Consentement médical : enfin un accord sur l’indemnisation d’un préjudice moral !

9
Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chronique Consentement médical : enfin un accord sur l’indemnisation d’un préjudice moral ! Anaïs Adergal (Doctorante en droit) 184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France Disponible sur Internet le 27 evrier 2013 Résumé L’obligation de l’information préalable était un principe acquis, mais les tribunaux n’en sanctionnaient la violation que si la décision du patient en avait été modifiée. Après la Cour de cassation (3 juin 2010), le Conseil d’État (10 octobre 2012) admet enfin l’indemnisation du préjudice moral découlant de cette faute. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. L’obligation de l’information préalable à l’acte médical a toujours été un principe acquis, mais les tribunaux n’en sanctionnaient la violation que si la décision du patient en avait été modifiée. Après la Cour de cassation (3 juin 2010), le Conseil d’État (10 octobre 2012) admet enfin l’indemnisation du préjudice moral découlant de cette faute. Il convient donc de rappeler quelle été l’évolution de la jurisprudence (1) avant d’examiner le nouveau cours de la jurisprudence administrative (2). 1. L’évolution de la jurisprudence 1.1. Une base légale incontestable La nécessité de l’information préalable est l’un des piliers du droit de la responsabilité médicale. Dans l’approche fondamentale, le corps est le substratum de la personne, pour en faire un tout indissociable : le corps est la personne. Aussi, toute intervention sur le corps humain nécessite l’accord de la personne. C’est un principe qui fonde notre droit 1 et qui est très bien exprimé à l’article 16-3 du Code civil : Adresse e-mail : [email protected] 1 Les arrêts historiques : Thouret-Noroy (Req., 18 juin 1835, DP 1835.1.300, concl. DUPIN ; S.1835.1.401 (Principe de la responsabilité) ; Mercier (Civ., 20 mai 1936, D.1936, 1, 88 concl. MATTER, rapp. JOSSERAND ; S. 1937, 1, 321 note BRETON ; J.C.P. 1936, 1079 (Responsabilité contractuelle) ; Teyssier (Req., 28 janvier 1942, DC 1942.63 ; Gaz. Pal. 1942.1.177 (Consentement). 1629-6583/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.01.001

Transcript of Consentement médical : enfin un accord sur l’indemnisation d’un préjudice moral !

Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Chronique

Consentement médical : enfin un accord surl’indemnisation d’un préjudice moral !

Anaïs Adergal (Doctorante en droit)184, rue Garibaldi, 69003 Lyon, France

Disponible sur Internet le 27 fevrier 2013

Résumé

L’obligation de l’information préalable était un principe acquis, mais les tribunaux n’en sanctionnaientla violation que si la décision du patient en avait été modifiée. Après la Cour de cassation (3 juin 2010), leConseil d’État (10 octobre 2012) admet enfin l’indemnisation du préjudice moral découlant de cette faute.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

L’obligation de l’information préalable à l’acte médical a toujours été un principe acquis,mais les tribunaux n’en sanctionnaient la violation que si la décision du patient en avait étémodifiée. Après la Cour de cassation (3 juin 2010), le Conseil d’État (10 octobre 2012) admetenfin l’indemnisation du préjudice moral découlant de cette faute. Il convient donc de rappelerquelle été l’évolution de la jurisprudence (1) avant d’examiner le nouveau cours de la jurisprudenceadministrative (2).

1. L’évolution de la jurisprudence

1.1. Une base légale incontestable

La nécessité de l’information préalable est l’un des piliers du droit de la responsabilité médicale.Dans l’approche fondamentale, le corps est le substratum de la personne, pour en faire un toutindissociable : le corps est la personne. Aussi, toute intervention sur le corps humain nécessitel’accord de la personne. C’est un principe qui fonde notre droit1 et qui est très bien exprimé àl’article 16-3 du Code civil :

Adresse e-mail : [email protected] Les arrêts historiques : Thouret-Noroy (Req., 18 juin 1835, DP 1835.1.300, concl. DUPIN ; S.1835.1.401 (Principe

de la responsabilité) ; Mercier (Civ., 20 mai 1936, D.1936, 1, 88 concl. MATTER, rapp. JOSSERAND ; S. 1937, 1, 321note BRETON ; J.C.P. 1936, 1079 (Responsabilité contractuelle) ; Teyssier (Req., 28 janvier 1942, DC 1942.63 ; Gaz. Pal.1942.1.177 (Consentement).

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.01.001

A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24 17

« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicalepour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ».

« Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son étatrend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir ».

L’acte médical est bienveillant, pas de doute. Mais pour le droit, ce n’est pas si simple car cetacte constitue une intrusion sur le corps humain. Aussi, pour qu’il devienne licite, il doit réunirdeux conditions : un but médical et le consentement du patient. Et pour que ce consentement soitvalable il faut d’une information adaptée ait été donnée.

Vu comme cà, tout est simple, et tout le monde est d’accord. C’est dans la mise en œuvre queles approches ont longtemps divergé.

1.2. Une jurisprudence longtemps pragmatique

La ligne générale était le pragmatisme : si le défaut d’information n’a pas modifié le consen-tement à des soins nécessaires, la responsabilité ne peut être engagée que si le patient prouvel’existence d’un préjudice spécifique.

La référence est l’affaire Hédreul, jugée par la Cour de cassation le 20 juin 2000 (no 98-23046).Pratiquant une coloscopie dans la perspective de l’ablation d’un polype, un médecin avait causéune perforation de l’intestin qui avait été bien prise en charge, mais laissait toutefois des séquelles.Or, le médecin n’avait pas informé le patient de ce risque, connu, de perforation. Pour autant, lepatient connaissait des antécédents médicaux familiaux, avait insisté pour des examens completset la coloscopie était indispensable. Aussi, la Cour de cassation avait jugé qu’informé du risquede perforation, le patient n’aurait pas refusé l’examen, de sorte que la faute n’avait pas causé depréjudice.

Le Cour de cassation avait jugé que le devoir d’information trouvait son fondement dansl’exigence du respect au principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personnehumaine, mais les conséquences n’en étaient pas tirées2. Autant dire que l’indemnisation étaitimpossible3.

1.3. Une jurisprudence enfin logique

1.3.1. La Cour de cassation : le revirement par l’arrêt du 3 juin 2010Cette jurisprudence n’a tenu que dix ans, jusqu’à un arrêt du 3 juin 2010 (no 09-13591)4. Un

beau revirement de jurisprudence. . .

2 Civ. 1re, 09 octobre 2001, no 00-14.564, GAJC, 2007, no 11, obs. F. Terre et Y. Lequête ; D. 2001, p. 3470, rapportP. Sargos, note D. Thouvenin ; JCP G, 2002, II, 10045, note O. Cachard ; RTD Civ., 2002, p. 176, obs. R. Libchaber etp. 507, obs. J. Mestre et B. Fages).

3 Civ. 1re, 06 décembre 2007, no 06-19.301, D. 2008, p. 192, note P. Sargos, « L’information du patient et de ses procheset l’exclusion contestable du préjudice moral ».

4 Cass. Civ. 1ère, 3 juin 2010, no 09-13.591, Bull. 2010, I no 128 ; Civ. 1ère, 6 octobre 2011, no 10-21241 ; Civ. 1ère,12 janvier 2012, no 10-24447 ; Civ. 1ère, 26 janvier 2012, no 10-26701 ; Civ. 1ère, 12 juin 2012, no 11-18.327 ; Civ 1ère12 juillet 2012, no 11-17510. Doctrine : P. Sargos, « Deux arrêts « historiques » en matière de responsabilité médicalegénérale et de responsabilité particulière liée au manquement d’un médecin à son devoir d’information, D. 2010, p. 1522 ;S. Porchy-Simon, « Revirement de la Cour de cassation quant à la sanction du défaut d’information du patient », JCP G,no 28, 12 juillet 2010, p. 788.

18 A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24

Un patient, à la suite d’une incontinence urinaire, s’était vu poser une sonde au service desurgences, avant que le chirurgien urologue ne pratique dans les semaines suivantes une adéno-mectomie prostatique, à effectuer sans délai compte tenu du risque infectieux. Or, il était résultéde ce geste chirurgical une impuissance. Le patient avait engagé un recours en responsabilité. Lechirurgien n’avait pas commis de faute technique. . . mais il n’avait pas informé le patient du risqued’impuissance. La Cour de cassation a reconnu que devant la nécessité urgente de l’intervention,l’information sur le risque, connu mais rare, n’aurait pas changé la décision du patient, ce quiest dans logique de l’affaire Hedreul. Mais ensuite, la Cour revient à l’esprit de l’article 16-3 duCode civil, qui pose le principe général du consentement, pour conclure : « Le non-respect dudevoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, unpréjudice que le juge ne peut laisser sans réparation ».

On voit ici l’ampleur du changement d’analyse : le manquement à l’obligation d’information,même sans conséquences physiques, constitue une violation de la loi qui ne peut être laissée sansréparation. Les seules limites restent l’urgence, réelle, et l’impossibilité pour le patient d’exprimervalablement un consentement.

Attention : dans cette hypothèse, l’indemnisation ne compense que le défaut d’information etne remet pas en cause l’acte lui-même. Il en résultera des indemnisations assez symboliques, etjamais de responsabilité pénale.

1.3.2. Le Conseil d’État : le revirement par l’arrêt du 10 octobre 2012La jurisprudence du Conseil d’État était en sens contraire : pas de responsabilité s’il n’est pas

prouvé un dommage consécutif au défaut d’information, comme le montre cette affaire jugée le19 mars 2010 (No 310421).

Un homme qui souffrait d’une artérite bilatérale des membres inférieurs avait subi dans unCHU, le 14 novembre 2000, une opération chirurgicale lors de laquelle lui a été posée une prothèseaorto-bifémorale. À la suite de cette opération, une complication était survenue, provoquant uneparaparésie définitive et divers troubles liés à cette infirmité, et il avait engagé un recours enresponsabilité. Les débats ont établi que le patient n’avait pas été informé du risque de complicationmédullaire présenté par l’opération, ce qui est une faute médicale.

Mais pour le Conseil d’État, une intervention médicale s’avérait nécessaire, et les alternativesne présentaient pas moins de risques. Aussi, la faute commise en n’informant pas des risques decompression médullaire n’a pas entraîné de perte de chance pour le patient de se soustraire à cerisque qui s’est en définitive réalisé. De telle sorte, le recours a été rejeté.

Mais le revirement est venu avec l’arrêt du 10 octobre 20125 : « Indépendamment de la perted’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligation d’informer lepatient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d’obtenirréparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité,notamment en prenant certaines dispositions personnelle ». On aurait pu souhaiter une formuleplus net encore, faisant clairement référence au principe de dignité de la personne, mais cettefois-ci, l’essentiel y est. . . et les deux juridictions supérieures se trouvent en concordance.

5 O. Gare, « Préjudice autonome en cas de méconnaissance par le médecin de son devoir d’information : début d’unesaga juridique », Revue Droit et Santé, 2012, no 47, Chr. P. 343 ; F. Vialla, « évolutions récentes de la responsabilité pourdéfaut d’information », médecine et Droit, 2010, p. 161.

A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24 19

2. Le nouveau cours de la jurisprudence administrative

2.1. Le nouvel arrêt de principe du Conseil d’État (10 octobre 2012)

2.1.1. Conseil d’État, 10 octobre 2012, no 350426, Publié au recueil LebonFaitsM. C a subi le 1er mars 2002 au CHRU de Rouen une intervention chirurgicale rendue nécessaire

par la découverte d’une tumeur rectale. Un abcès périnéal et une fistule sont apparus huit joursaprès l’opération. La fistule a été traitée sans succès par des soins locaux et quatre injections decolle biologique jusqu’au début du mois de juillet 2003. Le 24 juillet 2003, M. C a subi à l’hôpitalSaint-Antoine à Paris une intervention chirurgicale qui a permis la consolidation de son état desanté.

En droitLorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte

des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditionsqui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise encas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que lesrisques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation.

Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité del’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié àl’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée. C’est seulement dans le cas où l’interventionétait impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnablede refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance. Indépendammentde la perte d’une chance de refuser l’intervention, le manquement des médecins à leur obligationd’informer le patient des risques courus ouvre pour l’intéressé, lorsque ces risques se réalisent, ledroit d’obtenir réparation des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cetteéventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelle.

AnalyseLe CHRU de Rouen n’établit pas que M. C avait été informé, avant l’opération chirurgicale

du 1er mars 2002, que cette intervention impliquait le recours à une poche d’iléostomie et qu’ellecomportait des risques de complications graves comprenant, notamment, une atteinte probabledes fonctions sexuelles.

La cour administrative d’appel a toutefois retenu qu’il ressortait tant du compte rendu faisantsuite à l’examen par coloscopie réalisé le 28 janvier 2002 que du rapport de l’expert que cetteintervention était impérieusement requise pour extraire la tumeur dont M. C était porteur. Cemotif justifie l’affirmation de la cour selon laquelle le manquement des médecins à leur obligationd’information n’a pas, dans les circonstances de l’espèce, fait perdre à l’intéressé une chance derefuser l’intervention et d’échapper ainsi à ses conséquences dommageables.

2.2. Le régime de l’information préalable

2.2.1. Preuve de l’information préalable2.2.1.1. Conseil d’État, 24 septembre 2012, no 336223, mentionné aux tables. Faits

M. B, atteint d’obésité, a subi au centre hospitalier universitaire de Nice d’une part, le25 novembre 1998, une gastroplastie verticale selon la technique dite de « Mason » qui a néces-sité le 3 mars 2000 une reprise chirurgicale à l’hôpital Henri-Mondor et entraîné un reflux

20 A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24

gastro-œsophagien, d’autre part, le 15 juillet 1999, une intervention en vue de réduire une gyné-comastie bilatérale, qui a nécessité une reprise le 28 juillet 1999.

Il apparaît, au vu d’un document signé le 7 juillet 1998 et du rapport d’expertise, que M. B adonné son consentement à la pose d’un anneau péri-gastrique modulable, permettant un ajustementde la restriction alimentaire.

M. B a recherché la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Nice au titre d’undéfaut de consentement aux interventions des 25 novembre 1998 et 15 juillet 1999 et de fautesmédicales commises lors de leur réalisation.

En droitHors les cas d’urgence ou d’impossibilité de consentir, la réalisation d’une intervention à

laquelle le patient n’a pas consenti oblige l’établissement responsable à réparer tant le préjudicemoral subi de ce fait par l’intéressé que, le cas échéant, toute autre conséquence dommageablede l’intervention.

AnalyseLe chirurgien a pratiqué une intervention de gastroplastie verticale consistant à scinder

l’estomac en deux compartiments, technique qui ne permet aucun ajustement ultérieur, qui imposele respect de contraintes hygiéno-diététiques particulières et qui, sans être totalement irréversible,rend difficile la réfection de l’estomac.

Or, le patient n’avait pas donné son consentement à l’intervention réalisée par le chirurgienmais à une intervention substantiellement différente, en limitant le droit à réparation de M. B auxcontraintes spécifiques liées à la technique utilisée et en ne lui reconnaissant pas le droit d’êtreindemnisé des complications survenues. Aussi, la faute dans la délivrance de l’infirmation estétablie.

2.2.2. Analyse des conséquences du défaut d’information2.2.2.1. Conseil d’État, 24 septembre 2012, no 339285, Mentionné dans les tables du recueilLebon. Faits

Mlle B a subi le 13 mars 2002 à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon une opération de résectioncostale destinée à soulager le syndrome de la traversée thoraco-brachiale dont elle était atteinte.Cette opération a été suivie de complications neurologiques, sensitives et motrices. La patiente,qui a notamment été contrainte d’abandonner son métier de coiffeuse, a exercé un recours indem-nitaire contre les Hospices civils de Lyon, au titre d’un manquement à l’obligation d’informationsur les risques des interventions chirurgicales, et contre l’Office national d’indemnisation desaccidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titrede la réparation des aléas thérapeutiques. Son recours a été rejeté par un jugement du 11 avril2006 du tribunal administratif de Lyon, et confirmé par un arrêt du 3 novembre 2009 de la couradministrative d’appel de Lyon.

Sur la fauteEn droitLorsque l’acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l’art, comporte

des risques connus de décès ou d’invalidité, le patient doit en être informé dans des conditionsqui permettent de recueillir son consentement éclairé. Si cette information n’est pas requise encas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, la seule circonstance que lesrisques ne se réalisent qu’exceptionnellement ne dispense pas les médecins de leur obligation.

Un manquement des médecins à leur obligation d’information engage la responsabilité del’hôpital dans la mesure où il a privé le patient d’une chance de se soustraire au risque lié àl’intervention en refusant qu’elle soit pratiquée. C’est seulement dans le cas où l’intervention

A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24 21

était impérieusement requise, en sorte que le patient ne disposait d’aucune possibilité raisonnablede refus, que les juges du fond peuvent nier l’existence d’une perte de chance.

AnalyseAprès avoir constaté que les médecins de l’hôpital Édouard-Herriot n’avaient pas informé la

patiente des complications susceptibles de survenir à la suite de l’intervention qui lui était propo-sée, la cour administrative d’appel de Lyon a estimé qu’eu égard à la gêne fonctionnelle croissantequ’entraînait pour elle le syndrome du défilé thoraco-brachial et à l’absence d’alternative thérapeu-tique moins risquée, « il ne résultait pas de l’instruction que Mlle B aurait renoncé à l’interventionsi elle avait été pleinement informée ».

En écartant pour ce motif la responsabilité des Hospices civils de Lyon, alors qu’il lui appar-tenait, non de déterminer quelle aurait été la décision de l’intéressée si elle avait été informéedes risques de l’opération, mais de dire si elle disposait d’une possibilité raisonnable de refus et,dans l’affirmative, d’évaluer cette possibilité et de fixer en conséquence l’étendue de la perte dechance, la cour a commis une erreur de droit.

2.2.3. Défaut d’information : responsabilité et solidarité2.2.3.1. CAA Nantes, 6 décembre 2012, no 11NT01609. Faits

Mme A, se plaignant de pertes d’équilibre associées à des céphalées survenues brutalement enavril 2003, a été prise en charge au CH de Saint-Nazaire où elle a subi divers examens et notammentune IRM cérébrale réalisée le 30 avril 2003 qui a révélé une lésion isolée pour laquelle elle a étéadressée au service de neurochirurgie du CHU de Nantes. À la suite de la consultation tenuele 17 mai 2003 par le docteur B, neurochirurgien au CHU de Nantes, une biopsie en conditionstéréotaxique a été pratiquée le 30 mai 2003 afin de déterminer la nature de cette tumeur.

À son réveil, Mme A a constaté un déficit de l’hémicorps gauche affectant son bras et sa jambe.Un scanner crânien pratiqué le 2 juin 2003 a détecté un petit hématome au sein de la lésion biopsiéeà l’origine de cette hémiplégie partielle. Malgré une longue période de rééducation de juin 2003 àjuin 2004, la requérante n’a jamais retrouvé la mobilité complète de l’hémicorps gauche.

Responsabilité pour faute du CHU de NantesMme A n’a pas recu d’information spécifique sur les risques inhérents à la réalisation de la

biopsie en condition stéréotaxique pratiquée le 30 mai 2003 au CHU de Nantes. L’apparition d’unhématome entraînant des signes neurologiques est une complication rare, survenant dans 1 à 1,2 %des cas, mais connue et potentiellement grave de ce type d’examen. L’intervention n’a pas étéréalisée en urgence et que Mme A, qui fait valoir qu’elle aurait renoncé à cet examen si elleen avait connu les risques et les alternatives possibles, n’a pas été mise à même d’y consentir.Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le manquement du CHU de Nantes à sonobligation d’information découlant des dispositions précitées de l’article L. 1111-2 du code de lasanté publique constitue une faute de nature à engager sa responsabilité.

Perte de chanceLes consorts A soutiennent qu’il existait des alternatives moins risquées que la biopsie pour

dépister l’existence d’une maladie démyélinisante, mais il résulte toutefois de l’instruction quesi les résultats histologiques de cette biopsie ont permis en définitive d’évoquer une scléroseen plaques, l’indication de la biopsie était le diagnostic d’une lésion tumorale pour lequel lesalternatives moins invasives peuvent échouer à démontrer la présence d’une telle tumeur glialeou d’un lymphome du cerveau.

Selon le Pr C, neurochirurgien expert mandaté par l’assureur des consorts A, nombre d’équipesmédicales confrontées aux mêmes symptômes de maladie démyélinisante à forme pseudo tumo-rale ont recours à la biopsie en cas de suspicion de lésion unique, afin de déterminer au plus tôt

22 A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24

l’existence de métastases et de les traiter rapidement. Par suite, eu égard aux incertitudes diag-nostiques liées à la nature de la lésion, à la nécessité d’écarter ou de diagnostiquer avec certitudeune tumeur pour la prendre en charge rapidement et en l’absence d’alternative diagnostique aussifiable, il y a lieu de fixer à 50 % la perte de chance de la requérante de se soustraire aux risquesqui se sont finalement réalisés.

Indemnisation au titre de la solidarité nationaleEn ne permettant pas à Mme A de mesurer les risques de la biopsie stéréotaxique pratiquée

sur elle, le CHU de Nantes a manqué à son devoir d’information et privé la patiente d’une chanced’échapper à une infirmité. Si les conséquences dommageables de cette faute n’entraînent qu’uneindemnisation partielle par le CH, cette circonstance n’est pas de nature à priver la requérante dudroit à l’indemnisation intégrale de son préjudice lié à la survenance d’un accident médical nonfautif.

À la suite de la biopsie réalisée le 30 mai 2003 au CHU de Nantes dans les conditions rappeléesci-dessus, Mme A a été victime d’un accident médical. L’hématome intracérébral qui en estrésulté, à l’origine directe de l’hémiplégie gauche dont l’intéressée a souffert dès son réveil, estsans lien avec son état de santé initial ou avec l’évolution prévisible de celui-ci. Les complicationsneurologiques de cet hématome, qui survient dans moins de 1,2 % des cas, sont rares et que ledéficit moteur de cette complication chez Mme A revêt lui-même un caractère exceptionnel. Ilrésulte du rapport d’expertise du Pr D que le déficit fonctionnel permanent de Mme A, en lien avecl’aléa thérapeutique en cause, est de 30 %, supérieur à celui fixé par l’article D. 1142-1 précité ducode de la santé publique. Par suite, les conditions auxquelles les dispositions du II de l’articleL. 1142-1 du CSP subordonnent la réparation par l’ONIAM des conséquences dommageables del’aléa thérapeutique au titre de la solidarité nationale sont remplies. Il y a lieu, par conséquent, defixer à 50 % de leur montant les conséquences dommageables de la biopsie subie par Mme A quiresteront à la charge de l’ONIAM.

3. Défaut d’information et dommage : Analyse d’une situation complexe

3.1. CAA Marseille, 3 décembre 2012, no 10MA02812

FaitsM. Jean-Pierre A a été hospitalisé, du 10 mai au 13 juin 2006, au CH de Grasse pour un

pontage aorto-bifémoral dont l’indication avait été posée par le chef du service de chirurgiede l’établissement. L’opération réalisée le 11 mai 2006 a été notamment suivie d’un séjour enréanimation, d’une seconde intervention en urgence le 17 mai 2006, en vue de réaliser une endar-tériectomie de l’artère poplitée droite, reprise le 18 mai 2006, avec enlèvement des plaquescalcifiées sur le tronc tibio-péronier pour réaliser une nouvelle anastomose et d’une nouvellereprise chirurgicale en urgence, le 23 mai 2006, à la suite d’une rupture d’un point de suture.

M. A, qui est décédé le 26 mai 2009 a gardé des séquelles importantes, correspondant à uneparalysie presque complète et irréversible du nerf sciatique de sa jambe droite. Il a recherché laresponsabilité du CH de Grasse au titre d’un défaut d’information et de fautes médicales commiseslors de sa prise en charge.

Sur le défaut d’informationLe CH n’est pas en mesure d’apporter la preuve de la délivrance au patient d’une information

préalable. Il fait état d’un courrier du 28 avril 2006 du docteur B., qui a opéré M. A, adresséau médecin traitant du requérant selon lequel « les résultats et risques immédiats emboliques,infectieux et ultérieurs en particulier de faux anévrysmes anastomotiques ont été exposés à M.

A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24 23

A. . . », mais ce document ne mentionne pas le risque d’oblitération artérielle aiguë qui s’estréalisé à deux reprises, ni que M. A ait été informé de la possibilité d’un geste de revascularisationendovasculaire et du rapport bénéfice-risque d’un tel geste.

Les circonstances, à les supposer établies, que le chirurgien ait noué d’excellentes relations avecle patient et que M. A devait connaître les risques de thrombose pour avoir subi en janvier 2005 uneopération par voie endovasculaire du côté gauche, ne sont pas non plus de nature à établir que lepatient a été informé du risque connu, qualifié de « majeur » par l’expert, d’oblitération artérielleaiguë liée au pontage, ni des autres solutions possibles. Ainsi, la preuve du défaut d’informationest rapportée.

Le pontage aorto-bifémoral faisait courir à M. A des risques élevés d’oblitération artérielleaiguë et qu’une revascularisation endovasculaire, moins risquée, ne compromettait pas un gestechirurgical ultérieur. Dans ces conditions, M. A disposait d’une possibilité raisonnable de refusdu geste chirurgical en cause et a été privé d’une chance, qui n’est, contrairement à ce que soutientl’hôpital, pas négligeable, de se soustraire au risque qui s’est réalisé.

Traitement de l’ischémie du membre inférieur droitLe compte rendu opératoire de l’opération du 17 mai 2006 mentionne « depuis 12 heures appa-

rition d’une ischémie du membre inférieur droit, avec un pied froid, disparition du pouls poplité etdes pouls distaux ». Le risque d’oblitération artérielle aiguë est une complication postopératoiregrave et parfaitement connue d’une opération de pontage aorto-fémorale et nécessite d’intervenirle plus rapidement possible afin d’éviter des séquelles irréversibles. L’état physique du patient,sédaté, en service de réanimation restreignait l’expression de sa douleur, premier signe cliniquede l’ischémie et appelait de la part de l’équipe soignante une vigilance accrue. Dans ce contexte,la circonstance que les signes de l’ischémie n’aient pas été patents n’est pas de nature à exonérerl’hôpital de sa responsabilité.

M. A a été opéré le 17 mai 2006 dans l’après-midi, alors que les premiers signes d’ischémieétaient apparus à tout le moins depuis plus de six heures et qu’il a été réopéré 12 heures plus tard.Même en tenant compte des délais incompressibles de prise en charge du patient par le servicede chirurgie vasculaire, le CH n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal a estiméque sa responsabilité était engagée à raison d’un retard dans la prise en charge de cette ischémie.

Toutefois, une revascularisation plus précoce du membre concerné n’aurait pas permis defacon certaine à M. A d’échapper au préjudice dont il a été victime. L’expert a indiqué « qu’unedésobstruction dans un délai raisonnable aurait évité à M. A les séquelles précitées dont ilse plaint », mais il a également noté que la revascularisation précoce du membre concerné estsimplement utile à une récupération complète de la paralysie sciatique. Il ne peut, ainsi, être tenupour certain qu’une intervention plus précoce aurait permis d’éviter toute séquelle.

Si l’expert a estimé que le rapport bénéfice-risque d’un geste de revascularisation endovascu-laire était nettement moins défavorable que celui d’un pontage aorto-bifémoral, il a égalementobservé que ce dernier n’était pas contre indiqué. De plus, l’artériosclérose évolutive de M. Aprésentait un stade susceptible de justifier l’indication opératoire retenue, et l’oblitération du stentiliaque gauche précédemment posée à M. A ne saurait être exclue, une telle oblitération militanten faveur du choix d’un pontage aorto-bifémoral.

Dans ce contexte, l’indication thérapeutique posée ne saurait, en dépit des graves complicationsqu’elle a engendrées pour le patient, être regardée comme lui ayant fait courir des risques queson état ne pouvait justifier. Les héritiers de M. A ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que cechoix thérapeutique aurait été fautif.

Les conséquences de l’acte de soins ne peuvent être regardées comme anormales au regard del’état de santé de M. A comme de son évolution prévisible. Dès lors que les conditions posées par

24 A. Adergal / Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 16–24

le II de l’article L. 1142-1 ne sont pas remplies, l’ONIAM est fondé à demander sa mise hors decause.

Il résulte de ce qui précède que la responsabilité du CH est seulement engagée à raison deson manquement à l’obligation d’information posée par l’article L. 1111-2 du code de la santépublique et du retard dans la prise en charge de l’ischémie postopératoire. Dans les circonstancesde l’espèce et au vu de l’ensemble des pièces du dossier, ces manquements ont fait perdre à M. Aune chance d’éviter les graves séquelles dont il est resté atteint qui doit être évaluée à 50 %.