Contrat avec un - ekladata.comekladata.com/U3cmKzfmVnMKFGdsyU6vagzm0wE/A-lui... · Découvrez les...

Egalement disponible :

Contrat avec unmilliardaire

Découvrez les aventures de Juliette etDarius, le milliardaire aux multiplesfacettes. Une intrigue sentimentaleintense et sensuelle qui voustransportera jusqu'au bout de vos rêvesles plus fous.

Tapotez pour voir un extrait gratuit.

http://www.amazon.fr/dp/B00GSVJQGY/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

http://www.amazon.fr/dp/B00GSVJQGY/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

Egalement disponible ettéléchargeable dans votre magasin :

Mr Fire et moi


http://www.amazon.fr/dp/B00D8KWK9I/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

http://www.amazon.fr/dp/B00D8KWK9I/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21


Les désirs du milliardaire

Découvrez la nouvelle romance de JuneMoore, qui dépeint avec délicatesse lesaventures amoureuses de la jolie Lou et

de son mystérieux milliardaire…


http://www.amazon.fr/dp/B00FFYT6S8/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

http://www.amazon.fr/dp/B00FFYT6S8/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21


Mords-moi !


http://www.amazon.fr/dp/B00DB4J5QC/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

http://www.amazon.fr/dp/B00DB4J5QC/ref=nosim?tag=wwwmultimed09-21

Olivia Dean

À LUI, CORPS ET ÂME

Volume 10

1. Intrigues

Ma mère n’est pas morte. C’est ceque je comprends. Du moins, elle n’estpas morte en me donnant la vie. C’estétrange, mais à part la surprise, je nesaurais définir ce que je ressens au juste.Je n’ai jamais souffert de son absence,je n’ai pas été bouleversée par sa mort.Elle n’était pas là, c’était un état de fait.Elle n’est toujours pas là, mais elle n’estvraisemblablement pas morte. Je relis laphrase de mon père pour la dixième fois.

« Elle n’est plus là, qu’est-ce que ça

change, c’est comme si elle étaitmorte. »

Mon père avait raison. Qu’est-ce queça change après tout ?

Je n’arrive pas à penser à elle. Elle,c’est quelques photos que j’ai trouvéeschez mon père. Une femme en robe àfleurs, l’air ailleurs, figée dans un étéque je n’ai pas connu. Ça pourrait toutaussi bien ne pas être elle. Comme cesportraits de femmes qu’on met dans lescadres dans les magasins, une« suggestion de présentation ».

Non, c’est à mon père que je pense.Comment a-t-il pu élaborer ce

mensonge ? Vivre avec pendant silongtemps. Ne rien me dire, souffrir etmourir sans jamais m’avoir dit la vérité.Et ses parents ? A-t-il menti à tout lemonde ? Ça me semble peu crédible. Ilfaut bien que j’accepte l’idée qu’ilsm’ont tous menti. Pourquoi ? Pour monbien ? Pour ma santé mentale ? Commes’il était mieux pour moi que je croieque je l’avais tuée, plutôt que de savoirqu’elle ne voulait pas me connaître. Jen’arrive pas à le comprendre. C’étaitsimple pour lui de m’avouer la vérité.Pourquoi a-t-il choisi ce mensonge ?Pour moi ? Pour lui ? Est-ce qu’il avaitfini par y croire ? J’essaie de repenser ànos discussions à ce sujet. Nous en

avions peu. Maintenant que j’y repense,je me rends compte qu’il me répétaittoujours les mêmes mots. J’ai vu assezde films policiers pour savoir que c’estle signe distinctif du mensonge. Maiscomment aurais-je pu soupçonner unseul instant que mon père me mentait ? Ilest trop tard pour être furieuse. Je suisjuste triste, je crois.

Manon… Manon va m’aider à y voirplus clair, c’est sûr. Par bonheur, monamie répond toujours au téléphone.Même en pleine nuit, je sais que je peuxcompter sur elle. Je lui raconte toutd’une traite : mon retour à Paris,l’appartement que Charles a aménagépour moi à côté des Champs-Élysées et

surtout le journal de mon père. Ma mèrene voulait pas d’enfant, elle est partie lejour de ma naissance. Et mon père achoisi de me faire croire qu’elle étaitmorte…

« Ta vie ressemble à un roman-fleuve !

— Hélas ! Qu’est-ce que tu enpenses ?

— Ce n’est pas mon genre delittérature, mais tu peux toujourscontacter un éditeur.

— Manon !— Excuse-moi. Tu es bouleversée ?

Je veux dire, pour ta mère ?— Bouleversée, non. Je ne sais pas.— Tu as envie de la rencontrer ?

— Envie… Non. Mais je suiscurieuse. Je voudrais savoir qui elle est.La voir, puisqu’elle existe.

— Fais-le, alors !— Ce n’est pas si facile…— Tu as son nom ?— Je sais qu’elle s’appelait

Meredith. Enfin, si ça se trouve, c’estpeut-être faux.

— Mais toutes ces années, tu n’asjamais eu à remplir de papiersofficiels ?

— Non, pas vraiment. Enfin, quandon me posait des questions sur mafamille, je parlais juste de mon père.

— Et ton passeport ? En France, ondoit donner tout un tas de justificatifs, le

livret de famille, tout ça… Toi, rien ?— Je sais que ça paraît fou, mais je

n’ai jamais eu à fournir de preuves. Lespapiers, c’était mon père qui s’enoccupait… Mon boulot à moi, c’était deramener de bonnes notes.

— Tu n’as jamais trouvé ça louche ?— Non… Pourquoi aurais-je trouvé

ça louche ? Je trouvais juste ça gentil.Tu doutes de tes parents, toi ?

— Non, bien sûr… T’as pas le choix,tu dois aller fouiller dans les archivesde ton père.

— Et retourner à Lansing, dans lamaison où je l’ai vu mourir… Je n’en aipas trop envie pour le moment.

— Et tes grands-parents ?

— Je n’ai plus que ma grand-mèrepaternelle et je n’ai pas très envie de lamêler à ça.

— Si tu n’y mets pas du tien, ça vaêtre difficile !

— Je me vois mal l’appeler à lamaison de retraite et lui dire que j’aidécouvert qu’elle me mentait. Je ne veuxpas changer nos rapports, déjà qu’on sevoit rarement. Tu sais qu’elle n’a mêmepas pu venir à l’enterrement de sonfils… Si ça se trouve, je vais découvrirque ma mère était une psychopathe, je neveux pas me fâcher pour unepsychopathe…

— Du coup, tu abandonnes avantd’avoir commencé ?

— Non. En fait, j’ai bien une idée,mais ça va te paraître tordu.

— Balance !— Je t’ai parlé de la femme de

l’hôpital ?— Celle que ton père a congédiée

quand tu es arrivée ? Tu penses que c’estta mère ?

— Non. Enfin… Ce que je pense,c’est qu’elle a un rapport avec tout ça.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?— Elle avait un air qui m’était

familier, et puis mon père l’a congédiéesi subitement, si violemment, comme s’ilne voulait surtout pas que nous ayons unquelconque échange. Il y a aussi lavoisine, Judy, qui croyait que c’était ma

tante…— Mouais.— Tu trouves que c’est tiré par les

cheveux ?— Un peu, mais sait-on jamais ?— Tu vas m’aider ?— Bien sûr ! Trouve-moi le nom de

la visiteuse et je m’y mets.— Merci. »

Trouver son nom… Ça ne devrait pasposer trop de problèmes, l’hôpital notele nom de tous les visiteurs. La dame del’accueil se souvient très bien de moi, la« pauvre petite », et est toute disposée àm’aider. Je l’embrouille en disant quec’est pour les remerciements, tout ça. Lafemme s’appellerait Mary Clowes. Elle

devait repartir pour Paris. C’est doncqu’elle y vit ? Ma tante/mère habite prèsde chez moi ? Si ça se trouve, elle mesuit, elle me couve d’un œil discretdepuis toujours, planquée derrière unjournal ?

Je dois me calmer, cette femme n’apeut-être rien à voir avec ma mère…

Je transmets ces informations àManon, qui se met aussitôt « sur lecoup », comme elle dit. Penser à autrechose. Pour commencer, aller chercherma voiture au garage. Ayant étépropulsée à la tête de Delmonte Inc.depuis que Charles est en cavale, j’aiune voiture de fonction. Évidemment,

c’est une voiture de luxe. Mais discrète.L’intérieur sent le neuf, le tableau debord semble en bois. Très chouette. Il ya un petit écran, sans doute le GPS. Jel’allume et entre « Tour Eiffel » pourl’essayer. Une voix suave me guide àtravers les grandes avenues parisiennes.Je retrouve le plaisir de conduire, demaîtriser quelque chose. Un peu demusique… c’est parfait. Soudain, lamusique cesse et un petit rond rougeclignote sur l’écran. Je le touche et…mais c’est Charles !

« Bonjour…— Charles ! »

Je voudrais dire quelque chose

d’intelligent, mais le voir, entendre savoix comme s’il était réellement à côtéde moi et le savoir pourtant inaccessibleme bouleverse.

« Tu ne pensais pas que j’allais telaisser seule aux commandes de cebolide ? plaisante-t-il.

— Où es-tu ?— Pas loin. Mais c’est un secret.— Tu vas bien ? réussis-je à

articuler.— Oui et non. Physiquement, ça va.

Pour le reste… je suis toujours accusédu meurtre de ma femme, ce qui n’a riende confortable. Contrairement à tatenue ! »

Évidemment, il y a une webcam !Charles peut donc admirer à loisir monjean fétiche et mon sweat-shirt àcapuche. S’il se moque de moi, c’estqu’il va bien…

« Tu ne vois pas, mais je porte destalons aiguilles indécemment hauts.

— Pour conduire, c’est pratique, tuas raison…

— Tu en es où ?— Pas loin… J’ai perdu la trace des

statues, je vais enquêter sur les sociétésde Dimitri.

— Tu sais, je crois qu’il faudraitenquêter sur Alice. Son histoire n’estpas si claire. Pourquoi t’en voulait-elleautant ?

— Je ne sais pas. Depuis qu’elles’est réveillée, ce n’est plus la mêmefemme. Ce n’était… je veux dire.

— Est-ce que ça t’ennuierait quej’aille mener mon enquête à la clinique ?

— Je ne sais pas si c’est une bonneidée…

— Tu me fais confiance ?— Bien sûr, Emma, là n’est pas la

question. Mais je me demande biencomment tu vas faire pour entrer.

— Ne t’inquiète pas, j’ai ma petiteidée ! »

En vérité, je n’ai aucune idée, jen’avais même pas réfléchi à ceproblème, je veux juste qu’il nes’inquiète pas pour moi. Je vais essayer

d’y aller au culot. Je me suis garée etnous discutons encore un peu. Il estfatigué, ses traits sont tirés, mais soncharisme animal n’a rien perdu de sonpouvoir sur moi. Sentir ses yeux sur moncorps, même de façon virtuelle, metrouble au plus haut point. Je me retiensde caresser son visage sur l’écran…

Je lui parle de ma mère ; d’après lui,c’est une bonne chose que j’essaie de laretrouver. Lui a peu connu ses parents,me raconte-t-il, c’étaient apparemmentdes gens très guindés, valorisant lerespect des convenances et lesapparences. Il me dit qu’il enviait marelation avec mon père.

« Une relation basée sur le mensonge,ça te fait envie ? »

Je n’ai pu retenir un sanglot.

« Après toutes ses années, je nedirais pas ça. Il t’a menti, soit, maisvotre complicité était vraie, elle n’avaitrien à voir avec ce mensonge. Et puis,après tout ce temps, c’était devenu savérité. Est-ce que ça remet en causevotre amour ? »

Je pleure. Non évidemment, maisj’aurais tellement aimé… Je m’essuieles yeux avec ma manche, comme uneenfant.

« Dans la boîte à gants.— Comment ?— Il y a des mouchoirs dans la boîte

à gants.— Merci. »

2. Souvenirs et fauxsouvenirs

Rester chez moi à attendre que letéléphone sonne ne m’apportera rien.D’autant que j’ai un portable. J’ai ditque j’allais à la clinique. Alors, allons-y. Je n’ai toujours pas trouvé de raisonvalable, mais je vais tenter le coup. Jevais y aller d’autorité. M’habiller chic,ne douter de rien. Ça marche souvent.Avec moi, en tout cas.

J’entre l’adresse de la clinique de la

Vire sur mon GPS et c’est parti. Lacampagne normande que j’avais trouvéesi charmante est à présent froide et nue.En partie parce que je suis seule. Mêmepas un Charles virtuel pour me tenircompagnie.

« Vous êtes arrivée. »

La première fois, nous nous étionsgarés dans la campagne, à l’abri desregards. Aujourd’hui, je sonne àl’interphone de l’imposante grille de ferforgé.

« Oui ?— Emma Maugham, pour Delmonte

Incorporated. »

Mon ton doit être convaincant, laporte s’ouvre dans le silence. Personnedans le parc, une pluie fine et glacées’est mise à tomber. Je me gare dans leparking presque vide et gravis lesmarches du perron. Un jeune homme enblouse blanche m’accueille avec ungrand sourire.

« Bonjour ! Vous venez rendre visiteà quelqu’un ?

— Bonjour. Non. Je représente lesintérêts de M. Delmonte, dont la femmeest récemment décédée dans descirconstances tragiques. Je souhaiteraisparler à un responsable. »

Son sourire s’est envolé. Il me fait

pénétrer dans une petite pièce garnie defauteuils confortables et de magazines detricot. Il fait trop chaud, ça sent la soupe.Je déteste déjà cet endroit. Une femmeimposante en tailleur pénètre dans lapièce.

« Bonjour. Brigitte Lefebvre, je suisla directrice adjointe de cetétablissement. Désolée de vous avoirfait attendre, mais la personne qui vous aouvert n’a pas très bien saisi la raisonde votre visite. »

Je répète la phrase magique, sûre demoi.

« Je représente les intérêts de M.

Delmonte, dont la femme est récemmentdécédée dans des circonstancestragiques. Je souhaiterais parler à unresponsable.

— Vous êtes de la famille ?— Non.— Dans ce cas, madame…

mademoiselle, je vous demande de bienvouloir sortir.

— C’est hors de question.— Voulez-vous que je fasse appel au

service de sécurité ? »

Je vois bien à quel jeu elle joue. Çatombe bien, je commence à le connaître.Elle essaie de m’intimider, mais il m’enfaut plus. Son service de sécurité nem’émeut pas du tout. Je ne bouge pas.

« Je veux juste parler à unresponsable. J’attends. »

Mme Lefebvre est furieuse. Elletourne les talons et part en essayant declaquer la porte ; malheureusement, elleest dotée d’un système qui empêche cegenre d’éclat. Je souris. Je l’entendss’en prendre à l’infirmier qui m’aouvert… Le pauvre. Bien sûr, je ne croispas une seule seconde à cette histoire deservice de sécurité. Je feuillette unmagazine de tricot pour passer le temps.

Soudain, la porte s’ouvre sur troispersonnes. Une infirmière à l’air gentilet un couple de quadragénaires timides.Elle m’adresse un demi-sourire

interrogatif et installe le couple dans lesfauteuils.

« Je reviens très vite », promet-elle.

La femme me sourit, elle veut parler.

« Bonjour, mademoiselle. Vous avezde la famille, ici ?

— Non, enfin, j’avais de la famille.— Excusez-moi, je ne voulais pas

vous déranger. C’est juste qu’on vientpour la première fois. On doit placernotre mère… Elle est malade, on ne peutpas s’occuper d’elle. Elle n’a plus toutesa tête.

— Je comprends, c’est une décisiondifficile…

— Oui. On a visité plusieursétablissements. Celui-là est plus cher,mais s’il est meilleur… »

Je n’ai pas le temps de la rassurer, laporte s’est ouverte sur la Mme Lefebvre,qui me fixe, toujours furieuse.

« Mademoiselle Maugham, veuillezme suivre. Tout de suite. »

Je la suis à travers les longs couloirsvides de la clinique. C’est toujoursmortellement silencieux. Les« malades » doivent être à l’étage,j’imagine. Elle frappe à une porte enbois.

« Docteur Belgrand. La personnedont je vous ai parlé. »

Elle a toujours son air ulcéré. Il luilance un regard curieux, comme sic’était un gros oiseau exotique. Elle sortet il m’invite à m’asseoir. Il est assisderrière un bureau imposant, une jeunefemme effacée se tient debout à côté delui.

« En quoi puis-je vous êtes utile ?— Je représente les intérêts de M.

Delmonte. Je voudrais en savoir plus surle séjour de sa femme parmi vous.

— Alice Duval, c’est ça ? »

Il a l’air beaucoup plus coopératif. Il

ouvre un dossier devant lui et leparcourt.

« Écoutez, mademoiselle. C’est unedémarche tout à fait inhabituelle et jedoute qu’elle soit bien légale. »

J’aime bien son sourire. Il me faitpenser à mon père. C’est un sourire quisemble dire : « Bon, je n’ai pas vraimentle droit de faire ça, mais je vais vousaider, vous m’êtes sympathique. »

« Malheureusement, je n’ai pasgrand-chose à vous dire. Le dossier deMme Duval est d’une désespérantebanalité. Elle est restée dans un étatquasi végétatif pendant longtemps, elle

s’est réveillée, a suivi une courtethérapie avec un confrère et puis on l’afait sortir.

— Mais ce confrère ?— Il ne pourra pas vous aider, il nous

a quittés la semaine dernière, crisecardiaque.

— Et son dossier ?— Je l’ai sous les yeux, mais il n’y a

vraiment rien de palpitant, désolé devous décevoir. Traitement lambda,séances ennuyeuses, médicaments on nepeut plus classiques… Riend’anormal. »

Il referme le dossier et me sourit.

« Je ne sais pas ce que vous

cherchez, mais vous ne le trouverez pasdans ce dossier. Désolé. Ma collègue vavous raccompagner. »

Ladite collègue est restée crispée,visiblement mal à l’aise. La porte sereferme sur le docteur Belgrand, j’aijuste le temps de l’apercevoir jeter ledossier à la poubelle. Il s’est foutu demoi. Ces sourires, cette bienveillance,c’était pour m’embobiner…

« Qu’est-ce que vous me cachez ? »

L’assistante me regarde, interdite.

« N’essayez pas de me mentir, j’aibien conscience que c’est ce que votre

patron vient de faire.— Mais non… rien.— Vous avez l’air honnête. J’ai bien

vu que vous étiez mal à l’aise.— Je… Oui. Mais je ne peux pas

vous parler ici.— Quand ? »

Nous sommes sur le perron. Je laregarde intensément. C’est ma dernièrechance.

« Il y a un café à la sortie de la ville.Rejoignez-moi dans une heure.

— Entendu. »

Elle referme vite la grande porte surmoi. Je ne sais pas si elle viendra au

rendez-vous.

Le bar en question est une espèced’auberge comme on en trouve tant aubord des départementales françaises. Ony sert des œufs mayonnaise et des steaksfrites. Pour l’heure, il n’y a qu’un routierqui boit un café au bar. Je m’installedans le fond de la salle, commande unthé. L’assistante ne tarde pas. Elle ne melaisse pas le temps d’entamer laconversation. On sent qu’elle en a lourdsur le cœur.

« Le docteur qui a suivi Mme Duval.Il n’est pas mort. Il est parti.

— Comment ça ?— C’était un intervenant extérieur

payé par une société, un centre derecherche, je crois. On parlait de« protocole expérimental ». Au début, ilne venait que pour Mme Duval, maisbientôt une famille qui avait son fils à laclinique a entendu parler de ce docteuret a exigé le fameux traitementexpérimental. Le docteur n’était pas trèschaud, mais a finalement accepté pourune somme indécente. Bref, il suivaitMme Duval et cet autre jeune homme.Ça a bien duré un an.

— Comment ça, un an ? Je croyaisqu’elle s’était réveillée cet été ?

— Non. Le « docteur » disait que çafaisait partie du traitement expérimental.Que la famille était au courant, mais que

leur fille ne devait voir personne d’autrependant le traitement.

— Vous voulez dire qu’elle étaitréveillée depuis un an ?

— Elle avait des phases deconscience, oui.

— Et en quoi consistait ce fameuxprotocole ?

— Mystère… Le « docteur » tenait àrester seul avec ses patients. Au début,ça ne nous a pas choqués. Mais l’étédernier, le père du jeune homme est venunous demander des comptes. Son filsportait plainte contre lui. Pour viol.

— Hein ? C’était vrai ?— Je ne crois pas, non. Vous avez

déjà entendu parler du phénomène des

faux souvenirs induits ?— Non.— C’est de la manipulation de la pire

espèce. C’est souvent l’apanage dessectes mais, hélas, c’est aussi fréquentdans le milieu médical. Les gens sont enposition de faiblesse, ils accordent touteleur confiance à une personne qui se ditthérapeute ou autre et qui leur met destrucs dans la tête. Le plus souvent, c’estdu genre : « Vous avez des souvenirsrefoulés, on va essayer d’y voir plusclair ensemble. » Et après une pseudo-thérapie, la personne accuse ses parentsdes pires ignominies. Il y a procès ouplus généralement transaction financièreau cours de laquelle le thérapeute prend

un large bénéfice.— Et donc, ce docteur, il a fait ça ?— Apparemment. Quand le père est

venu demander des explications, ledirecteur de la clinique a demandé sesréférences au psy, prétextant qu’il devaitremplir des formalités administratives.L’autre l’a mal pris, est monté sur sesgrands chevaux, a affirmé que lui, unéminent chercheur, n’avait pas à sejustifier… mais qu’il apporterait tout çale lendemain.

— Et ?— On ne l’a plus jamais revu.— Comment ça ?— Aucune trace. C’est comme s’il

n’avait jamais existé.

— Mais la clinique, elle ne l’a pasrecherché ? Elle n’a pas porté plainte ?

— Non. Le directeur ne voulait pasde mauvaise publicité. Vous imaginez, ilaurait dû avouer qu’il avait accepté deconfier la santé mentale des patients à uncharlatan… Ils ont donné une grossesomme aux parents. On a renvoyé MmeDuval à la vie civile, et on n’en a plusjamais reparlé.

— Pourquoi acceptez-vous de meparler aujourd’hui ?

— J’ai vu qu’elle était morte. MmeDuval. Avec le jeune homme, là.

— Guillaume ?— Oui, c’est ça.— Vous voulez dire que Guillaume

avait un rapport avec cette histoire defaux souvenirs induits ? L’histoire deviol, c’est lui ?

— Non, pas du tout. Mais il étaitsouvent à la clinique pour voir son frère.

— Qu’est-ce qu’il avait, son frère ?— Qu’est-ce qu’il a, vous voulez

dire ? Hémiplégie gauche,principalement. Martin, c’est son nom,venait de naître, il était en voiture avecses parents, ils ont eu un accident. Ilssont morts sur le coup, lui est restéhandicapé à vie avec un besoin de soinsconstants, enfin je ne vais pas entrerdans le détail. Les grands-parents ontrecueilli Guillaume et ont payé lespremières années de clinique avec

l’héritage. Après la disparition desgrands-parents, Guillaume a enchaînéles petits boulots pour payer les soins,mais maintenant… Je ne sais pas cequ’il va arriver à son petit frère… »

Nous restons silencieuses un instant.Il est tard déjà et j’ai l’impression queje ne sais pas encore tout.

« Donc, le rapport entre Guillaume etAlice ?

— Ah oui. Guillaume restait souventdîner avec son frère. Les filles de larestauration connaissaient sa situation,on oubliait régulièrement de lui facturerses repas. Tout le monde l’aimait bien. »

Je pense que moi aussi, je l’aimaisbien à un moment. Quel gâchis !

« Il y a quelques mois. Mme Duval acommencé à socialiser. Elle s’est tout desuite bien entendue avec ce jeune homme‒ c’est vrai qu’il était mignon. Et puis, iln’était pas malade, ça devait lui faire dubien ! À un moment, j’ai même eul’impression qu’il y avait quelque choseentre eux. J’ai vu qu’elle lui donnait del’argent plusieurs fois. Je n’ai rien dit,elle était riche et lui avait besoind’argent… »

Il fait nuit. Elle regarde sa montre.Son mari l’attend à la maison avec leursenfants. Elle va partir.

« Attendez ! Vous pourriez me donnerdes preuves ?

— C’est-à-dire ?— Des dossiers, des e-mails…

N’importe quoi qui pourrait prouverqu’Alice s’est fait manipuler par uncharlatan ?

— Je ne sais pas. Il faudrait que jecherche dans l’ordinateur du docteurBelgrand…

— Vous pouvez le faire ?— J’ai le mot de passe. Mais je

risque gros là-dessus…— Vous voulez enterrer l’affaire,

vous aussi ? Après tout ce que vousm’avez dit ? Est-ce que vous n’avez pasenvie de révéler la vérité ? De travailler

honnêtement ?— Si… Je… Le mercredi matin, le

docteur Belgrand n’est pas à la clinique,je pourrais sans doute aller jeter un œil.

— S’il vous plaît… »

Je ne peux m’empêcher d’avoir leslarmes aux yeux.

« Demain, même heure, mêmeendroit. Si je ne suis pas là, c’est que jen’ai rien trouvé. »

Ou qu’elle n’aura pas eu lecourage…

Elle part, je ne sais pas si je lareverrai.

J’ai décidé de passer la nuit àl’auberge. Rien à voir avec lesétablissements que j’ai pu fréquenterrécemment. Néanmoins, le personnel estsympathique, un peu curieux à monégard, mais je les comprends. Que peutbien faire une jeune femme seule ensemaine dans un routier paumé en pleinmois d’octobre ? Ma chambre est triste,mais propre. Je repense à la suite dePuerto Vallarta, j’ai l’impression devivre une autre vie. Tant de choses sesont passées depuis deux mois. Monpère… Je peux bien pleurer, les lieuxs’y prêtent et je suis toute seule. Siseule…

On frappe. La patronne m’informe

que si je veux descendre dîner, il y a dela blanquette maison (c’est elle qui l’afaite). Je n’ai pas faim. Elle insistegentiment en restant à la porte. Tant desollicitude me désarme. Les larmes queje pensais avoir ravalées se mettent àcouler le long de mes joues malgré moi.Martine, c’est son nom, vient s’asseoir àcôté de moi et me tend un paquet demouchoirs. Elle ne dit rien, elle est justelà à attendre que je me calme. Et puis,après un long moment…

« Blanquette ?— Blanquette. »

Je la suis dans la salle de restaurant.Comme je suis la seule cliente ce soir, je

reçois toutes les attentions. J’ai mêmedroit à un ramequin de crème caramel,cadeau de la maison. C’est le cœurpresque léger que je retourne à machambre. J’ouvre mon ordinateur, jeveux noter tout ce que j’ai apprisaujourd’hui.

Donc, Alice était réveillée depuis unan. Pendant cette année-là, elle a suiviune mystérieuse thérapie avec un« docteur » qui s’est avéré être unescroc manipulateur. C’est lui, a priori,qui lui aurait donné cette idée devengeance. Elle croyait peut-être doncvraiment que Charles lui avait nui etallait recommencer ? Comme le jeunehomme qui pensait que son père l’avait

violé ? Guillaume quant à lui était aumauvais endroit au mauvais moment,elle s’est servie de son désarroi et deson besoin désespéré d’argent pour fairede lui sa marionnette. L’icône Skypeclignote tout à coup.

« Maximilien de Winter veut entreren contact avec vous. »

Je ne connais pas de Max… Mais si,c’est le héros de Rebecca ! C’estCharles ! Oui, évidemment quej’accepte !

« Dites donc, vous n’êtes pas trèsfarouche, mademoiselle Maugham. Vousacceptez toutes les mises en relation

comme ça ?— Non, juste celles de héros de

romans, riches et ténébreux… »

Il rit, révélant sa fossette magnifique,et je sens mon cœur battre à tout rompre.Il est dans une chambre d’hôtel, luiaussi, pas du même standing que le mien,de toute évidence. Soudain, son beausourire s’efface, il demande,préoccupé :

« Mais où es-tu ?— À l’hôtel. Comme toi, on dirait.— Mais Emma, c’est un bouge !

Qu’est-ce que tu fais là ? Tu as desproblèmes ?

— C’est à côté de la clinique de la

Vire…— Tu as réussi à voir quelqu’un ? »

J’en ai assez de ces échanges virtuelset superficiels. Je voudrais qu’il meprenne dans ses bras, je voudrais sentirson parfum, lui dire qu’il me manque…Mais nous n’avons pas le temps et jen’ai droit qu’à une image sur un écran…

Je lui raconte ma visite avecl’assistante, l’histoire du faux psy, il estatterré. Je lui dis que j’en saurai sansdoute plus demain. Et puis il y a quelquechose que je veux lui demander, mais jene sais pas comment m’y prendre…Finalement, c’est lui qui aborde laquestion.

« Le frère de Guillaume, je ne saispas comment il s’appelle.

— Martin, je crois.— Martin. Qu’est-ce qu’il va

devenir ?— Je ne sais pas. Il va y avoir une

enquête sociale. Je ne sais pas ce qu’onfait dans ces cas-là… Peut-être qu’il vaêtre placé dans une famille ?

— Parce que c’est un enfant ?— Oui, il a dix ans.— Bon, tu sais ce qu’on va faire ? »

Je ne sais pas ce qu’on va faire, maisj’aime la façon qu’il a de le prononcer.J’espère qu’on se retrouvera un jour,bientôt.

« On va lui payer son séjour à laclinique. Et puis, quand tout ça sera fini,je ferai appel à une fondation que jeconnais, on lui trouvera une familled’accueil. Enfin, si tu es d’accord ?

— J’allais te le demander.— Tu n’as pas besoin de me le

demander, tu sais, je te rappelle que tugères Delmonte Inc… Et que, pour cettemême raison, tu aurais pu chercher unhôtel plus… sympa. »

J’ignorais Charles si sensible au sortdes enfants… C’est bien. Je crois. Jerédige un e-mail au service financier deDelmonte Inc. pour qu’ils mettent enplace le paiement des soins de Martin.Je demande aussi à ce qu’on m’envoie

un rapport hebdomadaire de ses soins etdes progrès qu’il fait ‒ je ne tiens pas àce qu’il soit victime d’un psychiatre fou,lui aussi… Quand tout ça sera classé,nous irons le voir, avec Charles. Lepauvre, il ne doit plus avoir de visites.

3. Vanités

De retour à Paris, j’explore lesdocuments que l’assistante m’afinalement donnés. Elle était au rendez-vous, pressée, stressée, avec un disquedur externe. Elle est partie comme unevoleuse après m’avoir fait jurer de neplus la contacter et de ne parler d’elle àpersonne. J’aurais bien du mal… je neconnais même pas son nom de famille.J’ouvre le dossier comportant les e-mails. Elle n’a pas fait ça à moitié, j’aitoute la boîte e-mail de Belgrand !

De : Michel BelgrandÀ : tousObjet : Protocole expérimental Bonjour,Nous accueillerons à partir de mardiprochain le docteur Drouganine. Ilviendra trois fois par semaines’occuper de Mme Alice Duval. Ils’agit d’un protocole expérimentalindépendant, le docteur Drouganinene suivra aucun autre patient dansnotre établissement. Merci de luiréserver un bon accueil et derépondre à ses besoins s’il voussollicite.

Soit. Mais ça ne me dit pas d’où ilsort, ce Drouganine. Le reste des e-mailsne m’apprend pas grand-chose. Si, queMichel Belgrand est assez bon endissimulation.

De : Michel BelgrandÀ : tousObjet : Fin du protocoleexpérimental Le protocole mis en place pour lespatients Duval et Morin s’est achevévendredi. Le docteur Drouganinenous a donc quittés, étant appelé versd’autres missions. Nous luisouhaitons le meilleur…

Quelle enflure ! Il est vraiment fortdans l’art du mensonge. Par chance, ilest moins fort en bureautique ! S’il a jetéses e-mails compromettants, il a oubliéde vider la poubelle.

Voyons voir…

De : Brigitte LefebvreÀ : Michel BelgrandObjet : Re : Fin du protocoleexpérimental Tu crois que que ça va se passercomme ça, Michel ? Tu as bienconscience que tout le monde a vu le

père de Morin faire un scandalejeudi ? Tu crois que tout le monde vafaire comme si de rien n’était ?

C’est la personne qui m’a sigentiment accueillie à la clinique. Ellem’a l’air plus sympathique,maintenant.

De : Michel BelgrandÀ : Brigitte LefebvreObjet : Re : Re : Fin du protocoleexpérimental Tu n’es pas sans ignorer que c’est lacrise, chère Brigitte. Les gens

tiennent à leur emploi. J’espère quec’est aussi ton cas.Bien amicalement,Michel

Je vois le genre. Je m’étaisdécidément trompée du tout au tout surces personnages. Cherchons encore.

De : Institut LanaïevÀ : Michel BelgrandObjet : Symposium annuel Cher confrère,Je me permets de vous inviter à notrepremier symposium annuel. Vos

travaux concernant le syndrome deFregoli ont été une très grande sourced’inspiration personnelle, c’estpourquoi vous me feriez un immensehonneur en acceptant d’en être leparrain et l’invité d’honneur. Cesymposium se tiendra au printempssur notre campus universitaire.Par ailleurs, notre institut derecherche, qui a mis en place unprotocole expérimental pouraccompagner les personnes souffrantde différentes formes de stress post-traumatique, cherche desétablissements où nos praticienspourront exercer le temps de la cure.Je sais que vous dirigez de main de

maître un établissement psychiatriquede renom. Ce projet est-il susceptiblede vous intéresser ?Bien cordialement,Igor LanaïevUniversité de Varsovie —Laboratoire de psychiatrie appliquée

De : Michel BelgrandÀ : Institut LanaïevObjet : Re : Symposium annuel Cher confrère,Votre invitation me fait chaud aucœur, je serai honoré de participer àce symposium.

Quant à votre autre proposition, c’estavec plaisir que nous accueilleronsl’un de vos thérapeutes.

Hum, hum, ça sent le coup fourré toutça… Gagné ! Quarante-huit heures plustard, nouveau message de l’institutLanaïev.

De : Institut LanaïevÀ : Michel BelgrandObjet : Protocole expérimental Cher collègue,Je ne pensais pas vous solliciter sivite, mais le docteur Drouganine a été

sollicité pour prendre en charge votrepatiente, Mme Duval, dans le cadredu protocole expérimental dont jevous ai parlé. Acceptez-vous del’accueillir ? Bien sûr, nous avonsprévu un dédommagement financierpour le surcoût que cela pourraitengendrer.Merci de me répondre rapidement,dans le cas d’un refus, nous serionsobligés de transférer Mme Duvaldans un autre établissement…

C’est du grand art !

Je ne sais pas qui sont ces gens, maisils savent s’y prendre, décidément. Le

reste des e-mails ne m’apprend pasgrand-chose de plus. Michel Legrands’est fait avoir. On l’a bien flatté pourl’amadouer, ensuite on lui a proposé untruc vague qui n’engageait à rien, qu’il aévidemment accepté. Quand le projet estdevenu concret, c’était trop tard, il avaitdéjà accepté. Aucun papier officieldigne de confiance, si, une lettreautorisant la « cure » d’Alice signée parDonatien et Émeline Duval.

« Ses parents, m’informe Charles quis’est connecté.

— Tu crois que je pourrais aller leurrendre une petite visite ?

— Qu’est-ce que tu veux savoir ?— Ben, comme ils se sont fait

embobiner… S’ils en savent plus sur ledocteur Drouganine, tout ça.

— Comment comptes-tu t’y prendre ?— Je ne sais pas encore. Tu as une

idée ?— Tu sais, ce sont des grands

bourgeois un peu déconnectés du réel,enfin de notre réel. Ils accordentbeaucoup d’intérêt à l’apparence. N’yva pas frontalement. Invente un truc, etprends rendez-vous surtout.

— Si j’étais journaliste ?— Continue.— Disons que je fais une enquête sur

la communication praticien-famille despatients pour une revue très sérieuse ?

— C’est pas mal. Bosse là-dessus,

une fois que tu as une histoire en béton,prends rendez-vous.

— Ça ne te dérange pas que j’aillevoir tes beaux-parents ?

— Je ferai avec… »

Il s’est déconnecté et je fixe l’écrancomme s’il allait se passer autre chose.Il n’a pas le temps, il est recherché…n’empêche. Est-ce que, comme le mien,son cœur fait un bond quand l’imageapparaît ? Est-ce qu’il se retient de latoucher ? Est-ce qu’il a envie de moi ?

4. Jeu de dupes

« Asseyez-vous, mon mari va nousrejoindre dans un instant. »

Je n’ai pas eu beaucoup de mal àobtenir cette entrevue avec les Duval.De toute évidence, ils s’ennuient dansleur grande maison. Ils ont des employésqui vaquent, silencieux, à leurs tâchesmystérieuses ‒ les rosiers sontimpeccables, les vitres éclatantes. De lamusique classique sort d’un haut-parleurde l’imposante bibliothèque. Une jeunefemme nous apporte du thé et des petits

gâteaux. Je sors un enregistreur MP3 etle pose sur la table basse. Le mari, vêtude tweed, nous rejoint bientôt.J’enchaîne les compliments et lesbanalités.

« Parlez-moi de votre fille, ellesouffrait d’un choc post-traumatique,c’est exact ?

— C’est pour cela qu’elle a étéinternée la dernière fois… Enfin, c’estce qu’on a écrit sur son dossier.

— Qu’est-ce que vous voulez dire ?— Je sais qu’on est obligé d’écrire

quelque chose, de donner un nom. Maisla maladie mentale ne se résume pas àune pathologie précise. Enfin, je ne vousapprends rien…

— Non, bien sûr. Mais revenons àvotre fille. Vous avez dit “ la dernièrefois qu’elle a été internée ”, elle étaitmalade avant, donc ?

— Alice n’a jamais été comme tout lemonde. C’était une jeune personne trèsrenfermée, perpétuellement en luttecontre tout. Une adolescente odieuse,mauvaise élève… bizarre. »

On dirait qu’elle ne parle pas de safille mais d’une vague connaissance deson passé. Le père ne parle pas, il suit ladiscussion comme un arbitre muet.

« Bizarre ?— Vous savez, à l’adolescence, il est

fréquent que les jeunes filles se mettent à

faire un régime… pour être plus belles.— Oui…— Alice en a fait un aussi. Mais ce

n’était pas pour être plus belle. C’étaitpour faire une expérience. Elle voulaitobserver les réactions de son corps faceau manque de nourriture. Voir quelorgane en pâtirait le premier…

— Elle vous l’a dit ?— Non, le psychologue de l’hôpital

l’a lu dans son journal, quand il a fallul’y mettre. À cette époque, ils disaientqu’elle souffrait de troublesoppositionnels, et puis après ça a été destroubles bipolaires, puis une paranoïalégère…

— Comment était-elle soignée ?

— Au début, elle vivait avec nous etallait suivre une thérapie de jourplusieurs fois par semaine.

— À la clinique de la Vire ?— Non, dans un centre hospitalier.— Ça devait être difficile pour vous.— Vous n’imaginez pas. D’autant que

Léna, ma fille, avait elle aussi besoind’attention. »

Elle n’a pas dit « ma fille cadette »,ou « mon autre fille », elle a bien dit« ma fille ». Comme si Alice avait perduce statut. Qui sait si elle l’avait jamaiseu, d’ailleurs ?

« Elle était perturbée, elle aussi ?— Oh ! non, enfin pas dans ce sens.

Elle était perturbée parce qu’elle vivaitavec sa sœur. C’est difficile pour unejeune fille qui pourrait tout avoir deconstater qu’elle passe au second plan.Qu’elle ne peut pas participer à unrallye parce que ses parents sont àl’hôpital, ou qu’elle ne peut pas recevoirses amies parce qu’elle a peur que sasœur ne s’en prenne à elles.

— Je comprends. Et les thérapies,elles fonctionnaient ?

— Non pas vraiment. Il y avaittoujours une période de progrès et puison était obligés de l’interner de nouveau.Quand elle était à la fac, elle suivait unethérapie basée sur l’écrit, ça semblait luiconvenir… Et puis elle a découvert la

drogue…— C’est là qu’elle est tombée dans

une espèce d’état catatonique ?— Voilà, juste après son mariage.

Nous avons donc choisi de la faireinterner à la clinique de la Vire sans réelespoir d’amélioration.

— En quoi consistait son traitementlà-bas ?

— Je ne sais pas trop. Je crois qu’unkinésithérapeute s’occupait de son corpset que le docteur Legrand…

— Belgrand— Oui. Il la faisait assister à des

psychothérapies de groupe.— Vous savez de quel type ?

Gestalt ? Rogérienne ? Analytique ? »

Je prie pour que les Duval n’ensachent pas plus que moi sur le sujet…

« Non.— Et l’hypnose ?— Je crois qu’il y en avait dans le

protocole expérimental.— Vous pouvez m’en dire plus sur ce

protocole ?— Il y a un an, l’hôpital nous a mis

en relation avec un institut de recherche.— C’est le docteur Belgrand qui

vous a présentés ?— Non. C’est l’institut directement,

mais de la part de Belgrand. Nous avonsreçu un docteur… Drougagnine, je crois.Il nous a expliqué qu’il voulait tester unnouveau protocole sur Alice. Ça

semblait prometteur. »

Je suis étonnée que ces gens quiavaient a priori renoncé à leur enfantaient accepté un nouveau traitement. CeDrouganine devait être vraiment fort. Oualors…

« C’est un peu hors sujet, mais jepeux vous demander combien coûte untel traitement ? »

Elle a l’air un peu gênée avantd’avouer :

« C’était entièrement pris en chargepar l’institut de recherche.

— Je vois. Et ce protocole

expérimental, vous savez en quoi ilconsistait ?

— Psychothérapie, hypnose, jecrois… Nous avons conservé lesdocuments, voulez-vous les consulter ?

— Volontiers. »

Elle me fourre une pochette dans lesmains avant de me congédier, parcequ’elle a, dit-elle, des obligations. Jecrois surtout que j’ai posé une questionqui l’a vexée. Bien sûr, si j’ai besoind’autres renseignements pour monarticle, je peux reprendre rendez-vous.Bien sûr.

Je l’éplucherai à mon retour. Enattendant, j’aimerais rendre visite à

d’autres victimes du docteurDrouganine. Ce n’était pas prévu, maisje veux tenter le coup. J’ai trouvél’adresse et les coordonnées des Morindans les documents que m’a donnésl’assistante. C’est M. Morin quim’ouvre. Je lui débite le mêmemensonge qu’aux Duval. Lui me jaugeméchamment puis me somme de« déguerpir », sans quoi il appelle lapolice. Je n’ai pas besoin de ça, non. Jepars en m’excusant. Alors que jeregagne ma voiture, j’entends des pasderrière moi.

« Mademoiselle !— Vous avez laissé votre parapluie à

côté de la porte !

— Madame Morin ?— Excusez mon mari, il n’a plus

confiance en personne depuis cettehistoire. J’imagine que vous êtes aucourant…

— Effectivement. Vous pouvez m’endire plus ?

— Non. Entre nous ‒ vousn’enregistrez pas, n’est-ce pas ? ‒ nousavons accepté une grosse somme pournous taire.

— Mais vous ne voulez pas savoir lavérité ? Que le psy paie pour ce qu’il afait…

— Notre priorité, c’est que notre filssoit soigné et qu’il recouvre un semblantde raison, et cette somme va nous

permettre de le faire.— Je comprends.— Vous comprenez donc qu’il est

inutile que vous reveniez.— Oui. Je… pardon. Bon courage.— Merci. »

De retour à la maison, je suissceptique. J’ai beaucoup d’éléments. Jepeux prouver que la personne qui suivaitAlice était un escroc qui a commencépar manipuler Belgrand pour qu’il opèreen toute impunité, puis la familled’Alice. Mon amant virtuel ne peutqu’abonder dans mon sens.

« Mon avis, c’est que les Morin sontun dommage collatéral. Il s’agissait

d’abord d’avoir accès à Alice. LesMorin ont dû le persuader de s’occuperaussi de leur fils, lui y aura vu une belleoccasion de se faire de l’argent…Heureusement, pour nous, ce faux pasnous permet de prouver sa malhonnêteté.

— Mais pourquoi Alice ? Ce n’étaitapparemment même pas une questiond’argent…

— Comment s’appelle l’institut censél’employer ?

— … Institut Lanaïev, tenu pas unIgor du même nom.

— Je te rappelle. »

C’est tout ? C’est à ça que varessembler notre relation à présent ?Dans aucun de mes scénarios de vie je

n’avais pensé entretenir une relationamoureuse par Skype. Et si nousn’arrivions jamais à prouver l’innocencede Charles ? Si cette nuit à PuertoVallarta avait été la dernière ?

Quelques heures après, je suisréveillée de mes rêves moroses par unSMS.

[L’institut Lanaïev n’est qu’unefaçade. C’est une société-écran de notreami Dimitri.]

Encore Dimitri… Il commence à mecourir, celui-là. Et Charles qui a réduitsa communication au transfert d’infos…Bip bip !

[Je t’aime.]

Voilà l’information sur laquelle jevais rester pour aujourd’hui.

5. Shutdown

J’ai beau l’avoir vu à l’œuvre, j’aibeau avoir été victime de sa folie,Dimitri reste un mystère pour moi.Qu’est-ce qui peut motiver une tellecruauté, un tel acharnement ? Est-ce quec’est simplement une histoire de rivalitéavec Charles ? De jalousie à proposd’Alice ? J’ai du mal à le croire. Est-ceun fou dangereux qui a décidé de ruinerla vie de Charles ? Mon amoureuxvirtuel… Tiens, quand on parle duloup…

« Homme en cavale » veut entrer encontact avec vous.

« Emma, tu es désespérante, je meruine pour t’offrir une garde-robe dignede ce nom et je te retrouve en… monDieu ! serait-ce un survêtement ?

— Tout à fait. C’est du dernier chic,là d’où je viens. »

Je suis contente qu’on parle un peud’autre chose que de l’enquête. Ça merappelle qu’il n’y a pas que ça entrenous. Ça me rappelle aussi,douloureusement, que s’il avait été là, ilme l’aurait arraché, mon jogging.

« Tu es triste ?

— Oui. J’aimerais te voir en vrai.Combien de temps ça va encore durer ?

— Je viens de t’envoyer les derniersdocuments sur la société façade deDimitri. Avec les docs que tu asrassemblés et les témoignages, çadevrait me disculper. J’espère.

— Oui. Mais ça n’explique pas tout.— Quoi ?— On sait que c’est Dimitri qui est

derrière tout ça. Mais on ne sait pas cequi le motive. On n’est jamais siméchant gratuitement ‒ sauf dans lesdessins animés. Tu l’as connu à la fac,c’est ça ?

— On était ensemble à la fac, maison s’est connus plus tôt. Je devais être

enfant, je ne me souviens plusexactement. Son père était une relationde travail du mien, un type odieux, il mefaisait peur.

— À toi ?— Mince. Il est temps que je te

révèle un terrible secret. Je n’ai pastoujours été l’homme grand et fort que jesuis. J’ai été… un enfant.

— Oh ! mon Dieu !— Si notre relation devait continuer,

je serais contraint de t’avouer que,nourrisson, il a dû m’arriver de souillermes couches.

— Tais-toi, tu dis n’importe quoi !— Le fait est que le père de Dimitri

me faisait peur.

— Et sa mère ?— Elle est morte. C’est juste après

son décès qu’ils sont venus s’installer àParis. Son père s’était déjà remis avecune autre, la mère des jumelles.

— Et donc vos parents étaient amis ?— Pas vraiment, non. C’était ce

genre de relation obligatoire qu’on asouvent dans les affaires. Mon père lesvoyait lors de ses déplacements enRussie, j’imagine que les Pawloska lerecevaient à dîner, ce genre de chose.Quand ils sont venus vivre en France, ila fallu leur rendre la pareille. Dimitriavait le même âge que moi, j’étaiscontraint de jouer avec lui, tandis quenos pères travaillaient. Je crois qu’un

été, il a même passé du temps à lamaison sans son père.

— Donc vous étiez amis ?— Amis forcés, si tu veux. Mon père,

pourtant peu expansif, avait pitié de lui,il l’avait un peu pris sous son aile. Mamère ne le supportait pas.

— Et après ?— Je ne me souviens plus trop. Il est

venu moins souvent, personne nel’aimait sauf mon père. Lui, par ailleurs,semblait le détester. Il avait l’air de haïrtout le monde de toute façon.

— Et ?— Après, on s’est revus à la fac. Il

avait grandi, il était toujours aussiodieux, supérieur. Nos parents sont

morts à peu près à la même époque. Jeme rappelle l’avoir vu sourire àl’enterrement des miens…

— Ça ne m’étonne pas.— La suite, tu la connais.

Franchement, je ne suis pas loin depenser que c’est un vrai méchant dedessin animé, comme tu dis.

— Mince, on sonne à la porte.— Va répondre. Je te rappelle plus

tard. »

Après avoir parlé si longtemps deDimitri, je dois avouer que j’ai un peupeur d’ouvrir. Je réponds à l’interphone.

« C’est Dupond et Dupont !— Pardon ?

— Manon et Mathieu. Rappelle-moide te faire lire Tintin un jour.

— Je vous ouvre, c’est autroisième. »

Ces deux jours d’enquête m’ontpresque fait oublier mes amis. C’est bonde les voir, ils sont si normaux… etpuis, ils sont en chair et en os. On boitun verre, on plaisante. Manon veutabsolument savoir où en est l’enquête.

« Les détails sont dans cette pochetteet dans ce disque dur, j’ai déjàcommencé à imprimer, mais c’est…Mince, on a cherché à me joindre surSkype.

— Le beau Charles ?

— « Vilain garçon », oui, j’imagine.Il prend un nouveau pseudo à chacune deses connections.

— C’est d’un romanesque ! Va lerappeler ; nous, on prend connaissancedu dossier. »

Elle a débranché le disque dur et m’aenvoyée dans ma chambre. Mathieu metdes bières au frais et déballe desprovisions, on va passer une bonnesoirée.

Vite, un coup de peigne, une jolierobe. Une très jolie robe choisie dansmon dressing. Blanche, décolletée dansle dos jusqu’aux fesses. Charles sauraapprécier. Je rappelle « Vilain garçon »,

lascivement posée sur le lit.

« Oh !… Délicate attention,j’apprécie beaucoup. Mais vous êtesdéçue, je me trompe ? »

Atterrée plutôt. C’est Dimitri. Sonintrusion dans mon ordinateur me faitl’effet d’une tentative de viol. Je suispétrifiée.

« Votre petite enquête progresse bien.C’est charmant toute l’énergie que vousdéployez pour défendre votre amant.J’aime beaucoup. C’est naïf, certes,mais très mignon. Et terriblementtragique.

— Vous pouvez vous moquer mais

j’ai réuni assez de preuves…— Mais oui ! J’ai vu ça, tous ces

petits fichiers dans votre ordinateur.Bien rangés à côté de votre thèse ‒ quin’avance guère, entre nous. Bon allez,assez joué. Bonne continuation, commeon dit.

— C’est pas vrai ! »

Ça ne s’est pas passé comme dans lesfilms. Pas d’animation avec une bombe,pas de mise en scène. Mon ordinaeurs’est éteint. J’appuie sur tous lesboutons, je le rebranche… il est mort. Etmon enquête avec. Toutes ces notesaccumulées, ces preuves… C’est commesi je n’avais rien fait. Je ne reverraijamais Charles, c’est foutu…

Manon a juste le temps de se baisserpour ne pas prendre mon ordi dans lafigure. Elle est à la porte, l’airinterrogatif. J’essaie de lui parler entredeux sanglots, mais je ne peux pasaligner une phrase sensée…

Je ne l’ai pas sentie venir. Manonvient de me gifler, puis elle a tourné lestalons en me disant :

« Dans ces cas-là, il faut agir. Tu vascesser de t’apitoyer sur ton sort tout desuite et réfléchir à une solution. Je terappelle que nous avons encore unelongueur d’avance avec le disque dur etles docs que tu as imprimés. Noust’attendons au salon. »

Nous nous sommes retrouvés dehorsen moins de deux. J’ai fourré quelquesaffaires dans un sac, mis une belle robesur mon amie et appelé un service desurveillance pour qu’ils fassent desrondes autour de chez moi.

« On va où ?— Chez Maxim’s.— Pardon ?— C’est sur les Champs-Élysées,

donc pas loin. Il y a quelques salonsprivés et un videur. C’est parfait.

— Tu régales, j’imagine.— Tu imagines bien. Juste, ne le

prends pas mal, Mathieu, mais tonlook…

— J’ai l’air trop geek ?

— Ouais.— Erreur, chère amie. Un geek à la

bibliothèque reste un geek, un geekentouré de deux bombes sapées commedes reines chez Maxim’s, ça s’appelleun hipster. Tu vas voir. »

Effectivement, le videur nous laisseentrer sans même lever un sourcil. Noussommes rapidement introduits dans unsalon privé. Nous commandons des platsprétentieux en nous retenant de rire enattendant d’être seuls. Mathieu a sortison ordinateur de son sac à dos ‒ dehipster, donc ‒ et Manon a branché ledisque dur qu’elle a eu la brillante idéede sauver avant que Dimitri ne cramemon PC.

« Il ne va pas s’en tirer comme ça,Dimitri… Demain nous irons porter toutça à la police ou directement chez leprocureur.

— Non, c’est à moi d’y aller.— Écoute, même si Dimitri est

persuadé qu’il a détruit ton dossier, ildoit bien se douter que tu as d’autrespreuves. Peut-être qu’il te suit. Peut-êtremême qu’il a des hommes à lui aucommissariat. Laisse-nous faire… Tu asd’autres papiers ?

— Voilà la totalité de ce que jepossède, tiens il y a même le bail de lachambre de bonne.

— Donne, ça peut toujours servir.— Et moi, je fais quoi ? »

Ils se sont regardés l’espace d’uninstant et Manon a sorti un papier de sapoche. Avec une adresse.

« 3, rue Jasmin.— Tu es sûre que c’est elle ? »

Elle me tend une photo. Elle estfloue, mais je reconnais bien la femmeau chevet de mon père, celle que Manoncherche depuis quelques jours pour moi.

« Comment avez-vous fait ?— Des heures de sondage…— Hein ?— Bonjour, madame. Marina, pour

l’institut Sofres. Nous faisons uneenquête sur les habitudes de

déplacement des Parisiens. Accepteriez-vous de nous accorder quelquesminutes ?

— Chapeau !— Ne va pas t’imaginer que ça a été

facile ! J’ai bien perdu une journée àinterroger des homonymes pour rien. Latienne m’avait envoyée balader à labase. Ce n’est qu’après avoir éliminétoutes les autres que j’ai repris lespremières. Comme elles ne voulaientpas me parler, je les ai suivies. Il n’y enavait que deux. Tu m’avais dit qu’elleétait brune. L’autre était blonde. Voilà.

— Ben bravo. Et merci.— Tu vas faire quoi ? »

Le serveur apporte les plats et me

sauve. Qu’est-ce que je vais faire decette adresse ? Vais-je aller voir cettefemme ? Qu’est-ce que je lui dirai ?« Bonjour, je pense que vous avez unrapport avec ma mère, peut-être mêmeque c’est vous, qui sait ? »

Le repas est délicieux, et la présencede mes amis me distrait un peu. Malgréle chagrin, le manque, la peur… je ris unpeu. Il est bien 2 heures lorsque l’on sedécide à rentrer. J’ai fait appel à unservice de gardes du corps pour meraccompagner et être sûre que mes amisrentrent entiers. J’ai dû jeter ma carteSIM sur les injonctions de Manon ‒ quisait si Dimitri ne surveille pas aussi mescommunications téléphoniques ? Je n’ai

plus aucun moyen de contacterCharles…

6. Lumière

Je me réveille en sueur. Une paired’yeux au bout du lit m’observe. Ondirait un animal, un prédateur. Le drapqui me recouvre glisse à terre et je suisnue, livrée au regard de celui qui mefixe. Je me mords les lèvres, mon souffles’accélère. Il ne faut qu’un instant pourque son corps souple soit sur le mien.Ses lèvres se collent aux miennes et nossouffles se mêlent. Charles…

« Tu n’es décidément pas farouche,Emma… »

Dimitri ! Comment ai-je pu lesconfondre ?… Je dois sortir de là, maisson étreinte est puissante. Il me tient lesmains fermement, me mordille l’oreille.Je réussis finalement à le pousser parterre et je cours, je fuis. Je suisrapidement dans la rue, toujours nue, jecours à perdre haleine. Soudain, la ported’une berline s’ouvre et je me réfugiededans. À côté de moi, la femme del’hôpital. Nous roulons à toute allure,beaucoup trop vite. J’essaie de prendrela main de l’inconnue mais elle sedérobe. J’entends les pneus crisser. Unmur, une autre voiture…

« Tout va bien, mademoiselle ? »

Je suis toujours nue. Mais chez moi,par terre à côté de mon lit. À la porte, ungrand type balèze. Je m’enroule dans ledrap en recouvrant mes esprits.

« Oui, tout va bien, merci. »

Le garde du corps referme la portepoliment. Il est 7 heures. Mon ordi estmort, mon téléphone, tout comme. Je n’airien à faire. Mon amant est Dieu sait où,son ennemi partout et nulle part. Je mesens complètement inutile etimpuissante. Je n’ai pas grand-chose àfaire. Je peux me terrer ici et attendre.

Combien de temps ? Attendre quoiexactement ?

Ou je peux me rendre rue Jasmin.

Une douche plus tard, je suis habilléedevant mon bol de céréales et Philippe,le garde du corps que j’ai forcé à avalerun café. Il va garder l’appartement. Noussommes lundi, le quartier est animé, jene risque rien. Je me suis habillée de lafaçon la plus neutre possible, chemise,jupe noire, imperméable. Je vaisprendre le métro, il est hors de questionque je laisse Vladimir faire irruptiondans ma voiture aujourd’hui.

Il est 8 h 50 lorsque j’arrive rueJasmin. Je ne sais pas quoi faire. Je mesuis postée devant le numéro 3 sur letrottoir d’en face en espérant qu’elle

sorte. C’est stupide. Si ça se trouve, elleest déjà partie, si ça se trouve, elle netravaille même pas. Je ne peux pasrester toute la journée plantée là,d’autant que même s’il ne pleut pas, ilfait quand même très froid. Trenteminutes. Je me donne trente minutes, etsi elle n’est pas sortie d’ici là, je rentre.Plus que deux minutes. La porte s’ouvreet mon cœur fait un bond. Un homme âgéqui tient un chien en laisse se dessinedans l’entrée. Je vais partir quand iltourne soudainement la tête et rattrape laporte. Malgré son grand imperméable, jela reconnais, c’est elle. Ils échangent unbonjour poli et partent chacun de leurcôté. Je la suis sans vraiment savoir

pourquoi. Sa démarche est élégante.Apparemment, elle ne manque pasd’argent. Son carré de soie vole au grédu vent glacé, ses petits talonsrésonnent. Son pas s’accélère, peut-êtrea-t-elle remarqué qu’elle était suivie ?Non, elle veut attraper le bus. Je relèvemon col et me mets à courir moi aussi.J’arrive à laisser une personne entrenous deux. Elle ne m’a pas vue. Elle litun quotidien. Nous descendons à laporte de Champerret puis nous attendonsun autre bus. J’ai de la chance, c’estl’heure d’affluence et je peux facilementpasser inaperçue. Elle descendfinalement devant un grand bâtiment oùelle entre d’un pas assuré. C’est

l’hôpital américain. Que va-t-elle fairelà-bas ? Va-t-elle voir quelqu’un ? Est-ce qu’elle est malade ? Est-ce qu’elle ytravaille ? J’attends quelques minutes etme décide à entrer. Le hall d’accueil estgrand et lumineux. Je dois savoir. Je medirige vers la jeune fille de l’accueil. Jetente le tout pour le tout.

« Bonjour, je voudrais savoir si MaryClowes travaille aujourd’hui.

— Le docteur Clowes, oui, elle vientd’arriver. Tenez, la voilà… »

La femme en blouse blanche est àquelques mètres de moi. Elle meregarde, intriguée. Nous sommes figéestoutes les deux. C’est comme dans un

cauchemar, je voudrais dire quelquechose, mais les mots n’arrivent pas àsortir de ma bouche. Je tourne les talonset je cours.

Je ne sais pas combien de temps j’aicouru sans m’arrêter. Elle a dit monnom, j’en suis certaine, je l’ai trèsdistinctement entendu avant de franchirla porte. Je n’arrive pas à penser, jemarche sans but, vite. Le vent glacésèche mes larmes à mesure qu’ellescoulent.

C’est le froid qui me fait reprendremes esprits. Je suis à Monceau. Commeces chiens perdus qui retrouvent leurchemin tout seuls, j’ai laissé mes pas me

conduire chez lui. Quelle ironie, unhomme élégant est adossé à la porte. Lavie continue pour certains, l’amourmême… Il me regarde. Longuement,amoureusement.

« Emma.— Charles… C’est… C’est vraiment

toi ?— J’ai tant changé, ça ne fait pas si

longtemps pourtant ?— Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu

ne devrais pas rester là, tout le monde tevoit… Tu devrais te cacher.

— Viens, cachons-nous, dans cecas. »

D’un geste, il a sorti une clé et l’a

mise dans la serrure de la porte. Cen’est pas la porte de son hôtelparticulier mais celle d’à côté. Noussommes à présent dans un hall immenseet silencieux qui me semble tout à faitidentique à celui que je connais. Lalumière s’allume et je peux me rendrecompte que c’est l’exact opposé. Ici toutest blanc, lumineux. Le sol et les murssont de marbre blanc, des dizaines delustres en cristal nous éblouissent. C’estmagnifique.

« Tu aimes ?— Oui, dis-je dans un souffle alors

que sa bouche se colle enfin à la mienne.— Dis-moi que tu ne vas pas repartir

tout de suite…

— Nous avons toute la nuit… etmême plus, si tu le veux.

— Tu veux dire que…— Nous en parlerons demain… Mais

je ne suis plus accusé de rien… grâce àtoi. »

Je ne veux rien savoir de plus. Ça faittrop longtemps. Je sens son visageplonger dans mon cou, je contemple leslustres à m’en faire mal aux yeux tandisque mon corps endormi renaît sous lachaleur de ses baisers.

« Mais tu trembles… Tu as froid ? »

Je n’ai pas froid. C’est la violence dudésir. C’est mon corps qui se réveille

brutalement après un manquedouloureux. Le sentir contre moi, si fort,sentir son parfum, l’odeur de sa peau, jene sais si je vais défaillir ou jouirimmédiatement. Il se détache de moi uninstant et me regarde intensément.

« Ce que tu es belle. »

Ses yeux brillent d’un désir animalqui me fait mal. Je le veux contre moi,en moi, tout de suite.

« Embrasse-moi. »

Nos bouches se rejoignentbrutalement et nos langues s’emmêlent.Je guide ses mains sous ma jupe, tandis

que je défais sa ceinture fiévreusement.L’instant d’après, il est en moi, il tientma cuisse contre sa taille. J’ai passémes doigts sous sa chemise et j’enfoncemes ongles dans ses épaules. Je ne saispas d’où me vient cette envie deviolence, sans doute de l’absence, denos rapports virtuels et sans saveur. Jemords sa lèvre inférieure tandis que nosbassins s’entrechoquent. Le goût du sangdans ma bouche se mêle à celui de meslarmes. Plus vite, plus fort. La lumièreest toujours aveuglante. Je le vois, c’estbien lui, il est là, en moi. Ses yeux dansles miens. Avides. Son souffle sauvage.Je crie et j’entends ma voix briser lesilence en mille éclats. Nous avons joui

ensemble brutalement. Nous reprenonsnos souffles et nos esprits, lentement. Ilrepose doucement ma jambe par terre etme regarde à présent avec un souriretendre.

« Je t’ai manqué ?— À peine.— Je te fais visiter ?— Avec plaisir. Je prendrais bien un

dernier verre. »

Je me rhabille sommairement et lesuis. Nous nous arrêtons devant unascenseur identique à celui del’immeuble d’à côté. Nous entrons etCharles appuie sur le numéro 6. Mais àpeine l’ascenseur a-t-il commencé à

monter que j’appuie sur le boutond’arrêt. Il sourit, amusé. Je lui prends lamain et place un de ses doigts à la placedu mien.

« Mademoiselle Maugham, vous n’ypensez pas…

— C’est un petit jeu que j’ai appris ily a quelque temps. Vous connaissez ?

— Je crois, oui.— Je vous rappelle la seule et unique

règle, si vous voulez que j’arrête,enlevez votre doigt de ce bouton.

— Je vois. Ça a l’air amusant. »

Je défais lentement sa veste, quitombe par terre dans un souffle. Jedéfais un à un les boutons de sa chemise.

J’essaie de ne pas le toucher. Je suisproche, très proche. Je veux qu’il sentela chaleur qui se dégage de mon corps etmon souffle chaud sur sa peau. Je placema bouche à côté de son oreille et jegémis doucement.

« Tu me rends fou.— C’est bien mon intention. »

Je m’agenouille et lui ôte doucementses chaussures et ses chaussettes. Puis jebaisse lentement son pantalon. Monvisage frôle son boxer. Il frémit. Je merelève et l’embrasse longuement,profondément, tandis que mes mainsbaissent son boxer. Ma langue sort de sabouche et descend le long de son

menton… de son torse puissant, de sonventre brûlant. Je sens son sexe dressésous mon menton. Ma langue le goûtepar à-coups, son souffle est court.

« Emma…— Veux-tu que j’arrête ?— Non… pas vraiment. »

Il aime ça. J’ai saisi son gland entremes lèvres et je le suçote. Je sens qu’ilse retient de mouvoir son bassin, mais jel’encourage en pressant mes mainscontre ses fesses. Je l’ai tout entier dansma bouche, je sens son désir toujoursplus fort, le sang comprimé, la plaisirprêt à affluer. Mes cuisses se serrent etun frisson de plaisir me parcourt. Je suis

de nouveau trempée. L’ascenseur s’estsoudain remis en route. Je m’arrête,interdite.

« Tu n’aimes pas ?— Si, mais j’ai trop envie de toi. »

Il me relève doucement et je suiscontre lui. Je sens son cœur battre àtravers l’étoffe de ma chemise, soncorps nu brûlant contre le mien. La portede l’ascenseur s’ouvre sur un salonélégant où brillent des bougiesdisposées sur le sol, il me prend par lamain et m’entraîne dans une chambreelle aussi éclairée par des bougies. Jen’ai pas le temps d’admirer les lieux. Ilme prend dans ses bras et me dépose sur

un lit blanc. Il s’allonge sur moidoucement, ses yeux toujours dans lesmiens. D’un geste délicat, il écarte unemèche de mes cheveux. Un silence, puisil me couvre de légers baisers : sur lestempes et les yeux, dans le cou. Je sensune main se faufiler et ouvrir machemise. Il contemple mes seins puis lesembrasse sérieusement, comme s’il nevoulait rater aucune parcelle de moncorps. Je me cambre malgré moi. Puis ilme pénètre doucement, profondément. Jevoudrais le garder en moi toute la nuit.

« Tu m’as tellement manqué. »

Nous avons fait l’amour longuement,les yeux dans les yeux, à la lueur des

bougies. Et puis nous nous sommesendormis ivres de plaisir dans les brasl’un de l’autre. Quand je me réveille, ilfait toujours nuit noire. J’ai un peu froid.Il n’est plus à mes côtés.

« Charles ?— Je suis là. Je fais du feu, tu as

froid. »

Il est assis au pied du lit, mais je nevois pas de cheminée. Pas plus que debois. Très drôle.

J’entends un clic et je le vois. Le feu.Il court sur tout le mur dans un cadreblanc laqué. Je crois que c’est celaqu’on appelle une cheminée au gaz.

C’est très beau et très impressionnant.On dirait que tout le mur est en feu.

« Ça te plaît ?— Beaucoup.— Tu veux prendre un bain ?— Pourquoi pas ?— Je vais te montrer une autre pièce

intéressante. »

Je m’enroule dans une couverture encachemire et le suis à travers lescouloirs blancs. Lui est toujours nu etj’admire son dos musclé et ses fesses.Nous montons quelques marches et nousarrivons dans la salle de bains. Noussommes au dernier étage, celui descombles. Ici pas de Velux, on a tout

simplement fait sauter la toiture pour laremplacer par une baie vitrée. La nuitest magnifique, les étoiles scintillentd’une lueur fantastique. Un grand bain demosaïque s’enfonce dans le sol. Jem’assois sur un petit fauteuil crapaud enregardant la baignoire se remplir.Charles y entre en premier, s’assoit dansun nuage de vapeur odorant. Il me tendla main.

« Viens. »

Je me lève, m’assois entre sescuisses et ferme les yeux. Cela faisaitlongtemps que je ne m’étais pas sentieaussi bien. Il prend un broc et m’arroseles cheveux doucement en les lissant. Sa

main saisit une savonnette, il me lapasse nous le nez.

« Santa Maria Novella de Florence.— Ça sent divinement bon.— Laisse-toi faire… »

Il prend mes mains et les posedélicatement sur les bords de labaignoire. Il commence par le bras droit,des doigts à l’épaule. Puis l’autre bras.Je sens le désir renaître, sourd etexigeant. Ses mains mousseuses seposent sur mes seins dressés, qu’ilcaresse de manière circulaire en pinçantmes tétons. Je m’arque, déjà brûlante.Ses mains plongent dans l’eausavonneuse, se posent sur mes genoux,

arpentent mes cuisses, qui s’écartentinstantanément. Ses doigts n’hésitent paset glissent savamment au rythme de meshanches et de l’eau qui clapote. Ma têtebascule en arrière et s’abandonne surson épaule. Je sens ses doigts s’insinuer,habiles et indiscrets dans tous lesrecoins de mon anatomie. Je soulève lesfesses pour les sentir plus profondémentet ma bouche assoiffée trouve la sienne,tout aussi avide. Je gémis dans sabouche, mes hanches se meuvent toutesseules. Je veux me lever et il me rassoitfermement, puis me mord le cou etl’oreille. Ses doigts retrouventfacilement leur chemin et leur manègediabolique, je ne peux plus bouger, c’est

comme si mon corps entier ne dépendaitplus que de sa main. Je jouis.Longtemps.

Nous restons encore un peu dans labaignoire puis Charles juge que noussommes assez propres tous les deux etm’enroule dans un large peignoiranthracite. Cette fois-ci, c’est moi quimène la danse. Malgré la surfaceindécente de l’appartement, je retrouvefacilement le chemin de la chambre.Mais certaines bougies se sontéteintes… Je trébuche à l’entrée ettombe à quatre pattes sur l’épais tapisdisposé là comme par miracle.

« Oh ! mon Dieu ! Tu vas bien ?

— Très bien, ce tapis. Oui ça va, net’inquiète pas.

— Laisse-moi m’en assurer. Nebouge pas. »

Mon peignoir vient de s’envoler, jesuis nue, un peu mal à l’aise malgré ledésir qui ne me quitte plus depuis tout àl’heure. Charles m’inspecte trèssérieusement comme si je m’étaisréellement fait mal. Caresse mes fesses,mon dos, longuement. La douce lumièredu feu se reflète dans ses yeux rieurs.Soudain, il disparaît et je pense uninstant me relever. Mais il est toujourslà, derrière moi. Sa langue court sur mesfesses, je ne veux plus me lever. Jem’étire comme un chat et sa bouche

répond à l’invitation, sa langue joueavec mon désir, je ne sais combien detemps je pourrai tenir.

« Je veux t’entendre crier encore. »

Ses doigts sont venus rejoindre salangue et je me cambre pour mieux lessentir. Je gémis. Je suis à sa merci. Jepose mon visage entre mes bras parterre, ma croupe entièrement livrée àmon amant affamé. Bientôt son sexeremplace ses doigts, et je sens tout lepoids de son corps souple sur le mien.Comme un prédateur. Je fais mine dem’enfuir pour qu’il renforce son étreinte.Je veux suffoquer. Mourir de plaisir…Nos deux corps épuisés retombent sur le

sol quelques minutes après, mais nousrestons imbriqués à écouter nos cœursreprendre un rythme normal.

« Viens, retournons dans le lit, il faitfroid. »

Je le laisse un instant. Je regarde parla fenêtre, apaisée. Il est là tout près,allongé, ne me quittant pas des yeux. Jerallume le feu comme je l’ai vu faire toutà l’heure et grimpe sur le lit. Je ne suispas sûre d’être fatiguée. Je me couchetout contre lui. Nous nous regardonsdans les yeux dans un silence religieux.Il m’embrasse en me tenant le visage deses deux mains et j’ai l’impression deredevenir adolescente, je me sens si

petite, si dépendante de lui, si nue.Bientôt nous referons l’amour, mais rienne presse, nous avons toute la nuit.

7. Renouveau

Je me réveille ce matin avecl’angoisse d’avoir rêvé cette nuitmagique. Mais je suis bien dans ungrand lit blanc, dans un appartement quim’était encore inconnu hier, Charles estbien là à côté de moi, il ne va pasrepartir se cacher. Ça a marché ! Mondossier, mon enquête ! Charles n’est plussuspecté !

« Mon avocat m’a appelé.Apparemment, le procureur a toujourstrouvé le dossier un peu louche ‒ c’était

trop gros ‒ mais il n’arrivait pas àtrouver le truc. L’inspecteur chargé del’enquête était si sûr de ma culpabilité…Quand tes amis sont arrivés avec lespreuves, il était déjà dans notre camp.Malheureusement, tout ce qu’il y avaitsur le disque dur ne pouvaitapparemment pas être ajouté au dossier.Ce sont des preuves dont l’authenticitéest difficile à prouver ; volées qui plusest…

— Qu’est-ce qui s’est passé, alors ?— Je t’avais parlé des prétendues

lettres de menace que j’aurais envoyéesà Alice ?

— Oui.— Le procureur trouvait qu’il y en

avait beaucoup trop pour être honnête…— Oui ?— Bon ça reste subjectif. En tout cas,

il ne trouvait pas ça crédible. Et puis,l’importance que l’inspecteur donnait àces quelques feuilles, il trouvait çadéroutant.

— Effectivement.— Donc il en est là. Il farfouille dans

tous les papiers que tes amis lui ontlaissés, à la recherche d’une idée oud’un indice qu’il pourrait exploiter. Etlà, il est tombé sur ton bail. En deuxminutes c’était réglé.

— Hein ?— Il a vu ma signature. Il s’est

demandé où était l’analyse

graphologique des lettres de menace, iln’y en avait pas. Il en a ordonné unepour comparer les écritures, mais il étaitdéjà sûr de son coup. Les poursuitescontre moi ont été aussitôt abandonnées.

— Et l’inspecteur ?— On a découvert des rentrées

d’argent un peu louches sur son compte,il a été mis en examen.

— C’est la fin, donc ?— Pas vraiment. Dimitri court

toujours et il cherche apparemment à menuire. J’ai rendez-vous avec la policetout à l’heure. Ils ont repris l’affaire dudébut et ont passé l’appartement parisiend’Alice au peigne fin. Ils ont trouvé deschoses bizarres.

— Oh ! non… Encore des prétenduespreuves qui t’incriminent ?

— Non, rassure-toi. Je ne sais pas ceque c’est, mais ça me concerne. Monavocat sera avec moi, ne te fais pas desoucis.

— Non, bien sûr… C’est quand ?— Cet après-midi.— Et après ?— Je ne sais pas. Je pensais qu’on

pourrait rester un peu dans cetappartement. S’y faire de nouveauxsouvenirs.

— Tu veux dire… tous les deux ?— Oui. J’ai aménagé la chambre et

un bureau. Mais c’est à mon goût et ilreste des pièces vides. Enfin, c’est

comme tu veux. Tu peux reprendre tesquartiers dans la studette oul’appartement près des Champs-Élyséessi tu veux…

— Non, cette idée me plaît bien. Çame fait un peu peur mais ça me plaît.

— Très bien. »

Sur ces mots, il se lève du grand litblanc duquel nous n’avons pas bougé etcommence à se rhabiller.

« Tu vas où ? » dis-je d’un airangoissé.

Il rit, dévoilant ses dents blanches.

« Chercher les croissants, tu n’as pas

faim ?— Je meurs de faim. Pardon, j’ai

toujours peur qu’il ne se passe unnouveau truc affreux.

— La boulangerie est à cinq minutes.Si je ne suis pas revenu dans quinzeminutes, tu es autorisée à appeler lapolice.

— Je n’arrive pas à trouver çadrôle… D’autant que je n’ai plus detéléphone.

— Il y a un fixe dans l’entrée. »

L’angoisse que j’éprouve à le voirfranchir cette porte pour faire une simplecourse me fait repenser plussérieusement à sa proposition. Vivreavec lui… L’idée semble idyllique. Sauf

que Dimitri est toujours dans la nature.Est-ce que je vais supporter longtempsde vivre avec la peur au ventre ? Ilrevient au bout de douze minutes et metrouve en larmes.

« Je suis désolée.— C’est moi. Je suis trop

désinvolte. »

Nous mangeons silencieusement,j’essaie de retenir mes sanglots. L’heuretourne. Il va repartir et mon cœur seserre encore. C’est ridicule. Ilm’embrasse avec une infinie douceuravant de me demander ce que je comptefaire pendant son absence.

« Je pensais passer au studiorécupérer quelques affaires.

— Très bien. Si tu ne réponds pas autéléphone ici, je te rejoins là-bas.

— OK.— Tout va bien se passer.— Si tu le dis. »

Le studio est tel que je l’ai laissé, enbazar. Le lit est ouvert, quelquesbouquins traînent par terre. Mesvêtements sont presque tous dans leplacard. Je les fourre dans un sac. Jeveux bien essayer de vivre avecCharles, mais il va devoir accepter queje ne porte pas que des robes sexy et destalons aiguilles. Je passe dans laminuscule salle de bains. Le parfum que

mon père m’a offert avant que je parte,une nuisette, mon joli peigne en bois,des serviettes hygiéniques… Rien de…

Mince ! Depuis combien de tempsn’ai-je pas eu besoin de ces serviettes ?

Je m’assois sur le lit, mes penséesvont à cent à l’heure, ma tête tourne.Deux mois. Oui, ça doit faire deux mois.Pourtant, j’ai l’impression que Charles atoujours utilisé des préservatifs.

Toujours ? Est-ce que je pourrais enjurer ?

Je fais rapidement l’aller-retour à lapharmacie. Je lis le mode d’emploi.

C’est simple. Voilà. Je rebouche lecapuchon et pose le stylet sur le bord dulavabo. Cinq minutes. Dans cinq petitesminutes, mon sort sera scellé. Oh ! non,on frappe à la porte.

Pas maintenant ! Qui que tu sois,va-t’en !

Je ne fais aucun bruit. J’entends despas qui s’éloignent, puis l’ascenseur. Iln’y a plus personne. Je ferme doucementla porte de la salle de bains et sors surle palier. Personne. Une lettre par terre.Je l’ouvre.

« Emma, Ton père ne voulait pas queje te parle, mais puisque tu m’as suivie

et qu’il a disparu, j’imagine que cettepromesse n’est plus de rigueur. MaryClowes. »

Il y a son adresse et un numéro detéléphone. Mon cœur bat à tout rompre.J’ai l’impression que la porte de la sallede bains va exploser. Les cinq minutessont passées. Je me lève comme uncondamné et m’apprête à faire face àmon destin quand la porte de la studettes’ouvre. C’est Charles, il a l’airbouleversé. Il s’assoit sur mon petit lit.

« Ils ont trouvé des traces d’ADNchez Alice, des cheveux blonds dans sonlit.

— Ce n’est pas toi au moins, c’est

déjà ça.— Non. Mais d’après les premières

analyses, c’est quelqu’un de ma famille,de ma famille proche.

— Tes parents ?— Non, le cheveu est récent, c’est

quelqu’un qui était vivant il y a deuxmois.

— Alors ? »

Il se prend la tête dans les mains.

« Je ne sais pas, ils parlent d’un frèreou d’un fils.

— Mais tu n’as pas de frère…— Non. »