Constantin V. Gheorghiu

download Constantin V.  Gheorghiu

of 43

Transcript of Constantin V. Gheorghiu

People ex

People ex. Uk

No. 15 (janvier 2005)

EDITORIALCe numro rpond bien une de nos attentes, savoir la dcouverte de nouveaux auteurs europens d'aujourdhui', particulirement dans les pays du Centre et de lEst, o rside un nombre croissant de nos membres. Aux grands noms qui depuis longtemps figurent dans ces pages et sur nos programmes de rencontres et de colloques sajoutent dautres venant de rivages plus lointains estoniens, lettons, roumains, russes, ukrainiens. Ainsi cette Europe culturelle que prne dans leurs discours dirigeants et hommes politiques vit-elle de plus en plus en nous de sa chaude vie, et nous propulse vers un avenir riche de promesses et douvertures humaines.

Il reste, peut-tre, une question que nous pourrions tous nos poser cet gard: en tirons-nous toute lillumination possible en ce qui concerne une esthtique de la spiritualit qui renforce lide dune ligne commune avec lesprit qui nous guide? Daucuns regretteront peut-tre le manque de rfrences Franois Mauriac dans ces pages. Est-ce oubli de notre part, ou notre auteur est-il prsent de faon implicite? Le nom de Franois Mauriac quhonore notre titre, et qui en dit long sur notre recherche didentit, ne rsonne-t-il plus aujourdhui rattach des questions dart et desthtique plutt qu des questions de tradition et dorthodoxie catholiques?

Cest ce genre de question qui va sans doute orienter nos dbats notre prochaine journe de rflexion sur notre identit et nos orientations futures. Car il faut bien admettre la ncessit de nous adapter aux temps nouveaux; et l pourrait nous guider cette mtaphore daiguillage si chre Franois Mauriac. Si vous-mme vous avez un avis exprimer, nhsitez pas nous crire. Comme vous le savez, depuis longtemps nous essayons de dvelopper une page correspondance, change de vues.

En attendant il y a la prparation du colloque de Rome. Art et littrature: la beaut sauvera le monde. Quel dommage que Franois Mauriac ne soit pas l pour communiquer son mot, de sa voix si rauque et de son oeil ptillant! Car les chroniques de Mauriac publies rcemment nabondent-elles pas en illuminations sur la beaut, sur la recherche par les mots et inventions romanesques qui font appel en nous ce qui transcende cultures et confessions?

Retenons celle-ci propos de loeuvre de Proust: Le sordide y prend nos yeux cette valeur intemporelle, cet clat ternel, dont se revt une assiette grossire sur une table de cuisine dans les natures mortes des grands peintres Je crois qu partir dun certain degr de grandeur et de puissance loeuvre dart manifeste, linsu de son auteur peut-tre, un dessein ternel.

Mais l toute la question est de savoir sans doute ce que ces mots grandeur et puissance veulent dire?

Margaret Parry

AUTOUR DE LA ROUMANIE

Le voyage de dcouvertes et dchanges en Roumanie: des dcouvertes littraires et des changes europens

Le voyage de dcouvertes et dchanges en Roumanie, du 27 juin au 3 juillet dernier, a permis la dcouverte dun pays en volution rapide dans tous les domaines, celle du Delta du Danube - le pays des joncs et des plicans - et celle dune littrature. Il a t loccasion dchanges internes au groupe de participants, particulirement reprsentatifs de lEurope de lOuest et de lEst, et aussi avec une population accueillante, les adhrents roumains et ukrainiens jouant parfaitement leur rle de lien entre le groupe et les habitants.

Les trois articles qui suivent illustrent parfaitement ce voyage. Celui dElmy Lang rsume les communications de Georges Simon et dArditi-Kargon sur Panait Istrati, et de Jacques Pilate sur Virgil Georghiu, tout en rendant compte de ses impressions personnelles. Le second, plus personnel encore, est le rcit de voyage de Raluca Simon, qui par ailleurs a t un des organisateurs du voyage. Il a paru intressant dajouter un troisime et bref article dune militante qui, comme Ivan Antonesku dans sa communication, sefforce de rhabiliter un pote roumain rduit au silence puis massacr par le pouvoir bolchevik.

Michel Bonte

La beaut sauvera la Roumanie

Journal dun voyage de dcouvertes et dchanges

Le Voyage de dcouvertes et dchanges en Roumanie de lt 2004 a t une grande russite. Voici des extraits de mon journal, rdig pendant ce merveilleux voyage.Mardi, 29 juin: Vnatori, Neamt

Des communications enrichissantes et intressantes sur les uvres de Panait Istrati, Virgil Gheorghiu et les crivains roumains de Bucovine ukrainienne; des rencontres de potes moldaves; des rcitations de pomes roumains et franais par des membres ou futurs membres de lAssociation Europenne Franois Mauriac. Moments mouvants pour les auteurs et le public. Le soir, superbe spectacle folklorique des lves de lcole de Vnatori.

Mercredi, 30 juin: Iasi

On nous prsente le guide du groupe dont je ne savais pas quil tait franais; en plus, il parle roumain, ce qui en France et en Roumanie est plutt une rara avis. On visite le Centre Culturel Franais. Paul-Elie Lvy, le directeur, nous fait, dans la petite salle de thtre, une prsentation des activits du Centre de lanne 2004. Au mois de juin, il a accueilli Bernard Pivot et son quipe pour un numro spcial de lmission Double je , diffuse le 21 octobre sur France 2 et un mois plus tard sur TV5.

On part ensuite faire la dcouverte du Cimetire juif, dont jai entendu parler et qui ma paru trs intressant. Jai pass quatre ans Iasi pour mes tudes, et jamais je nai eu loccasion de voir ce cimetire charg dhistoire. Il faut que les touristes trangers dbarquent pour que les Roumains dcouvrent leur pays riche et souvent mconnu!

On ne peut visiter lglise des Trois Hirarques, en restauration. En revanche, on visite le nouvel Ateneu (Centre Europen de Cration), construit sur la place de lancien Ateneu Popular. Ce foyer de culture a t inaugur la fin de lanne 2003 et moi, bien sr, jignorais son existence, car jai fini mes tudes dans cette ville en 2000. Cest un btiment moderne, disposant dune salle de thtre, dune salle dexposition dart contemporain et dune bibliothque. Son directeur, Benot Vitse, ancien directeur du Centre Culturel Franais, conduit un atelier de thtre et monte des spectacles de thtre contemporain. Les pices roumaines sont joues en franais, et les franaises en roumain. Le jour de notre visite, notre guide joue dans le dernier spectacle de la saison (Baal de Bertolt Brecht). Dommage, on ne peut pas voir le spectacle; je laurais dautant plus voulu, que dans ma ville, Trgu Neamt, il ny a pas de thtre. En tout cas, cet Ateneu a t pour moi un vrai coup de cur.

En fin daprs-midi, on part en bus vers Braila. Diverses conversations fusent, dont lune porte sur les crivains roumains contemporains, apprcis ou pas. Cest une discussion serre! Jai limpression de me trouver dans une mission de Bernard Pivot qui naurait pas danimateur.

Jeudi, 1er juillet: Braila, Tulcea, Crisan

Visite de la maison natale de Panait Istrati, au bord du Danube. Devant cette maison, il y a un parc. Un guide nous accueille en roumain, le notre traduit en franais.

Arrive et hbergement Crisan, village tranquille de pcheurs.

Balade de deux heures autour de Crisan en cano (pour les jeunes) et en barque pour les autres. Paysage magnifique, paradisiaque, des nnuphars jaunes et blancs, un espace trs romantique qui me rappelle la beaut de la nature sauvage des potes romantiques, la manire de Lamartine, dHugo ou dEminescu.

Soire dans une maison daccueil en toit de roseau, discussions ardentes, lecture dextraits de textes divers, plats typiques de la rgion o le poisson et les moustiques sont les rois.

Vendredi, 2 juillet: Crisan, Mila 23

Balade en barque moteur dans le Delta par les canaux et les lacs. Observation des colonies de plicans et dautres oiseaux sauvages. Pique-nique et visite dun village de pcheurs isols (Mila 23). On dispose dun autre guide roumain qui parle franais. La beaut de cette nature sauvage est ineffable.

Soire la pension Nufarul (Le Nnuphar), musique traditionnelle (tambour et accordon), rcitations bilingues de pomes et rcits (la dimension multiculturelle et europenne de lAssociation devient vidente!), danses roumaines, photos, souvenirs inoubliables, moments uniques. Chacun tombe sous le charme de la beaut et de lmotion dune nouvelle dcouverte de lautre, ou de soi-mme, qui sait?

Dimanche, 4 juillet: Bucarest

Retour en avion, adieux rapides laroport.

Pourquoi le temps a pass si vite? Tout ce qui est beau passe vite, trop vite. Ctait plus beau que je ne laurais imagin. Et quand je pense quau dpart, je voulais y renoncer! Il ne faut jamais avoir ce genre dhsitations, car on peut y perdre tout ce quil y a de meilleur dans la vie: sa beaut.

Raluca Simon

PS: Ce que ne dit pas Raluca, cest quen ce qui concerne ltape de Trgu Neamt nous lui sommes trs redevables ainsi qu sa famillepour tout ce quils ont fait pour sa russite.

La littrature roumaine dIstrati Ionesco *Le second voyage en Roumanie de lAssociation Europenne Franois Mauriac (onze ans aprs le premier, quinze ans aprs la chute du rgime de Ceaucescu) a permis de dcouvrir cet t un pays - celui de Paul Celan et de Rose Auslnder - trs ouvert sur lEurope. Sans oublier toutefois que les traces de la dictature nont pas tout fait disparu.

Les villages dpeupls dici parlent leur propre langue. Le voyageur qui parvient renoncer son confort habituel sera enthousiasm par lincomparable beaut des paysages et laccueil chaleureux de ses habitants, mme sil a limpression de se retrouver plong dans une ruralit vieille de soixante ans. Poules, canards, oies et dindons courent partout dans une libert originelle. Les engins agricoles modernes sont peu frquents mais les charrettes tires par des nes ou des chevaux sont munies de pneus.

Lessentiel du programme littraire prvu pour les plus de trente participants venus de France, dAllemagne, de Suisse, dUkraine, dIsral, des USA et surtout de la Roumanie elle-mme, fut consacr deux des crivains roumainsles plus importants : Panat Istrati et Virgil Georghiu. Aprs la crmonie daccueil bilingue (en roumain et en franais) qui eut lieu dans une salle de la bibliothque (la salle Franois Mauriac) de la Maison de la Culture de Targu Neamt, les visiteurs apprirent quEtienne cel Mare, appel aussi Etienne le Grand, fit construire un monastre aprs chacune de ses campagnes militaires. Il tait considr non seulement comme un grand chef militaire, mais aussi comme un grand promoteur de la culture. Le monastre de Neamt fut, au temps du duch de Moldavie, un centre culturel o des moines ralisrent manuscrits et miniatures. La langue roumaine comporte certes quelques lments slaves, grecs et turcs, mais sa morphologie et sa syntaxe sont dorigine purement latine, raison pour laquelle elle est considre comme la plus latine des langues, alors que dans les langues latines occidentales, beaucoup de mots germaniques ont t introduits. La Roumanie se prsente comme un lot linguistique au milieu des langues slaves qui lenvironnent. Il nest pas tonnant que dans la capitale de la Bucovine, Iasi, le Centre Culturel (franais) soit plus frquent que le Goethe Institut (qui nest pourtant spar du Centre que par une rue principale). Cette prdilection pour la langue franaise a galement contribu ce que lauteur succs Eugne Ionesco quitte sa patrie roumaine pour Paris, o il demeura vie en tant que franais dadoption, et atteignit un succs mondial avec ses pices de thtre marques par labsurde.

Le pote Georges Simon, originaire dAgapia, et Isabelle Arditi-Kargon, originaire dIsral, prsentrent des communications sur la synergie de limaginaire et de la ralit dans la vie et luvre de Panat Istrati (1884-1934) qui, en tant que fils dun contrebandier grec et dune paysanne roumaine, avait un got certain pour laventure, changea plusieurs fois de mtier et fut communiste par obligation. A Braila, son logement fut reconstitu avec beaucoup de soin, avec ses nombreux livres et son pole faence blanc. Des objets tels quune valise double fond, un feutre bossel et un porte-documents rappellent son dernier voyage, en Russie. En tant que globe-trotter et passager clandestin, Istrati avait appris connatre aussi le monde mditerranen et le Proche-Orient, ce qui le pourvut dun matriau inpuisable pour les livres quil crivit plus tard en franais (Kyra Kyralina, Oncle Anghel, Prsentation des Hadouks). Il fut dcouvert pour les lecteurs europens par Romain Rolland qui le comparait aux matres russes, tout en distinguant chez lui plus de temprament, une atmosphre plus ardente, une lucidit plus tragique, et le bonheur trs conscient dcrire pour la libration dmes oppresses.

En Roumanie, lon cultive aussi le souvenir du trs apprci Ion Creanga (1837-1889) dont lon peut visiter la rustique maison natale Humulesti, sur les bords de la Moldau. Avec ses contes et ses rcits dune grande originalit stylistique, il a rendu la langue roumaine populaire apte lexpression littraire.

Le dsir de devenir le vrai pote de la Roumanie fut surtout, cependant, celui de Virgil Gheorghiu (1916-1992), prsent dans un expos de Jacques Pilate, de Sarrebrck. Les exigences de son credo taient trs leves. Un pote est condamn tre parfait ou disparatre. Gheorghiu avait tudi le journalisme et travaill en tant que reporter de guerre. Dans ses livres (Les Immortels dAgapia, Le Tmoin de la vingt-cinquime heure, LEspionne, La Seconde Chance, Les Inconnus de Heidelberg), il sengage pour lidal de la libert, critique les systmes de pense matrialistes et dcrit les dangers qui menacent les civilisations.

En lui sunissaient quatre personnalits:

- Le paysan (La terre me fut familire ds mon enfance. Je la connais comme mon corps)

- Le Christ orthodoxe (il voulut tre prtre)

- Lauteur qui, dans ses plus de quarante ouvrages (de lessai au roman jusquaux biographies et aux reportages de guerre), ne se lassa jamais, dans un style clair et prcis, de sengager pour le Bien.

- Lavocat au cur de lactualit mondiale, qui condanne linhumanit du communisme dinspiration sovitique.

La jeunesse de Gheorghiu fut marque par la pauvret:

Dans notre pice commune, il ny a pas de chaises, seulement un lit et une table. Nous navons quune marmite. Lorsque la bouillie de mas est prte, nous y faisons cuire la soupe. Il ny a que deux assiettes en bois. Ma mre et moi, nous utilisons la mme. Nous mangeons avec des cuillres en bois. La pauvret dans le village est si grande quune famille ne peut se procurer une bote dallumettes que tous les cinq ans.

Sur la route qui mne dautres sites culturels et littraires, dans la cour dun monastre prs dAgapia, la photographie dune splendide jeune femme sur une tombe orne de roses veille lintrt. Elle rappelle une histoire damour la fois tendre et tragique entre un pote clbre et une traductrice, elle-mme pote, histoire pour laquelle se passionna toute la Roumanie. Ils sappelaient Mihai Eminescu et Veronica Cmpeanu. Celle-ci frquenta le pensionnat de Iasi o elle obtint des rsultats scolaires exceptionnels et se passionna pour la littrature franaise de Victor Hugo Honor de Balzac en passant par Georges Sand. Pour chapper la pauvret, ladolescente de 14 ans pousa, par obissance sa mre, un professeur plus g quelle de trente ans, qui reconnut son don pour les langues et lui permit de le dvelopper, de sorte que Veronica traduisit avec succs les uvres de Lamartine et dAlfred de Musset. Lors dun voyage Vienne, elle fait la connaissance de Mihai, jeune pote dj clbre, tout imprgn de la philosophie de Kant et de Schopenhauer. Trs impressionne par sa personnalit et par sa posie, elle tente de lgaler dans le domaine potique en crivant des vers pleins de sentiment, qui correspondaient bien au got du dix-neuvime sicle. Par la mme occasion les pomes de Veronica expriment son attirance et ses sentiments profonds pour Mihai:

Jaimerais toucher ton front de mes doigts nacrsArranger tes cheveux dune fugitive beautDe ton visage serein, un vrai lys majestueuxFaire une icne damour brillant devant mes yeux.

Mihai Eminescu rpondit son amie sur le mme ton:

Vers ta fentre, dans la nuitJai tant tourn la vueQue tout le monde avait comprisToi seule, quen savais-tu?

Un vague murmure peine saisi,Cest tout ce que jattendais!Et de tes jours, maurait suffiLespace dune seule journe

Rien quune heure o je soisLami que tu dsiresEt que jcoute ta voixAprs je peux mourir.

Dans la posie des deux tres se reflte une exprience commune faite de ruptures et de rconciliations, damour passionn, et de dceptions profondes aprs quEminescu eut regagn la Roumanie pour occuper le poste de directeur de la Bibliothque centrale de Iasi. Lorsquil dmnagea plus tard Bucarest, il savra que le couple ne surmonterait pas la sparation. Mihai sombre dans la folie et meurt lge de 39 ans. Veronica ne lui survit que quelques mois.

Mihai Eminescu (1850-1889), prsent pendant le voyage par Dona Baroiu et ses amis roumains, est considr dans son pays non seulement comme un grand romantique, mais plus particulirement comme le pote qui, grce ses capacits langagires et cratrices dimages, labora une langue roumaine neuve et apporta une contribution essentielle au renouvellement de la langue courante et littraire. Sa clbrit fut due, de son vivant, un recueil paru en 1883, qui connut un grand retentissement, ainsi qu un long pome o le hros renonce lamour et au bonheur terrestres pour la solitude et limmortalit. Son destin tragique et sa mort prmature llevrent trs vite au rang de pote national.

Lanecdote suivante illustre son amour pour la langue et la littrature allemandes. En 1864, la troupe de thtre de Fanny Tardini visite Tchernivtsi (aujourdhui en Ukraine). Mihai assiste toutes les reprsentations. Il accompagne la troupe et voyage avec elle travers le pays. Puis, il se joint la troupe de Pascali o il travaille comme souffleur. Sa situation matrielle est trs mauvaise. Il porte de vieux vtements, des souliers trous. Le directeur lui donne de largent pour se procurer des effets neufs. Il accepte largent puis sen va. Lorsquil revient avec deux gros paquets, le directeur lui demande o sont les habits, les chaussures Eminescu prsente alors les uvres compltes de Goethe et de Heine.

Elmy Lang (Traduction de Marie-Line Jacquet)

* Article paru dans la revue allemande Der Literat

Histoire dun pote roumain assassin 28 ansIlie Motrescu est n en 1941 Krasna, village de Roumains en Bucovine du Nord, aujourdhui en Ukraine. Il est le sixime dune famille de huit enfants. Il fait ses tudes primaires et secondaires dans son village natal. En 1944, son pre est dport en Finlande, et son grand pre tu par les Bolcheviks.

Tte de classe en littrature et en mathmatiques, il crit des pomes ds lenfance. Il en crira toute sa vie. Il fait des tudes de musique et de lettres en Moldavie, ce qui est frquent pour des Roumains dUkraine. Il publie un premier recueil de pomes, LHymne des Carpates.

Il revient Krasna o il est nomm professeur de langue et littrature roumaine. En 1967, il fonde le premier journal de posie roumaine LAurore de Bucovine. Il anime Tchernivtsi un cercle littraire clandestin. Mais il pressent ce qui arriverait. Le 26 juillet 1969, il quitte sa maison. Quatre de ses connaissances en voiture linvitent une promenade en fort. Lun deux tire un revolver et tente de le tuer. Les autres doivent lachever par des coups dans la tte. Ils jettent le corps dans la voiture, et vont le jeter dans la rivire proche, le Prut. Quelques jours plus tard , des passants retrouvent le corps et lenterrent au cimetire de la ville proche de Tchernivtsi.

Sa famille fait son enqute, au KGB entre autres. Un de ses frres fait pour cela une anne de prison. Un autre, professeur de mathmatiques et prsident du Conseil de village, est destitu. De mme une de ses surs, institutrice. De la famille de huit enfants, cinq sont encore vivants. Jusquen 1990, il est interdit de lire luvre dIlie ou de parler de lui.

Pour le 60me anniversaire de sa naissance, un premier recueil de pomes parat en 2001. Trois autres suivront. Ses thmes de prdilection sont sa mre, les saisons, les Carpates, la solitude, son village natal, sa propre vie, ses amis, ses ennemis Il refuse de faire lapologie du rgime. En 2002, lcrivain roumain Lauretsiou Dragomidu publie Mmoires Ilie Motrescu. Eleonora Scipor, enseignante de franais de la rgion de Krasna se lance dans un travail de traduction. Elle crit quarante articles afin de faire connatre le pote. En 2003, elle fait paratre une biographie (x). Le frre an dIlie y collabore. Elle se bat pour que lartre principale du village ou son cole de Krasna porte son nom, ou quon lui lve un monument. Elle prpare un nouvel ouvrage rassemblant ses articles. Voici traduits par Eleonora Scipor quelques passages de ses pomes:

Je veux chanter lamourTout lamour et les amoureuxJe veux chanter.Mais je ne peux pas chanter Parce que ma lyreNe donne pas les sons que je veux.Je veux chanter les rves,Lamour et les femmesEt ma chanson sera sans fin

(x): Editions Laurentiu Dragomir, Bucarest, 2003

Jcoute le tempsParfois je pense:Que font maintenantPendant lhiverLes hommes dans la rue?Moi mme jcouteLa chanson de lhiverLe monde et ses problmesJe pense toutEt peut-tre rien.Daprs Eleonoa Scipor

ET DE LUKRAINE

Les temps pnibles du Tchernivtsi d`entre deux guerres

Si l`on runissait toute la littrature, apparue durant les dernires 25-30 annes, consacres Tchernivtsi et la Bucovine, rien que la bibliographie pourrait remplir tout un volume. D`autant plus que de nouvelles publications continuent apparaitre. En 2003 ont t publis simultanment deux ouvrages, l`un d`une antropologue franaise, tablie en Isral Florence Heymann Le crpuscule des lieux. Identits juives Czernowitz. P.:Stock 442 pages." et l`autre d`un historien vivant aux Etats-Unis Radu Ioanid La Roumanie et la Shoah. Destruction et survie des Juifs et des Tsiganes sous le rgime Antonescu (1940 - 1944). P.: Ed. de la Maison des sciences de l`homme. 383 p.,reconstituant l`ensemble d`une histoire: celle de la vie et de la mise mort des communauts juives qui au XX sicle vcurent sous souverainet roumaine.

Je m`arrterai sur l`uvre de F.Heymann, qui se compose de quatre parties divises en chapitres, d`un pilogue, d`une bibliographie (comprenant plus de 650 titres), d`un glossaire, de photos de Tchernivtsi d`entre-deux-guerres. En s`appuyant sur de riches matriaux d`archives, l`auteur tudie les tendances ethnolinguistiques de la rgion tout au long des sicles ( partir de 1774), prte une grande attention aux problmes religieux, en particulier, au hassidisme. Il est noter un fait intressant de la vie de F. Heymann, qui jette une lumire sur le choix de son objet d`investigation: ayant fini ses tudes la facult des lettres elle avait l`intention d`analyser l`uvre de L.-F. Cline, dont elle a fait part son parrain"A.-M.Sperber. La raction de ce dernier fut immdiate,cinglante et dfinitive: Je vous interdis de travailler sur ce thme. C`est la trahison de la mmoire" [p. 10].Il faisait allusion aux ides antismites connues de Cline. Quelques mois aprs son choix est tomb sur l`tude de Tchernivtsi et de ses communauts juives, ce qui a t favorablement salu par le mme A.-M. Sperber. Selon ses propres paroles, F.Heymann est passe de Cline Clan [p.10]. Ses recherches sur le tableau politique de la Roumanie dans les annes 1920-1940, cette priode d`une interminable clipse du soleil", qui se caractrisait par l`aggravation de la situation des minorits nationales, en particulier, juive et ukrainienne, par une roumanisation force ont une grande valeur, surtout pour les historiens. Elle montre aussi que l`on n`a senti aucune amlioration aprs l`entre en Bucovine du Nord de l`Arme Rouge.

Florence Heymann a consacr prs de vingt-cinq annes ces recherches dans diffrentes archives de plusieurs pays, a recueilli de multiples tmoignages des survivants (la plupart rfugis en Isral) de ces mouvements imptueux qui avaient secou Tchernivtsi et la Bucovine du Nord entre les deux-guerres, sous la souverainet roumaine. Elle nous invite un vertigineux voyage immobile, un priple qui s`apparente aussi une qute intrieure, certains de ses anctres (grands-parents p.ex.) tant originaires de cette ville-monde" dsormais engloutie. Cette ville n`a cess, au fil des sicles, de changer de matres: longtemps partie de l`Empire austro-hongrois, son ge d`or", elle deviendra roumaine aprs 1918 et rebaptis Cernauti puis sovitique et elle est aujourd`hui l`ukrainienne Tchernivtsi. Autrement dit, cette ancienne cit de culture allemande est d`abord emblmatique de ces confins oublis o s`est scelle la rencontre de deux Europe. Cette ancienne ville s`est transforme en phnomne historique: une ville abandonne de l`esprit; car c`est cet esprit de Tchernivtsi qui a cr dans diffrents endroits du monde contemporain ses colonies, des colonies de souvenirs. A ce propos, il existe dans diffrentes villes du monde beaucoup de ralits, plus ou moins lies la ville de Tchernivtsi. J`ai russi trouver mme Paris une rue qui porte son nom autrichien (rue Chernovitz) dans le XVI arrondissement le plus chic, le plus lgant l`ouest de la capitale.

F.Heymann fait ressortir la tension de la rencontre des cultures Tchernivtsi, la tension qui, malgr tout le tragique, avait cr une grande culture de toutes les communauts de cette rgion, y compris du peuple juif. Un grand chapitre est consacr au sort difficile de deux crivains parmi les plus grands, ns Tchernivtsi, Rose Auslnder et Paul Celan, qui incarnaient la gnration des artistes, des crivains bucoviniens d`entre-deux-guerres, appele par A.-M.Sperber un chur invisible" Der unsichtbare Chor". Les circonstances taient telles que tous les deux durent abandonner les lieux natals. Pourtant la ville est reste pour toujours dans leurs curs. R.Auslnder dans son pome Czernowitz avant la Seconde guerre mondiale" a crit, entre autres:

Une ville paisible sur les collinesEncercle de bois de htreQuatre languesS`y accommodentDorlotent l`airLa ville respirait si heureusementJusqu` ce que les bombesNe soient tombes.

P.Celan revenait toujours en pense dans cette ville; nous l`apprenons dans sa correspondance avec A.-M. Sperber: Je me demande, s`il n`avait pas t mieux de rester dans la valle du fleuve Boug sur ma propre terre" [p. 170]. Oui, Tchernivtsi tait comme un pont entre l`Est et l`Ouest, une ville appele par R.Auslnder et P.Celan l`essence mme des potes tchernivtsiens.

F.Heymann prte une grande attention aux autres personnalits significatives de la culture juive qui vivaient et travaillaient Tchernivtsi. Parmi eux: crivains E.Steinbarg, I.Manger, I.Burg; l`homme de thtre, acteur, metteur en scne A.Goldfaden, crateur du premier thtre juif au monde; le tnor de rnom mondial J.Schmidt, qui avait tourn dans plusieurs films et dont la voix avait rsonn dans le clbre Temple" la synagogue de Tchernivtsi, ce dont tmoigne une plaque commmorative s`y trouvant. Le 4 mars 2004 on y a clbr le 100e anniversaire de sa naissance. Il est noter, que les Allemands considrent jusqu` prsent J.Schmidt comme leur, et comme le plus grand tnor du XX sicle.

Selon une dfinition du savant ukrainien V.Skourativski, la ville de Tchernivtsi se trouvait juste au milieu de l`Oecumnisme europen. En runissant de faon tout fait tonnante et presque nigmatique tous les thos, tous les courants de son poque, Tchernivtsi et la Bucovine du Nord taient comme un miroir du destin de l`Europe Centrale, qui y avait rsonn parfois mme tragiquement de toutes les dominantes, quelquefois horribles, de son histoire. Une telle conclusion dcoule de l`ouvrage de F.Heymann qui souligne la fois que cette rgion se distinguait par la richesse, la pluralit ethnique d`une population vivant malgr tout assez longtemps en bonne intelligence, dans un quilibre la fois politique, conomique et linguistique qui, s`il savait prserver les particularits individuelles, n`en restait pas moins ouvert une forme de tolrance relative rciproque. L`auteur se souvient, sans doute, de l`ide bien connue de Karl Emil Franzos (auquel elle se rfre souvent): Le plus beau dans cette rgion c`est la paix nationale et confessionnelle qui y rgne et rgnera toujours ".

Certes, les points de friction ne manquaient pas, ne ft ce qu` l`intrieur de la communaut juive o les orthodoxes dont la langue tait le yiddish et qui favorisaient l`hbreu rsistaient aux assimilationnistes favorables l`allemand, ou, encore, les sionistes s`opposaient aux nostalgiques de l`Empire austro-hongrois. Mais, sans qu`il y et pour autant brassage, les communauts parvenaient coexister.

L`autre aspect trs important du livre critiqu se rapporte au problme linguistique. La spcificit du lieu o s`est tenue en 1908, la premire confrence mondiale sur le yiddish c`est l`extraordinaire identification des Juifs, soit prs de la moiti de la population d`avant la guerre, la Kultur" et la langue allemandes, lesquelles leur tenait lieu de tout ce dont le destin les avait privs, de patrie, de prsent et de pass". L`Empire austro-hongrois, partir de la fin du XVIIIe s. a accord progressivement aux Juifs une quasi-galit civique grce laquelle ceux-ci furent parmi ses plus fervents dfenseurs et partisans. Ne disait-on pas de Czernowitz d`ailleurs qu`elle tait Klein Wien", la petite Vienne? La trahison que ces Juifs purent ressentir avec l`avnement du III-e Reich n`en fut que plus cruelle: la langue de la libration devenait celle des futurs bourreaux. Ces bourreaux, F.Heymann en dtaille avec la prcision ncessaire l`horrible litanie. Tour tour, les Roumains, les Sovitiques, puis les Allemands vont dporter et en grande partie, exterminer les centaines de milliers d`hommes, de femmes, de vieillards et d`enfants juifs qui peuplaient la contre. Le rcit de ces atrocits a dj t fait mais il est bon qu`il soit repris une nouvelle fois. L`humanit ne cesse d`oublier quel point elle est habite par la barbarie. Le devoir de mmoire n`est pas seulement un acte de respect l`endroit des victimes. Il est aussi la condition ncessaire d`une vigilance qui ne peut se permettre de dsarmer.

Ayant visit l`Ukraine pour la premire fois en juillet 2000, F.Heymann dcouvrait avec une grande motion cette "Atlantide engloutie", les endroits dont elle avait entendu parler par ses parents, ses connaissances. Son observation originale de Tchernivtsi dans son tat actuel prsente un grand intrt quoiqu`elle soit un peu systmatique. Elle a t sensible son charme mythique et nostalgique la fois, o elle n`a pas reconnu, cependant, l`esprit de l`ancienne cit, ce qui, selon nous parat tout fait comprhensible aprs le passage de plusieurs gnrations.

Le tableau aurait t, certes, plus vaste et plus objectif si F.Heymann avait eu recours aux sources ukrainiennes, trs abondantes apparues surtout pendant les 15 dernires annes. Ceci lui aurait permis de comprendre plus profondment les relations entre les diffrents groupes ethniques, en particulier ukrainiens et juifs. Bien qu`elle mentionne quelques faits de solidarit et d`aide aux Juifs de la part des Ukrainiens sous l`occupation allemande [p. 316], on sent une attitude un peu tendancieuse et prconue quant au rle des Ukrainiens dans les processus qui ont eu lieu l`poque en Bucovine.

Nanmoins, malgr ces quelques observations, le livre de F. Heymann prsente un grand intrt aux lecteurs franais, tout en dcouvrant pour eux un pays si lointain et si proche la fois surtout maintenant o l`Europe unie s`tend de plus en plus vers l`Est.

Taras Ivassioutine

ECRITS DE NOS MEMBRES

Monastres moldaves

Martyrs tincelantsGloires crulennesQuun vol de cloche essaimeSur le mur des couventsComme des concrtions darmesIssues du fond des nefs ou commeElfes et fes des sylves?Et rdent dans leurs transparencesVivantesLes fleurs aux lueurs de gemmeGraves ombres dicnes.

Marie-Line Jacquet

(Note de lauteur: Il sagit, dans ce court pome, dimpressions prouves lors du voyage en Roumanie effectu en 1993, et peut-tre rappellera-t-il des souvenirs ceux qui, entre-temps, auront effectu le deuxime voyage de lassociation, dans ce pays.)

Souvenir des journes Makine, La Cerisaie, septembre 2004

Malgr tout, la Russie, oui, malgr tout,La femme russe, lesprance, lattente,La petite musique dune vie, malgr tout,La dignit, mme un certain hrosme,Mais surtout lamour et la compassion.A ct de lglise de Mortagne, des bouleaux,Et un seul conifre. Au pied de celui-ciUne humble plaque peine lisible, qui dit:Cet arbre provient dun camp dextermination nazi,Ebensee-Mathausen.

Toby Garfitt

PUBLICATIONS DE NOS MEMBRES

Tableaux et chantsde Marie-Line Jacquet

Malgr la simplicit de son titre, Tableaux et chants, le recueil de Marie-Line Jacquet montre un talent singulier capter les paysages et la musique du monde au plus prs de la sensation. la recherche subtile des alliances rares entre les mots semble souvent fonde sur la perception d'un lieu fictif, ou rel, ou intrieur, comme si le pome tendait saisir le moment de sa naissance, de sa mtamorphose ou de sa disparition, mettre l'preuve sa dure ou son sens. D'o les tensions mystrieuses de ces estampes sonores qui rvlent, par exemple que:

Un sang plus dense a circul dans l'air.Ce recueil retentit d'harmoniques trs varies : musiques suspendues une atmosphre, vocations minutieuses, cris brefs, mditations sur la langue, les voix sont multiples. Il faudra sans doute choisir, prfrer peut-tre le dit aux rsonances, la parole simple la virtuosit syntaxique.

Parfois, la violence se concentre et se retourne contre les mots, comme dans Prophtie 2 :

Que le temps purulent s'arrteQue les mots meurentSaisis d'un dtail de fournaiseQu'ils s'incendient, qu'ils crventQu'un herbicide os les prenneQu'ils ne polluent plus rien.

Le silence est alors la seule purification. Mais l'coute du mystre de vivre s'est transforme en clairs salutaires, qui ont dchir les moments obscurs de nos vies.

Patrick Piguet

Le train de Tchernivtside Michel Bonte

Le train de Tchernivtsi et autres nouvelles dUkraine, de France et dailleursSur les pages dun seul recueil tant de sorts, tant dmotions, tant ditinraires voisinent dune manire harmonieuse. En dcouvrant une histoire suivante on saperoit des mouvements dme si fragiles et si puissants en mme temps quils rendent encore plus vulnrable Maya de Train de Tchernivtsi, encore plus relle Vra, le personnage authentique de la nouvelle de mme nom. Ce sont ces mouvements intrieurs qui empchent de rester indiffrent, de lire dune manire passive ces tmoignages dchirants. Ce sont enfin ces mouvements animant tant de curs qui font mieux comprendre ce que disent les Fatima et pourquoi se taisent les Stella incarnes dans les nouvelles Fatima La lorraine et Carme Agapia.

Les nouvelles rassembles dans le mme chapitre Ukraine ont suscit des ractions varies, aucune nest reste sans rponse. Le lecteur ukrainien a fait preuve de la tolrance par rapport une certaine subjectivit due lorigine trangre de lauteur, dautre part cest le regard de lextrieur qui est trs prcieux et permet de tirer de bonnes leons. Les nouvelles dites ukrainiennes sont imprgnes de lambiance roumaine, des toponymes roumains sont trs frquents citons Jordaneshti. Lauteur met laccent sur la ralit historique qui rapproche ces deux nations. En effet il sagit dune des plus intressantes rgions de lUkraine remarquable par sa multi nationalit.

Michel Bonte voyage beaucoup. Depuis une dizaine dannes il vient souvent en Ukraine. Lors de ses sjours il prend connaissance des traditions, de la culture, des murs de la Bucovine. Il reflte ces impressions de voyages en recueil de nouvelles. Nombre duvres se passent dans un milieu paysan. Ainsi le narrateur nous montre comment les souvenirs peuvent gouverner et animer lexistence dune petite vieille de Jordaneshti. Cest cette lutte intrieure qui fait vivre Vra, la rend si proche, si comprhensible, si relle. Ce devait tre une petite maison, Vra poursuit vers la gare, sur un sentier quon devine peine. Ici, ctait le jardin. Mais il ny a plus trace de jardin. lisons nous dans Vra. Cest un passage vraiment hors pair. Ici, en quelques lignes, lauteur dcrit le pass quon vit prsent et quon vivra toujours. Il est noter que chez Michel Bonte ce sont surtout les femmes qui font les tmoignages les plus tendus. Oui, jai ma mre, elle est malade, lhpital, et il faut bien lui apporter des mdicaments et manger, - avoue la jeune femme, Maya en faisant ressortir une douleur commune.

En matire de style lidal de lauteur est la simplicit et la prcision. Il cherche se tenir autant que possible un vocabulaire intelligible pour tout le monde. Cette simplicit nexclut point une recherche minutieuse dexplorateur attentif.

Raluca Simon

Virgil Gheorghiu, Chantre de la Libertpar Jacques Pilate

Nous signalons la publication, par Jacques Pilate, de cette plaquette. Cest un recueil fort attrayant, illustr de photos, qui situe les crits de Gheorghiu par rapport sa biographie insparable des bouleversements qua subis son pays et aux grands thmes qui passionnent lauteur. Seuls les pays qui nont pas de pote sont mortels et disparaissent ecrit-il. Pour ceux dentre nous qui ne connaissent pas la Roumanie, elle commence dj rsonner en nous, grce cette prcieuse tude qui est le fruit dune connaissance du romancier-pote que Jacques Pilate a dveloppe sur plusieurs dcennies. Retenons de lui cette citation prise dans les Mmoires:

Le pote dchire toutes les tiquettes, pour dcouvrir ce qui se cache dessous. Les autres hommes se contentent de regarder les tiquettes.

La plaquette peut tre obtenue auprs de Jacques Pilate au prix de 5 euros.

Margaret Parry

*******

Au moment de faire paratre le prsent bulletin, nous apprenons la publication de deux rcents ouvrages importants dadhrents de lAssociation. Des recensions leur seront consacres dans le prochain numro:

Anne Perier,par Jeanne-Marie Baude, Editions Seghers, 2004

Ouvrage sur une figure majeure de la posie suisse francophone du XX me sicle.

Jeanne-Marie Baude, anciennement professeur de littrature contemporaine lUniversit de Metz, est dj lauteur de Georges-Emmanuel Clancier, paru aux Editions PULIM en 2001.

La premire en chemin Le mystre du 1er janvier,par Roger Bichelberger, Editions de Fontenelle, Collection Mystres et Ftes, 2004.

Cette collection a pour vocation de faire redcouvrir les ftes qui jalonnent le calendrier: Toussaint, Nol, Pques, Assomption et tant dautres, si souvent mconnues.

ET NOUVEAUT DU LIVRE

Ada, fille de Cagliostro- ou le don de voir,dAda Ole-Chatelain, prface de Paulette Guinchard-Kunstler, Besanon, Graine dauteur, 2002.

Ce volume est l autobiographie, longue et dtaille, dune femme ne San Leo, en Italie, et migre par la suite en France, en Franche-Comt, dans la priode du second aprs-guerre .Cest au fil de la mmoire et sous le charme envotant du visionnaire Cagliostro que se droule ainsi lhistoire de cette fillette qui allait tous les jours rver prs du cachot de ce dernier, dans le chteau o il fut emprisonn, pour sabandonner son imagination et sa fantaisie. Lcrivain se livre donc ses souvenirs personnels denfant n dans une famille nombreuse, qui aimait se laisser bercer par les rcits de ses parents voquant dans leur langue [...]aux accents musicaux(p.9) un pass lointain mais magique. Le lecteur voit surgir devant lui, au fil des pages, limage vivante et vivace dune ambiance familiale pauvre mais domine par le bonheur, lamour, la joie; en outre, la narration souligne fort bien que le destin de cette famille croise et se mle troitement celui de tout le village de San Leoo la vie familiale et sociale , comme partout cette poque dans les petits villages de campagne, tait trs simple et immdiate, mais surtout tait riche de rapports humains et daides mutuelles que la guerre comblait dangoisse et de problmes mais narrivait pas dtruire.

Cette histoire dune vie passe lombre de Cagliostro, qui semble avoir transmis la petite Ada son don de voir , essaie donc de nous faire saisir la beaut de la campagne et de ses paysages dautrefois o lhomme narrivait pas encore dominer la nature en dtruisant sa sve vitale; au contraire, il respectait ses rythmes et ses ncessits, en adaptant sa vie matrielle et morale aux rgles que la nature elle-mme lui imposait: on passait alors les journes avec les moutons quon amenait aux pturages, ou avec les autres paysans moissonner et puis fter la moisson accomplie; les enfants samusaient aller faire la cueillette des petits dons que les bois ou les fleuves offraient pour des repas simples et essentiels; on saimait bien les uns les autres et laide mutuelle tait la seule ressource pour aller de lavant.

Le narrateur essaie donc de reconstruire cette ambiance o se sont droules son enfance et son adolescence, en faisant ressortir les valeurs humaines qui la caractrisaient et qui ont faonn sa personnalit: lamiti , lamour, la solidarit, le respect primaient sur tout le reste et ils sont rests comme lhritage personnel et intime dune vie italienne qui a d trs tt se confronter aux problmes de lmigration, donc dautres lieux et dautres personnes, des faons de vivre et de se rapporter qui semblaient sopposer cette nature originaire. Mais peu peu lintgration au milieu franais se ralise, le travail arrive ainsi que les premiers amours... Cest un livre frais et palpitant de vie, un livre qui essaie de nous faire voir, travers les diffrences et les problmes, la possibilit dune rencontre fructueuse entre les hommes qui, seule, peut apporter ces richesses intrieures dont nous avons tous besoin; lcriture elle-mme dailleurs essaie dexprimer dune faon immdiate cette ambiance travers un savant mlange o des expressions typiques italiennes sintgrent parfaitement la narration franaise.

Mais surtout ce livre est le tmoignage dune vie profondment vcue, o toutes les expriences, positives ou ngatives, sont envisages comme un enrichissement personnel que la protagoniste veux faire partager aux lecteurs. On ne peut pas distinguer des thmes majeurs dans cette narration car cest la vie qui y fait irruption avec tous ses aspects, ses souffrances et ses jouissances, ses nostalgies et ses espoirs mais il y a un lment en particulier qui frappe le lecteur, savoir lattention avec laquelle le rcit essaie de nous faire comprendre la force de cedon de voirquAda semble avoir hrit de son pre spirituel , le comte de Cagliostro: si cette possibilit de vision lui permet les rencontres les plus inattendues comme celle avec lAbb Pierre , elle lui offre aussi les souffrances les plus dramatiques comme la dcouverte, par une vision, de la maladie de sa fille avant quelle ne se manifeste et les difficults la soigner. Et cette vie dAda tisse danecdotes et de miracles, se droule devant les yeux probablement incrdules du lecteur pareille un roman o, comme dit le narrateur,le matriel et linvisible sy marient trangement [...] la vie quotidienne pousant la vie spirituelle au jour le jour(p.174). Julien Green a crit que la vie est le plus grand romancier possible[...] et qu elle dploie un art peu prs inimitable, quand il sagit de nous montrer quels abmes il peut y avoir dans les coeurs des humbles: cette autobiographie dAda Ole-Chatelain, crite dailleurs quatre mains avec Maud Lescoffit, en est srement lexemple le plus parfait.

Daniela Fabiani

ART ET LITTRATUREAVANT-GOT DU COLLOQUE DE ROME 2005

Les rsums de communication qui suivent seront loccasion, pour nous tous, de nouvelles dcouvertes, de nouvelles lectures ou relectures qui, en nourrissant notre rflexion sur le thme choisi, permettront une participation plus active de tout le monde, et esprons-le un meilleur sens de la communication, comme nous voudrions entendre ce mot

Saint-Exupry, la posie entre terre et cielLes mtaphores de lart dans Terre des Hommes

Portrait ou paysage, le sujet se dpasse lui-mme, et vous saisissez, au-del des couleurs et des formes,une ralit que vous retrouverez bientt dans une fugue de Bach ou dans une symphonie de Beethoven, dans une gerbe de fleurs ou dans un regard denfant, une ralit qui nest daucun temps ni daucun lieu, qui rayonne de toute oeuvre dart sans tre enferme en aucune, toujours ancienne et toujours nouvelle, mystrieusement reconnue sous le voile qui la laisse inconnue: une ralit ternelle, vivante, intrieure dont le coeur de Lhomme na jamais cess de subir la merveilleuse aimantation...Lartiste vrai est celui qui coute et qui obit, qui se laisse recrer par son sujet.

LEvangile intrieur p.21Maurice Zundel

La matire sintriorise et sillumine dun rve immortel, elle sanime, elle vit et lesprit sassure dans la justesse et la vigueur de cette cration, de lharmonie et de la fcondit de la beaut sans formes qui ne cesse de Le hanter.

Id. p.89

...Le changement de plan que toute oeuvre dart est apte provoquer en nous

Lhymne la joie p.96Maurice Zundel

En faisant des rapprochements entre les textes de Maurice Zundel et Terre des Hommes de Saint-Exupry, je voudrais montrer comment la prose devient posie par la transfiguration du monde et des hommes.

Tout est beaut dans Terre des Hommes, beaut de Lhomme, de la nature, de laventure aro-postale, de lidal de vie. Tout est appel un accomplissement de ltre malgr les bosses, les creux, la laideur.

Cet appel une humanit de grce quhabite lEsprit sexprime en une musique magnifique, dans des mtaphores potiques qui permettent daccder au sens profond de la Terre et des Hommes indissociablement lis, dans la mme fantastique aventure.

Ces couleurs de la terre et du ciel, ces traces de vent sur la mer, ces nuages dors du crpuscule, il ne les admire point mais les mdite.

Terre des Hommes p. 30

Mais parmi ces toiles vivantes, combien de fentres fermes, combien dtoiles teintes, combien dhommes endormis...

Il faut bien tenter de se rejoindre...

Terre des Hommes p.9-10

Ici le chemin de la connaissance passe par celui de la beaut, le fond et la forme ne faisant quun. Il faut sauver le monde de toutes les mdiocrits qui risquent de le faire mourir.

Ce qui me tourmente... cest un peu, dans chacun de ces hommes, Mozart assassin

Terre des Hommes p.185

Sabine Badr

"La beaut sauvera le monde" : qu'est ce que la beaut pour Dostoevski ?

Un personnage de L'Idiot de Dostoevski annonce que "La beaut sauvera le monde". Mais de quelle beaut s'agit-il ? Nous nous demanderons successivement :

1- Dans quel contexte Dostoevski annonce dans L'Idiot que "la beaut sauvera le monde" ?

2- Dostoevski n'entend-t-il pas la "beaut" comme une forme de "bont" ?

3- Qu'en est-il dans une autre oeuvre de Dostoevski, par exemple Les Frres Karamazov ?

4- Finalement, il n'est pas si sr que ce soit une relle bont. Alors qu'est-ce?

Il peut tre clairant de rapprocher la "beaut" selon Dostoevski de celle par exemple du Don Quichotte de Cervants, sur un autre ton.

Michel Bonte

Le mlange des arts comme parcours identitaire:la qute de J.-M.Rouart et de M.Ferranti

Apparemment rien ne semble justifier un rapprochement entre ces deux auteurs si diffrents, sauf peut-tre la renomme dont ils jouissent dans les milieux culturels et littraires daujourdhui, elle aussi dailleurs drive de raisons bien diverses. Le premier, en effet, J-Marie Rouart, se distingue par les scandales dclanches par ses prises de position publiques et par son engagement social qui devient aussi matire rcit et donc moteur de sa prose romanesque; la seconde, Marie Ferranti, est au contraire bien loin de ce genre de bruit: elle vit en Corse et se consacre entirement sa passion dvorante pour l criture littraire et le seul bruit qui la concerne drive des prix littraires quon lui dcerne, en 1995 le Prix Franois Mauriac pour son premier roman, Les femmes de Santo Stefano, et en 2003 le Grand prix de lAcadmie Franaise pour La Princesse de Mantoue.

Et pourtant, bien voir, entre eux il y a un lien secret que le lecteur attentif ne peut ne pas remarquer: leurs romans tissent au fil des annes un univers narratif qui sappuie sur la peinture et cette dernire devient, mme si par des procds diffrents, le moteur mme de lcriture romanesque, objet et sujet dune criture en prose susceptible de dessiner par les mots la vision personnelle de laccomplissement dune vie; mais encore plus, cela fait que la relation des deux auteurs lecriture littraire par le biais de la peinture devienne une qute identitaire capable de rpondre leur besoin de surmonter les bornes dune contingence considre comme insatisfaisante, incapable de bien exprimer leur vritable personnalit. Peinture et prose romanesque deviennent donc pour les deux auteurs la sve gnratrice dune criture artiste, o la beaut de la cration accomplie est lexpression la plus parfaite dun parcours personnel qui, en exprimant la vie, permet aux auteurs mmes datteindre et daccomplir leur vie artistique.

Livres concerns:

Jean-Marie Rouart, Une jeunesse lombre de la lumire, Paris, Gallimard, 2000

Marie Ferranti, La Princesse de Mantoue, Paris, Gallimard, 2002

Daniela Fabiani

La disparition de lhomme?Jean Grenier et lesthtique de lart non-figuratif

Au cours du vingtime sicle, les tenants du modernisme se sont souvent opposs ceux qui restaient fidles une esthtique plus classique. A propos du Nouveau Roman, si Franois Mauriac reconnaissait chez Nathalie Sarraute une continuit, en ce quelle lui semblait continuer sintresser aux personnages et la psychologie, il reniait lunivers opaque de Robbe-Grillet, pour qui le personnage tait une notion prime. La peinture non-figurative, en particulier, tait souvent un terrain de bataille entre les deux camps. Je ne pourrais reprsenter une femme dans toute sa beaut naturelle, crit Braque. Je n'ai pas l'habilet. Personne ne l'a. Je dois par consquent crer une nouvelle sorte de beaut, la beaut qui m'apparat en termes de volume, de ligne, de masse, de poids et, travers cette beaut, j'interprte mon impression subjective. Jean Grenier fut un des critiques dart les plus apprcis dans les annes daprs-guerre, allant voir les peintres (dont Braque, Picasso,) dans leurs ateliers, et aidant le public comprendre lenjeu de ces uvres souvent abstraites dans les articles quil publiait rgulirement dans des revues comme Preuves et XXe sicle et dans des catalogues dexposition, ainsi que dans une srie de monographies et de recueils dessais importants. De 1962 1968 il occupa la chaire dEsthtique et Science de lart la Sorbonne. Mais ce champion de la peinture non-figurative ne reniait pas la beaut classique des grands matres (surtout Rembrandt) ou de lantiquit. Dans quelle mesure Grenier nous aide-t-il trouver une esthtique qui permette de concilier ces deux courants apparemment si contraires? Cest ce que je mappliquerai dcouvrir, en prenant comme point de dpart des textes comme La disparition de lhomme (1952; repris dans Essais sur la peinture contemporaine, Gallimard 1959).

Toby Garfitt

Jean Sulivan, l'art et la mystique.L'uvre de Jean Sulivan (1913-1980), crivain d'inspiration chrtienne, est doublement proccupe par l'art et par la foi. Selon l'crivain anglais et francophile, John Fowles1, l'art triomphe du temps mieux que toute autre action humaine car il permet de constituer un univers sans temps o l'intellect entier se lance crer et clbrer l'existence humaine.

L'art rpond au temps par la beaut, tandis que la foi propose une rflexion sur la finitude de l'homme et du monde. Ainsi l'homme est confront plusieurs invariants de l'exprience humaine - le spirituel, le beau, le vrai - auxquels rpondent leur tour la foi, l'art et la morale. Tout homme vit spirituellement, qu'il le sache ou non, mais seuls quelques-uns, dont certains artistes et crivains, sentent le besoin et possdent la comptence de parler de l'exprience spirituelle. Le spirituel peut tre religieux dans le sens qu'il relie d'autres formes de pense ou d'exprience humaine, mais aucune confession n'en a le monopole. Lorsqu'il avait dirig La Renaissance spirituelle, un centre culturel rennais, dans les annes 1940 et 1950, Sulivan avait dcouvert de premire main l'uvre de grands artistes et il affectionnait particulirement celle de Georges Rouault et de Marc Chagall. Il dcouvrira plus tard, lors de voyages en Espagne et en Italie, les grands matres et les muses europens, tels que Goya et le Prado. Son voyage en Inde inspira des pages2 sur l'art hindou et tout particulirement sur les statues reprsentant la divinit suprme, Vishnou, aux bras et aux qualits multiples. En Grce, frapp par la beaut des formes parfaites, il constata cependant que "l'art grec est en un sens le plus monstrueux et le plus menteur de tous les arts" car "la condition humaine (y est) (...) masque."3 l'absolu qui est propos par l'art et la philosophie de la Grce antique Sulivan prfre la contingence de l'humain, l'angoisse, le poids et le plaisir de la vie. Pour lui une statue de Rodin ou une toile du Grco parlent plus fort que l'image de l'homme idal dress par l'apollinisme et la raison humaine. Ainsi prfre-t-il Jrusalem Athnes cause du Fils de l'homme dont le visage, qui ne doit rien au tailleur de pierre, se rencontre "dans le visage de tout homme."

La communication illustrera comment Sulivan choisit de clbrer l'art en le crant: en tant que crateur et clbrant il est galement en communion avec l'assistance et la congrgation, car faire de l'art pour lui c'est constater que d'autres ont exist comme soi et qu'ils continuent d'exister dans la cration d'un art qui aide vivre.

Patrick Gormally/Pdraig Gormaile

1 John Fowles, The Aristos, London, Jonathan Cape, 1980.2 Jean Sulivan, Le plus petit abme, Paris, Gallimard, 1965.3 Jean Sulivan, L'obsession de Delphes, Paris, Gallimard, 1967, p. 169.

Franois Mauriac et lArtComment la littrature et la musique sont des passerelles vers Dieu?cf Asmode de MAURIAC et Don Juan de MOZART.

INTRODUCTION:

En juin 1946, F. MAURIAC remet la Lgion dhonneur au compositeur Francis POULENC.

1.- F. MAURIAC et la vie artistique parisienne:

Dans les salons de la princesse Edmond de POLIGNAC et de la comtesse Charles de POLIGNAC, F. MAURIAC rencontre les peintres, les musiciens et les crivains de son temps.

2.- Vocation de F. MAURIAC:

Chaque crivain a son secret:

a. Lcrivain devient dans le destin de lhomme de lettres une dfense de la crature dsarme.

b. Dieu et pas de matre, je men suis trouv merveille.

Mon ambition est daider mes frres, cest pour eux que jcris.

Il ny a pas me glorifier dtre un tmoin ni en rougir. Jen suis un et cest pourquoi jcris.

c. Rien ne minquite plus que le retentissement de mon uvre dans certaines mes.

Dilemme effroyable: donner la mort spirituelle par ses livres.

3.- F. MAURIAC et MOZART:

a. Connaissance et reconnaissance;

b. Don Juan, lopra le plus ador, cout par F. MAURIAC Salzbourg et Aix-en-Provence.

4.- De Don Juan Asmode:

a. Comment le romancier devient lhomme de thtre;

b. Le but est le mme: crer des personnages qui ont une me.

Ce que je dois confesser: la peine que jai mintresser une uvre sans prolongement mtaphysique.

CONCLUSION:

Pour F. MAURIAC, lArt est le pressentiment de lEternit.

Monique Grandjean

La critique artistique de Paul Claudel dans lil couteDepuis les Carnets de Lonard de Vinci et les propos dartistes de Drer, Delacroix, Gauguin et bien dautres, on sait que la Peinture est un langage. Langage autonome et qui, dune certaine faon, reflte la mission du peintre.

Paul Claudel a essay de dchiffrer ce langage dans de nombreux essais publis de 1934 1953, ensuite runis dans un recueil intitul Loeil coute. Il sagit dune mtaphore qui annonce la porte la fois musicale et potique du recueil.

Paul Claudel fit des dbuts tardifs et heureux dans la critique dart; il neut pas, proprement parler, une ducation artistique. La formation de son got et de son regard est due principalement la frquentation des artistes et des uvres dart quil dcouvrit dans les muses du monde entier et en particulier Florence. Michel Lioure souligne limportance prpondrante de sa sur Camille, sculpteur et laquelle il consacra son premier essai de critique dart.

Le caractre particulier de la critique dart claudlienne

Paul Claudel est un pote dont le regard pntrant le conduit sonder lobjet dart dune manire originale, en rechercher les vrits caches en faisant preuve dune imagination potique guide par la Foi. Son analyse repose sur deux convictions:

-la mission du pote est dinterroger le monde et de lui arracher un sens

-lart est un phnomne humain qui puise tant au monde visible qu celui invisible.

Le pote dchiffre le sens grce son pouvoir daudition par le biais du regard. Il peroit le tableau, entre lintrieur, lhabite, le rve et ensuite, grce son imagination dbordante le recre en une exgse foisonnante dimages.

Trs brivement je vais tenter de dgager les traits essentiels de la dmarche du pote.

Lil coute

Claudel affirmera: Il nen est aucune (uvre) qui ct de ce quelle dit tout haut nait quelque chose quelle veuille dire tout bas. Il recommande aux visiteurs des muses davoir loreille aussi veille que les yeux pour mieux [] coutercette conversation au del de la logique quentretiennent les choses du seul fait de leur coexistence et de leur compntration. (

Mais pour Jacques Petit ce que Claudel entend lorsquil coute un tableau profondment, cest, pour reprendre des images musicales quil a lui-mme utilises, lappel du cor, qui invite au retour sur soi, et en mme temps le dahin wagnrien qui fait frmir : on part!

De spectateur Claudel va passer lacteur des tableaux quil interprte, il dcle dans ceux-ci un appel passer de lextrieur lintrieur

La spiritualisation du concret

Des tableaux semblent maner une espce dappel dair ou dappel dme, une invitation

spirituelle Dune manire potique et paradoxale, Paul Claudel nous demande dcouter le silence des tableaux de paysage hollandais: ce silence qui permet dentendre lme, tout le moins de lcouter,Paisibles et unanimes, les tableaux de paysage hollandais dclenchent en lui, une pense plus grave que lordre chronologique du temps, une prise de conscience de cette allure mtaphysique, de cette communication gnrale, de ce cours infiniment subtil et divers des choses qui existent ensemble autour de nous. De mme, les cours, appartements, corridors, invitent le pote un voyage intrieur, lexploration de nos profondeurs, [[] la conscience de notre intimit, lattouchement de notre secret ontologique[] Les objets les plus communs prennent, au-del de leur sens dcoratif une valeur de symbole. Pour une cl figurant seule sans la serrure, il se demande sil ne sagit pas de celle de notre me ou encore il ne doute pas que le livre que cette belle vieille femme lit avec joie soit un livre sacr.

Parlant du rapport entre la religion et lart Paul Claudel dclare: Toute cette religion qui est la ntre insiste sur limportance des choses matrielles, dont elle fait des sacrements, et qui nexistent vraiment que pour leur sens, pour leur signification spirituelle.Par les choses visibles, dit lEcriture, nous sommes conduits la connaissance des choses invisibles.

La peinture est un art de lintemporalit

Le pote recherche les structures inapparentes de lobjet dart. Il dclare que la composition des tableaux est caractrise par un ensemble de figures gomtriques: carrs, rectangles et surtout triangles. Si dans le tableau tout lui semble architecture, cest quIl sagit de maintenir contre le temps un certain devoir de signification. Il sagit de rsister au temps par le moyen dune ncessit intrinsque, et quel recours cet effet meilleur qu la gomtrie?

Dans les tableaux hollandais, il dcle un centre, un centre de gravit, un foyer autour duquel tout se rassemble et sharmonise. Ce centre ralise non seulement lunit de luvre mais en constitue le sens et le sujet. Sa conception du centre est plus dordre spirituel questhtique. Ce centre se caractrise par une expression dappel et damour. On y reconnat une prsence divine.

Le mouvement

Son attrait pour lternel, ne lempche pas de sintresser au temporel et de prfrer le mouvement limmobilit. Cest par le mouvement que plusieurs uvres sont analyses: la Kermesse de Rubens, la Bacchanale du Titien et mme La Ronde de nuit de Rembrandt. Il peroit dans ce tableau et dans dautres une ide de dpart. Mme dans les natures mortes, par dfinition immobiles, il peroit limminence dun mouvement. Il y voit toutes sortes dobjets en tat de dsquilibre. On dirait quils vont tomber.

Cette ide de mouvement recouvre, comme le soulignait Jacques Petit, une intention de dpart, de changement de perspective, de monde, mais aussi une notion dappel qui est un thme rcurent de lesthtique claudlienne.

Chair, posie et spiritualit

Lun des essais de Lil coute sintitule La Chair spirituelle13 .Les trois tableaux du Titien, examins par Claudel: Adam et Eve, La Vnus et le joueur dorgue, La Bacchanale, nvoquent que peu de rsonances religieuses.

Pour comprendre lide de Claudel qui est celle dune transfiguration du nu fminin, il faut se rfrer sa spiritualit qui est diffrente de celle dun autre auteur catholique, Mauriac. Ce dernier a, comme image de notre seigneur, celui de son sacrifice, de son supplice sur la Croix. Claudel a une vision que lon pourrait qualifier de plus optimiste, son image du Christ pourrait tre celle de la statue du portail intrieur de Vzelay, reprsentant le Christ en Gloire, dans sa mandorle, bnissant le Monde.

O le profane ne voit que des chairs fminines dune voluptueuse sensualit, le pote Claudel dpeint ce corps fminin, si souple, si gracieux, comme limage charnelle de lamour divin. Limage de Vnus sous la chaude atmosphre italienne, nest-elle pas limage de la grce divine qui pntre le corps humain, nest-elle pas limage incarne de la beaut sublime? Avec La Bacchanale, nous sommes dans un univers de batitudes, dinnocence, de libert. Nest-ce pas ltat de lhomme dans sa premire enfance, celle du paradis terrestre?

A lappui de son opinion, Claudel fait remarquer que ces paradis de la chair ont t rassembls par les souverains les plus purement et plus ardemment catholiques qui aient jamais honor le trne dEspagne, lpoque du plus grand dveloppement de la mystique, celle de saint Ignace, de sainte Thrse et de saint Jean de la Croix. On dirait que [] la grce stend au corps humain, quelle pntre sous les espces de la beaut.

Conclusion

LArt nest pas pour Claudel lobjet dun plaisir, dun divertissement, mais un thme de rflexion, de rveries sur lesthtique, la religion et sur soi-mme. Le pote pratique une critique dart, allgorique, exgtique, potique et subjective, accordant la primaut au spirituel ce qui lui cotera le titre dhistorien dart. Saluons en Claudel le pote de la peinture qui permet au lecteur de Lil coute de ne plus dissocier lacte de voir de celui dcouter, de ne plus jouir du plaisir esthtique dun tableau sans poursuivre plus avant sa qute des mystres de luvre dart.

Claude Herly

Galerie de peintres clbres dans les romans de P.MichonLa littrature mondiale connat beaucoup d` crivains qui allaient d`un art l`autre. Ils se destinaient la peinture, la musique, au cinma, et finalement se sont vous la littrature. Le cas de P.Michon est bien diffrent. N`excellant dans aucun art il a su brosser toute une galerie de peintres clbres Van Gogh, Goya, Watteau, Piero della Francesca, Claude le Lorrain et d`autres. On est frapp par une profonde intelligence de l`auteur, par sa vaste culture gnrale, par la facilit avec laquelle l`crivain s`adresse aux poques plus ou moins loignes par rapport la ntre, par cette fracheur et clart sans prtentions de la langue franaise, o l`aspect philosophique trouve sa place aussi facilement que la posie.

P.Michon peint les portraits des artistes travers le regard rv des gens simples que les hasards historiques ont mis en leur prsence. Par exemple, dans sa nouvelle Vie de Joseph Roulin l`auteur voque la vie d`un simple facteur rural Roulin, voisin et ami de Van Gogh qui le peigna. Comme Van Gogh, P.Michon fait aussi son portait de Joseph Roulin, et comme lui, le transfigure pour tre mme de saisir par le regard de cet homme-l le mystre de l`art. L`volution du caractre de Roulin atteint au sublime, lorsqu` la fin du rcit il prfre donner au marchand, au lieu de lui vendre, le tableau que lui a laiss Van Gogh contre un peu de reconnaissance tout en sentant confusment que l`art n`a pas de prix. Et Michon de conclure: Qui dira ce qui est beau et en raison de cela parmi les hommes vaut cher ou ne vaut rien? Est-ce que ce sont nos yeux, qui sont les mmes, ceux de Vincent, du facteur et les miens?"1 Ce passage en dit long sur l`motion sereine et sans pathos traduite par une langue si simple, potique et si profonde la fois. A propos, la langue de P.Michon est comme mine par l`argot, par une certaine drision violente.

Le triptyque de Matres et serviteurs est consacr Goya, Watteau et Piero della Francesca. P.Michon y donne des bauches d`existence qui ont toutes pour sujet un grand peintre. Ce texte s`inscrit dans le cadre des fictions biographiques, ces textes hybrides, au genre indcis, apparassant comme l`espace privilgi d`un questionnement sur les liens qu`entretient la fiction avec la ralit. L`crivain casse des mythes pour mieux les reconstruire; c`est travers des domestiques des grands matres de la peinture que P.Michon voque ces personnages en voulant s`loigner bon escient des fictions conventionnelles qui accompagnent l`art et les artistes. Tout en employant ce procd qu`on pourrait appeler recours tmoins" P.Michon veut faire voquer par hypothse l`univers de Goya, Watteau et Piero della Francesca. On a l`impression que l`crivain pense comme un baroque et un baroque mlancolique, - mais crit comme un moderne. La brivet et la concentration de P.Michon font ressortir enfin deux formes de vision qui compltent l`une l`autre: la transfiguration laquelle travaille le peintre, s`effectue travers une tincelle intrieure qui accompagne son uvre; la dcouverte successive et merveilleuse de cette vision se transforme en un peintre princier.

Dans son petit livre Le roi du bois P.Michon voque la vie d`un paysan inconnu qui, arrach sa condition, resta pendant vingt ans au service du peintre Claude le Lorrain. L`crivain reconstitue une atmosphre ou un climat existentiel dans lequel a (ou aurait) vcu le peintre. Mais la peinture n`aura pas su satisfaire et combler les esprances du paysan. Il se rfugie finalement dans des bois o il cre son royaume lui.

Ayant fait son irruption dans la littrature trs tard (presqu` l`ge de quarante ans) et presque de nulle part P.Michon a fait preuve d`une voix indpendante qui caractrise un vrai crivain.

Taras Ivassioutine

1 P.Michon. Vie de Joseph Roulin, Verdier 1988, p. 65

Le Docteur Faustus de Thomas Mann (1947)la cration artistique, maldiction ou Salut?

Le Docteur Faustus raconte la biographie dAdrian Leverkhn, un compositeur allemand imaginaire de la premire moiti du vingtime sicle, cens avoir vcu en Allemagne, la patrie de lauteur. Les pisodes de son existence sont voqus par un narrateur qui se prsente comme son ami le plus proche, le professeur de lyce Serenus Zeitblom.

Il est vident que, pour Adrian Leverkhn, la beaut telle quelle peut sexprimer travers une uvre musicale ne sauve pas le monde Contrairement Serenus, qui le considre avec inquitude depuis leur jeunesse commune, Adrian semble ferm lhumanisme et pour parfaire son art, il tablit un pacte avec les forces du Mal, pacte qui exige son renoncement toute forme dattachement affectif, et qui finit par le jeter dans la folie. Destin intensment tragique, donc, que celui dAdrian (parallle de plus celui dune Allemagne en pleine dcadence), et qui pourrait sembler presque caricatural si lironie de Thomas Mann ne venait temprer la radicalit de son personnage.

Cette ironie est fortement lie aux lments intertextuels du roman, puisque le mythe de Faust a t maintes fois rcrit, voire parodi. De plus, les facettes les plus dmoniaques dAdrian ne sont jamais prsentes qu travers lcran dun narrateur qui ne cesse de douter de la justesse de ses analyses, ainsi que dans des lettres rdiges par Adrian lui-mme, mais dans lesquelles il se prend se moquer de ses propres aventures spirituelles. Cette ironie touche par ailleurs dautres personnages tragiques du roman, notamment les deux surs Clarissa et Ins Rodde. Si Serenus recueille les confidences dune Ins dtruite par ladultre et la morphinomanie, il supporte aussi celles de son amant, les deux points de vue se heurtant et rvlant ainsi combien Ins se leurre sur sa passion.

Il sagit-l, pourtant, dune ironie tragique qui met en valeurs les ambiguts de tous ces hros tourments, pris leurs propres piges. Ainsi est-elle fortement lie lempathie du narrateur pour ceux qui furent ses amis. De fait, le roman prend les formes dune dploration dautant bouleversante que Serenus rdige sa biographie en pleine guerre, sous le joug du nazisme. Mais si lAllemagne court sa perte, pourquoi prend-il la peine dlever ce monument funbre son ami? Le pacte que ce dernier a souscrit nest-il pas aussi mprisable que celui dans lequel le pays tout entier sest laiss entraner? Or, cest avec un soin esthtique vident que Serenus accomplit son entreprise et le roman est parcouru dun souffle musical analogue celui des uvres attribues Adrian: la diversit des points de vue, un facteur dironie, cre aussi des effets daccords, plus ou moins harmonieux ou dissonants; les destines des personnages sont annonces comme on annonce un thme dans une symphonie; bien des personnages secondaires jouent le rle de contrepoint et la scne de la folie dAdrian rappelle certains grands moments dopra.

Cette musicalit tient aussi la complexit, lambigut des personnages et des vnements. Dans les dernires annes de sa vie, Adrian se met comprendre la valeur de lamour humain (sous des formes diverses) et si ses tentatives pour aimer sont impitoyablement sanctionnes par la mort dautrui, le manque qui en rsulte sexprime dans sa musique sous une forme si douloureuse que ces uvres ressemblent des cris. La folie dAdrian tient-elle ds lors une forme dexpiation, que son art aurait appele? Ses dernires uvres (qui, rtrospectivement, clairent aussi toutes les autres) laissent-elles une place au Salut? Ni le narrateur, ni lauteur ne donnent de rponse cette question, laissant au lecteur le soin dy songer

Marie-Line Jacquet

La musique sait mieux que nous mystique et musique chez Jean Sulivan

La musique en vous est immuable comme la mer. Elle attend que nous nous absentions. Qui ne la entendue ne serait ce quune heure, une seconde, quand telle douleur survint, ou telle joie, tel oubli de soi qui firent craquer les limites, nest pas encore n. Jean Sulivan, LExode.

Jean Sulivan incarne la vocation cosmique de ltre humain, phmre, mais toujours ternel, Je sais chanter, dit-il, par dessus les rumeurs de langoisse, la musique injustifiable: convoquer la lumire et les arbres, vous entraner sur les collines dans le vent mtaphysique en ce lieu intrieur o la droite effleure la courbe, quand lalleluia jaillit. (LExode, p. 10-11). Quand Sulivan parle de sa propre dcouverte de Bach, on a limpression quil se sent en harmonie avec tout ce qui lentoure, avec lunivers entier.La musique mavertissait [.....] que tout tait achev dj, le plaisir et la douleur, les rencontres et les ruptures, quil y avait un royaume au plus profond de tout homme, infiniment lointain, car alors le lointain et le proche perdaient toute signification [...] la paix souveraine y rgnait. Joie errante, le chef duvre de Sulivan, est une uvre potique, trs musicale et sans doute unique. Dans Joie errante ce nest point tant les ides exprimes qui comptent, cest bien plutt limpression produite par le rythme et la musique. Ce qui nous frappe, tout dabord, cest lnergie: un matin tu tveilleras dcrisp, mon enfant, une musique inconnue dans la tte. Les mots, qui dorment au cime du mental, se lveront en tumulte, expulss par le souffle hors de la barrire des os, de la peau, pour la communion du corps universel Joie errrante, p. 25. La lecture haute voix des textes permet d'en percevoir la musicalit et Sulivan laisse le souffle du chant le dborder et emmener son texte l o il naurait pas song. Comme la bien montr Frdric Pags, Jean Sulivan laisse advenir la musique. Dans ce roman mystique, Joie errante, le chant qui slve nest pas assourdissant mais pauvret essentielle o lEssentiel se livre. Le pouvoir des mots est ailleurs car ils sont habits: Quand jcris, un mouvement venu, je ne sais do me submerge, une voix slve.

Mary Ann N Mhainnn

Daprs YourcenarLa communication porte la fois sur la personnalit et sur loeuvre de Marguerite Yourcenar, travers une approche esthtisante de sa vision du monde et de sa faon de le dire dans lcriture, une approche et une vision "artiste" constamment prsente dans les thmes et les sujets que nous nous proposons dexaminer.

Avec laide de lauteur, nous verrons quelques aspects et quelques rflexions inhrentes aux rapports qui se tissent entre la littrature et les diffrents arts. Mme sil est difficile dtablir o commence et o finit lart, il sagit, bien entendu, dune rencontre au cours de laquelle saffirment, en se ctoyant et sentremlant dautres, toutes les valeurs lies au rve et la cration.

Marinella Mariani

Lectures conseilles:M.Yourcenar, Nouvelles Orientales, in uvres Romanesques, Gallimard, La Pliade,1982.

Littrature et cinma: La Colmena de Camilo Jos CelaPar ce travail on voudrait illustrer, laide dun parallle critique, la relation qui sinstaure entre une oeuvre littraire et sa transposition cinmatographique. La Colmena est un clbre roman de Cela qui, bien que publi en 1951, a t crit en 1945 environ, pendant une priode difficile pour lEspagne, savoir laprs-guerre. Dans le titre lui-mme, qui signifie La Ruche, on a condens la vie des habitants de Madrid, qui vivent comme dans de cellules, isols, incapables de communiquer, proccups seulement de leur vie quotidienne. LAuteur ne nous prsente pas un seul protagoniste mais un nombre incroyable de personnages (300 environ), afin de nous donner, comme il laffirme lui-mme,une tranche de vie, narre sans rticences, sans drames particuliers, sans charit, comme cest la vie elle-mme, exactement comme scoule la vie. Cest une freque puissante o chaque personnage a sa caractrisation propre, dfinie parfois laide de quelques petites rpliques de dialogue, parfois laide de notations trs rapides, prcises, souvent ironiques.

Porter lcran une oeuvre qui puisait son unit dans la fragmentation ntait pas facile: en effet, il a fallu plusieurs annes pour que le metteur en scne Mario Camus dcide de diriger un film qui garde le mme titre du roman. Le nombre des personnages a t rduit 60, choisis parmi ceux qui reprsentent le mieux le train de vie des Madrilnes dans la priode concerne par le roman. Le fil rouge du film est le personnage Martin Marco, qui erre dans la ville pendant la nuit, dans une atmosphre sombre, en ressentant en lui-mme le vide de son existence, son incapacit ou son impossibilit de senraciner dans le pass, sa proccupation pour les questions sociales, une idologie confuse et droutante.

Roman consulter:Camillo Jos Cela, La Ruche, Paris, Gallimard,Coll.L Imaginaire,1989.

Giulia Mastrangelo Latini(Universit LUMSA- Rome)

Entendre la musique dans les pomes d'Anna AkhmatovaLa littrature russe du 20me siecle, bouleverse par le rgime totalitaire, accorde une place particulire Anna Akhmatova. Ayant connu la Grande rvolution socialiste , les malheurs de deux guerres mondiales, la famine de 1937, le blocus de Lningrad, l'exode et 1'ordre terrible de Zhdanov qui a pitin toute son oeuvre, lcrivain a redonn la posie la beaut et loriginalit. Son style exceptionnel conjugue habilement les souvenirs vcus et la musicalit potique.

Anna Akhmatova na pas crit de mmoires, mais sa longue vie se reflte dans son Pome sans hros . Celui-ci est particulirement intressant tudier non seulement comme rcit de la vie de la potesse, mais aussi du fait de ses relations avec la musique. Dans le corps mme du pome revient d'ailleurs plusieurs fois le mot musique . Ce pome est le seul de tout son hritage qui ait provoqu autant de dbats et de commentaires dans le monde littraire.

a potesse dfinit le pome : ce qui se noie dans la musique . Elle introduit son lecteur dans le monde de la mlodie cache entre les lignes. Cette musique qu'elle entend et nous fait entendre, comment pourrait-elle tre lie aux vnements de sa vie? Pourquoi, en 1946, l'anne ou elle crit la ddicace de son pome sans hros, prend-elle le ton du Requiem ? Se croit-elle vraiment au dclin de sa vie, devant une tombe ouverte o les actes du rgime lui font entendre le silence tombal et le chant des cloches funbres ?

Seize ans plus tard, elle se retrouve de nouveau sur la vague musicale, et choisit un pigraphe tir du Don Juan de Mozart. Puis on retrouve des rfrences Bach et Chostakovitch.

II sera particulirement intressant dtudier cette qute spirituelle historique apparaissant sous laccompagnement musical.

Halyna Nazarevych

Bibliographie d 'Anna Akhmatova en francais:

Le Vent et la Guerre, 2003, Harpo

Requiem, 1999, Farrago, et 1977, Minuit

Pomes, 1993, Globes, bilingue

A la ville de Pouchkine, 1991 et 1989, Cazimi

Elegies du Nord, 1989, Alidades

Le Soir, 1986, Nouveau Commerce

Le rituel de la danse dans la narration de M. Kundera et de A.MakineLart de la danse est parmi les plus anciens. Ds de lapparition de lespce humaine sur la surface de la terre, les gens exprimaient leurs sentiments diffrents laide de mouvements rythms accompagns de la musique. La danse rituelle leur servait de lien avec le cosmos, avec le divin. Depuis, la danse sest transforme en art compliqu avec plusieurs variantes partir des danses folkloriques et jusquau ballet classique et moderne mais sa nature est reste la mme. Lordonnance de la danse, son rythme, reprsente lchelle par laquelle saccomplit la libration des sentiments humains. Des rituels paens et de la Grce Antique, du Vaudou dAfrique et du chamanisme sibrien et jusque dans les danses les plus libres de notre temps, partout lhomme exprime par la danse le mme besoin daffranchissement du prissable. De nos jours, cet art ancien continue occuper une place importante dans la culture humaine, influencer lhumeur et les motions des gens, et ce nest par hasard que les crivains recourent la description de la danse pour donner plus dexpressivit leur narration, lutilisent dans leurs mtaphores. Dans les textes de Milan Kundera et dAndre Makine la danse acquiert un certain rituel. Elle sert la fois dun symbole remontant lantiquit et dun moyen stylistique aidant mieux traduire tout un spectre de sentiments de personnages: la joie et le dsespoir, la rsignation et la rvolte, la bravoure et le dsespoir. La danse est clbration, la danse est langage, langage au-del de la parole, car l o ne suffisent plus les mots surgit la danse. Elle est cette fivre capable de saisir et dagiter jusqu la frnsie toute crature, elle est la manifestation, souvent explosive, de linstinct de la vie, qui aspirent rejeter toute la dualit du temporel pour retrouver lunit premire du corps et de lme, du temporel et dternel, de la cration et du crateur.

Nina Nazarova

Art, Musique et Qute Spirituelle dans le Journal de Julien GreenLambition quavait nourrie Julien Green de devenir artiste est bien connue. On connat, par exemple, ses talents de dessinateur et les caricatures de quelques-uns de ses personnages qui figurent dans le livre de son ami Robert de Saint Jean, Julien Green par lui-mme (Seuil, 1967). On connat aussi ses talents de photographe tels quils sexpriment dans le numro illustr de son Journal, Dans la gueule du temps (Plon, 1978). Des expositions de son uvre photographique ont eu lieu Munich, Aix-en-Provence et Paris.

Ces exemples font preuve dun don de communication dans plusieurs domaines esthtiques. Notre propos est de faire une analyse des notations du diariste sur la musique et lart en ce qui concerne les rapports entre ces deux formes dexpression esthtique et son drame intrieur et spirituel parce que la rdaction du Journal est une tentative de salut de la part de Green face au nant vers lequel le temps scoule:

La pense que notre temps, notre vie tombent au nant mesure que lheure scoule mest si pnible quil ne faut pas chercher dautre explication ce journal, labondance des notations. (Journal, 25 dcembre 1930).

Un des buts du Journal est donc de sauver le temps, caractristique quon associe avec le journal comme genre. Dans ce contexte, la dimension esthtique de la vie est significative:

Je ne sais o nous allons, je ne comprends pas lutilit de ce que nous faisons. Tout me semble vain, et faux, sauf quelques peintures, quelques pages de musique, et quelques pomes. (Journal, 8 octobre 1931).

Notre tude fera ressortir la manire dont lart et la musique rpondent aux questions et aux doutes soulevs par Green le diariste au cours de son itinraire spirituel.

Michael ODwyer

Lart dans la littrature lettone contemporaineMon choix de lauteur sappuie sur deux facteurs: lobjet danalyse, dune part, et de lautre, lauteur lui-mme, Gundga Repch (Gundega Repe) reconnue "toile" de la prose lettone des annes 90 dans "lHistoire de la littrature lettone" (1) et qui est la fois romancire, journaliste, critique littraire et spcialiste des Beaux Arts.

Ne en 1960 Riga, elle termine en 1985 la Facult de lhistoire et de la thorie des Beaux Arts de lAcadmie des Beaux Arts de Lettonie et depuis 1982 publie rgulirement ses articles sur lart et la littrature lettone et mondiale. Ds son dbut littraire, en 1987, elle se fait inscrire dans la littrature lettone comme une personnalit exceptionnelle particulire (2) annonant "une nouvelle vague" dans les Belles Lettres lettones.

Rien nchappe son regard perspicace. Son don de percevoir le monde dans sa diversit, sa capacit de voir les rgularits de lvolution travers les faits quotidiens ainsi que sa foi de lidal appellent au non-conformise et au perfectionnement de la nature humaine. Le vrai art nest pas compatible avec un crateur sans idaux et vertus. La culture et lart naissent dans lme dun individu. Lart participe la formation de la conscience humaine dont les formes se trouvent en corrlation constante dchanges et de passages de lune lautre - lhistoire et lart, le quotidien et les rves, lamour et le refus de se conformer une opinion commune, la prdestination, le sort. Lpoque forme les destins et le caractre qui, leur tour, y trouvent leurs formes dexistence.

Lcrivain stocke dans sa mmoire des phnomnes indpendamment de leur origine. Un rve ou une ralit politique lui sont aussi importants quun fait littraire ou linclination de la tte dun oiseau et une touffe dherbe. Bach se codoie dans sa conscience avec un costume national port la nuit de la fte de Saint-Jean tandis que Pablo Picasso miroite dans leau de la Baltique.

Pourquoi crire? Pour trouver une issue de limpasse de la cruaut humaine? Ou bien cest une destination fatale? Lart est une prdestination ou de la libert? Ou les deux la fois?

Loeuvre qui met le mieux en valeur le talent de lcrivain et ses conceptions du monde est son roman-essai "Attouchements" (Pieskarieni) qui na t publi que 12 ans aprs son criture (3). Lapproche tout particulier de lauteur de la perception de lunivers a valu ce roman le merite de devenir "une potique dattouchements". Cherchant dcouvrir les mystres de lexistence, lcrivain touche avec passion tout ce qui constitue l univers: des instants, des morceaux, des bribes, des clats, des fragments Mais dans ce chaos et cette fragmentation, elle arrive modeler les structures de lunivers contemporain.

Consacr la vie du peintre letton Kurts Fridrihsons (1911-1990) que lcrivain a connu, le livre ne reprsente pas du tout la monographie acadmique de loeuvre du peintre et ne doit pas tre considr en tant que sa biographie dans le sens propre de ce mot. Lcrivain y essaie de percevoir une personnalit hors pair qui a puis sa potentialit cratrice dans le trsor de lart mondial et o la culture franaise a laiss des traces ineffaables. Kurts Fridrihsons tait lve de Derain, il connaissait bien Andr Gide, a rencontr Paul Valry et Georges Braque. A travers la personnalit du peintre lcrivain va la dcouverte de la culture mondiale. Lexprience de leurs attouchements personnels enrichit les deux, le peintre et lcrivain elle-mme. Le peintre nest pas un objet de description . Lcrivain cherche se rapprocher le plus prs possible du processus dune cration relle. Grce son rudition le peintre devient autant lauteur du roman que Gundga elle-mme.

Le roman comprend 13 chapitres qui touchent aux aspects divers de la personnalit du peintre et sa cration ainsi que plusieurs illustrations de ses tableaux.

Olga Ozolina

Notes et rfrences:

1. G. Berelis, "Latvieu literatras vsture, 3 sjumos. Rga, Zvaigzne ABC, 2001, 314.8317.lpp. 2. Lcrivain dbute en 1987 avec le recueil de nouvelles "Koncerts maniem draugiem pelnu kast (Concerts pour mes amis dans une bote de cendre"). En 1992, sortent "Septii ststi par mlestbu (Sept rcits de lamour); en 1994, olaiku bestirijs. Identifikcijas (Bestiaire contemporain. Identifications); en 1996, "nu apokrits (Apocriphe de lombre); en 1998, "Sarkans" (Le rouge).

3. Gundega Repe, "Pieskarieni". Kurts Fridrihsons. Rga, Jumava, 1998.

La beaut bouleversanteou comment la beaut dcrite dans une uvre littraire sauve le monde

Le monde est fait de contrastes et de paradoxes. Cest pour a que les gens lappellent parfait et le trouvent souvent imparfait. Je prends ce postulat comme point de dpart de mon analyse ultrieure ayant pour objectif dexpliciter la notion de beaut du point de vue des textes littraires. Mon approche sera en effet restrictive ou, plus prcisment, slective, dans la mesure o je nenvisage pas la beaut de lart dans son entit, mais seulement quelques moments culminants dans lesquels lauteur russit bouleverser lme du lecteur. Mon intrt premier porte sur les moyens dont il se sert ces fins, notamment sur le concept de beaut impliqu ventuellement dans ce processus. Les observations faites mamnent rflchir sur les ides suggres dj par Aristote, selon lequel une tragdie, par exemple, ne peut se justifier que par la capacit de provoquer ltat dme particulier, voire ultime, du spectateur permettant celui-ci de se purifier jusqu ce quil pleure, et quAristote dnomme katarsis purification sur le plan moral.

Les questions qui se posent semblent tre ternelles ; il ne suffit pas toujours de dfinir la notion abstraite de beaut afin dy rpondre. Tout dabord, quentend-t-on par lexpression la beaut bouleversante ? Ensuite, dans quelles conditions la beaut saurait-elle ltre, dans la perspective de la littrature ? Certes, toute beaut narrive pas toucher notre perception de la mme manire. Certaines descriptions des paysages peuvent tre trs belles, trs bien peintes, ainsi que celles des jolies femmes par exemple, mais elles nont pas forcment le pouvoir de nous toucher intimement dautant plus que la beaut cest bien connu est un phnomne profondment subjectif. Il reste donc vrifier sur quoi rpose linfluence de la beaut comme figure stylistique.

Ces rflexions ne sont pas nouvelles. La seule nouveaut de ma contribution rside dans le fait de savoir si lon peut trouver dans luvre littraire de la seconde moiti du XXe sicle des exemples qui dune part confirment des ides aristotliennes et dautre part montrent limportance du rle de la beaut en tant que sauveur du monde. Pour atteindre ce but, je me propose de prendre en considration quelques romans reprsentatifs de la littrature russe et de la littrature hongroise, postrieurs la deuxime guerre mondiale.

Ada Ruttik

A lire en particulier:

M.Boulgakov , Le matre et Marguerite

Jaan Kross, Le dpart du professeur Martens.Traduit de lestonien en fran. par Jean-Luc Moreau, Paris, Laffont,1990

A.Gailit, Leegitsev suda, Lund 1945(pour linstant on ne connait pas de traduction en franais).

Un chemin vers la lumire dans La lutte avec langede Jean-Paul Kauffmann , La table ronde, 2001

Il y a un texte biblique sibyllin. Il y a une dmarche nigmatique de peintre (Delacroix). Il y a un lecteur, crivain , ex-otage opinitre (J. P. Kauffmann). Ce dernier dialogue avec le texte, et avec la peinture au sens bakhtinien du terme, essayant de leur arracher leur secret.

Pourquoi? Pour sortir du trou noir dans lequel la plong la cruaut humaine et pour trouver un chemin vers la lumire. Il croise ainsi son propre destin avec celui du Jacob de la Bible et avec celui d Eugne Delacroix menant sa propre lutte avec lAnge.

Marie Louise Scheidhauer

Rle de la musique et de la peinture dans le roman de Michel Bonte,Les Sables de la Loire

Jappellerais volontiers le roman Les Sables de la Loire (1), la tragdie optimiste,