Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche de soins palliatifs

1
Med Pal 2007; 6: 175 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 13 e CONGRÈS DE LA SFAP Médecine palliative 175 N° 3 – Juin 2007 Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche de soins palliatifs Bruno-Marie Duffé, Docteur en Philosophie, Maître de conférences en Éthique sociale (Université Catholique de Lyon), Aumônier du Centre Régional de Traitement du Cancer Léon Bérard (Lyon). La dimension spirituelle des personnes précède et ex- cède la référence et l’appartenance à une religion. « Le spirituel » concerne, en rigueur de termes, ce qui « anime l’esprit » d’un sujet et contribue à fonder l’interprétation qu’il fait de son existence. Il est intéressant de noter que le spiritus latin – que nous traduisons communément par esprit, terme aux significations plurielles – a à voir avec ce que les Grecs nommaient le pneuma, c’est-à-dire le souffle ou la respiration. À partir de cette considération des termes, on pourrait avancer l’idée que « le spirituel » est l’inspiration ou le mouvement intérieur d’une per- sonne, c’est-à-dire ce qui l’appelle à vivre, ce qui lui per- met de respirer, de résister, d’espérer. Cette inspiration amène la personne à envisager les questions fondamen- tales du vivant : le commencement, le sens et l’accom- plissement de la vie. L’appartenance à une religion, entendue comme communauté de convictions et comme système de régu- lation des croyances et des liens entre croyants, honore, pour une part, la recherche spirituelle de toute personne. Elle propose une prise en charge du désir spirituel sans jamais l’épuiser. Autrement dit, entre le spirituel et le religieux, demeure un espace irréductible qui est celui de la liberté personnelle. Cette considération est essentielle, en contexte de modernité et de laïcité. Il s’agit en effet, au nom même de la laïcité, d’honorer la dimension spiri- tuelle, constitutive de tout cheminement individuel et de permettre à la personne d’être accompagnée, si elle le sou- haite, par un représentant de la communauté à laquelle elle appartient. Mais il convient d’inscrire cette aspiration dans un respect primordial de sa liberté. On restera donc en attitude d’écoute active pour s’ajuster au désir et à l’attente de la personne, sachant que la quête spirituelle comme la pratique religieuse s’expriment avant tout par la pensée et par la présence. La traduction de cette attente spirituelle et/ou reli- gieuse dans des rites adaptés, rappelle que la dimension spirituelle, tout comme le lien communautaire – au double sens de la communauté sociale et de la communauté confessionnelle – s’exprime par le geste et par la parole. Le rite codifie et rythme la vie sociale (comme le bonjour du matin ou la main serrée en signe de reconnaissance) et il n’est pas surprenant que la considération du « spiri- tuel » comme du « religieux » ait donné lieu à une grande richesse de rites (depuis le rite de la visite jusqu’au geste de bénédiction, communs à diverses traditions). Il importe à cet égard de ne jamais réduire une aspiration spirituelle ni une appartenance religieuse à un rite. La soif intérieure peut certes puiser dans la symbolique d’un geste ou d’une prière mais elle trouvera parfois dans le regard ou le verre d’eau offert avec délicatesse une réponse à son attente. Mais le rite, qui dit notre cohumanité (notre humanité partagée) et notre mémoire religieuse, laisse entier le caractère mystérieux d’un chemin intérieur qui est propre à chacun et que nul autre ne saurait s’approprier. Honorer la dimension spirituelle d’une personne, c’est donc avant tout se tenir dans une posture qui ne réduit jamais une personne à sa pathologie – ou à l’histoire de sa pathologie – mais qui consent à entendre le « souffle » d’un être : son espoir et son angoisse, ses interrogations fonda- mentales et ses attentes, ses convictions et ses révoltes, ses liens et ses solitudes. Le « spirituel » – qui, à bien des égards croise le « psychologique » –, concerne en effet le rapport à l’Altérité : cet Autre de moi-même, cet Autre que j’appelle ou que j’accuse, cette Altérité que je ne parviens plus à nommer mais qui est constamment devant moi, entre om- bres et lumières : la souffrance, l’avenir, la mort, l’au-delà. Il n’est peut-être pas étonnant que le rapport entre mé- decine et spiritualité ait marqué la mémoire culturelle oc- cidentale et que le redéploiement des recherches sur le sens du soin – en particulier du soin ultime dans la dé- marche palliative – en appelle à une juste articulation entre compétences et considération spirituelle de la personne. Car s’il est clair que le soin repose sur un savoir, un sa- voir-faire et une expérience, il est tout aussi déterminant d’envisager le soin intérieur qui commence par la recon- naissance du désir essentiel d’être avec et devant l’Autre, dans la confiance, c’est-à-dire dans une foi partagée. Duffé BM. Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche de soins palliatifs. Med Pal 2007; 6: 175. NDLR : Ce texte reprend une présentation faite lors de la séance plénière 1 « L’approche globale en soins palliatifs : fondements et évolutions » du 13 e Congrès de la SFAP (Grenoble – 14 au 16 juin 2007). Adresse pour la correspondance : Bruno-Marie Duffé, 2 place Saint-Jean, 69005 Lyon. e-mail : [email protected]

Transcript of Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche de soins palliatifs

Med Pal 2007; 6: 175

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

1 3

e

C O N G R È S D E L A S F A P

Médecine palliative

175

N° 3 – Juin 2007

Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche de soins palliatifs

Bruno-Marie Duffé, Docteur en Philosophie, Maître de conférences en Éthique sociale (Université Catholique de Lyon), Aumônier du Centre Régional de Traitement du

Cancer Léon Bérard (Lyon).

L

a dimension spirituelle des personnes précède et ex-cède la référence et l’appartenance à une religion. « Lespirituel » concerne, en rigueur de termes, ce qui « animel’esprit » d’un sujet et contribue à fonder l’interprétationqu’il fait de son existence. Il est intéressant de noter quele

spiritus

latin – que nous traduisons communément paresprit, terme aux significations plurielles – a à voir avecce que les Grecs nommaient le

pneuma

, c’est-à-dire lesouffle ou la respiration. À partir de cette considérationdes termes, on pourrait avancer l’idée que « le spirituel »est l’inspiration ou le mouvement intérieur d’une per-sonne, c’est-à-dire ce qui l’appelle à vivre, ce qui lui per-met de respirer, de résister, d’espérer. Cette inspirationamène la personne à envisager les questions fondamen-tales du vivant : le commencement, le sens et l’accom-plissement de la vie.

L’appartenance à une religion, entendue commecommunauté de convictions et comme système de régu-lation des croyances et des liens entre croyants, honore,pour une part, la recherche spirituelle de toute personne.Elle propose une prise en charge du désir spirituel sansjamais l’épuiser. Autrement dit, entre le spirituel et lereligieux, demeure un espace irréductible qui est celui dela liberté personnelle. Cette considération est essentielle,en contexte de modernité et de laïcité. Il s’agit en effet,au nom même de la laïcité, d’honorer la dimension spiri-tuelle, constitutive de tout cheminement individuel et depermettre à la personne d’être accompagnée, si elle le sou-haite, par un représentant de la communauté à laquelleelle appartient. Mais il convient d’inscrire cette aspirationdans un respect primordial de sa liberté. On restera doncen attitude d’écoute active pour s’ajuster au désir et àl’attente de la personne, sachant que la quête spirituellecomme la pratique religieuse s’expriment avant tout parla pensée et par la présence.

La traduction de cette attente spirituelle et/ou reli-gieuse dans des rites adaptés, rappelle que la dimensionspirituelle, tout comme le lien communautaire – au double

sens de la communauté sociale et de la communautéconfessionnelle – s’exprime par le geste et par la parole.Le rite codifie et rythme la vie sociale (comme le bonjourdu matin ou la main serrée en signe de reconnaissance)et il n’est pas surprenant que la considération du « spiri-tuel » comme du « religieux » ait donné lieu à une granderichesse de rites (depuis le rite de la visite jusqu’au gestede bénédiction, communs à diverses traditions). Il importeà cet égard de ne jamais réduire une aspiration spirituelleni une appartenance religieuse à un rite. La soif intérieurepeut certes puiser dans la symbolique d’un geste ou d’uneprière mais elle trouvera parfois dans le regard ou le verred’eau offert avec délicatesse une réponse à son attente.Mais le rite, qui dit notre cohumanité (notre humanitépartagée) et notre mémoire religieuse, laisse entier lecaractère mystérieux d’un chemin intérieur qui est propreà chacun et que nul autre ne saurait s’approprier.

Honorer la dimension spirituelle d’une personne, c’estdonc avant tout se tenir dans une posture qui ne réduitjamais une personne à sa pathologie – ou à l’histoire de sapathologie – mais qui consent à entendre le « souffle » d’unêtre : son espoir et son angoisse, ses interrogations fonda-mentales et ses attentes, ses convictions et ses révoltes, sesliens et ses solitudes. Le « spirituel » – qui, à bien des égardscroise le « psychologique » –, concerne en effet le rapportà l’Altérité : cet Autre de moi-même, cet Autre que j’appelleou que j’accuse, cette Altérité que je ne parviens plus ànommer mais qui est constamment devant moi, entre om-bres et lumières : la souffrance, l’avenir, la mort, l’au-delà.

Il n’est peut-être pas étonnant que le rapport entre mé-decine et spiritualité ait marqué la mémoire culturelle oc-cidentale et que le redéploiement des recherches sur lesens du soin – en particulier du soin ultime dans la dé-marche palliative – en appelle à une juste articulation entrecompétences et considération spirituelle de la personne.Car s’il est clair que le soin repose sur un savoir, un sa-voir-faire et une expérience, il est tout aussi déterminantd’envisager le soin intérieur qui commence par la recon-naissance du désir essentiel d’être avec et devant l’Autre,dans la confiance, c’est-à-dire dans une foi partagée.Duffé BM. Considérer la dimension spirituelle des personnes dans la démarche

de soins palliatifs. Med Pal 2007; 6: 175.

NDLR : Ce texte reprend une présentation faite lors de la séance plénière 1« L’approche globale en soins palliatifs : fondements et évolutions » du13e Congrès de la SFAP (Grenoble – 14 au 16 juin 2007).

Adresse pour la correspondance :

Bruno-Marie Duffé, 2 place Saint-Jean, 69005 Lyon.

e-mail : [email protected]