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21 CONSERVATION ET DISPARITION DES REPÈRES DE CRUE – EXEMPLE DES REPÈRES APPOSÉS APRÈS LA CRUE DE 1930 EN LOT-ET-GARONNE ET DANS LE SUD DU TARN François GAZELLE et Klaus MARONNA (1) (1) : GÉODE (géographie de l'environnement), unité mixte de recherche 5602 du CNRS, université du Mirail, 31058 TOULOUSE cedex 9. Courriels : [email protected] ; [email protected] RÉSUMÉ : Pour matérialiser les niveaux atteints par les crues importantes en des points significatifs, et pour en conserver la mémoire à toutes fins utiles, la loi BACHELOT de juillet 2003 fait obligation aux mairies ou services d'État de mettre en place des repères visibles, pratique qui n'est pas nouvelle mais qui tendait à s'estomper d'autant qu'elle n'était pas réglementaire. On peut s'interroger sur la conservation de ces repères au fil des décennies. À ce titre, les auteurs ont exploité les données archivistiques et effectué des enquêtes de terrain pour appréhender la présence ou l'absence de repères placés après la crue de 1930 en deux secteurs du Sud-Ouest de la France, et saisir les causes des disparitions recensées. MOTS-CLÉS : Repères de crue, conservation, 1930. ABSTRACT: In order to show the levels reached by major flood events at significant points, and in order to record the information for future reference, the law promoted by BACHELOT in July 2003 places an obligation on municipal councils and state-run bodies to put in place visible markers, a practice which is not new but which had tended to die out while it was not a statutory requirement. It is reasonable to raise the question of the conservation of these markers over the decades. With this in mind, the authors made use of archival data and carried out field investigations in order to determine the presence or absence of markers put in place after the flood of 1930 in two areas of south-western France, and to establish the causes of the disappearances that they found. KEY-WORDS: Flood markers, conservation, 1930. I - PRÉAMBULE Article L.563-3. –1 de la loi du 30 juillet 2003 : "Dans les zones exposées au risque d'inondation, le Maire, avec l'assistance des services de l'État compétents, procède à l'inventaire des repères de crues existant sur le territoire communal et établit les repères correspondant aux crues historiques, aux nouvelles crues exceptionnelles ou aux submersions marines. La commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent matérialisent, entretiennent et protègent ces repères" Certaines dispositions de la loi BACHELOT (30 juillet 2003) s'appliquent à la conservation de repères de crues et font obligation aux communes – avec l'aide des services de l'État – d'en apposer de nouveaux pour les événements à venir ; ce qui rompt avec l'oubli de cette pratique durant les dernières décennies. Par le passé, en effet, les Ponts-et-Chaussées ainsi que certaines mairies ont eu à cœur d'immortaliser les niveaux maximaux atteints par les cours d'eau en tel ou tel point visible de tout le monde. Des repères, plaques ou marques gravées dans la pierre, furent ainsi apposés sur des bâtiments ou sur des ponts à la suite de crues mémorables ; ce qui fut le cas dans le grand Sud-Ouest en 1930. Rappelons en effet qu'à cette occasion furent enregistrés des niveaux exceptionnels dans le bassin du Tarn et sur tous les cours d'eau issus de la Montagne Noire, d'occurrence parfois qualifiée de pluri-centennale CONSERVATION ET DISPARITION DES REPÈRES DE CRUE – EXEMPLE DES REPÈRES APPOSÉS APRÈS LA CRUE DE 1930 EN LOT-ET-GARONNE ET DANS LE SUD DU TARN I - INTRODUCTION Physio-Géo - Géographie Physique et Environnement, 2009, volume III

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CONSERVATION ET DISPARITION DES REPÈRES DE CRUE – EXEMPLE DES REPÈRES APPOSÉS APRÈS LA CRUE DE 1930

EN LOT-ET-GARONNE ET DANS LE SUD DU TARN

François GAZELLE et Klaus MARONNA (1) (1) : GÉODE (géographie de l'environnement), unité mixte de recherche 5602 du CNRS, université du Mirail,

31058 TOULOUSE cedex 9. Courriels : [email protected] ; [email protected] RÉSUMÉ : Pour matérialiser les niveaux atteints par les crues importantes en des points significatifs, et pour en conserver la mémoire à toutes fins utiles, la loi BACHELOT de juillet 2003 fait obligation aux mairies ou services d'État de mettre en place des repères visibles, pratique qui n'est pas nouvelle mais qui tendait à s'estomper d'autant qu'elle n'était pas réglementaire. On peut s'interroger sur la conservation de ces repères au fil des décennies. À ce titre, les auteurs ont exploité les données archivistiques et effectué des enquêtes de terrain pour appréhender la présence ou l'absence de repères placés après la crue de 1930 en deux secteurs du Sud-Ouest de la France, et saisir les causes des disparitions recensées. MOTS-CLÉS : Repères de crue, conservation, 1930. ABSTRACT: In order to show the levels reached by major flood events at significant points, and in order to record the information for future reference, the law promoted by BACHELOT in July 2003 places an obligation on municipal councils and state-run bodies to put in place visible markers, a practice which is not new but which had tended to die out while it was not a statutory requirement. It is reasonable to raise the question of the conservation of these markers over the decades. With this in mind, the authors made use of archival data and carried out field investigations in order to determine the presence or absence of markers put in place after the flood of 1930 in two areas of south-western France, and to establish the causes of the disappearances that they found. KEY-WORDS: Flood markers, conservation, 1930. I - PRÉAMBULE Article L.563-3. –1 de la loi du 30 juillet 2003 : "Dans les zones exposées au risque d'inondation, le Maire, avec l'assistance des services de l'État compétents, procède à l'inventaire des repères de crues existant sur le territoire communal et établit les repères correspondant aux crues historiques, aux nouvelles crues exceptionnelles ou aux submersions marines. La commune ou le groupement de collectivités territoriales compétent matérialisent, entretiennent et protègent ces repères" Certaines dispositions de la loi BACHELOT (30 juillet 2003) s'appliquent à la conservation de repères de crues et font obligation aux communes – avec l'aide des services de l'État – d'en apposer de nouveaux pour les événements à venir ; ce qui rompt avec l'oubli de cette pratique durant les dernières décennies. Par le passé, en effet, les Ponts-et-Chaussées ainsi que certaines mairies ont eu à cœur d'immortaliser les niveaux maximaux atteints par les cours d'eau en tel ou tel point visible de tout le monde. Des repères, plaques ou marques gravées dans la pierre, furent ainsi apposés sur des bâtiments ou sur des ponts à la suite de crues mémorables ; ce qui fut le cas dans le grand Sud-Ouest en 1930. Rappelons en effet qu'à cette occasion furent enregistrés des niveaux exceptionnels dans le bassin du Tarn et sur tous les cours d'eau issus de la Montagne Noire, d'occurrence parfois qualifiée de pluri-centennale

CONSERVATION ET DISPARITION DES REPÈRES DE CRUE – EXEMPLE DES REPÈRES APPOSÉS APRÈS LA CRUE DE

1930 EN LOT-ET-GARONNE ET DANS LE SUD DU TARN

I - INTRODUCTION

Physio-Géo - Géographie Physique et Environnement, 2009, volume III

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voire millénale (M. PARDÉ, 1930), et dont les effets se sont répercutés vigoureusement jusqu'en moyenne et basse Garonne. Mais en dépit de quelques crues importantes survenues dans la période contemporaine (F. GAZELLE, 1997, 1999), la pratique du repérage s'estompa et ne reprit qu'occasionnellement et de façon limitée (par exemple pour les événements de février 1952 sur la Garonne et de novembre 1999 sur le Thoré). Toute campagne de placement de repères a pour but de conserver trace du niveau de telle crue pour les générations futures. Pour la mener à bien, émergent automatiquement les questions du nombre de repères à placer et du lieu d'apposition à choisir, public ou privé. Pour donner des éléments de réponse à ces questions nous avons recensé et localisé un certain nombre de repères encore existants de la crue de mars 1930 en vallée de Garonne dans le département du Lot-et-Garonne, et le long de l'Agout et de ses affluents dans le sud du département du Tarn (Fig.1). Ce recensement a été confronté à ce que l'on peut connaître de l'inventaire (pas forcément exhaustif) qui peut être fait, à partir des archives de l'Équipement ou des mairies, des repères placés peu de temps après l'événement. Précisons par ailleurs que notre recherche ne s'est pas étendue aux "traits de crue" exécutés par les particuliers, telles les incisions dans la pierre ou les marques de peinture, qui n'ont jamais été répertoriés.

Figure 1 - Localisation des secteurs d'étude.

II - RESSOURCE DOCUMENTAIRE ET INVENTAIRE DE TERRAIN Pour le sud du Tarn, le recensement des repères de crue, tant en archives que sur le terrain, a été effectué entre 1998 et 2000 par une équipe de GÉODE dans le cadre d'une convention associant la DIREN Midi-Pyrénées (DIREN MP, 1999-2001), le bureau d'études

II - RESSOURCE DOCUMENTAIRE ET INVENTAIRE DE TERRAIN

100 km NG

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SAFÈGE et l'université de Toulouse II, recensement mis à jour en 2007 par nos soins. En vallée de moyenne Garonne, nous avions à notre disposition un plan non daté d'appo-sition de repères de la crue de mars 1930, concernant la totalité du département du Lot-et-Garonne et qui est issu des archives de la Direction Départementale de l'Équipement et de l'Agriculture de Lot-et-Garonne (DDE 47). Il ne s'agit pas d'un document relatant la totalité des emplacements des repères, mais d'un plan qui répertorie l'emplacement des repères nécessaires au traçage de différents profils en travers de l'inondation (Fig. 2). Réalisé, semble-t-il, au début des années 70, il ne fait pas état de l'inventaire initial exhaustif, mais des repères en place à cette époque, c'est-à-dire vers 1970-75, sans présumer des repères disparus entre 1930 et 1970 ; et ce, pour bien préciser la période qui concerne notre recherche. Tant pour le sud du Tarn que pour la moyenne Garonne, la consultation des documents a permis d'identifier et de localiser avec précision chaque repère au travers de fiches-croquis ou de descriptifs détaillés (Fig. 3), ce qui a facilité nos investigations de terrain, c'est-à-dire la vérification de la présence des repères et de leur état de conservation. En Lot-et-Garonne, cette vérification – réalisée par nos soins en 2005-2006 – a concerné 148 des 186 repères répertoriés sur l'ensemble du département, correspondant à une aire comprise entre Saint-Sixte et le Mas-d'Agenais (val de Garonne). Dans le sud du Tarn (bassin de l'Agout), où nous n'avons pas procédé sur les mêmes bases méthodologiques, nous avons contrôlé la présence des 58 repères annoncés par le fonds archivistique (Fig. 4).

5 km

Figure 2 - Extrait du plan d'apposition en Lot-et-Garonne (secteur de Tonneins).

Chaque numéro renvoie à un croquis d'implantation détaillé. Source : archives de la DDE 47, travail cartographique sur fond IGN modifié, avec droits acquis (reproduction interdite, sauf accord du

détenteur des droits).

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Figure 3 - Exemple de croquis ancien d'implantation de repère portant

des précisions sur son numéro (flèche verticale), le lieu-dit concerné et son emplacement exact (flèche diagonale).

Figure 4 - Exemple de vérification de la localisation des repères de crues

le long de l'Agout dans la région castraise. II - LES LIEUX DE PRÉDILECTION ET LES TYPES DE REPÈRES À la suite de la crue de 1930, les Pouvoirs Publics ont matérialisé le niveau maximal des eaux en des points où il avait été bien repéré ; opération qui fut menée à bien en deux mois. Comme on a pu le vérifier sur le terrain, ce sont évidemment les milieux urbanisés et les bâtiments qui ont fait l'objet de la plupart des repérages de l'époque, contrairement à la rase

III - LES LIEUX DE PRÉDILECTION ET LES TYPES DE REPÈRES

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campagne où les observations furent plus rares et incertaines, et les supports "en dur" beaucoup plus limités. Le recensement systématique des repères nous indique que certains lieux ou sites servent préférentiellement de support : les ponts routiers ou voies ferrées (parement, culée ou parapet), les églises, les mairies, les quais ; le domaine privé n'est pas absent, puisqu'on trouve nombre de repères sur des usines, des moulins, des habitations, des murs de clôture, des piliers de portails… Le département du Lot-et-Garonne a fait le choix d'apposer des repères "médaillon" (Photo 1), répliques de ceux qui sont couramment utilisés par le Nivellement Général de France (NGF). Ces repères ne sont pas vissés comme les plaques rectangulaires mais scellés dans le mur (Photo 2). L'élargissement du culot vers l'extrémité rend l'extraction difficile mais pas impossible, comme nous avons pu le constater.

culot scellé dans le muravec élargissement à sonextrémitépartie

apparente

médaillon avecprécisionaltimétrique

niveau atteint par la crue

Photo 1 - Exemple de repère médaillon démonté. (cliché : K. MARONNA) Toutes les photos présentées dans l'article sont tirées de K. MARONNA et F. GAZELLE (2001)

Photo 2 - Exemple de repère médaillon en place. (cliché : K. MARONNA)

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Dans le département du Tarn, les plaques-repères les plus répandues sont en fonte, de forme rectangulaire (25 × 18 cm), fixées par 4 boulons aux angles, avec les indications en relief sur deux lignes (crue du 3 mars 1930) que sépare la ligne supposée du maximum, également en relief. D'autres types de plaques ou de repères existent, conçus et placés à l'initiative des mairies ou des compagnies de chemin de fer : - sur quelques ponts de voie ferrée, plaque de tôle émaillée de couleur bleu, de 70 x 18 cm, où

les inscriptions et la ligne centrale sont en lettres blanches ; - des plaques de marbre blanc, de taille variable, avec inscriptions gravées ; - des bornes avec inscriptions gravées. IV - LES RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE 1 ) Conservation et disparition des repères a. En Lot-et-Garonne La vérification systématique des 148 emplacements s'est révélée positive (repères en place) pour 133 d'entre eux (Tab. I). Pour les 15 cas restants, la vérification n'a pas pu être réalisée, faute d'accès à la propriété privée. Notre démarche écarte donc ces 15 cas. Tableau I - État de la conservation des repères en Lot-et-Garonne. Secteur pris en considération

Nombre de repères en

place en 2007

Nombre de repères qui ne sont plus en

place

Total Taux de conservation

en %

Taux de perte en %

Saint-Sixte - Mas- d'Agenais (totalité de la zone d'étude)

78 55 133 59 41

Saint-Sixte-Mas- d'Agenais, hors Agen et son agglomération (milieu rural)

44 29 73 60 40

Agen et son agglomération * 34 26 60 57 43

Agen-centre 14 8 22 64 36 Agglomération d'Agen sans Agen- centre

20 18 38 53 47

* : le secteur "Agen et son agglomération" a été déterminé un peu arbitrairement (7,5 km en amont et en aval de la gare SNCF). L'analyse du tableau montre que sur l'ensemble de l'aire étudiée, 59 % des repères sont encore en place. Pour Agen et son agglomération, ce pourcentage passe à 57 %, avec un meilleur taux de conservation en centre-ville (64 %) qu'en agglomération hors centre ville (53 %).

IV - LES RÉSULTATS DE L'ENQUÊTE

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Nous pensons que la disparité ville-agglomération pourrait s'expliquer par les remanie-ments plus importants de la zone péri-urbaine. Néanmoins, et contrairement à ce que nous aurions pu penser, les écarts de taux de conservation de repères entre les cinq aires étudiées restent relativement faibles. Au plus, l'analyse des écarts permet de constater un léger taux de conservation meilleur en milieu rural (60 %) et urbain ancien (64 %) qu'en secteur péri-urbain (53 %). Des investigations similaires sur d'autres cours d'eau permettraient peut-être de confirmer cette moindre conservation en péri-urbain. En effet, nous pouvons déplorer que l'étude s'appuie sur un nombre de cas insuffisamment élevé pour en déduire une tendance générale. Ces chiffres semblent montrer que le milieu rural, contrairement à ce qu'on pourrait penser, n'est pas garant d'une immuabilité des repères plus grande que la ville. Autre point de réflexion, le taux de conservation comparé au temps écoulé. Au bout de la trentaine d'années postérieures à 1970-75, période qui concerne notre recherche, 41 % des repères n'étaient plus en place, ce qui donne en moyenne 10 à 15 % de pertes tous les 10 ans. En appliquant ce taux de perte annuelle (1 à 1,5 %) au temps écoulé depuis la survenue de la crue, soit 75 ans, seulement 25 % des repères jadis posés devraient être encore en place. Si tel était le cas, sur l'ensemble de l'aire étudiée, soit 60 km de vallée, les 133 repères aujourd'hui en place seraient le reliquat de 530 repères posés, soit une moyenne d'environ 9 repères par km de vallée. Mais faute de moyens de vérification, ce chiffre reste théorique, basé sur les observations des 30 dernières années ; nous ne pouvons ni le confirmer, ni l'infirmer. Cependant, il semble fort élevé, même avec une plaine inondée avoisinant 4 km de largeur en moyenne et nous pensons que le taux de perte de ces 30 dernières années a été plus important que durant les décennies précédentes. Le développement urbanistique contemporain, centré sur la vallée de la Garonne, en est certainement l'un des facteurs. On peut compléter cette analyse au travers du tableau II, qui concerne le taux de conservation et de perte de repères selon qu'ils ont été apposés dans le domaine privé ou public (écoles, mairies, églises, écluses…). Tableau II - Conservation en domaine privé et en domaine public (Lot-et-Garonne). Type de lieu d'apposition

Nombre de repères en

place en 2007

Nombre de repères qui ne

sont plus en place

Total Taux de conservation

(%)

Taux de perte (%)

Privé 64 46 110 58 42

Public 14 9 23 61 39

Il apparaît que là encore les résultats vont à l'encontre de ce que nous aurions pu croire, à savoir, un net avantage du taux de conservation au profit des lieux publics. Or, les chiffres ne leur donnent qu'un faible avantage, de l'ordre de 3 %. Toutefois la nature du bâtiment ou de l'ouvrage d'art public choisi comme lieu d'apposition des repères, joue sur leur taux de conservation. En effet, il est de l'ordre de 66 % pour les ponts, de 75 % pour les mairies et de 100 % pour les églises. Le taux de conservation plus faible des ponts traduit, à notre avis, l'ajustement des infrastructures aux nécessités du développement économique et des voiries.

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b. Dans le sud du Tarn Dans ce secteur, où – répétons-le – nous sommes partis de documents moins exhaustifs que ceux disponibles pour le val de Garonne, 10 repères ont disparu sur les 58 qui étaient annoncés dans les archives de la DDEA (DDE 81) (Tab. III). Tableau III - État de conservation des repères dans le sud du Tarn. Lieu d'apposition Nombre de repères

en place en 2007 Nombre de repères

disparus Total Taux de perte

(%) Domaine privé (maison, usine, portail, moulin)

14 5

détails dans le tableau IV

19 26

Domaine public, dont : ponts et quais mairies églises autres (écoles, escaliers, voirie)

34

22 3 3 6

5

détails dans le tableau IV

39 13

Total 48 10 58 Moyenne : 17

2 ) Les causes des disparitions Les motifs de la perte du stock initial des repères apposés sont divers (Tab. IV) : - "L'usure du temps" : À la longue, les supports se dégradent ou deviennent friables, les

boulons se rouillent, les plaques tombent et ne sont pas remises en place. Ceci ne concerne évidemment pas les repères-médaillon qui, eux, sont scellés.

- Les méfaits induits des interventions humaines : Des murs ou points durs servant de support aux repères sont démolis (les repères disparaissent) ou refaits (les repères ne sont pas remis en place), ou encore crépis (les repères sont couverts).

- Les méfaits intentionnels : vandalisme, vol des repères pour des raisons souvent stupides, arrachage pour soustraire ce témoin de l'inondabilité susceptible de pénaliser un projet immobilier. À ce sujet, la présence d'un repère concernant une crue à la fois ancienne et forte, peut constituer le seul élément témoignant de l'inondabilité ; sa disparition ouvre donc éventuellement la voie à la réalisation de projets immobiliers que les services de l'État auraient refusés d'entrée.

- La destruction ou enlèvement des repères par des crues supérieures : Ce problème ne se pose pas pour le cas de 1930 en Lot-et-Garonne, puisque ses niveaux n'ont pas encore été dépassés. Et il en va de même dans le bassin de l'Agout, sauf pour le Thoré dans le secteur de Labruguière ; mais la crue de novembre 1999 n'y a pas provoqué de perte ou dégradation directe sur les repères de 1930.

- L'envahissement par la végétation : Il s'agit alors d'une disparition purement visuelle du repère (lequel existe toujours). Bien souvent, le lierre et la mousse sont à incriminer, notamment en face nord des ouvrages d'art ou des maisons d'habitation.

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Tableau IV - Identification des plaques "1930" disparues dans le sud du Tarn. Cours d'eau Commune et emplacement Cause de disparition

Thoré Saint-Amans-Soult, lycée forestier, pont VF désaffecté, parement aval

Enlèvement volontaire ; plaque nuisant au projet d'agrandissement d'un lycée en zone inondable (Photo 3)

Thoré Mazamet, la Richarde, ancienne usine textile Disparition inexpliquée

Thoré Labruguière, petit bâtiment en aval du pont, rive gauche

Démolition du bâtiment par la mairie, pour cause de désaffection

Candesoubre Albine, maison de garde-barrière Arrachage volontaire de la plaque (trophée ou dévalorisation de la maison en zone inondable) (Photo 4)

Thoré Labruguière, plaque 1930 sur mur d'usine textile désaffectée, rive droite, amont pont

Démolition en 2003, dans le cadre d'une procé- dure PPR, de bâtiments situés en zone rouge

Thoré Labruguière, mur d'une maison rue de l'usine, rive droite

Démolition en 2003, dans le cadre d'une procé- dure PPR, de bâtiments situés en zone rouge

Agout Lamontélarié, lac de la Raviège Ennoyage, dans une retenue artificielle, mise en eau en 1957, du pont de Cabannes portant le repère

Agout Burlats (Salvages), logements sociaux

Réfection de façade ; plaque disparue sous le crépi ? (Photo 5)

Agout Burlats, petit bâtiment près du Pavillon d'Adélaïde (inscrit à l'inventaire des MH)

Démolition d'un bâtiment sans valeur, sur lequel étaient apposés 2 repères (1861 et 1930), dans le cadre d'une réhabilitation du quartier (Photo 6)

Agout Serviès, ancienne ferme Crépissage d'une façade : plaque couverte (intentionnellement ?)

Photo 3 - Enlèvement volontaire sur un pont de voie ferrée. (cliché : F. GAZELLE)

Pont VF désaffecté de Saint-Amans, sur le Thoré. La plaque a été enlevée pour ne pas nuire à un projet immobilier. L'emplacement des fixations reste visible.

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Photo 4 - Disparition d'une plaque liée au temps. (cliché : F. GAZELLE)

Photo 5 - Disparition d'une plaque sous crépi ? (cliché : F. GAZELLE)

Albine, vallée du Thoré (Tarn). Ancienne maison de garde-barrière. Plaque 1930 enlevée (emplacement visible).

Burlats (Tarn, lieu-dit les Salvages, en bordure de l'Agout. La plaque a été couverte par le crépi, suite à la réfection de la façade (logements sociaux).

Emplacement approximatif de la plaque.

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Photo 6 - Plaque sur un bâtiment aujourd'hui démoli pour l'aménagement d'un quartier à Burlats (Tarn). (cliché : F. GAZELLE)

Photo 7 - Désuétude amorcée d'une plaque. (cliché : F. GAZELLE)

Pont VF du Clot, sur l'Agout à Castres. Plaque en passe d'être couverte par le lierre.

Plaque crue 1861

Plaque crue 1930

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V - EN GUISE DE SYNTHÈSE En définitive, l'exemple du Lot-et-Garonne montre un taux de conservation de repères relativement faible à nos yeux : 59 % sur une trentaine d'années. S'il apparaît légèrement plus élevé en centre ville et en milieu rural qu'en zone péri-urbaine, les écarts entre les milieux étudiés ne dépassent pas 10 %, et aucun d'eux ne paraît être garant de pérennité. Le sud du Tarn semble bénéficier d'une meilleure conservation. Pour moitié, les disparitions sont très récentes et délibérées, localement commandées par un volet de la loi BARNIER visant à exproprier et démolir les bâtiments soumis à des inondations répétitives en zone d'aléa fort. La distinction entre milieux urbain, péri-urbain et rural n'est pas significative. Quant au choix du lieu d'apposition, en domaine privé ou en domaine public, il ne paraît pas non plus jouer un rôle sensible, en Lot-et-Garonne, sur le taux de conservation. Parmi les lieux les plus propices à la conservation, les mairies et les églises sont à retenir. Par contre, dans le Tarn, les plaques ont été nettement plus vulnérables dans le privé que dans le public. Notons enfin que l'inaccessibilité, qui caractérise les plaques haut-placées sur des piles ou parements de ponts ou sur des bâtiments industriels, ne constitue pas un critère de conservation, notamment vis-à-vis du vandalisme. Pour assurer une certaine pérennité, les résultats de notre enquête semblent montrer qu'à l'avenir une politique de placement de futurs repères doit plutôt privilégier un nombre élevé de repères, quel que soit leur emplacement dans le domaine privé ou public. De plus, même si les risques de disparition ne peuvent pas être complètement écartés dans le futur, il nous paraît opportun que les services de l'État, communes, syndicats de rivière… procèdent au géo-référencement des nouveaux repères, ne serait-ce que pour les localiser précisément et en conserver la trace. Remerciements : Nous sommes reconnaissants à Monsieur Francis SÉVERAC, de la DDEA d'Albi (Tarn), Service "Risques et sécurité", et à Monsieur Laurent GAY, du SPC (Service de Prévision des Crues) de Montauban de l'aide qu'ils nous ont apportée. RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES DIREN MP (1999-2001) - Atlas des zones inondables de Midi-Pyrénées, cartographie

informative ; bassin du Tarn. DIREN Midi-Pyrénées. DDE 47 (date inconnue) - Archives de la DDEA de Lot-et-Garonne : plans d'apposition des

repères de la crue de 1930. DDE 81 (dates multiples) - Archives de la DDEA du Tarn : plusieurs rapports partiels, notes

et courriers sur la crue de mars 1930. GAZELLE F. (1997) - L'hydrologie du sud du Massif Central dans son environnement

géographique. Thèse de Doctorat d'État, Univ. Bordeaux III, 455 p. GAZELLE F. (1999) - Le Tarn, un personnage éminent mais redoutable. Note de présentation

du PPRI, DDE 82.

V - EN GUISE DE SYNTHÈSE

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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MARONNA K. et GAZELLE F. (2001) - Album des photographies de repères de crues dans le bassin du Tarn. Rapport à la DIREN Midi-Pyrénées.

PARDÉ M. (1930) - Les inondations désastreuses de mars 1930. Annales de géographie, vol. III, p. 244-258.

Article soumis le 21 mai 2008. Accepté après révision le 21 septembre 2008. Mis en ligne le 5 avril 2009. La mise en ligne a été retardée par un problème de droit de reproduction d'un fond de carte IGN.