L'or équitable?

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Institut d’Ethnologie : Université de Neuchâtel Au carrefour des logiques développementistes de divers « groupes stratégiques » Analyse socioanthropologique d’un réseau d’acteurs impliqués dans la promotion du commere équitable de l’or extrait non industriellement Elodie Glauser MEMOIRE DE MASTER EN ANTHROPOLOGIE DIRECTEUR DE MEMOIRE : PHILIPPE GESLIN MEMBRE DU JURY : CAROLE BAUDIN SEPTEMBRE 2010

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This master thesis is a socio-anthropological research about a gold fair trade project in Madre de Dios (Peru)

Transcript of L'or équitable?

 Institut  d’Ethnologie  :  Université  de  Neuchâtel  

Au  carrefour  des  logiques  développementistes  de  divers  «  groupes  stratégiques  »  Analyse  socio-­‐anthropologique  d’un  réseau  d’acteurs  impliqués  dans  la  promotion  du  commere  équitable  de  l’or  extrait  non-­‐industriellement  

Elodie  Glauser  

 

MEMOIRE  DE  MASTER  EN  ANTHROPOLOGIE  

DIRECTEUR  DE  MEMOIRE  :  PHILIPPE  GESLIN  MEMBRE  DU  JURY  :  CAROLE  BAUDIN    

SEPTEMBRE  2010  

2    

Table  des  matières  

Table  des  matières   1

Table  des  matières   2

1.-­  Projets  de  développement  et  extraction  aurifère  non  industrielle   4

2.-­  Cadre  théorique   9 2.1  Anthropologie  du  développement  :  des  analyses  structurelles  à  une  approche  centrée  sur  les  

acteurs   9 2.2  Méthodologie  :  socio-­anthropologie  du  développement  et  sociologie  de  l’acteur  réseau   14

3.-­  Les  acteurs  impliqués  dans  des  projets  d’aide  au  développement  de  l’extraction  

aurifère  non  industrielle   20 3.1  Un  relevé  «  topographique  »  des  connexions  entre  les  différents  acteurs  impliqués  dans  l’aide  

au  développement  de  l’extraction  aurifère  non  industrielle   20 3.2  Les  groupes  stratégiques  cartographiés  au  sein  de  l’arène  des  acteurs  impliqués   33

4.-­  Les  logiques  sur  lesquelles  se  fondent  les  actions  des  divers  groupes  stratégiques   37 4.1  Les  connotations  «  évolutionniste  »  et  «  ethnocentrée  »  de  l’aide  au  développement   37 4.2  La  notion  de  «  commerce  équitable  »  promue  par  l’Agenda  21  pour  un  «  développement  

durable  »  appliquée  à  l’extraction  aurifère  non  industrielle   42 4.3  L’accent  mis  par  la  communauté  internationale  sur  la  recherche  d’une  alternative  au  

mercure  tend  à  relativiser  les  préoccupations  des  orpailleurs  concernés   47 4.4  Capitalisme,  formalisation  et  droit  à  la  propriété  plutôt  que  mercantilisme  :  le  seul  moyen  

pour  Hernando  de  Soto  de  favoriser  le  développement  des  pays  «  les  plus  pauvres  »   54 4.5  La  formalisation  :  un  concept  fédérateur  mais  non  homogène  pour  un  transfert  de  

«  technologie  sociale  »,  de  modèle  organisationnel   66 4.6  Favoriser  les  coopératives  pour  promouvoir  un  idéal  qui  concilierait  l’efficacité  

dépersonnalisée  de  la  bureaucratie  et  les  vertus  de  la  communauté   74

5.-­  Rencontre  entre  logiques  divergentes   81 5.1  Les  logiques  des  chercheurs  ne  sont  ni  celles  des  «  à  développer  »ni  celles  des  «  développeurs  »

  81 5.2  Collaboration  entre  chercheurs,  «  développeurs  »  et  «  à  développer  »  :  Analyser  les«  dérives  »    

et  «  vulgariser  »  les  conclusions  dans  une  «  approche  processuelle  »   86

6.-­  Conclusion   91

Bibliographie   96

 

3  

   

A ma mère et ma grand-mère qui auraient rêvé de faire des études.

A mon père et mon frère qui m’ont montré que le sens de la vie ne se trouvait pas dans les livres.

Je remercie toutes les personnes qui ont permis à ce travail de voir le jour.

Je remercie tout particulièrement Veerle van Wauwe, Philippe Geslin, Carole Baudin, Cristina

Echavarria, Carlos Villachica, Xavier Arbex, Mirian Baez, Miguel Herrerra, Victoria et

Gottardo Huamani, Jorge Torres, Tanja Güggenbuhl, Barbara Steudler, Olivier Schneuwly,

Valérie Liechti, Vincent Girardin, Gaetan Bussy, Matthieu Bolay, Marion Fresia, Christian

Ghasarian et tous les proches qui m’ont soutenue pendant mes études.

4    

1.-­‐  Projets  de  développement  et  extraction  aurifère  non  industrielle

Passionnée par mes études en anthropologie, je souhaitais mettre au service d’une cause

concrète la manière de considérer le monde qui m’avait été enseignée. L’étude de terrain à

effectuer dans le cadre d’un mémoire de Master me paraissait une belle occasion pour

effectuer un premier pas dans cette direction. Lorsque, début 2008, décidée à partir pour

l’Amérique Latine, j’ai rencontré Veerle Van Wauwe, il me sembla que l’opportunité d’une

recherche en anthropotechnologie se présentait.

« (…) l'anthropotechnologie s'oriente vers la résolution de problèmes que pose l'arrivée

d'une technologie nouvelle dans un environnement différent de celui qui lui a donné

naissance. Elle s'appuie systématiquement sur des demandes formulées par des partenaires

sociaux en Suisse et à l'international - institutions internationales, designers, syndicats, ONG,

entreprises, industriels, chercheurs, artisans, monde du spectacle, représentants de minorités,

agriculteurs (voir nos mandats). Chacune est analysée selon des cadres déontologiques

spécifiques. Si elle est acceptée, elle donne lieu à la mise en place d'une procédure

d'intervention unique. On parle alors de « méthodologie culturelle » pour signifier la mise en

œuvre de postures d'accompagnement au plus proche des réalités sociales auxquelles nous

sommes confrontés. »1

Veerle Van Wauwe, ayant travaillé trois ans dans le négoce de diamants décida, fin 2007, de

créer Transparence SA, afin de proposer des bijoux de luxe, tracés de la mine au

consommateur.2 Pour mener à bien son projet de « commerce équitable », Veerle Van Wauwe

a notamment décidé de se concentrer sur l’extraction aurifère non industrielle.

Selon ARM (Alliance for Responsible Mining)3 - reconnus internationalement pour leurs

compétences dans le domaine de l’extraction aurifère non industrielle - aujourd’hui 11 à 13

millions de personnes travaillent dans l’extraction aurifère non industrielle. Ces personnes

génèrent 10 à 20% de la production mondiale d’or. Cette activité est généralement dénoncée

                                                                                                               1 http://www2.unine.ch/Jahia/site/ethno/op/edit/pid/19298 2 www.transparencedesign.ch 3 www.communitymining.org

5  

pour ses impacts sanitaires et environnementaux, mais elle est aussi la seule opportunité pour

des millions de gens d’échapper à la pauvreté.

Lors de nos premières rencontres, Veerle van Wauwe avait désigné comme prioritaire la

recherche d’une alternative technologique à l’emploi du mercure au sein de l’extraction

aurifère non industrielle.

L’usage du mercure dans le cadre de cette activité est également au centre des préoccupations

du Global Mercury Project (GMP) à l’ONU4. Selon Marcello Veiga, conseiller technique en

chef du GMP, l’extraction aurifère non industrielle libérerait environ 1000 tonnes de mercure

par an dans la nature. Entraînant la contamination de l’air, des sols, des rivières et des lacs.

Par ailleurs, la santé des personnes en est affectée soit par l’inhalation directe des vapeurs,

soit par la consommation de poissons ou d’autres types de nourritures contaminées par le

mercure.

De la Colombie à l’Argentine, suivant la piste d’une alternative technologique au mercure,

mes investigations m’ont conduite dans la région de Madre de Dios, en Amazonie, au Sud-Est

du Pérou. Là, je devais assister aux démonstrations de la technologie ECO 1005, mise au point

par l’ingénieur péruvien Carlos Villachica et ses filles. Une technologie pleine de promesses

aux dires de plusieurs experts de la question avec qui j’avais eu des échanges. Si

l’expérimentation à taille réelle s’avéra peu concluante aux yeux des orpailleurs ayant assisté

aux démonstrations, mes recherches anthropotechnologiques se poursuivirent toutefois dans

la région de Madre de Dios.

Le nom de Madre de Dios provient du fleuve qui traverse la région, l’un des principaux

affluents de l’Amazone. Le département de Madre de Dios abrite les deux plus importants

parcs nationaux péruviens. En outre, en 1994, Madre de Dios fut classé « capitale de la

biodiversité du Pérou » par le Congrès national.6 Selon une étude péruvienne sur l’extraction

aurifère non industrielle en Madre de Dios7, le Pérou serait le 5e pays exportateur d’or au

monde et le premier pays latino-américain.

                                                                                                               4 www.globalmercuryproject.org 5 Villachica et al. 2009  6 http://fr.wikipedia.org/wiki/Région_de_Madre_de_Dios 7 Mosquera et al. 2009,  

6    

La production d’or en Madre de Dios aurait été estimée à 16'502 kg en 2007. Ce niveau de

production place Madre de Dios, au niveau national, au troisième rang des entreprises

productrices d’or. Approximativement 20’000 travailleurs seraient impliqués directement

dans l’extraction de l’or dans ce département. Par ailleurs cette activité aurifère génère un

grand nombre d’emplois indirects (commerce, hôtellerie, ateliers mécaniques, stations

d’essence, ferraillerie, vente d’équipement et de pièces de rechange, transports, etc.)

Au cours des près de deux mois du printemps 2009 que je passai dans la région, la question

du mercure ne me parut rapidement plus qu’une dimension parmi d’autres. Je me trouvai

confrontée à une multiplicité de problématiques environnementales et sociales, telles

d’ailleurs que le révèle l’étude suscitée, effectuée conjointement par trois ONG péruviennes8.

Face à l’ampleur et au nombre des problématiques que je commençais à percevoir, j’en vins à

questionner la focalisation sur la question du mercure par les acteurs occidentaux impliqués

dans la promotion du commerce équitable de l’or extrait non industriellement.

Lorsque j’avais imaginé mettre l’anthropologie au service d’un projet d’ « aide au

développement » je n’avais alors pas conscience des enjeux anthropologiques que soulevait

l’« aide au développement » elle-même. Or mes expériences et analyses m’ont conduite à des

réflexions proches de celles de plusieurs anthropologues ayant pris l’ « aide au

développement » comme objet d’étude.

Pour Jean-Pierre Olivier de Sardan, auteur clé de la socio-anthropologie du développement

sur laquelle j’étaye mon analyse, « Autour d’un dispositif de développement quelconque se

confrontent de multiples logiques, du côté des agents du dispositif comme du côté des

populations dites « cibles » (…) quel que soit le type de dispositif ou le mode d’intervention

ou d’ « assistance », une action de développement est toujours l’occasion d’une interaction

entre des acteurs sociaux relevant de mondes différents (…), dont les comportement sont

sous-tendus par des logiques multiples. »9

C’est à ces multiples logiques des acteurs et à leurs interactions, dans le cadre d’un projet de

développement autour de l’extraction aurifère non industrielle en Madre de Dios que j’ai, en

fin de compte, choisi de consacrer mon mémoire.

                                                                                                               8 Mosquera et al. 2009,  9 Olivier de Sardan, 1995, p.125

7  

Ma question de recherche est donc « Quelles sont les logiques qui sous-tendent les

comportements et les interactions des acteurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer lors de mes

investigations sur la promotion du commerce équitable de l’or extrait non industriellement ? »

Dans la première partie de ce mémoire, j’exposerai les perspectives théoriques auxquelles je

me suis référée d’une part pour mon étude, d’autre part pour l’analyse de mes données. Dans

le premier chapitre, je souhaite explorer brièvement l’évolution historique du développement

et de l’anthropologie du développement depuis la décolonisation.

Le chapitre suivant sera consacré à la méthodologie. J’exposerai tout d’abord la socio-

anthropologie du développement qui fonde mes analyses. Puis, je présenterai quelques

éléments de la sociologie de l’acteur-réseau de Bruno Latour sur laquelle je me suis appuyée

pour effectuer mon étude de terrain. Nous verrons par ailleurs comment ces deux perspectives

théoriques - la sociologie de l’acteur réseau et la socio-anthropologie du développement - se

rejoignent.

Pour la socio-anthropologie du développement, « Un projet de développement ne consiste pas

en la réalisation méthodique d’un programme fermement tracé en amont, sur la base d’une

« planification de projet orientée par les objectifs », comme la notion de mise en œuvre

(implementation) le suggère, mais en une arène sociale. Cette arène ne fonctionne pas sur la

base d’un consensus social négocié, mais au travers des interactions entre intérêts (des

groupes), niveaux des savoirs locaux, stratégies, normes, conflits, compromis et « cessez-le-

feu ».10

En vue d’appliquer cette approche, je tenterai, dans la troisième partie, de présenter

chronologiquement la multitude d’acteurs que j’ai rencontrés, de cartographier leurs

interactions et d’ainsi identifier différents groupes stratégiques dessinés par le biais de ces

interactions.

La quatrième partie de ce travail sera consacrée aux différentes logiques qui animent les

divers acteurs et groupes stratégiques présentés précédemment. Le premier chapitre de cette

partie traitera des logiques évolutionniste et ethnocentriste qui légitiment l’ensemble des

                                                                                                               10 Bierschenk, 2007 p.34

8    

projets de « développement ». Ensuite nous resserrerons la focale pour nous intéresser aux

logiques propres au « développement durable » et au « commerce équitable », prédominantes

notamment depuis l’adoption de l’Agenda 21 lors du Sommet de la Terre de 1992, au sein de

la communauté développementiste. Puis nous envisagerons la perspective des acteurs qui ont

mis la recherche d’une « alternative technologique au mercure » au centre de leur programme

d’intervention dans le milieu de l’extraction aurifère non industrielle.

Les trois chapitres suivants, toujours au sein de la partie consacrée aux logiques, traiteront

plus particulièrement de la promotion de l’organisation sociale comme solution pour le

développement des pays du « tiers monde » et notamment pour l’amélioration des conditions

de vie des producteurs aurifères non industriels. Ainsi nous aborderons les concepts de

« bonne gouvernance », de « formalisation » et de « démocratie participative ».

Dans la dernière partie, nous évoquerons les conflits résultant des logiques divergentes des

différents groupes stratégiques. Nous nous attarderons plus particulièrement sur les

divergences entre socio-anthropologues et agent de développement. Cela nous amènera à

réfléchir aux modes de collaboration possibles entre « développeurs » et « chercheurs » dans

les projets de « développement ». Avant de conclure nous proposerons quelques pistes de

« recherche-action » socio-anthrpologiques.

 

9  

2.-­‐  Cadre  théorique  

2.1  Anthropologie  du  développement  :  des  analyses  structurelles  à  une  approche  centrée  sur  les  acteurs  

Pour Frederick Cooper et Randall Packard11 l’idée du développement telle que nous nous la

représentons depuis les années 1940 s’enracine dans la crise des empires coloniaux.

Au sortir de la deuxième guerre mondiale, pour les Etats-Unis, étendre le libre marché aux

colonies autrefois dominées par les gouvernements européens devait à la fois stimuler la

reprise économique de l’Europe et renforcer le bien-être des pays colonisés. Néanmoins à la

fin des années 1940, le scepticisme des économistes américains envers une régulation

spontanée de la croissance économique ne cessa d’augmenter. Par ailleurs, l’expansion du

communisme, avec son attrait supposé auprès des pays pauvres fut probablement

déterminante dans la promotion occidentale de l’aide au développement. C’est ainsi qu’en

1949, Harry Truman annonçait que les Etats-Unis allaient mobiliser “our store of technical

knowledge in order to help [the people of underdeveloped nations] realize their aspirations for

a better life.”12

Toujours selon Cooper et Packard, la convergence croissante des intérêts des Etats-Unis et de

l’Europe à promouvoir l’aide au développement par le biais de programmes d’assistance

technique joua un rôle important dans la création d’une série d’organisations internationales à

la fin des années 1940 et au début des années 1950. Dans le contexte de la reconstruction

européenne et des accords de Bretton Woods13, la Banque mondiale et le Fond Monétaire

International étendirent leur champ d’action de la relance économique européenne dans les

années 1940 au développement international dans les années 1950. La création de ces agences

multilatérales ainsi que des Nations Unies (en 1945) contribua à l’internationalisation du

développement ainsi qu’à la dissémination des représentations propres à ces organisations à

travers le monde.

                                                                                                               11 Cooper & Packard, 1997. 12 Cooper & Packard, 1997, p.8 13 Les accords de Bretton Woods sont des accords économiques ayant dessiné les grandes lignes du système financier international après la Seconde Guerre mondiale. Leur objectif principal fut de mettre en place une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la guerre. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Accords_de_Bretton_Woods (6 avril 2010)

10    

C’est avec James Ferguson14 que nous envisagerons dans quelle mesure cette conjoncture

historique affecta la pratique des anthropologues.

Avant la deuxième guerre mondiale et la décolonisation, les anthropologues étaient le plus

souvent hostiles à toutes interventions susceptibles d’anéantir les spécificités culturelles d’une

population qu’ils avaient prises comme sujet d’étude. Après la guerre, la notion de progrès

n’était plus uniquement conçue comme une volonté expansionniste de l’Occident mais

comme un projet politique universel de démocratisation et de décolonisation, une chance pour

les pays en développement de « s’asseoir fièrement à la table de la grande famille des

nations »15,

Cette évolution, coïncidant en outre avec une crise de l’emploi en anthropologie, aurait

favorisé un engouement des anthropologues pour le développement et aurait donné naissance

à une sous discipline de l’anthropologie : l’anthropologie du développement.

Néanmoins la faculté des anthropologues à démontrer la complexité des problèmes associés à

une situation de développement et à dénoncer les certitudes généralisantes ne pouvait que

difficilement rivaliser avec les représentations universalistes et détachées de tous contextes,

privilégiées par les agences internationales de l’aide au développement. Pour diverses raisons

et notamment pour préserver leurs emplois, beaucoup d’anthropologues du développement

ajustèrent leurs études aux demandes des agences de développement, aux dépens de leur

rigueur intellectuelle et de leur sens critique.

Dans les cercles académiques, l’anthropologie du développement en vint à être de plus en

plus dépréciée, perçue comme un champ d’études appliquées à faible prestige. De leur côté,

les anthropologues du développement considéraient les représentants académiques de la

discipline comme irresponsables, détachés des réalités telles que la pauvreté et la violence que

la majorité des personnes dans le monde ont à affronter.

Si l’on s’intéresse à la littérature d’après-guerre sur le développement, nous dit Norman

Long16, on rencontre d’une part des auteurs qui adoptent une perspective structurale ou

                                                                                                               14 Ferguson, 1997 15 Ferguson, 1997, p.159 (traduction libre) 16 Long, 2001, p.9

11  

institutionnelle, d’autre part, des études qui s’intéressent au développement du point de vue

des acteurs impliqués dans le processus. Dans une certaine mesure, on peut rapprocher cette

différence de ce qui distingue les approches de l’économie, des sciences politiques, de la

macrosociologie des méthodes de l’anthropologie et de l’histoire.

Parmi les représentants des approches plus « macro », selon Long, on trouve dans les années

1950 les tenants des théories dites de la modernisation, puis à partir des années 1960-70 les

défenseurs des thèses marxistes et néo marxistes, enfin vers le milieu des années 1980 se

développe le courant postmoderne.

Les théoriciens de la modernisation auraient visualisé le développement comme un

mouvement progressif vers une société « moderne » technologiquement et

institutionnellement toujours plus complexe et intégrée. Ce progrès devait être possible grâce

à un transfert de technologies, de savoirs, de ressources et de modèles organisationnels, des

mondes plus « développés » vers les pays moins « développés ».

Les défenseurs de l’économie politique marxiste et néo marxiste auraient dénoncé, pour leur

part, la tendance expansionniste du capitalisme. Pour eux le capitalisme à la différence du

socialisme, ne pouvait prétendre offrir les bases du « vrai développement ». Ils déploraient le

fait que les pays moins « développés » auraient été forcés de rejoindre la communauté

capitaliste des nations « développées » sans pouvoir définir les termes mêmes dudit

« développement ».

Les auteurs postmodernes auraient également condamné la domination des Occidentaux sur le

reste du monde, toutefois leurs analyses se seraient davantage concentrées, à la manière de

Foucault, sur le discours politique des « développeurs », des gouvernements, que sur leurs

pratiques et sur les promesses du socialisme.

Pour Long17, bien que ces diverses perspectives soient idéologiquement éloignées, voire

antagonistes, elles sont pourtant d’un certain point de vue similaires. Toutes voient le

développement comme l’imposition d’un modèle par les pays « développés » au pays « en

développement ». La plupart des auteurs partagent une conception déterministe et linéaire du

                                                                                                               17 Long, 2001, p.11

12    

développement jalonné par une succession d’étapes incontournables. Elles tendent également

à envisager le développement comme une entreprise monolithique fortement contrôlée par

l’Etat, le gouvernement, l’Occident. Or, comme le relève David Mosse18, « l’Etat »,

« l’Occident » sont des concepts abstraits qui ne permettent pas de situer les actions politiques

et économiques dans des institutions et structures particulières.

En fait, pour Norman Long19, bien que des changements structurels importants puissent être

le résultat de forces extérieures (telles que le marché, l’Etat ou des Institutions internationales)

ce qui manque à toutes ces approches « macros » c’est la tentative d’analyser en profondeur

les façons multiples et complexes dont les nouvelles et anciennes formes de production, de

consommation, de mode de vie et d’identité sont entremêlées et génèrent des modèles

économiques et culturels hétérogènes.

Dans ces théories « macros », les mécanismes de domination seraient compris « (…) comme

le produit d’une machinerie implacable, ou encore comme l’expression d’une sorte de

« complot » hypersophistiqué d’un système économique quasiment doté de volition (…) »20

Cette manière d’envisager le mécanisme de domination n’est, selon Olivier de Sardan21,

guère sensible à la dialectique entre « l’acteur et le système ». Ce modèle ne tiendrait pas

compte des marges de manœuvres dont disposent les acteurs, leurs capacités d’adaptation et

d’improvisation ainsi que les multiples « résistances passives » ou détournements dont les

politiques publiques font l’objet.

Bien que moins présente dans la littérature sur le développement jusqu’à relativement

récemment, il y aurait cependant toujours eu une alternative aux analyses structurelles en

sociologie du développement. C’est ce que Long appelle “the actor oriented approach”22.

Ces approches vont des modèles transactionnels à l’interactionnisme symbolique en passant

par l’analyse phénoménologique. L’avantage de ces perspectives théoriques c’est qu’elles

souhaitent expliquer les réponses différentes à des modèles structurels similaires dans des

conditions apparemment relativement homogènes. Ces conceptions dynamiques permettent

                                                                                                               18 Mosse, 2005, p.14 19 Long, 2001, p.11 20 Olivier de Sardan, 1995, p.67 21 ibid 22 Long, 2001, p.13

13  

d’envisager l’interaction et la détermination mutuelles des facteurs « internes » et

« externes », elles reconnaissent le rôle central joué par l’action humaine.

C’est à ce cadre théorique et méthodologique - que Norman Long nomme “actor oriented

approach” et que Jean-Pierre Olivier de Sardan développe dans ses ouvrages sur « la socio-

anthropologie du développement » - que je consacrerai le prochain chapitre. Dans ce même

chapitre nous verrons aussi dans quelle mesure la « sociologie de l’acteur réseau » de Bruno

Latour23, sur laquelle j’ai fondé mon étude de terrain, me paraît rejoindre les préoccupations

de Long et Olivier de Sardan.

 

                                                                                                               23 Latour, 2006, 2007.

14    

2.2  Méthodologie  :  socio-­‐anthropologie  du  développement  et  sociologie  de  l’acteur  réseau    Dans les perspectives de Norman Long et Jean-Pierre Olivier de Sardan, le développement est

d’abord un objet d’étude. « Cette définition non normative du développement ne signifie pas

bien sûr qu’il faille se désintéresser de tout jugement moral ou politique sur les diverses

formes de développement, loin de là, mais il s’agit d’un autre problème. L’anthropologie doit

étudier le développement en tant que constituant un « phénomène social » comme un autre,

(…). »24

En tant que « phénomène social » Olivier de Sardan définit le développement comme

« l’ensemble des processus sociaux induits par des opérations volontaristes de

transformation d’un milieu social, entreprises par le biais d’institutions ou d’acteurs

extérieurs à ce milieu mais cherchant à mobiliser ce milieu, et reposant sur une tentative de

greffe de ressources et/ou techniques et/ou savoirs. » En simplifiant encore, le développement

repose sur l’existence d’une « configuration développementiste », à savoir « cet univers

largement cosmopolite d’experts, de bureaucrates, de responsables d’ONG, de chercheurs,

de techniciens, de chefs de projets, d’agents de terrain, qui vivent en quelque sorte du

développement des autres, et mobilisent ou gèrent à cet effet des ressources matérielles et

symboliques considérables. » »25

Nous l’avons vu au chapitre précédent, pour ce que j’appellerai dorénavant la « socio-

anthropologie du développement », les analyses structurales ou institutionnelles ne sont pas

suffisantes. Selon Long, toutes tentatives de domination par une quelconque forme

institutionnelle et structurelle de pouvoir est nécessairement transformée par les individus et

les groupes sociaux qu’elle concerne. Ainsi nous pourrions dire que quelles que soient les

« opérations volontaristes de transformation » qui leur sont proposées ou imposées, les

acteurs ont toujours des alternatives dans la manière de formuler leurs objectifs, d’envisager

leurs actions, de justifier leurs comportements.

                                                                                                               24 Olivier de Sardan, 1993, p.1 25 Olivier de Sardan, 2004, p.36

15  

Cette marge de manœuvre fondamentale accordée aux acteurs nous amène à la notion de

“human agency”. Selon Giddens la constitution des structures sociales ne peut être comprise

sans accorder une place à la capacité d’action humaine (human agency).

« En suivant les routines de ma vie quotidienne, j’aide à reproduire des institutions sociales

pour la création desquelles je n’ai joué aucun rôle. Elles ne sont pas seulement

l’environnement de mes actions dans la mesure où… elles entrent de façon constitutive dans

ce que je fais en tant qu’agent. De la même manière, mes actions constituent et reconstituent

les conditions institutionnelles des actions des autres, tout comme leurs actions agissent sur

les miennes… Mes activités sont ainsi intégrées dans les propriétés structurées d’institutions

s’étendant bien au-delà de moi-même dans le temps et l’espace et en sont des éléments

constitutifs. (Giddens 1987 :11) »26

Avec la notion de human agency, on comprend comment une des tâches principales de

l’analyse socio-anthropologique du développement devient celle d’identifier la manière dont

les acteurs s’approprient des conditions institutionnelles, de caractériser les différentes

stratégies et rationalités des acteurs, les conditions dans lesquelles elles émergents. Quelles

sont les logiques qui mobilisent les acteurs ?

Les acteurs sociaux mis en contact par les opérations de développement appartiennent « (…)

à des univers sociaux très variés, relevant de statuts différents, dotés de ressources

hétérogènes et poursuivant des stratégies distinctes (…)»27. Dans le but de pouvoir

appréhender les logiques découlant de ces univers sociaux variés, des logiques qui ne sont

pas spontanément visibles, la socio-anthropologie du développement s’appuie sur les notions

d’ « arène », de « conflit » de « groupe stratégique » et de « dérive ». Je propose de passer ces

notions en revue.

L’ « arène » est définie au gré de l’avancement d’une étude socio-anthropologique par les

interactions des différents acteurs sociaux autour d’enjeux communs. « Un projet de

développement est une arène. Le pouvoir villageois est une arène. Une coopérative est une

arène. »28

                                                                                                               26 Long, 1994, p.7 27 Olivier de Sardan, 2004, p.37 28 Bierschenck et Olivier de Sardan, 1994, p.3

16    

Dans le cadre d’une recherche en socio-anthropologie du développement « Notre hypothèse

n’est qu’une hypothèse méthodologique, bien souvent vérifiée, selon laquelle le repérage et

l’analyse des conflits sont des pistes de recherche fructueuses, qui font gagner du temps, et

qui évitent certains pièges que les sociétés ou les idéologies tendent aux chercheurs. »29

Identifier les « conflits » doit permettre d’aller au-delà de la façade consensuelle et la mise en

scène que des acteurs proposent souvent à un intervenant ou à un chercheur extérieur. Il faut

ensuite hiérarchiser ces conflits et comprendre leurs liens mutuels éventuels.

Les « groupes stratégiques » sont la prise en considération d’ « agrégats sociaux à géométrie

variable » qui défendent des intérêts communs. Contrairement aux définitions sociologiques

classiques des groupes sociaux (fondé sur la classe sociale, l’âge, le sexe, le genre ou tout

autre type de critères classificatoires), les « groupes stratégiques » ne sont pas constitués une

fois pour toutes, ils varient selon les problèmes considérés. Il n’y a pas non plus de frontière

rigide entre les groupes stratégiques. Chaque acteur social peut appartenir potentiellement à

des groupes stratégiques différents.

L’analyse des stratégies des acteurs et des groupes d’acteurs« (…) implique de s’intéresser

aux représentation de ces acteurs, à savoir comment ils se représentent le développement en

général, comment ils se représentent un projet de développement en particulier, et comment

enfin ils se représentent les autres acteurs concernés »30

La socio-anthroplogie du développement insiste sur les « dérives » imprévisibles qui

interviennent dans la mise en œuvre des actions de développement, du fait des interactions

entre de multiples acteurs suivant des logiques sociales différentes et disposant tous de

“human agency” : « (…) rien n’est joué d’avance, on ne peut au départ prévoir l’issue d’un

projet, aucun système explicatif préprogrammé ne peut rendre compte de la dérive d’une

opération de développement, de son échec ou de sa réussite »31

Dès lors, la socio-anthropologie du développement préconise une « approche processuelle »

telle que la définit David Mosse32. Lorsqu’on adopte cette « approche processuelle » pour un

projet de développement on doit être prêt à s’adapter aux nombreux facteurs imprévisibles                                                                                                                29 Bierschenck et Olivier de Sardan, 1994, p.2-3 30 Olivier de Sardan, 1993, p.4 31 Olivier de Sardan, 1993, p.3 32 Mosse, 1998.

17  

auxquels on est confronté, à « apprendre » d’eux et avec eux. Le projet « (…) n’est plus

standard et passe-partout (blue-print approach) comme la majorité des projets mais prend en

compte les éléments idiosyncratiques et contextuels qui le traversent sans cesse. »33

Dans le monde du développement, les enquêtes habituelles sont la plupart du temps faites

« au pas de course par des experts en tournée » et se résument trop souvent à une « culture du

chiffre » (c’est-à-dire des statistiques). En contraste, l’approche socio-anthropologique

propose un tableau détaillé de ce qui se passe là où les développeurs entrent en interaction

avec les « à développer », là où les services de l’Etat entrent en interaction avec les usagers.

La socio-anthropologie du développement est une démarche holistique. « En effet elle doit

mettre en évidence le fait que les logiques multiples qui se confrontent autour des processus

de « développement » ne relèvent pas seulement de groupes d’acteurs différents (et renvoient

en partie à des conflits de rationalités) mais aussi mobilisent des registres variés de la réalité

sociale, qu’il convient d’appréhender simultanément. Pratiques et représentations mobilisées

sont toujours à la fois d’ordre économique, social, politique, idéologiques, symbolique… »34

En outre, Thomas Bierschenk35 met en exergue le fait qu’une anthropologie du

développement rigoureuse exige une mise en perspective historique. Selon lui, bon nombre de

réactions des « à développer » ne sont compréhensibles que si l’on prend en compte leurs

expériences d’actions de développement antérieures.

Comme je l’ai mentionné en introduction, ce n’est qu’après mon étude de terrain que j’ai

découvert la socio-anthropologie du développement, m’étant auparavant concentrée sur mes

recherches en anthropotechnologie. Toutefois, le cadre méthodologique à partir duquel j’ai

mené mon étude de terrain, « la sociologie de l’acteur réseau » de Bruno Latour me paraît

proche des conceptions exposées plus haut. Il me semble retrouver les notions de “human

agency”, de « conflit », de « groupe stratégique », de « dérive » et d’ « approche

processuelle ». Ce sont ces similitudes que je souhaite maintenant explorer.

                                                                                                               33 Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009, p.396-97 34 Olivier de Sardan, 1991, p.7 35 Bierschenk, 2007, p.35

18    

Commençons par la notion de “human agency”. Latour nous propose de se doter d’une

« myopie volontaire » au lieu d’embrasser tout l’horizon d’un regard perçant. Cela permettrait

au chercheur de poser les questions « bêtes et grossières » telles que « Où sont les

structures ? »,36 afin d’identifier les sites où le « global », le « structurel », le « total » sont

assemblés avant de s’étendre à l’extérieur. Selon Latour, « Si l’on persévère dans ce travail,

les effets de hiérarchie et d’asymétrie resteront bien toujours sensibles, mais on verra

désormais par quels procédés ils émergent de localité assignables reliées entre elles par des

chaines également reconnaissables empiriquement. »37 Mais re-contextualiser le global ne

suffit pas. Il faut ensuite « (…) nous poser la même question qu’auparavant mais à l’envers :

Comment le local lui-même est-il engendré ? »38

En effectuant cette double opération, nous dit Latour, le local et le global passent à l’arrière

plan, « (…) ce sont les chemins, les moyens de transport et les connexions qui occupent le

premier plan. »39. Dès lors, tout comme pour la socio-anthropologie du développement, ce

sont les différentes logiques et rationalités des acteurs qui s’imposent à l’analyse.

Et pour rendre ces logiques et rationalités visibles, il me semble que les outils sont également

similaires. Ainsi, de même qu’Olivier de Sardan pose l’hypothèse méthodologique que le

repérage et l’analyse des conflits sont des pistes de recherche fructueuses, Bruno Latour nous

invite à « déployer les controverses ». Il écrit : « (…) la sociologie de l’acteur-réseau prétend

être mieux en mesure de trouver de l’ordre après avoir laissé les acteurs déployer toute la

gamme des controverses dans lesquelles ils se trouvent plongés. »40

Rappelons que pour la socio-anthropologie du développement, contrairement aux définitions

sociologiques classiques des groupes sociaux, les « groupes stratégiques » ne sont pas

constitués une fois pour toutes, ils varient selon les problèmes considérés. Dans la même

optique Latour nous suggère de « cartographier les controverses sur la formation de tous les

groupes. »41 Il nous rend cependant attentif au fait qu’il ne faut pas ignorer les efforts

constants que les acteurs déploient pour restreindre eux-mêmes le répertoire des actants et

limiter la gamme des controverses.                                                                                                                36 Latour, 2006,2007, p.256 37 Latour, 2006, 2007, p.279 38 Latour, 2006, 2007, p.281 39 Latour, 2006, 2007, p.320 40 Latour, 2006, 2007, p.35-36 41 Latour, 2006,2007, p.46

19  

Selon Latour, pour la plupart des théories de l’action, le second terme est rendu prévisible par

le premier, l’effet est rendu prévisible par la cause. Or, tel ne serait pas le cas lorsque les deux

termes sont traités comme des « médiateurs ». Dans le cas des « médiateurs », les causes ne

font qu’offrir des occasions, définir des circonstances, mais bien des inconnues surprenantes

peuvent surgir dans l’intervalle. Or nous nous souvenons que pour Olivier de Sardan, « (…)

rien n’est joué d’avance, on ne peut au départ prévoir l’issue d’un projet, aucun système

explicatif préprogrammé ne peut rendre compte de la dérive d’une opération de

développement, de son échec ou de sa réussite »42

C’est pourquoi la socio-anthropologie du développement préconise une « approche

processuelle » qui s’adapte aux nombreux facteurs imprévisibles. De même Latour souligne

que le chercheur « (…) doit se préparer à marcher très lentement ; son mouvement sera

constamment interrompu, perturbé, stoppé et désorienté (…). Et pourtant, cette lenteur, cette

lourdeur, cette myopie, c’est la méthode même »43

Ce dont tient compte Bruno Latour, et c’est là son intérêt majeur pour l’anthropotechnologie,

et qui n’apparaît pas dans la socio-anthropologie du développement, c’est la fonction des

objets. Les objets jouent le rôle de « relais ». Pour Latour, si nous interrompons notre travail

de terrain à chaque relais, le monde social devient immédiatement opaque. Il faut donc rendre

compte de ce que les objets « font faire » aux acteurs en étudiant notamment les innovations,

les pannes, les accidents, les archives, les musées, etc.

                                                                                                               42 Olivier de Sardan, 1993, p.3 43 Latour, 2006, 2007, p.39

20    

3.-­‐  Les  acteurs  impliqués  dans  des  projets  d’aide  au  développement  de  l’extraction  aurifère  non  industrielle  

3.1  Un  relevé  «  topographique  »  des  connexions  entre  les  différents  acteurs  impliqués  dans  l’aide  au  développement  de  l’extraction  aurifère  non  industrielle   Si l’on se réfère à la sociologie de l’acteur réseau, un bon compte rendu met au jour des

réseaux d’acteurs. Ainsi le réseau « (…) n’est rien d’autre qu’un indicateur de la qualité d’un

texte rédigé au sortir d’une enquête sur un sujet donné. Un réseau qualifie le degré

d’objectivité d’un récit, c’est-à-dire la capacité de chaque acteur à faire faire des choses

inattendues aux autres acteurs. »44 En dessinant peu à peu un réseau, « chaque maillon du

texte peut devenir une bifurcation ». Comme le processus peut se poursuivre presque

indéfiniment, selon Bruno Latour45, c’est la limite textuelle que l’on s’est fixée à l’avance qui

détermine la taille et la complexité du réseau qui va être rapporté.

Dans les pages qui suivent, c’est le réseau d’acteurs autour d’un projet d’alternative

technologique au mercure dans l’extraction aurifère en Madre de Dios et ce que chaque acteur

fait faire aux autres que je vais essayer de cartographier.

En février 2008, je rencontre Veerle van Wauwe à un festival de mode éthique à Lausanne.

Veerle van Wauwe a travaillé 3 ans en tant que responsable management dans le négoce de

diamants pour un « sightholder »46 de De Beers. C’est suite à cette expérience qu’elle a décidé

de fonder Transparence S.A. en novembre 2007. Elle me confie en effet qu’elle était

insatisfaite des réactions de ses employeurs suite à la parution du film « Blood Diamond »47.

Elle ne pouvait pas uniquement changer le marketing sans agir dans la réalité, elle décide

donc de créer un réseau de bijoutiers et d’artisans qui désirent améliorer les conditions de

travail des êtres humains et se soucient des impacts sur l’environnement tout au long de la

chaîne de production. Son but est de proposer des bijoux de luxe, tracés de la mine au

consommateur, soit 100% équitables, mariant ainsi esthétique et éthique.48

                                                                                                               44 Latour, 2006, 2007, p.189 45 Latour, 2006, 2007, p.215 46 quelqu’un qui a un droit d’achat de diamants 47 « Blood Diamond ou Le Diamant de sang (…) est un film américain de 2006 réalisé par Edward Zwick. Prenant place pendant la guerre civile de Sierra Leone, il dénonce le marché des diamants de conflits. » (http://fr.wikipedia.org/wiki/Blood_Diamond, 2 avril 2010) 48 http://head.hesge.ch/spip.php?article841#IMG/jpg/LAC_FINAL_web-9.jpg (3 avril 2010)

21  

Bien que sur le site internet49 de Transparence apparaisse une liste de six collaborateurs, je

n’ai jamais rencontré que Veerle Van Wauwe. Par ailleurs s’il est question, sur le même site,

de diamants et d’extraction aurifère en général, nous n’avons abordé ensemble que le thème

de l’extraction aurifère non industrielle.

Pendant les deux ans durant lesquels nous avons collaboré, j’ai pu vérifier l’étendue des

démarches de « sensibilisation » que Veerle effectue auprès du public, des artisans joaillers et

des grandes marques. Comme le relève Tanja Güggenbuhl, coordinatrice chez Terre des

Hommes Suisse, « Veerle a accès et sait se faire entendre par des personnes qui n’accordent

généralement pas d’attention à des institutions sociales de type ONG. »

Je me contenterai d’énumérer quelques unes de ces actions de « sensibilisation » qu’a effectué

Veerle pendant les deux ans où nous avons été en contact, tout en soulignant que la liste n’est

de loin pas exhaustive :

En février puis juin 2008, Veerle tient un stand de vente de bijoux « éthiques » et de

« sensibilisation à la problématique liée à l’emploi du mercure au sein de l’extraction aurifère

non industrielle » à un festival de mode éthique puis au « Festival de la terre », tous deux

organisés à Lausanne par l’association Nice Future50. En octobre 2008 elle participe, d’une

part au congrès de IUCN (International Union Conservation of Nature) à Barcelone où elle est

élue « Femme entrepreneure environnementale de l’année), d’autre part à l’ “Ethical Fashion

day” organisé par Nice Future à Genève. Lors de cette édition 2008 de l’ “ethical fashion day”

un jury se prononce sur les créations en « or propre » que des joaillers ont réalisées dans le

cadre d’un concours organisé par Veerle et Nice Future. Un concours du même ordre est initié

au sein de la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève (HEAD). Les œuvres des lauréats

sont exposées en mars 2009 à une foire joaillère de grande renommée en Allemagne. Au

cours du même mois, Garavelli, prestigieuse marque italienne, présente une collection de

bijoux « éthiques » en collaboration avec Veerle van Wauwe à la foire de Bâle. Par ailleurs,

elle a sensibilisé d’autres grandes marques, comme Cartier. En octobre 2009, nous présentons

ensemble une exposition sur la situation en Madre de Dios à l’édition 2009 de l’Ethical

Fashion Day à Genève. Veerle a également incité plusieurs artisans joaillers, dont Christel

Falconier que j’ai rencontrée lors de vernissage d’une de ses expositions, à travailler avec de                                                                                                                49 www.transparencedesign.ch 50 www.nicefuture.ch

22    

l’or « propre ». Mentionnons encore toutes les apparitions de Transparence SA dans les

médias51. Que ce soit à la Radio Suisse Romande, dans divers journaux romands ou encore

comme co-auteure dans les publications faites pour préparer la conférence annuelle de

CASM52 au Mozambique en septembre 2009.

« The Communities and Small-scale Mining » (CASM) fut créé en 2001 afin de mettre en

réseau les multiples acteurs issus d’innombrables disciplines autour de la problématique

complexe de l’extraction aurifère non industrielle. L’objectif de ce « réseau » est la réduction

de la pauvreté dans les communautés de petits producteurs aurifère. CASM est principalement

financé par le gouvernement des Royaumes Unis mais son siège est à Washington DC dans

les bâtiments de la Banque mondiale. Les ères d’actions prioritaires pour CASM sont l’Asie,

la Chine et l’Afrique.

Le festival par le biais duquel j’ai rencontré Veerle van Wauwe était organisé par

l’association Nice Future, dont le siège social est à Lausanne.

« Nice Future est une association dont le but est de stimuler l'application des notions de

promotion de la santé, de bien-être, de qualité de vie, d’équité sociale et de respect de

l'environnement dans les pratiques quotidiennes. Elle favorise la qualité de vie et le

développement durable en offrant au public un grand choix d'informations théoriques et

pratiques dans les différents domaines de la vie quotidienne et en faisant la promotion des

idées et des solutions allant dans le sens d'un mode de vie sain et équilibré. »53

Nous avons pu le constater, Veerle van Wauwe a collaboré avec Nice Future pour plusieurs

manifestations. C’est aussi par l’entremise de Nice Future que Veerle van Wauwe a rencontré

Jean-Luc Pittet, directeur de Terre des Hommes Suisse, à l’occasion de la préparation de

l’ “Ethical Fashion day” en octobre 2008, où fut donné une conférence sur la problématique

de l’or.

C’est Veerle qui présenta Gilles Labarthe à Jean-Luc Pittet pour réaliser une étude de

faisabilité d’un projet d’ « or propre » en Madre de Dios. Le projet « or propre » autour

                                                                                                               51 http://www.transparencedesign.ch/news.asp 52 http://www.artisanalmining.org 53 www.nicefuture.ch

23  

duquel Veerle, Gilles Labarthe et Jean-Luc Pittet collaborent se poursuit toujours à l’heure où

j’écris ces lignes.

Détenteur d’une Licence en ethnologie, journaliste, cofondateur de l’agence de presse

indépendante DATAS54 à Genève, Gilles Labarthe a publié un ouvrage55 et plusieurs articles

sur le thème de l’extraction aurifère. Il logea quelques jours chez moi et nous eurent

l’occasion de collaborer lors de son étude de faisabilité en Madre de Dios en mai 2009.

Lors de nos premiers échanges, et dans une certaine mesure aujourd’hui encore, Veerle se

réfère aux informations obtenues auprès du GMP56 (Global Mercury Project) et de ARM57

(Alliance for Responsible Mining) pour « sensibiliser » le public aux problèmes inhérents à

l’extraction aurifère non industrielle. Il s’avère en effet que ce sont deux institutions

incontournables lorsqu’on effectue des recherches internet sur le sujet. Veerle participe

annuellement aux conférences du GMP à Genève et a fait office d’intermédiaire entre

plusieurs joaillers (Noen, Garavelli, Fifi bijoux) et ARM. Veerle commercialise aussi les

bijoux de Greg Valerio, fondateur de Cred Jewellery58, cofondateur de ARM et actuel

membre du Comité technique59 de ARM. Mentionnons par ailleurs que Veerle déclare60

adhérer aux principes du Responsible Jewellery Council (RJC)61 dont elle est membre depuis

août 2007. Or, lorsque on consulte le « Standards Guidance »62 du RJC, le chapitre consacré à

l’extraction aurifère non industrielle renvoie au travail effectué par ARM.

ARM fondé en 2004, se donne pour mission de soutenir des producteurs aurifère non

industriels dans la certification de leur or, pour accéder au commerce équitable. L’accès à un

commerce international équitable devrait favoriser la transformation de l’extraction aurifère

non industrielle en une activité socialement et environnementalement plus « responsable ».

ARM soutient des projets pilotes dans quatre pays d’Amérique du Sud, en Colombie, en

                                                                                                               54 www.datas.ch 55 Labarthe et Verschave, 2007 56 www.globalmercuryproject.org 57 www.communitymining.org 58 http://www.cred.org.uk/ 59 Technical Committee (TC): comprised by 7 to 15 people responsible for setting and reviewing ARM standards. (www.communitymining.org 20 mai 2010) 60 http://www.transparencedesign.ch/about.asp#team (11février 2010) 61 www.responsiblejewellery.com 62 Responsible Jewellery Council, December 2009

24    

Bolivie, en Equateur et au Pérou. Créée suite à une expérience concluante dans le Choco63 en

Colombie, Alliance for Responsible Mining a souhaité commencer à se développer en

Amérique latine avant de tenter d’étendre son activité au niveau international. L’un des

arguments mis en avant pour défendre ce choix est le fait que les pays latinos américains

seraient ceux où l’extraction aurifère non industrielle aurait atteint « un niveau d’organisation

suffisamment significatif ».

Les projets pilotes64 de ARM au Pérou, ont tous trois (Santa Filomena, Sotrami, Macdesa)

été initiés en 2000 et soutenus jusqu’en 2008 par la Direction du Développement et de la

Coopération (DDC) de la Confédération Suisse sous l’appellation « projet GAMA »65. Felix

Hruska, ingénieur métallurgique autrichien, en charge du projet GAMA pendant neuf ans est

l’un des deux conseillers principaux (senior advisor) de ARM. Il est également membre du

comité technique de ARM.

La piste de recherche que nous avions retenue avec le directeur du présent mémoire, Philippe

Geslin, et Veerle van Wauwe, avant mon départ pour l’Amérique latine, était celle d’une

alternative technologique au mercure. Dans cette optique, j’ai effectué un certain nombre

d’investigations sur les technologies existantes sans parvenir cependant à récolter des

informations suffisamment pertinentes.

Fin janvier 2009, je rencontre Cristina Echavarria, administratrice de ARM, dans son bureau à

Medellin en Colombie. Suite à notre entrevue, alors qu’il m’avait été difficile d’obtenir

jusqu’alors des réponses à mes mails, plusieurs portes s’ouvrent.

J’ai ainsi la confirmation que des projets d’alternative technologique au mercure, présentés

comme « révolutionnaires », n’ont pas abouti. C’est le cas notamment du processus

Cleangold®66, promu par Artminers67, vanté par le WWF en Guyane française, expérimenté

au Suriname et qui fit l’objet d’un « workshop » en Madre de Dios68. Dans un mail, Kristina

                                                                                                               63 www.amichoco.org / www.greengold-oroverde.org 64 A l’époque de mes recherches il existait trois projets pilotes ARM au Pérou, aujourd’hui il en existe cinq. 65http://www.sdc.admin.ch/fr/Accueil/Projets/Gestion_de_l_environnement_dans_les_exploitations_minieres_artisanales_au_Perou 66 www.cleangold.com 67 www.artminers.org 68 http://www.artminers.org/artminers/Peru_March_2008.html (20 mai 2010)

25  

Shafer directrice d’Artminers, me fit savoir qu’il était préférable que je dirige mes recherches

vers d’autres technologie, eux-mêmes devant parfaire le processus Cleangold®.

Cristina Echavarria me met en contact avec Cesar Mosquera. Celui-ci est responsable du

secteur minier au sein de l’Organisation Internationale du Travail (ILO69) à Lima et il fut, de

2000 à 2005, en charge du Programme International d’Elimination du Travail des Enfants

(IPEC70) dans les mines en Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou. Il est coauteur, pour l’ONG

péruvienne Cooperaccion, d’une étude détaillée sur la question aurifère en Madre de Dios71.

Cesar Mosquera, qui fait lui aussi partie du Comité technique de ARM, venait de faire

parvenir un mail à Cristina pour l’informer de l’intérêt pour la technologie ECO 10072 mise au

point par l’ingénieur péruvien, Carlos Villachica.

Suite à ce mail, je décide de rencontrer Carlos Villachica, auprès de qui Cesar Mosquera

m’introduit. Nous convenons, Carlos et moi, de nous rencontrer à Lima mi-février, où

j’assisterai à une démonstration de sa technologie dans son laboratoire.

Puisque je déclare vouloir explorer la piste ECO 100 au Pérou, Cristina m’invite à participer à

une réunion nationale des associations de petits producteurs d’or péruviens, organisée par

ARM Pérou73. Une réunion qui se tient fin février à Chala, au Sud-Ouest du Pérou.

Lors de ce « meeting », d’une part je visite l’un des projets pilote de ARM (SOTRAMI) initié

par la DDC, d’autre part je rencontre Miguel Herrera qui sera mon principal « informateur »

en Madre de Dios. Miguel Herrera est le seul représentant de la « Selva »74 parmi la

cinquantaine de représentants d’associations d’orpailleurs. C’est Carlos Villachica qui lui a

demandé de me « prendre en charge » pendant ce « congrès ». Une tâche qui lui tiendra

toujours à cœur lorsque je serai installée à Puerto Maldonado, la capitale de Madre de Dios.

Nous avons vu que Veerle se réfère principalement, d’une part à ARM, d’autre part au GMP

dont elle est membre. Le GMP est un projet de l’UNIDO (United Nations Industrial

                                                                                                               69 International Labour Organisation 70 International Programme on the élimination of Child Labour 71 Mosquera et al. 2009 72 Villachica et al. 2009 73 www.mineriartesanalperu.pe / www.redsocial.pe 74 La partie du Pérou recouverte par la forêt amazonienne, environ 50% du territoire mais n’abritant que 10% de la population péruvienne.

26    

Development Organization) et du PNUE (Programme des Nations Unies pour

l’Environnement). Ce projet fut créé en 2002 pour aborder la problématique de la

contamination environnementale par le mercure dans la pratique de l’extraction aurifère non

industrielle. Les principaux objectifs du GMP sont d’introduire des technologies plus

« propres », d’initier les orpailleurs à ces technologies, de sensibiliser les gouvernements

régionaux et nationaux à la problématique.

Notons que Marcello Veiga, conseiller technique en chef du GMP, professeur du Département

d’Ingénierie minière à l’Université de British Columbia au Canada, fait là encore partie du

Comité technique de ARM. Lorsque Cristina Echavarria l’instruit de ma recherche, il me fait

parvenir la thèse de Shefa Siegel75 qu’il a dirigée. Cette thèse porte sur l’éthique politique

dans la réduction du mercure au sein des communautés de petits producteurs d’or. Dans son

travail, Shefa Siegel met en avant les réflexions de Hernando De Soto sur l’ « informalité » et

la « formalisation »76. La « formalisation » est un concept central dans le processus de

certification de l’ « or éthique » et dans les études77 sur l’extraction aurifère en Amérique

latine et plus particulièrement au Pérou et en Madre de Dios.

Il se trouve que Hernando De Soto est Péruvien. Né en 1941 au Pérou, économiste et chef

d’entreprise, il dirige à Lima l’Institut Liberté et Démocratie.

« L’Institut Liberté et Démocratie (ILD) est une organisation non gouvernementale fondée au

Pérou au début des années quatre-vingt ; il se consacre à l’étude de l‘informalité. Sa mission

est de développer les stratégies permettant une transition pacifique et soigneusement

réfléchies vers une économie de marché et une société démocratique stable. »78

Selon un article de la revue « Finance & Développement »79 Hernando de Soto « (…) figure

sur le carnet d’adresses de nombreux dirigeants. Il est encensé par la presse et financé par

des organismes de développement internationaux. ». Les travaux de l’ILD compteraient parmi

les plus influents en économie du développement. D’après l’auteur de l’article, De Soto serait

issu d’une famille de fonctionnaires internationaux. Son père avocat, aurait travaillé pour

                                                                                                               75 Siegel, 2007 76 De Soto, 2005 et 1994 77 Mosquera et al. 2009 et Romero et al. 2005 78 De Soto, 1994, p.229 79 Clift, 2003, p.8 (http://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/fre/2003/12/pdf/people.pdf)

27  

l’Organisation Internationale du Travail à Genève, et son frère serait (en 2003) Sous-

Secrétaire général aux Nations Unies.

De Soto par l’entremise notamment de l’ILD semble avoir eu une certaine influence sur la

politique péruvienne. Il mentionne en se référent au président Fujimori80 « Avant même sa

prise de fonction, le président élu était convaincu par les analyses et les recommandations de

l’ILD (…) ». De même, Fujimori aurait révélé que « (…) sa lecture de L’Autre Sentier81 lui

avait fait comprendre que les informels, le grand phénomène du nouveau Pérou que les partis

politiques traditionnels n’avaient pas su détecter, devaient constituer sa base sociale. »82

De même l’ILD aurait joué un rôle reconnu dans le processus de réinsertion du Pérou au sein

de la communauté internationale, en favorisant des rencontres entre le président du Pérou et

les dirigeants du Fonds Monétaire International, de la Banque mondiale et de la Banque

interaméricaine de développement.

En tous les cas, les réflexions de De Soto ne semblent pas étrangères aux auteurs péruviens

qui ont effectués les études sur l’extraction aurifère non industrielles, auxquelles je me

référerai abondamment. L’une d’entre elles, effectuée en 2005 s’intitule Formalización de la

MPE en America Latina y el Caribe, Análisis de experiencias en Perú83. Cette recherche est

réalisée par l’ONG péruvienne CooperAccion. Le rapport suivant84 (un développement de la

première étude mais focalisant sur Madre de Dios) auquel je me référerai abondamment, est

cosigné par César Mosquera qui, rappelons-le travaille pour l’Organisation Internationale du

Travail tout comme le père de Hernando de Soto.

Si je me rends en Madre de Dios, c’est parce que c’est là que Carlos Villachica veut

expérimenter sa technologie ECO 100 à taille réelle. Il y a mené ses recherches depuis

plusieurs années et y a déjà effectué quelques tests. Dans cette région, il est en relation avec

plusieurs petits producteurs d’or influents dont Miguel Herrera (que j’ai rencontré lors du

meeting organisé par ARM Pérou, à Chala).

                                                                                                               80 Président du Pérou de 1990 à 2000 (http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_du_Pérou#XXe.C2.A0si.C3.A8cle, 20 mai 2010) 81 De Soto, 1994 82 De Soto, 1994, p.224 83 Romero et al. 2005 84 Mosquera et al. 2009

28    

Miguel Herrerra est président de l’Asociación de Pequeños Productores Auríferos de Madre

de Dios (APPAMAMD). Selon l’ Estudio diagnostico de la actividad minera artesanal en

Madre de Dios85, constituée en 1985, l’APPAMAMD est l’une des organisations les plus

anciennes de la région. Elle s’est formée dans le but de représenter les producteurs aurifères

du département de Madre de Dios face aux autorités lors des débats autour d’un changement

de cadre légal en vue de promouvoir la formalisation de l’activité aurifère artisanale et à petite

échelle. L’APPMAMD a contribué à l’élaboration de la Loi 2765186, promulguée en janvier

2002.

Cette loi marque un tournant historique dans le domaine de l’extraction aurifère au Pérou.

Elle permit à de nombreux petits producteurs d’obtenir une reconnaissance légale. Les

démarches pour faire aboutir cette loi furent soutenues par Felix Hrushka du projet GAMA.

Cela explique-t-il pourquoi ce projet, alors qu’il avait été initié par l’APPMAMD, fut ensuite

également attribué à l’Asociación de Mineros Artesanales del Sur Medio y Centro del Perú

(AMASUC) ?

En effet, à un mail de ma part, dans lequel je m’interroge sur la non intervention de la DDC et

de ARM en Madre de Dios (une région écologiquement beaucoup plus riche que les Andes et

qui rassemble un plus grand nombre d’orpailleurs87), Felix Hruska me répond88 qu’intervenir

dans la « selva » créerait un précédent pour la DDC qui a restreint son cadre d’action à la

« sierra »89. Par ailleurs, ARM aurait choisi, au Pérou, dans un premier temps, de se limiter à

la poursuite des projets initiés par GAMA pour des raisons financières.

Ainsi Felix Hrushka a peut-être inclu AMASUC, association réunissant des orpailleurs de la

« sierra », pour légitimer son activité auprès de la DDC. Cela serait susceptible d’expliquer

les rivalités entre Miguel Herrera et Miguel Reinoso, président d’AMASUC. Les tensions

entre ces deux protagonistes étaient palpables lors du meeting à Chala que Miguel Reinoso

animait. Plus tard, Miguel Herrerra me dira déplorer que « toute la gloire revienne à

Reinoso » alors qu’il n’aurait en fait suivi que de très loin l’élaboration de la loi 27651.

Mentionnons que Miguel Reinoso fait partie du Comité technique d’ARM.                                                                                                                85 Mosquera et al. 2009 86 Ley No 27651 de Formalización y Promoción de la Pequeña Minería y la Minería Artesanal 87 Les trois projets pilotes ARM, anciennement GAMA rassemblent moins d’un millier de petits producteurs d’or alors qu’on en compte plus de 20'000 en Madre de Dios. 88 Mail reçu le 23 mai 2009 89 Les Andes

29  

Grâce à Miguel Herrera j’ai logé dans la maison la plus moderne de Puerto Maldonado, chez

Gottardo Huamani et sa femme Victoria Condori, l’un des plus ancien et plus riche orpailleur

de la région, fondateur de l’APPMAMD. Nous le verrons plus loin, le monde de l’extraction

aurifère en Madre de Dios, n’est pas exempt de tous danger. Est-ce parce qu’il a promis à mes

parents, en visite lors de mon installation en Madre de Dios, qu’il veillerait sur moi comme sa

fille, que rien ne m’est arrivé ? En tous cas, je lui suis reconnaissante pour la manière dont lui

et sa famille ont pris soin de moi.

L’APPMAMD me paraît regrouper les « petits producteurs » les plus puissants de la région.

En font partie, Aquiles Velasquez, qui fournira le sable aurifère pour les expérimentations de

ECO 100 et Hugo Miranda, élogieusement cité, tout comme Miguel Herrerra, par Artminers

dans leur compte90 rendu du workshop organisé en mars 2008 pour promouvoir la technologie

Cleangold®.

Lors des réunions pour préparer les démonstrations publiques d’ECO 100, je rencontre les

responsables de deux ONG présente en Madre de Dios : ACCA et AIDER-PERU.

C’est Cesar Moran Cahusac, directeur de ACA-PERU,91 qui a organisé notre expédition, pour

que nous puissions ensemble assister à la première démonstration de ECO 100, à environ une

heure de route de Puerto Maldonado. Depuis 1999, ACCA-PERU (Asociación par la

Conservación de la Cuenca Amazónica) conduit des programmes d’investigation, de

conservation et de gestion de la biodiversité dans le bassin amazonien. Ils contribuent à la

compréhension des écosystèmes, et à la gestion des ressources naturelles pour sa conservation

et son utilisation par la société. Cette ONG posséderait des ressources financières

relativement importantes, grâce notamment à leur collaboration avec ACA92 dont le siège est

à Washington DC.

 

L’objectif principal d’AIDER93 (Asociación para la Investigación y el Desarrolló Integral) est

de mettre en œuvre des projets de développement dans les zones marginales du Pérou. Ils

cherchent à améliorer la qualité de vie de population à faible revenu en région rurale, avec des

                                                                                                               90 http://www.artminers.org/artminers/Peru_March_2008.html 91 www.acca.org.pe 92 ACCA-PERU est une filiale de ACA (http://www.amazonconservation.org). Une autre filiale est également présente en Bolivie. 93 www.aider.com.pe

30    

propositions techniques de production visant à préserver et/ou à restaurer l'environnement et

la biodiversité. L’association est en charge des réserves naturelles de Madre de Dios depuis

janvier 2009. J’ai eu l’occasion de collaborer avec Jorge Torres, coordinateur de AIDER en

Madre de Dios. Nous souhaitions (si j’étais restée plus longtemps, or je suis partie

prématurément) développer un projet de joaillerie avec des femmes de l’association

d’orpailleurs APAYLOM et une jeune joaillère, Mirian Baez, avec qui je me suis liée

d’amitié.

Les membres d’APAYLOM (Asociación de Productores Agrarios y Lavadores de Oro del

Malinowski) sont venus nombreux à la première démonstration d’ECO 100. Ce sont par

ailleurs les seuls qui ont demandé à pouvoir s’entretenir par la suite avec Carlos Villachica.

Proches des réserves naturelles, menacés de se faire expulser, les membres d’APAYLOM ont

entrepris des démarches depuis 2005, pour chercher des alternatives plus respectueuses de

l’environnement dans leur activité aurifère. Après les démonstrations d’ECO 100, j’ai

rencontré deux de leurs délégués à trois reprises dans la perspective du projet joaillerie

susmentionné.

Les démonstrations ECO 100 n’ont pas vraiment convaincu semble-t-il. Est-ce lié au fait que

Carlos n’était pas prêt ? En effet, j’ai dû insister pour qu’il vienne depuis Lima en Madre de

Dios avant le départ de Gilles Labarthe qui ne restait que dix jours.

Gilles Labarthe, par le biais de Terre des Hommes, était principalement en relation avec deux

personnes en Madre de Dios : Oscar Guadalupe et le Padre Xavier Arbex, dont Gilles connaît

le neveu avec qui il a fait son école de journalisme.

Oscar Guadalupe est en charge, avec six collaborateurs, le foyer « La Casa de los Chicos »,

créé il y 18 ans par le Padre Xavier Arbex. La Casa de los Chicos accueille une trentaine de

jeunes par année, entre 12 et 19 ans, afin de leur permettre de se rendre à l’école de Mazuko,

unique école à plusieurs kilomètres à la ronde. Ce foyer est sous l’égide de l’association

Huarayo, soutenue par Terre des Hommes Genève.

Quelques jeunes du foyer, avec l’aide d’Oscar Guadalupe, ont créé Agrobosque, une

association de promotion de l’agroforesterie « soutenable ». Après son séjour en mai 2009 à

31  

Madre de Dios, Gilles Labarthe94 propose à Terre de Hommes et Veerle d’initier un projet

pilote d’extraction aurifère sans mercure sur la concession d’Agrobosque. Je précise que si

l’association est propriétaire du sous-sol et donc de l’or potentiel que ce sous-sol contient,

aucun des membres n’a d’expérience dans l’extraction aurifère.

Xavier Arbex, prêtre genevois, directeur de foyers en Suisse romande, travaille maintenant

depuis près de trente ans au Pérou. Il connaît Jean-Luc Pittet, directeur de Terre des Hommes,

depuis de nombreuses années. Après que le foyer « La Casa de los Chicos » ait été repris par

Terre des Hommes Genève, il fonda deux foyers à Puerto Maldonado, un pour les enfants et

l’autre pour les adolescents. Un écolodge, une librairie et un café (confectionnant des glaces

artisanales aux fruits de la « Selva »), servent à financer les deux foyers et fournissent un

emploi à un bon nombre de personnes. Gilles logea dans un des foyers durant son séjour. De

mon côté, je m’y suis rendue à plusieurs reprises dans les moments plus difficiles où le besoin

de parler français se faisait sentir. Après mon départ, Xavier a financé la mise en place d’un

atelier bijouterie avec mon amie bijoutière pour quelques jeunes du foyer. L’idée reste de

peut-être - le jour où nous aurons de l’or extrait sans mercure - développer un commerce de

joaillerie éthique, en associant éventuellement les femmes d’APAYLOM et l’ONG AIDER.

Xavier Arbex considère Cesar Ascora, directeur de Caritas Madre de Dios, comme son bras

droit. Il m’a semblé que parfois il pouvait y avoir des rivalités d’agenda politique entre

Caritas et Terre des Hommes. Il ne m’a jamais été fait part de l’étude sur l’extraction aurifère

en Madre de Dios, à laquelle Caritas participait lorsque j’étais sur place

C’est aussi poussée par mon besoin de repères culturels et de retraite dans un environnement

privilégié que j’ai entretenu une relation avec les propriétaires français de l’Ecolodge

Cortomaltes95. Comme la plupart des promoteurs de l’écotourisme dans la région, en conflit

avec les orpailleurs, ils sont à la recherche de solutions et ont assisté aux réunions concernant

ECO 100.

Après son étude de faisabilité, Terre des Hommes a financé plusieurs voyages de Gilles en

Madre de Dios pour développer ses recherches quant à la possibilité d’introduire une

alternative technologique au mercure. Ses recherches sont essentiellement techniques.                                                                                                                94 Labarthe, 2009 95 www.cortomaltes-amazonia.com  

32    

Hermann Wotruba, Professeur, Docteur et Ingénieur minier à l’Université de Aachen en

Allemagne, a plus de 15 ans d’expérience dans le domaine de l’extraction aurifère non

industrielle, dans le monde entier. Il fait lui aussi partie du Comité technique de ARM. Il me

confirmera qu’il n’existe actuellement pas d’alternative technologique plus rentable que le

mercure. Il s’est par ailleurs déjà rendu en Madre de Dios.

Lorsque Veerle a fondé Transparence SA elle pensait que son action se limiterait à la clientèle

potentielle d’or « éthique ». Elle n’avait pas imaginé qu’elle serait amenée à s’occuper du

développement de projets auprès d’orpailleurs. Ayant pris conscience de « la complexité de la

réalité sur le terrain » dit-elle, elle souhaite aujourd’hui créer, avec Assheton Carter vice-

président de l’ONG américaine PACT96, une fondation pour soutenir des projets de « petits »

producteurs d’or, selon des critères que ne sont pas ceux d’ARM et du GMP.

Relevons que le siège de PACT est à Washington DC et que Assheton Carter collabore

régulièrement avec ASM. Ainsi plusieurs articles publiés pour la conférence annuelle de

CASM au Mozambique sont signés par des membres de PACT. L’un deux est cosigné par

Asheton Carter et Veerle. N’oublions pas que CASM, d’une part se situe dans les mêmes

bâtiments que la Banque mondiale, d’autre part étend son intervention en Asie, Chine et

Afrique, alors que ARM intervient en Amérique du Sud.

                                                                                                               96 www.pactworld.org

33  

3.2  Les  groupes  stratégiques  cartographiés  au  sein  de  l’arène  des  acteurs  impliqués    

Pour Bruno Latour, « Dès qu’on souligne l’importance des sites locaux où sont élaborées les

structures dites globales, c’est toute la topographie du monde social qui s’en trouve modifiée.

« Macro » ne désigne plus un site plus large ou plus vaste dans lequel le niveau « micro »

serait enchâssé comme une poupée russe, mais un autre lieu, tout aussi local, tout aussi

« micro », (…). D’aucun site on en peut dire qu’il est « plus grand » qu’un autre, mais on a le

droit d’affirmer que certains bénéficient de connexion beaucoup plus fiables avec beaucoup

plus de sites. »97

La question devient donc, parmi le réseau, l’arène d’acteurs présentés au chapitre précédent,

« Quels sont les sites qui bénéficient de connexion plus fiables avec beaucoup plus de

sites ? »

Nous avons vu que Veerle van Wauwe, Jean-Luc Pittet, directeur de Terre des Hommes

Suisse et Gilles Labarthe, se sont rencontrés lors de manifestations organisées par

l’association Nice Future.

Veerle est « connectée » de diverses manières à ARM. D’une part, elle leur adresse des clients

(bijoutiers, petite industrie), d’autre part, elle commercialise les bijoux de Greg Valerio,

cofondateur de ARM et membre du Comité technique de l’association. Par ailleurs elle est se

rend aux réunions annuelles du GMP à Genève, dont le conseiller technique en chef, Marcello

Veiga est également membre du Comité technique de ARM.

ARM est un site central qui rassemble au sein de son Comité technique notamment, nous

venons de le voir, Marcello Veiga du GMP et Greg Valerio de Cred Jewellery, mais aussi

Felix Hrushka du projet Gama de la DDC, Hermann Wotruba, ingénieur allemand spécialisé

depuis plus de 15 ans dans la recherche d’alternatives technologiques au mercure. Font

également partie du Comité technique, Cesar Mosquera, responsable du secteur minier pour

l’OIT au Pérou, coauteur d’une étude sur l’extraction aurifère en Madre de Dios et Miguel

Reinoso président de l’association AMASUC. Ainsi, en comptant ma rencontre avec Cristina

Echavarria, coordinatrice de ARM, j’ai eu des contacts avec sept des quatorze membres du

                                                                                                               97 Latour, 2006, 2007, p.257

34    

Comité technique de ARM. Le Comité technique de ARM en Colombie établit des

connexion, par le biais de ces sept acteurs, entre sept pays : Les Etats-Unis, le Royaume-Uni,

la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, le Pérou, la Colombie. Il faut encore tenir compte du fait

que ARM est responsable d’équipes de projets, en plus de la Colombie et du Pérou, en

Bolivie et en Equateur. De même, Cristina Equavarria se rend à la plupart des réunions

internationales ayant trait au sujet de l’extraction aurifère non industrielle, telles que les

conférences annuelles de CASM, la Foire mondiale de l’horlogerie et de la bijouterie à Bâle,

etc.

Veerle participe aussi au Baselworld98. Elle entretient des relations avec des représentants de

grandes marques dans la joaillerie, dont Garavelli et Cartier. Elle a des contacts privilégiés

avec des personnes fréquentant régulièrement les réunions internationales sur le sujet de

l’activité aurifère, dont les conférences annuelles de CASM, et avec le vice président de

PACT qui collabore avec la Banque mondiale.

Terre des Hommes Suisse, et par conséquent Gilles Labarthe et Veerle, sont « connectés » à

Madre de Dios grâce à l’association Huarayo qu’ils soutiennent. Leur principal répondant

dans la région est Oscar Guadalupe directeur du foyer « La Casa de los Chicos » dont

l’association Huarayo est en charge. Ils échangent avec Xavier Arbex fondateur de plusieurs

projets, plusieurs foyers, dont « La Casa de los Chicos » créé il y a 18 ans. Actuellement,

Terre des Hommes Genève, Veerle et Gilles collaborent avec l’Agrobosque, un projet

soutenu, du moins à ses débuts, par Oscar Guadalupe.

En outre, Terre des Hommes Genève commercialise le café « écologique » produit par

l’association La Florida99, dont le responsable, Felix Marin, est directeur de Terre des

Hommes Pérou. C’est Félix Marin qui assure le lien entre Terre des Hommes Suisse et Oscar

Guadalupe en Madre de Dios.

Rappelons encore que l’étude de faisabilité « or propre » conduite par Terre des Hommes en

Madre de Dios est financée par la DDC. C’est un financement extraordinaire car normalement

Terre des Hommes Genève reçoit des « enveloppes » annuelles de la DDC.

                                                                                                               98 Salon mondial de l’horlogerie et de la bijouterie qui se déroule généralement en avril à Bâle (depuis 1917) (www.wikipedia.org/wiki/Baselworld, 3 août 2010) 99 www.lafloridaperu.com

35  

Pour ma part, j’ai eu des contacts directs en Suisse avec, bien entendu, Veerle puis avec

Gilles, Jean-Luc Pittet et Tanja Güggenbuhl (coordinatrice du projet de Terre des Hommes en

Madre de Dios).

En Colombie, j’ai interviewé Cristina Equavarria et Clara Hidron (responsable du projet

pilote d’ « or propre » dans le Choco en Colombie100). Puis j’ai eu des échanges d’email,

entre autres, avec Cesar Mosquera, Marcello Veiga, Felix Hruska, Hermann Wotruba,

Krisitina Shafer.

Au Pérou, je me suis entretenue avec une vingtaine de représentants d’associations de petits

producteurs d’or, notamment Miguel Reinoso qui animait la réunion à Chala. J’ai aussi

rencontré plusieurs responsables de ARM Pérou (Red Social) dont Olinda Orozco Zevallos.

J’ai eu un contact téléphonique avec Félix Marin. Enfin, j’ai visité l’entreprise de Carlos

Villachica avec qui j’ai partagé quelques repas à Lima puis à Puerto Maldonado.

En Madre de Dios, j’étais en relation avec Miguel Herrera (Président de l’association

APPMAMD) ; Gottardo Huamani et Victoria Condori chez qui je logeais ; Xavier Arbex et

son « bras droit » César Ascora (de Caritas - Madre de Dios) ; les directeurs de ACCA-PERU

et de AIDER Madre de Dios ; deux responsables de l’association APPAYLOM ; les

propriétaires de l’Ecolodge Cortomaltes et mon amie bijoutière Mirian Baez.

J’ai également pu discuter régulièrement avec plusieurs propriétaires de concessions minières

de la région, notamment Aquiles Velasquez et Hugo Miranda, ainsi qu’avec des représentants

des autorités locales, notamment de la Direction Régionale du Ministère de l’Energie et des

Mines (DREM101) avec qui Miguel Herrera m’emmenait boire des bières le dimanche.

Malheureusement je n’ai pas eu le loisir de me rendre souvent sur les concessions minières. Il

fut en effet difficile de trouver une personne autre que Miguel Herrera (et encore) qui soit

d’accord de m’y emmener. Je n’ai donc pas vraiment pu échanger avec des ouvriers,

employés par les propriétaires de concessions, ces derniers vivant dans les campements où il

est peu recommandé d’emmener des étrangers et encore moins une « Gringa ».

                                                                                                               100 Le projet qui fournit l’or « éthique » que Veerle van Wauwe achète à ARM. (www.amichoco.org) 101 www.minem.gob.pe

36    

En identifiant ainsi les connexions entre les sites, il me semble pouvoir mettre à jour des

« groupes stratégiques ». Quelques acteurs suisses se sont rencontrés lors de manifestations

organisées par l’association Nice future. ARM, avec notamment son « Comité technique » est

un site important qui « connecte » des acteurs internationaux. Terre des Hommes Genève,

dans le cadre du projet qui nous concerne, a des contacts avec ses collaborateurs au Pérou et

en Madre de Dios et avec la DDC en Suisse. De mon côté, en Madre de Dios, j’étais plus

proche des membres de l’association APPMAMD et des ONG locales. Bien sûr, puisqu’il

s’agit des « groupes stratégiques » rencontrés dans le cadre de mon étude, j’ai établi des liens,

tout comme Veerle initiatrice de la recherche, avec tous les acteurs présentés.

Une fois que les « groupes stratégiques » ont été identifiés, tant Oliver de Sardan que Bruno

Latour nous invitent à nous intéresser aux différentes logiques que suivent ces groupes.

Souvenons-nous que pour Olivier de Sardan il s’agit alors d’expliciter les représentations des

acteurs, à savoir « comment ils se représentent le développement en général, comment ils se

représentent un projet de développement en particulier, et comment enfin ils se représentent

les autres acteurs concernés »102 C’est à ces représentations que je souhaite consacrer les

chapitres suivants.

Nous envisagerons, dans une première partie, la manière dont la « configuration

développementiste », de manière générale, adhère à un paradigme modernisateur, à forte

connotation morale, comment elle reprend à son compte des conceptions évolutionnistes et

ethnocentristes.

Puis nous nous intéresserons au document qui semble fonder l’approche développementiste

depuis le Sommet de la Terre à Rio en 1992 : l’Agenda 21. Nous étudierons plus

spécifiquement les notions de « développement durable » et de « commerce équitable ».

Dans une troisième partie, nous aborderons, tout d’abord, la position des différents « groupes

stratégiques » par rapport à la recherche d’une alternative technologique au mercure. Ensuite,

nous développerons les dimensions relatives à l’« organisation sociale » telles que

l’appréhendent les acteurs soucieux de développer un commerce d’or équitable.

                                                                                                               102 Olivier de Sardan, 1993, p.4

37  

4.-­‐  Les  logiques  sur  lesquelles  se  fondent  les  actions  des  divers  groupes  stratégiques  

4.1  Les  connotations  «  évolutionnistes  »  et  «  ethnocentristes  »  de  l’aide  au  développement    Selon Olivier de Sardan103, une des caractéristiques principales de la configuration

développementiste est de faire circuler les mêmes procédures, les mêmes politiques, les

mêmes discours, les mêmes architectures institutionnelles, les mêmes cultures

professionnelles, les mêmes débats d’un bout à l’autre de la planète. Les représentations qui

ont cours dans la configuration développementiste sont pour une bonne part standardisées. On

peut donc tenter d’en analyser quelques invariants.

« Deux paradigmes semblent légitimer l’ensemble des pratiques professionnelles des

« développeurs », quelles que soient leurs orientations idéologiques, morales ou politiques :

(a) Le développement a pour objet le bien des autres (paradigme altruiste). D’où il

découle que le développement a une forte connotation morale.

(b) Le développement implique progrès technique et économique (paradigme

modernisateur). D’où il découle que le développement a une forte connotation

« évolutionniste et techniciste. » »104

Il ne s’agit pas ici de critiquer ces positions mais d’attirer l’attention sur les points aveugles

du système de valeurs caractéristiques de la « culture du développement » telle que la

perçoivent et la mettent en action les opérateurs de développement. Pour Jean-Pierre Jacob et

Philippe Lavigne Delville, « (…) la professionnalisation des métiers du développement

caractéristique de la seconde moitié de ce siècle (…) a contribué paradoxalement à

renforcer, par une sous-culture d’organisation ou professionnelle, les valeurs que la culture

occidentale dominante associe à la notion de développement. »105 En rendant compte de ces

dispositions largement inconscientes Jacob et Lavigne Delville souhaitent contribuer à doter

la profession d’un garde-fou.

                                                                                                               103 Olivier de Sardan, 1995, p.59 104 Olivier de Sardan, 1995, p.58 105 Jacob et Lavigne Delville, 1994, p.30

38    

Attardons-nous quelques instants sur cette dimension évolutionniste. Le terme même de

« développement » est connoté d’évolutionnisme. Une notion familière à l’anthropologie

puisque elle est au fondement de la discipline. En effet, le projet de l’anthropologie, au 19e

siècle était de retracer les différents stades de l’histoire humaine. D’après James Ferguson106,

trois principes étaient au cœur de ce projet. Tout d’abord, chaque société était perçue comme

autonome, évoluant à son propre rythme. Deuxièmement, on pensait que toutes les sociétés se

dirigeaient vers la même « destination ». Enfin, les différences entre société étaient attribuées

à leur niveau respectif de développement. Si des sociétés se distinguaient des standards

occidentaux, cela ne s’expliquait que par le fait qu’ils n’avaient pas encore atteint le degré de

développement supérieur qu’avait atteint l’Occident. Cette représentation de l’histoire et des

différences humaines a façonné non seulement l’anthropologie mais, dans une certaine

mesure, le monde dans son ensemble.

Ces idées ont ensuite été relativisées, voire récusées. Comment pouvait-on prétendre que

certaines sociétés étaient supérieures à d’autres ? Si académiquement, du moins en

anthropologie, ces conceptions ne sont plus défendables, n’habitent-elles pas, aujourd’hui

encore, tout un chacun et notamment la communauté développementiste ? Il faut pourtant

souligner deux différences. Avec la globalisation, on n’imagine plus que les sociétés évoluent

indépendamment les unes des autres. Par ailleurs, l’évolution n’est plus laissée aux mains de

l’ « Intelligence Suprême », elle est l’affaire des « experts » du développement.

La dimension évolutionniste, je l’ai trouvée particulièrement présente dans mes premiers

échanges avec Veerle, lorsque cette dernière insistait sur la nécessité d’aller « éduquer les

petits producteurs d’or ». Cette préoccupation éducative sous-tend aussi largement les

campagnes de « sensibilisation à la contamination par le mercure » promue par le GMP107, à

grand renfort d’émissions radio, de pièces de théâtre pédagogiques, de distribution de t-shirt

aux slogans instructeurs.

D’après Benedetta Rossi108, la « sensibilisation » est un trait saillant des pratiques de

développement. Elle reviendrait à faire accepter aux bénéficiaires les changements proposés

par les « développeurs », à créer une demande pour les biens et services que le projet, dont les

                                                                                                               106 Ferguson, 1997, p.154 107 Veiga & Chouinard, 2008 108 Rossi, 2007, p.27-28

39  

développeurs sont en charges, est apte à apporter. Pour Bierschenk109, les processus de

« sensibilisation » ont pour rôle de convaincre les « groupes cibles » que cela vaut la peine de

se mobiliser pour remplir les tâches qui leur ont été attribuées en amont par des « experts » du

développement. En fait, selon Rossi, le principal rôle des agents de terrain en charge de ces

programmes d’éducation, de sensibilisation, est de « réformer la manière de penser » des

bénéficiaires qui serait enfermés dans une « mentalité différente ». Pour Mosse110, cette

manière paternaliste d’envisager les choses mine les objectifs que se donnent également la

plupart des programmes de développement : La capacité des bénéficiaires à s’autogérer.

Malgré les efforts déployés par le GMP et bien d’autres, l’impact des campagnes de

sensibilisation à la contamination par le mercure reste bien faible. Comme pour de nombreux

projets, ces campagnes n’atteignent pas leurs objectifs.

Face à de ces « échecs », fréquents dans le monde du développement, Olivier de Sardan

constate le recours presque systématique des « développeurs » à de « fausses explications »

de type évolutionnistes, ethnocentristes, telles que « ils sont retardés », ou encore « c’est leur

culture qui veut ça ». Selon lui, « Ces « fausses explications » légitiment trop souvent la

routinisation des pratiques des opérateurs de développement, leur démission face à des

réalités trop complexes pour eux, leur étrange persévérance dans l’erreur, ou leurs attitudes

faiblement innovatrices et adaptatives. »111

Pour De Sardan, « Les gens n’agissent pas comme on s’attend à ce qu’ils le fassent parce que

les attentes qu’on a à leur égard sont fausses (…). Les gens n’agissent pas comme on s’attend

à ce qu’ils le fassent parce qu’ils ont de bonnes raisons pour cela. »112 Seulement la

compréhension des « bonnes raisons » pour lesquelles les gens n’agissent pas comme on s’y

attend ne surgit pas « spontanément » et ne relève pas de l’intuition. Il faut « chercher » ces

« bonnes raisons » par l’enquête, et comme le souligne l’auteur, « (…) par une enquête

appropriée, autrement dit l’enquête socio-anthropologique. »113

                                                                                                               109 Bierschenk, 1988, p.155 110 Mosse, 2005, p.21 111 Olivier de Sardan, 1995, p. 55-56 112 Olivier de Sardan, 1995, p. 56 113 Olivier de Sardan, 1995, p.140

40    

Toute « résistance » à une innovation aurait sa cohérence, qu’elle soit d’ordre « stratégique »

ou « représentationnelle ». Cela ne signifie pas qu’il faut mythifier les comportements

populaires, mais admettre qu’ils peuvent s’expliquer, se comprendre. Pour De Sardan

toujours, la maîtrise de ce type de compréhension - explication devrait être un objectif central

de toute institution de développement. Car seule cette explication « de l’intérieur », pourrait

fournir le moyen de surmonter ces « résistances » et de dépasser une perspective

évolutionniste, ethnocentriste.

Nous retrouvons cette perspective évolutionniste, ethnocentriste, dans l’idée générale de

« progrès économique », de « réduction de la pauvreté ». Un objectif de premier ordre, ne

l’oublions pas, pour CASM mais aussi inhérent à la promotion du commerce équitable dans

laquelle semble s’inscrire tant Veerle que Terre des Hommes et ARM.

Selon Laurence Fontaine, ni la faiblesse des disponibilités monétaires ni la réduction de la vie

ordinaire à la seule survie biologique ne peuvent à eux deux définir la pauvreté. « La

pauvreté, quoi qu’il en paraisse, n’est pas unidimensionnelle : elle peut être absolue comme

relative »114. C’est un phénomène socialement construit. Cependant, cette pauvreté subjective

aurait pris aujourd’hui une dimension planétaire avec la globalisation des média et la

circulation des biens et des êtres. Ainsi, l’inégalité globale entre pays riches et pays pauvres,

dont tous les habitants des pays « en développement » ont conscience, aurait fini par définir la

pauvreté sur un plan unidimensionnel.

Pour De Neve et al.115 le commerce équitable est fortement connoté moralement. Les valeurs

modernes et néolibérales, telles que « les droits de l’homme », la « transparence »,

l’ « efficacité », l’ « objectivité » et la « rationalité » justifient l’intervention et le contrôle des

Occidentaux sur la production des pays « en voie de développement ». Pourtant, ces valeurs

ne tiennent pas compte des différences géographiques, culturelles ainsi que de la partialité des

industries. En référence à ces valeurs, les producteurs des pays « en voie de développement »

sont considérés comme des personnes de droits. Cependant, ce cadre éthique les positionne

également comme « trop faibles » pour atteindre ces droits sans l’intervention extérieure d’

« agents moraux ».

                                                                                                               114 Fontaine, 2008, p.310 115 Dolan 2008, p. 283-289

41  

Ainsi, bien que les standards du commerce équitable soient considérés comme éthiques, ils

servent un mécanisme par le biais duquel des intérêts occidentaux sont naturalisés. Ce sont les

Occidentaux qui tout à la fois définissent et appliquent la justice internationale. Dès lors une

préoccupation importante devrait être de chercher à identifier qui détermine les accords

propres au commerce équitable, sur la base de quels besoins, définis par quelle conception de

la réalité. Ce que nous allons tenter de faire dans les chapitres suivants.

Selon David Mosse116, une des raisons de l’uniformisation des discours et des interventions

viendrait du fait que les politiques globales de développement seraient produites par un

« village politique », une « communauté épistémique », par un réseau relativement petit et

intriqué d’experts. Dans la plupart des cas, tous se réfèrent aux mêmes documents

significatifs.

Un de ces documents auquel tous les acteurs du développement, et notamment ceux du réseau

qui nous concerne, se réfèrent implicitement ou explicitement semble être l’Agenda21117,

établi en 1992, lors de la Conférence des Nations Unies à Rio de Janeiro.

L’élaboration de l’Agenda 21 serait à l’origine de la prolifération des concepts de

« développement durable » et de « commerce équitable ».

 

                                                                                                               116 Mosse, 2007, p.6 117 La Conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement s’est tenue à Rio de Janeiro au Brésil du 3 au 14 juin 1992, réunissant 110 chefs d'Etats et de gouvernements et 178 pays. La Conférence a notamment été l'occasion d'adopter un programme d'action pour le xxie siècle, appelé Action 21 (Agenda 21 en anglais), qui énumère quelques 2 500 recommandations concernant la mise en œuvre concrète des principes de la déclaration. Il prend en compte les problématiques liées à la santé, au logement, à la pollution de l’air, à la gestion des mers, des forêts et des montagnes, à la désertification, à la gestion des ressources en eau et de l’assainissement, à la gestion de l’agriculture, à la gestion des déchets. Aujourd’hui encore, le programme Action 21 reste la référence pour la mise en œuvre du développement durable au niveau des territoires. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sommet_de_la_Terre_1992, 2 avril 2010)

42    

4.2  La  notion  de  «  commerce  équitable  »  promue  par  l’Agenda  21  pour  un  «  développement  durable  »  appliquée  à  l’extraction  aurifère  non  industrielle      Pour Jilles van Gastel et Monique Nuijten118, les « communautés épistémiques » choisissent

des concepts suffisamment vagues pour faciliter les négociations. Ces concepts ne sont pas

formulés dans un but pragmatique de résolution de problèmes mais doivent plutôt jouer un

rôle « fédérateur ». D’après ces auteurs, si les concepts étaient définis trop précisément ils

auraient plus de difficulté à mobiliser les acteurs et les institutions autour de nouveaux

agendas. Avec un raisonnement semblable Biershenck119 relève que ces concepts aux

dimensions politiques et symboliques s’adressent principalement aux bailleurs potentiels. Le

discours du développement a pour objectif plutôt de convaincre que d’informer et d’analyser.

Or, comme nous le signale Olivier de Sardan, « (…) les différences ou contradictions entre

institutions et acteurs de la configuration développementiste ne doivent pas être sous-estimées

(…) »120 même si cette variété de postures, de politiques, de dispositifs s’expriment aussi de

façon cosmopolite, sans ancrage local spécifique, sur un mode transversal. Voyons donc ce

que nous apprennent les concepts de « développement durable » et de « commerce

équitable ».

 C’est en 1992, à l’occasion du « Sommet de la Terre » de Rio au cours duquel l’Agenda 21

fut élaboré, que l’usage du concept de “sustainable development” (soit développement

durable ou, selon les traductions : soutenable, ou encore viable) fut en quelque sorte

officialisé. En 1983, l’Assemblée générale des Nation Unies avait posé la question à Gro

Harlem Brundtland, président d’une Commission mondiale sur l’environnement et le

développement, composée de spécialistes et d’anciens hauts fonctionnaires de l’ONU

« Comment renouer avec la croissance de façon à faire reculer les inégalités et la pauvreté

sans détériorer l’environnement légué aux générations futures ? »121. La réponse tenait en

deux mots : « Développement durable ». Depuis, la formule a connu un succès sans

précédent. Les organisations internationales l’adoptèrent sur le champ, de même que les

consultants et les développeurs en quête de financements internationaux

                                                                                                               118 Van Gastel & Nuijten, 2005, p.101 119 Bierschenk, 1988, p.152 120 Olivier de Sardan, 2003, p.91 121 Allemand, 1999, p.13

43  

L’acceptation communément admise du développement durable repose sur la convergence

des objectifs sociaux, environnementaux et démocratiques. Selon le « principe 1 » de la

déclaration de Rio, « les être humains sont au centre des préoccupations relatives au

développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la

nature » C’est dire qu’un développement durable ne peut pas reposer sur des relations

injustes, pas plus que des relations équitables ne peuvent reposer sur un développement qui

ne respecte pas l’environnement et les droits des générations futures. »122

Bien qu’elle ait été élaborée dans le cadre de grandes organisations internationales, la notion

de développement durable n’a pas laissé indifférente la communauté scientifique. Plusieurs

auteurs n’ont pas manqué d’exprimer leurs doutes quant à la pertinence de la notion de

développement durable. Pour l’anthropologue Gilbert Rist123, le développement durable

participe d’une croyance. La définition qu’en donne le rapport « présuppose l’existence d’un

sujet collectif (le « genre humain ») doué de réflexion et de volonté mais qu’il est impossible

d’identifier clairement. » Même constat pour la notion de besoin. « On prétend que « le

présent » a des « besoins » auxquels il faut répondre sans empêcher les générations suivantes

de satisfaire les leurs. Mais comment identifier ces fameux « besoins » ? ».124 Les Etats

industrialisés ne composent pas un groupe homogène « (…) et leurs intérêts respectifs sont

loin de s’accorder avec ceux des Etats en développement, eux-mêmes tout aussi diversifiés

dans leur position que les précédents (…) »125

Par ailleurs comme le relève Pierre Lascoume, « (…) l’écologie politique s’est construite sur

la critique d’un mode de développement technologique. L’originalité des précurseurs, tel J.

Ellul, a été de considérer dès les années 1970 les développements capitaliste et communiste

comme relevant du même modèle maximisant les investissements scientifico-techniques en

ignorant délibérément les externalités qu’ils génèrent, en particulier celles conduisant à des

atteintes majeures au cadre de vie naturel. De plus, pendant longtemps l’économie

considérait que les contraintes environnementales étaient contraires à sa logique de

maximalisation de la production et des échanges, que les politiques environnementales

généraient des coûts disproportionnés incompatibles avec le dynamisme industriel. Alors par

                                                                                                               122 Johnson, 2003, p.74 123 Rist, 1996 124 Allemand, 1999, p.15 125 Lascoume, 2002, p.254

44    

quel coup de baguette magique ces deux approches antagoniste se seraient-elles

réconciliées ? »126 Pour Lacoume le concept de « développement durable » est un « mythe

pacificateur » qui ne constitue pas un cadre cohérent pour l’action.

Sans aller plus loin dans le débat, relevons que le « développement durable » est au cœur de

manifestations organisées par l’association Nice Future. Or, c’est lors d’une de ces

manifestations que j’ai rencontré Veerle et Gilles Labarthe pour la première fois. De même,

c’est par l’entremise de la fondatrice de Nice Future, Barbara Steudler, que Veerle a rencontré

Jean-Luc Pittet, directeur de Terre des Hommes Suisse.

Pierre Johnson nous informe que le chapitre 2 de la section 1 de l’Agenda 21traite de la

« coopération internationale visant à accélérer un développement durable dans les pays en

développement ». Selon la première section de ce chapitre - intitulé « Promouvoir un

développement durable par le commerce » - « un système commercial multilatéral ouvert,

équitable, sûr, non discriminatoire, prévisible, compatible avec les objectifs du

développement durable et conduisant à une répartition optimale de la production mondiale

selon les principes de l’avantage comparatif est (serait) bénéfique pour tous les partenaires

commerciaux. De plus un meilleur accès des exportations des pays en développement aux

marchés des pays développés, allant de pair avec des politiques macro-économiques et

environnementales rationnelles, aurait sur l’environnement une incidence bénéfique et

apporterait de ce fait une contribution importante au développement durable ». »127

Nous pourrions dire que les différents acteurs qui font l’objet de cette étude ont comme

objectif commun la première section du chapitre deux de l’Agenda 21, soit de promouvoir un

développement durable par le commerce équitable d’un or « éthique » extrait non

industriellement.

En effet, Veerle a fondé Transparence SA dans le but de « (…) proposer des bijoux de luxe,

tracés de la mine au consommateur, soit 100% équitables, mariant ainsi esthétique et

éthique.  »128 Sur le site internet de Transparence SA, elle déclare adhérer aux principes du

Responsible Jewellery Council (RJC) dont elle est membre depuis août 2007. Le RJC, dans le

                                                                                                               126 Lascoume, 2002, p.253 127 Johnson, 2003, p.73 128 http://head.hesge.ch/spip.php?article841#IMG/jpg/LAC_FINAL_web-9.jpg (3 avril 2010)

45  

chapitre sur l’extraction aurifère non industrielle de son « Standards Guidance » se réfère

explicitement aux standards proposés par ARM. Par ailleurs, Terre des Hommes Genève a

obtenu un financement exceptionnel de la DDC parce qu’ils collaboraient, dans leur projet

« or propre » en Madre de Dios, avec un entrepreneur commercial, Transparence SA. Si Jean-

Luc Pittet intervient personnellement dans ce projet c’est parce qu’il connaît bien le Pérou et

l’expérience de commerce équitable avec l’association La Florida. Une expérience qu’il prend

comme modèle pour le projet « or propre ».

En outre la majorité des acteurs présentés dans ce mémoire, considérés comme des personnes

de référence sur le sujet de l’extraction aurifère non industrielle, font partie du Comité

technique de ARM. Or le Comité technique de ARM, constitué en 2006, est chargé de rédiger

des normes et critères pour le Commerce Equitable de l’or extrait non industriellement. Des

standards qui, s’ils sont respectés par les producteurs d’or non industriel, doivent leur

permettre d’être certifié et d’accéder à un marché « équitable ». Le travail de Comité

technique est régulièrement soumis et discuté avec des représentants de « Fair Trade

Labelling Organization” (FLO)129

FLO gère « (…) des registres internationaux de producteurs du Sud et des registres

d’importateurs agréés au Nord, et favorisent leur mise en contact. [FLO établit] des critères

par produit que chacun des partenaires s’engage à respecter. En échange du respect du

cahier des charges et du paiement d’une redevance, les importateurs peuvent apposer sur

leurs produits le label « équitable ». Cette formule permet au consommateur de trouver des

produits répondant à d’exigeants critères environnementaux et sociaux dans ses lieux d’achat

habituels. »130

Un certain nombre de critères caractérisent le « commerce équitable ». Parmi ceux-ci l’un

deux était particulièrement mis en avant lors de la réunion organisée à Chala par ARM Pérou :

l’achat direct aux petits producteurs, généralement organisés sur une base collective doit

permettre d’éviter la spéculation provenant des intermédiaires.

                                                                                                               129 FLO crée en 1997, rassemble les trois organisations de labellisation de référence antérieurement : “Max Havelar”, “Fair Trade Mark” et “Transfair”  (Schümperli Younossian, 1998, p.159)  130 Schümperli Younossian, 1998, p.157

46    

Pourtant, selon les auteurs de l’ Estudio diagnostico de la actividad minera artesanal en

Madre de Dios131, le commerçant (l’intermédiaire) est le meilleur allié stratégique de

l’orpailleur cherchant à s’intégrer dans l’activité aurifère en Madre de Dios. Les

intermédiaires contribuent au développement de l’activité minière dans la région en effectuant

continuellement des prêts aux orpailleurs, en leur facilitant l’accès aux équipements

nécessaires. Il est très rare de rencontrer un commerçant qui ne finance pas une opération

minière.

Cet état de fait ne semble pas spécifique à Madre de Dios, comme le relève des collaborateurs

de Pact au bénéfice d’une expérience dans plusieurs pays, dans un article publié pour la

conférence annuelle de CASM132, vouloir éliminer les intermédiaires, est une idée qui ne tient

pas compte de la complexité de la situation dans laquelle se trouve les orpailleurs. La plupart

du temps, ces derniers ne peuvent pas quitter leur lieu de travail pour s’en aller chercher « le

meilleur prix ». De plus les commerçants ne se contentent généralement pas d’acheter l’or aux

producteurs, ils leur fournissent également de la nourriture, du matériel de base, ils leur font

crédit dans les périodes difficiles, etc. Ainsi, la plupart des orpailleurs ne souhaitent pas

perdre leur relation privilégiée avec un intermédiaire.

Mentionnons encore que les auteurs du même article soulignent que le commerce équitable

potentiel de l’or ne représenterait que « la pointe de l’iceberg » de ce marché. Si le commerce

équitable est en pleine expansion en Europe, et dans une moindre mesure aux Etats Unis, il ne

s’agit là que d’une faible part du marché. La plupart de l’or serait écoulé en Inde, en Chine, au

Moyen-Orient, en Turquie, dans d’autres pays d’Asie et en Russie. En réalité, selon des

analyses du groupe GFMS133 basé à Londres, les ventes d’or « éthique » ne pourraient

représenter que 1% du commerce d’or mondial134.

                                                                                                               131 Mosquera et al. 2009 132 Carter et al. 2009, p.32 133 http://www.gfms.co.uk/ 134 Carter et al. 2009, p.33

47  

4.3  L’accent  mis  par  la  communauté  internationale  sur  la  recherche  d’une  alternative  au  mercure  tend  à  relativiser  les  préoccupations  des  orpailleurs  concernés  

Selon ARM un des premiers défis du Comité Technique, constitué en 2006, fut de statuer sur

les caractéristiques de l’or certifiable : « L’or devait-il être produit sans produits chimiques

(comparables aux produits « bio »), ou devait-il être commercialisé de manière équitable

dans le but d’une amélioration progressive des conditions de production ?»135

L’extraction aurifère serait la plus grande source anthropogénique de contamination de

l’environnement par le mercure, soit l’équivalent de 1000 tonnes par année136. Pour récupérer

l’or du sable aurifère, les orpailleurs procèdent par amalgamation. L’amalgamation consiste à

mélanger le sable aurifère avec du mercure : de par leur densité similaire, l’or vient se « coller

au mercure » ce qui le sépare du reste du « sable ». Une fois ce processus effectué,

l’amalgame est porté à fusion pour séparer l’or du mercure. L’inhalation des vapeurs de

mercure lorsque l’amalgame est porté à fusion comporte des grands risques pour la santé. Par

ailleurs, les vapeurs de mercure se propagent rapidement sur des kilomètres. Dans la nature, le

mercure est transformé par les bactéries et/ou les microorganismes en méthylmercure, sa

forme la plus toxique. Le méthylmercure s’accumule et se concentre surtout dans la chaine

alimentaire aquatique, principalement par le biais des poissons. Or un régime très riche en

poisson137 peut amener à consommer jusqu’à 300 mg de mercure par jour. Dans l’épisode de

Minamata au Japon138, en 1953, cette teneur en mercure engendra la mort de 45 pêcheurs et

généra de graves problèmes de santé pour un grand nombre de personnes, également dans les

générations suivantes.

Il s’agit donc d’une problématique importante pour qui souhaite, dans le cadre du commerce

équitable, promouvoir des « politiques environnementales rationnelles ». Soulignons toutefois

que d’autres impacts de l’extraction aurifère non industrielle sur l’environnement ne sont pour

ainsi dire jamais mentionnés dans les débats entre les acteurs susmentionnés. Ainsi, la

déforestation, la dégradation des sols, l’obstruction des rivières, la détérioration des eaux

                                                                                                               135 ARM, 2009, p.1 136 UNIDO, 2007 137 Ce qui est le cas de la plupart des habitants de Madre de Dios 138 Il s’agit de l’événement qui aurait fait prendre conscience de la toxicité du mercure à la Communauté Internationale

48    

superficielles, la contamination par hydrocarbure, la consommation de pétrole, etc.139, que j’ai

pu constater en Madre de Dios, ne font, à ma connaissance, pas partie des préoccupations

majeures des « groupes stratégiques » dont il est question.

Le PNUE/UNEP140 traite, d’une part les problématiques liées au mercure par le biais de

l’UNEP Global Mercury Partnership, et d’autre part soutient les négociations internationales

sur le cadre légal relatif au mercure.141A ce sujet, le 20 février 2009, à Nairobi (Kenya), lors

de la 25e session du Conseil du PNUE, les plus de 140 pays participants ont adopté le

principe d'un traité international visant à limiter l'utilisation du mercure142. C’est notamment

en prévision de cette interdiction de production et de commercialisation du mercure143

(prévue approximativement pour 2017) que le GMP est en charge de trouver des alternatives

technologiques, afin de ne pas pénaliser outre mesure les pays « en voie de développement ».  

Ainsi, il est stipulé, par exemple dans le rapport UNIDO Programme for Making Intervention

Work in Artisanal and Small-Scale Gold Mining Communities : A Strategy and Proposal for

the Global Mercury Project que de 2002144 à 2007 “the GMP has worked with governments,

non- governmental organisations (NGO’s), industry, and community stakeholders to remove

existing barriers that prevent the introduction of cleaner artisanal gold mining extractive

technologies.”145

Le GMP a initialement développé des projets au Brésil, au Soudan, en Tanzanie, en Indonésie

et au Laos. Par la suite, d’autres recherches ont été menées en Guyane, au Venezuela, en

Guinée, au Ghana, Mozambique, Suriname, Philippines et Zimbabwe. Bien que lors de

conférences internationales et dans certains comptes-rendus, le GMP relève le manque de

données microéconomiques pour l’introduction de technologies « plus propres » au sein des

communautés d’orpailleurs employant le mercure, les rapports que le GMP produit sont

essentiellement techniques146.

                                                                                                               139 Mosquera et al. 2009 140 Programme des Nations Unies pour le l’Environnement/United Nations Environnement Programme 141 http://www.chem.unep.ch/mercury/default.htm 142 Caramel, 2009 143 International trade law that may be relevant to the future mercury instrument, including provisions on trade set our in selected conventions, June 2009 144 Date de la création du GMP 145 UNIDO, 2007 146 http://www.globalmercuryproject.org/documents/documents.htm

49  

En outre, puisque l’objectif stipulé du GMP est « d’éliminer les barrières à l’introduction de

technologies « plus propres » », il me paraît important de mentionner que, comme Hermann

Wotruba me l’a confirmé dans un mail et comme ARM semble en avoir conscience, il

n’existe pas d’alternative technologique qui soit plus rentable que l’usage du mercure. En fait,

à l’heure actuelle, le GMP préconise la récupération du mercure à l’aide de « retorts ».

Les « retorts » sont des récipients de forme sphérique avec deux couvercles enchâssé. Un

tube, par lequel les gaz sont refoulés, passe par une cavité où circule de l’eau afin que le

mercure se condense. A l’extrémité inférieure de ce tube, là où sort le mercure (à l’état

liquide), doit se trouver un récipient d’eau.

Veerle, dans l’optique d’investissements importants afin de commercialiser des bijoux

« éthique », se soucie, on le comprend des développements législatifs futurs concernant le

mercure. Par ailleurs, plus tard, elle m’expliquera que le mercure est un argument de vente

fondamental dans la promotion de bijoux en « or propre ». Selon elle, beaucoup de

dimensions sur lesquelles s’appuient les discours de promotion du commerce équitable sont

sujettes à controverses. Par contre, elle n’aurait jamais rencontré quelqu’un qui n’adhère pas

au fait qu’il soit légitime de vouloir éliminer le mercure dans la production de l’or. Ainsi, la

recherche d’une alternative technologique au mercure qui soit rentable était, et est toujours

dans une certaine mesure, une priorité pour elle.

Le fait que tous les projets pilotes d’ARM, hormis celui du Choco, emploient des produits

toxiques pour l’amalgamation de l’or, nous amène à examiner la position de ARM par rapport

au mercure.

Dans un communiqué, ARM nous fait part des arguments face auxquels le Comité Technique

a dû se positionner. D’une part, il semble que l’or sans mercure soit susceptible d’un « accueil

chaleureux » sur le marché, d’autre part l’amalgamation semble être « la meilleure technique

disponible »147 pour traiter le minerai aurifère. Les techniques sans mercure ni cyanure

auraient « (…) un rendement inférieur de récupération de l’or (et en conséquence générant

des revenus inférieurs pour les mineurs artisanaux les plus défavorisés) (…) »148 En fin de

comptes, le Comité Technique a fait le choix de rester « du côté des plus pauvres » et « (…)

de ne pas exclure les mineurs artisanaux qui n’ont pas d’autres alternative que d’utiliser                                                                                                                147 ARM, 2009, p.2 148 ARM, 2009, p.4

50    

l’amalgamation »149. Cependant, ARM récompense par une « prime écologique » les

producteurs qui n’emploient pas de produits toxiques. En outre, il est stipulé, dans le même

communiqué, que ARM « (…) soutient toues les initiatives internationales visant la réduction

de l’utilisation et de la pollution du mercure. »150

En Madre de Dios, je n’ai pas rencontré un seul orpailleur qui croie aux effets négatifs du

mercure. Pour ces producteurs d’or, il s’agit de propagande de la part de l’Etat, des

journalistes, des écologistes, des personnes souhaitant développer l’écotourisme dans la

région, pour favoriser leurs intérêts propres et nuire aux orpailleurs. Par ailleurs, je conçois

que le mercure ne soit pas la priorité des orpailleurs au vu de leurs préoccupations

quotidiennes.

Outre les impacts environnementaux négatifs mentionnés plus haut, l’extraction aurifère en

Madre de Dios cristallise des difficultés que je qualifie de « socioculturelles ». La population

de Madre de Dios a connu ces dernières décennies une croissance spectaculaire. Ainsi des

campements de mineurs, se transformant peu à peu en village sans planification, sont en proie

à divers problèmes tels que l’insalubrité (non évacuation des eaux sales, des détritus), le non

accès à l’eau potable et à l’électricité. L’insalubrité est souvent corrélée avec la présence de

diverses maladies telles que la leishmaniose, la malaria, le typhus, le tétanos.

Cette croissance de la population est induite par l’immigration massive d’orpailleurs, pour la

plupart de jeunes hommes, provenant de différentes régions du Pérou, du Brésil et de Bolivie,

cherchant à fuir la précarité. Pour le Padre Arbex, cette immigration massive engendrerait des

conflits culturels, une acculturation.

Gagnés par la fièvre de l’or les orpailleurs travaillent jours et nuits (deux tournus de 7 à 8h par

jour/nuit). Si le propriétaire de la concession minière tente de leur imposer un rythme de

travail moins soutenu, les travailleurs, craignant de ne pouvoir gagner assez, changent de

« patron ». Lors des seules pauses qu’ils s’accordent, comme pour compenser la pénibilité de

leur situation (selon plusieurs informateurs), les ouvriers dépensent leur argent « dans les bars

                                                                                                               149 ARM, 2009, p.3 150 ARM, 2009, p.1

51  

et auprès des filles »151. Ainsi, ils n’atteignent pour ainsi dire jamais leur objectif : s’enrichir

et repartir au plus vite.

Selon certains rapports, la majorité des filles en Madre de Dios sont mères célibataires avant

16 ans. Pour Victoria, la femme chez qui j’ai logé, les parents contraints de travailler loin des

villes mais souhaitant que leurs enfants soient scolarisés, laissent ces derniers, dès l’âge de 7

ans, se débrouiller seuls. Une personne s’occupe généralement d’accueillir plusieurs enfants

pour les repas. Victoria, me raconte qu’elle-même, à regret, à dû agir de la sorte et n’a pas vu

grandir ses fils. Loin du regard protecteur des parents, d’après Victoria toujours, les filles se

retrouvent rapidement enceintes. Elles doivent ensuite trouver le moyen de subvenir à leurs

propres besoins et à ceux de leur(s) enfant(s). Par conséquent, il ne serait pas rare que la

situation se répète. Aujourd’hui, Victoria se consacre essentiellement à l’éducation de ses

petits enfants dont les mères doivent travailler et dont les pères sont partis pour d’autres

régions du pays.

Après leur « pause », il est fréquent que les orpailleurs reviennent alcoolisés sur leur lieu de

travail. En tous cas, c’est ainsi que les propriétaires de concessions expliquent la plus grande

partie des accidents de travail. Mais ces accidents seraient aussi liés au fait que les lieux

d’exploitation sont peu sécurisés. Le jour avant l’une de mes visites sur un site d’extraction,

un orpailleur avait été défiguré par une racine lorsqu’il avait plongé pour enfoncer le bec

d’une pompe. Il arrive aussi que les bords du fossé creusé ou la colline de gravas entassés

ensevelissent un orpailleur qui se « reposait ».

 

Mais d’après Xavier Arbex, qui dit enterrer chaque semaine un ou plusieurs travailleurs, ces

accidents cacheraient fréquemment des « règlements de compte ». En effet, il existe de

nombreux conflits en Madre de Dios autour de l’extraction aurifère. Nous reviendrons plus

loin sur ces conflits.

Ainsi, bien que le non usage du mercure ne soit pas une condition pour accéder à la

certification d’un or « équitable », bien que les producteurs de Madre de Dios ne croient pas

aux effets négatifs du mercure et de toutes les manières s’en soucient peu, il n’en reste pas

moins fondamental, tant pour le GMP que pour Transparence SA, de trouver une alternative                                                                                                                151 Au sujet de la prostitution, Oscar Guadalupe dénonce l’esclavage sexuel de filles n’ayant pas atteint la majorité (Guadalupe, 2008)

52    

au mercure. Notamment parce qu’un cadre légal visant l’interdiction de l’extraction et de la

commercialisation du mercure est en cours d’élaboration au sein d’organismes internationaux.

Trouver une alternative technologique fut la préoccupation principale de Gilles Labarthe dans

ses recherches pour Terre des Hommes Genève et Veerle. C’était aussi sur cette base que j’ai

initié mon étude anthropolotechnologique. Je dirai que c’est l’approche

anthropotechnologique qui distingue mes recherches de celles de Gilles, pourtant ethnologue.

Dans son rapport152, suite à son séjour en Madre de Dios du 7 au 21 mai 2009, Gilles traite

essentiellement de la « faisabilité commerciale » et de la « faisabilité technique ». Par la suite,

ses recherches ne se sont concentrées que sur les alternatives technologiques au mercure et à

leur adéquation par rapport aux composantes géologiques de la concession d’Agrobosque.

Dans ce sens, l’étude de faisabilité réalisée par Gilles confirme le constat de Ralph Grillo153,

selon lequel la plupart du temps, les projets de développement se fondent sur les données

techniques et économiques et ne considèrent l’identité culturelle et la “human agency” que

comme des paramètres accessoires. De la même manière, Olivier de Sardan nous rend

attentifs au fait que les développeurs ne prennent « (…) que rarement et partiellement en

compte dans le processus de recherche l’ensemble des systèmes de contraintes « non -

techniques » auxquels sont soumis les producteurs »154. C’est pourtant ce que tente de faire

l’anthropotechnologie. Celle-ci, tout comme la socio-anthropologie du développement, part

du principe que la rationalité technique est confrontée à d’autres registres de cohérence.

Tentons, avec Olivier de Sardan155, d’énumérer quelques uns de ces différents registres de

cohérence. Tout d’abord, à la cohérence technique se superpose, sans rapport direct avec

celle-ci des considérations stratégiques de politiques nationales. Mais il faut aussi être

conscients que les politiques nationales « affichées » sont parfois en contradiction avec le

fonctionnement « réel » des administrations et services d’Etat. « La non maîtrise de la

commercialisation ici, la situation catastrophique des coopératives là, la corruption partout,

autant d’exemples qui montrent à quel point les logiques d’action de certains rouages de

l’appareil d’Etat ou de l’économie nationale, (…) peuvent contrecarrer sa politique »156. Il y

                                                                                                               152 Labarthe, 2009 153 Grillo, 1997, p.6 154 Olivier de Sardan, 1995, p.130 155 Olivier de Sardan, 1995, p.128-129 156 Olivier de Sardan, 1995, p.128

53  

a aussi le registre de cohérence des financiers et des bailleurs de fonds. Enfin, on sait qu’un

projet à sa propre « logique d’organisation » avec sa pesanteurs, ses dysfonctionnements, son

« économie informelle » et que toute innovation adoptée « (…) est le produit d’une

négociation invisible et d’un compromis de fait entre les divers groupes d’opérateurs de

développement et les divers groupes d’agents sociaux locaux, et non le signe d’un triomphe

de la logique technoscientifique et économique des concepteurs. »157. C’est sur ces différents

registres de cohérence que porte, on l’aura compris, ce mémoire.

                                                                                                               157 Olivier de Sardan, 1995, p.140

54    

4.4  Capitalisme,  formalisation  et  droit  à  la  propriété  plutôt  que  mercantilisme  :  le  seul  moyen  pour  Hernando  de  Soto  de  favoriser  le  développement  des  pays  «  les  plus  pauvres  »  

Selon Olivier de Sardan encore, « Tout projet de développement ne vise pas seulement un

transfert de technologies et de savoir faire, il s’assortit de tentatives de transfert et de

création de structures et de modes d’organisation (ou technologies sociales), qui s’inspire

d’un idéal social à construire. »158

Avec l’émergence du concept de « développement durable », suite au Sommet de la Terre de

Rio, apparaît aussi la notion de « bonne gouvernance ». Selon Van Gastel & Nujiten159, en

1992, T. Preston160, Président de la Banque mondiale, aurait annoncé que dans le but de

promouvoir un développement durable et équitable, la Banque Mondiale allait accorder une

attention croissante à la question de la gouvernance. De même, en 1998, Koffi Annan161,

Secrétaire Général des Nations Unies aurait affirmé que la « bonne gouvernance » est peut-

être l’unique et plus important facteur pour éradiquer la pauvreté et promouvoir le

développement.

Aujourd’hui, d’après Laëtitia Atlani-Duault, l’idée prévaut que la « bonne gouvernance » est

une condition nécessaire au développement. Cette notion engloberait « (…) les processus et

les institutions par le biais desquels les citoyens et les groupes expriment leurs obligations et

auxquels ils s’adressent en vue de régler leur différends (…) »162

Cette définition de la « bonne gouvernance » nous amène à considérer les thèses de Hernando

de Soto. Les recommandations de cet auteur, élaborée à partir des travaux de son Institut de

recherche (ILD) sur l’informalité, la démocratie et l’économie de marché, vont effectivement

dans le sens d’améliorer « (…) les processus et les institutions par le biais desquels les

citoyens et les groupes expriment leurs obligations et auxquels ils s’adressent en vue de

régler leur différends (…) »163

                                                                                                               158 Olivier de Sardan, 1995, p.58-59 159 Van Gastel & Nujiten, 2005, p.89 160 World Bank, 1992 161 Annan, 1998, p.114 162 Atlani-Duault, 2006, p.245-46 163 Atlani-Duault, 2006, p.245-46

55  

Nous avions mentionné qu’Hernando De Soto avait des proches qui travaillaient pour l’OIT et

les Nations Unies, qu’il figurerait dans le carnet d’adresse de nombreux dirigeants et que les

travaux de son Institut Liberté et Démocratie, estimé, par le journaliste Clift164 comme des

plus influents en économie du développement, auraient porté à conséquence sur la politique

de Fujimori, Président du Pérou de 1990 à 2000. De là à prétendre qu’il soit pour quelque

chose dans l’avènement du concept de « bonne gouvernance » il n’y a qu’un pas. En tous les

cas, la thèse de Shefa Siegel, dirigée et recommandée par Marcello Veiga se réfère

abondamment aux ouvrages de De Soto et au concept de « formalisation ».

Nous prendrons le temps d’explorer les analyses d’Hernando de Soto, pour deux raisons

majeures. Premièrement, bien que la première édition de l’ouvrage portant sur les analyses du

système péruvien165 date de 1986, il nous livre des informations importantes sur le pays

auquel nous nous intéressons dans le cadre de notre étude. Deuxièmement, son hypothèse

centrale est qu’il faut développer un cadre légal, au Pérou et plus généralement dans les pays

« en développement », pour que les travailleurs « informels » puissent se « formaliser ». Or,

nous le verrons dans le prochain chapitre, la « formalisation » est au cœur des standards pour

le commerce équitable de l’or de ARM et du RJC. De même, c’est le concept autour duquel la

première association d’orpailleurs en Madre de Dios a été créée, en vue d’élaborer la loi sur la

« Formalisation et la Promotion de l’activité aurifère à petite échelle »166. C’est aussi sur ce

concept que porte les études des ONG péruvienne : « Formalisation de l’activité à petite

échelle en Amérique Latine et aux Caraïbes. Analyse des expériences au Pérou »167 et

« Etude diagnostique de l’activité aurifère en Madre de Dios »168.

De Soto déplore le fait que pour les Occidentaux, si les pays du « tiers monde » n’ont pas pu

réduire leur pauvreté malgré tous les conseils qu’on leur a prodigués, « (…) c’est qu’il y a un

problème chez eux : ils sont passés à côté de la Réforme protestante, ou bien ils ne se sont

jamais remis de la période coloniale, ou encore leur QI est trop bas. »169

                                                                                                               164 Clift, 2003, p.8 165 De Soto, 1994 166 Ley No 27651 : Formalización y Promoción de la Pequeña Minería y la Minería Artesanal 167 Romero et al. 2005 168 Mosquera et al. 2009 169 De Soto, 2005, p.12

56    

Pour l’auteur, la disparité des richesses entre l’Occident et le reste du monde est bien trop

énorme pour être explicable par la culture seulement. Il soutient que si les pays « pauvres » ne

réussissent pas à se développer c’est parce qu’ils ne parviennent pas à produire du capital. Le

capital serait « (…) la force qui augmente la productivité de la main d’œuvre et crée la

richesse des nations. »170 Le capital, composante essentielle du progrès économique

occidental, serait aussi celle à laquelle on se serait le moins intéressé.

De Soto estime qu’au moins 80% de la population des pays « en voie de développement » ne

pourraient injecter de vie dans leurs biens et leur faire générer du capital parce que le droit les

tient à l’écart du régime de propriété formelle. Les personnes ne pourraient pas participer à

l’expansion du marché parce qu’ « qu’ils n’ont pas accès à un système juridique dans lequel

leurs biens seraient représentés d’une manière qui les rendrait largement transférables et

fongibles, qui permettrait de les hypothéquer et qui établirait la responsabilité de leurs

propriétaires. Tant que les biens de la majorité ne sont pas convenablement prouvés par des

titres et suivis par une administration de la propriété, ils sont invisibles et stériles pour le

marché. »171

Se basant sur des études « de terrain » de l’ILD172, l’auteur relève que presque tous des

habitants des pays « pauvres » possèdent suffisamment de biens « pour réussir le

capitalisme ». En fait, la valeur de ces biens s’élèverait à quarante fois le montant total de

l’aide étrangère reçue dans le monde entier depuis 1945. Il nous dit : « Ils ont des maisons

mais pas de titre, des récoltes mais pas de bail, des entreprises mais pas d’inscription au

registre du commerce. C’est l’absence de ces représentations essentielles qui explique

pourquoi ces gens qui ont adopté toutes les autres inventions occidentales, du trombone au

réacteur nucléaire, ne parviennent pas à produire assez de capital pour faire fonctionner leur

capitalisme national. »173

Les Occidentaux auraient connu une situation très semblable « (…) à l’époque où les

pionniers de l’Ouest américain étaient sous capitalisés parce qu’ils ne possédaient que

rarement un titre sur les terrains qu’ils colonisaient et sur les marchandises qu’ils détenaient,

                                                                                                               170 De Soto, 2005, p.13-14 171 De Soto, 2005, p.257-58 172 De Soto, 2005, p.14 173 De Soto, 2005, p.16

57  

l’époque où Adam Smith faisait ses courses au marché noir (…) »174 Selon De Soto, le

système d’organisation sociale qui paraît à l’heure actuelle dominant au Pérou, en Amérique

latin et sans doute dans une bonne partie du tiers monde, comme autrefois dans les pays

développés, se nomme : mercantilisme.

D’après l’historien Charles Wilson, cité par De Soto175, « (…) le système mercantiliste se

composait de tous les éléments législatifs, administratifs et réglementaires par lesquels des

société fondées sur l’agriculture essayaient de devenir des sociétés commerciales et

industrielles… ».176 Dans cette optique, l’Etat mercantiliste concédait des privilèges, sous

forme de réglementations, subventions, impôts et patentes, à des producteurs et à des

consommateurs choisis. En échange, les entrepreneurs concernés soutenaient l’Etat dans son

effort de guerre et dans la lutte contre l’inflation. A cette époque en Occident la

réglementation était excessive, tout comme elle l’est, selon De Soto, aujourd’hui au Pérou.

Des chercheurs de l’ILD auraient fait une expérience : Ils ont simulé la mise sur pied d’une

petite entreprise individuelle de confection et ont chronométré le temps investi dans les

démarches nécessaires, en corrompant le moins possible les fonctionnaires (ils y furent

néanmoins contraints 2 fois sur 10 occasions). Ces chercheurs arrivèrent au constat « (…)

qu’un individu d’un milieu modeste devait consacrer 289 jours à des démarches avant de

réunir les onze conditions nécessaires à l’installation d’une petite industrie »177 En outre,

comme il faut compter près de 10 mois avant de pouvoir démarrer les activités, le manque à

gagner net fut estimé à 1036,6 dollars. Ainsi, le coût total d’accession à la petite industrie

légale pour un individu aurait été évalué à 1231 dollars, soit 32 fois le salaire minimal.178

Sur la base de ces chiffres, il semble que le choix de travailler dans l’informalité plutôt que

dans la légalité soit le résultat d’un calcul rationnel. Le Pérou serait un pays dans lequel « (…)

48% de la population active et 61% des heures de travail créent, dans le cadre d’activités

informelles, 39% du PIB qui apparaît dans les comptes de la nation. »179 Il ne s’agit pas

d’une illégalité antisociale, comme le trafic de drogue, le vol ou l’enlèvement, mais                                                                                                                174 De Soto, 2005, p.20 175 De Soto, 1994, p.169  176 Wilson, 1963 177 De Soto, 1994, p.100 178 Notons que la première édition de l’ouvrage date de 1986, cette recherche remonte donc probablement au début des années 1980. 179 De Soto, 1994, p.21

58    

d’atteindre par des moyens illégaux des objectifs légaux, tels que la construction de maison,

la prestation d’un service ou le développement d’une industrie.

« La façon de travailler des informels, ingénieuse, productive et innovatrice, leur désir de

reconnaissance légale (…)»180 témoignerait du fait que les aspiration des péruviens

« informels » seraient les mêmes que celles des péruviens qui travaillent dans la légalité.

L’initiative de l’APPMAMD, créée dans le but de représenter les producteurs aurifères du

département de Madre de Dios face aux autorités lors des débats autour d’un changement de

cadre légal en vue de promouvoir la formalisation de l’activité aurifère artisanale et à petite

échelle, me semble confirmer le désir de reconnaissance légale de certains orpailleurs. Le fait

que les membres de l’APPMAMD soient au nombre de trente (en 2009) pourrait laisser

supposer que cette association est peu représentative des quelque 20'000 travailleurs de la

région. Cependant, d’après l’étude de Mosquera et al. les membres de l’APPMAMD, nous

l’avions vu, parmi les plus puissants et les plus anciens de la région, emploieraient une grande

quantité d’ouvriers dans les différentes zones de Madre de Dios. Notons toutefois que

lorsqu’un jour je demandais à Miguel Herrera, mon principal informateur, Président de

l’APPMAMD, le nombre de concessions qu’il possédait, il me répondit qu’il s’agissait là

d’une question qui ne se posait pas.

Selon Mosquera et al. en 1978, dans l’intention de favoriser l’économie de marché, le

gouvernement péruvien aurait mis fin à l’activité des Banques étatiques, portant ainsi

préjudices aux petits entrepreneurs agricoles, forestiers, miniers, etc. En Madre de Dios, la

banque minière dût fermer. Pour Miguel Herrera cela fit beaucoup de tort aux orpailleurs, qui

ne bénéficièrent plus, auprès des banques privées, des mêmes conditions de prêts que la

banque étatique acceptait de leur faire. C’est dans ces circonstances que l’APPMAMD vit le

jour pour élaborer la Loi No 27651 de formalisation et de promotion de l’extraction minière à

petite échelle.

Les « informels », loin d’être livrés à l’anarchie, auraient développés leur propres droits et

institutions – que l’auteur définit comme des « normes extralégales » - afin de palier les

carences du droit officiel. Voyons comment s’organise l’activité aurifère en Madre de Dios.

                                                                                                               180 De Soto, 1994, p.152

59  

Un orpailleur détenteur d’un droit minier peut soit travailler à sa propre opération

d’extraction, soit ne pas posséder d’opération mais « inviter » d’autres orpailleurs à travailler

sur sa concession en échange d’un « dédommagement » (en général la valeur d’une journée

de travail par semaine) ou encore travailler à son opération sur sa propre concession et inviter

d’autres orpailleurs. Relevons que ces « invités » et ces « dédommagements » ne sont pas

vraiment légaux bien que personne dans la région n’ignore ce fonctionnement. Xavier Arbex

mentionnait le terme de « cadeau » en parlant de ces redevances.

On appelle orpailleurs (mineros) les propriétaires de concessions, leurs « invités » ou les

propriétaires d’équipement. Mais il y a aussi les employés (trabajadores mineros). Ce sont

généralement des migrants fraichement arrivés et qui vont peu à peu prendre leur place dans

le secteur, bien qu’ils n’imaginent jamais s’installer. Seize à vingt personnes travaillent sur

une concession, selon la méthode d’extraction, quatre employés par « installation

d’extraction ». Bien qu’aucun contrat ne soit établi, le modèle d’organisation du travail est

réglementé de manière similaire dans la plus grande partie de la région. Ce modèle

d’organisation peut être rapproché d’un modèle de répartition des risques. Ainsi les

« employés » touchent 25% de la production journalière, le travail d’une journée par semaine

revient au titulaire de droit minier, un pourcentage est déterminé pour la mise à disposition

des équipements. En outre, les employés sont nourris et logés au frais du propriétaire.

Pour De Soto « Bien que ces substituts ingénieux fassent l’admiration de certains chercheurs

en sciences sociales, ils ne fonctionnent certainement pas aussi bien qu’un droit efficace fixé

par l’Etat. »181 Lorsqu’il n’est pas possible de faire valoir de droits de propriété sur la terre,

les logements et les équipements, entre autres, les incitations à investir seraient

considérablement affaiblies. Les informels préféreront par conséquent acquérir des biens

faciles à déplacer plutôt que de réaliser des investissements fixes comme les canalisations,

l’évacuation des eaux usées, la toiture etc.

D’après Romero et al. les membres de l’APPAMD souhaitent se formaliser pour s’assurer la

propriété de leur concession et ainsi minimiser les risques d’investissement en infrastructures,

nécessaires à l’augmentation de leur production. Les petits producteurs pourraient ainsi, selon

                                                                                                               181 De Soto, 1994, p.129

60    

les mêmes auteurs, investir dans des technologies plus rentables et plus respectueuses de

l’environnement et assurer de meilleures conditions de travail à leurs employés.

Souvenons-nous au passage de ce que nous avions mentionné à propos de l’insalubrité et des

maladies dans les campements provisoires se transformant peu à peu en ville ou village, sans

planification, sans évacuation des eaux sales, des détritus. De Soto y voit là une conséquence

de l’impossibilité d’accéder à la propriété.

De même, pour l’auteur, si une propriété peut être respectée par des tiers en raison d’éléments

personnels tels que la réputation, le droit absolu de la personne à la propriété n’est pas pour

autant reconnu. Il est difficile de faire valoir les contrats informels, liés à un statut personnel,

envers un acheteur potentiel ou devant des tribunaux en cas de litige.

En Madre de Dios les conflits relatifs au territoire sont nombreux. Le dépôt de plainte relatif à

ces conflits et les tentatives de médiations occupent pour ainsi dire à temps complet les seize

employés de la Direction Régionale de l’Energie et des Mines (DREM). Suite à la

promulgation de la Loi 27651 en janvier 2002, pour la promotion de la formalisation de

l’extraction aurifère à petite échelle, les orpailleurs purent entreprendre des démarches pour

obtenir des concessions et travailler dans la légalité. Néanmoins, seuls les mieux informés et

les plus fortunés effectuèrent de telles démarches. Cela donna lieu à un premier type de

conflits entre ceux qui travaillaient sur un territoire donné mais qui n’avaient pas fait de

demande pour être titularisés et ceux qui obtinrent des droits sur ces mêmes territoires. A la

même époque, des zones furent déclarées « aires protégées » alors que des titularisations pour

l’orpaillage étaient déjà en cours sur ces mêmes terres. Des communautés de natifs

souhaitaient également faire valoir leur droit sur certains espaces. Les conflits, sanglants,

amenèrent les autorités à suspendre toutes démarches sur huit zones spécifiques. En 2004,

suite à des négociations fructueuses entre orpailleurs et natifs, le nombre d’ « aires

suspendues » fut réduit à cinq. En outre, en raison d’une mauvaise coordination entre les

autorités concernées, des superpositions se produisirent entre les droits concédés aux

orpailleurs, aux agriculteurs et aux forestiers. Les uns possèdent le sous-sol et les autres, la

surface de la concession. Notons que bien souvent, les agriculteurs et les forestiers

n’exploitent pas les concessions obtenues mais revendiquent leur droit de propriété auprès des

orpailleurs qui exploitent leur terre pour bénéficier du payement de privilèges (là aussi

l’équivalent du travail d’une journée par semaine).

61  

Si nous revenons à des considérations telles que celles qui nous préoccupaient en début de

chapitre - l’échec apparent du développement économique - il faut relever que la séparation

entre activité légales et informelles a des effets négatifs sur l’économie en générale. Les

principaux d’entre eux seraient « (…) la faible productivité, la diminution de l’investissement,

l’inefficacité du système fiscal, l’accroissement des tarifs de services publics, le freinage du

progrès technologique et une série de difficultés à formuler la politique

macroéconomique. »182

Hernando De Soto s’interroge : « Quel investissement auraient pu effectuer les Nord-

Américains et les Européens de l’Ouest s’ils n’avaient pas bénéficié de droits de propriété

précis et garantis, ainsi que d’un système de responsabilité civile extra contractuelle et d’une

justice protégeant leurs biens ? A quelle innovation auraient-ils procédés sans patentes et

sans privilèges ? Quels biens, quels projets à long terme, quels stimulants en capital

auraient-ils obtenus sans contrats fiables ? Quels risques auraient-ils pris sans système de

responsabilité limité et sans police d’assurance ? Quel capital auraient-ils accumulés sans

garantie exécutoire ? Quelles ressources auraient-ils pu combiner sans associations

d’entreprises légalement reconnues ? Combien de fois auraient-ils fait faillite puis reconstitué

leur affaire sans possibilité de convertir leurs dettes en actions ? Quelles compagnies et

institutions privées auraient pu survivre des siècles sans système de transmission

héréditaire ? Auraient-ils seulement pu s’industrialiser sans bénéfice d’économie

d’échelle ? »183

Pour l’auteur de ces considérations, le développement n’est pas possible sans un droit de

propriété mis à la portée de tous les citoyens et une justice protégeant leurs biens. Or le

système juridique péruvien serait plutôt un instrument pour redistribuer la richesse que pour

aider à sa création. Par-delà ses effets économiques généraux, la tradition redistributive aurait

fait du Pérou, une société organisée en coalition dont l’un des objectifs principaux est

d’influencer le pouvoir pour tirer parti de la redistribution. Ces coalitions se battraient en

permanence pour que la formulation du droit ne nuise pas à leurs intérêts et même pour

qu’elle les favorise dans la mesure du possible.

                                                                                                               182 De Soto, 1994, p.137-38 183 De Soto, 1994, p.153

62    

Pour un entrepreneur péruvien, il serait beaucoup plus rentable de rendre visite aux hommes

politiques et aux bureaucrates chargés du processus redistributif que de concentrer son énergie

pour améliorer la productivité, il serait plus rentable pour lui de consacrer ses d’efforts à se

procurer de l’information politique que de l’information technique. Dans de telles

circonstances, si les entreprises qui restent sur le marché sont certainement les plus efficaces

du point de vue politique, rien ne garantit qu’elles le soient aussi du point de vue

économique.

Lors de mon séjour en Madre de Dios, je m’étonnais que Miguel ait autant de temps à me

consacrer. Et de fait, il semblait passer son temps, et je l’accompagnais, à rendre visite aux

différents politiciens de la région, à déposer dans les diverses « oficina » de Puerto

Maldonado des dossiers relatant les derniers échanges des groupes de travail auxquels il avait

participé. Je crois pouvoir dire qu’il était également stratégique pour lui de passer du temps

avec moi.

L’action des coalitions pousserait le système légal à édicter toujours plus de règles qui vont

sans cesse accroître le nécessaire recours à la bureaucratie et alourdir les coûts de l’accès à la

légalité. Les auteurs de l’Estudio diagnostico184 nous informent que certains petits

producteurs de Madre de Dios feraient actuellement pression pour modifier des articles de la

Loi 27651. Effectivement, un des groupes de travail auquel participait Miguel visait à obtenir

des arrangements légaux particuliers pour l’extraction aurifère alluviale, telle qu’elle se

présente en Madre de Dios. De même, l’association qui défend les droits des Communautés

Natives, soutenues par des ONG, aurait présenté une alternative, la Loi des Activités Minières

sur le Territoires des Communautés Natives de Madre de Dios185. Ce projet tendrait à

défendre les spécificités socioculturelles des Communautés Natives en Madre de Dios186.

Pour De Soto, ce système légal péruvien permettrait aux coalitions d’obtenir des avantages

cachés par un maquis de règles que ni la presse spécialisée ni les hommes politiques de

l’opposition ne pourraient appréhender clairement. « Même lorsqu’un privilège est découvert

et qu’une norme vient l’annuler, le panorama légal se complique encore (…) les

                                                                                                               184 Mosquera et al. 2009 185 Ley de Actividades Mineras en Territorios de comunidades Nativas en Madre de Dios. 186 Le département compterait 26 communautés de « natifs » qui occuperaient 450 000 hectares.

63  

fonctionnaires, les hommes politiques et les entrepreneurs trouveront bien le moyen de

l’éliminer à nouveau, engendrant ainsi une spirale de surenchère légale. »187

Le poids de la tradition redistributive est tel, nous dit De Soto, que les droites et les gauches

démocratiques au Pérou auraient plus de traits communs qu’elles ne le soupçonneraient.

Aucun dirigeant, qu’il soit de gauche ou de droite, n’aurait jamais mis à profit ses fonctions

officielles, nationales ou municipales, pour abattre les obstacles qui empêchent les individus

de milieu modeste d’accéder à la société légale. Tous, en revanche, auraient voulu contrôler

directement l’économie, en accroissant les activités de l’Etat.

Malgré tout, les rhétoriques de la gauche et de la droite traditionnelles péruviennes seraient

très proches de celles de leurs sympathisants respectifs étrangers. Probablement les

occidentaux, souligne De Soto, croient-ils la fiction entretenue à l’étranger selon laquelle le

Pérou connaît une confrontation politique pluraliste identique à celle des démocraties

occidentales. En fait, lorsque les Occidentaux prennent position dans le conflit péruvien pour

la gauche ou pour la droite, ils ne feraient que « (…) soutenir l’un des avatars du

mercantilisme. »188

Pour sortir de la tradition redistributive, de ce système mercantiliste, selon De Soto, il faut

transformer et adapter les institutions et le cadre légal, et plus particulièrement le droit qui

donne accès à la propriété. « De subordonnés aux objectifs de l’Etat, les individus doivent

passer à un régime où c’est l’Etat qui est à leur service. »189 Un programme conçu par l’ILD

et proposé à la fin de l’ouvrage L’autre sentier190 aurait été testé au Pérou. Couronné de

succès il aurait ensuite fait l’objet de plusieurs projets pilotes dans différents pays, « (…)

menés avec l’aide de l’Agence interaméricaine pour le développement (AID), du Fond des

Nations unies pour le développement (FUNES), du programme des Nation unies pour le

développement (PNUD) et de la Banque mondiale. »191

                                                                                                               187 De Soto, 1994, p.161 188 De Soto, 1994, p.204 189 De Soto, 1994, p.207 190 De Soto, 1994 191 De Soto, 1994, p.235

64    

Je ne suis ni experte en économie, ni en droit, je me suis contentée de relever les similitudes

entre certains constats que De Soto nous livre sur la société péruvienne et certaines réalités

que j’ai rencontrées en Madre de Dios. Je m’abstiendrai de me prononcer sur la pertinence des

thèses de De Soto et je ne poserai qu’une question : Comment envisager l’accès à la propriété

comme solution, face à des personnes qui migrent avec l’intention de s’enrichir et de repartir

au plus vite, même si en définitive, la plupart du temps, ils ne s’enrichissent pas et ne

repartent pas ? Miguel me faisait part de son histoire : Arrivé trente ans plus tôt, il avait

toujours pensé repartir, par conséquent il ne s’était jamais marié, n’avait jamais acheté de

maison. A l’heure où il me le racontait, il le regrettait.

Il me semble que ce n’est pas tout de vouloir améliorer l’accès des « informels » à la

propriété, faut-il encore se demander qui parmi ces « informels » a l’envie, le temps, les

moyens nécessaires pour effectuer les démarches en vue d’une titularisation.

En tous les cas, six ans après la promulgation de la Loi 27651, en janvier 2002 permettant aux

orpailleurs d’accéder à la propriété selon des normes adaptées à la production à petite échelle,

seul 32% des concessions auraient déposé une demande de titularisation. Et sur les 2769

demandes, 965 se superposeraient et sont donc potentiellement source de conflits192. En plus

de ces « superpositions » entre demandeur de titularisation minière, il faut ajouter les

« superpositions » avec les titularisations en cours dans les autres ministères tels que

l’agriculture, l’agroforesterie, les Communautés Natives.

Pour appuyer la formalisation et la promotion de l’activité aurifère artisanale et à petite

échelle, le Ministère de l’énergie et des mines a implanté un office décentralisé, la Direction

régionale de l’énergie et des mines (DREM). Mais la DREM est une institution faible au vu

des tâches qui lui sont attribuées. En effet, en tout et pour tout, seize professionnels sont en

charge de la gestion d’environ 20'000 personnes réparties sur les onze districts et trois

provinces de Madre de Dios, soit 85’183 km2.

Selon Franz Von Benda-Beckmann193, la conviction que les lois des pays du « tiers monde »

empêchent le développement et que les lois modernes, telles que celles en vigueur dans les

                                                                                                               192 Mosquera et al. 79-80 193 Von Benda-Beckmann, 1993, p.117

65  

pays occidentaux sont un pré requis pour la réduction de la pauvreté serait l’une des idées le

plus profondément enracinée au sein de la configuration développementiste.

Cette conviction, d’après Mosse194, se fonderait sur la confiance accordée, après la chute du

communisme, à deux concepts clés : le néolibéralisme et la planification technocratique. Pour

lui195, bien qu’il ait été démontré que l’économie de marché engendrait une inégalité

croissante plutôt qu’une amélioration de la qualité de vie et des revenus des « plus pauvres »,

la tendance serait cependant de vouloir corriger les imperfections du marché à l’aide de lois et

d’architecture sociale.

Et force est de prendre acte que telle semble être la position de De Soto lorsqu’il écrit : « Je

ne suis pas un capitaliste forcené. Je ne considère pas le capitalisme comme un credo. Plus

importants à mes yeux sont la liberté, la compassion pour les pauvres, le respect du contrat

social et l’égalité des chances. Mais pour le moment, il n’existe qu’un moyen pour atteindre

ces objectifs : le capitalisme. »196

Je relèverai encore la tendance évolutionniste de De Soto lorsqu’il voit dans le présent du

Pérou, le passé de l’Occident.

                                                                                                               194 Mosse, 2005, p.4 195 Mosse, 2005, p.5-6 196 De Soto, 2005, p.279

66    

4.5  La  formalisation  :  un  concept  fédérateur  mais  non  homogène  pour  un  transfert  de  «  technologie  sociale  »,  de  modèle  organisationnel  

Hernando De Soto préconise de donner la possibilité aux habitants du « tiers monde » de se

« formaliser » pour faire fructifier leur capital. Selon lui « Tant que les biens de la majorité ne

sont pas convenablement prouvés par des titres et suivis par une administration de la

propriété, ils sont invisibles et stériles pour le marché. »197

J’ai mentionné, dans le chapitre précédent, que le concept de « formalisation » était au cœur

des préoccupations des différents « groupes stratégiques » du réseau qui nous intéresse. Nous

avions également vu auparavant que de nombreux concepts employés par les communautés

épistémiques de la configuration développementiste étaient suffisamment vagues pour jouer

un rôle fédérateur mais que la définition qu’en donnait les différents acteurs était rarement

homogène. Il me semble que tel est le cas pour le concept de « formalisation ».

Les orpailleurs de Madre de Dios, constitués en association, paraissent être les acteurs de

notre réseau qui se rapprochent le plus de De Soto dans leur conception de la

« formalisation ». En effet, selon Romero et al.198, les petits producteurs de Madre de Dios

considèrent que la « formalisation » doit leur permettre de s’assurer la possession de leur zone

de travail. Ainsi ils pourraient procéder à des investissements en vue d’accroître leur

production.

Si les auteurs de l’étude suscitée partent des mêmes constats que De Soto sur l’importance de

l’informalité au Pérou, ils se concentrent sur l’importance de renforcer les capacités

d’organisations des orpailleurs et la formation des fonctionnaires publics dans la résolution de

conflits. Pour eux, ce n’est que quand la « formalisation » résulte d’un processus participatif

de la population concernée, avec l’appui nécessaire de la coopération nationale et

internationale, que peut se produire le développement d’une activité productive qui englobe

l’innovation technologique, un meilleur niveau de vie, l’élimination du travail infantile et la

protection de l’environnement. Dans l’étude diagnostique plus pointue réalisée quatre ans

plus tard, Mosquera et al.199 relèvent qu’une meilleure organisation des travailleurs devrait

                                                                                                               197 De Soto, 2005, p.258 198 Romero et al. 2005 : Rappelons qu’il s’agit d’une recherche réalisée par l’ONG péruvienne : CooperAccion. 199 Mosquera et al. 2009: Cette étude est toujours réalisée par CooperAccion mais cette fois-ci en collaboration avec les ONG péruviennes : Caritas et Conservación internacional.

67  

leur favoriser l’accès au commerce équitable. Ils font également un état des lieux de

l’avancement du processus de titularisation en Madre de Dios et des conflits qui y sont

associés.

Cette position, soulignant l’importance de l’organisation des travailleurs, du processus

participatif, me parait proche des organisations qui développent les standards pour le

commerce équitable de l’or produit « à petite échelle ». Nous l’avions relevé, le Responsible

Jewellery Council se réfère au travail de ARM pour ce qui a trait à l’extraction aurifère non

industrielle. En effet, les standards du RJC s’adresse aux acteurs de l’extraction aurifère et

diamantaire en général. Néanmoins, dans leur « Standards Guidance », au chapitre « Artisanal

and Small-Scale Mining » on peut lire :

“Formalisation and professionalization of the sector is considered a prime need. The first

step is to develop an appropriate and effective legislative framework. While this is the role of

government, large mining companies can play a major role in supporting government reforms

in this area. Other important aspects of the formalisation process in the ASM200 sector

include appropriate forms of workforce organisation, whether under a business-based or

cooperative model; fair market access for sale of product and a fair return to labour; the

progressive integration of improved health and safety and environmental practices; and

participation in the formal economy (appropriate forms and levels of taxation).”201

Nous voyons donc que la « formalisation » est considérée comme une première nécessité. Elle

est envisagée à la fois comme l’élaboration d’un cadre légal approprié, ainsi que comme

l’organisation des travailleurs. Pour le RJC, les compagnies minières industrielles peuvent

jouer un rôle majeur dans les réformes juridiques nécessaires à l’amélioration des conditions

de vie des petits producteurs. Par ailleurs, on retrouve, comme chez les auteurs des ONG

péruviennes, la dimension environnementale et l’accès au commerce équitable qui doit

favoriser une amélioration de la qualité de vie des orpailleurs.

En mars 2010, après quatre ans de travail du Comité technique et la consultation de nombreux

experts, ARM a diffusé la première version officielle des Standards ARM-FLO « Fairtrade

and Fairmined Standards for Gold from Artisanal and Small-scale mining, including                                                                                                                200 Artisanal and Small-scale Mining 201 RJC, 2009, p.67

68    

associated precious metals ».Sous le chapitre “General Requirements and Guidance” il est

stipulé :

“The overall objective of this STANDARD is to promote the formalisation of the ASM sector,

bringing with it improved working conditions for producers, strengthened producer

organizations with the capacity to lobby for legislation and public policies that promote a

responsible ASM sector, improved environmental management (including mitigation of the

use of mercury and ecological restoration), gender equality, progressive elimination of child

labour in mining, fairer market access, benefits to local communities in mineral rich

ecosystems, and improved governance to this sector.”202

Là encore la « formalisation » apparaît comme le principal objectif, incluant le renforcement

des organisations des producteurs. Ici, cette organisation doit permettre aux orpailleurs de

« faire pression » sur les autorités pour une adaptation du cadre légal qui permettrait une

activité aurifère plus « responsable ». En effet, corrélées à la « formalisation » sont à nouveau

citées les dimensions telles que la protection de l’environnement, l’accès au commerce

équitable. A l’élimination du travail infantile, déjà mentionnée par les ONG péruviennes

s’ajoute la dimension du genre. L’innovation technologique, importante pour les acteurs

péruviens, n’est pas prise en considération par les promoteurs du commerce équitable. Cet

état de fait est probablement à mettre en relation avec la position de ARM par rapport à la

problématique du mercure.

Sur la base de cette mise en perspective de ces différentes attentes reliées à la notion de

« formalisation » je ferai le constat suivant : D’une part, l’accès à la propriété, chère à De

Soto, n’apparaît explicitement que dans les préoccupations des orpailleurs de Madre de Dios.

D’autre part, l’ « organisation sociale » des petits producteurs est un point central pour tous.

Elle me semble même, dans une certaine mesure, être synonyme de « formalisation ».

Les auteurs des études péruviennes reprennent à leur compte, une conception incontournable

dans la communauté épistémique du développement et inextricablement liée à la notion d’

« organisation sociale» : le processus participatif. Selon ces auteurs, ce n’est que sur la base

d’une démarche participative que la « formalisation » peut aboutir. Mais notons, qu’à partir de

                                                                                                               202 ARM-FLO, 2010, p.4

69  

cette démarche participative, de cette organisation, la « formalisation » est conçue comme

nécessitant l’appui de la coopération nationale et internationale. Pour le RJC la

« formalisation » est aussi, pour une part, synonyme d’ « organisation sociale ». Pourtant,

pour ce qui a trait à l’adaptation du cadre juridique, ils envisagent plutôt que ce soit à

l’industrie minière d’agir. Alors que pour ARM, c’est aux « petits producteurs », organisés en

associations, de faire pression sur les autorités.

Ainsi, si l’on envisage la « formalisation » au sens de De Soto, non pas forcément comme

synonyme d’ « organisation » mais comme l’élaboration nécessaire d’un cadre juridique

favorisant la reconnaissance des droits des travailleurs « informels », il semble que les avis

divergent. Si tous souhaitent agir sur la dimension législative, pour le RJC c’est aux industries

de s’en charger. Pour les auteurs péruviens, sur la base d’une « organisation sociale » de type

participative, qui aurait permis d’être à l’écoute des besoins des travailleurs, les démarches en

vue d’une « formalisation » seraient entreprise avec l’appui de la coopération nationale et

internationale. Enfin pour ARM, c’est aux orpailleurs organisés en association, de faire

pression pour que la législation et les politiques publiques promeuvent une activité aurifère

non industrielle « responsable ».

Après avoir pris acte de ces différences, revenons à la démarche participative que j’ai dite

inextricablement lié à l’ « organisation sociale » souhaitée par tous ces acteurs. Selon Laëtitia

Atlani-Duault203, « L’insistance est mise sur le besoin, aux fins d’une « bonne gouvernance »

toujours, de veiller à ce que « les voix des plus démunis et des plus vulnérables puissent se

faire entendre dans le cadre des prises de décisions relatives à l’allocation des ressources

nécessaires au développement » (PNUD, 1998 :3), faute de quoi il ne saurait être « durable »

(…) » Ainsi les « développeurs » sont désignés pour organiser les gens « (…) en puissants

groupes à même d’influencer les politiques publiques et d’accéder aux ressources publiques,

en particulier en faveur des plus démunis (PNUD, 1998 : 9-10) »

L’écoute « des plus démunis » est donc perçue comme nécessaire pour que le développement

soit durable. Or aujourd’hui, il apparaît comme un fait établi dans le monde du

développement que cette écoute se fait dans le cadre de processus participatif de la population

organisée en « association ».

                                                                                                               203 Atlani-Duault, 2006, p.245-46

70    

D’après Olivier de Sardan204, avoir son association, avec son cortège de statuts, d’assemblées

générales, de désignation ou d’élection de responsables et leurs fédérations faîtières apparaît

désormais comme une sorte de technologie sociale universelle. Cela serait devenu une

condition pour qu’une collectivité accède aux ressources d’un projet. Cette condition on la

trouve effectivement dans les standards de ARM pour pouvoir prétendre à un « or

certifiable ». Ainsi il est stipulé au chapitre ”Democracy, Participation and Transparency”205:

“The ASMO206 has a legal, transparent and democratic organizational structure in place,

which enables effective control by the members. There is a General Assembly with direct or

delegated voting rights for all members as the supreme decision making body, and an elected

Board. The staff answers to the General Assembly via the Board.”

“The ASMO holds a General Assembly at least once a year.”

“The ASMO’s annual report, budgets and accounts must be presented in an understandable

and clear manner for all, to and approved by the General Assembly.”

“The ASMO has administration in place.”

Pour Jean-Pierre Jacob et Philippe Lavigne Delville207 cette « organisation sociale » sous

forme d’association, serait un « idéal-type » d’efficacité et d’équité du modèle bureaucratique.

Cet idéal prétendrait en fait concilier les vertus de l’efficacité dépersonnalisée de la

bureaucratie et les vertus de la communauté, de la solidarité. Une telle conception de la

société où les citoyens ont le droit de peser sur les décisions qui les concernent susciterait une

certaine réticence chez les agents de l’Etat des pays « en développement ».208

Cependant, des études de cas montreraient que les contours de l’Etat, de la « société civile »

et des organisations politiques sont « (…) en réalités traversées par des réseaux, des

chevauchements, et des phénomènes d’alliance et de rivalité, qui rendent ces notions peu

opératoires (…). »209 Il semblerait que les fonctionnaires, cadres et intellectuels qui

composent les élites administratives et politiques de l’Etat participent, directement ou par

association interposée, aux activités de la « société civile ». Ils en tireraient même une

légitimité accrue au sein de l’appareil d’Etat comme au sein des arènes politiques régionales.                                                                                                                204 Olivier de Sardan, 2003, p.94 205 ARM-FLO, 2010, p.18 206 Artisanal and Small-scale Miner’s Organization 207 Jacob et Lavigne Delville, 1994, p.43 208 Lavigne Delville, 2000, p.12 209 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.40

71  

Réciproquement, la participation de certains membres de la population aux activités de la

« société civile »210 leur donnerait accès à l’arène de la politique locale, voire nationale. En

définitive, « Les nouvelles formes de la captation de la rente du développement brouillent en

quelque sorte les positions sociales classique (…). »211

Prendre part aux activités de la « société civile », en tant que représentant de « la population »

et interlocuteur privilégié des institutions de développement, est devenu un emploi à plein

temps pour certains. Les socio-anthroplogues de développement se réfèrent à ces

professionnels sous la dénomination de « courtier ». Dans notre réseau, Miguel Herrera, mon

principal informateur, me parait assumer ce rôle de « courtier ». En effet, nous avons vu qu’il

est président de l’APPMAMD, en tant que tel il participe à des groupes de travail, se rend

régulièrement à Lima pour participer à des commissions relatives à la législation. A Chala, il

était le seul représentant de la Selva. Nous avions aussi relevé qu’il passait une bonne partie

de ses journées à distribuer des documents de travail dans les diverses offices de Puerto

Maldonado, à rendre visite aux fonctionnaires publics. Il est également à l’origine de

plusieurs démonstrations en vue de l’adoption de nouvelles technologies, notamment

alternatives au mercure.

Etre « courtier » implique de disposer de compétences spécifiques. Le courtier doit savoir

parler le « langage développement » d’un côté et le langage local de l’autre. Il doit donc avoir

une certaine expertise en traduction de l’un à l’autre, « (…) il lui faut maîtriser les codes

langagiers et culturels en présence. »212 Mais cela ne suffit pas, il doit aussi savoir séduire les

« populations » concernées et les « développeurs ». Il doit vendre ses services aux uns et aux

autres. Cependant, le talent du courtier s’exprimerait moins dans son habilité à « vendre » des

initiatives venues « du bas » qu’à répondre à la dynamique de « l’offre de projets » qui

provient du monde du développement. Notons que comme le souligne Bierschenk et al. « (…)

il s’agit moins d’une attitude intrinsèquement « perverse » de la part des courtiers que d’une

dérive suscitée par le dispositif développementaliste lui-même. »213

                                                                                                               210 « Le référent habituel de cette expression, quand elle prend un sens tant soit peu concret, correspond de fait assez exactement au secteur associatif. » (Olivier de Sardan, 1998, p.2) 211 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.41 212 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.26 213 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.28

72    

Enfin, pour être reconnu par les « développeurs » le courtier doit, et c’est de là que nous

sommes partis, être membre d’une association, puisque telle est une des conditions minimales

pour accéder à un projet de développement. De sorte que « Bien souvent, le courtier doit être

un promoteur d’organisation et, soit apporter l’idée, soit mettre lui-même sur pied les

groupements ou associations qui pourront être ces partenaires présentables que les

institutions du développement recherchent désespérément. »214

Remplir les conditions minimales requises par les instituions de développement, soit,

notamment, participer aux activités d’une association, n’est possible que lorsque les gens ont

déjà des ressources. « Ce qui n’est sans aucun doute pas le cas des plus pauvres des

pauvres. »215 En Madre de Dios, comment des travailleurs qui changent de patron si celui-ci

tente de leur imposer un rythme moins soutenu accepteraient-ils de prendre du temps pour

participer à des comités, des assemblées générales, des groupes de travail, etc. En fait, selon

Olivier de Sardan, les exemples seraient innombrables « Où les mieux lotis ou les plus

influents des paysans destinataires utilisent la mise en place d’un projet pour agrandir leur

patrimoine foncier ou le valoriser, augmenter leur audience politique ou leur réseau de

clientèle, accumuler capital, revenus, ressources ou prestiges (…) une opération de

développement constitue un enjeu qui bénéficie de préférence à ceux qui ont les meilleures

cartes au départ.»216

A ce sujet on peut s’interroger sur la position de ARM qui dit avoir fait le choix de rester «du

côté des plus pauvres » et « (…) de ne pas exclure les mineurs artisanaux qui n’ont pas

d’autre alternative que d’utiliser l’amalgamation »217 mais qui par ailleurs exige des

orpailleurs de s’organiser en association formelle pour intervenir.

Pour des auteurs comme Emilie Barreau218, ou Philippe Lavigne Delaville219, sans un

minimum de connaissances socioéconomiques préalables permettant de cartographier les

« groupes stratégiques » un projet de développement, de par son recours systématique aux

« courtiers », risque fort de renforcer les inégalités, les conflits locaux. En Madre de Dios,

l’étude de Mosquera et al. permet d’accéder à ce minimum de connaissances requis, de se                                                                                                                214 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.26 215 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.251 216 Olivier de Sardan, 1995, p.137-38 217 ARM, 2009, p.3 218 Barreau et al. 2008, p.19 219 Lavigne Delville, 2000, p.18

73  

faire une idée des conflits qui opposent les différents acteurs. Mais n’oublions que les ONG

péruviennes à la base de cette étude constituent également un groupe stratégique dans notre

réseau. Ce qui serait susceptible d’expliquer pourquoi Cesar Ascora, responsable de Caritas

en Madre de Dios, avec qui nous étions en contact grâce à Xavier Arbex, ne nous a pas fait

part de cette étude publiée à l’époque de nos entrevues.

Connaître les enjeux de pouvoir, les relations entre les différents « groupes stratégiques »

d’un district de 85’182km2, comptant plus de 100'000 habitants, pour ne pas renforcer les

inégalités, pour déterminer à qui s’adresser, n’est pas chose aisée. Cela n’était pas réalisable, à

mon avis, pendant les deux mois que j’ai passés sur place, ou même les cinq mois que j’avais

prévu d’y rester. De même, cela me paraît pouvoir expliquer les faiblesses que je relève à

l’étude de faisabilité de Gilles Labarthe qui n’avait que dix jours pour mener son enquête en

Madre de Dios. Relevons que ces délais trop brefs semblent courants dans le monde du

développement. Comme le mentionnent nos auteurs de référence, bien souvent, les experts

mandatés pour des études de faisabilité, sont tenus de présenter des résultats. Pressés par le

temps, ils doivent agir vite. Or « un séjour de quelques semaines ou même quelques mois

dans une communauté rurale n’est pas suffisamment long pour que naissent confiance et

autorité. »220 Intéressons-nous donc à l’option choisie par Terre des Hommes et Veerle Van

Wauwe sur la base de l’étude de Gilles Labarthe.

 

                                                                                                               220 Bierschenk, Chauveau, Oliver de Sardan, 2000, p.247

74    

4.6  Favoriser  les  coopératives  pour  promouvoir  un  idéal  qui  concilierait  l’efficacité  dépersonnalisée  de  la  bureaucratie  et  les  vertus  de  la  communauté  

Nous l’avons vu, Gilles Labarthe, à son retour de Madre de Dios, propose dans son « étude de

faisabilité »221 d’entreprendre un projet de recherche d’alternative technologique au mercure

en partenariat avec la communauté « Agrobosque ». Comme je ne comprenais pas ce choix d’

une association consacrée à l’agroforesterie « durable », n’ayant aucune expérience de

l’orpaillage, on m’expliqua que c’était la seule organisation de Madre de Dios correspondant

aux critères définis au préalable, il s’agissait de la seule « coopérative ». Je n’ai réalisé que

plus tard l’importance de cette forme d’organisation pour prétendre au « commerce

équitable ».

Nous l’avons mentionné au chapitre précédent, les démarches participatives sont

inextricablement liées, au sein de la configuration développementiste à la notion d’

« organisation sociale » dans de cadre du « développement durable ». Le « modèle

participatif », nous disent Jacob et Lavigne Delville, n’est pas « (…) l’apanage d’un courant

théorique ou doctrinaire du développement. Au nom de l’efficacité comme au nom de l’équité,

les agences et les opérateurs de développement les plus divers, voire les plus opposés

(les militant nationaux les plus populistes, les ONG les plus « tiers-mondistes », les

gouvernements les plus attachés à leur autorité et la très raisonnable Banque mondiale)

affirment leur philosophie participative. »222

Au vu des forces et des moyens à disposition, Gilles Labarthe et Jean-Luc Pittet ont fait le

choix de concentrer leur force sur la technologie et non sur l’ « organisation sociale ». Ils ont

choisi de s’adresser à une association déjà constituée. Mentionnons par ailleurs qu’avec cette

option les démarches étaient aussi simplifiées de par les relations qu’Oscar Guadalupe

entretient avec Agrobosque et le contrat qui lie Oscar à Terre des Hommes. Cela est

susceptible d’expliquer en partie le fait que Gilles Labarthe n’ait pas retenu la possibilité de

travailler avec l’APPMAM. Cependant les arguments de Gilles Labarthe ne vont pas dans ce

sens. Il justifie sa décision par le fait qu’il ne considérait pas judicieux d’entreprendre des

démarches avec un personnage qui sait manipuler le « langage développement » et jouer avec

les contraintes inhérentes au rôle de « courtier ».

                                                                                                               221 Labarthe, 2009 222 Jacob et Lavigne Delville, 1994, p.27

75  

S’il est compréhensible, face à la complexité sociale, de vouloir, faute de temps et de moyens,

limiter le nombre d’acteurs et, accessoirement, écarter les plus gênants ; est-il judicieux

d’avoir écarté Miguel Herrerra et l’APPMAMD ? Car, comme le mentionne Barreau et al.

« (…) cette recherche de l’efficience se révèle parfois contreproductive, notamment quand les

acteurs incontournables aux étapes ultérieures de l’accomplissement des projets sont écartés

de la prise de décision initiale. »223 Miguel Herrerra et ses partenaires (notamment au sein de

l’APPMAMD) me paraissent être des acteurs potentiellement incontournables pour tout projet

lié à l’orpaillage en Madre de Dios.

Par ailleurs, pour Barreau et al. l’individu ou le groupe qui assure le portage politique d’un

projet « (…) doit avoir la légitimité et la position sociale permettant de neutraliser les conflits

et de faire adhérer le plus grand nombre à l’idée. Ou alors être capable de fédérer autour de

cette idée les acteurs locaux influents. (…) »224 Je ne suis de loin pas convaincue que tel soit

le cas pour Agrobosque. Si travailler en partenariat avec cette association permet de faire des

recherches à l’abri des pressions relatives aux enjeux et stratégies du réseau d’orpailleurs de

Madre de Dios, ne risque-t-on pas de renforcer le stéréotype répandu selon lequel les ONG

« gardent pour elles » les fonds versés par la coopération internationale et ne viennent en fin

de compte jamais en aide à la population.

Si les recherches d’alternatives technologiques effectuées sur la concession d’Agrobosque

devaient s’avérer concluantes, Terre des Hommes et ses partenaires dans ce projet imaginent

en faire un modèle qui se propagerait forcément. Une hypothèse qui ne me semble pas tenir

compte du fait que le modèle « de la tache d’huile » pour la diffusion auto reproduite des

innovations semble n’avoir presque jamais fonctionné. Fauroux nous dit à ce sujet « (…) le

fait qu’une technique soit performante n’implique pas qu’elle sera automatiquement adoptée

par des gens qui n’ont pas le même souci de rentabilité/productivité que les experts

européens et qui peuvent avoir de bonnes raisons de refuser certaines des contraintes liées

aux techniques nouvelles (…) »225. Une réalité qui a contribué à l’avènement de

l’anthropotechnologie, soit tenter de relever les conditions socioculturelles influant sur

l’adoption ou non d’une technologie. Comme nous l’avons déjà relevé, ce type de données

                                                                                                               223 Barreau et al. 2008, p.44 224 Barreau et al. 2008, p.33 225 Fauroux, 2006, p. 339

76    

socioculturelles ne figuraient pas dans l’étude de faisabilité réalisée par Gilles Labarthe en

mai 2009.

Nous avons dit que l’un des critères de sélection du groupe cible auquel devait s’adresser le

projet « or propre », était celui non seulement d’une association mais aussi d’une coopérative.

Un argument de plus en défaveur des autres associations de Madre de Dios. Comme le

soulignent Barreau et al. les coopératives seraient souvent considérée comme vertueuses, car

permettant de servir l’intérêt collectif, de mettre en œuvre des principes démocratiques, d’être

garante d’une transparence dans la gestion et d’une responsabilisation de toute la communauté

concernée. La construction d’une dynamique collective est sûrement un objectif respectable,

cependant elle ne doit pas masquer à quel point c’est là une entreprise difficile, instable et

sans cesse menacée.

Une coopérative serait rarement l’expression d’un consensus égalitaire ou s’il l’est c’est en

général pour fort peu de temps. « (…) le contrôle social des usagers est plus ou moins

opérant, la capacité des instances de gestion variable, de même que la responsabilisation

permise par un fonctionnement collectif ; la gestion financière pose souvent problème, et il

est parfois difficile de réclamer un payement dans le cadre des relations

d’interconnaissance. »226 Par ailleurs, trop fréquemment on imaginerait que les cadres de

l’action collective préexistent et peuvent se transposer aisément sur un nouvel enjeu. Dans

notre cas, il est effectivement supposé que la coopérative constituée autour de l’agroforesterie

saura s’entendre sur les enjeux relatifs à l’orpaillage.

Pour Olivier de Sardan227, l’idéologie du consensus, censé régir les coopératives, masque de

multiples divisions et antagonismes : contradictions de type statutaire, compétitions liées aux

facteurs de production (contrôle de la force de travail, maîtrise du foncier), tensions avec

d’autres groupes (agriculteurs, éleveurs, écologistes, forestiers, etc.), enjeux de pouvoir, voire

rivalités interpersonnelles ou mettant en jeu des réseaux formels ou informels (voisinage

parenté, amitié et camaraderie, clientélisme, factionnalisme, etc.). La plupart des décisions

opératoires seraient prises par des individus précis, à d’autres niveaux que celui de la

prétendue « coopérative ».

                                                                                                               226 Barreau et al. 2008, p.131 227 Olivier de Sardan, 1995, p.62

77  

Face à l’idée répandue chez les développeurs que les organisation locales sont les lieux de la

solidarité et d’esprit associatif, Nassirou Bako Arifari montre à quel point ils se révèlent en

fait des lieux privilégiés de détournement et de corruption, et que l’impunité est la règle dans

le cadre de ces organisations, en particulier quand le financement vient de projets de

développement. « Lorsqu’il y a détournement de fonds publics (l’impôt par exemple), l’Etat

réagit et peut mettre les chefs de village en prison. Lorsqu’il y a vol d’argent privé (y compris

les cotisations), les modes locaux du contrôle social jouent. Mais ces ressources

« collectives » issues du développement que gèrent les associations et autres comités ad hoc

ont un statut flou aux yeux des populations : l’Etat s’en désintéresse et les modes locaux de

régulation n’on guère de prise sur elles. D’où cette impunité, où la sanction se limite souvent

au remplacement du coupable, et cette forte corruption constatée dans l’utilisation de

l’argent dit « du développement ».»228

Par ailleurs, si le choix d’une coopérative déjà constituée peut s’avérer légitime, faute de

moyens, pour accéder plus aisément aux standards du commerce équitable, faut-il encore que

l’idéologie qui sous-tend ce choix de démocratie participative soit respectée. Nous avions

souligné que le « processus participatif » devait permettre aux plus démunis et aux plus

vulnérables de se faire entendre, conditions pour que le « développement » soit durable.

Qu’en est-il d’un projet qui choisit d’investir sur les aspects technologiques pour trouver une

alternative au mercure alors que, comme je l’ai relevé précédemment, je n’ai rencontré aucun

orpailleur en Madre de Dios qui croie dans les effets nocifs du mercure. Est-on à l’écoute des

plus démunis ? Dans quelle mesure écoutons-nous « la voix des plus vulnérables » lorsque

nous nous adressons à une association en relativement bonne position dans ses relations avec

la coopération internationale ? Est-ce le souhait des membres de cette coopérative dédiée à

l’agroforesterie de développer l’extraction aurifère non industrielle ?

Je n’ai pas de réponse définitive, je me contenterai de noter que lors de nos échanges, Oscar

Guadalupe se déclarait peu favorable à un tel projet qu’il jugeait aller à l’encontre des

objectifs de l’association. Cette activité risquait, selon lui, de détourner certains jeunes de

l’agroforesterie pour les initier à un activité socialement plus problématique. Par la suite

Oscar sembla avoir changé d’avis et Terre des Hommes soutiendra que, de toutes les

manières, de plus en plus de jeunes quittent l’association pour s’investir dans l’orpaillage, une

                                                                                                               228 Barreau et al. 2008, p.28-29

78    

activité de plus en plus lucrative au vu du cours de l’or. Reste encore à se questionner sur les

conséquences de l’excavation des sols destinés à l’agroforesterie, bien qu’une démarche de

réhabilitation des sols soit prévue. Mais à ce sujet, Terre des Hommes argumente que pour

« tenir les orpailleurs à distance », Agrobosque a dû se procurer les droits de propriété portant

sur le sous-sol. Or ses droits coûteraient chers et pourraient être rentabilisés par l’exploitation

de l’or que le sous-sol contient.

Je ne peux m’empêcher de mettre ces questions en relation avec les constats de plusieurs

socio-anthropologues du développement. Pour Fauroux, il n’est pas rare que les développeurs

s’appuient « (…) sur des initiatives locales qui, en réalité, n’existent pas et dont l’apparition

spontanée est d’ailleurs peu vraisemblable. Pour rendre crédible cette option, on suggère aux

villageois de formuler un certain nombre de demandes et de les présenter comme il convient,

selon les règles en vigueur. Les villageois se prêtent d’autant mieux à cet effort qu’on leur a

promis qu’ils pourraient ainsi recevoir des fonds non négligeables. La promesse est d’ailleurs

généralement tenue, ce qui incite les autres villages à suivre l’exemple. » Chacun y trouverait

son compte, « (…) les villageois parce qu’ils obtiennent ainsi des financement significatifs et

des aides diverses, les responsables des projets parce qu’ils croient voir là la voie du succès,

les bailleurs de fonds parce que cela calme leurs inquiétudes.»229 A mon retour, lors d’une

réunion au siège de Terre des Hommes à Genève pour préparer la suite des opérations avec

Gilles Labarthe, je me rappelle l’enthousiasme avec lequel Jean-Luc Pittet, nous disait qu’il

s’agissait d’aller « motiver » les membres d’Agrobosque pour ce projet. Ceci en réponse à

mes questions sur les études socioculturelles relatives au choix de ce « groupe stratégique ».

Pour Lavigne Delville, lorsqu’une démarche de diagnostique participative devient un critère

pour décrocher des financements, l’exercice n’a plus d’autre objectif pour les responsables de

projets que de voir « leur propres recommandations validées par les « communautés».230 En

fin de compte le processus de prise de décision ne suit pas la voie habituelle : définition d’un

problème, recherche de solutions, décision. Il marche à l’envers : il y a d’abord une solution

puis ensuite commence la recherche d’un problème adéquat. Et en définitive, l’offre des

agences de développement en vient à principalement refléter le point de vue des pays

industrialisés sur les besoins urgents de la population. Pour Bierschenk et al. ce ne sont pas

les « besoins ressentis » des gens qui modèlent l’approche du système de développement,

                                                                                                               229 Fauroux, 2006, p. 360-61 230 Lavigne Delville, 2000, p.15

79  

« (…) mais les orientations internationales de la politique de développement. Sinon, comment

expliquer l’explosion mondiale de projets pour les femmes, pour les petites entreprises, et

pour l’environnement dans les années 1980 ? »231

Notons que le terme de « besoin » dans ce processus offre des avantages considérables.

Comme le relève Olivier de Sardan, il est demandé aux acteurs d’un processus participatif

d’exprimer leurs « besoins », mais « Qu’est-ce donc qu’un « besoin », qui définit les

« besoins » de qui, comment s’exprime un « besoin », à l’adresse de qui ? Quel lecteur de ces

lignes est capable de répondre clairement, à brûle pourpoint comme après mûre réflexion, à

la question « de quoi avez vous besoin ? » Et qui ne fera pas varier sa réponse selon

l’évaluation qu’il ferait du type de « besoin » que sont interlocuteur serait prêt à satisfaire ?

(…) L’identification des besoins n’est dès lors qu’une procédure faisant légitimer par des

« propos paysans », sous forme de « besoins » recueillis par des enquêtes hâtives, les projets

que de toute façon les opérateurs de développement avaient déjà plus ou moins dans leurs

cartons sous forme d’ « offres ». Que d’ « études de milieu » bâclées, d’impressions hâtives

transformées en certitudes « issues du terrain » (…) »232

De toute évidence, il convient de s’interroger sur l’unanimité des bailleurs et des opérateurs

face au concept de « démocratie participative », un processus qui devrait pourtant « (…)

bouleverser les hiérarchies, remettre en cause le fonctionnement du système d’aide, et

transformer les rapports sociaux entre paysans et techniciens. »233 Et puis, les cadres

pourraient-ils s’engager dans des démarches qui remettent en cause leur pratique

professionnelle antérieure, et les mettent dans une position peu sécurisante ? Et même si telle

était la volonté des « agents de terrain », ces derniers sont bien souvent prisonniers de projets

qu’ils ont dû définir en amont et de leurs engagements par rapport à leurs bailleurs.

Dans ce contexte, quelles peuvent être les stratégies déployées par les « groupes cibles ».

Selon Olivier de Sardan toujours, les comportements des « à développer » face aux

propositions d’un projet renvoient, au-delà de la diversité des situations locales à quelques

positions désormais classiques : le principe de sélection et le principe de détournement.

                                                                                                               231 Bierschenk et al. 2000, p.255 232 Olivier de Sardan, 1995, p.73-74 233 Lavigne Delville, 2000, p.5

80    

En fait, aucun ensemble proposé n’est jamais adopté « en bloc » par ses destinataires, il est

toujours plus ou moins désarticulé par la sélection que les « à développer » opèrent en son

sein. Les raisons qui font que telles ou telles mesures proposées par les agents de

développement sont adoptées par les utilisateurs potentiels sont le plus souvent différentes de

celles invoquées par les experts. Cette « adoption sélective », comme le « détournement »,

peuvent être considérés comme les formes de l’ « appropriation » d’un projet par ses

destinataires. « Le paradoxe est que cette appropriation, souhaitée en son principe par tout

opérateur du développement, prend des formes qui se retournent bien souvent contre les

objectifs et méthodes des projets… »234

                                                                                                               234 Olivier de Sardan, 1995, p.134

81  

5.-­‐  Rencontre  entre  logiques  divergentes  

5.1  Les  logiques  des  chercheurs  ne  sont  ni  celles  des  « à développer »ni  celles  des  «  développeurs  »  

Au travers l’évocation des différentes logiques que suivent les divers « groupes

stratégiques », nous avons pu nous rendre compte de l’ « enchevêtrement des logiques

sociales »235 qui régit un réseau d’acteurs autour d’un projet. Nous avions relevé au chapitre

« méthodologie » que l’analyse des conflits est une piste de recherche fructueuse. Si les

conflits auxquels se trouvent confrontés des acteurs de Madre de Dios ont déjà été

mentionnés, intéressons-nous, ici, aux conflits cristallisés par le projet « or propre » en Suisse.

Pour Olivier de Sardan, l’aide humanitaire est un marché où circulent des biens, des services,

des carrières et dans lequel les ONG se concurrencent et rivalisent. « Sur une même scène

divers acteurs sociaux s’affrontent autour d’enjeux de pouvoir d’influence, de prestige, de

notoriété, de contrôle. Toute vision altruiste et évolutionniste du développement risque fort de

masquer cet aspect des choses. »236 Par ailleurs le chercheur en sciences sociales qui se donne

pour tâche d’élucider les logiques des « à développer » ou de les opposer aux logiques des

professionnels du développement n’en est pas pour autant « au dessus de la mêlée ». Ses

logiques de chercheur ne sont simplement ni celles des « à développer » ni celles des

développeurs.

Envisageons donc les divergences entre chercheurs et développeurs susceptibles d’éclairer les

difficultés rencontrées dans le cadre du projet « or propre ». Selon Bachelard, la connaissance

scientifique se construit « (…) par une lutte sans cesse renouvelée contre l’erreur, par la

critique méticuleuse, la polémique intellectuelle, la vigilance théorique et méthodologique, la

remise en cause permanente des acquis. »237 Alors que, note Olivier de Sardan238, l’action au

contraire est faite d’arbitrage, d’ambiguïtés, de compromis, de paris, de volontés, d’urgences.

L’une se garde de croire, l’autre en a besoin, l’une exige du temps, l’autre n’en a pas. L’une

veut observer des processus sociaux, l’autre veut les orienter ou les contrôler. Les sciences

                                                                                                               235 Olivier de Sardan, 2001. 236 Olivier de Sardan, 1995, p.58-59 237 Olivier de Sardan, 1995, p.190 238 Olivier de Sardan, 1995, p.190

82    

sociales recourent à des rationalités multidimensionnelles, non linéaires et non déterministes.

Par contre les développeurs se situent pour l’essentiel dans une rationalité technique (ou

technico-économique) où il convient d’aboutir à des décisions. Là où les opérateurs de

développement recherchent une convergence d’intérêts, les sociologues scrutent au contraire

les divergences et les contradictions.

Comme le souligne Olivier de Sardan, « Que les sciences sociales ne sachent répondre que

« les choses sont beaucoup plus complexes que vous croyez » n’est guère satisfaisant pour un

chef de projet (…) »239

Il s’agit là d’une réalité à laquelle j’ai effectivement été confrontée. Veerle déplorait

régulièrement le temps pris par nos recherches. Lorsqu’à une ou deux reprises, elle m’a

demandé mon avis sur un des acteurs, je n’ai pu que lui faire part de la complexité de la

situation sur le terrain. Enfin, au moment de la rédaction de ce travail, Veerle regrettait le fait

que j’insiste sur les conflits plutôt que sur ce qui pouvait être fédérateur. Je postule, qu’entre

autres choses, ces logiques divergentes quant à la manière d’envisager la faisabilité d’un

projet de développement a également influé sur la non prise en compte de nos recherches

anthropotechnologique par Terre des Hommes pour leur projet en Madre de Dios. Au chapitre

suivant, nous tenterons de proposer quelques pistes pour une collaboration plus fructueuse

dans d’autres circonstances. Mais au préalable il me paraît important d’expliciter les

contraintes auxquelles sont soumis les bailleurs de fonds.

Pour François Giovalucchi et Olivier de Sardan, l’outil du« cadre logique » est un bon

révélateur de cette tension entre les contraintes technoscientifiques de la planification

stratégique et la complexité imprévisible de la réalité sociale et des stratégies des acteurs que

les sciences sociales tentent d’appréhender. « La méthode dite du « cadre logique », élaborée

en 1969 pour l’USAID (LFA : logical frame approach), est devenue au fil du temps un outil

obligé de l’aide au développement. Bailleurs de fonds, partenaires du Sud, ONG et bureaux

d’études doivent présenter les projets sous la forme d’une matrice mettant en regard objectif

final, objectifs intermédiaires, moyens et conditions de réalisation. »240

                                                                                                               239 Olivier de Sardan,1995, p.197 240 Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009, p.384

83  

Aucune référence n’est faite aux conflits sociaux et politiques, aux clivages factionnels, aux

injustices, aux rapports de force. Le responsable de projet est censé prévoir l’enchaînement

vertueux des causes et des effets qu’il range dans les différentes cases de sa matrice. Le

« cadre logique », par sa définition à priori des objectifs ne permet pas « (…) une réelle

adaptation du projet à la réalité : il serait plutôt conçu pour adapter la réalité au projet. »241

Le risque de cette pensée linéaire et d’envisager l’avenir en fonction des valeurs du présent et

de ne pouvoir appréhender les changement naissants.

Tout instrument d’actions publiques incorpore, au-delà de sa structure technique, une certaine

idéologie et une certaine configuration épistémologique. Ainsi l’épistémologie qui sous-tend

la méthode du cadre logique relève « (…) d’une « mono rationalité cartésienne », dont les

trois éléments essentiels sont la linéarité (existence d’une chaine de causalité reliant les effets

aux causes), la rationalité (adaptation des moyens aux buts poursuivis) et la liberté

(conception du projet par un sujet libre de toute détermination sociologique ou

politique). »242 Or au sein des sciences humaines, depuis les années 1950-1960, les

représentations linéaires et « cartésiennes » du social ont fait la place à des représentations

complexes, interactives, multi causales. On peut s’étonner, dès lors, que la technique du cadre

logique, ignore tous ces acquis.

Peut-être ce choix d’un modèle rationnel est-il lié au désir d’appliquer la logique de la

« bonne gouvernance » capitaliste pour que les pays du « tiers monde » puissent enfin accéder

aux bienfaits de la société industrialisée. Pourtant, comme le relève Olivier de Sardan, la

croyance en une société occidentale régulée par des mécanismes causals qui mettraient en

interaction des acteurs rationnels sur la base de critères purement fonctionnels serait erronée.

En effet, « (…) au cœur même des grandes entreprises multinationales ou des appareils

administratifs occidentaux, les relations personnelles, le clientélisme, l’ostentation, la quête

de pouvoir, la corruption, les effets de mode ou les légitimations symboliques n’ont pas

abandonné la place (…) »243 Au vu de ce qui précède, pour Mosse244, ce ne sont pas les

échecs des projets de développement, rationnellement planifiés, qu’il faut tenter d’expliquer,

c’est la réussite de certains de ces projets qui est remarquable.

                                                                                                               241 Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009, p.397 242 Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009, p.394 243 Olivier de Sardan, 1995, p.63 244 Mosse, 2007 p.7

84    

Si le « cadre logique » s’ancre dans une conception désuète de la causalité linéaire, on ne peut

dire pour autant que les professionnels qui l’utilisent soient prisonniers de cette idéologie.

« Les significations idéologiques ou les présupposés cognitifs plus ou moins intégrés dans

l’outil peuvent être appliqués, ignorés, transformés, contournés, ou détournées dans la

pratique. »245 Néanmoins, l’expert dépêché sur le terrain, dans notre cas Gilles Labarthe, doit

tenir compte du mandat du bailleur qui l’emploie, ici, Terre des Hommes Suisse et

indirectement la DDC. Comme le souligne Bierschenk246, le bailleur détermine largement la

durée et la nature de l’enquête à effectuer. Le temps dont Gilles Labarthe disposait pour faire

son étude de faisabilité était de deux mois, dont dix jours en Madre de Dios. Il devait au terme

de cette période, proposer une analyse de faisabilité technologique, commerciale,

organisationnelle et juridique. Plus précisément, mentionne-il en introduction de son rapport,

il devait rendre compte des247 :

- faisabilité technologique : production d’or propre sans substances nocives

- faisabilité commerciale : notamment concurrence entre les différents acteurs

- faisabilité organisationnelle et juridique : réceptivité des communautés locales par

rapport aux techniques de production d’or propre, droit de la terre (permis

d’exploitation du site, concessions, etc.), droit de commercialisation et d’exportation.

Nous pouvons comprendre qu’en raison des moyens à dispositions, au vu des enjeux

stratégiques inhérents au réseau d’acteurs en Madre de Dios, des difficultés corrélées à la

titularisation (permis d’exploitation, propriété de concession), des liens privilégiés qui lient

Terre des Hommes à Agrobosque et des critères relatifs à l’organisation sociale pour accéder

aux standards du commerce équitable, Gilles Labarthe ait fait le choix de proposer la

coopérative Agrobosque. Une fois ce choix effectué, ses recherches se sont concentrées sur la

technologie.

En ce qui me concerne, à mon retour j’ai participé à deux réunions avec les acteurs du projet

« or propre ». Au terme de ces réunions, sur la base de ce que j’ai présenté dans les chapitres

sur la « technologie alternative au mercure » et la « démocratie participative », j’ai décidé de

ne pas poursuivre. Ceci d’autant que mes interventions n’ont fait que susciter de l’animosité.

                                                                                                               245 Giovalucchi et Olivier de Sardan, 2009, p.386 246 Bierschenk, 1988, p.153 247 Labarthe, 2009, p.3

85  

Compte tenu de la virulence des propos échangés au cours de ces réunions, je ne peux que

sourire lorsque je lis la remarque de David Mosse : “Ethnography denies to others their

cosmopolitan claims by contextualising, localizing, placing in relationships. (…) it is clear

that when anthropologists point to the arbitrary, the compromises and discrepancies, the

relational in development, or when they prioritize form over content, they can demean and

invoke rage. Claims of damage of professional reputations may follow, defamation cases may

be threatened. Our ethnographic localizing strategies are damaging of cosmopolitan claims

that are always fragile.”248

Je tiens à relever le chemin parcouru par Veerle au cours de nos deux ans de collaboration.

Sans n’avoir auparavant jamais travaillé dans le « développement », partie d’une conception

relativement linéaire et évolutionniste du type de démarche à effectuer, elle me semble

aujourd’hui saisir la complexité des enjeux dans l’arène des acteurs d’un projet de commerce

équitable d’or « propre ». Comme je le mentionnais en introduction, actuellement, Veerle

s’est fixé pour nouvel objectif, la mise en place d’une fondation pour promouvoir un

commerce équitable plus à même d’intégrer les difficultés sociales, organisationnelles,

auxquelles sont confrontés les petits producteurs.

C’est grâce à Veerle que j’ai pu participer à mon retour, aux réunions avec Terre des

Hommes. En effet, celle-ci souhaitait que je puisse faire part de mes remarques qu’elle

estimait pertinentes. Toutefois, bien qu’elle comprenne ma décision de ne pas poursuivre le

projet, Veerle m’a expliqué ne pas pouvoir se défaire d’un partenariat qu’elle pense, malgré

tout, profitable.

Face à ces difficultés entre socio-anthroplogues et développeurs, Olivier De Sardan propose

un modèle de collaboration. Dans ce modèle, « (…) chercheurs et opérateurs s’accordent

pour définir une zone nettement circonscrite d’interaction et de collaboration, sans renoncer

à leurs identités spécifiques. C’est celui où les deux parties négocient ensemble les termes de

référence de la recherche par une confrontation, sur un domaine précis, de leurs logiques

respectives. »249 Ce modèle, auquel je consacre le chapitre suivant, se concentre sur la place

susceptible d’être accordée aux « dérives » au sein d’un projet de développement.

                                                                                                               248 Mosse, 2007 p.14 249 Olivier de Sardan, 1995, p.194

86    

5.2  Collaboration  entre  chercheurs,  «  développeurs  »  et  «  à  développer  »  :  Analyser  les«  dérives  »    et  «  vulgariser  »  les  conclusions  dans  une  «  approche  processuelle  »  

Selon De Sardan, « (…) si les études sociologiques préalables à la mise en œuvre d’un projet

peuvent (à supposer qu’elles soient sérieuses et qu’il en soit tenu compte, deux conditions qui

ne sont pas nécessairement remplies) éviter certains paris particulièrement stupides (dont

l’histoire du développement fourmille), elles ne peuvent en aucun cas lire dans du marc de

café, c’est-à-dire éliminer le pari. »250 Dès lors, c’est la place que l’on accorde aux

« dérives » qui devient déterminante. « S’agit-il d’effets normaux d’interactions largement

imprévisibles ? Ou d’effets pervers et nuisibles dont il faut se garder ? »251 Pour Olivier de

Sardan252 le « suivi » des « dérives » peut être un espace privilégié de collaboration entre la

socio-anthropologie et les institutions de développement.

La socio-anthropologie du développement a mis au point des outils conceptuels et

méthodologiques pour décrire ces interactions et ces dérives. L’« approche processuelle »

prônée par David Mosse253 prend en quelque sorte le contre-pied de la démarche du « cadre

logique », puisqu’elle suppose qu’un projet puisse transformer progressivement non

seulement ses activités, mais aussi ses objectifs, pour tenir compte des réactions des

bénéficiaires à ses actions.

Au sein de la configuration développementiste, les « dérives » seraient le plus souvent

perçues comme des échecs imputés soit aux développés soit aux développeurs. Pourtant ces

dérives apparaissent, comme inéluctables, et, en un sens, indispensables. Dès lors, la

meilleure utilisation du socio-anthropologue dans le cadre d’une action de développement

serait de lui demander d’évaluer l’ampleur, la nature et les raisons possibles de ces

« dérives », autrement dit d’assurer le suivi des interventions. « En effet la description, la

compréhension et l’interprétation des différentes dérives que subissent les interventions en

développement peuvent permettre à ces interventions de se réajuster et de s’adapter à leur

tour aux sélections et détournements que les populations leur font subir, (…) »254

                                                                                                               250 Olivier de Sardan, 1995, p.196 251 Olivier de Sardan, 1995, p.197 252 Olivier de Sardan, 1995, p.196 253 Mosse, 1998 254 Olivier de Sardan, 1995, p.197-98

87  

L’apport du chercheur en sciences sociales ne tient alors plus au fait de produire des

connaissances nouvelles qu’à articuler un ensemble d’éléments souvent connus mais

dispersés, à leur donner sens en les mettant en perspective et à les poser explicitement,

facilitant ainsi leur prise en charge. Il s’agit d’apporter aux développeurs une lecture

différente de celle qu’ils ont spontanément des situations sur lesquelles ils travaillent. Cela

devrait leur permettre de se positionner différemment, d’ajuster leurs interventions aux

réalités sociales et politiques dans et sur lesquelles ils agissent.

Mais cela implique, en premier lieu, un travail de compréhension mutuelle, une

reconnaissance du métier de l’autre, de ses logiques et de ses contraintes. Les logiques et les

règles de la recherche sont souvent mal connues de ceux qui sont dans l’action. Les

développeurs, soumis à des contraintes opérationnelles « (…) attendent souvent des

chercheurs des réponses immédiates à des questions qu’ils se posent, sans voir que leur façon

de poser les questions ne suit pas un questionnement sociologique et donc n’a pas forcément

de réponses d’un point de vue des sciences sociales (…) »255 Parallèlement, le chercheur se

doit de comprendre la « culture développementiste » et pas seulement la culture des

bénéficiaires d’un projet. Un deuxième enjeu se situe autour de la négociation d’un

questionnement dans lequel se retrouvent les deux parties et d’un cadre de travail cohérent

avec lui : « (…) sur quoi porte exactement la question, comment la formuler pour qu’elle

réponde bien aux attentes opérationnelles, dans un sens qui soit intelligible pour

chacun ? »256 Un troisième point fondamental concerne la gestion des question des rythmes

et des délais, « (…) les modes de restitution et « d’accompagnement de l’information

anthropologiques » (Barré 1995 :13). »257 Le temps de l’action n’est pas celui de la

recherche, l’opérationnel ne peut attendre la publication scientifique finale et a besoin de

résultats empiriques, même provisoire, suffisamment rapidement.

 On peut imaginer aller plus loin que l’analyse des « dérives » pour le compte des

« développeurs ». On peut envisager, à l’aide de diverses mesures de restitutions auprès des

« populations », d’aider celles-ci à mieux négocier avec les institutions de développement.

Pour Olivier De Sardan, une telle inversion de la perspective est séduisante mais doit alors

affronter les mêmes questions que l’analyse des projets de développement. Lorsqu’on

                                                                                                               255 Lavigne Delville, 2007, p.139 256 Lavigne Delville, 2007, p.146 257 ibid

88    

souhaite s’adresser aux « populations » : « (…) de quels segments de ces populations s’agit-il

en fait ? Qui se positionne en « représentant » de ces populations ? Avec quels « intérêts »

locaux le socio-anthropologue fait-il alliance ? »258

Il faut également faire face à un autre dilemme « Les acteur sociaux reconnaissaient que la

réalité telle que nos l’analysions était bien celle qu’ils vivaient (bien qu’elle soit

ordinairement cachée en public). Ils la déploraient (bien qu’ils soient en fait souvent partis

prenante de cette réalité). Et ils avaient la plus grande perplexité quant aux moyens de la

modifier (exprimant plutôt découragement ou fatalisme). Comment forger ce chaînon

manquant, non dans le confort de formules rhétoriques, mais dans la pratique quotidienne de

tentatives réformatrices sérieuses ? »259

En tant que chercheurs en sciences sociales, nous savons cartographier des réseaux d’acteurs

impliqués ou mis à l’écart d’un projet, nous pouvons expliciter les logiques qui animent les

divers groupes stratégiques d’un réseau et favoriser la compréhension mutuelle, par contre,

nous n’avons pas de compétence particulière en termes de montages institutionnels, de

capacités organisationnelles, de formulation de politiques concrètes, de stratégies de

communication, de propositions réformatrices, etc. Selon Olivier de Sardan, on pourrait

même dire « (…) qu’en ce domaine nous avons généralement une naïveté symétrique de celle

qu’ont souvent les professionnels du développement en matière de connaissance du milieu.

Quant à ces derniers, qui ont, eux, ces compétences qui nous manquent, ils ne savent pas

pour autant comment faire le lien entre les analyses que nous produisons et leurs propres

programmes d’interventions. »260

En résumé, pour Lavigne Delville261, il manque d’une part un « chaînon » qui permettre de

faire des liens de raisonnement entre une lecture socio-anthropologique des dynamiques

sociales et les objets d’action des développeurs, d’autre part, en termes institutionnels, un

chaînon qui contribue à organiser pratiquement la collaboration, dans le respect des logiques

et attentes des différents « groupes stratégiques ». Olivier De Sardan va jusqu’à imaginer la

constitution d’une profession nouvelle spécialisée dans cette interface ».

                                                                                                               258 Olivier de Sardan, 1995, p.202 259 De Sardan, 2004, p.40 260 De Sardan, 2004, p.39 261 Lavigne Delville, 2007, p.147

89  

Emilie Barrau, Philippe Lavigne Delville, Daniel Neu, membres du GRET262 consacrent un

numéro de Coopérer aujourd’hui263 à une méthodologie d’adaptation des démarches de

développement local au contexte institutionnel et aux acteurs. J’invite le lecteur intéressé à

approfondir ses connaissances sur le sujet à s’y référer.

En ce qui nous concerne, au sein de l’EDANA264, nous envisageons de poursuivre nos

recherches « processuelles » en Madre de Dios. Face à approximativement 20'000 orpailleurs,

s’affrontant par groupes interposés, répartis sur 85’182 km2 dans des régions difficiles

d’accès, la question devint vite : A qui s’adresser ? Et comment ? Favoriser les associations

connues reviendrait à s’adresser à quelques dizaines de personnes disposant déjà de

ressources supérieures à la moyenne. Dès lors nous souhaitons démarrer nos recherches à

partir des « lieux de raffinage » auxquels se rendent tous les orpailleurs pour vendre leur or.

Avant de peser l’or rapporté par les petits producteurs, les agents de ces « lieux d’achat-

vente » le brûlent à nouveau avec un peu de borax pour agglomérer les impuretés. Lorsque

l’or est brûlé, les 5 à 15% de mercure restant dans l’or, traité au préalable par les orpailleurs,

se répandent dans l’air ambiant. Selon une étude de l’Agence de Protection de

l’Environnement des Etats-Unis (EPA), citée par Mosquera et al. la concentration de mercure

dans l’air aux alentours de ces boutiques atteint 35 ug/m3, ce qui est bien supérieur au niveau

maximal de 1ug/m3 autorisé par l’OMS. C’est toute la population des villes et villages où se

concentrent les boutiques achetant de l’or qui est contaminée.

Pour nous, d’une part, il s’agirait d’établir une collaboration avec les autorités de Puerto

Maldonado et les propriétaires de ces lieux d’achat-vente pour faire une recherche sur les

                                                                                                               262 « À l'interface de la recherche et du développement, le Gret veut être un lieu d'analyses et de réflexion sur les processus de développement et les méthodologies d'intervention. Il engage des processus de capitalisation d'expérience sur la pratique du développement, à partir de ses propres actions ou en partenariat, initie et met en œuvre des projets de recherche pour le développement, en collaboration avec des instituts de recherche. Il élabore et publie des ouvrages de référence sur le sujet. » (http://www.gret.org/activites/recherche_capit.htm, 2 juin 2010) 263 Barrau et al. 2008 264 « Depuis plus de 50 ans, les sciences humaines et sociales font émerger des décalages systématiques entre les activités prescrites par les concepteurs et les activités « réelles » des utilisateurs. Ils ont des conséquences parfois dramatiques sur les conditions de vie et de travail des individus. L’approche anthropotechnologique mise en œuvre dans notre laboratoire permet d’anticiper ces décalages et leurs répercussions. Elle accorde une place centrale aux manières de penser et d’agir de ceux qui participent et font vivre les objets et les techniques. Nous dépassons l’approche classique bipolaire –concepteurs/utilisateurs - pour étendre nos champs d’intervention aux femmes et aux hommes qui les produisent, les font circuler et leur donnent une deuxième vie. » (http://ihc.he-arc.ch/ihc-edana/philosophie: 2 juin 2010)

90    

conditions d’adoption de technologies réduisant les émissions de mercure. Il semble que

l’EPA ait fait des propositions techniques intéressantes. Avec les ingénieurs de la HE-ARC

du Locle nous aurions la possibilité d’adapter les technologies si cela s’avérait nécessaire.

D’autre part, ces « boutiques » seraient un « tremplin » pour poursuivre une enquête

ethnographique : identifier les réseaux d’acteurs et les « groupes stratégiques », développer

notre compréhension des représentations des différents acteurs, appréhender l’enchevêtrement

des logiques sociales, les stratégies et les conflits. Enfin, nous proposerions des restitutions

publiques aux multiples acteurs concernés et l’animation de groupes composites d’acteurs

prêts à dialoguer et à s’investir dans la recherche de solutions.

91  

6.-­‐  Conclusion  

Dans ce travail nous nous sommes intéressés à l’extraction aurifère non industrielle. Une

activité qui toucherait 11 à 13 millions de personnes dans le monde, générant 10 à 20% de la

production d’or mondiale. L’extraction aurifère non industrielle est généralement dénoncée

pour ses impacts sanitaires et environnementaux. Il est rarement mentionné qu’elle permet à

des millions de gens d’échapper à la pauvreté. L’usage du mercure lors de l’amalgamation du

métal précieux est au centre des préoccupations occidentales.

De notre côté, nous avons entrepris nos premières recherches anthropotechnologiques autour

de cet usage du mercure, en vue d’identifier les impacts socioculturels d’un éventuel transfert

de technologie. Nos investigations nous ont conduit, dans un premier temps, à nous

concentrer sur une région particulière : Madre de Dios dans l’Amazonie du Sud-Est Pérou. Là

sont réunis quelques 20'000 orpailleurs produisant plus de 16’000 kg d’or par an. Cependant,

notre étude nous a rapidement amené à étendre notre questionnement aux logiques des

institutions internationales impliquées dans la promotion du commerce équitable de l’or

extrait non industriellement.

Ainsi, tant au niveau des « développeurs », des « chercheurs » que des orpailleurs, nous avons

cherché à identifier la manière dont les acteurs s’approprient les conditions institutionnelles, à

caractériser les différentes stratégies et rationalités des acteurs, les conditions dans lesquelles

elles émergent plutôt que de favoriser une analyse structurelle qui envisage tout changement

comme le résultat de forces extérieures (telles que le marché, l’Etat ou les Institutions

internationales).

Dans cette optique, nous avons tout d’abord voulu dessiner un réseau des acteurs cherchant à

promouvoir le commerce équitable d’or extrait non industriellement, puis à cartographier les

différents « groupes stratégiques » que les acteurs constituent ainsi que les relations entre ces

groupes. Ensuite, nous nous sommes intéressés aux logiques qui sous-tendent les actions de

ces groupes, les contextes auxquels ces rationalités peuvent être rattachées.

92    

En premier lieu, nous avons abordé le paradigme évolutionniste, corrélé à une perspective

ethnocentriste qui, selon Olivier de Sardan, légitime l’ensemble des pratiques professionnelles

des « développeurs », quelles que soient leurs orientations idéologiques, morales ou politiques

alors même qu’elles ont été récusées depuis une cinquantaine d’années par le champ

académique et notamment anthropologique. Ces conceptions évolutionnistes et

ethnocentristes fondent les campagnes de sensibilisation menées par les développeurs. Elles

génèrent également de fausses explications du type « ils sont retardés », « c’est leur culture

qui veut ça » et conduiraient à perpétuer la démission des opérateurs de développement face à

des réalités complexes, des attitudes faiblement innovatrices et adaptatives.

Nous avons relevé que les objectifs de « progrès économiques », de « réduction de la

pauvreté » s’inscrivaient dans ces dimensions évolutionnistes et ethnocentristes Le

« commerce équitable » est, pour sa part, fortement connoté moralement avec des valeurs

modernes et néolibérales telles que « les droits de l’homme », l’ « efficacité », la

« rationalité ». Si dès lors, les producteurs des pays « en voie de développement » sont

considérés comme des personnes de droits, ils sont aussi positionnés comme « trop faibles »

pour atteindre ces droits de manière autonome. Par ailleurs, l’idée de vouloir éliminer les

« intermédiaires » dans le commerce équitable de l’or extrait non industriellement ne semble

pas tenir compte du fait que la relation des producteurs d’or avec leur(s) intermédiaire(s) est

cruciale.

Le « commerce équitable » est l’une des stratégies promues par l’Agenda 21 depuis l992 pour

encourager le « développement durable ». Mais là encore nous nous sommes interrogés sur

cette notion. Pour Pierre Lascoume, le « développement durable » est un « mythe

pacificateur » qui ne constitue pas un cadre cohérent pour l’action. Comme le souligne

l’anthropologue Gilbert Rist : Comment identifier les « besoins » auxquels il faudrait

répondre pour un développement durable ? Les intérêts des Etats industrialisés ne sont pas

homogènes et ne s’accordent pas avec ceux des Etats en développement, eux-mêmes tout

aussi diversifiés dans leur position que les précédents.

La mise en avant de la problématique du mercure en Occident illustre cette difficulté de

s’entendre sur la définition des « besoins prioritaires » pour un « développement durable ». Si

les « développeurs » occidentaux, rencontrés dans le cadre de cette recherche sont

principalement préoccupés par la recherche d’une alternative technologique au mercure, en

93  

Madre de Dios aucun orpailleur ne semble croire aux méfaits de cet élément toxique. En

outre, le fait de se concentrer sur la problématique du mercure tend à dissimuler de

nombreuses autres problématiques sociales et environnementales, telles que l’alcoolisme, la

prostitution, les accidents de travail, les conflits opposants les différents groupes en présence,

les règlements de compte, l’insalubrité, les aspects sanitaires, la déforestation, la dégradation

des sols, la détérioration des rivières, la contamination par hydrocarbure, la consommation de

pétrole, etc.

Puis nous avons constaté que l’assertion d’Olivier de Sardan selon laquelle tout projet de

développement ne vise pas seulement un transfert de technologies mais s’assortit aussi de

tentatives de transfert de structures et de modes d’organisation sociales s’appliquait au projet

de commerce équitable d’or extrait non industriellement. Depuis les années 1990, tant le

Président de la Banque mondiale que le secrétaire Général des Nations Unies évoquent la

nécessité d’accorder une autorité croissante à la « bonne gouvernance », soit aux processus et

aux institutions « par le biais desquels les citoyens et les groupes expriment leurs obligations

et auxquels ils s’adressent en vue de régler leurs différends. » Nous avons examiné plusieurs

tentatives de transfert de « technologie sociale ». Hernando de Soto, économiste péruvien,

prône l’accès au capital par le biais du droit à la propriété grâce à une réforme du cadre légal.

Cela permettrait de réduire l’informalité qui toucherait, en 1994, 48% de la population

péruvienne.

On retrouve le concept de « formalisation » dans le discours des différents promoteurs du

commerce équitable de l’or extrait non industriellement, chez certains producteurs de cet or

ainsi que chez les auteurs d’études sur l’orpaillage au Pérou et plus particulièrement en Madre

de Dios. Mais, comme de nombreux concepts, si la notion de « formalisation » est fédératrice,

elle n’est pas envisagée de la même manière par tous les acteurs cartographiés. Si les

orpailleurs de Madre de Dios, constitués en association, et De Soto envisagent la

« formalisation » comme une réforme du cadre légal visant à faciliter l’accès à la propriété,

les développeurs, pour leur part, semblent plutôt employer le concept comme un synonyme

d’organisation sociale en association ou coopérative.

Ainsi, c’est une condition pour les producteurs d’or non industriel d’être constitués en

association ou coopérative s’ils souhaitent s’inscrire dans le processus de certification

94    

nécessaire pour commercialiser un or labellisé « équitable ». Cette nécessité d’organisation

sociale relèverait, selon Jacob et Lavigne-Delville d’un « idéaltype » d’efficacité et d’équité

du modèle bureaucratique. Or, participer aux activités d’une association n’est possible que

lorsque les gens ont déjà des ressources; ce qui n’est pas le cas « des plus pauvres des plus

pauvres » auxquels souhaitent s’adresser les développeurs.

L’idéologie inhérente à l’exigence d’être organisé en association ou coopérative est celle de la

« démocratie participative ». Ce présupposé omettrait de considérer que ces regroupements ne

sont que rarement l’expression d’un consensus égalitaire, ou que pour fort peu de temps. Cet

idéal cache les multiples divisions et antagonismes régissant les rapports entre les acteurs

concernés (contradiction de type statutaire, compétitions liées aux facteurs de production,

rivalités interpersonnelles, appartenances à divers réseaux formels et informels). En Madre de

Dios, les conflits sont nombreux entre les différents groupes : orpailleurs formalisés ou non,

orpailleurs natifs ou non, agriculteurs, forestiers, défenseurs de l’environnement ou de

l’écotourisme). La distribution des droits relatifs à la propriété génère de graves querelles

pouvant aller jusqu’au règlement de compte meurtrier.

En outre, l’exigence d’organisation en association ou coopérative pour prétendre au

commerce équitable conduit certains développeurs sur le terrain à choisir à priori des

interlocuteurs organisés en association et coopérative mais ne possédant aucune

reconnaissance locale, peu de compétences en lien avec l’objet de l’intervention

développementiste, ici avec la question de l’orpaillage. Pour Lavigne Delville lorsqu’une

démarche de diagnostique participative devient un critère pour décrocher un financement,

l’exercice n’a plus d’autres objectifs pour les responsables de projets que de voir leurs propres

recommandations validées par les communautés. Cela va à l’encontre de l’intention initiale

qui était de permettre aux plus démunis et aux plus vulnérables de se faire entendre,

conditions pour que le « développement » soit durable. Le processus de prise de décision ne

suit pas la voie habituelle : définition d’un problème, recherche de solutions, décision. Il

marche à l’envers : il y a d’abord une solution puis ensuite commence la recherche d’un

problème adéquat. En définitive, l’offre des agences de développement en vient à

principalement refléter le point de vue des pays industrialisés sur les besoins urgents de la

population. Par ailleurs, de toutes les façons, il conviendrait de s’interroger sur l’unanimité

des bailleurs et des opérateurs face au concept de « démocratie participative », un processus

qui devrait bouleverser les hiérarchies, transformer les rapports sociaux.

95  

Au terme de cette analyse nous avons abordé la question des réactions que pouvaient susciter

une telle analyse socio-anthropologique chez les opérateurs de terrain, les bailleurs de fonds,

nous nous sommes interrogés sur les collaborations possibles entre chercheurs et

développeurs. Olivier De Sardan propose de délimiter une première collaboration autour du

suivi des « dérives » inévitables de tout projet de développement. Une approche processuelle

permettrait de transformer progressivement non seulement un projet mais aussi ses objectifs,

pour tenir compte des réactions des bénéficiaires à ses actions. Pour d’autres chercheurs, tels

notamment que les membres du GRET, on peut imaginer aller plus loin que l’analyse des

« dérives », on peut envisager, à l’aide de diverses mesures de restitutions auprès des

« populations », d’aider celles-ci à mieux négocier avec les institutions de développement. Si

pour Olivier De Sardan, une telle perspective est séduisante, il souligne l’importance alors

d’affronter les mêmes questions que lors de l’analyse de projets de développement :

Lorsqu’on souhait s’adresser aux « populations », de quel segment de la population s’agit-il ?

Qui se positionne en tant que représentant des ces populations ? Avec quels intérêts et quelles

alliances ?

De notre coté, si nous devions poursuivre nos recherches en Madre de Dios, face à quelque

20'000 orpailleurs, s’affrontant en groupes interposés, répartis sur 85'182 km2 dans des

régions difficiles d’accès, nous privilégierions les « lieux de raffinage » où les producteurs

vendent leur or. Ces lieux sont plus facilement dénombrables, identifiables et accessibles. La

concentration de mercure dans l’air aux alentours de ces « boutiques » atteint 35ug/m3 ce qui

est bien supérieur au niveau maximal de 1ug/m3 autorisé par l’OMS. C’est toute la population

des villes et villages où se situent ces « boutiques » qui est contaminée. Ainsi tout en ayant un

premier impact sur la contamination par le mercure nous poursuivrions nos recherches

processuelles en identifiant plus finement, grâce à l’observation participante, les réseaux

d’acteurs et groupes stratégiques impliqués dans le commerce de l’or en Madre de Dios. Nous

chercherions à développer notre compréhension des différents besoins, des différentes

rationalités de ces acteurs. Nous nous concentrerions sur l’enchevêtrement des logiques

sociales, les relations de pouvoir au sein des associations et entre les regroupements, les

stratégies, les conflits. Enfin sous souhaiterions développer la possibilité de restitutions

publiques adéquates pour permettre aux différents groupes identifiés de mieux négocier avec

les institutions de développement et les autres groupes stratégiques impliqués.

96    

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