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l'introduction de la loi de la jungle (voir les scandales financiers du football, du cyclisme ou de la Formule I) - et la sportivisation de la vie économique - avec sa compétition impitoyable, ses records, ses procédures d'arbitrage, etc. C'est le marché qui est aujourd'hui, plus que le sport, le mythe rédempteur, salvateur. Le marché est présenté comme la solution à tous les maux socio- économiques, bien que les effets dissolvants de ce marché appa- raissent très rapidement dans leur implacable logique. Pour conclure, peut-on envisager le sport comme un projet culturel ou socio-politique, au sens où Sartre entend le projet ? Il faudrait pour cela envisager une transposition culturelle des pratiques sportives de manière à rendre, si c'est possible, la compétition éducative. Cela supposerait la réintroduction des notions de jeu et de plaisir, de liberté ludique, voire érotique, de création esthétique (le beau comme principe régulateur), toutes ces notions étant indissolublement liées les unes aux autres. Or, le sport a été autonomisé et séparé de ces valeurs fondamentales de beauté, de réalisation de soi, de liberté, de vérité, de coopération non agressive, au profit d'une course acharnée à la performance et à l'efficacité qui est la négation des valeurs humaines fonda- mentales. Pour que le sport devienne ou redevienne un élément de culture il faudrait qu'il cesse d'être pure contrainte pour devenir ou redevenir maîtrise de soi, accomplissement, développement des valeurs. Il faut relever l'ambivalence et la contradiction du sport qui est une pratique de plus en plus mécanisée, appareillée, de refus de la mort, du vieillissement et donc du temps humain comme durée irréversiblement altérante. Une pratique violente aussi de refus de la violence. Le sport est refus, canalisation, domestication, rituali- sation de la violence, massive ou sporadique, qu'il ne cesse en même temps de provoquer, en transgressant l'éthique du sport. Et cette violence évacuée se retrouve dans le professionnalisme où le corps est transformé en pure fabrique énergétique qui refoule toutes les dimensions affectivo-pulsionnelles qui risquent d'en- traver le succès. La dimension culturelle du sport provient essentiellement de sa capacité relationnelle en tant que proximité quotidienne, socialité, convivialité : se retrouver dans la fête, voire dans la transgression de la routine ordinaire. C'est en tant que lieu de vie, style de vie que le sport revêt une dimension culturelle. En fait, il faudrait distinguer deux types de sports, et non un seul, autonomisé, formalisé, impersonnel, technocratisé. ÉCONOMIE DES BIENS, ÉCONOMIE DES HOMMES Réflexions désabusées à propos du corps sportif LOUIS-VINCENT THOMAS Professeur émérite, Paris V Les sociétés industrielles avancées sont des socié- tés à accumulation des biens où triomphe l'homo economicus : si l'économie peut, en tant qu'instance sociale, être dominante, elle reste toujours déterminante, écrivait à juste titre Louis Althusser. Plus riches en signes, en techniques et en machines qu'en symboles, s'appuyant avant tout sur un temps linéaire et cumulatif, faisant de la nature soit un tissu de lois abstraites, soit un champ d'exploitations effrénées (quitte à la détruire et à se détruire elles-mêmes par voie de retour), elles tendent à réduire l'homme à un producteur/consommateur, voire à une marchandise que le pouvoir en place trafique ou modèle selon le sens de ses projets, c'est-à-dire de ses intérêts. On sait bien que le corps est un produit social : même si ses caractères morphologiques paraissent des données de nature, ils sont façonnés par le genre de vie. Le maintien, les attitudes rendent compte de la manière dont on vit son corps : par exemple, le bourgeois occidental marche sorti de son axe, la tête en avant, comme si son port était marqué par le triomphe du rationalisme ; au contraire, dans la brousse africaine, le Noir qui ne connaît pas le tabou du corps se meut en souplesse, son centre de gravité bien à sa place dans le bas-ventre (le hara, comme disent les Japonais). Mais les dommages du rationalisme vont bien au-delà de ces inélégances. Depuis Descartes, et longtemps avant l'épanouisse- ment du machinisme, la raison toute puissante se devait de dominer le corps que plusieurs siècles de Christianisme avait déjà plus ou moins dévalorisé. Cette domination ne se limita pas au plan de l'éthique individuelle ; avec le Siècle des Lumières, le corps-machine devient un instrument au service de la technologie naissante. Ainsi s'amorce ce que Michel Foucault appelle une anatomo-politique du corps humain dont le propos est « son dressage, la majoration de ses aptitudes, l'extorsion de ses forces, la croissance parallèle de son utilité et de sa docilité, son intégra- tion à des systèmes de contrôle efficaces et économiques ». Au nom du savoir et du pouvoir, on élabore les disciplines qui permettent d'augmenter la productivité, de multiplier les ressour- ces, d'améliorer les techniques et, par même, on commence à maîtriser la vie. Ce corps a été si bien encadré à tous les niveaux des rouages sociaux qu'il a cessé d'appartenir à son propriétaire, dans la famille, à l'atelier, à l'école, à la caserne, on l'a façonné par l'éducation et l'apprentissage de façon qu'il réponde aux exigen- ces normalisatrices du système. Rentabilisé au maximum, formé à l'obéissance, on ne lui reconnaît que sa qualité de force productive et, comme tel, il est réduit à une chose : mais pas n'importe quelle chose. Dans cette réification généralisée qui est la rançon du système en place, capitaliste ou soi-disant socialiste, intervient la hiérarchisation des rapports de production : selon la place qu'on occupe, l'image que l'on a et que l'on donne de son corps diffère, les moins favorisés étant évidemment ceux dont la seule force de travail est de leur corps. C'est justement dans cette idéologie que se situe le sport officiel : sport-spectacle (payant) ; sport-jeu (loto sportif, PMU) ; sport ins- trument de politique : il vise soit à évacuer la revanche possible des pauvres (avec le foot en Amérique latine ou en Afrique noire), soit à prouver la supériorité de la race (nazisme) ou de l'idéologie (pratiques sportives des ex-pays de l'Est). Il suppose : des lieux, du ring au stade ou au vélodrome à rentabiliser (1) ; des institutions à gérer, Fédération de ceci et de cela, ou clubs (2) ; et surtout des acteurs, c'est-à-dire des corps préfabriqués qui vendent leur force de travail... Derrière cet engrenage implacable de politico-économico-technologique se cache une idéologie première. En effet, dans le sport, la morale traditionnelle a toujours vu une école de volonté qui développe l'esprit d'équipe, découvre les bienfaits de l'effort désintéressé, sublime l'agressivité. Les dessins des pages 11 et 14 sont extraits de «Anthropophagie du Sport », Quel corps ?, n° 41, avril 1991. 12 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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l'introduction de la loi de la jungle (voir les scandales financiers du football, du cyclisme ou de la Formule I) - et la sportivisation de la vie économique - avec sa compétition impitoyable, ses records, ses procédures d'arbitrage, etc. C'est le marché qui est aujourd'hui, plus que le sport, le mythe rédempteur, salvateur. Le marché est présenté comme la solution à tous les maux socio-économiques, bien que les effets dissolvants de ce marché appa­raissent très rapidement dans leur implacable logique. Pour conclure, peut-on envisager le sport comme un projet culturel ou socio-politique, au sens où Sartre entend le projet ? Il faudrait pour cela envisager une transposition culturelle des pratiques sportives de manière à rendre, si c'est possible, la compétition éducative. Cela supposerait la réintroduction des notions de jeu et de plaisir, de liberté ludique, voire érotique, de création esthétique (le beau comme principe régulateur), toutes ces notions étant indissolublement liées les unes aux autres. Or, le sport a été autonomisé et séparé de ces valeurs fondamentales de beauté, de réalisation de soi, de liberté, de vérité, de coopération non agressive, au profit d'une course acharnée à la performance et à l'efficacité qui est la négation des valeurs humaines fonda­mentales. Pour que le sport devienne ou redevienne un élément de

culture il faudrait qu'il cesse d'être pure contrainte pour devenir ou redevenir maîtrise de soi, accomplissement, développement des valeurs. Il faut relever l'ambivalence et la contradiction du sport qui est une pratique de plus en plus mécanisée, appareillée, de refus de la mort, du vieillissement et donc du temps humain comme durée irréversiblement altérante. Une pratique violente aussi de refus de la violence. Le sport est refus, canalisation, domestication, rituali-sation de la violence, massive ou sporadique, qu'il ne cesse en même temps de provoquer, en transgressant l'éthique du sport. Et cette violence évacuée se retrouve dans le professionnalisme où le corps est transformé en pure fabrique énergétique qui refoule toutes les dimensions affectivo-pulsionnelles qui risquent d'en­traver le succès. La dimension culturelle du sport provient essentiellement de sa capacité relationnelle en tant que proximité quotidienne, socialité, convivialité : se retrouver dans la fête, voire dans la transgression de la routine ordinaire. C'est en tant que lieu de vie, style de vie que le sport revêt une dimension culturelle. En fait, il faudrait distinguer deux types de sports, et non un seul, autonomisé, formalisé, impersonnel, technocratisé. •

ÉCONOMIE DES BIENS, ÉCONOMIE DES HOMMES Réflexions désabusées à propos du corps sportif

LOUIS-VINCENT THOMAS Professeur émérite, Paris V

Les sociétés industrielles avancées sont des socié-tés à accumulation des biens où triomphe l'homo

economicus : si l'économie peut, en tant qu'instance sociale, être dominante, elle reste toujours déterminante, écrivait à juste titre Louis Althusser. Plus riches en signes, en techniques et en machines qu'en symboles, s'appuyant avant tout sur un temps linéaire et cumulatif, faisant de la nature soit un tissu de lois abstraites, soit un champ d'exploitations effrénées (quitte à la détruire et à se détruire elles-mêmes par voie de retour), elles tendent à réduire l'homme à un producteur/consommateur, voire à une marchandise que le pouvoir en place trafique ou modèle selon le sens de ses projets, c'est-à-dire de ses intérêts. On sait bien que le corps est un produit social : même si ses caractères morphologiques paraissent des données de nature, ils sont façonnés par le genre de vie. Le maintien, les attitudes rendent compte de la manière dont on vit son corps : par exemple, le bourgeois occidental marche sorti de son axe, la tête en avant, comme si son port était marqué par le triomphe du rationalisme ; au contraire, dans la brousse africaine, le Noir qui ne connaît pas le tabou du corps se meut en souplesse, son centre de gravité bien à sa place dans le bas-ventre (le hara, comme disent les Japonais). Mais les dommages du rationalisme vont bien au-delà de ces inélégances. Depuis Descartes, et longtemps avant l'épanouisse­ment du machinisme, la raison toute puissante se devait de dominer le corps que plusieurs siècles de Christianisme avait déjà plus ou moins dévalorisé. Cette domination ne se limita pas au plan de l'éthique individuelle ; avec le Siècle des Lumières, le corps-machine devient un instrument au service de la technologie naissante. Ainsi s'amorce ce que Michel Foucault appelle une anatomo-politique du corps humain dont le propos est « son dressage, la majoration de ses aptitudes, l'extorsion de ses forces, la croissance parallèle de son utilité et de sa docilité, son intégra­

tion à des systèmes de contrôle efficaces et économiques ». Au nom du savoir et du pouvoir, on élabore les disciplines qui permettent d'augmenter la productivité, de multiplier les ressour­ces, d'améliorer les techniques et, par là même, on commence à maîtriser la vie. Ce corps a été si bien encadré à tous les niveaux des rouages sociaux qu'il a cessé d'appartenir à son propriétaire, dans la famille, à l'atelier, à l'école, à la caserne, on l'a façonné par l'éducation et l'apprentissage de façon qu'il réponde aux exigen­ces normalisatrices du système. Rentabilisé au maximum, formé à l'obéissance, on ne lui reconnaît que sa qualité de force productive et, comme tel, il est réduit à une chose : mais pas n'importe quelle chose. Dans cette réification généralisée qui est la rançon du système en place, capitaliste ou soi-disant socialiste, intervient la hiérarchisation des rapports de production : selon la place qu'on occupe, l'image que l'on a et que l'on donne de son corps diffère, les moins favorisés étant évidemment ceux dont la seule force de travail est de leur corps. C'est justement dans cette idéologie que se situe le sport officiel : sport-spectacle (payant) ; sport-jeu (loto sportif, PMU) ; sport ins­trument de politique : il vise soit à évacuer la revanche possible des pauvres (avec le foot en Amérique latine ou en Afrique noire), soit à prouver la supériorité de la race (nazisme) ou de l'idéologie (pratiques sportives des ex-pays de l'Est). Il suppose : des lieux, du ring au stade ou au vélodrome à rentabiliser (1) ; des institutions à gérer, Fédération de ceci et de cela, ou clubs (2) ; et surtout des acteurs, c'est-à-dire des corps préfabriqués qui vendent leur force de travail... Derrière cet engrenage implacable de politico-économico-technologique se cache une idéologie première. En effet, dans le sport, la morale traditionnelle a toujours vu une école de volonté qui développe l'esprit d'équipe, découvre les bienfaits de l'effort désintéressé, sublime l'agressivité.

Les dessins des pages 11 et 14 sont extraits de «Anthropophagie du Sport », Quel corps ?, n° 41, avril 1991. 12

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Bien entendu, on reconnaît aussi que l'éducation physique déve­loppe la force, la souplesse, la beauté du corps, stimule les fonctions, compense les inconvénients de la vie sédentaire. Autrement dit, grâce au sport, l'homme devrait parvenir à sa plénitude physique et morale ; ce qui rejoindrait la devise anti­que : « Une âme saine dans un corps sain ». Et pourtant, il y a loin des Jeux qui se déroulaient à Olympie dans un lieu sacré où se dressait l'autel de Zeus et la « vaste foire-exposition laïque » qu'on organise aujourd'hui. L'expression est de Jean-Marie Brohm (Sociologie politique du sport, Paris, Editions Universitai­res, 1976) qui, en termes passionnés, a su démystifier les visées et les techniques du sport de compétition. En tant que le sport est une éducation du corps, il est certain qu'il n'a plus rien à voir avec l'activité libre dont la seule finalité est la jouissance de se mouvoir. En tant qu'il se propose de battre des records, donc d'améliorer le rendement de son corps-machine, l'aspirant-champion est avec son corps dans un rapport qui rappelle singulièrement le modèle de la technologie industrielle. Conçu de cette manière, le sport s'inscrit dans une organisation hiérarchisée où la sélection est de rigueur, où la compétition est mathématiquement chiffrée, où l'entraînement répond à des techniques d'utilisation maximale du moteur humain. Avec cette mécanique qui lance, saute, porte, nage ou court et qu'on peut au besoin renforcer par une manipu­lation chimiothérapique, n'est-on pas à l'opposé du corps vivant et personnalisé ? Toujours est-il que les acteurs-sportifs sont des corps fabriqués aux hormones, tout comme les bestiaux de nos abattoirs (le dopage), ou par des entraînements hypersophistiqués parfois dès le plus jeune âge (on le voit avec les championnes de danse ou de gymnastique), car ils doivent réaliser des exploits tout comme les anti-missiles Patriot, les bombes au laser, au neutron ou à souffle (3). Ces acteurs-corps, qui appartiennent au club qui les « achète » pour un temps (parfois à prix d'or comme au foot) ou à un manager-entraîneur « qualifié » (en boxe notamment) ou tout simplement à l'Etat (comme hier dans les pays de l'Est), sont donc des biens à gérer avant d'être des hommes. Les champions-machines (4) deviennent vite des champions-marchandises ; leur cote varie à la bourse des valeurs en fonction de leurs performan­ces. Tandis que, la règle semble générale, l'institution sportive repose sur la croyance en un progrès indéfini de la performance physique et se moule de manière parfaitement adéquate sur les procédures de pouvoir. Cette gestion économique va du maillot-affiches publicitaires, avec des noms ou des marques inscrits sur les voiles des catamarans, les voitures de course ou les maillots des footballeurs et des coureurs cyclistes (évoquons la palinodie des rites de fin d'étape dans le Tour de France cycliste), jusqu'à l'organisation affairiste du circuit production-échange-consom­mation. Le sportif demeure avant tout un salarié, mais selon des niveaux très divers... Si, en effet, le tennisman célèbre engrange des millions à chaque prestation lors d'une exhibition ou d'un grand Prix, le coureur cycliste qui ne finit pas dans les cinq premiers lors d'une grande épreuve parcourt 2 à 3 000 kilomètres pour « gagner » (le terme résonne drôlement) le SMIG ; et l'on sait qu'en boxe ce n'est pas celui qui donne ou encaisse les coups

qui ramasse le plus de fric ! N'oublions pas, non plus, que la carrière du sportif « pro » risque d'être courte, surtout s'il se tue en formule 1 ou s'il est tué dans un pugilat : une belle chanson d'Yves Montand raconte le drame cruel de Battling Jœ, ce fameux boxeur soi-disant super doué qui, devenu aveugle après un combat trop dur pour lui, est abandonné et vit dans la misère (5). On presse le fruit ; quand il n'est plus juteux, on le jette. En bref, le sport professionnel et institutionnalisé - la négation par excellence du sport authentique - n'est plus qu'une immense usine idéologico-financière où la gestion non des hommes - dont on se moque royalement - mais de leur corps machiné se confond avec l'administration des biens, institutions, stades ou sportifs confon­dus. Si dans les « sociétés à accumulation des hommes » ceux-ci restent « les créatures les plus précieuses » (« l'homme est le remède de l'homme » proclame un dicton sénégalais), dans les « sociétés à accumulation des biens » - la nôtre - ils deviennent les produits les plus rentables. Gestion des hommes et gestion des biens, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Heureusement qu'il se rencontre encore de vrais sportifs restés purs et qui deviennent de sages ministres. Peut-être et malgré tout, à leur insu, qu'ils y prennent garde, sont-ils manipulés quelque part. Tant il est vrai que le pouvoir a plus d'un tour dans son sac ! •

(1) Le souci de rentabilité est tel qu'on néglige les règles élémentaires de sécurité : stades en bois qui prennent feu ou avec des toits qui s'écroulent : des exemples récents venus d'Angleterre l'attestent. Il n'y a pas que le champion que l'on sacrifie aux lois de l'économie ; le public aussi ! (2) Clubs où règnent la magouille financière, les pots de vin et les déficits incroyables, l'espionnite (tables d'écoute), l'achat des arbitres (à moins qu'on ne se contente de leur offrir de jolies call-girls comme lors de la dernière coupe d'Europe de foot), des joueurs payés pour « démolir » le tibia d'un joueur adverse trop talentueux... Cette liste n'est pas exhaustive ! (3) C'est volontiers (et un peu par provocation) que nous empruntons ces images. Mais il règne souvent une atmosphère de guerre sur nos stades : qu'on se rappelle l'affaire, hélas non unique, du Heysel, de triste mémoire. (4) Cette notion de corps-machine devient prépondérante en Occident. De fait c'est sur le corps-machine, à la fois « corps enveloppe » puisque constitué de tissus et « corps volcan » qui fabrique, stocke, consomme et dégrade de l'énergie que se focalise le médecin. Le cœur pompe, le rein filtre, le poumon ventile, le tube digestif alimente et nettoie en éliminant les déchets, la vessie est un réservoir, les vaisseaux conduisent, le cervelet équilibre, le cerveau réagit et contrôle, l'appareil génital reproduit... Cette machine, en outre, pour fonctionner harmonieusement, suppose des associations rigoureuses : l'équilibre sympathique para-sympathique régule plusieurs organes ; les surrénales fabriquent des hormones sous contrôle hypophy-saire lui-même contrôlé par l'hypothalamus... Avec la cybernétique, on va plus loin encore. De la machine qui singe le vivant on passe au vivant qui singe la machine, au vivant machiné. L'homme est alors à l'image de la machine créée à son image. Mais une machine ça marche ou ne marche pas. Et il suffit d'un accident mécanique pour que la machine vivante, te corps, devienne machine morte, le cadavre. Le corps machine a donc ses pannes qui se réparent comme celles de n'importe quel moteur : l'organisation se trouve sans cesse confrontée à la panne. Panne de machine, panne dans le matériel humain, panne de communication. Le dysfonctionnement est partout. Aujourd'hui le corps cadavre n'est plus qu'une machine en panne. Pour toujours. (5) On n'hésite pas en boxe, à envoyer au massacre un athlète non préparé, ou « ne faisant pas le poids ». pour gagner des sommes fabuleuses. Quelle image ignoble que celle de ce boxeur vainqueur, tout à sa jubilation et n'ayant même pas un regard pour celui qui git inerte sur le tapis et mourra dans l'heure qui suit. Je n'ose pas prononcer son nom tant il me donne la nausée. PH

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EPS № 230 - JUILLET-AOUT 1991 13 Revue EP.S n°230 Juillet-Août 1991 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé