Convoyage à Qayyarah · En cet été 1981, j’avais été choisi pour rejoindre l’ETT (escadron...

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Le Piège n° 228 - Avril 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air Serge Larroque (72 - Madon) Retour à la récente histoire troublée de l’Irak, quand l’État français nourrissait des liens amicaux avec Saddam Hussein et que la France était son partenaire privilégié dans le domaine de la Défense. Convoyage à Qayyarah (Irak - novembre 1981) 30 Préambule : En cet été 1981, j’avais été choisi pour rejoindre l’ETT (escadron de transforma- tion temporaire) au sein du CEAM (centre d’expérimentation aéronautique militaire) de Mont-de-Marsan, pour une mission de courte durée, avec la fonction de respon- sable de la formation des pilotes irakiens à la mission de reconnaissance tactique sur F1EQ. Il s’agissait du tout-dernier né des Mirage F1 développés par Dassault Avia- tion pour l’export. Jeune CP d’un peu plus d’un an (chef de patrouille) sur Mirage III RD, en passe de prendre l’escadrille des Mouettes du Rhin de l’ER 2/33 Savoie à Strasbourg-En- tzheim, je rejoignais l’ETT au mois d’août 1981, pour une transformation très rapide sur F1B, à Mont-de-Marsan même, et un lâcher dans la foulée sur F1EQ, un véritable joyau de technologie à l’époque, bien avant l’arrivée du F1CR dans les forces, avec son HUD, sa centrale à inertie, sa conduite de tir, ses CME… Un pas immense pour un « ancien » du Mirage III. Intégré dans une petite unité opérationnelle, sous le très sym- pathique leadership du ô combien expéri- menté capitaine Barat de l’escadron chasse du CEAM, nous devions instruire quatre pilotes opérationnels irakiens, détachés pendant le conflit Iran-Irak, à la mission spécifique Reco avec l’utilisation d’un tout nouvel équipement à l’époque : la nacelle COR2 en emport sous fuselage, ancêtre du pod COR251, vendu quelques années plus tard sur Mirage 2000-SAD 8 puis 9 aux Émirats arabes unis. Nacelle comprenant un montage trimétrogone 1 de caméras optiques argentiques OMERA 35P, une panoramique OMERA 40 de 140 ° utiles, équipements très similaires à ceux dont j’étais familier sur Mirage III RD, et un capteur infrarouge bande III (8-12 μm), Supercyclope, fraîche- ment développé par la SAT de Sagem, plus performant que le capteur Cyclope intégré sur Mirage III Reco au sein de l’Armée de l’air. Sur place au CEAM, l’équipe RECO- TAC, sous le commandement du comman- dant Dortomb, officier de marque F1CR de l’époque, nous prêtait main forte, principa- lement pour toute la phase d’exploitation de mission, développement des films argen- tiques, lecture de l’enregistreur IR et ana- lyse des clichés sur table lumineuse PIMS avant la rédaction du RECCEXREP. Un peu plus de deux mois dans la douceur des Landes avec des avions rutilants neufs que nous avions réceptionnés directement à Bordeaux-Mérignac, des équipements nou- veaux et performants, une équipe restreinte et dynamique, le soutien technique et logis- tique de Dassault Aviation, et des pilotes irakiens 2 très motivés et avides d’apprendre : bref, un vrai paradis ! À l’issue de cette formation intensive, peut-être en récompense d’une mission accomplie avec succès, j’avais le privilège de participer également à l’aventure d’un convoyage de six Mirage F1EQ depuis la France vers l’Irak, en l’occurrence vers la base aérienne de Qayyarah au sud de Mos- soul, qui abritait la flotte des F1 irakiens, alors en plein conflit ouvert avec l’Iran de- puis le 20 septembre 1980. Récits F1EQ à l’ETT de Mont-de-Marsan.

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Le Piège n° 228 - Avril 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Serge Larroque (72 - Madon)

Retour à la récente histoire troublée de l’Irak, quand l’État français nourrissait des liens amicaux avec Saddam Hussein et que la France était son partenaire privilégié dans le domaine de la Défense.

Convoyage à Qayyarah (Irak - novembre 1981)

30

Préambule :En cet été 1981, j’avais été choisi pour

rejoindre l’ETT (escadron de transforma-tion temporaire) au sein du CEAM (centre d’expérimentation aéronautique militaire) de Mont-de-Marsan, pour une mission de courte durée, avec la fonction de respon-sable de la formation des pilotes irakiens à la mission de reconnaissance tactique sur F1EQ. Il s’agissait du tout-dernier né des Mirage F1 développés par Dassault Avia-tion pour l’export.

Jeune CP d’un peu plus d’un an (chef de patrouille) sur Mirage III RD, en passe de prendre l’escadrille des Mouettes du Rhin de l’ER 2/33 Savoie à Strasbourg-En-tzheim, je rejoignais l’ETT au mois d’août 1981, pour une transformation très rapide sur F1B, à Mont-de-Marsan même, et un lâcher dans la foulée sur F1EQ, un véritable joyau de technologie à l’époque, bien avant l’arrivée du F1CR dans les forces, avec son HUD, sa centrale à inertie, sa conduite de tir, ses CME… Un pas immense pour un « ancien » du Mirage III. Intégré dans une

petite unité opérationnelle, sous le très sym-pathique leadership du ô combien expéri-menté capitaine Barat de l’escadron chasse du CEAM, nous devions instruire quatre pilotes opérationnels irakiens, détachés pendant le conflit Iran-Irak, à la mission spécifique Reco avec l’utilisation d’un tout nouvel équipement à l’époque : la nacelle COR2 en emport sous fuselage, ancêtre du pod COR251, vendu quelques années plus tard sur Mirage 2000-SAD 8 puis 9 aux Émirats arabes unis. Nacelle comprenant un montage trimétrogone1 de caméras optiques argentiques OMERA 35P, une panoramique OMERA 40 de 140 ° utiles, équipements très similaires à ceux dont j’étais familier sur Mirage III RD, et un capteur infrarouge bande III (8-12 μm), Supercyclope, fraîche-ment développé par la SAT de Sagem, plus performant que le capteur Cyclope intégré sur Mirage III Reco au sein de l’Armée de l’air. Sur place au CEAM, l’équipe RECO-TAC, sous le commandement du comman-dant Dortomb, officier de marque F1CR de l’époque, nous prêtait main forte, principa-

lement pour toute la phase d’exploitation de mission, développement des films argen-tiques, lecture de l’enregistreur IR et ana-lyse des clichés sur table lumineuse PIMS avant la rédaction du RECCEXREP.

Un peu plus de deux mois dans la douceur des Landes avec des avions rutilants neufs que nous avions réceptionnés directement à Bordeaux-Mérignac, des équipements nou-veaux et performants, une équipe restreinte et dynamique, le soutien technique et logis-tique de Dassault Aviation, et des pilotes irakiens2 très motivés et avides d’apprendre : bref, un vrai paradis !

À l’issue de cette formation intensive, peut-être en récompense d’une mission accomplie avec succès, j’avais le privilège de participer également à l’aventure d’un convoyage de six Mirage F1EQ depuis la France vers l’Irak, en l’occurrence vers la base aérienne de Qayyarah au sud de Mos-soul, qui abritait la flotte des F1 irakiens, alors en plein conflit ouvert avec l’Iran de-puis le 20 septembre 1980.

Récits

F1EQ à l’ETT de Mont-de-Marsan.

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17 novembre 1981, escadron chasse du CEAM à Mont-de-Marsan

Dans la salle d’opérations, nous affinions notre préparation de la mission ; pas de CINNA3 ni de SLPRM pour nous mâcher la tâche. Crayons, cartes 1/500 000 « peau-decouillées » et itinéraires CAG-IFR, fiches de percées, En Route US, abaques et règle CRAS, à l’ancienne. Le profil de vol était imposé par l’incapacité à ravitailler en vol avec cette première version du F1EQ. Il nous fallait donc faire du « cabotage » au plus court. Autre point particulier impor-tant, compte tenu du conflit sur place, nous n’aurions qu’un créneau très court pour sur-voler l’Irak, nous poser et repartir immédia-tement, avec une « clearance diplomatique obligatoire » avant de partir sous un vol OACI, CAG-IFR incognito, sous indicatifs F-UIXX, pour les six avions en patrouille. Il fut donc décidé de progresser d’abord vers la base de Solenzara… au plus loin des fron-tières de l’espace aérien français, puis, dès le feu vert diplomatique obtenu, de s’envoler vers Qayyarah avec une escale impérative à Tanagra, en Grèce, en zone Otan, pour un refueling et une cristallisation appropriée des radios V-UHF, avant d’aborder l’espace des conflits en Irak. Le tout à réaliser dans une même journée. Par ailleurs, notre vol

devait être coordonné avec celui d’un Mys-tère 20 de Dassault Falcon Service affrété en suiveur par l’avionneur Dassault, chargé de nous récupérer à Qayyarah pour le retour en métropole… et d’assurer un soutien lo-gistique discret lors de l’escale à Tanagra. Enfin, nos avions sans cocarde apparente, devaient impérativement être désarmés pour cette mission et, pour assurer notre sécurité au-dessus de l’Irak, nous devions être escortés par des chasseurs locaux de-puis le point triple de la frontière nord Irak-Syrie-Turquie vers notre destination finale. D’ailleurs, les caissons à munitions canon, vidés, devaient nous servir de logement à bagages pour nos effets « civils », mon in-séparable appareil photo pour immortaliser ces instants et quelques autres matériels de première urgence en déplacement opéra-tionnel !

18 novembre 1981 :la mise en place initiale.

Nous voilà fins prêts pour un premier dé-ploiement à Solenzara, en attendant le Go diplomatique. Deux patrouilles simples de trois avions chacune en configuration bi-dons sous voilure de 1 700 litres. Des équi-pages chevronnés essentiellement issus du CEAM (Lcl Baisse, Cdt Guichard, Cdt Dor-

tomb et Cne Barat) ; seuls intrus dans le dis-positif, le Cne Aubert et moi-même, purs produits de la 33. Bien qu’à l’approche de l’hiver, la météo était clémente et nous ral-liâmes « Zara » sans souci après une heure dix de vol. Le support logistique Dassault nous y attendait à l’escale… et je me sou-viens d’une excellente soirée chez Doumé, en équipe constituée et en très amicale compagnie, entre un poisson bien frais de la Méditerranée et un fromage corse « hors d’âge » très affiné !

19 novembre 1981, base aériennede Solenzara : le faux départ !

Tôt le matin, briefing à l’escale tout équi-pés, plans de vol validés, dernière météo sur le parcours avec une TEMSI très favorable, dernières consignes de sécurité, nous étions

1- Procédé consistant à prendre simultanément des photographies avec trois appareils disposés en fais-ceau, de manière à couvrir une surface plus grande qu’avec un appareil unique ; les appareils sont montés de telle sorte que les photographies se recoupent de manière convenable.2- Cne Salah chef du détachement irakien, Ltt Kifah rescapé d’une éjection sur Mig21 aux premiers jours du conflit et pratiquement lynché par ses propres troupes au sol à l’atterrissage en parachute, Ltt Saad, Ltt Haithem, aujourd’hui tous disparus !

Compagnons d’expédition en attente sur l’île de Beauté.

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Récits

Le Piège n° 228 - Avril 2017 Revue des anciens élèves de l’École de l’air

Convoyage à Qayyarah - Irak novembre 1981

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parés pour le grand saut en attendant le Go diplomatique. Le temps filait et le feu vert de Paris ne venait pas. Eu égard à la contrainte d’accomplir la mission dans une même jour-née, nous avions une heure limite impéra-tive de décollage à respecter. Aussi, sans clearance officielle et compte tenu des élé-ments favorables d’environnement, nous dé-cidâmes de décoller juste avant cette heure limite, en gardant toujours la possibilité d’un demi-tour en route, si cette autorisa-tion ne venait pas.

Nous voilà donc partis vers l’Italie d’abord, en patrouilles constituées dans un ciel absolument limpide, grimpant rapide-ment vers les 40 000 ft de croisière et guet-tant les derniers ordres sur notre fréquence de travail. La décision, hélas !, ne tarda pas : alors que nous survolions les Pouilles vers Brindisi, la consigne d’annuler la mission nous fut communiquée et, à notre grand re-gret, il nous fallut rebrousser chemin vers « Zara » et nous poser avec précaution après un vol d’une heure vingt, en configuration encore très lourde. Faux départ !

Mais, peut-être à cause d’une météo par-ticulièrement clémente et d’une ambiance détendue et amicale au sein de l’équipe, il nous était facile d’attendre… et de retrou-ver notre ami Doumé, pour un second dîner de qualité dans le petit village de Solenzara.

20 novembre 1981, base aériennede Solenzara : le grand saut !

Bis repetita de la veille ! Mais cette fois-ci, l’autorisation diplomatique nous parvint à temps avant le décollage. Et c’est donc très sereins que nous nous envolâmes vers Tanagra, la base aérienne grecque au nord d’Athènes. Le ciel était toujours aussi pur, sans nuage, et la visibilité excellente dans un air un peu frais, toujours apprécié pour gagner un peu en poussée ! En formation dé-fensive 3+3, nous longeâmes la côte adria-

tique jusqu’à la pointe de la botte italienne, puis obliquâmes vers l’île de Corfou, et le Pé-loponnèse. Le panorama était splendide, la Méditerranée brillante de mille éclats sous le soleil levant et une côte rocheuse adria-tique bien découpée entre promontoires cal-caires et criques naturelles désertes à cette période de l’année. Il faisait bon dans la ca-bine et aucun tracas mécanique ne venait troubler la quiétude de notre croisière.

Les bidons étaient à peine vidés quand nous atteignâmes Tanagra, en face de la presqu’île d’Eubée, après une heure trente-cinq minutes de vol, pour une arrivée au break sans histoire avec, là encore, un at-terrissage de précaution, eu égard à notre masse encore très importante. Le temps de rejoindre le tarmac de l’escale de la base, et nous vîmes arriver au roulage le Mystère 20 de Dassault, qui vint se ranger à nos côtés. Nous avions peu de temps avant le deuxième départ vers Qayyarah, et pendant l’avitaille-ment de nos appareils, nous devions préparer nos postes V-UHF avec une cristallisation « confidentielle », prenant en compte en particulier les fréquences de contact avec la sûreté de l’espace aérien irakien. Dès la frontière de la FIR atteinte au nord du pays,

il nous fallait impérativement être pris en charge par leur radar GCI (Ground Control In-terception) baptisé « Ahmed » pour des soucis de coordina-tion Air-ASA au-dessus de leur territoire.

Nous voilà donc assis au pied de nos avions à manipuler les petits ergots des tambours de nos radios, extraits de la ca-bine… à l’ancienne ! Pendant ce temps, l’assistance Dassault nous avait concocté un très dé-licat buffet de canapés luxueux sur la voilure du Mystère 20, le tout arrosé avec grande mo-dération, d’un excellent saint-émilion Château Dassault… Quelle scène surréaliste que ce

repas rapide improvisé, en tenue de guerrier dans les effluves de kérosène, mais avec le plus grand raffinement dans les mets, entre foie gras mi-cuit et caviar Osciètre !

Un dernier briefing sur le parking même, derniers METARs favorables sur notre des-tination et sur le déroutement programmé potentiellement à Mossoul… et nous re-partîmes pour la dernière branche de notre convoyage, celle-là bien plus hasardeuse que les deux premières. Claude Dortomb était leader du dispositif, toujours en 3+3, en Defensive et Snake de patrouille. Le trans-fert CAG-IFR au-dessus de la Turquie se passa sans encombre. Le temps restait clair et ensoleillé en ce tout début d’après-midi, et après la traversée de la mer Egée vers Izmir, nous pouvions admirer au passage le plateau aride de la Cappadoce, puis les premiers contreforts de l’Anatolie, spec-tacle grandiose et sauvage ! Nous arrivâmes bientôt au fameux point triple des frontières irako-turco-syrienne : Claude nous ordonna de passer sur la fréquence d’Ahmed, comme convenu. Un rapide check intra-patrouille et nous entrions déjà dans l’espace aérien ira-kien, cap au sud-est vers Mossoul.

Claude appela Ahmed… sans réponse ! Plusieurs tentatives réitérées : toujours silence radio au GCI alors qu’à 40 000 ft nous progressions au Mach vers la base de Qayyarah, située à une cinquantaine de kilomètres plein sud de Mossoul et à une petite dizaine de kilomètres plein ouest du Tigre. Pas de contact, mais aussi, pas d’escorte : nous étions censés être inter-ceptés puis escortés par une patrouille de F1 locaux. Un détachement français, sous responsabilité de l’avionneur Dassault Aviation, était présent sur place depuis quelques mois pour la conversion de base des équipages de F1EQ fraîchement livrés. A priori, l’interception et l’escorte devaient être menées sous leadership de ces instruc-teurs. Claude insista mais toujours rien, et nous arrivions à présent pratiquement à la verticale du terrain toujours à 40 000 ft et au Mach.

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Le dispositif complet des F1EQ sur la base de Solenzara avant le départ pour Tanagra.

Itinéraire direct au-dessus de l’Irak.

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Mission accomplieLe soleil avait commencé à décliner et la

visibilité horizontale s’était dégradée au-dessus de ce désert de sable où l’on avait du mal à distinguer la piste de Qayyarah, par ailleurs peinte dans des tons camouflage-sable pour mieux se fondre avec l’environ-nement du terrain. Après un vol de plus de deux heures, nous ne pouvions pas attendre indéfiniment nos escorteurs et Claude dé-cida de passer sur la fréquence « tour » de Qayyarah, tout en partant en barrique nez bas en transsonique élevé à partir de la ver-ticale du terrain encore à 40 000 ft pour une arrivée directement en vent arrière. Peu aca-démique, mais efficace pour limiter notre temps de vol, car cette fois-ci notre confi-guration était très légère ! Numéro 2 de la première patrouille sur le F1EQ 4023, je me souviens avoir vu des fusées vertes tirées par la Vigie, pour nous confirmer l’autori-sation d’atterrissage.

Enfin, posés ! Mission accomplie (2 h 10 – ME) sans bobo, et sur le taxiway, nous eûmes droit à un beau véhicule Follow Me, pimpant de neuf et gyrophare en rotation, pour nous guider jusqu’aux hangarettes idoines. Escorte tardive certes, mais tou-

jours appréciée ! Le temps de récupérer nos affaires civiles dans les caissons munitions canon, nous rejoignîmes le bunker de com-mandement où tout le staff local nous at-tendait, sourire aux lèvres et moustaches heureuses. J’avais le plaisir de retrouver le major Salah (il venait d’être promu !) avec qui j’avais beaucoup volé, peu coutumier des mauvaises conditions météo dans son pays, il avait souvent sué sang et eau en patrouille serrée IMC sous mon aile, lors de nos mis-sions Reco « délicates » au-dessus du Massif central. Aujourd’hui sur ses terres, il était beaucoup plus détendu : une accolade frater-nelle, un thé bien chaud en debriefing amical avec quelques baklavas et des dattes med-jouls dans ce bunker austère à première vue, mais somme toute très confortable. Hélas, il ne fallait pas trop s’attarder.

La base de Qayyarah était en alerte, en préavis d’attaque aérienne imminente et le Mystère 20 de soutien qui s’était posé de-puis quelques minutes, était prêt à repartir sans délai.

Retour en FranceNous quittâmes donc nos compagnons

alors qu’un soleil rougeoyant s’était couché à l’horizon du désert de sable et de pous-

Évaluation Nacelle Harold en juin 1983 sur F1EQ ravitaillable à Mont-de-Marsan.

Photo furtive d’un de nos F1EQ à l’arrivée sur la base aérienne de Qayyarah.

sière alentour. Nous retrouvâmes le confort douillet des sièges en cuir du Falcon pour un retour sur Athènes International. À nos pieds, dans l’allée centrale, nos amis irakiens avaient déposé quelques magnifiques tapis de laine faits main à notre intention, en re-merciements discrets pour notre opération. Il faisait presque nuit à présent au moment du décollage, et l’équipage du Falcon, anciens chasseurs sur Mirage IIIE reconvertis dans le « transport de luxe », mit un point d’hon-neur à saluer nos hôtes par une lente et souple barrique nez haut en début de montée, tout en G positifs, sans même renverser nos verres de champagne encore pleins ! Peut-être aussi, voulaient-ils rappeler à nos yeux, leur glo-rieux passé opérationnel.

Un retour sans histoire après une longue journée ; un dîner sympathique entre « mer-cenaires » dans notre hôtel pour une courte nuit à Athènes, et le lendemain matin le vol tranquille vers Villacoublay.

Deux jours plus tard, c’était le relâ-cher et le renouvellement de carte verte à Dijon sur Mirage IIIBE, après cette pa-renthèse exceptionnelle en tous points, et le retour en unité de reconnaissance à Strasbourg en attendant la transforma-tion prochaine sur F1CR dans les forces et, plus personnellement, une autre belle aventure « temporaire » sur F1EQ nou-veau standard 83, quelques mois plus tard, avec l’expérimentation de la nacelle reco HAROLD, le nec plus ultra de la re-connaissance à grandes distances… tou-jours avec le major Salah !

Trente-cinq ans plus tard, cette opération convoyage vers Qayyarah m’est revenue en mémoire, à l’heure où l’actualité brûlante de la reconquête de Mossoul s’est arrêtée un instant sur Qayyarah. Des souvenirs em-plis d’adrénaline et de liens fraternels, bien loin des revirements politiques, des trahi-sons de tous côtés pour de sordides intérêts aux faux nez d’humanitaires ou de droits de l’homme, qui n’ont pu effacer ces moments d’humanité sincère quand nous partagions un même risque, une même passion, qu’im-portent l’uniforme ou les cocardes ! Pour quelques minutes, quelques heures de pur bonheur dans l’azur quand le temps ne s’écoule plus en secondes mais en batte-ments de cœur !

P-S : Détail cocasse de cette petite his-toire, nous n’avons jamais pu profiter des magnifiques et grands tapis offerts par les Irakiens, car dans l’impossibilité de les trans-porter avec nous en rentrant de Villacou-blay vers nos unités, ils végétèrent quelques jours dans un hangar de Villa avant que des douaniers curieux ne les confisquent… pour l’État français bien entendu !