Crise d’Identité Professionnelle Et Professionnalisme

2003 Presses de lUniversit du Qubecdifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Qubec G1V 2M2 Tl. : (418) 657-4399 www.puq.uquebec.ca

Tir de : Crise didentit professionnelle et professionnalisme, Georges A. Legault (dir.), ISBN 2-7605-1215-0

Crise didentitprofessionnelle etprofessionnalisme

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DANS LA MME COLLECTION

Professionnalisme et dlibration thiqueManuel daide la dcision responsableGeorges A. Legault1999, ISBN 2-7605-1033-6Le suicideInterventions et enjeux thiquesPierre Fortin et Bruno Boulianne1998, ISBN 2-7605-0957-5Enjeux de lthique professionnelleTome II Lexprience qubcoiseSous la direction de Georges A. Legault1997, ISBN 2-7605-0959-1Les dfis thiques en ducationSous la direction de Marie-PauleDesaulniers, France Jutras, Pierre Lebuiset Georges A. Legault1997, ISBN 2-7605-0921-4

Enjeux de lthique professionnelleTome I Codes et comits dthiqueSous la direction de Johane Patenaudeet Georges A. Legault1996, ISBN 2-7605-0936-2Guide de dontologieen milieu communautairePierre Fortin1995, ISBN 2-7605-0877-3thique de lenvironnementUne introduction la philosophieenvironnementaleJoseph R. Des JardinsTraduction de Vinh-De Nguyenet Louis Samson1995, ISBN 2-7605-0852-8

La morale Lthique LthicologieUne triple faondaborder les questions dordre moralPierre Fortin1995, ISBN 2-7605-0822-6

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Crise didentitprofessionnelle etprofessionnalisme

Sous la direction deGeorges A. Legault

2003

Presses de lUniversit du QubecLe Delta I, 2875, boul. Laurier, bur. 450Sainte-Foy (Qubec) Canada G1V 2M2

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Donnes de catalogage avant publication (Canada)

Vedette principale au titre :

Crise didentit professionnelle et professionnalisme

(Collection thique)Comprend des rf. bibliogr.

ISBN 2-7605-1215-0

1. Dontologie professionnelle. 2. Identit professionnelle. 3. Socialisation professionnelle.4. Professionnalisme. 5. Associations professionnelles Qubec (Province). 6. Dontologieprofessionnelle tude et enseignement (Suprieur). I. Legault, Georges A., 1944- .II. Collection : Collection thique (Sainte-Foy, Qubec).BJ1725.C74 2003 174 C2002-941960-3

Mise en pages : DYNAGRAM INC.Couverture : CARON & GOSSELIN COMMUNICATION GRAPHIQUE

1 2 3 4 5 6 7 8 9 PUQ 2003 9 8 7 6 5 4 3 2 1Tous droits de reproduction, de traduction et dadaptation rservs 2003 Presses de lUniversit du QubecDpt lgal 2e trimestre 2003Bibliothque nationale du Qubec / Bibliothque nationale du CanadaImprim au Canada

Nous reconnaissons laide financire du gouvernement du Canadapar lentremise du Programme daide au dveloppementde lindustrie de ldition (PADI) pour nos activits ddition.

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Avant-propos



La profondeur dun nonc svalue la lumire de son contexte dnon-ciation, nous apprend une des rgles de la communication. Cest pour-quoi nous voulons prsenter cet ouvrage collectif en situant les locuteursqui sy expriment, les allocutaires viss et le but de lnonciation dans lecontexte actuel des enjeux thiques qui lont provoque.

Depuis plusieurs annes, nous assistons une remonte de lthiquepartout dans le monde. Dj en 1992, Gilles Lipovetsky affirmait : Depuis une dizaine dannes, leffet thique ne cesse de gagner en puis-sance, envahissant les media, nourrissant la rflexion philosophique, juri-dique et dontologique, gnrant des institutions, des aspirations etpratiques collectives indites1. Si la reconnaissance de lthique, commethique applique, sest ralise lentement au Qubec, elle se manifestede plus en plus officiellement, comme en tmoignent ces exemplesrcents de lincorporation de la dimension thique dans le rapport duvrificateur gnral du Qubec, de la cration dune Commission delthique de la science et de la technologie au Qubec ou encore delamorce dun virage thique dans la fonction publique qubcoise. Long-temps associe lthique mdicale sous le nom de biothique, lthique

1. G. LIPOVETSKY. Le crpuscule du devoir. Lthique indolore des nouveaux temps dmocratiques,Paris, Gallimard, NRF essais, p. 11.

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viii Crise didentit professionnelle et professionnalisme



applique se retrouve interpelle dans toutes les dimensions de la vieprofessionnelle, institutionnelle et sociale. Certes, cet engouement pourlthique lui donne lair dtre la mode et, comme toute mode, dtresuperficielle et passagre. Cependant, au-del des apparences, le ques-tionnement thique daujourdhui soulve des enjeux fondamentauxpour la socit dmocratique : les limites de la rgulation juridique pourassurer le vivre-ensemble et la ncessit de la formation dune comp-tence thique.

Les rflexions sur lthique professionnelle et la dontologie sins-crivent ainsi dans ce contexte du re-questionnement des pratiquessociales par lthique. Il est difficile dviter de faire rfrence au rcentscandale de la compagnie Enron et au rle qua jou la firme comptableArthur Anderson. Pourtant, ces deux entreprises avaient leur propre code (ce que lon traduit mieux en franais par code de dontologie et non code dthique ). Ainsi, malgr toutes les rgles, tous les stan-dards de pratique dont se sont dotes ces organisations, comment expli-quer cette fraude monumentale et cette exploitation des autres au seulprofit de certains ? Abus de pouvoir, abus de confiance, fraude..., toutesces expressions dsignent une mme ralit, celle de lexploitation deshumains par dautres humains pour leur seul profit. Comment limiter detels abus ? Dans toute civilisation, cest la morale, au droit ou lthiqueque sera confie la tche dlever des barrages pour canaliser les forcesbrutes de la maximisation de lintrt personnel qui sexercent au dtri-ment dautrui. Le scandale Enron en est un parmi dautres, qui nous rap-pellent constamment les limites de nos modes de rgulation sociale axssur la sanction ou encore sur le sens du devoir. Au plus profond du scan-dale Enron refait surface la question que le scandale du Watergate avaitfait surgir : Est-ce que la vertu senseigne ? Aux limites du droit et de lamorale souvre le questionnement sur la formation de la comptencethique.

Les chercheures et les chercheurs qui composent notre quipe derecherche finance par le Conseil canadien de recherche en scienceshumaines du Canada (1999-2002) sont dabord des professeures etprofesseurs dthique et, plus prcisment, dthique professionnelle.Leur exprience dans la formation initiale et dans la formation continuedans ce domaine est aussi varie que leurs lieux dappartenanceuniversitaire. Georges A. Legault est professeur titulaire lUniversitde Sherbrooke, professeur dthique et de dontologie la matrise enpsychologie, dthique professionnelle au diplme Modes de prven-tion et rglements des diffrends (mdiation) et dthique au diplmedthique applique. Pierre Fortin est professeur en thique rattach lUniversit du Qubec Rimouski et consultant auprs de plusieursorganismes pour ce qui est des enjeux thiques relis aux interventions

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Avant-propos ix



professionnelles et sociales. Pierre-Paul Parent enseigne la psychologieet la psychanalyse au sein du programme de Matrise en thique delUniversit du Qubec Rimouski, dont il assume actuellement ladirection. Marie-Paule Desaulniers, professeure titulaire au Dpar-tement des sciences de lducation de lUQTR, est spcialise en philo-sophie de lducation et en ducation la sexualit. Elle travaille laformation initiale du personnel enseignant du primaire et de ladapta-tion scolaire et sociale. Jean-Marc Larouche est professeur dthique etdirecteur du Dpartement des sciences religieuses de lUniversit duQubec Montral. Son enseignement et ses recherches sinscriventdans une approche transdisciplinaire (sociologie de lthique, philoso-phie morale et politique) et portent sur divers aspects de la situation delthique dans nos socits (transformations socio-historiques, dvelop-pement dune thique publique, thmatiques actuelles : reconnaissance,citoyennet, professions). France Jutras, professeure agrge en fonde-ments de lducation la Facult dducation de lUniversit de Sher-brooke, enseigne lthique de lducation en formation initiale etcontinue des enseignants et au diplme dthique applique la Facultde thologie, dthique et de philosophie. Johane Patenaude est profes-seure adjointe et chercheure boursire (FRSQ) en thique la Facult demdecine de lUniversit de Sherbrooke.

Au groupe initial sest joint, pour la discussion de nos analyses etpour la rdaction du dernier chapitre, Marc Jean, Ph. D., professeur etchercheur en thique professionnelle lUniversit du Qubec Chicou-timi. Cest de ce lieu et avec des groupes professionnels engags au Qu-bec quil travaille au dveloppement mthodologique de linterventiondans ce champ disciplinaire.

Cette proccupation pour la formation lthique a toujours marqules nombreuses collaborations interuniversitaires de plusieurs dentre nousdepuis vingt ans. En effet, plusieurs programmes sont ns dans les univer-sits ces dernires annes : dabord la matrise en thique lUniversitdu Qubec Rimouski et, plus tard, le certificat dthique applique lUniversit de Sherbrooke, qui a ouvert la voie la cration du diplmedthique applique. Le dveloppement de ces programmes dthique estdirectement li ce questionnement pdagogique du dveloppementdune comptence thique ncessaire pour palier les limites de la formationmorale traditionnelle. Au cours des annes, le thme de lthique profes-sionnelle sest impos, puisque nous tions constamment interpells par laformation dans divers milieux professionnels. Grce une subvention duConseil canadien de recherche en sciences humaines du Canada, le bilan delexprience qubcoise en thique professionnelle (1993-1996) a permisdanalyser le phnomne la lumire des transformations de la rgulation

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sociale2. Le regroupement de ces chercheures et chercheurs dans le Rseauinteruniversitaire dthique et de pratiques sociales a t laboutissementde ces collaborations. La prsente recherche sinscrit dans cet hritage mar-qu par le souci de traiter lthique comme discipline interdisciplinaire etla question de la formation de la comptence thique dans les diffrentespratiques sociales.

Dans les cours de philosophie au collge classique, on prsentaitltonnement comme la premire source de tout questionnement philo-sophique. Sans ltonnement, pas de question, puisque la pense senlisedans lvidence de limmdiatet. Cest au dtour de la formation lthique assure dans les maisons des naissances du Qubec par deuxdentre nous, Marie-Paule Desaulniers et Georges A. Legault, quontsoudain merg deux enjeux qui ont par la suite consolid notre probl-matique de recherche. Dans notre dmarche pdagogique, nous deman-dions aux participantes comment elles dfinissaient une profession et cequelles entendaient par professionnalisme. Contrairement toutes nosattentes, les sages-femmes nont pas dfini leur profession en fonction deleur pratique immmoriale, mais en fonction de la reconnaissance parlOffice des professions. De ltonnement est n le pourquoi. Lcart entreune conception sociologique des professions et une conception lgaledes professions tait manifeste. Plus que cela, lentre des sages-femmesdans le systme professionnel, accompagne de normes, de rglementset de la surveillance centralisatrice de lOffice des professions, taitvcue par plusieurs sages-femmes comme une perte didentit. Leuridentit personnelle, leurs valeurs personnelles comme elles les ontvcues dans le mouvement de la pratique de sage-femme au Qubec(identit de la pratique) taient pour certaines en contradiction aveclidentit professionnelle vhicule par le systme professionnel. La crisedidentit est ds lors devenue lenjeu autour duquel nous avons orientnotre formation. Cette exprience nous a explicitement mis en prsencede deux enjeux fondamentaux : la perte de rfrence du sens des profes-sions et la crise didentit provoque par lengagement personnel, letravail et les institutions.

2. Cette subvention a permis la publication des trois ouvrages suivants : G.A. LEGAULT (dir.). Enjeux de lthique professionnelle, Tome 2 : Lexprience qubcoise,

Sainte-Foy, Presses de lUniversit du Qubec, Collection thique, 1997.M.-P. DESAULNIERS, F. JUTRAS, P. LEBUIS, G.A. LEGAULT (dir.). Les dfis thiques en duca-

tion, Sainte-Foy, Presses de lUniversit du Qubec, Collection thique, 1997. J. PATENAUDE et G.A. LEGAULT (dir.) (1996). Enjeux de lthique professionnelle, Tome 1 :

Codes et comits dthique, Sainte-Foy, Presses de lUniversit du Qubec, Collectionthique, 1996.

Une autre partie des rsultats a t publie dans G. GIROUX (dir.). La pratique sociale delthique, Montral, Bellarmin, Recherches 34.

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Avant-propos xi



Nos travaux de recherche antrieurs avaient dj montr que lesdispositifs thiques comme les comits dthique et les codes dthiquetaient traverss par une tension entre deux approches : lapproche lgale,qui considre ces dispositifs thiques comme une partie du droit adminis-tratif analogue au code de dontologie, et lapproche thique, qui consi-dre ces dispositifs comme une solution de rechange aux dispositifslgaux afin dassurer un meilleur vivre-ensemble. Cette tension tait aussimanifeste dans les institutions, dans la mesure o il fallait soit crer unespace pour lthique dans les institutions, soit considrer lthiquecomme une sous-catgorie des normes de gestion. Elle tait aussi pr-sente dans les diverses formations en thique de diffrentes universitsqubcoises, canadiennes et amricaines.

Lhypothse de lexistence dune crise didentit professionnelle etde son effet sur le professionnalisme a t formule la suite du rappro-chement que nous avons fait entre nos expriences de formation enthique et les rsultats de nos recherches antrieures. Notre recherche sur lacrise didentit exige au dpart quun modle de lidentit professionnellesoit construit de manire pouvoir dmontrer comment se pose cettecrise didentit dans les professions. Pour construire ce modle, nousavons eu recours la sociologie en raison, dune part, de limportance dela thmatique de lidentit depuis une dcennie dans les travaux sociolo-giques et, dautre part, des dbats entre les diverses interprtations socio-logiques des professions. Dans le premier chapitre, intitul Lidentitprofessionnelle : construction identitaire et crise didentit, nous exposons lesdiffrentes approches sociologiques du thme de lidentit et des profes-sions afin de dgager un modle didentit qui nous permettra de mon-trer comment se pose la crise didentit dans les professions. Le deuximechapitre, La crise didentit professionnelle : le point de vue des ordres profes-sionnels, cerne la crise didentit professionnelle telle quelle apparatdans le systme professionnel qubcois. Des entrevues avec des per-sonnes significatives dans les ordres professionnels du Qubec nous ontpermis de circonscrire les diffrentes facettes de la crise didentitprofessionnelle et limpact du modle lgaliste qui sest impos avec letemps lOffice des professions.

Les cinq chapitres suivants correspondent chacun une tude plusapprofondie de la crise didentit professionnelle dans cinq professions.Compte tenu du rle de pionnier qua toujours jou la mdecine, une desplus anciennes professions, en matire dthique professionnelle et tantdonn limportance du questionnement en thique mdicale et en bio-thique, il tait important danalyser en quels termes se pose la crisedidentit dans cette profession. Le chapitre trois, intitul Processus identi-taire et syndrome du conflit de rles : le cas de la profession mdicale, montrelenjeu spcifique dune profession qui doit se redfinir lintrieur dune

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longue tradition. Dans le systme qubcois, il est important de tenircompte des professions exercice exclusif, comme la profession mdicale,mais aussi des professions titre rserv, comme le travail social et lapsychologie. Le chapitre quatre, Lidentit professionnelle des travailleurssociaux, et le chapitre cinq, Quelques sujets de dbat au sein de lOrdre des psy-chologues du Qubec : enjeux thiques soulevs par lidentit professionnelle despsychologues, portent respectivement sur ces deux professions, lune caractre social et lautre caractre personnel. Les analyses sectoriellesde ces trois professions qui font partie du systme professionnel depuis sacration servent de matrice pour comprendre comment la crise didentitprofessionnelle touche diffremment les professions selon la portesociale de leurs interventions et la nature spcifique de la relation daide.

Afin de mieux cerner les diffrentes facettes de la crise didentitprofessionnelle, nous avons voulu comparer la crise didentit dun ordreprofessionnel rcent avec la crise vcue dans des ordres dj reconnus. Lechapitre six, La naissance de la profession de sage-femme et la crise didentit,met donc en lumire le passage difficile vcu par les sages-femmes. Lechapitre sept, Quest-ce qutre enseignante ou enseignant au primaire et ausecondaire aujourdhui ?, pose la question de lidentit dans un groupe quiest prsentement en voie de reconnaissance professionnelle. Sur quoirepose ce tournant professionnel ? Quel discours public justifie cettetransformation ?

Les sept premiers chapitres dcrivent ainsi la crise didentit profes-sionnelle et en montrent certains effets sur le professionnalisme, lesvaleurs professionnelles et la vise thique des professions. Dans lamesure o elles suivent les rgles de la recherche universitaire, ces analysespourraient tre considres comme des tudes scientifiques du milieuprofessionnel sans autre vise que de dcrire les phnomnes. En ce sens,elles sadresseraient un public intress aux transformations sociales.Notre vise fondamentale dpasse pourtant lanalyse descriptive, car ilsagit pour nous de poser un diagnostic sur la crise didentit profession-nelle et ses consquences sur le professionnalisme. Mais quoi sert undiagnostic si, dans lintervention, on ne propose aucune dimension thra-peutique ? Notre ouvrage collectif devient intervention dans la mesure ole chapitre huit, Le professionnalisme : vers un renouvellement de lidentit pro-fessionnelle, propose certaines pistes de solution pour faire de la crisedidentit une occasion de changement. Dans ce chapitre que noussignons collectivement mme si la plume dun seul en a rdig le textefinal la suite des prsentations respectives des membres du groupe auCongrs de lACFAS tenu en mai 2002 , nous reconnaissons limportancede lthique pour toute occupation rendant service autrui. Cependant,nous considrons comme importante la reconstruction de lidentit pro-fessionnelle sur une base sociologique qui dfinit lintervention non pas

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Avant-propos xiii



en termes dexpert, mais comme une relation de coopration visant rpondre aux problmes dautrui. Dans cette relation, le jugement profes-sionnel, et sa spcificit, doit tre revaloris. Sans cette reconstruction delidentit professionnelle, il sera difficile de favoriser une rflexion sur lapratique professionnelle et une ducation lthique dans la formation debase et la formation continue qui permette au sujet dassumer pleinementla dimension intersujets de la pratique professionnelle dans une socit.

Puisquil est question dthique professionnelle, doit-on considrerque cet ouvrage ne vise que les membres des professions reconnus parlOffice des professions ? la suite de la prsentation de notre problma-tique, la rponse est videmment non. La crise didentit professionnelleest le reflet dune crise de sens plus profonde qui influence nos institu-tions et notre socit. Notre analyse critique sadresse toutes les per-sonnes qui, dans leur pratique professionnelle et dans la vie institutionnelle,se sont pos, au moins un instant, la question du pourquoi , la questionpar excellence de la finalit et du sens de leur pratique. Comprendre lacrise de sens qui nous entoure, cest considrer lenjeu fondamental duvivre-ensemble. Quest-ce qui nous relie ? Quest-ce qui pourrait nousinciter reconnatre lautre, le respecter comme autre sans en faire un objet pour nos projets individuels ? Poser la question du sens, cestposer la question de lthique comme mode spcifique de rgulationsociale faisant place lautonomie du sujet. Poser la question du sens,cest poser, sur le plan personnel, la question de sa propre identit, de sonauthenticit et de ses engagements.

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Table des matires



Avant-propos............................................................................................... vii

Chapitre 1 : Lidentit professionnelle : construction identitaire et crise didentitJean-Marc Larouche et Georges A. Legault ............................. 1

1. La crise gnralise des identits : paramtres macrosociologiques 3

2. Diffrenciation fonctionnelle et systmique (Parsons et Luhmann) 3

3. La crise de ltat social (Habermas, Beauchemin, Freitag) ............ 6

4. Habermas et la crise de ltat social .................................................. 7

5. Beauchemin et les transformations thico-politiques ..................... 9

6. Freitag et la crise de la normativit.................................................... 11

7. Dubar et la crise des identits............................................................. 15

8. La construction de lidentit et les crises didentit ........................ 18

Conclusion ................................................................................................... 24

Chapitre 2 : La crise didentit professionnelle :le point de vue des ordres professionnelsGeorges A. Legault................................................................... 27

1. La profession comme pratique professionnelle ............................... 33 1.1. Le modle des actes professionnels ......................................... 34

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xvi Crise didentit professionnelle et professionnalisme



1.2. Le modle de lintervention de lexpert.................................. 36 1.3. Le modle intersubjectif dintervention.................................. 39

2. La profession comme partie dun systme de rgulation sociale.... 41 2.1. La protection du public ............................................................. 43 2.2. La formation la dontologie .................................................. 47

2.2.1. La pluralit des points de vue sur lthique ............. 47 2.2.2. La transmission universitaire des valeurs

professionnelles............................................................. 49 2.2.3. La vie professionnelle................................................... 51

Conclusion ................................................................................................... 53

Chapitre 3 : Processus identitaire et syndrome du conflit de rles : le cas de la profession mdicaleJohane Patenaude et Marianne Xhignesse .............................. 55

1. La transformation contextuelle de la pratique mdicaleet ses effets sur lidentit professionnelle ......................................... 59 1.1. La transformation du contexte organisationnel .................... 59 1.2. La transformation de la relation clinique

lre biotechnologique ............................................................ 62 1.2.1. La technologisation de la relation professionnelle... 63 1.2.2. La transformation de la notion de

professionnalisme : de lobligation du mdecin aux droits de lusager ................................................... 68

2. Traverser la crise : la transformation des rles professionnels ...... 71 2.1. La transformation des rles professionnels :

le danger des conflits de rles professionnels ....................... 74 2.2. Double rle, double identit ? Le cas du mdecin chercheur 77

Conclusion ................................................................................................... 82

Chapitre 4 : Lidentit professionnelle des travailleurs sociauxPierre Fortin ............................................................................ 85

1. Un questionnement sur la dfinition du travailleur social et sur lvolution, la spcificit et les finalits de la discipline...... 891.1. Quest-ce quun travailleur social ? ......................................... 90 1.2. Une profession lhistoire mouvemente .............................. 91 1.3. Le modle dintervention.......................................................... 92 1.4. Une discipline aux contours indfinis .................................... 93

2. Les valeurs personnelles, professionnelles, organisationnelles et sociales en tension dans la pratique du travail social................. 95 2.1. Des valeurs en tension et en conflit ......................................... 96 2.2. Une thique mise mal............................................................. 98

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Table des matires xvii



3. Les tensions et les conflits dans les normes et les rglesqui rgissent la pratique professionnelle .......................................... 100

4. Les tensions vcues dans la pratique ................................................ 102

Conclusion ................................................................................................... 104

Chapitre 5 : Quelques sujets de dbat au sein de lOrdre des psychologues du Qubec : enjeux thiques soulevs par lidentit professionnelle des psychologuesPierre-Paul Parent ................................................................... 105

1. La nature scientifique de la psychologie ..................................... 106 1.1. La psychologie, une science ? ................................................... 107 1.2. Le doctorat : ncessit et nature................................................ 109

2. Lhabilitation la pratique de la psychothrapie ............................ 111 2.1. Distinguer psychothrapie et relation daide :

une dfinition de la psychothrapie ........................................ 112 2.2. Une solide formation de base en sant mentale .................... 113 2.3. La formation du psychologue et la thrapie personnelle..... 114

3. Lidentit professionnelle des psychologues.................................... 116 3.1. Une identit professionnelle dfinie par un acte ?................. 116 3.2. Le psychologue : un scientifique ?............................................ 118 3.3. Une identit dfinie par la fonction sociale ? ........................... 120

4. La mission de lOrdre et la vie associative ....................................... 122 4.1. La mission de lOrdre des psychologues du Qubec............ 122 4.2. Un double mandat qui semble avoir pos problme............ 123 4.3. Un code de dontologie troitement li au mandat

de lOrdre..................................................................................... 125 4.4. La vie associative comme lieu didentification

des psychologues ? ..................................................................... 127

Conclusion ................................................................................................... 128

Chapitre 6 : La naissance de la profession de sage-femme et la crise didentitMarie-Paule Desaulniers ......................................................... 131

1. La relation au savoir ............................................................................ 134 1.1. Le statut du savoir pratique...................................................... 134 1.2. Le rapport au savoir scientifique et la technique ............... 135 1.3. La naissance comme objet de savoir........................................ 137

2. Lautonomie et la relation au pouvoir dintervenir......................... 138 2.1. Le contre-modle du pouvoir mdical.................................... 138

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xviii Crise didentit professionnelle et professionnalisme



2.2. Lengagement des sages-femmes en faveur de lautonomie des femmes...................................................... 139

2.3. Lautonomie professionnelle des sages-femmes ................... 141

3. La relation professionnelle.................................................................. 143 3.1. Le choix dune approche particulire de la naissance .......... 143 3.2. La place des valeurs dans lintervention professionnelle .... 145 3.3. Le changement social comme perspective dintervention... 147

4. Les enjeux de la formation professionnelle...................................... 148 4.1. La transmission dune pratique ............................................... 148 4.2. La transmission de valeurs professionnelles ......................... 149 4.3. La transmission dun hritage pratique et lacquisition

dun savoir thorique ................................................................ 150

5. Lorganisation de la pratique de sage-femme dans un ordre professionnel............................................................... 152 5.1. La fonction de contrle de lordre professionnel................... 152 5.2. Le besoin de consolidation identitaire dans lOrdre............. 153 5.3. La diversit des lieux didentification et daffiliation........... 153

Chapitre 7 : Quest-ce qutre enseignante ou enseignant au primaire et au secondaire aujourdhui ?France Jutras, Marie-Paule Desaulniers et Georges A. Legault .............................................................. 155

1. La rforme de lducation des annes 2000...................................... 157 1.1. Le mouvement de valorisation de lenseignement ............... 158 1.2. Les politiques ducatives .......................................................... 159 1.3. Les conceptions de lenseignement issues de la rforme

de lducation ............................................................................. 161 1.4. La notion de comptence et le savoir pratique

des enseignants........................................................................... 163 1.5. Le nouveau curriculum du primaire et du secondaire......... 164 1.6. Lintervention pdagogique ..................................................... 165

2. Les rgulations de lagir professionnel dans lenseignement........ 168 2.1. La cration dun ordre professionnel des enseignants ......... 168 2.2. Lencadrement lgal actuel de lenseignement ...................... 171 2.3. Le professionnalisme collectif .................................................. 172

3. Lexercice du jugement professionnel en enseignement ................ 173 3.1. La dimension symbolique du jugement professionnel

de lenseignant............................................................................ 173 3.2. La dimension instrumentale du jugement professionnel

de lenseignant............................................................................ 175

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Table des matires xix



4. La formation de professionnels de lenseignement......................... 176 4.1. Les conditions de formation lenseignement ...................... 177 4.2. Les comptences professionnelles de lenseignant ............... 178

Conclusion ................................................................................................... 180

Chapitre 8 : Le professionnalisme : vers un renouvellement de lidentit professionnelleMarie-Paule Desaulniers, Pierre Fortin, Marc Jean, France Jutras, Jean-Marc Larouche, Georges A. Legault, Pierre-Paul Parent, Johane Patenaude, Marianne Xhignesse ................................................................ 183

1. Le professionnalisme sans profession ............................................... 187

2. Reconstruire lidentit professionnelle.............................................. 195

3. Le je comme sujet de l acte professionnel ......................... 205

4. Le praticien rflexif .............................................................................. 211

5. duquer lidentit professionnelle et au professionnalisme....... 218

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CHAPITRE

1



Lidentit professionnelleConstruction identitaire

et crise didentit Jean-Marc Larouche

et Georges A. Legault*

Parler didentit, cest parler de ce qui unit, de ce qui fait un dans le multiple . Rpondre la question Qui suis-je ? , cest trouver ce qui,malgr la diversit de nos sentiments et de nos expriences dans le temps,demeure une rfrence relativement stable laquelle on se rfre pour sedfinir.

La transformation historique de lidentit rvle deux de ses carac-tristiques : sa construction temporelle dans un contexte donn et sa red-finition la suite dune crise didentit. Comment sopre la constructionde lidentit professionnelle ? Est-il possible de prciser certains facteursintervenant dans sa consolidation ? De plus, comment expliquer la trans-formation de lidentit ? Est-ce que la notion de crise peut favoriser lacomprhension du processus de transformation ?

Pour comprendre la construction de lidentit professionnelle, nousdevons adopter un point de vue sociologique qui nous permet de com-prendre, dune part, les dimensions conomiques favorisant lmergencedes professions comme pratiques rmunres dans une socit et, dautre

* Jean-Marc Larouche est professeur dthique et directeur du Dpartement des sciencesreligieuses de lUniversit du Qubec Montral. [email protected] A. Legault est professeur titulaire la Facult des lettres et sciences humaines delUniversit de Sherbrooke. [email protected]

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2 Crise didentit professionnelle et professionnalisme



part, les dimensions symboliques et sociales de la rgulation des pra-tiques. La comprhension des professions et de la construction iden-titaire nous conduit sur le terrain sociologique, mais nous contraintdabord explorer le dbat des interprtations sociologiques des pro-fessions. En effet, lors dune prcdente tude sur la profession ensei-gnante , nous avons pu constater quun dbat sur linterprtationsociologique doit ncessairement prcder lanalyse de la construction delidentit professionnelle, car le modle fonctionnaliste de Parsons estvivement critiqu par Anadn, qui favorise un modle interactionniste etune approche plus psychologique de la professionnalisation1.

Pour nous, lhypothse de lexistence dune crise de lidentit pro-fessionnelle au sein de notre socit et les tudes menes pour en saisir lesconsquences sur le professionnalisme et lthique professionnelle, tantsur le plan symbolique (significations/reprsentations) que dans la pra-tique (dispositifs/conduites), sinscrivent et prennent sens dans une pro-blmatique plus large, soit celle dune crise gnralise des identits dansla socit moderne occidentale. Dans cette perspective, la comprhensionde la crise des identits dans la socit nous apparat pralable et indis-pensable la comprhension de la crise didentit des professions ; cechapitre vise donc tablir un cadre pralable aux analyses sectorielles.

Dans un premier temps, nous prsentons quelques approches socio-logiques permettant de formuler dentre de jeu une hypothse den-semble sur cette crise gnralise des identits. Celle-ci maneraitobjectivement dune diffrenciation fonctionnelle et systmique continueprovoquant une crise de la normativit, comprise comme lincapacit dusystme culturel intgrer lindividu et unifier la socit sous un cadrenormatif commun ; elle manerait subjectivement dune dcompositiondes formes modernes du social qui mnerait une crise de lidentit et une recomposition de celle-ci sous de nouveaux modes. En procdantainsi, nous pouvons prciser pourquoi nous privilgions dans nos tudeslapproche sociologique de Claude Dubar, qui cherche rendre comptede la construction de ces nouvelles identits professionnelles. Dans undeuxime temps, nous laborons un modle de la construction de liden-tit et de la crise didentit, modle qui sert de toile de fond nos diversesanalyses sectorielles de la crise didentit professionnelle et nous permetde proposer une perspective renouvele sur le professionnalisme.

1. G.A. LEGAULT, J.-M. LAROUCHE et F. JUTRAS. Crise didentit professionnelle et profes-sionnalisme : la construction de lidentit , dans Christiane GOHIER et Christian ALIN(dir.). Enseignant-formateur : la construction de lidentit professionnelle, Recherche et Forma-tion, Paris, LHarmattan, Srie Rfrences, 2000, p. 51-66.

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Lidentit professionnelle 3



1. La crise gnralise des identits : paramtres macrosociologiques

La crise didentit professionnelle sclaire dans la mesure o nous pou-vons la situer lintrieur de paramtres macrosociologiques. Des appro-ches que nous prsentons nous pourrons dfinir et situer les enjeux denotre modle de crise didentit.

2. Diffrenciation fonctionnelle et systmique(Parsons et Luhmann)

Linterprtation sociologique que Talcott Parsons a faite de lmergencedes professions et les critres quil a formuls pour cerner leur degr deconstitution, incluant le dveloppement dune identit commune et devaleurs partages, ont t et sont encore trs critiqus, notamment en cequi a trait au professionnalisme. Cette perspective, centre sur lesvaleurs et les comportements individuels, a t largement dlaisse lafin des annes 1970 et les chercheurs privilgient dsormais une approcheplus dynamique, oriente vers ltude des tapes franchir par lesoccupations qui souhaitent devenir une profession un moment socio-historique donn 2. Ce changement de perspective se comprend lalumire des divergences thoriques entre Parsons et Luhmann.

Pour Talcott Parsons, lvolution de la socit contemporaine estcaractrise par un principe de diffrenciation et de spcialisation fonc-tionnelle des diffrentes sphres de la socit. Dans la thorie fonctionna-liste, chaque sous-systme tend sautonomiser par rapport auxautres et se spcialiser selon une fonction prcise. Le systme socialde Parsons rside dans la relation cyberntique entretenue par quatresous-systmes : culturel, conomique, politique et social. Chaque sous-systme a une fonction spcifique assure par des institutions qui lui sontpropres et dont les interactions sont rgules par de vritables langagesfonctionnels spcialiss 3 . Ce processus de diffrenciation du systmesocial en quatre domaines autonomes, mais interdpendants, acclre lacomplexification de la socit. Inversement, la complexification est sontour rduite par un accroissement de la diffrenciation interne des sous-systmes : La modernisation passe par une dissociation croissantedactivits au terme de laquelle chaque lment remplit une fonction

2. M. ANADN. Lenseignement en voie de professionnalisation , dans Gohier et al.Lenseignant un professionnel, Sainte-Foy, Presses de lUniversit du Qubec, 1999, p. 6.

3. D. MARTUCCELLI. Sociologies de la modernit, Paris, Gallimard, 1999, p. 82

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spcialise au sein dun nouveau systme plus complexe et hirarchisdune nouvelle manire4. Cest ainsi que la socit moderne vit un pro-cessus continuel de diffrenciation interne. Cependant, pour assurer uneconstante coordination entre ses lments diffrencis, la socit a besoindune rorganisation permanente de ses mcanismes dintgration. Et,pour Parsons, cest lintervention du sous-systme culturel qui assure lacoordination des acteurs sociaux tout en formant le noyau de leurs moti-vations subjectives et en leur fournissant une identification sociale.

Toutefois, dans une socit fortement diffrencie fonctionnellemento lintgration de la socit repose sur ladhsion des acteurs desvaleurs communes5 , le sous-systme culturel est de moins en moins enmesure dassurer lintgration des acteurs la socit, la cohsion socialeet la coordination entre les systmes. Cest ce qui entrane lapparitiondun nombre croissant de dysfonctions , cest--dire de contradictionsissues dune inadquation entre la rgulation des sous-systmes et lesvolonts daction des acteurs sociaux. Selon Parsons, qui rejoint en celaHabermas, un des problmes centraux de la socit moderne est celui dela motivation, cest--dire la rponse de lacteur aux exigences diversesdes rles quil doit accomplir6 . La socit nentre cependant pas en crisecomme telle, sauf sous une multitude de dysfonctionnements, qui sontrcuprs, transforms en nouvelles fonctions , puis rintgrs dansle mouvement cyberntique et extensif de diffrenciation fonctionnellechapeaut par le systme culturel. Pour Claude Dubar, ce modle hyper-socialisateur de Parsons ne peut viter de produire une sortedaxiomatique formelle rduisant les actions individuelles des schmasanalytiques prconstruits7 . Do, selon Dubar, la limite de la thorieparsonnienne de la socialisation : elle stigmatise comme dviant unindividu qui nincorporerait pas les valeurs sociales.

Tout comme Parsons, Niklas Luhmann considre que la socit con-temporaine est caractrise par une diffrenciation fonctionnelle interne,mais il nnumre toutefois pas un nombre prcis de sous-systmes quiseraient en interaction et inscrits dans une totalit socitale. Il dpeint lasocit plutt sous la perspective dun ensemble de systmes en inter-action avec leur environnement ouvert, dont aucun ne domine ni nedtermine les autres : Chaque systme est autolgitim par sa capacitde produire des actions, des vnements qui rendent possible sa repro-

4. Ibid., p. 103. 5. Ibid., p. 73. 6. Ibid., p. 76. 7. C. DUBAR. La socialisation : construction des identits sociales et professionnelles, Paris,

Armand Colin, 1998, p. 55.

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duction 8. Compris comme processus de communication autour defonctions spciales9 , un systme utilise le code langagier qui lui est sp-cifique et rpond la ncessit de rduction de la contingence manantdes interactions entre le systme et son environnement. Il peut donc sagirdune association, dune corporation, dun individu seul ou dune institu-tion de mme que dun concept abstrait comme le langage. Chaque sys-tme est autorfrentiel et autopotique : autorfrentiel parce quunsystme oriente laction vers sa propre reproduction et non vers la repro-duction de lunit gnrale de la socit ; autopotique puisque la repro-duction du systme rsulte de la production interne dlments qui lemodifient, rduisent la contingence et, par le fait mme, assurent sareproduction. La socit nexiste donc que dans sa constante mergence etelle se maintient en quilibre si tous les sous-systmes russissent sereproduire dans leur propre autonomie : Le rsultat est lexistence dungrand nombre de systmes autopotiques dans le systme lui-mmeautopotique de la socit 10. Cette volution traduit ainsi le passagedune socit ayant un ordre hirarchiquement stratifi une socitayant un ordre excentr, cest--dire o il ny a plus aucun sommet dauto-rit qui simpose comme cadre normatif de lensemble de la socit entant quensemble de systmes. Aucun systme ne prvaut sur les autres,contrairement au cas du sous-systme culturel de la thorie parson-nienne. Le pouvoir, ou lautorit, est rparti entre les systmes.

Cela fait dire Luhmann que la socit contemporaine est fortementdmocratise : dabord, elle nest plus rgie par un systme en particulier,mais par des rgles de communication et dchange ; ensuite, chaquesystme nest plus vou la reproduction de lunit de la socit, ce quilui confre un degr dautonomie plus grand et lui permet de se gouver-ner par ses propres lois . Avec ces codes de communication , chaquesystme possde ainsi ses propres rgles, do limportance de com-prendre que le pouvoir contemporain ne sexerce plus comme une formede coercition [...] mais plutt comme la prise de dcisions par desprocessus langagiers tournant autour dun ensemble dattentes et derevendications 11 . Ce type dorganisation communicationnelle et syst-mique de la socit suscite une rpartition de lautorit institutionnelle,qui modifie lordre hirarchique mis en place lors du dveloppement de

8. S. SCHECTER. Luhmann et le politique : au del de lincroyable , Socit, n o 14,hiver 1995, p. 36.

9. D. MARTUCCELLI. Op. cit., p. 171. 10. Id. ibid.11. S. SCHECTER. Op. cit., p. 36.

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la modernit. Comme les systmes ne fonctionnent plus sur une base nor-mative commune, la diffrenciation interne de la socit saccentue.

Cependant, lanalyse luhmannienne ne se concentre pas spcifique-ment sur le sens de laction individuelle, sur la subjectivit de laction.Lindividu est reprsent sous la forme dun systme psychique dont lintgration se fait par labondance des possibilits que produit ce typede socit et par les slections quelle opre et non par une culture nor-mative commune 12 . Sous cet angle, le sujet ne revt pas limportanceque nous pouvons lui accorder dans une thorie actionnaliste la Tou-raine. Lindividu nest pas laction, il est un flux de communication quiproduit des lments de reproduction lorsquil est en interaction avec unautre individu, un autre systme psychique. Ce quil est important decomprendre, cest que son identit ne lui est pas impose a priori par unsystme en particulier, puisque aucun systme ne subordonne les autres.Lindividu na pas une identit, mais plusieurs identits variant selon lecadre de linteraction. En tant que systme, lidentit est en perptuelleconstruction, dpendante du cadre de linteraction et de ses communica-tions avec les autres pour assurer sa reproduction. Lindividu apparatalors en constante recherche de reconnaissance intersubjective par sesrelations, puisque que cest ainsi quil entretient la stabilit de sa person-nalit et lquilibre de son systme psychique.

3. La crise de ltat social (Habermas, Beauchemin, Freitag)

Cest avec lavnement de ltat social et, surtout, de ltat-providenceque les professions sont devenues une composante essentielle des ser-vices que ltat assure sa population. Non seulement ltat devient-ildemandeur de professionnels pour assurer ses nouvelles fonctions degouvernance de la chose publique, mais il devient aussi le responsable dela bonne gouvernance, comme le montre lexpansion du droit administra-tif dans lequel nous retrouvons plus particulirement le Code des profes-sions et le systme professionnel qubcois. Dans ce contexte, la crise deltat social doit aussi tre considre comme un enjeu fondamental de lacrise didentit professionnelle.

Nous proposons ici trois approches de la crise des identits. Lune,celle dHabermas, est incontournable cause de la profondeur de sonanalyse. Nous y joignons deux autres lectures enracines en sol qub-cois, celles de Beauchemin et de Freitag ; elles permettent de voir com-

12. Id. ibid.

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ment peuvent sinterprter les enjeux darrire-plan de la crise didentitprofessionnelle qui se vit au Qubec.

4. Habermas et la crise de ltat social

Au milieu des annes 1970, le philosophe et sociologue allemand JrgenHabermas propose de voir la crise de la socit moderne comme une crisede lgitimation de ltat social. Rcusant les analyses marxistes ortho-doxes et nomarxistes ainsi quune approche analytique qui sappuie surles dysfonctions systmiques vacuant toute dimension subjective,Habermas postule que toute conception sociologique dune crise doittenir compte de deux aspects essentiels : laspect objectif la crise desystme et laspect subjectif de la crise didentit13 . En runissant ainsideux grands paradigmes, celui de crise du systme et celui de crise dumonde, Habermas [...] cherche [...] montrer comment les tendancesconomiques la crise se propageraient, dans ltat social, en sedployant de lconomie la politique puis la culture et aux structuresde la personnalit, de sorte que ce qui se manifeste comme crise du sys-tme serait insparablement aussi une crise didentit 14 . Il distingueainsi quatre tendances dans la crise de ltat social : une crise cono-mique, une crise de rationalit, une crise de lgitimation et une crisedes motivations dans laquelle sinscrit plus particulirement la crisedes identits.

Dans les socits capitalistes avances, ltat social entre dans unecrise conomique lorsque la rgulation administrative des ressourcesbudgtaires, fiscales et montaires cde la place une autorgulation parle march, ce qui provoque une crise de la rationalit administrative.Manquant de ressources financires, ltat devient incapable de rpon-dre la fois au besoin de planification de lconomie et celui de mainte-nir les mcanismes privs de laccumulation du capital15 , ce qui le rendinapte assurer une rpartition galitaire des prestations rpondant auxdemandes de justice sociale. Ce refoulement du caractre ingalitaire dela rpartition 16 expliquerait alors la transformation de la dimensionthique du rle politique de ltat, ce dernier renvoyant dans lespacepriv la rsolution des problmes thiques universaux soulevs par la

13. J.-M. FERRY et J. LACROIX. La pense politique contemporaine, Bruxelles, Bruylant, 2000,p. 221.

14. Ibid., p. 227. 15. D. MARTUCCELLI. Sociologies de la modernit, Paris, Gallimard, 1999, p. 342. 16. J.-M. FERRY et J. LACROIX. Op. cit., p. 229.

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monte en puissance du march. Do le dveloppement dune crise delgitimation, comprise ici comme la perte dun espace public au sein dunespace politique ouvert, dun lieu public dargumentation et de discus-sion portant sur la validit des dcisions politiques et des normes dergulation sociale. Afin de combler ce dficit de lgitimit et de motiverlagir individuel ncessaire la reproduction de lunit dans la socit,ltat pige alors dans des rserves de traditions culturelles . Mais, enoprant cette manipulation des symboles culturels, ltat tend dplacerla crise politique dans le champ culturel. Cest ainsi quapparat la crisede motivation. Linstrumentalisation des signifiants culturels, surtout parleur utilisation dans une vise idologique, provoque ainsi une relativisa-tion des identits personnelles. Enfin, cette destruction de sens ralisepar les techniques de lgitimation cre les conditions dune situationanomique et, partant, dune crise didentit chez les individus 17 .

Ainsi, pour Habermas, les quatre tendances vers une crise socialegnralise senchanent les unes aux autres selon le double point de vueobjectif et subjectif. Objectivement, la crise de ltat social provient, pre-mirement, dun affaiblissement du pouvoir de rgulation conomique etsociale typique du welfare-state et, deuximement, de la perte de lespacepublic de discussion ncessaire lorganisation et lexercice de lacitoyennet politique. Subjectivement, ltat social entre en crise parceque sa lgitimit est remise en question par des citoyens qui, simultan-ment, vivent une crise de leur identit sociale et personnelle. Plus prcis-ment, la crise de ltat social touche les trois composantes du mondevcu : la culture, la socit, la personnalit.

Sur le plan culturel, la crise se traduit par une crise des valeurs pro-voque par lincapacit du systme culturel assurer la reproduction dela socit par la production de valeurs sociales normatives communes. Lacrise est alors interprte comme une crise de la morale18. Ainsi que lemontre Habermas, la perte de la dimension normative des valeurssociales se rpercute sur le plan social par une transformation du cadrenormatif assurant lintgration et la rgulation de lindividu. Ce cadreprend dsormais le moule de la rgulation juridico-administrative danslequel mergent et se dveloppent les diverses thiques sectorielles.Celles-ci se multiplient sans quune cohrence et une vise communesoient assures. dfaut de bien commun, chacun protge son bien propre,

17. Ibid., p. 234. 18. J.-M. LAROUCHE. Religion, thique et socit , dans Jean-Marc LAROUCHE et Guy

MNARD (dir.). Ltude de la religion au Qubec. Bilan et prospective, Sainte-Foy, Presses delUniversit Laval/CCSR, 2001, p. 305-321.

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et le social se vide de lintrieur. Prvalent alors linterprtation de la crisede la socit en tant que crise thique et lintroduction du thme de lacrise du lien social dans les sciences sociales : fragmentation sociale,exclusion, polarisation, dilution, etc. Dans ce contexte o la socitnassure plus son rle dans la socialisation de la personnalit et o le sys-tme culturel ne fournit plus les rfrents ncessaires la formation delidentit sociale et personnelle, lindividu, seul, devient responsable deson identit. L se joue et se dnoue la crise de lidentit.

5. Beauchemin et les transformations thico-politiques 19

Du mme ordre que la thorie prcdente, la thse du passage au nolib-ralisme de Beauchemin propose, tout en restant dans la modernit, unemutation du discours thico-politique correspondant au passage dunmode de rgulation providentialiste une logique nolibrale . Sousle providentialisme, le politique, comme projet thico-politique, reposesur une reprsentation de la socit comme une totalit politique et surune certaine reprsentation de lthique sociale. Pour Beauchemin, le dis-cours thico-politique doit tre vu comme le lieu darticulation de lactiondun sujet (abstrait) inscrit dans une communaut dhistoire (comme uni-vers de sens donn) et de dure au sein de laquelle le projet dune viebonne acquiert la forme dun projet thico-politique et propose un cadrenormatif (dmocratie) destin lamnagement du conflit. Dans le dis-cours thico-politique providentialiste, la sphre thique et le domainepolitique sont souds pour former ltat-providence, qui suppose ladop-tion dune rgulation conomique teinte dinterventionnisme tatique etla cration de programmes daide sociale dcoulant dune rgulationsociale de type universaliste, dune prdominance des valeurs collectiveset du bien-tre collectif sur les stricts intrts personnels ou particuliers.Le discours thico-politique providentialiste rsume la volont deproduire un tre-ensemble cohsif et significatif appelant un agirindividuel ou collectif responsable. Dans cette perspective, lindividuapprhende le politique en tant que sujet-citoyen et non en tant que sujet-individu . Les actions politiques ne se basent donc pas sur liden-tification individuelle des revendications particulires, mais plutt surla solidarit collective qui sous-entend une volont de proposer un projet

19. J. BEAUCHEMIN. Le discours thique nolibral et les transformations du projet poli-tique de la modernit , dans A. LACROIX et A. LTOURNEAU. Mthodes et interventions enthique applique, Montral, Fids, 2000, p. 93-108.

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thico-politique commun. Prnant des valeurs mancipatrices, lthiqueprovidentialiste comprend aussi des valeurs disciplinaires.

Le passage au nolibralisme seffectue par une scission entre lepolitique et lthique. La participation politique est alors remplace parlaccentuation de la rgulation conomique et lexpansion du domainejuridique dans la sphre du priv et du politique. Lmancipation et laralisation de lindividu tendent alors se raliser sous lgide de lareconnaissance politique des droits de la personne, ce qui vient remplacerla notion dune morale universelle typique la modernit. Sensuit unecrise de lgitimit du politique rsultant notamment dune dsaffectionou dun surinvestissement de la part du citoyen envers le politique.

La dsaffection du citoyen se caractrise, par exemple, par sa faibleparticipation la vie politique provoque, entre autres, par lindividua-lisme ambiant et par la complexification des enjeux politiques devenusdes dbats ferms dans les mains dexperts et de technocrates anims parun esprit conomiciste. Devant limpossibilit de matriser les nombreuxdossiers et enjeux politiques, le citoyen se retire, nen soutirant tout auplus quun sentiment de dpossession, voire dexclusion.

Par ailleurs, une caractristique fondamentale de la socit sous lenolibralisme est la fragmentation du sujet politique abstrait en unepluralit de groupes de revendication dintrts particuliers. Ces nou-veaux mouvements sociaux en tant que groupes dintrts particu-liers ne semblent plus se former en rfrence (autoreconnaissance) uneidentification sociale (collective et transcendante) dont laction est dter-mine par un projet commun vise universelle, mais se construisentplutt en fonction dune caractristique identitaire dominante et autorf-rentielle, qui dtermine lidentit partage par un nombre restreint degens. Cest donc sur cette base identitaire particulire que des regroupe-ments de citoyens investissent le politique et que celui-ci se voit branldans ses prtentions parler au nom du bien commun ou de lintrtgnral. Devant la monte des particularismes, le politique doit-ilsouvrir sans rserves ces volonts de reconnaissance et ainsi risquer devoir apparatre des formes de dsarticulation de lthique et du poli-tique ? Ces formes de dsarticulation pourraient tre, notamment :limpossibilit de penser un projet thico-politique en fonction du biencommun ; la tendance, en souvrant indiffremment, et sans des represthico-politiques permettant de les situer, la pluralit des demandes dereconnaissance, aggraver les effets de lclatement du sujet politique ;enfin, tant donn la concurrence qui caractrise la course la reconnais-sance, la trs grande difficult de trancher la valeur des demandes dans lamesure o chacune delles peut se rclamer dune gale lgitimit. Le

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problme fondamental rside en effet dans ceci que toute rfrence au bien se trouve absente alors que seul le juste est envisag.

6. Freitag et la crise de la normativit

Selon Michel Freitag, la modernit se construit en opposition la socittraditionnelle et son ordre normatif objectif impos par la tradition de lacommunaut. Dans la socit traditionnelle, lordre normatif traditionnelet communautaire dtermine lactivit et rduit la mobilit interne etexterne des individus. Lidentit personnelle est alors dduite demblede lidentit sociale forme par le cadre de la communaut et de sa cul-ture. Incrusts dans la communaut, les individus font partie dun toutorchestr par une cosmogonie ou une religion qui, seule, dtient la vrituniverselle. Tout au plus, leurs actions perptuent lidentit de la commu-naut avec exactitude travers le temps. Lunit socitale, de mme quelhistoire de la communaut, est antrieure la naissance mme de lasocit en ce quil sagit de reproduire ce qui a toujours t dtermin delextrieur mme de la socit par les rcits fondateurs et la tradition.

En opposition, la socit moderne place lindividu au cur de saralisation : La modernit se caractrise sur le plan normatif et identi-taire par la constitution dun individualisme transcendantal. Cest, dansle champ politique, la figure du citoyen [...], dans le champ thique celledu devoir et de la personne responsable, et dans le champ conomique,celle de lindividu conome et calculateur [...] 20. Avec le dveloppementdes disciplines scientifiques se rpandent une nouvelle reprsentation dela ralit ainsi quune nouvelle conception de la socit. Lexistence de lasocit nest plus dtermine par la reproduction dun ordre objectif(thogonique ou cosmogonique) ; elle est le rsultat dune dialectiqueentre les individus et la socit, le tout transcend par la raison univer-selle et formalis dans des rapports institutionnels. De fait, la modernitpeut tre perue comme une dynamique de libration et dmancipationautant institutionnelle quindividuelle. Cet idal dmancipation reposesur la croyance que chaque sujet est porteur de la raison universelle.Lindividu est alors invit en tant que citoyen participer au dvelop-pement de la socit. Lide morale de bien ou de mal ne se construit plusen rfrence une punition divine quelconque, mais sinscrit dans unrapport thique avec lautre et la socit. Le mode de reproduction politico-institutionnel engendre un cadre normatif universel qui

20. M. FREITAG. Pour une approche thorique de la postmodernit comprise comme muta-tion de la socit , Socit, nos 18-19, t 1998, p. 41.

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intgre laction individuelle dans laction collective. Laction individuelleet institutionnelle est donc inscrite dans un rapport thique la socit, etla socit moderne apparat comme le rsultat dune constante relationdialectique entre lindividu et les institutions sociales. Le projet modernetente ainsi de concilier la rgulation universelle et laction individuelle.

Selon Freitag, la socit passerait de la modernit la postmo-dernit par le passage dune forme constitutive de lexistence sociale une autre 21 , soit par la transition dun mode de production et de rgula-tion des rapports sociaux politico-institutionnel un mode dcision-nel-oprationnel . Comme nous lavons mentionn, la modernit, en tantque totalit socitale, se caractrise par un mode de rgulation politico-institutionnel dans lequel sinscrit lide directrice d mancipation delhumanit et des individus travers laction rflchie guide par la rai-son [...] ainsi que la recherche lgitime dun bonheur terrestre jugconforme la destination essentielle de ltre humain 22 . Cet idaldmancipation individuelle inflchie par une volont universaliste estmdiatis par laction politique et rgul par des institutions juridiques.Les conflits politiques sont de lordre du dbat idologique vise uni-verselle sur la direction et lavenir de la socit dans son ensemble. Lapolitique devient un lment transcendant toutes les sphres de la socit.

La priode postmoderne se prsente donc comme une transition versune nouvelle condition socitale dans laquelle les rfrences normativesmodernes font place un mode de rgulation pragmatique et oprationnelde la ralit sociale : Face la perte de normativit caractristique de lamodernit, la rfrence des normes objectives subjectivement assumesreprsente le fondement ontologique de la vie humaine et de la conditionconstitutive de lexistence sociale23. La seule norme transcendant la cons-titution de la socit est la soumission des rapports sociaux aux logiquesinstrumentales et pragmatiques de la rgulation conomique. La rgulationsocitale repose sur une gestion technique et scientifique du social orches-tre par la classe savante dcisionnelle appuye sur une technocratieprocdurale. La direction de la socit nest donc plus la rsultante de luttesidologiques, comme dans la socit moderne industrielle, entre libraux etsocialistes, entre bourgeois et proltaires, etc. La gestion techno-scienti-fique et sa logique pragmatique-rationnelle viennent liminer tous lesconflits dordre idologique et construisent une socit fonde sur le con-sensus, cest--dire sur diffrents contrats ou compromis entre intrts par-

21. Ibid., p. 1. 22. Ibid., p. 2. 23. M. FREITAG. Le naufrage de luniversit, Qubec, Nota bene, 1998, p. 144.

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ticuliers, ce qui cre une stabilit synthtique et cyberntique capable dese perptuer24 . Les conflits sociaux entre les groupes particuliers touchentalors la capacit dinfluencer la prise de dcision et non la validit du sys-tme de prise de dcision. Ainsi, les dbats ne se font pas sur la finalit delaction, mais sur les moyens prendre pour arriver la fin voulue. Ladirection de la socit est alors assure grce une capacit dcisionnelleconjugue llaboration dune structure oprationnelle, et ce nest pas lafinalit de laction qui importe puisquelle se rapporte toujours unereproduction autorfrencie du systme , mais leffectivit et lefficacit,soit la performance et lefficacit de la technologie ainsi que sa disponibilitet sa capacit de mobilisation. Dans le cadre postmoderne, on assiste larpudiation systmatique des rgulations institutionnelles universalistesau profit de la reconnaissance directe de lautonomie normative des acteurssociaux, quil sagisse des individus ou des groupes particuliers25 . Libr,lindividu peut mieux concourir sa ralisation de soi selon un idaldauthenticit 26. Paradoxalement, cette subjectivit est, en quelque sorte, subsume par la rgulation et la reproduction du systme, do lappa-rition dune contradiction entre laccroissement et lautonomie des parti-cules subjectives irrductibles, et la ncessit [...] de la consolidation desprocdures techniques dintgration systmique a posteriori 27 .

Si on peut parler dintgration a posteriori, cest quil nexiste plusdunit de la socit a priori, mais une unit a posteriori. La socit apparatconvertie en un vaste rseau de systmes oprationnels, organisationnelsou associatifs. Plutt que de subir une intgration a priori par un mode culturel-symbolique ou politico-institutionnel traditionnel, lindi-vidu libre y choisit ses propres ples dintgration et didentification,mme si les possibilits de ce choix restent dtermines. Lidentit indivi-duelle se dfinit donc a posteriori et non a priori par la culture ou parlidentification un sujet abstrait . Ce mode didentification indivi-duelle donne une socit fragmente et particulariste dans laquelle semultiplient les identits, les groupes de mobilisation ou de revendicationparticularistes. Cette multiplication des identits correspond donc unclatement normatif. Une des caractristiques de la postmodernit estcette libre formation des identits affinitaires qui repose sur le respect dela diffrence rglemente :

[...] la socit tend ainsi se fractionner en des entits sociales (enprincipe encore identitaires et subjectives mais qui se rduisent en

24. G. BAUM. Les thories de la postmodernit , Relations, n o 561, juin 1990, p. 143. 25. M. FREITAG. Le naufrage de luniversit, op. cit., p. 150. 26. Voir C. TAYLOR, Grandeur et misre de la modernit, Montral, Bellarmin, 1992, 150 p. 27. M. FREITAG. Le naufrage de luniversit, op. cit., p. 166.

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fait de plus en plus, au niveau du fonctionnement collectifdensemble, de simples formes organisationnelles imperson-nelles) oprationnellement et techniquement particularises autourde la ralisation dobjectifs quelconques, qui sont enchevtresentre elles et interagissent en pure extriorit les unes avec lesautres selon des modles daction stratgique, de rapports de force,dinformation, de programmation, de communication, de dcisionet de contrle. Apprhends ce niveau, qui est celui du fonction-nement global de la socit dcisionnelle-oprationnelle, les diff-rents intervenants ne reprsentent plus que les objectifs quilsvisent, et ils ne forment plus, les uns pour les autres, que desvariables denvironnement28.

Ainsi,

La tendance vers la disparition de toute dimension subjective auniveau de la socit comprise comme totalit , et quen cons-quence, elle tend du mme coup rendre problmatique ladimension de lintersubjectivit symbolique au niveau mme desindividus, puisquen labsence de tout rfrent normatif communa priori, ceux-ci ne seraient confronts au-dehors deux-mmes qu linsoutenable lgret de ltre29.

En consquence, Freitag constate le dveloppement dune crise de lanormativit en tant que dimension constitutive de la socit et de lexis-tence sociale. Il sagit plus prcisment dune d-normativation dusystme social moderne de reproduction et de rgulation du social. Pourcet auteur, le concept de normativit, au sein de la postmodernit, nesappuie plus sur des valeurs synthtiques, mais seulement sur des pro-cdures et des procds immdiatement oprationnels . Cette crise de lanormativit comporte une double rfrence objective et subjective : objec-tive, puisque cest la structure mme des institutions sociales, du sys-tme en gnral, qui se transforme ; subjective, parce quelle concerne lareprsentation et lagir, la subjectivit mme de lindividu dans la socitdevenue organisation de systmes. Cette crise provoque la dissolution ducaractre normatif des institutions sociales modernes.

Les approches que nous venons de prsenter, malgr leurs diff-rences, montrent que la crise gnralise des identits rsulte de transfor-mations profondes du systme objectif et du monde vcu subjectif.Il sagit dune transformation du lien social correspondant un change-ment des valeurs (dun rapport thique la socit), des modes de rgula-tion sociale et des modes didentification collective et personnelle. Ces

28. M. FREITAG. Pour une approche thorique de la postmodernit comprise comme muta-tion de la socit , Socit, op. cit., p. 48.

29. M. FREITAG. Le naufrage de luniversit, op. cit., 1998, p. 162.

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modes se recomposent30 dune manire plus particulire, plus proche dela subjectivit de lindividu. En effet, si les concepts abstraits de nation ou de classe sociale ne semblent plus servir de rfrents identitairesprdterminants et de cadres daction commune, de nouveaux rfrentsidentitaires proviendraient de lassociation des espaces sociaux pluspetits et plus concrets permettant des relations sociales rapproches etplus directes, donc moins mdiatises par des institutions sociales. Danscette perspective, les individus tendent entretenir un nouveau rapportthique avec la socit par lappartenance ces sous-groupes qui leurprocurent la reconnaissance sociale dun statut et dun rle actif dans lasocit, comme si lagir thique subjectif tait canalis par ces sous-groupes.

7. Dubar et la crise des identits

Pour sa part, Claude Dubar prconise une sociologie axe sur lanalysedes relations subjectives, soit les processus didentification lintrieurdorganisations particulires . Il privilgie cette voie puisquelle rvle,selon lui, un aspect non considr par les autres thories : lidentit nestpas seulement sociale, mais elle est aussi personnelle. De ce fait, lanotion didentit pour soi nappartient pas au vocabulaire de la sociologieclassique et lidentit sociale devient synonyme didentit pour autrui 31.

Aussi, afin dinclure la notion didentit dans une approche sociolo-gique, Dubar stipule quil faut dabord rejeter lapproche phnomnolo-gique et psychanalytique de lidentit. Pour quune telle approche soitpossible, il faut restituer cette relation identit pour soi/identit pourautrui lintrieur dun processus commun qui la rend possible et quiconstitue le processus de socialisation. [...] Lidentit nest autre que lersultat la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif etobjectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisa-tion qui, conjointement, construisent les individus et dfinissent lesinstitutions32.

Contrairement une conception essentialiste de lidentit (com-prise comme lessence invariable des individus et des choses), il endosse

30. Nous recommandons de substituer au terme fragmentation le terme recomposi-tion , que nous jugeons moins catgorique. En effet, la notion de fragmentation sous-entend une rupture alors que celle de recomposition sous-tend une dyna-mique de continuit dans une autre forme.

31. C. DUBAR. Op. cit., p. 9. 32. Ibid., p. 111.

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la position nominaliste (existentialiste) de lidentit : Ce qui existe, cesont des modes didentifications variables au cours de lhistoire collectiveet de la vie personnelle, des affections des catgories diverses quidpendent du contexte33. Selon cette position nominaliste, il existe deuxtypes didentification : lidentification attribue par les autres, les identi-ts pour autrui , et lidentification revendique par soi-mme, lidentitpour soi .

Pour Dubar, la crise de lidentit renvoie dabord la perturbationde relations stabilises entre les lments structurant de lactivit , cetteactivit tant lidentification, cest--dire le fait de caractriser les autreset soi-mme 34 . Selon ce sociologue, lapparition de la problmatiquedune crise des modes didentification correspondrait aux thorisationsau sujet de la crise conomique actuelle, dont loriginalit tient sa lon-gueur et ses diverses manifestations. Lauteur stipule galement que,paralllement la crise conomique, une crise du lien social sest dve-loppe et, par le fait mme, une crise des identits. Devant ces observa-tions, il introduit lhypothse que chaque priode dquilibre relatif, decroissance continue et de rgles claires, de politique stable et dinstitu-tions lgitimes saccompagne dun ensemble de catgories partages parle plus grand nombre, dun systme symbolique de dsignation et declassement fortement intrioris, alors la rupture de cet quilibre doitconstituer une dimension importante et spcifique de la crise. Le change-ment de normes, de modles, de terminologie provoque une dstabilisa-tion des repres, des appellations, des systmes symboliques antrieurs.Cette dimension, mme si elle est complexe et cache, touche une ques-tion cruciale : celle de la subjectivit, du fonctionnement psychique et desformes dindividualit ainsi mises en question35.

Cependant, lauteur prvient quil ne faut pas soustraire la crise dulien social de la crise conomique, mais quil faut plutt prendre le phno-mne comme il apparat, cest--dire en deux crises spcifiques parallles, [...] deux manifestations dun processus plus global qui provoque-rait des ruptures dans lquilibre conomique et des cassures du liensocial36 .

Plus prcisment, Dubar sinterroge sur le passage dune identitsociale domine par le nous , soit dune identit individuelle dtermi-ne par lidentit sociale une identit sociale dtermine par lidentit

33. C. DUBAR, La crise des identits, Paris, Presses universitaires de France, 2000, p. 4. 34. Ibid., p. 10. 35. Ibid., p. 11. 36. Ibid., p. 11.

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individuelle, par le je (Elias). Faisant reposer son argumentation sur lesthses de Norbert Elias, Max Weber et Karl Marx, il propose quil existeun mouvement historique, la fois trs ancien et trs incertain, de pas-sage dun certain mode didentification un autre. Il sagit, plus prcis-ment, de processus historiques la fois collectifs et individuels, quimodifient la configuration des formes identitaires dfinies comme moda-lits didentification37.

Selon lauteur, la crise identitaire serait le rsultat de la transforma-tion des rfrents identitaires modernes lors du passage de la prdo-minance dun mode didentification sociale dit communautaire laprvalence dun mode didentification sociale dit socitaire . Lidentitsociale communautaire suppose la croyance dans lexistence de grou-pements appels communauts considrs comme des systmes deplaces et de noms prassigns aux individus et se reproduisant liden-tique travers les gnrations. Dans cette perspective, chaque individu aune appartenance considre comme principale en tant que membre desa communaut et une position singulire en tant quoccupant duneplace singulire au sein de celle-ci38. Le mode didentification sociale communautaire est graduellement remplac par le dveloppementdun mode didentification sociale socitaire . Ce passage signifie quelindividu en vient construire son identit sociale sur le sentimentdappartenance des groupes locaux , de collectifs multiples,variables, phmres auxquels les individus adhrent pour des priodeslimites et qui leur fournissent des ressources didentification quilsgrent de manire diverse et provisoire39 . La crise de lidentit apparatalors sous deux formes, une crise de lidentit sociale (correspondant lacrise du lien social) et une crise de lidentit personnelle :

La construction de lidentit personnelle ne peut viter de rencon-trer des crises qui ne rsultent pas dabord dun manque de res-sources conomiques mais de la structure mme de la subjectivithumaine ds lors quelle smancipe des cadres communautaires.Cest de cela quil sagit, sociologiquement, dans la crise des iden-tits, quelle que soit la dimension concerne. Ce grand passage,toujours incertain, souvent dramatique, mais aussi potentielle-ment mancipateur, de la domination des liens communautairesqui contraignent, dterminent, les subjectivits individuelles [...]aux relations socitaires qui individualisent, sparent, slectionnent,[mais] la fois librement choisi et volontairement rgul40.

37. Ibid., p. 4. 38. Ibid., p. 5. 39. Ibid., p. 6. 40. Ibid., p. 217.

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Cest l toute la pertinence de lapproche de Dubar ; la crise delidentit se dveloppe justement au sein de processus historiques quimodifient les repres identitaires autant sociaux que personnels et elleparat tre le rsultat dune tension entre lmergence de modes identi-taires subjectifs (le je rflexif et narratif) et objectifs (un nous soci-taire). En effet, un aspect important de la crise identitaire est cette tensionentre la tendance lthique subjective active dans la construction duneidentit, personnelle et sociale, et limposition dun cadre thique objectifet normatif fix par des institutions. La tension entre ces deux ples vientjustement de ce que lordre thique subjectif est insr dans un ordrethique objectif qui ne tient pas compte de ces diverses subjectivits. Cestun problme didentification et de reconnaissance.

Cest en nous appuyant sur ces diverses interprtations sociolo-giques de la socit depuis les annes 1960 que nous avons construit notrehypothse propos de la crise didentit professionnelle, hypothse partir de laquelle nous avons procd aux tudes sectorielles faisantlobjet du prsent ouvrage.

8. La construction de lidentit et les crises didentit

Ltude de la construction de lidentit professionnelle ne peut faire lco-nomie, comme nous lavons vu, dune approche psychologique qui metlaccent sur le processus psychosocial luvre dans la construction iden-titaire. La parole identitaire prendra toujours la voix du je , qui recon-natra, par sa dclaration publique, son inscription dans telle ou telleprofession. Se retrouvent ici les sens premiers de profession et de ser-ment professionnel dclarant publiquement lengagement social etlentre dans la profession 41. La dimension psychologique de lidentitprofessionnelle se traduit pour nous par la composante personnelle delidentit professionnelle, qui doit toujours tre mise en corrlation avecla composante sociale de lidentit. La dclaration identitaire est en effetune dclaration dappartenance : je suis partie dun groupe auquel onse rfre par un nom ou un qualificatif particulier.

41. Comment ne pas interprter labandon du terme ordre pour lexpress

Crise d’Identité Professionnelle Et Professionnalisme

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