée avec les défis de la mondialisation; la fin des modèles remet en cause les théories globales existantes. le développement devenant un concept ambigu donnant lieu à des interprétations contradictoires. Ainsi, pour les uns, il serait synonyme de vaste mouvement qui, depuis deux siècles, entraîne l’extension du système marchand; pour les autres, il recouvre l’ensemble des mesures qui devraient permettre de rendre le monde plus juste en dépit de la rationalité capitaliste; ou encore - pure utopie, car la croissance infinie qu’il présuppose serait impossible.

En tout état de cause, une constatation s’impose : de nos jours, aucun pays en voie de transition, quels que soient son histoire, ses antécédents et ses traditions, ne peut ignorer le concept de développement, basé sur la notion de progrès humain et dont le vaste objectif est celui d’améliorer le niveau de vie de l’ensemble de la population, à l’instar du modèle occidental. Si le but est bien connu, la question fondamentale que se posent tous les pays.est de trouver le meilleur moyen de le réaliser, car les stratégies nationales ou les divers programmes et projets extérieurs se sont souvent soldés par des échecs.

En fait, probléme général et multidimensionnel après l’expérience vécue par un grand nombre de pays devenus indépendants vers les années 1960, le développement, selon le modèle “fabriqué en Occident”, s’est heurté à plusieurs obstacles hérités de la période coloniale : dépendance économique et technologique, rupture des systèmes

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socioculturels et socio-économiques, bouleversement des traditions, etc. Bien que ces distorsions soient de nature diverse et complexe, ce sont les spécialistes en économie qui ont été appelés pendant plus de trois décennies à résoudre les problèmes, à trouver la solution-miracle qui garantisse croissance économique et progrès technologique.

Ainsi, même si les grands axes du développement tracés par les Nations Unies ont évolué à travers des étapes successives: “l’industrialisation”, “l’être humain”, “l’environnement”‘, par exemple, le moyen d’y accéder reste invariablement le même : l’investissement à but lucratif, considéré comme garant de la croissance économique et condition préalable obligatoire du progrès dans tout domaine de l’activité humaine. Ce sont donc les bailleurs de fonds, agences bilatérales ou multilatérales, qui ont été amené à jouer un rôle primordial dans le processus de développement, leur méthodes de travail étant nécessairement basées sur les calculs optimisés de rentabilité et de rationalité économique et financière.

L’aide extérieure, le principal moyen de financement de ces investissements, ayant comme but déclaré de contribuer au développement des pays “pauvres”, a opéré à travers le temps, de manière diverse, des mutations majeures au niveau de la vie politique, économique sociale, culturelle de ces États, par le biais d’un procédé souvent contesté, mais qui reste toujours valable : celui d’imposer ou de transférer des “modèles” qui correspondent à la conception occidentale du développement : démocratie, économie de marché, croissance économique, etc. La conditionnalité de l’octroi des aides constitue une manière d’imposition de ces “modèles”. Mais il arrive souvent que des facteurs divers, imprévus, mènent à i’échec ces processus. Deux exemples pourraient être significatifs en ce sens :

- au Sommet de la Baule, le Président Mittérand mettait la conditionnalité de l’aide pour les pays de l’Afrique subsaharienne sous le signe de l’instauration de la démocratie dans ces Etats. Les bases techniques pour que ce climat puisse se développer furent aussitôt établies : multipartisme, droit de vote, liberté de la presse, etc. Les résultats concrets de ces changements sont, par contre, encore aujourd’hui, loin de ceux escomptés en 1990; menant souvent à de graves tensions internes, l’échec du processus démocratique dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne ouvre le débat et la réflexion sur l’efficacité du modèle politique occidental dans ces Etats, les comportements des acteurs politiques y étant régis par d’autres lois, différentes de celles des pays développés;

- selon les statistiques officielles, 33% des projets de la Banque Mondiale se sont soldés avec des échecs, les fonds investis au nom du développement, correspondant à des milliards de dollars, n’ayant pas atteint les buts pour lesquels ils avaient été alloués.

Face à de telles réalités, certaines questions s’imposent : Quelles sont les causes de ces échecs? Peut-on établir des liens entre échecs politiques et économiques?

’ Il s’agit des grandes tendances de l’aide au développement et des théories de dé,veloppement : 1950-1970 : approche quantitative, ère du volume, financement des infrastructures et de l’industrie industrialisante; 1970-1990’: approche qualitative, ère des besoins fondamentaux, priorité à l’autosuffisance alimentaire, à l’éducation et à la santé; 1988 : développement durable (Commission Brundtland); 1990 : développement humain (Programme des Nations Unies pour le Développement).

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En réalité, difficultés et échecs enregistrés au terme de nombreux programmes de développement pourraient être expliqués par le fait que, lors de leur élaboration et leur mise en pratique, on a ignoré généralement un aspect qui tient pourtant à une évidence : celle de l’impact perpétuel qui s’instaure dans ce processus entre les populations de ces pays, avec leurs propres modèles économiques, politiques, sociaux, culturels, religieux, qui relèvent chacun d’un mode propre, particulier de vivre et de concevoir le monde, et les pratiques et conceptions des pays industrialisés, qui leurs sont étrangères, souvent incompréhensibles, mais séduisantes par la promesse d’un horizon de bien-être et de suffisance matérielle. Les influences et les conséquences de cette interaction permanente sur la réussite des objectifs du développement sont significatives et devraient constituer le fondement de toute action en faveur de l’amélioration du niveau de vie des pays du Tiers Monde, quelle soit de nature économique, juridique, sociale, culturelle, environnementale, etc.

Tous nos développements dans le corps du seront tournés et dirigés vers les multiples aspects de ces rencontres contradictoires ou non-contradictoires. Mais peut- être pouvons nous simplement rappeler ici, avant de pénétrer plus avant dans le débat, l’existence d’une réalité banale :

La cr&zwe, les cultures relèvent assez largement de la spiritualité, de l’immatérialité. La culture est un ensemble de signes qui permettent de “reconnaître” une société, avec difficultés certes, compte tenu de sa diversité. Les cultures sont des “strates” successives qui ont forgé, fortifié, dessiné les contours d’une société, voire d’un Etat, et nous ne parlons pas la de stéréotypes habituels. La culture est “ambiante”, omnivalente, tout en étant par exemple, sociale, religieuse, artistique, économique, etc.

Le ~f~veloppert~e~~t est en fait, au moins dans plusieurs de ses aspects, beaucoup plus matériel, quantitatif, tout en favorisant des “sauts” qualitatifs. Kous ne v.oudrions pas laisser croire au lecteur que nous opposons “l’inutile”, l’ensemble de liens sociaux, humains, comportementaus, façonnés par l’e\.olution historique de la société d’une part, et d’autre part “l’utile”, le développement économique, opérationnel, qui, s’appuyant sur des moyens techniques, financiers et humains, fait évoluer la société, en principe vers le mieux-être. Nous voudrions simplement dire que l’une (la culture) et l’autre (le développement) sont en état de complémentarité ou de non complémentarité. C’est un questionnement qui nous paraît passionnant et qu’il faut tenter de mettre en oeuvre. malgré sa difficulté.

II convient par ailleurs de rappeler que les aspects visant une interdépendance déterminante entre la culture et le développement avaient été maintes fois affirmés et défendus par les populations des Etats en développement, et généralement reconnus comme valables par les facteurs de décision extérieurs, en l’occurrence les Etats “donateurs”, et pris en considération lors de l’élaboration d’un quelconque “projet”, ou “programme”, ou “stratégie” de développement. Mais l’éloignement des positions et des analyses est frappante pour plusieurs raisons. En voici quelques unes :

- il existe une position contradictoire entre les acteurs du développement, les Etats en développement et les organismes ou les pays “donateurs”, qui tient à la manière dont chacun conçoit la façon de résoudre ces problèmes : ainsi, les premiers considèrent-

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ils que l’adaptation de nouvelles méthodes aux spécificités locales se trouve dans la compétence des Etats receveurs d’aide, tandis que, au sein de ces derniers, les élites en place, grandes consommatrices de produits de luxe et donc adeptes de la “modernité”, soutiennent et acceptent facilement tout changement qui va dans le sens des modèles occidentaux de développement. Vue sous cette angle, la culture acquiert une dimension politique, en renvoyant aux rapports de pouvoir qui structurent en fait les différenciations sociales ou régionales particulières à chaque pays, ainsi que les relations internationales;

- un autre ‘obstacle important consiste dans la complexité de ces problèmes et dans le fait que, à la différence des théories économiques, il n’y a pas de “recettes” toutes faites qui permettraient de prendre en considération, dans l’élaboration et l’application d’un processus de développement, les spécificités d’une société ou d’un groupe social quelconque, les traits culturels qui leur sont particuliers; par conséquent, la culture, notion particulièrement riche en significations, comportant plusieurs dizaines de définitions, a été invariablement écartée des préoccupations visant les aspects du développement, étant considérée comme quelque chose de différent, “d’intangible”, par rapport à l!économie, qui elle, représentait “la réalité”, le tangible”, nous l’évoquions quelques lignes plus haut.

Mais face à la crise que traversent à la fois les pays industrialisés et les Etats du Tiers monde et au regard des problèmes de développement, on met de plus en plus en discussion la nécessité d’une révision du concept global de développement et une prise en considération progressive de la complexité des facteurs en interaction, considérés jusqu’à récemment d’un point de vue uniquement économique.

C’est à la suite de cette mise en question des stratégies actuelles que l’importance de la dimension culturelle commence à être reconnue, du moins à l’échelon international, en particulier par certaines agences bilatérales et multilatérales, concrètement engagées dans des projets, des politiques et des stratégies de développement. Ainsi, durant ces dernières années, de nouvelles expressions, comme “développement autocentré” ou

“développement endogène”, “développement intégré” ont été lancées par les Organisations internationales et surtout par l’UNESCO; elles ont le mérite de faire référence, par leur signifié même, justement à la finalité du processus en mettant en relief l’importance de l’initiative autonome des populations, à partir de leurs valeurs, traditions, manières de vivre et de leur dynamisme propres.

Dans cette perspective, il nous a paru stimulant et important de réfléchir, dans une première phase de notre recherche, sur le rôle de la culture dans le développement, sur l’importance de la prise en considération des facteurs culturels dans les stratégies de développement, ainsi que sur l’impact du développement sur les spécificités locales. Nous avons essayé, dans une deuxième phase de notre étude, de rendre compte de l’évolution de cette prise en compte de la culture dans le cadre des programmes et projets de développement élaborés par les organisations internationales et régionales, ainsi que des perspectives de cette évolution,

Notre démarche, nc vise donc pas à aborder les problèmes du développement culturel qui constitue en fair une des composantes principales du développement d’une

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société, mais de nous interroger sur la nécessité et l’utilité de la prise en considération de la dimension culturelle, notion controversée d’ailleurs, dans le développement.

La tâche est d’autant plus difficile que la réflexion que nous proposons rapproche deux thèmes considérés de manière générale par les économistes comme distincts et sans aucune liaison et influence réciproque : “culture” et “développement”. Ayant comme point de départ les travaux de l’UNESCO traitant ce sujet, nous essayerons de réfléchir sur la véridicité du fait que la culture représente non seulement une dimension comme les autres, mais le facteur fondamental du développement, qui sert de référence pour mesurer l’ensemble des autres facteurs et sans lequel il ne peut pas être véritablement réussi et durable.

Pour une meilleure compréhension des différentes formes d’impact entre les multiples facteurs endogènes et exogènes, nous avons procédé à des exemplifications concrètes, significatives à notre avis, qui pourraient démontrer I’interdkpendance et les liens profonds qui s’établissent entre les interventions extérieures à un certain milieu socioculturel et le type de transformations que celles-ci engendrent sur le mode de vie des populations visées, ainsi que l’influence exercée par ces actions sur la réussite des objectifs prévus.

Première Partie

LA CULTURE ET LE DÉVELOPPERIEXT :

LA DYN.KtIIQUE

ET LES INTÉRACTIONS; LEURS ENJEUX

In traduction

La nature hétérogène, incompatible des concepts de culture et de développement constitue un lieu commun de la théorie économique.

La culture - dans son acception courante’ -, est définie comme étant en même temps l’expression parfaite d’une société - avec ses traits distinctifs, spirituels, matériels, intellectuels et affectifs - et le résultat de son histoire, l’héritage de la créativité d’une société, dans ses formes littéraires et artistiques; du fait même des “éléments” qui la composent et la structurent, la culture n’est pas une réalité qui puisse être “quantifiée” et pour laquelle on pourrait prescrire des recettes de croissance ou de progrès; elle est immatérielle, “intangible”, qualitative, formée à travers le temps par des “strates” successives; elle est dynanlique, en perpétuelle évolutio~l et entre en contacts permanents, d’intérêt inégal, avec d’autres cultures. Les “cultures” sont, en fonction de l’importance des différences ethniques, plus au moins fractionnées, donc elles ne contribuent pas forcément à l’unité nationale, à la cohésion de la société.

Le développement, d’autre part, a été le résultat de la transformation des sociétés occidentales au début du XIX’ siècle, sous l’impact concomitant du libéralisme économique et du progrès scientifique et technologique, ce dernier étant considéré comme l’application systématique et le “produit” le plus remarquable du premier. Le dk.eloppement est donc quantitatif er quaritifiable, il peut faire l’objet des analyses concrètes donnant suite à des procédés et techniques bien définis visant i3 atteindre un certain seuil de croissance économique qui engendrerait le progrès social et l’épanouissement humain. Le développement est lui aussi é\‘olzrrif nwis SO/I ‘rnlollvemetlt” est pfm rapide, ~111s d>ïlatniqrte que celui de la culture; ses effets inmédiats sottt “matèriels”, “tarlgibles”, leur évaluation est possible facilement, par des calculs mathématiques de rentabilité économique et financière, et les solutions éventuelles obéissent aux règles déterminées a priori et applicables 2 tout contexte socioculturel. A la différence de la culture, le développement est unificateur et uéatew cle cohésiolz sociale, malgré les disparités et inégalités (rurakrbain, riche!pau\,re, etc.) qu’il contribue à faire naître.

Voilj. autant de différences qui ont fait qu’à travers le temps les théories sur le développement ont été effectuées sans prendre en considération une possible détermination réciproque entre les traits culturels et les progrès ou les échecs économiques enregistrés par une certaine société. L’existence d’une interdépendance profonde entre ces deux aspects a pourtant été dkmontrée, ou au moins présentée en tant que déterminante, par les spécialistes en anthropologie, les sociologues, mais aussi par les économistes qui se sont penchés sur les facteurs religieux et les traits culturels essentiels d’une certaine société pour expliquer les fondements profonds de sa croissance économique; nous avons groupé ces travaux sous l’appellation “humaniste”,

’ Sur les multiples types de définition du mot “culture”, v. ci-dessous, $1.

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étant donné le fait que cette approche met au centre de ses préoccupations l’être humain et son milieu socioculturel. De l’autre côté, on retrouve les théoriciens de l’économie capitaliste qui considèrent, arguments à l’appui, que le développement est indépendant de la culture.

Il convient par ailleurs de spécifier que cette “division” n’a pas un caractère radical, car les conclusions des spécialistes des deux champs de recherche sont souvent entrecroisées, voire identifiées. Le débat sur ces questions, ainsi que l’impact de la culture sur le niveau du développement constitueront les sujets du premier chapitre de cette partie, tandis que le deuxième chapitre sera consacrée plus particulièrement aux changements et aux conséquences que le développement, dans sa forme et acception actuelles, peut opérer sur les cultures des pays du “Sud”.

1. LES RAPPORTS ENTRE LA CULTURE ET LE DEVELOPPEMENT

1. La “dimension culturelle du développement” : une réalité controversée

Sous l’appellation “dimension culturelle du développement” ou “aspects culturels du développement” on désigne généralement la prise en considération des facteurs culturels qui caractérisent une certaine société lors de l’élaboration d’une stratégie de développement concernant cette société.

Pour la première fois, la reconnaissance du rôle fondamental de la culture dans les stratégies mondiales de développement lient d’être explicitement exprimée dans un rapport d’évaluation du Corps Commun d’Inspcction des Nations Unies, concernant la mise en oeuvre du Nou\.el Agenda pour le développement en Afrique pour les années 1990. Ce rapport affirme notamment que c’est seulement quand le processus du développement sera véritablement enraciné dans le système de rationalité des populations africaines qu’elle s’engageront pleinement dans la maîtrise des mécanismes de modernisation : “l’un des problèmes les plus fondamentaux pour les efforts de modernisation de l’Afrique concerne les facteurs culturels internes, plus précisément l’interaction entre les valeurs et pratiques socioculturelles traditionnelles et les impératifs du développement modeme.” Un rôle important dans cette évolution récente revient à l’UNESCO, la dimension culturelle, un des thèmes majeurs de sa doctrine, prenant forme depuis la Conférence de Venise (1970) et étant devenue aujourd’hui le facteur fondamental du développement, qui sert de référence pour mesurer l’ensemble des autres facteurs.

L’évolution de cette prise de conscience fut longue et sinueuse, car les stratégies de développement adoptées par les pays nouvellement indépendants étaient supposées reproduire le modèle des sociétés occidentales hautement urbanisées et industrialisées.

Après plusieurs décennies pendant lesquelles le développement a été réduit à sa dimension strictement économique et face à de nombreux échecs de cette stratégie, on

’ cit6 irl UNESCO, L’nppl-de culturelle du fl~veloppemetlt. Mr~t~~iel de plfzt2ijc~ztiotl : principes et imttxtt2enfs, Paris, Unesco, 1997, p. 99.

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commence à s’interroger sur les causes de cet état de fait. C’est ainsi que les travaux des anthropologues et sociologues (Taylor, Lévi-Strauss, Max Weber, Durkheim, etc.), tout comme ceux de certains économistes, tel François Perroux, par exemple, sont devenus le point de départ pour l’explication des effets des transformations subies par les sociétés traditionnelles sous l’action du développement économique.

$ I. L’approche ardu-opologique et humaniste

. L’héritage anthropologique’

La “dimension culturelle” est une approche relativement nouvelle des stratkjes mondiales du développement; ses adeptes la considèrent comme étant la seule capable à offrir une solution viable face aux événements et aux crises qui ont marqué la politique du développement et ont réévalué périodiquement l’importance du facteur culturel. L’idée de départ est que le développement durable ne peut exister que par la prise en considération “du contexte socioculturel dans lequel se situe le développement, et des conditions spécifiques liées à la culture concernée.“’

Dans cette optique, la culture est entendue dans le sens anthropologique du terme, comme “l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances,” Cette difinition figure au Prénmbzrle du Rapport fiun de la Corlféreme cordiale sw les politiques cdtw-elles, iLlexico, 1982, et constitue le point de départ des stratégies “intégrées” du développement.

Deux traits essentiels de cette définition acquièrent une valeur sienifîcative pour le développement : le caractère collectif(étant caractéristique pour une société ou pour un groupe, la culture est sociale, elle définit une façon d’être ensemble avec les autres) et sa dimemio/r globalisallte (elle consiste dans l’ensemble des activités par lesquelles une société se définit et s’identifie).

Cette définition est applicable j toutes les sociétés, occidentales et non- occidentales, “en développement” et “développées”, mais “elle s’applique avec une force particulière i de nombreuses communautés dans le monde en développement, où l’identité du groupe a encore priorité sur le sens de l’identité individuelle, pour

’ Dans cette présentation, nous nous proposons de rendre compte de la contribution des anthropologues et ethnologues pour la dkfïnition du concept de culture, d0finition qui constitue d’ailleurs le point de départ des approches culturelles du développement. Nous rappelons pourtant au lecteur que l’anthropologie, dans sa forme initiale , (en étudiant les peuples non industrialisés comme des “sauvages” a été souvent critiquée et traitée de “science de servitude” qui vient au secours des interventions néo-coloniales, pour accélérer au plan mondial la dominante du capitalisme. Cette attitude persiste encore aujourd’hui chez des auteurs tels Pierre Jallée (Le pillage ht Tiers Mortde, Maspéro) ou Samir Amin (Le dtivelopperllent du capitalisme en Côte #Ivoire, L’accunmlation k l’échelle mondiale, etc.) Pour plus de détails sur ces aspects, cf. aussi Auzias (J.-M.), L’anthropologie contemporaine, PUF, 1976, p. 3 l-95. ’ Claxton (kl.), Culture et D&eloppement, Etude, Paris, Unesco, 1994, p. 9.

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structurer la réalité psychologique de ses membres et déterminer leur capacité à agir en leur propre nom et avec confïance.“6

En fait, la définition de la culture constitue un problème épineux de l’analyse anthropologique et sociologique, car il existe quasiment autant de définitions de la culture que d’auteurs, d’où son ambiguïté.

Tout d’abord, il semble que l’on persiste à confondre au moins trois ou quatre sens pourtant bien différents du mot “culture” :

a) UM sens étroit, directement issu d’une conception occidentale et élitiste de la société : il désigne les oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire les “beaux-arts” et les “belles lettres”;

b) plus largement un sens sectoriel : est une culture tout ce qui relève du “système culturel” opposé aux autres systèmes (politiques, économique et bio-social), et qui comprend à la fois la langue, les mentalités, l’opinion, l’information, l’éducation, la recherche scientifique, la philosophie, les religions’;

c) WI setls global ou atztlwopologiqzle : une culture se définit alors comme l’ensemble des institutions, des techniques, des comportements, des croyances et des valeurs qui caractérisent une société donnée, considérée dans sa spécificité et sa différence; c’est en ce sens que l’on parle de “dialogue des cultures”;

d) enfin ut1 setu c[\~tznmiqzte et clincltrortique, le plus important peut-être, parce qu’il reprend et traverse tous les autres : la culture, qu’elle soit individuelle et collective, retrouvant son sens originel et métaphorique (crflti~vt- lc sol), serait à la fois retour aux

sources, c’est-à-dire reconnaissance d’une identité et d’un patrimoine commun, et projet, création continue tournée vers l’avenir. En ce sens, “la culture serait l’agent transformateur de ce patrimoine et la clef d’un véritable développement.“”

Les différents glissements de sens, ainsi que la complexité de ses “composantes” expliquent la difficulté de définir ce concept. Les ethnologues américains A. L. Kroeber et C. Kluckhohn ont réalisé une typologie des définitions de la culture. Selon eux, le terme “culture” aurait connu sept définitions différentes entre 187 1 et 1919, et 157, entre 1920 et 1950. Ils ont ainsi identifié des définitions de type énzmérntif (à l’instar de Taylor, la culture est envisagée comme un ensemble constitué par “les connaissances, les croyances, l’art, le droit, la morale, les coutumes et toutes les autres aptitudes et habitudes qu’acquiert l’homme en tant que membre d’une sociét锓), historique (la culture représente un héritage social, une somme de comportements appris), tzonnntif(la culture est une manière de vivre commune aux individus formant une société donnée et

6 UNESCO, op. Cif., 1997, p. 33. 7 cf: Michaud (G.), Marc (E.), ICrs we sciér~c des civilisntiw~. ‘), Bruxelles-Paris, Complexe-Hachette, 1951, pp. 13-24. ’ hllchaud (G.), Poirier (J.), C’c~ltwe et d~veloppernet~t. Ouver-turcs pour- wzc phgogie irz~teracti13e, Paris, UNESCO, 1984, p. 6. Sur la polysémie du mot “culture” et la confusion à laquelle donnent IIW le sens et l’usage de ce concept, v. aussi, par exemple, Beneton (P.), Culture. Corltributiotl ri l’histoiw d’un r?lof,

Paris, Univ. de Paris 1, 1973, ou Hell (V.), f.‘id& de cdtwe; Paris, P.U.F.,1981. ‘Taylor (E.B.), PrirtlitiLv Cllltrwe, Boston, 1871, p.‘l.

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un ensemble de règles et des idéaux conçus pour ptkenniser les interactions sociales), psychologique (la culture apparaît comme “manière apprise de résoudre des problèmes”), strztctztrale (selon Lévi-Strauss”, la cu!ture est un réseau cohérent le significations dans lequel s’insèrent tous les secteurs de la vie sociale : parenté, religion, politique, etc.), génétique (toute interaction sociale durable implique la mise en place d’un mode de communication, la culture, unissant tous les acteurs et se situant à un niveau beaucoup plus abstrait et beaucoup plus englobant que les comportements explicits qui, au gré des situations, peuvent être autant complémentaires que divergents) et sémiotique (la culture suppose un “code”, c’est-à-dire un système de significations que les membres d’un groupe connaissent et utilisent dans leurs interactions).”

L’étude de la portée opératoire de ces définitions montre leur caractère complémentaire. Ainsi, tout en concevant la culture comme l’ensemble des productions récurrentes de l’action sociale, les définitions de type énumératif, historique, normatif postulent en fait la cohérence de ces productions, leur caractère unitaire, tandis que les analyses structurales et sémiotiques offrent l’explication de cette cohérence, en l’occurrence l’appartenance de ces productions au même code, au même système de significations; quant à la définition génétique, celle-ci met en évidence le caractère dynamique de la culture, son évolution et transformation sur l’impact des interactions avec d’autres cultures, donc systèmes de significations.

Culture et explication sociologique

Les théories de la sociologique politique et économique ont le mérite d’aL.oir démontré justement la complémentarité des différents éléments qui figurent dans les difinitions des anthropologues; elles ont eu une contribution majeure quant à l’explication des liens qui unissent le système de significations d’une société, sa culture donc, et les facteurs qui concourent à la transformation économique ou à la modification de la structure sociale de celle-ci.

Ainsi. se proposant d’analyser les rapports entre I’acfiotz et Ier sigtl~$caiiot~, Xlas \Veber, un des “péres fondateurs de la sociologie économique”, fixe-t-il pour objet de cette science, la “connaissance de la signification culturelle et des rapports de causalité de la réalité concrète.“” Dès les premières pages d’Ecotzotnie et Société, l’auteur définit l’activité comme “un comportement humain (...), quand et pour autant que l’agent ou les agents lui communiquent un sens objectif.” L’activité devient sociale dès lors que “d’aprés son sens visé par l’agent ou les agents, (elle) se rapporte au comportement d’autrui, par rapport auquel s’oriente son déroulement.“‘3 En associant l’analyse de l’activité humaine et celle de la signification, Weber revendique donc à la sociologie une dimension culturelle. Dans cette perspective, l’auteur considère que les comportements “strictement traditionnels” et “strictement affectuels” se situent à la limite de l’activité orientée significativement.” La tradition, la réaction affective, comme la rationalité en

“Lévi-Strauss (C.), Anthropologie strztcturde, Paris, Plon, 1958, p. 34. ” Sur ces définitions, cf. Kroeber (A.L.), Kluckhohn (C.), Culture. A Critical Rrvirw ofcotl~epls flttd cl$îinitions, New York, Vintage Books, 1952, p. 105 et sqq. ” Weber (M.), Essai SI lr la tlrL;orie de In Scietux, Paris, Plon, 1965, p. 157. “Weber (ici.), Economie et sociht;, p. 4.

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valeurs nous placent en face d’activités puissamment révélatrices de la pluralité et de la discordance dont l’histoire a affecté les cultures.”

On se rapproche, ainsi, de la construction anthropologique de la culture, mais en l’enrichissant de plusieurs acquis. Tout d’abord, les conditions de genèse des cultures sont déterminées non pas par les systèmes sociaux, mais par les acteurs, par leur compétition et leur créativité face à des défis donnés. Elles sont indissolublement liées à l’action, à la relation sociale, et surtout à la répétition de celle-ci.

C’est par le biais du pouvoir, de la domination (les rapports de force organisent la concurrence entre groupes de statuts porteurs “d’intérêts idéaux et matériels” particuliers et cette compétition consacrera la domination de l’un d’entre eux dont les modèles de comportement et les valeurs vont devenir sources d’engagement personnel pour chaque individu composant la société) ou de la coutume (l’action humaine n’est pas à chaque instant création, mais la plupart du temps imitation, reprise de signification acquises) que la signification de l’action glisse de l’individuel vers le collectif, pour fabriquer cette “toile de significations” qui emprisonne et contraint tous les individus insérés dans les mêmes interactions sociales. Cette attitude culturaliste est très répandue chez le sociologue allemand; il note, par exemple : “Ce qui nous intéresse, nous économistes, est l’analyse de la signification culturelle de la situation historique qui fait que l’échange soit de nos jours un phénomène de masse.“”

C’est donc à tra\.ers l’interaction entre les différents acteurs en contact que se forge un certain système de significations auquel ces acteurs vont s’identifier. Dans le cas où les rapports de force finissent par imposer les “modèles des dominants”, cette interaction risque d’induire la perte, la destruction de ceux des “dominés”. Si l’on se rapporte maintenant à la tendance contemporaine de l’économie capitaliste vers l’universalisation, on peut déduire qu’il serait inévitable que la réussite de ce processus dépende du pouvoir de ce modèle “dominant” de s’imposer face aux coutumes locales; leur disparition, totale ou partielle, serait donc imminente à long tene.

La culture et sa portée opératoire

Mais au-delà des difficultés rencontrées pour définir la culture, le recours à ce concept pose aussi des problèmes de méthode, qui, incontestablement, limitent sa portée opératoire. En s’interrogeant sur la relation entre la culture et la politique, Bertrand Badie signalait la complexité et les limites de l’analyse opérationnelle de la culture dans les termes suivants : “Le concept est d’abord victime de sa pertinence : s’il permet d’appréhender le système de significations propre à chaque collectivité, il relève déjà les contraintes qui pèsent sur l’observateur, appartenant lui même à une culture qui le conduit à percevoir les traits culturels qu’il étudie en fonction de son propre système de sens. Plusieurs préalables méthodologiques pourraient être dès lors posés : peut-on appréhender la culture de l’autre avec sa propre culture? Peut-on préserver l’identité d’un système de significations en le présentant et en l’exprimant par recours à un autre

système qui lui est étranger ? Le simple acte de traduction, n’est-il pas déjà source considérable de réduction, voir de détournement de sens?“‘6

Une des explications du retard avec lequel la sociologie politique et économique occidentale s’est penchée sur les problèmes culturels du développement réside peut-être justement dans le fait qu’elle a longtemps refusé de se poser ce type de questions, l’une des difficultés méthodologiques majeures concernant la dimension des cultures. Le langage courant est déjà responsable de malentendus, lorsqu’il parle indistinctement de “culture française”, de “culture bretonne”, de “culture occidentale”, de “culture ouvrièr.e”, mais aussi de “culture dominante”, de “subcultures” ou de “microcultures”. Le langage scientifique alterne habituellement cette variété d’usages, entretenant un débat sans fin sur le point de savoir s’il convient de concevoir “une culture islamique” ou “des cultures islamiques , ” “une culture chrétienne” ou “des cultures chrétiennes”.

De ce point de vue, une premiére évidence s’impose : on n’établit pas une carte des cultures comme on établirait un tableau de l’évolution de la croissance économique. Ces derniers renvoient à une réalité et à des critères concrets; la culture renvoie, au contraire, à un construit complexe, dont les limites varient en fonction de l’objet étudié, et qui implique donc une décision, un choix du sociologue.

Un exemple très connu en ce sens est l’analyse effectuée aussi par Iclax Weber qui considère que les traits essentiels de l’éthique puritaine se trouvent à base de la formation du capitalisme moderne. En effet, en observant la culture comme “fait de société”, LVeber envisage la formation du capitalisme moderne non pas comme une catégorie universelle d’action sociale, mais comme un “individu historique” qu’il ramène à une signification culturelle précise.” En opposant protestantisme et catholicisme, le sociologue identifie l’existence d’une interdépendance évidente entre les valeurs de la religion puritaine et celles du capitalisme moderne qui rompt avec les pratiques capitalistes médiévales, se distinguant ainsi des capitalismes extra-occidentaux et fondant un modile d’action singulier. En mettant en évidence l’importance de la prédestination. Weber considkre le puritain un être perpétuellement an_aoissé, orienté vers une action qui lui donnera la certitude qu’il fait partie des élus; recherchant la performance plus que le luxe, cultivant l’ascèse plutôt que le goût de l’argent, son action sur terre s’organise de la façonla plus rationnelle possible pour que, par la réussite de son travail, il puisse acquérir l’assurance de son salut.

Trois traits culturels essentiels de l’éthique puritaine pourraient expliquer cette attitude :

Tout d’abord, le protestantisme renvoie à une tension maximale entre l’ordre du “cosmique” et l’ordre du “terrestre”. L’action humaine acquiert une signification volontariste qui l’écarte de la résignation et de l’extase religieux : la recherche du salut signifie donc que l’homme donne la pleine mesure de sa créativité, ce qui condamne dkjà le monachisme catholique.

” Badie, (B.), Culture rtpolhque, Paris, Ed. Economica, 1993, p. 77. “Weber (M.), L’Ethiq[<eprotestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964, p. 45.

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De même, le puritanisme mène plus loin que tout autre culture, le “désenchantement du monde”, la régression de la magie, l’abolition des fonctions sacramentelles et donc la déliquescence des institutions religieuses telles que le catholicisme romain les avait forgées. Enfin, l’action sociale prend ainsi une signification purement individualiste, car en agissant dans la société, l’homme agit pour la recherche de son propre salut, mais sans l’intermédiaire d’une quelconque institution, et donc seul face à Dieu.18

Weber affirme et démontre ainsi qu’il existe une détermination directe entre la culture, dans le sens anthropologique et sémiotique du terme, et le comportement des acteurs sociaux, ce dernier entraînant et expliquant le choix et la définition d’un modèle économique.

C’est ainsi que l’on explique aussi la naissance et la diffusion du développement occidental à partir des valeurs culturelles de la société européenne. Propagé rapidement aux XIX~ et XX~ siècles sur presque l’ensemble de la planète, par le biais de la colonisation et des échanges commerciaux, le modèle de développement occidental n’est pns un cortcept czilturellemeï~t ïieutre, il est enraciné dans la notion occidentale de progrès qui, ajoutée à celle d’indépendance individuelle, dont les premiers signes sont apparus lors de la désintégration de la société féodale européenne, a évolué à partir du XVIIIe siècle en un individualisme et un sens de la compétitivité appliquée à l’accumulation de richesses.

Il existe donc d’une relation profonde entre la culture occidentale et le modèle du développement de l’Occident, ce dernier étant “un modèle endogène”, issu de l’évolution des rapports sociaux en Europe, ce qui démontre encore une fois le caractère complémentaire de ces deux concepts.

La prise en compte de la contribution des études anthropologiques et sociologiques pour la dCfïnition de la culture et du rôle qu’elle détient dans la structuration d’une sociét?, permet de mieux comprendre les étapes successives du mouvement d’intérêt qu’on a pu observer depuis plusieurs décennies à l’égard de la culture; cette évolution s’inscrit parallèlement dans l’histoire des idées et dans les politiques suivies en ce qui concerne le développement du Tiers Monde.

j 2. La vision écotiomiste

Scientifiquement construit par les anthropologues, le concept de culture dispose chez eux, on l’a vu ci-dessus, d’un statut privilégié, pour apparaître comme l’objet central d’analyse et marque d’identité de cette science. Daw le domaine de l’économie, par corltre, le concept de culture a été réduit 6 lule réalité banale, ci une variable parmi tant d’autres, par rapport atrxquelles il cottviendra de la situer. Il s’agit du fait que la culture est prise le plus souvent dans son sens restreint, réduit à la conception

” Pour plus de détails sur cette thèse et l’opposition entre l’étique puritaine et celle catholique, ct irlw, p. 122etsqq. ,

, 18

occidentale de la société et désignant les oeuvres de l’esprit, les production littéraires et artistiques d’une société ou d’un groupe social quelconque.

L’économiste cherchera également àe l’utiliser comme instrunre~lt de comparaison, pour percevoir et interpréter les écarts qui séparent entre em les différents systèmes économiques; il sera ainsi sans cesse tenté de ramener les cultures a des catégories miverselles permettant d’éclairer des diffërences ou d’appréhender des similitudes. C’est ainsi que l’on reconnaît, par exemple, le “miracle asiatique” par les valeurs de l’éthique confucéenne.

. Partant de ces principes, certains théoriciens considèrent que le développement

respectueux des valeurs culturelles des diverses sociétés n’a pas de sens et qu’il ne saurait constituer une solution possible et souhaitable des problèmes actuelles du Tiers Monde. Leurs arguments portent sur le fait que le modèle de développement capitaliste est unidimensionnel, le seul viable et capable d’offrir l’horizon de mieux-être espéré par les populations les pays “sous-développés” et l’unique moyen pour réduire les fléaux (démographie, famine, guerres, maladie, etc.) avec lesquelles celles-ci se confrontent : “Le respect des cultures n’est pas une valeur en soi. Si le respect des cultures signifie le maintien de la misère, de la pauvreté et le mépris des droits élémentaires de la personne humaine, il n y a pas lieu de regretter la déculturation et l’occidentalisation.“‘9

La dimension culturelle dans les préoccupations concernant le développement serait une pure illusion, une conception utilitariste de la culture impliquée sans raisons dans le développement. L’exemple-type, souvent cité en ce sens, est celui de l’économie informelle, qui s’est développée et fonctionne dans ces pays à l’instar du modèle de l’économie de marché et dont la création est indépendante de l’identité culturelle de ces sociétés : ” . ..la reconnaissance culturelle véritable se trouverait dans ce cas annulée par le modèle économique de développement unidimensionnel.““’

De même, dans un texte” sur l’économie et l’éthique, Benjamin Higgins soutenait que la pensée économique classique est de plus en plus pertinente en matière de développement, tout en soulignant les limites des analyses économiques lorsqu’il s’agit de comprendre les problèmes actueIs du développement et de s’y attaquer : “La macro-économie analyse le fonctionnement des économies nationales dans son ensemble. Elle étudie le comportement des ménages, des entreprises, des travailleurs et des investisseurs en vue d’expliquer la structure des prix, l’allocation des ressources et la répartition des revenus. Sur le plan de la politique, la tâche principale de la macro- économie est d’assurer une croissance soutenue [du revenu par tête d’habitant] en même temps que le plein emploi et de prévenir l’inflation. Elle est essentiellement neutre quant à la répartition des revenus entre les catégories sociales, entre les régions d’un même pays et entre les pays eux-mêmes. Elle repose sur un seul jugement de valeur : la croissance soutenue, le plein emploi et des prix stables sont de bonnes choses.”

” Latouche (S.), “La culture n’est pas une dimension”, in C’li;s, n”lJ, fév. 1990, p. 63. ” Irlrm, p. 55. V. aussi zi ce sujet Perret (D.), “La dimension culturelle du dbeloppement : un nouve gadget”, ibidm, pp. 4 l-54. ” “Economies and etnics in the new approch to development”, in Philosop/~~v itz cotrfaf, vol. (Plriiosophy utd Econotnics), 1978, pp. 7-29.

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3l.l

7

Ce genre d’analyses s’inscrit dans la lignée théorique des spécialistes en économie qui ont marqué les grandes tendances de l’aide au développement dans l’histoire d’après-guerre.

Les étapes d’une prise de conscience

Dans une première étape, qui correspond sensiblement aux années 50, on reste fidèle à la fois au schéma d’origine marxiste, qui donne priorité aux infrastructures, à “l’industrie industrialisante”, et à la conception étroite et élitiste de la culture, celle-ci étant identifiée avec les oeuvres de l’esprit, c’est-à-dire les “beaux-arts” et les “belles lettres”, ainsi qu’en témoignent notamment le domaine spécifique réservé aux Ministères de la Culture qui voient le jour à cette époque, ou la dénomination même de l’UNESCO, dans laquelle la culture figure en appendice à la science et à l’éducation. Les projets de développement ignorent complètement les aspects culturels, qu’il s’agisse de la coopération internationale multilatérale ou bilatérale.

Dans cette perspective, on peut apprécier que, dès le début des théories développementalistes, le facteur culturel n’a été introduit que de façon négative : l’environnement traditionnel (tradition, oeuvres, coutumes) était incompatible avec tout progrès économique.

A partir des années 60, on a tendance à remettre en cause le primat de l’économique au profit du politique et de l’importance de la notion de pouvoir dans l’interprétation de tout système sociétal, avec l’opposition dominantidominé. Dans le même temps, les puissances coloniales reconnaissent l’indépendance de nombreux pays qui accèdent ainsi à la souveranéité politique sur le plan international en revendiquant un plein accès à la science et à l’éducation de type occidental, c’est-à-dire le droit d’avoir une politique de la culture au sens systémique.

Avec les années 70 s’ouvre une nouvelle phase, durant laquelle on reconnaît de plus en plus que ce qui est premier, ce n’est pas le conditionnement économique ou le mode d’autorité et d’organisation de la vie politique, mais les manières de penser, la situation de l’être au monde, les conceptions ontologiques et philosophiques; les idéologies d’une société sous-tendent elles-mêmes pour une large part non seulement les mentalités, les comportements, les opinions, mais aussi les institutions politiques, la vie économique et les rapports sociaux. L’idée de départ de ces constatations était que les sociétés s’organisent autour de réseaux d’interrelations qui se nouent entre les individus et les groupes, entre les groupes et l’ensemble sociétal, entre la nature et la culture donc, celle-ci étant prise dans son sens global et anthropologique.

A cette époque, le même mouvement s’observe dans les pays du Tiers Monde, qui exigent maintenant la décolonisation et l’indépendance culturelle. Peuples et ethnies s’engagent dans la quête de leur identité par un retour aux sources de leur propre culture, cependant que 1’Unesco commence à mettre l’accent sur la dimension culturelle du développement, ce qui implique qu’il ne saurait y avoir de véritable développement qui ne s’enracine dans les modes de vie, les croyances et la conception du monde de la communauté concernée. On saisit ainsi que le développement passe par la

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compréhension des ressorts profonds des sociétés? le système de valeurs traditionnelles propre i ceux qui avaient été jusqu’alors les “peules du silence.”

C’est ainsi que l’on affirmait au sein des organisations internationales et surtout de l’UNESCO, la nécessité de passer d’un modèle de développement imposé - celui occidental -, à ce que l’on a appelé “développent endogène intégré”, basé sur la prise en charge, par les populations concernées elles-mêmes, de leur propre futur; la culture était censée ainsi de passer du statut de “surplus” ou de “plus” à celui de donnée première et condition même du développement.

Cette nouvelle position sera affirmée à travers les dernières décennies à l’occasion de nombreux discours et congrés à portée régionale ou mondiale et bénéficiera de l’adhésion successive des organismes bilatéraux ou multilatéraux de coopération et développement.

Au niveau pratique, la crise financière des Etats et les nombreux dysfonctionnements apparus dans des économies dépendant des capitaux extérieurs, aide ou crédits, ont conduit les théoriciens i revoir leur approche du décollage économique. C’est ainsi d’ailleurs que l’approche qualitative du développement commence à prendre le relais sur celle quantitative : la théorie des besoim essentiels (former les hommes par de vastes programmes d’éducation, puis satisfaire leurs besoins alimentaires) et les plans d’ajustement stmcm-eI (alIouer aux Etats des sommes forfaitaires, déboursées par tranches, à condition qu’ils appliquent certaines mesures économiques : amélioration du système d’incitation à l’exportation, réforme budgétaire et fiscale, assainissement des entreprises publiques, privatisation de certains secteurs de l’économie, modification des prix agricoles, etc.) constitueront les priorités de l’aide au développement depuis le début des années SO.

Mais le passage des discours aux actes est loin d’être réalisé. Les difficultés de la portée opératoire du concept de culture, ainsi que la négation de nombreux spécialistes en économie de l’utilité de cette démarche dans le processus de développement expliquent le fait que l’application de ces principes est restie le plus souvent lettre morte.

L’étude de ces grandes théories dans l’histoire du développement montrent l’existence d’une idéologie dominante ethnocentrique qui repose sur les bases suivantes :

1. Utze corrceptiorr linéaire et mécanique de l’histoire qui présuppose que toutes les sociétés doivent passer par les mêmes étapes de dtkeloppement pour partenir au stade où l’appareil économique est en mesure d’assurer le même niveau de revenus que celui des populations des pays considérés comme “développés”. Ce schéma trouve son expression la plus explicite dans la théorie de “l’impulsion massive” et son démenti le plus flagrant, dans l’histoire économique des pays producteurs de pétrole.

2. U)t raisonnement teclznocelztriqzte selon lequel le principal objectif de toute société serait d’acquérir les valeurs qui caractérisent les sociétés dites “développées” : esprit d’initiative, de profit, de compétition, de sécurité matérielle et surtout acharnement pour parvenir à posséder certains biens et senices typiques des sociétés hautement industrialisées.

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3. Un point de vue hautement économique, à savoir l’idée qu’une utilisation appropriée des instruments de la politique économique est suffisante pour permettre à un pays d’atteindre les objectifs énoncés ci-dessus.

L’analyse sommaire des effets de l’application de cette idéologie nous conduit à quelques observations qui relèvent d’une évidence :

Tout d’abord, les résultats du développement mimétique furent très souvent décevants, voire flagrants par l’ampleur des échecs répétés. Ainsi, bien que l’ajustement structurel, par exemple, expérimenté d’abord en Asie et en Amérique latine (dans des pays très endettés, mais ayant amorcé un processus de diversification économique et d’industrialisation endogène), ait-il permis de rétablir les grands équilibres financiers et de restaurer la confiance des investisseurs étrangers, le “coût social” fut élevé; en Amérique latine on parle de “décennie perdue du développement.“2’ De même, appliqué en Afïique au milieu des années 1980, l’ajustement structure1 n’y obtient pas les résultats escomptés. Les causes invoquées étaient de nature différente : mauvais fonctionnement des infrastructures, agriculture très dégradée, absence d’intégration villes-campagnes, etc.

En second lieu, l’application de cette idéologie a créé en fait un mécanisme de transfert ne czdtul-e (entendue ici dans le sens anthropologique du terme), des pays industrialisés vers les pays en développement, du centre vers la périphérie. Ainsi, des sociétés dépourvues de moyens suffisants ont adopté un style de vie qui n’est accessible qu’à une minorité de la population, ce qui a hypothéqué en fait leur avenir économique et compromis la présen-ation de leur identité culturelle.

Sans nier l’amplwr de certains progrès économiques issus du développement, ni les apports bénéfiques de la science et de la technique, il convient de rappeler ici que ces changements ont été gCn5ralement opérés sans tenir compte de deux facteurs essentiels : le “coût social”, en termes de violence et d’angoisse collective et individuelle résultant de transfomlations jugées “positives”, et les obstacles aux processus d’évolution propre 3ux sociétés concernées.

La prise en considération de ces facteurs ne met pas en question la nécessité et l’utilité du développement, mais exige d’adapter les buts au moyens et aux besoins des populations concernées, sans créer des répercussions négatives sur leur niveau de vie et sur leur identité culturelle.

C’est dans cette perspective que la dimension culturelle pourrait apporter une solution, parmi d’autres, certes, à la réussite du processus de développement. Pour cela, il convient de réfléchir sur les raisons pour lesquelles la culture pourrait offrir ces solutions et sur les effets des exigences de l’économie occidentale sur les milieux en développement.

” CJ l’art. “De l’approche quantitative au développement humain”, in ProhlL;rtws L;cortottliques, no 2.450, 24 juillet 1996, pp. 2-4.

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2. L’intégration des facteurs culturels dans les stratégies de développement

Les données de nature économique - ressources,en matières premières, capitaux, main-d’oeuvre, rapports de production, investissements, échanges, distribution, taux de croissance, etc., - ont été jusqu’ici, on vient de le remarquer, placées au centre des explications du développement. Les traits les plus immatériels d’une civilisation - religion, préjugés, superstitions, réflexes historiques, attitudes à l’égard de l’autorité, tabous, mobiles de l’activité, comportements envers le changement, morale individuelle et collective, valeurs, éducation, etc. - étaient relégués au rang de menus satellites, gravitant autour de la structure centrale.

Mais si le développement “est un processus . . . qui va au-delà de la simple croissance économique et intègre toutes les dimensions de la vie et toutes les énergies d’une communauté, dont tous les membres doivent participer à l’effort de transformation économique et sociale et aux bénéfices qui en résultent”‘3, cette évolution ne saurait être possible sans la participation active et dynamique des populations visées. Or cette implication repose sur une donnée primordiale qui identifie et définit la manière d’agir d’une société : sa culture.

3. 1. La criltwe, fodement de toutes les activités humaiiles

Si la culture est “l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs qui caractérisent une société” en formant ainsi un “système de significations” déchiffrables uniquement par cette société, il en résulte que toute activité humaine déployée par celle-ci est dirigée et dictée par les traits profonds qui lui sont spécifiques. La culture, dans le sens anthropologique du terme, se trouve enracinée dans tout comportement humain, qu’il s’agisse des sociétés “modernes” ou “traditionnelles”. Cette relation a été représentée schématiquement de la manière suivante” :

” UNESCO, DL;claratiotz de Mmico sur les t;oliticll~~s cdtwelles et Ropportjitd - Confkrettce tt?otdink sw les politiques cultur-elles, Mexico, 1982. ” Source : UNESCO, op. cif., 1997, p. 35.

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Ce schéma (où le nombre de secteurs a été choisi au hasard), montre clairement le fait que tout comportement humain, toutes les activités productrices développées par l’homme, intégré dans une certaine société, ont leur fondement le plus profond dans cet ensemble qui constitue à la fois l’héritage et l’évolution spirituelle et conceptuelle du groupe social auquel il appartient. C’est cet ensemble de traits qui forge l’identité d’une société et qui détermine les activités qui lui sont propres, caractéristiques et par rapport auxquelles elle se définit.

La culture, prise dans le sens restreint du terme, en tant que catégorie distincte d’activités, devient un domaine spécifique vers lequel peut se diriger le choix d’un certain nombre de personnes, en fonction de leurs préférences. Mais cette acception de la culture en tant que secteur d’activité, est en réalité valable seulement pour les populations des nations développées, car dans les pays non-insustrialisés, “dans les villages de mineurs, les ghettos urbains, les bidonvilles et les communautés rurales isolées à travers le monde, la survie du groupe a toujours été et demeure la meilleure politique, et même la seule à choisir, pour assurer la survie individuelle. L’individu qui peut se placer en priorité, avant les intérêts de sa communauté, est pour la plupart des sociétés une découverte historique relativement récente et au mieux une réalité intermittente et partielle aujourd’hui encore, dérivée de la philosophie marchande et de l’évolution du christianisme.“‘5

Le recours aux formes “traditionnelles” - et toutes les sociétés portent en elles leurs propres formes traditionnelles - acquiert une autre dimension dans les sociétes en développement, car le sens de la vie privée de l’individu est ici subordonnée à celui de la communauté, les demandes que cette dernière peut lui adresser peuvent toujours l’emporter sur ses priorités personnelles, à tout moment, sans avertissement.

Un exemple significatif sur les differences entre la façon dont la culture structure et difïnit le comportement humain dans les sociétés “traditionnelles” et celle “modernes” pourrait être le suivant :

Le docteur Terry Ryan, secrétaire de I’économle au Ministére des finances du Kenya, dit qu’il attend un jour ou un économiste local proposera une analyse basée sur les motivations rée!les des Africains et qui montrera une bonne compréhension des modalités d’enrichissement du capital sccral dans le contexte actuel de I’Afrique. Ainsi, peu d’étrangers, semble-t-il comprennent facilement comment un Africain peut, en perdant du temps (par exemple en buvant une bière avec un ami dans un “pub” local) être en train d’enrichir scn capital social, puisque des relations personnelles de confiance peuvent offnr souvent une garantie de sécurité pour un individu, plutot que les salaires dérisoires tires du travail. Ryan attribue le manque de considération pour les valeurs culturelles et religieuses locales en Afrique a la maniére occidentale de penser en matiére de priviléges sociaux et d’individualisme. Les Occidentaux riches ne peuvent comprendre l’idée que même les esclaves ont un avantage sur les pauvres. Les esclaves ont finalement une identité; ils appartiennent 8 quelqu’un, tandis que les pauvres aujourd’hui, surtout en Afrique, ont perdu toute appartenance et ne sont liés a personne.“26

Les acteurs de l’activité humaine, qu’il s’agisse des pays “modernes” OU

“traditionnels” agissent donc en fonction de leurs propres “modèles” qui sont le résultat

IS klrtt1, pp. 33-34. ” Ryan (W.F.), Culrwe, Spit-itdir;L nnd Economie Dereloptnetzt. Opening n Didogue, Ottawa, International Development Reserch Centre, 1995.

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de l’héritage et de l’évolution des sociétés dans lesquelles ils se sont formés en tant qu’individus. Leurs comportements s’inscrivent aussi dans la logique interne du groupe social auquel ils appartiennent, et cette cohérence s’explique par le fait qu’elle correspond au même système de significations auquel sont rattachés les individus appartenant à la même société. C’est dans cette perspective que l’on peut expliquer le fait qu’un “Occidental” se sente “dépaysé” en Afrique et qu’il ne comprenne pas l’attitude des habitants de cette partie du monde face au “travail”, et réciproquement, un Africain du milieu rural éprouvera des difficultés pour s’adapter aux exigences d’une activité a horaires fixes, car, dans les sociétés traditionnelles, le temps a une autre dimension, cyclique, répétitive, qui se mesure du lever au coucher du soleil récoltes au rythme des saisons; cette perception est totalement sociétés “modernes” où la temporalité est perçue comme inéluctable.27

et du mûrissement des différente de celle des

linéaire, irréversible,

Les marques de la manière dont les traits culturels spécifiques (religion, tradition, coutumes, etc.) influencent, structurent, cordonnent et déterminent la vie et les comportements des membres d’une société sont évidentes dans tous les domaines d’activités de celle-ci : politique (type et organisation interne des systèmes politiques, mécanisme de décision), économie (relation travail-profit, technologie de production, répartition du produit final), aménagement du territoire (modèle et emplacement des habitations en milieu urbain et rural), etc.

Les interventions extérieures à tout milieu social qui se proposent de modifier, d’une manière ou d’une autre, l’ordre interne qui lui est particulier. risquent de bouleverser ce système et les répercussions sont pour la plupart du temps néfastes pour l’avenir d’un individu ou d’un groupe social concerné. Ses réactions aux facteurs exogènes sont différentes et complexes et révèlent souvent, quant il s’agit du “de~~eloppement”, d’un rejet de la “greffe” qui leur est imposée.

Les études effectuées sur les éventuelles solutions possibles visant une adaptation des méthodes locales de travail aux exigences d’une économie moderne, montrent que la prise en compte des facteurs culturels pourrait offrir des réponses valables : “Le travailleur africain est connu pour son fort taux d’absentéisme. Pourquoi ne pas développer les emplois temporaires ? Pour l’Africain, le temps est divisé en périodes plus ou moins variables et le mode de vie rythme les journées en plusieurs séquences (chasse, labour, restauration, repos). 11 serait judicieux qu’au sein de

” L’espace de cette étude ne nous permet pas un developpement plus ample sur ces aspects. FOUS

précisons pourtant que la conception cyclique du temps a souvent été comprise par la pensee moderne comme la marque du primitivisme d’une culture ou le symptôme d’une régression archaïsante chez un individu. Une telle conception, dans les deux cas, résulterait d’une attitude de fuite devant la réalité de I’irréversibrlité temporelle. C’est d’ailleurs la reconnaissance de cette k-réversibilité, comme formant l’essence du temps, qui fonde la compréhension du monde et de l’histoire de l’homme occidental moderne. Suspectée d’archaïsme, I’jntuition cyclique du temps traverse toutes les critiques contemporaines : critique politique (elle apparaît comme intrinsèquement réactionnaire), psychanalytique (elle véhiculerait les “illusions” mythiques individuelles et collectives, qui seraient des aspects d’une attitude régressive et infantile), économique (elle emptcherait le progrès et la croissance), etc. Ivlais, à l’inverse, on peut soutenir (cf. par exemple, Eliade, M., Le nz$e rie I’éfernel rerour, Gallimard, 1969) que la pensée du temps cyclique prétend introduire à une expérience temporelle du sacré et qui fait partie de l’héritage immémorial de l’humanité. C’est ainsi que, à partir de l’intuition première, n priori ou archétipique, d’un temps cyclique, l’être humain organise la réalité collective et les rituels temporels qui scandent la vie sociale.

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l’entreprise des horaires flexibles et personnalisés soient adoptés. Point n’est besoin pour l’Africain de passer de longs congés puisqu’il s’absente à chaque occasion rituelle ou occasionnelle, ce qui appelle à des horaires flexibles à la carte, à une formalisation de congés morcelés.“28

j 2. Les spécificités locales face aux interventions exogènes

Pris pour la plupart du temps dans son sens restreint, en tant que secteur d’activité humaine, à côté d’autres secteurs tels que l’économie, la santé, la politique, etc., la culture devient un domaine qui, dans les stratégies de développement, est secondaire, car son épanouissement est considéré comme dépendant de celui de l’économie, ce dernier étant capable de relancer l’activité dans tous les autres secteurs. C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’on parle de “développement culturel.”

Cette position est spécifique aux théories économiques de développement, telles qu’elles sont conçues par les spécialistes des pays industrialisés; elles sont donc un “produit” de la “modernité”. Mais cette “modernité” est à son tour le résultat des transformations successives et de l’évolution de la société occidentale qui, par ses aspirations, sa manière d’agir, ses croyances, ses préjugés, etc. - sa culture donc -, est arrivée aujourd’hui au stade de développement vers lequel tendent les pays appelés “sous-développés”. On pourrait donc considérer qu’il existe une relation directe entre le modèle de développement occidental et la culture des pays industrialisés. Schématiquement, cette relation pourrait être représentée de la manière suivante :

culture # d é v e 1 o p p e m e II t

L’influence réciproque permanente entre la culture et le développement marque et définit l’évolution des sociétés “modernes”. Il existe donc une compatibilité parfaite entre la culture occidentale et son produit, le développement industriel, tel qu’il a culminé au XIX’ siècle.

Le même schéma, transféré au sociétés dites “traditionnelles”, relève le fait que cette adéquation ne saurait plus être maintenue, car il s’agit maintenant de rendre compatibles deux données “étrangères” l’une de l’autre : “la culture” ou “les cultures” des pays pauvres (encore fortement enracinées dans leurs traditions, coutumes, croyances religieuses), et les manières de vie et de comportement inconnues, et qui vont parfois à l’encontre des convictions les plus profondes de ces sociétés.

Voici un exemple en ce sens :

Au début des années 1980, le Ministère de l’Agriculture d’Ecuador, avec l’aide financière de la Banque Mondiale, a décidé de lancer un projet de modernisation et d’accroître l’élevage de cochons d’Inde, pratique traditionnelle, remontant à bien avant la conquête espagnole. Les arguments de la mise en oeuvre du projet étaient : les cochons d’Inde constituaient un des produits alimentaires

” Gaba (CL), “Management des entreprises en Afrique. Incompréhension congénitale ou malentendu?“, in Ecorzonzie et Hwwwirvr?le, no 327, décembre 1993, p. 87. Sur les problèmes liés à la diversité culturelle dans la gestion des entreprises multinationales, cf: par exemple, Bollinger (D.), Hofstede (G.), Les rl~ff~rcnces cr~lturellcs hns le nm~agement, Paris, Ed. d’Organisation, 1987.

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importants dans le milieu rural, le marche urbain en étant très demandeur. Les données initiales du diagnostic établi par les spécialistes étaient les suivantes : les cochons d’Inde étaient élevés de manière traditionnelle a la maison et surtout dans les cuisines et étaient nourris des restes des repas quotidiens; le controle de l’état de santé étant presque inexistant, les traitements des maladies éventuelles étaient souvent trop tardifs, tandis que la reproduction se réalisait de manière irrationnelle.

La solution technique proposée a été la suivante : les animaux devraient être gardes dans des endroits spéciaux conçus pour tenir les sexes à part et permettant l’inspection de l’état de santé et la prévention des maladies et des dégénérescences des espèces; l’alimentation devrait être modifiée. Ces mesures, ainsi que leur propagation, n’auraient pas dû poser des problèmes particuliers, à l’exception de l’opposition des paysans et de leurs traditions. II devrait s’agir de leur enseigner commet faire pour atteindre ces buts et de les aider à comprendre quels seraient les avantages matériels que ces changements pourraient leur apporter: le profit de cette réforme était considéré comme suffisant pour motiver et stimuler les paysans à la mettre en pratique. Ainsi, le projet correspondait-il à la rationalité agronomique, institutionnelle et économique, mais sans tenir compte de la culture équatoriale des grands plateaux. Le point de vue du technicien a été celui de considérer le cochon d’Inde seulement pour sa valeur nutritionnelle et non pas comme un aliment avec une signification culturelle spéciale,

L’approche culturelle de la situation aurait pu constater le fait que la valeur sociale et symbolique des cochons d’Inde était plus importante pour ces populations que sa valeur marchande ou nutritionnelle. En effet, sa consommation était liée aux étapes du cycle familial dans ses moments les plus importants (naissance, baptême, première communion, mariage, anniversaire et décès) et aux événements sociaux particuliers, surtout ceux dont l’intention est de montrer son avoir aux amis, aux voisins, aux beaux-parents ou a n’importe que!le autre personne importante; ces animaux étaient aussi sacrifiés à l’occasion des fêtes civiles ou religieuses; finalement. ils étaient utilisés comme un important remède contre la pneumonie, les bronchites et les rhumes.

II existart dcnc un lien profond entre l’élevage des cochons d’lndes autour de la maison et dans la cuisine et le bonheur de la famille, leur présence y étant essentielle.

La conclusion qui s’impose dans ce cas est qu’il n’est pas possible d’ignorer une étude culturelle si le projet de déve!oppement, aussi bien qu’il puisse é!re désigné de manière technique, est d’éviter la possibilité d’échec. Dès le début un anthropologue doit être appelé afin d’étudier l’environnement culturel du projet. L’élucidaticn sur ces questicns aiderait les spécialistes qui l’établissent de prendre connaissance et de comprendre les traits essentiels de la culture de la population à laquelle la réforme est destinée.”

Cet exemple montre que les sociétés traditionnelles, en agissant selon d’autres principes et réeles, se définissent par une autre rationalité et demandent un autre type de developpement, ce qui ne veut pas dire un développement non industriel ou archaïque.

En grandes lignes, la tendance des projets de développement est plutôt a chercher à normaliser le comportement social à partir des rè_oles de “l’organisation scientifique du travail” ou des modeles d’organisation occidentaux. Or, ceux-ci s’inspirent de postulats sociologiques ou psychologiques selon lesquels il existe une rationalité en soi qui est universelle. Ils supposent notamment que les individus sont d’accord avec les objectifs de cette organisation. L’expérience montre portant que les cultures de ces sociétés ont des capacités différentes de résistance, d’agression, de contestation ou d’intégration.

En tout état de cause, il est évident que dans le processus qui s’instaure a l’occasion d’une tentative de modernisation d’un certain milieu traditionnel, il existe en généra1 une antinomie entre la tradition et le progrès, un conflit entre deux dynamiques, et c’est cette contradiction qui constitue souvent la cause fondamentale des difficultés qu’éprouvent certains pays à enclencher le processus de développement.

“) UNESCO, The cd~ural dimensiot~ of riL;veloppernent : towards a practical approach, Paris, UKESCO, ls)95, pp. 17-19.

27

Quant aux explications concernant les échecs de certains projets, on peut distinguer deux positions distinctes :

- d’une part, les experts en développement donnent de ces phénomènes des explications qui se ramènent généralement à des jugements de valeur : malcompréhension par la population du sens et des richesses du projet, nécessité de consacrer plus d’effort à la sensibilisation de celle-ci, à sa mobilisation et à son encadrement;

- d’autre part, les spécialistes dans l’évaluation des projets soutiennent que, de manière générale,. leur élaboration n’est guère soucieuse des spécificités locales; la conception et la mise en place de ces projets étant “étrangères” aux populations concernées, ils sont perçus comme des “agressions” et ceci constituerait la principale cause de leurs insuccès :

“Quiconque a vécu en milieu rural africain n’a pu manquer être frappé par le fait que, justement, les projets de développement apparaissent à bien des égards comme des corps étrangers. Ils le sont visuellement (on mentionne en détail sur de grandes pancartes toutes les contributions extérieures, et elles seules) par l’infrastructure et les moyens utilisés comme par le personnel expatrié qui le dirige ou le conseille. Ils le sont psychologiquement du fait que les villageois ne se sentent pas partie prenante dans les orientations et la mise en oeuvre du projet [...] Ils le sont réellement puisque - après l’arrêt de l’apport extérieur en personnel et en argent - peu d’éléments restent incorporés à la vie quotidienne de la population pour devenir un des aspects de son système socioculturel.“30

La compréhension des phénomènes culturels et leur intégration dans un projet ou un programme de développement deviennent donc très malaisées, dans la mesure où les décideurs n’appartiennent pas à l’univers culturel dans lequel lc projet doit être appliqué. L’impact de ces changements sur la vie socio-économique d’une société ou d’un groupe social peut être de nature différente et se tr0uL.e généralement à la base de nombreux dysfonctionnements qui apparaissent ainsi dans ces milieux.

II. LE DEVELOPPERIEIVT ECOXOMIQUE ET

SON IMPACT SUR LA CULTURE

Les rapports entre les concepts de culture et développement sont, on a pu le constater jusqu’ici, ambivalents, tendus, donnant lieu à de nombreux points d’interrogation autant en ce qui concerne les définitions mêmes des deux termes, que leur mise en relation. Ces rapports engendrent des effets de nature et d’importance différentes, qui mènent à des modifications significatives des milieux sur lesquels ils se répercutent.

” Gnudin (B.), “Les projets de développement et les facteurs socio-culturels en milieu rural africain”, in UNESCO, La cdfwe : clefrl~ rfcbeloppement, Paris, UNESCO, 1953, pp, 36-37.

28

On a souvent remarqué, même pour les pays “avancés”, le fait que même lorsque les difficulté d’ordre économique trouvent des solutions et que le niveau de vie est élevé, des problèmes d’ordre social éclatent. Le progrès technologique et économique, la dynamique des sociétés en mutation, a parfois engendré des obstacles qui n’existaient pas auparavant. C’est ce qu’on a appelé les “corîts hztmains” du développement, l’un d’ordre biologique - pollution et destruction de l’environnement (pollution de l’eau et de l’air, bruit, destruction de la faune, de la végétation et des sols), et l’autre d’ordre social et czrltzrrel - détérioration des villes, désintégration de la société (surpopulation, formation de bidonvilles, perte de l’identité culturelle3’, désagrégation communautaire et familiale, isolement des catégories sociales et des groupes d’âge, etc.)

Si le progrès social constitue l’objet fondamental du développement, ces phénomènes sont de graves inconvénients puisqu’ils ont un effet destructeur sur la vie. Autrement dit, la crise actuelle du développement a une influence sur l’homme lui- même, en tant qu’être biologique et individu au sein de la société; il s’agit d’une crise psyco-biologique autant que socio-crtlturelle.

Cette situation est créée par l’action simultanée de plusieurs facteurs :

- l’inadéquation des méthodes et solutions prévues par les planificateurs du développement aux situations et besoins des pays concernés;

- l’attitude des élites au pouvoir;

- l’impact des différentes formes de transfert de développement (transfert des systèmes juridiques, des connaissances techniques, des connaissances économiques, de technologies, etc.) sur le niveau de vie des populations visées.

Dans le cas où, au cours de ces transformations, il n’existe pas de référence a la dimension culturelle de ces sociétés, les coûts sociaux peuvent devenir extrêmement importants, le “développement” ne pouvant plus être accompli, ou au moins, “lancé” de manière irréversible. Pallier à ces dysfonctionnements peut coûter beaucoup plus cher que d’élaborer, dès le début. des stratégies et actions en faveur du développement et qui soient respectueuses des aspects traditionnels et socio-culturels des sociétés concernées.

1. Enjeux du développement économique

$ 1. Le cl~oc des cultures et ses couséquences

Le monde contemporain se caractérise par un rythme croissant d’échanges entre les différentes nations. Ce mouvement permanent entraîne des modifications des données qui définissent ces nations : culture, système socio-politique, économique, etc.

” L’identité culturelle est difinie comme “le noyau vivant d’une culture, le principe dynamique par où la société, s’appuyant sur son passé, se nourrissant de ses propres virtualités et accueillant les apports extérieurs en fonction de ses besoins, poursuit le processus continu de sa propre création.” (UNESCO, Conf~rcncc tuotldinle sur les politiques culturelles, Mexico, 1982).

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Si on se limite à l’étude des processus qui se produisent lorsque deux cultures se trouvent en contact et agissent l’une sur l’autre, le phénomène qui est le plus souvent invoqué est celui d’acculturation, dont la définition porte en général sur les questions suivantes :

“Etant un système culturel déterminé par les équilibres internes entre les forces qui composent le groupe, si un système extérieur hégémonique intervient, l’équilibre du système ancien est rompu, au profit des valeurs dominantes du système dominant. Dès lors, de nouveaux signes culturels, aliénés et aliénants, détachés du système hégémonique s’introduisent dans la culture ancienne. Ces signes et ces productions, n’étant pas élaborés par le groupe concerné, lui échappent, créant ainsi une situation typique de culture aliénée. On appelle cela acculturation.“3’

Il convient de remarquer qu’il y a des contacts qui ne sont pas nécessairement hégémoniques. A Cordoue, par exemple, juifs, chrétiens et musulmans ont vécu ainsi un cessent temps sans que la domination d’un groupe écrase la culture des autres groupes. Mais I’acculturation se réfere justement à l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels de l’un ou des deux groupes.

Avec l’étude des changements produits pendant la colonisation, une autre notion, celle d’acchwation contrôlée, avait commencé à être introduite dans le champ de recherche des spécialistes en sciences humaines. Ainsi, l’anthropologie coloniale, à partir de Malinowski33, se propose de constituer une science des faits d’interprétation des civilisations, pour que la colonisation “réussisse” et que les administrateurs impériaux ne commettent pas les erreurs du passé.

Avec la formation d’Etats indépendants en Asie, Océanie et Afrique et al’ec la concurrence des divers “impérialismes”, économiques ou idéologiques autour de ces nouveaux Etats, apparaîtra la notion ciirccttltlrlwtion planifiée et rationnellemetlt orientée. Elle consiste d’une part, à faire prendre en charge I’acculturation dans le seul sens de l’occidentalisation par les gouvernements des pays récemment apparus sur la carte du monde et d’autre part, à se servir des théories scientifiques en vue d’intérêts qui restent par trop ambigus; c’est pourquoi un nouveau vocabulaire a été inventé - déljeloppenzeut se substituant à czcczdtzcratiorz -, le consensus se réalisant sur la primauté de la perspective économico-politique.

En fonction du type du facteur “dominateur”, on a identifié deux genres de systèmes de planification, l’un à “l’Ouest”, l’autre à “l’Est”.

L’acculturation planifiée à l’Ouest valorise le culturel et, par conséquent les notions d’adaptation (des traditions natives aux valeurs modernes), de maturation (les changements réussiront d’autant mieux qu’on leur laissera le temps, il ne faut pas forcer la nature) et de fonction (toute institution culturelle remplit une fonction, on ne peut don.c la remplacer par une autre, jugée supérieure parce qu’occidentale, que si cette

” Auzias (J.-M.), op. cit., p. 125. J3 Malinowski (B.), ‘Introductory Essay’, in htethods ofStm’~ of Culture Contact in Ajîictz, Oxford, 1976, p. 28.

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dernière remplit la même fonction). La stratégie utilisée à ces buts consisterait ii utiliser deux postulats de la théorie de l’anthropologie culturelle :

1. Toute culture est composée d’un ensemble de traits culturels; ces traits sont liés ensemble par des réseaux d’action et de réaction réciproques.

2. Le culturel domine le social, par conséquent toute modification des institutions, des structures, des comportements sera vaine si on n’a pas modifié au préalable le système des valeurs et si les mentalités n’ont pas évolué elles aussi.

. En partant de cette idéologie, toute une série de changements ont été engendrés,

pendant et après la colonisation, dans les pays du Tiers monde. Ces actions étaient déterminées, en grandes lignes, par les stratégies suivantes : changer un seul trait (par exemple les habitudes alimentaires), en sachant que, par les réseaux d’interconnexion des faits culturels, une réaction en chaîne se produira, mais que les experts pourront surveiller : à agir d’abord sur les mentalités, à travers l’alphabétisation; ou à faire naître des besoins nouveaux, que l’ancienne culture ne connaissait pas, par exemple en introduisant la monnaie et en lançant sur le marché des biens inconnus; enfin, pour éviter les réactions xénophobes, à choisir dans chaque communauté à “acculturer” des leaders que l’on “acculturera” pour que ce soient les membres de l’iir-g-ozp et non de l’orlt-gozp qui de fassent les défenseurs du changement et de l’occidentalisation.

Quant aux pays de l’Europe de l’Est, soumis au régime communiste pendant presque un demi-siècle, I’acculturation (qui n’est d’ailleurs pas reconnue en tant que réelle), a reposée sur les deux postulats suivants :

1. La distinction marxiste entre l’infra et la superstructure : iI suffira de changer les modes de production pour que, automatiquement, les systèmes culturels changent ou que les anciennes cultures se transforment en simples “faits folkloriques”, qui ne représentent plus dès lors aucun danger.

2. Puisque ces oeuvres culturelles dependent des modes de production, entre les conflits politiques qui se placent sur le plan de la force et de la révolution (lutte contre le féodalisme, les confréries religieuses, etc.), il y aura tout de même un autre choc, sur le plan culturel, celui entre les cultures des pays socialistes et les cultures des pays environnants, entre la “culture prolétarienne” et les diverses “cultures nationales”. S’appuyant sur les idéologies nationalistes, en maintenant les valeurs nationales comme “coloris”, la culture prolétarienne s’est avérée finalement être extérieure et envahissante.

Les deux exemples démontrent qu’en réalité les mêmes phénomènes se retrouvent dans les divers types d’acculturation planifiée et qu’il existe finalement une identité des faits, sous la différence des concepts. Cette identité s’explique par le fait que ce phénomène part ,de l’idée de la supériorité de certaines valeurs occidentales - du moins dans les domaines techniques, économiques, souvent aussi politiques - et qu’elle suppose, en conséquence, l’imposition de ces valeurs par le groupe au pouvoir (que ce groupe soit intérieur ou extérieur à une ethnie considérée).

La création de nations indépendantes, libres de leur destin, va permettre l’apparition d’une prédominance des phénomènes d’adaptation sur ceux de tension.

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Quelques exemples en ce sens sont offerts par la situation de l’Afrique, ou la “négritude” (c’est-à-dire la volonté de maintenir les traditions africaines à l’intérieur des processus acculturatifs) cesse d’avoir une forme polémique pour prendre la forme syzcrétique, celle de la coexistence des deux types de cultures et de la recherche simultanée de nouvelles formules, originales, adaptées à la situation propre de chaque société. Ce que l’on a appelé “le socialisme africain”, qui veut être un “socialisme communautaire”, basé donc sur les valeurs identitaires de ces populations, s’oppose au “socialisme sociétaire” de l’Occident et constitue en même temps une tentative pour “mouler” les apports de la culture européenne selon la spécificité des cultures africaines.

Mais ces processus de création, de transformation et d’adaptation de nouveaux modèles et formes d’organisation économiques, politique, sociale, etc., sont loin d’être accomplis et d’avoir trouvé la solution appropriée pour chaque situation. La réalité la plus répandue dans le monde d’aujourd’hui et avec laquelle se confrontent toutes les sociétés est celle d’hétérocultur-e, notion qui désigne “la structure dualiste d’une société qui s’organise à partir de deux matrices culturelles : la tradition et la modernité, ces deux sources étant considérées à la fois indispensables et contradictoires entre elles.“34

Toutes les populations des pays “traditionnels”, en principe, éprouvent de l’attachement à l’égard de ces deux ensembles de valeurs antagonistes. La “modernité” est l’accès au progrès dans tous les domaines : recours aux technologies performantes, condition de l’amélioration du niveau de vie, c’est aussi l’hôpital, autoroute, l’école, la radio, le cinéma, etc., et personne n’accepte de renoncer de bon gré à ces innovations spectaculaires. Mais ces populations sont en même temps profondément liées à leurs valeurs traditionnelles; le respect de celles-ci est d’autant plus important que les progrès technologiques sont généralement de nature allogène, étrangère, dont il est souvent impossible de s’en passer, mais qui peuvent générer des complexes de frustration ou d’infkriorité. C’est pour ne pas “perdre son âme” que l’homme africain, par exemple, revient aux sources et veut revitaliser son patrimoine propre pour conserver son identité culturelle.

La situation d’hétéroculture engendre des changements profonds dans la vie des pays qui la subissent. Cette réalité en tension, souvent porteuse de conflits internes et de dysfonctionnements dans tous les secteurs d’activité, est la conséquence principale du processus de transfert de développement, dans ses formes multiples.

4 2. La probl&atique du transfert des cotmaissances

Dans son aspiration d’assurer le mieux-être et le progrès du monde, le développement consiste aussi à faire bénéficier l’ensemble de la planète des techniques modernes et des nouvelles découvertes de la science. Les théoriciens soutiennent que la croissance économique des pays en développement, aujourd’hui nettement supérieure en moyenne à celle des pays industrialisés, est due aussi au fait que ces pays ont eu accès directement aux techniques et technologies modernes, par le biais de la formation et des importations, sans devoir passer par les étapes intermédiaires nécessaires pour les

“Michaud (G.), Poirier (J.), cy. cif., p. 23. 32

inventions et le perfectionnement de celles-ci. Des économies substantielles se sont ainsi réalisées, en termes de gain de temps et de capitaux.

Ceci a été possible grâce à ce que l’on appelle transfert de comaissmces ou de savoir. L’étendue des domaines dans lesquels s’opèrent ces “transferts” est très ample et englobe l’ensemble des connaissances des activités humaines, dont les “secteurs” sont difficilement délimitables. Il para2 que de manière générale, le transfert de connaissances s’effectue dans les domaines suivants : la culture3’, l’éducation, le mode de vie, les modèles d’organisation sociale, l’information, la science, la technologie. Engendrant des mutations majeures quant aux habitudes et au savoir-faire des populations locales dans tous les secteurs (agriculture, pêche, industries traditionnelles, système juridique, etc.), ce processus contribue à la création d’autres domaines d’activité, inconnus jusqu’alors (tourisme, par exemple).

Le transfert se réalise par des moyens spécifiques à travers des “vecteurs de connaissances”36 : les hommes (les contacts personnels entre individus), les moyens audio-visuels (radio, cinéma, disques, télévision, magnétoscope et leurs dérivés technologiques), les productions artistiques (diverses productions littéraires, documentaires, oeuvres d’art, expositions, festivals, spectacles, etc.), les “choses” (espaces et objets hautement organisés, utilisés dans la vie quotidienne pour communiquer et produire, etc.; elles sont transférées d’un pays à l’autre par le commerce, l’aide internationale ou elles sont produites localement, mais d’après les idées ou des plans et avec des matières premières ou des technologies importées).

Le mécanisme de transfert de connaissances entraîne des incidences idéologiques inéluctables, qui apparaissent comme des sous-produits inhérents à l’ensemble du processus de transfert de connaissances et qui, â l’échelle du globe, relève de la dynamique du développement. Les pays non industrialisés sont contraints a “importer” les connaissances qui leur sont indispensables pour moderniser leurs économies, leur enseignement, etc. Mais l’infiltration des tendances culturelles, des idées et des doctrines, des techniques et modèles nouveaux menacent leurs systèmes de valeurs, leurs mécanismes traditionnels de socialisation, leurs structures sociales.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que, dans un premier temps, le trnmjërt techrologiqr(e, par exemple, soit généralement fort bien accueilli par un certain nombre de pays en tant que signe avant coureur de croissance et de richesse. hIais à cette période d’enthousiasme succède souvent une étape de critique violente, qui s’accompagne de mesures de restriction, de tentatives de sélection rigoureuse, et même d’isolement ou de rejet.

En effet, les cultures préétablies et solidement retranchées se sont souvent révélées assez puissantes et assez habiles pour repousser les assauts de la technologie moderne et préseyer au moins certains aspects de la diversité culturelle et technologique. Amoldo K. Ventura cite en ce sens un exemple typique :

35 Le terme “culture” est pris ici dans son sens étroit et désigne l’ensemble des institutions liées à une activité créatrice; il englobe la littérature et ses lecteurs, l’art et la musique, le théhe, le cinéma, la. télévision, etc. ‘6 Ziemilski (A.), “Les formes sociales du transfert des connaissances”, in UNESCO, Dominatiorr ou putage? Dhelopprnzent endogétze et transfert de connaissances, Paris, UNESCO, 1980, p. 2 1.

33

“Dans le delta du Gange, on avait enfoui trente tuyaux d’adduction d’eau que l’on avait ensuite équipés de pompes importées de l’étranger; cependant, les gens n’utilisaient pas l’eau potable ainsi canalisée et continuaient à boire l’eau de leurs réservoirs boueux, car ils avaient découvert que les pompes étaient équipées de valves en cuir qui les rendaient inutilisables puisque la tradition hindoue leur interdisait de boire de l’eau s’écoulant par la dépouille d’une vache.“37

II apparaît de manière évidente dans cet exemple que ce qui semble convenir aux besoins et aux expériences des pays avancés risque de ne pas être adéquat dans d’autres circonstances; pour que la technologisation réussisse, elle doit s’harmoniser avec d’autres normes culturelles de la société. En essayant de sacrifier la qualité à la quantité, sans établir de solides attaches culturelles avec les produits technologiques, on risque d’aller au-devant d’une résistance inflexible. Considérés souvent comme des “indolents” et “incompétents”, les “indigènes” sont en même temps des êtres capables de consacrer de longues heures aux pratiques et aux rituels religieux qui exigent une extrême précision et une grande concentration mentale, simplement parce que les valeurs culturelles établissent une hiérarchie entre les actions.

Il faut cependant spécifier que dans la plupart des pays en développement, on ne rencontre ces exemples que parmi les groupes les plus éloignés et isolés des contacts quotidiens avec d’autres groupes. Dans la plupart des cas, l’impact entre les populations locales et les technologies modernes finit par l’implantation de ces dernières, notamment à cause du rythme croissant des décolonisation et sous l’effet de la formation étrangère, de l’expérience politique et économique, des traditions coloniales, etc. Cette situation engendrera progressivement la marginalisation des Iraleurs culturelles en créant des élites qui aspirent à copier les modèles culturels étrangers.

Les effets de ce comportement mimétique, pour la plupart du temps imposé de l’extérieur, a parfois des conséquences graves pour les populations locales. Voilà un exemple qui ne tient plus du transfert de technologies, mais de celui d~hcrhitd~s alimetltair-es3” :

L’introduction des aliments pour bébés dans les régions où I’hygiéne est précaire pose de nombreux problèmes et a souvent un effet contraire à celui prévu au début, voire tragique. A force de publicité agressive et continue, les fabricants d’aliments pour bébés et de lait artificiel ont réussi à faire croire aux mères qu’elles doivent nourrir leur enfant avec ce genre de lait afin de lui assurer une bonne croissance.

Or, en abandonnant l’alimentation au sein ou en sevrant les nourrissons prématurément, les méres, dans certaines zones particulièrement démunies, contribuent à aggraver la malnutrition de leurs enfants (en protéines et en calories) pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que le lait maternel donné pendant trois ou quatre mois leur fournit la meilleure alimentation qui soit et la meilleure protection contre les maladies infectieuses comme celles qui provoquent la toxicose.

De même, comme les mères ne savent pas lire, et qu’elles souhaitent allonger cette nourriture coûteuse, elles la délayent dans trop d’eau ou la préparent mal, ce qui est une des sources principales de la malnutrition enfantine.

” Ventura (A.K.), “L’impact culturel du transfert de technologie dans les pays en développement”, in UNESCO, op. cif., 1983, p. lO?. 3y fthn, pp. 112-l 13.

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Les installations précaires qui ne permettent pas de stériliser correctement les biberons e! d’autres facteurs tels que le manque de réfrigération pour conserver convenablement les préparations ou l’eau utilisée sont à l’origine des gastro-entérites.

Sur le plan psychologique, ces pratiquent brisent la’relation entre la mère et l’enfant, qui en a pourtant besoin dès son premier âge.

Dans ces conditions, l’alimentation artificielle est dénuée de sens dans les pays en développement. Malheureusement, il est parfois inévitable pour les familles de recourir à ces aliments lorsque les mères sont obligées de travailler dans les ensembles urbains. Ici encore, la situation des pauvres est la même que dans les zones rurales et elle entraîne les mêmes conséquences. Cela a incité certains pays comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée a interdire l’usage des aliments pour bébés sauf sur prescription médicale. II est intéressant en outre de remarquer que

. la croyance populaire dans les vertus contraceptives de l’alimentation au sein a été confirmée de la façon scientifique. Au Bangladesh, les femmes ont en moyenne un intervalle de trois ans en!re chaque naissance, en grande partie gràce à la production de prolactine, hormone sécrété par l’alimentation naturelle. Cet effet se perd si on abrège le temps d’alimentation au sein. Les interventions extérieures devraient se concentrer plut6t vers l’amélioration des conditions de vie des femmes, ce qui serait un garant d’une croissance normale des enfants.

Ce genre de répercussions néfastes de l’introduction des produits de la civilisation occidentale sont nombreux et ils peuvent être cités dans des domaines aussi divers.

L’évolution de l’agriculture, par exemple, a abouti à des aberrations culturelles et entraîné la décomposition des valeurs traditionnelles relatives à l’agriculture et à sa technologie. Ainsi, en Afrique, une bonne partie des surfaces fertiles, formées de terrains plats, sont réservées aux grandes fermes qui pratiquent généralement les cultures destinées à l’exportation. Les paysans qui sont obligés ou qui ont choisi de rester aux champs sont tenus de cultiver les terrains les plus infertiles et les plus inaccessibles en se servant des méthodes traditionnelles rétrogrades, qui n’assurent pas un bon rendement.

11 arrive assez souvent que les experts appelés à remettre sur pied la production agricole de ces terrains se heurtent dans leurs démarches de la méfiance et de la prudence des paysans envers l’innovation, car les risques peuvent coûter cher, et les méthodes scientifiques sont difficiles à assimiler et parfois considérées comme inapplicables, alors que les vieilles méthodes paraissent infaillibles. Les efforts faits par les cultivateurs pour assimiler les nouvelles méthodes, sans en comprendre l’usage et l’importance, ont donné des résultats désastreux, comme l’illustre le cas des paysans qui achètent des engrais non pas en fonction des besoins, mais en fonction de leur prix.

Pour sortir de l’impasse et aboutir à des résultats positifs, la façon la plus logique d’aborder ce dilemme culturel serait d’améliorer les méthodes traditionnelles utilisées par les cultivateurs marginaux. Avec l’aide et la connaissance de l’environnement des populations locales et en faisant appel à leur collaboration effective, il serait en effet possible d’adapter les méthodes et les instruments modernes à leurs besoins. En voilà particuliers, en les modifiant encore un exemple concluent”, qui se rapporte au besoin stringent, et très fréquent dans une grande partie des pays du Tiers monde, d’eau potable:

” Gaudin (B.), op. Cif., p. 45-49. 35

Dans une région subsaharienne, de nombreux forages à grande profondeur ont été effectués avec un matériel cocteux et sophistiqué, sans que la population puisse participer concrètement à cette action. Dans un des villages concernés, les femmes devaient auparavant aller chercher l’eau à dix kilomètres. Malgré l’ampleur du besoin que le puits permettait de satisfaire, les villageois n’ont pas tardé à reboucher le puits avec les pierres : l’énorme économie de temps réalisée dans la journée de travail des femmes, et non comblée par d’autres activités, avait provoqué des palabres ressenties comme plus dommageables que la difficulté d’accès à l’eau.

La solution retenue pour un village moins déshérité avait consisté à pomper l’eau de la rivière et la stocker dans un chiteau d’eau pour la redistribuer par les bornes-fontaines. La population avait été largement mise à contribution, sous forme de main d’oeuvre et de cotisations. II était convenu que les dépenses de carburant pour le pompage, après la période de mise en route où elles seraient couvertes par le projet, seraient assurées par la population. Malgré plusieurs réunions de sensibilisation, le système d’adduction d’eau cessa bientôt de fonctionner faute de cotisations. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que l’on pensa à s’adresser aux femmes, qui ne participaient pas jusqu’alors aux réunions de prise de décision. Très vite, elles s’organisèrent et prirent en charge la collecte des cotisations ainsi que l’organisation de la distribution d’eau.

Cet exemple montre que la réussite du processus de transfert de connaissances techniques est largement dépendante du contexte socio-culturel dans lequel celui-ci s’insère et qui seul peut assurer le fonctionnement et la continuité d’un projet de développement.

Les conséquences du towisme, considéré dans les pays pauvres comme une panacée commode pour corriger les fluctuations de change, peuvent aussi avoir des conséquences graves quant au coût social et culturel qui, dans certains cas, dépassent de beaucoup les bénéfices à court terme.

En effet, l’industrie touristique se sert d’un ensemble de techniques,‘” parmi lesquelles on peut citer : - les techniques d’endoctrinement et de propagande (gendre films sur les lieux);

- les techniques particulières aux mass média et autres systèmes de diffusion du spectacle en provenance des zones métropolitaines;

- les méthodes dc relations publiques et autres trouvailles publicitaires; - les techniques de constructions d’hôtels, de restaurants, de centres de loisirs,

d’installations propres aux lieux de villégiatures et d’équipements sportifs; - les techniques de gestion et de financement; et, ce qui est de loin le plus

important; - l’importation d’aliments de première qualité, accompagnée des techniques qui

servent à leur transport et à leur emmagasinage.

Dans les régions ou la nature offre des sites idéaux pour les installations touristiques (aux Caraïbes, par exemple), on incite nombre de gouvernements à diversifier l’économie des zones rurales en favorisant le tourisme, en prétendant que celui-ci fournira des infrastructures et des équipements de loisirs.

Ce mécanisme, qui est en ligne générale valable pour les pays développés, déclenche de graves déséquilibres au sein des populations, locales : les nouvelles industries n’ont pour but que de plaire aux touristes, les équipements construits dans les campagnes étant hors de portée des paysans; dans la plupart des cas, il leur est interdit

‘” cf de Kadt (E.), Towisrtz - pclsseport lo ci~\~lopr>~rr~t, A joint World Bank / Unesco Study, published by the World Bank and Unesco, Oxford University Press; 1976.

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d’en profiter, leur participation se limitant à faire office de serveurs ou de “modèles” pour les photos. Dans ce contexte, la prostitution, l’homosexualité, le dégoût du travail dur des champs et la hantise d’une existence nonchalante et insoucieuse, sont seulement quelques conséquences de ce processus. De plus, le bénéfice net laissé au pays d’accueil n’est pas significatif par rapport aux dysfonctionnements créés.”

Dans ces conditions, il existe une contradiction intrinsèque entre le tourisme, tel qu’on le pratique dans les pays pauvres, et le développement.4’ En effet, le tourisme propage les valeurs culturelles des pays riches, alors que le développement du pays cherche à encourager le travail créatif et la discipline. James F. Michele affirmait en ce sens : ” En tant que premier ministre de mon Etat (St. Vincent), je vous prie de me pardonner de ne pas me précipiter sur cette manne de dollars. Le dollar du tourisme, absolu, ne vaut pas à lui seul la ruine de mon peuple. Un peuple qui a perdu son âme n’est plus un peuple, et son pays ne vaut plus le détour.“J3

11 faut cependant reconnaître que le tourisme n’est pas forcement un obstacle au développement, des avantages importants étant réalisés. biais on se rend compte que, pour de meilleurs résultats, le tourisme ne devrait pas être imposé à une communauté pour des raisons strictement économiques, et que c’est la communauté qui devrait décider du genre de technologie qu’elle désire introduire à cette fin. Ce type de tourisme permettrait à davantage d’entrepreneurs du pays de prendre part aux activités de ce secteur; il demande aussi plus d’éducation du touriste, pour qu’il apprenne à respecter la culture de la société qui l’accueille et reconnaisse la signification humaine et la raison d’être de celle-ci.

Nous avons abordé dans ce paragraphe seulement quelques questions concernant les domaines et les problèmes intervenant dans le processus de transfert de connaissances. Ces aspects sont extrêmement complexes et diversifiés; ils concernent, on l’a vu, l’ensemble des activités humaines et contribuent souvent de manière difïnitive aux transformations des civilisations. Pour répondre aux nouveaux besoins et exigences du monde contemporain, confronté a\.ec des fléaux graves tels la ditérioration de l’environnement, la croissance démographique, la famine, il est obligatoire d’améliorer les vieilles méthodes et, ce faisant, d’en élaborer de nouvelles; ce processus est donc de nos jours inévitable et nécessaire. Mais l’expérience montre que l’adoption de solutions étrangéres doit se faire avec le plus grand soin et rester fidèle aux désirs de la majorité.

” AUX Caraïbes, par exemple, sur chaque dollar, 40 cents reviennent à la métropole d’où sont originaires les visiteurs. “A ce titre, on a établi une liste de sept courants contraires au développement par le tourisme de masse : “a) la dépendance excessive à l’égard du capital étranger, principalement pour s’adapter aux valeurs culturelles et aux goûts des estivants; b) la division du travail. qui rejette les ressortissants ndrionaux dans les activités de second ordre et permet aux étrangers d’occuper les postes les ~111s elevés dans la direction; c) la confiance excessive dans les biens et les services importés de “qualité internationale”; ti) le droit de préemption sur les réserves naturelles; e) l’affectation des ressources disponibles limitées des gouvernements à l’infrastructure touristique; fl la Egislation favorisant la propriété étrangère des installations touristiques; g) la banalisation des cultures et des peuples...” (Goulet, D., The incerkziu promise; value conflicrs in tccholugy transfer, New York, IDOCMorth American Inc., 1977, p. 106). ” cité par Ventura (A.K.), op. cif., p. 116.

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Ces mécanismes, considérés comme le principal moyen du développement économique, ont conduit à travers le temps à des mutations importantes dans les pays du Tiers Monde.

Les résultats sont pourtant loin de ceux escomptés au début de la période enthousiaste post-coloniale, le “sous-développement” reste la condition de la majorité de la planète. Cet état de fait est dû en bonne partie aux responsables et chargés du pouvoir des pays non industrialisés, dont les décisions ont déterminé les courants majeurs des stratégies de développement. Un rapport étroit entre, d’une part, les pays développés, bailleurs de fonds et offrants de modèles de développement, et d’autre part, les pays “sous-développés”, demandeurs d’aide financière et de soutien pour améliorer leur situation économique, s’est ainsi établi. Cette relation s’est transformée en dépendance entretenue par le transfert de connaissances, par le jeu d’intérêts économiques et géostratégiques à l’échelle mondiale, par les politiques de coopération bilatérale et multilatérale, etc. Le rôle des décideurs politiques fut donc capital dans ces échanges et responsable en grande partie de la situation actuelle.

J 3. L’aide et le pouvoir : stratégies et ambiguïtés des relatiom eutre États do~~ateurs et États receveurs

Les rapports qui s’établissent entre les États “donateurs” et les États “receveurs”, entre le Nord et le Sud, sont extrêmement complexes et divers, portant sur des domaines aussi vastes que la sociologie politique, l’économie, les relations internationales, le droit international, etc. Ces aspects constituent l’objet de nombreuses études de spécialité analysant les mutations et dysfonctionnements survenus sur le plan politique, économique, social, dans les États nouvellement indépendants. Nous nous bornerons dans l’analyse qui suit a évoquer quelques-uns des aspects qui relèvent plus précisément du lien entre la politique suivie par les élites au pouvoir, l’octroi de l’aide au développement et la culture des pays concernés. En effet, l’interaction de ces trois facteurs met en évidence l’existence de plusieurs types de déterminismes réciproques :

A. Le déterminisme : aide au développement - comportement des élites au pouvoir

La relation qui s’établit entre les bailleurs de fonds (institutions internationales de financement du développement, diverses agences de coopération bilatérales, régionales ou internationales, etc.) et les élites au pouvoir des pays en développement, qu’il s’agisse de pouvoir politique ou décisionnel à différents niveaux, relève d’une dépendance et influence réciproques. En ignorant le fait que certains hommes politiques sont propulsés au pouvoir avec le soutien étranger pour les intérêts matériels ou géostratégiques des grandes puissances (la France pour l’Afrique subsaharienne, par exemple), la dépendance des premiers face aux derniers étant clairement établie dans ce cas, l’octroi,de l’aide au développement est conditionné en fonction de critères stricts d’ordre politique et économique44 : instauration de la démocratie et du multipartisme,

A’ En 1992, l’ambassadeur américain à I’ONU, Edward Perkins résumait de manière concise la nouvelie situàtion issue de l’effondrement du bloc soviétique : “La prospérité dépend d’un ordre économique international orienté vers la croissance, un ordre qui sauvegarde l’environnement et pour lequel le secteur

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croissance économique, respect de l’environnement, etc. L’acceptation et la mise en pratique de ces principes revient aux élites au pouvoir; de plus, ce sont ces élites qui proposent les programmes et projets de développement pour l’obtention du soutien financier.

Dans les faits, le financement n’est accordé que si des initiatives pour le développement correspondent aux critères que le fïnanceur s’est imposé, à lui-même et aux autres. Ce choix est déterminé par le cadre de référence culturel du fïnanceur concerné. Ce que celui-ci entend par progrès, pauvreté, démocratie, libération, émancipation, justice, droits de l’homme, participation, etc., détermine ce qui est accepté comme ayant de la valeur et pouvant donc bénéficier de crédits. Dans ces circonstances, la cause des problèmes qui interviennent dans ce processus ne réside pas dans une “mauvaise volonté”, mais dans la non-conscience de l’intégration des critères des bailleurs de fonds à leur propres références culturelles.

Visant à apporter des changements de situation pour les populations locales, ces interventions se déroulent dans un sens que les fïnanceurs jugent rationnel. L’une des raisons de l’échec d’un grand pourcentage des projets de développement est qu’il s’agit de la projection des idées et des intérêts de ceux qui interviennent et qui essayent de garder une marge de manoeuvre aussi grande que possible pour eux-mêmes. C’est une des caractéristiques des fondés de pouvoir, qui est exercée aussi bien par des bailleurs de fonds étrangers que par les élites locales. Un autre problème s’y ajoute : ces idées et ces intérêts sont souvent contradictoires, ils sont continuellement sujets de changements et en plus ils fragmentent le développement. Il en résulte que “la base”, la grande masse de la population, devient le jouet de ces contradictions.

Un exemple éloquent en ce sens pourrait être le phénomène “d’évaluation”, puisque ce mot implique, par son signifié même, l’idée de “valeur”. Les évaluations des projets de développement doivent définir la “valeur” de ce qui est fait avec les fonds alloués par le “Nord”. A la base des normes qui encadrent l’éwiuatio~z, on trouve généralement des concepts, tels que l’efficaciré ou la durée. hlais, selon les spécialistes en la matière”, il est rare que l’on commence par expliciter ce que le donneur entend par “efficace” ou, selon une vocable plus récent, “durable”, “sustainable”. II est également rare qu’on commence par étudier et expliciter comment le receveur interprète concrètement ces concepts. Les recommandations de beaucoup d’évaluations s’accordent alors généralement au cadre du référence du donneur, et ainsi le cercle vicieux est bouclé : “l’évaluation intervient comme sécurisation du donneur, renforce sa position de pouvoir, même si elle pose, sur un registre limité, certaines questions. Le centre d’évaluation n’est pas la dynamique du développement local, avec sa logique propre, mais la mesure des impacts, visibles sur le moment, de l’apport d’aide.‘lJ6

privé est le moteur de l’expansion des économies émergentes et en développement. L’implication du secteur privé d’un côté à l’autre des frontières permet de fonder une fraternité économique et non pas simplement d’entretenir la charité, comme cela a été le cas pour les aides traditionnelles de gouvernement à gouvernement” (cité par Valladao, (A.), “Le dt?ie!oppement à l’américaine”, Projef, no 8, printemps 1995, p. 24). *’ cf:, par exemple, SIZOO (E.), “L’aide et le pouvoir : une probkmatique profondément culturelle”, in Ecotzovrie et Hlrnzmisme, no 325, juin 1993, pp. 52-54. 46 Idem, p. 55.

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En effet, généralement on n’étudie que les effets à court terme (il y a peu d’évaluations dix ans après la fin du projet, par exemple), et surtout les effets programmés. Les effets à long terme et les effets secondaires seraient bien sûr les plus riches d’enseignements, en positif et en négatif, Le donneur peut donc garder le “pouvoir” de choisir quelles alternatives de comportement seront impliquées par les “projets” et autres dispositifs de coopération. Ainsi, peut-on disposer du financement pour une école, mais non pas pour la construction d’un temple. Le receveur n’a que le pouvoir de refuser l’aide ou bien de l’orienter, aussi discrètement que possible dans le sens de ses priorités, en l’investissant dans des fonds d’aide seulement dans les activités productrices ou bien pour son intérêt personnel.

L’impact négatif des influences extérieures résulte aussi dans le cas de l’imposition des systèmes démocratiques dans les pays en développement. Ce problème a acquis une dimension nouvelle après l’effondrement du bloc communiste et la fin de l’affrontement Est-Ouest. Une vague puissante de réformes démocratiques ont secoué à cette époque les Etats en développement; les pressions qui, sous forme de manifestations populaires, référendums et élections locales ou nationales, se sont exercés en’ faveur d’une démocratisation plus rapide y ont ébranlé maints régimes politiques de caractère restrictif. Ces mouvements ont eu des origines diverses.

Tout d’abord, les manifestations pour la démocratie ont des racines solides dans ces États-mêmes. Les populations africaines par exemple, avaient déjà demandé plus de liberté démocratique avant que l’Europe de l’Est ne soit ébranlée, comme le montrent le cas du Sénégal, où le Gouvernement a autorisé la formation de partis d’opposition vers la fin des années 70, et celui du Soudan, qui a connu une brève période de parlementarisme et de débats démocratiques vers le milieu des années 80. La crise économique a donné une impulsion nouvelle au mouvement de démocratisation, une bonne partie de la population corrélant difficultés économiques et absence de libertés fondamentales.

Mais à ces tortes pressions internes en faveur du multipartitisme se sont ajoutées r:lles des principaux donateurs internationaux qui ont déclaré avec insistance qu’ils tiendraient compte des progrès réalisés en matière de liberté politique et de gestion gouvernementale pour l’octroi de l’aide. Bien que la plupart de la population et des élites croient manifestement que l’introduction du multipartisme est un pas en avant, d’autres, toutefois, se méfient de ce qui leur paraît être un optimisme excessif, étant donné les conditions spécifiques des États, les’ différences ethniques, le manque de culture politique démocratique, etc.

En effet, on se rend compte aujourd’hui que l’économique n’a pas suivi le politique, comme on l’avait estimé. Certains analystes sont convaincu que l’échec des politique de développement est dû à un “manque d’instrumentalisation des systèmes politiques”“, engendrant des “maux” tels que le patrimonialisme, le clientélisme, le népotisme, etc. En évoquant ces aspects, c’est la relation entre les politiques adoptées par les élites au pouvoir et leurs conséquences sur l’état du développement local qui est mise en avant.

” Médard (J.-F.), “L’Etat néo-patrimonial er: Afrique r. ,lre”, in Midard (J.-F.), sous la dir. de, Etclts tf’Af,kpre Noire, Paris, Karthala, 1991, pp. 323-353.

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B. Le déterminisme : attitude des élites au pouvoir - dysfonctionnements socio- culturels internes

L’analyse de cette relation met en évidence l’existence d’une double dynamique des rapports de forces entre le pouvoir en place et les populations locales, et cela surtout en Afrique. Il s’agit, d’une part, du fait que les élites font souvent appel aux fondements culturels de la société afin d’acquérir légitimité politique et gouverner à leur propre gré. D’autre. part, leur gouvemance étant généralement totalitaire et imposant les modèles de développement exogènes, des dysfonctionnements d’ordre social et culturel vont déclencher des situations de crise identitaire qui mèneront à des dénouements tragiques.

Les fondements culturels du pouvoir

Préconisé - à l’instar du rôle incitateur que l’État a su jouer dans les pays à croissance rapide de l’Asie - comme remède concernant le développement du Tiers monde, l’élément politique a eu des effets inattendus dans la majorité des pays de l’Afrique, où l’État a peu de poids par rapport au lien de parenté et aux traditions de prédation dominées par ce que J.F. Bayart appelle “la gouvernementalité du ventre.‘lJS Le repli de certains chefs d’État sur les fondements culturels de la société afin de légitimer leur pouvoir est révélateur pour expliquer l’importance des aspects culturels dans la structuration des hiérarchies au sein des pays en développement.

En analysant ces rapports, ivlichel G. Schatzberg”’ démontre qu’à la différence de l’Occident où I’idee de pouvoir est essentiellement transformative (arriver à faire faire quelque chose à quelqu’un), en Afrique, cette conception est liée à la co~rsorxn~~ti~~r~ rie nxsowces ef a~ “ma/zger” (quand on peut manger, on est puissant et plus on mange, plus on est puissant, une étroite corrélation s’instituant entre le langage de la nourriture et celui de la corruption), à la référence ti In sorcellerie et ci d’autres forces occultes (le monde spirituel est lui aussi un monde de pouvoir et de politique) et au principe d’rruifé et d’invisibilité (il ne peut y avoir qu’un seul “père” dans la grande famille nationale et il est peu probable que le “père” politique en exercice soit disposé à partager ses droits et responsabilités avec d’autres “membres de la famille politique”).

Les politiciens rusés comprennent ces facettes spirituelles du pouvoir et l’utilisent sciemment, afin de manipuler l’opinion publique, Ainsi, les métaphores et le langage du père et de la famille sont fréquents en Afrique parce qu’ils relèvent des conceptions culturelles fortement ancrées de ce qui constitue un ordre politique légitime. Ainsi, dans le cas de Madagascar par exemple, la nature de l’État ne pourrait pas être comprise si l’on ne tient pas compte du rapport contractuel existant entre le peuple et ses dirigeants, c’est-à-dire des rapports “s’inspirant de la cortsmpi~~ité et de l’alliance prévalant entre les détenteurs du pouvoir et le peuple.“”

” Bayart (J.-F.), L’État en Afrique, la polrtiqu. h t’entre, Paris, Fayard, 1989. “) CC “Les fondements culturels du pouvoir et la transition politique actuelle”, in Mor&s, n” 6, été 1996, pp. 7-15. J”lrlm2, p. l.!.

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D’autres analystes considèrent que le facteur culturel explique aussi les profondes contradictions entre les modalités rationnelles de l’exercice du pouvoir et les sollicitations de la société : ” . ..l’apparition de nombreuses variantes de clientélisme et de corruption ne sont pas dues seulement à une interprétation tendancieuse de l’héritage colonial, mais aussi à la permanence de comportements qu’on appellerait “traditionnels”. Ce qui nous conduit à penser que ces “maux” doivent être nuancés en fonction de leur ambivalence liée à la charge émotionnelle qu’implique le rapport de forces tradition/modemité.“sl

Il apparaît, donc nécessaire de recourir à une étude des mentalités politiques à travers l’histoire, la sociologie et l’anthropologie pour arriver à mieux comprendre les normes “traditionnelles” de la vie politique et à adapter les principes de gouvemance et de démocratisation aux situations locales, et cela dans l’intérêt de “la cité”; le contraire conduit à des crises profondes, soldées souvent par des guerres interéthniques.

C. Pouvoir et crises socio-culturelles

Sous l’effet de l’expérience politique et économique, de la formation à l’étranger, de “l’asservissement” face aux “donateurs”, les élites (du pouvoir politique ou autre) aspirent à copier les modèles étrangers, signes de la “modernité”, et à utiliser dans des buts personnels une bonne partie de la richesse du pays.5’ En ce sens, B. Badie parlait du “dédoublement du monde” :

“La crise de légitimité de l’État a contribué à renforcer le dépendance des Princes du Sud à l’égard de ceux 2~1 Nord, à aggraver leurs tendances au patrimonialisme et, de ce double fait, à capter sur le mode privatif une part essentielle de l’aide internationale. Cette pratique de l’exclusion a pu paraître doublement fonctionnelle : pour les Princes du Nord, elle constitue LUI moyen efficace de “clientéliser” les Etats en développement; pour les princes du Sud, elle est aussi un biais avantageux pour entrer dans le club des Etats et bénéficier, de cette façon, d’une apparence de puissance. Mais le prix à payer est lourd : au-delà des effets de stagnation sur le plan du développement, cette conception des rapports inter-étatiques a hâté le dédoublement du monde, cet éclatement aujourd’hui manifeste entre le monde des Etats et celui des peuples et des mouvements sociaux. Au sein des pays en développement, les gouvernés, de plus en plus éloignés des structures gouvernementales officielles, perdent le goût de la citoyenneté pour se réfugier dans des identités de substitution [...] L’international devient ainsi un langage contestataire reliant les idées de domination, d’exploitation, de complot et de destruction systématique des cultures.“s3

” Feltz (G), Dchocratie et rfA~eloppement. Mirage ou espoir raisonr~ablc?, Paris, Karthala. 1993, p. 5. Y Un des “dkveloppementalistes” reconnus, René Dumont, décrivait dans les termes suivants cette réalité : “Les gouvernements africains ont également une bonne partie de responsabilité dans l’échec du d&eloppement. Les élites promues au pouvoir ont voulu vivre à l’occidentale. Elles ont pour cela cherché des devises, donc priviligié les cultures d’exportation aux dépens des cultures vivrières. <<Qui n’ont pas d’intérêt, car les pauvres n’ont pas du pouvoir d’achat)), m’a dit le directeur de 1’Agriculhire du Brésil, en août 1980, à Brasilia. Corruption, dépenses de luxe et voici que la misère se développe, quand reculent les crédits - des bailleurs de fonds - pour l’éducation et la santé.” (“Il aurait fallu donner la priorité à l’agriculture”, in Croissance, no 400, Janvier 1997, p. 39). ” “La scène mondiale atomisée”, in Projet, no 8, printemps 1995, p. 25.

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Dans ce contexte, le pouvoir des cultures indigènes est complètement subversif au coeur même de la direction nationale. Les dirigeants jouissent de la richesse, de l’influence et du pouvoir aux dépens de la majorité. Généralement, celle-ci se “cramponne” aux normes de la culture ancestrale et parvient difficilement à faire face aux conditions imposées par le pouvoir central. Logiquement, il y a un conflit permanent entre ceux qui éprouvent de la vénération pour les méthodes étrangères et ceux qui en sont exploités par elles. Les analyses montrent que dans la plupart des pays en développement, cela a contribué à augmenter la masse désabusée des gens qui vivent dans le dénuement. Le nombre sans cesse croissant de ces déshérités a progressivement amené. à des bouleversements politiques et économiques, le cas du Zaïre étant un des plus éloquents en ce sens. Selon certains analystes, c’est “l’aliénation culturelle des élites africaines au modèle occidental”, “élites-vampires, agents de sous-développement” qui est porteur d’incidences économiques néfastes.‘”

11 s’ensuit de ces exemples que la relation : aide au développement - élites au pouvoir - culture locale est complexe et ambiguë, porteuse de conséquences importantes sur l’état de développement du Tiers Monde. L’imposition de modèles économiques et politiques exogènes, incompréhensibles pour les populations locales, l’ascension au pouvoir d’une minorité riche qui vise à satisfaire son l’intérêt particulier, voire ethnique, avant celui de l’ensemble de la société, la remise en cause des communautés construites, convergent finalement pour créer les condition d’un état d’hétéroculture, de perte de repères collectifs et de crise des mécanismes d’identification.

Le refus de ces modèles imposés de l’extérieur ou par la coercition des élites autochtones, se manifeste dans le monde contemporain par la montée de l’islamisme qui est souvent assimilée à une des manières de retour aux sources, aux valeurs originaires. Cette situation de crise laisse ouvert, le débat sur les stratégies et les orientations à suivre au nom du developpement.

2. Limites des modèles actuels du développement

Les dysfonctionnements qui entretiennent le clivage entre le Nord et le Sud sont, on a pu le constater jusqu’ici, d’origine diverse et de nature extrêmement complexe. Les différentes stratégies mondiales du développement, le concours des organismes de financement, les relations de coopération bilatérale, régionale et internationale, l’action des Organisations non-gouvernamentales, etc., ont eu, certes, une importance majeure pour l’amélioration des conditions de vie et pour le démarrage économique de nombreux pays en développement; les progrès enregistrés par les Etats d’Amérique latine, ainsi que “le mirage asiatique” en sont la preuve. Les coûts sociaux de cette évolution furent pourtant énormes, tandis que l’état de développement de nombreux pays est encore très réduit. Cette situation de fait appelle à une réflexion sur l’adéquation des exigences du développement aux besoins locaux et sur les mutations entraînées par les transformations nécessaires à ce but.

” cf: Diouf (M.), “Elites africaines, aliénation culturellez et sous-développement”, in Afrijue 2000, février 1994, pp. 79-85.

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$1. La dichotomie etltre développement économique etldogét~e et développettretzt écononziqiie exogène

La notion de développement endogène s’inscrit dans les programmes de l’UNESCO et dans les études de nombreux spécialistes en sciences humaines comme un axe majeur du processus complexe et multidimensionnel du déb :!oppement. L’approche endogène exige de tenir compte du contexte socio-culturel dans lequel se situe le développement, et des conditions spécifiques liées à la culture concernée. Cette approche vise à répondre aux besoins réels des populations visées. Elle repose en grande partie sur leur degré de créativité, leurs valeurs et leur potentiel, leurs formes d’expression culturelle, et tend à la réalisation de leurs ambitions. L’approche endogène permet à la population intéressée de participer activement à son propre développement technologique en veillant à l’intégrer dans ses structures socio-culturelles.

Cette idéologie, souvent considérée comme idéaliste, entre en compétition avec ce que l’on appelle “développement exogène”, c’est-à-dire le modèle de développement des sociétés industrialisées, qui constitue en même temps l’aspiration des élites au pouvoir de ces pays et les objectifs des interventions de divers organismes et institutions bilatérales ou multilatérales qui, par différents moyens (aides au développement, programmes d’ajustement structurel, etc.) proposent ou imposent ce type d’avancement vers le progrès matériel.

Le propre des sociétés du Tiers Monde est, par exemple, de vivre l’expérience de l’industrialisation sous l’effet des contraintes extrêmement pesantes liées en même temps à l’événement de l’indépel “mce, qui relè1.e par définition d’un très court terme, et à la sollicitation très vive des n.\)dèles étrangers.

La convergence de ceux deux phénomènes explique que, dans un premier temps, très bref, les modèles culturels traditionnels s’en soient trou\,és bousculés, qu’on ait assisté ensuite, dans le courant des années soisante, et plus progressivement, à un retour de ces cultures, se manifestant par la remise en cause des mod?les importk; enfin, il commence à se développer, dans le contexte actuel, et sur un rythme plus lent, une recherche visant à stabiliser différents modèles originaux du développement. Il est éirident que ce processus d’échange entre un code culturel en formation et un système d’interactions en voie d’élaboration n’est compréhensible que par référence aux structures sociales et aux événements produits. Il est essentiel de garder à l’esprit que chaque culture ne renvoie pas à un modèle forgé es nihilo, mais à des contextes historiques précis, permettant de comprendre dans quelles conditions tels ou tels modèles d’interactions se sont constitués et se sont ensuite stabilisés en modèles culturels organisant le système.

Les schémas qui suivent” montrent les différences qui existent entre les deux situations de départ qui correspondent en fait à deux modèles culturels différents :

- “UNESCO, op. cif.. 1997, pp. 134135

Flodèle Culturel Dréindustriel

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45

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46

Les théories, concepts et modèles de développement qui sont le fruit des expériences européennes et américaines et qui reposent sur une logique européenne et “quantitativiste” ne s’appliquent donc pas aux réalités des pays actuellement en développement. Mais pour que de nouveaux styles de développement émergent, il faudrait que l’on admette la possibilité de trouver des formes nouvelles, originales de développement, différentes des théories prétendument universelles. L’exemple type en ce sens est offert par le secteur informel.

Composé de “microentreprises” couvrant tous les domaines d’activité (commerce alimentaire, fabrication d’objets de consommation, réparation, transport, etc.), ce secteur emploierait plus de la moitié de la population urbaine en Aîî-ique subsaharienne et parfois même près de 8O%.56 Le fait que l’Etat encourage parfois ce genre d’activité a été critiqué par les bailleurs de fonds occidentaux. Mais vouloir soumettre ce secteur informel aux règles du secteur formel c’est automatiquement le supprimer, donc augmenter considérablement le chômage et aggraver la situation alimentaire des plus pauvres. L’évolution du secteur informel vers la création de Petites et Moyennes Entreprises (PME) enracinées dans le tissu local serait peut-être une chance pour l’Afrique de trouver, enfin , une voie en accord avec sa culture.

J 2. Le Tiers mondisme : quelle réalité, quelles significations artjortrd’hrri?

L’expression “tiers monde” qui apparaît en France à l’époque de la conférence de Bandoeng (1955), sous la plume de G. Balandier et A. Sauvy , désignant les trois quarts de l’humanité qui se trouvaient étrangers au monde occidental du développement, illustrait l’idée que le théâtre international ne se réduisait plus aux “super-grands”, et qu’il faudrait prendre en compte désormais la masse énorme des colonisés, jusque là simples figurants sur la scène internationale. De ce points de vue, l’expression “tiers monde“ préfigure celle de “Sud” et renvoie à d’autres clivages que celui, horizontal, entre l’Est et l’ouest.

En effet, un regard lucide sur les visions du monde depuis un quart de siècle ne peut que remarquer l’extraordinaire changement survenu dans la perception des relations internationales, en particulier des rapports Nord-Sud.

Des “décennies du développement”, aux “nouvel ordre économique international”, le rapport avec les pays du Sud ont connu des mutations profondes : l’image idéaliste du la planète en tant que “village planétaire” et solidaire a évolué progressivement vers des clivages importants de nature politique, économique, sociale, culturelle, etc.

Sur le plan économique, cette différence concerne les décalages entre les niveaux de développement. Ainsi, si le Nord constitue la “norme”, le stade ultime auquel aspirent la majorité des pays nonindustrialisées, ces derniers, le Sud, reste en grande partie à l’état de “sous-développement”. Cette situation résulte de plusieurs combinaisons d’un certains nombre de facteurs majeurs, dont les plus importants$‘:

56 C. Gendarme (R.), “Coopération de l’Europe et de l’Afrique : histoire d’une espérance déçue”, IClomies en diveioppement, no 92, 1995, p. 25. ” cf: Banque Mondiale, Rapport annuel 1996, Washington D.C., Banque Mondiale, 1996.

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- l’insuffisance alimentaire répandue (depuis trente ans on a dressé le tableau d’une “géographie de la faim”). Si les famines aiguës sont, en raison des stocks des pays développés et des moyens de transport, circonscrites aux régimes d’anarchie politique et de guerre avec blocus économique, en revanche la sous-alimentation chronique est généralisée, même dans les pays d’autosuffisance globale, en raison d’inégalités sociales extrêmes. Les pays qui ne disposent pas en moyenne de 2500 calories par jour et par habitant doivent être considérés comme ne satisfaisant pas leurs besoins “incompréhensibles” : or 75% de la population mondiale est dans ce cas et 25% dispose de 2000 calories par jour et par habitant.

- le taux d’accroissement naturel de la population varie dans le Tiers monde de 2% à 4%, l’indice synthétique de fécondité de 3 à 8 enfants par femme; l’Afrique orientale est la région de tous les records : un indice de fécondité de 8 enfants par femme, un taux d’accroissement de l’indice de 10 habitants par an et par km’.

- l’industrialisation est partout restreinte et incomplète; il y a des pays presque dépourvus d’industries mais d’autres où elles sont puissantes, mais nulle part un tissu industriel homogène et complet ne s’est constitué, rendant l’industrialisation tributaire d’importations coûteuses (contrairement à l’Europe du XIX’ siècle où la croissance industrielle fut un processus cumulatif s’autoentraînant sans ponction externe). Il faut cependant remarquer qu’une opposition majeure existe aujourd’hui entre les nouveaux pays industriels d’Asie qui ont réussi à enclencher une dynamique de croissance et la plupart des autres pays où, malgré des industries textiles, métallurgiques, etc., aucun décollage n’a été observé.

- l’agriculture est dominée par le clivage entre productions vivrières et productions d’exportations, concurrentes dans le partage des ressources : terre, investissements, main- d’oeuvre qualifiée.

- le taux de scolarisation est réduit et varie selon les pays ( entre 20?0 au Mali et SO!,& en Algérie), mais les chiffres sont à prendre avec précaution étant donné la disparité des qualités d’enseignement et d’horaires hebdomadaires ou annuels.

- les L.illes sont duales: aux centre villes souvent très modernes et coûteux en fonctionnement, s’opposent des banlieues pauvres, voire des bidonvilles, où s’accumule la population rurale, sans emploi véritable et sans ressources. Là encore, les villes hypertrophiées sont une charge et concentrent tout le drame du Tiers monde par leurs inégalités sociales extrêmes. Les conséquences économiques de cette situation sont d’autant plus graves que les villes induisent des comportements de consommation à très haute propension a l’importation.

- l’intégration nationale des pays, contrairement à l’Europe du XIX’ siècle, n’est pas un moteur : les pays sont de trop petite échelle ou profondément divisés en régions ou ethnies rivales (cas général de l’Afrique), ceci étant l’un des principaux aspects de la violence politique extrême des pays du Tiers monde.

- le poids important de la dette continue de freiner le développement de nombreux pays en développement. Les mesures prises pour l’allegement de la dette, en spécial par la Banque

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mondiale et par le Fonds Monétaire International ont contribué à rendre la confiance aux investisseurs pour les nouveaux pays industrialisés d’Asie et d’Amérique latine, mais le problème est loin d’être résolu, surtout en Afrique.

Cette esquisse sommaire des principaux aspects qui caractérisent aujourd’hui le Tiers monde relève l’apparition simultanée de deux tendances contradictoires. D’une part, celle visant la mondialisation des échanges et la constitution d’une “économie planétaire”. D’autre part, la montée des revendications identitaires, particulièrement en Afrique. La désintégration de l’État y a provoqué un repli de chacun sur ses traditions, sa religion, sa langue, sa tribu, etc. L’implosion des États a changé l’objectif des guerres; désormais ce sont moins les pays qui développent l’esprit “belligène”, mais des fractions infra-nationales en révolte contre l’uniformité de l’Etat-Nation; jadis, force d’unification, le nationalisme aujourd’hui sème la division.58

En Afrique, la liste de ces conflits socio-ethniques conduisant à la guerre civile est longue : Rwanda, Burundi (opposition Tutsis-Hutus), Sénégal lutte pour l’indépendance de la Casamance), Mali, Niger (rébellion armée des Touaregs), Tchad, Soudan (rivalités entre l’Islam et les chrétiens), Algérie (guerre entre l’État et les islamistes), Somalie, Mozambique, Angola, etc. Ces luttes d’influente tribale, souvent entretenues et accentuées par les pouvoirs politiques depuis l’indépendance, contribuent à expliquer les pratiques fréquentes de favoritisme et de corruption en fonction de l’ethnie des dirigeants.

Ces réalités montrent que le “fait ethnique”, la référence culturelle donc, reste, à l’heure présente, irréductiblement enraciné dans les sociétés africaines. De manière générale, certains analystes y voient des freins “fàcheux” contre le développement économique, le climat d’instabilité politique conduisant à la multiplication des famines et à la création d’une “tension générale peu propice à l’investissement intemational.“59

Mais la généralisation de ces conflits internes pourrait mener l’analyse plus loin. Le rapprochement Est-Ouest a accentué le clivage Nord-Sud et a mené à une perte de repères collectifs : pour les pays du Sud, l’État socialiste faisait partie des repéres modernistes, et ils s’appuyaient sur cet allié potentiel et sa critique du capitalisme pour énoncer leurs revendications et leur vision globale du monde dans une rhétorique économique (exploitation, échange inégal, developpement du sous-développement, etc.) La division du monde ne mettait donc pas en avant des critères ethniques ou religieux, mais des degrés ou des modalités de développement.

Aujourd’hui ce système de repères communs s’est effondré et cette rupture se manifeste par un retour au tout culturel qui exalte les identités, les frontières culturelles, les différences. Ces aspects, considérés parfois comme “excès de culturalisme”, sont en fait une réaction à l’excès d’économisme. Le repli sur les valeurs culturelles représente ainsi “un moment, difficile mais nécessaire, du processus de mondialisation : là où l’économie a fait du monde un

‘* cf Delcourt, (J.), “Globalisstion de l’économie et progrès social. L’État social à l’heure de la mondialisation”, Futur-ibks, no 164, avril 1992, pp. 26-32. s’Gendarme (R.), op. cif., pp. 26-27.

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jardin clos, la culture serait le refuge des identités et des particularismes, fixant les nécessaires contradictions internationales sur un terrain où elles peuvent encore s’exprimer.“ho

Le retour au tout culturel et sa manifestation la plus grave, la montée en force de l’islamisme, présente aujourd’hui des risques majeurs dans le rapprochement Nord-Sud, car les affrontements culturels peuvent être plus barbares et plus difficiles à gérer que les affrontements économiques : ” Alors que les différences économiques étaient par définition réductibles dans les discours du développement, les différences et identités culturelles se confortent de leur permanence et de leur continuité. Le développement était un univers commun du discours et de sens, mais l’exaltation, poussée à l’extrême, des identités culturelles, multiplie les situations d’incommunicabilité des discours. Par ailleurs, les stéréotypes culturels confirment le Français et l’Européen moyen dans le sentiment que leur opposition aux ((autres)) en général, aux (Arabes)) en particulier, est irréductible. Voir les autres comme différents de façon irréversible, c’est les barbariser, mais aussi s’ensauvager soi-méme et s’enfermer dans un monde clos et mortifié. Le repli sur sa blancheur et sa chrétienté est aujourd’hui ce qui menace le plus 1’Europe.“6’

Le Tiers monde représente donc un ensemble d’enjeux pour la société internationale et pour la sécurité collective. Ces enjeux peuvent contribuer, d’une part, à des tensions sur la scène internationale dues, comme on vient de le remarquer, aux crises identitaires et à la xénophobie, mais aussi aux rivalités d’influente des grandes puissances dans les zones de décolonisation : conflits indirects, aide militaire, présence militaire, diplomatie d’inten.ention, etc.) ou à la conquête des marchés économiques ou commerciaux (zones franches, politiques d’aide commerciale, etc.) Mais d’autre part, ils pew’ent constituer des facteurs de stabilisation et d’harmonisation de la société internationale : le Tiers monde pourrait devenir un milieu privilégié d’action en faveur du désarmement et représente un site d’intementions des Etats dt:veloppés, industrialisés, en faveur des progrès économiques.

Le dialogue des cultures, le renforcement de la dynamique des croisements culturels, ainsi que l’effort du Nord pour comprendre et admettre le droit ri la différence culturelle seraient les priorités du monde contemporain.

Dans cette perspective, le rôle des institutions internationales et régionales de coopération et développement devient extrêmement important, car le dialogue des cultures exige tout d’abord une prise de conscience au niveau mondial de l’importance du facteur culturel autant pour l’avancement de l’humanité dans tous les domaines (économique, politique, social, etc.), que pour le maintien de la paix.

bo Henry (J.-R.), “De la culture du dGveloppement à la. guerre des cultures”, in Projet, n3 8, printemps, 1995, p 21. h’ ftlLw1, p. 22.

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Deuxième Partie :

ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES DE L'APPROCHE CULTURELLE DANS LES STRATÉGIES

13TERNATIONALES DE DÉVELOPPEMENT

Introduction

Le terme “stratégie” est employé dans le cadre de l’Organisation des Nations Unies dans le sens “d’effort d’intégration et de rationalisation de toutes les actions menées au plan national et international en vue de réduire l’écart entre pays développées et pays en développement.“62 Le vocable “écart” porte dans cette perspective sur le niveau de développement économique, les stratégies mondiales visant donc à améliorer les conditions matérielles de vie de l’ensemble des pays en développement.

Etant envisagé du point de vue économique, le progrès avait constitué dans un premier temps l’objet de recherche des économistes dont les analyses ont conduit de manière générale vers différentes formes d’investissement à caractère profitable à court terme. Face à l’échec de cette conception réductrice du déueloppement, la référence à la dimension culturelle a connu une évolution remarquable à travers les décennies, autant au sein des institutions de coopération que dans le cadre des conceptions et des pratiques concernant le financement du développement. Nous nous proposons d’en rendre compte dans le chapitre qui suit en présentant l’activité et les préoccupations de plus en plus significatives en ce sens de certaines institutions et organisations agissant dans le cadre de la coopération bilatérale ou multilatérale pour le développement.

1. Ei’OLCTION DE LA PRISE EN CO>IPTE DES FACTEURS

CL’LTLRELS DANS LES STR.iTEGIES DE DEVELOPPElIENT

DES INSTITtiTIOSS SUPRA-ETATIQUES

1 : L’approche culturelle dans les programmes des institutions internationales

$ 1. Les imtitrrtions des Nations Unies

Selon la Charte des Nations Unies, une des missions de l’Organisation est de “contribuer à la CO-opération internationale et résoudre les problèmes internationaux à caractère économique, social, culturel ou humanitaire.63

Dans le cadre de ce mandat général, les Nations Unies ont à leur disposition un nombre d’organismes qui s’occupent avec les problèmes spécifiques du développement : le Conseil Economique et Social et ses corps subsidiaires : les cinq Commissions Economiques Régionales (Afrique, Amérique latine et Caraïbes, Europe, Asie et Pacifique, Asie occidentale), les Comm,issions techniques (de la condition de la femme, des stupéfiants, de la population, des droits de l’homme, de statistique, du développement social), ainsi que le

” Virdly (hf.), L’organisation mondiale, Paris, A. Colin, 1980, p. 395. ” Charte des Nations Unies, Pr&mbule. Propositiotu et principes, New York, Nations Unies, 194.5.

53

Secrétariat général qui analyse les données et problèmes économiques et sociaux et publie des études sur le développement.

D’autres institutions spécialisées, telles l’Organisation Internationale du travail (O.I.T.), l’Organisation des Nations Unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), le groupe de la Banque Mondiale (BIRD, IDA, S.F.I., MIGA), etc., contribuent, chacune dans son domaine d’activité, à mettre en place les directives des stratégies mondiales et à élaborer des plans spécifiques d’action.

Les objectifs généraux de la coopération internationale (lutte contre la pauvreté, promotion des femmes, droit de l’homme, etc.) dérivent en général des stratégies des Nations Unies à moyen et long terme et on pourrait les formuler en termes de cultures larges.

En 1960, les Nation Unies ont proclamé la première décennie internationale du développement. L’échec relatif de celle-ci 8 conduit les Etats membres à adopter la décennie comme cadre chronologique de base dans lequel ils ont coordonné leurs efforts trans-sectoriels et trans-institutionnels de développement. Trois décennies pour le développement international ont été proclamés en 1970, 1980, 1990.

Chacune d’elles se définit par une stratégie de développement au niveau mondial. Celle-ci permet aux agences du système et aux Etats membres de situer leur propre action de dé\-eloppement en tant que contribution cohérente et positive à un ensemble de recommandations de politique internationale, ainsi que de définir leur rôle dans les relations inter-Etats et avec les institutions internationales.

Depuis 1960, les Décennies successi\,es ont reflété l’évolution concomitante dans la conception du développement, en réaction aus changements profonds et parfois traumatisants qui se sont produits à travers le monde.

La Stratégie pour les années 1970 affirmait simplement que les objectifs sociaux seraient atteints par la croissance économique. En 1974, la difficulté de mettre en oeuvre la Stratégie pour les années 1970 a conduit l’Assemblée Générale des Nations Unies à élaborer une recommandation pour l’établissement d’un Nouvel Ordre Economique International (NOEI) et à adopter en 1976 la stmtégie cfes besoi/zs essentiels de l’Organisation Internationale du Travail, le premier pas vers la reconnaissance des dimensions non-économiques du développement étant ainsi franchi.

La Stratégie pour les années 19SO a encore souligné la nécessité d’accélérer le développement économique, mais cet objectif a été lié à une réflexion concernant la justice, la paix et la stabilité. Pour la première fois, le Plan d’action mondial a donc dépassé les mesures économiques et financières pour proposer des actions spécifiques dans d’autres domaines, tels que l’environnement, l’habitat, le secours en cas de catastrophes et le développement social. Toutefois, aucune référence explicite n’était faite aux aspects culturels du développement.

La stratégie pour les années 1990 a marqué un progrès significatif en ce sens. La protection des “entités culturelles” diverses est explicitement mentionnée parmi les objectifs

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de la stratégie. Ses objectifs économiques et sociaux sont envisagés en termes de développement humain durable, ce dernier étant interprété comme la nécessité d’encourager chaque communauté à choisir sa propre approche dans l’utilisation des ressources humaines et la création d’institutions selon ses propres priorités, ses valeurs, ses traditions, sa culture et son niveau de développement. L’accent sera mis maintenant sur la notion de participation au développement : “Le développement doit assurer le respect de la dignité humaine . . . . augmenter le bien-être de la population tout entière, sur la base de sa pleine participation au processus de développement et d’une répartition équitable des bénéfices qui en découlent.“64

En fait, les grands objectifs de principe des Nations Unies pourraient être mis en correspondance avec ceux de la décennie mondiale dz1 développement culturel (1988-l 997), dont la base conceptuelle est largement marquée et qui a été représentée schématiquement de la manière suivante6’ :

Nations Unies

Développement humain durable

Décennie

Placer les cultures au centre du développement

Tolérance, respect des diversités Affirmer et enrichir les identités culturelles, en acceptant la diversité

Lutte contre les inégalités et l’exclusion Elargir la participation à la vie culturelle et sociale, créativité

B;itir la paix (Culture de la paix) Relancer le dialogue des cultures pour lez nouvelles solidarités

L’évolution de ces stratégies représente donc une avancée significative vers la connaissance des aspects humains et qualitatifs pour la réalisation du développement économique et social. Cependant, sauf à affirmer la place centrale du concept de culture dans la définition des politiques et l’orientation de l’action, la signification du rôle de celle-ci ne sera pas évident et les aspects culturels, avec les meilleures intentions, continueront à être instrumentalisés et donc sous-évalués.“66

Parmi ces agences spécialisées, I’UIL’ESCO est l’institution qui a accordée le plus d’importance aux aspects culturels du développement.

64 cité par Balmond (L.), La ciimension culturelle dans la stratégie culturelle des Nations Unies pour la troisihe rlkennie ries Nations Unies pour le dtheloppement. Problèmes et perspectives, UNESCO dot. CLTIDECKPi6 1, 1989, p. 8. 6sl-biESC0, op. cif., 1997, p. 268. 66ftiern, p. 73.

55

La dimension culturelle du développement constitue un des thèmes majeurs de la doctrine de l’UNESCO. Cette institution a proclamé, étudié et testé, dans le cadre de nombreux projets expérimentaux et des sessions spécialisées de travail, l’importance des facteurs culturels et de l’impact culturel du développement. De plus, l’UNESCO a engagé dans un nombre significatif d’activités de coopération, d’autres agences spécialisées des Nations LJnies, particulièrement la Banque Mondiale, l’organisation pour I’Alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds des Nations Unies pour les Enfants (UNICEF), l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), etc.

Le concept de “dimension culturelle du développement” a pris forme et a été analysé progressivement depuis la Conférence de Venise (1970) et au cours des conférences régionales qui se sont succédées durant les décennies : Helsinki (Europe, 1972), Yogyakarta (Asie, 1973), Accra (Afrique, 1975), Bogota (Amérique latine, 1978). La Conférence mondiale de Mexico (1982) a permis d’approfondir les concepts et de consolider autour de ce thème pivot les prises de position de l’UNESCO, de démontrer sa validité, tant pour les pays du Tiers monde que pour les pays industrialisés de plus en plus indépendants. En faisant prévaloir la notion de “finalité culturelle du développement”, une étape avait ainsi été franchie : “un développement considéré comme processus total dont l’homme, son être, son avenir serait le centre et qui impliquerait l’harmonisation de toutes les dimensions de la \fie . . . l’homme doit être à la fois acteur principal et la véritable finalité du développement.“”

Pendant la dicennie 1980, sur la base des conclusions de Mexico, l’UNESCO a effectué un nombre impressionnant d’études en vue d’établir les conditions générales nécessaires pour l’intégration de la dimension culturelle dans les stratégies de développement et pour démontrer le rôle dynamique que les facteurs culturels pourraient jouer dans le cadre des projets de développement.

Beaucoup d’autres études et rapports ont traité des effets des interactions entre la culture et divers autres facteurs du secteur économique ou social. comme, par exemple, le d&veloppement technico-industriel (notamment les incidences du développement technico- industriel sur l’identité culturelle), l’éducation, la communication, la science, l’environnement. etc.)

L’UNESCO a été aussi le chef de file de la Dkcenuie r?zorlriiczle du tlÉ~doppemeut cz&~rwl que les Nation Unies ont proclamé pour la période 19SS-1997. Les thèmes choisis - et inaugurés en 1992, pour la Décennie mondiale reflètent la place importante qui est accordée désormais à la culture dans les approches du développement : 1992 : Culture et environnement, 1993 : Culture, éducation et travail, 1994 : Culture et développement, 1995 : Culture et agriculture, 1996 : Culture et santé, 1997 : Culture et technologie (arts, sciences et communication).

La constitution, en 1991, de la Commission mondiale indépendante sur la culture et le développement” sous la présidence de Javier Pérez de Cuéllar et la publication du Rapport

” CNESCO, Cc >II CIWZC~ r~wt~tiirzle sw les politiques cdtwPIILY hlesico (26 juillet - 6 aod l982); Rnppo)~tfillnl, f; Paris. UNESCO, 1982, p. 23.

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mondial sur la culture et le développement Notre diversité créatrice ont eu le mérite de démontrer, sur des bases scientifiques, l’interdépendance entre la culture et le développement et le rôle majeur que la diversité culturelle joue pour le développement et pour le maintien de la paix.

Le rôle que l’UNESCO joue sur le plan international pour la promotion du concept de “dimension culturelle du développement” est donc fondamental. Critiquée dans certains cercles6*, l’UNESCO, “prophète rationnel du monde” dispose d’une position irremplaçable du fait de son passé, de son patrimoine et en tant que forum international le plus large. Ses travaux récents69 sont centrés sur l’approche pratique de la dimension culturelle du développement et offrent une base -concrète de travail pour toutes les autres institutions et organismes qui ont pour but de promouvoir un développement durable et respectueux de la diversité culturelle des peuples.

L’importance de l’UNESC~O pour l’évolution de la conception du développement est donc primordiale. A la différence des autres organismes internationaux, surtout ceux à caractère économique, l’évolution de cette organisation a été sensiblement différente : son champ d’action, tel que prévu par son acte constitutif, a été progressivement élargi vers de nouveaux domaines culturels et vers une conception de plus en plus globalisante de la culture. Dans cette perspective, elle s’est trouvée naturellement en “tête” dans le combat pour le développement.

Les positions de l’UNESCO, malgré leur pertinence, se heurtent, dans une certaine mesure, à des blocages institutionnels et politiques communs, à toutes les formes de multilatéralisme.

D’autres institutions du système des iations Unies ont explicitement adopté une définition plus large de leurs tâches en termes de développement humain (en incluant donc les facteurs culturels) dès les années 1970 : notamment le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), l’llnited Nation Children’s Found (UNICEF), l’Organisation 1Mondiale de la Santé (OIMS), l’Organisation des Nations Unies pour I’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’organisation Internationale du Travail (OIT), cependant que d’autres ont mis davantage de temps à adopterune approche dépassant la définition purement technique de leur mandat, comme, par exemple l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel.

Quant aux institutions de recherche : United Nations University (UNU), United Nations Research Institute for Social Development (UNRISD), International Research and Training Institute for the Advancement of Women (INSTRAW), dès leur création, elles ont interprété leur mission en termes plutôt sociaux qu’économiques ou techniques.

6a cf., par exemple, des assertions du type “...la dimension culturelle n’est qu’un luxe que l’on peut éventuellement s’offrir pour sacrifier au rituel de l’UNESCO, en lançant un festival des arts africains ou en inaugurant un musée des traditions populaires.” (Latouche, S., op. cit. , p. 56). “11 s’agit de : La dimension cdturdfr du dtbeloppernent. Vers une approche pratique, Paris, UNESCO, 1995, et de L’approche culturelle du &eIoppe»wnt. Mclnuel de plàniflcation : principes et imtrwnmts, UNESCO, 1997, travaux auxquels nous avons diji fait réfërence dans la première partie de cette étude.

Les révisions les plus approfondies des habitudes de travail existantes ont été opérées dans les institutions de coopération multilatérale (OMS, UNICEF) ou bilatérale (Agence Canadienne pour le Développement International) pour le développement, dont le mandat comportait dès l’origine une dimension humaine ou humanitaire explicite, ainsi que dans le cadre des Organisations non-gouvemamentales, qui ont adopté depuis longtemps des politiques totalement nouvelles dans ce domaine.

En matière de coordination des efforts visant à aboutir à des politiques plus intégrées, il faut rappeler que de nombreuses structures trans-institutionnelles existent au sein des Nations-Unies : I’ECOSOC, le CCA, le CCSQ, le JIU. La notion d’agence-pilote (“lead agency) et de responsable ou correspondant (focal point) pour les projets inter-agences est aussi une réponse au problème du renforcement de la coopération dans le système des Nation Unies. Enfin, depuis 1994, les anciens représentants résidents du PNUD ont reçu la mission de coordonner le travail des différents agences sur le terrain.

Malgré ses éléments positifs et les efforts de l’UNESCO, il convient d’affimrer que, du fait de la culture institutionnelle et la pression de certains Etats membres qui réclament une politique plus strictement gestionnaire et une visibilité accrue des résultats, les méthodes de planification du développement actuellement utilisées dans les différentes agences demeurent pour l’essentiel élaborées selon des critères économiques, quantitatifs et sectoriels.

Dans le cadre de la coopération internationale multilatérale, un rôle important pour le dévpeloppement du Tiers Monde revient à la collaboration entre l’Union Euronéenne et les Etats d’Asie. Caraïbes. Pacifïaue (UE/ACP), sur la base des Cor~\*e~~tio~~.s de Lo~ué.

La prise en compte de la “dimension culturelle” du développement a connu, dans le cadre de cette coopération aussi, une évolution remarquable.

Ainsi, au sein de l’Union Européenne, c’est le temle de “coopération culturelle” qui a acquis progressivement “droit de cité”. Bien que dans les institutions de la Communauté Européenne ce terme était utilisé bien avant 1986 dans les déclarations et rapports officiels, il a obtenu un caractère juridique par le Traité de Maastricht, son article 128 sanctionnant la nécessité d’une “coopération culturelle européenne”.

La troisième convention de Lomé, entrée en vigueur en 1956, comprenait un Titre consacré à la coopération culturelle. Ces dispositions ont été reconduites et étendues par Lomé IV (signée en décembre 1989). L’article 139 de cette dernière Convention précise que la coopération doit :

5s

- contribuer à un développement autonome des Etats ACP, centré sur l’homme et enraciné dans la culture de chaque peuple;

- valoriser les ressources humaines, accroître les capacités propres de création, favoriser la participation des populations au processus de développement;

- promouvoir une meilleure compréhension internationale et une plus grande solidarité dans un souci d’enrichissement mutuel.

.

La coopération culturelle, étant basée sur la prise en compte de quatre groupes de facteurs (organisation sociale, organisation économique, organisation culturels), constitue donc la toile de fond des relations avec les Etats domaine supplémentaire de cette coopération. Elle comprend :

familiale et facteurs ACP et non pas un

- d’une part, la prise en compte de la dimension culturelle dans développement;

toutes les actions de

- d’autre part, le financement d’actions culturelles spécifiques : la sauvegarde du patrimoine culturel; la production et la diffusion des biens culturels, les manifestations culturelles, l’information et la communication.

Cine pluralité de domaines donc, qui font de Lomé le texte le plus étendu et le plus articulé que la Communauté se soit donné jusqu’ici dans le domaine culturel avec les pays tiers.

Dans d’autres accords signés par la Communauté européenne après Lomé III, la culture est parfois conçue d’une façon moins exhaustive. Mais la conception de “culture” que donne la dernière Convention de Lomé, a fait désormais école. Le concept de “dialogue interculturel” imprègne largement les dispositions sur la coopération culturelle au point d’en constituer une modalité essentielle. 11 faut cependant spécifier que les bases techniques de cette coopération ont été fixées en collaboration avec l’UNESCO.

Ce dialogue interculturel est axé sur un approfondissement des connaissances et une meilleure compréhension des cultures ainsi que sur “une prise de conscience de l’interdépendance des peuples et des cultures différentes” (art. 145). Il doit déboucher sur un apport culturel réciproque : faire connaître en Europe ce que le monde ACP a de positif et d’enrichissant pour l’humanité et vice-versa.

En effet, pendant très longtemps, les Etats ACP ont subi de la part des pays occidentaux non seulement une domination économique ou politique, mais aussi culturelle, et celle-ci persiste à bien des égard.

La prise en compte de la dimension culturelle se propose de favoriser un type de développement non pas importé ou calqué sur les modèles occidentaux, mais endogène, et par conséquent mieux adapté aux besoins. Selon la Convention de Lomé, “la culture doit imprégner les différents secteurs de la coopération et se refléter dans toute action de

59

développement, tant en ce qui concerne la conception et l’instruction que l’exécution et l’évaluation du projet (art. 142).

L’article 143 énumère un certain nombre d’aspects à prendre en considération dans l’instruction des projets de développement :

- l’adaptation au milieu culturel et les incidences de ce milieu; - l’intégration et la valorisation des acquis de la culture locale, notamment les systèmes

de valeur, les habitudes de vie, les modes de penser et de faire, les styles et les matériaux; - les modes d’acquisition et de transmission des connaissances; - l’interaction entre l’homme et son environnement, et entre la population et les

ressources naturelles; - les rapports sociaux et interpersonnels; - les structures, modes et formes de production et de transformation.

Pour ce faire, la Commission, depuis 1992, s’est dotée de nouvelles lignes directrices générales pour la mise en oeuvre de ses interventions en matière de dkeloppement, appelés “Approche intégrée de la gestion du cycle de projet’programmes”, qui incluent les aspects culturels.

Le volet culturel est donc à présent une partie intégrante de chaque projet. Ainsi, la Commission pourra refuser d’apporter son concours à des projets qui iraient à l’encontre des valeurs des collectivités ACP. Cette coopération, axée sur le respect des aspects culturels des pays en développement, propose une forme intéressante de planification participative du développement. Cette méthode est d’ailleurs de plus en plus employée, notamment par la Banque Mondiale, le Programme des Nation Unies pour le Dé\.eloppement (PNUD), certains ministères nationaux du développement (Allemagne. par exemple).

Dans le cadre de la coopération bilatérale, les actions menées par esemple, par l’Agence canadienne de Développement International (CIDA), l’Agence des Nation Unies pour le Développement International (USAID), le Ministère Français de la Coopkation, l’Agence Finlandaise de Développement (FINKIDA), le Ministère Allemand pour la Coopération Economique et pour le Développement (BMZ), ont été significatives et montrent une préoccupation croissante pour la prise en compte des facteurs culturels.‘”

Le rôle des Organisations non-gouvernementales (ONGs) dans la coopération pour le développement est fondamental. Cette situation est due, d’une part, à leurs statut (elles n’obéissent pas aux lois publiques)“, et d’autre part, i la diversité des champs et des niveaux

cf par exemple, CrNESCO, The Cdtwrrl Dittwttsiott of De~doptttetlr : To~~,(IIYIJ. a Ptmricd Apptvach, Paris. UNESCO, 1995, pp, 70-76. ” Par leur action, les OKGs ont donné naissance au concept de “devoir d’assistance”, voté par les Nations LJnies à l’initiative de Bernard Kouchner en 1958 et connu depuis sous le terme de “droit d’ingérence”. Mis en oeuvre a diffkrentes reprises (Kurdistan, 1991, Somalie et Bosnie, 1992), ce droit implique une remise en question de deus des principes du droit international (celui de souveranélté des Etats et de non-ingérence dans leurs affaires intérieures), ce qui montre l’influence grandissante prise par l’action humanitaire dans un contexte de “désordre” mondial et dc multiplication des conflits locaux.

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auxquels elles opèrent. Bien que le montant global des financements fournis par les Organisations non gouvernementales soit faible dans le total des ressources apportées aux pays en développement (3% du total en 1992, mais près de 10% de l’aide publique au développement),‘” il ne cesse de s’accroître en proportion du rôle désormais essentiel des Organisations non gouvernementales, à la fois dans les situations d’urgence, du fait de la multiplication des conflits régionaux dans lesquels ils sont appelés à intervenir, mais aussi à la tendance des organisations institutionnelles à leur confier la réalisation de programmes de développement.

En effet, plus souples, plus proches des réalités du “terrain”, où leurs volontaires interviennent directement, capables de mettre en oeuvre rapidement des programmes d’assistance ciblés sur les victimes des drames naturels ou humains, les Organisations non gouvernementales sont de plus en plus considérées comme des partenaires privilégiés des programmes d’aide institutionnels, qu’ils soient bilatéraux ou multilatéraux, tels la Banque Mondiale, l’Agence Canadienne d.u Développement International (ACDI), l’Agence des Etats Unis pour le Développement International (AEUDI). Dans cette perspective, l’activité de Grameen Bank de Bangladesh et Sarvodaya en Sri Lanka en constitue un exemple à suivre.73

Parmi les Organisations non gouvernementales qui accordent une importance significative à la dimension culturelle du développement, il faut mentionner l’Oxford Committee for Famine Relief (OXFAM), le Catholic Committee against Hunger and for Development (CCHD), le Cultural Network (groupement d’ONGs agissant en Afrique, Asie, Europe et Amérique Latine), le Panos Institute (formé de quatre ONGs, en France, Hongrie, Grande Bretagne et aux Etats Unis), etc.

Pour la plupart professionnalisées, avec des technique d’intervention élaborées et adaptées aux situations d’urgence, ces ,organisations sont aujourd’hui présentes dans tous les grands conflits et prolongent leurs actions en intervenant sur la scène internationale pour dénoncer les drames et appeler au règlement des crises politiques aux conséquences humanitaires graves. Leur action et expérience de “terrain” est appelée à intervenir de plus en plus dans le cadre de la mise en pratique des programmes et projets de développement, car leur participation pourrait permettre une approche pleinement culturelle du développement.

” Brune1 (S.), La coopération Nord-Sd, Paris, PUF, 1997, pp. 32-33. ” V. Ci-dessous, Br 3.

61

2. Les organismes de financement

Pour les pays en développement ou en transition, pour la plupart démunis de ressources financières et devant faire face à des fléaux divers (croissance démographique, famine, pauvreté) et au poids important de la dette extérieure, les opérations de financement de développement sont très importantes. Etant donné le fait que, dans un premier temps, les théories du développement passaient exclusivement par l’économie, les institutions financières ont eu tendance à exercer une certaine hégémonie sur la politique de développement.

Une enquête” confiée en 1983 au Centre International pour le Développement (CI) par le Fonds International pour la promotion de la culture de l’UNESCO montrait que sur quarante-huit organisations finançant des projets dans les pays en développement, une seule institution disposait d’une division spécia!isée qui s’occupait de la dimension culturelle du développement, et cela dans les conditions où la majorité reconnaissait avoir eu à s’occuper de cette question lors de la réalisation de projets spécifiques intéressant des zones rurales. Dans la plupart des cas, les institutions de financement sont surtout orientées “vers les affaires” et considèrent que le problkme ne les concerne pas et qu’il appartenait aux bénéficiaires de se soucier des aspects culturels.

Les préoccupations de ces organismes sur l’impact culturel commencent à se manifester, bien que de manière limitée sur l’ensemble. Line évolution claire en ce sens peut cependant être remarquie.

Jugée généralement en termes critiques - quant à ses recommandations sur les politiques d’ajustement structure1 qui ignoraient les conséquences sociales et culturelles -, la Banque Mondiale a entrepris, depuis une dizaines d’années, un travail de recherche et d’expérimentation novateur, pour promouvoir à la fois le développement participatif et “environementalement” durable, la notion “d’environnement” étant en ce cas élargie au contexte social et culturel des projets.

Dans les conclusions des Actes de la Confél-etzce itztematiotlnle organisée au siège de la Banque mondiale en 1992 sous le titre Cdtwe et Dé~~eloppemetzt e/z AjTiqrre, on précisait : !! . . . en dépit de l’importance des cultures locales, la théorie conventionnelle du développement continue d’affirmer que le développement apparaît là où les populations se sont dépouillées d’une grande partie de leurs vielles habitudes. En conséquence, aucune attention sérieuse n’a été accordée à l’étude des valeurs culturelles traditionnelles ni à leur relation avec le processus de développement [...] Compte tenu des preuves ici présentées, on peut conclure que le développement a des sérieuses conséquences sur la culture d’une société en transition et que la

” A~~xI (J.C.), Desjeux (D.), “L’attitude des organismes de fïnancement à I’Cgard de la dimension culturelle du développement”, in La c~ltwc : clef riz1 d~~vlopp~w~cnt, Paris, UNESCO, 1953, pp. 19-2 1.

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façon de traiter ces conséquences dépend largement des agents de changement et du degré de popularité dont jouissent leurs programmes.“”

Ces constatations ont conduit les autorités à affirmer la nécessité d’établir un cadre culturel “intégré et intégrant” pour le développement : “La clarté de l’identité culturelle et la continuité de son évolution sont indispensables à la création d’un cadre culture intégré et intégrateur, qui constitue une condition sine qua non de l’existence d’institutions pertinentes et efficaces à la fois ancrées dans l’authenticité et la tradition, et ouvertes à la modernité et au changement.“”

Cette nouvelle conception du développement représente une évolution radicale dans le cadre des stratégies et moyens d’action des institutions de financement et mérite une attention spéciale, car elle s’intègre parfaitement dans le champs d’interrogations que nous nous sommes posées dans l’introduction de cette étude.

En effet, l’évolution vers une approche culturelle du développement est visible par un bref aperçu des transformations subies par les cycles des projets élaborés dans la cadre de la Banque Mondiale76 :

La nécessité de la mise en question du cycle traditionnel (élaboré en 1978) s’est ressentie face a la constatation que celui-ci était dépassé par rapport “à la nature participative, risquée et volatile d’une part croissante des opérations de développement dans le monde d’aujourd’hui.“” De plus, l’évaluation rétrospective des projets avait montré que l’insuffisance de la participation des bénéficiaires et des emprunteurs dans la prise de décision et aux objectifs avait été la principale cause de l’échec de bon nombre de projets.

Centré sur l’emprunteur et le benéficiaire, et non plus sur les exigences de l’organisme de l’aide, le nouveau cycle encourage la collaboration avec la population locale à un stade précoce de l’élaboration et la planification des projets de developpement. L’importance accordée à la cormzmicatiorz (qui consiste à prendre connaissance, de manière systématique, des points de vue et préoccupations des principaux intéressés), l’e~r~éri~?zentatio/z (exploration des différentes approches identifiées au premier stade et identification des risques), à l’upprenfissage au niveau des institutions locales et à I’évaluatio,z des risques est de nature A assurer une élaboration et un échelonnement plus réaliste des projets.

“Au Brésil, un projet, financé par la Banque, d’assainissement de l’environnement et d’amélioration des conditions sanitaires dans les villes illustre l’importance d’un vaste échange de vues entre les administrations publiques chargées de l’eau et de l’environnement, les représentants des collectivités et les services de la Banque. II est ressorti d’enquétes menées au stade de discussions que les ménages défavorisés, sans eau courante ni service de voirie, et ceux qui ne recevaient que des services peu fiables étaient prêts à payer beaucoup plus pour de tels services que ce qu’il leur en coûte actuellement. En conséquence, les responsables de l’élaboration du projet ont élargi les objectifs : de la restauration des zones côtières ils les

751rlern, p. 17. 76 cf. Picciotto (R.), Weaving (R.), “Un nouveau cycle de projets à la Banque Mondiale”, in Finances 62 Développenient, no 4, décembre 1994, pp. 42-44. ” Idem, p. 42.

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ont étendus à l’amélioration des services d’adduction d’eau et de voirie, en donnant la priorité aux quartiers pauvres des villes.“i8

Ainsi, conçues sur la base des besoins de la population, en accord et avec la participation de celle-ci, s’intégrant donc dans une approche culturelle, les opérations de développement ont plus de chances à avoir des effets durables.

De même, .le nouveau cycle va dans le sens de l’objectif de la Banque qui est de renforcer son partenariat avec d’autres institutions de financement. La phase d’expérimentation, par exemple, suppose une connaissance approfondie des conditions locales et une présence permanente sur le terrain. 11 est souvent indiqué que la Banque tire parti des travaux réalisés par d’autres entités et qu’elle forme des alliances stratégiques avec d’autres organismes bilatéraux au stade de l’expérimentation, et avec les banques régionales dans la phase de démonstration.

La Convention de Lomé donne la possibilité de financer toute une panoplie d’actions j caractère culturel :

- la sauvegarde et la valorisation du patrimoine culturel; - la production et la diffusion de biens et services culturels; - les manifestations culturelles; - l’information et le communication; - la recherche en matière culturelle; - des actions de valorisation des ressources humaines lorsque les actions en question

manifestent un caractère culturel prééminent (Femmes et dé\,eloppement, droits de l’homme, etc.)

Les actions à caractère culturel doivent contribuer à enraciner davantage les populations ACP dans leur acquis culturel traditionnel, le présemer et le diffuser, tout en renforçant le capital d’autoconfiance et le potentiel de créativité de ces différentes civilisations.

Toutefois. il n’y a pas de ressources supplémentaires pour le financement d’actions il caractère culturel. Les actions culturelles sont imputées soit sur le Programme Indicatif National de l’Etat ACP qui en fait la demande, soit sur les Fonds Régionaux, si la demande est formulée par au moins deux Etats ACP ou sur les fonds tous ACP, pour les actions ayant un caractère plus général. La Fondation pour la Coopération Culturelle UE/ACP, mentionnée 6 l’article 141 de Lomé IV, bénéficie de cette dernière forme de financement.

Environ 45% des Programmes Indicatifs Nationaux identifient le secteur culturel comme domaine de Coopération. Il s’agit des Etats suivants : Bénin, Guinée Conakry, Guinée Bissau, Nigeria, Sierra Leone, Burundi, Tanzanie, Ouganda, Djibouti, Ethiopie, Burkina Faso,

‘ii Ihirleln, p. 42-43.

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Gambie, Mali, Sénégal, Botswana, Mozambique, Namibie, République Dominicaine, Grenade, Jamaïque, Papouasie Nouvelle-Guinée, Comores, Fidji, Kiribati, Samoa Occidental, Tonga, Vanantu, Madagascar, Seychelles.

Jusqu’ici, la Commission a financé un grand nombre de projets culturels, pour un montant d’environ 47 millions d’Ecus (Lomé III + Lomé IV), couvrant la plupart des secteurs possibles d’intervention. Pourtant, la place accordée au financement des actions en faveur de la prise en compté de la dimension culturelle du développement reste insignifiante par rapport à l’importance de celle-ci pour la réussite du processus de développement : 3,4% du total des

financements au titre de la coopération culturelle et seulement 0,007% du total de l’enveloppe f mancière.

Ces chiffres montrent, une fois de plus, que les aspects culturels sont conçus comme un appendice greffé derrière les soucis du développement économique. La dimension culturelle est ainsi occultée par les impératifs ponctuels d’ordre économique.

D’autre part, au sens des dispositions de Lomé, il appartient aux Etats ACP d’élaborer les politiques et les mesures dans la perspective d’un développement autonome et autocentré. En fait, ces Etats, sous la pression d’autres priorités, n’accordent pas toujours à la dimension culturelle l’importance qui lui est reconnue dans les textes juridiques, ou affirmée dans des prises de position politiques.

Une collaboration plus soutenue entre les facteurs de décision au niveau local et les bailleurs de fonds s’avère donc être nécessaire; de même, la coopération entre ces derniers et les organismes de financement régionaux pourrait constituer un autre moyen efficace pour la prise en compte de la dimension culturelle lors de l’élaboration des projets à caractère économique.

j- 3.

De

Les orgarlismes régionaux et locaux

manière générale, on peut apprécier que l’activité des Banques régionales de financement du développement est inspirée par celle du groupe de la Banque mondiale, étant axée donc sur la rentabilité financière. Pourtant, par l’intermédiaire de fonds spéciaux (Fonds de gestion pour le progrès social, Banque interaméricaine de développement) elles participent déjà à des actions à contenu culturel.

Un exemple éloquent en ce sens est offert par la Banque islamique de développement : les ulémas y participent supervisent des projets financés par cet organisme; les projets sont “soumis à la philosophie de base de l’Islam et sont orientés en conformité avec les normes et les principes de l’Islam.“‘g

En ce qui concerne les pratiques locales, on a remarqué la création des systèmes de prêts dont les garanties sont offertes sur la base de corzjarrce et qui constituent un des

“Amau (S.), Desjeux (D.), op. cit., p, 20.

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principaux moyens pour soutenir le développement local, à petite échelle. Ce procédé démontre, lui-aussi, l’importance du facteur culturel dans le conception et l’adaptation des solutions aux réalités locales. Ces marchés financiers, issu des matrices culturelles des sociétés en développement, impensable par rapport aux principes de l’économie occidentale, ont connu un vrai succès dans les pays pauvres :

La Grameen Bank est la plus célèbre ONG de 12 000 “groupements locaux” de Bangladesh. Fondée en 1969, elle montre comment on peut développer un système de crédit pour les pauvres. Son créateur, Mohammad Yunus, part du constat que les paysans sans terre n’ont pas accès au crédit par le simple fait qu’ils n’ont aucune garantie à offrir. Or, contrairement à l’idée reçue, il va démontrer que les plus pauvres ne sont pas forcément les plus mauvais payeurs. La “banque, qui n’obtiendra ce statut qu’en 1983, commence modestement, la forme retenue étant celle du crédit solidaire. Pour obtenir des prêts, les candidats, tous issus des milieux ruraux les plus désharités, doivent d’abord constituer un groupe de cinq emprunteurs qui. réunis régulièrement autour d’un employé de banque, apprennent les notions de base.

Les projets financés ne permettent pas un réel décollage économique de la région, mais les paysans qui bénéficient des prêts de la Grameen Bank ont un niveau de vie d’environ 20% supérieur aux autres paysans sans terre. D’autre part, cette banque a commencé à développer des activités économiques plus larges et classiques, telles que les projets d’irrigation. Elle est enfin, passé d’une centaine de succursales en 1984 à 500 en 1988 avec 50000 clients. Dans un pays où les plus déshéritées sont les femmes, 80% des prêts leur sont destinés. La banque affiche un taux de recouvrement de 98%.”

Pour un réel décollage économique de ces régions, le soutien de ce genre de marchés financiers locaux par les institutions de financement à caractère régional ou mondiale serait binéfïque en vue de leur développement et leur passage vers des formes de prêts plus avancées.

2. PERSPECTI\.ES ET PROPOSITIOSS

L’importance de la prise en considération de la dimension culturelle du dé\.eloppement a été donc l’objet d’une reconnaissance progressive de la part des acteurs impliqués dans ce processus. Il s’agit d’une convergence des évaluations des causes qui ont conduit à l’insuccès de nombreux projets et programmes de développement : dans un contexte mondial de crise, l’interdépendance du développement et de la culture devient une certitude.

Cette constatation, véritable révélation pour certains adeptes des réformes économiques, a entraîné la mise en question des approches traditionnelles du développement et la recherche des solutions nouvelles qui prennent en compte et respectent les facteurs culturels; les stratégies adoptées à cette fin par les institutions internationales, l’UNESCO et la Banque mondiale, par exemple, sont des exemples éloquents en ce sens.

Quelques concepts et mots-clés reviennent dans les diffkrentes études ayant comme sujet de réflexion ces questions : participation, communication, respect de la diversité culturelle, confiance, identité culturelle, etc. Ce sont autant de nouvelles coordonnées qui esquissent les bases d’un autre “développement”, autocentré, endogène, condition essentielle

“’ cité par UNESCO, op. cit.. 1997, pp. 252-283

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de la pérennité des réformes. Leur considération exige en réalité des modifications radicales quant aux moyens et au comportement des acteurs participant au développement.

1 : L’approche culturelle : une réponse possible à la mondialisation

j+ 1. Participation, communication, confiance . conditions essentielles de la “‘rézrssite ” du développement

Si le développement doit répondre aux aspirations des populations et doit être durable, il ne peut être conduit en fonction d’un modèle extérieur, mais doit s’organiser selon des objectifs et des voies librement choisis par chaque société en évitant que les transferts des connaissances en matière de sciences sociales et humaines, de même que dans le domaine de la technologie, ne fassent obstacle au développement endogéne. Ainsi, au lieu de simple transfert dont les effets peuvent être aussi bien destructeurs que novateurs pour les sociétés et les civilisations en question, il faudrait faire prévaloir le principe d’échawe de counaissauces qui implique en fait une large particinatior? des populations locales.

Dans cette perspective, la participation populaire aux différentes actions en vue du développement implique plusieurs facteurs : initiative émanant de la collectivité elle-même, prise de décision de commun accord entre les bailleurs de fonds et celle-ci, contribution des intéressés à la gestion et au fonctionnement des réalisations pour que ces dernières puissent être maintenues par les usagers-mêmes.

Les obstacles qui s’opposent au developpement d’une participation populaire, comme par exemple, le clientélisme, le patronage, le corporatismes’ devraient aussi être éloignés. En effet, les élites au sommet des Etats et de l’économie ne consentent pas à partager leurs pouvoirs; aux pressions des couches dominées, elles opposent souvent les armes à leur disposition, dont un ensemble de mécanismes politico-idéologiques à travers lesquels des groupes dominants parviennent à éviter les transformations des groupes exploités. Dans ces conditions, un rôle prioritaire dans l’élaboration des projets doit être réservé à l’opérateur du terrain qui doit assurer la consultation, permettant interaction, discussion, consensus et implication directe, sans intermédiaires, de la part des autochtones. Les résultats constructifs de cet échange dépendent en grande mesure de la qualité de la comtmmication entre l’opérateur du terrain et la communauté. Dans ce contexte, la communication constitue “l’instrument indispensable de la participation.“s’

Il est important que les flux communicationnels agissent à plusieurs niveaux simultanément :

” C~I Jobert (B.), “Clientélisme, patronage et participation populaire”, revue Tiers Monde, XXIV, no 95, pp. 537- 556. 82 Diouf, (J.), ‘Introduction’, La Communication : cl& \Sers 1~ développement humnin, Rome, FAO, 1994.

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opérateurs de terrains et facteurs de déveloDoement extérieurs + nooulations locales + autres 5zrouues locaux.

De plus, moins la communauté est culturellement homogène, plus il est vital d’encourager les différents groupes qui la composent à communiquer librement entre eux.

Ces flux communicationnels pourraient être assurés de manière efficace par plusieurs voies : l’école s’intégrant au milieu (exemple de l’enseignement moyen pratiqué au Sénégal), les centres d’éducation populaire intégrée (Guinée-Bissau), des moyens d’éducation de masse - radio éducative, (Sénégal), tklévision extra-scolaire (Côte d’ivoire, Tanzanie), presse rurale (Sénégal, Mali) -, des opérations d’animation stimulant la participation, etc.

La participation à travers la communication, le dialogue des cultures, peut conduire à la dynamisation des groupes sociaux, capables de prendre des initiatives et de mener à bien des expk-iences nouvelles.

Mais cette “dynamisation”, l’impulsion vers la participation sociale ne peut être déclenchée que sur le fonds d’un climat de cotcfialrce. Ce terme apparaît, en effet, dans de nombreuses assertions visant à apporter des solutions éventuelles à la crise que traversent ensemble, sociétés développées et en développement. En voilà quelques exemples :

“L’absence d’un cadre culturel durable tend à se traduire par une absence de confiance nationale et une fragmentation sociale, juxtaposant des élites occidentalisées et des majorités aliénées [...] Cette confiance en soi est indispensable si l’on veut créer un cadre culturel qui permettra à la modernisation d’être quelque chose de plus qu’un vernis d’occidentalisation.“‘3

Selon Alain Peyrefitte. l’attitude de confiance représente la “quintessence des conduites culturelles et religieuses, sociales et politiques qui exercent une influence déci4L.e sur le développement ,.. Le ressort du développement réside en définitive dans la confiance accordke i l’initiative personnelle, a la liberté exploratrice et inventive.“‘;’

La confiance serait donc une condition obligatoire du déclenchement du processus du développement. A travers une analyse presque exhaustive de l’histoire de la chrétienté occidentale du XV' au XVIII' siècles, Alain Peyrefitte montre que les ressorts du “décollage” du développement en Europe se trouvent dans ce qu’il appelle un “ethos de confiance” - disposition d’esprit qui a bousculé les tabous traditionnels et favorisé l’innovation, la mobilité, la compétition, l’initiative rationnelle et responsable.

Ce jugement est valable aussi pour les pays en transition de l’Europe de l’Est où les changements intervenus depuis la fin du communisme ont conduit à une véritable perte de repéres, à une rupture psychique et morale, avant tout. Le redressement de ces économies, se trouvant dans un stade supérieur, du point de vue technique et matériel, à beaucoup de pays du

” Serageldin (I.), vice-président de la Banque Mondiale, op. cd., p. 15. a4 Peyrefitte (A.), Ln socidL; de cotzfi~~t~c~~. Essai sur IL>S origittes et In tenture du rli;~vloppwwtzt. Ed. Odile Jacob, Paris, 1995, p. 15,

68

Tiers hIonde, est conditionné aussi par l’implication effective des populations dans ce processus. L’apport de capitaux étrangers y a été aussi essentiel pour le “décollage” et les réformes, mais les politiques économiques mal menées, comme en Roumanie, en Albanie ou en Bulgarie, ont conduit à une résignation de la part des populations et à une perte de confiance dans leur avenir, qui se manifeste, entre autres, par une inertie générale et par l’émigration d’une grande partie des jeunes. L’interdépendance entre progrès économique et climat de confiance est ainsi démontrée encore une fois.

L’attitude de confiance peut agir aussi dans un autre sens. Les expériences décevantes pour une réelle évolution du développement conduisent aussi à une perte de confiance de la part des acteurs impliqués en en ce processus. Un dossier publié par la revue Croissances5 et intitulé Croyez-vous encore au développement ? dévoile que de nombreux spécialistes ayant dédié leur activité professionnelle au combat en faveur du développement, sont aujourd’hui déçus des résultats: “J’y ai cru et je n’y crois plus!“, déclare Rony Brauman, ex-président de Médecins sans frontières (1982 à. 1994). Ils considèrent que les solutions résident dans une réformulation du concept de développement et dans le dynamisation de l’activité des populations locales et surtout des jeunes, dans leur implication concrète dans le processus ce changement.

C’est justement ce climat de confiance dans leur propres valeurs et avenir, de liberté d’agir et de penser selon les propres aptitudes et matrices spirituelles, que les populations du Tiers Monde devraient être aidées à (re)trouver; et ceci ne serait guère possible par le maintien du clivage entre “dominants” et “dominés”, indifféremment du contexte et la manière par lesquels se manifeste cette divergence : imposition d’un certain modèle économique et social, confirmation et aide des élites corrompues au pouvoir, etc.

La façon la plus directe et efficace pour que ces nations regagnent la confiance en elles-mêmes et en leur avenir est d’encourager leur participation - par la communication et le dialogue - aux changements et à la transformation de leurs propres pays et de leurs niveaux de vie. Participation - communication - confiance - développement constitue donc un réseau d’interdépendances et conditionnements réciproques, et les principaux axes des stratégies et programmes de développement, ainsi que l’action des différents acteurs du développement, doivent converger en cette direction.

Des méthodes en moyens concrets pour aboutir à cette coopération ont été définis par 1’U?ESCO, le Mallue de planificatiotl de I’Approche crdtrtrelle du Développemetrt offrant des solutions pratiques en ce sens. Mais ces principes doivent constituer les bases d’élaboration de toute action exogène entreprise au nom du développement. C’est donc vers une modification globale des approches existantes du développement que les nouvelles exigences du développement devraient converger.

8J no 400, janvier 1997, pp. 36-40.

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$ 2. Ideiztité cztlturelle et dialogue des cultures : les données culturelles du nouveau système mondial

Les expériences décevantes enregistrées par les quelques décennies du développement ont conduit à une réflexion sur le renouvellement de la problématique du développement, qui, par une véritable révolution culturelle, pourrait mettre en place un nouveau système mondial. “Fondé sur l’appréhension du réel et non sur une volonté d’uniformisation, ce nouveau système mondial est bâti sur l’acquis que constituent les différentes identités culturelles.“U6

Ces dernières ne doivent pas exprimer une attitude passéiste, mais servir de moteur au processus de développement, par leur propre dynamique et par leur rencontre avec d’autres cultures. Identité culturelle et dialogue des cultures, ainsi que le développement culturel, constituent donc les piliers culturels de ce nouveau système mondial.

En effet, l’iderztité culttrrelle est l’équivalent, au plan de la pensée, de la revendication de la souveranéité sur les richesses naturelles, au plan matériel. Cette identité repose à la fois sur des éléments rétrospectifs et prospectifs.

Elle constitue surtout le principal moteur du développement, car elle est la force mobilisatrice des collectivités, car partie intégrante d’un certain nombre d’éléments dont l’importance est esseniielle dans le processus de développement, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la science, de l’organisation sociale.

Elle est aussi l’h&-itage d’un patrimoine culturel matériel et immatériel, qu’il importe de présen,er et de déi,elopper, face aux modes de penser et d’agir étrangers. En ce sens, la revendication de l’identité culturelle, sans pour autant signifier le chois d’un repli sur soi, permet de lutter contre les déséquilibres que tendent à induire la présence d’une culture dominante, car elle comporte une part de créativité et de capacité de renouvellement, qui \.a permettre à la société d’A.oluer, sans cesser d’être elle-même. C’est justement l’acceptation ct le respect de la diIwsir6 cliltztrelle qui pourrait constituer une alternative à l’uniformisation dangereuse du monde : on estime à 10 000 le nombre de cultures dénombrées dans le monde. Un grand nombre d’entre elles sont menacées de marginalisation ou de disparition. Dans certains cas, les cultures minoritaires sont balayées par des cultures dominantes, ce qui entraîne donc leur disparition progressive.

Dans cette perspective, une des propositions du Rapport de la Commission mondiale de la culture et du développement visait la protection des droits culturels en tant que droits de l’homme :

“Dans un passé récent, des violations massives des droits de l’homme ont souvent été motivées par des considérations culturelles. Parmi ces violations, on relève notamment la détention illégale, la persécution ou l’assassinat d’artistes, de journalistes, d’enseignants, de chercheurs, de membres de groupes religieux ou ethniques minoritaire; les entraves de la

86Balmond (L.), op. cif., p. 35.

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liberté de parole ou à l’expression culturelle; et nombre d’autres actes restreignant la diversité culturelle et le liberté de l’expression. Trop souvent, les personnes et les communautés victimes de persécution culturelle ne trouvent pas dans les mécanismes actuels de protection des droits de l’homme le recours nécessaire. Or, les droits culturels sont désormais largement reconnus comme méritant la même protection que les droits de l’homme. Aussi est-il nécessaire que la communauté internationale assure convenablement la protection des droits culturels.“s7

En ce sens, il conviendrait de dresser un inventaire des droits culturels qui ne font l’objet d’aucune protection dans les instruments internationaux existants et qui pourrait constituer la base d’un Code international de Conduite en matière de culture, qui permettrait de statuer sur des violations flagrantes des droits culturels et de mobiliser la solidarité internationale pour leur défense.**

En effet, la préservation de-la diversité culturelle devrait constituer une des priorités du monde contemporain confronté avec les défis de la mondialisation et du développement économique. Des efforts déterminés sont nécessaires pour éviter que la croissance se passe sans racines culturelles et donc sans avenir, car, comme on vient de le constater, la croissance sans racines se traduit par la perte de l’identité culturelle de la population.

Mais la préservation de l’identité culturelle ne peut en aucun cas dans le monde d’aujourd’hui être traduite par “l’enfermement” à l’intérieur des propres frontières nationales ou ethniques. L’une des caractéristiques du monde contemporain est assurément l’intensification des échanges et des communications. Moins que jamais, les cultures ne peuvent, à l’heure actuelle, subsister et se développer en autarcie; elles sont, au contraire, voués à l’interdépendance. Cette évidence se double d’un autre constat : les cultures qui se sont épanouies sont celles qui ont bénéficié d’influentes innombrables, reçues et transmises suivant un mouvement d’enrichissement incessant :

“Si le Pacifique est devenu la région la plus dynamique du globe, c’est parce qu’il a emprunté à de nombreuses riches civilisations, asiatiques et occidentales, ce qu’elles offraient de mieux en matière de pratiques et de valeurs. Si cette fusion continue de porter ses fruits, on pourrait assister à une explosion de la créativité d’une ampleur sans précédent.“*’

Le dialogue des cultures renforce ainsi chaque culture et lui donne un champ d’action et d’invention beaucoup plus vaste. Ce dialogue, “plus est facteur de paix internationale, il est aussi vecteur indispensable d’une politique de développement fondée sur la solidarité intemationale.“90

“UNESCO, Notre diversité créatrice, Rapport de la Commission Mondiale de la Culture et du dt;veloppernent, UXESCO, Paris, 1996, pp. 57-58. aa Idem, pp. 58-59. ‘“Mahbubani (K.) cité par UNESCO, Notre diversité’ créatrice, op. cif., p. 23. ” Balmond, (L.), op. cit., p. 37.

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Or, à l’heure actuelle, face aux tendances des Etats de se replier sur eux-mêmes ou à trouver des alliances régionales, cette solidarité serait difficile d’imaginer sans que des changements majeurs, tant au niveau du comportement des acteurs internationaux que de leurs moyens d’action, ne soient opérés.

2. La portée de la décennie mondiale du développement culturel

En proclamant la Décennie mondiale pow le développement culturel pour la période 1988-1997, les Nation Unies ont souligné la nécessité de prendre en compte les cultures locales dans le processus de développement, d’affirmer et d’enrichir les identitcs culturelles, de mettre l’accent sur l’importance de la créativité et de la participation dans une période de changement scientifique et technologique. rapide, ainsi que de renforcer l’acceptation de la diversité culturelle, dans l’intérêt de la paix et de la compréhension internationale.”

Ces principes représentent en fait les conclusions de l’action menée par la communauté internationale en faveur du développement et qui démontrent que les efforts qui négligent l’enl?ronnement culturel ne produisent guère de résultats positifs.

De nombreus congrès et conférences, manifestations à caractère culturel, recherches, etc. ont été effectués pendant cette période. Bien que la décennie soit nommée du “développement culturel”, il faut spécifier que cette stratégie a permis l’obtention de progrés remarquables concernant les problèmes liés à la dimension culturelle du dév,eloppement.

Ayant comme chef de file l’UNESCO, les tral’aux de recherche effectués par un grand nombre de chercheurs et spécialistes des aspects culturels du développcrnent, ont abouti à la rklisation d’une série de propositions concrètes, basées sur des donnces scientifiques et qui pcmlettent la prise en compte des aspects culturels dans Ics differents programmes et projets de développement. De nouvelles perspectives de travail. respectueuses des données culturelles des populations concemces, et, ce faisant, vouées à la réussite, sont ainsi offertes à toutes les institutions impliquées dans le processus de développement.

Pour que ces principes puissent être mis en pratique, des mutations profondes, dans différents domaines d’action, doivent être opérées :

La reconnaissance, au niveau du discours, de l’importance de la dimension culturelle du développement ne suffit pas si des mesures au niveau pratique ne sont pas prises en ce sens. Pour que l’évolution de cette prise de conscience soit efficace, un ensemble de mesures sur le plan de l’organisation effective des actions des acteurs du jeu international, qu’il s’agisse

“’ Sur ces questions, v. aussi infra, chapitre 1.

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d’acteurs traditionnels (Etats et Organisations internationales) ou nouveaux, comme les Organisations non gouvernementales ou les collectivités décentralisées des pays industrialisés.

Ainsi, la mise en oeuvre d’une véritable approche culturelle nécessite tout d’abord une réforme au niveau de l’organisation interne de ces institutions. Ces mutations doivent se produire tout d’abord en concordance avec le principe d’harmonisation des actions au niveau international. Cet effort doit concerner tout d’abord les Institutions du système des Nations Unies

En effet, la structure de ces institutions, leurs relations réciproques, leurs différences de statut et de mandat posent de nombreux problèmes pour l’intégration complète de la dimension culturelle dans le développement. Le fait que les agences spécialisées du système des Nations Unies ont reçu des mandats spécifiques, rend difficile pour elles de répondre de façon intégrée à des exigences stratégiques, qui sont par leur nature même trans-sectorielles et demandent une réponse inter-agences. .

De même, certaines de ces institutions travaillent sur la base des politiques et mandats fixés exclusivement sur des critères d’efficacité économique, financière et technique; leur mission apparaît donc dès le début incompatible avec une approche intégrée du développement. Ces remarques s’appliquent surtout aux institutions de Bretton Woods, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce, la stratégie récente adoptée par la Banque Mondiale représentant une exception par rapport à celle des deux autres organismes (cf. infra, chapitre 1).

Dans ces conditions, des efforts de coordination visant l’intégration des politiques sectorielles dans le sens de la stratégie globale d’action des Nations Unies seraient souhaitables.

Les processus de communication, de consultation inter-agences devraient prendre la place progressivement des actions unilatérales, tandis qu’une attention spéciale doit être accordée à la planification, au suivi et à l’élaboration des projets et programmes de développement.

Ainsi, l’action menée dans le sens de l’auto-évaluation des résultats par certaines institutions, comme l’Organisation Mondiale de la Santé (cf. annexe VIII) devrait constituer un exemple à suivre par d’autres organismes.

En ce qui concerne l’attitude des Etats, tant développés qu’en développement on a remarqué la nécessité d’élaboration de nouvelles basses de coopération pour le développement.

Ainsi, en ce qui concerne les Etats ijtdustrialisés, un effort considérable dans le sens de la compréhension et de l’acceptation de la diversité culturelle reste à accomplir. Pour cela, des mutations importantes au niveau des actions politiques et des mentalités sont exigées dans la perspective d’une coopération culturelle.

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Quant aux Etats en développement, ceux-ci devraient opérés de changements au niveau de l’organisation administrative; une large participation des jeunes, mieux formés, pourrait conduire à redonner la confiance dont ces pays ont besoin pour améliorer leur niveau de vie.

Un rôle important dans la perspective de la coopération mondiale, en concordance avec le respect de la diversité culturelle, doit revenir aux Organisatiolzs norz gozweruementales, dont l’expérience de terrain est essentielle dans le cadre de la dimension culturelle du développement. La coopération entre ces organisations et les autres institutions impliquées dans le processus de développement serait de même souhaitable.

Enfin, la participation d’un autre type d’institutions mérite d’âtre signalée : il s’agit des collectivités décentralisées des pays industrialisés” En effet, quelque soit leur qualification juridique, ces institutions ont l’avantage d’évacuer le poids de la souveranéité dans la relation et d’être au contact d’unités économiques, sociales et culturelles de petite taille; elles peuvent ainsi mener des actions de coopération parfaitement adaptées au point de vue culturel et agir dans le sens du respect des spécificités locales.

j’ 2. La nécessité de repenser les bases d’élaboration des projets et programmes

Les éventuelles réformes administratives opérées au niveau de l’organisation interne des organismes impliqués dans le processus de développement doivent être accompagnées par des mesures visant des changements quant à leur manières de travail; ces transformations doivent se réaliser, elles aussi, dans la perspective d’une action commune, en \.ue d’atteindre les objectifs prévus.

Les dispositions à adopter à cet égard seraient extrêmement nombreuses et nécessitent me évaluation préalable des actions que chaque institution développe déja dans le sens de l’approche culturelle. Quelques propositions d’ordre général pourraient étre pourtant suggérées”3 :

Les objectifs concernant les différents stades de dtk~eloppement à atteindre devraient être prévus dans une perspective à long terme.

En effet, de manière générale, les grands documents stratégiques internationaux ne fixent pas d’échéances chronologiques précises pour la réalisation des buts qu’elles définissent. Leurs objectifs relèvent d’une vision à ion, 0 terme et nécessitent des plans d’action “ouverts”. Mais cette vision à long terme est en grande mesure incompatible avec les rythmes de planification des institutions spécialisées, qui ont tendance à établir leurs programmes par tranches de deux, cinq ou six ans.

Or, l’expérience montre que, si les objectifs institutionnels (projets particuliers de construction ou réalisations économiques) peuvent être atteints dans des délais limités, les

” cf: Balmond (L.), op. cit., pp. 41-45. "cf: UNESCO, OP. cit., 1997, p. 357 et sqq

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changements significatifs dans les attitudes et les conditions fondamentales de vie des populations ne peuvent se réaliser dans les mêmes délais. Le développement participatif, intégré, nécessite beaucoup de temps.

Certaines institutions n’ont pas seulement adopté les objectifs des grandes stratégies internationale; elles ont établi leurs propres stratégies et plans d’action à long terme, par exemple la stratégie “Santé pour tous en l’an 2000” (Organisation Mondiale de la Santé), ou la Stratégie de soutien pour l’éducation de base pour tous (Unesco, 1993).

En même temps, beaucoup des ces institutions organisent leur propre travail grâce à des plans à moyen terme, fixant les grandes orientations politiques de leur action pour des périodes de cinq à dix ans. Ainsi, les trois priorités d’action de l’UNESCO pour la période 1996-2001 sont les suivantes : les femmes, les jeunes, l’Afrique, les pays les moins avancées. D’autres, comme I’UNICEF, préfêrent réviser leurs choix politiques tous les deux ans.

Dans ces circonstances, ies changements au niveau des modes d’élaboration des programmes doivent viser la compatibilité entre les différents besoins et les cadres chronologiques.

La prise en compte des facteurs culturels de développement doit aussi intégrer quelques instruments méthodologiques indispensables; des indicateurs culturels du développement (indicateurs de développement culturel, de développement humain, indicateurs qualitatifs de développement, etc.), la systématisation des flux informationnels sur la culture et le développement), la réconsidération des modèles de planification, ainsi que, par exemple, des systèmes de formation des décideurs pour un développement respectueux de la culture.

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CONCLUSIONS

Le rôle clé que la culture joue pour l’accomplissement d’un développement durable, compatible avec la logique des sociétés et des cultures dans leur diversité, a été désormais démontré de manière définitive. Il existe donc une relation déterministe directe et réciproque entre la culture et le développement.

Il ne peut exister un développement durable avec perte d’identité culturelle. Le développement de l’Occident existe et continue à progresser, à sa façon, parce qu’il est issu de l’Europe du XVII~ siècle; de même, le miracle asiatique est dû, en bonne partie, à l’habileté avec laquelle ont été menées les politiques internes, malgré des difficultés évidentes et des récessions économique passagères.

Le processus de développement engagé en ignorant les aspects culturels entraîne implicitement la perte d’identité; celle-ci se réalise à des degrés différents et conduit à la formation de classes sociales distinctes, des élites au pouvoir qui ne feront que prolonger l’état de sous-développement.

De même, l’imposition d’un modèle exogène conduit à une perte de repères collectifs et de confiance dans le propre avenir, et c’est justement cette confiance perdue qui aurait pu constituer le moteur de la dynamisation des activités.

Dans ces circonstances, les principes du développement doivent reposer sur une approche intégrée, endogène, basée sur la participation et la coopération effective des populations locales et sur une véritable adaptation à la diversité et à la créativité des cultures; cette multitude de situations ne pourrait guère se traduire par un unique modèle de dé\.eloppement, mais chaque solution doit être compatible a\.ec le milieu socio-culturel concerné.

Une planification à court terme, stricte et rigoureuse ne serait donc pas souhaitable, car incompatible avec le respect de’ ces principes. Au contraire, les objectifs à long terme permettraient une meilleure appréhension par rapport aux changements significatifs dans les attitudes et les conditions fondamentales de vie des populations.

Au niveau des acteurs impliqués dans le processus du développement, on observe une évolution récente, mais significative de la prise en considération de ces aspects. Mais la référence implicite à une dimension culturelle ne saurait suffire, et la prise en compte effective de la culture dans une politique de développement s’impose. Le Rapport de la Commission mondiale pour la culture et le développement Notre diversité créatrice l’affirme d’aiileurs clairement : “C’est le développement qui s’inscrit dans la culture et non l’inverse. ”

Les organisations internationales à caractère économiques ont longtemps méconnu la dimension culturelle de leur action. La multiplicité des domaines d’activité de ces institutions, l’absence d’une structure internationale unique en matière économique a conduit à une

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“sectorisation” de cette action, à la fois dans le temps et dans l’espace; plus qu’au développement au général, elles se sont intéressées plutôt aux différentes matières touchant la croissance économique (financement, industrie, commerce, etc.), sans se préoccuper des problèmes culturels. L’évolution récente remarquée dans le cadre de la stratégie d’action de la Banque Mondiale, ainsi que les principes d’action de l’Union Européenne avec les Etats ACP va dans le sens de la reconnaissance et la prise en considération des facteurs de nature culturelle dans le développement.

Face aux institutions internationales économiques, l’évolution de l’UNESCO a été sensiblement différente : en élargissant progressivement son champ d’action, la “dimension culturelle du développement” sera un des sujets principaux d’étude et d’analyse depuis les années 1970.

L’évolution de la perception du développement et de l’importance de sa dimension culturelle a contribué à modifier la position des organisations internationales et régionales, conformément aux compétences particulières de chacune, mais sans véritable ligne directrice.

Des actions visant l’harmonisation des champs d’action et des considérations d’ordre temporel devraient être entreprises; de même, on de\,rait accorder une importance fondamentale au travail de terrain, une des manières les plus appropriées pour assurer la participation effective et l’implication directe des autochtones.

Dans cette perspective, le rôle des organisations non gou\.emenlentales est appelé à SC développer par une coopi-ration et le partenariat avec les institutions internationales en vue aussi d’une hanonisation au niveau a des champs d’action.

C’est donc vers une remise en question du “dé~~eloppement”, en tant “qu’idéal” A atteindre que doivent tendre la réflexion et l’action imposés par l’approche culturelle.

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