Créer un blog gratuitement sur...

21
Si l’art fait surgir un autre, que ce soit dans la mimèsis qui diffère toujours ce qu’elle re-présente, dans l’incarnation ou dans la musique des sphères appliquée à saisir l’inouïe musica mundana, on pourrait se demander de quel ordre est cet autre. Ceci est impossible puisque l’autre sera toujours radicalement un autre… à tout jamais inconnu Mais on peut aussi de demander de quel ordre est le rapport à l’autre alors mis en scène par l’art. S’agit-il de se rapprocher de Dieu, de trouver l’autre de la folie inconsciente qui est nous ? comment l’art agence-t-il son langage dans un rapport à l’autre ? Comment l’art nous met-il en relation avec un autre ? Et là, nous allons trouver un ensemble de dualités que nous déclinerons lors des cours. Voyons la première dualité Pour débuter ceci prenons un exemple : les primitifs flamands et J Bosch. Fin XVIème siècle, même région (brabençon, les flamands) Les primitifs flamands Dia 6 Dia 7

Transcript of Créer un blog gratuitement sur...

Page 1: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Si l’art fait surgir un autre, que ce soit dans la mimèsis qui diffère toujours ce qu’elle re-présente, dans l’incarnation ou dans la musique des sphères appliquée à saisir l’inouïe musica mundana, on pourrait se demander de quel ordre est cet autre.

Ceci est impossible puisque l’autre sera toujours radicalement un autre… à tout jamais inconnu

Mais on peut aussi de demander de quel ordre est le rapport à l’autre alors mis en scène par l’art. S’agit-il de se rapprocher de Dieu, de trouver l’autre de la folie inconsciente qui est nous ? comment l’art agence-t-il son langage dans un rapport à l’autre ? Comment l’art nous met-il en relation avec un autre ?

Et là, nous allons trouver un ensemble de dualités que nous déclinerons lors des cours.Voyons la première dualité

Pour débuter ceci prenons un exemple : les primitifs flamands et J Bosch. Fin XVIème siècle, même région (brabençon, les flamands)

Les primitifs flamands

Dia 6

Dia 7

Dia8

Page 2: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Dia 9

Ensemble réglé : règle d’alberti (scène de théâtre ;, œil à 1 m du sol) : une grammaire de l’image, qui véhiculé un ordre, où les personnages se mettent en scène dans cet ordre…. Mais derrière, il a un infini, où se tient l’autre

Passons à J Bosch ;

Dia 10

J Bosch Le chemin de croix

Dia 11

J. Bosch L’Enfer (fragment)

Dia 12

Page 3: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

J. Bosch L’Enfer (fragment)

Dia 13

J. Bosch L’Enfer (fragment)

Dia 14

J. Bosch La nef des fous

Puis couronnement d’épines et lithotomie

Ou un autre extérieur, celui d’un au-delà d’une construction réglée, ou un autre intérieur, celui de la folie, qui est représenté hors de toute règle.

Voyons de plus près ces deux rapports : la grammaire, le démantèlement monstrueux

Telle est la première dualité

Aujourd’hui, nous traiterons déjà du premier rapport, la « grammaire » et les formes

Pour ce rapport, ce sera toute la thématique de la perspective florentine.Pour ceci il faut revenir comparativement à l’iconographie médiévale qui la précédait.Le principe de la pensée médiévale est tout est accordé à l’unité divine.

Page 4: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Je reprendrai volontiers la thèse que développe M. Foucault dans les Mots et les choses. Pour résumer à l’extrême, la conception médiévale est celle de l’Unité, de l’Un, d’un monde voulu unitaire, puisqu’il est à l’image du « grand » Un, Dieu.

Par exemple, la pièce de monnaie n’est pas un signe qui renverrait à une valeur monétaire, mais elle est elle-même sa propre valeur, elle vaut son pesant d’or. C’est aussi la thèse des « signatures » : Dieu est présent dans chaque chose du monde et y laisse sa signature selon des chaînes de ressemblances accordées son unité : une plante qui ressemble à des bronches sert à soigner les bronches. C’est bien connu, les myrtilles soignent les yeux. Ceci vaut aussi pour le mot. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était dieu ». Le verbe est dieu, le mot est la chose qu’il désigne et non un simple signe linguistique dont la forme verbale signifiante renvoie à un sens signifié totalement différent de lui. Le sens, comme dieu, s’incarne dans la forme sonore du mot qui le porte.

Avec cette conception de l’Un, et en plein héritage des Idées dites platoniciennes, l’Univers est régi par une même équation, par une même proportion qui régit chaque domaine. Nous avons vu le principe de la musique des sphères qui postule une même harmonie, là-haut dans les étoiles, régissant l’univers entier. Il en va de même pour l’Antiphonaire, recueil de chants liturgiques imposé par Grégoire premier au VIè siècle, socle du chant grégorien, qui se base sur le plain-chant : tout le monde devant chanter en même temps la même note. Il s’agit bien d’unifier les fidèles selon le principe du même.

Certes ceci ne signifie pas que le monde ne soit pas composé de différences, comme celles de rang entre les hommes, du roi au serf. Mais ces différences sont en fait accordées à une même raison, celle d’une proportion voulue par Dieu et étant Dieu lui-même, dont les hiérarchies sont ainsi subordonnées à l’harmonie pré-établie d’une unité divine qui transcende l’univers entier.

Avec cette unicité divine qui fixe l’ordre du monde, l’iconographie médiévale propose souvent le seul point du vue qui vaille, à savoir un regard depuis l’œil de Dieu, en position de plongée sur le monde, planant légèrement au-dessus de celui-ci. Il s’agit de montrer ainsi l’ordre du monde et la hiérarchie de ses personnages accordée à la détermination divine.

Page 5: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Les Très Riches Heures du duc de Berry vers 1440

Le monde est Un et à l’artiste d’imiter Dieu, de le faire préssentir au travers de son regard qu’il épouse-puisque Dieu est aussi dans l’artiste- , mais comment est-ce possible, puisque Dieu est inconnaissable ?

C’est bien ceci que va rompre la Renaissance florentine. 35 ans après la précédente image :

La Cité idéale 1475 Piero della Francesca ? Luciano Laurana ? Francesco di Giorgio Martini ?

On mesure toute la mutation introduite par le XVème siècle florentin, avec l’arrivée de la perspective, du moins avec l’usage privilégié de la perspective. Cette dernière est connue depuis l’antiquité, et parfois critiquée au titre d’un art du trompe l’œil qui ne fait que mentir selon Platon. Mais elle va alors faire l’objet d’une codification systématique, comme pour mettre en avant un autre point de vue que celui de Dieu, planant légèrement au-dessus des choses et des êtres.

En effet, le monde n’est plus vu depuis l’oeil de Dieu, mais depuis, selon la règle d’Alberti, l’œil humain qui regarde une scène de théâtre ou qui regarde par une fenêtre. On met au centre le sujet humain qui regarde la nature, les objets, et qui peut analyser la nature.

Analyser la nature, ceci signifie aussi que la perspective florentine émerge dans un contexte où l’on systématise les mesures empiriques, au lieu de chercher l’équation divine d’une harmonie universelle par des calculs hermétiques.

Filippo Brunelleschi, orfèvre, horloger, architecte, est reconnu comme le père des principes de la perspective florentine, en inventant une technique de mesure et de figuration de l’espace qui préfigure la camera obscura. Mais horloger, notre homme faisait aussi des machines pour compter le temps, comme par ailleurs il trouvera la technique pour couvrir le Duomo de Florence.

Pratiquement dans le même contexte, Galilée père, puis plus tard Zarlino, s’intéressent aux calculs des vibrations sonores sur les cordes tendues pour préfigurer les lois de l’harmonie musicale moderne. Notons que ces découvertes vont d’emblée montrer que ce que l’on mesure dans un domaine n’est absolument pas applicable à un autre, comme les raisons harmoniques entre les sons et les distances entre les étoiles. Notons que ce sera plus tard, après la Renaissance, Descartes qui dans son Abrégé de musique, scellera définitivement la fin de la musique des sphères en soulignant en quoi les mesures astronomiques n’ont rien à voir avec celles des raisons musicales. L’astrolabe n’est qu’une métaphore pour la réflexion sur la

Page 6: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

musique. La voie ouverte conduira au Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, et non stellaires, que publiera J.P. Rameau au XVIIIe siècle. Nous y reviendrons.

Bref, on met à mal la thèse médiévale de l’unicité divine, pour placer au centre le regard de l’homme, un regard qui découpe et analyse la nature tout en instaurant des techniques de mesure de l’espace, du temps, des sons, tout en montrant que ces mesures ne sont pas transférables d’un domaine à un autre.

On voit ici se préfigurer, dans la révélation de domaines différents, régis pour chacun par des lois spécifiques, la science moderne telle va voir le jour après la Renaissance, on dira vers le XVII siècle. En effet, celle-ci procède en découpant, en classant le réel selon des grandes catégorisations, ce qu’on nomme les grandes taxinomies, qui vont fonder les disciplines scientifiques comme la botanique, la zoologie, la géologie… c’est alors que commencent les premières collections, comme les fossiles, les plantes, les animaux…

L’unicité d’une équation universelle du monde, avec une même règle de proportion valable pour tous les domaines est alors compromise. Ainsi, Panofsky parle d’une « vision déthéologisée du monde » où émerge l’humanisme de la Renaissance.

Ceci va avoir plusieurs conséquences : la fin de l’Un

le jeu du fini et de l’infinil’avènement du signe.

La fin de l’Un Le monde se découvre non plus comme l’Un, mais sous le régime d’une multiplicité, avec des domaines non transférables les uns aux autres : les sons ne sont pas transférables auprès des distances stellaires, la biologie n’est pas transférable auprès du politique, et ainsi de suite.

Cette fin de l’Un trouve d’ailleurs sur le terrain musical son exemple : du plain-chant à la polyphonie . On passe peu à peu de la musica mundana à la musique humaine.

Cette multiplicité, cette diversité, est renforcée par la découverte des nouveaux continents, et d’autres cultures. Les autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image de dieu (on se souvient de la controverse de Valladoïd)

Le grand débat qui s’instaure alors sera celui de concilier le dogme de l’Unité, et d’une unité qui se fissure de plus en plus, avec la diversité du monde, des êtres, qui s’impose alors. C’est ce débat qui va en fait conduire ensuite aux Lumières. Ainsi retrouvera-t-on en 1750, sous la plume de Baumgarten, la naissance de l’esthétique : concilier le jugement de goût, toujours individuel, particulier, et le sentiment d’un beau qu’on postule alors comme absolu et universel.

Comment concilier le particulier et le général : telle sera la problématique.

Le jeu du fini et de l’infiniMais qu’on ne s’y trompe pas ! Le divin n’a pas disparu, il est relayé par sa création : la nature que l’homme peut alors mesurer.

Page 7: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Il ne s’agit plus d’imiter directement l’autre divin à l’instar de la musica mundana, mais de poser une instance médiatrice entre dieu et les hommes : la nature que l’humain peut alors « objectivement » analyser, mesurer.

Si la nature est multiple, si elle relève d’un monde qui apparaît fini et composé de particularités autonomes, derrière se tient le créateur de ce monde, qui lui, reste inaccessible. On ne peut connaître que les phénomènes de la nature. La nature, objective, analysable, devient la médiatrice d’un autre divin qui, lui, restera à tout jamais inaccessible. Bref le fini connaissable par l’entendement humain laisse supposer que derrière se tient un infini dont l’homme peut avoir une idée, mais qu’il ne pourra jamais directement connaître, du moins sur le mode qu’il utilise pour mesurer et analyser la nature.

Pour revenir à la perspective florentine, d’une part, n’oublions pas que le maître mot utilisée par Alberti dans son livre de référence, De Pictura ou par Piero della Francesca dans De prospectiva Pingendi (La perspective de la peinture) est celui de "comensuratio", à savoir la juste proportion.

Simplement, comme nous l’avons vu, cette juste proportion n’est plus une unité générale accessible directement. Elle est à chercher empiriquement dans la multiplicité des différents espaces de la nature, visuelle, sonore, spatiale ou temporelle, tout en ne pouvant être transférée d’un espace sur un autre. Ces espaces sont délimités et finis. Considérons ce qui est en bleu :

DIA

Nature terme de la perspective ↑ diverses proportions de l’espace visuel de l’espace sonore des étoiles du temps MONDE FINI ↑ ↑ ↑ ↑ ET MESURABLE Sujet humain

En revanche, la nature que l’homme peut ainsi regarder et mesurer est bien l’œuvre de Dieu, au-dessus. Il faut regarder ce qui est en rouge. Et là, dans ce monde au-dessus de la nature physique, autrement dans ce monde métaphysique, nous sommes dans le domaine de l’infini.

Dieu ↓ MONDE INFINI Nature terme de la perspective ↑ diverses proportions de l’espace visuel de l’espace sonore des étoiles du temps MONDE FINI ↑ ↑ ↑ ↑ ET MESURABLE Sujet humain

Aussi, toute la perspective se construit selon un système de lignes qui a un terme, qui est fini.

Page 8: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Perspective d’Alberti

La limite entre le fini et l’infini n’est rien d’autre que le terme de la perspective, le point où se focalisent et convergent les lignes de de composition.

Regardons ce terme dans l’Ecole d’Athènes de Raphaël (1510). Il se centre sur les deux personnages centraux.

L’école d’Athènes, par 1510 , par Raphaël

Au centre deux personnages :

Platon (traits de L. de Vinci ?) qui désigne le ciel, les Idées en tenant son Timée

Et Aristote, qui tenant en ses mains l’Ethique, désigne la terre.

Et devant tous les philosophes qui fondent le savoir humain.

Page 9: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Le savoir humain s’ouvre devant nous, selon un espace qui commence avec Aristote et Platon qui sont le terme (ou l’origine) de la perspective. L’œuvre laisse supposer que la connaissance humaine sera toujours finie, du moins limitée et incomplète au regard de ce qui se tient derrière, au-delà du point de perspective représenté par Aristote et Platon. Le fini de la perspective, offert aux hommes par l’allégorie des grands philosophes, atteste de l’infini inaccessible, illimité, derrière, invisible, mais deviné, où se tient l’immensité divine.

Dieu ↓ MONDE INFINI Nature terme de la perspective ↑ diverses proportions de l’espace visuel de l’espace sonore des étoiles du temps MONDE FINI ↑ ↑ ↑ ↑ ET MESURABLE Sujet humain

Ce principe du fini annoncé, délimité dans le tableau par le point de perspective, fait du même coup ressentir qu’il y a un autre infini, au-delà. Il y a toujours la profondeur infinie de Dieu, derrière la limite de la finitude où se tient l’humain.

Celui-ci est au centre, mais loin d’une sorte de valorisation narcissique, il est limité, en état d’incomplétude, d’inachèvement. L’homme n’est plus l’image fidèle de Dieu, l’Un, mais au contraire un être faible, demandant précisément l’éducation et les savoirs pour se parfaire. A lui de faire le travail…

Cette thématique sera au centre des écrits du philosophe Jean Pic de la Mirandole (1463-1494).

Pic de la Mirandole, à la fin du Quadroccento, est très influencé par le mythe d’Epiméthée, qui aurait fait des humains inachevés, et d’Epiméthée (qui aurait alors volé aux dieux le savoir pour le donner aux hommes et leur permettre de se parfaire), notamment dans son Discours sur la dignité humaine (1486).

Page 10: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

L’idée est que l’homme est déjà inachevé, incomplet, en imperfection. Aussi, avant de se confier à Dieu, il doit déjà se finir lui-même, se combler ou de parfaire lui-même. Dieu n’est pas rejeté, mais Pic de la Mirandole définit comme une nouvelle alliance entre les hommes et Dieu.

Dieu a fait des êtres parfaits, sauf un (l’homme), et s’il a fait un homme inachevé, imparfait, c’est précisément pour que l’homme fasse lui-même le dur labeur de s’accomplir, de s’achever et de se parfaire un peu. .L’homme est donc l’artisan de sa destinée, de sa liberté allouée par Dieu, à condition qu’on lui fasse ressentir son inachèvement, son inaccomplissement.

Dia 12Nous ne t’avons donné ni place précise, ni forme qui te soit propre, ni fonction particulière, Adam, afin que selon tes envies et ton discernement, tu puisses prendre et posséder la place, la forme et les fonctions que tu désireras.Toi, que nulle limite ne contraint, conformément à la libre volonté que nous avons placée dans tes mains, décideras tes propres limites de ta nature. Nous t’avons placé au centre du monde pour que, de là, tu puisses plus facilement en observer les choses. Nous ne t’avons créé ni du ciel, ni de terre ; ni immortel, ni mortel, pour que, par ton libre arbitre, comme si tu étais le créateur de ton propre moule, tu puisses choisir de ta façonner dans la forme que tu préféreras…. 

L’Architecte Suprême a choisi l’homme, créature d’une nature imprécise, et, le plaçant au centre du monde, s’adressa à lui en ces termes : « Nous ne t’avons donné ni place précise, ni forme qui te soit propre, ni fonction particulière, Adam, afin que selon tes envies et ton discernement, tu puisses prendre et posséder la place, la forme et les fonctions que tu désireras. La nature de toutes les autres choses est limitée et contenue à l’intérieur des lois que nous leur avons prescrites. Toi, que nulle limite ne contraint, conformément à la libre volonté que nous avons placée dans tes mains, décideras tes propres limites de ta nature. Nous t’avons placé au centre du monde pour que, de là, tu puisses plus facilement en observer les choses. Nous ne t’avons créé ni du ciel, ni de terre ; ni immortel, ni mortel, pour que, par ton libre arbitre, comme si tu étais le créateur de ton propre moule, tu puisses choisir de ta façonner dans la forme que tu préféreras…. »

La troisième conséquence sera celle de l’avènement du signe et des grammaires

On pourrait dire, avec la perspective, que c’est alors l’homme qui regarde et mesure un espace ordonné, donné par la nature, mais que cet espace est le médiateur d’un autre infini qui se tient derrière, et qui reste inaccessible, mais ressenti.

L’œuvre fonctionne alors pleinement comme un signe, mais un signe infini, on dira un symbole, dont le propre est toujours de renvoyer à autre chose. La construction de la perspective dans la forme finie du tableau renvoie à un infini. Les mesures de l’espace sonore ou visuel renvoient à la nature, qui elle-même renvoie à son créateur. Ce qui s’instaure alors dans l’art, c’est le renvoi à, le signe.

Page 11: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Pour continuer ma petite histoire, cet avènement du signe qui se prépare alors avec la Renaissance nous amène ensuite à la seconde moitié du XVIIè siècle et à la première moitiésdu siècle suivant. Pour citer M. Foucault, on découvre alors, à la suite de la grammaire de Port royal, que le mot n’est pas la chose, qu’il n’est qu’une forme sonore qui renvoie à un sens distinct de celle-ci. C’est d’ailleurs à cette époque que l’on commence à inventer les méthodes syllabiques dans l’apprentissage de la lecture. Ainsi, par ailleurs, l’introduction de l’assignat qui se contente de renvoyer symboliquement à la valeur que le Louis d’or incarnait.

Le monde se découvre comme un monde de renvois et de signes. L’œuvre n’est plus l’incarnation immédiate du regard de Dieu. Elle instaure un système de renvois et de regards croisés inépuisables, de signes ouverts sur des renvois infinis, sur des re-présentations ouvertes sur d’autres re-présentations. Et ce n’est pas un hasard si la notion de re-présentation qui va trouver au XVIII è siècle son avènement avec Kant –du monde je ne peux en savoir que la représentation que j’en fais- se prépare alors. Ce monde de renvois qui s’annonce alors, de signes qui renvoient à d’autres signes, et qui va marquer le XVII e siècle, puis le XVIIIè siècle, un tableau me semble l’illustrer particulièrement.

Telles sont les célèbres Ménines de Velasquez, peintes en 1656.

DIA

Les Ménines, Vélasquez, 1656

Alors on dira :

« il était une fois une petite fille avec son chien, sa naine, son nain, ses servantes »« non, il était une fois l’infante marguerite d’Espagne, à côté d’un peintre »« non, il était une fois Velasquez qui peignit le roi d’Espagne vu de l’œil du monarque en train de se faire peindre alors que l’infante lui rendit visite »

C’est toute la question de la re-présentation qui est au centre : l’immortel monarque Philippe IV que représente Vélasquez n’est pas le papa que regarde la sa petite fille ; l’infante Marguerite-Thérèse, le peinte se représente au travers du regard royal de celui qu’il est en train de représenter et ainsi de suite…

Et, on est loin d’avoir épuisé l’énigme des Ménines, leur jeu de renvois multiples, infinis, exprimée dans la forme finie de l’oeuvre…

Page 12: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Avec la médiation de la nature analysable que me semble avoir inaugurée la Renaissance, ce que l’homme regarde, finalement, c’est un système de signes. Ce que l’artiste pose c’est aussi un système de signes (de symboles)

Bien évidemment, qui dit signes, dit codifications, normes, canons, grammaires. Et la période de la Renaissance aux Lumières sera aussi celle de l’éclosion des grammaires, celle des traités de langue, de peinture ou de musique. Ainsi va-t-on s’intéresser aux harmonies des couleurs, à la proportion, ainsi va-t-on en musique chercher à unifier les instruments par le tempérament. Ainsi fixe-t-on aussi les grammaires de la langue. C’est parce qu’on sait alors que le mot n’est pas la chose, qu’il n’en est qu’un signe, qu’on peut alors traiter de son fonctionnement grammatical, en faire un système rationnel coordonné de signes.

Dieu ↓ MONDE INFINI Nature ↑ Calcul des diverses proportions : MONDE FINI ET GRAMMAIRES, SYSTEMES DE SIGNES MESURABLE Sujet humain

Ainsi, le XVIIe et surtout le XVIIIe siècle seront l’époque des grammaires, des traités.

On pourrait dire qu’avec ces grammaires, on va ordonner le savoir en systèmes de signes, de langages. On rationalise les langages, et les pensées qui s’y véhiculent par ces grammaires, ou par les systèmes codifiés de la culture.

Dès lors, on voit se poser un gros problème : le signe, les grammaires qui guident la représentation, et la liberté du sujet.

Ce débat, engagé dès la Renaissance, va mener aux conceptions des Lumières. On se souvient de Pic de la Mirandole : à l’homme de se parfaire lui-même par son libre-arbitre, de se fabriquer lui-même comme le disait Montaigne. Là est toute l’éducation. Or c’est en s’assujettissant aux langages, aux systèmes de signes et de savoirs de la culture, aux grammaires que l’homme devient sujet du libre arbitre. Mais ici nous sommes dans une ambivalence.

D’un côté on l’homme s’est affranchi du dogme de l’Un pour pouvoir bénéficier, par son libre arbitre, de quoi se parfaire lui-même garce aux savoirs qu’il va élaborer face à la nature.

D’un autre côté, ces savoirs, devenus des systèmes de signes, des grammaires, vont aussi avoir un aspect contraignant –c’est le propre de la grammaire qui permet au langage de

Page 13: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

fonctionner, mais qui contraint en même temps-, voire limitant, qui, finalement peut apparaître opposé à la liberté et à la possibilité même de penser pour créer du nouveau.

Ces grammaires sont pour ainsi dire le médiateur entre l’Autre qui se tient derrière et le public. Médiations, elles indiquent un pouvoir : celui de ceux qui ont le monopole de la vérité divine.

Du même coup, l’éducation artistique revient déjà à se soumettre et à s’approprier ces grammaires : ce sera le rôle des conservatoires, des académies de peinture. L’art est ici un espace de symbolisation du pouvoir et l’apprendre c’est déjà se plier aux grammaires de ce dernier : la théorie (solfège, perspective) avant la pratique. Du même coup une didactique de l’art devient possible.

Fort différente sera l’autre option, pas celle qui consiste à instituer les grammaires entre un autre extérieur et les hommes, mais celle qui vise à faire surgir les forces d’un autre intérieur. Prenons l’exemple de quelques portraits

Le Caravage Méduse 1597

Goya Tio Paquete, 1820. Goya.

E. Munch, Le cri, 1893

Page 15: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image

Ici, il ne s’agit plus de composer des formes avec derrière le point de perspective un autre, mais de faire surgir une force expressive interne, une force qui est en nous, un autre qui est en nous, difforme, effrayant, monstrueux.

Bien évidemment, on aura reconnu ici l’autre de l’inconscient dont parle la psychanalyse. Cet autre qui déforme le visage, qui ressort en plein sur le visage pour le distordre, qui s’incarne dans le « latent » de la personne et éclate sur son visage de façon manifeste, n’a plus rien à voir avec des grammaires formelles. Il effraie, déstabilise, met en abîme, nous renvoyant à notre propre inconscient, à notre propre tragédie, renvoyant chacun aux conflits qui le fondent. Il est un choc émotionnel.

Au niveau des catégories esthétiques, on peut penser à Kant qui distingua le beau du sublime : le beau c’est quand la forme que je perçois est conforme à ce que je conçois. C’est ici que la grammaire fédère, met d’accord, et que les hommes se relient sur ce qu’ils trouvent beau.En revanche, le sublime est un choc où l’on se confronte à un inconcevable, à une force informe qui met en abîme, mais nous dissocie, confronte la pensée « la vérité de son clivage » (Lyotard)

Bien évidemment, cette force expressive dont j’ai montré ici un exemple extrême à partir de portraits effrayants n’est pas exclusivement de l’ordre du monstrueux. Elle concerne aussi tout ce qui peut concerner la mise en expression, ex-pression : sortir ce qui est « au-dedans de soi », l’autre en nous, vers l’extérieur.

Et ici, le débat sera entre expression (d’une intériorité) et grammaires (extérieures).

Au-delà on retrouve ici le débat pédagogique : partir des grammaires ou de l’expression directe. En ap : cf Freinet, Le solfège en musique ou au contraire des jeux à même le sonore manipulé.

Mais revenons à cette dualité grammaires/autre intérieur. Comment l’art présente–t-il de l’autre : soit par des grammaires formelles qui servent de code commun et qui nous associent, nous relient Soit par des forces informes qui font pressentir l’autre sur le mode de la dissociation, du clivage :Relier, associer, fédérer, faire des unifications, ou au contraire dissocier : telles sont les deux grandes fonctions de l’art, et ses deux grands valeurs éducatives. Telle est la dualité suivanteNous les reprendrons à partir de la mythologie.

Page 16: Créer un blog gratuitement sur Unblog.frgillesboudinet.i.g.f.unblog.fr/.../01/texte-seance-3.docx · Web viewLes autres sont-ils dignes de l’humanité, elle-même à l’image