CSE (2000-2001) La gouverne de l'éducation - Logique marchande ou processus politique

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la gouverne de lducationLOGIQUE MARCHANDE OU PROCESSUS POLITIQUE ?

rapport annuelSUR LTAT ET LES BESOINS DE LDUCATION

2000-2001

Monsieur Jean-Pierre Charbonneau Prsident de lAssemble nationale Htel du gouvernement Qubec

Monsieur le Prsident,

Conformment la Loi (L.R.Q., c. C-60, article 9, alina c), je vous transmets le rapport annuel du Conseil suprieur de lducation sur ltat et les besoins de lducation pour lanne 2000-2001. Je vous prie dagrer, Monsieur le Prsident, lexpression de mes sentiments distingus.

Le ministre de lducation et de l'Emploi, Franois Legault Qubec, dcembre 2001

Monsieur Franois Legault Ministre de lducation et de l'Emploi Htel du gouvernement Qubec

Monsieur le Ministre,

Conformment la Loi (L.R.Q., c. C-60, article 9, alina c), je vous prsente le rapport annuel du Conseil suprieur de lducation sur ltat et les besoins de lducation pour lanne 2000-2001. Je vous prie dagrer, Monsieur le Ministre, lexpression de mes sentiments distingus.

La prsidente, Cline Saint-Pierre Sainte-Foy, novembre 2001

Le Conseil a confi la prparation de ce rapport annuel un comit compos de : M. Claude Corbo, prsident du comit et professeur de sciences politiques lUniversit du Qubec Montral; Mme Hlne Dumais, membre du Conseil, enseignante, cole primaire Jacques-Buteux, Commission scolaire du Chemindu-Roy; Mme Ginette Gauthier, professeure au Cgep de Chicoutimi et charge de cours lUniversit du Qubec Chicoutimi; Mme Suzanne Girard, membre du Conseil, directrice principale, Dotation/quit/recrutement, Banque nationale du Canada; M. Bernard Lajeunesse, membre du Conseil, directeur gnral, Commission scolaire Pierre-Neveu; Mme Lucette Mailhot, directrice gnrale adjointe, Commission scolaire des Laurentides; M. Christian Payeur, directeur, Service Action professionnelle et sociale, Centrale des Syndicats du Qubec; M. William Smith, professeur au Dpartement de l'ducation l'Universit McGill; Mme Suzanne Bouchard, coordonnatrice du comit.

Contribution spciale la recherche et la rdaction : M. Claude Corbo. Rdaction : Mme Suzanne Bouchard, avec la collaboration dappoint de M. Jean Lamarre, agent de recherche. Recherche : Mmes Suzanne Bouchard, Diane Duquet, Francine D'Ortun et M. Jean Lamarre, agents de recherche; Mme Mlanie Julien et M. Bruno Brub, techniciens la recherche; avec la collaboration dappoint de M. Andr Martin, consultant. Soutien technique : Mme Jocelyne Mercier au secrtariat; Mmes Patricia Rhel et Francine Valle la documentation; Mme Michelle Caron ldition. Rvision linguistique et conception graphique : Sous la responsabilit du Service des publications et des expositions, Ministre de l'ducation. Rvision : M. Bernard Audet Conception graphique : Idation inc. Rapport adopt la 503e runion du Conseil suprieur de l'ducation, le 19 octobre 2001. Dpt lgal : Bibliothque nationale du Qubec, 2001 Bibliothque nationale du Canada, 2001 ISBN : 2-550-38349-4

table matires desIntroduction Chapitre 1 L'intervention de l'tat en ducation du Rgime franais nos jours1. 2. 3. 4. Introduction L tat minimal : le Rgime franais (1608-1763) Une premire affirmation de ltat en ducation : le Rgime anglais (1763-1840) La monte puis le dclin du rle de ltat : lUnion (1840-1875) Le rle secondaire de ltat en ducation : le sicle de la Confdration (1875-1960) 4.1 De 1875 aux lendemains de la Premire Guerre mondiale 4.2 De la grande Dpression la veille de la Rvolution tranquille Fouillis des structures, des filires, des programmes Disparits dans la scolarisation et sous-scolarisation Le rle dterminant de ltat en ducation depuis 1960 5.1 Mise en place et consolidation des structures d'organisation et d'encadrement issues du rapport Parent : 1963-1976 5.2 Rvaluation du systme scolaire : 1977-2000

1 5 6 6 7 10 10 12 13 14 14 15 16 21 22 22 23 24 24 26 26 27 27 27 28 28 28 28 28 30 31 31 32 32 32 34 34

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Chapitre 2 La conjoncture et le rle de l'tat en ducation1. La conjoncture mondiale 1.1 La mondialisation 1.2 La socit du savoir 1.3 Un questionnement important 2. Le contexte fdral 2.1 L tat fdral canadien et ltat fdral amricain 2.2 L intervention fdrale en ducation 3. La conjoncture et le gouvernement du Qubec (1990-2000) 3.1 Les compressions budgtaires et les rformes administratives 3.2 Un nouveau cadre de gestion pour la fonction publique 3.3 La Politique qubcoise de la jeunesse 3.4 Le contexte de la rforme de lducation 4. Les tendances dmographiques, conomiques, sociales et ducatives au Qubec 4.1 Les tendances dmographiques 4.1.1 Le vieillissement de la population 4.1.2 La polarisation de la population dans les grands centres 4.1.3 Une diminution prvisible de la population francophone 4.1.4 Des questions soulever 4.2 Les tendances conomiques 4.2.1 L'importance de leffort financier du Qubec en ducation 4.2.2 L'augmentation des besoins en main-duvre qualifie 4.2.3 L instruction, une valeur conomiquement sre 4.2.4 Des questions soulever

4.3 Les tendances sociales 4.3.1 La transformation de la famille qubcoise 4.3.2 La diversification des problmatiques concernant la jeunesse 4.3.3 Une hausse souhaite de limmigration 4.3.4 Des questions soulever 4.4 Les tendances ducatives 4.4.1 Un taux de scolarit toujours en hausse 4.4.2 Le dcrochage et le retard scolaires en baisse, mais toujours trop levs 4.4.3 Des jeunes de plus en plus nombreux au secteur des adultes 4.4.4 L'volution de loffre de formation avec les technologies nouvelles 4.4.5 L ducation tout au long de la vie, un enjeu de socit 4.4.6 Des bastions masculins et des bastions fminins 4.4.7 L ducation, lenfant pauvre de la recherche 4.4.8 Des questions soulever 5. Quelques questions de fond

34 34 36 37 37 37 39 40 40 42 42 43 44 44 45 47 48 52 52 56 58 58 58 58 59 59 60 60 64 67 69 71 75 79 84 89 94

Chapitre 3 Raffirmer le rle de l'tat en ducation1. Les finalits et les valeurs de lducation : du rapport Parent aux lendemains des tats gnraux sur lducation 2. Les tendances et les pressions influenant le rle de ltat en ducation 2.1 lchelle internationale 2.2 Les tendances et les pressions dans le contexte qubcois 3. Les orientations dterminantes du rle de ltat en ducation L ducation, un bien public L ducation, une ralit multidimensionnelle L tat, un rle diffrenci L tat, une ralit plurielle L tat, le processus politique et lducation 4 Les fonctions de ltat en ducation dans le cadre du processus politique 4.1 L'organisation et l'architecture densemble du systme dducation 4.2 Le financement de lducation 4.3 La gouverne gnrale du systme dducation 4.4 Un cadre dadaptation et de renouvellement des pratiques ducatives 4.5 Une fonction publique de vigie et de veille

Conclusion BibliographieAnnexe 1 : Tableaux statistiques Annexe 2 : Le rle et les responsabilits de l'tat en ducation : un rappel de positions antrieures du Conseil Annexe 3 : Liste des personnes et des organismes consults

introduction introductionAvec le prsent rapport sur ltat et les besoins de l'ducation, le Conseil suprieur de l'ducation amorce une rflexion sur le rle de ltat dans le domaine. Cette rflexion simpose parce que lvolution de la socit qubcoise, linstar des socits occidentales, est de plus en plus tributaire dun ensemble de forces qui chappent au contrle tatique. Plusieurs dveloppements majeurs, certains propres au Qubec, d'autres se dployant l'chelle internationale, ont des effets sur le rle de l'tat dans la vie sociale en gnral et particulirement dans le domaine de l'ducation. Aussi le Conseil a-t-il voulu approfondir ce phnomne en produisant deux rapports annuels conscutifs sur le sujet. Dans le premier, celui de 2000-2001, il pose les fondements de sa rflexion en analysant le rle de ltat dans le domaine de lducation. Dans le second rapport, celui de 2001-2002, le Conseil sattardera principalement dgager des orientations et des priorits en ducation et leurs effets sur le rle de ltat. La volont du Conseil de sengager dans une dmarche en deux temps sexplique par lampleur et la complexit du sujet abord. Il suffit de se rappeler quelques vnements marquants de lhistoire rcente du monde occidental et de la socit qubcoise pour comprendre que le Conseil, compte tenu de sa mission, ne peut faire lconomie de cette rflexion.

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D'abord, l'chelle internationale, deux ensembles de dveloppements ont domin les dernires dcennies : d'une part, un mouvement vers le dsengagement de l'tat dans la vie des socits et, d'autre part, l'avnement d'une zone de libre-change entre les tats d'Amrique du Nord. Avec le dbut des annes 1980, des pays comme la Grande-Bretagne et les tats-Unis amorcent un processus de drglementation, de privatisation, de dsengagement plus ou moins marqu de l'tat dans plusieurs domaines de la vie des socits. Incarnation de ce mouvement politique, le prsident amricain Ronald Reagan aimait dire : Government is not part of the solution, it's part of the problem. Cette dcennie, au cours de laquelle des gouvernements exprimentent diverses mesures de drglementation et de privatisation aussi bien que des rductions significatives du fardeau fiscal, se termine par un vnement d'une porte historique majeure, symbolis par la chute du mur de Berlin, c'est-dire l'effondrement du modle conomique, social et politique prconis par l'URSS et les pays sous son hgmonie. Pour le courant philosophique et politique du nolibralisme, l'chec du modle sovitique est simultanment non seulement la victoire mais surtout la conscration, que certains jugent mme dfinitive pour la suite de l'histoire de l'humanit, du modle capitaliste du libre jeu du march encadr par un tat de plus en plus invit la discrtion et la retenue dans ses actions. La dcennie 1990 pousse fortement une remise en cause de l'interventionnisme tatique qui, dans les pays occidentaux, s'est gnreusement dploy depuis la fin de la Deuxime Guerre mondiale. Les tats des pays industrialiss sont trs endetts et la rcession du dbut des annes 1990 met en lumire la ncessit de rechercher des ajustements susceptibles d'assainir leur situation financire. Les pressions la rduction des dficits gouvernementaux sont extrmement fortes et insistantes et elles auront un impact dcisif. videmment, la recherche, par les gouvernements, de la rduction de leurs dpenses saccompagne de la rduction, voire de la remise en cause de leurs multiples interventions dans la vie des socits et l'abandon de certains programmes en matire sociale, ducative, culturelle. L importante priode d'expansion conomique, qui s'amorce au milieu de la dcennie, facilite la tche des gouvernements : les entres fiscales sont abondantes et elles contribuent rtablir l'quilibre budgtaire, tout en permettant de rduire le poids des impts et des taxes; en plus, la baisse du chmage et la prosprit croissante rduisent les attentes sociales appelant l'intervention de l'tat. Un autre type de dveloppement, l'chelle internationale, vient remettre en question le rle de l'tat dans la vie des socits : la libralisation des

changes commerciaux et la mise en place de grandes aires gographiques de libre-change on pense, par exemple, l'ALENA et bientt la ZLEA. Ces ententes remettent en cause, au nom d'une concurrence loyale entre les producteurs de biens et de services, non seulement les interventions des gouvernements en matire de dveloppement conomique, mais encore elles visent la libralisation du commerce dans des domaines rservs depuis longtemps l'action gouvernementale, savoir : les services de sant et dducation. Le raisonnement est simple : si, l'intrieur d'une zone de librechange comme celle de l'ALENA, la plus fluide circulation possible des produits, des capitaux, des services et ventuellement des personnes entrane une croissance de la richesse dont bnficient les consommateurs, pourquoi des domaines comme les services de sant et les services dducation seraient-ils indfiniment soustraits aux avantages que retirent les consommateurs d'une plus grande concurrence et d'un largissement du march ? Ainsi, l'tat se trouve interpell l'gard de domaines d'intervention qui, dans plusieurs pays occidentaux, lui furent volontiers laisss en partage. Voil des dveloppements l'chelle internationale qui se rpercutent au Qubec et qui exigent, selon le Conseil, une rflexion sur le rle de l'tat en ducation. Un certain nombre de dveloppements propres la socit qubcoise appellent galement une telle rflexion. En premier lieu, il convient de rappeler que le mode actuel dintervention de l'tat en ducation au Qubec remonte aux annes 1960 et sest accompagn d'un ensemble de rformes dont l'institution d'un ministre de l'ducation et du Conseil lui-mme. Par l'adoption d'une srie de lois et la mise en uvre d'une panoplie de politiques, les annes 1960 ont t l'occasion d'une restructuration la fois du systme d'ducation et du rle que l'tat y joue. En deuxime lieu, il faut se rappeler qu'au cours des dernires annes, l'instar de plusieurs pays de l'OCDE, le gouvernement du Qubec a d ragir aux normes pressions de l'extrieur visant diminuer les dficits budgtaires. Il s'en est suivi, au Qubec comme ailleurs, une restructuration des administrations publiques et un questionnement sur le rle fondamental de l'tat dans les socits dmocratiques, et cela, sous l'influence du courant conomique nolibral qui prne un dsengagement certain de l'tat au profit de la drglementation et de la privatisation. Ce contexte nouveau vient lgitimer, selon le Conseil, le questionnement sur l'intervention de l'tat en ducation et sur les alternatives offertes la socit.

En troisime lieu, au Qubec on a assist, au cours de la dernire dcennie, une baisse marque des crdits accords l'ducation, jumele d'importantes rformes qui ont remodel le paysage des commissions scolaires, des coles et des collges d'enseignement gnral et professionnel de mme que des universits. Au milieu de cette dcennie, la Commission des tats gnraux sur l'ducation a men une vaste opration de consultation publique dont les rsultats ont t traduits dans un plan d'action gouvernemental. Le Conseil en a tenu compte pour rflchir, dans une approche de prospective, sur le rle que devrait jouer l'tat au cours des prochaines annes. En quatrime lieu, certains aspects du systme d'ducation qubcois interpellent le rle de l'tat. Ainsi, certaines formes d'inefficacit sment un doute sur la faon dont on fait les choses et la capacit du systme procder des adaptations et des virages estims ncessaires. Ces interrogations ne sont pas dnues de pertinence et de lgitimit et interpellent l'tat en tant que matre d'uvre du systme d'ducation qubcois. On ne peut donc chapper la ncessit de scruter le rle de l'tat en ducation soit pour le renforcer, tout en procdant des ajustements qui sont ncessaires, soit pour rechercher des arrangements diffrents, qui permettraient au systme dducation de mieux rpondre sa mission en accord avec les finalits que lui assigne la socit. La dmarche adopte par le Conseil pour la prparation du prsent rapport s'est appuye, comme cela a t le cas pour les autres rapports annuels, sur une consultation auprs des principaux acteurs de l'ducation, de groupes intresss au domaine de l'ducation, de mme qu'auprs dun certain nombre d'experts. C'est ainsi que treize organismes ont dpos un mmoire la suite de l'appel lanc par le Conseil et que les reprsentants de neuf autres ont t entendus par le Conseil. Ces organismes provenaient de plusieurs secteurs de la socit : centrales syndicales, organisations tudiantes, milieux des affaires, administrateurs scolaires, tablissements d'enseignement suprieur, parents, groupes de femmes, reprsentants de lducation des adultes. De plus, une vingtaine d'autres personnes, reconnues pour leur expertise dans le domaine de l'ducation ou pour leur connaissance de la scne politique en gnral ont accept, l'invitation du Conseil, de donner leur point de vue sur le rle de l'tat en ducation. Nourri mme l'exprience des uns et des autres, le Conseil a voulu inscrire sa rflexion la fois dans l'analyse historique de l'intervention de l'tat et dans la conjoncture actuelle dans laquelle volue la socit qubcoise.

L'analyse du rle de l'tat en ducation s'tale sur trois chapitres. Le premier chapitre, L'intervention de l'tat en ducation du Rgime franais nos jours, vise mettre en lumire linfluence quont eue, sur la socit qubcoise, les diffrents modles dintervention tatique dans le domaine de lducation depuis la colonisation. Il sagit dun retour sur la situation de l'ducation au Qubec avant et depuis l'intervention massive de l'tat au cours de la priode de la Rvolution tranquille. Ce chapitre constitue en quelque sorte un point de comparaison en plus d'offrir une perspective densemble fort utile dans une discussion sur le futur rle de l'tat. Le deuxime chapitre, La conjoncture et le rle de l'tat en ducation, est consacr, comme son titre l'indique, une analyse des influences conjoncturelles sur le rle de l'tat en ducation au Qubec. Tant les tendances internationales que sont la mondialisation et l'avnement de la socit du savoir que les tendances nationales et provinciales y sont abordes. Le Conseil croit, en effet, que la chose publique ne peut dsormais tre conue uniquement partir de considrations strictement nationales et locales. Il y a des mouvements sociaux et conomiques l'chelle internationale qui influent grandement sur la manire dont les gouvernements tant fdral que provincial jouent leur rle. ce jeu de forces extrieures la socit qubcoise se superposent un ensemble de tendances dmographiques, conomiques, sociales, ducatives dj l'uvre dans la socit qubcoise et qui pourraient aller en samplifiant, posant ainsi des dfis importants au systme d'ducation qubcois. Enfin, le troisime chapitre du rapport, Raffirmer le rle de l'tat en ducation, porte spcifiquement sur le rle que joue l'tat dans le domaine. Le Conseil y expose sa conception du rle de l'tat en ducation, conception base sur les valeurs de la socit qubcoise et sur les finalits assignes au systme d'ducation. Dans cette section du rapport, le Conseil cherche mettre en lumire la dynamique par laquelle une socit dmocratique en vient prendre des dcisions majeures et structurantes concernant lorganisation et la mise en uvre de son systme dducation. Il analyse la gouverne de lducation en comparant deux types de logiques qui commandent la prise de dcision : la logique du march et celle du processus politique. chacune de ces logiques est jumele une conception diffrente de lducation, soit comme un bien priv, soit comme un bien public. Cette approche a permis au Conseil suprieur de l'ducation de proposer un nouvel clairage sur la gouverne de l'ducation au Qubec.

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Le Conseil soumet au ministre de lducation, des fins de dbat public, cinq propositions qui, d'une part, mettent en vidence les fonctions essentielles de l'tat en ducation et d'autre part, identifient des tches qui revtent une nouvelle importance dans la conjoncture prsente et future du systme d'ducation et de la socit qubcoise.

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chapitre unL'INTERVENTION DE L'TAT EN DUCATION DU RGIME FRANAIS NOS JOURS IntroductionPour approfondir la rflexion sur le thme du rle attendu de l'tat en ducation, rle nouveau en regard de celui qu'il joue prsentement et depuis prs de 40 ans, il sera utile de revoir le rle historique que l'tat a jou en ducation au Qubec, particulirement avant les rformes des annes 1960, et quelles ont t les caractristiques du systme d'ducation du Qubec avant que ne se transforme, pendant les annes 1960, le rle de l'tat en la matire. Cette dmarche vise ce que le ncessaire processus de rflexion se fasse en pleine connaissance de ce qu'a t antrieurement le rle de l'tat et la situation caractrisant l'ducation qubcoise avant que l'tat n'entreprenne d'y jouer celui que nous lui connaissons depuis une gnration. Pour les fins de ce survol du rle historiquement assum par l'tat en matire d'ducation au Qubec, on peut distinguer cinq priodes successives qui donnent autant de modles dintervention de ltat, soit le Rgime franais, le Rgime anglais, la priode de l'Union, le sicle de la Confdration prcdant la Rvolution tranquille et enfin la priode actuelle, de 1960 nos jours1.

1.Le contenu du prsent chapitre s'inspire du livre de M. Claude Corbo, Repenser l'cole. Une anthologie des dbats sur l'ducation au Qubec de 1945 au rapport Parent.

1. Ltat minimal : le Rgime franais (1608-1763)La priode du Rgime franais, depuis la fondation de Qubec en 1608 jusqu'au trait de Paris qui sanctionne, en 1763, la Conqute et la cession de la colonie la Grande-Bretagne, se caractrise par un rle aussi minimal que possible de l'tat en ducation. L'ducation est une entreprise essentiellement prive qui incombe en quasi-totalit l'glise et aux communauts religieuses. Il n'y a ni lgislation d'ensemble sur l'ducation ni vritable systme d'ducation. L'ducation est conue comme une affaire prive relevant de la famille et constituant en quelque sorte un prolongement de la mission d'vanglisation de l'glise. Pendant cette priode, l'action de l'tat se borne pour l'essentiel une aide financire irrgulire aux communauts religieuses s'occupant d'ducation, notamment sous forme d'octroi de proprits foncires. En 1727, l'intendant exige des personnes laques voulant agir comme instituteurs qu'elles soient acceptes par l'vque. L'ducation se dveloppe lentement et avec parcimonie, ce qui n'empche pas l'apparition d'coles dans les principaux centres urbains et la fondation d'tablissement secondaires : Collge des Jsuites (1635) et Petit Sminaire (1659) Qubec, Grand Sminaire (1663) Qubec pour former le clerg. En 1749, le naturaliste sudois Pierre Kalm constate qu'il y a peu prs une cole primaire par village anime par le cur, le notaire de l'endroit ou encore des matres ambulants. Quelques coles de mtiers apparaissent au cur de la deuxime moiti du XVIIe sicle. L'enseignement suprieur se limite quelques cours de droit et des cours pour la formation des navigateurs et des arpenteurs. Au moment de la cession de la colonie la Grande-Bretagne, plus de la moiti de la population est analphabte.

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prcis : C'est notre intention [] que tout l'encouragement possible soit donn la construction d'coles protestantes2. Cela est de nature proccuper vivement l'glise catholique. L'Acte de Qubec, en 1774, reconnatra aux nouveaux sujets de la Couronne britannique le droit de conserver leur religion, leur langue et leur droit civil. L'glise poursuit donc de son mieux son travail d'ducation; ainsi, les Sulpiciens ouvrent en 1767 un collge secondaire Montral, et des coles primaires existent grce l'initiative de l'glise ou d'individus qui offrent ce service. Mais l'tat manifeste un intrt certain pour l'ducation. En 1787, le gouverneur, lord Dorchester, cre un comit d'enqute, sous la prsidence du juge William Smith, pour identifier les moyens de dvelopper l'ducation. Ce comit, o sigent certains francophones, dpose son rapport la fin de 1789 et propose la mise en place d'un vritable systme d'ducation cohrent et unifi, pour l'ensemble de la population : une cole primaire publique et gratuite par paroisse, une cole secondaire publique et gratuite par comt et une universit non confessionnelle Qubec. Par la voix de l'vque Jean-Franois Hubert, l'glise manifeste son opposition un projet qui comporte la double menace de la protestantisation de la population et de la perte de contrle de l'glise sur l'ducation. Il faudra plus d'une dcennie pour que le rapport du comit du juge Smith donne des fruits. En 1801, l'Assemble lgislative du Bas-Canada, cre par l'Acte constitutionnel de 1791, adopte la Loi de l'Institution royale pour l'avancement des sciences. Cette loi autorise le gouvernement nommer des commissaires ayant pour mandat de fonder et de grer des coles gratuites, d'engager et de payer des enseignants, d'organiser l'enseignement et de dsigner des visiteurs , c'est--dire des notables aptes valuer le travail qui s'effectue dans les coles. La majorit francophone et catholique l'Assemble lgislative fait incorporer au projet de loi des amendements pour protger les coles confessionnelles prives et pour assujettir la cration des coles de l'Institution royale dans chaque paroisse la volont de la majorit. Malgr un trs lent dmarrage, l'Institution royale russira ouvrir des coles (environ 85 dont une quinzaine dans des paroisses catholiques) et fonctionnera jusqu'aux Rbellions de 1837-1838. L'glise poursuivra, sparment, son uvre d'ducation et ainsi plusieurs collges classiques et sminaires seront ouverts. Les dmarches entreprises avec la cration du comit sur l'ducation en 1787 et culminant avec la loi crant l'Institution royale marquent une premire intervention substantielle de l'tat dans le domaine

2. Une premire affirmation de ltat en ducation : le Rgime anglais (1763-1840)La priode du Rgime anglais jusqu' la mise en place du gouvernement de l'Union en 1840, se caractrise par une affirmation plus soutenue du rle de l'tat, et ce, en deux temps partags par l'adoption, en 1801, de la loi crant l'Institution royale pour l'avancement des sciences.2.Michel Brunet, Guy Frgault et Marcel Trudel, Histoire du Canada par les textes, p. 108.

Ds 1763, dans les instructions au gouverneur James Murray , le gouvernement britannique voque la ncessit de pourvoir l'ducation de la population de la nouvelle colonie dans un but bien

de l'ducation. L'action de l'tat se dploie travers trois grandes fonctions : une fonction organisatrice ou architectonique, par laquelle l'tat s'emploie concevoir un systme d'ducation; une fonction financire puisque des subventions sont attribues aux coles fondes en vertu de la loi de 1801; une fonction de gouverne et d'orientation, puisque la loi de 1801 confre aux commissaires de l'Institution royale des comptences quant au choix des enseignants, des manuels, des formes et des contenus de l'enseignement et du contrle de la qualit par la nomination des visiteurs. Il faut par ailleurs signaler que l'intervention plus rsolue de l'tat en ducation, compter de 1801, s'accompagnera d'un phnomne qui ira en s'amplifiant jusqu'aux rformes des annes 1960 : la dualisation de l'ducation qubcoise se manifestant par la coexistence d'un systme d'ducation francocatholique et d'un systme anglo-protestant. La deuxime partie du Rgime anglais, jusqu' 1840, est ponctue d'actions de l'tat en matire d'organisation. Les dputs franco-catholiques l'Assemble lgislative du Bas-Canada, sensibles aux rticences de l'glise l'gard de l'Institution royale, veulent nanmoins intervenir dans le domaine de l'ducation pour assurer la formation de commerants, d'ouvriers et d'agriculteurs comptents. Les volonts de la majorit des dputs se heurtent l'opposition du Conseil lgislatif et n'ont pas de suites. Au cours de la session de 1823-1824, un comit d'tude de l'Assemble constate une situation grave d'ignorance en milieu rural, la faible accessibilit des tudes secondaires et les avantages scolaires dont bnficie dj la population anglo-protestante grce aux coles de l'Institution royale. Cela nourrit la volont d'agir des parlementaires et l'adoption, en 1824, de la Loi sur les coles de fabriques permet au cur et aux marguilliers de chaque paroisse d'utiliser jusqu' 25 % des revenus de la paroisse pour ouvrir et grer une cole primaire. En 1829, la Loi sur les coles de syndics est adopte : dans chaque paroisse, les propritaires peuvent lire des syndics , anctres des commissaires, pour administrer des coles primaires et engager les matres. L'Assemble peut aussi subventionner une partie du cot de construction des coles et le salaire des instituteurs et les frais d'tudes des enfants pauvres. En 1831, l'Assemble cre un comit permanent sur l'ducation et en autorise les membres agir comme visiteurs ou inspecteurs des coles. Ces lgislations, dont celle de 1829, permettent une expansion apprciable de l'enseignement primaire franco-catholique; cependant, l'glise manifeste des rticences, et l'aide financire de l'Assemble doit tre vote nouveau chaque anne. La loi de 1829 est reconduite annuellement jusqu' ce que le

Conseil lgislatif (non lu) y oppose son veto en 1836 en reprsailles contre le refus de l'Assemble de voter les traitements des hauts fonctionnaires. la veille des vnements de 1837-1838, les coles de syndics cessent d'exister. Cependant, l'action de l'Assemble lgislative ritre la triple fonction de l'tat en matire d'ducation : organisation d'ensemble, financement, gouverne et orientation. Cette dernire composante s'est manifeste en 1832 par l'adoption d'un code scolaire fixant 190 jours l'anne scolaire et exigeant des enseignants des certificats de comptence et de moralit, certificats octroys la suite d'examen et de tmoignages. En 1836, l'Assemble adopte une loi autorisant la cration d'coles normales, dont la premire ouvre Montral l'anne suivante. L'intervention de l'tat en ducation s'amorce donc pendant la priode de 1801 1840. la fin de la priode, en 1836, il y a environ 1 500 coles primaires accueillant 42 000 lves. Mais la scolarisation varie considrablement selon le sexe (la moiti des garons, le quart des filles), la langue (le quart des francophones, la moiti des anglophones), la gographie ( peine le quart des enfants ruraux vont l'cole, prs des trois quarts Montral) et l'origine sociale. L'enseignement secondaire est essentiellement priv; l'enseignement suprieur se rsume aux laborieux dbuts de l'Universit McGill. La profession enseignante a des conditions de comptence et de travail mdiocres, bien que le corps enseignant soit majoritairement lac. Cependant, il y a une nette dualisation du systme d'ducation selon une ligne de clivage linguistique et religieux. L'intervention de l'tat est encore ttonnante et hsitante; elle est notamment marque par les affrontements entre l'Assemble lgislative lue, majoritairement francocatholique, et le Conseil lgislatif nomm et le gouverneur anglo-protestant. Cette intervention suit trois axes, un axe d'organisation, un axe de financement et un axe de gouverne et d'orientation. Au cours des deux priodes qui suivent, l'tat adoptera les mmes axes dintervention, mais avec une intensit trs variable.

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3. La monte puis le dclin du rle de ltat : lUnion (1840-1875)En 1840, la mtropole britannique, sous l'inspiration du rapport de lord Durham envoy la suite des Rbellions de 1837-1838, impose l'acte d'Union; le Bas-Canada et le Haut-Canada sont unifis sous une seule Assemble lgislative et un seul gouverneur. Il y a une vidente volont d'assimiler les Canadiensfranais. Cependant, les choses volurent diffremment. Entre-temps, une alliance politique de rformistes anglophones et francophones permet

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d'obtenir en 1848 le gouvernement responsable devant l'Assemble, et l'volution politique conduit vers la cration, en 1867, de la fdration canadienne o la comptence en matire d'ducation est dvolue aux provinces. Si l'Union prend fin en 1867, des changements majeurs quant l'intervention de l'tat en ducation s'taleront jusqu' 1875; c'est pourquoi la troisime priode de ce survol du rle historique de l'tat en ducation au Qubec prend fin cette dernire date. En substance, on peut rsumer la priode de 1840 1875 en regard du rle de l'tat en ducation en disant qu'elle est marque par une monte d'abord, puis par un dclin significatif ensuite, de ce rle. La monte du rle de l'tat se manifeste par l'adoption de multiples lois qui mettent en place un systme d'ducation, imparfaitement unifi et intgr, dont certaines lignes de force dureront jusqu' la Rvolution tranquille des annes 1960. Le dclin du rle de l'tat, amorc au milieu de la priode de l'Union, verra le passage un systme d'ducation massivement domin par l'glise chez les francocatholiques et distinct du systme anglo-protestant. Pendant la priode de l'Union, se multiplient les lgislations structurantes en matire d'ducation : 1841 : une loi scolaire cre 22 districts scolaires correspondant aux districts municipaux. Dans chacun d'eux, des commissaires lus ont la responsabilit de construire des coles aux frais des propritaires, d'embaucher le personnel enseignant, de grer les coles et de faire rapport au conseil du district municipal. Le financement est assur par les taxes foncires et par des fonds de l'Assemble lgislative. Le droit la dissidence est reconnu toute minorit religieuse dans un district. Un surintendant (deux compter de 1842) distribue les fonds de l'Assemble, contrle les difices scolaires, conseille les autorits locales et fait annuellement rapport au gouvernement. 1845 : les districts scolaires sont dtachs des districts municipaux, mais les commissaires sont toujours lus; le droit la dissidence religieuse est maintenu et, Montral et Qubec, des commissions scolaires catholiques et protestantes sont cres. Pour financer les coles, les commissaires locaux ont le choix entre taxe foncire et contribution volontaire. En 1846, la loi rendra obligatoire le recours la taxe foncire, ce qui entranera un mouvement de rsistance (la guerre des teignoirs ) durant plusieurs annes. 1846 : cration, Montral et Qubec, de bureaux d'examinateurs (catholiques et protestants) pour valuer les candidats l'enseignement et dlivrer un certificat d'aptitudes.

Ces lgislations mettent donc en place des principes fondamentaux d'organisation scolaire : gestion locale sous la responsabilit de commissaires lus, embauche locale des enseignants, taxe foncire comme base du financement de l'ducation primaire. 1851 : une nouvelle loi cre la fonction d'inspecteur d'coles sous l'autorit du surintendant de l'Instruction publique. Les inspecteurs doivent visiter les coles aux trois mois, vrifier les comptes, surveiller le respect des rglements, apprcier la comptence des enseignants et leurs pratiques, dresser des statistiques et expliquer les lois. L'tat intervient ainsi dans le contrle de la qualit de l'enseignement. 1856 : cration du Conseil de l'instruction publique qui durera jusqu' la Rvolution tranquille. Le Conseil, form de 12 15 membres nomms par le gouvernement, est dot de pouvoirs rglementaires (sujets l'approbation du gouvernement) sur les coles, les coles normales, la certification des enseignants, l'organisation et la discipline des coles, le choix des manuels et du matriel didactique. Le Conseil est aussi un tribunal administratif pour les plaintes des enseignants l'gard des commissions scolaires. La cration du Conseil de l'instruction publique procure ainsi au systme d'ducation une autorit centrale unifie apte superviser et orienter l'enseignement, les instruments pdagogiques et la qualification du personnel enseignant. 1868 : Pierre-Joseph-Olivier Chauveau, premier ministre du Qubec depuis 1867 et ancien surintendant de l'Instruction publique, fait adopter une loi crant le ministre de l'Instruction publique, dont il devient le premier titulaire. Ainsi, ds les dbuts de la Confdration, l'tat se dote de l'instrument politique et administratif qui marque sa volont d'agir de faon intgre dans le domaine de l'ducation. Cependant, la cration de ce ministre suscite de grandes inquitudes dans l'glise qui cherche consolider son autorit sur la socit et sur l'ducation, et dans les milieux anglo-protestants qui, dans une province trs majoritairement francocatholique, veulent conserver l'autonomie et le contrle de leur propre systme d'ducation. L'existence du ministre de l'Instruction publique sera brve. Ainsi, la priode de l'Union se caractrise d'abord par une plus grande prsence de l'tat en ducation. Les diverses lgislations de la priode, y incluant l'institution d'un ministre de l'Instruction publique, tmoignent d'une volont de participation des instances gouvernementales l'organisation, au financement, l'orientation et la gouverne de

l'ducation, ct des commissions scolaires locales et des institutions prives animes par l'glise catholique par exemple, les sminaires diocsains et les collges classiques ou l'Universit Laval qui nat en 1852 ou par d'autres groupes privs, ceux qui soutiennent, par exemple, l'Universit McGill. Mais, pour l'essentiel, l'action de l'tat concerne l'enseignement primaire. Cependant, les premires annes du rgime de la Confdration vont amener rapidement des changements significatifs dans le rle de l'tat en ducation. En fait, on assiste l'affirmation de la volont de l'glise catholique de prendre en charge un rle central dans la gouverne et l'orientation du systme d'ducation aux ordres primaire, secondaire et suprieur. Pour comprendre ces changements considrables dans le rle de l'tat, il faut revenir en arrire, aux dbuts de la priode de l'Union. L'chec des Rbellions de 1837-1838 et l'imposition de l'Union des deux Canadas affaiblissent l'lite laque librale et rformiste dont certains chefs de file, comme Louis-Joseph Papineau, prennent la route de l'exil. Des dirigeants plus modrs, au premier chef Louis-Hippolyte Lafontaine, acceptent de participer au gouvernement dans le cadre, dcri par plusieurs, de l'Union. Paralllement, l'glise catholique, particulirement Montral sous l'nergique direction de l'vque Ignace Bourget, saisit l'occasion de s'affirmer plus vigoureusement. compter de 1837, les vques font appel des communauts religieuses franaises, notamment celles qui font uvre d'enseignement : ainsi, les Frres des coles chrtiennes arrivent en 1837 et les Jsuites, qui fonderont le Collge Sainte-Marie en 1848, acceptent ds 1842 l'invitation de Mgr Bourget. En 1843, l'piscopat entreprend des dmarches pour que le gouvernement rtrocde l'glise les biens des Jsuites dont il a la garde depuis 1800, et ce, pour permettre l'glise de les utiliser des fins d'ducation. Ds 1845, les vques se disent prts constituer une universit catholique. En 1851, Mgr Bourget presse ses collgues vques d'acclrer le processus de cration d'une universit catholique provinciale de crainte que les libraux ne s'emparent de l'ide. La mme anne, le premier concile provincial des vques adopte un dcret signifiant l'intention de l'glise de tout mettre en uvre pour doter les catholiques canadiens-franais d'un ensemble d'tablissements confessionnels de formation secondaire et suprieure. C'est qu'un conflit idologique et politique majeur prend forme compter de la fin des annes 1840 entre l'Institut canadien de Montral, fond en 1844 et qui pouse de plus en plus les thses radicales de Papineau, revenu d'exil, et le courant ultramontain,

dont les vques Bourget et Laflche sont les principaux dirigeants. Les ultramontains refusent tout compromis entre le catholicisme et les ides modernes, favorisent la suprmatie du religieux dans l'organisation de la socit et veulent que la socit qubcoise se gouverne, notamment en ducation, selon les principes du catholicisme. Ce conflit idologique dborde videmment dans la sphre politique et influence progressivement la faon dont l'tat intervient en ducation. En 1869, l'Assemble lgislative du Qubec adopte une loi modifiant significativement le Conseil de l'instruction publique : celui-ci comptera 14 membres catholiques, dont 5 clercs, et 7 protestants; surtout, il cre, au sein du Conseil, deux comits confessionnels, un catholique et un protestant, chacun responsable des affaires ducatives de la communaut religieuse qu'il reprsente. Sur une toile de fond faite des affrontements continus entre Mgr Bourget et l'Institut canadien de Montral, les ultramontains poursuivent leurs pressions pour orienter l'volution de la socit. Survient alors, en 1875, une modification lgislative d'une trs grande importance pour le rle de l'tat en ducation. Le gouvernement conservateur au pouvoir sous le premier ministre Boucher de Boucherville fait adopter une loi abolissant le ministre de l'Instruction publique afin, dit-on, de soustraire l'ducation aux influences politiques; le ministre est remplac par le dpartement de l'Instruction publique la tte duquel se trouve un fonctionnaire (et non plus un ministre) nomm par le gouvernement, c'est--dire le surintendant de l'Instruction publique. La rforme lgislative touche aussi le Conseil de l'instruction publique. Les deux comits catholique et protestant sont maintenus, bien que leur composition soit modifie; ainsi, le comit catholique se compose dsormais de tous les vques du Qubec et d'un nombre gal de membres lacs nomms par le gouvernement mais, seuls les vques peuvent se faire remplacer en cas d'absence. Le surintendant et le dpartement de l'Instruction publique effectuent les mandats que leur attribuent le Conseil et ses deux comits et en appliquent les dcisions; en pratique, seules les dcisions des comits confessionnels comptent puisque le Conseil de l'instruction publique ne se runit que rarement. En fait, le Conseil ne tient aucune runion entre 1908 et 1960. La rforme de 1875 entrane pour l'ducation qubcoise et pour le rle de l'tat en cette matire des consquences considrables. Le systme d'ducation se scinde en deux sous-systmes distincts et pratiquement tanches l'un par rapport l'autre, le systme franco-catholique et le systme angloprotestant, chacun dirig dans les faits par un comit

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confessionnel. La fonction de gouverne et d'orientation du systme d'ducation passe des mains de l'tat celles des comits confessionnels du Conseil de l'instruction publique; dans le cas du systme franco-catholique, le pouvoir sur l'ducation primaire publique appartient toutes fins utiles l'glise par l'action des vques sigeant au comit catholique. Par les sminaires diocsains et les collges classiques dirigs respectivement par les vques et des communauts religieuses, l'glise a la mainmise galement sur l'enseignement secondaire. Quant aux universits, les anglophones (McGill et Bishop's) sont des tablissements privs et la francophone Laval, une institution relevant de l'glise. Ni l'enseignement secondaire, ni l'enseignement universitaire ne sont pour l'essentiel des services publics relevant de l'autorit gouvernementale. Quant au financement, il est assum par les parents, par la taxe foncire, par l'glise; les subventions gouvernementales n'en constituent qu'une faible portion (20 %). Ainsi, les premires annes de la Confdration sont marques par un dclin important du rle de l'tat en ducation. L'abolition du ministre de l'Instruction publique et son remplacement par un dpartement dirig par un fonctionnaire et, surtout, la nouvelle composition du comit catholique du Conseil de l'instruction publique, compter de 1875, signifient un retrait de l'tat au profit de l'glise qui exercera donc, jusqu'aux annes 1960, sa domination sur l'essentiel de l'ducation primaire, secondaire et universitaire des franco-catholiques. Le systme est ainsi massivement privatis . Et quand le gouvernement libral des annes 1960 voudra instituer, comme le lui recommande le rapport Parent, un ministre de l'ducation et un Conseil suprieur de l'ducation, le premier ministre Jean Lesage devra s'engager dans de dlicates ngociations avec l'piscopat pour que les vques acceptent de se dessaisir des pouvoirs qu'ils exercent depuis 1875. De mme, seul le retrait de l'glise permettra, pendant la Rvolution tranquille, de constituer un systme complet d'ducation publique l'enseignement primaire, secondaire, collgial et universitaire.

lendemains de la Premire Guerre mondiale, correspond au passage du Qubec une socit majoritairement urbaine situation constate lors du recensement de 1921 et aussi l'irruption, dans la socit qubcoise, de puissantes forces de modernisation : la croissance de l'industrialisation, l'automobile, la radio et le cinma, etc.

4.1 De 1875 aux lendemains de la Premire Guerre mondialeDepuis l'abolition du ministre de l'Instruction publique en 1875, le pouvoir politique est mal outill pour intervenir en ducation. En fait, il manque la tte du systme une autorit centrale reconnue et clairement mandate. Le Dpartement et le surintendant de l'Instruction publique existent bien ; cependant, pour tout ce qui concerne l'enseignement public primaire, ils sont les excutants des orientations et des dcisions arrtes par les comits confessionnels du Conseil de l'instruction publique. Le secondaire, chez les franco-catholiques, relve directement de l'glise et des communauts religieuses animant les collges et les sminaires; une premire forme d'intgration du secondaire s'tablit par l'intervention de la Facult des arts de l'Universit Laval qui contrle l'accs au baccalaurat s arts couronnant les tudes secondaires. Par ailleurs, le recensement fdral de 1891 tablit que le Qubec est la province comptant la plus importante proportion d'analphabtes dans sa population (30 %, contre 7 % en Ontario). Pourtant, l'industrialisation croissante de l'conomie requiert de plus en plus une main-duvre minimalement scolarise. La pression crot quant la ncessit de renforcer le systme d'ducation. Lors de la campagne lectorale de 1897, le Parti libral promet d'apporter des rformes au systme d'ducation. Une fois port au pouvoir, le gouvernement du Parti libral soumet l'Assemble lgislative un projet de loi prvoyant la cration d'un ministre de l'Instruction publique et d'autres rformes : cration d'inspecteurs gnraux, obligation pour tous les enseignants, y compris les clercs et les religieux, de dtenir le brevet d'enseignement, choix par le ministre des manuels parmi la liste approuve par les comits confessionnels. Le projet de loi se heurte l'opposition des milieux conservateurs et de l'glise qui en appelle mme au Vatican. Malgr l'intervention du Vatican et du premier ministre fdral, Wilfrid Laurier, le gouvernement maintient son projet. La loi est bloque au Conseil lgislatif (chambre haute non lue de la Lgislature du Qubec) et meurt. En 1899, le gouvernement revient la charge avec un nouveau projet de loi prcisant davantage les pouvoirs de l'tat en

4. Le rle secondaire de ltat en ducation : le sicle de la confdration (1875-1960)Presque un sicle prcisment 89 ans s'coule entre l'abolition du ministre de l'Instruction publique en 1875 et la cration du ministre de l'ducation en 1964. Pour les fins du prsent survol, on peut diviser ce quasi-sicle en deux priodes allant respectivement de 1875 aux lendemains de la Premire Guerre mondiale et des annes 1920 1960. Le point de rupture, les

ducation par exemple : nomination et destitution des inspecteurs d'coles, uniformisation des manuels utiliss dans les commissions scolaires pour autant qu'ils figurent sur la liste des manuels approuvs par les comits confessionnels du Conseil de l'instruction publique, etc. mais sans la cration d'un ministre. En 1908, le gouvernement libral de Lomer Gouin reconsidre l'ide de crer un ministre de l'ducation; mais, encore une fois, l'opposition de l'glise fait avorter l'ide. Ainsi, face des gouvernements manifestant des vellits d'exercer plus fermement leur comptence en ducation, notamment par un ministre, l'glise rsiste et refuse de se laisser dpossder des pouvoirs qu'elle a conquis en 1875. La querelle autour de la question de l'instruction obligatoire illustre aussi les limites de l'action de l'tat en matire d'ducation. Ds 1876, le futur premier ministre Honor Mercier voque la ncessit d'une loi fixant l'obligation scolaire. En 1901, un projet de loi imposant aux enfants de 8 13 ans un minimum de 16 semaines d'cole par anne choue. La Ligue de l'enseignement propose, compter de 1902, l'instruction obligatoire et gratuite. L'glise et les milieux conservateurs s'opposent au principe d'une telle loi en agitant le spectre de l' cole laque (comme la conoit la France la mme poque) et en invoquant le principe selon lequel l'ducation relve du droit naturel des parents que l'tat ne saurait lgitimement contraindre en cette matire. Pourtant, la scolarit est dficiente : en 1910, peine 4 % des franco-catholiques atteignent la 5e anne du primaire (frquente de faon universelle chez les anglo-protestants) et 1 % la 7e anne. Tout ce qui existe, c'est une loi qui, compter de 1907, prescrit que les enfants doivent savoir lire et crire avant d'aller travailler. Ce n'est qu'en 1943 que sera adopte une loi rendant obligatoire la frquentation scolaire jusqu' 14 ans. Pendant la priode allant de 1875 la fin des annes 1920, l'intervention de l'tat en ducation est donc trs limite. Ainsi, au titre du financement, en 1929 la contribution directe du gouvernement est de l'ordre de 4 M$ sur un budget de 32 M$; plus de la moiti du budget provient des taxes foncires prleves par les commissions scolaires (17 M$). L'glise et les tablissements secondaires et suprieurs qu'elle anime fournissent environ 10 M$. L'tat joue un rle au titre de contrle de la qualit par le passage rcurrent de ses inspecteurs dans les coles publiques (mais non les tablissements privs) et par sa participation la formation et la certification des enseignants (1898 : Bureau central d'examinateurs pour la certification). Mais, pour l'essentiel, l'organisation, la gouverne et l'orientation de l'enseignement,

chez les franco-catholiques, relvent de l'glise, soit par le biais du Comit catholique du Conseil de l'instruction publique qui rgit l'enseignement public primaire (et les dbuts du secondaire), soit par le biais des tablissements secondaires et suprieurs qu'elle contrle. Il y a pourtant un domaine de l'ducation o, compter de la fin du XIXe sicle, l'tat intervient et exerce son action selon les trois axes d'organisation, de financement, et d'orientation. En effet, le gouvernement constitue progressivement un rseau d'coles professionnelles et techniques qui ne relvent pas du Conseil de l'instruction publique et de ses comits confessionnels, mais de divers ministres, et qui sont diriges et finances par l'tat : coles de laiterie et d'agriculture (1892), coles techniques (Montral et Qubec en 1907, Shawinigan en 1911, Trois-Rivires en 1918, etc.). En 1910, le gouvernement assure la cration de l'cole des Hautes tudes Commerciales Montral. En 1922 et 1929 respectivement, il cre une cole des beaux-arts Montral et Qubec. Ainsi l'initiative de l'tat et son intervention en ducation trouvent un terrain qui chappe au contrle de l'glise et des intrts privs, et largissent le systme d'ducation et l'adaptent aux besoins d'une conomie de plus en plus manufacturire et industrielle. L'enseignement technique et professionnel sera, jusqu' la Rvolution tranquille, le seul domaine de l'ducation o l'tat assumera l'ensemble des responsabilits d'organisation, de financement, de gouverne et d'orientation. Durant la premire partie du sicle de la Confdration, il n'y a donc pas une autorit centrale unifie la tte du systme d'ducation qubcois. Par ailleurs, on peut relever un certain nombre de caractristiques de ce systme : Il n'y a pas un, mais deux systmes d'ducation au Qubec : le systme franco-catholique et le systme anglo-protestant. On pourrait mme ajouter qu'il y a, dans le systme franco-catholique, deux soussystmes : un sous-systme pour les garons, un autre pour les filles. Le systme anglo-protestant est relativement simple : primaire de sept ans, secondaire de quatre ans qui donne accs aux universits, selon un modle gnralement rpandu dans les autres provinces du Canada. Bien qu'il existe des tablissements privs, il est possible de se rendre jusqu' l'universit en frquentant l'cole publique gratuite et mixte. Le systme franco-catholique est beaucoup plus complexe. Le primaire, compter de 1888, atteint huit ans ; mais, aussi tard qu'en 1926, 94 % des

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lves quittent aprs la 6e anne, ce qui indique une sous-scolarisation. En 1929, on ajoute la possibilit d'effectuer jusqu' 11 annes d'tudes au secteur public, comme chez les anglo-protestants, mais sans accs direct aux facults universitaires. Depuis 1923, les 7e et 8e annes du primaire offrent des options (agricole, commerciale, industrielle, mnagre). Chez les franco-catholiques, le secondaire se dveloppe, mais d'une faon trs complique selon des filires distinctes, tanches et sans passerelles des unes aux autres. Il y a le secondaire noble , le cours classique dispens par des tablissements dirigs par les communauts religieuses (collges) ou par l'piscopat (sminaires), sans quivalent dans le secteur public, et donnant accs toutes les facults universitaires. En plus, il y a des tablissements industriels, commerciaux, des coles de mtier, des acadmies , etc., offrant autant de programmes divers et non coordonns et privant de l'accs l'universit, moins de faire un long dtour par le cours classique. Le secondaire franco-catholique est peu labor au public, litiste et coteux au priv; plein de culs-de-sac sans dbouchs et sans beaucoup de possibilits de rorientation. Dans le systme franco-catholique, l'enseignement secondaire est aussi diffrent selon les sexes et, chez les filles, diffrent selon les classes de la socit. Pour les filles d'origine modeste, il y a le programme des coles mnagres les prparant aux rles d'pouse et de mre verses dans les arts domestiques avec, en milieu rural, des connaissances agricoles. En milieu urbain, il y a aussi des coles de mtier (p. ex. : en coiffure) ou des tablissements privs prparant au travail de bureau (Business schools). Pour les filles d'origine sociale suprieure, le cours classique n'est disponible qu' compter de 1908. Il y a aussi, compter de 1916, un cours lettres-sciences correspondant aux quatre premires annes du cours classique et pouvant dboucher sur la suite du cours classique, les coles normales, les cours d'infirmire dispenss par les hpitaux ou les coles commerciales. L'clatement du systme d'ducation se manifeste aussi dans les conditions de travail des enseignants et des enseignantes. La fminisation et la clricalisation du corps enseignant exercent une pression la baisse sur les conditions d'emploi. Ainsi, dans le secteur public, les hommes sont beaucoup mieux pays que les femmes et les instituteurs angloprotestants mieux rmunrs que les francocatholiques. Cela tient en partie l'ingalit de richesse des commissions scolaires responsables de l'embauche et de la gestion du personnel enseignant. Ainsi, la fin des annes 1920, on observe au Qubec un systme d'ducation clat, diffrent selon les communauts linguistiques et les sexes, o de

multiples autorits interagissent et o les tablissements et les programmes d'tudes s'laborent de faon non coordonne et non planifie. L'tat intervient, mais de faon secondaire; l'glise et les groupes privs jouent un rle considrable.

4.2 De la Grande Dpression la veille de la Rvolution tranquilleCes grandes caractristiques du systme d'ducation qubcois n'iront qu'en s'accentuant durant la priode qui mne la Rvolution tranquille. Tout au long de la priode, l'autorit en matire d'ducation reste clate. Si le Conseil de l'instruction publique demeure en dormance car il ne tient aucune runion plnire entre 1908 et 1960 ses comits confessionnels catholique et protestant sont actifs et rgissent une partie du systme d'ducation : l'enseignement public primaire et secondaire franco-catholique et anglo-protestant. L'enseignement secondaire priv relve de l'glise catholique et de ses communauts religieuses (sminaires, collges classiques, couvents pour filles) et aussi des universits Laval et de Montral qui dcernent aux finissants du secondaire, satisfaisant aux examens qu'elles prescrivent, le baccalaurat s arts qui ouvre les portes de toutes les facults. En marge du rseau des collges privs apparaissent de multiples tablissements secondaires galement privs (p. ex. : les Business schools). Les universits ellesmmes sont des organismes privs pleinement autonomes. L'tat ne contrle directement que les coles de mtier, les coles techniques et les coles suprieures spcialises (p. ex. : les coles des beaux arts, les conservatoires); entre 1940 et 1960, il se cre une quarantaine d'coles de mtiers et d'instituts techniques l'initiative du gouvernement. L'autorit bien partielle de l'tat en matire d'organisation du systme d'ducation s'exerce travers une pluralit de mcanismes et d'instances : le Dpartement et le surintendant de l'Instruction publique sont des organismes gouvernementaux, mais placs sous l'autorit et la direction des comits catholique et protestant du Conseil de l'instruction publique, plusieurs ministres du gouvernement (p. ex. : le Secrtariat de la province, le ministre de l'Agriculture) dirigent des coles spcialises. En 1946, le gouvernement fait approuver par l'Assemble lgislative la cration d'un ministre de la Jeunesse et du Bien-tre social, qui rapatrie un certain nombre de responsabilits en matire d'ducation (dont l'enseignement professionnel et technique et les bourses d'tudes). Ce ministre sera le noyau autour duquel le gouvernement libral des annes 1960 construira le ministre de l'ducation. Cependant, jusqu' 1964,

il n'y a aucune autorit gouvernementale unifie et intgre responsable de l'ensemble du systme d'ducation qubcois. L'action de l'tat en matire d'ducation se fait davantage sentir dans l'ordre du financement. La Grande Dpression des annes 1930 s'avre dsastreuse pour le financement de l'ducation; par exemple, les travaux de construction de l'Universit de Montral sont interrompus, le chantier est en quelque sorte mis sous emballage et l'arme envisagera mme de l'utiliser ses propres fins pendant la guerre ! La situation des commissions scolaires directement responsables de l'enseignement public primaire et secondaire est trs difficile : 40 % des quelque 1 800 commissions scolaires sont en dficit rcurrent. En 1946, le gouvernement fait adopter une loi pour assurer le progrs de l'ducation qui lui permet d'accrotre son aide financire aux commissions scolaires. Toutefois, il impose la tutelle de la Commission municipale aux commissions scolaires en difficult. L'impt foncier constitue la principale source de financement de l'enseignement primaire et secondaire public; or, comme la richesse de l'assiette foncire varie considrablement d'une commission scolaire l'autre, les services ducatifs et les conditions de travail des enseignants varient galement d'une commission scolaire l'autre. Sur le plan du fonctionnement, le gouvernement ne fait donc que maintenir flot les commissions scolaires. Il en va de mme pour les tablissements secondaires privs et les universits; avant les rformes des annes 1960, le gouvernement accorde des subventions aux tablissements, mais celles-ci sont toujours discrtionnaires et aucune loi gnrale n'existe leur donnant un caractre statutaire, prvisible et rcurrent. Quand, compter de 1951, le gouvernement fdral entreprendra de financer le fonctionnement des universits, le premier ministre Duplessis, aprs une anne d'hsitation, interdira aux universits qubcoises d'accepter les fonds fdraux ; malgr leurs difficults financires, les universits jugeront plus prudent de respecter l'interdit du premier ministre. Le gouvernement, notamment aprs la Deuxime Guerre mondiale, prfrera les subventions d'immobilisation. Ainsi, de 1946 1956, environ 3 000 coles primaires et secondaires sont construites travers la province et de nombreux tablissements secondaires privs, tout comme les universits, profitent de gnrosits gouvernementales leur permettant d'amliorer et d'accrotre leur parc immobilier. Mais, une fois inaugurs les nouveaux difices, leurs propritaires, commissions scolaires ou collges ou universits, doivent trouver les moyens de les faire fonctionner. L'effort financier de l'tat en matire d'ducation demeure limit et

complmentaire. Ainsi, en 1960-1961, avant que prennent effet les rformes de la Rvolution tranquille, la part directe du gouvernement dans le financement de l'ducation s'tablit 181,5 M$ et celle des commissions scolaires, travers l'impt foncier, 213 M$ (incluant, il est vrai, des subventions gouvernementales de l'ordre de 35 %). Des lendemains de la Premire Guerre mondiale la fin des annes 1950, les gouvernements qubcois successifs ne remettent pas en cause le partage des responsabilits sur l'ducation intervenu durant les premires annes de la Confdration et ne se risquent pas, comme en 1897, entreprendre la mise en place d'un ministre de l'ducation. De faon gnrale, ils acceptent que l'glise ait la main haute sur l'ducation des franco-catholiques et que les anglo-protestants grent leur propre systme scolaire, de la maternelle l'universit. La prudence des gouvernements qubcois en matire d'ducation transparat notamment dans la question de la frquentation scolaire : le Qubec est la dernire province canadienne adopter, en 1943, une loi obligeant les enfants frquenter l'cole de 6 14 ans. Le morcellement de l'autorit publique sur l'ducation et la modestie de son financement renforcent deux grandes caractristiques de l'ducation qubcoise la veille de la Rvolution tranquille, caractristiques dj prsentes pendant la premire partie du sicle de la Confdration :

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Fouillis des structures, des filires, des programmesLe systme d'ducation qubcois, jusqu'aux rformes des annes 1960, demeure morcel et clat. Le systme anglo-protestant (sur lequel tendent s'aligner les catholiques anglophones) est simple : primaire de huit ans et secondaire de quatre ans, publics, uniformes et gratuits, puis possibilit d'entrer l'universit qui offre un programme conduisant au baccalaurat et aux diverses facults. Par contraste, le systme francocatholique comporte au secondaire de multiples filires peu ou pas compatibles entre elles : le traditionnel cours classique de huit ans qui chappe la juridiction du comit catholique et du dpartement de l'Instruction publique et qui comporte des droits de scolarit relativement onreux; le secondaire public, progressivement mis en place par des commission scolaires, qui ajoute cinq annes au primaire mais qui ne donne pas accs aux facults universitaires; les sections classiques offertes par des commissions scolaires compter de 1945 (et qu'accepte le dpartement de l'Instruction

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publique en 1954) qui dispensent les quatre premires annes du cours classique, mais qui obligent leurs finissants se faire admettre dans un collge classique pour ne pas rester en plan et qui amneront certaines facults universitaires (mais pas les plus prestigieuses ) concevoir un programme pruniversitaire pour leurs finissants; les coles techniques et de mtier du gouvernement; une floraison d'coles secondaires prives et professionnelles ( collges commerciaux , coles de coiffure, de couture, etc.); quoi s'ajoute un enseignement secondaire spcifiquement fminin, les instituts familiaux , qui comptera 200 tablissements la fin des annes 1950 offrant un programme de quatre ans visant former des pouses, des mres et des spcialistes des choses domestiques. Ce programme ne donne pas accs aux tudes universitaires et ne permet pas dacqurir des comptences professionnelles immdiatement utilisables sur le march du travail. En l'absence d'une autorit centrale et unifie, le systme d'ducation qubcois la fin des annes 1950 est ainsi clat et morcel. L'tat ne contrle directement que le secondaire professionnel et technique, des coles normales et des tablissements suprieurs spcialiss. Les commissions scolaires fournissent l'enseignement primaire et une partie de l'enseignement secondaire publics, et ce, sous l'autorit des comits catholique et protestant du Conseil de l'instruction publique par l'intermdiaire du Dpartement et du surintendant de l'Instruction publique, autant d'instances qui ne rpondent pas de leur action devant le gouvernement ou le Parlement. Par ailleurs, l'glise, par les sminaires, les collges classiques et les universits, assume un rle majeur dans la formation secondaire et postsecondaire des franco-catholiques, sans que l'autorit politique intervienne de plein droit. Il est lgitime de dire que le Qubec a ainsi fait l'exprience d'une privatisation massive de l'ducation.

secondaire. Les donnes concernant l'enseignement universitaire refltent des tendances semblables. En 1960, les universits qubcoises accueillent 22 000 tudiants, soit 4,3 % des citoyens de 20 24 ans. Cependant, alors que 11 % des anglophones de 20 24 ans frquentent l'universit, la proportion n'est que de 3 % chez les francophones. L ne on s'tonnera donc pas que l'un des objectifs les plus fondamentaux des rformes des annes 1960 ait t d'accrotre massivement la scolarisation des Qubcois francophones des deux sexes, ni que l'tat, en rassumant pleine responsabilit pour l'ducation, notamment par la cration d'un ministre, ait voulu unifier le systme scolaire pardel les diffrences de langue et de sexe, et rendre disponible une mme ducation de qualit comparable la grandeur de son territoire et pour l'ensemble de sa population.

5. Le rle dterminant de ltat en ducation depuis 1960Au dbut des annes 1960, un consensus social existe sur le fait que le Qubec est en retard au regard des autres socits occidentales et que cet cart que lon enregistre tant sur le plan conomique que sur les plans social et culturel est d au fait que ltat qubcois nest jamais intervenu de manire structure dans les diverses sphres de la vie collective. Il faut dire que ltat fdral avec ses budgets dinspiration keynsienne et ladoption dune politique sociale trs avant-gardiste pour lpoque avait donn lexemple ce sujet depuis une vingtaine dannes, ce qui exacerbait davantage le sentiment des Qubcois et des Qubcoises dtre en retard sur leur poque. Cest pourquoi, ltat provincial est apparu plusieurs comme le levier principal qui allait permettre la socit qubcoise daccder la modernit occidentale. De ce point de vue, ce que lon a appel la Rvolution tranquille constitue un immense effort de rattrapage mis en uvre par ltat qubcois o lducation a pris valeur de symbole : pour lindividu, elle apparat comme un instrument de promotion sociale et, pour la socit, comme un facteur de changement social, de progrs. Ds 1956, la Commission royale denqute sur les problmes constitutionnels avait signal la ncessit deffectuer une tude sur la situation de lducation au Qubec3. En 1960-1961, le gouvernement du Qubec adopte une dizaine de lois scolaires, dont celle qui tablit, le 21 avril 1961, la Commission royale denqute sur lenseignement, qui consacrera le rle prminent que jouera ltat en ducation et sera lorigine des structures scolaires actuelles. Avant mme la cration du ministre de l'ducation

Disparits dans la scolarisation et sous-scolarisationAvant 1960, on observe des disparits importantes dans la scolarisation de la population qubcoise et mme des phnomnes de sous-scolarisation chez les franco-catholiques par rapport aux angloprotestants. Le phnomne est connu et n'appelle pas une longue dmonstration statistique. Quelques donnes l'illustrent. Ainsi, en 1958, pour 100 francocatholiques admis l'cole primaire, 63 parviendront la 7e anne, 30 la 9e, 13 parviendront la 11e, contre 36 chez les anglo-protestants. Dix ans plus tt, en 1948, 2 % des franco-catholiques contre 7 % des anglo-protestants se rendaient la fin du

3.Voir : Rapport de la Commission royale denqute sur lenseignement dans la province de Qubec, tome I, 1963, p. VII.

du Qubec, cette lgislation massive, que lon qualifiera de Grande Charte de lducation, tmoigne de la volont de ltat de jouer un rle majeur en ducation. On trouvait aussi dans cette lgislation, entre autres choses, des dispositions relatives lallongement de la frquentation scolaire obligatoire de 14 15 ans, lobligation pour les commissions scolaires dassurer lenseignement secondaire, la gratuit scolaire ainsi quun rgime de bourses pour les tudiants et les tudiantes des universits et des collges classiques. De manire globale, le rle qua jou ltat en ducation depuis 1960 peut tre dpartag en deux grandes priodes : de 1960 1976, o l'on assiste la mise en place et la consolidation des grandes structures issues du rapport Parent; de 1977 nos jours, o les efforts portent sur la rvaluation du systme scolaire qui culmine avec la rforme scolaire de 1997 labore dans : Prendre le virage du succs. Au cours de ces quarante annes, les gestes poss par ltat ont t nombreux et diversifis. Nous ne retiendrons donc ici que les lments essentiels.

Un an aprs la parution du premier volume du rapport Parent qui recommande la cration dun ministre de l'ducation et dun Conseil suprieur de l'ducation les lois instituant ces deux organismes sont sanctionnes, amorant ainsi la rforme densemble du systme de lducation au Qubec. Les promoteurs de cette rforme poursuivaient un double objectif : mettre un terme lincohrence dans les filires de formation tout en rendant lducation suprieure accessible tous sans gard au sexe, lorigine sociale ou gographique. Cette responsabilit gnrale nouvelle qui incombe ltat en matire dducation ne pouvait quentraner la remise en question du partage sculaire des pouvoirs relatifs lducation. Les comits catholique et protestant du Conseil de linstruction publique ont vu leur rle rvalu. Ils ont perdu leur pouvoir de rglementation et de direction de lensemble du systme dducation pour ne conserver quun pouvoir dinfluence sur les questions denseignement religieux et de morale. L ampleur de ce passage des pouvoirs relatifs lducation a cependant amen les milieux catholiques faire pression pour que soient inscrits, dans le prambule de la Loi sur le ministre de lducation et de la Loi sur le Conseil suprieur de lducation, les principes qui, dornavant, allaient garantir la lgitimit dun secteur de lenseignement priv. Par ailleurs, protge par larticle 93 de la Constitution canadienne de 1867, la confessionnalit du systme dducation demeurera effective jusquen 1998, anne o, aprs 30 ans de dbats, 69 nouvelles commissions scolaires linguistiques 60 francophones et 9 anglophones remplaceront les 153 commissions scolaires confessionnelles. Cinq mois seulement aprs sa cration, le ministre de l'ducation lance, lautomne de 1964, lOPRATION 55 qui prvoit la mise en place de 64 commissions scolaires sur une base rgionale, 55 catholiques et 9 protestantes5, dont le mandat principal est de travailler ldification dun rseau complet dcoles secondaires. Dune part, cette opration se traduit par la construction dcoles polyvalentes dans toutes les rgions du Qubec. Dautre part, le secteur priv, qui contrlait lessentiel de lducation suprieure, sera lui aussi mis contribution. En vertu de la Loi autorisant des ententes entre commissions scolaires et institutions d'enseignement prives, adopte en 1967, les tablissements privs qui dsiraient sassocier lrection de ce rseau denseignement secondaire public ont t reconnus dutilit publique et financs 100 %. Plus de 80 tablissements privs denseignement secondaire sen prvaudront. Toutefois, ce rgime des institutions associes menaait lautonomie interne des tablissements privs. Cest pour rpondre ces inquitudes, tout en dsirant tablir des balises financires explicites,

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5.1 Mise en place et consolidation des structures dorganisation et dencadrement issues du rapport Parent : 1963-1976Dans le premier volume du rapport Parent en 1963, on propose sans quivoque que ltat devienne le matre duvre de lorganisation densemble du systme dducation, affirmant que linitiative prive est insuffisante et inadquate pour exercer les fonctions essentielles dorganisation densemble, de financement, de gouverne et dorientation du systme dducation. Il est certain que linitiative prive ne saurait poursuivre efficacement des objectifs aussi ambitieux, ni suffire tant de tches : construction, amnagement gographique, coordination, recrutement du personnel, financement. Les associations et les tablissements particuliers sont ports envisager le problme scolaire sous langle qui leur est propre. Cest au gouvernement de replacer les questions dans une perspective globale; il ne peut sen remettre aux dvouements particuliers : des oublis importants seraient commis, des secteurs ngligs. Il faut un plan densemble, une orientation unifie en vue du bien commun, une conomie de tout le systme qui vitera les ddoublements, concentrera les efforts, tablira les priorits budgtaires en vue dune meilleure utilisation ou dune multiplication des ressources actuelles. Cette tche dorganisation et de financement appartient en propre au pouvoir politique responsable du bien commun4.

4.Ibid., p. 79-80.

5.Voir ce sujet : William J. Smith & Helen M. Donahue, The Historical Roots of Qubec Education, Montral, Office of Research on Educational Policy, McGill University, 1999, p. 44.

que la Loi sur lenseignement priv est adopte en dcembre 1968. Pour la premire fois, une loi venait tablir le statut de lenseignement priv, dfinir les obligations qui lui choient dont celle de suivre les programmes officiels du ministre de l'ducation tout en fixant des normes de financement explicites.

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Durant la mme priode, le ministre de l'ducation va dicter, entre 1965 et 1971, une srie de sept rglements visant lorganisation des structures scolaires et la mise en place dun curriculum dtudes unifi, valide pour les commissions scolaires tant catholiques que protestantes6. De manire complmentaire, est lance en 1965 lOPRATION ENSEIGNEMENT qui vise amliorer la formation des matres et rnover les programmes dtudes. En 1968, lenseignement professionnel, jusqualors dispens par des coles de mtiers, est intgr aux polyvalentes du rseau des commissions scolaires rgionales et aux cgeps. De nouveaux programmes dtudes sont offerts. En 1971, lAssemble nationale adopte la Loi concernant le regroupement et la gestion des commissions scolaires (projet de loi 27) : le nombre des commissions scolaires passe de 800 188, soit 167 catholiques et 21 protestantes. De mme, sinscrivant en continuit avec la cration des ateliers pdagogiques quavait favorise le Rglement numro 1 en 1965, cette loi crait les comits dcole et les comits de parents, destins favoriser une participation plus directe des parents dans lcole auprs de la commission scolaire7 . lenseignement obligatoire, la dcennie suivante sera celle de la consolidation des principales rformes issues du rapport Parent. Quant lenseignement suprieur, les premiers cgeps, ordre denseignement intermdiaire original dont le rapport Parent avait recommand la cration sous le nom d institut , ouvriront leurs portes en septembre 1967. Le 9 dcembre de lanne suivante, la loi qui cre lUniversit du Qubec est adopte lunanimit et apparat au gouvernement comme le couronnement de la rforme scolaire. Grce la cration dun rseau de constituantes et dantennes, il sera possible dsormais dobtenir une formation universitaire dans la plupart des rgions du Qubec. Ltat, matre duvre du systme dducation Une telle rforme du systme dducation ne pouvait aller sans un effort financier important et soutenu de ltat qui en assume dornavant la matrise duvre. Ainsi, la part des dpenses gouvernementales consacres lenseignement primaire et secondaire entre 1961 et 1981 stablissait environ

20 % du budget de la province. Toujours pour la mme priode, les dpenses globales consacres lenseignement primaire et secondaire par rapport au PIB sont passes de 3,7 % 6,1 %8. Par la suite, la part du PIB consacre lenseignement primaire et secondaire a diminu, passant 4,4 % en 19891990 et 4,0 % en 1999-20009. En ce qui a trait aux cgeps, la dpense par lve en dollars constants de 1999-2000 slevait 7 514 $ en 1976-1977 et 7 828 $ en 1981-1982. linstar de lenseignement primaire et secondaire, cette part devait flchir 7 671 $ en 1989-1990 et 7 096 $ en 1999-200010. Quant aux universits, le Qubec ne commence les financer directement partir de normes explicites quen 1960, la suite d'une entente avec le gouvernement fdral qui tentait, depuis une dizaine dannes, dutiliser son pouvoir de dpenser dans ce domaine de comptence provinciale. la diffrence de lenseignement obligatoire, les universits dtiennent des pouvoirs relatifs lorganisation de lenseignement et de la recherche. Elles sont soumises des rgles identiques pour le calcul des subventions gouvernementales mais elles ont aussi la possibilit de recevoir des subventions dorganismes subventionnaires et de passer des contrats particuliers avec des individus ou des organismes11. En 1976-1977, la dpense globale consacre lenseignement universitaire par le gouvernement du Qubec par rapport au PIB tait de 1,51 % et, en 1981-1982, de 1,61 %. En 1989-1990, cette part du PIB devait connatre un lger recul pour stablir 1,58 % puis 1,53 % en 1999-200012. L tat est aussi intervenu de manire importante en matire de relations de travail. En 1964, le code du travail est amend et le droit de grve, linstar des autres employs du secteur public, est accord aux enseignants et aux enseignantes. Ds 1967, ils utiliseront massivement ce nouveau droit et le gouvernement, par une loi spciale, en plus dordonner le retour en classe, imposera la ngociation dune convention collective lchelle provinciale tout en accordant la parit salariale entre hommes et femmes.

6.Voir ce sujet : Ibid., p. 46.

7.Ministre de l'ducation, Lenseignement primaire et secondaire au Qubec (Livre vert), Qubec, 1977, p. 18.

8.Ministre de l'ducation, Parcours de lducation depuis les annes 60, Qubec, 1989, p. 11.

9.Ministre de l'ducation, Indicateurs de lducation 2001, Qubec, 2001, p. 25.

10.Ibid., p. 35.

5.2 Rvaluation du systme scolaire : 1977-2000Au milieu des annes 1970, les grands axes de la rforme scolaire issue du rapport Parent ont vu le jour. L ducation est accessible du primaire luniversit sur tout le territoire du Qubec. Le curriculum a t rnov et les grands paramtres qui encadrent lorganisation scolaire sont en place. Surtout, les taux de scolarisation ont progress un point tel que les cibles de scolarisation proposes par le rapport Parent pour le dbut des annes 1980

11.Voir : Conseil suprieur de l'ducation, Le financement des universits, Qubec, 1996, p. 14-15.

12.Ministre de l'ducation, Indicateurs de lducation 2001, p. 39.

ont t atteintes voire, dans certains cas, largement dpasses. Ainsi, les auteurs du rapport prvoyaient que 80 % dune gnration entreprendraient une 3e secondaire. En 1986, 87 % des lves dpassaient la 3e secondaire. Au collgial, la prvision tait de 45 % (formations gnrale et technique cumules) et de 20 % luniversit. En 1986, ces taux daccs stablissaient respectivement 60 % et 30 %13. Quant aux taux dobtention dun diplme pour une mme cohorte, ils taient, en 1998-1999, de 83,5 % au secondaire (secteurs des jeunes et des adultes cumuls), de 39,3 % au collgial (formations gnrale et technique cumules) et de 27,3 % au 1er cycle universitaire14. De 1960 1976, ltat, sans ngliger les autres grandes fonctions qui lui choient en matire dducation, sest concentr sur la solution du problme de laccessibilit des tudes et, consquemment, a surtout mis laccent sur la fonction dorganisation densemble du systme dducation. De 1977 aujourdhui, cest la fonction dorientation du systme dducation qui allait davantage tre au centre de ses proccupations. Deux avenues complmentaires retiennent davantage lattention : le renouveau pdagogique et la dcentralisation des pouvoirs. Au milieu des annes 1970, diverses critiques commencent fuser dun peu partout concernant la qualit de lducation offerte. En rponse ces critiques, le ministre de l'ducation fait paratre en 1977 le livre vert intitul Lenseignement primaire et secondaire au Qubec qui donne lieu une vaste consultation dans toutes les rgions. Loption gouvernementale qui sous-tendit cette opration tait quil fallait donner suite la volont populaire et mettre laccent sur un renouveau scolaire ax sur la qualit de la pdagogie et des apprentissages plutt que sur les ramnagements de structures15. la suite de cette consultation, paraissait, deux ans plus tard, L'cole qubcoise nonc de politique et plan d'action qui amorait un renouveau pdagogique. On y proposait une rforme majeure du curriculum pour l'cole primaire et secondaire du Qubec. On y trouve des noncs sur les finalits et les objectifs d'ducation de l'cole, une description de l'organisation pdagogique de l'cole primaire et secondaire qui prcise les matires qui y seront enseignes, le temps d'enseignement qui leur sera allou, ainsi que les rgles de sanction des tudes. On y trouve aussi d'importants chapitres sur la nature des programmes d'tudes, sur l'valuation des apprentissages et sur les manuels scolaires16. Dans la foule de Lcole qubcoise, de nouveaux rgimes pdagogiques sont tablis pour le prscolaire, le primaire et le secondaire en 1981. On y prcise la nature des services gnraux qui doivent tre offerts

aux lves. Ces rgimes comprennent par ailleurs des mesures particulires destines aux lves handicaps, en difficult dadaptation ou dapprentissage qui sinspirent des recommandations issues du rapport COPEX en 1976 et de lnonc de politique paru ce sujet en 1978. De mme, on y prsente des mesures pour venir en aide aux lves qui proviennent de milieux socio-conomiquement faibles. En 1988, la Loi sur linstruction publique est compltement refondue et lge de la frquentation obligatoire est prolong jusqu 16 ans. Ainsi, au cours des annes 1980, le champ dintervention de ltat, notamment en termes de supervision et de contrle, se diversifie de plus en plus mesure que le souci daccessibilit slargit celui dquit et de qualit de la formation. compter des annes 1990, la russite ducative est le leitmotiv de ltat alors que la dcentralisation des pouvoirs apparat comme le moyen privilgi pour assurer sa promotion, parce quil est devenu de plus en plus vident quun systme dducation dont les pouvoirs sont trop centraliss ne peut sadapter la diversit des besoins des milieux et, en ce sens, il peut constituer un frein linnovation pdagogique. En 1992, le ministre de l'ducation fait paratre Chacun ses devoirs, Plan daction sur la russite ducative. En 1994, le groupe de travail Corbo, dans Prparer les jeunes au 21e sicle, propose des pistes de rflexion sur les finalits et les rles de l'cole de mme que sur les grands domaines d'apprentissage et les profils de formation la fin du primaire et du secondaire. Toutefois, cest avec la rforme de lenseignement collgial de 1993 que sordonne de manire plus manifeste cette double vise dune plus grande russite ducative qui prendrait appui sur une dcentralisation des pouvoirs. Pour ce faire, quatre cibles stratgiques principales ont t privilgies : la russite des tudes; des programmes dtudes adapts aux besoins; des responsabilits acadmiques accrues pour les tablissements et, corrlativement, un dispositif dvaluation plus rigoureux; enfin, des partenariats renouvels et resserrs17. La mme anne, la Commission dvaluation de lenseignement collgial est cre. Elle a pour mandat dvaluer la plupart des dimensions de lenseignement collgial, en particulier les politiques d'valuation des apprentissages et les programmes dtudes. En 1995, cest la convocation des tats gnraux sur lducation et, deux ans plus tard, la publication, du plan daction pour la rforme de lducation : Prendre le virage du succs. linstar de la rforme de lenseignement collgial, on y retrouve au premier plan cet largissement du souci de laccessibilit celui de la russite et de la qualit de la formation

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13.Voir : Conseil suprieur de l'ducation, Le rapport Parent, vingt-cinq ans aprs, Qubec, 1988, p. 31-36.

14.Ministre de l'ducation, Indicateurs de lducation, 2001, p. 103, 111, 113.

15.Ministre de l'ducation, Lcole qubcoise : une cole communautaire et responsable, Qubec, 1982, p. 12.

16.Ministre de l'ducation, Raffirmer lcole, Qubec, 1997, p. 16.

17. Voir : Ministre de lEnseignement suprieur et de la Science, Des collges pour le Qubec du XXIe sicle, Qubec, 1993, p. 13.

par la prise en compte du dynamisme des milieux de lducation. L tat, par une srie de gestes par lesquels il raffirme sa responsabilit dorganisation du systme dducation, va favoriser galement une certaine dcentralisation des pouvoirs vers lcole mme et les parents. Cette intention est ancienne mais elle navait jamais rassembl les conditions ncessaires son plein exercice. Dj, dans le rapport Parent, la participation des parents tait prsente comme une contribution ncessaire la formation de lenfant. Il faut attendre 1971 pour que soient crs, avec la Loi concernant le regroupement et la gestion des commissions scolaires, les comits dcole et les comits de parents. Toutefois, la place des parents lcole y est mal dfinie et tous les intervenants prouvent un malaise devant cette situation. En 1979, la Loi sur linstruction publique sera modifie pour prciser davantage cette place et elle accordera un statut particulier aux coles en les dotant de la possibilit juridique de se donner un projet ducatif particulier. En 1998, dautres amendements y seront apports pour instituer les conseils dtablissement. Ces derniers font de lcole une vritable communaut ducative en lien avec son milieu et donnent aux parents loccasion dexercer un pouvoir rel sur les orientations de lcole. Enfin, compte tenu que les universits dtiennent des pouvoirs relatifs lorganisation de lenseignement et de la recherche, on ny remarque pas ce mouvement de dcentralisation que lon observe pour les autres ordres denseignement parce quelles jouissent dj dune grande autonomie par rapport au ministre de l'ducation. En juin 2000, le ministre de l'ducation faisait paratre la Politique qubcoise lgard des universits et y ritrait le statut autonome octroy aux universits. Cette politique identifie aussi une srie de priorits qui sarticulent autour de lobjectif principal daccrotre la qualit de la formation et de la recherche. Pour favoriser latteinte de cet objectif, le ministre de l'ducation demandera aux universits de signer avec lui des contrats de performance, contrats auxquels est assortie une enveloppe budgtaire additionnelle.

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Il faut organiser les services d'ducation destins aux diffrents groupes d'ge sur un territoire donn et assurer que ces services rpondront la fois aux besoins, aux aspirations et aux valeurs de la population. Il faut aussi mobiliser les ressources humaines, matrielles, organisationnelles ncessaires aux services d'ducation; l'ducation comporte des cots et doit tre finance. Il faut enfin orienter les services d'ducation, les grer et s'assurer de leur qualit, de leur pertinence, de leur efficacit. Qui donc assumera les responsabilits d'organisation, de financement et de gouverne de l'ducation ? Ce peut tre l'tat comme tel ou des groupes privs ou une combinaison de l'un et des autres. Entre 1760 et 1960, la socit qubcoise a expriment des modalits variables d'une rponse mixte. En deuxime lieu, au Qubec, de la fin du XVIIIe sicle aux dbuts de la Confdration, l'tat a entrepris d'assumer la responsabilit des trois grandes fonctions d'organisation, de financement et d'orientation et gouverne de l'ducation. De la loi de 1801 crant l'Institution royale pour l'avancement des sciences aux lgislations scolaires de la priode de l'Union et du dbut de la Confdration (dont les lois sur les commissions scolaires, sur le Conseil de l'instruction publique et la loi crant, en 1868, le ministre de l'Instruction publique), l'tat s'est employ raliser des tches d'organisation, de financement et de gouverne du systme d'ducation. compter de 1875, avec l'abolition du ministre de l'Instruction publique et le renforcement des pouvoirs dvolus aux comits confessionnels du Conseil de l'instruction publique, l'tat opre un retrait par rapport aux modes d'intervention en ducation qu'il avait antrieurement entrepris d'tablir. Jusqu' la priode des annes 1960 et la cration d'un ministre de l'ducation, l'tat qubcois confiera des instances administratives largement autonomes (comit catholique et protestant du Conseil de l'instruction publique, dpartement et surintendant de l'Instruction publique) ou des groupes privs (glise, communauts religieuses, corporations autonomes) des responsabilits trs considrables en matire d'organisation, de financement et de gouverne de l'ducation, ne conservant en fait sous sa juridiction propre et directe que l'ducation technique et professionnelle secondaire et certains secteurs de formation suprieure (coles normales, coles des beaux-arts). Les rformes des annes 1960 marquent le retour de l'tat un rle de matre d'uvre central de l'ducation qubcoise; la cration du ministre de l'ducation en 1964 renoue avec une tradition qui s'labora laborieusement pendant la premire moiti du XIXe sicle et renverse, en quelque sorte, une tendance, une pratique vieille de prs d'un sicle.

Ce survol rapide du rle de l'tat en ducation au Qubec suggre un certain nombre de pistes de rflexion susceptibles de nourrir un questionnement sur le rle futur de l'tat en ce domaine. En premier lieu, toute socit doit trouver des faons de rpondre certaines questions fondamentales concernant l'ducation qu'elle entend dispenser aux nouvelles gnrations. Ces questions sont simples.

En troisime lieu, la socit qubcoise, entre 1875 et 1960, a fait l'exprience de ce que l'on pouvait dcrire, avec un risque mineur d'anachronisme linguistique, comme une privatisation massive de son systme d'ducation. Si les commissions scolaires taient des organismes de droit public, les universits, les collges, les sminaires et nombre d'autres tablissements scolaires taient des entits juridiques de caractre priv. De plus, en confiant des comits confessionnels, notamment un comit catholique compos pour moiti de tous les vques catholiques, des responsabilits considrables quant l'orientation et la gouverne de l'ducation, et en laissant la charge des parents, des communauts religieuses et de groupes privs une trs grosse partie du financement de l'ducation, l'tat et la socit qubcoise ont consenti une trs grande mesure de privatisation de l'ducation. La situation de l'ducation au Qubec la fin des annes 1950 la multiplicit des systmes et des sous