Compétitivité et Normes Sociales Internationales

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I.A.S INSTITUT INTERNATIONAL DE L’AUDIT SOCIAL 6 e UNIVERSITÉ DE PRINTEMPS DE L’AUDIT SOCIAL Compétitivité et Normes Sociales Internationales Tunis, Tunisie 21-22 mai 2004

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I.A.SINSTITUT INTERNATIONAL DE L’AUDIT SOCIAL

6e UNIVERSITÉ DE PRINTEMPS DE L’AUDIT SOCIAL

Compétitivité et Normes SocialesInternationales

Tunis, Tunisie21-22 mai 2004

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7 INTRODUCTION

11 ABORD DE CHATILLON Emmanuel & BORNARD PatriceAudit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans des équipes sportives.

25 ALLANI-SOLTAN NadaLa performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaises.

43 BACHELARD Olivier & CARPENTIER Stéphanie L’optimisation de la performance économique peut-elle être dangereuse pour l’entreprise ?

51 BELLOUT AdnaneLes stratégies des directions des ressources humaines en contexte d’évaluation de leur propreefficacité.

63 BENABDALLAH AbdelDe l’assurance qualité a la responsabilité sociale : transferabilité d’expérience.

69 BEN-AMMAR-MAMLOUK Zeined, ROGER Alain & BOUSSETTA KECHIDA BelkisLa succession des postes de cadres expatriés par des locaux dans les filiales demultinationales : une approche en terme de processus.

83 BRASSEUR Martine & DHADWAL Arun KumarExpatriation et mal-être au travail. Le cas des expatriés indiens en Allemagne.

91 BRASSEUR Martine & MZABI Héla JanetAudit de l’implication : le cas des infirmières hospitalières.

101 CAPINIELLI AntoineLe management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entreprise.

113 CARBONNEL Anne & NILLES Jean-JacquesDéveloppement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelle.

129 DEFELIX ChristianPeut-on normaliser la gestion des compétences ? Enjeux et limites du volet des compétencesde la norme ISO 9001 version 2000.

135 DIETRICH Anne & CAZAL DidierConnaissances et action en GRH : Enjeux théoriques et pratiques.

147 DIETRICH Anne & CAZAL DidierEvolution des normes et investissements de forme en GRH : le cas d’une professionréglementée.

157 DUYCK Jean-Yves & DELPERIER Alain La fabrique à DRH. Quelques pistes méthodologiques et premiers résultats pour un audit del’insertion et du cheminement professionnels.

173 FOURATI KamelNormes internationales et qualité des ressources humaines.

189 FRIMOUSSE SoufyaneLe processus d’apprentissage stratégique des pratiques GRH et le développement de l’auditsocial : le cas des alliances inter-firmes euro-méditerranéennes.

199 GLEE Catherine & ROGER AlainBilan de compétences et projet professionnel : les limites des normes nationales etorganisationnelles en matière d’orientation professionnelle.

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213 HATEGEKIMANA RobertL’employabilité des salariés : source de compétitivité dans les réorganisations etrestructurations actuelles des entreprises ?

229 HELLAL MansourL’environnement social tunisien et la compétitivité des entreprises du textile et del’habillement.

237 IGALENS Jacques & PERETTI Jean-MarieContribution de l’audit social au respect des droits sociaux fondamentaux.

243 JORAS MichelIrrévérences sur l’audit social et éthique.

249 MARBOT Eléonore, CERDIN Jean Luc & PERETTI Jean MarieLa notation sociale en France : trente ans d’histoire.

255 MATMATI Mohammed, SANSEAU Pierre-Yves & COMMANDEUR LaurenceFusions - Acquisitions, la responsabilité sociale des entreprises Le cas HP / Compacq.

265 MERIGNAC Olivier & ROGER AlainLes Dangers de l’expatriation en célibataire géographique.

275 PALMERO Sandra & VALAX MarcLes codes de conduite des entreprises de travail temporaire : Audit des principes deresponsabilité sociale envers les intérimaires non qualifiés.

289 PERETTI Jean Marie & COLLE RodolpheUne « GRH cafétéria » pour les entreprises socialement responsables.

299 PIRÉ LECHALARD PierreL’art du programme éthique d’entreprise.

309 RETOUR Didier & VATTEVILLE EricLes normes sociales : une arme dans la bataille concurrentielle ?

319 SCOUARNEC Aline & YANAT ZahirNormalisation et savoirs du manager de demain.

331 SOL HERNANDEZ VéroniqueInvestors In People , norme sociale privée britannique en France - Retour d’expérience despremières applications : de l’exposé des motifs à l’évaluation de pertinence.

349 TAHSSAIN LoubnaAudit de l’impact de l’informatisation des salariés sur les attitudes des cadres marocains.

357 TAKTAK KALLEL IliaMondialisation, société de l’information et responsabilité sociale des entreprises.

367 TCHANKAM Jean Paul & YANAT Zahir La pratique de la responsabilité sociale et ses implications dans l’entreprise.

379 VAN HOOREBEKE DelphineLa gestion des émotions au travail : droit fondamental du salarié ?

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La sixième université de printemps de l’audit social co-organisée les 21 et 22 mai 2004 à Tunispar l’IAS Tunisie et l’IAS, en partenariat avec les IAS nationaux, les associationsprofessionnelles ressources humaines d’Algérie, de France, du Liban, du Maroc et de Tunisie

ainsi qu’avec l’AGRH (Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines) a commethème « Compétitivité et Normes Sociales Internationales ».

Le thème retenu s’inscrit dans le prolongement des deux précédentes universités de printemps et d’été2003. En mai 2003, 200 participants ont débattu pendant trois jours à Corte du thème « Audit social etresponsabilité sociale de l’entreprise ». En août 2003, à Bordeaux, les échanges ont porté sur « L’auditsocial, rating social, éthique et développement durable ». Le succès de ces deux universités a conduit àretenir pour l’université de printemps 2004 un thème qui prolonge et amplifie les débats initiés à Corteet à Bordeaux sur la responsabilité sociale de l’entreprise, la notation sociale, l’éthique et les problèmesdes normes et des mesures.

Le thème de cette université de printemps s’inscrit également dans le prolongement des précédentesuniversités de printemps, à Hammamet en 1999, à Marrakech, en 2000, à Alger, en 2001, à Beyrouthen 2002 qui avaient abordé les enjeux et les perspectives de l’audit dans le cadre d’uneinternationalisation rapide de l’économie. La convergence des pratiques et l’analyse des évolutionsmanagériales en Europe, au Maghreb et dans le monde sous la pression des normes internationales, ontété au cœur de ces universités. L’ouverture des frontières renforce le besoin d’audit social, méthodeindispensable d’analyse des risques mais aussi des opportunités liées à ces nouvelles perspectives.

A travers un programme riche d’ateliers, de symposiums, de conférences plénières, tables rondes etdébats, cette Université de Printemps a pour ambition de développer les réflexions et de permettre defructueux échanges. Que Mohammed Ennaceur, président de l’IAS Tunisie, président du comitéd’organisation de cette sixième université de printemps, soit tout particulièrement remercié pour laréussite d’un projet ambitieux.

La richesse et la qualité du programme et celle des 40 contributions sélectionnées pour être réunies dansces actes grâce au concours du Groupe ESSEC sont le fruit du travail du Comité Scientifique.

Ce Comité Scientifique composé d’universitaires et de professionnels algériens, belges, canadiens,espagnols, français, italiens, libanais, marocains et tunisiens a relu et évalué les contributions soumises.Chaque papier a été évalué par deux personnes. Les membres du comité scientifique ont égalementévalué les modifications légères ou lourdes demandées. Que l’ensemble de ses membres trouve icil’expression de notre reconnaissance et nos remerciements ! Que soit également remerciés ChristianeDeshais, qui a assuré le secrétariat du comité, et l’équipe de reprographie du Groupe ESSEC qui aassuré avec rigueur et professionnalisme la préparation, la mise en page et l’édition de ces actes. Ces textes ont pu être réunis grâce au partenariat actif avec les principales associations professionnelleset académiques concernées par le thème de l’audit social. Que soient tout particulièrement remerciél’AGRH, très présente à travers de très nombreuses communications d’enseignants-chercheursfrancophones, l’ANDCP, l’ALGRH, l’AGEF et l’ARFORGHE.

L’ensemble des contributions rassemblées traduise la richesse des travaux autour du thème« Compétitivité et Normes Sociales Internationales ». Ils abordent de nombreux aspects

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complémentaires et témoignent d’un effort de recherche et d’expérimentation sans cesse renouvelé. Ilsne reflètent cependant qu’imparfaitement la richesse attendue des échanges dans le cadre del’Université de Printemps avec de nombreux intervenants dans les ateliers, les symposiums, les tablesrondes, les débats, les conférences et bien sûr les irremplaçables apports, témoignages, et interpellationsdes participants dont la qualité et l’implication contribuent au succès de ces journées.

Créer en 1982 sous l’impulsion de Raymond VATIER, par un groupe de praticiens de l’audit social etd’enseignants-chercheurs désireux de mettre en commun leurs expériences pour approfondir le conceptd’audit social, en définir le cadre de référence, et à veiller à une mise en œuvre cohérente de cespratiques dans le respect d’une éthique professionnelle, l’IAS démontre en 2004 sa vitalité et sacapacité à poursuivre et à amplifier le projet de ses fondateurs.

Cette université est la vingt-septième organisée par l’IAS. Pendant quinze ans, les travaux deschercheurs et des auditeurs ont nourri les échanges d’une université annuelle se déroulant fin août. Pourla sixième année, le pari de réussir deux universités par an avec des actes de grande qualité a été relevé.Le volume d’actes du printemps 2004 est particulièrement dense et riche. Cinquante co-auteurs ontparticipé à ce travail en abordant toutes les facettes du thème. La lecture de la table des matièressouligne la grande diversité des approches ainsi que leur caractère souvent innovant. Lesproblématiques sont au cœur des préoccupations de tous les responsables concernés par la prise encompte du responsabilité sociale de l’entreprise. Il est significatif que de nombreux contributeurs aientété également associés à l’ouvrage collectif récent dirigé par le Professeur Jacques Igalens, présidentd’honneur de l’IAS, « Tous Responsables » (Editions d’Organisation, 2004) ainsi qu’à la dernièreédition de l’ouvrage collectif « Tous DRH » (Editions d’Organisation, 2002). La volonté d’impliquerl’ensemble des acteurs dans un projet associant performance économique et performance sociale, dansune perspective de développement durable, constitue une valeur partagée par un grand nombre des co-auteurs de cette œuvre collective que nous avons l’honneur et le plaisir de publier.

L’audit social connaît depuis vingt ans un développement continu, au service d’un projet collectif dedéveloppement durable. La Tunisie, patrie de Térence et de Magon, accueille pour la seconde fois leséchanges autour de l’audit social. Nous sommes convaincus qu’ils seront particulièrement riches etfructueux.

Jean-Luc CERDIN et Jean-Marie PERETTIProfesseurs au Groupe ESSEC

Editeurs scientifiques des actes de la 6 e Université Internationale de Printemps de l’Audit Social.

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Audit du travail engroupe : élémentsà partir d’uneexpérimentationdans le domainedes équipes sportives

Emmanuel ABORD de CHATILLONMaître de ConférencesInstitut de Recherche en Gestion et en Economieet IUT Annecy, Université de [email protected]

Patrice BORNARDMaître de ConférencesInstitut de Recherche en Gestion et en Economieet IUT Annecy, Université de [email protected]

Le fonctionnement des équipes et leurperformance ne cessent d’intéresser leschercheurs comme les managers à la recherche

de ce qui peut rendre la performance d’un collectifsupérieure à la somme des performances individuelles.L’histoire du sport fourmille de ces exemples d’équipesau potentiel réduit qui réussissent à dépasser enperformance, à un moment donné, des équipes réputéesplus fortes. Cette création de valeur supplémentaire nepeut qu’intéresser les managers en charge d’équipes detravail, toujours à la recherche d’une optimisation dufonctionnement de leur organisation.

La notion d’équipe recouvre cependant une grandevariété de configurations humaines dans lesorganisations. On peut la définir comme un groupe detaille restreinte ayant un objectif commun à réaliser etcaractérisé par une cohésion et des valeurs communes(Abord de Chatillon, Desmarais et Meunier 2003). Petitet Picq (1999) distinguent ainsi deux formes d’équipesarchétypiques : les équipes permanentes et hiérar-chiques, héritières du taylorisme, et les équipestemporaires réunies dans le but d’accomplir une tâcheou d’atteindre un objectif. En réalité, la plupart desconfigurations d’équipes se situent entre ces deuxextrêmes. De plus en plus de tâches sont accompliesdans les organisations à partir d’équipes mobilisées untemps donné pour atteindre un objectif précis : c’est lecas par exemple des équipes projet transversales oufonctionnelles qui se multiplient dans nos organisations.Pour le gestionnaire des ressources humaines, ceséquipes restent en grande partie des mystères, des boitesnoires fonctionnant en autonomie, et dont laperformance ne peut être évaluée qu’à la lumière desrésultats qu’elles produisent. La performance de cescollectifs bien particuliers n’est cependant pas facile àmesurer : il n’existe que peu de situations en entreprisedans lesquelles on peut être catégorique quant à laréussite du travail accompli.

De plus, les explications quant à cette performancepeuvent aussi bien tenir aux caractéristiques concrètesdu groupe ainsi créé qu’à l’organisation et à la stratégiequ’il a su produire. Ainsi, au-delà de ces élémentspalpables, un groupe semble en capacité, à un momentdonné, de dépasser les performances individuelles desmembres qui le composent. Ce surplus peut être attribuéà bien des aspects. Parmi les hypothèses possibles, il enest une qui envisage cette performance supplémentairecomme le fruit d’une implication supérieure fondée surle plaisir pris au cours de l’activité de travail. En effet,même si cette dimension semble dans l’air du temps (cf.Thévenet 2000 « Le plaisir de travailler »), elle n’aguère été étudiée en management si ce n’est pourexaminer le plaisir pris dans la consommation de tel outel bien ou service.

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

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L’objectif principal de ce travail est donc d’étudiercomment la performance d’une équipe se construit. Ils’agit de tenter de fournir à l’analyste du travail humaindans l’organisation (auditeur social, mais aussiresponsable RH ou manager d’équipe), des élémentspermettant d’identifier les éléments clés de laperformance d’équipes temporaires. Pour évaluer lesdifférentes dimensions de cette question, les résultatsd’une expérimentation sur le terrain seront proposés.Celle-ci permettra de mettre en rapport lefonctionnement des équipes avec des éléments objectifsde performance, laquelle sera définie ici commel’atteinte des objectifs fixés.

A partir d’une mise en évidence des présupposésthéoriques de cette recherche, un modèle decompréhension de la performance des équipestemporaires sera mis en évidence (1), il sera ensuiteréévalué à la lumière de l’expérimentation menée (2).

I - Une expérimentationpour comprendre l’origine de la performance des groupes

Avant de préciser les conditions de l’expérimentationdu modèle mise en place (1.2), les conditions de saconstruction seront posées, permettant ainsil’identification des éléments semblant avoir un impactdirect ou indirect sur la performance de l’équipe (I.1).

I.1 - La performance des groupes : lerésultat de caractéristiques situationnelles et conjoncturelles,mais aussi celui d’une mise enœuvre stratégique et de l’implication de ses membres

La performance de l’équipe temporaire peut êtrecomprise comme le fruit des caractéristiquessituationnelles de celle-ci (a), mais aussi comme lerésultat de la mise en œuvre d’une organisation et d’unestratégie pertinente (b) qui ne peut être efficace que sil’implication de ses membres est assurée (c).

a) La performance du groupe, résultat descaractéristiques situationnelles de l’équipe

L’examen de la littérature en matière de performance

des groupes fait apparaître deux conceptions : uneconception individualiste qui voit dans lescaractéristiques des individus l’origine de laperformance des équipes, alors que la seconde que l’onpeut qualifier d’organisationnelle envisage cetteperformance comme le fruit d’une organisationoptimale.

Le lien entre attributs personnels et performance dugroupe a été considérablement étudié dans la littérature(on pourra consulter à cet effet la revue de littérature deDriskell et al. 1987). Les résultats apparaissentcependant comme peu probants, parfois mêmecontradictoires : certaines études concluant enl’existence d’une relation entre les traits de personnalitéindividuels et la performance collective (Bouchard1969, Schneider et Delaney 1972), alors que d’autresapportent la démonstration inverse (McGrath 1962,Tziner et Vardi 1982). Les comparaisons entre cesétudes restent cependant délicates, les tâches mobiliséesétant extrêmement diverses.

De la même façon, la relation entre homogénéité dugroupe et performance a été mise en évidence de deuxmanières (Shaw 1981, Hackman 1983, Hogan, Raza etDriskell 1988, Mc Grath, Berdahl et Arrow 1996),certains argumentant sur l’intérêt d’une compositionhétérogène laissant des personnalités diverses seconfronter et compléter le travail des autres, ce quipermettrait de mieux gérer les situations complexes ;alors que d’autres vantent les mérites d’un groupehomogène, permettant de renforcer la cohésion, laperception des différents points de vue et facilitant lacommunication. Ainsi, si certaines études montrent lasupériorité des groupes homogènes (Altman et McGinnies 1960 ; Havron, Fay et Mc Grath 1952, Keinanet Koren 2002) d’autres montrent le contraire (Hoffmanet Maier 1961 ; Moos et Speisman 1962), vantant lesmérites de groupes hétérogènes sur un plan social, voirel’intérêt des groupes de travail mixtes (Orlitzky etBenjamin 2003) ! Cette logique a été remise au goût dujour par le développement des équipes projetinterculturelles. Dans la même veine, Janis (1972)développe aussi l’analyse du phénomène de‘Groupthink’, montrant comment, par souci deconsensus un groupe trop homogène peut prendre unedécision inadéquate.

En ce qui concerne la course d’orientation, la littératurepédagogique et scientifique portant sur cette disciplinefait le lien entre caractéristiques personnelles etperformance. En effet, on y trouve l’idée selon laquellela performance dans ce sport dépendrait davantage descapacités de réflexion que des capacités physiques. Denombreuses études montrent que la majorité despratiquants de course d’orientation présente un hautniveau d’études (Ottosson 1995 et Hogg 1996) ce qui

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

pourrait plaider en faveur d’un lien entre niveau scolaireet aptitude à la course d’orientation.

b) La performance du groupe, résultat d’uneorganisation et d’une stratégie optimales

Une autre approche peut être d’envisager non pas lacomposition du groupe, mais le processus par lequel ilabouti à une décision optimale ou non. La performancedu groupe est alors le fruit de l’organisation du groupe.

Pour beaucoup de chercheurs, la meilleure décision estprise lorsqu’un grand nombre d’alternatives a étéenvisagé (Wanous et Youtz, 1986). Ceci peut réconcilierles deux conceptions individualiste et organisa-tionnelle : la diversité de solution est obtenue par leprocessus (encourager la diversité des propositions) etpar la variété des profils composant le groupe.

Enfin, plusieurs recherches en économie politique ontprésenté la qualité de la décision suivant le processus devote retenu, où l’on voit que plus le mode retenu estproche de l’unanimité, plus la décision retenue estmauvaise (Sorkin, West et Robinson, 1998), ce quisemble encore renforcer l’idée que l’uniformité et larecherche de consensus nuisent à la qualité de ladécision finale.

La bonne organisation de groupe serait donc celle quifavoriserait l’émergence d’un maximum de solutions,sans négliger les écueils classiques d’arbitrage entrecréativité et sélection, entre participation active desmembres et acceptation d’une autorité…

Nous pouvons ensuite nous intéresser à la manière dontémergent ces solutions, à la façon dont un groupes’organise pour éviter de sombrer dans un consensusstérile, ce qui nous conduit à l’étude du processus dedécision lui-même. Selon Fischer (1982), un processusde décision optimal se déroule en quatre phases :

1. Orientation (clarification du problème)

2. Conflit (opposition des idées et propositions)

3. Emergence de solution(s)

4. Renforcement (une décision émerge, explicite ouimplicite, et le groupe renforce sa propre adhésion àcette décision).

Ce déroulement type, malgré son apparente simplicitévoire son aspect réducteur, soutient donc que ce ne sontplus les composantes atomiques du groupe (l’individuou la somme des individus) qui impactent la qualité dela décision, mais le déroulement optimum de ladiscussion qui débouche sur une bonne décision ou unebonne stratégie. Cette approche n’est pas antinomique

des notions individualistes et organisationnelles de laperformance, puisque ces étapes doivent aussipermettre une grande richesse de solutions abordées.

c) La performance du groupe, résultatl’implication et du plaisir de ses membres

Par ailleurs, la performance des groupes est égalementune résultante de la motivation et l’implicationindividuelle et collective de ses membres.

La motivation a souvent été utilisée pour tenterd’expliquer le décalage de performance qu’il pouvait yavoir entre deux individus ou deux groupes dont lescompétences sont a priori identiques. Il n’est doncguère étonnant d’observer que la motivation est souventassociée à des performances supérieures ! De plus, lamotivation constitue la substance qui met enmouvement les attentes, aspirations et valeurs del’individu. Elle apparaît donc par essence nonobservable… (Charles-Pauvers et Commeiras 2002).

Désormais, ce concept semble usé aussi bien pour lesthéoriciens qui ne voient plus l’utilité de l’étudier etpréfèrent se concentrer sur ses composantes apparentes,que pour les praticiens qui trouvent le concept demotivation peu actionnable.

Face à cela, la notion d’implication semble plusopératoire, même si son « actionnabilité » reste àdémontrer. L’implication est une notion qui traduit etexplicite la relation de la personne à son travail(Thévenet 2000). Ce concept paraît, à travers cettedéfinition comme particulièrement adapté à la réflexionsur la performance des équipes de travail dont on saitqu’elles suscitent un lien étroit entre les membres.

Mais l’implication apparaît comme un concept àmultiples facettes décrites par Morrow (1993) :l’implication dans l’organisation, l’engagement dans letravail, dans la carrière ou la profession et l’approbationde l’éthique de travail (cité par Charles-Pauvers etCommeiras 2002).

Le lien entre implication et performance a donné lieu àune multiplicité d’études évaluant la performanceassociée aux différentes facettes de l’implication, dontune synthèse a été réalisée sur le sujet par DominiquePeyrat-Guillard (2002). Elle montre ainsi que lalittérature envisage les différentes formes d’implicationcomme généralement associées à la performance et celaquels que soient ses indicateurs ; mais souligneégalement qu’il existe un certain nombre d’études quin’observent pas ce lien pour des raisons qui tiennentaussi bien à la mesure de la performance retenue, àl’unité d’observation choisie, qu’aux conditionsspécifiques des recherches menées.

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Dans le cas des équipes temporaires, on peut émettre àla lumière de ces explications, l’hypothèse selonlaquelle l’implication pourrait être liée à laperformance.

Au-delà de la composante implication, manifestementessentielle dans la compréhension de ce qui peut lierune personne ou un groupe à son travail, il convient dese poser la question du résultat à la fois de l’implication,mais également de la performance : celles-ci nepourraient elles pas déboucher sur un réel plaisir prisdans l’activité ? Le plaisir peut il constituer unemanifestation explicite de l’implication ? Ce sujet peutparaître anecdotique, mais si il est évident que le travailpeut faire mal (le Bureau International du Travailindique d’ailleurs qu’il constitue la première cause demortalité dans le monde avec environ deux millions devictimes), on peut légitimement se poser la question deson versant positif. Le plaisir pourrait constituer unmobile valable de se consacrer à son organisation.

Ce point de vue n’a fait l’objet que de peu de travaux ensciences de gestion, ceux-ci se cantonnant au domainede la consommation de produits ou de services.L’ouvrage de Maurice Thévenet (2002) ne faisantexception que partiellement à cette règle puisquen’utilisant le plaisir que comme une composante del’implication parmi d’autres. En revanche, lesspécialistes du comportement du consommateurrevendiquent pour celui-ci un droit au plaisir quiconstitue le cœur de l’attitude qu’il peut avoir vis-à-visd’un produit, et est étroitement lié à la fidélité à lamarque. Il est donc d’autant plus intéressant enmanagement et notamment en management desressources humaines de poser la question de savoir, sil’individu au travail a le droit au plaisir dans sa vieorganisationnelle, et surtout si ce plaisir constitue unélément significatif de la performance d’un collectif.

Le modèle de la recherche

Notre étude se propose donc d’interpeller le terrain afind’identifier les liens existants entre performance,composition du groupe, organisation de l’équipe, prisede décision et stratégie mobilisée. Pour cela, nous avonschoisi de lancer une expérimentation dans le cadred’une course d’orientation. Notre modèle de recherchepeut se représenter schématiquement en identifiant leséléments pouvant être à l’origine de la performancecollective. On distinguera ici trois sous-ensemblesconstitutifs de la performance de l’équipe : lescaractéristiques situationnelles et conjoncturelles dechacune des équipes, la stratégie et l’organisation miseen œuvre par celles-ci et enfin l’implication dans legroupe et le plaisir pris dans l’activité proposée. Cesdifférentes dimensions étant évaluées par rapport à laperformance collective obtenue.

Les propositions découlant du modèle ci-dessusconstituent donc le sujet de notre expérimentation.

La performance d’une équipe peut être identifiée par lescaractéristiques a priori de celle-ci : plus une équipeaura de « compétences » en son sein, plus elle sera àmême d’être performante. La performance d’une équipe est le résultat d’uneorganisation et d’une stratégie adaptée aux objectifsfixésL’implication et le plaisir pris dans l’activité constituentdes bons indicateurs de la performance d’une équipe.

I.2 - Une expérimentation du modèlesur le terrain de la course d’orientation

Le cadre et les objectifs de la recherche étant définis, ilconvient de préciser la méthode qui a permis de validerou d’infirmer le modèle de départ. Pour cela, le bienfondé de l’expérimentation sera explicité (a) avant dedécrire les indicateurs permettant de mesurer lesdifférentes dimensions de notre modèle (b) et de définirles principales étapes de la collecte des données (c).

a) Une expérimentation sur des étudiantsdans le cadre d’une course d’orientation

La méthodologie retenue s’apparente à uneexpérimentation de type ‘laboratoire’. Celle-ciprésente comme avantages la possibilité d’isolerquelques facteurs étudiés et de restreindre le nombre devariables perturbatrices. De plus l’infirmation ou lavalidation sont ici envisageables, dans une démarcheque l’on peut revendiquer comme pragmatique(Brandouy 2002).

Le choix de la course d’orientation : le choix de notreexpérimentation s’est porté sur la course d’orientation,du fait de la connaissance acquise par l’équipe derecherche sur cette discipline. L’intérêt de ce sport

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

Figure 1 : le modèle cadre de la recherche

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repose sur la multiplicité des compétences à mobiliserpour obtenir le succès. Il s’agit en effet d’un effortsportif (il faut terminer le parcours le plus vite possible)qui mobilise ainsi des capacités « intellectuelles » (lalecture et l’interprétation de la carte) et qui supposel’élaboration d’une stratégie pertinente (le choix duparcours). En effet, les capacités à se projeter dansl’avenir, à ‘pré-expérimenter’ une situation pour établirun plan d’action (une stratégie), puis à confronter cettestratégie au vécu physique sont centrales dans l’activitécourse d’orientation (Johansen 1997), ce qui nous paraîtparticulièrement adapté pour évaluer les différentesdimensions du modèle proposé.

La population sur laquelle l’expérimentation s’estréalisée est une population d’étudiants en premièreannée de DUT Techniques de Commercialisation. Leurexpérience de l’orientation étant a priori faible ou trèsfaible, l’exercice est nouveau pour eux (au moins danssa dimension collective). De plus, cette population nemanque pas d’intérêt en matière d’expérimentation, lesétudiants constituant pour Dejong et ali. (1988) unepopulation dont les comportements en expérimentationsont proches de ceux des cadres d’entreprises.Cette population a été répartie en groupes de trois ouquatre étudiants sous deux contraintes évitant au moinsau départ les effets de connivence : tous les groupesdevaient être mixtes, et composés d’un étudiant dechaque sous-groupe de la promotion (pour regrouperdes étudiants n’ayant jamais travaillé ensemble).

b) Des indicateurs permettant la mesure desdifférentes facettes du modèle

La mesure de la performance doit être ici précisée :dans le cadre de cette expérimentation l’objectif était derevenir au point de départ en ayant trouvé le maximumde balises. Cet objectif a été indiqué d’une manière trèsprécise à chacun, ce qui n’empêche pas certains depoursuivre concomitamment d’autres objectifs. Nousmesurerons donc la performance de l’équipe par unindicateur quantitatif : le nombre de postes trouvés parl’équipe.

En ce qui concerne les caractéristiques de chaqueéquipe, on peut distinguer les aspects individuelsprésents ex-ante, des aspects collectifs présents au coursde l’expérimentation. Les éléments individuels visent à mesurer quatredimensions : la capacité de réflexion (mesurée ici par unscore construit sur les résultats scolaires obtenus enpremière et terminale en français et mathématiques), laforme physique, le goût pour l’activité sportive etl’expérience de l’exercice proposé (ces éléments étantmesurée grâce à une échelle).

L’organisation et la stratégie de l’équipe ont été

mesurées en identifiant aussi bien les élémentsstructurant l’équipe (le choix d’un chef, son mode dedésignation, son style de management…) que ceux quirenseignent sur les choix stratégiques effectués(moment du choix, durée de la réflexion, parcoursenvisagé, trajectoire suivie, étapes parcourues, divisiondes tâches…). Ces éléments ont été évalués aussi bien àpartir d’échelles que de discours relatant l’expériencetelle qu’elle a été vécue par les participants.

L’implication a été mesurée à l’aide du questionnairede Porter et al. (1974), traduit par Thévenet (1992) quicomprend quinze items et en l’adaptant au contextespécifique des équipes temporaires (voir annexe 2). Onobtient ici un α de Cronbach à 0,83. L’analysefactorielle proposant cinq dimensions, nous avons établicinq scores reprenant ces différentes dimensions.

La mesure du plaisir a été élaboré en créant une échellede plaisir exploratoire composée de cinq items dont l’?de Cronbach s’établit à 0,62 (voir annexe 2). A partir decette échelle unidimensionnelle, un score de plaisir a étéélaboré.

c) Trois étapes de collecte des données

La particularité de l’expérience retenue, est que leproblème posé (trouver un maximum de balises dans untemps imparti sans circuit prédéterminé) supposait deschoix de répartition ou non des tâches (rester ensembleou non, se séparer tout au long de l’exercice ou unepartie du temps) puis des choix de cheminement. Lasituation proposée peut donc être qualifiée decomplexe.

La première étape de collecte des données s’esteffectuée après un échauffement - promenade d’unedemi heure qui permettait de rejoindre le point de départde la course. Les équipes étant préalablementconstituées, il s’agissait d’identifier le « chef » del’équipe et de déterminer des objectifs pour le groupe,ces décisions étaient alors rendues par écrit. Ce tempsde réflexion était chronométré à l’insu des participantspour évaluer leur temps de prise de décision. Chaquegroupe partait ensuite chercher les balises, a priori enmettant en œuvre la stratégie retenue. A leur retour, lesparticipants étaient conviés à remplir individuellementun questionnaire de bilan de la séance, puis à retracerleur itinéraire sur une carte. Par la suite, un expert encourse d’orientation (entraîneur et athlète) évaluait lapertinence des choix effectués par les groupes (entermes d’efficacité, de difficulté, de prise de risque).Enfin, nous avons pris en compte et saisi les résultatsscolaires de chacun des participants.

Le déroulement de l’expérimentation s’est opéré de lamanière suivante :

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

Echauffement après constitution des groupes��

Distribution des consignes et des cartes��

Prise de décision par les groupes (temps de réflexion libre)

��

Rendu des objectifs du groupe et du nom du chef��

Départ sur les circuits��

Retour, chronométrage��

Saisie des commentaires par individu

II - Résultats : Un bongroupe est un groupe quiveut prendre du plaisir

Les résultats de cette expérimentation seront observés àtravers les différents aspects de notre modèle de départen envisageant tout d’abord le lien entre lescaractéristiques des groupes et leur performance, puis lerapport entre les stratégies et la performance, pour finirpar la contribution de l’implication et du plaisir à laréussite de l’équipe.

II-1 Caractéristiques individuelles etvaleurs du groupe dans la performance

Le principe de la course d’orientation étant de mobiliserdes compétences à fois physiques et intellectuelles,nous avons examiné ces deux dimensions et les lienséventuels entre ces deux dimensions et la performancedes équipes évaluée par le nombre de balises collectées.

a) Le groupe comme une sommed’individualités

Ainsi, nous examinerons trois critères de compétenceindividuelle : celui de la compétence scolaire, celui dela compétence sportive, et celui de la compétence encourse d’orientation.

N’ayant constaté aucun lien entre compétence scolaireet nombre de balises trouvées par le groupe (corrélationnulle entre le nombre de postes trouvés et les notesscolaires), nous avons évalué le lien entre performanceet niveau sportif.

De la même façon, il n’existe donc aucun lien entre lacompétence sportive et la performance du groupe. Cequi peut apparaître comme plus étonnant, l’épreuveétant par essence sportive ! Il restait alors la question durapport entre la pratique de l’activité elle-même et laperformance.

La pratique de la course d’orientation ne semble pasjouer non plus, les résultats de chacun n’étant passignificativement différents. Remarquons l’absence departicipants ayant déjà pratiqué en compétition.

Quels que soient les critères retenus, les compétencesindividuelles cumulées de chaque équipe ne jouent pasde rôle spécifique dans la performance du collectif. Enrevanche, l’existence de valeurs communes, d’uneconception partagée de l’événement semble jouer unrôle non néglgeable.

b) Le plaisir attendu, générateur deperformance

Ainsi, lorsque l’on examine à l’issue del’expérimentation, les grands types d’équipes quidécoulent de cette analyse, nous constatonsl’émergence de trois groupes : • Les Yops-Yops : ceux-ci peuvent être qualifiés de

conviviaux ; ils sont toujours heureux de se voirconfronter à une expérience nouvelle qui va leurpermettre de faire une bonne promenade dans les bois.

1 Résultats du test de Fisher : Postes équipes : V_inter = 79,48.V_intra = 26,26. F = 3,03. 1-p = 99,61%

2 Résultats du test de Fisher : Postes équipes : V_inter = 162,05.V_intra = 22,42. F = 7,23. 1-p = 99,97%

Tableau 1 : Evaluation du lien entre niveau sportif et performance1

Tableau 2 : Evaluation du lien entre pratique de la coursed’orientation et performance 2

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Ils n’ont pas un objectif de performance, mais ontorganisé leur fonctionnement de manière à atteindreleur objectif : passer une bonne après midi.

• Les Plans-Plans : ceux-ci sont grognons, ils ne sontjamais contents et n’apprécient guère l’ambiance de lapromotion. Ils n’ont pas envie d’être là, n’ont aucuneenvie de se promener, et ne sont pas sportifs à la base.Ils sont là parce qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’êtreailleurs et ne souhaitent surtout pas recommencer.

• Les Bips-Bips : ce sont des sportifs, ils sont heureuxde se retrouver dans ce type de situation car ilsapprécient l’effort. Ils veulent courir et se défoulerdans la tâche qui leur est confiée. Leur objectif est defaire le mieux possible.

Bien entendu, les résultats stricts de chacun de cesgroupes sont à la hauteur de cette description, mais avecune surprise cependant : alors qu’au départ l’épreuveparaissait sportive, les Bip-Bips sont dépassés par lesYop-Yops. Ainsi, la performance ne découle pas del’addition des compétences individuelles, mais bien desvaleurs collectives de l’équipe. Et parmi ces valeurs, lesgroupes dans une logique de performance sont mêmelégèrement moins performants que ceux quis’inscrivent dans une logique ludique.

II-2 Les stratégies des équipes au cœurde la performance

La typologie des groupes vue ci-dessus correspond àune segmentation par les valeurs de l’équipe, mais laperformance peut aussi être justifiée par les objectifsque s’attribue le groupe ainsi que par la stratégie qu’ilmet en œuvre.

a) Objectifs de réussite et objectifs derésultat

A l’issue de la phase de prise de décision, chaqueéquipe devait définir son objectif, que nous avons reliéà la performance de l’équipe.

Nous constatons une très faible différence de résultatentre les équipes affichant un objectif de performance(trouver beaucoup de balises) et celles s’inscrivant dans

une logique ludique (Plaisir, S’amuser). Il apparaît ainside manière très inattendue, que la recherche de plaisirdans l’exercice proposé est un puissant facteur deperformance, et que ce facteur est aussi efficace pourl’obtention du résultat que la recherche clairementaffichée d’une performance quantitative.

Parmi les équipes « sous performantes », nousidentifions deux types de groupes : ceux qui affichaientun objectif très passif (Ne pas terminer dernier) et ceuxqui affichaient un objectif de classement (Gagner).Dans les deux cas, nous sommes face à des groupes quine se focalisent pas sur le déroulement de l’épreuvemais sur son résultat, ce qui est clairement contreproductif ici.

Ainsi, émerge un processus qui ne manque pas d’intérêtet corrobore les propos d’entraîneurs de cette disciplinequi tentent de former leurs coureurs à se concentrer plussur la recherche de balises et la stratégie de course(donc la réussite de l’exercice) plutôt que sur l’objectiffinal (le résultat).

b) Vers une vision « pragmatique » de lastratégie

Pour ce qui est des stratégies mises en place, il convientde tenir compte de l’ignorance dans laquelle setrouvaient les sujets de l’expérimentation : ils n’avaientjamais ou presque pratiqué cette activité. La situation dedépart supposait qu’une première période seraitconsacrée à la réflexion sur le parcours et la stratégie àmettre en œuvre. La réflexion est globalement rapide(moins de cinq minutes), et certains groupes choisissentune stratégie d’attente permettant de mieux comprendre

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

3 Résultats du test de Fisher : Postes équipes : V_inter = 201,61. V_intra = 23,50. F = 8,58. 1-p = 99,95%

4 Résultats du test de Fisher : Postes équipes : V_inter = 79,48. V_intra = 26,26. F = 7,23. 1-p = 99,61%

Tableau 4 : Evaluation du lien entre objectifs initiaux etperformance 4

Tableau 3 : Evaluation du lien entre type d’équipe et performancede celle-ci 3

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Audit du travail en groupe : éléments à partir d’une expérimentation dans le domaine des équipes sportivesEmmanuel ABORD de CHATILLON et Patrice BORNARD

comment fonctionne la course d’orientation. En effet, lacarte permettait de choisir de se diriger vers un postevoisin, expérience qui permettait de mieux comprendrele mécanisme de la course. Le moment auquel lesgroupes fixent leur stratégie peut ainsi se décliner enquatre grandes options : « avant de partir », « juste aprèsle départ », « après le premier poste », « au fur et àmesure ».

On constate que ces quatre options se répartissentéquitablement dans notre population. Ceux qui ontchoisis de décider « avant de partir » ont probablementconstruit une représentation de ce qu’ils avaient à faired’une manière suffisamment précise. En revanche, lesautres ont pris la mesure de leur méconnaissance dusujet et choisissent de décider ultérieurement. Soit« juste après le départ » après avoir constaté ladifférence entre la carte et le territoire, soit « après avoiratteint le premier poste » et validé une premièreimpression, soit encore « au fur et à mesure » del’atteinte des différents postes. Cette dernière optionétant tout de même caractéristique d’une absence destratégie. Ces différentes optionspossèdent donc des implicationsdifférentes, certaines manifestantun souci de décision (oud’indécision), les autres montrantqu’une stratégie peut se construiredans l’action.

Ces différentes stratégies sontégalement divergentes lorsqu’ils’agit de les mettre en rapportavec la performance de chacunedes équipes. On constate alors quela stratégie de la décisionimmédiate est vouée à l’échec(probablement parméconnaissance du terrain) : alorsque celles qui supposent unapprentissage par et dans l’actionrencontrent un succès plussignificatif. Les équipes quiretardent la prise de décision « achètent » du temps deréflexion et de maturation. Enfin, l’absence totale destratégie est sanctionnée lourdement.

Ainsi, une vision « pragmatique » de la stratégies’impose : au sein du schéma classique « réflexion �action » se rajoute une phase de « réflexion action »aboutissant à un processus de type « réflexion �réflexion action � action » (mode de décisionprocédural de Simon).

II-3 Implication, plaisir et performance

Si l’expérimentation a permis de constater que lesgroupes qui abordent l’exercice sous un angle ludiqueréussissent, il convient maintenant de se poser laquestion de la contribution du plaisir et de l’implicationà la performance du groupe.

Le plaisir ressenti par les équipiers a été mesuré par uneéchelle de cinq items, une analyse plus complète decette échelle exploratoire montre qu’elle estunidimensionnelle, ce qui nous permet de construire un« score de plaisir ». L’implication évaluée sur la base del’échelle de Porter et alii (1974), apparaît structuréeautour de cinq dimensions issues de l’analysefactorielle :

- l’implication appartenance- l’implication valorisation- l’implication convivialité de l’équipe- l’implication loyauté- l’implication altruisme

Tableau 5 : Moment du choix de parcours et performance 5

5 Résultats du test de Fisher : Postes équipes : V_inter = 162,05. V_intra = 22,42. F = 7,23. 1-p = 99,97%

Figure 2 : Cartographie des liens entre les différentes dimensions del’implication et le plaisir éprouvés par les équipiers

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Chacune de ces dimensions a donné lieu au calcul d’unscore, nous avons alors analysé les relations entre leplaisir, les différentes dimensions de l’implication, lesrésultats des équipes et la typologie des équipes.

En détaillant l’analyse de la typologie, il apparaît queles Plans-Plans abordent l’exercice sans projet, ils nepeuvent donc ni s’y impliquer, ni y trouver du plaisir,leur stratégie est mal définie (comme vu plus haut, ils laconstruisent ‘au fur et à mesure’ durant toute l’épreuve)ce qui impacte négativement leur performance.L’implication des groupes Yops-Yops est supérieure àcelle des Bips-Bips, ce qui soutiendrait l’idée quel’adhésion à l’exercice en lui-même est plus génératriced’implication que l’adhésion à sa finalité, sans préjugerencore du rôle de l’implication et du plaisir dans laperformance.

L’examen précis du lien entre plaisir pris dans lapratique de l’activité et performance montre que cesdeux dimensions ne sont pas du tout liées. Ce constatfait donc émerger une double logique : - d’un coté l’objectif de plaisir a priori semble associé

à la performance (ce qui explique l’efficacité desgroupes Yops-Yops)

- de l’autre coté, le plaisir ressenti dans l’action n’estpas lié à de meilleurs résultats du groupe

On peut donc en déduire que si l’épreuve a débouchésur du plaisir pour ceux qui y ont participé, ce plaisirn’est pas associé à la performance réalisée, mais plutôtà l’activité elle-même.

Le plaisir, qui est identifié comme une des composantesde l’implication par Thévenet (2000), apparaîteffectivement en étroite imbrication avec trois des cinqdimensions de l’implication issues de notre analysefactorielle : l’implication appartenance, l’implicationvalorisation et l’implication convivialité de l’équipe. Enrevanche, les dimensions de l’implication plusassociées avec des préoccupations éthiques de viecollective comme la loyauté et l’altruisme apparaissentcomme indépendantes de la notion de plaisir. Ainsi leplaisir apparaît plus comme relié à une implication bâtiesur le rapport de l’individu à l’équipe et soninvestissement dans ce qu’elle est, que fondé sur desprincipes plus généraux de vie collective.

D’une manière générale maintenant, l’implication quenous avons estimé être une dimension importante de laperformance de l’équipe n’est en aucune manière, etquelle que soit sa composante, associée avec un niveaude performance supérieur. Ceci peut paraîtresurprenant, mais ne l’est pas quand on observe que cequi va fonder la performance ici est plus le fruit d’unedécision stratégique adéquate que des caractéristiquesintrinsèques de l’équipe ainsi bâtie.

Le plaisir quant à lui, n’est qu’une composante indirectede la performance : le plaisir ressenti au cours del’épreuve est étroitement associé à l’implication dugroupe. Mais les bonnes performances obtenues par lesgroupes Yops-Yops (qui donnent la priorité à laconvivialité de l’exercice), dont nous nous rappelonsque la performance était quasiment équivalente à celledes groupes Bips-Bips (focalisés sur la performance),laissent penser que c’est le plaisir attendu (a priori) quigénère de la performance.

Il convient en effet de distinguer la stratégie de sa miseen œuvre : le plaisir a priori favorise la prise d’unebonne décision, en revanche l’implication et le plaisirdans l’action jouent un rôle dans la mise en œuvre.

ConclusionNous avons donc pu constater que les caractéristiquesindividuelles des membres du groupe étaient très peuliées à la réussite de l’équipe. De la même façon, onpeut être déçu par l’impact des caractéristiquescollectives. Seul l’objectif du groupe semble jouer unrôle majeur dans la construction de la performance.Cette expérimentation a cependant permis de mettre enévidence l’importance de la prise de décision et de sesconséquences. Ici, on peut faire émerger un modèle del’équipe performante comme reposant plus sur unevision « réaliste » de la complexité de la situation àlaquelle celle-ci est confrontée. Cette vision « réaliste »conduit l’équipe et son chef à adopter le choix d’unestratégie dubitative qui permettra in fine d’optimiser leschances de réussite. Ainsi, notre modèle de départ peutêtre amendé en réduisant l’importance des élémentsindividuels pour faire porter l’accent sur la constructionde la prise de décision stratégique. Le moment du choixde la décision stratégique autant que le choix lui-mêmea de l’importance et les gestionnaires d’équipes les plusperformants peuvent être ceux « dubitatifs » qui face àun choix, choisissent de ne pas choisir.

Figure 3 : le modèle amendé

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Deux pistes de recherche s’ouvrent donc suite à cetteexpérimentation. La première pourrait concerner lemoment auquel se construit la stratégie : certainsgroupes reportent leur prise de décision pour acquérirune expertise, comportement particulièrement efficacedans un univers complexe. Nous nous demanderonsalors quels arbitrages sont faits pour aboutir à cettedémarche, à quel moment et pourquoi le groupes’estime enfin apte à définir sa stratégie ? La secondevoie de recherche concernerait la construction del’implication du groupe dans sa dimension temporelleet le rôle du manager dans cette construction. Cinqdimensions originales apparaissent commeconstitutives de l’implication des individus dans uneéquipe et on peut se poser la question de l’impact durôle du manager pour agir sur telle ou telle dimension.Enfin, le plaisir qui a émergé de notre recherchenécessite de plus amples approfondissements quipourraient éclairer l’auditeur social à la recherche desfondements de la performance des organisations.

Cette expérimentation se voulait un travail dedéfrichage de la compréhension de l’activité desgroupes et de ce qui fonde leur performance. Cetteexploration a permis d’identifier des éléments cruciauxconcernant le lien qui unit l’individu à cettecommunauté réduite qu’est l’équipe de travail. Siaujourd’hui certains se posent la question du pourquoi(Bournois et Roussillon « Pourquoi j’irai travailler ? »2003), cette recherche ne manque pas de soulignerl’importance du comment et surtout avec qui.

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Annexe 1 : La carte distribuée aux équipes

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Annexe 2 : La constitution des échelles

Echelle d’implication :

Echelle de plaisir

Je suis prêt à recommencer cet exercice dès demain.

Cet exercice m’a donné l’occasion de rencontrer des personnes qui sont devenus des amis.

Cet exercice était beaucoup plus agréable que ce que j’en attendais au départ.

Cet exercice est passé très vite Cet exercice s’est déroulé dans une ambiance tendue et désagréable.

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La performancesociale à la base dela compétitivité : lecas des entreprisesfrançaises

Nada ALLANI-SOLTANDoctoranteGroupe de Recherche en Économie Financière etGestion des EntreprisesUniversité NANCY 2

[email protected]

L’objectif de cette contribution consiste à étudierl’effet de l’investissement dans les pratiques degestion de ressources humaines sur la

performance sociale des entreprises françaises. La revue de la littérature en gestion stratégique desressources humaines permet de mettre en évidence troisapproches stratégiques pertinentes pour étudier ceteffet. L’approche universaliste suppose l’existence d’uncertain nombre de « bonnes » pratiques de GRH qui,indépendamment du contexte organisationnel, peuventprocurer un avantage compétitif pour l’entreprise. Dansl’approche de la contingence, la relation entre lespratiques de GRH et la performance est contingente autype de stratégie d’affaires adoptée par l’entreprise.Selon l’approche configurationnelle, la performancedes entreprises dépend de la cohérence interne despratiques de GRH. Elle dépend également del’alignement des systèmes de travail, obtenus à partir deces pratiques cohérentes, sur les stratégies d’affaires(stratégie de différentiation par l’innovation, stratégiede minimisation des coûts et stratégie mixte) suivies parl’entreprise. La partie empirique de notre étude est quantitative et aété conduite sur un échantillon de 1983 établissementsfrançais, issus d’une enquête REPONSE1 menée par laDARES2 en 1998 pour tester la validité des troisperspectives stratégiques développées.

Les principaux résultats relatifs aux perspectivesuniversaliste et configurationnelle montrent que lesactivités de gestion des ressources humaines peuventconstituer un important levier pour accroître laperformance sociale des établissements français ;performance mesurée en terme de climat social,d’absentéisme, de satisfaction au travail...

IntroductionLe recrutement, la formation, la gestion descompétences, des emplois et des carrières, la mise enœuvre d’une politique globale et individuelled’évaluation, l’aménagement des temps de travail,l’amélioration des conditions de travail, lacommunication, la négociation... sont autant depratiques de gestion des ressources humaines (pratiquesGRH) largement utilisées dans les entreprises,aujourd’hui. Si ces pratiques constituentincontestablement des facteurs de compétitivité desentreprises et des organisations, le processus deformation de cette compétitivité ainsi que la mesure dela contribution de chacune de ces pratiques ou des

La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

1 Relations Professionnelles et Négociations des Entreprises.2 Direction de l’Animation de la Recherche des Etudes et des

Statistiques du ministère de l’emploi et de la solidarité français.

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différentes grappes de pratiques sont loin de fairel’unanimité au sein de la communauté des chercheursen GRH (Bayad & Liouville 2001, Guest 1999,). En effet, un grand nombre de questions restent à l’ordredu jour : existe-t-il des meilleures pratiques GRHuniverselles, une meilleure manière de recruter,d’évaluer, une meilleure façon de décrire les emplois etles compétences ou une meilleure technique de gérer lescarrières? Quelles sont les combinaisons de pratiquesqui ont le plus grand effet sur la performance et sur lacapacité des entreprises à développer de nouveauxprocédés ou produits, à réussir leurs changementsorganisationnels? Comment évalue-t-on la performanced’une organisation ? Dans quelle mesure les pratiquesGRH interagissent-elles avec la stratégie d’ent-reprise ?... L’état de l’art révèle l’existence de plusieurs courantsthéoriques qui semblent montrer l’existence d’unerelation plausible entre la mise en œuvre de pratiquesGRH et l’accroissement de la performance desorganisations. A partir de ces courants théoriques sedessinent trois approches empiriques reliant lespratiques GRH et la performance à savoir l’approcheuniversaliste, contingente et configurationnelle.Après avoir passé en revue la partie conceptuelle quipermet de mettre en avant notre problématique centraleet nos hypothèses, une seconde partie sera consacrée àla présentation de notre méthodologie. Pour l’hypothèseuniversaliste, nous présenterons les différentesvariables explicatives (pratiques GRH retenues),expliquées (variable de performance : rentabilité,motivation, qualité...) et les variables de contrôle. Pourl’hypothèse de contingence il y a lieu d’introduire enplus la variable stratégie. La méthodologie relative à latroisième hypothèse configurationnelle consiste àregrouper d’une part les variables GRH et d’autre partles variables de stratégie sous forme de grappes afin demesurer les arrimages internes et externes du modèle.A l’issue de la présentation de la méthodologie adoptée,nous présenterons les principaux résultats auxquelsnous avons abouti à partir du dépouillement del’enquête qui a porté sur 1983 établissements Français.

I - Cadre théorique« Les ressources humaines procurent à l’organisation unavantage compétitif » (Miller, 1989). Ce constat résumeà lui seul l’évolution de la fonction gestion du personnelapparue au début de l’ère taylorienne. En effet auxmultiples activités et programmes juxtaposés de lagestion du personnel (gestion de la paye, suivi etcontrôle des rendements des employés...) a succédédans un premier temps la gestion des ressourceshumaines (GRH) qui a introduit la dimension humainedans la gestion des ressources de l’entreprise par la

responsabilisation, la coordination et la coopération desdifférents acteurs. A cause de son caractère subordonnéaux autres fonctions organisationnelles de l’entreprise(production, finance, marketing...), la GRH s’est vuerécemment dépassée ou pour certains prolongée3 par lagestion stratégique des ressources humaines (GSRH)qui intègre les activités GRH aux principaux objectifsstratégiques de la firme (Schuler & Jackson 1987).Ainsi qualifie-t-on aujourd’hui certaines pratiques GRHde stratégiques, mais faut-il encore que ces pratiques setraduisent par des apports visibles à l’efficacité del’organisation pour qu’elles puissent revendiquer leurcaractère stratégique (Bayad 2001).La revue de la littérature en GSRH foisonne de modèlesthéoriques (descriptifs, explicatifs, prescriptifs,normatifs...) (Guest 1999) qui abordent l’articulationdes différentes pratiques GRH autour de la stratégie dedéveloppement. Les travaux de Bayad (Bayad 2001)ont permis de retenir quatre grands modèles de GSRH àsavoir le modèle de comptabilité des RH, le modèle deplanification des RH, le modèle de compétitivité desRH et le modèle de compétence des RH.

I-1 Les approches empiriques enGSRH

Comme nous l’avons souligné, la relation entre lespratiques GRH et la performance est loin de constituerl’unanimité. La performance, longtemps considéréecomme une variable monolithique à dominantefinancière, s’est enrichie d’autres dimensionsorganisationnelle, sociale, éthique et politique... (Morin1994 ; Roger & Wright1998 ; Guest 1999, Bayad &Liouville 2001). Ainsi, la performance sociale(absentéisme, satisfaction au travail, climat social) estdevenue une composante principale de la performanceorganisationnelle (Huselid (1995), Welbourne etAndrews (1996) ou Rogers et Wright (1998)).

La revue de la littérature en GSRH, nous offre troisperspectives empiriques pour étudier les liens entre lespratiques GRH et la performance des organisations :l’approche universaliste, l’approche contingente etl’approche configurationnelle.

I-1-1 L’approche universalisteL’approche universaliste regroupe les travaux quis’attachent à repérer et valider les « meilleures pratiquesGRH (best practices) «(Pfeffer, 1994). Cette approches’articule autour des trois principes suivants :

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

3 Pour (Petit, Bélanger, Benabou, Foucher et Bergeron 1993)

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- Supériorité et universalité des pratiques : certainesactivités GRH sont toujours supérieures à d’autres etpeuvent de ce fait être mises en œuvre dans n’importequelle organisation (Delery & Doty 1996).

- Sélectivité et supériorité de la lecture financière de laperformance : toutes les activités GRH ne peuvent êtrejugées stratégiques et on préférera les pratiques GRHinduisant la performance financière la plus élevée.

- Autonomie et additivité : lorsque plusieurs activités GRHsont utilisées simultanément par l’organisation, l’effet deces pratiques GRH sur la performance est la résultantedes effets individuels de chaque pratique GRH.

Cette approche est supportée par un grand nombre detravaux empiriques essentiellement nord-américains(Barrette et Simeus, 1997; Batt et Applebaum, 1995 ;Berg, Applebaum, Bailey et Kalleberg, 1996;Betcherman, McMullen, Leckie et Caron, 1994; Berg,1999 ; Guérin, Wils et Lemire, 1997; Huselid, 1995;Huselid et Becker, 1997; Huselid, Jackson et Schuler,1997 ; Ichniowski, 1992 ; Rondeau et Wagar, 1997 ;Stephen et Verma, 1995 ; Welbourne et Andrews, 1996).Le tableau en annexe1-dessous récapitule un certainnombre de ces travaux. Ces travaux ont solidementvalidé la perspective universaliste dont l’hypothèsefondamentale que nous retenons pour la suite de notretravail peut s’énoncer comme suit :Hypothèse 1 : Le niveau d’implantation des pratiquesGRH dites performantes est positivement relié àl’efficacité organisationnelle et en particulier à laperformance sociale des entreprises françaises.

I-1-2 Approche de contingenceLa seconde approche ou approche de contingence metl’accent sur la contextualisation (Chandler, 1962 ; Miles& Snow, 1978 ; Porter, 1985) de la GRH. En d’autrestermes, il n’y a performance que lorsqu’il y aadéquation des pratiques GRH avec la stratégie dedéveloppement. Elle cherche à dépasser la seuledimension financière de la performance pour intégrerd’autres critères comme l’innovation, l’accroissementdes parts de marché, la satisfaction au travail, la qualitédes produits, la flexibilité, ou l’image sociale.Cette approche fait de la GSRH le moyen appropriéd’alignement de la structure et de la cultureorganisationnelles aux objectifs stratégiques del’organisation. Elle postule que la performance del’organisation résulte du « fit » entre sa structure et lescaractéristiques de l’environnement (Lawrence &Lorch, 1967). En dépit du manque de travaux empiriques significatifset à l’issue des nombreux travaux théoriques,l’hypothèse contingente émise par les auteurs (Schuleret Jackson, 1987 ; Kochan et Barocci, 1985 ; Miles etSnow, 1984 ; Fombrun et al, 1984 ; Youndt, Snell, Deanet Lepak, 1996) et que nous retenons pour la suite denos travaux peut s’écrire de la façon suivante :

Hypothèse 2 : La relation entre les pratiques GRH et laperformance organisationnelle (la performance socialeen particulier) des entreprises Françaises estcontingente au type de stratégie organisationnelleadoptée par la firme.

I-1-3 Approche configurationnelleLa GRH n’a de réel effet sur l’efficacité del’organisation que dans la mesure où elle parvient àconstituer un regroupement cohérent de pratiquescapables de s’harmoniser aux principalescaractéristiques de l’organisation (Dyer & Holder,1988 ; Dyer & Reeves, 1995 ; MacDuffie, 1995 ;Whitfield & Poole, 1997 ; Wright & Snell, 1991, 1998).En effet, l’approche configurationnelle développe l’idéed’un processus de décision holistique et incrémental. Lechoix des solutions acceptables relève d’un processusinteractif entre les options stratégiques anticipées(opportunités) et la capacité des RH à les mettre enœuvre à travers les qualifications, les comportements,les expériences des acteurs.Les configurations peuvent être vues comme unearchitecture de liens multiples (non linéaires) etinteractifs entre les éléments de la stratégie et lesgrappes de pratiques GRH4 ; une architecturesusceptible d’évoluer dans le temps (Miller, 1989). Un certain nombre d’études empiriques ont essayéd’évaluer l’effet des regroupements des pratiques GRHsur la performance des organisations [Annexe 2 ](Arthur ; 1992, 1994 ; Bird et Beechler, 1995 ; Deleryet Doty 1996 ; Dunlop et Weil 1996 ; Ichniowski, Shawet Prennushi, 1997 ; Kelley, 1996 ; MacDuffie, 1995 ;Youndt, Snell et Dean et Lepak, 1996.

Les deux hypothèses relatives à la recherche decohérence interne et externe, que nous retenons à partirde l’approche configurationnelle peuvent s’énoncer dela façon suivante :

Hypothèse 3 : Plus grande sera la similarité entre lesystème de travail retrouvé dans l’organisation et lesystème de travail théorique, meilleure sera laperformance sociale des entreprises Françaises.

Hypothèse 4 : Plus grande sera la similarité entre lesystème de travail retrouvé dans l’organisation et lesystème de travail théorique, et plus cette similarité seraliée à une stratégie d’affaires correspondante, meilleuresera la performance sociale des entreprises Françaises.

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

4 L’interaction entre la stratégie RH et la stratégie de développementfait apparaître quatre configurations stratégiques (expansion, déve-loppement, productivité, repositionnement).

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II - Méthodologie de recherche

Rappelons à ce stade que l’objectif de notre travail estde chercher à établir le(s) lien(s) entre différentespratiques GRH et la performance sociale. La revue de lalittérature nous a permis d’émettre quatre hypothèses detravail issues des trois approches empiriques que nousavons explorées : approche universaliste, approchecontingente et approche configurationnelle. Afin deconfirmer ou d’infirmer ces hypothèses, nous avonsexploité le questionnaire « REPONSE »5 conçu par laDARES. En effet, nous avons procédé à un traitementstatistique des réponses de cette enquête.En suivant l’ordre des approches testées, nousprésentons dans un premier temps les variables relativesà approche universaliste (variables dépendante etvariables indépendantes). Nous présentons par la suiteles variables relatives à l’approche de contingence(introduction des variables de stratégie). Pour présenterles variables de l’approche configurationnelle, nousavons conçu trois systèmes de travail (grappes depratiques GRH) et trois configurations stratégiques. Après avoir fini de présenter les différentes variables,nous aborderons la préparation des différentes donnéesde l’enquête (les analyses factorielles, les procédures devérification des quatre hypothèses). A l’issue de laprésentation de la méthodologie adoptée, nousprésenterons les principaux résultats auxquels nousavons abouti à partir du dépouillement de l’enquête quia porté sur 1983 établissements français.

II-1 Présentation des variablesPour l’hypothèse universaliste, nous présenterons lesdifférentes variables explicatives (pratiques GRHretenues), expliquée (variable de performance sociale).

II-1-1 Variables relatives à l’approcheuniversaliste

II-1-1-1 Présentation des pratiques GRH (variablesindépendantes)

Certains auteurs ont tenté de dresser une listeexhaustive des pratiques GRH utilisées dans lesentreprises. D’autres travaux ont regroupé ces pratiquesselon leur homogénéité. Pour ce qui nous concerne,nous avons retenu une typologie composée de cinqfamilles de pratiques : les stratégies d’acquisition, derétribution, de développement, d’animation et denégociation. Nous aborderons en détail ces différentespratiques dans Les prochains.

a - Stratégie d’acquisition Cette classe de stratégie RH regroupe quatre types depratiques : organisation, recrutement/sélection, intégra-tion et qualification.L’organisation du travail représente une variablecentrale dans la quasi-totalité des études en GSRH(Dyer et Kochan, 1995 ; Dyer et Reeves, 1995 ; Lawler,1992 ; Pfeffer, 1995 ; Pfeffer et Veiga, 1999). Nousavons donc retenu un certain nombre d’élémentsassociés au concept d’organisation du travail à savoir ladéfinition du travail à accomplir, la fréquence ducontrôle et les modes de résolution des incidentsmineurs dans la production. Les pratiques de recrutement peuvent aussi êtrereconnues comme étant des variables stratégiques(Ostroff et Rothausen, 1997 ; Pfeffer, 1994 ; Pfeffer etVeiga, 1999 ; Schneider, 1987). Dans notre étude, lerecrutement se référera aux critères de sélection(qualités recherchées lors de l’embauche) ainsi qu’auxdifficultés à trouver les compétences nécessaires sur lemarché du travail. L’intégration ressort, de plus en plus, comme étant unevariable capable d’influencer de manière significativeles résultats organisationnels (Eaton et Voos, 1992 ;Greer, 1995 ; Kochan, McDuffie ; Levine, 1995 ;Osterman, 1988, 1995). Concernant cette variable, nousretiendrons la nature de l’emploi (CDD, intérim et

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5 La DARES a mené, en 1993 puis fin 1998-début99, deux éditionssuccessives d’une enquête statistique auprès des entreprises et desreprésentants du personnel. L’enquête relation professionnelles etnégociations des entreprises. ("REPONSE") a porté respectivementsur les années 1992 et 1998. C’est l’institut BVA qui a assuré la collecte des données pour les deux éditions.Cette enquête est un outil destiné à analyser les relations socialesdans les entreprises, en lien avec les stratégies concurrentielles etorganisationnelles des employeurs. Menée sur un échantillon aléa-toire et représentatif de 3000 établissements, l’enquête est réaliséepar entretiens en face à face entre, d’une part, un enquêteur et unreprésentant de l’employeur et d’autre part, un autre enquêteur et leprincipal représentant du personnel dans chaque établissement,quand il existe une représentation collective.L’enquête fournit, à l’aide d’indicateurs qualitatifs (variables de"classe"), une description précise des processus de négociation et deconflit. Elle s’attache à identifier les principaux enjeux de la négo-ciation sociale, et permet de mettre en relief des questions-clès tel-les que la participation des salariés, leur implication au travail, lespratiques salariales, la gestion de l’emploi, les innovations technologiques et organisationnelles ou les méthodes d’organisa-tion et de contrôle du travail. Le volet employeur" décrit plus particulièrement les pratiques managériales en la matière, alors quele volet "représentants du personnel" est consacré à l’implantationet aux activités des instances de représentations collectives. Unvolet "salariés" a été introduit pour 1998 et fournit dans la plupartdes établissements le point de vue de quelques salariés sélectionnésaléatoirement.Pour plus de détails concernant l’enquête de 1992, on se reporteraau numéro spécial de la revue travail et emploi n° 66, 1-1996). Pour1998, les premiers résultats ont été publiés (Coutrot, 2000a ;2000b ; 200c ; Malanb, Zouary,2000) et portent sur les innovationstechnologiques et organisationnelles et leur impact sur la gestion del’emploi, sur le recours au contrats temporaires, ainsi que sur lareprésentation des salariés vue par les employeurs.

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temps partiel) comme caractéristique des pratiquesd’intégration dans l’organisation. La littérature enGSRH montre également que la structure desqualifications peut aussi servir d’élément précurseur del’efficacité organisationnelle (Arthur, 1994 ; Lawler,Mohrman et Ledford, 1992; MacDuffie, 1995 ;Osterman, 1994 ; Pfeffer, 1994). Dans ce travail, nousretiendrons essentiellement le poids des employés, destechniciens et des cadres dans la structure des emplois.

b- Stratégie de rétribution: Cette classe de stratégie est composée de trois types depratiques : la composition et l’évolution des salaires, larémunération incitative/intéressement et l’évaluationDe manière parallèle au salaire, la littératurescientifique en GSRH a tôt fait d’identifier larémunération incitative comme étant un élémentcapable d’accroître le niveau d’efficacité de la firme(Blinder, 1990 ; Fossum et McCall, 1997 ; Ledford,1995 ; Mitchell, Lewin et Lawler, 1990 ; Weber, 1994 ;Weitzman et Kruse, 1990). À preuve, cette variable estprésente dans les principaux modèles de GSRH (Dyer etKochan, 1995 ; Pfeffer, 1995 ; Pfeffer et Veiga, 1999).Nombreux sont les modes de rémunération incitative, etla littérature en retient, essentiellement, le partage6 desprofits, le partage des gains de productivité et les bonusliés à l’évaluation de la performance individuellecomme façons d’accroître l’efficacité de la firme(Jones, Kato et Pliskin, 1997). L’évaluation durendement individuel7 représente également unevariable pouvant aider la firme à accroître son niveau deperformance organisationnelle (Baird, Beatty etSchneier, 1982; Beatty, 1989; Denison, 1990; Guzzo,Jette et Katzell, 1985; Heneman et Von Hippel, 1997;Latham et Wexley, 1982).

c- Stratégie de développement:La stratégie de développement intègre les pratiques deformation et de mobilités. Théoriquement,l’investissement dans la formation8 et le perfection-nement devraient accroître le rendement des salariés et,par là, la performance organisationnelle. Un grandnombre d’études empiriques ont, par ailleurs, validé untel lien (Arthur, 1994; Barrette et Simeus, 1997; Deleryet Doty, 1996; Ichniowski, Shaw et Prennushi, 1997). Nous retiendrons également les pratiques dedéveloppement qui touchent à la mobilité. En effet,l’enrichissement horizontal des tâches permet à unepersonne d’exécuter plusieurs tâches différentes ayantune complexité et une importance similaires. Nousavons retenu pour cela les possibilités de passage d’unposte à l’autre ainsi que l’importance des personnesconcernées dans l’organisation.

d- Stratégie d’animation:La stratégie d’animation comprend le partage del’information, la participation et la communication.

Le partage de l’information représente une variablestratégique importante en GSRH (Ichniowski, Shaw etPrennushi, 1997 ; Lawler, 1992 ; Lawler, Mohrman etLedford, 1992 ; Pfeffer, 1994 ; Walton, 1985). Le typed’information retenu dans cette étude est exclusivementde nature stratégique, c’est-à-dire qu’il est essentiel-lement lié à la concurrence, aux marchés, aux nouveauxproduits ainsi qu’aux données financières etstratégiques de l’entreprise.De manière équivalente à la communication,l’utilisation d’équipes de travail (participation)représente une variable RH que l’on peut qualifier destratégique. Dans la majorité des études, la présenced’équipes de travail représente un importantdéterminant de l’accroissement de la performanceorganisationnelle (Banker, Field, Schroeder et Sinha,1996 ; Cable et Fitzroy, 1980 ; Cooke, 1994 ; Cotton,1993 ; Cutcher-Gershenfeld, 1991 ; Eaton, Voos et Kim,1997 ; Levine et Tyson, 1990).

e- Stratégie de négociation:Les pratiques de représentation, d’expression, dediscussion et de conflit sont les quatre piliers de lastratégie de négociation. Les modèles classiques deGSRH supposent généralement que les intérêts desindividus sont identiques et que l’implication de tout lepersonnel aux objectifs de l’organisation est un faitacquis. Plus particulièrement, le syndicalisme ne sejustifie pas comme forme d’expression collective(représentation). La négociation n’a pas lieu d’êtreétant donné que les stratégies RH ont pour but derépondre aux besoins de chaque individu et qu’ellesdonnent à chacun un pouvoir égal. Pour Guest (1989),

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

6 Le partage des profits consiste en une redistribution d’une partiedes profits réalisés par l’entreprise ou l’unité (généralement sur unebase annuelle) (Kanungo et Mendonca, 1997). Le partage des gainsconsiste en une redistribution d’une partie des gains de productivitéengendrés par l’entreprise ou l’unité (ex. partage des gainsattribuable à une augmentation des ventes trimestrielles ou àl’amélioration de la productivité du travail) (St-Onge, Audet,Haines et Petit, 1998). La redistribution de bonus de performancepeut être interprétée de multiples façons (Kanungo et Mendonca,1997) selon la dimension individuelle ou collective. Ces deuxdimensions sont retenues dans l’enquête “REPONSE” pour lescadres et les non cadres. Les pratiques d’intéressement et de stockoption pour les cadres ont aussi été retenues.

7 L’évaluation du rendement individuel comprend deux typesdistincts Delery et Doty (1996 : 805) dont le premier repose surl’évaluation des comportements observables et le second surl’évaluation des résultats quantifiables. La première dimension estappréhendée par le degré de recours aux entretiens d’évaluation etde leurs effets pour les cadres et les non cadres. La secondedimension est liée au niveau d’appréciation des performances descadres et des non cadres.

8 La formation comprend les activités formelles dont le but est d’accroître la compétence des salariés ; ces activités étant soitspécifiques au travail, c’est-à-dire reliées exclusivement à la tâche,soit générales, c’est-à-dire visant, entre autres choses, à combler lesbesoins futurs liés aux transformations ou aux changements qu’auraà subir l’organisation (Pfeffer et Veiga, 1999).

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les employeurs disposent de trois manières pour réduirel’expression syndicale : en développant de nouvellesformes de communication (expression), en proposantun management participatif, et en mettant en place desactions RH centrées sur l’individu.La prise en compte de l’organisation, et plusparticulièrement de sa GRH, ouvre la voie à uneapproche du marché interne du travail fondée sur unpossible équilibre coopératif (Amadieu, 1996; Rojot,1995). Sur ce point, Aoki (1984, 1988) remarque queles relations entre syndicats et dirigeants sont passéesd’une logique de la « réactivité » à une logique de« l’interactivité » (discussion).Pour l’employeur, la stratégie RH, la négociation et lastratégie d’activités sont intimement liées. Par ailleurs,le processus de prise de décision stratégique implique,ici, différents acteurs et s’effectue à différents niveaux.La nature des décisions prises par un acteur a des effetssur l’ensemble du système (Kochan, McKersie etCapelli, 1984). On perçoit, ici, le poids de lanégociation et les réactions (conflits) qui peuvent endécouler de la part des autres acteurs-clés que sontl’employeur, les syndicats et l’État.

Le tableau ci-après récapitule l’ensemble des variablesrelatives aux cinq stratégies RH retenues.

II-1-1-2 Variables dépendantes : la performancesociale

Les études relatives au champ de la stratégie montrentla prépondérance des indicateurs financiers dans lamesure de la performance. Cette lecture financière setrouve ainsi largement utilisée dans la recherche enGSRH, puisque ce courant de pensée combine à la foisstratégie et GRH. Cependant, dans la lignée des travauxde Venkatraman et Ramanujam (1986), la littérature engestion propose de plus en plus d’intégrer, encomplément de la dimension financière, d’autresdimensions plus opérationnelles comme le climatsocial, l’innovation, l’absentéisme, ou l’introduction denouveaux produits, la qualité des produits, la part demarché, la satisfaction au travail...Notre étude portera donc un regard particulier sur l’effetdes pratiques GRH sur la performance sociale dans lesorganisations françaises.La performance sociale regroupe trois indicateurs : leclimat social, l’absentéisme et la satisfaction au travail.

a) Climat social : Le climat social qui règne au sein de l’organisation peutse comprendre comme la réponse du personnel en termede satisfaction aux différentes actions managériales. Leclimat social peut être défini comme l’atmosphère

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

Tableau 1 : Variables issues des 5stratégies RH (relatives àl’enquête REPONSE)

6 DS : Délégués Syndicaux. 7 DU : Délégation Unique. 8 CHSCT : Comités d'Hygiène de Sécurité et des Conditions de

Travail.

9 CE : Comité d’Etablissement / d’Entreprise. 10 DP : Délégué du Personnel. 11 RP : représentation du personnel.

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psychologique générale qui prévaut sur le lieu detravail. Les variables relatives à l’indicateur climatsocial développées dans l’enquête REPONSE sont àdeux niveaux : - Une question qui cherche à évaluer l’appréciation que

porte les dirigeants sur le climat social de leursétablissement (8.1). Cet indicateur15 permet demesurer l’effet des pratiques de GRH sur la perceptiondes dirigeants du climat social.

- Une seconde question (8.3) nous permet, quant à elle,de déterminer les principaux indicateurs utilisés parles dirigeants pour fonder leur jugement sur le climatsocial (l’absentéisme, la productivité, la mauvaisequalité,...)

Le climat social est mesuré à travers, d’une part laperception des employeurs et, d’autre part à travers lejugement que portent les salariés eux-même surl’ambiance qui règne au sein de leur établissement.

b) L’absentéisme : En GSRH, de nombreux travaux ont montré l’effet decertaines pratiques de GRH sur l’absentéisme.Sekiou et al. (2001) définissent l’absentéisme commeétant « une période précise durant laquelle le salarié nese présente pas physiquement à son lieu prévu detravail, alors qu’il devrait y être, et cela en dépit desraisons qu’il évoque pour justifier sa non présence ».Selon certains syndicats l’absentéisme est laconséquence d’un travail démotivant et non valorisantet non la cause. Pour certains auteurs, plus les salariésappartiennent aux niveaux les plus bas de la hiérarchie,moins le travail est intéressant, plus les absencesaugmentent (Thellier, 1982). Nous avons alors construit un indicateur synthétiquequi résulte de la somme des réponses « oui « auxquestions relatives à l’absentéisme chez les différentescatégories de salariés de l’établissement. Notre variableest codée entre zéro et quatre (4 : aucune absencedétectée chez les différentes catégories de salariés(employés, ouvriers techniciens ou cadres) , 3 absencechez l’une des quatre catégories ; 2 : absence chez deuxcatégories ; 1 : absence chez trois catégories ; 0 absencechez les quatre catégories).

c) Satisfaction au travail :Dans son ouvrage, « Work and the nature of man », et àpartir d’une approche méthodologique, Herzberg(1971) a analysé les différents aspects de la satisfactionau travail. Il a déduit l’existence de deux ensembles defacteurs :• Les premiers facteurs, liés au contenu même de la

tâche, nommés par Herzberg (1971) « facteurs

intrinsèques » ou « facteurs motivateurs ». Ce sontdes facteurs dont l’absence laisse les travailleurs dansun état neutre, alors que leur présence génère unsentiment de satisfaction au travail. En font partie, lestâches, les responsabilités, les promotions, l’intérêt autravail, les rémunérations d’ordre incitatif, lespossibilités de reconnaissance et d’accomplissement àtravers l’activité professionnelle.

• Les seconds facteurs, reliés au contexte du travailsont appelés « facteurs extrinsèques », « facteursd’hygiène » ou « facteurs de satisfaction ».L’absence de ces facteurs ou leur dysfonctionnementrendent les salariés insatisfaits. Ils doivent donc êtreprésents pur éviter l’accroissement de l’insatisfaction.Ces facteurs sont la santé et la sécurité au travail, larémunération, les relations avec les autres et lapolitique intérieure de l’organisation.

En GSRH plusieurs travaux ont montré l’effet decertaines pratiques de GRH sur la satisfaction et lamotivation. A titre d’exemple, les études proposées parHuselid (1995), Welbourne et Andrews (1996) ouRogers et Wright (1998) ont permis de mettre enévidence l’effet de certaines pratiques (rémunération,formation, communication, participation, dévelop-pement) sur le niveau de satisfaction des employés.L’enquête RÉPONSE prend en compte les deuxfamilles de facteurs de satisfaction au travail (facteursintrinsèques et facteurs extrinsèques) pour les cadres etles non cadres.Ainsi nous retrouvons :• facteurs intrinsèques : l’espoir d’une promotion, les

incitations salariales, le besoin de reconnaissance parles supérieurs, le besoin de reconnaissance par lescollègues, l’envie de satisfaire les clients ou lesusagers. Pour les distinguer des facteurs extrinsèques,les variables appartenant à cette catégorie seront codésavec un signe négatif.

• facteurs extrinsèques : la crainte de perdre sonemploi, la satisfaction du travail bien fait,l’identification aux objectifs de l’entreprise, lasatisfaction de surmonter des défis. Les variables decette catégorie seront codés avec un signe positif

L’indicateur agrégé « satisfaction au travail « est ainsiobtenu en additionnant les deux indicateurs relatifs à lasatisfaction intrinsèque et extrinsèque.

Le tableau ci-après présente les différentes dimensionset variables relatives à la performance sociale etretenues dans notre méthodologie.

SATISFACTION AU TRAVAIL = Satisfaction intrinsèque + Satisfaction extrinsèque

ABSENTEISME =Absentéisme ouvriers +Absentéisme employés +Absentéisme cadres +Absentéisme techniciens

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

15 Nous utiliserons indifféremment les termes indicateur, indice ouvariable : en effet les variables sont des sous-rubriques (sous-indicateurs) des indicateurs (ex. climat social) : elles sont à leur tourdes indicateurs de performance de niveau plus détaillé.

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II-1-2 Variables relatives à l’approchecontingente

Dans cette approche, nous reprenons les mêmesvariables que celles utilisées pour l’approcheuniversaliste, à la différence près, qu’une variablesupplémentaire permettant d’identifier le type destratégie d’entreprise sera rajoutée16. Pour introduirecette variable de contingence nous nous sommes référésau modèle proposé par Porter (1980, 1985). En effet, cemodèle théorique de stratégie d’entreprise, largementreconnu et partagé par les chercheurs, prend pour acquisque le type de stratégie retenu par l’organisation aura unimpact direct sur le choix des politiques et des pratiquesGRH. Ce modèle peut intervenir, aussi bien dansl’analyse de l’hypothèse de contingence, que dansl’analyse de l’hypothèse configurationnelle (Delery etDoty, 1996 ; Segev, 1989). Le tableau ci-après présenteles variables de stratégie retenues pour examinerl’approche contingente.

Tableau 3 : Variables de stratégie (relatives à l’enquêteRÉPONSE)

II-1-3 Variables relatives à l’approcheconfigurationnelle

La logique théorique sous-jacente à la perspectiveconfigurationnelle contraint le chercheur à un protocolede recherche beaucoup plus complexe que celui exigépour les approches universaliste et de contingence. Leraisonnement théorique que nous allons adopter pourtester l’approche configurationnelle sera basé sur lathéorie des typologies (Doty et Glick, 1994 ; Doty,Glick et Huber, 1993). À cet effet d’ailleurs, lalittérature théorique semble relativement unanime àaffirmer que cette procédure présente plusieursavantages18 pour la recherche (Doty et Glick, 1994 :244), dont la capacité d’aller au-delà de la simplelogique traditionnelle basée sur des procédures linéaireset d’interactions (i.e. strictement contingentes). Laméthodologie relative à cette troisième approche

configurationnelle consiste à regrouper d’une part lesvariables GRH et d’autre part les variables de stratégiesous forme de grappes afin de mesurer les arrimagesinternes et externes du modèle.

Configurations théoriques des systèmes de travail(relatifs aux pratiques GRH)Condition essentielle à la validation ultérieure del’hypothèse liée au principe de cohérence interne despratiques GRH, l’identification de regroupements ou desystèmes composés de pratiques GRH complémentairesreprésente notre première étape. Pour notre recherche,nous allons adopter trois systèmes de travail que nousavons préalablement dérivés de la littérature théorique.Ces systèmes seront, à quelques exceptions près,similaires à ceux élaborés initialement par les travauxthéoriques de Walton (1985) et adoptés par Arthur(1992, 1994) dans le cadre de ses importantesrecherches en GSRH.Dans le « système basé sur l’engagement »19, lessalariés bénéficient de plusieurs formes derémunération incitative, d’une formation importante,

d’activités de recrutement trèsélaborées, d’une évaluation durendement axée sur ledéveloppement des individus,d’une flexibilité importanteconcernant les postes de travail,d’un niveau de participationélevé, d’un partage notable de

l’information ainsi que d’une intégration importante.Le deuxième système de travail ou «système basé sur lecontrôle» est essentiellement caractérisé par uneformation uniquement orientée sur la tâche, un faibleniveau de participation et de partage d’information, desactivités d’évaluation du rendement peu élaborées, unefaible intégration, des activités de recrutement peu

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

Tableau 2 : Variables innovation (relatives à l’enquête RÉPONSE)

16 Pour introduire le concept de contextualisation17 Signifie le premier critères parmi les 3 éléments principaux sur

lesquels se base la stratégie de l’entreprise.18 Les textes de Doty et Glick (1994) et Doty, Glick et Huber (1993)

présentent une recension complète des divers avantages théoriqueset pratiques liés à l’utilisation de typologies (ou idéaux-types).

19 Le terme “système basé sur l’engagement” représente unetraduction du terme “commitment system” employé par Arthur(1992, 1994). Nous allons également employer l’appellation“système basé sur le contrôle” pour désigner l’autre système detravail, soit le “control system”.

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élaborées ainsi qu’une faible utilisation des mécanismesde rémunération incitative. Le troisième système, que nous avons nommé« système intermédiaire », représente, quant à lui, un« mélange » des deux autres.

Configurations stratégiques (relatifs aux stratégiesde développement) : Il s’agit d’identifier les diverses configurationsstratégiques auxquelles seront alignés ultérieurementles regroupements de pratiques GRH. Cette deuxièmeopération se veut une condition essentielle à lavérification de l’hypothèse voulant que les systèmesGRH soient d’autant plus efficaces lorsqu’ils sontalignés à des configurations stratégiques corres-pondantes (principe de l’arrimage externe). Commenous l’avons signalé auparavant, les configurationsstratégiques élaborées par Porter (1980, 1985) serontretenus pour cette recherche.

La première configuration stratégique a pour objectifprincipal la « minimisation des coûts ». Comme son noml’indique, l’adoption d’une telle stratégie oblige la firmeà certaines prescriptions organisationnelles. Entre autresactivités, les firmes qui adoptent un tel cadre de travailauront un pôle décisionnel fortement centralisé,exerceront un contrôle constant des coûts à travers unesérie de règles et de procédures et décourageront toutetentative de créativité et d’innovation qui pourraitaccroître les coûts de fonctionnement (ex. les coûtsd’expérimentation et d’erreur d’un nouveau produit ouservice) (Gomez-Mejia, Balkin, Cardy et Dimick, 2000).

La deuxième configuration stratégique appelée stratégiede « différenciation » s’oppose en tous points à laprécédente. Dans ce cas, la qualité de produits ou deservices, l’innovation de produits ou de services, laminimisation des règles et des procéduresadministratives, la décentralisation du pouvoir auxmains d’employés compétents et engagés ne sont quequelques exemples retrouvés dans une telle stratégied’affaires (Gomez-Mejia, Balkin, Cardy et Dimick,2000). La troisième configuration en sera unemitoyenne. Nous la nommerons stratégie de « focus ».

Théoriquement, il devrait y avoir arrimage entre unsystème de travail basé sur «l’engagement» et unestratégie de développement axée sur la« différenciation ». Nous devrions également retrouverun arrimage théorique20 entre un système de travail basésur le « contrôle » et une stratégie organisationnelleorientée sur la «minimisation des coûts». Finalement, ildevrait y avoir arrimage entre une stratégie de « focus »et un système de travail «intermédiaire ». Les travauxdéveloppés par Arthur (1992, 1994) ont d’ailleurs fait lapreuve que ces arrimages étaient scientifiquementsolides et cohérents.

Mesures des arrimages Afin de mesurer l’arrimage interne, nous avons calculédes indices de similarité entre les systèmes de travailthéoriques et les systèmes de travail retrouvés dans lesorganisations. Plus précisément, il s’agit d’unindicateur de dispersion qui repose sur l’écart entre lesystème de travail retrouvé dans l’organisation (valeursobservées des variables de GRH) et le système detravail théorique ressemblant le plus à celui retrouvédans la firme (moyennes des valeurs observées desvariables de GRH par classe d’appartenance). Pour mesurer le modèle complet, c’est-à-dire l’arrimageinterne et l’arrimage externe, nous avons utilisé lesindices de similarité entre le système de travail retrouvéen milieu organisationnel et le système de travailthéorique en tenant compte, cette fois-ci, desconfigurations stratégiques d’appartenance. Plusprécisément, nous avons estimé les arrimages internespour chacune des trois configurations stratégiques.

II-2 Préparation des données d’enquête

II-2-1 Analyses factoriellesÉtant donné le nombre important de variables retenuespour traduire l’impact des pratiques de GRH sur laperformance (et sur l’innovation en particulier) desorganisations et afin de tenir compte des effetsmultidimensionnels, nous avons choisi de réduirecelles-ci à quelques dimensions synthétiques. Pour cela,une Analyse des Correspondances Multiples (ACM) aété utilisée pour chacun des blocs de variables retenuspour la validation des différents modèles de rechercheproposés dans cette étude. Ainsi, 4 analyses factoriellesont été effectuées pour la stratégie d’acquisition (1 pourl’organisation, 1 pour le recrutement, 1 pourl’intégration et 1 pour la qualification). Nous avonsretenu le premier axe factoriel pour chacune de cesvariables. Ainsi nous retenu en totalité 15 axesfactoriels. Le calcul du coefficient alpha de Chronbacha donné des résultats acceptables qui vont dans le sensde la fiabilité des différentes variables retenues.Dans l’esprit de l’approche configurationnelle, deuxtypologies ont été réalisées. La première concerne lessystèmes de travail. Afin d’approcher les configurationsthéoriques, une classification par la méthode des Nuées

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20 Afin d’affecter les entreprises de l’enquête “REPONSE” auxconfigurations théoriques, deux classifications (méthode des nuéesdynamiques) en trois groupes ont été réalisées respectivement àpartir de trois entreprises sélectionnées (noyaux centraux) pour leurproximité aux systèmes de travail théoriques et de trois entreprisessélectionnées (noyaux centraux) pour leur proximité aux systèmesde stratégie théoriques.

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Dynamiques a été réalisée en prenant comme noyauxcentraux trois établissements aux caractéristiquesobservées sur les variables de GRH (15 axes factoriels)les plus proches des caractéristiques théoriques. Lamoyenne intra-classe pour chacun des 15 axes de GRHa été prise comme estimation de la valeur théoriquepour chacune des dimensions RH sélectionnées. Cesmoyennes servent au calcul des indicateurs de similariténécessaires pour tester l’hypothèse 3 de l’approcheconfigurationnelle. La même démarche appliquée aux configurations destratégie a permis de retenir 3 axes factoriels.

II-2-2 Démarche de vérification deshypothèses

Les méthodes d’analyse choisies pour vérifier les quatrehypothèses de recherche se veulent essentiellement denature quantitative. Une telle procédure d’analyse aégalement été retenue par la quasi-totalité des étudesrépertoriées dans notre revue de la littératurescientifique. La nature même de notre problématique nenous laisse guère d’autre choix. C’est plus précisémentl’analyse de régression multivariée qui servirad’instrument statistique tout au long de cette recherche(notons que les analyses statistiques ont été réalisées àl’aide des logiciels SPAD et SAS).

II-2-2-1 Hypothèse universalisteNous avons réalisé cinq régressions multiples sur lavariable dépendante innovation. Chacune des 5opérations s’est d’ailleurs déroulée en deux étapesdistinctes. La première consistait à incorporer dansnotre équation linéaire uniquement les variablescontrôle21. La deuxième étape consistait à introduire,tour à tour, chacun des cinq groupes de variables GRH(axes factoriels).

II-2-2-2 Hypothèse de contingenceDans le but de vérifier l’hypothèse de contingence, nousavons suivi une procédure similaire à celle utilisée pourla perspective universaliste. Ainsi, nous avons réalisécinq régressions multiples sur la variable innovation. Lavérification de l’hypothèse contingente s’est dérouléeen trois étapes.

La première étape a consisté à introduire uniquementles variables de contrôle. La deuxième étape a permisd’ajouter le groupe de variables ressources humainessélectionné (i.e. groupe de pratiques RH entrées demanière individuelle) ainsi que la variable decontingence (i.e. stratégie coût/différenciation). Quant àla troisième étape statistique, elle a consisté à construireune équation plus globale qui tient compte des effetsd’interactions entre le groupe de pratiques GRHsélectionné et la variable de contingence (stratégie).

II-2-2-3 Hypothèses configurationnellesNous avons procédé de la même manière pour étudier laperspective configurationnelle. Pour validerl’hypothèse reliée à la cohérence interne des pratiquesGRH (i.e. hypothèse 3), nous avons utilisé unedémarche statistique en deux étapes. La premièreconsistait, comme pour les précédentes analyses, àinsérer les seules variables de contrôle dans notremodèle d’analyse. Cette étape réalisée, nous y avonsalors introduit l’indice de similarité pour les 15dimensions RH (cf. mesure des concepts). Nous avonssuivi la même procédure méthodologique pour valider,cette fois-ci, la cohérence interne et la cohérenceexterne liées à la quatrième hypothèse pour chacune desconfigurations stratégiques. Pour chaque configurationstratégique, si nous incluons les seules variables decontrôle dans une première phase d’analyse, nous yintégrons les indices de similarité dans la deuxième.

III - Les principaux résultats

Notre question de recherche étant d’étudier les liensentre les pratiques GRH et la performance sociale desorganisations Françaises. La revue de la littérature enGSRH nous a permis de poser quatre hypothèses derecherche. Ces hypothèses sont issues des troisperspectives sous lesquelles ces liens ont été étudiés : lapremière hypothèse est issue de l’approcheuniversaliste, la seconde provient de l’approche decontingence et les deux dernières sont relatives àl’approche configurationnelle. Les principaux résultatsseront présentés selon l’ordre des hypothèses avancées.

III - 1 Résultats liés à l’hypothèse universaliste

Le tableau des résultats relatifs à la perspectiveuniversaliste montre l’effet des pratiques GRH(organisation, recrutement...) retenues sur laperformance sociale (satisfaction au travail,absentéisme, climat social). La lecture du tableau ci-après montre que certaines pratiques ont des effets trèssignificatifs (p-value < 0.01) sur la performance sociale.

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21 Dans notre étude, nous avons utilisé les variables de contrôlesuivantes : la taille, le secteur d’activité, la nature du marché et lecontrôle du capital d’établissement. Les variables de contrôle sontemployées dans la recherche en GSRH pour éviter des biais liés auxeffets de structure et qui pourraient affecter tant les variablesdépendantes que les variables dépendantes.

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Ainsi, la pratique d’intégration relative à la stratégied’acquisition influence positivement l’indiced’absentéisme (absentéisme faible) (ß = 0.050 ; p-value< 0,01). Cette pratique d’intégration constitue unevariable stratégique en GRH. En effet, peu d’employéssemblent insensibles à une telle variable. Dans unmarché de travail en pleine ébullition, cet élément est aucentre des principales revendications des syndicats etdes représentants de salariés. Il est même au centre desarguments électoraux des principaux partis politiques.L’importance sociale de cette variable a été récupéréepar les chercheurs en sciences sociales et de gestion. Àpreuve, cette variable est dorénavant présente dans laquasi-totalité des modèles en GSRH (Delaney etHuselid, 1996; Ichniowski, Shaw et Prennushi, 1997;Lawler, Mohrman et Ledford, 1992; Pfeffer, 1994;Pfeffer et Veiga, 1999).La variable de qualification exerce un effet significatifsur la satisfaction intrinsèque (ß = -0.072 p-value <0,01). Ainsi plus un établissement est en mesured’assurer à ses salariés un niveau élevé de qualification,meilleure sera alors la satisfaction intrinsèque (l’espoird’une promotion, les incitations salariales, le besoin dereconnaissance par les supérieurs, le besoin dereconnaissance par les collègues, l’envie de satisfaire

les clients ou les usagers. Rappelons que la variablequalification a été mesurée essentiellement par le tauxd’encadrement du personnel.De même, il apparaît que l’implantation de pratiquesd’animation semblent influencer de manièresignificative l’indice d’absentéisme (³R2 = 0,023; F =15,708; p-value < 0,01). Parmi celle-ci, les pratiquesd’information et de communication semblentparticulièrement importantes. Les résultats montrent que les pratiquesd’augmentations salariales exercent un effetsignificatif sur l’absentéisme (ß = 0.410; p-value <0,01), Ces conclusions sont partagées par plusieursrecherches empiriques telle que celles de Betcherman,McMullen, Leckie et Caron (1994), Batt et Applebaum(1995), Stephen et Verma (1995) ou Barrette et Simeus(1997).Le tableau xx montre également que les incitatifs(primes de performance collective cadres et non cadres,primes de performance individuelle cadres) ont un effetpositif sur sur la satisfaction intrinsèque (ß = -0.066; p-value < 0,05). Cependant nous constatons un effetnégatif des incitatifs sur l’absentéisme (ß = -0.137; p-value < 0,01).Les statistiques révèlent également queles pratique d’évaluation n’ont que des effets limités

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La performance sociale à la base de la compétitivité : le cas des entreprises françaisesNada ALLANI-SOLTAN

Tableau 4 : Résultats relatifs à l’hypothèse universaliste

Légende : * : p-value < 0,10, ** : p-value < 0,05, *** : p-value < 0,01

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(faible taux de significativité : 0.05) les indices declimat social (ß = 0.081; p-value < 0,05) et demotivation intrinsèque (ß = -0.071; p-value < 0,05).La formation exerce seulement un effet sur la baisse del’absentéisme ((ß = 0.086; p-value < 0,01)Il apparaît aussi que le droit et la liberté d’expressionont une influence positive essentiellement sur le climatsocial qui prévaut sur le lieu de travail (ß = 0.195; p-value < 0,01) et sur l’absentéisme (ß = 0.105; p-value <0,05). De même la gestion des conflits entre les salariéset leur supérieurs ou leurs collègues exerce des effetspositifs sur le climat social (ß = 0.081; p-value < 0,01)et dans une moindre mesure sur l’absentéisme (ß =0.064; p-value < 0,01)

III - 2 Résultats liés à l’hypothèse decontingence

L’analyse des effets croisés (croisement entre lastratégie de développement et la stratégie RH) montreque très peu de variables de performanceorganisationnelle semblent influencées par l’arrimageentre les pratiques GRH et la stratégie organisa-tionnelle. En fait, les seuls résultats statistiquementsignificatifs présentent des résultats paradoxaux(exemple : relation inverse entre les pratiquesd’animation et la performance économique de la firme)et difficiles à expliquer. Sur ce point, nous devonsreconnaître que les analyses sont à approfondir En effet,il nous semble au travers des analyses effectuées que lesliens entre les pratiques GRH et la stratégie sontcomplexes et dépassent le cadre de la contingence. Leseffets d’interface entre les pratiques GRH et la stratégiede développement, dénudés de toute recherche decohérence interne ne permettent pas d’expliquerl’émergence de la performance. Par ailleurs seule la

perspective configurationnelle permet d’associerconvenablement des systèmes de travail et desconfigurations stratégiques : chose que ne fait pasl’approche contingente.

III - 3 Résultats liés à l’hypothèseconfigurationnelle

La perspective configurationnelle est à la fois le modèlethéorique le plus complet et le plus complexe que l’onpeut trouver dans la littérature en GSRH. Cetteconception théorique reconnaît que la GRH n’a deréelle capacité stratégique que dans la mesure où elleparvient à constituer un regroupement (système)cohérent de pratiques capables de s’harmoniser auxprincipales caractéristiques de l’organisation.

Résultats relatifs aux tests de la première hypothèsede l’approche configurationnelleLe tableau [Tableau 5] récapitule les résultats relatifsaux tests de la première hypothèse de l’approcheconfigurationnelle (cohérence interne).Les arrimages internes entre les systèmes de travailthéoriques et les systèmes de travail observés pour lespratiques d’expression (ß = -0.203; p-value < 0,01),d’incitatifs (ß = -0.092; p-value < 0,01), d’évaluation (ß= -0.073; p-value < 0,01) et de recrutement (ß = -0.048;p-value < 0,01) exercent des effets significatifs sur leclimat social des établissement français. Nous constatons néanmoins, des impacts significatifspositifs pour les pratiques de représentation (ß = 0.165;p-value < 0,01), et de qualification (ß = 0.118; p-value< 0,01). Il s’agira de sur-investissements ou de sous-investissements dans les pratiques de GRH concernées(représentation et/ou qualification) par rapport auxconfigurations théoriques.

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Tableau 5 : Résultats relatifs à la 1re hypothèse configurationnelle

Légende :* : p-value < 0,10, ** : p-value < 0,05, *** : p-value < 0,01

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Résultats relatifs aux tests de la deuxième hypothèsede l’approche configurationnelleLes résultats associés à la quatrième hypothèsemontrent que, plus les pratiques de GRH implantées parun établissement seront cohérentes (i.e. ressemblant auxconfigurations théoriques idéales), et plus ellesévolueront dans un cadre stratégique favorable(stratégie de minimisation des coûts, stratégie dedifférentiation par l’innovation ou stratégie focus),meilleurs seront les indices de performance. Ainsi, plus les pratiques de GRH sont cohérentes entreelles et si elles évoluent dans une stratégie d’affaire detype différenciation par l’innovation meilleure seral’indice de climat social (³R2 = 0.116 ; p-value < 0.01). Il apparaît également très clairement, une supériorité dela stratégie de différenciation et de la stratégie focus parrapport à la stratégie de maîtrise des coûts(Cf.Tableau.6).

Conclusion Dans cet article nous nous sommes attachés à apporterquelques éléments de réponse à une question derecherche dont les réponses données par les chercheursen GRH restent controversées : « quels sont les effetsdes politiques et des pratiques GRH sur la performancesociale ? ». En effet, peu de travaux ont abordé lacomposante sociale en dépit des nombreusescontributions à l’étude des effets des pratiques GRH surla performance et en particulier à sa dimensionfinancière et économique (C.A, Rentabilité, Parts demarché, Cours des actions,…)Notre revue de la littérature nous a conduit à exploitertrois approches empiriques (universaliste, contingente,configurationnelle)

L’examen de notre question de recherche sous cesapproches nous a permis de construire quatrehypothèses que nous avons essayé de valider par la suiteà l’aide d’une enquête auprès de 2000 établissementsFrançais.Si les résultats relatifs à l’approche contingente restentà approfondir, les résultats réalisés sous les deuxapproches universaliste et configurationnelle sontencourageantes et vont dans le sens de la validation deshypothèses correspondantes. S’il est vrai que l’approche configurationnelle estbeaucoup plus complexe que l’approche universalistesur le plan conceptuel mais aussi sur le plan de sa miseen œuvre, elle présente à nos yeux une modélisationplus proche de la réalité des organisations complexesd’aujourd’hui car elle fait intervenir la stratégie et lesconcepts de cohérence interne et externe que l’on nepeut isoler par une modélisation simplificatrice.Reconnaissons toutefois que notre projet de rechercheprésente un certain nombre de limites duesessentiellement à son étendue. En effet, il s’agit d’unprojet très ambitieux, qui contrairement aux autrestravaux qui ont testé l’effet d’une ou de deux pratiqueGRH sur une seule dimension de la performance sousune perspective donnée, a pour objectif de tester l’effetd’un ensemble complet de pratiques GRH (plus oumoins exhaustif) sur un concept qui reste pour le moinsque l’on puisse dire flou ou mal défini qui est laperformance. De surcroît, le fait d’avoir étudié l’effet des pratiquesGRH sur la performance sous trois approchesempiriques différentes ne fait que rendre la tâche pluscomplexe et l’objectif de nos travaux ambivalent :s’agit-il de monter la supériorité d’une approche parrapport aux autres ? Ou s’agit-il de montrer les liensentre les pratiques GRH et la performance dans uncadre empirique donné ?

Par ailleurs, l’exploitation d’un questionnaire pré-établilimite la flexibilité qui nous est accordée dans le sens oùcertaines questions ou variables sont figées et nepeuvent être modifiées. La cohabitation de variablesbinaires et de variables de classe a rendu la constructionde variables de score difficile d’où le recours auxanalyses factorielles.En guise d’ouverture, il conviendrait de tester leshypothèses validées empiriquement sur des entreprises.Il s’agit toutefois de bien choisir ces entreprises enfonction de leurs stratégies et de l’existence depratiques GRH bien identifiées.

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Tableau 6 : Résultats relatifs à l’hypothèse 4

Légende :* : p-value < 0,10, ** : p-value < 0,05, *** : p-value < 0,01

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Annexe 1

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Annexe 2

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L’optimisation de la performanceéconomique peut-elle être dangereuse pourl’entreprise ?

Olivier BACHELARDProfesseurGroupe ESC [email protected]

Stéphanie CARPENTIERProfesseurIAE de Lyon – Université J. Moulin – Lyon [email protected]

Al’heure où les entreprises des pays industrielssont contraintes d’innover sans cesse et d’adop-ter des stratégies de différenciation qui leur per-

mettent de contrebalancer le poids de leur main d’œuvre élevée, l’amélioration de la performance globale devient encore plus l’obsession des dirigeants.Ne leur est-il pas en effet demandé de garantir non seu-lement la performance économique de leurs entreprisesmais aussi leurs performances sociales ?Dès lors, ces dirigeants ne semblent avoir guère d’autrechoix que celui de s’inscrire dans une logique de déve-loppement durable, ce qui suppose cependant qu’ilsdisposent d’un modèle de pilotage global et prennent enconsidération ces « nouveaux passages obligés » quesont l’environnement, les agences de notationéthiques…Pour autant, à trop se préoccuper de ces facteurs exter-nes à leurs entreprises, ces mêmes dirigeants risquent defaire peser une pression supplémentaire sur les épaulesde leurs salariés qui sont contraints non seulement decréer toujours plus de valeurs mais aussi de s’adaptertrès rapidement. Cette logique du « toujours plus »,« toujours mieux » n’est cependant pas supportée partous les salariés de la même manière, en témoigne cetteaugmentation du niveau de consom-mation d’anxioly-tiques et d’antidépresseurs ainsi que des maladies pro-fessionnelles, ce qui contribue à la banalisation des phé-nomènes de souffrance au travail.Les dirigeants se trouvent ainsi désormais contraintsnon seulement d’assurer la compétitivité et la perfor-mance économique de leurs entreprises mais aussi degérer leurs performances sociales et au-delà unepsychologisation accrue des rapports de travail, ce quiaccroît la difficulté de leur propre travail.Telle est donc la réflexion que les auteurs se proposentde développer dans cet article de la 6e Université dePrintemps de l’IAS.Notre démarche méthodologique repose sur la conduitede 12 entretiens semi-directifs approfondis de diri-geants de PME familiales implantées dans la Loire et laHaute Loire évoluant dans huit secteurs d’activité dif-férents (industrie plastique, chimie, mécanique, textile,transformation du bois, maçonnerie, électricité etconcession moto). Ces interviews ont été complétéespar des entretiens de cadres et de salariés. Par ailleurs,nous avons réalisé des observations directes des pra-tiques et des installations dans ces différentes struc-tures, facilitées par les relations s’inscrivant dans ladurée que nous entretenons avec ces entreprises. Eneffet les premiers contacts remontent à plusieurs annéesavec la plupart des dirigeants. Précisons toutefois unpoint : ces 12 PME sont des entreprises familiales quiont été sélectionnées de manière aléatoire dans le tissuéconomique local. Mais cela ne nous a pas empêchéd’établir des liens de dialogue et de réflexion avec cesdirigeants qui apprécient la qualité des échanges avecdes « chercheurs » en gestion qui, selon eux, amènent

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un éclairage différent sur ces problématiques. Le diri-geant d’une entreprise de mécanique de 30 salariés nousa même affirmé que nos « discussions » lui permettaientde prendre du recul par rapport à ses propres pratiques.Malgré leur hétérogénéité (secteur d’activité, taille,marché, durée d’existence), les PME que nous avonsétudiées ont un point commun : ce sont toutes des entre-prises familiales. Or si l’on en croit la presse écono-mique nationale - Enjeux Les Echos d’avril 2003 quititrait « Pourquoi les entreprises familiales réussissentmieux », Le Figaro Patrimoine du 23 mai 2003 affirmant« Les sociétés familiales résistent mieux » - ou la presserégionale - prenons par exemple le numéro de février2004 du magazine Entreprise Rhône-Alpes portant sur« La revanche des entreprises familiales » -, les PME etplus particulièrement les entreprises familiales sem-blent avoir de meilleurs résultats économiques que lesautres entreprises. Nous avons donc voulu observer surle terrain une douzaine d’entreprises et interroger leursdirigeants de manière à identifier des particularités dansleur mode de gestion.Dès lors, les réflexions que nous avons souhaitées met-tre en lumière reposent non seulement sur l’analyse deces entretiens mais aussi sur nos échanges et confronta-tions d’idées issues de nos recherches respectives. C’estainsi que notre pensée s’articule autour de trois axes :

• Il est nécessaire de prendre en compte le changementde nature du cadre structurant la Gestion desRessources Humaines…

• Même si cela ne facilite pas la recherche d’un intérêtcommun (d’ailleurs une telle démarche peut générerde la souffrance au travail).

• Pour autant, cela fait partie des solutions salvatricesque toute PME, et en particulier celle de type familial,se doit d’adopter pour éviter de privilégier sa perfor-mance économique au détriment de sa performancesociale et donc globale.

1. Du cadre réglementairenational à la régulation.

En premier lieu, avant de dresser une perspective histo-rique du cadre de la GRH revu par le développementdurable nous rappelons que nos travaux s’inscriventdepuis plus de 10 ans sur le bassin d’emploi de la régionstéphanoise. A titre d’exemple, nous citerons notreaction de sensibilisation des dirigeants et des étudiantsau management des hommes et des organisations au tra-vers des cycles de conférences réunissant cinq grandesécoles stéphanoises portant sur le management deshommes intitulés « Les Mardis de Fauriel ». Ces cyclesde conférence que nous avons fondés et coordonnésdepuis 1993 réunissaient cette année des personnesintéressées par le thème générique du développement

durable. Sont ainsi intervenus des enseignants-cher-cheurs - C. BRODHAG (ENMSE), D. BOURG(Université de Troyes), M. PURVIS (Université de Portsmouth) - et des professionnels - O. BARRAT (Barthélémy et Associés), E. JAILLET(DGSE) et H. L’HUILLIER (Groupe Total) – dont lesvisions du développement durable ont enrichis notreréflexion. Notre propre action s’inscrit par ailleurs dansune démarche entreprise dès 2000 par notre bassind’emploi qui a en effet décidé à partir de cette date defédérer les initiatives locales au sein d’une « Maison duDéveloppement Durable » dont le but est de mutualiserles objectifs, les moyens et les réflexions des acteurs dumonde économique, social et universitaire.

1.1 Une mise en perpective historiqueLe cadre structurant de la Gestion des RessourcesHumaines en France est constitué par le droit du travail.Or les principales grandes étapes de son élaborationremontent à la fin de la Première Guerre Mondiale (syn-dicats en entreprises, conventions collectives), au FrontPopulaire (congés payés, semaine de 40 heures, déléguédu personnel) et à la fin de la Deuxième GuerreMondiale avec l’ordonnance de la Sécurité Sociale. Nulbesoin de rappeler que le contexte économique de l’é-poque était totalement différent de celui d’aujourd’hui.Le rapport offre demande était très favorable aux entre-prises, l’univers géographique commercial était limitéau marché national. La problématique centrale de l’en-treprise était donc la production; l’organisation étaitmajoritairement taylorisée et la gestion du personnelétait centrée sur la recherche de main d’œuvre et lerespect des temps.Aujourd’hui le contexte a radicalement changé (mon-dialisation, concentration de l’offre, concurrence exa-cerbée, instabilité macro économique, segmentation desmarchés, nouvelles exigences professionnelles…), maisle cadre juridique, bien qu’enrichi, n’apporte pas desolutions satisfaisantes car il repose sur la mêmelogique réglementaire depuis son origine.Bien entendu des tentatives de réformes existentcomme par exemple le rapport de M. DE VIRVILLE1

remis au gouvernement le 15 janvier 2004. Ce dernierpropose des réformes en phase avec le contexte écono-mique actuel, comme par exemple le contrat de mission.Nous sommes toutefois encore loin d’une logique dedéveloppement durable…

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1 DE VIRVILLE M. (2004), Pour un droit du travail plus efficace,Rapport au Ministre des Affaires Sociales, du Travail et de laSolidarité, 15/01/2004. (Le dossier de presse et le rapport consulta-bles dans leur intégralité sur www.travail.gouv.fr ).

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1.2 Le développement durable ?D’un premier abord, le développement durable peutparaître éloigné de l’optimisation de la GRH au servicede la performance de l’entreprise, alors qu’en réalité laproblématique du développement durable est au cœurd’un mécanisme qui peut profondément renouveler lagestion sociale, la gestion du cadre juridique des aspectssociaux des entreprises. Nous affirmons cela parce quenous pensons que bien au-delà de l’aspect « marketing »du développement durable véhiculé par les différentsdiscours, l’effet de mode cache une réflexion très an-cienne et fondamentale. De plus, les avancées du déve-loppement durable, les concepts et éléments pratiquesdéjà mis en œuvre peuvent, selon nous, renouveler notreapproche de la gestion et de l’audit social. Le développement durable est né dans les années 1970autour de la problématique de la consommation d’éner-gie non renouvelable. La problématique était centréesur la durabilité du modèle économique que l’on peutconnaître au plan macro-économique. Cette réflexionrépond en fait à une nécessité beaucoup plus anciennequi se situe entre l’éthique et l’économique. Or ce débatentre l’éthique et l’économique pose le problème dusocial : est-il un concept périphérique au cœur du déve-loppement de l’entreprise ou est-il partie prenante de cedéveloppement ?Deux visions qui s’opposent peuvent sous-tendre notreréflexion2.La première idée est de considérer l’entreprise commeun mal nécessaire pour produire de la valeur. C’est unmal car elle a une dimension prédatrice, elle est pol-lueuse de ressources, source d’aliénation. Il ne fautdonc pas laisser l’entreprise libre mais la cadrer pouréviter la dégradation de la ressource. Il faut se souvenirque les premières lois sociales font suite au rapportVILLERME sur l’état de santé des travailleurs dans lesmines. La crainte du pouvoir était de perdre trop demineurs et donc de soldats.La deuxième vision consiste à penser que la problé-matique centrale concerne la manière d’organiser le tra-vail. Le règlement intérieur et le droit du travail engénéral peuvent ainsi être considérés comme des modesd’organisation du travail : alors qu’il n’existait pas deréglementation du travail, le règlement intérieur était unmode rationnel d’organisation du travail. De la mêmefaçon, le droit du travail en se structurant progres-sive-ment - principalement après les deux guerres mondiales- a organisé les relations du travail, la Gestion desRessources Humaines et en fin de compte l’entreprise. Ces deux conceptions étant rappelées, notons combienelles sont de natures différentes : d’un côté, le droit dutravail limite l’entreprise dans son aspect de prédateur;de l’autre, le droit est une technique d’organisation pouroptimiser la création de valeur de l’entreprise ! Certes,le droit social protège le salarié, mais dans le cadred’une relation contractuelle. Bien entendu, pour fonc-

tionner, il est nécessaire de respecter un certain nombrede caractéristiques comme par exemple l’égalité desparties (il peut y avoir une partie faible). Pour autant, lerétablissement de l’efficacité du droit contractuelengendre le nécessaire rétablissement de l’équilibre desparties. Cette protection de la partie faible est doncindispensable.Par ailleurs, aujourd’hui l’essentiel du patrimoine desentreprises françaises est immatériel, organisationnel ethumain. L’essentiel de la valeur d’une entreprise estdonc porté par le cadre juridique, le droit social.Les repères de la valeur d’une entreprise dépassent ainsiles critères strictement comptables, qui ne prennent quepeu en compte la dimension humaine, le portefeuille decompétences, la qualité de l’organisation. Les critèrescomptables sont hypertrophiés. C’est d’ailleurs pourrépondre à cela, pour tenter de mieux refléter la réalitéen prenant en compte ce facteur humain que des cher-cheurs tels H. SAVALL et les membres de l’ISEORmilitent3.

1.3 Le piège du court termeUne autre difficulté consiste à se focaliser sur le courtterme alors que des perspectives à plus longs termessont elles-mêmes très délicates à envisager. La valeurd’une entreprise à moyen terme n’est-elle pas en effetdifficile à cerner, alors que l’investissement immatériel,humain est dans le même temps calibré sur le moyenterme ? A titre d’exemple prenons deux entreprises identiques,ayant la valeur au jour J. Si l’entreprise A arrête d’in-vestir en formation (au-delà des limites légales) contrai-rement à l’entreprise B, sa valeur augmente car lesdépenses de formation baissent. Son efficacité écono-mique à court terme augmente car les dépenses de for-mation baissent. Son efficacité humaine à court termeest la même que l’entreprise B, mais en sacrifiant soninvestissement en formation la performance humaine etéconomique ne baissera qu’à moyen terme. Elle est plusproductive à court terme au détriment du moyen terme.Dans une logique court terme on privilégie en effet leschoix de gestion à court terme. Le parallèle avec la pro-blématique du développement durable est de satisfaireau besoin de production de valeur à un instant T sanshypothéquer sa capacité de production de valeur àmoyen terme. Or aujourd’hui, cette dimension n’est pasprivilégiée, sauf peut-être dans le cadre des PME, enparticulier familiales (d’où notre choix métho-dologique).

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2 Ces réflexions se sont enrichies de nos échanges avec Olivier BAR-RAT, avocat au cabinet Barthélémy et Associés.

3 Voir notamment SAVALL H. et ZARDET V. (1995), Ingénierie stra-tégique du Roseau, Economica, Paris.

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1.4 La responsabilité sociale des entreprises

C’est en effet très paradoxal mais la loi sur la responsa-bilité sociale de l’entreprise est destinée en priorité auxgrands groupes, alors que les PME tiennent compte decette dimension, même si c’est de façon plus empirique.Cet aspect nous pose à nous, membres de l’IAS, le pro-blème des témoins, des indicateurs de mesure de l’ab-sence de sacrifice à moyen terme. Or cette démarche dedéveloppement durable est déjà intégrée dans le mondeéconomique. La loi sur les Nouvelles Régulations Economiques(NRE) votée le 15 mai 2001 n’est pas destinée à rajou-ter une contrainte supplémentaire, complémentaire aubilan social4. Cette annexe NRE remet en cause lesfrontières de l’entreprise : les fournisseurs et sous-trai-tants doivent en effet être intégrés. Cela permet d’éviterde masquer la réalité par l’emploi de sous-traitants peuregardants ou par l’abus des jeux comptables (passifactif). La construction d’information sociale commetémoin de la valeur devient donc un enjeu lourd pour lesentreprises. L’audit social peut ainsi contribuer à prépa-rer les entreprises sur cette logique dans cet esprit. Maispour renforcer cet aspect, la certification sociale (lanotation) aura un effet de diffusion, car elle ne tient pascompte des frontières.La dimension nouvelle, la « soft law », tient au fait qu’iln’existe pas d’obligation juridique de se faire certifier,mais il peut y avoir une nécessité économique. A titred’exemple, les appels d’offres publiques français vontavoir un versant social relatif au développement dura-ble. C’est d’ailleurs la prise en compte de ces préoccu-pations relatives à l’environnement, au social, aux pra-tiques commerciales et financières et au gouvernementd’entreprise (auquel P.Y.GOMEZ a consacré l’un de sesouvrages5) qui ont conduit à la création d’agences tellesVigeo6 et à l’utilisation de la notion d’InvestissementSocialement Responsable ou ISR.Quoi qu’il en soit, aujourd’hui un constat s’impose : lesfrontières des Etats, les frontières politiques (dumpingsocial, externalisation du risque sur des zones moinscontraignantes en matière d’hygiène et de condition detravail) sont en partie abolies par les pratiques de déve-loppement durable, car les indicateurs sont les mêmespour tous. On voit ainsi naître un substitut au droitinternational. On peut même penser que les mécanismesde régulation qui se mettent progressivement en placeprendront le pas sur les mécanismes réglementaires. Onpasse ainsi d’un cadre structuré strict, imposé, à unedémarche volontaire composée de principes généraux. L’entreprise se doit donc de décliner ces principes enson sein de façon opérationnelle. Les contraintes sontles parties prenantes (clients, actionnaires, opinionpublique…) auprès de qui l’entreprise s’engage.L’entreprise peut se faire attaquer en responsabilité.Dans ce cas, le simple fait de se faire attaquer en jus-

tice, peut conduire par exemple, à une baisse significa-tive du cours en bourse. La sanction est ainsi immé-diate. Ce nouveau mode de contrôle et ses principesmultiformes fait ainsi progressivement place (heureuse-ment) à l’ancien mécanisme juridique (une action, unjuge, une sanction). Le passage d’un droit de la réglementation à un droit dela régulation comme préconisé par J.D. REYNAUD7

peut dès lors permettre à l’entreprise d’éviter d’optimi-ser sa performance à court terme, sans hypothéquer saperformance durable : le DRH dispose enfin d’un alliépuissant contre la vision exclusivement financière de laperformance économique. Il peut donc s’attacher àprendre en compte la performance sociale de l’entre-prise en s’intéressant à la dimension psychologique deses salariés, tout cela non dans une perpective purementaltruiste mais en gardant à l’esprit que s’occuper desindividus concourt à l’intérêt général.

2. La recherche d’un intérêt commun

Il est en effet temps que les DRH des entreprises soientconscients de la prochaine situation paroxystique danslaquelle leurs entreprises risquent de se trouver : ledécalage croissant existant entre les exigences aux-quelles une concurrence mondiale accrue les soumet etles aspirations et les aptitudes individuelles des salariésqui sont d’une autre nature. Cela engendre en effet unesouffrance dont les symptômes sont perceptibles auxniveaux macro-économique et micro-économique.

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4 Reconnaissons toutefois que cette loi, en légiférant dans trois domai-nes – la régulation financière, la régulation de la concurrence et larégulation de l’entreprise –, oblige par son article 116 les entreprisesfrançaises cotées sur un marché réglementé à rendre compte dansleur rapport annuel de leur gestion sociale et environnementale.(Elles doivent à titre d’exemple communiquer sur la répartitionhommes-femmes de leurs effectifs ainsi que sur leurs consomma-tions d’eau et d’énergie).

5 GOMEZ P.Y. (2001), La république des actionnaires. Le gouverne-ment des entreprises entre démocratie et démagogie, Editions Syros,Collection Alternatives Economiques, Paris.

6 Cette agence de notation sociale et environnementale créée en juillet2002 (15 analystes et 6 auditeurs) suite à l’absorption d’Arese (pre-mière organisation française de ce type créée en 1997) est trèsmédiatisée car dirigée par Nicole Notat. Ses actionnaires, dont fontpartie la Caisse des Dépôts et les Caisses d’Epargne, sont à la foisdes entreprises, des institutions financières et des syndicats.

7 REYNAUD J.D. (1999), Le conflit, la négociation et la règle,Editions Octarès, Toulouse (2ème édition augmentée, 1ère éditionen 1995).

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2.1 Un danger imminent ?Au plan macro-économique, est-il nécessaire de rap-peler que la France atteint des records de consommationd’anxiolytiques et d’antidépresseurs, de médicamentsdestinés à lutter contre le mal être et la surdose de stressainsi que de nombre de jours d’arrêt de travail ? Dansson rapport du 18 novembre 2003, la Cour des Comptessouligne la forte augmentation du nombre d’arrêts mal-adie depuis 2000 et en particulier en 2003. Le surcoûtde charges est estimé par la Cour des Comptes à 400millions d’Euros par an, par rapport à la décennie 1990.Au niveau académique, des ouvrages comme celui d’A.DURIEUX8 montrent le décalage entre le besoin deflexibilité des entreprises et le cadre juridique et l’aspi-ration sécuritaire des salariés. Plus récemment, l’ouvragede F. BOURNOIS « Pourquoi j’irais travailler ? » 9

attire notre attention sur les importantes séquelles queles années 1990 ont laissées. Les fusions et les dégrais-sages massifs ont entraîné un antagonisme fort entreemployeurs et salariés. Les grands groupes opèrent unesegmentation en fonction de la rareté et de la valeurajoutée des compétences. Personne n’est durablement àl’abri de la rupture, même pas l’intouchable « J2M ».En cas de succès, chacun peut construire sa doctrine etsa légitimité. En cas d’échec, aucune légitimité n’a devaleur, c’est la compétence du manager, du salarié quiest remise en cause. F. BOURNOIS parle de “pacte demanagement”, ce qui suppose une confiance réciproqueet une clause de confidentialité entre deux personnes.Nous sommes alors très proches du contrat psycholo-gique avancé par H. LEVINSON.Dès lors, la Gestion des ressources humaines apparaîtdans le meilleur cas comme défaillante, incapable derésoudre les dysfonctionnements sociaux, ou dans lepire des cas comme redoutablement efficiente pour aug-menter les contraintes des salariés (plus de vitesse, plusde charge, plus de création de valeurs, plus de compéti-tion…) et susciter le départ « volontaire » des élémentsdéfaillants.De plus, sur le plan juridique, le décalage de plus enplus important entre la structure juridique, support ducontrat de travail, et les réalités des structures managé-riales (structure projet, business unit…) contribue àgénérer une perte de lisibilité et des troubles identi-taires. Le droit du travail ne correspond plus à la néces-saire organisation de l’entreprise.Par ailleurs, comme nous l’avons déjà souligné10, lespratiques de GRH - plus traditionnelles, moins stressan-tes, plus rassurantes, correspondant plus aux attentesdes salariés (reconnaissance, stabilité, sécurité, déve-loppement…) - se retrouvent plus facilement dans unePME entre un salarié et un patron réel (au sens de laCGPME, c’est-à-dire propriétaire du capital) que dansun grand groupe. La raison de cette particularité estmultiple, mais deux caractéristiques principales sedégagent : la stabilité dans le temps, et l’ampleur du

pouvoir de décision du patron réel. C’est ce qui diffèred’un grand groupe dans lequel les décisions peuventévoluer dans le temps, au gré des fluctuations quoti-diennes des cotations boursières. La PME est en effet unpetit monde, les acteurs se connaissent tous entre eux.Les traits de personnalité sont stables dans le temps, lesacteurs jugent les comportements beaucoup plus que lesdiscours… Or le passage d’un modèle fordiste à un modèle post-fordiste exige du salarié une implication affective etcognitive. La gestion de ses émotions devient alors obli-gatoire. En effet, F.W. TAYLOR pensait que la rationa-lisation et la réduction de l’autonomie étaient la base del’augmentation des gains de productivité. Depuis laconception de l’organisation a évolué, des pratiquesmanagériales se sont développées pour optimiser lacréation de valeurs (gestion en flux tendu, gestion parprojet, qualité totale, juste-à-temps). Ces pratiquesdémontrent que l’implication subjective des salariés estla meilleure façon d’obtenir et d’augmenter des gains deproductivité. « Là où l’initiative était interdite, là voilàobligatoire sous la forme d’une sollicitation systéma-tique de la mobilisation personnelle et collective. Laprescription de l’activité se fait prescription de la sub-jectivité11 » .Ainsi, le salarié est désormais convoqué par l’organisa-tion en tant que subjectivité12. Notons toutefois que lasubjectivation est un attribut de l’individu et non d’ungroupe social particulier. Cela introduit par conséquentune dimension transversale des rapports sociaux dontles individus sont des termes.

2.2 La nécessaire prise en compte des individualités des salariés…

Les entreprises disent vrai quand elles affirment quel’homme est au centre de leur préoccupation : l’intérêtmanifesté aux aptitudes des salariés, à leur capacité àapprendre ou à s’adapter est la forme contemporaine dela division des collectifs de travail; l’implication13

comme valeur absolue de la compétence est au centred’un nouvel agencement de la domination. Elle se ré-fère moins d’une individuation disciplinaire de subjec-

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8 DURIEUX A. (1999), L’entreprise barbare, Albin Michel, Paris. 9 BOURNOIS F. (2003), Pourquoi j’irais travailler, Eyrolles, Paris.10 BACHELARD O. (2003), « GRH et innovation en PMI », Actes du

14e Congrès AGRH 2003, Grenoble.11 CLOT Y. (1999), La fonction psychologique du travail, Editions

PUF, Paris.12 PATUREL D. (2003), « Implication et souffrance au travail »,

Actes du Colloque IAE-IAS 2003, Corte.13 DEJOURS C. (1993), Travail : usure mentale, Bayard

Editions, Paris.

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tivités (les comparer, les hiérarchiser, les inclure, lesexclure bref les rendre normales) que d’une tentativepour limiter les prises de distances avec ce mode derelation au travail. Il s’agit de prendre possession del’engagement de soi et de la créativité qui lui est inhé-rente. J. HABERMAS14 parle t-il pas en effet de l’idéo-logie de la ressource humaine qui prépare la colonisa-tion par la rationalité économique des aspirations nonéconomiques ? On pourrait ainsi résumer par cetteinjonction « Soyez sujets ». Quelle évolution quand onsait que l’organisation scientifique du travail n’a eu decesse d’évacuer la subjectivité des travailleurs en sépa-rant le travail conceptuel et le travail d’exécution !Quelle évolution quand on relit les pages écrites parF.W. TAYLOR sur la flânerie des ouvriers et ses effetscontreproductifs... Penser n’est plus interdit, c’estmême une ressource pour l’entreprise. Reste à savoir sil’acte de penser se laissera mettre au rang de simplemoyen.Pour autant, cette nouvelle façon de penser et d’agirengendre de nombreuses conséquences, dont celle de lasouffrance mentale et psychique développée dans lecadre du travail. Cette notion a par conséquent aujour-d’hui droit de cité. Elle est cependant difficile à définir.Nous codons en effet multiples problèmes du quotidiendans un langage psychologique. C’est la conséquenceimmanente de la recherche éperdue de l’estime de soi.Il y a alors tendance à renvoyer sous le diagnostic« Dépression » l’ensemble de l’expression de cettesouffrance. (Le psychanalyste américain H.J. FREU-DENBERGER15 utilisera quant à lui dès 1974 la notionde « burnout »). Cela n’est pourtant pas neutre de consé-quence ! En effet, la plupart de ces problèmes du quoti-dien étaient auparavant énoncés en termes sociaux etcertains étaient même de l’ordre de la revendicationpolitique ou syndicale. Ce changement ne peut ainsiêtre simplement lu comme une « psychologisation » desrapports sociaux due à l’individualisme mais bien à uneévolution de la question du lien social dans notre so-ciété. Le découragement, l’ennui et la fatigue précèdentdes altérations plus grandes de la vie mentale. C’est làtout le problème de la défaillance psychique d’une per-sonnalité apparemment saine, soumise à un feu continud’exigences professionnelles intériorisées comme desexigences personnelles. Le système de défense psy-chique ne peut plus, dès lors, faire face à ces agressionsmicro-toxiques. La souffrance existe par conséquent. Ilest donc nécessaire de la prendre en considération.La définition donnée par C. DEJOURS16 est que lasouffrance au travail est la conséquence d’une non-reconnaissance de la mobilisation de la subjectivité autravail. Il distingue deux types de souffrances : la souf-france mentale liée au contenu significatif du travail etla souffrance psychique liée au contenu ergonomique dela tâche. La souffrance mentale peut cependant prendreplusieurs formes. Elle se décline toutefois à traversdeux facteurs :

• celui de la double contrainte : quoi que je fasse, l’ac-tion sera insatisfaisante; si je ne fais rien, je n’atteinspas les objectifs et si j’agis sans prendre en compteles règles, je prends un risque quant à ma responsabi-lité dans cette transgression. Cela se retrouve dans lacrainte de l’incompétence due à un décalage entreexigence de la tâche et niveau de qualification, lapeur de ne pas faire face à une situation inhabituelle,le contexte professionnel qui oblige à réaliser destâches ne faisant pas partie du champ de compétence.Cette impossibilité de répondre de façon satisfaisantes’inscrit bien dans la souffrance au travail.

• celui de la souffrance liée au fait de mal faire son tra-vail (en comparaison à l’idéal de son métier).

Sur ce deuxième point, la psychopathologie considèrel’action de l’ergonomie en tant que pratique s’attachantà réduire les nuisances de l’environnement sur la santéphysique du travailleur comme insuffisante tant qu’ellen’apporte pas une amélioration sur le plan du contenusignificatif. Il y a donc recherche d’une adéquationentre la structure mentale du travailleur et le contenuergonomique de la tâche. L’inadéquation peut se tra-duire par des affections somatiques et psychiques.L’insatisfaction qui en découle se définit comme lacharge de travail psychique.Aujourd’hui, chacun doit par conséquent devenir l’ac-teur de sa propre vie. La confusion de la sphère profes-sionnelle et personnelle est fréquente. Il y a un vrai pro-blème de distance. Cette difficulté à trouver un équi-libre entre l’obligation de s’impliquer intensément et ladistance nécessaire pour conserver un espace privé estune des différences fondamentales et rappelle l’éclate-ment du lien au collectif de travail. L’apprentissage estdonc d’être performant et ce, dans des références à soi-même: « chacun doit arrimer sa conduite à lui-même etse mettre en avant »17.La question qui se pose alors à nous est la suivante :dans le contexte actuel de compétition mondiale, delibéralisme exacerbé, avec un cadre juridique encorelargement réglementaire au plan national, est-il possiblede construire des projets d’entreprise fondés sur le biencommun ?

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14 HABERMAS J. (1987), Théorie de l’agir communicationnel,Editions Fayard, Paris.

15 FREUDENBERGER H.J. (1974), “The staff Burnout”, Journal ofSocial Issues, 30, 1, 159-165.

16 DEJOURS C. (1993), Travail : usure mentale, Bayard Editions,Paris.

17 EHRENBERG A. (1998), La Fatigue d’être Soi, Editions OdileJacob, Paris.

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2.3 … pour la construction du bien commun

En formulant ainsi notre question, en évoquant l’éven-tuelle construction de projets d’entreprises fondés sur lebien commun, nous ne parlons pas du modèle idéalisé,participatif mis en place dans les multinationales dansles années quatre-vingts, illustration parfaite des contra-dictions entre les stratégies financières des firmes et lesnuméros d’équilibristes des DRH. Nous traitons plutôtde la mise en place d’une forme spécifique de manage-ment propre aux PME, en particulier de type familial,au sein desquelles les dirigeants doivent assurer uneperformance durable avec l’intégralité de leur équipe. Une des caractéristiques centrales des 12 entreprisesfamiliales avec lesquelles nous avons des relations pri-vilégiées est en effet de reposer sur des valeurs hu-maines fortes et donc de privilégier la vision à longterme. C’est ainsi que le dirigeant d’une PME de méca-nique nous a affirmé « je dis toujours la vérité aux sala-riés, on ne peut pas dire de choses fausses, par contre laparole doit être suivie de faits ». La politique socialeainsi construite, même si elle n’est pas affichée à l’ex-térieur de l’entreprise ; elle repose sur la constructiond’une confiance mutuelle étayée par des faits concrets,qui s’inscrivent dans le temps. Le dirigeant d’une entre-prise chimique nous a même dit « je n’affiche pas depolitique sociale car il faut pouvoir la tenir », mais enrevanche, il agit. A titre d’exemple, un audit approfondide la satisfaction du personnel dans cette entreprise(150 salariés) est réalisé depuis 10 ans, et ce tous les 2ans, par la responsable du service du personnel. C’est laraison pour laquelle des abonnements à « La Comédie »(Théâtre de St.-Etienne) sont offerts par l’entreprise auxsalariés… Les valeurs humaines tiennent par consé-quent une vraie place dans cette entreprise.Cet exemple est contraire aux pratiques des entreprisesoù la GRH est fondée sur la compétence des salariés -ou plutôt sur la mise en œuvre de leurs compétences aumeilleur prix - ainsi que sur la maîtrise des dépenses etla productivité, car dans ces cas-là l’intérêt communn’existe pas. Nous sommes en effet en présence d’inté-rêts individuels, fonctionnant sur les bases d’un marchéouvert. Chaque agent (dirigeant, cadre, salarié) est alorsun acteur ayant des stratégies et des enjeux propres.L’intérêt collectif de l’entreprise est par conséquentdans ces situations précises un leurre : il n’existe pas. Le rôle des chefs d’entreprise est donc bien de cons-truire un projet, de structurer une perspective pour eux-mêmes et leur salariés. Sinon, sans cette perspective oucet objectif commun, l’action de chaque salarié estnourrie d’événements subis à longueur de journée. Parailleurs, pour éviter le règne de l’urgence, du « toutprioritaire » - dont le poids porte gravement préjudice àl’organisation en créant de lourds dysfonctionnementset en dégradant la qualité des rapports humains - il sem-blerait, au regard de nos entretiens, que la construction

d’une perspective temporelle soit déterminante. Cela estd’autant plus nécessaire, voire vital, que cela permetd’éviter les conséquences désastreuses des conflits quise multiplient et l’augmentation du stress qui est liée àla détérioration du climat de travail. La vision à courtterme nuit en effet à la structuration d’une organisationpensée ainsi qu’à l’articulation des configurations struc-turelles et du portefeuille de projets : les impératifs dufonctionnement quotidien de l’entreprise et le traite-ment des situations finissent par prendre le pas sur l’ob-jectif commun, sur l’intérêt général.Nos entretiens et de nos travaux d’enquête en PME ontpar ailleurs attiré notre attention sur un certain nombrede points venant compléter notre réflexion.En premier lieu, la GRH pratiquée repose sur quelquescaractéristiques fortes destinées à étayer un travailcoopératif contraignant chaque salarié à modifier sarelation à l’autre sur un mode gagnant - gagnant.L’engagement est réciproque et jugé sur les faits, nonsur le discours. La GRH est stratégique car pratiquée endirect par le dirigeant. Ses principales caractéristiquessont :

• Une rémunération comprenant une partie variablecollective corrélée aux résultats de l’entreprise. Il n’ya pas de rémunération individualisée pour éviter letaylorisme exacerbé produisant le renforcement « duchacun pour soi » : « L’entreprise n’est pas conçuecomme une machine ».

• Un investissement en formation supérieur à l’obliga-tion légale, témoin de la confiance mutuelle en l’ave-nir. La reforme de la loi sur la formation va d’ailleurscomplètement dans ce sens.

• Un abandon progressif du cadre taylorien de descrip-tif de poste, centré sur les tâches de chaque collabo-rateur, au profit de la structuration de process defabrication.

En deuxième lieu, l’investissement du dirigeant auprèsde l’ensemble des salariés est primordial. Tous les diri-geants rencontrés insistent sur ce point - bien qu’ils nele formulent pas en ces termes - et fixent une limite dou-ble : effectif inférieur à 500 salariés et nécessité de voirtout le monde dans la journée. Cela leur paraît être lacondition sine qua non pour que chacun assimile l’ob-jectif, ne le perde pas de vue, malgré le quotidien, ets’investisse personnellement sans se réfugier dans unedistribution de tâches ou de rôles.Notons toutefois que cet intérêt commun, sur le modèlede la communauté d’intérêt (la réussite économique del’entreprise se traduit par des investissements matérielset immatériels, de revenus réguliers et durable et uneidentité forte) ne signifie pas pour autant une penséeunique et une absence de confrontation. Au contraire,c’est parce que le projet et l’objectif sont clairs qu’il estpossible d’échanger sur l’adaptation voire d’envisagerla correction du raisonnement. Parce que le cadre est

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L’optimisation de la performance économique peut-elle être dangereuse pour l’entreprise ?Olivier BACHELARD - Stéphanie CARPENTIER

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bien défini, les salariés peuvent ainsi confronter les dif-férentes logiques, poser des questions sur le pourquoi etle comment. Le projet est alors connu et discuté. Troisniveaux de logique en coexistant doivent par consé-quent être nécessairement pris en compte :

• Une logique de finalité (Quel est notre projet ?). • Une logique d’organisation (Comment allons-nous

faire ?)• Une logique d’arbitrage (Tous les acteurs sont autour

de la même table, dans la même usine, sur le mêmesite).

C’est ainsi que se développent les communautés de pra-tique que E. WENGER et W. SNYDER définissentcomme étant « un regroupement informel d’individusayant en commun un domaine de spécialisation préciset une passion pour un projet collectif »18. Ces person-nes ainsi liées par un intérêt commun, poursuivent unmême désir et partagent également des problèmes, desexpériences, des savoir-faire, des outils ou bonnes pra-tiques… tout en apprenant les unes des autres, que cesoit d’ailleurs dans un face à face ou virtuellement. Lessalariés, mais aussi l’entreprise, trouvent donc leurcompte à ce que soient favorisées de telles pratiques. En résumé, nous pensons que le projet commun et lecontrat social gagnant - gagnant semblent être une pistede réflexion à explorer face à nos environnements sialéatoires, en attendant la généralisation du développe-ment durable. Cet aspect sera débattu lors de nos échan-ges à Tunis et fera l’objet de développements ultérieurs.

ConclusionPlus que jamais la problématique de la gestion des res-sources humaines et de l’audit social en particulier vadevoir articuler le regard des sociologues, des psycho-logues, des juristes, des économistes et des gestionnai-res. La vision normative et réglementaire du vingtièmesiècle et la vision financière focalisée sur la création devaleur à court terme nous paraissent plus que jamaiséloignées de notre contexte actuel et des probléma-tiques, sauf à vouloir contribuer à la construction ducauchemar d’A. HUXLEY : « le meilleur des mondes »19.

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18 WENGER E. et SNYDER W. (2003), « Les communautés de pra-tique » in Le management du savoir en pratique, Harvard BusinessRewiew, Editions d’Organisation, Paris.

19 HUXLEY A. (2002), Le meilleur des mondes, Editions Pocket,Paris, 2002.

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Les stratégies desdirections desressourceshumaines encontexted’évaluation deleur propreefficacité

Adnane BELOUTProfesseur Université de MONTRÉALadnane.belout@umontréal.ca

Avec le repositionnement stratégique graduel dela gestion des ressources humaines (GRH) etl’importance de la gestion des valeurs dans les

organisations (Wexley et col., 2002), la question del’efficacité de la fonction ressources humaines (RH) estconsidérée désormais comme un réel vecteur deproductivité (Fitz-Enz, 1986 ; Cascio et col.,1999,Pharoah, 2003). Or, la littérature met en relief unemultiplication des définitions de l’efficacité et unediversité des conceptions même des organisations(Cameron et col, 1983 ; Connoly et col.,1980; Ulrich,1989, Dolan et col., 2002). Cette diversité dénoncée parnombre de théoriciens a eu des conséquences directessur l’évaluation et le contrôle de la GRH à savoir :

a) Elle a amplifié la crainte des gestionnaires des RHd’être évalués, la difficulté de cerner les causes d’unrésultat d’une activité humaine, le manque deprécision de certains objectifs RH, le défi deconcevoir et de standardiser des outils de mesurevalides en gestion des ressources humaines et ladifficulté d’interpréter les résultats (Belout et Dolan,1997) ;

b) Elle a rendu difficile la définition de stratégies RHpour aligner des programmes RH en adéquation avecles stratégies des organisations (Tsui & col., 1995;Berman & col. 1999). Pourtant, les gestionnairessont astreints à développer des stratégies RH pluséquilibrées afin d’assumer un rôle de trait-d’unionentre la haute direction et les employés. Guérin etWils mentionnaient en 1992 que l’efficacité de laGRH est liée à la capacité des gestionnaires RHd’abandonner les rôles de simples exécutants auprofit des rôles stratégiques. En l’occurrence, ce rôlede partenaire corporatif incombe désormais auxresponsables des ressources humaines qui doiventrelever le défi de contribuer directement au succèsdes organisations et de mesurer leur apport en termesd’efficacité et d’efficience (Dolan et col. 2002).

Malgré des débats houleux sur la pertinence de mesurerl’efficacité de la GRH selon certains critères (exempleapproche quantitative versus qualitative), globalementles approches traditionnelles d’évaluation en GRH sesont basées plutôt sur des indicateurs statistiques ou desratios (Cascio, 1991). Celles-ci émanent de par leursdéfinitions de l’efficacité des modèles dits « Goalsmodels » qui ont fait couler beaucoup d’encre dans lathéorie des organisations. La particularité de cesmodèles classiques est que ceux-ci définissentl’efficacité par le degré d’atteinte des objectifs fixés. Or,bien que ceux-ci soient concrets et objectifs, Cameron(1980) a mis en exergue les lacunes de ces derniers ensoutenant que plusieurs organisations sont jugéesinefficaces (au niveau de leurs programmes) bienqu’atteignant leurs objectifs. D’un autre côté, ce dernier

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stipule que certaines entreprises sont jugées efficacessans pour autant atteindre leurs buts stratégiques etopérationnels.

En GRH, dans ce contexte d’interrogation sur lapertinence des méthodes et approches d’évaluation dela gestion des ressources humaines, Ulrich (1989) s’estquestionné sur la possibilité d’intégrer des modèlesd’efficacité en RH afin d’adapter une approche plusmacroscopique ou de concentrer les efforts sur destechniques spécifiques d’évaluation. Il proposefinalement une option qui établit un cadre théoriquedans une typologie de modèles d’évaluation (avecdéfinition de l’efficacité, hypothèses et forces etfaiblesses) à savoir : l’utility model, le relationshipmodel et le steakholder model. Le premier relitl’efficacité de la gestion des ressources humaines à ladifférence coûts/ bénéfices lors de l’utilisation decertaines politiques RH. Le deuxième focalise surl’impact qu’ont les pratiques sur l’atteinte des objectifs.L’efficacité est liée à la relation existant entre lespratiques RH et les stratégies organisationnelles (niveaud’harmonisation). Enfin, Ulrich présente une approchetrès populaire actuellement à savoir l’approche desConstituantes multiples (steakholder model) qui mesurel’efficacité des DRH par la satisfaction de leurs propresclients (combinant les aspects quantitatifs et qualitatifs).Le degré de satisfaction des clients constituel’indicateur premier de l’efficacité des DRH. Qu’en est-il de cette dernière ?

Durant les 20 dernières années, l’approche « Multipleconstituency », innovatrice et de style participatif, agagné de plus en plus d’attention à titre de basethéorique pour mesurer l’efficacité des organisations (Tsui et Gomez-Mejia, 1987, Berman et col., 1999,Cascio et col. 1999). Bâtie sur une charpente théoriqueprovenant d’un modèle d’efficacité largement décritdans la théorie des organisations, soit les « Strategicconstituencies models » (Donaldson et Preston, 1995),cette vision de l’efficacité véhicule des valeurs et desconceptualisations nouvelles des organisations. Cetteméthode tire ses origines d’une école de pensée récentequi reconnaît à certains acteurs le droit de poser undiagnostic sur les prestations et l’efficacité desorganisations. S’inspirant de ce mode d’évaluation, Tsui(1984) a proposé un cadre théorique en GRH pourmesurer l’efficacité des DRH selon les opinions de leurspropres clients. Une telle vision relie la performancedes DRH à l’écart pouvant exister entre les besoins desclients et les réponses que ces directions fournissent entermes de services. Pourtant, malgré ses multiplesattraits (coût relativement bas, implication des clients),l’approche client, de par ses critères même d’évaluationet sa propre conception d’une DRH performante,présente des difficultés d’application. Comme lesouligne Anne Tsui (1987;1990), principale artisane

cette approche en GRH, les deux obstacles majeurssont :

1) L’existence d’un important défi qui est lié àl’identification des clients prioritaires et de leursattentes. Tsui (1984) écrivait : «The critical appraisalquestion shifts from what to evaluate to Whose opinionshould receive much weigth in the evaluation (page188) ». Cette difficulté est alimentée par un constatsimple mais néanmoins réaliste. Il est difficilementenvisageable de satisfaire tous les clients des DRH(Tsui,1987, Dolan et col. 1995). Pfeffer et Salancik(1978) ont proposé de choisir les clients les pluspuissants (ayant le plus de pouvoir) dans l’organisationcar ces derniers sont plus en mesure d’imposer leurvolonté à toutes les autres constituantes. D’autreschercheurs ont démontré qu’il ne faut retenir parmi lesclients que ceux faisant partie de la « coalitiondominante » (Cameron,1978). Le concept de« Coalition dominante » proposé par Pennings etGoodman (1977) a été un des plus retenus dans lalittérature.

Dans leur conception, le terme « coalition dominante »est synonyme de « Haute direction ». Pennings etGoodman (1977) préconisaient dans leur modèlel’existence d’un groupe dominant qui a suffisammentde pouvoir pour imposer ses critères d’évaluation àl’ensemble de l’organisation. Ce groupe dominant vacependant s’efforcer, par divers types de négociation,de tenir compte des avis des autres intervenants dans leprocessus d’évaluation afin de dégager un éventail decritères synthétisant les diverses positions de ceux-ci(attentes). En d’autres termes, le modèle de « lacoalition dominante » soutient que les demandes desdifférents clients dans leurs diversités sont reflétés dansles objectifs générés par cette coalition.. Notons que ceconcept fut la cible de virulentes critiques. Tsui (1984)dénonce son manque d’objectivité. A titre d’exemple,Connoly et col. (1980) montrent que l’approchemultiple constituency est applicable même lorsqu’il n’ya pas de Coalition dominante, ni d’accord entre lesintervenants dans le processus d’évaluation. Ces auteurssupposent donc que cette coalition dominante n’existepas toujours et l’objectif de la GRH est de satisfaire lesattentes de groupes divers. L’idée de Pennings etGoodman ne semble pas adaptable à tous les cas defigure de l’évaluation des services des RH (Belout etDolan,1996). Aujourd’hui, le débat sur ce concept decoalition dominante s’est élargi pour englober 3concepts fondamentaux dans le choix des groupes àsatisfaire en priorité à savoir le pouvoir, la légitimité etl’urgence (voir travaux de Freeman, 1994).

2) Le manque d’homogénéité des attentes et despréférences des clients lors du processus d’évaluationde l’efficacité (Miles et Cameron,1982; Whetten,1978),

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d’où l’importance de tester systématiquement le niveaude compatibilité des attentes et satisfactions des clientsdes DRH. Ainsi la complexité de cerner les critèresd’efficacité et d’interpréter les résultats relatifs à lavariable satisfaction des clients sont manifestes. Eneffet, quand des différences de satisfaction sontobservées et analysées par des tests statistiques(exemple par les Least Significant test), desincompatibilités au niveau des attentes peuvent êtreenregistrées.

En GRH, à notre connaissance aucune étude empiriquen’a focalisé sur les aspects de compatibilité /incompatibilité des attentes et satisfactions des clientsdes DRH dans le but de mieux asseoir les stratégies deressources humaines. En 1999, Harisson & Freeman(1999) soulignaient que : « The management ofcompeting stakeholder interest has emerged as asignificant topic in the management literature (page479) ». Cette préoccupation pour la maitrise et lacompréhension des intérêts différents ou divergents desconstituantes multiples est fortement appuyée dans lalittérature récente en management (Tsui et col., 1995 ;Tsui et Ashford, 1994 ; Adler, 1992 ; Agle et col., 1999 ;Ogden et Watson, 1999).

Le présent article se propose, dans cette optique clienten GRH, de comprendre comment le gestionnaire desRH peut concilier des attentes différentes des clients desDRH en ciblant certains groupes selon le contexted’analyse. Comment il peut poser un diagnostic réalistelà où des clients enregistrent des niveaux de satisfactiondivergents ? De quelle manière doit-il interpréter lesrésultats et gérer le dilemme de l’incompatibilité aumoment où praticiens et théoriciens s’accordent sur laquasi impossibilité pour les DRH de satisfaire tous lesclients (Tsui, 1987; Tsui et Milkovich, 1987; Whetten,1978) ? Comment donc les DRH doivent-elles définir etorienter leurs stratégies RH dans le cas délicat où lesclients sont incompatibles ?

Notre objectif dans cette étude est d’élucider laproblématique de la conception et de la mise en oeuvredes stratégies RH par les DRH dans le contexte difficiledu choix des clients prioritaires (clients cibles). Danscette réflexion appuyée par une recherche empiriquedans le secteur public québécois (milieu de la santé) ,nous nous intéressons autant au niveau (ou intensité)des attentes (jusqu’à quel point les clients ont desattentes vis-à-vis des DRH sur des dimensionsspécifiques de la GRH ) qu’aux différences entre cesattentes (mesurées par les tests de variances) et leurstypes (compatibles-incompatibles, mesurés par des testsde corrélation).

Le cadre d’analyse Plusieurs recherches ont révélé que les gestionnairesfont souvent face à des constituantes ayant des attentes,des intérêts et besoins différents, voire opposés (Tsui,1984; Dolan et col.,1995). Pourtant, peu d’études onttenté d’élucider ou de définir des stratégies spécifiquesinitiées par les gestionnaires pour gérer des attentes ousatisfactions incompatibles ou opposées. Tsui et col. 38(1995) soulignaient à ce propos que : « There has beenrelatively little conceptual and empirical work on thespecific strategies or actions that managers take to dealwith conflicting or incompatible expectations... (page1516) ». Parmi les travaux les plus reconnus, on noteceux de Cameron et Whetten (1983) qui ont proposéune alternative aux gestionnaires pour gérer leproblème du choix des constituantes en casd’incompatibilités de ces derniers. Leur but visait àpermettre aux organisations de développer desstratégies qui optimisent la satisfaction de plusieursclients ayant des attentes différentes ou foncièrementincompatibles.

En introduisant cette notion d’incompatibilité, lesauteurs intègrent des niveaux dans la diversité desattentes des clients. En d’autres termes, ils classent lesattentes en catégories afin d’identifier les cas où celles-ci sont non seulement différentes mais aussi quasimentopposées. Leur schéma conceptuel vise à répondre à laquestion suivante : comment gérer une évaluation del’efficacité lorsque les attentes et les préférences dedifférents groupe-clients sont différentes ouincompatibles ? Cette stratégie de type segment-clientvise à identifier précisément les clients à satisfaire enpriorité pour optimiser l’efficacité.

Dans cette conception, plus une organisation s’efforcede satisfaire un groupe client plus elle tend à insatisfaireun autre groupe. Les auteurs identifient un pointthéorique qui confère une solution intermédiaire augestionnaire. En effet, ce point correspond au niveau oùtous les groupes sont satisfaits au minimum.L’organisation ne sera pas évaluée comme étanthautement performante sur tous les critères maiscomme satisfaisante dans son efficacité globale. Danscette optique, l’approche « Constituantes multiples »implique qu’une efficacité globale satisfaisante estmeilleure qu’une efficacité basée sur les attentes d’unseul groupe-clients. Les deux axes (constituantes A etconstituantes B) de la figure 1 mesurent les attentes desgroupes clients. Le groupe A préfère que l’organisationperforme au niveau le plus haut sur l’axe vertical. Legroupe B s’attend à ce que l’organisation performe aumaximum à droite de l’axe horizontal. Le point Aindique le niveau minimum de satisfaction pour lesclients du groupe A (et vice versa pour le groupe B dontle point minimum de satisfaction est B). Dans ce cas de

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figure, plus les stratégies des DRH tendent à satisfaireles attentes du groupe A plus le groupe B serainsatisfait. Le point X correspond au niveau où tous lesgroupes sont satisfaits au minimum. Au sein de cemodèle, l’efficacité organisationnelle est stimuléelorsque les attentes et préférences des groupes-clientssont plus compatibles (malgré leurs différences). Lepoint Y représente le niveau de satisfaction le plus élevécompte tenu des appréciations des deux groupes. Cettealternative concède une porte de sortie au gestionnairepris dans le piège inévitable de devoir satisfairequelques clients au prix de l’insatisfaction d’autresclients. Cette stratégie de balayage reconnaît quel’implication de quelques groupes-clients importantsdans l’évaluation ne peut qu’augmenter la validité desrésultats de cette approche. Qui plus est, la mesure del’efficacité ne peut être réduite à l’opinion d’un nombrerestreint de clients compte tenu des subjectivitéséventuelles des jugements humains (biais perceptuels,impartialité, attente incompatible avec l’intérêt desorganisations).

Selon nous, cette solution a l’avantage de porter unintérêt particulier à un problème typique de l’approche

des «constituantes multiples». En effet, ce modèlereconnaît les résultats d’études antérieures portant sur ladiversité des attentes des clients et sur leur relationstatistique (Wetthen,1978). Après avoir identifié lesprincipaux clients, le gestionnaire évaluateur pourraitraffiner son diagnostic en adoptant ce schémaconceptuel qui propose une façon d’interpréterdifférents niveaux de satisfaction en termes d’efficacité.Ce processus passe par l’identification d’un pointd’équilibre où l’on optimise la satisfaction par desstratégies adéquates sur la base d’attentes différentes ouincompatibles des clients.

Figure 1Attentes incompatibles et attentes différentes selonCameron et Whetten (1983, page 17)

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Tsui et col. (1995) ont proposé des stratégies d’unenature et d’une portée différentes pour aider lesgestionnaires à gérer les différences (ouincompatibilités) des clients. Dans cette étude lesauteurs s’intéressent particulièrement aux stratégies desmanagers pour répondre au différences etincompatibilités au niveau des attentes (discrepant rolesexpectations) entre les managers et certainesconstituantes spécifiques (superiors, subordonates andpeers). Ces derniers mentionnent 2 types de stratégies àsavoir les stratégies Constituency-oriented et lesstratégies Self-oriented. Les premières visentdirectement la réduction des différences etincompatibilités dans les attentes des constituantes alorsque les secondes se concentrent sur les sentimentspropres des managers. Les principales stratégiesconstituency-oriented proposées par Tsui et col. (1995)visent à modifier le comportement même desgestionnaires (l’évalué) pour se rapprocher des attentesdes constituantes. Ces stratégies proposent aussid’influencer les attentes des constituantes (lesévaluateurs de l’efficacité dans l’optique clients).

Une étude empirique : le cas du secteur public canadienNotre recherche empirique a porté sur l’évaluation del’efficacité des directions des ressources humaines(DRH) dans le secteur public canadien par le biais decette approche client. Cinq groupes clients ont étésondés par questionnaire dans le but de mesurer leurniveau d’attentes et de satisfaction à l’égard de leursDRH. Ces groupes sont les directeurs (sauf ceux desDRH), les cadres intermédiaires, les infirmières, lesemployés professionnels et les employés nonprofessionnels. Le niveau d’analyse est du typeindividuel. Un échantillonnage (aléatoire) stratifié nonproportionnel dans chaque catégorie d’hôpitaux (selonleur taille) fut opéré (12 hôpitaux parmi les grandshôpitaux; 12 hôpitaux parmi les moyens et 11 hôpitauxparmi les petits). Chaque groupe client a reçu 8questionnaires et 42 questionnaires furent transmis àchaque hôpital. Avec le support de l’Association deshôpitaux du Québec (AHQ) le nombre total dequestionnaires envoyés était équivalent à 1470. Lamesure de la variable satisfaction de la variable attentes’est opérée sur la base de 10 dimensions dont 8proviennent des travaux de Tsui 43 (1987). Au niveaude la satisfaction, les clients devaient identifier leniveau d’efficacité atteint par leur DRH dansl’accomplissement de chacune des 10 activités ci-dessous mentionnées (tableau 1). Un des objectifspremiers de la recherche était de vérifier s’il existait desdifférences entre les satisfactions des groupes clientsdes DRH et de vérifier si des incompatibilités entre lesgroupes existaient dans le secteur de la santé. Pour les

attentes, ces derniers devaient préciser jusqu’à quelpoint est-il important pour eux que leur direction desRH effectue chacune des activités. Nous avons compiléles scores des satisfactions et des attentes pardimensions pour chaque chaque client afin de calculerune moyenne pour les cinq groupes.

RésultatsSur les 35 hôpitaux sollicités, 27 ont participé à cetterecherche. Tous les hôpitaux sont situés au Québec etsont non spécialisés. Au niveau individuel, le taux deréponse est de 68,5%. Les fréquences des répondantsselon leur groupe se distribuent comme suit : directeurs= 15%; cadres intermédiaires = 27,6%; infirmières =20,4%; employés professionnels = 20,8%; employésnon professionnels = 16,2%. Nous observons que 8%des hôpitaux qui ont répondu aux questionnaires sontdes petits hôpitaux (à l’exclusion des hôpitaux de moinsde 100 lits), 50% sont des hôpitaux moyens et 42% sontdes grands hôpitaux.

Une première lecture des résultats bruts du tableau 1montre une différence au niveau des attentes entrecertains groupes clients, et ce, sur la base desdimensions étudiées telles que la dotation /planification, le développement / formation, le respectdes législations, le respect des politiques, l’évaluationdu rendement (P < 0.05 et F > 1). Une lecture plusapprofondie des résultats et le calcul des CoefficientsAlpha de Cronbach fut calculé pour tester le niveaud’homogénéité des échelles de mesure. Ce coefficientest respectivement de 0,88 pour la satisfaction pardimensions et de 0,81 pour les attentes. Etant donné queces résultats indiquent une forte homogénéité, nousavons déduit qu’un client qui a un niveau d’attentesélevé sur une dimension donnée, tend à avoir les mêmesniveaux d’attentes pour les autres dimensions. Demême, lorsqu’un client est satisfait sur une dimension,il tend à être satisfait sur les autres dimensions. Ceconstat nous a conduit à effectuer une analysefactorielle (voir travaux de Dolan et col., 1995). Deuxfacteurs ont été extraits de cette analyse (valeur desfacteurs supérieurs à 0.50) à savoir un axe gestion desressources humaines (GRH : formation, rendement,support et programmes d’aide aux employés,innovation, dotation) et un axe relations de travail(RTR : respect des lois, relations de travail, santé etsécurité au travail, respect des politiques et desprocédures, rémunération).

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Tableau 1Analyse de variance pour les attentes selon les 10 dimensions

Suite à cette analyse factorielle qui a scindé lesvariables attentes des clients et satisfaction des clientsen deux (attentes en GRH et attentes en RTR d’une part,et satisfaction en GRH et satisfaction en RTR d’autrepart), des analyses statistiques ont montré desdifférences entre les attentes des groupes clients enGRH et en RTR.

Au niveau des satisfactions des clients, des différencesde satisfaction furent observées uniquement en RTR(Belout, 1994). Des LSD tests (least significantdifference) ont permis de noter que les directeurs deshôpitaux étaient les clients des DRH qui étaient les plusdifférents des autres clients (en termes d'attente et desatisfaction, voir tableaux 2, 3 et 4). Dans cet exercice, nous avons observé que les

directeurs ont les attentes en RTR les plus faibles alorsqu'ils ont la satisfaction en RTR la plus élevée. Or, cettesituation est exactement le contraire de celle desemployés non professionnels. Ce paradoxe est d'autantplus énigmatique que les deux groupes impliqués sontaux antipodes de la hiérarchie. Le fait que le groupe desdirecteurs est plus proche hiérarchiquement de ladirection des RH (l'évalué) peut-il expliquer cettesituation ?

Enfin et surtout, la direction des RH serait-ellecondamnée à insatisfaire certains groupes dès lorsqu'elle satisfait un groupe particulier ? Serions nous enface de signes prémonitoires d'une incompatibilité entreles attentes des directeurs et ceux des employés nonprofessionnels (ou autres groupes-clients) ?

Note : Les résultats des analyses de variance pour la satisfaction selon les 10 dimensions donnent des résultatssimilaires.

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Tableau 2Test LSD sur les différences de moyenne dans les attentes des groupes-clients GRH (niveau de signification = 0,05)

Tableau 3Test LSD sur les différences de moyenne dans les attentes des groupes-clients RTR (niveau de signification = 0,05)

Tableau 4Test LSD sur les différences de moyenne de satisfaction entre les groupes-clients RTR (niveau de signification = 0,05)

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Analyse et discussion : du paradoxe àl’incompatibilité Le paradoxe soulevé entre les directeurs et les employésnon professionnels est en fait préoccupant pour legestionnaire RH qui tente de définir des stratégies RHpour améliorer sa réputation auprès des DRH. De primeabord, tous les ingrédients de base sont réunis pourdénoncer une incompatibilité entre ces deux groupes-clients en RTR. La direction des RH est-elle en mesurede satisfaire ces deux groupes-clients simultanément ?Est-elle condamnée à bâtir une stratégie pour nesatisfaire qu'un seul parmi eux, et ce, au détriment del'autre groupe-client ?

Outre les analyses statistiques réalisées (analyse devariance, moyennes, tests LSD etc..), avant de conclureà une éventuelle incompatibilité entre ces deux groupes,nous avons effectué d'autres opérations statistiques pourasseoir notre réflexion. Sur la base des travaux deDubin (1976) et de Whetten (1978) qui réfèrent àl'incompatibilité (suite à des corrélations négativesélevées entre les groupes quant à leur satisfaction), nousavons calculé les corrélations entre les satisfactions desdeux groupes (directeurs et employés nonprofessionnels). Après avoir isolé leurs satisfactionsrespectives selon les axes GRH et RTR, nous avonsétabli des corrélations bivariées entre eux. Cescorrélations fluctuent entre 0.1 et 0.4. Si cescorrélations restent plutôt faibles, elles ne sont pasnégatives. Par conséquent, les deux groupes nesemblent pas incompatibles (car non négatives) . Pourla direction des RH, ce résultat indique qu'une stratégieRH adaptée aux besoins des deux groupes est possibleau sein du milieu de la Santé au Québec. En d'autrestermes, satisfaire les directeurs (malgré que ceux-ciaccusent des différences avec tous les groupes ensatisfaction RTR et en attentes GRH et RTR) ne signifiepas automatiquement insatisfaire les employés nonprofessionnels. Par la suite, nous avons procédé aumême test entre les directeurs et tous les autres groupesclients. Globalement, le même résultat refait surface(avec un seuil significatif de 0.05). Aucune corrélationne semble assez notable pour conclure à desincompatibilités entre les directeurs et les infirmières,entre les directeurs et les employés professionnels ouentre les directeurs et les cadres intermédiaires. Nousrejoignons les conclusions de Tsui (1990) lorsqu'ellementionne qu'aucune incompatibilité entre ses groupesclients ne fut détectée.

Plus encore, il est intéressant de relever unecompatibilité forte entre les satisfactions des directeurset celles des cadres intermédiaires. Les corrélationsdans la satisfaction de ceux-ci sont de 0,64 en GRH etde 0,60 en RTR. Ainsi, plus les directeurs sont satisfaitsdes directions des RH, plus les cadres intermédiaires le

sont aussi. Cette information est stratégique car ellepermet dans une "Bureaucratie professionnelle" sansune ligne hiérarchique développée (Mintzberg,1984),de repérer la ligne de démarcation entre le centreopérationnel (moins satisfait des DRH dans cette étude)et le sommet stratégique (plus satisfait des DRH).

Au niveau théorique, le modèle de Cameron et Whetten(1983) présenté auparavant est un outil fort appréciablepour définir une stratégie RH orientée vers des clientsdifférents ou incompatibles. Souvent, une analyse de lacompatibilité aidera celui-ci à mieux asseoir ses plansd'action et sa stratégie client. Dans le cas du milieuhospitalier, les différences significatives (des satis-factions en RTR et des attentes en GRH et en RTR), euégard à la non incompatibilité des directeurs avec lesautres groupes clients, commande néanmoins certainesinterrogations. La question centrale est en l’occu-rrence : Pourquoi les directions des RH n'ont passatisfait ces groupes en même temps alors quethéoriquement cela est possible dans ce contextehospitalier ?

Tel qu'avancé auparavant, il existe un consensus entreles académiciens sur le fait qu'il est difficile de satisfaire(au maximum) tous les clients. La présence desatisfactions différentes entre des clients importantspose toutefois la question de la définition des stratégiesadoptées par les directions des RH dans le milieuhospitalier. Comment les directions des RH ont orientéleurs plans d'action RH ? Ont-elles focalisé sur lesbesoins et les attentes d'un groupe client particulier(s’inspirant de l’approche de la coalition dominantedécrite dans les sections précédentes ? En fait deuxstratégies différentes (que nous qualifions de stratégiessegments-clients) s'offraient aux DRH des hôpitauxpour gérer ce processus. Les stratégies segments-clientsvisent à identifier la cible à satisfaire et à mettre enœuvre un processus pour répondre à ces besoins.Quelles sont-elles ?

1 - Adopter une stratégie de concentration : Les gestionnaires RH doivent cibler un segmentrestreint de clients et s'efforcer de répondre à leursattentes. Le problème majeur consiste à identifier quisont les clients les plus prioritaires parmi les acteursconcernés. D'après les résultats obtenus, les directionsdes RH des hôpitaux semblent à priori avoir forgé leurspolitiques sur cette base. Dans cette orientation, ellesauraient (consciemment ou pas) déployé des effortspour satisfaire les directeurs (et leurs cadresintermédiaires) en priorité au détriment d'une écouteplus active des autres groupes clients. Dans ce cadred'efficacité, les directions de RH auraient joué la cartedu groupe client le plus important hiérarchiquement etayant le plus de pouvoir relativement aux autresgroupes. Cette stratégie serait la seule envisageable

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lorsqu'il y a des incompatibilités fortes entre les groupeset qu'il est inévitable de trancher dans les priorités enfaveur de certains groupes importants. Mais tel n'est pasle cas dans le milieu hospitalier québécois. Lesdirections des RH, faute d'une appréciation adéquatedes intérêts des groupes qu’elles conçoivent peut-être àtort comme conflictuels (voir les travaux deWhetten,1978), a négligé une autre stratégie plausibledans ce contexte de non incompatibilité des groupes.

2 - Adopter une stratégie de balayage : Dans cette optique, il s'agit de définir un éventail declients prioritaires et de les satisfaire tous au minimum.Cameron et Whetten (1983) proposaient de mener desstratégies qui optimisent la satisfaction de plusieursclients ayant des attentes différentes, voirincompatibles. En introduisant cette notiond'incompatibilité, les auteurs précisent des niveaux dansla diversité des attentes des clients et localisent deszones de satisfaction et d'insatisfaction. Les auteursidentifient un point X qui confère une solutionintermédiaire au gestionnaire (figure 2). En effet, Xcorrespond au niveau où tous les groupes sont satisfaitsau minimum. Dans cette optique, l'approche"Constituantes multiples" implique qu'une efficacitéglobale satisfaisante est meilleure qu'une efficacitébasée sur les attentes d'un seul groupe-client. Lastratégie de balayage reconnaît que l'implication dedivers groupes-clients importants dans l'évaluation nepeut qu'augmenter la validité des résultats de l'approcheclient. Qui plus est, la mesure de l'efficacité ne peut êtreréduite à l'opinion d'un nombre restreint de clientscompte tenu des risques de subjectivité liés auxjugements humains (biais perceptuels, impartialités,préjugés et stéréotypes).

Dans notre cadre d'analyse, cette stratégie inviterait ladirection des RH des hôpitaux à ne pas s'efforcer desatisfaire les directeurs aux dépens des autres groupes,notamment les employés et les infirmières. Dans cetteoptique, il incombe de satisfaire tous les groupesprioritaires au minimum. Concrètement, cela revient àêtre à l'écoute des groupes importants et à prodiguer desefforts (politiques RH) pour assouvir leurs besoinsrespectifs (Dolan et col., 1995). Satisfaire les directeurstout en augmentant la satisfaction des employés nonprofessionnels, tel sera le défi de la direction des RH.Faute de moyens, elle diminuera sensiblement lasatisfaction des directeurs et renforcera la satisfactiondes autres groupes pour rétablir un équilibre qui estl'objectif ultime dans cette stratégie. De ce point de vue,la stratégie des directions des RH devrait être plusglobalisante, plus sociale, plus organisationnelle. Lesdirections des RH ne seront efficaces dans ce schémad'efficacité que si elles obtiennent des satisfactions pluséquilibrées des groupes. Ainsi, les stratégies segment-clients répondent exclusivement à la question délicate

de savoir qui satisfaire en priorité par nos stratégiesRH ? Dès lors, ces stratégies des DRH restentsilencieuses sur un aspect fondamental qui va influersur la satisfaction des clients, soit le contenu même desplans RH susceptible de répondre aux besoins et desattentes des clients identifiés. Dès Lors, dans undeuxième temps, les responsables doivent déterminerles stratégies de contenu optimales pour augmenterl'efficacité des DRH.

ConclusionLe but de cet article est de sensibiliser les experts à uneméthode d’évaluation des directions des ressourceshumaines récente, innovatrice, mais parfois difficiled’application. Suite à l’exposition de ses fondements etde la définition de l’efficacité de la gestion desressources humaines à laquelle elle réfère, nous avonstenté à travers un cas concret de guider les responsablesdes RH à asseoir des stratégies Rh en fonction del’analyse des résultats des évaluations des clients. Nousconstatons que s’il est difficile de satisfaire toutes lesconstituantes (clients), il est possible d’en satisfaire unmaximum au minimum. Le cas du milieu hospitalierquébécois a montré que les directions des RH ne fontpas face à des incompatibilités de leurs clients. D'aprèsdes entrevues structurées menées avec des personnesressources (A.H.Q. et employés divers du milieuhospitalier), la supériorité de la satisfaction desdirecteurs pourrait être le reflet de stratégies RH cibléesdes DRH qui appuient très souvent les propositions desdirections aux détriment des intérêts des employés engénéral et tendent à répondre à leur besoins de façonprioritaire. Dans certains cas, les DRH deviennent lesporte-parole des autres directeurs dans les conflits lesopposant aux employés et omettent un rôle fondamentalqui leur incombe à savoir celui celui de trait-d’union etd'intermédiaire entre la direction et les employés.

Ainsi, cette recherche a mis en exergue la nécessité pourla DRH de mesurer l'incompatibilité des groupes clientsavant d'arrêter une stratégie RH qui définit les cibles àsatisfaire. Pour les DRH, le fait de satisfaire un grouperevient à en insatisfaire automatiquement un autre,implique une incompatibilité entre ses clients.L’objectif sera dès lors d'identifier le groupe le plusimportant pour elles et de mettre en place une stratégiepour répondre à leurs besoins de façon prioritaire(exemple tel que le souligne Tsui (1990) en satisfaisantles groupes qui ont un pouvoir financier sur les DRH).Des stratégies complémentaires aux stratégies de typesegment-client (dites stratégies de contenu) définirontdes programmes, politiques et pratiques Rh) quitenteront de modifier les attentes de l’une des parties oudes deux parties pour les rapprocher en termesd’attentes vis-à-vis des DRH. Le but est donc de

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modifier les attentes ou les satisfactions de certainsclients pour réduire l'incompatibilité et diluer lesconflits potentiels tout en optimisant la satisfaction ,donc l'efficacité des DRH.

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De l’assurancequalité à laresponsabilitésociale : transférabilitéd’expérience

Abdel BENABDALLAHChargé de coursConsultant en Gestion des Ressources Humaines Auditeur Social IAE de TOULOUSE

Les années 90 furent celles de l’assurancequalité la décennie qui s’ouvre sera-t-elle celledu Dévelop-pement Durable ? Notre

contribution ne veut pas apporter une réponse, ellen’est qu’un élément de la réflexion qui traverse lemonde de la GRH ; elle a un objectif pragmatique etpédagogique : quid de la transférabilité desexpériences conduites dans le cadre de l’assurancequalité au domaine du Dévelop-pement Durable etplus spécifiquement à son champ social. Nousconduirons cette réflexion sur la base de notreexpérience dans le cadre des programmes qualité misen œuvre dans les pays d’Afrique du Nord et plusprécisément en Tunisie ; dans un premier temps nousrappellerons les différents cadres normatifs puis noustracerons les grandes lignes d’une méthodologie demise en œuvre des exigences du SocialementDurable.

I. Le Cadre normatif

I-a. Le cadre normatif de l’assurance qualité

Ce cadre est celui défini par l’OrganisationInternationale de Normalisation (I.S.O) à travers lesnormes de la série des ISO 9000 ainsi que des lignesdirectrices qui leur sont associées, le référentiel interna-tional d’exigences dans le domaine étant la norme ISO9001 qui a pour objectif d’ « accroître la satisfaction desclients par l’application efficace d’un système de mana-gement de la qualité qui a démontré son aptitude àfournir régulièrement un produit conforme aux exi-gences ». Ce référentiel s’articule autour de 4 « blocs » principaux :

• Responsabilité de la direction• Management des ressources• Réalisation du produit• Mesure, analyse et amélioration

Il s’appuie pour sa mise en œuvre sur un ensemble do-cumentaire de lignes directrices dont ISO 9000(Principes essentiels et vocabulaires), ISO 9004 (lignesdirectrices pour l’amélioration des performances), ISO10015 (lignes directrices pour la formation) etc.…1

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

1 La certification ISO

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Nous avons ainsi à disposition un ensemble cohérentimportant impactant la gestion des processus au sein del’entreprise (processus qui s’inscrivent dans les 4 blocsprincipaux précités) et qui va servir de référentiel« unique » dans le domaine du management de la qua-lité, facilitant ainsi la reconnaissance pour l’entreprisede son système de management de la qualité par une« tierce » partie.

I-b. Le cadre normatif du socialement durable

A ce jour, le socialement durable reste un champ ouvertdans le domaine de référentiel normatif, sans avenir surla genèse du développement durable depuis le rapportBurndland à la déclaration de Johannesburg. Nousprésentons ci-dessous un panorama, non exhaustif, desdifférents référentiels d’engagement dans le domainesocial :

les principes de bases de l’OITLes 4 critères fondamentaux de l’OIT sont :

• libertés syndicales (conventions 87 et 98)• abolition du travail forcé (conventions 29

et 105)• égalité de traitement et de rémunération

(conventions 100 et 101)• élimination du travail des enfants (conventions

138 et 182)L’OIT concentre son action sur le contrôle de l’applica-tion des conventions, qui repose essentiellement sur lapersuasion et l’incitation, et non sur la sanction2. L’OITest désarmée face aux Etats car elle dépend directementd’eux et ses mécanismes de contrôle non contraignantsne peuvent pas mettre fin aux atteintes les plus gravesportées aux droits sociaux fondamentaux. « Force est deconstater que si le respect des droits fondamentaux estune obligation à la charge de tous les Etats membres,leur garantie effective ne peut être assurée en l’étatactuel du contrôle réalisé par l’OIT ».

Global compact Lancé en juillet 2000 par le Secrétaire Général del’ONU, le Global Compact définit a minima le champde la responsabilité sociale sur la base de 9 principesfondamentaux touchant aux droits de l’homme, auxprincipes de bases de l’OIT sur le travail et l’emploi etenfin à l’environnement. La particularité de ce« référentiel » est dans son exigence purement « décla-rative » (notons par exemple que le groupe Carrefour --France- y a souscrit en 2001). En effet, l’entreprises’engage par écrit au respect des principes du Global

Compact mais n’est pas soumise à un audit préalable. Ilfaut cependant noter la recherche d’un « référentiel »autour de la complémentarité entre le Global Compact,le Global Reporting Initiative qui met en place une bat-terie d’indicateurs permettant de s’assurer que lesprincipes fondamentaux du GC sont respectés et enfinl’Accountability 1000 (AA1000) dont la vocation et dedéfinir les règles et procédures d’audit. 3

Fair Labour Association Cette Association américaine regroupe des entreprises,des ONG, des Universités ayant pour mission de pro-mouvoir au niveau mondial l’application des principesde bases de l’OIT et d’assurer les entreprises adhérentesque leurs produits sont fabriqués dans des conditionsrespectant le code de bonne conduite de FLA qui re-couvre les domaines suivants : travail forcé, travail desenfants, harcèlement, discrimination, heures de travailet paiement des heures supplémentaires. FLA s’assuredu respect de son code par des audits tierce partie… Cesaudits sont menés par des organismes agréés pour unepériode de 2 ans sur la base d’un guide d’audit propre àFLA. FLA est essentiellement une structure « U.S ». Lesentreprises membres sont implantées sur 80 pays etregroupent 3000 unités sous traitantes. De ce fait, FLAse trouve confrontée à un problème de ressources auniveau de son groupe d’auditeurs (peu ou pas d’audi-teurs non anglophones) ainsi qu’à une démarche de cer-tification des dits auditeurs qui est elle aussi à nor-maliser.

Social Accountability International (SAI) Il s’agit d’un organisme également U.S issu d’une ONG(GEP) sur la base des principes édictés par Sullivan(années 80) membre du Conseil d’Administration deGeneral Motors et des principes de bases de l’OIT ; lelancement par SAI de son référentiel social (SA 8000)date de la fin des années 90 ; SAI considère son référen-tiel comme la « norme » sociale, un pendant de l’ISOpour la responsabilité sociale. De fait, on retrouve unestructure documentaire semblable à l’ISO 9000 avecdes principes de base qui sont les exigences structuréeset un « Guidance Document » qui correspond dans laforme du moins aux lignes directrices de l’ISO 9004. Atitre indicatif, nous faisons figurer ci-dessous un extraitdu sommaire du guide4 :

• objectifs et portée de la SA8000• éléments normatifs et leur interprétation

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

2 Contribution de l’audit social… J. Igalens, JM. Peretti3 R.Edme : principales approches et référentiel RSE in ANACT

étude et documents4 Traduction française que nous devons à Gabriel LEVY BEN-

CHETTO

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• définitions • exigences de responsabilité sociale (essen-

tiellement les exigences qui découlent desprincipes de l’OIT)

Cependant il semble que SAI ait réussi à « imposer »son référentiel aussi bien aux Etats-Unis qu’en EuropeOccidentale (plus spécialement, UK, France, Italie)avec néanmoins les inconvénients que nous avons notéspour F.L.A : peu ou pas d’auditeurs agréés non anglo-phones.Par ailleurs et pour mémoire nous citerons :

La R.S.E (le cas français) 5 : dans le cadre de la loi NRE, il s’agit d’intégrer des don-nées sociales et environnementales dans le rapportprésenté par le conseil d’administration, c’est donc laloi relative aux nouvelles régulations économiques du15 mai 2001 qui a introduit cette obligation pour lesrapports parus en 2003 les modalités pratiques sontdétaillées dans un décret du 22 février 2002 ; néanmoinsce décret ne précise pas le périmètre et donc n’imposepas l’obligation de consolidation au niveau du groupe,et il ne définit au niveau social que des thèmes et nondes indicateurs sachant cependant que l’accent est missur la responsabilité de l’entreprise vis à vis de ses sous-traitants et filiales étrangères pour le respect des dispo-sitions de l’OIT, enfin la loi ne prévoit ni contrôle spé-cifique ni sanction.

F.C.D 6 : la Fédération du Commerce et de la Distribution a misen place un code de bonne conduite dans le cadre duDéveloppement Durable et du commerce équitable.Dans le cadre du programme 2003-2004, il est prévu depoursuivre l’initiative clause sociale (lancée en 1998)sur la base d’un référentiel commun ; il est à noter quepour les deux années qui viennent, la priorité est à l’in-ternationalisation du dispositif et à la mise en placed’une méthode d’élaboration et de suivi des plans d’ac-tions correctrices.

Enfin, pour conclure sur ce chapitre, de nombreusesentreprises ont construit leur propre code de bonne con-duite incluant bien sur le volet social ce qui rend pluscomplexe pour les co-traitants la recherche d’une« accréditation » de leur gestion sociale. Cette difficultédu Socialement Durable est un des facteurs différentiantpar rapport à une approche qualité comme nous le ver-rons par la suite.

II. Le retour d’expérience(le programme qualité en Tunisie)

II.a. Cadre du programme :

Le programme qualité s’inscrit dans une démarche plusglobale qui est celle de la mise à niveau des entreprises(notons que nous avons la même démarche initiée auMaroc) et ce, dans la perspective de l’ouverture dumarché national dans le cadre de l’association avecl’Union Européenne. Ainsi le programme qualité abénéficié dès le départ d’une volonté politique forte etau plus au niveau, de structures de soutien institution-nelles entre autres d’un département dédié au niveau del’organisme de normalisation et d’une structure demaîtrise d’œuvre au sein du ministère de tutelle. Dès lelancement du programme un transfert de compétences aété mis en place avec le recours à des expertseuropéens, pour l’essentiel, et cela en parallèle avec unprogramme d’information et de sensibilisation auniveau des chefs d’entreprises

II.b. Les facteurs clés de réussite

Nous proposons une classification à deux niveaux : lepremier que nous appellerons macro (niveau national)et le second micro (niveau entreprise).

Les facteurs clés de réussite au niveaumacro :Comme nous l’avons indiqué dans le bref rappel ducadre du programme, un des facteurs clés, et non desmoindres, est la prise en compte de l’assurance qualitédans la politique économique de la Tunisie. Le deuxième facteur est une démarche structurée detransfert des compétences au niveau national : forma-tion sur 3 ans de plus de trente « auditeurs consultants »à l’Assurance Qualité et leur mise à disposition des centres techniques et / ou des entreprises toujours dansce domaine d’acquisition de compétences, formation deplus de six cents Responsables Assurance Qualité d’en-treprise, formation assurée conjointement par des inter-venants européens et par des « auditeurs- consultants »tunisiens.

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

5 cf. J. Igalens , M. joras : Responsabilité sociale rédiger le rapport ;Ed Organisations

6 www.FCD.com

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Le troisième facteur est d’ordre organisationnel : orga-nisation au niveau de l’institution de normalisation,organisation au niveau de la gestion de projet (avec desentités et des missions préalablement définies). Cedernier facteur et dans une moindre mesure le facteurcompétence ont été d’autant plus déterminants qu’ilss’appuient sur une norme (ISO 900) et des référentielspour la mise en œuvre reconnus et adaptables au niveaunational.7

Les facteurs clés de réussite au niveaumicro :Au niveau des entreprises les facteurs clés sont à l’i-mage du niveau macro, politique, humain et organisa-tionnel.

Le facteur politique :engagement des dirigeants avec identification des per-sonnes relais dans l’entreprise (exemple RAQ, coordi-nateurs qualité…) avec une réelle délégation d’autorité.

Le facteur humain : la formation des RAQ aux exigences des normes, auxméthodes de management de la qualité et par la qualité ;et également des formations dans les domaines tech-niques périphériques à l’assurance qualité (métrologie,statistiques par exemple).

Le facteur organisationnel : la démarche en entreprise a été fortement structurée parles organismes de soutien tel que les centres tech-niques ; de fait les rôles, tel que celui du représentant dela direction ou pour certains poste de travail assurant lesfonctions de contrôle, ont été entièrement redéfinis.

Comme nous avons pu le constater nous retrouvonsquasi à l’identique les facteurs micro que nous avons auniveau d’entreprises françaises par exemple ; il y acependant une spécificité tunisienne, si ce n’est nordafricaine, qui est le mode de management qui a été asso-cié à la démarche qualité ; mode que nous qualifieronsde consultatif et non de participatif, ainsi les exigencesde l’assurance qualité ont été intégrées systématique-ment comme des exigences de gestion et de fait nonsoumis à « discussion », cet élément « culturel » a euson importance aussi bien dans la réussite que dansl’échec quand il s’est décliné de manière « carica-turale ».

En résumé les facteurs de réussite sont :• Un engagement fort (national et entreprises)• L’acquisition des compétences (interne et

externe)• Une adaptation organisationnelle aussi bien au

niveau des institutions que des entreprisesNous complèterons cette liste par le fait que l’assurancequalité repose sur un référentiel normalisé et des lignes

directrices claires. Nous restons convaincus que l’exis-tence d’un référentiel normalisé est un élément facilitateur.

III. Réussir le SocialementDurable :

S’inspirer de la mise en œuvre du programme qualité enTunisie pour réussir le socialement durable (et au-delàle Développement Durable) nous paraît être unedémarche tout à fait judicieuse ; nous sommes d’ailleursconforter dans notre affirmation quand nous analysonsdes enquêtes récentes réalisées en France (quirecoupent largement les facteurs clés de succès quenous avons déterminés plus haut). Nous pouvons lesrésumer ainsi : engagement fort du dirigeant et identifi-cation de personnes relais au sein de l’entreprise, desservices ; partenariat avec l’ensemble des acteurs(Autorité, Associations, ONG, Donneur d’ordres, etc.),s’assurer de l’appropriation par les acteurs internes duconcept et engager des actions concrètes (s’appuyer parexemple sur les programmes hygiène et sécurité, sur lesactions d’amélioration des conditions de travail…)8

A partir de ces premiers éléments, quelle démarche auniveau macro et quelle méthodologie de mise en œuvreau niveau des entreprises ?

III.a. Démarche macro pour le socialement durable(et… le Développement Durable)

Notons, en préalable, que de même qu’il y a eu conver-gence d’intérêt entre donneurs d’ordres et sous traitantspour la mise en place du programme qualité, c’est le casaujourd’hui des exigences de Développement Durable etspécifiquement du volet social. Dans le cadre de la poli-tique de mise à niveau, les entreprises tunisiennes sontégalement sollicitées pour une mise à niveau « social »;en fait, nous ne sommes pas en terre inconnue ; desétudes ont déjà été conduites par exemple dans le secteurdu textile et des recommandations concernant le travaildes femmes ou la formation ont été mis en œuvre. Aussi, nous souhaitons simplement dans cette contribu-tion fournir un cadre général, un schéma de fonction-nement « ouvert » pour les « parties prenantes » dans unprojet de socialement durable s’inspirant du précédentqu’est le programme qualité.

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

7 cf. le site de l’organisme de normalisation tunisien : INNORPI8 Enquête Bernard Brunes conseil sur le Développement Durable -

2003

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Deux axes sont à dégager en priorité : - un axe information/sensibilisation/soutien aux entre-prises que l’on peut qualifier de Politique- un axe formation qui est celui du transfert de compé-tences (externes et internes).

L’axe information :Cet axe peut être conduit par les associations (forma-tions, personnel) et/ou par les centres techniques, quipourraient s’appuyer sur des conseillers et/ou auditeursinternes (formés pour l’occasion ou ayant déjà reçu uneformation labellisée –nous reviendrons sur ce pointultérieurement–). Il est évident qu’à défaut d’alourdir la« machine » et pour éviter les redondances, le rap-prochement entre associations professionnelles et cen-tres techniques est plus que souhaitable.

L’axe transfert des compétences : À ce jour, si nous prenons un référentiel tel que celui deSAI, il existe en Tunisie des organismes (tunisiens etinternationaux) possédant les capacités d’assurer cetransfert des compétences et donc de procéder commedans le cadre du programme qualité à la formationd’« auditeur conseil » externe aux entreprises dans unpremier temps et ensuite d’assurer en binôme desactions de formation intra entreprises ainsi que desaudits.Le schéma de déclinaison pourrait être le suivant :

Pour tenir compte de l’expérience qualité et comptetenu de la spécificité du « socialement durable », deuxpoints « organisationnels » sont à mettre en avant : - la nécessité d’un élément fédérateur apte à structurer

la démarche (association, centre technique, structuredédiée)

- la nécessité de transférer des compétences « aussi »larges que possible, sans forcément se cantonner à unréférentiel (même si aujourd’hui le SA 8000 est leRéférentiel social), organiser et structurer la démarchepédagogique (rappelons pour mémoire que dans lecadre du programme qualité la formation a été construite sur trois niveaux d’acquisition allant de laconnaissance de la norme au management de la qua-lité en passant par la conduite d’audit) nous revien-drons sur ce point dans le paragraphe suivant.

III.b. La démarche micro : Nous retiendrons que le niveau intra-entreprise se doitde s’appuyer effectivement sur trois facteurs clés desuccès : politique, organisationnel, humain.

Le facteur politique : Comme nous l’avons souligné précédemment une conver-gence d’influence favorable concourt au développementdu « socialement durable », les entreprises exportatrices ou sous-traitantes commencent à ressentir lespressions des donneurs d’ordre et la nécessité de se con-former aux codes de conduite sectorielles, au code d’achatde certaines entreprise et à la nécessité d’évaluation de leurresponsabilité sociale, de ce fait l’appui des chefs d’entre-prises ne fait aucun doute la seule variable à maîtriser estle degré d’information sur les exigences découlant des dif-férents codes de conduite et/ou référentiel.

Le facteur organisationnel : Faut-il organiser le socialement durable (et plus loin leDéveloppement durable) en entreprise la réponse estforcément « oui » mais dans le sens de la qualité avec unreprésentant de la Direction, la réponse est plusnuancée, il est de fait que la responsabilité doit êtreidentifiée au sein de l’entreprise, est-ce que cetteresponsabilité doit correspondre à une fonction spéci-fique ce n’est à notre avis pas nécessaire, il est à noterque dans certaines grandes entreprises la responsabilitédu Développement durable est associée à la respon-sabilité qualité, c’est un schéma qui peut être retenu touten étant vigilant sur la confusion du genre entre lesauditeurs internes qualité et les éventuels auditeurssociaux ;

Le Facteur humain : Il est essentiellement concerné par l’acquisition decompétence il diffère de l’approche ISO du fait del’absence de référence normative il nous paraîtsouhaitable d’avoir une démarche pédagogique ouvertetelle qu’elle correspond à la formation d’auditeurs so-ciaux (on peut largement s’appuyer sur le réseau desIAS et sur l’agrément des auditeurs par le CCIAS), nousproposons ci-dessous un canevas de formation typereposant sur quatre modules.

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

Organisme de « certification » SA 8000

Formation d'auditeurs, Centre techniques ou autres…

Création de binôme formateur - auditeur

Réalisation d'auditsauprès d'entreprises volontaires

Agrément des auditeurs

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Module 1 :Environnement « législatif » et la genèse de la R.S.E :l’environnement géopolitique, l’approche théorique, lescourants de pensée, les principes guides pour la RSE.

Module 2 :Les démarches « normatives » : étude détaillée de SA8000, les questionnaires d’audit des ONG, la GlobalReporting Initiative.

Module 3 :Démarches et Méthodes de l’Audit Social : la construc-tion du référentiel ; le cadre conventionnel, l’examen etla collecte des informations, la déontologie de l’audi-teur.

Module 4 :Mode de management et suivi (en binôme) ; la rédac-tion d’un plan d’audit, participation à un audit, rédac-tion d’un rapport d’audit.

Les principes évoqués ci-dessus concernentune démarche qui s’oriente vers une logiquede « certification » de la gestion sociale9 del’entreprise nous faisons qu’ouvrir le débatsur ce sujet, de même il est à noter que ledroit social en Tunisie intègre les principes debase de l’OIT, ces deux remarques sont làpour rappeler que si une démarche de certifi-cation est une réponse à un facteur« exogène » de l’entreprise, la certificationn’est pas forcément une garantie de perfor-mance et plus particulièrement dans ledomaine social ; le débat est ouvert.

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De l’assurance qualité à la responsabilité sociale : transférabilité d’expérienceAbdel BENABDALLAH

9 cf. article de M. Ennaceur sur SA8000. contribution Universitéd’été IAS 2001

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La succession des postes de cadres expatriéspar des locauxdans les filiales demultinationales :une approche enterme de processus

Zeïneb BEN-AMMAR-MAMLOUKProfesseurUniversité de TUNIS

Alain ROGERProfesseurIAE de [email protected]

Belkis BOUSSETTA KECHIDADoctoranteCRIAE de LYON/ETHICS [email protected]

Le remplacement des cadres expatriés par descadres locaux est, de nos jours, de plus en plusfréquent dans les filiales de multinationales.

Cette succession, étant un changement qui touche lesressources humaines de l’entreprise, suit un processus.Une meilleure connaissance de ce dernier permettraitaux entreprises qui vivent cette situation de connaîtreles lacunes à éviter et les étapes à respecter pour mieuxréussir les prochaines successions des expatriés par deslocaux. Une étude qualitative menée auprès de 11 personnes ayant vécu de telles situations au sein de 7 filiales tunisiennes de multinationales européennes dedifférents secteurs d’activité, dégage les différentsstades du processus et montre qu’il n’est pas identiquedans toutes les entreprises.

Introduction Depuis plusieurs années, l’expatriation représente unchamp de recherche qui suscite un intérêt de plus enplus croissant chez les chercheurs en sciences degestion. Ces derniers se sont concentrés surl’ajustement et les déterminants d’adaptation desexpatriés, mais ils ont aussi évoqué les problèmes liés àl’expatriation (Black, Mendenhall et Oddou, 1991 ;Cerdin, 1999, 2000 ; Cerdin et Peretti, 2000 ; Waxin,2000 ; Park, 1996 ; Mérignac, 2002). Les coûtsexcessifs de l’expatriation donnant lieu à unemajoration des coûts de production, mènent à unebaisse de compétitivité prix. Face à cette situationcritique, les multinationales essayent de trouver dessolutions. Or, l’existence dans les pays d’implantationd’un potentiel humain hautement qualifié etexpérimenté, les pousse à opter pour le remplacementdes expatriés par des locaux tout en garantissant lamême qualité de travail.A ce niveau, une étude qui s’intéresse à lacompréhension d’une telle situation de changements’avère intéressante, dans la mesure où elle nouspermettra ultérieurement de déterminer les conditionsde réussite de ces cas de successions qui pourraientservir aux multinationales de références pour la mise enplace de tels changements.Avant de montrer la progression des étapes duprocessus de succession, il serait indispensable deprésenter les principaux concepts qui nous intéressent, àsavoir : les cadres et le changement.Une étude de ces successions menée directement auprèsde 11personnes concernées par ce changement dans lesfiliales en question, permettrait la compréhension detelles situations de remplacement.

La succession des postes de cadres expatriés par des locaux dans les filiales de multinationales : une approche en terme de processus

Zeïneb BEN-AMMAR-MAMLOUK - Alain ROGER - Belkis BOUSSETTA KECHIDA

Page 70: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

I. Le changement• Qu’est-ce que le changement ?Les changements appliqués par les entreprises, sontgénéralement justifiés par la nécessité de leur mise enplace, comme réponse aux contraintes del’environnement (facteurs exogènes représentant lecontexte externe) ou comme solution à certainsproblèmes existants dans l’entreprise (facteursendogènes désignant le contexte interne).Le changement est l’événement qui intervient pourmodifier la réalité déjà existante concernant despersonnes, des choses ou des situations, mais aussi lerésultat qui découle de cette action. Cette modificationest observable dans le temps au niveau de latransformation qui affecte d’une façon durable lastructure ou le fonctionnement de l’objet duchangement (Ollivier, 1988). Toutefois, le changement n’est pas seulement unévénement imposé par les contraintes de l’environnement,mais c’est aussi une stratégie de gouvernement et un outilpolitique utilisé par les responsables d’entreprises(Courpasson, 1998) pour préserver les intérêts del’organisation, mais aussi les leurs.

• Notions liées au changementLe changement est lié à plusieurs notions, parmilesquelles nous citons :

� Le pouvoir car il représente une clé essentielle decompréhension des phénomènes de résistance auchangement 1. Spécialement dans les cas dechangement imposé, le ou les personnes qui l’ontproposé ont besoin du pouvoir pour affirmer leurspréférences, et concrétiser le changement.

� Le leadership qui affecte considérablement lecomportement des personnes concernées par lechangement dans l’entreprise et leur façon d’agirface à de telles situations 2. De plus, le type deleadership existant dans la firme – autoritaire,participatif ou par délégation- agit sur la façon dontle changement est accepté et appliqué par lesindividus, car si le changement est imposé et directif,il faut qu’il y ait une communication de haut en baspour le réussir ; mais s’il est négocié et participatif,les facteurs clés de succès sont la négociation, laprise en compte de toutes les suggestions et ladécision sur la base d’un consentement de tous 3.

� Le temps, étant donné que le processus dechangement nécessite le passage par plusieurs phasessuccessives et beaucoup de temps. Le temps duchangement varie en fonction de la situation del’organisation. S’il s’agit d’un changementanticipatif, les personnes ont plus de temps pour

s’ajuster à la nouvelle situation, ce qui n’est pas lecas, quand il s’agit d’un changement réactif ou decrise 4.

Ce lien entre la notion de temps et de changement estcelui qui nous intéresse le plus au cours de cetterecherche, dans la mesure où nous nous focalisons surla succession en terme de processus et la façon dont ellese déroule.

• Le changement organisationnelLe changement est un thème de recherche qui bénéficiedepuis plusieurs années d’un grand intérêt de la part deschercheurs en science de gestion (Pettigrew, 1990 ;Livian, 2001 ; Hellriegel et al., 2001 ; Boneu et al.,1992 ; Delavallée, 2003 ; etc…) vu que les entreprises,tout comme les individus, subissent régulièrement desmodifications stratégiques qui les touchent à plusieursniveaux : il peut s’agir de changement de méthodes oud’outils de travail, de secteur d’activité ou deproduits… Dans toutes ces situations, il fautobligatoirement prendre en considération l’aspecthumain puisqu’il s’agit du principal acteur duchangement. Ceci est d’autant plus important quand ils’agit de changer les ressources humaines del’entreprise elles-mêmes, comme c’est le cas pour leremplacement des cadres expatriés par des cadreslocaux dans les filiales de multinationales.Le changement étant un phénomène complexe qui est àla fois un état (une situation en modification qui peutêtre décrite) et un acte (le mouvement par lequel cettesituation est modifiée)5, le cadre doit savoir modelerconjointement, pensée et action, contrôle etapprentissage, stabilité et changement 6. Or, étant donnéque le changement porte ici sur les ressourceshumaines, il est encore plus évident que nous sommesdans une situation complexe et difficile à gérer (Baronet Greenberg, 1990).Il est vrai que le changement est un phénomène uniquepour tous, mais la façon dont il est perçu diffère d’unacteur à un autre (Livian, 2002). Chaque membre dugroupe le juge en fonction de ses propres objectifs, ce

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La succession des postes de cadres expatriés par des locaux dans les filiales de multinationales : une approche en terme de processus

Zeïneb BEN-AMMAR-MAMLOUK - Alain ROGER - Belkis BOUSSETTA KECHIDA

1 Besseyre Des Horts C.H. et Flechel M. (1993). La dimensionhumaine des restructurations et redéploiements : analyse des facteurs contingents dans les processus de changement, AGRH,Jouy-En-Jossas.

2 Idem.3 Casse P., Deciding on change : What and how?, European

International Journal, Vol 9, n°1, Mars 1991.4 Hunault J.C., Que sont nos changements devenus ?, Les dossiers

IECI Développement, Dossier Spécial, Janvier 1997, n°14.5 Guy Jacob, « Quels repères pour le changement ? », ESC Dijon,

consultant indépendant.6 Barabel M. (2002). Henri Mintzberg Une lecture du changement

par les configurations organisationnelles. In, Charreire S. etHuault I., Les grands auteurs en management, Editions ems,Management et Société.

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qui explique les différences entre leurs réactions face àcet événement. Ceux qui le considèrent comme uneévolution, vont l’accepter et le prendre pour progressionnormale, tandis que ceux qui le perçoivent comme unemodification qui n’est pas indispensable, vont leconsidérer négativement comme une rupturebouleversante remettant en cause les habitudesexistantes et vont l’accepter mal, voire le rejeter.7A cet égard, nous allons insister sur la perception de lasuccession de la part de ses différents acteurs,principalement le successeur et ses collaborateurs.

II. La succession d’un cadre expatrié parun cadre local :

1. La notion de « cadre »Se focaliser sur le remplacement des cadres expatriéspar des cadres locaux dans les filiales demultinationales nécessite quelques précisions sur leconcept de « cadre ». Nous avons choisi la catégorie decadres car ils représentent la partie du personnel la plusconcernée par l’internationalisation (Bournois, 1991 ;Cerdin, 1999) et ils sont mieux formés et plus aptes àassurer des missions et des activités à l’échelleinternationale que des simples ouvriers. Etant donnéque la plupart des expatriés occupent des postes deresponsabilité dans les filiales, nous nous sommeslimitée à la catégorie de cadres.Les cadres sont généralement considérés comme uneentité homogène. Or, on assiste à une hétérogénéitécroissante de cette catégorie professionnelle, à supposerqu’elle n’ait jamais eu la moindre homogénéitésociologique (Livian, 1990)8. A cet égard, il noussemble intéressant de préciser ce que nous désignonspar le terme « cadre ». En effet, « une première définition limite le titre decadre aux membres du personnel exerçant une fonctionde commandement. Une autre définition, sans rejeter lapremière, englobe tous ceux qui remplissent unefonction demandant un niveau de formation supérieureou une expérience équivalente. En tenant compte de cesdeux définitions, les fonctionnels peuvent faire partiedes cadres, en raison de leur implication dansl’élaboration et le développement des politiques et desstratégies, ainsi que de leur autorité decompétence » (Pierre ,1994) 9. Cette dernière définition nous ramène à l’acceptionfrançaise du terme « cadre » qui se rapproche decertains concepts anglo-saxons tels que « manager » ou

« professional », bien qu’elle en soit différente : être« manager » veut dire encadrer du personnel, tandisqu’un « professional » est un spécialiste de haut niveauqui n’encadre pas de subordonnés.Or, nous adoptons une conception plus globale que cesdeux notions : nous considérons comme cadre toutepersonne ayant un statut associé à un certain niveau deresponsabilité dans l’entreprise, indifféremment de safonction, que ça soit un poste de management ou dehaut niveau technique et qu’il nécessite ou pas descapacités d’encadrement des hommes (Waxin, 2000).

2. Cadres locaux et expatriés La notion de « cadre » étant précisée, nous signalonsque nous allons insister sur les cadres locaux parmi lestrois catégories de personnel international, à savoir : lescadres locaux, les cadres expatriés et les cadres des paystiers (Waxin, 2000). Toutefois, nous devons préciserque nous nous intéressons aussi aux cadres expatriés, vule rôle qu’ils jouent dans la réussite de la succession 10

de leurs postes par les locaux, surtout dans les situationsoù ils restent dans la même multinationale.Les cadres nationaux du pays d’accueil ou les cadreslocaux se distinguent des cadres expatriés par leurappartenance à la culture du pays hôte qui explique leurconnaissance de l’environnement mais aussi le soutienqui leur est accordé par les gouvernements de leurspays.En ce qui nous concerne, nous considérons commecadres locaux les personnes 11 :

� qui sont originaires du pays d’implantation de lafiliale ;

� qui parlent et maîtrisent la langue du pays hôte ;� qui ont passé la plupart de leur vie dans leur pays

d’origine, y compris ceux qui ont eu une expériencede vie à l’étranger (séjours, études, formations,stages, expatriation) pour une durée inférieure àcelle passée dans leur pays d’origine ;

� et qui ont suivi leurs études scolaires, jusqu’aubaccalauréat au moins, dans leur pays d’origine.

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7 Jarrosson B., Attention, changement, Management France, n°91,Février 1995.

8 Livian Y.F. (1990). La gestion des carrières des cadres dans lesgrandes entreprises françaises, 1er Congrès de l’AGRH, p 443-455.

9 Cité par Waxin M-F. (2000). L’adaptation des cadres expatriés enInde : ses déterminants et l’effet de la culture d’origine, thèse dedoctorat en sciences de gestion, p 23.

10 Le terme « succession » (Lauterbach et Wisberg, 1994) désigne leremplacement des cadres expatriés par des locaux. Certains appel-lent ce phénomène « prise de fonction » (Allard, 2001), « prise derelève » (Aboughe-Obame et Trutat, 1987) ou aussi « passage derelais » (Métaireau, 2002).

11 Ces conditions doivent être toutes réunies pour que le cadre soitconsidéré comme un local.

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Par conséquent, les personnes qui ne vérifient pas tousces critères réunis, ne sont pas considérées comme descadres locaux.

3. Les acteurs de la successionQue le changement soit imposé ou négocié, il y a deuxcatégories d’acteurs : d’une part « l’entrepreneur duchangement » qui représente l’individu ou le grouped’individus non satisfaits par la situation présente -avant le changement- et d’autre part, « les acteursparties prenantes du changement » qui regroupent lessalariés concernés par ce dernier (Delavallée, 2003). Ence qui suit, nous allons présenter les acteurs de lasuccession en fonction de la façon dont ils sontconcernés par ce changement et de la manière dont ils yinterviennent.

a. Le successeurLe successeur est le cadre local qui va occuper le posteà la place de l’expatrié dans la filiale. Ce n’est pas luiqui a décidé de remplacer l’expatrié partant, mais il estle premier concerné par ce changement : il est l’acteurprincipal, voire central de la succession. En effet, laréussite ou l’échec de la succession va dépendre engrande partie de ses compétences, de sescaractéristiques personnelles, de ses expériencesantérieures, de la façon dont il voit et vit cette situation.Toutefois, il n’est pas le seul à être concerné par cetteopération de succession.

b. Les subordonnésLeur rôle apparaît à partir du moment de la prise defonction par le nouveau cadre local. Ce sont eux quivont être en contact direct avec le cadre quand il détientle poste, et ce sont eux qui vont exécuter ses ordres. Ilsont un rôle déterminant dans la réussite ou l’échec dusuccesseur à son nouveau poste, puisque l’efficacité dece dernier va dépendre des résultats de leur travail.

c. Les collègues d’un même niveauhiérarchique

Etant donné que toutes les unités de l’organisation sontinterdépendantes, les collègues d’un même niveauhiérarchique que le successeur interviennent aussi dansla succession. Ils peuvent faciliter la tâche au nouveaucadre comme ils peuvent la complexifier. Le rôle qu’ilsjouent se manifeste surtout dans la transmission et lacommunication de l’information nécessaire au momentopportun et la circulation de documents indispensablesau successeur pour l’exercice de son activité.

d. Les supérieursQue le remplacement soit prévu ou pas, ce sont les

supérieurs du successeur qui prennent la décision desubstitution de l’expatrié par le local et qui choisissentce dernier. C’est à eux de juger si le cadre local estcapable d’assurer efficacement toutes les tâches dupartant. Ils peuvent aider le successeur en l’introduisantde la meilleure façon possible dans son nouveau posteet en prenant les mesures favorables pour qu’il y ait unecollaboration efficace avec les collègues et les autresmembres du groupe.Quand la succession est anticipée, ils peuvent avoir unrôle considérable dans son déroulement, en la planifiantd’avance et en préparant le cadre local à remplacerl’expatrié dans les meilleures conditions.

e. Les responsables fonctionnelsIl s’agit des responsables qui sont en relation avec lesuccesseur et tous les autres membres de l’entreprise.Ils interviennent considérablement dans l’opération deprise de relève, dans la mesure où ils travaillentsimultanément en coordination avec les supérieurs auxdifférents niveaux du processus de remplacement (lechoix du successeur, sa préparation, etc…) et avec lespersonnes qui vont être directement concernées par lasuccession.

f. L’expatriéMalgré son départ, son rôle est considérable dansl’opération de remplacement car c’est lui qui connaîttout sur le poste et qui détient toutes les informationsnécessaires pour le successeur.Si son remplacement par un local est prévu, il peut avoir un rôle capital dans le choix et la préparation deson successeur, en lui assurant une formation sur le tas,en lui donnant des conseils, en le testant, en luifournissant toutes les informations nécessaires sur leposte, etc… Son rôle peut aussi persister après sondépart, seulement s’il reste dans la même filiale maischange simplement de poste, s’il va vers une autrefiliale ou s’il retourne à la maison mère.

Nous pouvons schématiser la contribution de cesacteurs dans la succession comme suit (voir fig 1) :D’une façon générale, le remplacement des expatriéspar les locaux dans les filiales est une question degestion et de « développement » de carrière12. Selon lescas, il peut s’agir d’une planification des carrières descadres expatriés et des locaux en particulier. Dans lecadre de ce travail, nous mettons l’accent sur lesuccesseur, ses collègues du même niveau hiérarchiqueque lui et les responsables fonctionnels pourcomprendre le déroulement de la succession d’amont enaval.

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La succession des postes de cadres expatriés par des locaux dans les filiales de multinationales : une approche en terme de processus

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12 Cerdin J.L. (2000). Gérer les carrières Vade Mecum, Editions ems,Management et société.

Page 73: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

III. Succession et processusde changement

La perspective contextualiste de Pettigrew13, propose uncadre général d’analyse du changement, se structurantautour de trois pôles : le contenu, le contexte et leprocessus. Nous précisons que nous insistons sur cedernier aspect.Le processus correspond aux étapes du changement,aux actions de formation et de préparation préalables àla mutation. Il s’agit surtout de voir s’il y a un lien etune continuation entre l’avant et l’après succession.Nous allons voir ultérieurement la différence entre lesfiliales au niveau de la préparation et du déroulementdes étapes du processus de succession. Tout en insistantaussi sur les acteurs et les rôles qu’ils jouent tout aulong du processus.

1. La progression du vécu de la succession :

Le changement est un processus temporel qui regroupetrois principales phases (Lewin, 1978 14 ; Hersey P. etBlanchard K.H., 1988 ; Baron R.A. et Greenberg J.,1990), à savoir :

� Le « unfreezing », dégel, déverrouillage oudéblocage de la situation. Il s’agit ici de la phase oùles personnes qui vont travailler avec le successeurprennent conscience de la nécessité et de l’intérêtpour l’entreprise de remplacer le cadre en question,rompent avec leurs habitudes et leurs traditions detelle façon à ce qu’ils soient prêts pour accepter la

nouvelle situation et collaborer avec le nouveaucadre ;

� Le « changing » qui correspond à l’étape deremplacement de l’expatrié par le local, c’est-à-direla phase de changement ou de modificationproprement dite, le mouvement par lequel on passed’un poste occupé par un cadre expatrié à un posteoccupé par un cadre local ;

� Et le « refreezing », cristallisation, refrènement oureverrouillage qui consiste à se familiariser avec lanouvelle situation après la succession.

Ces phases représentent l’évolution de la perception duchangement par les individus, c’est-à-dire laprogression du vécu psychologique de la succession parses acteurs. En effet, le changement (phase 2) ne peutêtre appliqué que s’il est d’abord accepté par les acteursconcernés (phase 1). Ensuite, une fois le changementréalisé ces derniers vont s’habituer et se familiariseravec la nouvelle situation (phase 3), ce qui revient à unétat de satisfaction des acteurs pareil à celui avant lechangement, quoique le contenu de la situation avant lechangement diffère de celui d’après.Le processus d’évolution psychologique des acteurs sedéclenche à partir du moment de l’annonce de ladécision de remplacement de l’expatrié par le local. Lesréactions des différents acteurs face à cette décisionsont différentes et varient selon les cas : ils peuventaccepter rapidement ce changement, comme ils peuventy résister.

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13 Pettigrew A. (1990). Longitudinal Field Research on Changes.Theory and Practice, Organization Science, vol 1, n°3, p. 267-291.

14 Cité par Delavallée E. Les méthodes de gestion du changementorganisationnel. In, Encyclopédie des ressources humaines,Allouche J. (2003). Edition Vuibert.

Rôle toujours existant Rôle dépendant de la situationde succession

Fig 1 : Les acteurs de la succession.

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Dans le cas de résistance, la durée entre la décision desuccession et le déblocage de la situation va être pluslongue que dans le cas contraire.

Nous pouvons donc représenter « le processuspsychologique » de la succession comme suit :

Fig.2 : Le processus d’évolution psychologique duchangement

Après avoir présenté l’évolution psychologique de lasuccession, nous parcourons en ce qui suit lesdifférentes étapes de concrétisation du remplacementd’un cadre par un autre.

2. Le déroulement du processus de succession

Généralement, les opérations de remplacement descadres expatriés par des locaux suivent trois grandesphases, à savoir : la phase avant le remplacement del’expatrié par le local, la phase de succession en elle-même et la phase après la succession.Toutefois, les opérations de succession ne suivent pastoutes les mêmes étapes, elles dépendent de la nature duchangement mis en place : s’il est prévu, anticipé etplanifié, il comprendra plus d’étapes que s’il s’agitd’une succession immédiate et brusque.

a. L’avant successionC’est la première phase du processus, sa durée varie enfonction des situations. Dans les cas où la décision desuccession est prise brusquement et d’une façonurgente, nous assistons à un processus qui commencedirectement par la phase de prise de relève. Ainsi, ellen’existe que dans les situations de succession prévuesd’avance et planifiées et dans ce cas elle comprendplusieurs étapes :

� La décision de succession C’est l’étape zéro de la succession, elle a lieu suiteaux pressions du contexte interne et externe de lafiliale concernée et à une étude approfondie de sasituation. Les principaux acteurs de cette étape sontles supérieurs avec la collaboration des responsablesfonctionnels car ce sont eux qui prennent la décisionde changement de cadres.

� Le choix du successeurQuand il s’agit de succession d’un cadre par un autre,le principal problème qui se pose est le choix dusuccesseur (Lauterbach B. et Weisberg J., 1994),surtout s’il s’agit d’un poste clé dans l’entreprise. Ace niveau c’est aussi les supérieurs qui interviennentavec les responsables fonctionnels. Ils doivent choisirentre un successeur externe qui n’appartient ni à lafiliale ni à la maison mère et un successeur internequi fait partie de la même multinationale que ce soitdans la même filiale ou provenant d’une autre.Le choix du successeur se fait selon plusieurscritères, tels que : les compétences, l’expérienceprofessionnelles, l’ancienneté et l’expérience dansl’entreprise, les qualités personnelles, l’expérience aupays de la maison mère, etc…Le résultat du remplacement va dépendre en grandepartie des caractéristiques du successeur.

� L’information et la communicationUne fois, le successeur choisi, il faut que toutes lesparties concernées par ce changement en soientinformées, pour commencer la préparation aussi bienpsychique qu’opérationnelle du successeur et de sescollaborateurs.Après l’information, on assiste généralement à unerésistance au changement de la part des acteurs quireprésente l’un des problèmes les plus déroutantsqu’affrontent les managers car elle prend les formesles plus diverses 15. Elle peut être exprimée de la partdes individus à cause de certaines variables, tellesque la peur de l’inconnu et de la régression, ladépendance, l’habitude et la sécurité.

� La préparation à la successionLa durée de cette étape varie en fonction desentreprises et des situations de remplacement. Leprincipal acteur de cette phase est le successeur, carc’est lui qui va subir la préparation pour être prêt aumoment opportun à prendre la relève. Néanmoins,c’est aussi les supérieurs en coordination avec lesresponsables fonctionnels et parfois les expatriés, quise chargent de la mise en place d’un programme depréparation du successeur.Il y a plusieurs moyens de préparation à la successiontels que : la formation sur le tas ou dans desorganismes spécialisés, elle peut porter sur le contenudu nouveau poste, sur certains domaines en rapportavec le poste tels que la gestion des ressourceshumaines, l’économie, les stages à l’étrangerspécialement dans la maison mère, la formation enlangue, les tests de la part de l’expatrié partantsurtout au niveau de la prise de décision, etc…

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15 Hellriegel, Slocum et Woodman. (2001). Management des organi-sations, traduit par Truchan-Saporta M., nouveaux horizons,Deboeck Université, 1989, 1re édition, 7e tirage 2001.

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b. Le passage de relais :Il s’agit de la période de succession proprement dite. Ladurée et les acteurs concernés dépendent des situations

� S’il s’agit d’une succession programmée, elle vaavoir une durée plus longue. L’expatrié va avoir plusde temps pour exposer toutes les tâches ausuccesseur, lui parler de tous les dossiers, tous lesproblèmes existants et faire la mise au point avec luisur tout ce qui concerne le poste. Il y aura donc unecollaboration entre le successeur et le partant aucours de la passation du poste.

� Dans le cas d’un changement de crise, la prise derelève peut se faire d’une façon immédiate et avoirune durée très courte voire nulle. Le principal acteurest le successeur, vu que l’expatrié part brusquementet n’a pas suffisamment de temps pour lui expliquertout sur le poste, les tâches et les responsabilités qu’ilcontient.

Dans les deux cas, l’intégration et la socialisation dusuccesseur dans son nouveau poste est indispensable(Van Maanen et Schein, 1979 ; Lacaze D et Roger A.,2000) afin qu’il puisse assurer efficacement sesnouvelles tâches. Que le successeur soit interne ouexterne 16, il va mettre du temps à s’intégrer et às’adapter à son nouveau poste, à son nouveau groupe detravail et à ses nouveaux rôles.Cette étape est donc très importante car elle va avoir uneffet considérable sur la qualité du travail du successeuraprès le départ de l’expatrié.

c. L’après successionC’est l’étape après le départ de l’expatrié etl’occupation du poste de la part du local. Les principauxacteurs sont :

� les successeurs à travers les nouvelles règles etmesures qu’ils vont mettre en place dans leursnouveaux postes ;

� les subordonnés car ce sont eux qui vont être les plusrattachés au successeur, qui vont subir et appliquerles modifications qu’il va apporter.

Toutefois, les expatriés peuvent jouer un rôleconsidérable à cette étape, seulement s’ils restent enrapport avec la filiale. En effet, ils peuvent rester encontact avec les successeurs, leur assurer un suivi etleur fournir des conseils quand ils en ont besoin, cecin’est possible que dans les cas où : l’expatrié estrapatrié à la maison mère, s’il reste dans la même filialeet change seulement de service ou bien aussi s’il partvers une autre filiale de la même multinationale.

IV. Le remplacement des expatriés pardes locaux : cas des filialestunisiennes de multinationaleseuropéennes :

1. Problématique Dans le cadre de l’évolution du contexte international,nous remarquons une évolution des stratégies degestion internationale des ressources humaines. Aprèsavoir tant parlé de l’expatriation (Black, Mendenhall etOddou, 1991 ; Bournois, 1991 ; Cerdin, 1999, 2000 ;Hailey, 1996 ; Cerdin et Peretti, 2000 ; Waxin, 2000),nous assistons aujourd’hui dans les filiales demultinationales à un remplacement plus fréquent descadres expatriés par des locaux. Afin de permettre auxfiliales de mieux gérer ces situations de changement,touchant leurs ressources humaines, il est important dedéterminer les mesures à mettre en place pour réussir detels phénomènes. En raison du manque de littérature quitraite de ce nouveau phénomène, nous avons choisi demener une étude exploratoire pour décrire les étapes duprocessus de succession des cadres expatriés par deslocaux dans les filiales de multinationales, déceler lesdifférences d’une situation à une autre et d’uneentreprise à une autre et en trouver des explications.

2. Méthodologie

• Une recherche exploratoire et qualitativeIl s’agit d’une recherche qui vise à décrire ledéroulement du remplacement des cadres expatriés pardes locaux. C’est un changement qui touchel’entreprise. Ainsi, il vaut mieux adopter une démarchequalitative qui s’inscrit dans la perspective decomprendre les changements sociaux, notamment ceuxqui intéressent l’entreprise en tant qu’élément de lasociété (Wacheux, 1996).C’est principalement pour cette raison que nous avonschoisi de mettre en place un processus de recherchequalitatif qui nous permettra de comprendre commentse déroule le processus de changement sur lequel estcentrée notre recherche.

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16 Nous désignons par successeur interne le cadre local qui appartientdéjà à l’entreprise et par successeur externe celui qui provient del’extérieur.

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• Le terrain de rechercheNous avons indiqué auparavant que nous nousintéressons aux filiales tunisiennes de multinationaleseuropéennes. En effet nous avons choisi cettepopulation pour plusieurs raisons :

� L’importance du rôle joué par les investisseursétrangers et surtout européens dans l’économietunisienne et la présence de plusieurs multinationaleseuropéennes en Tunisie ;

� Les mutations de l’environnement économiquetunisien et le développement remarquable dupotentiel des cadres tunisiens

� Le fait que ces filiales représentent pour nous unexcellent échantillon de convenance, d’autant plusqu’une recherche exploratoire se base souvent surune collecte de données faite sur un échantillon decommodité 17.

Ceci justifie le choix d’un échantillon de petite taille carle problème qui se pose ici n’est pas celui dereprésentativité, mais plutôt celui de la pertinence de lastructure de la population étudiée compte tenu de laspécificité de notre recherche (Evrard Y., Brad B. etRoux E., 1993).

Nous avons un échantillon de petite taille constitué parsept filiales seulement,de différentes nationalitéseuropéennes, appartenant à différents secteursd’activités (voir tableau 1). Cette diversité n’a pasd’effet sur les données que nous cherchons, bien aucontraire, elle nous permettra d’enrichir lesinformations que nous collectons.• Les entretiens de rechercheLe recours à l’entretien semi directif a pour butl’exploration en profondeur d’un univers afin dediagnostiquer ou d’analyser ses propriétés. Nousrecherchons donc la richesse du contenu, sa profondeur,sa diversité et sa qualité.Plusieurs recherches qualitatives dans le domaine degestion des ressources humaines ont eu recours aux

entretiens semi directifs puisque c’est une technique quise centre autour des thèmes précis à aborder, mais quilaisse aussi à l’acteur une certaine liberté d’expression(Wacheux F., 1996 ; Igalens J. et Roussel P., 1998). Lefait que nous travaillons sur le déroulement de lasuccession et la façon dont ses acteurs la vivent justifieencore plus le choix des entretiens.

• La collecte des donnéesOnze entretiens semi-directifs ont été menés dansdifférents services de sept filiales tunisiennes demultinationales européennes exerçant dans diversdomaines d’activité. Parmi ces entretiens :

� Six ont été menés avec des successeurs : un directeurd’exploration et un chef de services auxiliaires dansla filiale d’AGIP, un directeur de production et dequalité dans la filiale de Saïa-Burgess , un directeurcommercial dans UATS, un directeur technique àMETS et un chef de secteur à Carrefour

� Trois ont été menés avec des responsablesfonctionnels dont deux directeurs de ressourceshumaines (METS et AGIP).

� Deux entretiens avec des collègues du même niveauhiérarchique que le successeur dont un directeurtechnique (Leonische Tunisie) et un chef dedépartement logistique (METS).

Nous précisons que nous nous sommes servis dumagnétophone pour enregistrer nos entretiens, et cepour éviter les pertes d’information et l’oubli.18

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Tableau 1 : Les entreprises

représentantl’échantillon de

la recherche

17 Igalens J. et Roussel P. (1998). Méthodes de recherche en gestiondes ressources humaines, Economica.

18 « …la conduite d’un entretien est difficilement compatible avecl’enregistrement sous forme de prises de note. Le meilleur disposi-tif est celui qui repose sur l’utilisation du magnétophone », IgalensJ. et Roussel P.(1998).

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3. Analyse des entretiensUne analyse thématique nous a permis de faire ressortirles étapes du processus de succession. Après une lecturedu corpus composé de 11 entretiens, nous avonsrépertorié 5 principaux thèmes que nous allons classeren fonction de la phase du processus à laquelle ilsappartiennent. (Tableau 2)

• Avant la successionLa période avant la succession est très importante, elledoit être programmée sur de bonnes bases pourpermettre au successeur de bien s’intégrer dans legroupe de travail. Toutefois, ceci varie d’une situationde succession à une autre.Cette phase dure de la décision de succession au momentmême du changement de cadres. En se référant auprocessus d’évolution psychologique (voir figure 2), ellecorrespond à la partie du processus qui précède la phase 2.Le processus de succession débute au moment de laprise de décision de remplacer le ou les expatriés parun ou des locaux : « …il y a eu deux cas desuccession », « …je connais trois situations detunisification de postes 19 dans notre filiale », « …oui,moi-même, j’ai remplacé des allemands…toutprochainement, il y aura une autre succession… ». Ladécision de remplacement peut résulter de plusieursfacteurs internes et/ou externes à la filiale. Parfois elledécoule d’une la stratégie de la maison mère, alors qued’autres fois elle est prise suite à une proposition de lafiliale.

Dans les cas où le remplacement est prévu d’avance parla maison mère, c’est généralement elle qui prend cettedécision : « la décision de recruter cette personne se faitaussi au niveau de la m.m (centralisation de ladécision) surtout pour des postes critiques », ensuiteelle la transmet à la filiale : « La politique de la maison

mère est que l’expatrié ne doit pas dépasser les troisans. L’idée de tunisifier le poste germait depuis 3ans...», «… la décision de succession a été prise deuxans en avance… ». Par contre dans les situations où il s’agit d’unesuccession imprévue, la décision peut être prise à lasuite d’une proposition des responsables de la filiale« c’est une succession imprévue. C’est le chef et lereprésentant du groupe Dräxlmaier en Tunisie qui aproposé la succession à la maison mère ».Une fois, la décision de succession est prise, il fautchoisir le successeur. Ce choix est fait en coordinationentre les supérieurs de la filiale et les responsablesfonctionnels : «...on a invité les successeurs et ils ontété désignés après des entretiens, mais ils serontrecrutés fin Aôut ». Parfois, les expatriés partants sontaussi impliqués dans le choix de leur successeur : « …jeremplace un expatrié qui est parti en fin de contrat.C’était mon chef direct et j’ai été recruté par lui et ladirection », ce qui est généralement le cas dans lesremplacements prévus.Le choix du successeur est fait selon certains critères,tels que : les caractéristiques personnelles, la formationacadémique, l’expérience professionnelle, l’ancienneté,l’appartenance à l’entreprise et au service concerné parla succession, l’expérience au pays de la maison mère :« …choix du successeur qui est fait selon la maîtrise del’allemand, la personnalité, le caractère, la force dansla prise de décision, le niveau d’étude… ». La majorité des successeurs sont des personnescompétentes qui ont certaines qualitéspersonnelles : « ce sont les personnes parmi les plusappréciées dans l’entreprise. Elles sont trèscompétentes, dévouées, correctes, très sérieuses et quihonorent leurs engagements ».

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Tableau 2

19 La tunisification de postes signifie le remplacement du responsableexpatrié du poste par un autre local.

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Pour être choisi en tant que successeur de l’expatrié àun poste de cadre, il faut d’abord avoir un certainniveau académique : «...c’est un ingénieur deformation », «…je suis ingénieur en industriealimentaire », « pour le premier local, il a un DUT deNice,…pour le deuxième local, il est ingénieurgéophysicien de formation », « j’ai poursuivi mesétudes dans une école d’ingénieurs en Algériespécialisée dans le pétrole », « j’ai fait des étudesd’ingénierie mécanique en Allemagne »,« j’ai poursuivimes études supérieures d’ingénierie en Allemagne »,« j’ai un diplôme de technicien supérieur entopographie ». L’expérience professionnelle est aussi importante pouravoir plus de chance de remplacer un expatrié : « il aune grande ancienneté depuis 1977, il a grimpé leséchelons…, c’est un homme de terrain », « on se fiebeaucoup à mon expérience », « …je suis un homme deterrain, j’ai travaillé au chantier et je sais que s’il y aun problème dans le service, ça peut se répercuter malsur les ouvriers, ce qui n’est peut-être pas le cas del’expatrié».Nous avons remarqué que la plupart des successeursappartiennent déjà à l’entreprise : « la plupart sont despersonnes déjà existantes dans l’entreprise ». Dans laprésente étude, six successeurs sur neuf sont d’anciensmembres de la filiale. L’appartenance à l’entreprise et lefait d’être l’assistant du successeur s’avèrent être descritères déterminants dans le choix du succes-seur : «pour le service achat, c’est une personne quifaisait partie du même service, c’est l’assistante del’expatrié », « la personne que je remplace était monchef direct », « Mon poste précédent était celui d’adjointdu chef d’exploitation, je l’ai occupé pendant 2 ans, aucours desquels, j’ai été pratiquement aux côtés du chefd’exploitation pour toutes les décisions ».Il est plus facile de désigner quelqu’un qui appartientdéjà à la filiale et au service touché par la succession, caron est plus sûr de ses performances et il connaît déjà leposte : « il est très performant,…. il a fait sespreuves », «…ce sont des gens qui ont pas mald’expérience, ils connaissent la boite, ses rouages, aussitout ce qui est relation entre Milan et Tunis et ça facilitebeaucoup les choses. A mon avis, ils sont une mémoirehistorique de la boîte », « Moi par exemple, je vous distout ce qui s’est passé depuis 1978, je vous dis que dansles archives, vous allez trouver une boîte rouge où il y atelle et telle chose. C’est très important, très intéressant,c’est normal qu’on puisse compter sur les gens. Il y atoujours un vieux qui connaît tout sur l’entreprise », «Jeconnaissais tous les problèmes, car ceci est lié à lanature du service logistique et je suis le plus ancien dansle service alors, il n’avait rien à me cacher ; en plus,depuis mon entrée, je suis au même service ».L’expérience à l’étranger, spécialement au paysd’origine de la maison mère, qu’elle soit personnelle ouprofessionnelle, semble jouer un rôle considérable dans

le choix du successeur : « j’ai étudié en Allemagne,…,j’ai fait des stages là-bas », « j’ai travaillé avec desallemands en Allemagne ». un cadre local ayant uneexpérience au pays d’origine de la maison mère connaîtmieux la culture de ce dernier. Par conséquent, il peuts’intégrer plus facilement dans le poste. Il présente unmélange culturel adapté à la situation de la filiale etbénéfique pour sa situation médiane entre lessubordonnés locaux et le sommet hiérarchique étrangerau siège.

La préparation de et à la succession a pris plusieursformes, la plus fréquente était la formation.Les filiales ont utilisé plusieurs moyens pour former lessuccesseurs. Il y a la formation sur le tas qui est faite àl’intérieur de l’entreprise et assurée généralement parl’expatrié partant «…il m’a préparé », « il y a eu desformations à des stages théoriques et des formationssur le terrain. Par exemple, l’expatrié forme le jeunetunisien, c’est un essai pour que ce dernier prenne leposte », «…on les a mis dans le bain avec l’encadre-ment des expatriés partants ».Les entreprises ont aussi insisté sur la formation dessuccesseurs à l’étranger et spécialement par des stages àla maison mère : « le séjour au pays de la m.m est prévucar il y a une formation prévue pour tous les cadres quivont travailler ici c’est à dire que ça fait partie duprogramme de formation », « il y a une formation descadres tunisiens en Allemagne », « j’ai fait un stage desix mois dans la maison mère ». Les successeurs ontaussi été formés par des participations à des colloqueset meetings.

Certains successeurs nous ont confirmé qu’il n’ont paseu de préparation spéciale, ni de formation : «…pour lespréparations, je n’ai pas eu de formation spécifique... »,«…je n’ai pas eu de formation ni de préparationspéciale… ». Toutefois, ces cadres ignorent que par leurassistance à l’expatrié avant son départ, ils ont été bienpréparés pour le remplacer. Ainsi, la préparation peut aussi être faite parl’implication et la participation des successeurs auxdécisions. Pour cette raison, les successeurs quiappartiennent déjà à l’entreprise et plus précisément auservice concerné semblent être mieux préparés pourremplacer les expatriés : «…pour le service achat, c’estune assistante, donc bien formée pour lasuccession », « l’expatrié me réunissait avec legéologue et le physicien pour m’apprendre à prendredes décisions », « j’étais toujours aux côtés del’expatrié, je ne faisais pas seulement le travailtechnique mais j’étais aussi le team leader », « onpréparait les locaux en les impliquant à de grandsdossiers techniques ». La responsabilisation est doncconsidérée comme l’une des formes les plus efficacesd’apprentissage et de formation des successeurs à lasuccession.

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Au moment de la succession

Au moment de la prise de relève par le local, certainsont confirmé qu’il y a eu des problèmes d’intégration,particulièrement pour les successeurs qui viennent del’extérieur de l’entreprise. L’évolution psychologiquede la succession est aussi plus rapide quand il s’agitd’un successeur interne car il connaît déjà l’entreprise etses collaborateurs. Toutefois, le successeur internerencontre aussi des difficultés au début de sonoccupation du poste car il doit s’adapter à son nouveaustatut, à ses nouvelles tâches et responsabilités : « il y aeu des problèmes d’intégration normale comme pourtoute situation pareille ».La durée de la passation et la façon dont elle s’est faitedépendent de la situation de succession. En effet, lesremplacements brusques et imprévus se fontgénéralement sans passation : « on m’a désigné du jourau lendemain, j’ai pris la relève de l’expatrié sansaucune passation ». Par contre, quand il s’agit d’unesuccession prévue d’avance, il y a généralement unepassation : « …mais pour cette succession, la passationa été habituelle, elle s’est faite un mois et demi avant ledépart de l’expatrié pendant lequel on a fait le point surle secteur », « …pour le directeur commercial, il y a euune simple passation… », « Je connaissais tous lesdossiers, alors la passation était extrêmement rapide,en une semaine, il m’a pris dans son bureau, il m’a dit :voilà le PC, voilà les dossiers, etc… »Cependant dans certaines situations de changementprévu et planifié, l’absence de passation est justifiée parla parfaite connaissance du nouveau poste : « il n’y a euaucun jour de passation car je connaissais tout, il n’yavait pas de dossiers en instance…».

• Après la succession Dans les cas où l’expatrié reste rattaché à la filiale(c’est-à-dire qu’il soit affecté à un autre poste là-dedans, qu’il soit rapatrié à la maison mère ou mutévers une autre filiale du même groupe), le successeur aplus de chance de profiter de ses conseils et de son suivimême après son départ : « …il y a une autre chose :l’expatrié est toujours à Milan et à chaque fois que j’aibesoin de lui, je peux l’appeler et il me conseille…il y atoujours une assistance, même en étant directeur. Il y aencore une relation professionnelle, mais elle estoccasionnelle car il est devenu responsable de toutel’Afrique du nord, je suis donc obligé de rester encontact avec lui, je le contacte pratiquement chaquejour », « L’expatrié que je remplace, est allé vers lamême entreprise. Son poste actuel est : Qualitätmanagement et c’est en rapport avec son poste d’avantqui est le mien actuellement », « Pour les trois cas desuccession dans notre filiale, un expatrié est part versune autre filiale, en Asie et les deux autre ont étérapatriés, ce qui permet aux successeurs de lescontacter à tout moment pour demander leurs avis...»

Après la prise de relève, le successeur est confronté àde nouvelles responsabilités, surtout s’il s’agit d’unposte plus important que celui qu’il détenaitavant: « …avant, j’étais chef de rayon seulement, alorsqu’aujourd’hui, je suis chef secteur, donc je suisconfronté à plus de responsabilités ».

Dans certains cas, la succession a apporté desmodifications au niveau de la structure mais aussi auniveau des relations professionnelles : « il y a eubeaucoup de mutations. C’est une restructuration qui atouché plusieurs personnes dans le service, unenouvelle ambiance », alors que dans d’autres, rien n’achangé sauf le responsable du poste : « il y a les mêmesrelations entre mes subordonnés, mes supérieurs, mescollègues et moi,….., c’est le même rythme de travailqu’avant… », « On ne remarque pas de changement,car même avant, les subordonnés avaient affaire avecmoi, sauf pour les décisions, presque rien n’a changé ».A ce stade du processus, l’effet positif del’appartenance du successeur au groupe est aussiremarquable. Quand c’est l’assistant local qui détient leposte de l’expatrié partant, le problème d’intégrationne se pose pas et ses subordonnés ainsi que sescollègues acceptent ce changement et le vivent bien :« Quand j’ai pris la relève du poste, les subordonnés sefélicitaient car ils savaient que c’était quelqu’un qui estdes leurs et qui connaît leurs problèmes… », « Lasuccession a eu des effets très positifs, vu que je suis unancien collègue de mes subordonnés et qu’on travailledéjà dans un esprit de groupe », « Je m’attendais à desproblèmes, à un rejet, mais tout le monde a acceptél’autorité de ces personnes,…, le service informatiquecomprend 3 tunisiens. A part le travail, c’est des genstrès unis, un groupe très solide avec de très bonnesrelations personnelles. Ils ont tout fait pour permettre àleur nouveau chef de mieux vivre la succession ».Nous pouvons ainsi dire que le choix d’un successeurinterne permet une intégration plus facile de ce dernierdans le nouveau poste. Les collaborateurs de leur côté,ne présentent pas beaucoup de résistance auchangement, ils connaissent déjà le successeur, ce quiprésente pour eux moins d’incertitude et plus desécurité.

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Conclusion

Les résultats que nous avons obtenus confirmentl’existence des trois phases de la succession mais pasdans tous les cas de remplacement. Nous avonsremarqué qu’il y a un lien entre la nature duchangement, s’il est prévu ou pas et le processus desuccession à toutes ses étapes. La façon dont la succession se déroule diffère d’unesituation à une autre :

Si le changement est prévu par l’entreprise, attendu parl’expatrié ou par le local, il y a une préparation avant lasuccession.Au moment de la succession, la durée de passationdépend : du successeur choisi (s’il appartient ou non àl’entreprise), de la succession (si elle est prévue ou pas)et de l’expatrié (s’il reste dans la multinationale ou pas).Le suivi après la succession dépend de la destination del’expatrié. Le changement au niveau des rôles et desrelations dépend du successeur choisi.

En observant plus attentivement les situations desuccession passées, les multinationales peuvent décelerles lacunes à éviter et dégager les facteurs clés de succèsde tels changements afin de mieux réussir leremplacement de ses cadres expatriés par des locauxdans ses filiales. Ainsi, pour des auditeurs chargésd’étudier cette situation, il serait utile de faire uneanalyse du processus de succession en s’adressant auxacteurs concernés (voir annexe 1).

Annexe 1Guide pour les auditeurs des situations de successiondes expatriés par des locaux :

� Depuis quand la succession a-t-elle eu lieu ?� Quelles étaient vos réactions et celles de vos

collègues ?� Depuis quand avez-vous appris de la succession ?� Comment le choix du successeur a-t-il été fait ?� A votre avis, il vaut mieux que le successeur

appartienne à la filiale ou pas ? Pourquoi ?� Est-ce qu’il y a eu une préparation de la succession ?

– Si oui, comment ?– Si non, pourquoi ?

� Quelles sont d’après votre expérience, les différentesétapes du processus de succession par lesquellesvous êtes passé ?

� Y-a-t-il encore un contact avec l’expatrié partant ?� Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous conseillez

pour que ça se passe de la meilleure façon possible ?

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Expatriation et mal-être au travailLe cas des expatriés indiensen Allemagne

Martine BRASSEURMaître de ConférencesCEROG - IAE AIX EN [email protected]

Arun Kumar DHADWALDoctorantCEROG - IAE AIX EN [email protected]

Expatriation et mal-être au travailLe cas des expatriés indiens en Allemagne

L’internationalisation est devenue une optionstratégique difficilement évitable pour les entre-prises et le nombre d’expatriés envoyés dans les

filiales des multinationales augmente régulièrement.Les causes de cette recrudescence ne sont pas toujoursassociées à un développement d’activité. Certainesorganisations sont amenées à faire preuve de flexibilitégéographique pour délocaliser leurs activités vers deszones où la main-d’œuvre est moins onéreuse. D’autresdéplacent leur personnel pour répondre à leurs besoinsqualitatifs ou quantitatifs de compétences.Il semble que cette expatriation puisse avoir des effetspervers pour l’organisation. Pinder et Schroeder (1987)ont ainsi mis en évidence que, durant les périodes detransition, les salariés avaient des difficultés à s’adapterà leur nouveau poste et que leur performance tendait àdécroître. Peut-on éviter ces dysfonctionnements ?Quelle gestion des ressources humaines mettre enœuvre ? Nous nous proposons de nous centrer sur ce que nousdésignerons comme l´altération du bien-être au travailassociée à l’expatriation, d´en étudier les manifestationset les modes de gestion développés par les intéressés.Notre étude se déroulera en deux temps. Le premierportera sur une revue de la littérature sur notre sujet. Lesecond sera consacré à la présentation des résultatsd’une première étude qualitative menée par entretiensemi-directif auprès de dix expatriés indiens enAllemagne.

1. L´expatriation, une source de mal-être

Si le bien-être affectif ou émotionnel joue à l’évidenceun rôle important dans la vie professionnelle, larecherche en gestion sur ce sujet reste plutôt clairsemée(Wright et Doherty, 1988). Plusieurs travaux font mal-gré tout ressortir que l’expatriation est une situationporteuse potentiellement de mal-être. Un minimumd’adaptation culturelle est nécessaire. Parfois, les expa-triés sont confrontés à un véritable choc culturel. Leurvie doit changer et ils en ressentent les contrecoups.Tout d’abord, les théoriciens de l´adaptation (Black1990 ; Dawis et Lofquist, 1984 ; Nicholson, 1984) sug-gèrent que le fait de vivre dans un nouvel environ-nement peut créer un niveau important d´incertitude.Black, Gregensen et Mendenhall (1992) expliquent quece dernier provient de la perturbation inévitable des rou-

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Martine BRASSEUR et Arun Kumar DHADWAL

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tines, due à l’impossibilité pour les individus de con-server leurs habitudes, leurs rituels, qu’ils ont besoin dedévelopper afin de maîtriser a minima leur vie, d’enpréserver un certain niveau de prévisibilité1. S’adapterdevient alors nécessaire. En appui sur des théoriesissues de l´anthropologie, de la psychologie sociale, dela psychologie interculturelle et de la sociologie,Mendenhall et Oddou (1985) ont proposé une visionintégrée des quatre dimensions personnelles sollicitéesdans le processus d’adaptation : la dimension person-nelle, la dimension relationnelle, la dimension per-ceptuelle et la dimension culturelle (voir figure 1). Tousles individus ne présenteront donc pas la même capa-cité d’adaptation en situation d’expatriation. Si cer-taines différences sont de l’ordre de la capacité poten-tielle ou de la personnalité, d’autres peuvent se déclinercomme des compétences et donc s’acquérir et sedévelopper.

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La dimension personnelle· La capacité de substitution· La capacité de faire face au stress· La compétence technique

La dimension relationnelle· Le développement de la relation· La volonté de communiquer

La dimension perceptuelle

Adaptation

La dimension culturelle

1 Les habitudes qui deviennent puissantes une fois enracinées sontaussi présentes chez les animaux, de même que les rites (Lorenz ;1963).

Certaines dimensions relèvent de la volonté des person-nes et soulèvent la question de la motivation. Une phasede démotivation est-elle incontournable ? Joly (1990) aidentifié quatre phases de la vie psychique ou de « l’ex-périence existentielle en milieu étranger » que l’expatriétraverse durant la période d’affectation et de retour. Lapremière est « la phase d’enchantement » durant la-quelle il voit son expérience étrangère comme un défi,comme une occasion de découvertes et de se dépasserprofessionnellement. Cette phase est très propice poursa mobilisation. Sa volonté de s’adapter se traduira pardes tentatives de développement de relations avec lesnationaux et, d’efforts fournis pour l’organisation.Après cette euphorie, « la phase du négativisme ou-trancier » prend sa place. A ce moment, l’individu com-mence à ressentir le vide culturel. Les différences derapport au temps, de langage, de mode de raisonnementsemblent plus compliquées et sont vécues comme desdifficultés, ce qui se répercute négativement sur sesrelations avec son entourage professionnel ou non. Lorsde la troisième phase l’expatrié fait un choix entre« prendre ses distances ou s’intégrer », accepter le modede vie qui s’impose à lui ou le refuser complètement.De cette décision dépendra le succès de son séjour à l’é-tranger. Enfin, la dernière étape est définie par Jolycomme « le choc du retour ». C’est le négativisme, maiscette fois-ci envers son pays d’origine. Après sa longueabsence, il se sent perturbé par la « redécouverte » de sapropre culture et par sa sous utilisation sur le plan pro-fessionnel. A ce stade, une phase de mal-être sembleinévitable pour l’expatrié, quel que soit son potentield’adaptabilité.

Dès lors, peut-on prévenir le mal-être lié aux inévitablesdifficultés d’adaptation ? Black, Mendenhall et Oddou(1991) ont proposé un modèle distinguant chrono-logiquement deux étapes dans la gestion des expatriés :la gestion anticipatrice et la gestion en situation d’expatriation. La première étape va chercher à anticiper les difficultésd’adaptation des salariés. Elle privilégiera son expé-rience internationale antérieure et sa formation à l’ex-patriation, susceptibles de lui permettre de développerdes attentes plus réalistes concernant son séjour. La se-conde s’appuiera sur les différents leviers de gestion dela situation d’expatriation : le travail, l’organisationd’accueil, le hors travail et les facteurs individuels (voirfigure 2). Les auteurs soulignent l’importance de l’a-daptation du conjoint ou de la famille pour l’adaptationdes expatriés.

Figure 1 : Les dimensions de l´adaptabilité, d´aprèsMendenhall et Oddou (1985)

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Le choc des cultures est parfois plus important. Il setraduit non seulement par une perte de repères, maisaussi par un sentiment d’insécurité et une instabilité, ceque Guthrie (1975) désigne par une « fatigue cultu-relle ». Selon Smalley (1963), le choc de culture estaussi un choc de langue. Pour Kühlmann et Stahl (1998)c´est une phase de stress, de conflits entre deux cultures.Les expatriés peuvent également développer un com-portement inapproprié pour leur pays d’accueil. Eneffet, la culture a pour fonction de coordonner les acti-vités des membres d’un groupe ou d’une société. Ellepermet aux individus de s’intégrer, de se socialiser endéveloppant les comportements appropriés à leur envi-ronnement relationnel. D´après Joly (1991), la cultureconstitue le pont entre l´individu et la société dont il faitpartie. S’appuyant sur plusieurs définitions de la cul-ture, Adler (1986) la présentera comme l´acceptationdes valeurs et des pratiques communes qui assure lacontinuité et la pérennité d´une société dans le temps.Le chercheur hollandais Hofstede (1993), s’intéresseraau phénomène de culture nationale à travers l’étudeentre 1967 et 1978 d’une multinationale américainereprésentée dans plus de 50 pays, et proposera la défi-nition suivante : « La culture c’est la programmationcollective de l’esprit humain qui permet de distinguerles membres d’une catégorie d'hommes par rapport àune autre ».A partir de ce constat, est-il préférable de limiter l’ex-patriation à des cultures suffisamment proches de la cul-ture d’origine des expatriés pour prévenir les risques dechoc culturel ? Sanchez, Spector et Cooper (2000)répondraient certainement par la négative. Ils souli-gnent, en effet, le caractère potentiellement positif du

choc culturel. La confrontation avec une cultureétrangère est une source de développement identitairepour les expatriés. Elle lui permet de mieux connaître saculture d’origine et d’identifier, de comprendre ses pro-pres façons de penser et de se comporter.L’apprentissage de l’autre et de soi-même représenteune réponse naturelle à l’immersion dans une culturedifférente. L’intensité du choc peut même être inter-prétée comme l’indicateur du niveau d’implication del’expatrié dans sa culture d’accueil. Elle reste faiblepour les personnes qui se contentent de s’isoler avec lesautres expatriés (Adler, 1986). Une forte intensité si-gnale au contraire que le processus d’adaptation dusalarié est enclenché. Un changement doit donc s’opérer par la confrontationdes cultures. Le refus de certains expatriés de s’im-merger dans leur culture d’accueil serait une forme derésistance. Selon Kets de Vries (1998), six facteurs derésistance au changement peuvent être repérés : la pertede sécurité liée au « familier », qui provoque l’anxiété ;la peur de manquer de compétences nécessaires pourchanger ; la perte des conditions favorables de travail oude liberté ; la perte de responsabilité et d´autorité, ainsique du statut et des privilèges qui les accompagnent ;l´interprétation du changement comme attaque concer-nant les performances passées et la menace concernantles alliances, les contacts et les amitiés. A cette questionde savoir pourquoi nous avons tant de mal à accepter lechangement, Chaize (1998), quant à lui répond que

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Figure 2 : Le modèle d´adaptation de Black, Mendenhall et Oddou (1991)2

2 Les chiffres entre parenthèses indiquent, pour chaque facteur d’a-daptation, les facettes de l´adaptation sur lesquelles il est supposéavoir un effet.

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même lorsque le changement est sous nos yeux, « notrecerveau trie en fonction de schémas déjà enregistrés »(p. 117) et que nous refusons de voir ce qui met en jeunos émotions et son cortège de douleurs prévisibles. Larésistance au changement ressort ainsi comme un fac-teur du mal-être. D’une façon générale, que l’expatriation soit vécuecomme un arrachement, une perte des repères oucomme une source de peur, voire même d’angoisse, elleest porteuse de mal-être.

2. Le cas des expatriés indiens en Allemagne

Des questions restent posées. Tout d’abord, quels sontles effets de ce mal-être des expatriés, par delà le cons-tat d’une diminution ponctuelle de la performance autravail dans la phase d’adaptation ? Quelles pratiques degestion sont envisageables pour le limiter ou favorisersa disparition ? Quelles sont les réactions des intéressésface à ces situations qui sont source de mal-être ?L’objectif de notre recherche est d’approfondir la pro-blématique du mal-être chez les expatriés et d’identifierles leviers de gestion. Pour cela, nous avons mis enœuvre une méthodologie qualitative sous la forme d’en-tretiens semi-directifs, qui se sont déroulés en deuxtemps. Dans la première partie de l’entretien, nousavons recueilli le récit des sujets sur leur vécu de l’ex-patriation. Dans un deuxième temps, nous nous sommesappuyés sur un guide d’entretien pour approfondir leséléments mis en évidence dans la revue de la littérature,notamment sur les facteurs de mal-être et le processusd’adaptation culturelle. Notre population de recherche aété constituée par des expatriés, c’est-à-dire desingénieurs et des cadres envoyés par leur entreprisepour une durée de plus de six mois à l´étranger. Nousnous sommes focalisés sur le secteur privé. En effet,selon Waxin (2000), les cadres publics internationauxsont amenés à vivre continuellement à l´étranger et dansdes conditions particulières, différentes de celles desexpatriés du secteur privé. Ils doivent donc faire l´objetd´une étude spécifique. Nous avons choisi d’interrogerles expatriés qui sont en poste depuis au moins six mois,pour que leur expérience de l’expatriation soit suf-fisamment riche et puisse nous fournir des informationspertinentes. Enfin, nous avons recherché des expatriésvivant un choc culturel important sans que leur situationd’expatriation n’apparaisse comme marginale. Notreétude s’est ainsi ciblée sur les expatriés indiens enAllemagne, dont la culture d’origine présente degrandes différences avec la culture du pays d’accueileuropéen (Madoun, 2003) et qui s’avèrent suffisam-ment nombreux du fait des multiples accords conclusentre les entreprises indiennes et allemandes. Dans cetarticle, nous nous sommes appuyés sur l’exploitationdes résultats de dix premiers entretiens auprès de 4

femmes et 6 hommes indiens entre 28 et 36 ans, rési-dant en Allemagne depuis 8 à 28 mois. Nous avons retrouvé chez ces expatriés le mal-être évo-qué dans la revue de la littérature. Les personnes inter-rogées ont ainsi exprimé leur insatisfaction concernantleur mode de vie dans leur pays d’accueil. Ceux qui tra-vaillent dans les grandes villes comme Munich trouventque le coût de la vie est très élevé. En outre, ils éprou-vent des difficultés à trouver un logement. Celui-ci estsouvent loin de lieu de travail. L’utilisation quotidiennedes transports en commun est également vécue commepénible. L’adaptation de la famille est, par ailleurs,laborieuse, qu’il s’agisse de l´éducation des enfants oude l’acceptation des conditions matérielles de vie, con-sidérées comme rudes. De la nourriture, encore plusproblématique pour les quelques expatriés végétariens,aux différences climatiques, citées par cinq personnescomme la raison de leur mal-être, vivre au quotidien estconsidéré comme difficile. Leur mal-être ressort égale-ment lié aux difficultés de communication dans la viequotidienne. La plupart des expatriés évoque un pro-blème de compréhension, dû au fait que c’est l’anglaiset non l’allemand qui est la première langue apprise parles indiens. Ainsi un répondant a indiqué que, pour lui,la conversation avec des personnes non anglophonesétait pénible. On retrouve de la même façon, l’expres-sion d’un mal-être lié aux nombreux changements, aux-quels ils doivent faire face ou à l’adaptation à des situations nouvelles. Ils décrivent l’expatriation commeun arrachement, une perte des repères. La transition decarrières est aussi évoquée, le changement de pays s’ac-compagnant souvent d’un changement de travail, voirede niveau de responsabilités. Les termes utilisés pourqualifier le ressenti de l’expatrié rejoignent les carac-téristiques du mal-être pointées dans la littérature : l’in-certitude, le sentiment d’être déraciné ou encore la peur.Il est à noter que le niveau d’altération du bien-êtreressort comme variable selon les individus, allant de« je me sens mal dans ma peau » à « je me sens com-plètement déraciné ». Enfin, le choc des cultures a étélargement évoqué par la plupart des répondants, luiattribuant comme principales causes : les formules depolitesse, les valeurs, l´éducation, le langage du corps,les codes d´une société, les coutumes, les valeursmorales, la vulgarité dans la publicité ou encore lesrelations sociales. La majorité des personnes inter-rogées a essayé de définir cette confrontation culturelle.Un expatrié travaillant à Kaiserslautern a ainsi déclaré :« Pour moi, c’est quand je me perds et je ne trouve pasmes repères. C´est quelque chose qui met en questionmes valeurs, mon éducation et ma façon de penser. »Trois types de mal-être peuvent être distingués en fonc-tion de la nature de ses répercussions psychologique,physique ou comportemental (voir figure 3). Les mani-festations psychologiques liées au mal-être des expa-triés, évoquées au cours de nos entretiens, sont ladépression, le manque de confiance en soi, le repli sur

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soi ou le manque de concentration. A travers le discoursde nos répondants, nous avons également relevé lesmanifestations physiques suivantes : l’hypertension, legain ou la perte de poids, l’acidité gastrique, les insom-nies, la nervosité, ainsi que les maux de tête et d´esto-mac. Quant au changement comportemental, il cor-respond à une augmentation de la consommation

d´alcool ou de cigarettes, ou encore le fait de parlermoins ou de devenir colérique.

Les personnes interrogées ont fait également part de cequi les aidait à gérer leur mal-être. L’existence d’unsoutien social semble jouer un rôle très important. Sasource la plus citée est le conjoint ou la famille.

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Figure 3 : Les trois types de mal-être ressortant des entretiens

Viennent ensuite les relations professionnelles, les col-lègues ou les supérieurs hiérarchiques, puis les relationsamicales, les amis allemands. L’un des expatriés inter-rogés a estimé qu´aucun soutien social ne pouvaitl’aider. Selon lui, il arrive à gérer son mal-être enréfléchissant et en prenant un peu de recul. D’autres ontrecours à la musique, aux sorties culturelles, aux pro-menades, aux exercices physiques ou au yoga, ce quisemble relever de l’évasion ou du défoulement. Dansnotre échantillon, une seule personne a consulté unmédecin et pris des médicaments. Elle a toutefois ajoutéqu’il ne s’agissait là que d’une solution ponctuelle.Nos résultats d’entretien, qu’il s’agisse des symptômesdu mal-être à son mode de gestion, nous sont apparuscomme présentant de fortes similitudes avec les résul-tats des travaux sur le stress (Roques, 1999). Défini parEdwards (1992) comme une discordance entre l´étatperçu et l´état souhaité par une personne, la situationstressante risque d’altérer son bien-être, c’est-à-dire sa

santé mentale et physique, et la conduit à mettre enœuvre une stratégie d´ajustement, dans l’objectif soit derestaurer son bien-être, soit de supprimer la source destress. Dans le premier cas, l’individu stressé pourra,par exemple, chercher à rationaliser son angoisse. Dansle second, il pourra quitter son emploi. Cooper (1986) aétabli une relation entre les sources de stress profes-sionnel, les caractéristiques individuelles et les symp-tômes développés par les salariés. Si notre rechercheporte la gestion du mal-être, dont le stress est l’une descomposantes, les théories sur le stress semble ainsi nousouvrir des pistes à investiguer.

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Conclusion

Arrivés en pays d'accueil, le salarié et sa famille subis-sent une série d'épreuves psychologiques prévisibles.Des hauts et des bas émotionnels s'entremêlent issus desimpératifs d'intégration au travail, à l'école et d’unerecherche d’équilibre familiale. Nous avons retrouvéchez les expatriés indiens travaillant en Allemagne denotre étude qualitative, un mal-être associé à leur situa-tion. Celui-ci semble dû en grande partie à leurs diffi-cultés d’adaptation, aux changements dans leur vie quo-tidienne : au choc culturel. Leur mal-être semble semanifester à trois niveaux : physique, comportementalet psychologique. Ils arrivent à le gérer grâce au soutiende leur famille, à leurs relations professionnelles ouamicales, en consacrant leurs temps aux loisirs etponctuellement en consultant des médecins. Cetterecherche débouche sur de nombreuses perspectivesconcernant les facteurs de mal-être au travail et lesmodes de prévention. L’étude des expatriés quittant leurpays d’accueil avant la fin de leur contrat ou encorecelle du mal-être dans la phase de retour dans le paysd’origine après une expérience d’expatriation réussie,restent à mettre en œuvre. Les mécanismes d’adaptationculturelle des salariés sont également toujours à appro-fondir. Plus globalement, notre première explorationmet en évidence l’existence d’un mal-être au travail ensituation d’expatriation. Par delà les préoccupations deperformance au travail, ce constat ne peut qu’interpellerles gestionnaires, ceux du moins qui s’interrogent sur laresponsabilité sociale des entreprises.

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Expatriation et mal-être au travailLe cas des expatriés indiens en Allemagne

Martine BRASSEUR et Arun Kumar DHADWAL

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Expatriation et mal-être au travailLe cas des expatriés indiens en Allemagne

Martine BRASSEUR et Arun Kumar DHADWAL

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Audit de l’implication autravail : le cas des infirmières hospitalières

Martine BRASSEUR Maître de ConférencesCEROG - IAE AIX-EN-PROVENCETél. 04 42 28 08 [email protected]

Héla Janet MZABIDoctoranteCEROG - IAE [email protected]

L’objectif de cet article est d’enrichir laproblématique de l’implication des salariés et plus

particulièrement celle des infirmières hospitalières dansun contexte de mécontentement et de pénurie de maind’œuvre. Pour cela, nous avons dans un premier tempsrépertorié les différentes théories de la littérature enfonction d’une part des différents objets del’implication que nous avons recensés, d’autre part de ladimension attitudinale concernée, soit affective,cognitive ou conative. Dans un deuxième temps, nousavons tenté, à partir d’entretiens recueillis auprèsd’elles, de mettre en avant les éléments causantl’intention de quitter aussi bien le service, la structureque le métier.Les rues de France ont été régulièrement le théâtre demanifestations du personnel soignant, qui protestecontre leurs conditions de travail et le manqued’effectifs. Les hôpitaux se trouvent face à la difficultéde conserver leurs employés et plus particulièrementleurs infirmières, dans un environnement demécontentement et de pénurie de personnel qualifié.Retenir les personnes recrutées est aujourd’hui une despréoccupations majeures des directeurs de ressourceshumaines des administrations hospitalières. La durée devie professionnelle d’un infirmier diplômé de l’Etatvariait selon les études, la plus récente l’estimait à huitans 1. Cela est d’autant plus complexe, que les infirmièrespeuvent exprimer aussi bien l’envie de travailler dansd’autres services (afin de voir des pathologies variéespar exemple), dans une autre structure que de quitter lemétier. Se pose ainsi, le problème de la loyauté et duturn-over, et plus largement de l’implication au travail.Or, selon Thévenet « l’implication est une forme derelation entre la personne et son travail qui comporteplus ou moins de potentiel et le problème est de repérercette ressource, de la décrire, d’en repérer lescomposantes, les origines, les dimensions de façon àadapter des politiques aux actions » (2000, p349).Notre démarche sera de présenter dans un premiertemps, en appui sur une revue de la littérature, unedéfinition de ce concept en fonction d’une part desdifférents objets d’implication recensés et d’autre partde la dimension attitudinale concernée. Dans undeuxième temps, nous amorcerons un audit del’implication des infirmières hospitalières à partir d’uneenquête menée auprès de dix d’entre elles, travaillantdans les hôpitaux du Sud de la France. Nous tenteronsainsi d’apporter des explications quant aux raisons quiincitent à quitter leur service, la structure dans laquelleelles exercent, et même le métier.

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1 Selon une étude de la CNAMTS réalisée en 2001.

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1. Définition de l’implication Le concept d’implication a fait l’objet de nombreuxtravaux de recherche. Morrow (1983) a ainsi recenséplus d’une trentaine de définitions dans la littératureanglo-saxonne désignée par le terme commitment. Auvu de toutes ces explicitations, il est apparu quel’implication peut être définie comme une relation entreune personne (le sujet) et une composante de sasituation de travail (l’objet). Selon Thévenet (1993),« la question de l’implication part du principe que l’onne peut être membre d’un groupe sans construireprogressivement avec lui une relation et sans êtreconstruit en partie soi même dans cette relation »(p.33). Par ailleurs, comme le soulignent Lincoln etKalleberg (1996), l’implication peut être explicitéecomme une attitude. Concept quelque peu complexe àdéfinir, elle est d’après Tafani et Souchet (2001, p59)« un processus difficile à observer directement,puisqu’interne au sujet, (et cela) qu’elle soit définiecomme « un mécanisme psychologique » (Thomas etZnaniecki, 1918), comme « un état mental » (Allport,1935) ou comme « une tendance psychologique »(Eagly & Chaiken, 1993) ». Le niveau d’implication dessalariés est donc difficilement identifiable directementpar les managers. Par ailleurs, l’attitude présente trois composantes(Rosenberg et Hovland, 1960) : une dimensionaffective, qui renvoie à l’affect du sujet, à sessentiments et à ses émotions; une dimension conativequi regroupe ses intentions d’agir ; et une dimensioncognitive qui fait référence à ses croyances, sonjugement et à ses pensées. De plus, les attitudes, aussi bien générales quespécifiques à un contexte, ont chacune un objet(Fishbein et Ajzen, 1975), ce qui signifie qu’unepersonne ne sera jamais « pour » dans l’absolu. Ellepourra par exemple adhérer à un projet et tout enrefusant certaines modalités d’exécution par exemple.Ainsi le fait d’appréhender l’implication comme uneattitude nous permet de catégoriser les définitionssuivant deux approches sur l’implication : l’une parl’objet, l’autre par ses trois dimensions.

1.1 Les objets de l’implication

De nombreux objets de l’implication (Randall & Cote,1991; Blau, Allison & Saint John, 1993) ressortent denotre revue de la littérature. Ils font référence auxdifférentes composantes de la situation professionnellequ’il s’agisse de l’organisation, de la collectivité detravail, du métier ou de la profession, du travail, del’emploi, de la carrière ou encore du syndicat. Les recherches portant sur l’implication organisa-tionnelle des salariés semblent être les plus fréquentes.Elles se focalisent sur le rapport entre le sujet et sa

situation de travail, telle que l’organisation et cela par lebiais de son attitude vis à vis des valeurs, des buts, dusystème de gestion de cette structure. Ainsi l’intentionde rester de l’employé, sera liée non pas à son service,à son poste mais à l’entreprise. Le salarié de ce fait,pourra témoigner d’une mobilité interne relativementimportante. On observera le même cas de figure sil’objet de l’implication est la collectivité ou le groupede travail. En effet, les salariés vont développer unsentiment d’appartenance (Reichers, 1985), sematérialisant par un attachement et une identificationaux valeurs du groupe. Cet attachement sera d’autantplus fort que le groupe sera restreint (Yoon, Baker etKo, 1994) car permettant de meilleures relationsinterpersonnelles. Un autre objet d’implication est lemétier ou la profession correspondant à un processusd’« identification à une profession (acceptation des butset valeurs de la profession), la volonté d’exercer desefforts pour s’engager dans cette profession et le désirde rester dans la profession » (Aranya et Ferris, 1984,p 3). Le lien développé par un individu avec sonorganisation et sa profession semble comporter desressorts identiques avec la définition de Porter,Mowday, Steers et Boulian2 (1974). Randall et Cote(1991), quant à eux, invoquent l’attraction du métiercomme choix de longue durée, représentant ainsi uneoption de carrière. La carrière peut également, être unobjet d’implication, comme le montre Greenhaus(1971), et cela en fonction de « l’importance du travailet de la carrière dans la vie de l’individu ». Greenhauset Sklarew (1981) développeront cette idée en larattachant à la planification des perspectives de carrière.Ils la considèrent de ce fait comme une attitude généraleau travail mais en la distinguant de l’implication dans letravail. En effet, celle-ci est assimilée à la valeuraccordée par le salarié au travail ainsi qu’à la place qu’iloccupe dans sa vie, alors que l’implication envers lacarrière portera sur sa trajectoire professionnelle. L’emploi peut représenter également un objetd’implication. Dans ce cas, le salarié attend en retour deson travail soit une rémunération, soit des perspectivesde carrières ou toutes autres rétributions quantitativeset/ou qualitatives. Ainsi l’implication de l’employéportera sur l’échange perçu en contrepartie du travailfourni et indépendamment de son organisation ou deson activité. Enfin, l’implication peut porter sur le syndicalisme(Dalton et Taylor, 1982 ; Colon et Gallagher, 1987).Ainsi, l’adhésion du salarié, l’action de l’entrepriseconcernera non pas l’organisation, mais une entitéreprésentative des employés.

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2 « Such commitment can be characterized by at least three factors:a strong belief in and acceptance of the organization’s goals andvalues; (b) a willingness to exert considerable effort on behalf ofthe organization; (c) a definite desire to maintain organizationalmembership » (Porter, Steers, Mowday et Boulian, 1974, p 604)

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Même si la majorité des théories sur l’implicationportent sur un objet unique, Morrow (1993) a tenté dedéfinir globalement ce concept, sous l’appellationgénérique « d’implication au travail », en abordantplusieurs. Elle a pris en compte conjointementl’organisation, la carrière, l’emploi et le travail.

1.2 Les trois dimensions del’implication :

La deuxième approche de définition de l’implicationporte sur les dimensions de l’attitude: affective,conative et cognitive. On l’abordera en positionnant lesdifférents courants théoriques de l’implication parrapport à ces mêmes dimensions. (voir schéma 1)Il apparaît que la dimension affective de l’implicationfait référence à l’attachement affectif et émotionnel dusalarié. Plusieurs théories peuvent être recensées enfonction de l’objet de son implication. Ainsi Sheldon(1971) ou Kanter (1968) se focaliseront sur les relationsentretenues par le salarié avec les membres del’organisation alors que d’autres traiteront del’implication organisationnelle en la considérantcomme un partage d’objectifs et de buts de l’entreprisesous l’angle de l’attachement affectif (Buchanan, 1974).De la même façon, les théories, définissantl’implication comme le degré par lequel un individus’identifie psychologiquement à son travail (Lodhal et

Kejner, 1965 ; Morrow, 1983), semblent ne traiter quede l’aspect émotionnel et affectif, que le travail soitconsidéré comme « une contribution de l’estime desoi » (Baba, 1989, p191) ou non. Nous avons égalementrépertorié sur cet axe l’approche de l’implicationcomme une identification à l’organisation car tout enétant lié au sentiment d’appartenance (Cohen, 1993 ;Lincoln et Kalleberg, 1996), elle reste toujours définiecomme un attachement psychologique ressenti par lapersonne (O’Reilly et Chartman, 1986). La dimension cognitive fait référence tout d’abord àl’approche instrumentale ou calculée de l’implication(Commeiras,1994), définie à partir de la théorie desavantages comparatifs (Becker,1960) qui considère queles salariés évaluent les bénéfices et les coûtsprofessionnels et personnels de leur implication. Ladimension cognitive ne se limite pas à un simple calculd’intérêts. L’implication du salarié peut être égalementfonction des attentes qu’il a envers sa situationprofessionnelle, de ce qu’il peut percevoir. Elledépendra alors de ses croyances et de ses perceptions.Les employés qui croient qu’il existe des opportunitésinternes de carrière, que l’entreprise essaie de leurgarantir la sécurité de l’emploi, sont plus impliquésenvers leur entreprise que ceux qui ne le pensent pas(Gaertner et Nollen, 1989). Concernant la troisième dimension de l’attitude, nousn’avons pas répertorié de définition purement conativede l’implication relative à l’intention d’agir. Cettedernière apparaît clairement lorsqu’il fait référence à

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Schéma 1 : Catégorisation des courants théoriques de l’implication selon les trois dimensions de l’attitude

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une mobilisation d’énergie ou à une fidélisationaffective des salariés. Mowday, Porter, Steers etBoulian (1974) évoqueront « une volonté d’exercer uneffort pour l’organisation et le désir d’en restermembre » (p 604). Kanter (1968) et son concept de« continuance commitment » a associé l’approcheinstrumentaliste à la décision de partir ou de rester dansl’organisation. Certaines théories vont considérer les deux dimensionsà la fois. Elles prennent en compte, par exemple, uneforme d’implication faisant intervenir les valeurs etl’éthique du sujet (Weber, 1958 ; Morrow, 1983) telsque : la conviction que le travail est bien en soi ou quela valeur morale se mesure aux efforts que l’on yfournit. Ainsi un employé peut se contraindre àtravailler en dépit de ce qu’il ressent ou éprouver de lajoie car il partage les mêmes valeurs et croyances. C’estce qu’on retrouve dans l’implication normative qui faitréférence à l’ensemble des pressions normativesinternalisées qui poussent un individu à agir dans lesens des objectifs et des intérêts de l’entreprise pourl’unique raison qu’il est moral d’agir ainsi (Wiener,1982). L’implication apparaît de ce fait selon Allen etMeyer (1991) comme un état psychologique résultantdes désirs, de la volonté, des devoirs, des intérêts dusalarié, des intentions d’action dans l’entreprise et del’intention ou non de la quitter, et cela selon unprocessus complexe d’articulation. Ceux-ci ont déjàintroduit en 1984 la notion de « continuancecommitment » se traduisant par la volonté de rester ounon membre de l’organisation, et qui semble liée auxautres formes d’implication. Durrieu et Roussel (2002)proposeront ainsi comme définition del’implication organisationnelle : « attitude de l’individucorrespondant d’une part à son attachement affectif àl’organisation dans laquelle il travaille et au partagedes valeurs communes ; d’autre part à son choixraisonné de lui rester fidèle, fonction de l’évaluationqu’il fait du coût d’opportunité de partir ou de rester,enfin à l’obligation morale qu’il ressent de lui êtrefidèle et d’accomplir son devoir jusqu’au bout » (p.7).

Les formes d’implication ressorties sont donc multiples.Elles varient en fonction de l’objet et des dimensionsattitudinales consacrées. Ainsi, des employés peuventglobalement témoigner d’une forte implication dansleur métier mais d’une faible implication dansl’organisation, ce qui permet d’expliquer leur taux deturn-over. Une forte implication dans le métier peutlimiter l’implication dans la carrière; certainespersonnes préférant continuer à exercer l’activité àlaquelle elles se sont par exemple identifiées, plutôt queprogresser. D’autres cas de figure sont analysables : lessalariés impliqués faiblement au travail mais fortementdans leur emploi car il leur laisse beaucoup de temps àconsacrer à leur famille ou aux loisirs ; les salariésimpliqués fortement dans leur collectivité de travail, à

laquelle ils se sentent solidaires, mais pas du tout dansl’organisation, dont ils ne partagent ni les valeursaffichées, ni les buts, qu’ils ne perçoivent pas commeles concernant ; les salariés fortement impliqués dansleur équipe de travail mais pas du tout dans leurcollectivité de travail, considérée dans son ensemble.

2. Audit de l’implication des infirmièreshospitalières

C’est dans ce cadre que notre problématique s’estconstruite. Nous étudions la population infirmière,traditionnellement considérée comme impliquée vis àvis de son métier, de son travail, mais dont la durée devie professionnelle est de plus en plus courte. Commentexpliquer leur fort taux de mécontentement ou même deturn-over ? Nous allons tenter de l’expliciter enamorçant un audit de l’implication.Pour cela nous nous proposons de réaliser une grille quipermet de croiser les objets de l’implication et chacunede ses dimensions attitudinales. Celle-ci vise à identifierles attitudes de toutes les personnes interrogées vis à visde chaque objet. Nous qualifierons de « positives » lesattitudes qui montrent une implication effective enversl’objet étudié, et « négatives » celles qui correspon-draient à un manque d’implication ou à unedésimplication vis à vis de cet objet.Notre objectif dans cette deuxième partie sera de mettreen exergue les éléments de la dimension affective etcognitive qui permettrait de comprendre l’intention dequitter des infirmières à savoir la dimension conative.Cette enquête par entretiens auprès de dix infirmièresemployées dans trois hôpitaux publics du Sud de laFrance, entre dans le cadre d’une recherche plusimportante. Huit d’entre elles travaillent aux urgenceset les deux autres dans un service de gastro-entérologie. Suite aux entretiens menés auprès des infirmières, nousavons pu identifier différents objets d’implication : leservice dans lequel chacune d’elle travaille ;l’organisation, ici l’hôpital public ; et le métier. Les résultats obtenus seront synthétisés suivant unegrille, présentée en annexe.

2.1 Audit de l’implication au service

L’une des particularités de cette profession est lapolyvalence des infirmières qui peuvent, de ce fait,exercer dans la grande majorité des services. C’est ainsi

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que quatre infirmières des urgences ont fait part de leurintention de quitter le service, deux d’entre elles en ontdéjà fait la demande, classée sans suite. Bien qu’ayantfait part de la richesse de ce service, des pathologiesvariées et un fort niveau de technicité, elles n’éprouventplus le désir d’y exercer d’avantage « c’est un servicequi est très intéressant qui est très diversifié et qui esttrès dur aussi parce que très violent », « j’aimebeaucoup mieux le travail que je fais à l’hôpital ; letravail est technique (…) mais je suis arrivé à un stadede saturation extrême, c’est pas possible de faire plus jevais travailler à reculons ».

L’analyse des entretiens recueillis, nous permet demettre en évidence, selon les dimensions de l’attitude(cf. grille), les éléments suivants :

• Le manque de reconnaissance : les infirmièressouffrent d’un manque de reconnaissance que ce soitpar les patients, les cadres infirmiers que par lesmédecins (plus rare). Celui des malades se manifesteaussi bien par l’agressivité verbale et physique : « ilscrachent par terre ils jettent les papiers, ils insultent lesgens, ils frappent comme dans la rue », « c’estl’agressivité qui fait partir les infirmiers et qui les faitpeur » ou encore « du moment qu’il y a marquéurgences il faut qu’ils soient servis en premier. On estsouvent confronté à leur agressivité », que parl’absence de remerciements. Celui des cadresinfirmiers qui sont leurs supérieurs hiérarchiques:« j’ai besoin que de temps en temps on me le dise, jesuis content de ce que tu as fais, et je suis contentd’avoir bossé avec toi, et moi je ne l’ai pas ce retourlà » ; à qui elles reprochent également un déficit decommunication et de considération : « la surveillantequi parfois prend des décisions comme ça d’un coupsans en parler à son personnel sans le consulter et sanslui demander son avis ». Deux d’entre elles reprochentun manque de reconnaissance des médecins « on estjuste les larbins, on exécute les ordres des médecinssans qu’ils ne nous donnent d’explication ».

• Le manque de relationnel : l’un des soins les plusimportants de l’infirmière est l’écoute du patient. Elleaccorde de ce fait, une importance au relationnel. Or celles-ci parle d’un manque de relationnel qui lesconduit à un sentiment d’insatisfaction du travailfourni. « On nous donne de moins en moins les moyensd’être proche des patients, on est de moins en moinssatisfait du travail qu’on peut faire » ; « j’ai envie de meposer, d’être à l’écoute des gens, de voir ailleurs justepour le relationnel ». Les relations avec les autresinfirmières tiennent une place importante, or un déficitrelationnel semble être à l’origine de la non-implicationde deux d’entre elles : « il n’y a pas de notion d’équipedans ce service même si d’apparence c’est trèssympathique et très jovial, ce n’est pas du tout solidaireet l’organisation est très limite dans ce service ».

• La nature de l’activité de leur service : les urgencessont un service à part, car porteur d’une fatiguenerveuse et physique. En effet, les infirmières sedoivent d’être aux aguets, concentrées et très efficaceshuit heures d’affilées ; les cas qu’elles rencontrentétant souvent très graves. Elles doivent gérer aussibien des pathologies complexes, les familles desmalades, souvent désorientées par la gravité de lasituation, que leurs propres affects (tristesse, colère etémoi). Autant de situations très éprouvantes pourelles. Cette fatigue est due également au nombre trèsimportant de malades qu’elles voient passer chaquejour, vu que les urgences sont le laisser passer vers lesautres services. « C’est pénible parce qu’il n’y a pas demoments de répit », « c’est très difficile d’un niveaupsychologique, on a une pression permanente »; « letravail, le stress, l’agitation, l’énervement, la façon detravailler, je dirais que c’est de l’abattage tout ça, j’aienvie de me repositionner par rapport à tout ça ».

Le manque de reconnaissance et de relationnel, ainsique la nature de l’activité du service sont répertoriés auniveau de la dimension affective de l’attitude.

• Les conditions de travail : les horaires de travail ainsique le manque de personnel en sont les principauxconstituants. Les infirmières travaillent soit le matin(6h - 14h) soit l’après midi (13h - 21h), pour celles quisont de jour, les week-ends, les jours fériés. De ce fait,elles ont l’impression de sacrifier leur vie de famille,surtout qu’aux urgences le manque de personnel faitque les roulements et les gardes sont peu échelonnés.« On a des enfants et nos horaires sont quand mêmepénibles », « les copines qui se retrouvent à travailleren sous-nombre, on ne peut pas les laisser tomber (…)on est fatigué, on revient sur nos jours de repos, on nepeut pas avoir nos repos, on a l’impression de ne faireque ça (…) j’ai envie de changer de spécialité d’allertravailler dans un autre service ». Elles estiment quecela leur permettra d’avoir plus de temps à consacreraux patients, d’être plus proches d’eux et ainsiaméliorer la qualité des soins prodigués.

Les conditions de travail sont des éléments de ladimension cognitive de l’attitude.

Toutes les personnes interrogées nous ont faitremarquer que plusieurs de leurs collègues ont expriméune intention de partir mais celle-ci n’a jamais étématérialisée pour la majorité d’entre eux. Ellesexpliquent cela soit par la peur du changement, « on saitce qu’on a mais on ne sait pas ce qu’on perd », parl’habitude qui s’est installée, « on a ses habitudes, sesrepères dans un service », par la conviction de retrouverles mêmes soucis dans un autre service « les problèmessont partout les mêmes ».

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2.2 Audit de l’implication à l’hôpitalpublic

Autre particularité, la pénurie d’infirmières sur le marchédu travail qui les met en position favorable pour changerd’organisation, si elles en sentent le besoin, sans avoirpeur du chômage. Ainsi, quatre des personnes interrogéesont fait part de leur intention de quitter l’hôpital 3.Toutefois, un manque d’implication envers cetteorganisation était flagrant auprès des dix personnesquestionnées « mon hôpital… ni chaud ni froid l’un dansl’autre », « Moi l’administration je m’en fous ». Nous avons synthétisé dans ce qui suit, les élémentsconduisant à exprimer l’intention de départ de lastructure :

• Le manque de reconnaissance de l’administration :huit infirmières abordent cet aspect. Elles estimentjouer un rôle important à l’hôpital « sans nous, leservice ne tournerait pas », mais l’administration nesemble pas, selon elles, avoir de la reconnaissanceenvers le travail qu’elles accomplissent « je trouvequ’il n’y a aucune reconnaissance je parle despersonnes qui gèrent l’hôpital », « on n’est pas du toutconsidéré et du coup c’est ça ce qui fait partir les gens,ils ont envie d’être reconnus pour leur profession et cen’est pas le cas », « il manque la reconnaissance et lerespect de la profession par l’administration et ceuxqui la représente ». Vu que l’hôpital est en pénuried’infirmières, et qu’elles travaillent en sur-régimeelles estiment mériter des encouragements pour lesmotiver « Tous devraient nous encourager, mais cen’est pas le cas ».

• Le manque d’écoute accompagné d’un sentimentde rejet : elles estiment ne pas être assez écoutées,laissées pour compte dans les prises de décisions :« les décisions sont prises comme ça sans consulter lepersonnel et que l’administration ne tient pas comptede leurs suggestions », « quand je vois comment c’estgéré, je me dis mais pourquoi je reste là ? Ce qui medérange à l’hôpital c’est le manque d’écoute qu’onpeut avoir, c’est administration », « je fais partie dupersonnel de l’hôpital je veux être plus acteur de la viede l’hôpital et que chacun ait son mot à dire dans lagestion de l’ensemble de l’hôpital : ça passe parl’écoute et la communication ».

• La lourdeur administrative et de la hiérarchie : lesinfirmières ont beaucoup de mal à se faire écouter etcela est imputé également à une hiérarchie trèsimportante qui ne leur permet pas de communiqueravec les personnes intéressées. « La hiérarchie estlourde à l’hôpital », « j’aimerai par rapport à l’hôpital,moins de hiérarchie, moins de lourdeur, ce qui nousempêche de pouvoir avancer… Je trouve quel’administration est trop lourde ».

• La situation personnelle : trois des personnesinterrogées font part d’une possibilité de départ pourcause personnelle. En effet, deux personnes vontdemander leur mutation ou une mise en disponibilité,pour suivre leur conjoint qui a trouvé un travail dansune autre région. La troisième, prévoit de rentrer, dansun délai maximum de quatre ans, dans sa ville nataleau Nord de la France, retrouver les siens.

Au vu des discours que nous avons recueillis, lesinfirmières sont autant perturbées par ce qu’ellesressentent - tels que le manque de reconnaissance, lerejet par les collègues et par l’administration quant àl’importance de leur métier et du travail fourni - que parleurs convictions de gêner l’administration par leursrevendications, « on nous fait comprendre qu’on râletrop ». Elles mettent en avant le décalage entre leursdeux objectifs (l’un est de soigner à n’importe quel prixet l’autre, de le faire au moindre coût) et se retrouventpar conséquent ballottées entre leurs sentiments,émotions et affects envers leur structure, et les calculsrationnels afin de peser le pour et le contre quant àrester ou partir.Toutefois, on peut expliquer cette non-intentioneffective de quitter cette organisation, par le statut defonctionnaire qu’octroie l’hôpital à ses infirmières etpar conséquent aux avantages et à la sécurité d’emploiqu’il procure : « la fonction publique c’est quelquechose d’encré pour moi, les vacances sont dues ainsique les congés maladies ». Et pour celles qui désirentfaire carrière, l’hôpital octroie des formations gratuites,à celles qui aspirent à passer le concours de cadres, etdes remises à niveau. De plus le secteur privé ne semblepas les tenter vu qu’elles sont moins bien payées pour lemême travail « Partir pour le privé j’ai pas grand choseà y gagner parce que le salaire n’est pas en rapport.Donc je ne gagnerais rien ni en qualité de vie ni ensalaire ». Deux des personnes interrogées avaient l’intention dequitter l’hôpital dans l’objectif de s’installer dans lelibéral. L’une des deux s’est déjà installée depuis. Lechoix du libéral semble être dicté par l’envie d’uneamélioration de la qualité de vie d’une part, « l’aspectfinancier pèse tout de même, je ne me pose plus dequestions quant à quitter pour le libéral, maintenantc’est sûr », et par la quête d’un meilleur relationneld’autre part, « dans le libéral c’est encore plus affectifparce que c’est des gens qu’on suit sur des mois et desmois, tous les jours », « si je trouve une opportunitédans le relationnel qui me satisfait, une association dansle libéral, je le fais ».

3 Toutes les personnes interrogées assimilaient l’hôpital à l’admi-nistration qui le gère. Une des personnes a expliqué qu’elle nepouvait pas parler des murs, mais de personnes!

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2.3 Audit de l’implication au métier

Toutes les personnes interrogées, ont d’abord insisté surl’amour qu’elles portent à leur métier « mon métier jel’adore », « j’adore mon métier c’est une passion » « unmétier que je fais avec passion, avec envie ». Maisparadoxalement, huit d’entre elles ont fait part de leurintention de quitter ce métier. De plus, toutes ne sevoyaient pas faire ce métier ad vitam aeternam « je saisc’est que je ne ferais pas infirmière jusqu’à 65 ans »,« je ne pense pas que je vais faire infirmière toute mavie ». Toutefois, on distingue deux types dereconversions prévues: les personnes qui veulent resterdans le domaine de la santé (cadres infirmiers àl’hôpital pour quatre d’entre elles, puéricultrices ous’occuper de personnes âgées pour deux autres), etcelles qui veulent changer complètement de domaine« je monterai autre chose mais pas dans le domaine, j’aienvie de prendre en main un autre métier, je me donne10 ans maximum », comme celle qui a entamé lesprocédures d’acquisition d’une pizzeria avec sonconjoint.

Comment expliquer ce paradoxe, une tentative peut êtreamortie :

• La nature de l’activité : les infirmières sontconfrontées à la maladie, à la souffrance, à la mortquotidiennement. Cela semble avoir une incidencepsychologique qui entraîne un sentiment d’usure et defatigue.

• Le manque de personnel : le fait qu’elles travaillentquotidiennement en sous-effectif et qu’elles nerécupèrent pas assez bien, les roulements, pas assezespacés, sont les causes d’une usure, d’une fatigue etd’une lassitude.

• Le désir de progresser hiérarchiquement et de seréaliser : les infirmières n’ont quasiment pas lapossibilité d’évoluer hiératiquement si elles nereconvertissent pas et cela passe par des formationspuis par le concours des cadres infirmiers.

• Le désir d’améliorer la qualité de vie : lesinfirmières ont pendant toute la durée de leur vieprofessionnelle des horaires de travail assezcontraignants pour la vie personnelle et familiale. Ilarrive un temps où elles saturent, ne supportant plus depasser les week-ends et les jours fériés loin de lafamille.

Conclusion : Quel Constat pour l’hôpital,pour le métier ? Les responsables des hôpitaux sont conscients,aujourd’hui, de la pénurie du personnel infirmier dansleur structure, ainsi que de son mécontentement . Deplus, malgré un contexte suremploi, les hôpitauxn’arrivent pas à recruter suffisamment. Toutefois, pourque la situation ne s’aggrave pas, il est indispensableque les directeurs de ressources humaines mettent touten œuvre pour garder les infirmières déjà présentes dansleurs structures. En effet, le manque d’implication desces employés vis à vis de l’hôpital semble préoccupantcar pouvant conduire à des départs effectifs del’organisation. Au vu de l’enquête menée auprès de ces infirmières, ilsemblerait que celles ci soient perturbées à troisniveaux : le service dans lequel elles exercent, l’hôpitalet le métier en lui-même. Il est de ce fait, nécessaire pour les DRH qu’ilsdéveloppent la gestion du personnel et par conséquentprendre en compte l’humain dans la gestion. Cela passepar non seulement une gestion individualisée descadres-infirmiers et des infirmiers mais aussi par uneresponsabilisation de chacun dans le cadre d’unefonction personnel plus partagée à tous les niveauxcomme le préconise Peretti (1996). En effet, lesinfirmières ont fait part dans leur discours, d’une mise àl’écart dans toutes les décisions et de peu de prise encompte de leur avis. Ainsi un travail devrait être fait auniveau de chacun des services en créant une « celluled’écoute » assimilée aux cercles de qualité. De plus,former humainement les cadres de chaque service àpratiquer l’écoute des autres afin qu’ils puissentexprimer leurs opinions, leurs sentiments. Ceci nedevrait pas se limiter uniquement aux cadres desservices mais également tous les managers auxdifférents niveaux de l’administration. En effet, ils sontconfrontés à des personnes exerçant dans un domaineparticulier qui est la santé, et où des vies humaines sonten jeu, où le stress, les émotions sont très vives, et de cefait, les principes généraux rigides ne sont pas de mise,une évolution de la gestion est indispensable. A cela, un effort au niveau des recrutements de la partdes pouvoirs publics en débloquant des fonds, estindispensable dans un premier temps. Il doit êtreaccompagné par des actions concrètes au niveau deslycées afin encourager les bacheliers à s’engager danscette voie. Ainsi, les actions doivent être menées aussi bien enamont qu’en aval. En amont par les pouvoirs publics, eten aval par les managers et directeurs de ressourceshumaines.

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Annexe : Grille de l’implication par attitude et objet / Cas de l’intention de quitter

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Le managementenvironnemental,nouvel enjeu de laresponsabilitésociale de l’entreprise

Antoine CAPINIELLIDoctorantIAE de [email protected]

Si science économique et écologie se sont déjàrapprochées en théorie comme en pratique et, sitel n’était pas le cas pour la science de gestion, ce

positionnement tend à disparaître.

L’économie a pour définition étymologique « l’art debien administrer une maison ». Aussi, économie etécologie ont pour objectif de nous enseignerl’administration rationnelle de la Terre.Cette vocation première s’est diluée au contact desprincipes fondamentaux de l’optimum économique ;mais, comme le souligne René Passet : « la biosphère,ignorant les règles de l’optimum économique, possèdeses propres modèles d’ajustement. Il nous faut tenter dedéfinir une approche susceptible d’intégrer dans unemême logique les phénomènes de la sphère économiqueet ceux de la biosphère »1.

La gestion comme le souligne Pierre Lassègue estdevenue « le fait même pour la conduite desorganisations de recourir aux sciences ». « De fait,l’exercice de la gestion devient moins l’emploi deprocédures scientifiques dans le but d’administrer uneentreprise que l’attitude de l’homme des tempsmodernes qui ambitionne de résoudre un nombretoujours plus grand de problèmes pratiques, afind’améliorer ses conditions de vie matérielle etd’étendre son pouvoir »2.

Ainsi, « la protection de l’environnement devient unecontrainte que de plus en plus d’entreprises intègrentdans leurs prises de décisions et dans leurcommunication… Les entreprises sont de plus en plussouvent interpellées sur le plan de la protection del’environnement. L’impact de leur activité surl’environnement est alors évalué, commenté etmédiatisé… ».

« Pour certaines entreprises, cette ouverture a été etreste superficielle. D’autres ont modifié en profondeurleur mode de fonctionnement. À partir de leur degréd’implication, A. Vatimbella3 classe les entreprises quiont pris en compte cette dimension écologique en cinqcatégories : celles qui s’habillent en vert par lacommunication, celles qui créent des produits verts,celles qui intègrent complètement la dimensionécologique, celles dont la naissance est due à l’écologieet celles qui ont une vieille tradition écologique. Dansles entreprises, cette ouverture sur la protection del’environnement peut concerner toutes les dimensions

Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

1 R. PASSET, L’économie et le vivant, Payot, 1979.2 P.BARANGER, J-P HELFER, H. de la BRUSLERIE, J. ORSONI,

J-M. PERETTI, Gestion, Editions Vuibert 1991.3 A. VATIMBELLA, Le capitalisme vert, Syros Alternatives

Economiques, 1992.

Page 102: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

de la gestion Winter4 : ressources humaines, structure,production, recherche et développement, contrôle degestion, finance...» »5.

Afin de maîtriser ce processus récent et peu connu, il estindispensable de lui trouver un cadre théorique. Lesthéories de la contingence, des coûts de transaction, descoûts d’agence et des conventions constituent des pistesintéressantes de recherche, couramment utilisées pourcomprendre les processus de prises de décisions dansles organisations. L’apport de chacune de ces théoriesrestant partiel, il sera alors nécessaire de réaliser unesynthèse et de rechercher un cadre théorique élargi.

1 - Une approche théoriqueLes atteintes environnementales des entreprises sontlocalisées en trois points : en entrée dans l’entreprise,pendant le processus de production et en sortie.Shrivastava et Hart6 précisent que la prise en compte del’environnement dans la gestion des entreprisesnécessite une évaluation de l’impact écologique et desefforts réalisés à chacun de ces trois niveaux.Il faut évaluer la consommation de matières vierges etd’énergies non renouvelables, ainsi que l’efficacité desmesures d’économie qui permettent d’en minimiser la

consommation et celles qui développent l’utilisation dematières recyclées et d’énergies renouvelables. Ensuite,il faut évaluer les émissions et rejets au cours duprocessus de production, ainsi que les actions deprévention et d’amélioration du processus deproduction. Enfin, il faut évaluer les surconsommationsliées à l’utilisation de produits finis peu fiables et malconçus, ainsi que les déchets issus des produits usagés.

Les entreprises doivent concevoir, développer etimplanter des outils spécifiques à chacun de ces pointsstratégiques pour réaliser le diagnostic initial de leursperformances environnementales et pour contrôlerl’efficacité des actions réalisées : ce sont les éco-outils.

Le tableau suivant permet de visualiser les trois pointsidentifiés par Shrivastava et Hart au niveau desquels ilfaut évaluer l’impact environnemental de l’activité desentreprises.

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

4 G. WINTER Entreprises et Environnement : une synergie nouvelle,Mc Graw-Hill, 1989.

5 J-Ph. LAFONTAINE, Les déterminants de la décision d’implanterdes systèmes d’information environnementale, P.R.A.G., Cahier derecherche de l’I.G.T. n°99-74, UPRES - I.A.E.de Tours, p2-3.

6 P. SHRIVASTAVA et S. HART, Demain l’entreprise durable ?,Revue française de gestion, mars-avril-mai 1996, p.110-122.

Tableau n°1 : Les atteintes environnementales des entreprises.D'après J-Ph. Lafontaine, Les déterminants de la décision d'implanter des systèmes d'information environnemen-tale, PRAG, Cahier de recherche de l'IGT n°99-74, UPRES, I.A.E. de Tours.

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1 - 1 - Les éco-outilsLa vocation première des éco-outils est d’évaluer lesperformances environnementales des entreprises et desproduits. Cependant les informations ainsi collectéessont utilisées pour répondre à deux finalités distinctes etcomplémentaires. D’une part, elles constituent une aideà la prise de décision interne, en particulier dans lecadre d’un management environnemental. D’autre part,elles servent de base à la communication environ-nementale.

La performance environnementale d’un produit peutêtre approchée par l’intermédiaire de l’écobilan. Définicomme un bilan quantitatif des flux de matière etd’énergie d’un système donné, il se compose d’uninventaire analytique de l’impact sur l’environnementgénéré par le fonctionnement de ce système (Labouze7).

Pour que les informations sur cet aspect de laperformance des produits aient une légitimité envers lesparties prenantes des entreprises, en particulier lesacheteurs, il faut que les produits bénéficient d’unécolabel. Cette marque collective distingue les produitsles plus respectueux de l’environnement. Il s’agit d’unoutil important dans la communication environne-mentale car il correspond à des règles précisesd’attribution. En cela il rassure les consommateurs etcrée les conditions d’une saine concurrence entre lesentreprises (Beslin8).

L’éco-audit ou audit d’environnement permet uneévaluation de l’impact environnemental desétablissements des entreprises. C’est un outil de gestioninterne qui a pour objectif l’évaluation systématique,documentée, périodique et objective du fonctionnementde l’organisation en matière d’environnement, dans lebut de contribuer à la sauvegarde de l’environnement.

Le choix des éco-outils n’est que l’aboutissement duprocessus de décision d’œuvrer en faveur del’environnement. La théorie de la contingence est unepremière piste théorique pour comprendre ce processus.

1 - 2 - La théorie de la contingenceLes tenants de l’approche contingente considèrent quela structure des organisations est la conséquence denombreux paramètres contextuels internes et externes.En fait, il est préférable de parler des théories de lacontingence (Rojot9) car un grand nombre d’auteurss’inscrivent dans ce courant de pensées. Les recherchesse sont intéressées en particulier à la taille, à latechnologie et à l’environnement des organisations.

La relation entre l’environnement et la structure a été

mise en évidence par Burns et Stalker dès 1961.L’environnement se distingue de la taille, de latechnologie et de l’identité des entreprises dans lamesure où il regroupe la fraction externe du contextedes entreprises (Kalika10). Le contexte externe danslequel évoluent les entreprises est déterminé parl’ensemble de leurs parties prenantes. L’environnementconcerne de nombreux aspects : politique, économique,social, technique, démographique, culturel ou mêmeécologique.Le comportement des parties prenantes détermine ledegré de stabilité de l’environnement et du marché. Lastructure de l’entreprise se construit en réaction àl’incertitude de l’environnement et en jouant sur deuxmécanismes : la différenciation et l’intégration(Lawrence et Lorch11). La différenciation permet àchaque unité et à chaque fonction de l’organisation des’adapter à la portion d’environnement qui la concerne.L’intégration doit trouver les moyens de liquider lesconflits sans sacrifier le besoin de la différenciation. Lastructure des entreprises performantes s’adapte au degréd’incertitude de l’environnement. Lorsque le degréd’incertitude est faible, la différenciation est faible etl’intégration est atteinte à un haut niveau de lahiérarchie. À l’inverse, lorsque le degré d’incertitudeest élevé, la différenciation est forte et l’intégration estopérée à un faible niveau hiérarchique.

Il est alors tentant de se demander si la taille, latechnologie ou l’environnement des entreprises peuventêtre des facteurs qui influencent le processus dedécision d’œuvrer en faveur de l’environnement.

Ensuite, nous pouvons nous demander si les pressionsécologiques sont les mêmes pour tous les secteursd’activité quelle que soit la technologie employée.Enfin, l’incertitude et le risque sont aussi descaractéristiques de l’environnement écologique decertaines entreprises. L’évolution des cadresréglementaires sur la protection de l’environnement enconstitue une illustration frappante.

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

7 R. et E. LABOUZE, Qu’est-ce qu’un éco-bilan ?, Revue Françaisede Comptabilité, n°299, décembre 1991, p.73-78.

8 J. BESLIN, La marque NF environnement. Ecoproduits : concepts etméthodologies, Economica, Paris, 1993, p. 95-104.

9 J. ROJOT, Les théories de la contingence, Encyclopédie de gestion,sous la direction de P. JOFFRE et Y. SIMON, Economica, Paris,1989, p. 2937-2939.

10 M. KALIKA, De l’organisation réactive à l’organisation anticipati-ve, Revue Française de Gestion, novembre-décembre 1991, p.46-50.

11 P. R. LAWRENCE et J. W. LORCH, Adapter les structures de l’en-treprise, Les éditions d’organisation, Paris, 1989.

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1 - 3 - La théorie des coûts de transaction

La théorie des coûts de transaction offre une grille delecture pour comprendre les choix d’organisation desentreprises. Pour arbitrer entre intégration des activitéset recours au marché, les décideurs évaluent lesconséquences de leurs décisions sur leur situationpersonnelle et sur celle de l’organisation. Les choixrépondent à des critères d’efficacité.

L’objectif est de minimiser les coûts, c’est-à-dire lasomme des coûts de production supportés parl’entreprise et des coûts de transaction supportés lorsdes négociations menées sur les marchés pour acheterce que l’entreprise ne produit pas elle-même. Denombreux chercheurs ont analysé les articles et lesouvrages qui ont construit progressivement la théoriedes coûts de transaction (Coriat et Weinstein12), ou enont approfondi certains éléments clés (Alllix-Desfautaux13). En fait, les coûts de transaction sontjustifiés par les imperfections du marché : concurrenceimparfaite, transmissions d’informations peu fiables,efforts importants à consacrer à la négociation et à laconclusion des contrats... Dans cette situation,l’entrepreneur préfère intégrer de nouvelles activités etcompétences pour en maîtriser les coûts, plutôt que derecourir aux marchés. Les frictions qui existent sur lesmarchés, trouvent leur origine dans le comportementdes acteurs et la complexité des transactions.Après un rappel des principaux enseignements de cettethéorie, nous en ferons un parallèle avec lescaractéristiques du comportement des acteurs et cellesdes négociations dans des cas de prises de décision oùla protection de l’environnement est une variablecentrale.

1 - 3 - 1 - Des transactions complexes et risquées…

La rationalité limitée est le premier comportement desacteurs sur lequel repose la théorie des coûts detransaction. Cela signifie que les décisions prises dansles organisations ne sont pas toujours le résultat d’unraisonnement rationnel et logique qui s’appuie sur desinformations en qualité et en quantité suffisantes. Lesraisons d’une situation aussi paradoxale dans le mondede l’entreprise où la rigueur et la raison dominent, sontnombreuses. La collecte d’une information exhaustivepeut être trop coûteuse. Il est impossible de prévoir aveccertitude les conséquences de tous les choix possibles.Les liens entre système d’information et décision sontambigus (March14) et il n’y a pas toujours corrélationentre l’information collectée et la décision prise.

Dans le cadre de cette théorie, l’opportunisme influencesouvent les décisions prises par les acteurs. Ils sont

prêts à divulguer des informations fausses, à cacher desinformations importantes ou à privilégier les intérêtsd’une partie au détriment d’une autre pour mener à bienune transaction dans l’espoir d’en retirer un avantagepersonnel. Lorsqu’il y a tricherie avant la signature ducontrat, l’asymétrie informationnelle conduit auproblème de sélection adverse. C’est-à-dire qu’un descontractants a pris une décision à partir de mauvaisesinformations qui lui ont été données par l’autrepartenaire. Lorsque la tricherie intervient dans la phased’exécution du contrat, le problème vient del’incomplétude des contrats. Il y a risque moral car l’undes contractants peut profiter des imperfections ducontrat ou de la difficulté à prouver sa mauvaise foi,pour ne pas respecter ses engagements. Pour limiter lesrisques d’être lésées par l’opportunisme du partenaire,les entreprises engagent de lourds coûts de transactionen recherche d’information et en négociation.

Trois critères permettent de reconnaître les transactionsrisquées : la spécificité des actifs, l’incertitude et lafréquence des transactions.

1 - 3 - 2 - … caractéristiques del’environnement écologique

Le risque écologique n’est pas toujours retenu lors de laprise de décision car les acteurs font preuve souvent derationalité limitée. L’analyse du comportement desdécideurs face au risque montre qu’ils sont peusensibles aux estimations de probabilités de réalisationdu risque et qu’ils sont fortement influencés par lamobilisation de leur esprit sur quelques objectifs clés(March et Shapira15). L’importance des risques peut êtreminimisée par les calculs d’évaluation du risque. Danscertains cas, il est possible de parler de la forcetrompeuse des probabilités faibles.

Par opportunisme, le risque écologique peut êtrevolontairement caché. Cette situation est une desconséquences de l’ambiguïté de l’intelligence desorganisations complexes (March16). Les décideurs

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

12 B. CORIAT et O. WEINSTEIN, Les nouvelles théories de l’entre-prise, Le livre de poche, Paris, 1995.

13 E. ALLIX-DESFAUTAUX, Contribution à l’étude de trois varia-bles de la théorie des coûts de transaction, Cahier de recherchen°17, I.A.E. de Basse Normandie, 1991.

14 J. G. MARCH, Système d’information et prise de décision : desliens ambigus, Accouting, Organization and Society, 12, p. 153-168, 1987, traduit dans Décisions et organisations, Les Editionsd’Organisation, Paris, 1991, p. 231-254.

15 J. G. MARCH et Z. SHAPIRA, Les managers face au risque,Management Science, Vol. 33, 1987, traduit dans Décisions etorganisations, Les Editions d’Organisation, Paris, 1991, p. 109-130.

16 J. G. MARCH, Rationalité limitée, ambiguïté et ingénierie deschoix, Bell Journal of Economics, vol. 9, n°2 automne 1978, traduitdans Décisions et organisations, Les Editions d’Organisation, Paris,1991, p. 133-161.

Page 105: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

poursuivent leur propre intérêt jusqu’à ce qu’un contrepouvoir les oblige à corriger leur comportement.

De toute évidence, la théorie des coûts de transactionouvre des perspectives intéressantes pour comprendrele comportement des décideurs lors du processus dedécision d’œuvrer en faveur de l’environnement, enparticulier lorsque le risque environnemental estimportant. Ainsi, les comportements opportunistes oules décisions irrationnelles de la part des acteurs sur leplan du respect de l’environnement peuvent êtreprévenus.

1 - 4 - La théorie de l’agenceLa théorie de l’agence a clairement été structurée dansun article de Jensen M.C. et Meckling W.H.17 Larelation d’agence se définit comme un contrat liant unmandant et un mandataire. Le mandant, appelé leprincipal, confie à une autre personne, appelée l’agent,la réalisation d’une tâche et un certain pouvoirdécisionnel. Les coûts d’agence sont les conséquencesde cette délégation de pouvoir. D’une part, le principalfait des efforts et prend des mesures pour contrôler lesdécisions et les actes de l’agent. D’autre part, l’agentfait des efforts pour rassurer le principal et leconvaincre qu’il agit dans l’intérêt du principal.L’agence peut faciliter la compréhension des rapportsentre deux personnes en situation de mandant et demandataireLa théorie de l’agence renvoie à la notion plus large degouvernement d’entreprise et le problème est alorsd’évaluer dans quelle mesure les intérêts desactionnaires nécessitent la prise en compte del’environnement naturel.

1 - 4 - 1 - Des relations entre dirigeants etactionnaires…

La théorie de l’agence repose sur l’hypothèse standarddu comportement rationnel des acteurs. Chacun chercheà maximiser son utilité. Il y a donc peu de chances quespontanément les intérêts de l’agent et du principalconvergent. De plus, il y a un risque important pour quecette situation provoque des comportementsopportunistes. En conséquence, la forme organisation-nelle des firmes est choisie de manière à permettre uncontrôle de l’agent par le principal. Cette théorieconstitue donc bien, comme le précisent Coriat etWeinstein18, une nouvelle approche qui enrichit lathéorie générale des firmes. La théorie de l’agencefournit un cadre d’analyse de l’organisation à partir descaractéristiques des contrats qui lient l’agent et leprincipal en particulier au niveau de la répartition desrisques et du processus de décision. La diversité desformes d’organisation s’explique par le fait que, en

toutes circonstances, la forme contractuelle quis’impose est toujours la plus efficiente.

Deux coûts d’agence identifiés par Jensen et Meckling19

peuvent faire l’objet d’évaluation. Les dépenses desurveillance et d’incitation sont engagées par leprincipal pour orienter le comportement de l’agent.Les coûts d’obligation sont supportés par l’agent. Cesont des dépenses qui ont pour objectif de garantirauprès du principal que l’agent ne fera pas certainesactions qui risquent de le léser. Dans ce même ordred’idée, l’agent peut justifier au principal certainesactions qui protégeront les intérêts de ce dernier.

1 - 4 - 2 - … qui peuvent favoriser laprotection de l’environnement

L’impact écologique des entreprises risque de porterpréjudice à plus ou moins long terme aux intérêts desactionnaires (O.E.C.20). Ces derniers peuvent engagerdes dépenses de surveillance et d’incitation pourencourager les dirigeants à prendre en compte cesrisques de nature environnementale. Et, en effet, lesmesures environnementales influencent directement larentabilité des entreprises. Il faut arbitrer entre unsurcoût écologique immédiat et celui à plus long termeque l’entreprise risquerait de payer pour d’éventuellespollutions. Les actionnaires peuvent avoir despréférences sur l’appréciation de ces risques et imposeraux dirigeants une plus grande protection del’environnement.

Plus une entreprise pollue, plus sa detteenvironnementale augmente et plus sa valeur boursièrediminue (Cormier et Magnan21). Il en ressort que lavaleur de la firme peut être influencée par son imageécologique et par les indicateurs environnementaux quiseront de plus en plus disponibles sur le marché.

La théorie de l’agence offre une troisième grille delecture prometteuse pour comprendre les choix desentreprises en faveur de l’écologie. Dans certains cas, lavolonté des actionnaires peut contraindre ou faciliter

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

17 M. C. JENSEN et W. H. MECKLING, Theory of the firm :Managerial Behavior, Agency Cost and Owner-ship Structure,Journal of Financial Economics, Vol. 3, n°4, p. 305-360.

18 B. CORIAT et O. WEINSTEIN, Les nouvelles théories de l’entre-prise, Le livre de poche, Paris, 1995.

19 M. C. JENSEN et W. H. MECKLING, Theory of the firm :Managerial Behavior, Agency Cost and Owner-ship Structure,Journal of Financial Economics, Vol. 3, n°4, p. 305-360.

20 O.E.C., Les systèmes de management environnementaux,Collection maîtrise des enjeux environnementaux, Ordre desExperts Comptables, Paris, 1996.

21 D. CORMIER et M. MAGNAN, L’attitude des investisseurs bour-siers face au bilan environnemental, Comptabilité Contrôle Audit,tome 2, volume 2, 1996, p. 25-49.

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ces choix. Que ce soit pour protéger l’environnement,pour toiletter l’image de l’entreprise ou pour protégerleurs intérêts à long terme, les actionnaires opterontpour un système de gouvernement d’entreprise qui leurpermettra de vérifier que les dirigeants se préoccupentde l’environnement et ceci malgré des coûts d’agenceinévitables.

1 - 5 - La théorie des conventionsPour simplifier les prises de décision et limiter lacomplexité et l’incertitude de l’environnement, lesdécideurs peuvent se référer à des règles et desconventions auxquelles adhèrent leurs partenaires(Marchesnay 22). Les conventions doivent êtreconsidérées comme des outils d’aide à la prise dedécision car elles constituent un ensemble de règles quiservent de références aux acteurs lorsqu’ils ont un choixà réaliser. Connaître les conventions qui influencent lecomportement des acteurs permettrait de mieuxcomprendre les processus complexes dufonctionnement des organisations et des échanges surles marchés (Le Moigne 23). Après un rappel desprincipaux apports de cette théorie, nous rechercheronsdes arguments qui ouvrent le champ d’application decette théorie au processus de décision d’œuvrer enfaveur de l’environnement dans les entreprises.

1 - 5 - 1 - D’une nouvelle lecture des marchéset des organisations

Un modèle standard permet de comprendre le rôle del’information dans la vie des entreprises. L’informationconstitue un flux entre des individus autonomes,indépendants et centrés sur leurs intérêts. La décisionest la conséquence directe des informations collectéeset traitées. L’information circule entre un émetteur et unrécepteur en empruntant un canal de transmission. Lesmarchés et les entreprises peuvent se décrire comme desréseaux de transfert de l’information. Dans ce cadre, lesproblèmes à résoudre ne sont que techniques et portentsur le choix des matériels, des logiciels, du personnel,des données et des procédures pour stocker, traiter etdiffuser les informations.Cette vision suppose la transparence de l’information,c’est-à-dire qu’elle est libre d’accès à tous ceux qui enont besoin. Cependant, cette vision élude au moins troisproblèmes (Gomez 24). Elle ne peut expliquer pourquoi,malgré la profusion d’informations, l’environnementreste toujours aussi complexe et incertain, doncpourquoi les décisions sont toujours aussi difficiles àprendre ou à justifier. Elle ignore le fait quel’intervention des acteurs au moment du codage et dudécodage entraîne de nombreuses distorsions entre cequi devait être émis et ce qui a été perçu. Enfin, elle netient pas compte de l’imbrication entre l’individu et

l’information, car l’information construit l’individu enmême temps que ce dernier construit l’information.Les comportements économiques sur les marchés nepeuvent être compris qu’à travers le « bain social » danslequel se trouvent les acteurs. Dans cette approche,l’acteur filtre les informations qu’il perçoit à l’aide deconventions dont il a la conviction qu’elles sontpartagées par les partenaires avec qui il négocie. Lesconventions permettent une plus grande lisibilité desinformations collectées, une prise de décision plussimple et une meilleure argumentation. La conventionest le résultat du comportement des individus quil’acceptent et qui sont convaincus que les autresl’acceptent.Par contre, la convention n’est pas un fait socialconstant. Elle se construit et se transforme par le jeu dela conviction qui en renforce les effets etl’universalisme. Mais par le jeu de la suspicion, ellepeut être remise en cause, disparaître et être remplacéepar une autre convention (Marion25).

1 - 6 - Un cadre théorique élargi.Dans un premier temps, nous allons juxtaposer lesapports des quatre théories précédentes pour dessinerun modèle fédérateur simple. Ensuite, nous nousintéresserons à la notion de milieu incubateur quipermet d’approcher de façon plus complète ceproblème.

Cf Tableau n°2, page suivante : Formulation deshypothèses du modèle théorique de base.

1 - 6 - 1 - Un foisonnement d’approchesthéoriques complémentaires…

Cette multiplication de contraintes autour du décideur aété mise en évidence par Persais26 pour évaluerl’influence de l’écologie sur l’évolution des structureset l’orientation stratégique de la firme. En s’appuyantparticulièrement sur la théorie de la dépendance, sur lesressources et sur la théorie de la contingence, il faitressortir quatre catégories de pressions auxquelles sontsoumises les entreprises pour les encourager à prendreen compte l’écologie :

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22 M. MARCHESNAY, La convention, un outil de gestion ?, RevueFrançaise de Gestion, janvier-février 1997, p. 78-91.

23 J-L. LEMOIGNE, La théorie des conventions est-elle convenable ?,Revue Française de Gestion, janvier-février 1997, p. 108-113.

24 P. Y. GOMEZ, Information et conventions : le cadre du modèlegénéral, Revue Française de Gestion, janvier-février 1997, p. 77.

25 G. MARION, Une approche conventionnaliste du marking, RevueFrançaise de Gestion, janvier-février 1997, p. 78-91.

26 E. PERSAIS, L’environnement comme lieu de pressions : le cas del’écologie, Cahier de recherche du 16 décembre 1997, I.A.E. dePoitiers.

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� les pressions administratives se traduisent parl’intervention de l’Etat pour limiter les pollutions etles consommations excessives de certains biensnaturels, au moyen de réglementations ou de taxes.

� les pressions sociétales s’exercent à travers lesassociations de défense de l’environnement naturel,les associations de riverains ou de tout autre groupeissu de la société civile.

� les pressions issues du marché s’expriment parl’intermédiaire des clients, des fournisseurs, desbanquiers ou des actionnaires qui exigent del’entreprise un certain comportement de protectionde l’environnement avant de commencer ou depoursuivre leurs échanges.

� enfin, les pressions sectorielles passent par lesorganisations du secteur d’activité et constituent uncontre-pouvoir aux pressions administratives.

Nous retrouvons de nouveau, dans cette approche,l’idée que les entreprises doivent s’adapter à leurcontexte et aux demandes de leurs parties prenantes.

Toujours dans un domaine proche et en suivant unemême logique, Reynaud 27 a consacré sa thèse à larecherche et à la description des déterminants ducomportement de protection de l’environnement desentreprises.Tout d’abord, sur la base de l’état de l’art en la matière,il lui a été possible de constituer un catalogue desdéterminants théoriques. Ensuite, ces déterminantsthéoriques ont pu être confrontés à des déterminantsempiriques identifiés à l’aide de scénarii proposés à dix-huit dirigeants d’entreprises prenant en compte laprotection de l’environnement dans la gestion de leurentreprise.Ces deux approches ont permis de distinguer trois typesde déterminants : économiques théoriques, sociolo-giques théoriques et sociologiques empiriques.

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

27 E. REYNAUD, Les déterminants du comportement de protectionde l’environnement des entreprises, Thèse, 1997, I.A.E. d’Aix.

Tableau n°2 :Formulation des hypothèses dumodèle théorique de base.

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1 - 6 - 2 - … que peut structurer la notion demilieu incubateur

Belley28 utilise la notion de milieu incubateur pourreconnaître et ordonner les déterminants qui participentau processus de création des entreprises. Il propose ladéfinition suivante pour la notion de milieu incubateur :« l’ensemble des circonstances physiques et l’entouragesocio-économique qui influent sur l’individu et surlesquels il agit lui même, et qui forment les conditionsfavorables à l’émergence et au développement del’entrepreneurship ».Pour construire un modèle permettant d’analyser, decomprendre et de prévoir le comportement descréateurs d’entreprises, Belley reprend tout d’abord lesquatre éléments identifiés par Shapero29 en 1975. Al’origine de la création de l’entreprise, il y a un individudont les facteurs psychologiques influencentdirectement le comportement. Une situation dediscontinuité dans la trajectoire de vie de l’individu peuten outre faciliter la création de l’entreprise. Lesressources humaines et matérielles nécessaires à lacréation de l’entreprise doivent être disponibles etaccessibles au créateur, elles constituent ainsi lesfacteurs de faisabilité. Enfin, le créateur potentiel doitêtre convaincu de la faisabilité de son projet. Ce sont lesfacteurs de crédibilité qui soutiennent cette étape. À cesquatre éléments, Belley en ajoute un cinquième :l’opportunité (ou idée à exploiter) qui dans certains caspeut être un facteur important dans la décision de créerune entreprise.

Une telle approche est attrayante car elle organiseclairement un ensemble complexe de déterminantssusceptibles d’expliquer la décision de créer uneentreprise. L’extension de ce modèle au processus deprise en compte de la protection de l’environnementpeut reprendre les mots mêmes de la définitionproposée par Belley.

De nombreuses caractéristiques psychologiques descréateurs d’entreprises peuvent être adaptées à ladécision de protéger la nature :

� le besoin d’accomplissement est défini selondifférents auteurs comme un besoin d’exceller, debien accomplir sa tâche ou d’être responsable de lasolution des problèmes.

� les valeurs personnelles renvoient à la dimensionéthique des dirigeants qui œuvreront dans un souciintime d’une plus grande protection del’environnement naturel.

� le fait que le décideur se sente prêt financièrement etprofessionnellement constitue un exemple de facteurpositif, que ce soit pour créer son entreprise ou pourimposer la prise en compte de la protection del’environnement.

� la notion d’opportunité : il y a opportunité quand ilexiste un marché potentiel pour un bien ou un servicequi peut être produit ou vendu. Il peut y avoir aussiopportunité lorsqu’il y a gaspillage dans l’entrepriseou dans l’ensemble de la société et qu’il y a unmoyen de réaliser des économies ou de mieuxaffecter les ressources.

� les facteurs de crédibilité encouragent un individu àprendre une décision car il est persuadé de lalégitimité de son acte.

� de façon plus proche moins visible, la famille dudécideur, son groupe éthique et sa formation initialeou continue peuvent influencer sa décision et larendre légitime à ses propres yeux.

� la dernière dimension concerne les facteurs defaisabilité. Pour imposer la prise en compte del’environnement dans un processus de production, ledécideur doit sentir que le projet est faisable, c’est-à-dire qu’il va pouvoir disposer des ressourcesfinancières et techniques en temps voulu.

1 - 7 - Le comportement des entreprises : du laxisme à l’intégration

La prise en compte de l’écologie par les entreprises estanalysée par Olivier Boiral 30 comme un mouvementd’interpénétration de trois grandes visions del’environnement naturel : la vision économiqueclassique, la vision sociétale, la vision intégrée.La vision économique classique considère la naturecomme une ressource illimitée dans laquelle il estpossible de puiser sans retenue. Par ailleurs, elle estimeque la nature a les moyens de se régénérer toute seule.Cette perception a dominé jusque dans les années 1960.La vision sociétale repose sur la prise en compte despressions externes relatives à l’environnement.Actuellement c’est le mode de gestion qui est choisiprioritairement par les entreprises. La vison intégréeimplique l’incorporation de réflexes écologiques àtoutes les fonctions de l’entreprise dans le cadre d’unestratégie de long terme.Cette prise en compte différenciée du milieu va donnerlieu à des types de comportements distincts de la part

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Le management environnemental, nouvel enjeu de la responsabilité sociale de l’entrepriseAntoine CAPINIELLI

28 A. BELLEY, Les milieux incubateurs de l’entrepreneurship,Fondation de l’entrepreneurship, Chalesbourg (Québec) 1994.

29 Référence citée par A BELLY, 1994 : A. SHARPERO, « Entrepreneurship and economic development ».Entrepreneurship and economic development : a WorldwidePerspective, summer 1975, Milwaukee : Proceeding of ProjectISEED, p.633-654.

30 O. BOIRAL, Entreprise et environnement naturel, vers une nouvel-le alliance, Direction et gestion des entreprises, n° 144, 1993, p. 23.

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des organisations, ceux-ci s’étalonnant d’hostiles àintégrateurs (Louppe et Rocaboy31). L’attitude hostiletend à nier les problèmes environnementaux. L’attitudedéfensive tout en reconnaissant le fait environnemental,l’analyse comme une menace contre laquelle il fautprotéger l’entreprise. Les investissements dans ledomaine sont des investissements de protection oud’assurance. L’attitude bienveillante est une étape deplus, les revendications environnementales sontconsidérées légitimes, mais ce n’est pas à l’entreprisede s’en préoccuper.De fait, elle investit dans la stricte conformitéréglementaire de ses produits et de ses processus tout enveillant à valoriser, par une communication externeappropriée, ses actions en faveur de l’écologie. Parl’attitude coopératrice, l’entreprise manifeste une réellevolonté de s’impliquer dans la maîtrise des problèmesenvironnementaux. Pour atteindre cet objectif, elledéfinit une politique environnementale au niveau de sapolitique générale, elle sensibilise son personnel, elleintègre cette préoccupation dans la recherche etdéveloppement. En externe, sa communicationinstitutionnelle met en avant l’écologie. L’entreprises’organise avec les autres acteurs de même secteur pourentreprendre des actions globales de limitation desatteintes à l’environnement. Enfin, l’attitudeintégratrice correspond aux entreprises qui vont au-delàdes perceptions précédentes, l’écologie est une pressionqui vient du marché, par conséquent, il n’est paspossible d’être compétitif si on néglige cette variable.A partir de ces distinctions, il est possible d’identifierquatre types de stratégie (Martinet32): la stratégie derefus consiste à continuer à externaliser ses pollutions,l’entreprise est sourde aux bruits externes. La stratégied’internalisation partielle ou totale des coûts sociauxcorrespond à une stratégie réactive. L’entreprise faitjuste ce qu’il faut par rapport à l’environnement sansaller au delà. L’entreprise qui intègre les normesenvironnementales est à l’écoute de la société, cettestratégie est qualifiée par M. Godet33 de préactive, elleconsiste « à se préparer au changement anticipé ».L’entreprise développe une stratégie proactive quandelle met en place une veille environnementale qui luipermet d’anticiper sur les normes à venir, voire de lesinfluencer.

« Il est intéressant de se demander dans quellemesure le milieu dans lequel évolue l’entreprise peutfaciliter un tel comportement. Un environnement detype urbain ou rural, un tissu économique fortement oupeu industrialisé, le nombre et la taille des entreprisesalentours ou les ressources économiques de la zonegéographique de localisation de l’entrepriseinfluencent-ils le décideur ? Les ressources financièresde l’entreprise permettent-elles l’investissement ?L’acquisition des processus et des outils développés est-elle possible et l’entreprise dispose-t-elle de la main

d’œuvre qualifiée pour les concevoir, les développer etles utiliser efficacement ? Dans quelle mesure lafiscalité et les réglementations gouvernementalesinfluencent-elles le comportement des entreprises envue de protéger l’environnement ? »34

La théorie de la contingence, la théorie des coûts detransaction, la théorie de l’agence et la théorie desconventions offrent chacune des éléments de réflexionet des pistes de recherche qu’il serait intéressantd’approfondir et de vérifier. Cependant, le recours à lanotion de milieu incubateur a l’avantage d’organiser laréflexion autour de quatre dimensions complé-mentaires : sociale, personnelle, managériale etpolitique/économique.

2 - Synthèse : L’écologie comme modede pensée, une nouvelleconception de la gestion

« Sous les effets conjugués de la dégradation desmilieux naturels, du consumérisme vert, de laconcurrence internationale et du thème dudéveloppement durable, l’environnement s’estsubrepticement, et sans doute irrémédiablement,introduit au cœur des processus décisionnels, obligeantles entreprises comme les Etats à s’interroger et àrendre compte de leurs performances environne-mentales.Autrefois vécu comme une contrainte réglementairesupplémentaire imposée par la puissance publique,l’environnement est donc en passe de devenir, enFrance comme dans les autres pays industrialisés, unélément à part entière de la stratégie d’entreprise et dumanagement ».35

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31 A. LOUPPE , A. ROCABOY , Consumérisme vert et démarchemarketing, Revue Française de Gestion, 1994, p. 36-47.

32 A. C. MARTINET, Stratégie, Editions Vuibert 1993.33 M. GODET, Les dangers de la seule réactivité, Revue Française de

Gestion, N°85, 1991.34 J-Ph. LAFONTAINE, Les déterminants de la décision d’implanter

des systèmes d’information environnementale, P.R.A.G., Cahier derecherche de l’I.G.T. n°99-74, UPRES - I.A.E.de Tours, p26.

35 J. BOURGEOIS, Le management environnemental, nouvel enjeupour la compétitivité des entreprises, Rapport présenté au nom de laCommission de l’Aménagement Régional, de l’Environnement, duTourisme et des Transports, Chambre de Commerce et d’Industriede Paris, 24 avril 1997, p. 5.

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Ce glissement vers l’intégration systématique decritères écologiques dans le développement socio-économique est renforcé par l’action plus discrète desindustries de la dépollution (désormais dotées d’unpoids économique non négligeable), des sociétés deconseil en environnement ou de certains grands groupesqui entendent tirer parti de la nouvelle donneenvironnementale.En outre, la pression exercée par les actionnaires, lescréanciers ou encore les compagnies d’assurance, toussoucieux de ne pas être tenus pour responsables àl’avenir de dommages environnementaux trop coûteux,impose à l’entreprise une plus grande vigilance dans sagestion quotidienne à l’égard de l’environnement.

Face à cette « écologisation » progressive del’économie, tout l’enjeu consiste dès lors pourl’entreprise :

� à substituer à sa politique réactive des premierstemps (mesures curatives et palliatives visant àassurer le minimum de sécurité juridique) unepolitique intégratrice anticipant les réglementations àvenir ;

� à transformer ce qui était ressenti comme unecontrainte supplémentaire à court terme en unavantage comparatif à moyen terme vis-à-vis de sesconcurrents (la prise en compte des répercussionsenvironnementales peut être, pour l’entreprise,l’occasion de découvrir des gisements deproductivité insoupçonnés ou encore inexploités quicontribueront à l’effort de rationalisation de laproduction et à la compétitivité globale).

« Mais gérer la contrainte écologique en interne nesuffit pas. Pour être légitimée dans son action,l’entreprise doit associer à sa gestion 1’ensemble desparties intéressées par son activité (clients,fournisseurs, associations…)…La mise en place d’outils formalisés d’aide aumanagement environnemental témoigne d’un réelenracinement culturel et économique del’environnement... »36.

Que l’environnement soit devenu, après la protectionsociale, la santé, la prévention contre le risque, et laqualité, une nouvelle exigence de la production estaujourd’hui indiscutable. En revanche, les appréciationsdivergent quant à la portée réelle du phénomène etnotamment sur la question centrale : l’environnementpeut-il être porteur d’une nouvelle croissance ?Si l’on en croit la Commission européenne 37, « un hautniveau de protection de l’environnement s’affirme deplus en plus, non seulement comme un objectifpolitique, mais aussi comme une condition préalable àl’expansion industrielle ».

La formalisation des procédures de managementenvironnemental n’est ni plus ni moins qu’une réponseaux nouvelles conditions écologiques dudéveloppement socio-économique à long terme, àlaquelle les dirigeants d’entreprises doivent maintenantêtre attentifs. Tout l’enjeu consiste dès lors, pour cesmêmes dirigeants, à renverser la tendance qui prévalaitjusqu’ici, et à transformer ce qui était ressenti commeune contrainte supplémentaire en un avantagecomparatif vis-à-vis de ses concurrents.

Le passage d’une politique défensive à une politiqued’intégration sera aussi largement motivé par lavolonté de prévenir des coûts importants de réparation,ou de répondre aux pressions des actionnaires, descréanciers ou encore des compagnies d’assurance.

La mise en place d’un système de managementenvironnemental peut aider l’entreprise dans cetteapproche et lui permettre d’établir des objectifs réalisteset un programme d’action globale.

Ce sera encore plus vrai si, au-delà des outils demanagement, le cadre juridique de leur exercice s’avèrefavorable à leur mise en œuvre.

« L’avenir n’appartient à personne.Il n’y a pas de précurseurs,

il n’existe que des retardataires. »

Jean COCTEAULe Potomak

(Stock)

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36 J. BOURGEOIS, Le management environnemental, nouvel enjeupour la compétitivité des entreprises, Rapport présenté au nom dela Commission de l’Aménagement Régional, de l’Environnement,du Tourisme et des Transports, Chambre de Commerce etd’Industrie de Paris, 24 avril 1997, p. 6.

37 Commissions des Communautés européennes, « Communicationsur la compétitivité industrielle et la protection de l’environne-ment », 24 novembre 1992, SEC(92) 1986.

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Développement de l’éthique, engagement dansle travail et implication organisationnelle

Anne CARBONNELMaître de ConférencesGESEM-GRH, Université de MONTPELLIERChercheure associée à l’IREGE, Université de [email protected]

Jean-Jacques NILLESMaître de ConférencesChercheur à l’IREGE, Université de [email protected]

Une nouvelle exigence de performance commer-ciale, qui est désormais moins locale que mondiale, se développe sous l’effet d’une

concurrence internationale accrue. Certaines dérivesdans les pratiques d’entreprise s’observent, caractéri-sées par la mise en péril des équilibres écologiques,sociaux et économiques locaux. En réaction à cettemenace, des pratiques correctives voient le jour : ellesexpriment une volonté de plus grande responsabilitésociétale des entreprises (RSE)1, (Caroll, 1999). Le cré-dit accordé par les investisseurs et les consommateurs àces démarches, pourrait conduire progressivement lesgestionnaires à légitimer ce nouvel axe de structurationsociale de l’entreprise. Au delà de leurs responsabilitéséconomiques et légales, certaines entreprises engagentalors leur responsabilité sur un plan éthique. Nous nousintéresserons en particulier à ses implications dans ledomaine de la GRH, notamment commerciales, qui sontles pratiques jugées comme les plus exposées aux pro-blèmes d’éthique (Levy M., Dubinski J., 1983). Dans cedomaine, les effets néfastes des agissements liés à laconcurrence accrue peuvent notamment s’apprécier surl’identité au travail des salariés. Aussi l’article propose-t-il d’explorer la question suivante : Le développement d’une démarche éthique dans lespratiques professionnelles, en particulier commercia-les), est-il un facteur de plus grande adhésion aux butset aux valeurs de l’entreprise et d’accroissement de l’i-dentification au travail pour les salariés ?Le concept de RSE appelle des précisions sur ses diffé-rentes acceptions, et sur le champ dans lequel s’inscritle propos poursuivi dans cet article : les effets du déve-loppement de l’éthique sur l’identité au travail (1).L’intégration de l’éthique au management des ressour-ces humaines requiert le développement d’outils et deméthodes validés au plan de la recherche. La deuxièmepartie de l’article propose un protocole expérimental,des échelles de mesure et des tests qui permettront d’é-valuer, au cours du premier semestre 2004, l’effet dudéveloppement de l’éthique sur l’engagement dans letravail et l’implication organisationnelle (2), afin decontribuer à ce champ de recherche. Les résultats atten-dus sont sommairement décrits dans la dernière partiede l’article (3).

Développement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelleAnne CARBONNEL et Jean-Jacques NILLES

1 A la suite de Gond (2001), le terme « sociétal » est retenu dans l’ar-ticle, pour traduire le terme anglo-saxon « social », lorsque celui-ciconcerne non seulement les salariés (auquel cas c’est le terme« social » qui sera utilisé), mais les différentes parties prenantes del’activité de l’entreprise, y compris l’environnement. Ce positionne-ment explique la distinction terminologique des termes employés parles auteurs, par rapport aux termes « responsabilité sociale de l’entre-prise» utilisés par d’autres auteurs dans la littérature, notamment dansle Livre vert de la Commission Européenne. La notation RSE estappliquée à ces termes, dans la suite du document.

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1. La RSE : une approchepar le développement del’éthique, et ses effets surl’engagement et l’implica-tion des salariés

La compréhension de la RSE est facilitée dès lors quel’on opère un détour par sa genèse et ses fondements(1.1). On argumentera alors en faveur du développe-ment de l’éthique de la vente, de manière à mettre enévidence ses intérêts observés et potentiels (1.2)

1.1 La RSELe concept de RSE a été introduit dans la littérature parBowen en 1953 (Caroll, op.cit.), et repose sur deux fon-dements : les entreprises ont pour obligation d’honorerleurs engagements à l’égard des divers groupes sociauxconcernés plus ou moins directement par leur activité,et elles doivent par ailleurs satisfaire les demandessociales de leurs différents environnements. Les auteurs s’accordent aujourd’hui pour reconnaîtredans la RSE la recherche d’un « développement du-rable » ; elle appellerait en conséquence un investisse-ment sociétalement responsable, à moins qu’elle n’yréponde…

Le développement durableCe concept est apparu en 1987 dans le RapportBrundtland (de la Commission mondiale sur l’environ-nement et le développement), qui soumettait àl’Assemblée générale des Nations Unies des recom-mandations, selon lesquelles les générations actuellesdevraient satisfaire leurs besoins sans mettre en périlceux des générations futures. La Conférence de la Terreà Rio a donné plus de poids à ce concept, avec la publi-cation d’un texte adopté par 178 gouvernements(chaque Etat étant libre de définir les modalités detransposition du texte dans sa propre législation). Cetexte définit trois axes de progrès à prendre en comptepour préserver un avenir viable. Un axe environne-mental, selon lequel l’activité de l’entreprise ne doitpas mettre en danger l’équilibre des écosystèmes. Cetéquilibre s’analyse notamment au niveau de la consom-mation des ressources et de la production de déchets oud’émissions polluantes. Un axe social, dans lequel lesdiverses conséquences humaines de l’activité de l’en-treprise sont prises en compte. Les parties prenantessont les salariés (avec une attention particulière à l’é-gard de la non-discrimination, des conditions de travailet du niveau des rémunérations), les fournisseurs et les

clients, mais plus largement les communautés locales etla société. Un axe économique, qui (en complémentdes critères de performance financière traditionnels),tend à promouvoir les efforts des entreprises en faveurdu développement économique de la zone d’implanta-tion, et le respect des règles de concurrence (absence decorruption, d’entente ou de position dominante parexemple).Ces 3 axes du développement durable se traduisent sousla forme d’une triple performance sociale, économiqueet environnementale, recherchée par les entreprises quisouhaitent inscrire leur activité dans cette perspectivede développement durable, et attirer par là même desinvestisseurs sociétalement responsables.

L’investissement sociétalement responsable Pour Amy Domini, pionnière de l’investissement socié-talement responsable, la manière dont se font les inves-tissements crée le monde dans lequel nous vivons(Domini, Kinder, 1984). Si les investisseurs ont le pou-voir de façonner le monde (par le soutien financierqu’ils accordent à telle ou telle autre entreprise), ils sedoivent également de prendre conscience des consé-quences de leurs décisions, des risques qui y sont asso-ciés, et finalement de la responsabilité qui est la leur.Dans les faits, cette responsabilité sociétale de l’inves-tissement se décline sur trois axes, qui caractérisent lesdifférentes manifestations du pouvoir de l’investisseur.Le pouvoir de sélection, est la capacité dont disposel’investisseur pour intégrer ou rejeter de son porte-feuille les actions d’une entreprise qui fait preuve oupas de responsabilité sociétale. La mise en œuvre de cepouvoir s’appuie généralement sur l’évaluation de cri-tères qui traduisent une volonté de dévelop-pementdurable de la part de l’entreprise. L’activisme action-narial, se caractérise par le pouvoir d’utilisation desdroits de vote liés aux actions. L’investisseur peut parexemple présenter des résolutions qui influenceront lecomportement des entreprises, afin de développer leurresponsabilité. L’orientation responsable, est la mani-festation du pouvoir de l’investisseur selon la-quellel’investisseur peut choisir de soutenir une entreprise endehors du marché boursier, pour les marques de respon-sabilité sociétale dont elle fait preuve. Face à ce triple pouvoir des investisseurs, les entrepri-ses peuvent être amenées à adopter (bon gré, mal gré)des stratégies d’attraction des investisseurs sociétale-ment responsables, ou du moins de rétention, pour lesinvestisseurs qui seraient appelés à le devenir. Le rap-port de RSE imposé aux entreprises françaises cotéessur le marché financier, met par exemple l’accent sur lesattentes des différentes parties prenantes en matièred’information relatives à la RSE (Igalens J., JorasM., 2003). Dès lors elles ne peuvent faire l’économied’un investissement alloué au développement de leur-responsabilité sociétale.

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La RSEEn mars 2000, le sommet européen de Lisbonne sefixait pour objectif stratégique « une croissance écono-mique durable, accompagnée d’une amélioration quan-titative et qualitative de l’emploi, et d’une plus grandecohésion sociale ». Dans cette perspective, le Conseileuropéen s’est donné pour mission de favoriser le déve-loppement de la responsabilité sociétale des entreprises,qu’il définit comme « l’intégration volontaire par lesentreprises, de préoccupations sociales et environne-mentales, à leurs activités commerciales et leurs rela-tions avec leurs parties prenantes » (CommissionEuropéenne, 2001).Les applications possibles de la RSE permettent d’ap-précier l’ampleur des actions dans lesquelles les entre-prises peuvent investir en la matière. Les pratiquessociétalement responsables peuvent être orientées àl’extérieur comme à l’intérieur de l’entreprise.

Les pratiques sociétalement responsables à l’extérieur de l’entrepriseLes actions des décideurs sociétalement responsables,vis à vis de l’environnement externe de l’entreprise, semanifestent dans quatre directions principales : les pré-occupations environnementales à l’échelle planétaire,les communautés locales, le respect des droits del’homme, et la collaboration avec les partenaires com-merciaux, les fournisseurs et les consommateurs. Lacollaboration avec les partenaires commerciaux, lesfournisseurs et les consommateurs se manifeste par desrelations avec les fournisseurs, les sous-traitants ou lespartenaires commerciaux, qui respectent le droit de laconcurrence, et se caractérisent par la volonté de tisserdes relations privilégiées avec les organisations sociéta-lement engagées. Une garantie supérieure de la qualitédu produit/service, en fonction de critères sociaux défi-nis par les différentes parties, peut ainsi être offerte auxconsommateurs. Par ailleurs les relations avec lesconsommateurs sont orientées sur la recherche privilé-giée de relations durables et le respect de critères écolo-giques et éthiques.

Les pratiques sociétalement responsables à l’intérieur de l’entrepriseQuatre principaux axes d’action s’offrent aux décideursqui souhaitent agir comme sociétalement responsables àl’intérieur de l’entreprise : la réduction de la consom-mation des ressources naturelles ou des émissions pol-luantes, la santé et la sécurité au travail, l’adaptation auchangement et la gestion des ressources humaines. Lagestion des ressources humaines constitue un axe àl’intérieur duquel figurent des pratiques de recrutementprivilégiant les minorités défavorisées sur le marché del’emploi, les actions de formation (plus particulière-ment celles qui sont destinées aux salariés tout au longde leur vie), la responsabilisation du personnel, l’amé-lioration du système d’information et de communica-

tion dans l’entreprise, la recherche d’un équilibre entreles activités professionnelle et extraprofessionnelles, etde l’égalité dans les pratiques de rémunérations et degestion de carrière des femmes. C’est sur cet axe GRHque s’inscrivent les questions de l’amélioration de l’en-gagement dans le travail et de l’implication organisa-tionnelle. Si l’éthique est de plus en plus prise en compte dans la GRH, cette dernière contribue parailleurs, largement au développement de l’éthique enentreprise (Weaver, Treviño, 2001 ; Sachet-Milliat A.,2003). Ce panorama des différentes orientations possibles de laresponsabilité sociétale des entreprises permet de mettre en relief l’importance désormais accordée auxconséquences des décisions prises à l’intérieur commeà l’extérieur de l’entreprise, conséquences à caractèrenon seulement économique, mais également social etenvironnemental. La RSE ne peut se développer defaçon cohérente à l’intérieur des organisations que si untravail de fond est mené sur l’éthique dans les compor-tements professionnels des différents acteurs de l’entre-prise. Retenir telle ou telle orientation, n’est pas anodinpour un décideur, mais dans quelle mesure la décisionest-elle le résultat d’une volonté délibérée, qui répond àune éthique personnelle, ou bien la conséquence d’unmouvement inspiré par des normes sociétales de plus enplus présentes dans l’univers concurrentiel des entrepri-ses ? L’éthique de la décision à caractère éthique pour-rait faire l’objet de recherches, mais tel n’est pas le pro-pos poursuivi ici ; au-delà de la question, c’est dans leconstat des faits que s’ancrent les lignes suivantes, pourargumenter en faveur de l’intérêt du développement de l’é-thique tant pour les organisations, que pour les salariés.

1.2 L’intérêt du développement de l’éthique et ses effets potentielssur l’engagement dans le travail et l’implication organisationnelle

Si l’intérêt stratégique du développement de l’éthique etla rentabilité de cet investissement pour l’entreprise ontété soulignés dans la littérature (1.2.1), ses effets poten-tiels sur l’engagement dans le travail et l’implicationorganisationnelle (1.2.2) réclament un examen appro-fondi de la nature des relations envisagées entre cesconcepts (1.2.3).

1.2.1 Le développement de l’éthiqueLe développement de l’éthique en entreprise se fondesur la conviction qu’il est indispensable d’anticiper lesévolutions sociales en développant l’éthique en entre-prise (Bergeron et Kahl, 1993). La prise en compte del’éthique est un gage de plus grande cohérence des acti-vités de l’entreprise avec les attentes de son environne-

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ment social. Cela conduit à intégrer de plus en plus lesconsidérations éthiques, même si la définition n’en estpas toujours rigoureuse, au niveau même des décisionsstratégiques, qu’il s’agisse de choix d’implantations, destratégies de communication, etc. (Seidel et Schlierer,1996). Ce raisonnement permet en particulier de définir lesconditions auxquelles il est légitime de pratiquer uneactivité, en intégrant le point de vue de l’ensemble desacteurs internes et externes (Wormser, 1996). Parailleurs, le raisonnement éthique, du fait qu’il met l’ac-cent sur les finalités plus que sur les moyens, peut cons-tituer un appui méthodologique à la réflexion de typestratégique, en lui apportant un éclairage complémen-taire (Lipovetsky, 1992a ; Gélinier, 1991). Cet éclairagese caractérise par la prise en compte des finalités del’entreprise à long terme (Orsoni, 1989). Il est égale-ment utile et nécessaire dans les décisions qui impli-quent des partenaires issus de cultures différentes, dontles valeurs doivent être comprises pour que le dialoguepuisse avoir lieu (Moussé, 1993).Le même type d’approche méthodologique s’applique,du point de vue du management, à l’ensemble des pri-ses de décisions, à tous les niveaux de responsabilité.Nous pouvons définir l’éthique stratégique comme“l’explicitation d’un système des valeurs et des règlesdu jeu” (Kervern, 1990, p. 50), qui servent de référenceaux individus au moment de la prise de décision.L’éthique peut ainsi être considérée comme un outil demanagement et de formation. Dans un contexte où lesdécisions sont de plus en plus lourdes, par l’enjeu qu’el-les représentent et les dilemmes qu’elles provoquent,elles font peser sur les acteurs des responsabilitésimportantes. Ils ne peuvent les assumer à partir des seu-les règles organisationnelles, et sans l’éclairage de laréflexion éthique (Landier, 1991). L’approche éthique permet de mieux analyser les situa-tions, dans tous leurs aspects, humains en particulier.Elle permet aussi de porter un regard critique sur lesdécisions, critique utile par l’ouverture qu’elle apporte,et parce que certaines contradictions vont ainsi être rele-vées et discutées. Sous son aspect normatif plutôt qu’interrogatif ou ana-lytique, l’éthique produit des principes codifiés, quilégitiment les normes de l’organisation. Elle consolidel’identité et la culture d’entreprise par l’adhésion à desvaleurs communes. Les principes éthiques constituentdes repères pour les acteurs, et assurent, d’une part, lapriorité de l’intérêt global et de la stratégie de l’entre-prise sur les intérêts des acteurs dans les décisions qu’ilsprennent (Orsoni, 1989), d’autre part, une certaine régu-larité et prévisibilité de leurs comportements. Cet aspectest particulièrement important pour les forces de vente,qui se caractérisent par une forte autonomie. Dans lescas de conflits, le recours aux principes éthiques et à laméthodologie de la discussion peut permettre de mieuxles résoudre. Elle permet ainsi de mieux vivre ensemble

dans l’entreprise, d’arriver à une plus grande cohésiondu groupe.Les différentes finalités de l’éthique mises en évidencedans la littérature permettent de comprendre l’affirma-tion générale de la profitabilité de l’éthique. Cette affir-mation est présente dans toutes les approches pragma-tiques et utilitaristes, dès lors qu’elles considèrent lelong terme. On peut en effet penser que sans éthique ilest possible de “gagner à court terme, mais on perd àlong terme. (...) De même que la morale privée, l’é-thique des affaires peut être décrite comme la pour-suite méthodique d’un intérêt bien compris à terme”(Gélinier, 1991, p. 74). Dès 1950, W. Katz affirmait que“la prise en compte de sa responsabilité sociale n’amè-nera pas la direction à prendre des décisions différentesde celles qui seraient dictées par des considérations deprofit à long terme” (cité par Stark, 1993).

Cette affirmation de principe peut être étayée par unensemble de considérations concrètes, qui accréditentl’idée de rentabilité de l’éthique pour l’entreprise. Nouspouvons les regrouper sous quatre motifs principaux :

• 1. L’éthique engendre la réduction des coûts detransaction par la fidélisation des partenaires et pardes relations basées sur la confiance. Ce phénomènea été particulièrement souligné par les études sur l’é-thique dans l’achat industriel (Cova et Salle, 1992). Ilcorrespond à “une vérité aussi vieille que le mondedes marchands : la confiance produit de la valeurajoutée ! “ (Diener, 1993, p. 18).

• 2. L’éthique accroît le niveau de réflexion et demoralité des salariés et par ce biais, elle réduit lescoûts du contrôle destiné à limiter les comportementsdéviants (fuites d’informations, détournements defond, etc.), ou de “passagers clandestins” (Orsoni,1989).

• 3. L’éthique est globalement le corollaire de laresponsabilisation des salariés, elle-même liée à l’exigence de qualité totale chez les clients.

• 4. Enfin du point de vue du marketing, l’éthique estabordée d’une part sous l’angle de l’image demarque, d’autre part comme vecteur de fidélisation.A une époque où l’on constate un certain épuisementde la publicité classique, il paraît nécessaire de trou-ver de nouveaux vecteurs de communication, plus enaccord avec les attentes des consommateurs. Cesattentes sont marquées par le souci éthique au senslarge (préoccupations environnementales, conditionsde travail dans les pays de fabrication, authenticité dela communication, etc.). Les stratégies marketingauront donc tendance à intégrer l’éthique comme unparamètre de plus en plus important d’efficacité,grâce auquel “les consommateurs sont moins enclinsà la suspicion avant l’achat du produit ou du service,plus fidèles en cas de réachat” (Orsoni, 1989).

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Les comportements éthiques (ou perçus comme tels) del’entreprise peuvent en effet susciter la confiance et lareconnaissance du consommateur, et répondent ainsi àune préoccupation majeure du marketing, qui est lafidélisation de la clientèle. Les “signaux éthiques” cons-tituent des signes de qualité, susceptibles, au moment dela décision d’achat et dans les situations d’asymétried’information, de réduire l’incertitude pour le consom-mateur (Akerlof, 1970). Au-delà des applications com-merciales, l’éthique peut être considérée comme « unaccélérateur de la confiance », dans les relations qu’en-tretiennent les individus au sein de la même organisa-tion (Micheletti P., 2003) ; dès lors on peut s’interrogersur ses effets potentiels sur les attitudes des salariés àl’égard du travail et de l’organisation.

1.2.2 Les effets potentiels du développementde l’éthique en interne

Afin de circonscrire le champ de recherche, l’optionretenue ici est d’étudier les conséquences du dévelop-pement de l’éthique sur deux attitudes des salariés :l’une envers leur travail (l’engagement) et l’autreenvers leur entreprise (l’implication organisationnelle).

L’effet attendu sur la relation du salarié à son travail : l’engagement dans le travailL’engagement dans le travail (job involvement)2 se défi-nit comme une attitude d’identification psychologiqueau travail effectué (Morrow, 1983). Cette attitude estconsidérée comme conative, cognitive, ou affectiveselon les auteurs. Selon Bass (1965, cité par Fabre,1997) l’engagement est lié à la participation active del’individu dans son travail, et déterminé par la contribu-tion au succès de l’entreprise, le contrôle de la situationd’emploi, l’autonomie au travail. Cette conceptualisa-tion conative de l’attitude est sujette à controverse. Uneautre approche est adoptée par Baba (1989), selonlequel l’engagement résulte d’une évaluation cognitive(c’est-à-dire d’un calcul plus ou moins conscient), quiinfluence l’estime que la personne a d’elle même, autravers du travail qu’elle effectue. Nous adoptons laconceptualisation affective de l’attitude, à la suite deNeveu (1993), qui a souligné la confusion sous tenduepar les deux précédentes approches. Cette confusionréside en effet dans l’association entre les antécédents etles conséquences, d’une attitude qui se caractérise parun « un flux intuitif…relevant davantage d’une émotionque d’une auto-justification et d’un raisonnement ».Les conséquences de l’engagement dans le travail ontété soulignées dans la littérature : les efforts fournisdans le travail (Igram et al., 1991), la performance(Barrick et al., 1994, Carbonnel, 2003), la réduction duturn-over (Igbaria, Siegel, 1992 ; Carbonnel, 2003)l’absentéisme (Neveu, op.cit), la réalisation de soi(Buzzi, 1996).

Les déterminants de l’engagement ont fait l’objet denombreuses études. Cependant à l’issue de sa méta ana-lyse du concept, Brown (1996) relevait la nécessitéd’approfondir la connaissance des moyens permettantd’améliorer cette attitude. L’effet positif d’un projet dedéveloppement des connaissances du travail a récem-ment été mis en évidence (Carbonnel, op.cit) ; un autreangle d’approche est ici envisagé avec l’étude des effetsdu développement de l’éthique.

L’effet attendu sur la relation du salarié à l’entreprise : l’implication organisationnelleL’implication organisationnelle (organizational com-mitment) est conçue dans la littérature, comme une atti-tude unidimensionnelle ou multidimensionnelle. Lesdifférentes recherches sur le concept adoptent en effetde manière conjointe ou dissociée, une approche cogni-tive (le salarié évalue le rapport entre les coûts et lesbénéfices qu’il retire de sa présence dans l’entreprise),ou normative (caractérisée par le poids du devoir deprésence et d’effort au service de l’entreprise) ou en-core affective (que traduit « l’identification psycholo-gique aux buts et aux valeurs de l’entreprise » selonThévenet, 1992). L’approche essentiellement affectiveest la plus fréquente dans la littérature ; ce positionne-ment est adopté dans cette recherche. L’état de l’artoffre une large palette de travaux relatifs aux antécé-dents et aux conséquences de l’implication organisa-tionnelle.Si les conséquences de l’implication sur la performanceont pu être observées par Ostroff (1992), les effetsdirects sont généralement faibles dans la majorité desétudes ; en revanche plusieurs conséquences ne sont pasremises en cause : la motivation à participer (Angle etPerry, 1981) la volonté de faire des efforts (Randall,1990), la réduction du turn-over et de l’absentéisme(Somers, 1995). En fait, la communauté scientifiques’accorde sur la contribution de l’implication organisa-tionnelle à la bonne performance de l’entreprise, maissous l’effet conjugué de plusieurs autres variables dontles apports respectifs mériteraient d’être précisés.La littérature témoigne d’une certaine richesse sur l’i-dentification des antécédents de l’implication organisa-tionnelle. La connaissance sur le sujet gagnerait cepen-dant à être approfondie, de notre point de vue, quant auxeffets potentiels de l’éthique sur cette variable. La ques-tion qui nous intéresse est alors de savoir dans quellemesure les salariés pourraient-ils adhérer plus fortement

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2 La traduction des termes anglo-saxons « job involvement » a étéintroduite dans la littérature française par Neveu (1993) sous les ter-mes « d’engagement dans l’emploi » ; l’emploi pouvant être conçudans certains cas comme la relation contractuelle qui lie un employeuret un salarié, le choix de la terminologie « engagement dans le tra-vail » a été adopté, de manière à mettre davantage l’accent sur la rela-tion au contenu même du travail, plutôt que sur la relation contrac-tuelle à l’organisation (Carbonnel 2003).

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aux valeurs et aux buts de leur entreprise, si celle-ci serévèle sociétalement engagée, dans une démarche dedéveloppement de l’éthique. Et si l’entreprise, au-delàdes discours et des déclarations d’intentions, favorise l’é-thique dans les pratiques professionnelles des salariés.Par ailleurs, la relation entre l’éthique et l’implicationmérite d’être examinée au regard des travaux de Cohen(1999), qui ont mis en évidence l’influence positive del’engagement dans le travail sur l’implication organisa-tionnelle (résultats d’analyses confirmatoires sur unéchantillon de 238 infirmières canadiennes). Selon cetteétude, il apparaît que plus une infirmière est engagéedans son travail, plus elle adhère aux buts et aux valeursde l’organisation. Il nous apparaît toutefois intéressantde soumettre à l’épreuve d’un autre contexte la relationentre ces variables. De plus tester la relation inverse ne

nous semble pas dénué d’intérêt, de manière à observersi des salariés pourraient s’identifier à leur travail, sanspour autant être attachés à l’organisation qui lesemploie.

1.2.3 La modélisation des conceptsAprès avoir présenté les différentes orientations possi-bles en matière de responsabilité sociétale des entreprises,l’intérêt du développement de l’éthique a été souligné,ainsi que ses conséquences envisagées sur les attitudesdes salariés à l’égard de leur travail et de l’organisationqui les emploie. Au terme de la première partie de cet article, la mise enrelation des concepts est représentée dans la figure suivante.

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Développement de l’éthique,engagement dans le travail et implication organisationnelle

La figure est articulée selon un triptyque qui met enrelation les effets potentiels du développement de l’éthique sur l’engagement des salariés dans leur travail

et sur leur implication vis-à-vis de l’organisation.Le protocole expérimental envisagé pour tester ceshypothèses, fait l’objet de la seconde partie de l’article.

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2. Le protocole expérimental,les échelles de mesure, et les tests

Afin de réaliser une première expérimentation des rela-tions éthique-engagement dans le travail-implicationorganisationnelle, nous proposons un protocole (2.1)basé sur des échelles de mesure validées dans desrecherches antérieures, portant sur la perception de l’é-thique dans les pratiques professionnelles, et sur lesniveaux d’engagement dans le travail et d’implicationorganisationnelle (2.2). Le protocole vise à les appli-quer à un même échantillon de salariés. L’objectif est detester la capacité de ce protocole à mesurer la relationentre le niveau d’éthique perçue dans des situations pro-fessionnelles critiques et les niveaux d’engagementdans le travail et d’implication organisationnelle (2.3).Nous posons donc les hypothèses que plus le niveaud’éthique perçue par le salarié dans ces situations estélevé, plus ses niveaux d’engagement dans le travail etd’implication organisationnelle le seront également.

2.1 Le protocole expérimentalDans le champ de l’éthique professionnelle, un ques-tionnaire classique peut provoquer chez les répon-dants une résistance culturelle. La proposition d’al-ternatives concrètes dans une situation vécue ou proje-tée facilite leurs réponses (Hunt, Chonko et Wilcox,1984 ; Hunt et Vitell, 1986). Nous avons donc opté pourla méthode des scénarios, assez largement mise àcontribution dans les recherches en marketing auxEtats-Unis (Nillès, 2001), mais très peu utilisée enFrance. Au plan théorique, la méthode des scénarioscherche à établir un équilibre réflexif, c’est-à-dire unecohérence entre les principes éthiques et “les jugementsmoraux particuliers auxquels nous adhérons spontané-ment lorsque nous sommes confrontés à des situationsconcrètes, réelles ou imaginaires” (Van Parijs, 1991).Cette méthode permet de prendre en compte partielle-ment et de décrire la complexité d’une situation profes-sionnelle et son impact sur le comportement éthique, cequ’une question ordinaire ne permet pas (Reidenbach etRobin, 1990). Elle présente une référence concrètecommune aux répondants, susceptible d’améliorer lafiabilité des données recueillies. La démarche proposée s’inspire des schémas méthodo-logiques utilisés dans le domaine des recherches sur lavente, notamment par Chonko Tanner et Weeks (1996)pour l’élaboration des scénarios, en les enrichissant par lathéorie des vertus et en adaptant leur mise en forme. Lesétapes principales de la démarche sont les suivantes :• Définition des vertus cardinales dans le domaine

professionnel concerné

• Identification des comportements typiques de cesvertus dans les pratiques professionnelles étudiées

• Détermination des situations problématiques au planéthique susceptibles d’illustrer chacun de ces com-portements

• Description schématique de ces situations probléma-tiques

• Identification de réponses comportementales possi-bles dans chacune des situations

• Mise au point de l’échelle de mesure.

Une des questions essentielles au plan de la méthodeconcerne la conception des scénarios, question peu trai-tée dans la littérature anglo-saxonne sur le sujet. Leschercheurs dupliquent souvent les scénarios mis aupoint dans des recherches antérieures, qui n’explicitentpas toujours leur mode de génération de conception.Nous avons choisi de construire entièrement l’outild’investigation avec l’appui du groupe d’experts. Nousadoptons une variante de la méthode, qui consiste àdéfinir, pour chaque scénario, les différentes réponsescomportementales possibles, par rapport auxquelles leprofessionnel pourra être amené à prendre position.Cela comporte l’avantage de rapprocher le question-naire du contexte de la décision réelle.

2.2 Les échelles de mesures de l’éthique, de l’engagement dans le travail, de l’implication organisationnelle

Un certain nombre d’échelles de mesure de l’éthique,de l’engagement dans le travail et de l’implication orga-nisationnelle ont été utilisées dans les travaux de recher-che aux Etats-Unis, au Canada et en France, notam-ment dans le domaine commercial (Chonko Tanner etWeeks, 1996). Nous utiliserons pour la mesure de l’é-thique, une méthode fondée sur une matrice de généra-tion des scénarios spécifiques à un « métier », basée surla théorie des vertus.

L’échelle de mesure de l’éthiqueNous présentons les étapes de la méthode mise enœuvre pour construire l’échelle spécifique de mesure dela perception de l’éthique dans les situations profes-sionnelles sensibles. Le contenu des scénarios est eneffet développé spécifiquement pour chaque métier. Lecontenu présenté ici est tiré d’applications de cetteméthode dans des recherches antérieures sur l’éthiquecommerciales (Nillès, 2003). Dans un premier temps les vertus commerciales sontdéfinies à partir d’une adaptation des définitions théo-riques traditionnelles, au contexte professionnel. Ladéfinition traditionnelle des vertus a été obtenue à par-

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tir d’une synthèse de la littérature philosophique. Elleest qualifiée de traditionnelle parce qu’elle relève d’unehistoire de la pensée morale ancienne et stable (Nillès,1998) ; le tableau des vertus et de leur définition dans latradition est présenté en annexe 1. Les dimensions n’ontpas été confirmées de façon statistique (elles ne sont pasnettement restituées par les données d’enquête). Ellesont essentiellement une valeur heuristique (produire descontenus, saisir des perceptions), non explicative. Ceciest conforme à la théorie aristotélicienne des vertus (etau-delà à toute la théorie des vertus), selon laquellechaque vertu doit être présente dans les autres, ce quiest en même temps une difficulté théorique.Cette adaptation se traduit par la détermination descomportements typiques des vertus. Le contenu est pro-

duit grâce à des entretiens de groupe, avec des expertsdu métier concerné. L’adaptation de la définition tradi-tionnelle à un contexte professionnel se fait donc parune méthode qualitative, par groupe d’experts. Untableau est proposé aux experts, comportant la défini-tion traditionnelle de chaque vertu et leur demandant dedonner leur propre définition de la vertu dans soncontexte de travail. Ces définitions sont ensuite discu-tées, de façon à obtenir un texte simple et compréhensi-ble par les professionnels du métier considéré. Cetteadaptation se fait à la marge et ne remet pas en questionle sens de la définition traditionnelle. Dans un deuxième temps les comportements typiquessont mis en relation avec des situations professionnellesparticulièrement représentatives pour les praticiens.

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Développement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelleAnne CARBONNEL et Jean-Jacques NILLES

Adaptation du contenu d’une vertu (Altruisme) au contexte professionnel

Les situations significatives étant identifiées, elles sontmises en forme selon la méthode des scénarios. Les scé-narios sont des descriptions schématiques d’un contexte

de décision, incluant éventuellement les options qui seprésentent à l’individu.

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Les mesures seront réalisées sur la base de l’évaluationde ces scénarios par les professionnels. Celle-ci permet-tra notamment de mesurer la valeur éthique accordéepar ces derniers aux différentes possibilités de décisionsproposées.

L’échelle de mesure de l’engagementUne des premières échelles de mesure de l’engagementdans le travail est celle de Dubin (1956), qui présentel’inconvénient d’associer des items relatifs à l’engage-ment dans le travail en général, et ceux qui concernentle travail occupé par un individu, dans un contexte

donné. Le questionnaire de Lodahl et Kejner (1965),composé de 20 items, ne fait pas l’unanimité, car ilassocie l’engagement et la motivation intrinsèque, l’en-gagement dans le travail en général et un travail parti-culier (Saleh, Hosek, 1976), et fait apparaître parailleurs une instabilité factorielle (Ramsey, Lask,Marshall, 1995). En conséquence l’échelle retenue pourla mesure de l’engagement dans le travail est celle deKanungo ; les qualités psychométriques de l’outil sonten effet satisfaisantes (Paullay, Alliger, Stone-Romero,1994). Les 10 items de l’échelle originale présentent unalpha de Cronbach satisfaisant (.87).

L’instrument peut être ramené aux 5 items suivants :

• 1. Les évènements les plus importants de ma vie onttrait à mon emploi actuel.

• 2. Je suis personnellement très pris(e) par mon travail.• 3. Ma vie est pratiquement axée sur mon travail. • 4. La plupart de mes objectifs personnels sont axés

sur mon emploi.• 5. J’aime être absorbé(e) par mon travail, la majeure

partie du temps. Echelle de mesure de l’engagement dans le travail

Partant de la version intégrale de l’échelle de Kanungo(10 items), l’analyse des corrélations des réponses obte-nues dans un pré-test, pour chaque item avec le scoreglobal de l’échelle, a permis d’obtenir une meilleurevalidité convergente de l’outil, ramené à 5 items(Carbonnel, op.cit) ; l’utilisation de cette version allé-gée de l’échelle, sur une série de 3 mesures espacées de6 mois au minimum, a fourni un alpha moyen très satis-faisant (.93)

L’échelle de mesure de l’implication organisationnelleParmi les pionniers de la mesure figurent Ritzer et Trice(1969), dont l’échelle, focalisée sur l’intention de resterdans l’organisation, n’a pas fait l’objet de tests de fiabi-lité. La mesure de l’implication normative la plus utili-sée est celle de Wiener et Vardi (1980), dont la fiabilitéest limitée (= .60). D’autres échelles plus récentes per-mettent de mesurer les différentes facettes du concept(Allen et Meyer 1990 ; Cohen 1993 par exemple), maisles qualités psychométriques n’ont pas été réalisées parles auteurs. L’échelle la plus utilisée à ce jour, et qui aréuni le plus d’avis favorables semble être l’OCQ dePorter (1974). Bien qu’ancienne, elle présente une fortecohérence interne, une excellente fiabilité, une bonnevalidité convergente, et une validité discriminante satis-faisante. Quelques critiques ont toutefois été formuléesà son encontre : l’OCQ serait un construit bidimension-nel (Angle et Perry 1981 ; Cohen et al. 1992).

La rupture des relations avec un fournisseur

Vous avez augmenté régulièrement au cours des derniè-res années vos commandes à un fournisseur, dont vousêtes maintenant devenu le principal client. Un nouveaufournisseur est arrivé sur le marché. Ce fournisseur aintroduit des méthodes de production qui lui permettentde proposer des produits de meilleure qualité à des prixplus faibles. La Direction générale, consciente des consé-quences d’une décision de changement sur l’entreprisedu fournisseur initial, vous laisse libre de décider de cequ’il convient de faire. Elle souhaite préserver une bonneimage mais est en même temps très attentive aux gains deproductivité à moyen terme.

Exemple de scénario issu d’une recherche sur l’éthiquedans les achats

• Vous changez de fournisseur. Vous n’êtes pas respon-sable de la politique commerciale de votre four-nisseur initial, politique qui l’a conduit à dépendrelargement de vos commandes.

• Vous commencez à passer des commandes au nouveaufournisseur, sans interrompre les commandes de l’an-cien. Vous pensez équilibrer progressivement ces com-mandes de façon à favoriser la concurrence entre cesdeux fournisseurs et à laisser une chance à l’anciende rattraper son retard. Vous lui demandezd’améliorer sa productivité et sa qualité.

• Vous continuez à travailler avec votre premier four-nisseur car vous considérez qu’il s’agit d’un partenairede long terme et que vous êtes en partie responsable dela situation actuelle. Vous aidez le fournisseur à chang-er de stratégie commerciale afin qu’il puisse réduire sadépendance à votre égard.

• Vous continuez à travailler avec votre ancien four-nisseur, mais vous lui donnez un délai de quelquesmois, au terme duquel il devra être à nouveau com-pétitif, sans quoi vous devrez donner votre préférenceau nouveau fournisseur.

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Développement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelleAnne CARBONNEL et Jean-Jacques NILLES

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En conséquence nous suivrons les recommandations deces derniers auteurs au sujet de l’échelle, en retenantexclusivement les 5 items suivants, dans la mesure oùils ont été validés par les analyses factorielles, commereprésentatifs du construit affectif de l’implication orga-nisationnelle.

• 1. Je suis prêt(e) à faire de très gros efforts, au-delà dece qui est normalement attendu, pour aider l’entre-prise à réussir.

• 2. Je parle de cette entreprise à mes ami(e/s) commed’une très bonne entreprise où être membre est for-midable.

• 3. Je suis fier(e) de dire aux autres que j’appartiens àcette entreprise.

• 4. Je suis très heureu(x/se) d’avoir choisi à l’époquede mon recrutement, de travailler pour cette entre-prise plutôt que pour une autre.

• 5. Je me sens vraiment concerné(e) par le futur decette entreprise

Echelle de mesure de l’implication organisationnelle

La mesure des concepts sera réalisée sur une échelle deLikert à 5 points d’ancrage (de tout à fait d’accord à pasdu tout d’accord). La voie électronique sera privilégiéepour administrer les questionnaires ; les observationsalimenteront ainsi la base de données sur laquelle diffé-rents tests statistiques pourront être effectués, afin desoumettre à l’épreuve des « faits » les hypothèses derecherche.

2.3 Les tests des hypothèses Les hypothèses sous tendues par le modèle présentéplus haut réclament d’une part l’étude des relationsentre les construits du modèle, et d’autre part, l’évalua-tion des effets du développement de l’éthique de lavente sur l’engagement dans le travail et l’implicationorganisationnelle. L’analyse de la régression entre lesconstruits permettra de valider ou de rejeter les hypo-thèses nomologiques de la recherche. Par ailleurs, leseffets du développement de l’éthique sur les variablesde résultat seront appréciés en ayant recours à unemesure avant puis après la mise en œuvre de la démar-che auprès des acteurs concernés.Différents tests seront effectués à cet effet sur les don-nées recueillies. Une analyse discriminante permettrad’observer s’il est possible de classer les réponses dessalariés avant et après la mise en œuvre du développe-ment de l’éthique. Par ailleurs le test de différence demoyenne, et le test Eta pourront être mobilisés pouranalyser respectivement les variations des moyennesdes variables de résultat (engagement dans le travail etimplication organisationnelle), et la valeur explicativedu développement de l’éthique sur le phénomène.

3. Les résultats attendus de la recherche

Deux catégories de résultats sont attendus de la recher-che : une typologie et l’observation des effets du développement de l’éthique sur les attitudes étudiées.La typologie envisagée pourrait être construite à partirdes réponses au questionnaire administré avant le déve-loppement de l’éthique en entreprise. Nous chercheronsdonc à évaluer dans quelle mesure les observationspourraient être classées d’une part selon un axe éthiqueet un axe engagement et d’autre part, selon un axeéthique et un axe implication organisationnelle. Il pour-rait alors apparaître par exemple pour les axes éthique-engagement, une typologie de 4 catégories d’identitésprofessionnelles :

• «vertueux-engagé » : regroupant les observationsselon lesquelles plus un salarié prend des décisionséthiques dans son travail, plus il s’identifie à son travail ;

• « non vertueux-engagé » : regroupant les observa-tions selon lesquelles moins un salarié prend de déci-sions éthiques dans son travail, plus il s’identifie àson travail ;

• « vertueux-détaché » : regroupant les observationsselon lesquelles plus un salarié prend de décisionséthiques dans son travail moins il s’identifie à son tra-vail ;

• « non vertueux-détaché » : regroupant les observa-tions selon lesquelles moins un salarié a la possibilitéde prendre des décisions éthiques dans son travail,moins il s’identifie à son travail.

La même typologie pourra s’appliquer à l’implicationorganisationnelle.Ces typologies sont de nature descriptive. Un travailqualitatif en aval de l’enquête, avec les experts, peutdonner lieu à une interprétation normative des résultats,dans le cadre d’une approche de type déontologique.Ce premier travail de classification sera complété pard’autres analyses (après développement de l’éthique enentreprise), de manière à observer dans quelle mesure ledéveloppement de l’éthique peut améliorer l’engage-ment dans le travail et l’implication organisationnelledes salariés.

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Développement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelleAnne CARBONNEL et Jean-Jacques NILLES

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ConclusionLa recherche proposée vise à articuler les stratégiesliées au développement de la responsabilité sociétale del’entreprise à l’éthique dans les comportements profes-sionnels. Pour ce faire elle cherche à associer l’effort del’entreprise dans le domaine de l’éthique aux effets sup-posés de l’éthique sur l’engagement au travail et l’im-plication dans l’organisation. Si les hypothèses avan-cées étaient confirmées, l’éthique pourrait être intégréeaux outils fondamentaux du management.Il semble en effet essentiel aujourd’hui de pouvoirrelayer les textes et les discours sur la responsabilitésociétale au niveau du management opérationnel et auxpratiques professionnelles, en particulier dans le domai-ne commercial. Une première enquête de terrain per-mettra de vérifier la fertilité de ce champ de recherche.

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Développement de l’éthique, engagement dans le travail et implication organisationnelleAnne CARBONNEL et Jean-Jacques NILLES

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Annexe 1 “Répertoire” des vertus

Les vertus principales Leur définition dans la tradition

I. Altruisme Considération pour autrui en tant que personne, c’est-à-dire en tant que fin et non passeulement en tant que simple moyen.

1.1. Abnégation Sacrifice volontaire de soi-même, de son intérêt.

1.2. Amour de soi Volonté de persévérer dans son être. Attachement à sa propre personne.

1.3. Bénignité Qualité d’une personne bienveillante et douce.

1.4. Bienfaisance Pratique des bienfaits, habitude de faire le bien.

1.5. Bienveillance Contentement que l’on retire du bonheur d’autrui.

1.6. Bonté Tendance à rechercher le bien d’autrui.

1.7. Charité Amour du prochain, bienfait envers les autres.

1.8. Clémence Qualité qui conduit à pardonner les offenses ou à adoucir les châtiments.

1.9. Commisération Sympathie qui naît du spectacle des souffrances d’autrui.

1.10. Compassion Sentiment qui porte à plaindre et à partager les maux d’autrui.

1.11. Complaisance Disposition à s’accommoder aux goûts d’autrui pour lui plaire.

1.12. Désintéressement Détachement de tout intérêt personnel.

1.13. Dévouement Sacrifice de son propre intérêt au profit d’autrui.

1.14. Douceur Qualité morale qui porte à être conciliant et affectueux.

1.15. Estime de soi. Attachement à sa propre personne considérée sous l’angle de sa valeur morale.

1.16. Fraternité Tendance à établir des liens de solidarité avec autrui, sur le modèle des relations fraternelles.

1.17. Générosité Disposition à sacrifier son intérêt personnel, à se dévouer, à donner plus que ce à quoion est tenu par le droit ou les conventions.

1.18. Humanité Sentiment de bienveillance pour son prochain.

1.19. Libéralité Disposition à donner généreusement.

1.20. Magnanimité Grandeur d’âme, clémence, générosité.

1.21. Mansuétude Disposition à pardonner généreusement.

1.22. Miséricorde Sensibilité à la misère d’autrui. Pitié par laquelle on pardonne au coupable.

1.23. Pitié Sympathie qui naît du spectacle des souffrances d’autrui et fait souhaiter qu’elles soientsoulagées.

1.24. Respect d’autrui Considération pour autrui, égale à celle que nous avons pour nous-mêmes.

1.25. Tolérance Liberté laissée à chacun d’exprimer ses opinions. Considération identique pour la per-sonne quelle qu’elle soit.

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II. Justice. Vertu qui conduit à donner à chacun ce qui d’après le droit positif ou naturel luirevient. Respect des engagements.

2.1. Componction Sentiment de tristesse face à notre propre indignité.

2.2. Constance Persévérance dans ce que l’on entreprend.

2.3. Dignité Respect de soi.

2.4. Droiture Qualité d’une personne dont la conduite est conforme aux lois de la morale.

2.5. Elévation Caractère de ce qui est supérieur moralement.

2.6. Equité Respect de la justice adaptée aux cas particuliers.

2.7. Fiabilité Caractère prévisible du comportement.

2.8. Fidélité Qui ne manque pas à la foi donnée, aux engagements pris.

2.9. Fierté Sentiment vif de sa propre dignité.

2.10. Gratitude Reconnaissance pour ceux qui nous ont fait du bien.

2.11. Honnêteté Respect scrupuleux des règles morales et de ses engagements.

2.12. Intégrité Probité absolue.

2.13. Loyauté. Attachement constant à ce à quoi l’on s’est engagé.

2.14. Noblesse Grandeur des qualités morales et de la valeur humaine.

2.15. Opiniâtreté Persévérance tenace, acharnée, obstinée.

2.16. Probité Vertu qui consiste à respecter scrupuleusement les règles de la morale sociale, les devoirs imposés par la morale et la justice.

2.17. Reconnaissance Sentiment qui pousse à éprouver vivement un bienfait reçu, à s’en souvenir et à se sentir redevable envers le bienfaiteur.

2.18. Rectitude Qualité d’une personne qui est droite, rigoureuse, intellectuellement et moralement.

2.19. Responsabilité Solidarité de la personne avec ses actes. Action fondée sur la prise en compte desconséquences de ses actes.

III. Prudence. Amour et respect de la vérité. Volonté d’agir en fonction d’elle (sagesse dans l’action).Sens des responsabilités.

3.1. Bonne foi Amour et respect de la vérité.

3.2. Discernement Disposition de l’esprit à juger clairement et sainement.

3.3. Franchise Fait de s’exprimer sans détour.

3.4. Jugement Faculté permettant de bien juger des choses qui ne font pas l’objet d’une connaissanceimmédiate certaine, ni d’une démonstration rigoureuse.

3.5. Perspicacité Qualité d’une personne douée d’un esprit pénétrant, subtil, capable de voir ce quiéchapperait aux autres.

3.6. Pondération Calme, équilibre et mesure dans les jugements.

3.7. Sagacité Pénétration faite d’intuition, de finesse et de vivacité d’esprit.

3.8. Sagesse Calme supérieur, joint aux connaissances.

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3.9. Simplicité Honnêteté naturelle, sincérité sans détour.

3.10. Sincérité Disposition à reconnaître la vérité, et à déclarer ses pensées.

IV. Courage Fermeté devant le danger ou la souffrance. Capacité à les affronter et à surmonter lapeur ou la peine. Résolution.

4.1. Fermeté d’âme Qualité d’une personne que rien n’ébranle.

4.2. Résolution Capacité à prendre une décision après délibération et à s’y tenir fermement.

4.3. Volonté Qualité de fermeté dans la décision et de constance dans l’exécution.

V. Tempérance. Capacité à maîtriser ses impulsions. Modération dans les désirs et en particulier dans larecherche du gain.

5.1. Circonspection Surveillance prudente que l’on exerce sur ses paroles, ses actions, en prenant garde àtoutes les circonstances.

5.2. Discrétion Retenue dans les relations sociales.

5.3. Humilité Sentiment de sa faiblesse, de son insuffisance, qui pousse l’individu à s’abaisser volon-tairement.

5.4. Mesure Modération dans le jugement et le comportement.

5.5. Modestie Appréciation modérée de sa propre valeur.

5.6. Modération Eloignement de tout excès.

5.7. Retenue Attitude de celui qui sait se retenir, qui garde une prudente réserve.

5.8. Réserve Qualité qui consiste à ne pas se livrer indiscrètement, à ne pas s’engager imprudem-ment, à se garder de tout excès de langage.

5.9. Tenue Dignité de la conduite.

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Peut-onnormaliser lagestion des compétences ?Enjeux et limitesdu voletcompétences de lanorme ISO 9001 version 2000

Christian DEFELIXProfesseur des UniversitésESA-CERAG - Université de [email protected]

Le paysage de la fonction ressources humaines etde l’audit social est fréquemment remodelé ouorienté par les évolutions managériales des

domaines connexes : l’introduction de la réingénieriedes processus, le développement du contrôle des coûtsbasés sur les activités, ou encore les développementserratiques des marchés financiers, conduisent managerset responsables des ressources humaines sinon à inno-ver, du moins à modifier leurs pratiques. Cela est parti-culièrement vrai avec la qualité, dont les développe-ments ont considérablement influencé les instruments etles politiques sociales au cours des dernières années.

Au sein du management de la qualité, l’approche par lesnormes et la certification a connu un très fort dévelop-pement dans les pays occidentaux. Dernière-née desnormes ISO, la norme ISO 9001 version 2000 se mont-re en l’occurrence particulièrement exigeante en matiè-re de ressources humaines, et notamment de compéten-ce : « La norme ISO 9001 préconise l’élaboration deréférentiels de compétences ainsi que l’évaluation réel-le des compétences des collaborateurs, afin de décriredes fonctions, puis de mettre en œuvre l’améliorationcontinue de ces compétences ». (Labruffe, 2003, p.3).

Les observations de ces dernières années, relatives aux pratiques réelles de gestion dans le contex-te de normes ISO, conduisent néanmoins à s’interrogersur cet effet supposé bénéfique. Est-il si sûr que la nou-velle norme favorise dans toutes les entreprises qui la mettraient en œuvre la gestion efficace des compéten-ces ? Le cadre structurant pour les instrumentations degestion des compétences fourni par cette norme noussemble devoir être interrogé (I), de manière à mieuxcomprendre à quelles conditions il peut effectivementfavoriser le management des compétences des collabo-rateurs (II).

I – La norme ISO 9001 version 2000 : un cadrestructurant pour lesinstrumentations de gestion des compétences,pourtant à interroger.

Au sein des pratiques de gestion des compétences dansles organisations tant publiques que privées,l’instrumentation occupe une place importante. Alorsque l’on constate une variété et des difficultés pour cetteinstrumentation (1), la norme ISO 9001 version 2000

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semble procurer un cadre unificateur et bénéfique pourles entreprises (2). Néanmoins, certains élémentsconduisent à interroger la pertinence et l’impact positifde cette norme sur les pratiques de management descompétences (3).

I.1 Gérer les compétences : une instru-mentation variable et un besoin desecond souffle

Gérer les compétences signifie, pour une organisation,chercher à acquérir, mais aussi stimuler et réguler lescompétences individuelles et collectives dont elle abesoin (Defélix, 2003). Si un tel souci est sans douteaussi ancien que celui du management lui-même, uneinstrumentation s’est peu à peu développée depuis lesannées 1980 pour assurer cette gestion, dans le cadred’une fonction ressources humaines davantage partagéeavec l’encadrement et plus individualisée (Gilbert,2003). Les enquêtes, monographies et témoignagesdont nous disposons font ressortir que si certainsinstruments sont fréquemment employés – lesdéfinitions de postes ou les référentiels spécifiant lescompétences requises, notamment - les dispositifs misen place et leurs objectifs diffèrent sensiblement d’uneorganisation à l’autre (Paraponaris, 2003).

Variable, cette instrumentation pourrait sembler fairepartie désormais de « la boîte à outils du manager » etbénéficier d’une large diffusion, notamment en France.Et certains indicateurs vont apparemment dans le sensde cette conclusion : sur le plan des discours, lescolloques, publications et sites internet dédiés à ce sujetn’ont jamais été aussi nombreux ; et sur le plan despratiques, la dernière enquête de la CEGOS établit que61% des entreprises françaises ont un projet en courspour évaluer les compétences de leurs collaborateurs(CEGOS, 2003).

Mais d’autres indicateurs, plus nombreux, laissentpenser à l’inverse que les instrumentations de gestiondes compétences peinent à se développer de façondurable, comme à montrer leur efficacité. D’une part, lamesure de leur diffusion est objet de débatscontradictoires : les statisticiens du Ministère duTravail, en utilisant une définition peu restrictive,concluent que 7,7% des établissements françaisseulement pratiquent la gestion des compétences(DARES, 2003). Dans le même ordre d’idées, l’étudemenée par E. Keller en lien avec l’AssociationNationale des Directeurs et Cadres de la fonctionPersonnel identifie que si des outils sont mis en place,ils sont souvent utilisés de manière optionnelle oucomplémentaire, et qu’une approche par la

compétences n’existe toujours pas dans les entreprises(Keller, 2003). D’autre part, l’efficacité de cesdémarches, au sens de leur contribution à laperformance de l’organisation, est rarement évaluée :les quelques recherches de ce type restent rares (ellessont surtout nord-américaines : Tremblay et Sire, 1999),comme les propositions concrètes de dispositifs demesure (Le Louarn et Wils, 2001).

I.2 La norme ISO 9001 version 2000,un cadre apparemment unificateuret favorable à la gestion des compétences

C’est dans ce paysage contrasté que surgit depuis peuune nouvelle mouture de la norme internationale ISO9001, la version 2000. Publiées en 1987 et déjà réviséesune première fois en 1994, les normes ISO 9000 « sontdevenues incontournables dans tous les pays et pourtous les secteurs » (Igalens, 2003). Bien des entreprises,certifiées avec la version 1994 de cette norme, ont déjàentrepris dans ce cadre d’introduire peu ou prou unedémarche compétence, ne serait-ce qu’en rédigeant desdéfinitions de postes spécifiant les compétencesrequises ou en structurant davantage leur dispositif deformation.

Néanmoins, la version 2000 se présente commebeaucoup plus exigeante en la matière. En conformitéavec l’orientation client, présentée comme l’une desorientations majeures de la qualité, et dans uneperspective de management des processus, il estdésormais stipulé que le personnel effectuant un travailayant une incidence sur la qualité du produit doit êtrecompétent « sur la base de la formation initiale etprofessionnelle, du savoir-faire et de l’expérience ». Ilrevient alors à l’entreprise désireuse d’acquérir lanouvelle norme non seulement de « déterminer lescompétences nécessaires » pour ce type de personnel etde « pourvoir à la formation ou entreprendre d’autresactions pour satisfaire ces besoins », mais également« d’évaluer l’efficacité des actions entreprises » et de« conserver les enregistrements appropriés » (AFNOR,2000). Ces exigences s’accompagnent en outre delignes directrices relatives au développement despersonnes, notamment par de la formation continue et lareconnaissance.

Ce qui est donc notable dans cette version 2000, c’estdonc une exigence plus grande dans les démarchescompétences à mettre en œuvre et surtout cettedemande de mesure. L’entreprise « V 2000 » n’est eneffet pas seulement celle qui rédige des référentiels :

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elle est celle qui saura prouver qu’elle a identifié l’écartentre les compétences requises et celles actuellementdétenues par son personnel, qui met en œuvre desactions correctrices et qui en mesure la progression.Une responsable ressources humaines en entrepriseindustrielle commente ainsi ce cadre plus exigeant :« Avant, les audits allaient juste voir le responsableformation et regardaient les process dans leurensemble. Aujourd’hui, ce n’est pas le service RH quiest audité, mais l’ensemble des processus RH del’organisation. On va moins dans le détail des modesopératoires, mais plus dans l’évaluation de l’output : leprocessus est-il maîtrisé ? Les indicateurs sont-ils là ?Les plans d’action en cas de décalage sont-ils prêts ? » 1

I.3 Un impact et une pertinence pour la gestion des compétences à interroger

D’un côté, des instrumentations de gestion descompétences qui peinent à s’ancrer durablement dans lapratique managériale ; de l’autre, des exigences plusfortes en matière de dispositif comme en matière demesure de son efficacité : ainsi présentée, la norme ISO9001 version 2000 apparaît comme une « divinesurprise » pour les apôtres de la compétence. Une tellevision doit cependant être interrogée, d’abord parce quecette norme contient sa part de zones d’ombre, etensuite parce qu’elle est en elle-même un instrumentporteur de certaines hypothèses sous-jacentes.

Bien qu’apparemment irréprochable, la version 2000présente en effet sa part de zones d’ombre. Unepremière est générale et porte sur toute démarche decertification : des procédures écrites à l’avance negarantissent pas forcément la qualité ; « Tout systèmevivant comporte par définition de l’imprévisible (…)Les procédures sont utiles mais seulement comme guideet à condition qu’elles laissent des marges demanœuvre » (Christol, 1993, cité par Igalens, 2003).Une deuxième difficulté, plus spécifique à la version2000 en elle-même, est que, comme le remarque Igalens(2003), à trop vouloir faire en sorte que le personnel soitcompétent, on risque de se focaliser sur une partieseulement de la gestion des ressources humaines :« Quelle peut être l’efficacité d’un personnel formé,compétent et qui ne serait, par exemple, ni impliqué, nimotivé, ni satisfait ? » Troisième difficulté : l’exigenceporte avant tout sur « le personnel effectuant un travailayant une incidence sur la qualité du produit », commesi la gestion des compétences ne valait pas la peine ouétait moins importante pour les autres catégories, pluslointaines du client…

Au-delà de ces difficultés, auxquelles les spécialistes dela certification sauront trouver probablement desréponses, il convient de s’interroger sur les inévitableslimites que la version 2000 comporte en tant qu’instru-mentation de gestion. En lui appliquant le guide delecture du « déconstructeur » de P. Gilbert (1998), nouspouvons remonter des niveaux les plus apparents(opérant, procédural et conceptuel) au niveau argumen-tatif, c’est-à-dire celui des croyances, normes decomportement et hypothèses implicites. A ce titre, cinqhypothèses implicites sur les entreprises et leur gestiondes compétences sont insérées dans la version 2000 :- Il s’agit de déterminer « les compétences néces-

saires »… On suppose donc qu’il est possibled’identifier et de formuler les compétences requisessur les emplois ou pour les personnels visés. Légitime,cette hypothèse reste néanmoins discutable en raisonde la rapidité des évolutions technologiques et del’importance grandissante de la relation de servicedans les actes de production eux-mêmes ;

- l’organisation est tenue d’évaluer le niveau decompétences acquises en regard de ce qui est requis…Ce qui suppose donc qu’il existe des situationsobservables et/ou des personnes bien placées poureffectuer cette évaluation. Légitime également, cettehypothèse est plus ou moins valide selon les situationsde travail, à l’heure où bien des salariés travaillentavec une distance physique par rapport à leuremployeur ou leur hiérarchique ;

- il importe « d’assurer que les membres du personnelont conscience de la pertinence et de l’importance deleurs activités »… Ce qui suppose que tous les salariésconcernés soient sensibles à cette importance, end’autres termes qu’ils soient impliqués dans leurtravail et/ou par rapport à leur organisation. Lamutation dans le rapport au travail constatée à notreépoque (Albert et al., 2003) laisse entrevoir desdécalages possibles par rapport à cette implicationsouhaitée.

- Enfin, et de manière plus implicite encore, cetteinstrumentation n’a de sens que si l’organisationsouhaite en faire une réelle utilisation managériale (etnon un simple rituel orienté vers la satisfaction del’auditeur) et si ses clients sont effectivementdemandeurs de vérifier que les compétences sont biengérées dans cette organisation. Si ces deux dernièresconditions sont présentes dans bien des entreprises, ilparaît difficile de postuler qu’elles le sont dans tous lesunivers de production ou de service sur l’ensemble dela planète.

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1 Propos recueillis dans le cadre d’un entretien préparatoire à cettecommunication.

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II - Un cadre plus ou moinsadapté aux entreprises : deux cas contrastés deconfrontation à la version2000

Intéressante et stimulante par son niveau d’exigence etsa demande de mesure pour la gestion des compétences,la norme ISO 9001 version 2000 est donc porteuse deschémas et d’hypothèses sous-jacentes ; il ne s’agitdonc pas d’un cadre naturel ou neutre. Dès lors, quel vaêtre son impact sur les pratiques et instruments degestion des compétences dans les organisations ? Al’heure qu’il est, du fait du caractère récent de la norme,nous ne disposons pas de retours d’expérience trèsnombreux. Cependant, l’observation fin 2002 de deuxentreprises, déjà étudiées pour leur mise en placeprogressive d’une gestion des compétences (1), nouspermet de constater des stratégies différenciées face àcette nouvelle norme (2), et d’analyser les conditionsqui en font un outil de management pertinent ou non(3).

II.1 - Au départ : deux entreprises,deux politiques, et deux manièresde gérer les compétences.

L’entreprise A se situe dans le secteur de la micro-électronique et est née il y a dix ans d’un brevet déposédans un grand laboratoire de recherche. Elle atteint leseuil des 50 salariés dès 1996 et recrute à cette époqueun DRH et un directeur financier, anticipant sondéveloppement futur. De « start-up » innovante elledevient une entreprise de production en 1998, justeavant d’obtenir la certification ISO 9001 et d’entrer ausecond marché de la Bourse de Paris. D’abord perçuecomme située sur une niche incertaine, l’entreprise Acrée peu à peu son marché en faisant accepter sonproduit par les grandes sociétés de semi-conducteurs.Croissance de la production, croissance des effectifs,augmentation de capital, extension de l’usine : Atermine sa première décennie avec près de 300 salariéset des perspectives de développement malgré lecaractère cyclique de son marché.De son côté, B est une société qui œuvre dans lesservices informatiques. Constituée à l’origine dans lesannées 1980 pour commercialiser une licence de génielogiciel, B est peu à peu devenue une société de servicesà part entière, avec la particularité de rester autonome etde connaître une croissance interne progressive.

Composée en majorité d’ingénieurs et cadres,l’entreprise B vit au rythme des projets et d’un marchédes services informatiques fluctuant. Après une périodedifficile au début des années 1990, la société se doted’outils de gestion plus rigoureux et entre dans unedémarche de certification ISO 9001. Au début desannées 2000, ses dirigeants décident de diversifierdavantage leur activité et de passer à une étape decroissance externe.

Si A et B relèvent des « hautes technologies » etprésentent toutes les deux des dispositifs decertification qualité, elles n’en ont pas moins développédes pratiques de gestion des compétences fortdifférenciées. Chez A, du fait de la croissance trèsrapide, du passage à la production, mais aussi de lavolonté du DRH, on a développé relativement tôt unsystème formalisé de gestion des compétences,comportant des descriptions de fonctions aveccompétences requises, un entretien annuel baséfortement sur l’évaluation des compétences détenues, etsurtout un processus d’habilitation progressive desopérateurs aux postes de travail. Chez B, la gestion descompétences existe davantage comme une pratiqueinformelle de chaque chef de projet ou directeurd’agence, et c’est en vain que le responsable desressources humaines tente de mettre en place unrecensement centralisé et informatisé des compétencesdétenues et de leur évolution.

II.2 - Face à la norme ISO 9001 version 2000 : des stratégies fortdifférenciées

Différentes dans leur manière de concevoir et d’instru-menter la gestion des compétences, les entreprises A etB le sont aussi dans leurs réactions face à la nouvellenorme ISO 9001 version 2000 et ses exigences.

Chez A, le cap est très rapidement donné dès fin 2001 :il s’agira d’optimiser dans le cadre de la nouvelle normeles processus ressources humaines et notamment lagestion des compétences. Le DRH voit uneconvergence entre les « metrics » demandés par cettenorme et la nécessité de montrer la valeur ajoutée de safonction et la placer à un niveau toujours plusstratégique. Il confie au sein de son équipe des missionsqui vont dans ce sens, comme mettre au point unemesure de la performance du recrutement, améliorer leprocessus d’habilitation des opérateurs à leur poste detravail, ou encore mesurer l’efficacité des formations. Acet égard, l’entreprise A réalise un diagnostic de sonsystème d’habilitation et constate que les outils etsupports utilisés ne sont pas forcément accessibles etque les habilitations délivrées sont hétérogènes. Le

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processus d’habilitation est entièrement refondu, desindicateurs de suivi des formations au poste de travail etd’élévation du niveau de compétences sont développés.

L’audit de certification a eu lieu en décembre 2003. Aest alors certifiée ISO 9001 dans sa version 2000, maisl’auditeur reviendra bientôt, pour un audit deconformité cette fois. En effet, si l’audit a pris acte desdispositions que prend l’entreprise pour mesurerl’efficacité des processus RH, il donne égalementrendez-vous dans 6 mois pour constater lefonctionnement effectif de ces indicateurs… Il inviteégalement la service formation à évaluerprioritairement des formations visant à satisfaire leclient. Les mois à venir seront ainsi consacrés à lapoursuite de la réflexion sur ces dispositifs de mesureainsi qu’à la communication auprès des managers.

Les attitudes des managers et responsables del’entreprise B sont très différentes de celles de A.Comme toutes les sociétés de services informatiques, Best d’abord préoccupée par son carnet de commandes etsa survie à moyen terme. La qualité reste officiellementun objectif important, mais de fait les responsables deservices et les dirigeants sont absorbés par d’autrestâches que la préparation d’une nouvelle certification.En 2002 le Directeur Général et la responsable desressources humaines avaient commencé une réflexionen vue de bâtir un référentiel de compétences, maiscelle-ci est abandonnée à l’heure actuelle,provisoirement du moins. L’heure n’est donc pas à laversion 2000 et encore moins à la mesure de l’efficacitéde la gestion des compétences.

II.3 - La norme ISO 9001 version 2001,une aide inégale à la gestion descompétences, sous conditions

L’observation et l’analyse de ces deux cas d’entreprisessont en cours, mais il est d’ores et déjà intéressant d’entirer quelques éléments de réflexion et des pistes pourl’action.

L’interprétation des différences de stratégies observéesface à la norme pourrait se faire dans une perspectivecontingente : la société A est sur un marché à fortecroissance et peut se permettre de penser le long terme ;elle emploie deux tiers d’opérateurs et de techniciens,pour lesquels des mobilités fonctionnelles etprofessionnelles sont à organiser ; elle est donc, de parcet environnement externe et interne, plus réceptive quela société B, stratégiquement plus fragile.Si une telle explication par la contingence a sa partd’intérêt, elle nous paraît limitée : en considérant queles organisations sont plus ou moins enclines à changer

du fait de leur environnement, elle risque de« chosifier » la norme ISO, que les entreprises devraientadopter tôt ou tard, selon leur contexte. Nous préféronsrenverser la perspective et nous demander pour quelstypes de situations de travail cette nouvelle normedevient un outil de management pertinent. La réponsetient sans doute à la plus ou moins grande validation deshypothèses implicites que nous avons détectées :

- la possibilité d’identifier et de formuler lescompétences nécessaires est certainement plus grandechez A du fait de son activité de production et de laconduite de machines complexes. Chez B, lescompétences requises pour développer des progicielsou vendre des services sont forcément plus génériqueset moins codifiables ;

- l’évaluation du niveau de compétences atteint paraîtégalement plus réaliste dans le cas de A, car le travaildes opérateurs se fait en salle blanche, sous le regardde responsables hiérarchiques dans des zones detravail identifiées. Les développeurs et les consultantsde B travaillent, eux, de façon plus autonome et moinssurveillée ;

- du côté de B, les clients éventuellement déçus par lacompétence des intervenants de l’entreprise peuventse tourner vers d’autres prestataires de services. Enrevanche ceux de A sont davantage captifs du fait de laforte technicité de la société, et ont intérêt à favoriserla montée en compétence des opérateurs qui travaillentpour eux ;

- enfin, l’utilisation managériale de la norme ISO 9001est plus probable chez A que chez B, du fait de laposition plus affirmée et reconnue du DRH face à ladirection.

Ainsi, au-delà des différences – indéniables – d’envi-ronnement, les deux entreprises se distinguent par dessituations de travail fort dissemblables pour leurssalariés. La version 2000 de la norme ISO 9001convient davantage aux situations de travail de lapremière entreprise, dans la mesure où le travail y estplus programmé et prévisible.

ConclusionPeut-on normaliser la gestion des compétences ? Au vudes observations disponibles, notre réponse penchepour la négative. La norme ISO 2001 version 2000représente un une tentative intéressante de cadrage etd’incitation à développer les compétences, mais sembleinégalement pertinente selon les types d’entreprises etde situations de travail. L’avenir dira si, pour autant, lesentreprises a priori plus en phase avec la nouvellenorme sauront en faire un réel outil de management dela performance.

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BibliographieAFNOR, Norme ISO 9001, Tour Europe, 92049 Paris

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Connaissances et action en GRH :enjeux théoriqueset pratiques

Anne DIETRICHMaître de ConférenceGRAPHE-CLAREE, IAE de [email protected]

Didier CAZALMaître de ConférenceGRAPHE-CLAREE, IAE de [email protected]

La gestion et la GRH en particulier se caractérisentpar une forte hétérogénéité : hétérogénéité desacteurs et des enjeux, mais aussi des connais-

sances et des pratiques. Notre papier prend le parti deconsidérer les travaux de recherche en GRH face à cettehétérogénéité, et s’intéresse plus particulièrement auxconnaissances mobilisées et produites par leschercheurs. A l’hétérogénéité de ses « objets », larecherche en GRH répond dans ses contributions parune hétérogénéité sinon égale du moins comparable,dans ses méthodes, conceptualisations et résultats.

De manière plus spécifique, nous nous proposons icid’examiner l’hétérogénéité des connaissances en GRHà travers la question de la nature des contributions dansles travaux de recherche. Opérant un retour réflexif surnos propres travaux, nous nous sommes interrogés surles moyens- d’une part d’évaluer la pertinence dans la durée de

préconisations parfois fortement contextualisées, - et d’autre part de capitaliser notamment en termes

théoriques les connaissances produites à partird’études de cas et de recherches-actions.

Dans un premier temps, nous revenons au constat assezlargement partagé de l’hétérogénéité des connaissancesen gestion et montrons qu’un enjeu central de cettequestion est l’articulation entre connaissancescientifique et connaissance opératoire ou actionnableau sens d’Argyris (1995). Pour ce faire, nousaccomplissons dans un second temps un détour par lathéorie des intérêts de connaissance de Habermas quipermet de souligner le primat de l’intérêt dans laconnaissance et l’importance à cet égard de sescontextes de production et d’utilisation. Partant del’hétérogénéité de ces intérêts de connaissance, nousmontrons le potentiel heuristique de la typologie deHabermas pour traiter de l’hétérogénéité des connais-sances en sciences de gestion. Dans un troisième temps,nous illustrons les thèses avancées par résultats detravaux sur la gestion des compétences et l’amé-nagement-réduction du temps de travail.

I. L’hétérogénéité desconnaissances en gestion

Nous ferons tout d’abord un point sur les termes duconstat d’hétérogénéité et les éléments d’un débatprobablement aussi ancien que les sciences de gestionelles-mêmes. Nous avançons ensuite des pistes pourdépasser ce constat et faire de cette hétérogénéité nonpas une imperfection ou un péché de jeunesse, mais uneopportunité de penser l’articulation entre connaissanceet action.

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1. Une hétérogénéité constitutive

Voilà près de vingt ans, Whitley (1984a, 1984b)montrait déjà le caractère fragmenté du champ dessciences de gestion dans le monde anglophone(management studies). Il soulignait en particulier que cechamp subit des tensions contradictoires entre laproduction de connaissances scientifiques et celle deconnaissances opératoires. Le débat sur la question estrécurrent en France et a ainsi fait l’objet du thème deréflexion des deux dernières Journées nationales desIAE.

Dans le domaine français, différents auteurss’interrogeant sur les fondements des sciences degestion (par exemple David et al., 2000, Desreumaux,2000, Bréchet, Desreumaux, 2002), soulignent lesproblèmes posés par les relations entre ces sciences etleur objet d’étude, les pratiques de gestion. Le constatressort ainsi d’une forte hétérogénéité desconnaissances en sciences de gestion et cela à différentsniveaux :

- Quant à leur nature : des concepts, théories etméthodologies très divers coexistent en sciences degestion, en particulier du fait qu’ils proviennent enpartie d’autres sciences sociales.

- Quant à leur construction et leur structure : les modesde justification, d’argumentation et de validation et lesniveaux d’analyse sont très variables d’une disciplinede gestion à l’autre comme au sein d’une mêmediscipline ; les connaissances sont plus ou moinsorganisées en programmes de recherche, écoles,courants, voire nébuleuses (le constructivisme parexemple).

- Quant à leurs finalités, celles-ci peuvent varier d’unregistre purement scientifique à un registreessentiellement opératoire, ou encore relever deprocessus de légitimation institutionnelle,idéologique, professionnelle.

- Quant aux contextes dans lesquels s’insèrent lessciences de gestion : institutionnels (système éducatif,politiques de recherche…), structurels (organisation etfonctionnement des laboratoires et équipes),scientifiques (sociétés savantes, systèmes depublication, relations avec les champs scientifiqueslimitrophes), sociaux (débats de société).

- Quant aux différents acteurs concernés, qu’ils soientdestinataires, « objets », commanditaires, partenaires(consultants, dirigeants, cadres, salariés, pouvoirspublics, étudiants, autres communautés scientifi-ques…).

Comme tout champ scientifique, elles sont soumises àdes exigences de scientificité. Même en l’absence deconsensus sur les critères de scientificité, l’activité deschercheurs en sciences de gestion obéit à des exigences

de validité scientifique. La diversité de ces critèresorganise la communauté scientifique en gestion àtravers les différents processus qui assurent sonexistence institutionnelle (sélection, organisation decongrès, publications…). En raison de cette diversité,une formulation synthétique et définitive des critères descientificité reste hasardeuse, une formulation a minimane pouvant retenir que les aspects institutionnels pourne pas dire formels (canons pour la confection d’unethèse par exemple). Au sein d’une même discipline, desapproches sensiblement différentes coexistent ainsi :démarches hypothético-déductives, expérimentales,inductives, processuelles, constructivistes… De plus,d’une discipline à l’autre, le développement et lalégitimité de ces différentes approches, mêmepartiellement liés aux objets de recherche, sontlargement variables.

A ces exigences scientifiques classiques, s’ajoutent desexigences plus spécifiques de pertinence pour lesacteurs des organisations : on attend ainsi deschercheurs qu’ils précisent la portée de leurs travauxpour la vie des organisations. Même si ces contributionspratiques relèvent parfois de l’incantation, elles peuventprendre de multiples formes : prescriptions, grilles delecture, modèles d’analyse, instruments de gestion,participation plus ou moins poussée à des processus dechangement… Que cette volonté de contributionopératoire soit l’aboutissement ou le point de départ dela recherche (démarche hypothético-déductive ourecherche-action), l’hétérogénéité des connaissancess’en trouve encore approfondie.

Quoi qu’il en soit, ces connaissances se nourrissentfondamentalement des pratiques de gestion, qu’ils’agisse d’en dégager les régularités, d’en expliquer lestransformations, de vérifier leur efficacité ou d’enévaluer la pertinence. Que la démarche soit déductiveou inductive, on trouve à l’origine des connaissances,les problèmes que rencontrent les organisations. Celaconstitue un trait distinctif des sciences de gestion parrapport aux sciences sociales qui s’intéressent auxorganisations, en particulier la science économique.

Ce dernier point engendre en outre une sourcesupplémentaire d’hétérogénéité : les acteurs desorganisations eux-mêmes utilisent et développent desconnaissances dans l’action, qui intègrent de manièrevariable des connaissances scientifiques. Parallèlement,ces connaissances constituent pour les chercheurs desobjets d’analyse, comme en atteste le développementdes travaux sur l’apprentissage, les compétences ou lesconnaissances en organisation.

L’idée même d’une connaissance pure sembledifficilement soutenable en sciences de gestion. Laproduction de connaissances en gestion est ainsi

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subordonnée à un ensemble de demandes oud’exigences passablement hétérogènes. Il ne s’agit pasen sens inverse de la réduire à une réponse à cesdemandes car l’hétérogénéité même de ces demandes(liée aux enjeux des demandeurs comme à ceux desacteurs concernés) assure toujours au chercheur desmarges de manœuvres significatives ; il paraîtindispensable de contextualiser cette production deconnaissances afin de mieux en appréhender la nature etles enjeux. A cet égard, les connaissances en gestionapparaissent comme prises dans le jeu combinéd’éléments contextuels multiples et d’inclinationspropres aux chercheurs.

Enfin, on doit aussi rappeler ce que les sciences degestion doivent à d’autres sciences, sociales enparticulier. Revendiquer une spécificité en sciences degestion passe alors, non plus par la production deconnaissances spécifiques originales mais parl’appropriation des connaissances empruntées (Cazal,Dietrich, 1998). Cette appropriation s’entend dans undouble sens : d’une part, le chercheur doit faire en sorteque les connaissances empruntées soient appropriées àson objet, en transposant les concepts, théories ouméthodes à l’échelle des organisations (par exemple, lestravaux récents invitant les chercheurs en gestion às’inspirer de Giddens ou Granovetter) ; d’autre part letravail du chercheur « emprunteur » consiste aussi às’approprier ces connaissances, autrement dit en faireune utilisation et une interpétation spécifiques etoriginales (par exemple la théorie darwinnienne par leschercheurs de l’écologie des populationsd’organisations). En définitive, il s’agit d’opérer untravail de traduction de sorte que les connaissancesfassent sens en sciences de gestion.

2. Comment penser l’hétérogénéité ?

La question du sens ramène à l’obligation pour lessciences de gestion d’apporter une contribution. Or si lanature des contributions est déjà problématique, il resteencore à affronter les problèmes suivants : à quoi s’agit-il de contribuer et pour qui ? Certes efficacité,performance et création de valeur constituent lesréponses rituelles à la première question : il s’agit làsurtout de mots d’ordre qui peuvent être diversementinvestis et interprétés et qui en tant que tels ne suffisentpas à mettre en sens l’action (Weick, 1995). Ce quirenvoie à des questions qui sous des dehors trèsclassiques s’avèrent néanmoins fondamentales etsensibles sur les plans politique, social, idéologique,comme en attestent nombre de débats publics touchantles organisations : gouvernement d’entreprise, dévelo-ppement durable, responsabilité sociale de l’entreprise,l’appellation variant en fonction des sensibilités (droitsdes actionnaires, préservation de l’environnement

naturel et humain, justice sociale….). A qui s’adressentalors les sciences de gestion : aux dirigeants, aux cadressupérieurs, aux managers ? S’adressent-elles à toutesles formes d’organisation et pour y apporter quoi, quellelégitimité, quels changements… ?

Enfin la recherche sur le terrain pose nécessairementdes questions de réflexivité (Cazal 2000). Il s’agit entreautres de gérer la proximité distante établie par lechercheur avec son « terrain », c’est-à-dire les différentsacteurs, leurs enjeux, attentes, intérêts etreprésentations. Sur un plan scientifique, sont en jeu laportée des travaux empiriques, la capitalisation qu’onpeut retirer de leur accumulation et donc la productionthéorique et les renouvellements qu’on est en droitd’attendre de la recherche.

Ces questions ne sont certes pas nouvelles, mais leurrécurrence témoigne d’une difficulté à dépasser le stadedu constat pour penser la spécificité et lepositionnement des sciences de gestion.Schématiquement deux types de réponses sontgénéralement apportées : déplorant l’hétérogénéité et ladépendance à l’égard d’autres disciplines, certainsvoudraient établir un noyau dur avec des normes et desprocédures générales pour la recherche en sciences degestion et construire un paradigme au sens fort duterme ; d’autres y voient une source de richesse mais,mettant l’accent sur les dimensions empiriques oucontextuelles, butent sur des difficultés degénéralisation ou de validation, tout en gagnant enportée ou en pertinence opératoire.

Ainsi posé, le problème de l’hétérogénéité desconnaissances nous semble un faux problème : le proprede tout champ de connaissances n’est-il pas d’être prisdans un mouvement dialectique entre le général et leparticulier, le spécifique et l’emprunté, les niveauxd’analyse « micro » et « macro », le fondamental etl’appliqué ? On pourrait avancer l’hypothèseambitieuse que l’hétérogénéité est au fondement de toutprojet de connaissance qui vise à prendre en compte lacomplexité du réel. Nous considérons alors qu’intégrerl’hétérogénéité comme caractéristique fondamentaledes connaissances en gestion offre l’opportunité depenser l’articulation entre théorie et pratique,connaissance scientifique et connaissance opératoire.

Cela conduit alors à s’interroger sur l’intérêt de laconnaissance. Au-delà d’une acception étroitementutilitaire, le problème se pose dans les termes suivants :qu’est-ce qui motive la production, la diffusion etl’utilisation de connaissances, qu’apportent cesconnaissances aux différentes communautéshumaines ? La notion d’intérêt met ainsi l’accent sur lescontextes de production et d’utilisation desconnaissances d’une part, et sur les conditions de

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validité et de pertinence sociales et opératoires d’autrepart. La théorie des intérêts de connaissance développéepar Habermas (1973, 1976) nous apporte des élémentspour analyser la nature des liens entre sciences etpratiques de gestion et pour légitimer l’hétérogénéitédes connaissances. Différents auteurs dans le courantdes Critical Management Studies 1 (notammentMingers, 1992 ; Wilmott, 1997) recourent également àces travaux d’Habermas pour analyser ledéveloppement de la recherche dans leur champ etmontrer son potentiel heuristique pour une approchecritique et réflexive en gestion.

A partir de notre interprétation des travaux d’Habermas,nous avançons que l’hétérogénéité des contributionsn’est plus problématique dès lors qu’on articule lesdifférents types d’intérêts de connaissance en gestion(II). Nous illustrerons ensuite cette articulation avecdeux exemples issu de recherches sur la gestion descompétences et la réduction du temps de travail (III).

II. Des connaissances intéressées

Si la rigueur scientifique impose auchercheur une attitude critique, ellerend alors d’autant plus difficile de satisfaire auxexigences de portée opératoire. Dans le champ de laGRH, le développement d’une littérature critique (dansle monde anglophone, voir notamment Blyton,Turnbull, 1992 ; Legge, 1995 ; Storey 1989, 1995 ;Steyaert, Janssens, 1999 ; Townley, 1994) atteste lesdifficultés d’une conception critique de la GRH àproduire une connaissance opératoire, utile et pertinentepour les acteurs. Cette partie vise à montrer, à partir dela théorie des intérêts de connaissance d’Habermas (1)que l’on peut articuler une théorie de la connaissance(2) et une théorie de l’action (3).

1. Les intérêts de connaissance selonHabermas

Dans « Connaissance et intérêt », Habermas (1973)montre que l’intérêt est au fondement de laconnaissance. Il récuse d’abord deux hypothèsesétroitement liées : celle d’un réel indépendant du sujetconnaissant, et celle d’une théorie pure, indépendantede la pratique et des intérêts du monde vécu.

Habermas souligne la parenté existant entre ces deuxhypothèses, qu’il qualifie « d’illusions ontologiques » :les faits et les valeurs sont dissociés, le sujetconnaissant et la subjectivité sont niés, l’objectivité dumonde et de la théorie est posée a priori. Ceshypothèses ont largement été développées dans le cadredu positivisme, dont les limites, pour les sciencessociales en général ont fait l’objet de nombreux débats.Habermas ne remet pas en cause la légitimité de telle outelle science mais la prétention de certaines à fournir lemodèle exclusif de l’activité scientifique.

Il montre ensuite que les sciences obéissent à desprojets de recherche, à des principes logiques et desrègles méthodologiques qui donnent forme aux résultatsattendus. Habermas identifie ainsi trois intérêtsfondamentaux, correspondant chacun à un certain projetde recherche, à une forme de savoir et répondant à unecertaine finalité. Le tableau suivant illustre cesrelations.

Habermas montre que les critères et méthodologiespropres à ces types de sciences leur permettent d’établirles faits, mais aussi de légitimer leur objectif etd’affirmer l’objectivité de leurs énoncés. C’est enidentifiant les fondements de cet objectivismequ’Habermas repère les intérêts fondamentauxgouvernant la connaissance. Contrairement aux positionslargement diffusées par le positivisme, il ne saurait yavoir de connaissance purement scientifique,désintéressée, détachée des exigences du réel : lessciences sont gouvernées par des intérêts. Ces intérêtssont fondamentaux dans la mesure où ils constituent unecondition essentielle de l’expérience, un cadrepermettant de concevoir la réalité. Il ne s’agit pas derabaisser les sciences à des finalités bassement utilitaires,mais de les rapporter à leur contexte d’émergence et dedéveloppement. Les sciences trouvent leur légitimité ence qu’elles intéressent le développement des sociétés.Notons enfin que les différents intérêts sont illustrés par

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1 Pour une présentation, voir par exemple Alvesson, Wilmott (1992)

Intérêts Types de démarches Savoirs FinalitésTechnique ouInstrumental

Empirico-analytiques Informations Etendre notre maîtrise

sur la nature

Pratique Historico-herméneutiques Interprétations Favoriserl’intercompré-hension

entre les hommes

Emancipatoire Praxéologiques AnalysesLibérer l’homme de l’aliénation

ou de sa dépendance, développer l’autoréflexion

Tableau 1 : les intérêts de connaissance selon Habermas

(Adapté de Habermas, 1973.)

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des sciences où ils occupent une place prédominante,sans pour autant fonder une stricte typologie dessciences : il s’agit avant tout de souligner la diversité desprojets, des moyens et des contributions.- Les démarches empirico-analytiques (en particulier

dans les sciences dites dures) visent à dégager les loisgouvernant le monde réel et à affirmer son objectivité ;elles procèdent d’un intérêt technique car ellesprétendent ainsi observer et vérifier des faits pourproduire des informations qui de fait « étendent notrepouvoir technique de disposer des choses ». Leurfinalité est instrumentale.

- Les démarches historico-herméneutiques (enparticulier en histoire et en anthropologie) obéissent àun autre cadre méthodologique : c’est dansl’interprétation des textes et la compréhension du senslégué par la tradition qu’elles trouvent l’accès auxfaits ; elles mettent l’accent sur les représentations duréel qui permettent aux individus de partager desvaleurs et des principes d’action communs. Ellesfournissent des interprétations permettant « uneorientation de l’action dans le cadre de traditionscommunes ». Par opposition à l’intérêt technique, cessciences relèvent d’un intérêt pratique 2 car elles visentà maintenir les conditions d’une intercompréhensionfavorable à l’action commune. L’activité communica-tionnelle est une condition essentielle de la mise ensens de l’action et les opérations cognitives sontintersubjectives et coopératives, comme Habermas ledéveloppe dans la suite de son œuvre.

- Les démarches praxéologiques (en économie,sociologie, science politique) visent comme lessciences empirico-analytiques, à dégager des lois,celles des fonctionnements sociaux ; mais elles lesanalysent de manière critique pour distinguer cellesqui relèvent d’invariants de l’activité sociale et cellesqui relèvent d’idéologies figeant des rapports sociaux,« en principe modifiables » ; elles partagent avec laphilosophie un intérêt de connaissance émancipatoire,c’est-à-dire visant à affranchir le sujet de sadépendance et à déclencher en lui un processus deréflexion. Cet intérêt se fonde sur l’analyse critiquedes fonctionnements sociaux.

A ce titre, l’auteur inscrit la formation des intérêts deconnaissance « dans le monde du travail, dans celui dulangage et dans celui de la domination » (Habermas,1973, p. 155). Il s’agit là des milieux de socialisationauxquels l’homme est assujetti. L’homme assure sonexistence au sein de systèmes organisant le travail.L’évolution de ces systèmes s’inscrit dans une histoireconflictuelle des rapports sociaux. Le langage estl’instrument de la communication au sens où il organisela vie collective et permet le développement desindividus : ils construisent en effet leur identité dans

leur rapport aux normes du groupe et à l’interprétationqu’ils en ont. Cette interprétation fait que leursconduites ne sont jamais totalement déterminées ; ellesrésultent d’une capacité de représentation et deréflexion spécifique à l’homme. Le langage lui confèrecette capacité et lui offre ainsi des opportunitésd’émancipation le poussant à sortir de sa condition.

2. Connaissances et intérêts en gestion

Le texte d’Habermas est difficile, en raison de sonlexique et des difficultés de traduction mais aussi enraison de son projet : il s’inscrit dans des controversesphilosophiques et épistémologiques dépassantlargement notre propos. Nous pensons cependant queles intérêts de connaissance identifiés par Habermasprésentent un potentiel heuristique important pourl’approfondissement d’une fonction critique en gestion.Cette fonction critique consiste selon nous en unepratique de la gestion qui s’interroge sur elle-même, lesintérêts et les valeurs qu’elle défend, lesinstrumentations qu’elle met en place pour mieuxaccompagner, voire induire le changement.

Le lien entre la connaissance et l’intérêt mérite d’êtreapprofondi en sciences de gestion, en raison même dece qu’elles définissent comme étant leur spécificité ausein des sciences sociales. Nous évoquons les raisonssuivantes.

- La première concerne leur objet. La question del’action et de sa transformation occupe une placegrandissante dans les recherches contemporaines et lathéorisation de l’action collective intéresse au premierchef les sciences de gestion (David et al., 2000). Ellepose en effet des questions d’organisation, deprescription, de coopération et bien sûr de légitimité.La production de discours normatifs sur lemanagement participe de la construction dumanagement et de sa légitimation permanente (Laufer,2000). Celle-ci passe par la construction d’objets etd’accords collectifs.

- La deuxième concerne la production de connaissancespour l’action. En gestion, chercheurs et praticiens ontune rationalité en partie commune, celle del’efficacité. L’implication du chercheur dans larecherche de performance y est en effet affirmée etrevendiquée et sa contribution à la création de valeurpasse souvent par des préconisations sur le

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2 Notons que Berthelot (1996) utilise le terme de pragmatique pourdésigner cet intérêt, ce qui prête sans doute moins à confusion.Néanmoins, les traductions d’Habermas ont imposé l’usage duterme de pratique, que nous conserverons donc.

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fonctionnement organisationnel ou des interventionsvisant à améliorer les dispositifs de gestion (Moisdon,1994). A cet égard, la typologie des intérêts deconnaissance (technique ou instrumental, pratique,émancipatoire) peut être féconde pour interpréter etorganiser les contributions de la recherche en gestion.Elle permet d’approfondir la réflexion sur lesinteractions en gestion entre théorie et pratique, entreconnaissance et intervention et l’utilité de cetteréflexion pour le praticien.

- La troisième a trait à l’enracinement desconnaissances dans les contextes d’action del’entreprise. Celui-ci permet de fonder la théorie surles faits. Mais les sciences de gestion ne sont pas lascience de la gestion telle qu’elle se pratique : ladistanciation critique entre connaissance et pratiquerappelle qu’elles obéissent également à des rationalitésdifférentes. Identifier le lien entre connaissance etintérêt permet de repenser le rôle de la critique, ou dela connaissance réinjectée dans les pratiques.

Analyser les pratiques de gestion permet certes d’ensouligner les écarts avec les discours ou les valeursaffichées ; mais cela permet aussi de dénoncer leslimites d’une critique qui s’en tiendrait aux discourssans considérer conjointement leur traduction dans lespratiques ou qui au contraire réduirait le discours à desopérations de légitimation sans acter sa dimensionperformative. Nous avons ainsi montré (Dietrich, 2003)que la « logique compétence » en tant que doctrine seconstruit contre la logique de poste, mais s’accommodebien souvent dans les faits d’une organisation par postes.Néanmoins, cela n’exclut ni une certaine transformationdes pratiques de GRH ainsi que des représentations del’homme et du travail, ni une transformation de larelation salariale, d’une obligation de moyens vers uneobligation de résultats. Toutefois force est de constaterque des entreprises pratiquant la rémunération par lescompétences s’interrogent elles-mêmes sur la pérennitéet la pertinence de leurs dispositifs.

Appréhender les interactions plus complexes qu’il n’yparaît, entre discours et pratiques permet de saisir lesavoir-faire gestionnaire dans sa dimensiontransformatrice ou émergente. C’est aussi appréhenderla dialectique unissant ce que nous appelons lesmodèles d’interprétation des organisations (Daft etWeick, 1984) et les dispositifs de gestion, c’est-à-direl’ensemble des arrangements techniques et sociaux(Moisdon, 1997) qui leur donnent forme.

Nous en donnerons un exemple emprunté à Hatchuel(2001, p. 408) où l’observation des pratiques dénie ladoctrine managériale et l’engouement qu’elle suscite. Sila gestion de projets constitue une nouvelle doctrinemanagériale dans l’industrie automobile, sa pertinence

comme vecteur d’innovation est déjà remise en cause :« car contrairement à ce que la notion de projet peutconnoter en esprit, sa traduction en techniquemanagériale (périmètre, ressources, jalons, pilotage)peut lui donner un tour franchement bureaucratique ». L’observation dans la durée de pratiques perçuescomme innovantes montre le retour d’effets qu’oncherchait précisément à enrayer. Cela permet desouligner les tensions propres à l’action managériale.Nous pensons que la critique est ainsi partiellementinscrite dans le contrôle réflexif des entreprises sur leurspropres activités. A cet égard, notre approche desintérêts de connaissance se différencie de celle deWilmott (1997) et Mingers (1992). Selon eux, ce sontessentiellement les connaissances critiques produitespar la recherche qui peuvent « éclairer » les praticiensou leur fournir les moyens d’une stratégie politique. Cesdeux auteurs semblent ainsi admettre la supériorité desconnaissances scientifiques ; il est pourtant manifesteque celles-ci ne sont pas toujours en avance sur lesconnaissances « ordinaires », le cas de la gestion descompétences l’illustre largement. Par ailleurs, ils noussemblent négliger les interactions entre chercheurs etpraticiens comme source de connaissances critiques,propres à susciter le changement.

3. La complémentarité des intérêtspour une connaissance opératoire

Notre approche des intérêts de connaissance sedifférencie de celle de Mingers et Wilmott à un secondniveau. Leur utilisation des trois intérêts deconnaissance est plutôt séquentielle et exclusive. Ainsil’objet du chapitre de Mingers est-il de montrer lemouvement historique de la recherche opérationnelled’un intérêt technique à un intérêt pratique puis critique.Les intérêts se succèdent les uns aux autres et dominenttour à tour un moment du développement de larecherche.

Dans l’utilisation que nous en proposons pour lagestion, ces intérêts sont complémentaires et pasnécessairement exclusifs les uns des autres. En effet,nous considérons avant tout leur portée opératoire pourles systèmes de gestion. Nous voyons deux raisonsprincipales à cette complémentarité.

- La première tient aux dimensions procédurales de laGRH : celle-ci produit des instruments et des règles degestion (intérêt technique), fournit un cadre auxinteractions de travail et aux relations professionnelles(intérêt pratique), contribue à la conduite duchangement (qui peut relever d’un intérêtémancipatoire).

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- La seconde raison tient à l’hétérogénéité desdispositifs de gestion dont il est difficile de dissocierles aspects techniques, gestionnaires et cognitifs. Pourprendre un exemple, dans l’organisation fordienne, letemps est à la fois une variable technique (concrétiséepar la chaîne), un indicateur de gestion (mesure de laproductivité), un outil de gestion (concrétisé par unplanning) et un concept structurant de l’organisationdu travail. La construction d’un outil de gestioncomme un planning revêt une dimension techniquemais nécessite aussi une importante activitécommunicationnelle, de l’interprétation des règles àleur négociation, et relève d’un intérêt émancipatoirequand on cherche à établir des formes renouvelées depacte social, d’équilibres socio-politiques.

A ce titre, nous intégrons l’importance de la rationalitéinstrumentale à la différence de Wilmott (1997). Sicelui-ci insiste sur la dimension instrumentale d’unsystème de rémunération ou d’enrichissement dutravail, il souligne surtout le risque de détournementd’une démarche participative (relevant d’un intérêtpratique) à des fins purement instrumentalesd’augmentation de productivité, etadopte de ce fait une conceptionplutôt négative de la technique etdes instruments.

Dès lors, nous pensons que lescontributions et préconisationsopérationnelles du chercheurpeuvent se situer à des niveauxdifférents et porter sur des objetsdivers, se focalisant sur :• l’instrumentation de gestion :

production d’outils, prescriptionde méthodes ; des productions dece type relèvent d’un intérêt tech-nique ou instrumental ;

• la construction de consensus :résolution de conflits, production d’accords négociésou d’arrangements, identification des conditionsnécessaires à leur production ; des productions de cetype relèvent d’un intérêt pratique.

Tout dispositif de gestion met en forme uneorganisation du travail, qui est inextricablementtechnique, gestionnaire et cognitive. Dès lors, l’intérêtémancipatoire relève davantage selon nous, d’unpositionnement a priori sur la fonction que l’on attribueaux contributions d’ordre technique et pratique. Il nes’agit pas d’entériner une approche instrumentale etprescriptive de la gestion, en faisant de la productiond’outils ou de la résolution de problèmes ponctuels unefin en soi mais de produire des outils de gestion ou desgrilles de lecture des réalités organisationnellespropices à la prise en compte de l’ensemble des acteurset de leurs intérêts.

Si l’on reste dans la perspective ouverte par Habermas,cela suppose en GRH par exemple d’améliorer lesperformances humaines dans le respect et lavalorisation du travail des salariés. Il peut s’agird’identifier les conditions d’une meilleure coordinationdes activités, d’une mise en sens de l’action impliquantles salariés, d’un développement des compétences, d’unapprentissage de la négociation, ou encore les modalitésde conception et d’implantation de nouvelles formesd’organisation. De telles préconisations combinentproduction d’instrumentations, analyse des conditionsde réussite et des facteurs d’échec de projets dechangement, questionnement des argumentaires delégitimation des changements conduits. Le tableausuivant résume notre interprétation des intérêts deconnaissance pour la GRH, les différents types deproduction et de champs d’intervention selon l’intérêtprédominant.

III. Illustrations pratiques

Nous illustrerons cette complémentarité des intérêts àpartir de deux exemples portant sur l’instrumentation etla conduite du changement organisationnel. Le premierest tiré d’une recherche-action pour la mission ARTT(aménagement-réduction du temps de travail) d’unConseil Régional (Dietrich, 1999). Le second est issud’une modélisation de la gestion des compétences àpartir d’études de cas et d’interventions en entreprise(Cazal, Dietrich, 2002). Ces deux dispositifs de gestionont en commun une dimension instrumentale forte quien occulte parfois les autres dimensions. Nousmontrerons que l’implantation réussie de cesinstruments passe nécessairement par des formes dedialogue social, d’appropriation par les acteurs et derenouvellement des comportements, autrement dit parl’activation d’un intérêt pratique (au sens d’Habermas).Par ailleurs, ces démarches peuvent également conduire

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Intérêt Production Champs d’intervention

Technique ouInstrumental

Instruments de gestion, permettantde gérer techniquement les RH etd’organiser le travail

Dispositifs de gestionInvestissements de forme

Pratique

Grilles d’interprétation propices à la coopération, ou l’intercompré-hension entre acteurs (Habermas), à la production d’accords et deconventions

Modèles d’interprétationReprésentations partagéesAccords, règles

Emancipatoire

Grilles d’analyse des processus deproduction et de transformation desrègles, avec les enjeux de pouvoirafférents

Conditions de l’autonomisa-tion et de la reconnaissancede l’activité régulatrice dessalariés

Tableau 1 : les intérêts de connaissance en GRH

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à des formes de changement et d’apprentissageorganisationnels et répondre alors à un intérêtémancipatoire. Nous développerons successivementchacun de ces exemples.

1. L’exemple de l’ARTT

Issue d’une règle juridique, l’annualisation-modulationdu temps de travail constitue un dispositif de gestiondans la mesure où elle permet d’établir de nouvellesformes de cohérence entre les ressources matérielles ethumaines de l’entreprise et de les adapter aux exigencesde délais des clients et aux temporalités des partenaireset des concurrents. Planifiant les temps de travail enfonction de la rationalité industrielle (saisonnalité desactivités, élargissement des durées d’utilisation deséquipements ou d’ouverture aux clients, améliorationde la productivité), un tel dispositif constitue uninvestissement de forme (Thévenot, 1986) car il permetd’optimiser les taux d’occupation des machines,d’économiser sur les coûts d’immobilisation des stocks,d’améliorer la chaîne de valeur.

Le dispositif juridique de l’annualisation-modulation dutemps de travail assouplit également les contraintespesant sur la gestion des temps de travail et élargit lesmodalités d’utilisation des ressources humaines. Maiscela ne suffit pas : la définition des temps de travailreste purement instrumentale et bureaucratique quandelle ne découle pas d’une réflexion affinée surl’organisation de l’entreprise, la diversité de sestemporalités et les spécificités de ses marchés. Dans cecadre, pour être utilisé au mieux, le dispositif juridiquesuppose de la part du gestionnaire un doubleinvestissement :

- en matière d’organisation, l’ARTT favorise laflexibilité et la réactivité s’il prend en compte lamultiplicité des temps de l’entreprise et s’il permetune meilleure maîtrise des environnements interne etexterne ; il sert en cela un intérêt technique ;

- en matière de relations professionnelles, le dispositifjuridique invite à développer le dialogue social et lanégociation d’accords impliquant l’organisation dutravail ; il sert en cela un intérêt pratique. Avec lavolonté de simplifier et de normaliser laréglementation sur le temps de travail, les lois Aubryvont jusqu’à repenser et élargir les dispositifs denégociation dans l’entreprise.

Enfin, le souci de construire un accord d’ARTTsatisfaisant conjointement direction et salariés relèved’une volonté politique et peut prendre une dimensionémancipatoire. Les accords de Robien que nous avonsanalysés (1996-1998) avaient aussi pour enjeuxd’améliorer les conditions de travail des salariés,

d’enrayer la précarité d’emploi de nombreux personnelsintérimaires et en CDD, et de relancer une dynamiquecollective dans l’entreprise. Enjeu historique de conflitssociaux jalonnant l’histoire du mouvement ouvrier et dudroit du travail, la question du temps de travail atoujours été au centre de jeux d’intérêts et de rapportsde domination entre employeurs et employés. Les loisde Robien puis Aubry rompent avec deux décennies demesures réglementaires et d’accords dérogatoires quiont renforcé le pouvoir d’autoréglementation del’entreprise, produit du droit et du non-droit, audétriment des salariés dont les conditions de travail sesont dégradées (Supiot, 1994).

Mais définir les conditions d’un accordage des intérêtsmobilise des préconisations d’ordre technique etpratique qui dans les faits sont étroitement liées. Celasuppose en effet un diagnostic approfondi desfonctionnements de l’entreprise qui déborde largementle cadre légal de la gestion des horaires de travail. Nousavons ainsi constaté qu’à l’encontre de la tendancedominante à l’élargissement des plages horaires,certaines entreprises qui avaient étendu leurs horairesd’ouverture, ont été amenées à les réduire, voire àplanifier des périodes de fermeture. Ces décisions ontété prises à l’issue de calculs de rentabilité des plagesd’ouverture. Il est à noter que ces calculs n’ont étéréalisés qu’à partir du moment où l’entreprise s’estengagée dans un accord de Robien.

On constate également que paradoxalement unemeilleure flexibilité passe par une planification et uncontrôle accru des horaires. Ceux-ci sont les garants del’équité indispensable à la viabilité du dispositif : lessalariés sont en effet soucieux de suivre le décompte deleur temps de travail, surtout quand leurs horaires sontirréguliers. Ils sont aussi les garants d’une meilleurelisibilité de l’organisation de l’entreprise quand ilspermettent aux différents services de coordonner leursactivités. Ils requièrent une coordination amélioréeentre la direction des ressources humaines qui centraliseles informations concernant les temps de travail dessalariés, les encadrants des services ayant la charge deplanifier les besoins en ressources et les encadrantsopérationnels gérant les équipes.

L’instrumentation technique (la construction d’unplanning modulant et individualisant les horaires detravail) dépend ainsi de la construction d’unereprésentation partagée des nécessités de production.Cela ne va pas sans mal quand sont bousculés desfaçons de faire et des pouvoirs acquis ou quandl’aménagement des temps de travail nécessite laréorganisation des activités. Celle-ci suppose laredistribution des compétences, des responsabilités etdes pouvoirs. Il est alors nécessaire de réunir les conditions d’uneintercompréhension entre les acteurs de l’entreprise.Examiner les interactions entre les multiples temps de

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l’entreprise (temps des machines, de la production,durée de vie des produits, délais des clients, tempslégaux de travail, etc.) permet de confronter lesinterprétations et représentations des acteurs concernéset au-delà de comprendre leurs divergences.Généralement leurs contraintes diffèrent et leurslogiques d’action obéissent à des rationalitésdifférentes : par exemple, la réactivité à l’égard desclients alourdit parfois les contraintes en production.Réunir les conditions d’une intercompréhensionsuppose pour le chercheur ou le médiateur deréinterpréter et de recomposer les intérêts des acteurs(Latour, 1989). Nous en donnerons quelques exemples.

Il n’est pas certain que salariés ou directions soienttoujours à même d’anticiper les conséquences de leurschoix. Nous avons vu les ouvriers d’une usine fairegrève pour dénoncer l’accord signé quand ils ont apprisqu’ils ne bénéficieraient pas de l’augmentation duSMIC : étant payés 39 heures pour 35 heures, ilsn’étaient plus au SMIC ! Nous avons aussi constaté quedirection et salariés peuvent se mettre d’accord sur dessolutions (parfois toutes faites) qui vont à l’encontre deleurs intérêts respectifs et ne permettent pas lapérennisation des dispositifs mis en place : par exempledes accords utilisant le plus possible les maximajournaliers légaux. Ceux-ci permettent une utilisationoptimale des installations pour la direction et des joursde récupération pour les salariés. Mais ils se traduisentaussi par une fatigue, un absentéisme, voire des risques d’accident accrus, et un déséqui-libre desrythmes de travail, préjudiciables à l’efficacité.

Enfin, laisser les salariéschoisir des horaires à leurconvenance, même danscertaines limites, nefavorise aucunement ledialogue social et nedonne aucun sens autravail. Le dialogue socialnécessite d’abord ladéfinition d’un projetd’organisation par ladirection ; celui-ci offreun cadre à la flexi-bilisation négociée des temps de travail ; il passe ensuitepar le suivi du dispositif et sa mise à l’épreuve dans ladurée. Nous pensons que pour être attesté, l’intérêtémancipatoire de nouvelles formes d’organisation et degestion suppose cette épreuve du temps qui permet d’enévaluer la pertinence.

2. L’exemple de la gestion des compétences

Alimentées par des études de cas étalées sur une dizained’années, nos recherches sur la gestion descompétences nous a amenés à réfléchir sur lacapitalisation des connaissances et sa traductionthéorique. Nous avons alors proposé une modélisationde la gestion des compétences (Dietrich, Cazal, 2002,Dietrich, 2003) qui rend compte d’une certaine manièrede la diversité des intérêts de connaissance en gestion etde leur complémentarité. Les intérêts techniques etpratiques sont assez manifestes mais si l’on veutinscrire la gestion des compétences dans uneperspective émancipatoire, il est nécessaire de penserconjointement son instrumentation technique, lesmodalités de négociation de la redistribution des tâches,des savoirs et des responsabilités, les conditions d’unemise en sens de l’action, indispensables audéveloppement des compétences. Il nous semble que lesdémarches relatives à la gestion des connaissancesrelèvent de problématiques assez similaires (Cazal,Dietrich, 2003).

Notre modèle aborde la gestion des compétencescomme un construit pluridimensionnel mobilisant troisniveaux d’action. Chacun de ces niveaux obéit à unerationalité propre et mobilise prioritairement certainsacteurs, certains outils et méthodes. Mais son efficiencereste limitée sans interaction avec les autres niveauxd’action. Nous présentons ci-dessous notre modèle.

Le premier niveau s’intéresse à la « logiquecompétence » en tant que dispositif de gestion initié parla direction des ressources humaines, au service destratégies d’adaptation de l’entreprise à sonenvironnement. Ses finalités sont avant toutéconomiques et visent à accroître la performance del’entreprise. De ce point de vue, elle contribue à larationalisation du fonctionnement de l’entreprise. Saproduction est de deux ordres :

• instrumentale au sens où elle construit les outils del’optimisation des ressources humaines ;

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Connaissances et action en GRH : enjeux théoriques et pratiquesAnne DIETRICH - Didier CAZAL

Acteurs Processus Finalité Production

Argumentaire managérial Outils de GRH (référentiels,procédures d’évaluation)Règles salariales, classifications

1er

niveauDirection, DRH Rationalisation

Modélisation,formalisationde l’actionorganisée

Dispositifs et règles d’actionAppréciation des salariés

2e

niveauManagementintermédiaire

Interactivité etnégociation

CoopérationConfiance

Savoir-faire, compétences en acte

3e

niveauEquipes detravail

Expérimentation,heuristique

Profession-nalité

Tableau 3 : les trois niveaux de la gestion des compétences

Page 144: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

• rhétorique au sens où elle produit les argumentairesnécessaires à la légitimation des changements mis enœuvre.

La production de connaissance la plus manifeste de cepremier niveau relève indéniablement d’un intérêttechnique. Elle porte sur l’instrumentation de GRH :référentiels d’activités, de compétences, cartes desmétiers, outils d’évaluation. Néanmoins, une approchepurement instrumentale et centralisée de ce premierniveau conduit facilement à l’échec faute d’impliquerles acteurs dans une dynamique de changement. Quandces outils accompagnent une refonte des systèmes derémunération, une modification des grilles declassification, voire un changement des règlessalariales, ils intègrent une dimension négociée etcommunicationnelle forte. Il faut donc se garder d’unelecture trop rapide qui associerait à chaque niveau unseul intérêt de connaissance. Ainsi, la productiond’argumentaires vise-t-elle aussi à l’intercompré-hension, même si les dérives manipulatoires ne sont pasà exclure ; il s’agit en outre de promouvoir un nouveaumodèle d’entreprise, de nouvelles formes de rapportssociaux, qui peuvent relever d’une dimensionémancipatoire.

Enfin, pour atteindre ses objectifs, cette « logiquecompétence », telle que la conçoivent les directions desressources humaines, doit être relayée au deuxièmeniveau par la construction d’arrangements entreencadrants et salariés autour de la distribution des rôleset des savoirs.

Ce deuxième niveau concerne la concrétisation dans lessituations organisationnelles des objectifs définis ainsique leur inscription dans la durée. Ces objectifs doiventêtre déclinés et réinterprétés au sein des équipes detravail. Ils mettent aux prises encadrants et collectifs detravail dans la définition de nouvelles règlesd’organisation, notamment autour de la redistributiondes connaissances et des tâches. Celle-ci est souventconflictuelle car elle bouscule des intérêts individuelsou collectifs et affecte la répartition des pouvoirs enplace. C’est à ce niveau que les acteurs se heurtent leplus aux difficultés de construction d’uneintercompréhension. A ce titre, l’intérêt pratique yprédomine, mais il ne faut pas occulter le poids desoutils de gestion dans la dynamique collective :systèmes d’évaluation des salariés, règles salariales etprocédures d’avancement. Les situations d’interactionavec leurs enjeux relationnels et managériaux prennentle devant de la scène, avec pour finalité de nouvellesformes de coopération. Celles-ci peuvent relever d’unintérêt émancipatoire quand elles favorisent des formesd’apprentissage collectif qui font évoluer l’ensembledes acteurs.

Le troisième niveau concerne les faits de compétenceseux-mêmes et leurs conditions d’émergence. Il met àl’épreuve les règles d’action et de coopérationnouvellement négociées. Il s’intéresse aux individus etaux déterminants de leurs comportements, aux relationsqu’ils entretiennent avec leur travail et avec lescollectifs auxquels ils appartiennent. Force est deconstater que ce troisième niveau, celui des salariéseux-mêmes et des conditions d’une auto-réflexion estpeu pris en compte aussi bien dans les pratiques quedans les recherches en gestion. La plupart des analysess’intéressent principalement au « premier niveau »,celui des objectifs poursuivis et des outils mobilisés parles directions d’entreprises. Si la plupart des entreprisesaffichent des exigences accrues en matière d’autonomieet de responsabilisation des salariés, elles les traduisentbien souvent en termes de qualités individuelles ou desavoir-être et occultent ainsi ce que ces « qualités »doivent à l’organisation du travail. Il manque biensouvent dans les dispositifs de gestion des compétencesune réflexion sur les conditions et les déterminantsorganisationnels de l’autonomie et de la responsabili-sation. L’émergence de professionnalités et d’identitésnouvelles, la construction du sens de l’action mobilisentles capacités d’auto-réflexion des acteurs et à ce titre,sont porteuses de formes d’émancipation au sens deHabermas.

Même si chaque niveau se caractérise par un intérêtprédominant, il implique nécessairement les autresintérêts, ne serait-ce que pour assurer l’articulationentre niveaux. En réunissant ces trois niveaux dans unmême cadre d’analyse, nous pouvons rendre compte dela multiplicité et de la complémentarité des rationalitésà l’oeuvre dans un dispositif de gestion de cetteampleur. Notre modèle contribue aux pratiques degestion des compétences en montrant comments’articulent intérêt instrumental, intérêt pratique etintérêt émancipatoire :

• il réunit les conditions d’efficacité d’une démarchecompétences,

• il souligne l’importance de la négociation et de l’ac-tion communicationnelle à tous les niveaux,

•il fait de l’auto-réflexion une condition du développe-ment des compétences.

ConclusionNous avons montré dans un premier temps qu’onpouvait dépasser le constat d’hétérogénéité desconnaissances en sciences de gestion pour en faire uneopportunité d’articuler connaissance scientifique et

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Connaissances et action en GRH : enjeux théoriques et pratiquesAnne DIETRICH - Didier CAZAL

Page 145: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

connaissance opératoire. La théorie des intérêts deconnaissance de Habermas dans la lecture que nous enproposons nous fournit des éléments pour construireune telle articulation ; celle-ci répond à la vocationspécifique des sciences de gestion. Elle permet deprendre en compte les contextes de production etd’utilisation des connaissances ainsi que la contingencedes situations de gestion. Dans une perspective critique,la gestion doit alors lier les questions del’instrumentation (intérêt technique), des interactions etde l’intercompréhension (intérêt pratique) et destransformations (intérêt émancipatoire). Dans undernier temps, nous illustrons à partir de travauxempiriques et théoriques sur l’ARTT et la gestion descompétences le caractère indissociablementinstrumental, communicationnel et émancipatoire desconnaissances en gestion.

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Connaissances et action en GRH : enjeux théoriques et pratiquesAnne DIETRICH - Didier CAZAL

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Evolution des normes etinvestissements deforme en GRH : le cas d’une profession réglementée

Anne DIETRICHMaître de ConférenceGRAPHE-CLAREE, IAE de [email protected]

Didier CAZALMaître de ConférenceGRAPHE-CLAREE, IAE de [email protected]

Cet article rend compte de « l’émergence d’unenouvelle gestion des ressources humaines1 »,dans un centre de gestion agréé, membre d’un

réseau national. Cette nouvelle politique de GRH sefonde sur la logique compétence et constitue le « cœurd’une convention d’entreprise négociée avec lespartenaires sociaux qui insuffle un nouveau codesocial1 ». Deux types de dispositifs encadrent etstructurent cette nouvelle politique de GRH. D’unepart, la convention d’entreprise s’arrime à uneconvention collective nationale récemment signée.D’autre part, elle fait du développement descompétences la variable clé de l’échange salarial, et dela négociation l’instrument d’une implication accruedes partenaires sociaux dans la gestion des évolutionsde l’entreprise, de ses marchés et de ses salariés.

Un intérêt majeur de cette démarche compétence est demettre en perspective trois types de mutations : cellesd’un secteur d’activité, celles des compétences clés del’entreprise, celles des pratiques de GRH. Ces muta-tions sont étroitement liées mais l’originalité de ce casest de faire explicitement de la démarche compétencel’instrument d’un positionnement stratégique del’entreprise, de la structuration d’un marché interne dutravail, d’un changement des règles de gestion, visant àanticiper les évolutions du métier de comptable.

Cette expérience montre l’importance des« investissement de forme » (Thévenot, 1986) dans laconduite d’une innovation de GRH. Par« investissements de forme », nous désignons laproduction négociée de conventions (nationale,d’entreprises), de règles et de dispositifs de gestion,permettant à une entreprise de cons-truireconjointement ses contextes interne et externe. Nousanalysons la manière dont s’objective unereprésentation de l’entreprise, le rôle que jouel’instrumentation de GRH dans cette objectivation etses effets sur l’évolution des normes et des règles degestion. Après la présentation de l’entreprise (I) nousdéveloppons l’analyse de la démarche compétence entermes d’investissements de forme (II).

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Evolution des normes et investissements de forme en GRH : le cas d’une profession réglementéeAnne DIETRICH - Didier CAZAL

1 Expressions empruntées au journal de l’entreprise, diffusé auxclients adhérents (juin 2002, n° 22).

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I. Présentation de l’entrepriseNous présentons l’entreprise, le réseau auquel elleappartient, la problématique compétence et soninscription dans une convention collective nationale ensoulignant les interactions entre les niveaux local etnational dans l’élaboration de nouvelles règles degestion.

1.1. L’entreprise : un centre de gestionagréé, membre d’un réseau national

L’entreprise observée est un centre de gestion agréé, sonmétier de base est la comptabilité, son domained’expertise l’accompagnement des entreprisesagricoles. Celles-ci constituent son marché le plusancien et le plus important. Mais sa baisse potentiellel’a conduite à diversifier ses activités vers d’autresmarchés : artisans, commerçants, et plus récemmentprofessions médicales indépendantes. Sa clientèle estcomposée d’entreprises de (très) petite taille. Le centrese caractérise par sa double appartenance : à uneprofession réglementée, à un centre national.

Son activité est fortement réglementée. Régis par la loi1901, les centres de gestion sont habilités par l’admini-stration fiscale à tenir la comptabilité de leursadhérents. Cette habilitation fait l’objet d’un agrémentrenouvelable tous les 6 ans. Son renouvellement n’estaucunement acquis : il est accordé sur la base d’un biland’activités extrêmement complet. Tout manquement àla réglementation (publicité interdite, principesdéontologiques propres à la profession comptable) peutle remettre en cause. Ne sont clients du centre que lesseuls adhérents qui bénéficient en contrepartied’abattements fiscaux.

Le centre appartient à un réseau national important :109 centres dont 94 destinés aux agriculteurs, 250 000 entreprises adhérentes, 9 900 salariés, 2,85milliards de francs de chiffre d’affaires (données 2000).Ce réseau est toutefois très hétérogène : en termesd’effectifs (de 6 à 400 salariés, selon les centres), destructure (plus ou moins formalisée, avec ou sansfonction RH), de modalités de gestion, de chiffred’affaires. Cette hétérogénéité tient à des raisons :- contextuelles, liées à l’importance et à la prospérité

des entreprises rurales de la région,- structurelles, en raison du principe d’autonomie de

gestion de chaque centre,- contingentes, selon la présence et l’attitude syndicales,

le poids politique du président du CA par rapport audirecteur.

Le centre étudié est de taille moyenne, il fait partie desdix centres les plus importants du réseau. Son effectifest de 210 salariés, composé essentiellement de comp-tables (108) et de conseillers (29). La structurehiérarchique est plate, le travail d’équipe privilégié. Lesiège réunit les services généraux et techniques. Ilsassurent l’articulation entre environnement externe etenvironnement interne. Les niveaux de qualification ysont élevés. Ces services sont chargés de soutenir lesopérationnels, en coordonnant les activités, en assurantla collecte, le traitement et la diffusion desinformations. Ils ont également une importante fonctionde veille et de développement de produits : « pressentirl’évolution du besoin, de façon à pouvoir réagir paranticipation », selon les termes de la DRH. La massesalariale représente 72% du budget, la formation, 4%.La moyenne d’âge est de 37 ans, l’ancienneté moyenneest de 12 ans ; la profession se féminise considérab-lement, au point de susciter l’inquiétude desresponsables.

Pour être au plus près des 4000 adhérents du centre, lesactivités opérationnelles sont décentralisées. Douzeagences réparties sur une vingtaine de sites distantsd’une vingtaine de kilomètres s’occupent des 62%d’agriculteurs adhérents du département (environ2500) ; six agences offrent leurs services auxcommerçants, artisans (environ un millier d’adhérents),et aux professions médicales indépendantes. Lesagences réunissent des équipes pluridisciplinaires detaille réduite, de 5 à 10 personnes, où priment le travaild’équipe et un ma-nagement de proximité, en vue d’uneréactivité accrue.

1.2. La problématique compétence

Le centre fait figure de laboratoire social. Il est au seindu réseau précurseur en matière de gestion decompétences et le seul à avoir adopté une rémunérationpar les compétences. Il fait à ce titre l’objet d’uneattention suivie de la part des grands centres qui« attendent de voir ». Ses acteurs (directeur, présidentdu conseil d’administration, DRH, mais aussiresponsable syndical) jouent un rôle important dans laformalisation de la démarche au niveau national. Ilsfont de la logique compétence l’instrument de la miseen cohérence et de la rationalisation des centres. Ce casmontre ainsi comment deux niveaux d’action, le local etle national interagissent. Pour des raisons de clarté,nous exposerons successivement ces deux niveaux de lamise en oeuvre d’une logique compétence.

Au niveau du centre, la démarche compétence émergeet se structure progressivement entre 1997 et fin 2000,

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date de signature de la convention d’entreprise. Elledémarre dès 1997, avec :- d’une part, la refonte des définitions d’emploi, jugées« trop statiques » pour un métier en pleine évolution ;mais la réflexion « reste à l’état embryonnaire » car ellen’intègre pas encore la notion de compétence ; - d’autre part, la révision des grilles de rémunération,autour d’un consensus sur l’intérêt de « rémunérer lesgens en fonction de ce qu’ils font ». Une procédured’évaluation est mise en place, sur la base d’une échelleà 4 niveaux, formulée de manière à prendre en comptela totalité des cas de figures ; aux deux extrêmes : « jene sais pas faire », « je maîtrise parfaitement » ; entredeux, « j’ai des bases mais j’ai besoin de les consoliderpar la théorie », « j’ai les bases théoriques mais j’aibesoin de les consolider par la pratique ».

Cette approche est motivée par des problèmes degestion accrus, liés à la coexistence de deux populationscomptables aux caractéristiques et attentes quasimentopposées, dont nous empruntons la formulation auxdocuments internes :- « des salariés très expérimentés mais de faible niveau

de formation initiale » « parfois en limites decompétences » face aux évolutions de l’environ-nement et du métier,

- « des salariés peu expérimentés mais diplômés »,« exigeants et peu fidèles à l’entreprise » car ilssouhaitent évoluer rapidement en termes derémunération et de carrière.

Il s’agit là de la partie émergente de problèmes pluscomplexes :

La segmentation des populations comptables est lerésultat d’évolutions des contextes interne et externe.Les exigences en matière de recrutement n’ont cessé decroître, notamment en matière de diplômes. Coexistentainsi dans l’entreprise des CAP-BEP proches de laretraite aujourd’hui, des bacheliers (recrutements desannées soixante-dix), puis des BTS (l’essentiel desrecrutements des décennies quatre-vingts, début quatre-vingt dix). Ces derniers sont déclarés aujourd’hui « enlimite de compétence » : s’ils assument correctement lesactivités comptables, ils peinent à s’inscrire dans une

trajectoire professionnelle allant au-delà, vers des acti-vités de conseil et cèdent la place aux Bac+3 et 4(DECF et DESCF).

Pour gérer cette segmentation des populationscomptables, le centre engage une démarche deGPEC qu’il définit comme suit : « la problématique enfait, c’est toujours de mettre en adéquation l’évolutiondes besoins du marché, l’évolution des adhérents et lescompétences des salariés, sachant qu’il y a aussi toutesles nouvelles technologies qui font qu’il y a une remiseen cause systématique des façons de travailler, des outils, des méthodes, etc. » (la RRH). La GPEC estperçue comme le moyen de :- anticiper les évolutions du métier,- les inscrire dans un projet stratégique qui fasse évoluer

l’ensemble de la structure et ses modes demanagement

- décentraliser la GRH (évaluation, formation, tutoratdes jeunes recrues) pour gérer et développer auquotidien les compétences des collaborateurs.

1.3. Les enjeux politiques d’uneconvention collective nationale

La réflexion engagée par le centre sur l’inadéquationgrandissante de ses règles et pratiques de gestion et lavolonté de passer d’une politique de personnel à unevéritable GRH va dans le sens des préoccupations ducomité national du réseau, composé des directeursrégionaux des centres les plus importants. Ce comitéréfléchit depuis quelque temps à la construction d’uneconvention collective nationale. Ses finalités sontpolitiques : faire reconnaître sur un plan institutionnell’importance économique du réseau, en termesd’emplois et de chiffre d’affaires.

Une douzaine de centres sont en effet leaders sur leurmarché, d’autres en passe de le devenir sont freinés parleur manque d’organisation et des pratiques de gestionincohérentes, « avec des points d’anciennetéabsolument ahurissants, des définitions d’emplois quin’étaient pas rédigées, des flous dans l’organisation... »(DRH). Plus globalement, il n’existe aucune cohésiondans les pratiques de gestion des centres. Chacunnomme et définit ses emplois, les hiérarchise et lesrémunère comme il l’entend. Les disparités sont tellesque la mobilité des salariés entre centres est impossible.A un niveau plus politique, l’hétérogénéité entre lescentres est telle qu’elle entrave l’organisation et lavisibilité d’une profession, sur un marché dominé par l’ordre des experts-comptables.

• pyramide des âges vieillissante, affectant les modes demanagement,

• difficultés de recrutement liés aux exigences de jeunes deplus en plus diplômés,

• difficultés à les fidéliser,• difficultés d’adaptation des salariés les plus anciens aux

transformations du métier,• inadaptation des pratiques de rémunération, domi-nées

par le critère de l’ancienneté,• absence de mobilité interne et impossibilité d’organiser

cette mobilité au niveau du réseau.

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La GPEC apparaît très vite comme un moyend’accélérer la construction de la convention collective,ses préoccupations gestionnaires rejoignant lespréoccupations plus politiques du comité national.Celui-ci décide alors de mettre la démarche de GPEC et« la logique compétence » au coeur de la conventioncollective, il associe les responsables des ressourceshumaines à sa construction. Deux ans de travail d’ungroupe de pilotage composé des directeurs et de 6acteurs des ressources humaines débouchent sur la« mise en forme » d’une convention collectivenationale, négociée et signée par les partenairessociaux, fin 99.L’instrumentation gestionnaire (GPEC) et la formeconventionnelle (CCN) conjuguent alors leurs effetsspécifiques pour structurer un réseau national quin’était encore qu’une collection d’entités autonomes.

En tant que démarche de rationalisation de la gestiondes emplois, la GPEC permet de clarifier et deformaliser les pratiques de gestion et les modes defonctionnement. La logique compétence est le vecteurd’une nouvelle philosophie managériale liant « laredéfinition des emplois, la redéfinition descompétences avec l’évolution des rémunérations ». LaCCN en tant qu’elle a valeur de loi pour une professionest le moyen d’impo-ser une réglementation communeà l’ensemble des centres et donc d’homogénéiser leurspratiques de gestion. Dès lors la structuration d’unmarché du travail et la reconnaissance de l’identitéprofessionnelle du réseau des centres de gestion sontétroitement liées et favorisent la construction d’unereprésentation renouvelée du métier des centres, celuide la prestation de conseil en gestion. Le concept decompétence permet d’articuler ces différents niveaux.

II. Compétence et investissements de forme

La démarche compétence étudiée s’est mise en place àdifférents niveaux, au travers de la production négociéede conventions (nationale, d’entreprises), de règles etde dispositifs de gestion, permettant à l’entreprise de

construire conjointement ses contextes interne etexterne. Cet ensemble de dispositifs de régulation et degestion peut être analysé en termes d’investissement deforme.

Considérant que l’établissement d’une règle est uninvestissement au même titre que l’achat d’unemachine, Thévenot (1986) propose une approcheélargie de la notion d’investissement et l’intitule« investissement de forme ». Cette notion intègre, au-delà des immobilisations de capital, les opérations demise en forme du travail (normes, standards,qualifications, classifications d’emplois, etc.) et de larelation de travail (règlements, contrats, gestion destemps de travail, de la mobilité interne). Ces opérationsont pour but de stabiliser et de reproduire une relationdurable. Plus cette dernière s’objective et s’inscrit dansdes normes et des formes standardisées, plus le domainede validité des formes produites s’étend et plus leurretour sur investissement s’accroît. Thévenot identifieainsi trois caractéristiques majeures de l’investissementde forme : la stabilité temporelle, l’objectivité,l’étendue de sa validité. A des degrés variables, lesdispositifs mobi-lisés, CCN et méthodologie de GPEC,nous semblent présenter ces caractéristiques.

Nous présenterons successivement les deux dispositifsclés qui structurent la démarche compétence. Dans unpremier temps, la construction de la CCN permet dedéfinir une compétence stratégique nouvelle pour leréseau et de revendiquer une spécificité professionnelle ;dans un second temps, l’articulation qualification-compétence permet aux centres de structurer leur marchédu travail et de gérer les trajectoires professionnellespour faire émerger un nouveau métier, celui du conseil.

2.1. La reconnaissance d’une compétence professionnelle

Nous voyons dans le recours à la forme conventionnellel’instrument d’une « stratégie d’intrusion » (Daft,Weick, 1984) dans l’environnement visant à objectiveret imposer la compétence du réseau des centres degestion sur le marché des professions comptables. Ils’agit pour l’entreprise de se construire une nouvelleposition stratégique, à la fois en termes concurrentielspar rapport à la domination de l’ordre des experts-comptables, en termes de clientèle par rapport àl’évolution des marchés agricoles et à l’émergence denouveaux créneaux, en termes d’emploi, de recrutementet d’identité professionnelle par rapport au marché dutravail d’une profession réglementée.

Investir dans la construction d’une conventioncollective nationale est une manière de contourner la

A titre d’exemple, des emplois portant un intitulé identiquesont mieux rémunérés dans un centre que dans un autre, enfonction de la richesse agricole du département, voire nerépondent ni aux mêmes exigences, ni aux mêmes finalités.Compte tenu des difficultés de recrutement et des coûtsd’apprentissage du métier, certains centres ont une con-science aiguë du coût grandissant généré par l’absence demobilité d’un centre à l’autre.

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Evolution des normes et investissements de forme en GRH : le cas d’une profession réglementéeAnne DIETRICH - Didier CAZAL

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menace qu’un projet de loi visant à unifier la professioncomp-table fait peser sur l’autonomie des centres. Ceprojet est perçu par les centres de gestion commenettement favorable à l’ordre des experts-comptables :il leur imposerait un quota d’experts-comptables,fonction du nombre de comptables à encadrer, ce qui lesplacerait sous l’égide de l’Ordre. Ce projet de loi, enattente depuis plusieurs années, est qualifié« d’Arlésienne » par les centres car il réapparaîtpériodiquement et fait peser une forte incertitude surl’avenir des centres. La formation de ses propres experts-comptables a cons-titué une première réponse à ce projet de loi. Soucieuxd’anticiper ses effets, directeur et DRH ont dans unpremier temps choisi de rester maître de leurrecrutement d’experts-comptables par un importantdispositif de formation interne aux diplômespréparatoires de l’expertise-comptable. Cette stratégievolontariste de formation n’a pas porté ses fruits enraison même des barrières d’accès à la profession.D’une part, le taux d’échec aux diplômes visés estélevé. D’autre part, seuls les cabinets d’expertise-comptable sont habilités à offrir un terrain de stage. Lestage durant trois ans, soit le ca-binet « débauche » lestagiaire, soit il rechigne à former un candidat quiretournera dans un centre de gestion à l’issue du stage.

Cette stratégie s’est avérée très coûteuse, restantprisonnière des limites imposées par les règles du jeu :glo-balement le centre n’avait pas les moyens de jouerun tel jeu, ni en termes de capacités individuelles dessalariés, ni en termes institutionnels. L’entreprise en aamèrement tiré les leçons.

En recourant à la forme conventionnelle, elle définitalors de nouvelles règles du jeu qui peuvent transformerle contexte externe, en l’imposant comme un acteur-cléd’une profession émergente de conseil en gestion et enfaisant de cette dernière une profession à part entière.Cela la conduit à identifier les éléments d’unecompétence stratégique : - une expertise confirmée sur le marché des entreprisesagricoles, notamment en matière de conseil ; laprésence d’ingénieurs agricoles constitue un élémentimportant de la percée d’un marché aussi fermé quecelui des agriculteurs ; sa longue expérience et lamaîtrise des différentes dimensions de la gestion de cesentreprises lui assurent une position de force- une polycompétence en gestion sur le marché des trèspetites entreprises, marché aujourd’hui convoité cargénérateur de valeur ajoutée, « sachant qu’il est plusfacile de gagner de l’argent sur les toutes petitesstructures que sur les très grosses structures (surlesquelles sont plutôt positionnés les cabinets d’experts-comptables). Même si la lettre de mission est plusimportante, on a une meilleure maîtrise du temps, etdonc du coût de la prestation » (RRH).

Affirmer une spécificité de métier permet en outre decontrer l’image négative que les centres de gestion ontd’eux-mêmes et qu’a renforcée l’échec desinvestissements en formation. Cette image est inscritedans la mémoire organisationnelle aussi bien que sociale.En témoignent ces propos de la RRH : « on a toujours étéconsidéré comme un peu les illégaux de la comptabilité,parce que la comptabilité, c’était les experts-comptables ».L’entreprise reformule aujourd’hui sonmétier pour l’élargir de son activité de base, lacomptabilité, à celle du conseil aux très petitesentreprises rurales. Elle le définit comme« l’accompagnement des adhérents dans tous lesévénements de leur entreprise, depuis la création, ledéveloppement, la remise en cause des systèmes deproduction, la diversification jusqu’à la cessation ou latransmission de l’entreprise ». Développer uneprestation de conseil sous toutes ses formes (juridique,fiscal, social, patrimonial, stratégique) conduit àrepenser les relations entre les métiers de comptable etde conseiller. Une réorganisation en ce sens est en coursdans le centre observé. La RRH elle-même proposedésormais des prestations de conseil en GRH auprès desadhérents.

Instrument d’une légitimité institutionnelle et politiquesur le marché des professions comptables, la CCN cons-titue aussi un instrument puissant de diffusion desrègles en interne. Elle permet d’imposer de nouvellesnormes de gestion à l’ensemble des centres et entrepri-ses relevant de son domaine d’application. S’agissantd’harmoniser les pratiques de gestion et les modes defonctionnement des centres membres du réseau, laforme conventionnelle apparaît comme l’outil le pluspertinent pour construire et imposer le point de vue del’employeur. « L’écrit, le niveau de résolution,l’acceptation, même partielle, du partenaire donnent àla règle nationale l’autorité de la loi au niveau local »(Salais, 1986, p. 21). Elle « fait office de loi de laprofession » (Sellier, 1986, p. 97). Elle instaure ainsiune stratégie de contrôle, manifestant la cohésionpatronale (Sellier, 1986) et permet à l’employeur defaire partager sa vision aux partenaires syndicaux et deles impliquer dans une réflexion sur l’organisation.

Enfin, la convention collective est un instrument de la« mise en forme » et de la qualification du travail : elleopère un classement des emplois en lien avecl’organisation du travail, elle les positionne dans unehiérarchie, établit une échelle des rémunérations. Elledéfinit les relations d’ajustement entre marchés dutravail externe et interne (aux centres et au réseau) et enassure une meilleure maîtrise. C’est ici qu’intervient laGRH : elle développe une instrumentation de gestionqui permet de structurer un marché du travail à la foisau niveau local de chaque centre et au niveau nationalen termes de mobilité d’un centre à l’autre.

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2.2. La structuration d’un marché du travail

Le concept de compétence est au cœur de cetteinstrumentation gestionnaire. Il apparaît dans desintitulés divers (GPEC, logique compétence, gestiondes compétences) et fait office de norme, de référencepour - étalonner, peser, qualifier et standardiser les emplois, - instrumenter une méthodologie d’analyse en amont,

de gestion et d’évaluation en aval,- assurer la rupture avec une logique de poste et les

règles de gestion associées,- mettre en équivalence les spécificités d’emplois des

centres.

La référence à la compétence constitue ainsi uninstrument de mesurage et de comparabilité qui permetl’émergence de nouvelles règles et normes de gestion.Elle favorise une mise en ordre et en cohérence, uneharmonisation qui faisaient défaut, tout en respectantl’autonomie et les spécificités de chaque centre.

Le chapitre 3 de la CCN sur les classificationsprofessionnelles définit les différents usages etdéclinaisons de la compétence. La GPEC est yprésentée comme « une méthodologie et non commeune méthode ; cela signifie qu’elle propose une logiquecommune à ses utilisateurs pour gérer les compétences,ce qui laisse des espaces de libertés dans la mise enoeuvre pour tenir compte de la spécificité des différentscontextes. Chacun peut donc bâtir sa propre méthodetout en s’inscrivant dans un cadre commun permettantles comparaisons d’un centre à l’autre ».L’instrumentation gestionnaire assure la mise en formeet la standardisation des « emplois-repères » décritsdans la CCN. Ceux-ci servent de référence et d’étalonaux centres qui vont y faire correspondre leurs propresreprésentations en fonction de leurs spécificités (typesde clientèles, héritage culturel, arrimage à l’existant).

La GPEC est ainsi définie comme une règle deprocédure, visant à accompagner les centres dans leurdémarche. Un guide méthodologique d’évaluation descompétences détaille dans des fiches techniques lesétapes à suivre, les outils et concepts à maîtriser, lesméthodes d’élaboration du référentiel, le moded’utilisation de l’outil d’évaluation et permet à chaquecentre de s’inscrire dans cette logique commune qu’estla logique compétence. Celle-ci est présentée comme« le principe sur lequel s’appuie la classification ». Leflou de sa définition est à la mesure du jeu qu’elleintroduit et autorise dans les transactions entre acteurset dans la manière dont les centre s’ajustent à la CCN.Ces marges de manœuvre laissées aux centres visent àrespecter le principe de subsidiarité fortement ancrédans la culture du réseau.

A ce titre, la référence à la compétence opère au niveaudu réseau comme une régulation de contrôle (Reynaud,1993) qu’instrumente la GPEC ; la gestion descompétences entendue comme ensemble de pratiquesde GRH (selon la définition du MEDEF 1998) quiémerge dans le cadre ainsi défini, est le vecteur d’unerégulation autonome au niveau des centres.

Sur le plan méthodologique, cette démarchecompétence présente l’originalité suivante : elleprocède d’abord à la définition d’une cible profes-sionnelle, celle du conseil en gestion. Cette cible sedécline au niveau stratégique du réseau dans sonensemble et au niveau organisationnel du métier decomptable, en termes de compétences individuelles. Onajuste donc bien deux niveaux de compétences. C’est àpartir de cette cible que sont ensuite déclinés les postesen amont et identifiées leurs compétences. La RRHsouligne l’ambition de cette cible et le haut niveaud’exigences qui lui est associé. Personne n’incarne cettevision du comptable-conseil dans l’entrepriseaujourd’hui. Elle ouvre donc des perspectivesd’évolution professionnelle aux jeunes diplômés. Letableau suivant présente cet emploi-cible.

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Tableau 1 : le comptable conseil d’après la CCN

Dimension technique

Assure le traitementglobal des dossiersclients en intégrantl’ensemble des domainestechniques sur les planscomptable, fiscal, socialet juridique.

Conseil

Procède à l’analyse et àl’optimisation des résultatsApporte conseils et for-mation aux adhérentsdans le cadre d’un suiviannuel.

Organisationnelle

Gère le portefeuille declients qui lui est confiéTravaille dans une équipepluridisciplinairePeut assurer une fonctionde tutorat.

Commerciale

Participe à l’élaboration de nouveaux produits

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Le principe directeur de cette anticipation de l’évolutiondu métier de comptable réside dans l’inversion de laperspective temporelle assignée à son activité. Celle-ciest formulée dans des termes binaires : il ne s’agit plus deregarder le passé, « on ne regarde plus dans lerétroviseur » selon l’image convenue dans l’entreprise,« on se projette dans l’avenir, celui du client ». Le mé-tier change : il s’agit moins de faire le bilan chiffréd’une activité passée, clôturant l’échange avec le clientque d’offrir un conseil de proximité permettant à l’adhé-rent de préparer un avenir aléatoire et d’en élargir lesperspectives. Ainsi la remise de résultats n’est-elle plus une fin en soimais le point de départ d’une prospective portant sur lespotentialités de développement de l’activité, sur lesopportunités de placement ou encore sur les moyens deréduire les impôts ou les cotisations sociales. En termescommerciaux, il s’agit d’une prestation visant à préparerl’entrée du conseiller chez le client.

Le conseiller relaie le comptable pour prolonger laprestation de service et offrir au client de nouvellescompétences. Cette dimension visionnaire du métier se traduitaujourd’hui par les propos suivants : « désormais onvend de la compétence ». Il est alors nécessaire pour l’entreprise de définir denouvelles formes d’articulation et de coopération entreles métiers de comptable et de conseiller.

Construire des trajectoires professionnelles au seind’une filière d’emploi ou entre filières est dès lorspossible. Cette projection dans l’avenir pour définir, formaliser etenrichir l’existant nous semble une dimension clé de lalogique compétence telle qu’elle est appréhendée et unélément central de la mise en ordre et del’harmonisation des emplois.

L’encadré suivant illustre cette démarche : il évoque laméthode de rangement des emplois, souligne l’arrimagedes emplois formalisés dans la convention d’entreprisedu centre aux emplois-repères de la CCN, présente latrajectoire professionnelle du comptable.

Il en résulte une standardisation des formes produites,une objectivation des normes d’emploi et uneformalisation des outils de gestion permettant derationaliser le fonctionnement des centres, de structurerleur marché interne du travail et d’assurer durablementla cohésion du réseau.

3.3. L’articulation qualification-compétence

Nous nous intéressons maintenant aux modes degestion de ces trajectoires professionnelles. Nosmontrons comment qualification et compétence sontarticulées et mises en forme pour assurer l’émergencede ce nouveau métier de conseil.

Dans le cas analysé, loin de s’opposer comme on l’asouvent dit, les logiques de qualification et decompétence sont dans une relation de complémentarité.

La CCN range les activités du réseau en trois filières(service adhérents-clients, services internes, manage-ment). Elle segmente la filière adhérents en troisfamilles d’emplois : comptabilité, conseil, informa-tique. La famille comptabilité distingue trois emplois-repères exprimant une maîtrise progressive du méti-er : assistant comptable, comptable, comptable con-seil. Le centre observé en fait une adaptation en qua-tre niveaux dans son accord d’entreprise.Le comptable niveau 1 n’est pas en relation avec leclient, ne fait aucun conseil. Il effectue des opérationsde saisie, pointage, collecte et vérification des piècesd’un dossier, sous la direction du responsable degroupe.Le comptable niveau 2 élargit progressivement sonchamp d’activités et de compétences jusqu’à la visitede clôture comptable. Il effectue des opérations decontrôle, des simulations de choix fiscaux. La dimen-sion conseil apparaît avec les déclarations TVA. Ilpasse progressivement sur des fonctions d’assistanceau responsable de dossier.Le comptable confirmé de niveau 1 « assure enautonomie technique, la tenue de comptabilité et lesuivi fiscal et social d’un nombre de dossiers dont ilest l’intervenant privilégié ». Il intervient auprès del’adhé-rent (remise de résultats, validation des choixfiscaux).Le comptable confirmé de niveau 2 « réalise et opti-mise le conseil de proximité sur un portefeuille d’ad-hérents, apporte un soutien au responsable de groupedans la gestion du groupe ». Il s’engage dans destâches de prévision et d’analyse, d’animation et dedéveloppement de portefeuille (recherche de clients,prescription de conseillers). Les responsables de groupe (premier niveau de la fil-ière management) sont des comptables dont l’exper-tise est reconnue par l’équipe.

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Elles partagent la fonction suivante : désigner lescapacités professionnelles d’un individu, en rapportavec un mé-tier. Elles ont une finalité commune :assurer une promesse d’employabilité aux salariés(Dany, 2001). Mais elles interviennent à des moments etsur des re-gistres différents ; elles se construisent : - en amont de l’organisation, sur le marché planifié des

qualifications pour la première, - au sein de l’organisation pour la seconde, dans un

espace collectif de distribution des rôles et desconnaissances.

Nous développons chacun de ces points.

La qualification renvoie au champ des relationsprofessionnelles et à leur histoire. Elle relève de l’ordreinstitutionnel qui garantit par un titre l’acquisition desavoirs objectivés et les hiérarchise en niveaux dediplômes. S’agissant d’une profession réglementée,l’accès aux emplois de comptable est en effet régi par ladétention de diplômes ad hoc. La qualification« précède » la compétence en ce sens qu’elle gouvernela sélection des candidats. Conformément à sa fonctionsociale d’insertion professionnelle, le diplôme fournitles arguments nécessaires à la contractualisation del’échange salarial (Rivard, 1986). D’une part, il attestela qualification indispensable à l’exercice d’un métier(Rivard, 1986). D’autre part, il a une valeurassurancielle (Eymard-Duvernay, Marchal, 2000) : ilcertifie des capacités d’assimilation et d’adaptation etdevient la garantie d’une employabilité. La sélection nevise pas tant à pourvoir un poste donné qu’à anticiperles capacités d’évolution d’un candidat.

Si la légitimité de la qualification n’est pas contestée ensoi, son objectivation en titres diplômants resteextérieure à l’entreprise et elle n’est pas perçue commeun outil de gestion. C’est ici qu’intervient lacompétence. Elle incarne cet outil qui fait défaut àl’entreprise pour- définir les termes d’une professionnalité en mutation,

en phase avec les transformations de l’environ-nement : il s’agit toujours de comptabilité mais d’unecomptabilité en situation, appelée à être « davantage »que de la technique comptable, c’est-à-dire du conseilde gestion,

- renouveler ses règles de gestion : de l’anticipation desbesoins à l’évaluation des performances pour unemeilleure maîtrise des rémunérations.

La référence à la compétence n’est pas pour autantabsente de la sélection. Si elle n’intervient qu’une foisle diplôme attesté, c’est de manière décisive et discri-minante pour départager les candidats sur la base deleurs qualités humaines. L’entretien de sélection vise àévaluer les compétences relationnelles : aptitude àtravailler en équipe, adaptation à des clientèles

diversifiées, implication potentielle et durable dansl’entreprise. La clientèle fondant son adhésion sur lastabilité d’une relation interpersonnelle avec soncomptable, l’entreprise développe une politique defidélisation de ses salariés ; celle-ci gouverne sespratiques de recrutement.

La détention d’un diplôme même de haut niveaun’exclut aucunement la nécessité d’un apprentissage dumétier en situation. L’entreprise est alors conçuecomme un espace de mise à l’épreuve de laqualification : les compétences s’exercent et sedéveloppent avant tout au sein de l’entreprise, dans lamise en œuvre et le rodage de techniques spécifiques,dans l’apprentissage d’opérations qui, s’agissant decomptabilité, sont rigoureusement ordonnées. A ceniveau, les compétences sont la traduction contingentede la qualification. Elles traduisent la manière dont unindividu s’approprie des connaissances et les mobiliseen situation de travail. Dès lors affirmer que même pourun jeune diplômé, le métier s’apprend sur le tas rendcaduc le principe d’une équivalence systématique entreun niveau de qualification, un statut et un niveau desalaire.

La remise en cause de cet acquis rend nécessaire la construction d’instruments d’évaluation descompétences. La mise à l’épreuve évoquéeprécédemment est rigoureusement « mise en scène »(Weick, 1995) par l’entreprise. On peut l’assimiler àune sorte de rite d’intégration visant conjointement àtester le candidat et à optimiser les conditions de soninitiation au métier. Son organisation s’appuie sur lesopérations suivantes :- construction d’un parcours d’apprentissage, défini à

partir de la cible professionnelle visée et non à partird’un niveau de diplôme,

- accompagnement de cet apprentissage par un tuteur,un « référent » selon la terminologie de l’entreprise,

- objectivation d’étapes, de passages et d’indicateursd’évaluation jalonnant ce parcours.

Si elles se parent des vertus de la modernité (logiquecompétence), ces normes ne font jamais que réactuali-ser la logique de gestion associée à la qualification : « laqualification n’exprime pas seulement à un momentdonné les exigences d’un poste ; elle est attachée à unesuccession de postes, à une trajectoire professionnelle eton ne la caractérise pas correctement à un momentdonné si l’on oublie les moments qui suivent ou quiprécèdent. Entrer dans un poste, c’est entrer dans unespace de qualification. Offrir un poste, c’est aussioffrir des chances de promotion et de carrière (etd’abord de stabilité ou d’instabilité, de sécuritéd’emploi ou de précarité) » Reynaud (1987, p. 91). A ceniveau, compétence et qualification relèvent de lamême logique.

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Elles divergent cependant dans leurs façons de gérer cestrajectoires. Dans un contexte de mutationsorganisationnelles, la référence à la compétenceintroduit de la flexibilité pour l’entreprise et accroît soncontrôle sur les évolutions professionnelles et salarialesdes collaborateurs en les subordonnant à des procéduressystématiques d’évaluation (des emplois, desindividus), en interrogeant en permanence leuradéquation aux contextes interne et externe. Laréférence à la compétence permet ainsi de rompre avecles modes de gestion en vigueur dans l’entreprise :augmentations salariales à l’ancienneté, absenced’évaluation des performances. Elle permet de modulerces parcours-types en fonction des contextes et desbesoins ; elle y conforme les qua-lifications attenduesde façon à garder la maîtrise des « passages » d’unemploi à l’autre. Le tableau suivant rend compte desspécificités des espaces de qualification et decompétence.

Nous développons rapidement les termes de cettepromesse d’employabilité de l’entreprise notammentdans la façon dont elle organise l’apprentissage dumétier de comptable et l’accession progressive àl’autonomie.

Cet apprentissage fait l’objet d’un accompagnementcontinu : il va d’un travail sous contrôle complet(tutorat), à une activité en binôme (avec le comptableresponsable du dossier) puis à son exercice autonome(sous l’autorité du responsable de groupe), jusqu’àl’acquisition d’une autonomie complète. L’autonomieest à la fois un objectif et un moyen de l’apprentissage :objectif car elle est indispensable au fonctionnement ducentre (équipes décentralisées au plus près des clients) ;moyen car elle constitue une condition dudéveloppement des compétences : acquisition deroutines, capa-cité d’initiative et intelligence dessituations.

Visant à conduire à l’autonomie requise, cet accompa-gnement est jalonné d’étapes ponctuées par des évalua-tions. La première étape correspond à la phase formalisée d’insertion et de titularisation du jeune

comptable. Elle revêt uneimportance particulière carelle doit permettre d’estimerle potentiel du candidat. Lescompétences qu’il s’agit d’ydétecter peuvent être consid-érées comme fondamentalescar elles reviennent demanière récurrente pourqualifier les différentsniveaux d’emploi de compt-able. Pressenties, elles con-tribuent à « consacrer » l’en-trée dans la trajectoire pro-fessionnelle du comptable.

Accompagnement et évalua-tion sont donc étroitementliés dans cette premièreétape. Le tuteur s’assureavant tout de la maîtrise desoutils informatiques compta-bles par le débutant, dans lecadre des travaux comptablespréalables à la clôture desdossiers (de l’enregistrementà la préparation de la clô-ture). Les savoirs et savoir-faire de référence sont seule-ment mentionnés dans leréférentiel car ils sont con-sidérés comme un savoirtacite communément partagé

par les professionnels et les jeunes diplômés. Par con-tre, le temps consacré à l’exécution d’une tâche estmesuré et devient un indice du degré de compétence dudébutant.

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ConstructionEspace de qualification

En amont de l’organisation,sur le marché planifié desqualifications.

Espace de compétence

Dans l’organisation, au seind’un espace collectif de distri-bution des rôles et des connais-sances, face aux spécificitésdes marchés d’adhérents.

Preuve, titre Diplôme comme garantie desavoirs et savoir-faire acquis

Mise en acte de la connais-sance et évaluation des compé-tences et des résultats par len+1

Fonction, rôle Insertion professionnelle, recrutement

Apprentissage du métier, production de connaissances

Cible professionnelle

Emplois repères CCN, Emplois définis dans lesaccords d’entreprise

Activités ajustées en perma-nence, en fonction des contextes interne, externe

Mode de rétribution

Positionnement au sein de laCCN, minima CCN

Evaluation de la contributionindividuelleAugmentation de la part liéeaux résultats

Tableau 2 : spécificité et complémentarité des espaces qualification-compétence

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C’est ensuite sa capacité à se représenter l’activitécomptable dans sa dimension processuelle qui noussemble prioritairement testée. La maîtrise del’ordonnancement des opérations comptables nousapparaît constituer une compétence générique, aisémentdécelable et relativement révélatrice des aptitudes ducandidat. Sa rigueur procédurale est étroitementsurveillée. La multiplicité des opérations à conduireinclut des vérifications successives, garantes de lafiabilité des opérations effectuées. Un tiers (le tuteur, leresponsable du dossier, puis le chef de groupe) contrôleces deux dimensions de l’activité, il s’assure ensuiteque le débutant effectue de lui-même ce contrôle. Cetauto-contrôle et sa fiabilité favorisent l’instaurationd’une relation de confiance, permettant à l’encadrantd’accorder au jeune comptable une autonomiecroissante.

L’initiation du débutant constitue également un rite depassage ou un rite d’institution (Bourdieu, 1982) pour letuteur. Si celui-ci y témoigne d’une capacité àtransmettre son savoir et à transférer des compétences,il change de niveau pour accéder au rôle de « référent ».Celui-ci donne au comptable expérimenté unelégitimité supplémentaire, celle de personne-ressourcepour l’entreprise. Dans cette perspective, la capacité àorganiser le travail en binôme et à encadrer un apprenticonstitue la deuxième étape du développement des compétences ducomptable. L’étape suivante prépare un passageéventuel dans la filière management.

ConclusionSi nous n’épuisons pas dans le cadre de ce papier lesperspectives de recherche offertes par le cas étudié,nous pouvons toutefois conclure sur l’importancestratégique de la gestion de l’emploi dans une activitéde service où 70% des coûts sont des coûts depersonnel. Un intérêt fondamental de ce cas est biend’arti-culer stratégie d’intrusion dans l’environnementet réorganisation interne, changement des règles degestion de la main d’œuvre et positionnement del’entreprise sur le marché des professions comptables.En mobilisant la notion d’investissement de forme,nous montrons comment la démarche compétencecontribue à l’identification et à la définition d’unecompétence spécifique et au renouvellement despratiques de gestion.

Ce cas montre aussi comment une instrumentation degestion participe à la définition et à l’apprentissage denouvelles règles et comment elle s’accommode de

formes de régulation traditionnelles dont elle contribueà renouveler la pertinence et la portée. Nous pensonsque la notion d’investissement de forme, théorisée parThévenot (1986) se révèle appropriée à l’analyse desdémarches prospectives et des instrumentations deGRH.

Bibliographie

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La fabrique à DRH

Quelques pistesméthodologiques etpremiers résultats pour unaudit de l’insertion et ducheminementprofessionnels 1

Jean-Yves DUYCKProfesseurInstitut de Gestion, Université de LA ROCHELLELaboratoire CRM [email protected]

Alain DELPERIERMaître de Conférences, Université de BORDEAUXIV, Laboratoire CRM [email protected]

Introduction

Intérêt et objet de l’étudeComment naissent les DRH ? Cette question a priori« naïve » est en réalité tout à fait réfléchie tant lesformations spécialisées en GRH font désormais partiedu paysage universitaire français avec forte demandedes étudiants s’accompagnant de taux de sélectivitéélevés2. Pourtant, à y regarder de près, ce n’est qu’assezrécemment que l’on a vu les firmes ressentir le besoinde dirigeants professionnels de Ressources Humaines(Fombonne, 2002) et l’université française tenter derépondre à cette demande.Il faut en effet attendre le milieu des années 1970 (avecles options RH des départements GEA d’IUT et, en1976, le DESS Management avancé des RessourcesHumaines de l’IAE de Paris et le DESS Gestion duPersonnel de Bordeaux) pour observer unediversification des filières, auparavant très orientées« droit du travail », même si la CEGOS, l’ENOES et leCIFFOP s’étaient déjà engagés dans cette voie.L’habilitation régulière de nouvelles formationsinitiales3 et l’ouverture de leurs extensions en formationcontinue (Liaisons Sociales, septembre 2001) laissepenser que les besoins sont importants. Pour autant, endehors de l’aura générale que certaines de cesformations peuvent posséder pour des raisonsd’ancienneté et/ou de réseau d’anciens élèves ou encoreparce que tel ou tel élève a particulièrement bien réussidans une entreprise « en vue », l’évaluation de cesformations sur les critères d’efficacité d’entrée dans lemétier puis de cursus professionnel estexceptionnellement réalisée, ou si elle l’est, resteencore confinée au sein d’une littérature souterraine. Ilfaut dire, on le verra infra, que la constitution des basesde données et le suivi des cohortes d’étudiants en sortied’études puis en cours de carrière présente desdifficultés pratiques et méthodologiques majeures,souvent complexes à résoudre.

Question de rechercheC’est précisément l’objet de ce travail que de tenter derépondre à la question : « comment se « fabriquent » lesDRH ? ». Du point de vue de l’audit, il s’agit à la fois

La fabrique à DRHJean-Yves DUYCK - Alain DELPERIER

1 Les auteurs remercient particulièrement la société Hudson qui nousa fait confiance et permis d’accéder à sa base de données et RobertBloch (IAE, Bordeaux IV) pour son active contribution à la consti-tution des bases de données, sa relecture éclairée et ses conseilsjudicieux lors de la rédaction de ce travail.

2 Globalement, on trouve 11703 candidats pour 1338 places dans les45 formations en gestion des ressources humaines recensées par lemensuel « Liaisons Sociales » en septembre 2001.

3 Entreprises et Carrières (n° 618, avril 2002) comptabilise plus de260 formations RH dont 97 DESS et 2 DEA.

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de s’assurer de l’efficacité ex post des formations (auditd’efficacité) et de bâtir ex ante le système d’informationpermettant d’élaborer le référentiel servant audiagnostic. La question supra peut se décliner en 3 sousquestions concernant : a) l’efficacité de l’insertion : les formations RH

forment-elles bien les étudiants pour occuper despostes dans cette fonction ?

b) l’efficacité du cheminement : une fois rentré dans lafonction, devient-on rapidement DRH ?

c)le volet méthodologique permettant de construire unréférentiel : quelles méthodologies particulièresconvient-il de développer pour suivre les trajectoiresprofessionnelles en lien avec les formationsd’origine ?

Une question supplémentaire est la résultante des 3précédentes et concerne l’audit d’écart : si des écartsimportants étaient observés (par exemple : il vaut mieuxêtre juriste que spécialisé en GRH pour faire carrièredans la fonction), quelles préconisations effectuer pouraméliorer l’existant ?

État de l’artMalgré le développement des filières universitaires, leschercheurs semblent avoir peu investi dans uneréflexion académique portant sur l’efficacité de leursformation comparativement aux besoins des firmes.Ainsi, aucune contribution n’est repérable dans la revuede l’AGRH et, en quatorze congrès de cette associationacadémique représentant près de 20000 pages4, c’est aumaximum 500 pages qui, de près ou de loin, sontconcernées par les préoccupations de formation à lafonction, et, dans ces congrès, les membres des Groupesde Animateurs et Responsables de Formation (GARF)semblent peu présents.De fait, la question de la « fabrique » à DRH estquelquefois abordée au sein de tables-rondes del’ANDCP 5 sous forme de témoignages dans le cadre derencontres chercheurs – professionnels. Elle n’esttoutefois véritablement traitée sous l’angle de l’état etdes contenus de formations qu’au moment de lacréation de l’AGRH, c’est-à-dire entre 1992 et 1995,avec un mandat donné à la Commission Formation sousla présidence du Professeur Weiss, La productionglobale de cette commission est, outre les rapportsinternes, de huit publications (Bartoli et Duyck, 1992 ;Bartoli, 1995, 1996 ; Duyck, 1993, 1994 ; Duyck etNebenhaus, 1995 ; Sonntag, 1993, 1994). De façonsynthétique, les travaux de la Commission Formationaboutissent au constat que l’offre, avec 211établissements est déjà conséquente mais aussidisparate, tant en ce qui concerne les niveaux que lesinstitutions, le contenu des enseignements ou encore lesmodalités pédagogiques. On y note cependant la placeprépondérante occupée par les matières juridiques :droit social et du travail. Sonntag (ibid.), pour sa part,

propose une réflexion de nature épistémologique surces questions. La période 1996-1998 est vide depublications autour de cette interrogation et le regaind’intérêt se situe en 1999. Barraud et coll. (1999)repèrent, en s’appuyant sur des méthodologies duCEREQ, un certain nombre de compétences de DRHassociées aux connaissances-clés : psychologie desorganisations, sociologie du travail, méthodologie del’enquête et de l’audit social, histoire des syndicats etdes relations sociales, communication, méthodologie derésolution de problèmes complexes, méthodologie de laveille (ibid. : 43). Cette démarche reste originale surdeux plans : a) il s’agit à notre connaissance de la seuletentative « raisonnée » de construction de savoirs-typesthéoriques à partir du terrain s’exprimant en termes degrandes disciplines de base et non pas de qualitésindividuelles ; b) ces savoirs reposent avant tout surl’aptitude à comprendre et maîtriser son environnement(matières d’environnement et de résolution deproblèmes) et non sur des apports techniques tels que ledroit du travail par exemple comme on a pu s’enapercevoir précédemment. Pour autant, l’utilité dansune carrière d’avoir suivi une formation initialespécifique n’apparaît pas toujours évidente. Ainsi,Barthe (2001) réalise une enquête auprès de vingt DRHde la région PACA pour observer : a) qu’une majoritén’a pas suivi d’enseignement spécialisé en formationinitiale, mais a complété ses cursus en formationcontinue (ibid. : 7) et b) que le passage parl’opérationnel (vente ou production) constitue une« expérience idéale » (ibid. : 8). A contrario, Homn, (inGarault, 2003) fait part des évolutions actuelles de lafonction vers la professionnalisation et de la nécessitéd’une formation spécifique, se rapprochant de fait de laposture de Barraud et coll. (ibid.) pour estimer que cettedernière se doit d’intégrer des enseignements « ouvertsà d’autres dimensions que techniques » (ibid. : 34). Dupoint de vue de l’audit, il convient de noter l’initiativeprise en 2001 par des universitaires travaillant dans lecadre de l’AGRH, pour faire aboutir l’idée d’unehomologation par l’Etat ou par les Grandes Ecoles desformations de troisième cycle. Cet ensemble, dont lamise en place s’est trouvée retardée par la réforme desformations dite LMD, a permis d’établir un palmarèsdes formations (Liaisons Sociales, septembre 2001) auregard de quatre critères : la sélectivité, le contenu de laformation, la professionnalisation et l’existence d’un

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4 Il est difficile (et peut-être peu utile au demeurant) de donner unecomptabilité précise, certains congrès (le 11e par exemple) n’ayantfourni les actes que sous forme CD Rom. En dehors des communi-cations citées, on ne trouve toutefois de symposiums spécifique-ment consacrés à cette problématique que dans les actes des 5es (ate-lier Pédagogie et apprentissage) et 6es congrès (atelierEnseignement et Formation)

5 Table ronde dans laquelle on retrouve les enseignants chercheurs :Julienne Brabet, Henri Mahé de Boislandelle, Gérald Naro, ChantalRemond, Amélie Seignour.

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réseau d’anciens. On doit noter l’importance et l’utilitéde cette classification, car elle constitue un pointd’appui pour une future certification des formationsinitiales et continues6, et l’auditeur ne peut que s’enféliciter. Elle possède cependant 3 limites : a) elleconcerne exclusivement un public de cadres à hautspotentiels en se restreignant aux diplômes de troisièmecycle ; b) elle reste handicapée par l’absence d’enquêted’envergure auprès des DRH sur leurs besoins réels enformation initiale puis en cours de carrière et, il semblebien qu’il s’agisse avant tout à un pilotage « amont »des maquettes pédagogiques sans confrontation avec leterrain ; c) elle conserve une certaine opacité et l’on doitregretter qu’aucune contribution académique ne vienneacter de ces efforts de réflexion sur les formations à lafonction Ressources Humaines.Du côté des publications professionnelles, il estpossible de consulter trois supports : une revue deréflexion : Personnel, et deux publications à caractèreplus journalistique : Liaison Sociales mensuel etl’hebdomadaire Entreprises et Carrières. Pour obtenirune représentativité convenable, il a semblé souhaitablede couvrir la période des premières créations de filièresuniversitaires de troisième cycle puis d’observer l’étatactuel des réflexions sur le sujet. La revue Personnel aainsi été consultée de 1975 à 1981 inclus pour couvrirla phase des créations de filières, puis de 1991 à 2003inclus pour observer les évolutions contemporaines. Cesont donc au total vingt années de la revue qui ont étédépouillées. En complément, pour la période 2000-2003 ont été consultés Liaisons Sociales et Entrepriseset Carrières. Cette recension donne à la fois un reculsuffisant et un spectre assez large7 pour obtenir unevision complète. Elle aboutit à comptabiliser unevingtaine d’articles traitant peu ou prou ce thème dontquatre sont, de fait, des publications d’universitaires oudes interviews d’enseignants-chercheurs et ont étéétudiés dans la partie précédente relative aux« universitaires ». Ces papiers peuvent se classer entrois catégories : les témoignages, portraits ou récits devie divers ; les « hit parades » ; les résultats de groupesde travail et les études.La première catégorie relate, à partir d’interviews, lescursus des « professionnels purs ». Il s’agit de DRHoccupant des postes à responsabilité dans des grandesentreprises, dont la formation initiale est toujours élevée(bac+5), mais parfois hors RH, et qui prônent unecertaine polyvalence. Cette dernière s’exprime soit entermes de cheminement professionnel stricto sensu(l’on y expose en règle générale qu’il est préférable decirculer dans des postes opérationnels à l’intérieur del’entreprise avant d’exercer au sein de la fonction RH)soit en termes de compétences. Celles-ci sont décritesassez généralement sous l’angle de l’immatériel : savoirnégocier, motiver, ou encore être créatif, loyal,courageux, etc., (ou parfois même poète [Ducos,1998] !) c’est-à-dire plus à partir de qualités

personnelles que de l’aptitude à remplir des missionsprécises. Dans tous les cas l’expérience apparaît commeun atout majeur (Fréret, 2003) et les savoirs théoriques,au moins ceux acquis en formation initiale, restent trèssecondaires au regard des formations continues maisaussi des qualités personnelles ou des capacitésacquises au cours de la pratique professionnelle. Les interviews ou portraits de certains DRH (Choain,1996 ; Taveneau, 2003 ; Torcy, 2003, etc.), illustrentassez bien ces parcours et points de vue. Il est audemeurant difficile de se faire une opinion précise sur lavaleur de ces témoignages (comment ces personnes ont-elles été sélectionnées ?), tant il semble qu’il s’agisse depersonnalités « en vue » et que l’intervieweur fassepreuve d’une grande empathie voire de complaisanceenvers ses interviewés (l’un « arrive avec un quartd’heure d’avance », une autre a « déjoué lesembouteillages », une autre encore s’est déplacé« malgré l’incendie de l’un de ses hypermarchés »,etc.).La deuxième catégorie d’articles propose soit unannuaire des formations (Entreprises et Carrières,n°618, avril 2002)8 soit un palmarès des formations(Dubosc et coll., 2000 ; 2001) en lien avec le mondeuniversitaire (cf. supra). En outre, l’intérêt pour laformation continue est patent avec la retranscription desdébats de quelques tables rondes spécifiques (parexemple, Personnel, n°304, mai 1989, 78-82).La troisième catégorie d’études émane de l’ANDCP etde l’APEC. Les premières (ANDCP) sont peunombreuses et anciennes (Toupet, 1973 ; Martin, 1979),c’est-à-dire avant ou juste au moment de l’ouverture defilières spécifiques. Elles font part de la nécessité d’unpassage par l’opérationnel, soit en début, soit en milieude carrière pour éviter « l’ankylose ». De façonparadoxale, elles estiment « qu’une spécialisation trèspoussée dans des techniques de gestion de personneltrès sophistiquées ne constitue pas […] un élémentindispensable » (Toupet, ibid. : 67), tout en semblantregretter l’absence de formation initiale universitaire ouen Grande Ecole. L’APEC, dans ses fiches débouchés(APEC, 2003-a) observe que 88% des diplômés del’université en RH se dirigent vers le secteur privé quiintègre 77% d’entre eux dans ses services spécialisésselon des parcours-types de conseiller de formation,d’assistant de communication, voire d’ingénieurcommercial devenant rapidement (1 an) chargé de

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6 CF. Interview de Alain Gintrac, Président du réseau Référence RH,Entreprises et Carrières, n°690, 4-17 novembre 2003, p. 10.

7 Ces trois revues ou journaux couvrent la totalité des publicationsnon académiques françaises.

8 On trouve aussi : Gouverneur, C., (2001), Tous les parcours vers lesRH, Entreprise & Carrières, 26 juin, 31-34 ; (2001), La fonction RHen huit métiers, Entreprise & Carrières, ibid. p.26-27 ; Frison, M-N., (2002), Tous les diplômes qui mènent aux ressources humaines,Entreprise & Carrières, n°618. (non repris en bibliographie)

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recrutement. Dans ses fiches fonction (APEC, 2003-b),cet organisme constate : a) que les missionstraditionnelles (les outils de base : recrutement, paie,etc. ainsi que relations sociales et communication)structurent la fonction et b) que le cheminement seréalise, en amont, dans 75% des cas à l’intérieur de lafonction pour déboucher, en aval, dans 13% dessituations par des postes au sein de la directiongénérale. Etre DRH pourrait ainsi constituer un levier,ou une étape, vers des fonctions plus importantes.

Au total, l’examen de la littérature permet de repérerglobalement que la question de la formation et de sonrendement reste assez secondaire aussi bien pour lesuniversitaires qui la mettent en œuvre que pour lesprofessionnels qui en bénéficient avec, en outre, unintérêt très marginal pour la pédagogie. Il semble bienque l’on se retrouve face à deux « allants de soi ». Pourles uns, universitaires, le cursus de formation initialedoit viser la formation de hauts potentiels et se révèlecomme le fruit des représentations « haut de gamme »de la fonction (pour résumer : stratégique,internationalisée, peu encombrée par les tâchesrépétitives de droit du travail, impliquée dans des tâchesnobles de gestion des prévisionnelle, etc.) ; pour lesautres, professionnels, la formation devrait conduire àune certaine polyvalence compte tenu de la nature destâches à effectuer. Les compétences requises pourexercer le métier de DRH sont nombreuses : juriste,psychologue, stratège, manager, etc., et les talentsindividuels essentiels : technicien, diplomate,négociateur, organisateur, meneur d’hommes, etc.

Sur le point précis de l’insertion, on peut noter deuxpoints de vue : le premier, minoritaire, est pour l’essentiel celui desuniversitaires qui considèrent que l’insertion passe parune formation spécialisée qui doit être aussi ouverte quepossible ; le deuxième, majoritaire, rassemble la plupart desprofessionnels (hors APEC) qui estiment que l’insertionne nécessite pas un passage par une formation initialespécialisée, mais plutôt un haut niveau de formation(bac+4 ou 5) suivi d’un parcours préalable dansl’entreprise via des fonctions opérationnelles, laformation spécifique s’opérant lors du cheminementprofessionnel dans le cadre de la formation continue.Dans ce cas, ce sont les qualités personnelles quidoivent s’avérer décisives et le DRH y apparaît commepolyvalent tant dans ses missions que dans ses profils.Concernant le cheminement, ce dernier n’est abordéque manière allusive mais aucune réflexion de fondn’est menée pour savoir si l’occupation d’une fonctionde DRH doit être considérée comme un aboutissementou comme un « levier » vers des responsabilités plusimportantes, et si la formation continue est toujoursconsidérée comme indispensable, on ne sait guère àquel paradigme elle fait référence (aboutissement ou

transition de carrière). Les hypothèses que nous allons tester reposent, pourl’insertion comme pour le cheminement, sur le courantde pensée dit « majoritaire ».

HypothèsesA) Concernant les aspects « insertion », si l’on prend

appui sur les résultats de l’enquête « formation »menée dans le cadre de l’AFGRH, il semble que l’onpuisse soutenir les hypothèses suivantes :• H1) un haut niveau d’études (bac +4 ou +5) facilite

l’entrée dans des fonctions de responsabilité detype DRH ;

• H2) une formation initiale en GRH n’est pasprimordiale mais ;

• H3) une formation continue(ée) dans ce domaineest essentielle.

B) Concernant les aspects « cheminement », on peut,pour les mêmes raisons que supra, proposer les deuxhypothèses ci-dessous :• H4) Il n’existe pas de cheminement-type dans

l’entreprise pour assurer des fonctions de DRH,mais

• H5) Il est indispensable d’avoir occupé desfonctions opérationnelles pour exercer en tant queDRH .

Le plan retenu présente la contribution méthodologiquede ce papier, puis les principaux résultats qui serontdiscutés en suivant.

1. Réflexions et ouverturesméthodologiques

Du point de vue de l’audit, cette réflexionméthodologique constitue une étape indispensable pourla construction du référentiel. Des développementsimportants sont nécessaires dans la mesure où il fautrésoudre des questions de flux sur des populationsparfois anciennes. Il est utile de présenter la positiongénérale du problème, puis de proposer les optionsretenues avant de décrire le terrain, c’est-à-dire laconstitution de la base de données.

1.1. position du problèmeSur un plan général, les domaines insertion etcheminement font l’objet des investigations du Centred’Etudes et de Recherches sur les Qualifications(CEREQ), qui a acquis depuis la fin des années 1970une longue expérience dans ce domaine. Curieusementil n’en donne toutefois pas de définition, même à

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l’intérieur de ses guides méthodologiques (Combes,1989). Afin de clarifier les développements ultérieurs etde préciser le champ de la recherche, on peut proposerles définitions suivantes qui s’appuient sur certainstravaux du CEREQ : a) « l’insertion professionnelleconcerne la première entrée dans la vie active après lafin de la formation initiale la plus élevée. L’insertionacte ainsi l’engagement dans la vie professionnelle etcorrespond à une rupture avec le système de formationinitiale 9 » ; b) « le cheminement professionnel consisteà reconstituer le continuum de l’itinéraire professionnel,y compris les phases de transition intra et extrafirmes » (Béduwé et alii, 1995). Le CEREQ apparaîtd’ailleurs comme le seul spécialiste de ces travaux ensciences sociales. En effet, les recherchescomplémentaires sur les bases de données de la BNF(inventaire dit RAMEAU10) sont peu convaincantesdans la mesure où cette terminologie reste pourl’essentiel celle des mathématiciens et des statisticiens.Sur le plan pratique, portant sur plusieurs générationsde salariés, la difficulté majeure réside dans laconfection et l’exploitation d’un questionnaired’enquête « tout terrain » dont la solidité métho-dologique détermine la pertinence des informationsreçues. Pour le CEREQ, la question est« particulièrement complexe » (Pottier, 1986 : 17) s’ils’agit de l’insertion mais encore plus pour lecheminement.

A) l’insertionComme le note Pottier, (ibid.) « l’idéal serait de saisir lasituation des étudiants au moment où se terminenteffectivement leurs études, avec l’obtention d’undiplôme ou la réussite à un concours en vue desquels lesétudes étaient ordonnées » et de pouvoir en assurer lesuivi à partir d’un panel. Mais pratiquement, si lesécoles disposent d’annuaires qui constituent une grandepart de la valeur ajoutée du diplôme (le « carnetd’adresses ») et les universités ont souvent la plusgrande peine à suivre les étudiants au-delà de 2 ou 3années, les liens avec la formation se diluant avec letemps et les évolutions familiales et professionnelles.Dans le cas de l’insertion, l’enquête par questionnaire àchoix forcés doit être réalisée dans un délai assez courtaprès la sortie du cursus initial. Sept mois apparaissentcomme un optimum pour tenir compte d’éventuellesreprises d’études. Les questionnaires proposés sontcomplets, avec une cinquantaine de questions et dereports à des nomenclatures d’emplois permettant aurépondant de se repérer dans son itinéraireprofessionnel. La lourdeur et le coût (Combes, 1989 :11) imposent des procédures d’échantillonnage, cetteréduction du champ conduisant ipso facto à diminuer lafinesse des observations (ibid.).

B) le cheminement« La difficulté d’une enquête de cheminement tient àson objectif essentiel : reconstituer entièrementl’itinéraire professionnel d’un individu pendantplusieurs années. Ceci suppose un questionnaire lourdet compliqué qui fait appel de manière importante à lamémoire des personnes, afin de répertorier l’ensembledes situations qu’elles ont connues et leur durée. Enconséquence, c’est une enquête qui ne peut avoir lieupar correspondance, mais qui doit être faite parinterview pour obtenir des questionnaires correctementremplis et des taux de réponse satisfaisants » (Combes,1989 : 42-43). Reste à déterminer le rythme des séries de photos (etd’enquêtes) pour tenter de reconstituer le film. Cettequestion demeure délicate dans la mesure où l’on risquede considérer comme flux des stocks.Bref, l’affaire est particulièrement compliquée, et c’estprobablement la raison pour laquelle on note 94publications dans un cas, et une seule (et ancienne :1986) dans le second.

1.2. Principales options de cetterecherche

On l’a compris : opter, même relativement à la seuleinsertion, pour une solution de type « CEREQ » auraitnécessité a) de disposer d’un réseau suffisamment densede DRH pour aboutir à des résultats significatifs, réseauque les réunions locales ou régionales de l’ANDCP ontdu mal à mettre en place ; b) de constituer des équipesde recherche lourdes disposant des moyens afférents,sans certitude de retours convenables. Deux autresvoies ont été examinées, en deux étapes :

1.2.1. Étape 1 : « interroger » des sourcessecondaires

Cette solution permet, dans un premier temps,d’accéder de manière relativement simple et souple à del’information disponible dans des bases de données (enl’occurrence des curriculum vitae (CV)) sans avoir àrecourir à des procédures d’enquêtes complexes etonéreuses. Les réponses aux questions posées supra neseront obtenues qu’ex post, en fonction des résultats desdépouillements de ces CV. Les investigations sont doncexploratoires et procèdent d’une analyse de contenuclassique. L’objectif reste bien de disposer dansl’exploitation des sources secondaires d’un premieraperçu de la réponse à la question de recherche en vue

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9 Les stages, jobs divers et les reprises d’études diplômantes en coursde carrière sont ipso facto exclus de ce champ

10 Répertoire d’Autorité Matière Encyclopédique et AlphabétiqueUnifié

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de dégager des parcours-types sachant que « larecherche de trajectoires typiques repose […] sur l’idéeque la diversité des parcours [individuels] n’est pasabsolue » (Béduwé et alii, 1995 : 7) pour compléter lesdonnées.

1.2.2. étape 2 : compléter les données à partirde « récits de vie »En fonction des résultats de la phase précédente, uneapproche qualitative par la méthode des « récits de vie »(Bertaux, 1997) exploitée comme le préconisentDemazière et Dubar (1997) ou encore Beaudouin(1995) viendra compléter ce travail pour tenter dedonner du sens à ces cursus, explorer de manière plusprécise la fonction de certains DRH, bref, pourcomprendre les « chemins de vie professionnels » ettenter de procéder à l’audit de l’efficacité desformations dans la carrière.

1.2.3. autres optionsQuelques questions complémentaires relatives à lapopulation et aux situations professionnelles ont dû êtrerésolues.

1.2.3.1. des DRH… Doit-on explorer exclusivement des CV de DRH oubien aussi ceux de chefs de personnels ? Cette questionamène en fait à s’interroger sur la valeur des intitulés,sachant que ce terme peut recouvrir des situations trèsvariables, Brabet et Fenneteau, (1990), Roger, (1990) etDuyck, (1998) entre autres ayant montré combien ilconvenait de rester prudent sur cette question pouréviter des conclusions « naïvo-lexicales » souventhâtives.La solution de ne conserver que des DRH s’est imposée« chemin faisant », en dépouillant les CV (cf. infra) enraison de la normalisation de l’intitulé telle que l’on netrouve pratiquement plus que des DRH.

1.2.3.2. …de niveau 1 en activitéObserver le niveau 1, c’est-à-dire des DRH siégeant auComité de Direction ou exerçant directement sous saresponsabilité s’avère « naturel » ou « inévitable » dansle cadre choisi : partir de situation professionnelles danslesquelles les DRH sont installés pour remonter endébut de carrière. En outre cette situation est conformeaux travaux de Duyck (1998) qui montre que près des ¾des DRH sont dans cette position de cadre supérieur.La situation d’activité s’impose aussi comme la volontéde traduire in vivo l’expérience de DRH exerçant laplénitude de leurs fonctions.

1.3. Constitution de la base de donnéesLa base complète : 200 CV11 repose sur laconcaténation de deux bases de données, l’une

« privée » de Hudson, l’autre « publique », émanant del’APEC. Ce regroupement procède d’un doubleobjectif : a) éviter les biais éventuels puisque l’on peutpenser que les dépôts de candidature à l’une ou l’autrebase ne répondent pas nécessairement aux mêmesobjectifs ; et b) améliorer la valeur statistique desdonnées. La présentation détaillée des deux bases estréalisée en annexe. Le tableau ci-après résume la démarche et lescaractéristiques particulières de chacune des bases

Sur un plan général, on ne possède aucune indicationsur les raisons qui poussent tel ou tel candidat à déposerun CV dans une base plutôt que dans une autre, sachantque d’autres bases sont aussi disponibles (par exempleemailjob.com ou celle d’entreprises particulières). Surun plan général, on peut supposer que les candidatscherchent à améliorer leur carrière. A ce sujet, il estdifficile de savoir s’il s’agit d’insatisfaits ou denomades, au sens de Cadin (1998).Concernant la rédaction des CV, l’impression laissée estparfois celle d’une tendance hagiographique via unesurvalorisation de tâches parfois banales retranscritescomme « stratégiques ». Toutefois, comme les moyensde vérifier l’exactitude des assertions sont inexistants(sauf à interviewer ces personnes, ce qui n’est paspossible en raison du respect de l’anonymat), nousavons dû faire l’hypothèse que les écarts avec la réalitéseraient faibles ou du moins qu’étant constants dans lesdeux bases, ils n’entacheraient pas significativement lavalidité des résultats.

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La fabrique à DRHJean-Yves DUYCK - Alain DELPERIER

Base APEC Sondage au pas de cinqavec saut vers le CVsuivant s’il ne répondpas aux contraintes deDRH en activité Forte normalisation desCV Absence de l’âge etnécessité dereconstitution sur descritères systématiquesex : bac = 18 ans ; CVtrès inégalementrenseignés

Base Hudson Toute la populationdisponible dans la basede DRH en activité

Faible normalisation desCV CV relativementbien documentésrenseignés

Tableau n°2 : Caractéristiques particulières de chacune des bases

11 Ce chiffre « rond » est le fruit d’un pur hasard, la constitution desbases se faisant selon des critères précis

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1.4. exploitation des donnéesElle s’avère un peu plus complexe et surtout pluslongue qu’initialement prévu. La présentation des CVde la base Hudson n’est guère normalisée et, pour lecodage, on retrouve des durées voisines de cellesexposées par Huberman et Miles (1991) pourl’exploitation des données qualitatives.Pour l’insertion, on peut apprécier soit le « ticketd’entrée » (le niveau du diplôme initial le plus élevé),soit la « porte d’entrée » (la spécialité du dernierdiplôme obtenu en formation initiale). Cette formationprécède nécessairement le premier emploi (hors stagesou jobs divers qui figurent d’ailleurs exception-nellement dans les CV).Pour le cheminement, il est possible de repérer leparcours professionnel au travers des trois premiersmétiers, en spécifiant la durée s’écoulant entre lepremier emploi et la première expérienceprofessionnelle « ressources humaines », ainsi que l’âgeauquel s’effectue cette expérience. En outre, lesdonnées biographiques relatives aux différentes notionsd’âges utiles pour l’analyse : âge « réel », durée avantd’entrer dans le premier métier RH et âge d’entrée dansla fonction sont en général bien renseignées, ce quin’est pas toujours le cas du sexe dans lamesure où certains CV sont anonymes(base APEC) ou rendus anonymes(base Hudson).

Les renseignements fournis par les 126CV Hudson, puis les 74 CV APECaprès post-codage sont insérés dans untableau qui permet un premier triélémentaire des données. Les modalités pratiques dupost-codage figurent en annexe.

Le schéma ci-après synthétise la démarche et la valeurajoutée des différentes étapes

2. Premiers résultats,discussion et propositions

2.1. Premiers résultatsCes premiers résultats consistent en une descriptionsommaire, puis en l’utilisation de valeurs-tests pourmieux apprécier les liens entre variables.

2.1.1. Description sommaire et insertion dansla fonctionOn peut considérer successivement les donnéesrelatives aux caractéristiques personnelles, à l’insertionet au cheminement.

2.1.1.1. Caractéristiques d’âge et de duréeLes comptages relatifs aux différentes catégories d’âgesont présentés ci-après :

A défaut de point de comparaison, mais conformémentà l’état de l’art, on peut considérer que la fonction estconstituée d’hommes d’expérience. On doit cependantnoter que le coefficient de corrélation12 entre âged’entrée et délai d’entrée (0,931) est élevé, de telle sortequ’il est possible de conserver la durée avant d’entrerdans la fonction comme l’indicateur unique pourmesurer l’insertion. Par contre, les coefficients entreâge « réel » et âge d’entrée (0,320) et âge « réel » etdélai d’entrée (0,321), bien que significatifs restentcomparativement faibles, de telle sorte que desinvestigations complémentaires sur les tranches d’âges’avéreront nécessaires.

2.1.1.2. L’insertion dans la fonction : le « ticket » etla « porte » d’entrée

Il s’agit de donner une première série d’indications surla valeur des hypothèses 1, 2 et 3. Comme le montre letableau n°2, l’insertion se réalise à près de 28 ans etaprès un délai d’attente de moins de 4,40 ans. On voit

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La fabrique à DRHJean-Yves DUYCK - Alain DELPERIER

Phase n°2 élaboration deparcours-typesen termesd’insertion etdecheminement

Phase n°3 sourcesprimairesinterviews deDRHretranscriptiondes verbatimissus des« récits de vie »statistiquetextuelle

Phase n°1sourcessecondaires126 CVHudson et 74CV APEC soit200 CVpost-codage« manuel » tris statistiquesélémentaires

Schéma n°1Valeur ajoutée et démarche des différentes étapes

12 Coefficient de corrélation de Pearson

Décrire et classer Comprendre

Libellé Effectif Poids Moyenne Ecart-type Minimum Maximum

Age 189 189,00 41,20 7,39 24,00 58,00

Durée avant 184 184,00 4,40 5,49 0,00 30,00 entrée RH

Age 190 190,00 27,96 5,28 20,00 50,00 entrée RH

Tableau n°3 : Statistiques sommaires concernant lesvariables d’âge et de durée

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ainsi que cette insertion nécessite une certaine maturité.Elle est repérable par niveau (le ticket) et par spécialité(la porte d’entrée) de diplôme.

Le « ticket d’entrée » est élevé. En effet, près des troisquarts (73,5%) des diplômés possèdent un niveau égalou supérieur à bac + 4. Ce constat n’est au demeurantguère étonnant, Duyck (1998) notant que la plupart despostes RH étaient occupés par des cadres supérieurs,travaillant en lien direct avec les comités stratégiques,même s’ils y siégeaient rarement. La « porte d’entrée »est ouverte pour l’essentiel aux diplômés ayant suivi uncursus juridique ou gestionnaire puis aux étudiants issusde filières spécifiquement RH. Contrairement à uneidée répandue, les psychologues constituent de petitseffectifs.

Les tableaux n° 6, n°7 et n°8 tentent d’affiner, au regarddes différents délais, les relations d’insertion dans lafonction.

L’insertion la plus rapide (48,1%) s’établit avec undiplôme de second cycle, pour l’essentiel une maîtrise(36% des diplômés), pratiquement à égalité avec lescursus de 3e cycle (46,2%°). Le niveau du diplôme, dèslors qu’il est supérieur à bac + 2, apparaît ainsi commeun accélérateur pour accéder à une première fonction. Ilconfirme de ce fait l’hypothèse relative au niveau élevénécessaire pour exercer au sein de la fonction RH et H1s’avère en grande partie validée

Les formations spécialisées en RH constituent unvéritable passeport pour la fonction, dans la mesure où90% des diplômés de ces filières s’insèrent en moins dedeux ans et demi. et à un moindre titre, les formationsde type juridique ou gestionnaire. L’insertion deslittéraires et ingénieurs est plus longue, avec un délaisupérieur à 7,5 ans pour trouver une place dans lesmétiers de RH. H2 apparaît ainsi partiellementinvalidée.

Dans le cas qui concerne ce travail, la logique deformation initiale « RH » est dans l’ensemblerespectée : elle conduit 82,5% des diplômés à s’installerd’emblée dans un « métier » RH et ces derniersintègrent prioritairement les étudiants issus deformations spécialisées. Il convient de noter toutefois laplace particulière occupée par les formationsgénéralistes en sciences humaines et sociales et par lesgestionnaires. Concernant les juristes semblent trouverplus facilement à s’insérer dans la fonction RessourcesHumaines que dans les métiers du droit, auxquels, aumoins en théorie, ils se destinent. En l’état, il estdifficile de se prononcer sur ce qui peut apparaîtrecomme une « anomalie » et seule la phase suivante des« récits de vie » permettra d’en apprécier les raisons.Dans l’ensemble, ces éléments contribuent àconforter l’invalidation de H2. Concernant H3, relative au poids des formationscontinues précédant l’insertion, il est pratiquementimpossible de se prononcer à cette étape, tant lesinformations données par les CV sont inégalement

renseignées, et quand ellesle sont, ne précisent pas àquelle étape du cursuselles se situent. H5(passage par des fonctionsopérationnelles) sembleinvalidée, tout du moinsau regard de critèred’insertion, tant des étudesspécialisées apparaissentcomme un raccourci pouroccuper des fonctionsdans ces métiers.

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Tableau n°4 - Le « ticket d’entrée » : niveau du diplôme

Tableau n°5 - La « porte d’entrée » : spécialité du diplôme

Tableau n°6 : Niveau du diplôme et délai d’entrée dans le metier « RH n°1 »

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Tableau n° 7 : Spécialité du diplôme et délai d’entrée dans le métier « RH n°1 »

Tableau n° 8 : Spécialité du diplôme et modalités du métier n°1

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2.2.1 les valeurs-tests du cheminementprofessionnel

Le logiciel SPAD 5,6 13 permet de caractériser lesmodalités d’une variable nominale à l’aide d’un critèrestatistique à partir des « valeurs-tests » Cesregroupements de variables et de modalités de variablespermettent de repérer les « paquets » significatifs et lesliens non fortuits entre variables. Dans les tableaux quisuivent, ces valeurs sont calculées et présentées pour laseule modalité « ressources humaines » de la successiondes métiers en raison de la faiblesse des effectifs desautres modalités (juristes, etc.).

Les trois métiers sont liés entre eux par leur modalitéRessources Humaines. Les V. Tests confortent bienl’idée que l’on exerce une carrière au sein de lafonction, facilitée par un délai d’insertion rapide, pourdes salariés « très jeunes » ou « jeunes » ayant suivi uneformation spécialisée en ressources humaines.Dans l’ensemble, et dans cette première phase dedescription statistique, il est difficile de se prononcerde façon décisive sur H4 (cheminement-type), mais ilsemble bien que les cursus soient assez linéaires :études RH, entrée puis évolution dans la fonction. Onnotera toutefois la stabilité dans la fonction etl’émergence d’une notion de fidélité à ces métiers.

2.2. Discussion et propositionsIl s’agit d’aboutir à la phase n°2 du schéma n°1(classer). Le travail réalisé permet de dresser un état deslieux, mais demeure insuffisant à la fois parce que cetétat reste descriptif et mérite donc une élaborationméthodologique plus complète, mais aussi parce quedes éléments conceptuels liés à la fidélité à la fonctionsont apparus chemin faisant.

2.2.1. Au sujet de la complexitéméthodologique

Les développements de la 1re partie auront peut-êtreparus longs au lecteur souhaitant arriver rapidement auxrésultats. Pourtant, ils conditionnent la valeur de ces

résultats et pertinence dusystème d’information misen place pour procéder àl’audit des carrières. Danstous les cas, la complexitéméthodologique est réelle.Ainsi, les auteurs del’article ont pu participerles 13 et 14 juin 2003 à uneréunion ANDCP GrandOuest, regroupant Aqui-taine et Midi-Pyrénées, afinde constituer un « vivier »de DRH et de tester unprojet de questionnairefermé, ne faisant pas appelaux listes de métier (métiersaisi in extenso pourreclassement ultérieur),questionnaire discuté etvalidé préalablement au

cours d’une réunion ANDCP Aquitaine. Ce formulairesimple (1 page), présenté au cours de la séanced’ouverture, n’a été rempli que par 14 DRH sur les 40présents. Il semble clair que seule une phase qualitativepassant par des récits de vie permettra de donner unéclairage aux stratégies individuelles qui aboutissent àoccuper un poste au sein de cette fonction mais aussiaux comportements déviants.

2.2.1.1. Proposition de réalisation de l’enquête« terrain »

Il s’agit de repérer des trajectoires –types. On a punoter, aussi bien dans l’état de l’art qu’au regard des

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13 Il s’agit de la procédure DEMOD de SPAD 5,6. Pour une présenta-tion détaillée de la méthode, lire : Morineau, A., (1984), « Note surla Caractérisation Statistique d’une Classe et les Valeurs-tests »,Bulletin Technique Centre Statistique Informatique Appliquées.,Vol 2, n° 1-2, 20-27, et Lebart, L., Morineau, A., Piron, M., (1995),Statistique exploratoire multidimensionnelle, Dunod, 181-184 (nonrepris en bibliographie).

Tableau n° 9 : Caractérisation par les modalités des classes de la variable métier 1 :classe: ressources humaines (effectif : 102 – pourcentage : 51.00)

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premiers résultats l’importance de l’élément âge d’unepart et du critère de rapidité d’insertion d’autre part. Onpeut donc proposer une taxinomie basée, dans unpremier temps, sur ces deux variables, puis sur lafidélité à la fonction.

Sur le critère « âge » Trois catégories méritent d’être interviewées :– les « anciens » (plus de 50 ans) n’ayant pu suivre, en

troisième cycle, une formation initiale spécialisée. Ilpourra s’avérer utile aussi d’interroger de jeunesretraités dans le même cas ;

– les « intermédiaires » (entre 26 et 49 ans) installésdans la fonction et ayant pu bénéficier de formationsen ressources humaines ;

– les « jeunes » (entre 22 et 25 ans), qui basculentimmédiatement après leurs études dans la fonction.

Sur le critère « rapidité d’insertion » On peut ainsi sur le critère « rapidité d’insertion »envisager d’interviewer en trois catégories : – les « pressés » : insertion rapide en 1 à 2 ans à trouver

chez les jeunes diplômés en RH ;– les « rapides » : insertion un peu plus lente (au-delà de

deux ans) et dont le métier 1 n’est pas forcément enRH ;

– les « tardifs » : insertion au bout de 8 et 10 ans avantd’occuper le premier poste RH, catégorie qui serait àtrouver probablement chez les ingénieurs.

Sur le critère « fidélité »La grande majorité des parcours restent fluides. Lescursus atypiques présentent un réel intérêt et doivent defacto constituer une partie du travail sur les récits devie, soit parce qu’ils pourraient témoigner de paysagesuniversitaires particuliers (+50 ans), soit parce qu’ilsviendraient enrichir la représentation des cheminementset des vocations par la compréhension de « zigzags » decarrières (les ingénieurs, ou autres profils« marginaux » ci-dessus, etc.).Le critère de saturation usuellement utilisé dans ce typede recherche permettra d’évaluer le nombre de DRH àinterviewer pour bénéficier d’une représentationconvenable des choix de carrière et des préconisationsmanagériales qui les accompagnent.Le protocole de questionnaire semi-ouvert retraçant lesrécits de vie est présenté ci-après. Il retrace, dans la vieprofessionnelle les éléments de formation et/ou demétiers ayant pu s’avérer décisifs dans le choix des RHet tente d’inclure des éléments personnels ayant influésur ce choix.

2.2.1.2. Proposition de protocole semi-ouvertIl a été testé auprès d’un DRH et dure environ 45minutes.

A) Quelques renseignements biographiques1) Votre formation initiale (dernière formation avant

l’entrée dans la vie active)Titre exact ............................................................Spécialité ..............................................................Niveau = bac + .....................................................

2) Votre âge3) Votre poste actuel

- intitulé exact- date d’entrée- position dans l’entreprise (Comité de Direction,

autre)

B) Renseignements liés aux cursus de formation etprofessionnela) Pouvez-vous me « raconter » votre carrière, c’est-

à-dire retracer les événements importants, et peut-être le « déclic » (des formations, des postesprofessionnels, des rencontres ou des hasardséventuels) qui vous ont amené à occuper vosfonctions actuelles (SVP, commencez depuis ledébut).

b) De toutes les formations que vous avez reçues(initiale ou continues), laquelle a été la plusenrichissante pour votre poste actuel, etpourquoi ?

c) De toutes les fonctions que vous avez exercées,laquelle a été la plus enrichissante pour le posteque vous occupez actuellement, et pourquoi ?

d) Selon vous, existe-t-il un « parcours-type idéal »pour occuper votre poste actuel et pouvez-vous ledécrire brièvement ? (par exemple : « il vautmieux suivre une formation juridique, puisoccuper des fonctions opérationnelles, etc. ».).

2.2.2 Au sujet de la fidélité à la fonctionIl s’agit de proposer des éclairages conceptuels auxcomportements repérés. Ce qui ressort clairement, nousl’avons dit supra, c’est une grande fidélité à la fonctionRessources Humaines. Des études spécialisées yconduisent, puis l’étudiant, une fois rentré dans la vieactive tend à y rester. Cette situation pose plusieursséries de questionnements : s’agit-il d’une volontéindividuelle ou du fruit d’une volonté stratégique del’entreprise ?Dans le cas n°1, on peut d’abord considérer que cettefonction propose un cheminement de carrière tel qued’autres options tendent à s’effacer ipso facto et queêtre DRH constitue en quelque sorte un aboutissementprofessionnel ? La fonction serait en quelque sorteattractive per se et produirait surtout une fidélité« passive », proche de l’inertie (Moulins, 1998). Ilpourrait aussi s’agir d’engagement « calculé », induitpar la perception d’un trop grand risque dans lechangement, c’est-à-dire que les coûts financiers,sociaux, psychologiques seraient trop élevés pour quel’individu quitte l’organisation.

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Pour autant, être fidèle à une fonction ne signifie pas lerester à une seule et unique entreprise et le besoin devariété peut imposer des changements, ce quipositionne la situation à mi-chemin du cas n°1 et du casn°2, le salarié ayant pu être « attiré » par une entrepriseparticulière. Sur ces deux points, la discussion (et la poursuite de cetravail) peut s’inspirer des recherches menées par lesmarketeurs, en particulier sur les aspects attitudinaux dela fidélité à une marque. La transposition, sans êtreévidente, reste tout à fait plausible. En effet, cetteapproche définit qu’un acheteur (ici spécifiquement unsalarié) est fidèle lorsque, en plus de certainescontraintes, il développe une attitude favorable vis à visde la marque (ici une entreprise en particulier). Lanotion de fidélité pourrait être abordée à partir de celled’engagement vis à vis de l’entreprise, ce qui soulignele caractère intentionnel du comportement et traduit unetendance à résister au changement et donc, à persisterdans le choix effectué. L’engagement correspond alorsà une fidélité dont on est sûr qu’elle est intentionnelle(Lacoeuilhe, 1997 : 31).Sous cet angle, le marketing relationnel fournit un cadreconceptuel utile à la compréhension des comportementsen insistant sur les notions de confiance (Guibert, 1999)et de durée dans cette relation. De multiples conceptssont alors en jeu : satisfaction et attachement, mais aussiattirance émotionnelle, dépendance, amitié, etc.(Cristau, 2001) . Les apports des auteurs en stratégie peuvent aussi aiderà comprendre l’intérêt, du point de vue de la firme, decette fidélité. Les théories de l’apprentissage peuventaussi contribuer à la compréhension de cette fidélité. Lafidélité « s’apprend » : c’est en apprenant que le salariédevient fidèle. La fidélisation pourrait alors résulterd’une volonté délibérée de la firme pour construire sonavantage concurrentiel à partir de ses routines, réseauxde coopération sociale et autres ressources invisibles.Le modèle des ressources et compétences fournit à cetégard un cadre conceptuel utile et original (Tywoniak,1998 : 186-187).Dans tous les cas les sources secondaires ne permettentpas de saisir les paradigmes sous-jacents, et une phasein vivo s’avère indispensable pour la richesse deséclairages conceptuels.

ConclusionIl n’est pas simple de répondre à la question :« comment se fabriquent les DRH ? » et ce travailprésente les premiers résultats d’une investigation etcertaines les préconisations méthodologiques pourauditer convenablement les carrières.Si l’on raisonne en termes d’efficacité, cette premièreapproche sur des CV donne un net bonus auxformations spécialisées en GRH de troisième cycle pourl’insertion et le cheminement dans les métiers de lagestion des hommes. Le rendement des formationssemble excellent et cette efficacité est même étonnantetant se dégage une idée de fidélité à la fonction.Cependant le biais potentiel reste important dans lamesure où l’expertise se réalise « ex post » avec desDRH en place, et que l’on observerait peut-être descheminements différents si l’on avait la possibilité desuivre « ex ante » des cohortes d’étudiants au sortir deleurs formations. On a noté cependant combien cetteréalisation était difficile.Si l’on raisonne en termes méthodologiques, c’est-à-dire en vue de construction de système d’information etde référentiel, l’affaire est complexe et il est nécessairede travailler « in vivo » à partir de récits de vieprofessionnels. On pourra aussi, de cette manière, tenterde limiter les éventuels biais notés supra.On pourra alors tenter de d’appréhender les« errances », mais aussi les raisons qui font que entrerdans le métier des Ressources Humaines, c’est y rester.Ainsi, la fidélité à la fonction qui ne signifie pasnécessairement une fidélité à une seule entreprise. Lesdimensions de cette fidélité, l’attachement à une firmeet/ou à la fonction, le « déclic » qui pousse un jeunediplômé à s’y engager font l’objet des investigations dela prochaine phase de cette recherche.

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AnnexesAnnexe 1 présentation des basesa) La base HudsonLe cabinet Hudson et son Directeur Ingénierierecrutement, ont donné accès (3 journées courantjuillet) à leur base de données nommée EZ Access quipermet de stocker des CV à la suite d’une candidaturespontanée. Les CV arrivent soit sous formeélectronique, soit sous forme papier, et dans ce cas sontscannés. Les menus du logiciel utilisés sont :« candidate » qui rassemble l’ensemble desinformations concernant les candidats et permetd’insérer le CV et le cas échéant la lettre de motivation ;« search » qui permet d’effectuer les recherchesmulticritères. La recherche principale a porté sur laforme lexicale DRH. Sous ce terme, 339 candidaturesont été recensées (19/07/2003). Pour ne conserver quedes DRH de niveau 1 (Comité de Direction oudirectement sous sa responsabilité), ont été éliminés lesex DRH devenus consultants et les adjoints, ainsi quequelques DRH étrangers, les cursus n’étant a priori pascomparables ou devant faire l’objet d’un travailspécifique de comparaison. Compte tenu d’un tauxassez élevé de CV non renseignés14 (environ 40%), 126se sont avérés exploitables. Ils constituent la populationcomplète de la base de données au regard des critèresexprimés supra.En outre, afin d’éviter un travail sur le seul terme DRH,une recherche complémentaire a été effectuée sur le mot« personnel » dans les rubriques :chef du personnel (6 CV) ; chef de personnel (1 CV) ;responsable de personnel (27 CV) ; directeur dupersonnel (9 CV) ; directeur de personnel (0 CV) (entreparenthèses le nombre de curriculum vitae figurant dansla base).

b) La base de données APECLe fichier APEC est un fichier public dans lequell’inscription est libre dès lors que le candidat possèdeun numéro APEC, et qui se renouvelle en permanenced’une manière soutenue. Il convient de donner desprécisions sur l’accès au fichier, sa présentation et lastructure de la base.

1) L’accès au fichier pour la rechercheOn accède au fichier CANDID@PEC par un « espacepersonnalisé », créé au moyen d’un identifiant et d’unmot de passe, obtenus d’un « consultant » de l’APEC.

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14 Les consultants disent souvent n’avoir pas le temps de rentrer lesCV dans la base. Il doivent en effet procéder à l’ajout d’un« contact » via des masques de saisie, puis joindre ledit CV s’il seprésente sous forme électronique ou le faire scanner préalablements’il est fourni sur support papier.

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Il faut alors créer une requête, qui porte pour cetterecherche sur les dirigeants de GRH (tous secteurs,toutes régions). Si l’on « lance la requête », on obtientalors le nombre de CV correspondants. On peut alors demander à voir la « liste descandidats », qui se présente par écrans successifs de 5candidats, identifiés par l’intitulé de leur CV, leurnuméro de référence et leur date d’entrée dans la baseCANDID@PEC. Pour chaque candidat on peutchoisir de visualiser alternativement les différentsrenseignements (expérience, formation, ou précisionsdiverses jugées utiles, par exemple ses compétencesspécifiques) ou bien, (c’est le choix effectué), son CVin extenso, comportant l’intégralité des rubriquesprécédentes.

2) La présentation du fichier des candidatures parl’APEC

L’APEC informe les recruteurs potentiels de lamanière suivante : « notre CANDID@PEC a pourobjectif de permettre aux entreprises qui recrutentd’identifier et de contacter des cadres et des jeunesdiplômés, de toutes fonctions et tous secteurs, qui ontdéposé un ou plusieurs CV ». Il est aussi précisé queles CV sont validés par l’APEC, et régulièrement misà jour (publication valable 2 mois) et qu’une fois lasélection effectuée selon ses critères (expérience,formation, secteur, etc.) il est possible decommuniquer directement avec les candidats choisis,par courriel ou contact direct, selon le degréd’anonymat souhaité par le cadre ou le jeune diplômé.En outre, la structure des CV est standardisée et touspossèdent une présentation utilisant des rubriquesidentiques dans le même ordre, du nom et de l’adressedu candidat (s’il ne recherche pas l’anonymat),jusqu’aux langues, avec le degré estimé deconnaissanceIl comportait un peu moins de 400 candidatures à desfonctions de GRH au mois d’avril 2003, 493candidatures le 23 septembre 2003 et 647 en findécembre de cette même année. Elle présente sescandidatures dans un ordre chronologique, les CV lesplus récents en premier. Cette deuxième source dedonnées présente un double intérêt.Du point de vue méthodologique d’abord,l’exploitation de cette base doit permettre unrecoupement des données recueillies auprès ducabinet privé Hudson TMP et dont la représentativitéreste à débattre. Le mode choisi est celui du sondagepour obtenir un taux d’échantillonnage de 15 %, avec74 CV, sur les 493 candidatures présentes dans lefichier en septembre. L’extraction des CV s’est faiteen observant l’ordre chronologique des dossiersentrés dans la base du 12 août au 14 novembre, au pasde 5, en respectant le cahier des charges, c’est-à-direen éliminant les CV non conformes, tels que ceuxd’adjoints ou de DRH qui n’étaient pas en activité.

Ces éliminations amenaient à progresser dans la baseen recherchant le CV suivant conforme auxpréconisations méthodologiques.Du point de vue des informations utilisables, il faut seféliciter du caractère normé des CV de cette source,dont les données sont saisies par les candidats eux-mêmes : mêmes critères, mêmes rubriques pour tousles dossiers, ce qui permet une exploitation plushomogène. On peut cependant regretter l’absence dedonnées sur l’âge et le caractère textuel très inégaldes différents CV : recherche de l’anonymat parcertains candidats, différence de longueur,imprécisions de certaines informations, en particuliersur les formations continues, par exemple, enfintendance parfois hagiographique de quelques CV,caractère toutefois vérifiable aussi dans la baseHudson.

Annexe 2 : Le post-codage des donnéesLe post-codage s’effectue comme suit :

a) Post-codage des variables généralesLes différents types d’âges recensés (âge, âge d’entréeet durée avant d’entrée dans la fonction) sont considéréscomme des variables continues. Les différents niveauxde formation initiale sont codés comme variablesnominales. Ces derniers s’avèrent aisément repérables,de 1 à 5 (NP, bac. et bac+1 ; bac + 2 ; bac + 3 ; bac + 4 ;bac + 5 et plus).

b) Post-codage des formations initiales les plusdiplômantes :

Après recensement initial, les formations sontregroupées en huit grandes origines.

1. Juristes : licence et maîtrise de droit, DEA oudoctorat de Droit, DESS de droit, IEP, DEA deSciences Politiques ; ce domaine recouvre lesmentions de type public ou privé

2. Ressources Humaines : DESS RH, mastère RH,formations de niveau + 3 ou + 4 de type IGS,IFICOP, ISFOGEP, etc.

3. Gestionnaires : bac G ou équivalent, DUT GEA,DUT statistiques et techniques quantitatives degestion, BTS comptabilité, MSG, ESC, écoles decommerces privées hors réseau consulaire, MBA,DECS, DESS CAAE, DESS Management de projet,DEA Sciences de Gestion, Docteur ès Sciences deGestion ;

4. Psychologues, sociologues : DEUG, licence etmaîtrise, DESS et DEA de psychologie, (plusieursmentions sont regroupées allant de la psychologieclinique à la psychologie du travail ou desorganisations), maîtrise de sociologie, licence detravail social, DESS de psychosociologie ;

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5. Sciences économiques et Sciences sociales : licenceet maîtrise Sciences Economiques, DEA SciencesEconomiques, DESS de Sciences Sociales

6. Lettres : DEUG et licence LEA, DEUG et licenceLettres (diverses mentions) ;

7. Technicien, ingénieur : BTS et maîtrise Hôtellerie,MST Génie Industriel, DEUG de mathématiques,Ingénieur ;

8. Divers : les parcours sont variés : dessinateur,infirmier, militaire, BTS Secrétariat de Direction,Assistante direction et quelques formations « nonprécisé ».

c) Post-codage des métiers :Le post-codage effectué sur les CV permet de dégagersix métiers selon les critères ci-après :

1. RH : sont considérés comme des métiers deressources humaines, en plus des DRH, RRH,responsable des Relations Sociales, Directeur duPersonnel, etc. : assistant recruteur, responsablerecrutement et formation, responsable formationcommunication, technicien paie, chargé de mission :analyser le système de rémunération, assistant encommunication, responsable paie et personnel,responsable administration du personnel et paie, etc.(liste non exhaustive) ;

2. Juristes : ils sont bien repérés et posent peu dedifficulté de classement ;

3. Commerciaux : les postes sont variés mais visibles,et surtout bien différenciés des « autresgestionnaires » ;

4. Autres gestionnaires : ils sont situés dans desservices finances, comptabilité ou contrôle degestion, mais aussi en direction de filiales, études(économiste d’entreprise) ou divers postesd’organisation ;

5. Techniciens, ingénieurs sont logés sous cesvocables ;

6. Divers : les métiers sont variés et souvent étonnants,surtout dans les débuts de cursus professionnel :journaliste, traducteur, infirmier, assistantparlementaire, assistant technique, sous-officier,enseignant, directeur d’école (liste non exhaustive).

Tableau n° 10 Rangement-type des renseignements fournis par les CV

n° CV Age Formation initiale la plus diplômante métier1 métier 2 métier 3 durée avant RH Age entrée RHniveau Spécialité.

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La fabrique à DRHJean-Yves DUYCK - Alain DELPERIER

Page 173: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

Normes internationales et qualité des ressources humaines

Kamel FOURATIDoctorantIAE de CORTE

L’intérêt pour le personnel de la qualité ou laqualité du personnel est récent on peut affirmerqu’à ses débuts il était d’une importance

secondaire. En effet, l’entreprise focalisait ses effortssur le produit et le client. Progressivement la dimensionhumaine sera interpellée mais sa véritable intégrationne se fera qu’avec la qualité totale à la recherche d’uneperformance durable voire même de l’excellence.

Dans cet article nous examinerons d’abord l’importanceaccordée au RH par les normes ISO 9000/94 le contextedu développement « prolifération » des textes enmatière de qualité les objectifs et les limites.

Ensuite, nous analyserons l’apport des nouvellesnormes ISO 9000 version 2000 qui sont considéréescomme un grand pas en avant, mais on va consacreraussi un intérêt pour les référentiels de la qualité totalequi nous permettrons d’apporter une évaluationobjective sur la « valorisation » de la dimensionhumaine, enfin nous proposerons quelques pistes derecherches possibles.

1 - Les normes ISO et les RH

1.1 - Les normes ISO

Les experts en matière de qualité avaient constaté laprolifération de texte en matière de qualité, alors ilsdécidèrent de créer en 1979 au sein de l’ISO(International organisation for standardization) lecomité technique 176.Ainsi, l’objectif de l’ISO/TC 176 était d’élaborer destextes pouvant servir de base aux échanges interna-tionaux.En 1987 la famille ISO 9000 a été publiée, puis mise àjour en 1994, et en 2000.Les textes on eu au début de grand succès, aujourd’huion peut dire qu’il font presque autorité, ChristianMaréchal et Bernard Léchenet (1995) 1.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

1 Christian Maréchal et Bernard Léchevet, (1995). Comment entreprendre une certification qualité éd. Nathan.

Page 174: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

1.2 - La certification

La certification selon la norme ISO 9000 est uneattestation de conformité par rapport à un référentield’exigences, le seul reconnu internationalement partoutes les entreprises.Le phénomène est devenu très important dans lesrelations et la vie des entreprises, à la fin 2000 on adémontré plus de 400 000 certificats délivrés dans lemonde, Philippe Détrie (2001) 2.De même qu’il s’avère que l’intérêt de la certificationest double :

1 - Vis-à-vis de l’extérieur :- Elle assure la fiabilité de la réponse aux exigences

clients.- Accroître la confiance du client en garantissant le

respect d’un référentiel par un organismeindépendant.

- Démontrer la maîtrise de ses procédures de façonobjective.

- Disposer d’un avantage concurrentiel.- Accéder à des appels d’offres.- S’ouvrir aux marchés européens et internationaux.- Inciter les fournisseurs à adopter les mêmes niveaux

d’exigence.- Obtenir une reconnaissance nationale et interna-

tionale.

2 - Vis-à-vis de l’interne :Améliorer les dispositions d’assurance qualité à savoir :

- Maîtriser le fonctionnement interne et éliminer lesdysfonctionnements.

- Capitaliser le savoir-faire.- Améliorer les relations clients.- Assouplir les contraintes liées aux nombreux audits.- Fédérer et motiver le personnel.- Alléger les contrôles et les recettes.- Bénéficier d’une évaluation extérieure.

Il s’agit selon l’AFNOR d’une « assurance donnée parécrit par un organisme qualifié et indépendant tendant àattester qu’un produit / service présente régulièrementdes spécifications énoncées dans un cahier des chargesou une norme officielle ».

1.3 - Les normes ISO 9000 et le personnel

En tant que normes internationales les ISO ont pour butégalement de vérifier si l’entreprise a mis en place desmoyens assurant la qualification du personnel.Pourtant comme le souligne Alain Meignant et RobertDapère (1994), les DRH « ont cinq bonnes raisons des’intéresser à la mise en œuvre des démarches deprogrès de la qualité ». Ils précisent « (…) la capacité

d’une entreprise a apprendre plus vite que ses« concurrentes » et donc de valoriser le savoir, et unélément essentiel de sa capacité concurrentielle.De même que « la qualification des hommes, laformation, les organisations qualifiantes, le style demanagement, sont plus que jamais des atoutsstratégiques ».L’orientation client est suivie par le développement desentreprises, réactivée aux marchés et nouvellesconceptions des métiers.Se mettre aux normes ISO 9000/94 fut aussi unphénomène « mode ». Cependant la certification desressources humaines est aussi une exigence car la DRHest prestataires de services dans l’entreprise : paie,promotion, formation, procédures d’appréciation etassistance, etc. C’est là une raison évidente d’améliorerconstamment les niveaux de ses activités et de sesservices.La certification ISO est un état d’esprit qualité qui vavers un service gagnant, Georges Napolitano et JeanLapeyre (1994). De même que la certification et laqualité totale procèdent de logiques distinctes etcomplémentaires, Octave Gélinier, (1994) :

- D’une part le principe de progrès ou d’améliorationfocalise la qualité totale sur l’élimination desdéfauts et dysfonctionnements, pour réalisertoujours mieux la satisfaction du client ;

- D’autre part, le principe de conformité del’Assurance Qualité et la certification conduit àécrire ce que l’on fait, faire ce que l’on a écrit ; etvérifier que l’on a bien fait ce que l’on a écrit.

Ces deux principes se complètent mais pas dansn’importe quel sens.

- Tout se passe bien dans la mesure ou la certificationvient après une démarche qualité ayant produit desaméliorations, que l’on va alors fixer et développer,

- Le résultat est négatif si la certification se fait sansaméliorations.

Selon G. Napolitano et J. Lapeyre (1994), il s’agit d’une« imbrication complexe de valeurs ajoutées dansl’entreprise », qui fait certainement appel à un « étatd’esprit » cependant peut-on produire ou fournir unproduit ou service de qualité sans l’adhésion dupersonnel ? 3.

1.4 - Que signifie se certifier ISO 9000 ?La norme ISO 9000 définit les dispositions à prendredans l’entreprise relative à l’organisation la forma-lisation, les actions préétablies pour que le client soitconfiant et assuré de recevoir une fourniture conforme àla proposition, au catalogue ou à la descriptioncontractuelle.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

2 Philippe Détrie (2001) Conduire une démarche qualité, les éditions d’organisation.

3 G. Napolitano et J. Lapeyre (1994). La certification des services,édition d’organisation.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

Elle définit également des exigences conduisant àintégrer au processus d’élaboration de la fourniture desdispositions destinées à garantir avec une bonneprobabilité et à faire la preuve que :

- des non-conformités ne peuvent être générées, - des non-conformités apparues seront détectées

éliminées avant livraison.Ainsi, on peut comprendre qu’il s’agit de dispositionsvisant à assurer la qualité pour le « client ». « Lesexigences de la norme constituent un référentiel adoptéinternationalement », ce sont donc les normes ISO, GuyLaudoyer (2000).Dès lors on arrive à la portée de ces exigences intégréesqui ont pour objectif de « démontrer au client l’aptitudede cette entreprise à lui délivrer les produits ou servicesconformes au contrat établi entre les deux parties envue de sa satisfaction » 4.

1.5 - Certification ISO 9000 : Des réticences sociales

De nombreux observateurs et spécialistes ont pu releverles régressions qualifiées de « lourdes » dans la« chasse » à la certification pratiquée par de nombreusesentreprises.Cela a conduit au renforcement du contrôle plusévocateur de méfiance que d’efficacité ; une allure deformalisme ; la recherche d’un personnel figé et docile ;et en imposant la certification par le prétexte de clientsfictifs 5.Il s’avère aussi que l’aspect humain n’est pas pris encompte dans les normes, excepté la formation. Leproblème de la motivation et son évaluation lesconditions des relations au travail et les compétences(besoins de talents pour réagir) ont été difficile atransposer en normes. Pourtant la certification offre uneopportunité pour « mettre à plat les problèmes et poserles vraies questions d’amélioration de l’entreprise 6. De même que la relation interne client / Fournisseurexige de mettre en qualité le personnel « la compétencebien maîtrisée en interne est une forte valeur ajoutéepour la prestation externe ».Aussi, la norme ISO 9000 admet le principe que laqualité du service rendu au client final est intimementliée à la qualité de prestations et des relations internes,Georges Napolitano, Jean Lapeyre (1994).Il ne faut pas perdre de vue dans la certification que

l’entreprise est une communauté humaine même si lapréoccupation centrale est le client.En effet dans la démarche qualité on trouve unedécision stratégique celle qui consiste à faire de lasatisfaction du client l’objectif stratégique del’entreprise ; de considérer l’entreprise dans sa vraiefinalité (générer la qualité ; faire progresser l’entreprisevers un management dont l’axe directeur affirmé est la

qualité doit impliquer toute l’entreprise, y compris sonpersonnel, c’est la problèmatique de notre recherche etnous sommes convaincus que les pistes de recherchesont nombreuses.De nombreux travaux ont pourtant abordé cettequestion mais sans traiter le vrai problème :Ladimension humaine voire même son rôle stratégiquedans la réalisation de la qualité totale.Il s’agit d’unprojet qui va apporter progressivement des mutationsculturelles et dans le fonctionnement de l’entreprise.Selon Guy Laudoyer (2000), « La gestion de la qualitéest une œuvre humaine : elle nécessite pour lepersonnel, savoir-faire et la reconnaissance du butpoursuivi.Le projet de l’entreprise et sa stratégie sur le marché,face à ses concurrents, doivent être clairs et connus detous. Les moyens pour les réaliser doivent êtrecrédibles ».

Cela nécessite deux impératifs :

Développer une organisation claire et efficace.Mobiliser le personnel.

Plus l’homme est formé dans son métier et informé dansl’ensemble du fonctionnement et des buts poursuivis,plus il est éclairé sur ses responsabilités et moins il estnécessaire de lui préciser par des procédures les règlesstrictes de son action. Il comprend ce qu’il fait, il agit enresponsable dans un cadre défini. Mais, il est vrai qu’enle tenant à l’écart il sera démotivé, démobilisé, etchoisira son départ volontaire d’une organisationsourde, muette, et non-communicante.

1.6 - La formation dans la norme ISO 9000 version 94 :

Le fournisseur doit établir et tenir à jour desprocédures écrites permettant d’identifier les besoins deformation et de pourvoir à la formation de toutes lespersonnes chargées d’une activité ayant une incidence

4 Guy Laudoyer (2000) La certification ISO 9000 un moteur pour laqualité. éd. d’organisation

5 G. Napolitano, J. Lapeyre op. cit. p. 133.6 Ibid.

Figure 1 : sources : Guy Laudoyer (2000) La certification ISO 9000édition d’organisation

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sur la qualité. Les personnes chargées d’accomplir destâches particulières doivent être qualifiées sur la based’une formation initiale appropriée, d’une formationcomplémentaire et/ou d’une expérience appropriée,selon les exigences.Des enregistrements appropriés de la formation doiventêtre tenus à jour. En effet, les principes de managementsde la qualité selon les normes ISO 9000 mettent l’accentsur l’importance du management des ressourceshumaines uniquement du point de vue nécessité d’uneformation adéquate.Ils reconnaissent que les clients peuvent attacher del’importance à l’engagement souscrit par un organismevis-à-vis de ses ressources humaines et à sa capacité àdémontrer la stratégie mise en œuvre pour améliorer lacompétence de son personnel.Dans cette logique il importe que le personne, à tous lesniveaux, d’un organisme soit formé : ceci lui permet deremplir ses engagements de fournir les produits de laqualité désirée.Certains objectifs de progrès continu recherché par unorganisme y compris la performance de son personnelsont influencés par de nombreux facteurs externes etinternes (changement du marché, technologie, inno-vation ainsi que les exigences du client et autres partiesprenantes. Ces types de facteurs peuvent exiger del’entre-prise l’analyse de ses besoins en relation avecles compétences.

L’implication du personnel dans le développement deses compétences au cours du processus de formation estsusceptible de mieux s’approprier ce processus et, parconséquent d’accroître sa part de responsabilité dans laréussite de la formation.

1.7 - Progrès et limites des normes ISO 9000/94.

Dans une approche participative de la certification ISO9000, Pascal Naouri (1997) considère qu’il s’agit

d’abord de mettre en place une relation clientfournisseur tout en interne qu’en externe. Il insiste aussisur la nécessité de changer l’état d’esprit à l’intérieur del’entreprise ce qui rejoint notre avis sur la cultured’entreprise. En effet cet état d’esprit dans la logiquedes normes ISO 9000/94 devait au moins changer enraison de la mise en place des groupes de travail. Lessolutions à proposer pour résoudre les différentsproblèmes découverts est en principe consensuelle etdoit être en adéquation avec les outils et moyens c’est-à-dire la formation. On peut considérer que ces normesavait pour objectif de responsabiliser progressivementle personnel de qualité 7.La certification a été analysée en tant qu’enjeu pour ledéveloppement des hommes, à ce sujet Michel Weill(1997) relève des effets opposés pourtant il s’agit d’unemême démarche. Dans son intervention il cite le casd’une petite entreprise de 80 personnes spécialisée dansle secteur de la plasturgie, qui a adopté la certification« comme une opportunité ». En se développant l’entreprise était consciente que sonpersonnel était d’un bas niveau de qualification. Ainsi,grâce à la certification elle est parvenue à déterminer lesoutils facilitant le travail de chacun.Paradoxalement, il a observé dans une grande entreprisede type bureaucratique et déresponsabilisante que lacertification loin d’améliorer ses structures defonctionnement a eu pour effet de renforcer sonfonctionnement lourd et inadapté.Mais globalement il a relevé dans ses différentesinterventions que la certification permet l’améliorationde la communication interne, sur des questionsgénéralement « oubliées ».De même qu’elle constitue un apprentissage à laconduite participative de projet.Il relève que parfois on considère la formation commeun processus isolé du reste de l’entreprise et de lacertification.Alors que la formation est issue de la norme et sonimportance devait être déterminante.La certification permet un meilleur partage de la visionglobale des enjeux de la stratégie et favorise la progres-sion de la culture d’entreprise.Cependant quelques remarques peuvent être mention-nées dans cette certification. On peut citer qu’elle est perçue comme une contrainte detype formaliste « Faire ce que l’on écrit et écrire ce quel’on fait ». Cela nous rappelle un certain modèle de typenéo-bureaucratique qui est une véritable entrave pour lefonctionnement d’une entreprise qui se veut en qualité !La limite c’est de formaliser les dysfonctionnements etles renforcer.« La certification met l’accent sur le respect des normesmais pas suffisamment sur l’intéraction entre le

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

Schéma 1: Les besoins en formation et la qualité.

7 ISEOR, certification, qualité et emploi édition Economica, 1997.p. 121.

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contrôle et la modification de son propre travail ». Ellesemble beaucoup plus relever d’un processus mécanistealors que le progrès relève d’une approche parprocessus et systémique.L’intervention des experts au niveau de l’élaborationdes normes et un nombre très restreint d’acteurs del’entreprise conduit à des résistances du reste de cesnouvelles normes. Cela peut même conduire à une criseinattendue, c’est le revers de la médaille.Enfin, « la certification a constitué un frein à ladémarche de progrès permanent car les entreprises sesont focalisées sur la formalisation », Michel Weill(1995).

2 - La norme ISO 9000 version 2000 :

Cette nouvelle version de normes stipule que « lepersonnel effectuant des tâches ayant une incidence surla qualité du produit doit être compétent sur la base dela formation initiale et professionnelle, du savoir-faireet de l’expérience ».Dans ce sens Eric Bernard, département certificationAFNOR estime qu’ « Aujourd’hui nous évoluons dansun environnement où nous certifions les produits, lesservices, les entreprises à travers les normes ISO. Ilnous manque la certification des personnes pourdisposer du personnel complet sur le sujetcertification » 8.

2.1 - Vers un management dynamiquedes Ressources Humaines

Dans sa nouvelle version 2000 la norme ISO 9000ouvre des perspectives dynamiques en matière demanagement des ressources humaines d’après sesnouvelles exigences. Pour Bernard Seno, directeurqualité à la Cegos « La mise en œuvre de ces exigencesest l’occasion pour l’entreprise de faire du managementdes ressources humaines un processus fortementcontributeur à l’obtention des objectifs qualités, voirele processus capital » 9. Tandis que Guy Raynaudconsidère cette nouvelle exigence comme une réponse àun oubli car, « jusque-là, les DRH étaient peuconcernées par une démarche qualité. Désormais, ilsvont devoir répondre à des audits sur des points précis.Et les entreprises vont devoir se structurer et se doter devéritables moyens de gestion des ressourceshumaines ».Nous sommes face à une prise de conscience qui met enévidence le rôle stratégique de la GRH qui est devenueconcernée au même titre que d’autres directions

d’élucider ces nouvelles normes pour une meilleureapplication.

2.1.1 - Comment comprendre les ISO 9000version 2000 ?

Tout d’abord on doit préciser que le management desressources concerne l’ensemble des acteurs de l’entre-prise et de ce point de vue doit déterminer et fournir lesressources nécessaires :a) mettre en œuvre et entretenir le système de mana-

gement de la qualité et améliorer en permanence sonefficacité.

b) Accroître la satisfaction des clients en respectantleurs exigences.

Dans son volet relatif aux ressources humaines lanouvelle norme exige que le personnel effectuant destâches ayant une incidence sur la qualité du produit doitêtre compétent sur la base de la formation initiale etprofessionnelle, du savoir-faire et de l’expérience.A cet effet l’organisme doit :a) Déterminer les compétences nécessaires pour le

personnel effectuant un travail ayant une incidencesur la qualité du produit.

b) Pourvoir à la formation ou entreprendre d’autresactions pour satisfaire ces besoins.

c) Evaluer l’efficacité des actions entreprises.d) Assurer que les membres de son personnel ont

conscience de la pertinence et de l’importance deleurs activités et de la manière dont ils contribuent àla réalisation des objectifs qualité.

e) Conserver les enregistrements appropriés concernantla formation initiale et professionnelle, le savoir-faireet l’expérience.

Ainsi, l’amélioration continue de la qualité et lesystème de management par la qualité exige la mise à ladisposition de cette initiative les ressources humainesafin de contribuer à son développement et del’améliorer.D’où il est nécessaire d’évaluer les compétencesnécessaires et disponibles et évaluer l’efficacité desactions, ce qui conduit l’entreprise à recourir à unevéritable gestion prévisionnelle des emplois et descompétences.Désormais pour recruter il faut définir la fonction ils’agit d’un préalable nécessaire. De même que le DRHest amené à suivre de plus près l’évolution des métiersdans l’entreprise et celle des hommes afin de pouvoircompter en permanence sur des ressources humainesopérationnelles et disponibles.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

8 Revue qualité en Mouvement N° 53, février mars 2002, p. 58« vers une certification des compétences » chronique.

9 In Qualité en Mouvement N° 48. p 44.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

C’est la raison pour laquelle Guy Raynaud, et en ce quiconcerne les compétences exigées par le poste et lescompétences de l’homme, précise qu’ « il va falloirréfléchir à une gestion des compétences à long terme ».Selon son point de vue la fonction personnel se voitattribuer un rôle de « plein exercice » dans la réalisationde la politique qualité de l’entreprise.Alors que Patrick Renard, responsable du départementd’AFAQ pense que (…) Les managers ont uneresponsabilité importante pour que l’ensemble descollaborateurs se sentent impliqués dans le processusqualité de l’entreprise, et au final que les clients soientsatisfaits. Afin de répondre pleinement aux exigencesde ces nouvelles versions je préconise aux DRH desuivre les recommandations de la norme ISO 9004, laplus humaine » 10.On peut affirmer que la nouvelle version ISO 9000/2000met en valeur la composante Ressource Humaine pouraffirmer le rôle incontournable des femmes et des hommesdans l’entreprise.Ce rôle est appelé dans le quatrième principe dumanagement de la qualité, « Implication du personnel » :« Les personnes à tous les niveaux sont l’essence mêmed’un organisme et une totale implication de leur partpermet d’utiliser leurs aptitudes au profit de l’organisme ».Voici les changements significatifs :

Les acteurs dont le travail a une incidence sur laqualité du produit sont compétents sur la base :• de leur formation initiale, • de leur formation professionnelle, • de leur savoir-faire • de leurs expériences.

La formation et toute action (par exemple, lerecrutement, le compagnonnage…) satisfait les besoinsde compétence répondent aux effets escomptés : unbouchage avec l’identification initiale.Des compétences nécessaires sont assurées en traversde l’évaluation de l’efficacité des actions entreprises.

Les acteurs sont sensibilisés sur la pertinence deleurs activités et sur la manière dont ils contribuent àl’atteinte des objectifs qualité. Il s’agit d’affirmer leprincipe selon lequel la qualité et l’affaire de tous maissurtout de chacun, Stéphane Mathieu (2002)11 .

3 - Les ressources humainesdans la qualité totale et les référentiels.

QU’EST-CE QU’UN RÉFÉRENTIEL ?

« Il s’agit de l’énoncé écrit ce qui est considéré commesouhaitable, et/ou de ce qui est prescrit, et par rapportauquel on va évaluer la réalité.L’intérêt d’utiliser un référentiel réside essentiellementdans l’effet levier vis-à-vis de la performance (…) il estcomposé d’une série de critères qu’il faut, renseigner.Cette opération faite on évalue les réponses données àl’aide d’une grille de cotation ou par rapport à unmodèle » 12.Il s’agit d’un outil qui s’est avéré efficace dans laréalisation du progrès le style de management qui lui estpropre n’est pas « facilement repérable ».

3.1 - Le prix Deming :

Il a été créé en 1950 au Japon, en témoignage dereconnaissance à W.E. Deming.Il s’agit d’un modèle adapté au contexte Japonais danslequel la DRH est nettement plus impliquée qu’enoccident … »Le référentiel (modèle) se compose de dix critèresd’évaluation dont deux concernent directement lesressources humaines. Il est très sollicité par les grandesfirmes car il a significativement contribué àl’amélioration de leur performance.L’association Japonaise de la qualité (JUSE) a contribuéà son internationalisation (USA, Taiwan, Europe, etc )c’est une grande récompense pour les grandesentreprises.Son contenu est représenté sous la forme suivante :Deux critères nous intéressent et qui concernent lesressources humaines : le management et l’organisation ;la formation.

10 Qualité en mouvement, N° 48, p. 47.11 S. Mathieu, Comprendre les normes ISO 9000 version 2000,

AFNOR. P.p 80-81.12 André Meignant et Robert Dapère (1994) « La qualité de la fonc-

tion Ressources Humaines, éd. Liaisons p. 27.

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En ce qui concerne le premier critère son contenucomprend l’étendue des responsabilités qui doivent êtreclairement définie. Il comprend aussi la pertinence desdélégations d’autorité (Empowerment) et l’étendue dela coopération transversale. De même qu’il s’intéresse àl’activité des différents comités ainsi qu’à la gestion dupersonnel et le recours à la pratique des cercles dequalité. En fin, il met l’accent sur l’importance dudiagnostic.Quant au contenu du second critère (la formation) il meten perspective la planification et les résultats de laformation. Aussi, il évalue le degré de conscience et decompréhension de la qualité par le personnel.Il concerne l’enseignement et le degré de diffusion desméthodes statistiques. La compréhension des effets de laqualité totale, la formation des entreprises partenaires, lesactivités des cercles de qualité (C Q) et les systèmes desuggestions d’amélioration, et fonctionnement réel A. Meignant et Robert Dapère (1994).Le prix Deming s’intéresse donc au développement desressources humaines par des plans d’éducation et deformation. Il s’intéresse comme nous l’avonsmentionné au niveau de conscience des employés et lesmissions du management, leur compréhension etcontrôle de la qualité.Il est un moyen d’évaluation sur l’état de l’incitationdes employés à développer leurs connaissances pouratteindre la pleine expression de leurs capacités. Par unsystème de suggestions (C Q) on cherchera uneimplication totale des ressources humaines.Il s’agit d’un modèle très proche de l’EFQM envalorisant la dimension humaine dans le T.Q.M.

3.2 - Le prix Malcolm Baldrige

Après la création au Japon du prix Deming en 1952,pour récompenser les entreprises les plus performantes

en qualité, trente années plus tard, les Etats-Unisconstatant ce retard sur les pays du soleil levant ontdécidé la création du prix Malcolm-Baldridge qui seradécerné une fois par an par le président des Etats-unis àdes entre-prises adoptant le système qualité totale.

Ce prix n’est ni plus ni moins qu’une reprise plus aumoins adaptée au contexte nord américain du modèleJaponais d’évaluation (Deming).Différents critères sont pris en considération dont lesressources humaines d’une manière peu déve-loppée.

Dans son critère 5(GRH) on peut identifier seulementtrois conditions relatives à l’implication des ressourceshumaines :

• L’organisation du travail (5.1) :

Il présente comment certaines pratiques tel quel’organisation du travail, le profil des postes, larémunération, la gestion des carrières et l’ensembledes pratiques liées aident à atteindre les meilleursniveaux de performance.

• La formation et le développement (5.2) :

Dans ce cadre on retient l’importance de la formation(initiale et permanente) dans l’atteinte des objectifsde l’organisation.

Elle permet aussi de construire les compétences dupersonnel et améliorer par la même leursperformances individuelles.

• La motivation et la satisfaction (5.3) :

Ce dernier critère prend en considération l’environ-nement et le climat du travail qui contribue au bien-être et à la motivation des collaborateurs.

Nous remarquerons que ce modèle est loin de répondreaux attentes de la DRH impliquée dans le TQM.

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

Figure 2

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

3.3 - L’EFQM

Il s’agit d’un référentiel volontaire au niveau européen.Ce modèle d’excellence est aujourd’hui très largementsollicité.

Il nous intéresse dans sa dimension ressourceshumaines qui nous semble la plus conséquente et la plusconvaincante, plus précisément ses principes suivants :

• Le concept de client interne qui doit s’imposer :chaque personne ou entité doit considérer celui quiest en aval de son activité comme un client ;

• Le travail en équipe doit être une approche normalepour mettre en place les améliorations ;

• Tout effort visant l’amélioration au sein del’organisation doit être reconnu ;

• L’amélioration continue avec l’implication dechacun dans le processus de changement doit êtreune pratique courante ;

• Une bonne communication doit être établie au seinde l’organisation.

L’EFQM propose une modélisation, qui nous paraîtplus intéressante, des critères de performance d’uneentreprise sous forme d’un référentiel qui accordecomme nous l’avons signalé une grande importance à laGRH.En effet, il accorde 90 points aux ressources humainessur 500 points de l’ensemble des « facteurs » de laqualité totale on se retrouve donc avec 18 % ce qui estdéjà significatif.

Plus encore il accorde le même taux pour « lasatisfaction du personnel » sur l’ensemble des résultats.Le personnel a été consacré par un ensemble de 180points sur 1000 qui est une prise en compteconsidérable en comparaison avec les prix « Deming -Baldrige » confondus.

Le critère leadership renvoie au comportement del’ensemble de l’encadrement dans la conduite del’entreprise vers la qualité totale en tant que processusfondamental et continu d’amélioration. Ce nouveau rôlede la direction est important car désormais elle doit,comme le précisent Bernard Drididollou et CharlesVincent (1997) l’entreprise se voit contrainte dedémontrer :

• Son encouragement visible dans la conduite de laqualité totale : Communication avec le personnel,formations animées par des membres de ladirection… ;

• La reconnaissance et l’appréciation en tempsopportun des efforts et des succès individuels etcollectifs ;

• Le soutien à la qualité totale par l’apport deressources et d’un support approprié.

En matière de GRH l’entreprise va libérer la totalité deson potentiel humain pour améliorer son activité defaçon permanente (gestion des compétences ;recrutements ; évaluation des formations ; fixationd’objectifs (individuel/collectif) ; encouragement dupersonnel ; traitement de l’information…La satisfaction du personnel est désormais un principepour mieux impliquer le personnel et le mobiliser dansles objectifs stratégiques de l’organisation.

L’EFQM dans sa nouvelle version la méthode « Radar »(Résultats, Approche, Déploiement, Appréciation etRévision) permet de recenser les résultats que l’onsouhaite obtenir sur tous les chapitres et ensuite onexamine les moyens nécessaires pour atteindre cesobjectifs.

Selon LOIC VATAR (2000), le modèle EFQM propose« d’organiser l’innovation, et d’amener l’entreprise à seposer cette question : Dans nos modes defonctionnement et nos processus que faisons-nous pourêtre toujours innovants ? ».

L’auteur nous précise que : « le modèle (EFQM)introduit une batterie de questions sur l’enrichissementdes connaissances de l’entreprise, sur la façon demesurer, évaluer, enrichir, partager et sécuriser le« savoir – faire ».Pour le groupe Sollac le référentiel EFQM reviendrait àune « culture de la comparaison avec les meilleurs »Robert Dapère (2001).

Figure 3 : Référentiel du prix Malcolm Baldridge

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Normes internationales et qualité des ressources humaines Kamel FOURATI

3.4 - Le prix Français de la qualité :

Il s’agit d’un prix créé par le mouvement français pourla qualité (MFQ) avec le ministère de l’industrie, despostes et télécommunications et du commerce extérieur.Le PFQ est particulièrement destiné aux entreprisesfrançaises de moins de 500 personnes et auxétablissements des groupes ou filiales d’entreprises plusimportantes concernée par la démarche qualité.Dans son contenu du critère participation personnel ontrouve 5 points importants :

1 - Comment le personnel participe-t-il à ladétermination des objectifs qualité del’entreprise ?

2 - Comment est-il informé de l’évolution desobjectifs et des succès qualité de l’entreprise ?

3 - Comment s’implique-t-il dans la mise en œuvredes actions qualités ?

4 - Quelles sont les formations contribuantdirectement à la demande dont il bénéficie ?

5 - Comment l’entreprise mesure-t-elle l’adhésion dupersonnel aux démarches entreprises et auxobjectifs annoncés ?

Cette approche nous semble pertinente en matière desRH car elle va à l’essentiel en prenant de prime abord ladimension humaine et son implication dans le processusqualité et qualité totale.Ce prix est attribué depuis 1992 au niveau nationalchaque région choisit un lauréat et un second par le juryet éventuellement des lauréats des précédents prix.

Au niveau régional c’est la DRIRE et la délégationrégionale MFQ qui organisent un concours.On relève de nombreux Lauréats qui sont conscients de l’importance du personnel, « la motivation du personnelest fondamentale » affirmait Daniel Juban, directeurgénéral Division – Fournier société para-pharma-ceutique Lauréate en 1994.

Le prix concerne toute l’entreprise : les servicesTechniques, les ressources humaines, les réseauxcommerciaux… il valorise la participation des hommeset des femmes qui font progresser l’entreprise.Et à cet effet il vise à fédérer les initiatives de chacunpour le progrès de l’entreprise.

Aussi, l’entreprise gagne si l’ensemble de ses colla-borateurs adhère à ses objectifs, (Sud qualité, 2002).

En matière de G R H ce prix insiste sur la “motivationde l’ensemble de collaborateurs ”.De même que dans son chapitre 3 relatif aumanagement du personnel il met l’accent sur :l’information du personnel sur la stratégie del’organisation (démarche et résultats) donc la manièrede l’informer.

Le comment de sa formation ; comment l’organisationencourage-t-elle l’implication du personnel dans lamise en œuvre de la qualité ? Les moyens d’expressionset de suggestions pour des actions d’améliorationqualité.

Figure 4

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3.5 - Le référentiel QMRH

Ce référentiel essaye de pallier aux limites mentionnéesdans les normes et modèles de qualité présenté jusqu’àmaintenant. Il se veut comme référentiel adapté auxR.H. Néanmoins ses fondements sont assez proches queceux des résultats, orientation vers les résultats,orientations clients, leadership, management par lesfaits et les processus, développement et implication despersonnes, innovation et amélioration, apprentissagecontinu, auxquels il faut ajouter l’écoute du personnel,la reconnaissance des efforts accomplis, et l’écoute.On peut remarquer aussi que ce référentiel comprendsept chapitres à savoir :- Leadership, stratégie et politiques des RH,

organisation, management de la qualité des RH,résultats RH, résultats de l’entreprise, risques.

De même que chaque chapitre comprend des souschapitres ou en examine selon la méthode PDCA,différents points (méthodes utilisées pour déterminer lesobjectifs, les objectifs eux-mêmes, les méthodesutilisées pour déterminer les conditions de mise enœuvre et la maîtrise des processus, les pratiques, lesméthodes d’évaluation, les résultats observés avec lesindicateurs proposés et d’autres spécificités del’entreprise, Pierre Candeau (1999) 13.

Selon P. Candeau (1999) ce référentiel est fondé sur leprincipe de l’efficacité, qui signifie la cohérence entreles priorités stratégiques et les politiques des R.H., entreles objectifs R.H, et les résultats obtenus par domaine,entre les priorités stratégiques et ces résultats 14.C’est un référentiel trop élaboré et risque de ne pasretenir beaucoup l’attention car il est spécialement

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Graphe 1 : Structure du référentiel QMRH

Figure 5 : Référentiel PFQ

Graphe 2 : Structure d’un chapitre

13 Pierre Candeau, in Revue personnel, N° 405, décembre1997 pp 58-61 « La qualité totale appliquée aux RH ».

14 P. Candeau. Op. cit. p. 60.

Facteurs

Résultats

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conçu pour les RH or dans la démarche qualité totale onpréfère un seul référentiel pour l’ensemble des activités.Par contre il peut servir pour le diagnostic et l’évaluanten commençant par les résultats dans un domaineparticulier des RH. Grâce à ces indicateurs pertinents etl’évaluation des « cohérences ou incohérences » entreles résultats et les objectifs stratégiques de l’entreprise.Il permet d’établir une synthèse dans toute les activitésde la GRH permettant d’évaluer le degré de cohérenceavec les objectifs stratégiques.Le référentiel proposé comporte 100 points et lesrisques vont pondérer les résultats.Selon P. Candeau « un risque élevé, c’est-à-dire la nonatteinte d’objectifs stratégiques, va diminuer de façonimportante les résultats R.H. et opérationnels ».Il s’agit d’un référentiel qui a pour objectifs de « mieuxcerner l’importance des ressources humaines,considérée comme une « source essentielle » de lavaleur ajoutée dans les entreprises. Ce modèle essayede compléter ceux déjà existant dans le TQM ».Enfin, il nous éclaire sur l’orientation « des actions deprogrès » grâce à sa méthode d’évaluation descohérences entre stratégies, politiques et pratiques deRessources Humaines, « en évaluant les risques encommuns, et établissant un diagnostic pour déterminerles causes des dysfonctionnement éventuels ». C’est unréférentiel ambitieux qui valorise la composante RHdans la démarche TQM.Le référentiel inspiré des précédents veut mettre enperspective le rôle attendu par l’entreprise de la DRHdans une telle démarche globale de qualité.Parmi ces tâches la gestion administrative en tenant« correctement » les dossiers du personnel, en évitantles erreurs et les retards dans la paie.La paie par exemple est un produit qui doit être livré« juste à temps » et selon le principe du zéro défaut. Ily a aussi nécessité de décrire le processus du« pointage », l’arrivée des virements sur les comptesbancaires des salariés, Alain Meignant et Robert Dapère(1994).De même que les données sur le personnel pourl’établissement des tableaux de bord et des déclarationslégales (bilan social, déclaration fiscale, etc.).La gestion du personnel est aussi concernée car elle vachercher des moyens permettant de développer lestalents des hommes et de femmes qui ont leurpersonnalité et leurs aspirations spécifiques.Deux exemples peuvent être mentionné au niveau desprocessus l’entretien professionnel et l’inscription enformation pour la première et concernant à l’originesurtout les cadres cette étape est considérée comme« une étape clé de la gestion de la carrière ».« L’entretien professionnel est aussi l’une des situationsles plus révélatrices de ses pathologies ».Quand on observe la réalité dans les entreprises lesconstats de dysfonctionnement (donc de non-qualité)sont nombreux, comme le soulignent André. Meignant

et Robert Dapère (1994) ils mentionnent les plusfréquents :« L’entretien mal préparé ; la discussion sur lescompétences improvisées ; l’entretien confondu avecl’annonce de décisions salariales ; le hiérarchique n’apas eu lui-même d’entretien préalable avec sonmanager ; l’entretien a lieu dans des services peuhabitués à raisonner en termes d’objectifs précis etmesurables ; le hiérarchique vit cette situation commeune remise en cause potentielle ; le climat de l’entre-prise crée un sentiment de méfiance ; après l’entretien,rien ne se passe ; au cour de l’entretien la hiérarchieadopte une attitude qu’elle croit positive de soutien etd’encouragement des projets exprimé par le salarié ».Le problème est que, cumulés, tous les projetsindividuels des salariés représentent un volume et uncoût de formation, d’augmentations individuelles, demouvement internes, ingérables par l’entreprise qui doitrefuser ; il n’y a aucune conséquence, pour un managerde faire ou de ne pas faire les entretiens.

En ce qui concerne l’inscription d’un salarié enformation on peut citer quelques exemples de« pathologie courante » :La hiérarchie ne donne aucun message au salarié sur lescompétences qu’il pourrait utilement développer ;l’inscription en formation est assimilée à un acte deconsommation sur catalogue ; le hiérarchique pose entermes de formation ce qui est d’abord un problèmed’organisation ; l’inscription est faite sans vérificationsoigneux des pré-requis ; le hiérarchique inscrit unsalarié sans réelle concertation avec celui-ci ; on nevérifie pas la qualité de prestation de l’organismeformateur.Alors se pose la question suivante : comment, dans cesconditions, pouvoir assurer à un client de l’entrepriseque l’on a mis en place les moyens d’adapter laqualification des salariés à ses exigences ? A. Meignant,R. Dapère (1994).Nous sommes donc persuadé que la mise en qualitén’est pas un slogan vide, mais il est ressenti avecamertume par de nombreux DRH, ayant ressenti auxdébuts de la certification de la qualité une mise à l’écart.C’est dans cet esprit que nous estimons que la qualitétotale répond véritablement à cette lacune, d’autant plusque la DRH est soumise à de nombreuses contraintes enmatière de gestion des RH, contraintes en matière degestion des RH, tel que la gestion collective, ledéveloppement social, les relations sociales, la gestiondes compétences, flexibilité et mobilité,internationalisation et nouvelles technologies del’information et de la communication (NTIC), etc.L’intérêt de ces modèles c’est qu’ils proposent un cadred’analyse commun à l’ensemble des acteurs del’entreprise, peu importe leur niveau hiérarchique etspécialité.

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Ils sont essentiellement centrés sur leurs finalités(résultats). Le DRH doit désormais travailler sur lesinterfaces, en vue d’un résultat car il doit gérer en termede processus et apportant des solutions aux problèmes.

Concernant la qualité totale elle signifie dans cecadre précis « ne pas être bon tout seul ; mais apportersa contribution au succès de l’ensemble ».L’EFQM dans sa version 2000 ainsi que le modèle deLarry Green, malgré leurs limites nous serviront de basepour pouvoir identifier des objets de travail sur le plande l’implication et la mobilisation du personnel. Demême ils peuvent servir comme outils de diagnostic etde mesure.

Les gestionnaires vont développer la gestionparticipative, ses modèles d’autogestion et sociocratie,les structures de participation fournissant l’opportunitéaux employés d’utiliser leur expériences, leurintelligence et surtout un état d’esprit où ils se sententresponsables de leur travail la notion des partages.

3.6 - Le modèle simplifié µde Larry GREEN

Pour mieux comprendre l’articulation des principauxfacteurs TQM, nous préférons nous référer au modèlesimplifié de Larry Green (1994) :

« HRD + OD = TQM » 15

A - Modèle de développement des RH (HRD) :

Tout d’abord on relève le modèle de développement dupersonnel (HRD) qui est un modèle individuel, mais enquoi est-il important ?On trouve plusieurs éléments de réponse à cettequestion :

Parce que c’est le personnel qui crée de la valeur(les actifs) : individu, groupes, équipes, comités,conseil, etc.Les clients et les commerciaux dépendent aussi dupersonnel.Les organisations ne peuvent progresser qu’enfonction des compétences et motivations de leurspersonnel.Le développement des RH et un des deux facteursprincipaux qui doivent être les mieux comprispour réaliser la gestion de la qualité totale.

En fait ce modèle de développement des RH estconstitué sur trois groupes de besoins.Chaque groupe définit un niveau de formation, le

développement et l’éducation qui doivent êtrecompétitifs. De même que chaque catégorie (HRD) estbasée sur les compétences qui doivent être reconnues,rencontrées et supportées pour maximiser laproductivité.

- Les groupes, modèles et catégories (HRD) :

1 - La direction : Celle-ci comprend les responsablesde la direction, la gestion et contrôle, lesactionnaires et les dirigeants.

On attend d’elle des compétences au niveau de ladirection, de la gestion et du contrôle.

2 - Le personnel : Ce groupe concerne tous lesemployés y compris les leaders qui contribuent à laréalisation d’un produit ou service.

On attend de celle-ci des compétences des individus,des compétences de base et des compétences avancées.

3 - L’organisation : Tous les individus ou groupes fontpartie de l’organisation qui doit comprendre descompétences culturelles et de systèmes.

B - Le modèle de développementorganisationnel (OD) :

Le développement organisationnel (OD) est un de deuxmodèles principaux que les managers doiventcomprendre pour exécuter la gestion de la qualitétotale 16.Il comprend neuf éléments organisés dans troissystèmes de rapports. Chaque système définit lesrapport qui doivent être compris, développés maintenuset entretenus pour maximiser la rentabilité.Chaque élément (OD) répond à une question de base del’organisation. Les leaders déterminent la conceptionorganisationnelle par les réponses qu’ils choisissentpour chacune des neuf questions.

1 - Les éléments organisationnels :

Ils concernent les rapport entre le personnel, la directionet les actionnaires.• Les buts : Pourquoi sommes nous ici ?• Les modèles : Comment sommes-nous réunis ?• Les plans : Comment nous documentons

et montrons ?• Les individus : Comment vont les individus ?

15 Larry Green (1995) Diagnostic Outline T checklist for managerswanting to identify next steps in achieving greater « self-Management » of work Teams at all organizational levels. Ed. Bysouth west Associates.

16 Larry Green [1994] A 5 Step supervisor and workforce qualitytraining program, ed. by south west Associates.

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• Les profits : Comment trouver de l’argent comptantet les besoins de financement ?

• La place : Avons-nous des ressources physiquesadéquates ?

2 - Le déroulement des opérations :

Ce sont les rapports fournisseur-client et interpersonnel.• Produits : Quelle valeur créons-nous ?• Processus : Comment faisons-nous ensuite (étapes) ?

3 - Les marchés :

Ils conservent les rapports avec le gouvernement (Etat)les marchés et la communauté.* Positionnement :Où sommes nous, est-ce que nos produits ou services sevendent ?En fait il faut procéder par un diagnosticorganisationnel qui va permettre à l’entreprise deréaliser la qualité totale.Mais le modèle TQM simplifié n’est-t-il pas en luimême « un modèle de diagnostic » ?La conception d’outils propres et en accord avec leTQM coûterait moins cher et permet aux consultants dedevenir beaucoup plus compétents en accord avec lesystème TQM de leur organisation.Il permet également de gagner la confiance pourélaborer des décisions TQM.

3.7 - Le TQM et ses concepts del’Excellence

Plusieurs concepts peuvent être relevé dans la démarcheTQM, qui contribuent vers l’excellence tel quel’orientation des résultats ; la centralisation sur leclient ; Direction et persévérance dans ses choix ;management par les processus ; implication dupersonnel ; formation continue ; développement dupartenariat, et responsabilité vis-à-vis du public.Le TQM est en soi un référentiel qui intègre la DRH.

3.7.1 - L’implication du personnel : Unconcept clé du TQM/ RH

Il s’agit de l’utilisation du potentiel de total personnelen instaurant des valeurs pouvant être partagées, ainsiqu’établir une forte culture d’entreprise, de tellesconditions constituent un « milieu » idéal pour unetotale implication du travailleur aux tâches del’entreprise.Pour atteindre ses objectifs de progrès et de qualitétotale, l’entreprise a besoin de mobiliser les ressourceset les aptitudes du personnel.

Le recours à la formation continue, concerne lamotivation et donc par conséquent, les performances dupersonnel qui ont nettement augmentées si celui-cicontinue à bénéficier d’un soutien constant au niveaudes nouvelles formations. De sorte que, celui-ci pourraêtre intégré dans de nouveaux projets, de nouvellestâches dans des conditions optimales.Ce système de formation continue est en soi une véritableculture d’entreprise et contribue à une plus-value. Il estaussi un élément de bien-être pour le personnelFormer aux outils de la qualité n’est pas difficile maisla clef de succès et de faire en sorte que tout lepersonnel, dans tous les services, à tous les niveaux,travaille en harmonie.A cet effet, le personnel doit être d’accord sur l’objectif,« le comprendre de la même façon, travailler au mêmerythme et plus encore être ouvert aux changements,savoir imaginer d’autres possibilité, accepterd’abandonner ses certitudes et aussi écouter les autres,modifier ses priorités pour l’autre, oublier son ranghiérarchique », c’est cela la qualité totale selonChristian Maréchal (2002).

3.7.2 - Comment lancer la démarche ?L’information en général :

A court terme il est nécessaire de mettre en place unedémarche « simple et concrète » qui répond auxobjectifs suivants :- Enclencher une démarche d’amélioration continue.- Faire participer d’emblée tous les acteurs. - Identifier les dysfonctionnements au quotidien. - Travailler sur les processus. - Obtenir des solutions visibles, mettre en perspective

les objectifs de performances (les référentiels).Il s’agit de faire partager aux différents acteurs uncomportement nouveau : « découvrir ensemble lesanomalies ».Nous remarquerons que le TQM apporte unchangement au niveau du management « en s’appuyantsur le principe que dans le système entreprise les causesde dysfonctionnements ne sont pas uniques », DanielBoérie (2001).En fait il s’agit d’un nouvel état d’esprit « d’ouvertureet de confiance », ainsi pour l’ensemble du personnel lefait de signaler les anomalies devient un acte naturel,c’est l’acceptation du droit à l’erreur.

L’information des acteurs :Le volet est important, l’information des acteurs doitréussir et donner le sentiment d’urgence. A cet effet ilfaut :- Expliquer la vision et le pourquoi de la qualité totale.- Montrer l’engagement de la direction.- Présenter les outils à utiliser (fiche qualité), leur mode

de traitement (le groupe et le service qualité) et letableau de bord (flash qualité).

- Garantir aux acteurs une liberté d’expression.

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Il est important de préciser dans ce cadre que la qualitétotale est un objectif vers lequel il faut tendre sansrelâche.

L’entreprise qui l’accepte doit respecter les étapes, dontla certification en est une.

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Figure 6 : source M. F. Périgor Réussir la qualité totale éd. Organisation 1981.

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ConclusionLes nouvelles normes internationales de qualité dansleur nouvelle version 2000 se consacrent d’avantage àla dimension humaine. A cet effet les DRH sontdoublement sollicités et concernés par les audits et lesréponses à des points précis et la restructuration del’organisation orientée clients internes et externes.

D’un simple instrument au service de la stratégie laDRH est appelée à devenir un acteur dynamique dans laréalisation des objectifs de l’organisation et l’entreprise.La gestion stratégique des ressources humaines(GSRH) est devenue une priorité pour la DRH pourl’obtention d’un avantage compétitif dans le cadre desentreprises ayant entamé une démarche qualité(PierreCandeau,1999).

Ainsi, nous pouvons constater que la DRH estégalement concernée par le modèle intégré de GRHcompatibles avec les normes qualité, enconsidérant,comme le font remarquer (Susseland,1996et Todorov,1997), l’ensemble des activités commeregroupés en processus.Le contrôle qualité est devenu plus responsabilisantpour le personnel en raison de la concurrence de plus enplus sévère.Le modèle intégré est en ce qui concerne les processuscentraux fait intervenir plusieurs groupes d’acteurs enplus du personnel. Il s’agit de reprendre la visiontransversale de l’entreprise aboutissant au client.

Dans ce modèle on tient compte non seulement de laqualité de service apporté au collaborateur et de laqualité de l’apport de toutes les étapes précédentes maisaussi de l’enchaînement harmonieux entre celles-ci.

La GRH doit se conformer aux nouvelles exigences dela démarche processus pour développer,mettre neœuvre et assurer la conformité et la qualité.Ainsi, une culture d’entreprise va s’installer ce quiconstitue un véritable changement stratégique du pointde vue organisationnel.Désormais l’organisme est centré sur la qualité, sur laparticipation de tous les membres et visant au succès àlong terme par la satisfaction du client et à desavantages pour tous les membres de l’organisme et pourla société (ISO 8402,1995).

Il serait intéressant d’évaluer les pratiques desentreprises engagées dans la démarche qualité enmatière de motivation d’implication, deresponsabilisation, de développement et demobilisation des collaborateurs.

• En effet sur les bases des principes de la qualité totaleet les normes ISO 9000:2000 il serait intéressant decomprendre les tendances en matière de GRH dedéveloppement et de libération des connaissances et lepotentiel du personnel que ce soit au niveau del’individu, des équipes ou de l’organisation.

• La manière dont l’organisation planifie ses activitésafin de soutenir sa politique et sa stratégie, et d’assurerun fonctionnement efficace de ses processus.

• De même que le concept stratégique d’implicationest-il différent de celui de la mobilisation dans uncontexte de qualité totale ? ou sont-ils complémen-taires ?

• Comment réagissent les DRH dans leurs pratiques etquelles sont les difficultés rencontrées sur le terrain dela réalisation de ces normes internationales de laqualité totale ?

BibliographieCANDEAU P., in Revue personnel, N° 405, décembre

1997 pp 58-61 « La qualité totale appliquée aux RH ».

CHRISTIAN MARÉCHALETBERNARD LÉCHEVET,(1995). Comment entreprendre une certificationqualité éd. Nathan.

DÉTRIE PHILIPPE (2001) Conduire une démarchequalité, les éditions d’organisation.

GREEN L. (1995) Diagnostic Outline Tchecklist formanagers wanting to identify next steps in achievinggreater « self-Management » of work Teams at allorganizational levels. Ed. By south west Associates

GREEN L. [1994] A 5 Step supervisor and workforcequality training program, ed. by south west Associates.

ISEOR (1997), certification, qualité et emploi ; éditionEconomica.

LAUDOYER G. (2000) La certification ISO 9000 unmoteur pour la qualité. éd. d’organisation

MATHIEU S., Comprendre les normes ISO 9000version 2000, AFNOR.

MEIGNANT A. ET DAPÈRE R. (1994) « La qualitéde la fonction Ressources Humaines », éd. Liaisons

NAPOLITANO G. ET LAPEYRE J. (1994). La certification des services, édition d’organisation

REVUE QUALITÉ EN MOUVEMENT N° 53,février mars 2002, p. 58 « vers une certification descompétences » chronique.

WEILL M. (2001) Le management de la qualité,éditions la découverte.

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Le processusd’apprentissagestratégique despratiques GRH etle développementde l’audit social :le cas des alliancesinter-firmes euro-méditerranéennes.

Soufyane FRIMOUSSEDoctorantIAE de CORSE

[email protected] ou [email protected]

IntroductionDepuis une décennie, les pays du Sud et de l’Est de laMéditerranée (PSEM)1 se sont engagés dans un largemouvement de libéralisation. Force est de constater quece dernier n’a pas réellement stimulé la croissanceéconomique. La zone Sud méditerranéenne éprouve desdifficultés récurrentes à s’intégrer au marché mondial :le développement économique des PSEM suit unrythme de progression erratique , la dépendance enversl’Europe est trop importante, l’assainissement financieret économique demeure fragile, le commerce intra zonereste embryonnaire et les pesanteurs politiques etéconomiques sont source de tensions (Escallier,Miossec, 2001 ; FEMISE, 2002 ; Ould Aoudia, 1996,1997 ; Petri, 1997 ; Van Huffel, 2001). Dès lors, l’entréemassive de flux d’investissements directs étrangers(IDE) sur ces territoires apparaît être un facteur décisifde stimulation du processus de développement(Bouklia-Hassane, Zatla, 2001, Cecchini, 2002). Dans cette optique, l’Union européenne a affirmé savolonté de construire une zone euro-méditerranéennede stabilité économique et politique. Pour cela, lesinstances européennes ont proposé aux pays tiersméditerranéens d’établir une zone de libre échangecommerciale (ZLE). Si les résultats de toutes les étudesde simulation n’apportent pas d’éclairages certains enmatière de prévision sur les implications d’une ZLEentre pays à niveau de développement inégal, il paraîtcependant indispensable de savoir comment accom-pagner cette évolution afin d’en bénéficier. C’est ici quele binôme alliance inter-firmes/ audit social a un rôledécisif. En effet, l’ouverture des frontières renforce lebesoin d’audit social, méthode indispensable d’analysedes risques mais aussi des opportunités liées à cesnouvelles perspectives. De plus, l’apparition de normesinternationales sociales et éthiques fait de l’audit socialune discipline et une démarche de plus en plussollicitées. A la lumière de ces considérations, uneanalyse du binôme alliance inter-entreprises/ auditsocial sera réalisée lors de la première partie de cettecontribution. L’apprentissage stratégique, corres-pondant à un processus d’accumulation, d’acquisition,de consolidation et de combinaison des ressources etcompétences clés, sera utilisé comme fil conducteur(De la Ville, Grimaud, 2001). Suivra, dans une secondepartie, une précision des implications managérialesréclamées par la constitution d’alliances. Bienévidemment, ces dernières mettent en présence de façonquasi-systématique des organisations et des individus

Le processus d’apprentissage stratégique des pratiques GRH et le développement de l’audit social : le cas des alliances inter-firmes euro-méditerranéennes.

Soufyane FRIMOUSSE

1 Parfois connu sous le nom de "pays tiers méditerranéens (PTM ",les pays du Sud et de l’Est méditerranéen (PSEM) forment une dou-zaine d’Etats : Cinq au Nord de l’Afrique (Maroc, Algérie, Tunisie,Libye, Egypte) quatre au Levant (Israël, Jordanie, Syrie, Liban),puis la Turquie et les deux îles indépendantes de la Méditerranée(Chypre et Malte).

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issus de cultures différentes. Par voie de conséquence,les prochains développements insisteront surl’influence de la culture sur les modalités d’interactionsdes entreprises. Il sera également souligné la nécessaireconnaissance de la diversité culturelle pouraccompagner l’audit social.La création de la ZLE assignera donc aux firmes sudméditerranéennes un objectif unique et simple :répondre aux exigences imposées par l’ouverture desmarchés (concurrence plus vive, circulation des biens etservices...). Cet objectif général se traduira pour lesentreprises par une double ambition : façonner leurcompétitivité, suivre et maîtriser l’évolution destechniques, des marchés et des produits exigés par leurspartenaires internationaux. Réaliser cette doubleambition imposera aux entreprises sud méditerrané-ennes un effort majeur d’adaptation de leurs pratiquesmanagériales et organisationnelles, notamment enmatière de technologie, innovation, contrôle de coût etqualité, encadrement, formation (Bellon et alii, 2000 ).Par voie de conséquence, ces dernières pourrontbénéficier, par le biais des alliances inter-firmes euro-méditerranéennes, des éléments de restructurationproposés par les firmes multinationales (FMN)partenaires. Les alliances inter-firmes Nord/Sud sontdes instruments au service du développement desentreprises du Sud. Elles permettront, sous certainesconditions, d’acquérir les capacités technologiques etorganisationnelles adaptées à l’ouverture des marchés.Dans cette optique, le partenaire sud méditerranéen peutexploiter le développement de l’audit social afin deréaliser un examen de ses pratiques GRH. L’audit socialest un levier privilégié du développement desentreprises. Il doit permettre à l’entreprise locale, d’unepart, de prendre conscience des ses insuffisances ; etd’autre part, de fixer des objectifs d’amélioration(Peretti, 2002a). A travers l’alliance, la firme locale esten mesure d’effectuer une comparaison directe despratiques vis à vis de son homologue partenaire. Lerecours au benchmarking s’inscrit dans cetteperspective.

En somme, dans le cadre de la ZLE euro-méditerranéenne, la dynamique inter-firmes entre lesdeux rives de la Méditerranée favorisera l’émergenced’un véritable processus d’apprentissage et de transfertsde savoir-faire (Bellon, Ben Youssef, Plunket, 2001 ;Bellon, Gouia, 2003). Cette contribution s’évertuera donc à évaluer dansquelle mesure le triptyque alliances/apprentissagestratégique/audit social a vocation à contribuer àl’avenir des systèmes productifs des PSEM.

1. Audit social et alliancesinter-firmes euro-méditerranéennes :une interaction nécessairedans le contexte de globalisation

Dans le nouvel ordre économique international, marquépar la mondialisation, les frontières technico-économiques des entreprises, naguère clairementdéfinies, sont devenues davantage floues et perméables.En effet, l’entreprise doit faire face à une compétitivitémultidimensionnelle impliquant toutes ses fonctions etdomaines d’activités. Elle doit : - s’organiser pourmieux agir, - exploiter rationnellement ses ressources, - diffuser à grande échelle ses produits, - anticiper lecomportement des différents intervenants et - faireaccepter ses intérêts dans le but de continuer à assurerson existence. Toute décision prise aura desrépercussions directes sur sa croissance, son équilibrefinancier, sa gestion et sa stratégie. Plus que jamaisdonc, l’entreprise doit disposer de repères pour ajusterl’orientation souhaitée, et mettre en pratique destechniques de gestion et des méthodes de travailefficaces afin d’être plus performante et compétitive.Ce nouveau contexte a pour conséquence l’avènementde nouvelles règles du jeu sur les marchés. Parmi ellesfigure : l’alliance inter-entreprise. Celle-ci concernenotamment les firmes européennes et sud méditer-ranéennes qui s’allient dans des joint venturesinternationales (JV). Cette forme d’alliance autorise unemise en commun de ressources permettant d’aboutir àdes résultats particuliers et souvent inaccessibles à uneentreprise isolée (Jolly, 2001 ; Glaister et alii, 2003). Desurcroît, les interactions de deux cultures stratégiques,économiques, sociales, différentes voire opposées etcontradictoires dans leurs pratiques et leurscomportements confèrent à la JV une potentialitéd’apprentissage de différentes natures (Garette,Dussauge, 1995 ; Gherzouli, 1997a ; Saglietto , 1997).En effet, d’une part, la JV instaure une interactiondirecte entre les parties laquelle favorise l’accès à dessources d’informations précieuses difficilementtransférables en dehors d’échanges répétés. D’autrepart, elle offre la possibilité aux partenaires d’obtenirdes apports inattendus dans différents domaines etd’accroître ainsi leur expérience (Ingham, 1994 ;Gherzouli, 1997b). Cependant, bénéficier pleinement de ces diversavantages réclame aux entreprises une capacité àacquérir les connaissances, à les articuler, à les

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Le processus d’apprentissage stratégique des pratiques GRH et le développement de l’audit social : le cas des alliances inter-firmes euro-méditerranéennes.

Soufyane FRIMOUSSE

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comprendre, à les assimiler et à les transmettre eninterne. En d’autres termes, l’entreprise doit être enmesure de mette en œuvre un processusd’apprentissage. Dans cette optique, l’audit social peutaccompagner ce processus et contribuer ainsi àl’amélioration de la compétitivité des firmes sudméditerranéennes. L’audit social permet de faireapparaître les écarts entre les pratiques de l’entreprise etla réglementation sociale, ou les normes adoptées parl’entreprise.

1.1 Audit social et alliances inter-firmeseuro-méditerranéennes : un binômeau service de la compétitivité del’entreprise sud méditerranéenne.

Dans le contexte d’ouverture économique l’équation àrésoudre est simple : promouvoir une offre compétitiverépondant aux exigences de la demande sur les marchésinternationaux. Dans ce domaine, les difficultés àsurmonter pour les économies des PSEM sont degrandes envergures. En effet, face à une concurrencebeaucoup plus vive, les entreprises sud méditer-ranéennes vont devoir, pour survivre et combler l’écartde compétitivité les séparant des entreprisesinternationales, engager d’importants programmes demodernisation de leurs équipements et remodeler leursystème organisationnel. De ce fait, les alliances inter-entreprises soutenues par l’accord de Barcelone(novembre 1995) peuvent constituer l’une des clés devoûte de l’émergence d’une base productive nouvelledans les PSEM. En effet, dans l’optique des firmes duSud, les alliances inter-firmes constitue un moded’acquisition de capacités organisationnelles ettechnologiques indispensables à leurs compétitivités.Elles peuvent bénéficier par l’intermédiaire departenaires étrangers : des expériences, de la formationspécialisée, des réseaux commerciaux , des sources definancement extérieures et de l’audit social. Cet outil estau service du pouvoir décisionnel de l’entreprise. Ilfournit des constats, des analyses objectives, desrecommandations et des commentaires utiles, faisantapparaître des risques de différentes natures tels que : - le non-respect des textes, - l’inadéquation de lapolitique sociale aux attentes du personnel, - l’inadéquation aux besoins des ressources humaines.Concernant les firmes européennes (et internationalesen générale), l’alliance inter-firme présente un intérêtconsidérable à plus d’un titre. En effet, grâce aupartenaire local, la multinationale évite les restrictionsinstitutionnelles et accède ainsi plus aisément à denouveaux marchés locaux ou régionaux. Elle peut aussidisposer de garanties d’approvisionnement en matièrespremières locales.

De plus, la restructuration des tissus industriels locauxoffre des perspectives intéressantes : fournituresd’équipements, prestations de services divers dontnotamment l’audit social. En d’autres termes, lesalliances inter-firmes sont des solutions stratégiquesd’implantation sur un territoire mais aussi des armescommerciales, financières et institutionnelles pour lesmultinationales dans la mesure ou elles facilitent leurinsertion grâce notamment aux réseaux du partenairelocale (banque, fichier client, distribution) (Luo , 2001 ;Anand , Delios , 2002).

1.2 Le processus d’apprentissage stratégique des pratiques GRH etsa contribution au développementde l’audit social.

Face à un environnement complexe, les firmes mettenten place des stratégies visant à créer et/ou acquérir denouvelles connaissances. Ce constat souligne l’intérêtcroissant porté par les entreprises aux opportunitésd’apprentissage, particulièrement dans le cadre desalliances. En effet, selon la théorie des ressources etcompétences le socle de la position concurrentielled’une firme correspond à la capacité de cette dernière às’engager dans un mouvement d’accumulation,d’acquisition, de consolidation et de combinaison de sesressources et compétences clés. Ce processus estqualifié d’apprentissage stratégique (De la Ville,Grimaud, 2001). Dans cette perspective, l’entreprisedoit réaliser des apprentissages à un rythme plussoutenu que celui des concurrents. Toutefois,l’acquisition de ressources et compétences n’est paspour autant obligatoirement significative d’accrois-sement d’avantages compétitifs. En effet, cette quêted’apports externes présuppose une capacitéd’accumulation interne à la firme (assimilation etappropriation) (Gherzouli , 1995).Dans le cadre des alliances inter-firmes euro-méditerranéennes, les systèmes de gestion constituentdes vecteurs privilégiés de transferts et d’apprentissagesorganisationnels. (Laval, Guilloux, Kalika, 1998 ;Ameziane, Benraiss, Bentaleb, 2000). La Gestion desRessources Humaines (GRH) est directementconcernée par cet apprentissage (Ameziane et alii,1999). Dans le cadre des JV euro- méditerranéennes, leprocessus d’apprentissage stratégique des pratiquesGRH revêt une importance majeure pour faire face auxfuturs défis auxquelles les firmes seront confrontées. Al’heure actuelle la GRH dans le contexte sudméditerranéen demeure de manière généraleadministrative et non pas stratégique2. Or elle est un

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2 Cf. A. Scouarnec, et Z. Yanat, (2002) ; A. Ben Hamouda, (1992) ;M Ben Ferjani., (1998) ; R. Zghal, (2003a).

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aspect important du système de gestion et représente unfacteur de différenciation et de performances desentreprises (Zghal, 2000 ; Peretti, 2002a). En ce sens, le recours à l’audit social doit permettre auxfirmes sud méditerranéennes d’assimiler les bonnespratiques GRH des partenaires notamment grâce aubenchmarking3. « L’utilisation de référentiels pertinentsest essentielle ; chaque élément constaté prend toute savaleur lorsqu’il peut être comparé avec un référentiel,une norme de comparaison. » (Peretti, 2002a, p.222).L’audit social peut concerner le contrôle de la qualité del’information relative au personnel, celui del’application des procédures internes ou externes, lecontrôle encore de la conformité à la GRH ou de sonefficience. En d’autres termes, cet outil a pour but devérifier la conformité des pratiques de la gestion desressources humaines aux politiques et règles en vigueuret d’apprécier la cohérence et l’efficacité desprocédures mis en place ainsi que le fonctionnement deshommes au travail. Les procédures de gestion desressources humaines concernent notamment lerecrutement, la formation, la rémunération... Les outilsde gestion des ressources humaines représententprincipalement la communication et la gestion descarrières. En somme, l’alliance euro- méditerranéenneest comprise comme une démarche inter-organisationnelle favorable aux apprentissages du faitdes interfaces partenariales. En fait, ces dernièresaugmentent le potentiel d’échanges entre les membreset partant, les possibilités d’acquisition de nouvellesconnaissances par le bais notamment de l’audit social.Néanmoins, il convient de s’interroger sur lesobligations managériales à respecter afin d’obtenir lesdivers apprentissages escomptés.

2. Les implications managériales des alliancesinter-firmes

Le recours aux alliances inter-firmes est devenu, aulong des deux dernières décennies, une optionstratégique de plus en plus appréciée, dans la mesure oùelle offre d’importants avantages potentiels auxpartenaires, participant ainsi à l’amélioration de leurcompétitivité. Néanmoins, telle alternative n’est pasexempte de risques et inconvénients dont lesrépercussions peuvent être néfastes, non seulement pourla coopération, mais aussi pour les firmes impliquées.Ainsi, la gestion d’une coopération repose sur lamaîtrise de sa complexité et de son instabilité. Toute ladifficulté réside dans le fait que deux firmes autonomesdisposant de leur propre réalité stratégique deviennent

interdépendantes dans une interface partenariale plus oumoins longue. Deux formes de complexité sont àdistinguer : celle de l’objet de l’alliance (étendue desactivités...) et celle de son organisation (organisationdes interfaces...) (Philippart P., 2001). De surcroît, le développement des joints venturesinternationales soulève avec une intensité croissante laproblématique relative à ce que l’on nommeaujourd’hui « l’interculturel ». De ce point de vue, dansle contexte de la globalisation, les entreprises et leshommes doivent penser au-delà de leurs frontières. Lesfirmes se doivent de cerner et de considérer lesdifférences culturelles et économiques existantes surdes espaces nationaux variés. Tout système ou style demanagement n’est guère transposable d’un contexteculturel à un autre très différent. En fait, la simpleduplication de pratiques managériales et technologiquesuniverselles dans un contexte culturel différent estinfructueuse. En d’autres termes, la considération desspécificités locales favorisera l’émergence de pratiquesnon pas répliquées mais contextualisées et doncadaptées.

2.1 Gérer une alliance : précision desenjeux.

Les alliances euro-méditerranéennes se reflètentsouvent dans un projet asymétrique dans la mesure oùles objectifs visés par les firmes partenaires sontrarement similaires. Par conséquent, pour éviter unealliance servant uniquement les intérêts de l’une desdeux parties, il est essentiel que les objectifs fixés àl’origine de l’accord soient interdépendants. Aussi,l’instabilité du projet nécessite des conduitescoopératives. Dans le cadre d’une joint venture, lagestion des interactions entre les membres est un facteurdéterminant. Trois groupes de relations sont àdistinguer : les échanges entre partenaires, lesinteractions entre les entreprises partenaires et la JV(c’est essentiellement le contrôle exercé par lesprotagonistes sur la structure commune), et enfin lesrelations au sein de l’entreprise conjointe (Hoon-Halbauer S.K., 1999). La perception de l’importance del’alliance par les partenaires, la confiance entre lesparties, la planification des objectifs et actions, desinterfaces régulières et enfin la répartition équitable desbénéfices sont les principaux facteurs facilitant lacoopération entre les entreprises (Bruce M., et alii,1995 ; Tidd J., Izumimoto Y., 2002).

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3 Pour D. Longbottom (2000), le benchmarking se définit comme unerecherche des pratiques exemplaires. Cette quête consiste à effec-tuer une comparaison des pratiques de la firme évaluée à celles desgrandes entreprises mondiales.

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2.2 L’audit social et la gestion de la diversité culturelle.

Les différences culturelles, les conflits de valeurs, sontles sources de malentendus considérables dans lesinteractions entre firmes (Gauthey F., Ratiu I., 1989).Selon A. Mendez (2001), la diversité nationale seperçoit de plusieurs façons « elle peut être marchande(diversité dans les niveaux de vie, les modes deconsommation, de distribution), culturelle, institu-tionnelle. » (Mendez A., 2001, p.102). Dans le domaine managérial, la diversité culturelle4 semanifeste à travers notamment l’attitude à l’égard de lahiérarchie, l’approche du travail, la manière d’exprimerses opinions... En raison de cette complexité, une JV atout intérêt à adopter une stratégie adéquate afind’éviter les conflits et de tirer profit de la diversité (GaoB., 2002 ; Zghal R., 2003b). En effet, si les culturesnationales influent sur les perceptions des individus, ilest primordial d’en tenir compte dans le managementdes joints ventures internationales et d’adopter ainsi desmodes de gestion adéquats. « Quand pour gérer, il fautsavoir susciter l’enthousiasme de ceux que l’on dirigeet éviter de les scandaliser, on a besoin de comprendrece qui enthousiasme et scandalise » (D’Iribarne P.,1989, p. 266). Cette capacité à comprendre puiss’adapter aux spécificités d’une situation d’interactioninterculturelle est désignée dans le concept decompétence interculturelle (CI) (Hofstede G., 1994 ;Trompenaars F., Hampden-Turner C., 2001 ; Bartel-Radic A., 2003). La découverte des différencesculturelles est fondamentale pour les firmes sur aumoins trois dimensions : le marché, l’organisation dutravail, les processus de décision (Desjeux D., 1998 ;Prime N., 2001). Les firmes doivent donc s’adapter à unenvironnement humain différent (Bollinger D.,Hofstede G., 1987 ; D’iribarne P. et alii, 1998). End’autres termes, l’apprentissage se matérialise par desprocessus d’adaptation de la firme à son environ-nement. Cette adaptation inscrit la firme dans uncontexte propice à de nouveaux apprentissages.L’adaptation passe par la mise en place de structure decoordination entre des individus d’origines différentesafin de stimuler la coopération. Ainsi, la nature et les modalités de rapprochement desdeux entités jouent un rôle primordial dans le processusd’apprentissage stratégique. En d’autres termes, gérer ladiversité consiste à surmonter, dans un environnementmulticulturel, les chocs culturels afin de mettre en placeune organisation et un système de management efficace(rationalisation et maximisation des ressources afind’atteindre les objectifs fixés) (Gao B., 2002)5.L’objectif est bien évidemment de dépasser l’archaïsmedes modes de gestion pour que puisse émerger unenouvelle gouvernance de la firme méditerranéenne.

L’adoption et l’assimilation de pratiques universellesdoit s’opérer en considérant les spécificités locales. Eneffet, la mise en œuvre de nouvelles pratiques estréalisable à condition que ces dernières soient en accordavec l’ensemble des représentions des membres del’entreprise (Tregaskis O et alii, 2001). L’approchecontingente conduit à rechercher ce qui est particulierau contexte et les variables qui l’influencent pour lesprendre en considération dans les pratiquesmanagériales (Zghal R., 2000). Le cas des JV sino-étrangères est à prendre exemple. Dans la plupart de cesdernières les pratiques oscillent entre unestandardisation de pratiques importées dontl’introduction est imposée par la FMN étrangère etl’utilisation de pratiques locales (Charles-Pauvers B.,Wang Z., 2003). Il en émane un modèle de gestionhybride qualifié par M. Warner (2000) de « softconvergence » ou « de soft divergence ». Dans l’espaceeuro-méditerranéen, de nombreuses caractéristiquesdémographiques, économiques, culturelles soulignentun contexte très différent pour les entreprises sudméditerranéennes et celles d’Europe. L’approche contingente semble donc exclure laduplication de modèles importés. En effet, les réalitéslocales d’Europe et du contexte sud méditerranéenn’étant pas les mêmes, les bonnes pratiqueseuropéennes ne sauraient être également efficaces surles territoires du Maghreb et du Maâschrek. Toutefois,de nos jours cette vision restrictive démontre seslimites. De ce point de vue, dans chaque pays, lesentreprises les plus performantes se sont appuyées surdes pratiques universelles. Par voie de conséquence, lalogique de la contingence n’est pas incompatible à cellede la convergence. D’ailleurs, le rapprochement descontextes favorise la convergence des pratiquesmanagériales. En effet, dès lors que les firmes sontconfrontées aux mêmes pressions concurrentielles, ellesoptent pour des pratiques similaires (Gooderham P.N ,Brewster C., 2003 ; Fenton-O’Creevy M. et alii., 2003).De surcroît, avec la volatilité des firmes et les systèmesd’information et de communication, les pratiques sepropagent d’un pays à l’autre favorisant leurhomogénéisation. (Fenton-O’Creevy M., 2003).Actuellement, le débat sur la contingence et laconvergence reste donc ouvert. Il semble qu’une forteconvergence et la persistance des particularismes soientobservées. Les deux phénomènes coexistent donc.Ainsi, mêmes si les entreprises sont soumises à

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4 Selon G. Hofstede, la culture "est par essence une programmationmentale collective ; c’est cette partie de notre conditionnement quenous partageons avec les autres membres de notre nation, maisaussi de notre région, de notre groupe, et non avec ceux d’autresnations, d’autres régions ou d’autres groupes" (Hofstede G., 1987,p.10).

5 Cette adaptation est nécessaire au sein de la JV mais aussi dans lecadre de ses relations extérieures (partenaires, clients d’autrespays…).

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certaines obligations fondamentales universelles(engagement pour la qualité...), l’interprétation et lesmodalités locales d’expression de ces aspects restent leplus souvent spécifiques (Prime N., 2001 ; Peretti J.M.,2002b). En somme, la reproduction désignant la capacité dediffuser les procédés assimilés doit être compléter parl’adaptation représentant l’aptitude à contextualisercertaines pratiques et méthodes. La prise en compte ducouple unité-diversité dans la réflexion et dans l’actionmanagériale en contexte de mondialisation est unimpératif. Cette « intelligence des situations »6 doitpousser les entreprises à se méfier des dangers de lastandardisation. « L’ouverture multiculturelle deséquipes dirigeantes et la diversité des ressourcesculturelles mobilisables forment une composantestratégique du succès des activités internationales »(Prime N., 2001, p. 66). Dans ce contexte, la diversitéculturelle est à considérer dans l’échelle des référents del’entreprise et de l’auditeur (Fray, 2002). Saisir l’aspectculturel permettra de mieux comprendre le climat, lesconditions de travail de l’entreprise, la circulation desinformations et de la communication, les relations dessalariés entre eux et avec leur hiérarchie.

ConclusionDans l’optique des PSEM, la création de la future zonede libre échange avec l’UE engagera leurs entreprisesdans une compétition économique extrêmement sévère.Pour qu’en l’occurrence, l’entreprise sudméditerranéenne puisse relever le défi et remporter dessuccès, elle doit s’ingénier à mettre en pratique avecplus d’habileté des méthodes organisationnelles plusperformantes en articulant harmonieusement différentsmoyens humains, matériels et informationnels, ceuxdont elle dispose et/ou ceux qu’elle est capable demobiliser à son profit. A cet égard, les alliances inter-firmes ont une vocation prépondérante. En effet, ladiffusion de partenariats inter-entreprises peut s’avérerêtre un outil précieux pour le renforcement descapacités concurrentielles des firmes sudméditerranéennes. Les obstacles d’accession àl’intégration économique avec l’UE peuvent êtrefranchis en se joignant à des partenaires étrangerscapables de transférer des compétences et d’unemanière générale de transmettre des modesorganisationnelles et des techniques plus performantes.Dans cette optique le recours à l’audit social est trèsintéressant. L’utilisation de cet outil aboutit à undiagnostic fiable, dont la valeur ajoutée se mesureraavec la mise en application des recommandations quiauront été préconisées par le consultant auditeur. Pourla firme internationale, l’intérêt est d’accéder à denouvelles opportunités sur des marchés nouveaux surlesquels sans un partenaire local leurs chances debénéficier de débouchés seraient rares. En somme,l’enjeu majeur du rapprochement économique etcommercial entre la rive Nord et la rive Sud de laMéditerranée devrait permettre, par le biais notammentdes alliances inter-firmes, d’impulser et d’accompagnerla modernisation des entreprises sud méditerranéennes.Désormais, avec l’émergence d’un bloc régional, amenéd’ici 2010, à jouer un rôle décisif dans le commercemondial, il semble intéressant de s’interroger sur le rôledu processus d’apprentissage stratégique de pratiquesGRH réalisé dans le cadre d’alliances inter-firmes surl’éventuelle convergence des pratiques managérialesdans l’espace euro-méditerranéen. Entre convergence etcontingence ce processus participera-t-il à l’émergenced’un modèle caractéristique de gouvernance entre-preneuriale euro-méditerranéen ?

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6 Expression empruntée à M. Bosche (1993).

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Bilan de compétenceet projet profession-nel : les limites desnormes nationales etorganisationnellesen matière d’orientation professionnelle

Catherine GLEEProfesseur agrégéIAE de Lyon, Université Jean Moulin Lyon III [email protected]

Alain ROGERProfesseur des UniversitésIAE de Lyon, Université Jean Moulin Lyon III [email protected]

La loi sur les Bilans de Compétences est une spé-cificité française en matière d’orientation. Ellevise à favoriser la réalisation de leur projet pro-

fessionnel par les individus et à améliorer la compétiti-vité des entreprises qui développent ainsi l’employabi-lité de leurs salariés. Pourtant, elle est parfois perçuecomme un cadre normatif inadapté, et de nombreusesentreprises mettent en place des outils spécifiques pourmieux répondre à leurs besoins et aux attentes de leurssalariés.C’est le cas de la grande entreprise semi-publique quiest l’objet de l’étude. L’évolution des marchés et destechnologies lui imposent de développer les compéten-ces de ses salariés et de favoriser leur mobilité Elle estconsidérée parfois comme un véritable « laboratoiresocial », à la pointe des innovations en terme de GRH.Elle inclut dans ses entretiens d’évaluation l’expressionde leur Projet Professionnel par les salariés, et elle pro-pose des formations internes à l’orientation profession-nelle, créant ainsi sa norme spécifique.L’étude a été conduite sur la base d’entretiens semi-directifs approfondis avec des responsables et avec dessalariés qui ont suivi ces formations. Les résultats mon-trent que les salariés n’utilisent pas ou très peu le Bilande Compétences proposé par la loi. Le cadre réglemen-taire instituant une norme légale ne suffit pas, mais lanorme instituée par le système interne ne fonctionne pasvraiment non plus : les salariés n’y croient pas. Les rai-sons de cette désaffection sont développées et analysées.

IntroductionL’orientation professionnelle est maintenant au cœurdes problématiques de GRH à travers les questions demobilité et de flexibilité (Michel, 1991 ; Dubar, 1996 ;Loos, 2001), surtout depuis que des pans entiers de l’in-dustrie se sont trouvés confrontés à la question dereconversions massives (Cadin, Guérin et Pigeyre,1997). La transformation des structures de qualificationsur le marché du travail, le passage à un modèle de lacompétence, sont autant de facteurs qui « désorientent »et en conséquence, renforcent l’enjeu de l’orientationprofessionnelle y compris au sein des entreprises(Dubar, 1996). Elle est aujourd’hui devenue un « enjeucrucial » pour les individus en situation d’activité pro-fessionnelle (Bernaud et Lemoine, 2000, p.21) et elle sedéveloppe peu à peu, en tant que fonction dans les gran-des entreprises (Loos, 2001). La presse économique présente la mobilité comme un« enjeu mondial1 » ou comme un « nouveau défi2 » alorsque, paradoxalement, beaucoup d’entreprises disent

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Catherine GLEE et Alain ROGER

1 « L’enjeu mondial de la mobilité interne » Dossier Figaro, 11décembre 2000.

2 « Les défis de la mobilité » Le Monde 01-07 mars 2001 n°1483.

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vouloir fidéliser leurs salariés. Certains évoquent denouveaux types de relations d’emploi comme le« contrat d’activité » (Boissonnat, 1995) signé, nonentre un salarié et un employeur, mais entre une per-sonne et une pluralité d’employeurs pour permettre « deconcilier souplesse productive, évolution du travail etcontinuité des parcours personnels, d’ouvrir de nou-veaux espaces et de nouvelles périodes de mobilité et deresponsabi-lité assortis de garanties en terme d’identi-té socioprofessionnelle, de revenu et de statut »3.Intégré dans les pratiques de GRH, le projet profession-nel, peut conduire à modifier les rôles et la répartitiondes rôles dans l’entreprise. Le recours à « cette notiongestionnaire pousse l’individu à être acteur de sa desti-née organisationnelle » (Courpasson, 1996, p.245). Lepartage des responsabilités semble se modifier : « Gérerl’emploi, c’est avant tout l’affaire de l’entreprise ; gérersa carrière est la responsabilité de chaque salarié. Etgérer sa carrière, c’est bien se connaître, avoir un pro-jet professionnel réaliste et agir en conséquence »(Vermot-Gaud, 1987, p.169). Certains annoncent « unnouveau paradigme de gestion pour le XXIe siècle » où« l’individu autonome et conscient s’identifie à lui-même », évolue dans une « entreprise à la carte » fai-sant de son travail « un élément de son plan stratégiquepersonnel » (Bouchiki et Kimberly, 1999).Cette question de l’emploi et du projet professionnelposée par les praticiens chargés de gérer des ressourceshumaines résonne à un niveau macro-économique :« Donner à chacun les talents qui lui seront nécessairessur le marché du travail pour qu’il n’y ait pas de per-dants, d’exclus et de relégués » sera le prochain défipour tenter de résoudre la question du chômage (Clerc,1999). Elle est à placer dans une perspective « sociéta-le » au sens où elle dépasse les frontières de l’entreprise. Après avoir montré comment les approches de l’orien-tation professionnelle ont évolué depuis la théorie deschoix professionnels jusqu’à la loi sur les bilans decompétences, nous présenterons la méthode de l’étudefondée sur une étude de cas approfondie, puis nous ana-lyserons les conditions de mise en place d’une démar-che de projet professionnel dans l’entreprise concernéepour conclure sur les mesure d’accompagnement néces-saires pour la réussite d’une telle démarche.

1 - L’orientation professionnelle : du choix professionnel au bilan de compétences

Historiquement, le point de départ de cette démarche dechoix professionnel remonte à 1842, quand EdouardCharton publie le « Guide pour le choix d’un état indi-quant les conditions de temps et d’argent pour parvenirà chaque profession, les études à suivre, les attitudes etfacultés nécessaires pour réussir, les moyens d’éta-blis-sement, les chances d’avancement et de succès, lesdevoirs ». C’est le premier Dictionnaire des Profes-sions. Pour tenter de faire correspondre au mieux lespostes aux personnes susceptibles de les occuper sur lemarché du travail, Parsons formule dès 1909 les basesde la théorie des choix professionnels. Il souhaite éga-lement aider les travailleurs à choisir des emplois cor-respondant à leurs aptitudes et à leurs intérêts.Les travaux de Holland permettent ensuite la construc-tion et la mise au point d’outils pour aider au choix pro-fessionnel, outils que les praticiens du « counseling »4

s’approprient et qu’ils utilisent fréquemment (Holland,1997 ; Bujold et Gingras, 2000). Les applications ras-semblent des outils psychométriques, de l’informationprofessionnelle, des formations. Cet outillage considèreles choix professionnels en termes statiques et unidi-mensionnels. Cette rationalisation du processus dechoix présente l’avantage de la simplicité, de l’opéra-tionnalité, au prix cependant de ce que l’on pourraitappeler une naturalisation du comportement humain.D’autres travaux abordent la question du choix profes-sionnel dans une perspective plus dynamique et globale.Ginzberg et ses collègues (1951), en s’interrogeant surles méthodes utilisées par les conseillers d’orientationinitient un courant de réflexions qui vise à comprendrela vie professionnelle et les choix qui l’émaillent danssa continuité. Le développement vocationnel est définitpar Ginzberg à partir de capacités5 acquises de façonconsciente, qui relèvent de la sphère cognitive, et donc

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3 Commissariat général du Plan, rapport de la commission du planprésidée par J. Boissonnat, « Le travail dans vingt ans », Ed. OdileJacob, 1995, p286.

4 Lecomte et Tremblay (1987) définissent le « counselingd’emploi » comme une activité dont le but est d’aider à la prise dedécision pour ce qui concerne l’emploi d’une personne en l’ac-compagnant dans sa recherche et son utilisation de l’informationnécessaire, dans son apprentissage et sa maîtrise des habiletés etcomportements nécessaires à son adaptation professionnelle.

5 Capacité qu’a l’individu de mesurer le réalisme de ses projets- d’ajuster les moyens au but qu’il poursuit- de planifier son action- de différer la satisfaction de besoins immédiats pour la poursui-

te d’objectifs plus lointains.

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sont éducables. Cela fonde et légitime l’intervention deprofessionnels qui aideront à acquérir ou développerces capacités afin d’aider au déroulement du processusde choix professionnel.Les travaux de Super (1995) et de ceux qui sont enga-gés dans son sillage mettent en évidence la complexitécontenue par la démarche de choix professionnel. Leurobjectif est la rationalisation de ce processus complexeafin de le simplifier et de « l’optimiser ». Ils l’étendentégalement à des domaines hors du champ professionnel(activités récréatives, bénévoles...). On trouve dans cecourant de nombreux éléments qui inspirent les mé-tho-des actuelles d’aide à la réalisation d’un projet profes-sionnel et qui conduisent à définir ce projet comme unprocessus de prise de décision en univers incertain. Leterme de « choix professionnel » s’estompe face à celuide « développement vocationnel ». La notion de projetprofessionnel fait son apparition.Les théories développementales, sur la base des travauxde la psychologie cognitive, étudient le choix profes-sionnel en terme d’acte mental et considèrent que l’onpeut l’optimiser grâce à des programmes d’éducationaux choix, c’est à dire en entrant dans un processus d’é-ducabilité cognitive (Grebot 1995, de la Garanderie1987). Il s’agit de « donner les moyens à la personne demieux connaître le sens qu’elle donne à sa vie » (Gilles,Saulnier-Cazals et Vuillermot-Cortot, 1994, p 36). Danscette méthodologie, si les tests pour quantifier, classer,évaluer, demeurent utilisés, on y ajoute des pratiquesd’écoute inspirées de la relation thérapeutique selonRogers (1996). L’intuition rogérienne fondamentale de« positivité du développement humain » s’accorde avecl’idée, présente dans les théories développementales duchoix professionnel, de se définir un style de vie enaccord avec ses valeurs et aspirations. La « thé-rapie centrée sur le client » faite d’écoute empathiqueet d’entretiens non directifs, est reprise et ajustée dansle cadre du « vocational counseling » qui souhaite aiderchaque individu concerné à « réfléchir sur son expé-rience passée (...) à s’interroger sur son degré d’auto-nomie (...) à réfléchir à son degré d’estime de soi »,(Super, 1991, p.14).Sandra Michel définit l’orientation en entreprisecomme une « démarche proposée par l’entreprise àtous les salariés qui le souhaitent afin de les aider à éla-borer eux-mêmes un projet professionnel négociable »(Michel, 1991, p.106). Cette démarche s’inscrit dansune approche anticipatrice des emplois et des compé-tences dans l’entreprise afin de développer une visionplus ouverte de la mobilité. « Orienter, c’est aussi per-mettre aux salariés de faire évoluer leurs compétencesau sein même de l’entreprise, grâce à une meilleureconnaissance des emplois, un bilan des acquis et deslacunes, le choix de formations appropriées » (Merle,1991, p.31). Il s’agit d’un « outil d’anticipation qui per-met aux salariés de s’approprier leur évolution pourune meilleure connaissance d’eux-mêmes et de leur

environnement, et d’acquérir de la méthode pour sepositionner ou se repositionner » (Peretti, 1998, p. 221).Après des débuts difficiles, Sandra Michel (1991) noteque l’orientation professionnelle a « acquis pignon surrue » avec l’institution par le législateur français, endécembre 1991, d’une démarche permettant aux sala-riés de réaliser un « Bilan de Compétences ». Cettemesure se situe dans la lignée de la loi sur la formationprofessionnelle continue qui instaure depuis 1971 uneobligation pour les entreprises de consacrer à la forma-tion de leurs salariés un pourcentage minimum de leurmasse salariale, et parallèlement un droit pour les sala-riés à bénéficier d’un Congé Individuel de Formation.La loi sur le Bilan de compétences octroie à tout salariéou demandeur d’emploi, l’usage d’un droit à faire unprojet professionnel éventuellement sous-tendu par unprojet de formation. Cette démarche vise à mettre enplace des actions ayant pour objet de « permettre à destravailleurs d’analyser leurs compétences profession-nelles et personnelles ainsi que leurs aptitudes à définirun projet professionnel et, le cas échéant, un projet deformation 6 ». Cette intervention du législateur confirmel’importance, non seulement gestionnaire et écono-mique mais également politique, de l’orientation pro-fessionnelle, du fait de l’enjeu qu’elle représente pour« ce qui fut toujours l’un des principaux objectifs de laGRH : la question de l’emploi » (Louart, 1993, p.209).Cadin, Bender et De Saint Giniez (2003) font ressortirqu’il s’agit là d’une spécificité française en matière d’o-rientation : « l’existence de ce cadre juridique fait dubilan de compétences un outil d’orientation quasi-unique en Europe (…) La France a apporté une répon-se de nature institutionnelle à la question de l’orienta-tion professionnelle » (p. 174), mais ils remarquent que,si « l’ouverture à tous de l’o-rientation professionnelleaurait dû conduire à une banalisation des démarchesd’orientation, (…) la mise à la disposition pour lessalariés d’une aide à l’orientation n’a pas été perçuepar eux comme une opportunité. Le contexte de mise enplace des bilans de compétences a dramatisé son utili-sation ; ce qui devait être une chance pour les salariésa surtout suscité de l’indifférence» (p. 176). Ils évo-quent la crainte rencontrée chez les salariés de l’inter-prétation qui peut être faite par l’entreprise de leurdemande à bénéficier du dispositif : cette demanderisque en effet d’être vue comme un aveu d’incapacitéou une intention de départ. Pour réduire ce risque, desdispositions ont été ajoutées à la loi en 1995 pour per-mettre d’effectuer le bilan de compétences hors dutemps de travail. Du côté de l’entreprise, la confidentia-lité des résultats transmis uniquement aux salariés leurpermettait difficilement d’en faire un véritable outild’orientation pour leurs services de gestion des ressour-ces humaines. Selon leur situation, les entreprises

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6 Loi n° 91-1405 du 31 décembre 1991.

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réagissent alors de façons différentes (Michel, 1991) :les « traumatisées », qui ont eu à mener plusieurs planssociaux dans des secteurs en crise, souhaitent mettre enplace des dispositifs permettant d’anticiper les difficul-tés ; les « classiques », entreprises de taille importantequi ont une tradition sociale forte et qui sont confron-tées à des mutations importantes, proposent à l’ensem-ble des salariés une aide à la mobilité via différentsoutils tels que la pratique géné-ralisée des entretiensindividuels ; les « modernes », qui placent au coeur deleur action et de leurs préoccupations stratégiques laquestion de l’orientation professionnelle avec un objec-tif de fidélisation de leurs salariés, utilisent une instru-mentation sophistiquée. C’est le cas de l’entreprise quifait l’objet de notre étude : elle a mis en place des outilsspécifiques en incluant dans ses entretiens d’évaluationl’expression de leur Projet Professionnel par les sala-riés, et en proposant des formations internes à l’orienta-tion professionnelle, créant ainsi sa norme spécifique.

2 - La méthode de l’étudeL’étude de cas

« Technique particulière de cueillette, de mise en formeet de traitement de l’information qui cherche à rendrecompte du caractère évolutif et complexe des phénomè-nes concernant un système social comportant ses prop-res dynamiques » (Mucchielli, 1996, p. 77), l’étude decas nous a semblé particulièrement adaptée à notrerecherche. Eisenhardt (1989) souligne l’intérêt de cettedémarche lorsqu’il s’agit de se « focaliser sur la dyna-mique présente au sein des sites uniques ». Pour qu’el-le ne se réduise pas à une simple accumulation de don-nées issues du terrain, risque souligné par Igalens etRoussel (1998), il faut une démarche de réalisations’appuyant sur un cadre d’analyse théorique élaboré aupréalable. Le choix de l’étude de cas donne à notrerecherche une vocation analytique et non statistique.«Les études de cas, tout comme les expérimentations,peuvent être généralisables à des propositions théo-riques et non à des populations ou à des univers. En cesens, l’étude de cas, comme l’expérience, ne représentepas un échantillon, et le but de l’investigateur est d’en-richir et de généraliser des théories (généralisationanalytique) et non d’énumérer des fréquences (généra-lisation statistique) » (Yin 1994). Ce n’est pas la ques-tion de la représentativité qui importe mais celle de laqualité du cas, c’est-à-dire de sa contribution à l’enri-chissement de la réflexion théorique (Eisenhardt, 1989).

L’entretien et l’observation non participante« Instrument privilégié d’investigation dans le cas derecherches qualitatives» (Friedberg, 1997, p. 142) et« Instrument privilégié de l’exploration des faits dont laparole est le vecteur principal » (Blanchet et Gotman,1992, p. 25), l’entretien est notre principale source derecueil de données. Nous avons opté pour la réalisationd’entretiens dits « compréhensifs » qui permettaientune exploration que nous ne voulions pas superficielle.L’enquêteur, « loin de se contenter de recueillir desdonnées, doit se sentir mobilisé, pour essayer d’allertoujours plus en profondeur » (Kaufman, 1996, p. 48).C’est dans cet état d’esprit que nous avons réalisé nosentretiens en faisant le choix d’une écoute empathique(Mucchielli, 1994, Kaufman, 1996, Blanchet Gotman,1992).Ces entretiens, fondées sur un guide pré-établi, ont étécomplétés par une observation directe non participante(ou « passive »). « L’analyse des documents et desarchives est une opération de structuration d’informa-tions éparses, pour aboutir à un résultat original utili-sable pour le chercheur » (Wacheux 1996). La quantitéimportante de documents rassemblés ainsi que leur den-sité propre ont permis de compléter notre dispositifd’exploration de façon conséquente.

Le contexte

L’entreprise étudiée est une grande entreprise semi-publique française, acteur important au niveau mondialdans son domaine d’activité. Elle a une dimensionemblématique, en partie liée à une politique de gestiondes ressources humaines à la pointe des innovations(stabilité de l’emploi, taux de rotation du personnel,politique de formation, de rémunération ...), souventconsidérée comme « exemplaire » qui en fait pour cer-tains un véritable « laboratoire social ». Dans cetteentreprise, nous avons choisi d’étudier la mise en œuvrede l’outil projet professionnel dans le contexte d’uneunité spécifique de 780 personnes où sont réunies desactivités techniques et des activités tertiaires. Son orga-nisation d’ensemble en fait un centre de pouvoir à partentière, avec l’élaboration d’un plan stratégique, lasignature d’un contrat de gestion annuel, l’élaborationd’un plan de formation spécifique à l’unité, un systèmede valeurs clairement affiché comme guide de manage-ment. Elle vit actuellement une véritable métamorpho-se, en particulier à travers des modifications de structu-re organisationnelle, le développement de l’approcheclient, central dans la stratégie du groupe, la mise enœuvre d’une structure par projets et l’impératif de com-pétitivité.Nous avons rencontré des salariés de tous statuts, appar-tenant à une unité dans laquelle un programme de

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« Projet Professionnel Personnalisé » était mis enœuvre par les dirigeants locaux et où était localisé unnouvel acteur, considéré comme central, le COP(Conseiller d’Orientation Professionnelle). A partir desalariés occupant des positions hiérarchiques fonction-nelles donc facilement repérables sur un organigramme,avons utilisé de la technique de « boule de neige »(Royer et Zarlowski, 1999)7. Nous avons choisi un mode d’analyse centré sur lesthèmes évoqués à propos de notre objet d’étude, c’est-à-dire une analyse thématique. D’après D’Unrug (1974),si l’analyse thématique peut être taxée de subjectivité ou« d’impressionnisme », malgré les efforts de rigueur, ils’agit néanmoins de « la seule méthode applicable lors-qu’il s’agit de retrouver ce qui est dit sur un objetdonné ». Elle permet l’extraction du sens des discoursformant « un ensemble d’images mentales, révélateur demobiles de l’action » (...) un ensemble de rationalisationsdes actes passés de l’individu dans ses relations avec lemonde extérieur » (Wacheux 1996, p. 237).Notre objectif était « d’apprécier l’importance des thè-mes dans le discours plutôt que de la mesurer »(Thiétard 1999). Ce n’est donc pas le critère « nombrede fois » que nous avons retenu pour mesurer l’impor-tance d’une catégorie mais la « valeur d’un thème ».Nous avons complété notre analyse par le repérage des« occurrences amont » et « des occurrences aval »,c’est-à-dire le thème précédant le thème étudié et celuiqui lui succède. Cela afin de dépasser la seule analysede contenu et de formaliser les relations entre les diffé-rents thèmes contenus dans le discours (Thiétard 1999).Nous avons cherché à réaliser un travail « d’imprégna-

tion » qui nous a conduit, dans un premier temps, à uti-liser nos « émotions » pour réaliser une investigation« approfondie, active et productive » du matériau(Kaufman 1996, Berry 1986).Les données collectées par voie d’observation ont étéconsignées dans un cahier de recherche. Elles ont ensui-te fait l’objet de relectures et ont été classées en fonc-tion de trois critères : les « anecdotes » rassemblant desévénements vécus par les acteurs et parfois par nous-même sur le site ; les « ressentis » permettant de contrô-ler notre subjectivité en livrant par écrit nos sentimentset émotions ; et les « descriptions factuelles » rassem-blant les observations de « faits » liées aux choses(espace, mobilier,...) et aux acteurs (vêtements, attitu-des, ...).Une restitution aux acteurs nous a permis de vérifier lavalidité interne de nos conclusions : « Après l’accepta-tion du chercheur et de sa recherche, le deuxième élé-ment de l’acceptation interne est l’acceptation duretour d’analyse, c’est-à-dire des résultats de recher-ches que peut faire le chercheur sur le groupe »(Mucchielli 1994, p. 112).

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Figure 1 – Profil des personnes interviewées

7 « Procédure utilisée pour les populations difficiles à identifier(qui) consiste à trouver un premier répondant qui vérifie les critè-res de sélection définis par le chercheur, (et à demander) à ce pre-mier interlocuteur d’en désigner d’autres, qui seront, eux aussi,susceptibles de présenter les caractéristiques requises et ainsi desuite ».

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3 - Les conditions de mise en place de la démarchede Projet Professionnel

L’introduction de la démarche

Après avoir mis en place un dispositif de gestion prévi-sionnelle des effectifs sur 10 ans au milieu des années1980, l’entreprise introduit dès 1990 un programme degestion anticipée des emplois et compétences (GAEC)dans une perspective plus qualitative. A l’intérieur de ceprogramme prend place l’outil « Projet ProfessionnelPersonnalisé », objet de notre analyse. Ce programmetraduit clairement l’intention de l’entreprise de passerd’une logique de corps à une logique de compétenceaccompagnée des processus d’individualisation qui lacaractérisent. La notion centrale qui traverse tout ledispositif est celle de compétence. L’objectif déclaré estd’inscrire « l’épanouissement professionnel de l’agentet le développement de ses potentiels dans la GAEC ».Il est aussi d’utiliser cet outil afin de passer d’une « ges-tion de carrières » à une « gestion de parcours profes-sionnel », « d’un agent ayant-droit à un agent-acteur »via la gestion des potentiels individuels. La démarcheprojet professionnel personnalisé est le point d’intersec-tion entre les ambitions des établissements et le projetprofessionnel des agents8.On voit ainsi clairement l’outil projet professionnel per-sonnalisé prendre place dans la politique de gestion descompétences et s’articuler avec la démarche GAECdont il est le pendant au niveau individuel. Sa mise enœuvre se fait dans le cadre de l’entretien individuel.« Etape essentielle de la construction du projet profes-sionnel personnalisé ». L’Entretien Annuel comportedeux volets :- le premier volet pour évaluer la situation profession-

nelle actuelle de l’agent à l’aide des critères de perfor-mance et de professionnalisme s’inscrivant ainsi dansle modèle de la compétence et du ma-nagement parobjectifs.

- le deuxième volet qui évoque la question du devenirprofessionnel de l’agent en utilisant la notion depotentiel et en s’inscrivant dans une démarche d’o-rientation professionnelle.

Le projet professionnel personnalisé est à la base de lapolitique d’orientation professionnelle de l’entreprisequi doit permettre « la rencontre du projet des agents etdes besoins de l’entreprise ». Il y a donc clairement unobjectif gestionnaire de « calibrage » des ressourceshumaines aux besoins de l’entreprise dans une perspec-tive anticipatrice et de compétences. L’orientation pro-fessionnelle a pour objectif, de proposer des moyens

permettant à chaque agent d’ « être acteur de son deve-nir professionnel ».Historiquement, cette démarche existait déjà sous laforme des Comités de Carrière pour les agents dits « àpotentiel », elle se systématise et se formalise en tantqu’ « orientation professionnelle » à partir de 1988,avec les missions « Emploi/placement » conçues pourrépondre à la question du redéploiement d’effectifs quel’entreprise commence à connaître. A partir de 1992, lesproblèmes d’emploi se posent avec davantage d’acuitéet leur prise en compte se traduit par la mise en formed’une démarche d’orientation professionnelle. Maisc’est en février 1993 que démarre véritablement la miseen place de l’orientation professionnelle dans l’entre-prise.Comme toute démarche d’orientation professionnelle,elle est basée sur l’anticipation afin de permettre la ren-contre harmonieuse entre les projets des individus et lesbesoins de l’entreprise. Pour cela, elle aide les salariésà « réfléchir sur leur potentiel », « à les accompagnerdans l’élaboration de leur bilan et de leur projet pro-fessionnel ». La démarche se lit à trois niveaux : - un niveau théorique qui renvoie aux théories du déve-

loppement personnel et vocationnel, - un niveau réglementaire constitué par la loi sur le

Bilan de compétences de décembre 1991.- un niveau pratique composé de différents outils 9,

crées et proposés par l’entreprise.A court terme, l’agent peut recourir au service duconseiller emploi/placement. Il peut décider de réaliserun Bilan de compétences dans un centre agréé. A moyenterme, il peut utiliser le levier formation grâce au planindividuel de formation (P.I.F.) élaboré à l’issue del’Entretien Annuel, et il peut envisager une reconver-sion ou une démarche de validation des acquis profes-sionnels, selon le cadre législatif récemment mis enplace. A long terme, c’est une action de conseil en orientation professionnelle qui lui est proposée.La mise en œuvre fait intervenir un nouvel acteur, leConseiller d’Orientation Professionnelle (COP), auxcôtés d’acteurs traditionnels. Le COP est présentécomme un expert dont le rôle est d’apporter un appui aumanagement et un accompagnement aux agents. Il s’ap-

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8 Une note interne intitulée Méthodes et outils du projet profession-nel personnalisé dans le dossier Gérer les compétences aujourd’-hui et pour demain insiste sur la dimension «partage» de la démar-che au sens où elle se joue à trois entre les orientations de l’unité,la hiérarchie de proximité et le positionnement professionnel del’agent. Dans ce jeu, l’agent, grâce à un dialogue renforcé avec sahiérarchie, se projette, à partir de l’évaluation de sa position actuel-le, et des orientations de l’unité, dans son futur professionnel.

9 Ces outils sont : des fiches pratiques proposées pour présenter ladémarche Bilan de compétences, un dossier sur l’orientation pro-fessionnelle, cinq dossiers stratégiques présentant plusieursdémarches constitutives de l’orientation professionnelle : l’analy-se des métiers, projet professionnel personnalisé et le marché del’emploi interne ; la mission de COP ; la gestion des compétencesaujourd’hui et demain.

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parente au conseiller que l’on peut trouver sur le mar-ché de l’emploi en tant qu’intermédiaire entre l’offre etla demande de travail. En conséquence, l’entrepriseinsiste sur l’aspect déontologique de sa mission, sa neu-tralité vis-à-vis de la hiérarchie mais également sa dis-tance par rapport à une démarche de type thérapeutique.Toutefois, cette mission s’inscrit en rupture dans la cul-ture de l’entreprise, dans la mesure où s’instaure un dia-logue très personnalisé et de l’ordre d’une démarche« psychologique » entre l’agent et un autre salarié austatut d’expert. A aucun moment, il n’est fait référenceaux délégués du personnel ou aux représentants syndi-caux comme personne ressource. Quant à l’agent, il estacteur, totalement et uniquement responsable de sonparcours10.L’élaboration de leur projet professionnel par les agentsa pour objectif de permettre à l’entreprise de pouvoirrépondre à ses besoins futurs de compétence. Cela sup-pose une facilité de déplacements sur le marché del’emploi interne en fonction des attentes des uns et desbesoins des autres que la démarche PPP est supposéeapporter. Déclarée « véritable préoccupation avec lapréoccupation d’adaptabilité » par l’un des dirigeantsde l’unité étudiée, la mobilité est au cœur de la questiondu fonctionnement du marché de l’emploi interne.Désormais les salariés dont le projet professionnel per-sonnalisé a été validé par le responsable hiérarchiquepeuvent proposer leurs compétences ou répondre aux« appels à compétence » diffusés via une bourse d’em-ploi télématique qui s’ajoute à l’outil traditionnel depublication des postes vacants dans un bulletin officiel.Plus globalement, le mode de GRH mis en place a pourobjectif de quitter le modèle statutaire pour passer à unmodèle de la compétence dont un des ressorts princi-paux est l’individualisation de la relation d’emploiquand, dans le modèle statutaire, on évoque au contrai-re une culture communautaire et égalitariste. On passeainsi d’un agent investi d’une mission à un salariéacteur de son parcours. Le contexte de métamorphose décrit plus haut se décli-ne dans la réalité vécue par les salariés, et se traduit defaçon très particulière et peut-être même paradoxaleentre, à la fois un attachement fort à l’entreprise et,sinon un rejet, du moins une absence d’adhésion mar-quée à l’outil de gestion proposé par les dirigeants àl’ensemble des salariés, qu’est le Projet ProfessionnelPersonnalisé (PPP).

Le PPP dans la carrière des salariés :de la « transparence » au discrédit

Quoique mis en place depuis maintenant une décennie(1991), le PPP n’est pas un outil connu ou reconnu parles salariés qui s’expriment dans nos entretiens.Lorsque l’on reprend les « définitions naturelles », il n’apas vraiment de signification concrète pour les salariés,

en terme de carrière ou de mobilité. – « En formation, on a dû nous en parler du PPP, mais

pour moi c’est encore un « truc » un peu vague, unpeu nébuleux. Ce n’est pas très clair dans ma tête lePPP » (Salariée cadre, femme qui a suivi une forma-tion, qui s’est soldée par un échec, pour être supervi-seur. 18 ans d’ancienneté).

– « Le PPP, ça ne me dit rien du tout ! Il y a le documentofficiel, pour l’entretien individuel avec la page cen-trale pour faire le bilan des activités de l’agent et sesobjectifs, l’évolution professionnelle qu’il souhaite,mais nous n’avons pas eu franchement d’autres docu-ments » (Salarié cadre, homme, superviseur premièreligne. 22 ans d’ancienneté).

– « Le PPP c’est ce que l’on fait tous les ans. C’est l’en-tretien individuel. Pour moi, c’est mélangé et flou,cela se confond avec l’entretien individuel, parce quededans il y a les formations que l’on souhaite faire, etpuis, on nous demande ce que l’on veut faire (…). UnPPP pour moi c’est de prévoir les formations par rap-port à ce que vous voulez devenir ». (Agent de maîtri-se, femme, 16 ans d’ancienneté).

La confusion peut se faire avec la carrière, et, dans cecas, le PPP renvoie à l’idée de progression statutaire ausein de l’entreprise.– « Le PPP pour moi cela correspond à l’évolution de

carrière. C’est avoir une évolution professionnelle »(Agent de maîtrise, femme, 19 ans d’ancienneté).

– « Un PPP pour moi, je vois cela comme un déroule-ment de carrière, voir comment on peut évoluer ausein d’une entreprise, avec ses compétences » (Agentde maîtrise, femme, 50 ans).

Il peut même y avoir une conception très large en termede « destin », « d’avenir », faisant ainsi apparaître undécalage entre la conception que les salariés ont du PPet la méthodologie très « technicisée » proposée par laDRH. Il ne semble pas clairement perçu dans l’arsenaldes outils déployés par l’équipe dirigeante pour gérerles ressources humaines.– «Le PPP c’est notre avenir. C’est nous aider à nous

améliorer mais je sens bien qu’il y a des choses que jene pourrai jamais faire. Le PPP, c’est améliorer sonavenir, et je pense que nous avons tous envie d’amé-lio-rer notre avenir» (Agent de maîtrise, femme, 38ans).

La présence du COP, acteur central dans la politiqued’orientation professionnelle mise en œuvre, est sou-vent ignorée par les salariés. Lorsqu’elle est connue,cela s’est fait « par hasard », presque par inadvertance,et son rôle est perçu de façon « limitative » : c’est un

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10 Les documents officiels présentent ainsi le COP : « Lorsqu’il (leCOP) détecte une problématique qui sort du champ de son inter-vention, il conseille à l’agent qui le sollicite, l’aide d’acteurs com-pétents (psychologue, médecin du travail, assistante sociale, asso-ciations diverses). Cependant, là aussi, l’agent reste seul maître desa décision et de son cheminement ». (Souligné dans le texte).

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interlocuteur pour ceux qui sont dans une situation déli-cate. Pour les salariés, y avoir recours « stigmatise ». – « Je l’ai appris justement parce qu’une personne avait

rendez-vous avec le conseiller d’orientation ; il m’ademandé où il était et moi je n’en savais rien. C’est àcette occasion que j’ai appris qu’il était à notreétage ! Alors que c’est une personne que je vois régu-lièrement mais je ne savais absolument pas ce qu’ellefaisait ! Mais je n’en sais pas plus (...) Je ne sais pasquel est le profil d’agents qui est traité par cette per-sonne. Est-ce que ce sont des gens qui sont en détres-se, des gens qui cherchent à évoluer alors qu’ils n’yarrivent pas par les moyens classiques ou des gensqui veulent simplement se réorienter et qui cherchentun appui pour savoir comment évoluer ? Je ne saispas... » (Cadre, superviseur première ligne, homme,47 ans).

– « Le COP ? Je ne savais même pas que ça existait.C’est pour les gens qui ont des problèmes non ? Ouqui veulent changer d’orientation ? Non, je neconnais pas. Je connais des gens qui ont fait des testsd’évaluation pour voir leur niveau, c’est tout »(Agent de maîtrise, femme, 31 ans).

Les réactions de déni, d’ignorance ou encore de discré-dit dont le PPP est l’objet de la part des salariés sont àreplacer dans un contexte professionnel quotidien debouleversement radical. La réalité et la force du chan-gement dans la vie de l’entreprise sont exprimées partous les salariés sans exception. Ils font unanimementréférence aux réorganisations qu’ils estiment fréquenteset importantes depuis maintenant une dizaine d’années.Cette situation de métamorphose n’est pas sans consé-quence sur le parcours et le projet professionnel dessalariés. En effet, le changement fréquent donne nais-sance à des comportements d’attentisme, d’immobi-lisme du fait de la perte de repères, de l’absence de visi-bilité et donc de l’impossibilité pour les salariés d’a-vancer dans un espace opaque. Paradoxalement, ils nevoient plus de perspectives d’évolution, là où « avant »(c’est à dire avant 1993), le chemin leur paraissait clair,avec des balises et des signaux fixes.– « On ne voit plus les choses comme avant ! Comment

voulez-vous faire un projet dans quelque chose quibouge tout le temps ? » (Agent de maîtrise, femme, 35ans d’ancienneté).

– « A la limite, même maintenant, ça tourne et ça chan-ge tellement que vous ne savez pas ce que vous allezfaire. On vit pratiquement au jour le jour... On a déjàenvie de comprendre ce qu’on fait et ce n’est pas tou-jours évident (...). On ne travaille que dans l’urgence !Alors, voir son avenir quand on travaille tout le tempsainsi, c’est assez difficile car on ne sait pas ce que çava être dans l’avenir » (Agent de maîtrise, femme, 48ans).

L’illusion du salarié acteur, auteur deson projet professionnelD’une façon générale, plusieurs éléments indiquentdans le fonctionnement du marché interne des blocagesqui limitent la mobilité, et les règles informelles préva-lent souvent sur les règles formelles qui visent à insti-tuer via un processus formalisé11 transparence, fluidité et homogénéité. – « Et puis on m’avait dit : tu verras, c’est mobile, tu

vas pouvoir faire plein de choses, de la formation, ...(…) Mais, la mobilité, on vous en parle beaucoupquand on vous embauche ; on vous demande si vousêtes mobile, ça fait partie des critères d’embauche, etpuis, vous, quand vous voulez partir ce n’est pas tou-jours évident ! » (Agent de maîtrise, femme).

– « Je pense qu’à 90 % les postes qui paraissent sontdéjà pourvus ! » (Agent de maîtrise, femme, 31 ans).

Le poids du réseau peut rendre caduc le processus offi-ciel de candidature sur les emplois. En conséquence, lessalariés, lorsqu’ils souhaitent changer de poste, utilisentdes stratégies « pour se faire connaître » car le « rela-tionnel » peut être déterminant lors des affectations. Lacompétence, l’expérience, l’existence d’un projet précissont, peut-être, des éléments importants pour permettrela mobilité mais le salarié doit également tenir compted’une donne « relationnelle » qui, par définition, nerelève pas de sa seule volonté. – « Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui ont fait car-

rière parce qu’ils connaissaient les bonnes personnes(...) Oui, il faut être au bon endroit au bon moment etrencontrer les bonnes personnes ! » (Agent de maîtri-se, femme, 51 ans).

On peut noter aussi, le rôle déterminant du manager deproximité dans le déroulement du parcours des salariés.– « On est tributaire de notre hiérarchie directe selon

les rapports qu’on a avec elle. Pour vous citer unexemple, j’avais une très bonne cote depuis que je suisrentré (…) et puis je suis tombé un jour sur un chef quine travaillait pas de la même manière (…) et j’ai euune très mauvaise cote, je ne sais pas pourquoi ! ! Etcela faisait 2 ou 3 ans que je ne bougeais plus »(Agent de maîtrise, homme).

La volonté propre des individus se trouve limitée égale-ment par le poids de variables organisationnelles. « Dans certaines branches …, on est mieux classé quedans d’autres » (Cadre, homme, 49 ans).– « Si c’était à refaire, je prendrais un poste dans la

technique, … pas des services généraux comme ça !Avec le recul, j’aurais choisi des services où ça avan-ce assez vite, mais ça on ne peut pas le savoir avant !Il y a des services où des gens montent très vite etd’autres où ça ne bouge pas » (Agent de maîtrise).

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11 Ce processus consiste à présenter dans un bulletin interne, les off-res d’emploi auxquels les salariés répondent par l’intermédiaired’un formulaire, document permettant à leur hiérarchie de prend-re acte de leur candidature.

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Les processus de mobilité des individus sont contraintspar l’ensemble de ces facteurs. La marge de manœuvredu salarié reste limitée, quelque puisse être son souhaitde déplacement au sein de la structure. Cela donne lesentiment que « les jeux sont faits » et que, dans le fonc-tionnement du marché interne, le hasard et la chancejouent un rôle plus important que la volonté et les choixindividuels. Peu de salariés insistent sur l’importance deleur propre action et de leur détermination. Aucun n’é-voque son parcours ou son déroulement de carrière,comme étant l’inscription d’un projet professionnelclair, précis au sein d’une organisation où le marchéinterne offre de très vastes possibilités. Certes, les possibilités d’évolution au sein de l’organi-sation existent, les salariés en sont conscients mais lefonctionnement du marché interne montre ainsi le poidsde différents facteurs qui pèsent sur le projet du salariéet le limitent, parfois même l’inhibent totalement. Lessalariés considèrent qu’une carrière au sein de l’entre-prise dépend d’un certain nombre de facteurs qui leuréchappent au moins en partie. Et, malgré le programmePPP, leur sentiment est que la marge d’autonomie dontils disposent s’est restreinte par rapport à « avant ».

4 - DiscussionNous nous trouvons ici dans un univers culturel ras-semblant une communauté détentrice d’une identitécollective forte, reconnue par un statut commun quiinvestit chaque détenteur d’une « mission de service aupublic ». Ce mythe est en opposition totale, d’une partavec le modèle libéral porté par la suppression des fron-tières économiques au sein de l’Europe, d’autre partavec le « mythe rationnel » véhiculé par le projet pro-fessionnel, outil d’individualisation de la relation d’em-ploi. La transformation est un « arrachement » doulou-reux car elle oblige à se séparer d’une image forte etstructurante (Santo et Verrier, 1993). C’est la raisonpour laquelle nous avons parlé de « métamorphose ».L’outil « projet professionnel » s’inscrit dans unelogique individualiste. Utilisé dans les politiques deGRH, il conduit à des tractations sur un mode marchandentre le salarié détenteur d’un projet et l’organisation, etil tend à substituer une logique « donnant-donnant » àune logique d’appartenance (Michel 1991). Il est doncen dissonance avec la culture organisationnelle de l’en-treprise dans laquelle il ne s’insère pas. C’est la notionde mission dont les salariés se sentent investis qui leuroffre la reconnaissance sociale interne et externe, et quiest pourvoyeuse d’identité. Cette notion est d’essencecommunautaire et non individualiste. Le processus dereconnaissance peut donc difficilement s’alimenter àtravers le projet professionnel et l’idée de salarié-acteur.Il est hors du champ de référence des salariés car la cul-

ture organisationnelle fait barrage à son utilisation : elleprivilégie le registre collectif et ne fournit pas le coded’utilisation d’un outil individualisant comme le projetprofessionnel. Cet outil est alors vide de sens, ce quipeut expliquer « l’ignorance » ou le discrédit dont il faitl’objet.La force du système culturel annihile donc les effetsd’un outil de gestion pourtant implanté avec d’impor-tants moyens matériels, humains et financiers. Les ca-ractéristiques spécifiques de l’outil et le « mythe » qu’ilvéhicule, au-delà de son aspect strictement instrumen-tal, heurtent les logiques d’acteur et les modes de coor-dination des activités. Moisdon (1997) souligne que l’u-tilisation d’un outil résulte d’une co-construction entrel’organisation et l’instrumentation. Or, une constructioncommune suppose accord et entente sur des valeurs par-tagées, ce qui n’est pas le cas dans notre entreprise.Comme il n’y a pas cohérence entre l’outil de gestion etla culture organisationnelle, l’outil ne recueille pas l’ad-hésion des salariés, et il reste inutilisé.Pourtant, on peut observer un fort attachement des sala-riés à leur entreprise. Leur représentation de leur futurprofessionnel est « liée à » et est « fonction de » l’en-treprise où ils se trouvent. Leur champ d’explorationpeut être plus ou moins vaste, mais il reste cependantdans le périmètre de l’organisation. Ce lien, n’est pasalimenté uniquement par des avantages matériels etfinanciers. Il est constitué d’une dimension d’ordre psy-chique, symbolique, culturelle qui compose une identi-té professionnelle. Les salariés expriment leur futur pro-fessionnel par rapport au cadre organisationnel. Leurorganisation est le cadre de référence dont ils ne sou-haitent s’éloigner que de façon temporaire éventuelle-ment, et dont ils ne souhaitent pas se déta-cher quoiqu’ilen soit. La représentation de leur futur professionnel sefait « à partir de » l’entreprise. Tout se passe comme sileur projection avait pour origine l’entreprise et que dece point d’origine, ils envisageaient différentes trajec-toires toujours dans le périmètre orga-nisationnel.L’entreprise est la pierre d’angle à partir de laquelle ilsconstruisent leurs perspectives d’évolution professionnelle. Cette perspective est à l’exact opposé de celle proposéepar le modèle des carrières nomades (Arthur etRousseau, 1996 ; Cadin, 1998). Dans ce modèle, lesocle de la projection est constitué par l’individu et luiseul : un individu-agent qui, dans une démarche derationalité, envisage différentes évolutions profession-nelles hors de tout cadre organisationnel précis. Lessalariés que nous avons rencontrés ne se déplacent passur le marché de l’emploi en fonction de leurs besoinsd’enrichissement de compétences et de leurs désirs pro-pres. Leur identité se trouve confirmée ou infirmée parl’organisation dans laquelle ils se trouvent. Ils ontbesoin d’elle pour être reconnus, et donc pour exister.Face à cette forme d’emprise de l’organisation, certainsparlent de « terrorisme » pour souligner la dimensiontyrannique du projet, « grand consommateur

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d’énergie » dans sa réalisation, et qui peut conduire cer-tains individus au découragement, voire au désespoir(Léauté, 1992). L’imposition d’un modèle qui « enfer-me dans la construction de pseudo-objectifs »(Coquelle, 1994) peut conduire à des comportementspathologiques. D’autres auteurs se demandent « s’il fautse soumettre à l’injonction généralisée du projet »,(Raguin, 1992) ou s’interrogent sur le sens de cette« hégémonie », (Botteman, 1997). Des travaux dans lechamp de la psychologie sociale présentent le projetprofessionnel dans une perspective critique en le défi-nissant comme un processus de « soumission librementconsentie ». Ainsi, Joule et Beauvois (1987) etBeauvois (1994) étudient le projet comme étant compo-sé de dimensions cognitives souvent indépendantes desactions et mettant en œuvre un processus d’intério-risa-tion qui permet de naturaliser les conduites imposéespar l’enveloppe sociale.

Dialectique du projet professionnel au niveau individuelA un niveau individuel, le projet professionnel se révè-le sous l’image du dieu Janus porteur du meilleurcomme du pire. Le projet professionnel comme démar-che heuristique conduisant à l’action peut avoir unevisée libératrice mais il peut être également « une nou-velle façon d’enrégimenter » (Josso, 1992). Sa mise enœuvre au sein d’une politique de GRH peut indiquer unstyle de management responsabilisant qui valorise l’au-tonomie des salariés mais elle peut également s’inscrireau sein de techniques de management manipulatricesque le projet professionnel viendrait parachever.L’appel à la responsabilité individuelle que cet outil dif-fuse peut n’être « qu’une ruse subtile de l’idéologieproductiviste » (Ricoeur 1991). Outil individualisant, ilest l’occasion, pour le salarié, de s’exprimer mais il peutégalement avoir un pouvoir de modelage dans unensemble de valeurs qu’on lui signifie, à l’image de lanotion de « savoir-être » étudiée par Bellier (1998). Leprojet professionnel peut ainsi représenter un outil quioffre « une place de choix à l’individu dans la cons-truction de son devenir » (Cadin, Guérin et Pigeyre,1997, p. 282), tout comme il peut signifier un désenga-gement de l’entreprise dans une relation dont le poids etla responsabilité porteraient entièrement sur les épaulesdu salarié. La conséquence serait alors, non pas unecroissance de l’autonomie mais sa limitation, causée parun renforcement des contraintes.

Dialectique du projet professionnel au niveau organisationnelA un niveau organisationnel, la contradiction s’observeentre le discours et les faits. La demande « leitmotiv »des entreprises est une demande d’implication, d’enga-gement passionné, pour obtenir l’excellence (Aubert etDe Gaulejac, 1991 ; Cardinal, 1993). Face à cettedemande, la littérature du management présente le pro-

jet professionnel comme un outil novateur qui fournitune aide appréciable à tout salarié désireux de prendreen charge sa carrière professionnelle. Or, le contexteéconomique dans lequel ce discours prend place estmarqué par la précarité. Les réorganisations d’entrepri-ses détruisent des emplois et, lorsque d’autres emploissont créés, ils prennent de plus en plus souvent des for-mes atypiques marquées par l’aléa et le court terme. Lessalariés se trouvent ainsi dans des situations de « doublelien » ou d’ « injonction paradoxale » telles queWatzlawick (1972) et les chercheurs du groupe de Palo-Alto ont pu les définir : sommés de s’impliquer dans dessituations précaires, invités à s’investir dans une situa-tion professionnelle mais à être prêts à la quitter si lasituation économique de l’entreprise l’exige. La loyau-té est valorisée mais, dans les faits, c’est le « non-enga-gement » qui prime.

Dialectique du projet professionnel à l’intersection de l’individuel et du collectifA l’intersection entre les objectifs organisationnels etles objectifs individuels, la convergence d’intérêts peutse révéler problématique, et pourtant cette convergenceest indispensable puisqu’il s’agit d’obtenir une perfor-mance globale. « Le management est l’art de transfor-mer le travail d’autrui en performance. La raison d’êt-re du management n’est pas d’obtenir d’autrui un tra-vail. La raison d’être du management est d’obtenir uneperformance, une performance durable » (Galambaud,1998, p.IX). Pour cela, il faut coordonner les activités etles comportements professionnels de l’ensemble desacteurs qui composent l’univers organisationnel (Salais,Baverez et Reynaud, 1999, p. 247). Si l’entreprise esttrop éclatée entre des projets professionnels personnelsque rien ne fédère, elle risque de devenir ingouvernable(Girard, 1994, p. 78-88). A l’inverse, on pourra consi-dérer le projet professionnel comme étant un outil deGRH efficace s’il aide et améliore la coordination desactions au sein de l’entreprise.

Conclusion : La nécessité de l’accompagnement.Pour réussir une démarche d’orientation professionnel-le, deux types de variables doivent être prises en comp-te : celles relevant de l’accompagnement « matériel » etcelles relevant de l’accompagnement « humain ».Concernant l’accompagnement « matériel », il s’agit demettre à la disposition des salariés des formations adap-tées à ce genre de démarche. Qu’il s’agisse d’interve-nants internes ou externes, il nous semble important de

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proposer aux salariés, dès lors qu’ils sont invités à réali-ser leur projet professionnel, une formation spécifique àcette démarche et animée par des professionnels de l’o-rientation qui ne soient pas démunis face au travail demaïeutique qui la compose. L’accès à l’historicité per-sonnelle, à la construction et à la conduite de son deve-nir, qui est finalement l’enjeu central du projet profes-sionnel, ne peut être fait, volontairement ou non, à lalégère. Car au-delà de la question de l’efficacité, se posecelle de l’éthique : on ne peut demander à des individussalariés de s’engager sur une voie d’exploration person-nelle qui peut être plus ou moins problématique, plus oumoins acrobatique, sans prévoir la présence de « guides» compétents qui sauront baliser le parcours et accom-pagner le cheminement. C’est, de plus, un bon moyenpour motiver et inciter à s’engager dans cette marche. Al’inverse, faire réaliser l’accompagnement uniquementpar le superviseur dont le métier n’est pas l’orientationprofessionnelle ou un conseiller non spécialiste de l’o-rientation ne permettra pas d’aller très loin, ne motive-ra pas les salariés et décrédibilisera à la fois l’outil etcelui qui l’actionne.Le suivi est important car une difficulté ou une incapa-cité de l’entreprise à gérer ce dont elle a fortementencouragé la production, décrédibilise à la fois le mana-gement des ressources humaines et le programme insti-tuant la pratique du projet professionnel. Or, c’est biencette défaillance qui est exprimée par les salariés : lesuivi de leur projet professionnel, lorsqu’ils l’ont réa-lisé, est aléatoire et problématique et cela est lié, le plussouvent, au rôle du superviseur : un taux de rotationélevé à ces postes, des changements organisationnelsfréquents, des phénomènes d’appartenance ou non à des« réseaux »… autant d’éléments qui font achopper laréalisation du projet professionnel. Une solution possi-ble serait la mise en place d’une procédure visant à sys-tématiser, en le simplifiant, le travail du suivi ainsi qu’à« faire mémoire », c’est-à-dire à laisser une trace préci-se et normalisée de la mise en œuvre du projet profes-sionnel au sein de la carrière de façon à ce que toutsuperviseur arrivant dans une équipe dispose d’un his-torique lui permettant de poursuivre le travail entreprispar son prédécesseur. Cette action au niveau du superviseur direct signifie unrenforcement du rôle de la DRH. En effet, pour que leprojet professionnel soit utile aux salariés dans la gestionde leur carrière, il importe que la fonction ressourceshumaines soit présente et impliquée dans le suivi des par-cours professionnels afin de venir en aide aux supervi-seurs et de compléter leur action. Finalement, une répon-se adaptée de l’organisation à cette question du suivi neréside pas dans un effacement du rôle de la GRH au pro-fit du salarié « entrepreneur de soi », « acteur » de sacarrière, « nomade » sur le marché du travail, mais aucontraire dans une réaffirmation de son rôle pour répon-dre aux exigences liées à la pratique du projet profes-sionnel et aux attentes qu’elle a pu faire naître.

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Bilan de compétence et projet professionnel :les limites des normes nationales et organisationnelles en matière d'orientation professionnelle

Catherine GLEE et Alain ROGER

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L’employabilitédes salariés :Source de compétitivité dansles réorganisationset restructurationsdes entreprises

Robert HATEGEKIMANACEROG, IAE AIX en [email protected]

Le monde est marqué par une évolution rapide,technologique, industrielle et commerciale.

Selon Dent (1995),nous sommes à l’aube de latroisième grande révolution industrielle. Après celle dumoteur et celle de la division du travail, surgit celle dela spécialisation autour du client et du résultat. Celle-cia conduit les entreprises à se réorganiser et serestructurer (Bouin et Simon, 2003). Pour lacompétitivité, la règle dans les restructurations etréorgani-sations des entreprises, est d’offrir des biens etdes services selon les quatre exigences essentielles dechaque client : sur mesure, qualité irréprochable, offreimmédiate, service personnalisé en 1re ligne. Seuls lessalariés motivés, capables de s’adapter et développerleur employabilité, capables d’une relation humaineavec le client, peuvent satisfaire ces exigences (Dent,1995). Les compétences et l’employabilité des salariéssont alors au cœur de la compétitivité des entreprises(Dent, 1995 ; Ravignon, 2003 ; Jolis, 1998 ; Gratton,2002). L’employabilité des salariés est un investis-sement socialement responsable et par conséquent, elleest à intégrer dans les normes internationales.

1. IntroductionL’univers économique des entreprises est marqué parune grande concurrence et une très forte compétitivité.Les entreprises se réorganisent et se restructurent pourmieux répondre aux besoins du client et du marché.On comprend bien que pour s’adapter avec précisionaux besoins des clients, il faudra quitter le monde de lagrande série, multiplier des services. Au niveau de lacompétitivité de l’entreprise, la nouvelle spécialisationautour du client, recourt alors à une notion où chaqueemployé ou une petite équipe des salariés auto-dirigéeet aux fonctions multiples travaille sur un problème ouun besoin particulier du client (Jolis, 1998 ; Dent,1995). Ainsi, la flexibilité des employés, leuradaptabilité ou leur employabilité sont vitales pour lacompétitivité de ces entreprises qui se réorganisent et serestructurent et qui utilisent tous les moyens nécessairespour résoudre un problème particulier du client et dumarché. Cette nouvelle économie (Dent, 1995) visealors à résoudre des problèmes des clients sur mesure etelle a besoin d’adaptabilité, de flexibilité et de rapiditédes salariés. Cet environnement économique de plus enplus perturbé et très concurrentiel de ces entreprisesréorganisées et restructurées, exige alors de salariés, dela souplesse et de la réactivité orientée vers l’obtentiondes résultats sur mesure autour du client (Franck etRamirez, 2003 ; Ravignon, 2003).

C’est seulement en orchestrant les changements par labase (Dent, 1995), en s’appuyant sur l’employabilitédes salariés motivés (Gratton, 2002), que l’entreprise

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réorganisée ou restructurée peut faire la différence etêtre compétitive sur le marché en créant de la valeurpour lui (Bouin et Simon, 2003). Pour qu’elle soitcompétitive, il faut que tout son personnel soit impliquédans le processus de réflexion et de compétitivité à laconquête du marché et du client (Jolis, 1998). Pourmaintenir, améliorer sa performance et sa compétitivité,l’entreprise doit savoir développer l’engagement de sessalariés (Kinlaw, 2003). Dans cette nouvelle révolutionéconomique (Dent, 1995), le secret pour réussir est demettre chacun de ses employés en position de prendredes initiatives, de découvrir de possibilités ignorées,d’agir, d’essuyer des échecs, d’apprendre, d’être aucontact avec le client et le marché. Autrement dit,s’adapter et surtout développer son employabilité(Barjou, 1997 ; Finot, 2000).

Cela signifie du coté de l’entreprise un nouvelengagement plus concret qu’un catalogue de bonnesintentions pour favoriser des initiatives individuelles etdévelopper l’employabilité de ses salariés (Dent, 1995)et la volonté d’améliorer les conditions de travail et lerespect des normes internationales. Pour être compétitive, dans cette nouvelle èreconcurrentielle des organisations restructurées,l’entreprise devra restaurer l’initiative humaine etsurtout la responsabilité des salariés (Gratton, 2002)tout en respectant les normes internationales. Les restructurations étant des opérations de recherchede productivité et de compétitivité (Thierry et Tuillier,2003), ce qui importe, c’est de redonner de l’importanceà l’initiative individuelle, à la responsabilité dessalariés. Chaque employé travaille alors pour desclients. Il sera évaluer sur un résultat concret etmesurable. L’entreprise a alors, la responsabilité d’aiderses employés à s’adapter, car la clé de succès desrestructurations ne repose que sur l’adaptabilité etl’employabilité des salariés. Celle-ci suppose lesmeilleures initiatives individuelles des salariés d’uncoté et le talent en affaires des petites équipes de l’autre,mais aussi sur les moyens et les conditions de travailmis en œuvre par l’entreprise pour connecter entre euxtous ces potentiels (Thierry et Tuillier, 2003 ;Chaminade, 2003).La formation, l’information, la politique sociale etsalariale joueront donc un rôle majeur pour aider lessalariés à s’adapter aux nouvelles technologies, à desrestructurations et réorganisations, à développer leuremployabilité afin de répondre aux exigences du clientet du marché (Franck et Ramirez, 2003) et permettre lacompétitivité de l’entreprise (Ravignon, 2003 ; Jolis,1998) dans un contexte international.

Comme l’environnement se modifie, l’entreprise vachanger, se réorganiser, se restructurer, former denouvelles alliances, développer des nouveaux marchés,essayer de nouvelles stratégies et assimiler les

nouvelles technologies dans un environnement mondial(Thierry et Tuillier, 2003). Aujourd’hui, les structuresde l’entreprise et les relations au travail sont soumises àun changement permanent. Certaines entreprises ontappris à s’accommoder de ce phénomène. Dans lanouvelle politique sociale et salariale de l’entreprise, leseul moyen de motiver réellement l’employé est de lemettre à la tête de sa propre affaire (Gratton, 2002).Aujourd’hui, on accorde de la valeur presqueuniquement aux motivations personnelles. La seulerécompense capable d’entretenir la motivation à lacompétitivité est de diriger une affaire qui impliquel’employé dans cette course. Dans la compétitivité desentreprises par les employés chacun doit se sentir partieprenante d’un changement qui le concerne (Kinlaw,2003).

Dans ce nouvel environnement mondial concurrentiel,l’employabilité des salariés est la clé de la productivitéet de compétitivité (Jolis, 1998 ; Finot, 2000). Lesrémunérations des salariés seront donc liées à leurscapacités de s’adapter, et à leur volonté d’évoluer etd’occuper une position plus importante dans le groupe.Quand le personnel bénéficie d’une informationcontinue, il se règle sur le rythme propre de l’entreprise.Les initiatives se développent pour s’adapter auchangement rapidement (Thierry et Tuillier, 2003) etrépondre aux besoins du client (Dent,1995).On ne réussit pas sans communiquer clairement sesintentions aux gens concernés par les mutations, lesréorganisations, les restructurations et les stratégiesadoptées. Les employés doivent s’impliquer effecti-vement dans le processus. Ils ont besoin d’une visionconvaincante. Ils ne veulent pas seulement savoirpourquoi les mutations, les réorganisations, lesrestructurations, sont positives pour l’entreprise, maispourquoi elles sont positives pour eux, quels bénéficesils peuvent en tirer (Tiberghien, 2003) ? Alors,l’implication des salariés est essentielle, car la qualité etla compétitivité ne peuvent être obtenues par lecontrôle. Seul l’engagement et l’employabilité peuventamener le salarié à se dépasser et à améliorercontinuellement la performance et la compétitivité del’entreprise (Kinlaw, 2003).

Dans la course à la concurrence et à la compétitivitémondiale, il est nécessaire aux salariés de développer denouvelles compétences, de s’adapter et développer leuremployabilité afin de résoudre les problèmes du clientet le satisfaire (Tiberghein, 2003). Les entreprisesdevraient miser davantage sur cette adaptabilité etemployabilité de leurs salariés qui sont garants de leurcompétitivité (Dent, 1995) en améliorant les conditionsde travail et en respectant les normes internationales.

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L’article apportera des réponses à trois questions :

- Dans la course des entreprises à la concurrence et lacompétitivité internationale, l’employabilité dessalariés est-elle un investissement socialementresponsable ? Quel est le rôle de l’employabilité dessalariés dans cette course à la compétitivité et quelssont les acteurs ?

- Quelles sont les stratégies adoptées par les salariéspour développer l’employabilité qui leur permet des’adapter dans les réorganisations et restructurationsactuelles des entreprises ?

- Et enfin, comment l’entreprise socialement respon-sable pourrait-elle aider ses salariés à s’adapter oudévelopper leur employabilité dans les restruc-turations et réorganisations actuelles des entreprisestout en respectant les normes internationales ?

2. A qui la responsabilité de développerl’employabilité des salariés dans restructurations et réorganisations desactuelles entreprises ?

Thierry (1995) définit l’employabilité commeétant : « la capacité du salarié à s’adapter à diversessituations de travail et à évoluer vers différents emploisen interne ou en externe de l’entreprise sur le marché dutravail ». Cette définition a l’avantage d’inclure à la foisla dimension interne et externe, mais aussi individuelleet collective à travers les conditions de gestion desressources humaines. La construction de l’employa-bilité des salariés relève alors de la responsabilité deplusieurs groupes d’acteurs. Parmi ces acteurs, nouspouvons citer les plus importants :

2.1. L’entrepriseMalgré la course des entreprises à la concurrence et à lacompétitivité internationale, l’entreprise garde laresponsabilité sociale envers ses salariés. Maintenir etdévelopper l’employabilité des salariés, est à la fois unenécessité pour l’entreprise, car celle-ci gagne àdévelopper chez ses salariés des compétencesrecherchées et diversifiées qui peuvent lui procurer unavantage distinctif, des gains de productivité, de

flexibilité et de compétitivité gage de survie dans unenvironnement mondial en turbulence et incertain(Waterman et al., 1994). Dans des réorganisations etrestructurations actuelles des entreprises, développerl’employabilité des salariés ou leur capacitéd’adaptation à occuper un autre emploi en internecomme en externe, permet leur sécurité par rapport àl’emploi mais aussi leur implication dans l’entreprise.En développant l’employabilité interne de ses salariés,l’entreprise permet d’une part de s’ajuster à l’évolutiondes marchés et d’autre part d’avoir de compétencesnouvelles des salariés qui lui permettent de s’adapter àl’évolution technologique, industrielle et commercialeet de compétitivité. Un bon management des hommes etdes femmes participe à la création de l’avantageconcurrentiel et à la compétitivité, car il donne àl’entreprise une ressource unique ou au moinsrelativement rare difficile à copier et donc uneimportante valeur stratégique (Franck et Ramirez,2003).Le modèle de ressources et des compétences estime quela valeur d’une entreprise ne se mesure pas seulement àses actifs tangibles, mais également aux ressources etaptitudes du capital humain que renferme l’entreprise(Gratton, 2002). C’est cette approche de l’entreprise pardes ressources humaines qui la place à l’origine dedifférences de performances avec les autres (Tuval,2000) et qui la permet plus de compétitivité par rapportà ses semblables du même secteur d’activité. Cesressources humaines qui sont sources d’avantagesconcurrentiels, l’entreprise doit les conserver et leurassurer les conditions de travail juste et équitable selonles normes internationales.

C’est dans ce cadre que la Société AccountabilityInternationale (SAI) a élaboré la norme internationaleSA 8000, dans le même esprit que les normes ISO 9000et ISO 14000.Les entreprises certifiées SA 8000,s’engagent à ce que leurs fournisseurs de partout dans lemonde assurent des conditions de travail juste etéthique. La norme de SA 8000, couvre 9 domaines: letravail des enfants, le travail forcé, la sécurité et la santédes travailleurs, la liberté d’association, la nondiscrimination, la discipline, les horaires de travail, larémunération et le management. Dans ces conditions detravail juste selon les normes internationales,l’employabiulité des salariés serait à intégrer dans larémunération et le management du capital humain.

Dans la même veine, la norme AA 1000 a étédéveloppée par l’Institut for Social and Ethical AccountAbility. Même si elle ne donne pas lieu à unecertification, elle porte sur la qualité de lacommunication et l’implication de toutes les partiesprenantes de l’entreprise. Elle vise la responsabilisationparticulièrement axée sur le dialogue avec les partiesprenantes, l’intégration et l’audit. Cette norme vise à

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assurer la qualité des responsabilités de l’audit et desrapports sur le comportement social et éthique.L’employabilité des salariés intéresserait alors cettenorme.

Le maintien et le développement de l’employabilité dessalariés de l’entreprise constituent alors un élément quela stratégie générale de l’entreprise ne peut ignorer(Rigollet, 2001) et doit utiliser dans sa visée deréorganisation ou restructuration d’autant plus quel’inimitabilité du savoir-faire humain en fait unavantage concurrentiel primordial. Notre environ-nement change, souligne Rozan (2003) mais, la naturehumaine reste ce qu’elle est, et c’est au meilleur d’elleque se crée la valeur. Selon lui, une entreprise quiexcelle, donc qui crée de la valeur et reste compétitivesur le marché, est celle qui a su s’adapter aux besoins dumarché et de la clientèle, réunir et motiver les talents deses salariés qui excellent ensemble et individuellement.

Ainsi, l’employabilité recouvre l’obligation pourl’entreprise d’entretenir les capacités productives de sessalariés, de les faire évoluer et de les enrichir à mesuredes progrès techniques, industriels ou commerciaux(Barjou, 1997). La visée économique de l’adaptabilitédes salariés présente à la fois les coûts liés aurecrutement et les performances économiques et surtoutle degré de compétitivité que l’entreprise peut espéreren aidant ses salariés à s’adapter en développant leuremployabilité. En effet, la perte d’un salarié obligel’entreprise à supporter des coûts directs (dépensesd’intégration, de formation du remplaçant, perted’expérience) et indirects (transfert de savoir-faire à laconcurrence, image de l’entreprise etc). Ainsi, desraisons évidentes de coût orientent l’entreprise versl’adaptabilité et l’employabilité de ses salariés ;maisaussi l’adaptabilité ou l’employabilité des salariéspeuvent permettre la fidélisation des clients àl’entreprise (Finot, 2000).

Salmon (2000) fait remarquer que la globalisation del’économie a généré une concurrence de plus en plusagressive ; elle exerce une très forte pression sur lescoûts. Le prix du capital et des matières premières étantalors fixé presque mondialement, pour l’entreprise, lamasse salariale reste la principale composante descharges sur laquelle, il est possible d’agir. Dans lesrestructurations et réorganisations actuelles desentreprises, dans leurs comptes des résultats, onconstate que la masse salariale est désignée souventcomme la cause principale des difficultés financières etsa diminution sera désignée alors comme une solution.Le pouvoir de l’entreprise sur le coût unitaire de la maind’œuvre ou des matières étant très limité, la diminutionde l’effectif est tout naturellement la variabled’ajustement à sa portée. Ainsi, les entreprisesréajustent leur effectif dans le sens de la précarité. Les

périodes de pointe sont surmontées par l’appel à deseffectifs précaires : travail temporaire, contrats à duréedéterminée, travail à temps partiel, travail à domicile(Dent, 1995 ; Tiberghien, 2003). Il s’agit de minimiserles coûts en obtenant une adéquation aussi précise quepossible entre la charge de travail techniquementnécessaire pour satisfaire la demande et le nombre depersonnes employées (Ravignon, 2003).Dans cet environnement incertain et soumis à unchangement perpétuel, à partir du moment oùl’entreprise ne peut plus garantir la permanence del’emploi, elle a la responsabilité de limiter au moins lerisque de chômage de ses salariés. En développant leuremployabilité qui leur permettent de s’adapter ets’intégrer plus facilement dans les nouvellesrestructurations et réorganisations actuelles. Lessalariés partenaires dans cette relation d’emploi baséesur l’employabilité et l’adaptabilité –employés etentreprise–, devront de leur coté demeurer attentifs àl’entretien et à la transférabilité de leurs compétences,et surtout au maintien et au développement de leuremployabilité (Finot, 2000 ; Peretti, 2000).Pour les conditions de travail justes qui respectent lesnormes internationales, développer l’employabilité deses salariés, deviendrait ainsi une nouvelle responsa-bilité sociale de l’entreprise qui consolide une relationd’emploi durable avec ses salariés même sur le marchéactuel du travail où s’exerce la concurrence et lacompétitivité.

Dans un environnement où la globalisation del’économie a généré une concurrence de plus en plusagressive (Salmon, 2000), pour construire uneorganisation flexible, durable et compétitive, il fautimpliquer les ressources humaines (Thévenet, 2000) etune telle démarche suppose la convergence des valeursde l’entreprise et de ses salariés (Rozan, 2003 ; Dent,1995).L’amélioration des performances de l’entreprise et sacompétitivité sur le marché, repose alors surl’implication individuelle de ses salariés (Tuval, 2000).Cette notion d’implication dans l’entreprise de plus enplus utilisée, désigne un processus d’influencemutuelle, une relation réciproque entre le salarié etl’entreprise. Pour le salarié, le sentiment d’appartenir àl’entreprise, son désir de demeurer dans l’organisationse développeront difficilement si l’entreprise n’offrepas aux projets individuels du salarié des occasions dese fondre dans un dessein collectif de l’entreprise.L’implication du salarié résultera alors de laconvergence des buts de l’entreprise et de la personne(Thévenet, 2000). Elle génère de l’efficacité d’un cotéet de la satisfaction de l’autre.Pour développer l’employabilité de ses salariés, sourcede la compétitivité l’entreprise qui respecte les normesinternationales aurait l’obligation d’informations et detransparence quant à ses objectifs stratégiques et leurs

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conséquences en matière d’emploi, de profils, descompétences exigées aux salariés sur ses emplois.L’entreprise devra informer les salariés des emploisvacants en interne mais aussi des possibilités offertessur le marché de l’emploi en externe (Roy, 2003).L’entreprise peut s’engager sur d’offres externes enouvrant leurs systèmes d’information sur les emploisdes autres entreprises par création des systèmes departenariat ou des liens entre différents marchés dutravail. L’entreprise a la responsabilité sociale nonseulement de donner de l’information, mais aussid’aider les salariés à l’utiliser afin d’explorer desnouvelles opportunités d’emploi en interne comme enexterne (Harlé, 2003 ; Cadin et al., 2003 ; Finot, 2000).

Dans une politique d’employabilité des salariés, lesgestionnaires soucieux du respect des normesinternationales, doivent encourager la mobilitétransversale des salariés. Ils devraient encouragerl’employabilité de salariés par l’apprentissagepermanent des salariés en leur offrant des formations àcaractère général (compétences générales) oul’acquisition des compétences transférables et mettre àleur disposition des espaces de mobilité avec desdonnées mises à jour sur les opportunités du marché dutravail en interne comme en externe, national etinternational. Dans les conditions de travail justes, lesystème de rémunération devrait récompenser aussil’acquisition des nouvelles compétences etl’employabilité, reconnaître la flexibilité et la mobilitédes salariés (Finot, 2000 ; Peretti, 2000).

Mais on peut se demander ce qui pourrait motiver uneentreprise à investir dans le développement descompétences générales d’une main d’œuvre de moinsen moins fidélisée ?

Et quel intérêt peut avoir une entreprise à investir parexemple dans une formation de ses salariés qui peuventse faire embaucher ailleurs et peut-être même partirpour la concurrence ?

Alors que la plupart d’employeurs pourraient voir cetype d’investissement sur le capital humain commerisqué et coûteux, certains auteurs comme Galunic etAnderson (2000 ; Gratton, 2002 ; Thévenet,2000 ; Chaminade, 2003) pensent plutôt que ce typed’investissement développe chez les salariés uneimplication, un attachement affectif, un esprit deloyauté, une sorte de gratitude. Ces comportementssouhaités compensent alors les risques voire lesannihiler et permettent par conséquent à l’entreprised’être compétitive. Leur approche reconnaîtexplicitement l’impact des gestionnaires et de leurschoix dans les décisions d’aider le salarié à s’adapter età acquérir des nouvelles compétences.Elle montre la supériorité des décisions d’accumu-

lations des savoirs et des compétences transférablesdans la durée, mais aussi les risques des décisions desentreprises de courte vue dictée par des exigences deflexibilité ou d’économie de coûts. Personne ne peutremettre en question l’idée que les salariés ont laresponsabilité ultime de développer leur employabilité,mais le gestionnaire qui ne voit pas le développementde son personnel comme une de ses responsabilitésfondamentales, voit sa tâche à trop court terme. Leshommes comme les ressources matérielles outechnologiques d’une entreprise ne peuvent serenouveler et s’améliorer d’elles même. L’employ-abilité et le développement du personnel permettentd’assurer les compétences des ressources humaines à lacompétitivité de l’entreprise aujourd’hui et de demain(Stephany, 2003).

Ces auteurs reconnaissent qu’en investissant dans ledéveloppement des compétences à caractère général,ces compétences acquises ouvrent des possibilités demobilité sur le marché du travail du salarié, mais cetinvestissement développe aussi chez ce dernier unsentiment de loyauté et d’implication à l’entreprise.Cette loyauté et cette implication sont celles quipourront expliquer que les salariés aient envie detravailler durement pour l’entreprise et devenir parconséquent compétitive sur le marché (Simon, 1991).C’est donc le degré d’implication dans l’entreprise quipermet à cette dernière de s’approprier des ressourcesen capital humain et la rente des investissements qu’ellea réalisée dans ses salariés à travers sa compétitivité surle marché (Rozan, 2003).

D’autres auteurs pensent que malgré les restructurationset réorganisations actuelles et la concurrence, lesentreprises qui investissent sur leurs ressourceshumaines n’ont pas disparues. Elles sont conscientes des’exposer à du débauchage, mais elles considèrentplutôt qu’elles en tirent un avantage immédiat au niveaudu recrutement en attirant des meilleurs candidats(Cadin et al., 2003 ; Chaminade, 2003).D’après Chaminade (2003), l’entreprises de référence,par conséquent celle qui attire des meilleurs élémentspour sa compétitivité sur le marché, est celle quivalorise un capital humain en assurant un managementdes hommes équitables et s’oriente sur ledéveloppement de l’employabilité de ses salariés à longterme. Selon lui, l’employeur de choix est attractif parcequ’il peut proposer un emploi dans une entreprisedifférente, qui possède une vision à long terme et quireplace l’être humain au cœur de son organisation. Cetemployeur ou entreprise de référence serait celle qui :- Démontrer son engagement dans le développement

continu des compétences de ses salariés et des actionscorrespondant à ses exigences.

- Connaître l’importance du rôle confié à ses salariés enterme de criticité, d’impact sur la satisfaction du client

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et de création de valeur.- Gérer des compétences et maintenir l’employabilité

de ses salariés.- Prendre en compte les valeurs du personnel dans la

création de la culture de l’entreprise pour assurerl’adhésion de tous les acteurs.

- Considérer la satisfaction de l’employé et sonattachement à son entreprise, non pas comme un dûmais comme une récompense.

Chaminade (2003) et Gratton (2002) considèrent que lecapital intellectuel et humain est un véritable moyen decréation de valeur de l’entreprise. Cette richesse doitalors se gérer comme toutes les autres et c’est pourquoiles gestionnaires devraient mettre en place un systèmede gestion des compétences et d’employabilité dessalariés.

Une politique de responsabilité sociale sur le long termeest un investissement socialement rentable pourl’entreprise. Elle contribue naturellement à la durabilitéde développement de l’entreprise en cohérence avec lesattentes de ses clients et de ses salariés puisqu’ellecontribue à leur fidélisation, à leur satisfaction, et à leurimplication (Rozan, 2003).De nombreuses études tendent à montrer le lien entrel’accroissement de la productivité, la compétitivité etles politiques de responsabilité sociale de l’entreprise.De nombreux auteurs soulignent que de plus en plusd’entreprises sont entrain de comprendre que lesmeilleures compétences et l’employabilité des salariéspermettent de maintenir un avantage compétitif etd’obtenir de très bonnes performances. Ellesconsidèrent alors que les salariés sont des personnesdans lesquelles il faut investir. En conséquence leuradaptabilité ou leur employabilité est aussi une missionde l’entreprise comme le profit et la création de valeur.

Le monde du travail actuel est caractérisé par desréorganisations et des restructurations des entreprises,des relations moins durables, une grande mobilitéexterne des salariés et des passages plus fréquents sur lemarché du travail (Tiberghien, 2003). C’est le degréd’implication et d’adaptation des salariés dans cesmouvements qui permettent à l’entreprise des’approprier des ressources en capital humain et la rentedes investissements qu’elle a réalisée dans ses salariés.Ces ressources humaines se transforment d’un centre decréation de coût en un nouveau moyen de création devaleur et prennent le nom de capital humain(Chaminade, 2003). Même dans les restructurations etréorganisations, les gestionnaires devront alors intégrerl’idée qu’il est de leur responsabilité à tous les niveauxde montrer qu’ils se préoccupent de leurs salariés endéveloppant leurs compétences et leur employabilitéindépendamment de fait de savoir s’ils resteront ou pasdans l’entreprise. Le développement d’une relation à

long terme, durable entre l’entreprise et le salarié trouveses assises dans la satisfaction, l’équité perçue,l’implication dans la relation et la confiance entre lesdeux parties en présence seraient donc à l’origine d’uncomportement de fidélité (N’Goala, 1998), derésistances aux opportunités externes.Avec le développement de l’employabilité de sessalariés, l’entreprise escompte du salarié descompétences professionnelles avérées, une contributionélevée ou une forte valeur ajoutée, une motivation sansréserve communiquée aux clients, une grandeadaptabilité au changement, qui permettent d’assurer lacompétitivité à l’entreprise (Tiberghien, 2003).

Même dans les réorganisations et restructurationsactuelles des entreprises, l’employabilité des salariés estle pilier de la compétitivité. Ces entreprisesréorganisées et restructurées cherchent à conserver lessalariés en place dès lors qu’ils détiennent des savoir-faire indispensables à la compétitivité de l’entreprise.Elles évitent que leur départ à la concurrence affaiblisseleur position car les répercussions tant économiques(réduction des coûts liés au recrutement etaccroissement de la performance commerciale) quesociale (transmission des compétences et image externede l’entreprise) n’en seraient vraisemblablement quemeilleures (Chaminade, 2003).Le personnel est fondamentalement créateur de lavaleur pour les clients et cette valeur créée doit avoir unsens pour lui.Dans le respect des normes internationales, il appartientalors à l’entreprise de s’interroger notamment sur lemaintien et le développement de l’employabilité de sessalariés, comment la maintenir, la développer et la faireprogresser (Bouin et Simon, 2003).

Le salarié a aussi un grand rôle à jouer pour s’adapter etdévelopper son employabilité, autrement dit dans lesnormes internationales, il a la responsabilité sur soncomportement social et éthique.

2.2. Le salariéDans la course à la compétitivité des entreprises, lessalariés ont un grand intérêt à développer leuremployabilité. L’employabilité est l’affaire de tous lessalariés parce qu’on se sent plus valorisée quand on saitfaire quelque chose. Ensuite parce que si l’on est amenéà devoir quitter une entreprise quelle qu’en soit la raison(restructuration, réorganisation), il devient plus facilede retrouver une autre entreprise (Harlé, 2003 ; Barjou,1997 ; Finot, 2000) sur le marché de l’emploi.La relation d’emploi durable est fondée sur un échangeimplicite de croyances et d’attentes réciproques entrel’entreprise et les salariés.Ce contrôle psychologique invisible, mais nécessaire

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repose sur l’équité du couple « contribution-rétribution ». Le salarié attend de l’employeur qu’ilaméliore sa compétence, développe son employabilité,et son expérience pour pouvoir retrouver un emploi àl’extérieur en cas d’accident de parcours, qu’il attribueun salaire élevé en cas de toute performance ainsi qu’unépanouissement personnel grâce à une gestionindividualisée de carrière (Tiberghien, 2003).Les salariés partenaires de l’employabilité, source decompétitivité, dans les restructurations et réorgani-sations des entreprises devront de leur côté demeurenttrès actifs et attentifs à l’entretien et à la transférabilitéde leurs compétences, au développement de leuremployabilité.Le salarié a l’intérêt d’élargir ses portes feuilles decompétences, à stimuler la capacité à s’adapter, bougerd’une fonction à une autre, d’un poste à un autre etmême à s’investir dans des projets répondant auxexigences de son emploi.

Les salariés doivent aussi intégrer l’impérieusenécessité de l’entreprise d’offrir des biens et desservices à haute valeur ajoutée pour le client et donc lanécessité complémentaire surtout dans lesrestructurations et réorganisations de ne garder que lessalariés qui contribuent à cette création de la valeur(Chaminade, 2003).

Les salariés doivent être conscients que la nouvellegestion des ressources humaines dans lesrestructurations privilégier un mode de gestion de maind’œuvre fondé sur les ajustements à court terme. Cettenouvelle gestion des ressources humaines est fortementindividualisée et poursuit un double objectif : d’une partrepérer les collaborateurs à haut potentiel pouvantcontribue à la compétitivité de l’entreprise, d’autre part,écarter ceux dont les performances sont médiocres. Lesalarié doit s’adapter à ces exigences, sinon il est écartédu marché du travail. Le salarié dans les réorganisationset restructurations actuelles des entreprises, sur lemarché du travail incertain et trop mouvementé, doitporter la responsabilité de sa performance, de sonadaptabilité et de son employabilité (Dent, 1995).

Le salarié doit être conscient de ce qu’il coûte àl’entreprise et de ce qu’il rapporte. Si on connaît savaleur ajoutée souligne Harlé (2003), ou sa valeurmarchande selon Barjou (1997), et sa position dansl’échiquier de l’entreprise (Dent, 1995), il est possibled’anticiper plus facilement les risques d’unlicenciement. On est aussi mieux armé pour négocierune nouvelle augmentation de responsabilité ou un plande mobilité (Dent, 1995).

Les entreprises ont la responsabilité d’aider les salariésà s’adapter, à développer les connaissances et lescompétences, autrement dit leur employabilité. Ces

derniers savent que s’ils n’ont pas les compétencesdemandées ou requises au bon moment, ils risquentd’être licenciés (Chaminade, 2003). Le salarié estconscient de poursuivre ses propres intérêts tout enétant à l’écoute des intérêts de l’entreprise (Dent, 1995)

Hall (1996) considère que les salariés doivent faire faceà la compétitivité d’un marché de l’emploi plus hostileet sont fortement préoccupés de savoir commentvaloriser leur capital humain, le développer mais ausside bien le vendre (Barjou, 1997). Ils ont alors besoin dedévelopper continuellement des compétences généralesqui peuvent être utilisées dans d’autres emplois ou pard’autres employeurs dans des nouvelles restructurationset réorganisations, accroître leur mobilité, car leursécurité par rapport à l’emploi tient au développementet au maintien de leur employabilité. Selon Dent (1995)et Harlé (2003), plus un salarié possède descompétences générales et transférables, plus il estemployable, moins la probabilité de vivre de périodeslongues de chômage est forte même sur le nouveaumarché de l’emploi dans les réorganisations etrestructurations des entreprises. Alors les salariés sontdes acteurs de leur employabilité (Finot, 2000) quidevrait intégrer les normes internationales dans ledomaine de rémunération et management.

2.3. Les organisations syndicalesLes organisations syndicales ou représentatives jouentaussi un rôle important dans le développement del’employabilité des salariés surtout en matière del’évolution des carrières et des rémunérations (Thierry,1995).Rozan (2003) fait remarquer que dans la situationactuelle des entreprises, la lutte est pour la création dela valeur. Dans cette lutte, l’employé n’est pas, n’estplus, en lutte contre l’employeur, et l’employeur n’estpas, n’est plus l’ennemi de l’employé : l’employé etl’employeur luttent ensemble au sein de la communautéqui est l’entreprise. Selon lui, la création de la valeur estl’obsession moderne et positive qui remplace la luttedes classes, qui est une obsession appartenant au passéeet aujourd’hui désormais négative. Actuellement, dansles entreprises, les volontés se fondent et les énergiess’unissent pour triompher de l’ennemi externe qui est leconcurrent et pour gagner le marché et les faveurs duclient en vue d’une compétitivité durable del’entreprise. Certes, une fois la valeur créée, le combatgagné, la question de répartition se pose, mais selon luiavec en réalité peu d’acuité et la lutte des organisationssyndicales est orienté plutôt sur celle des licenciementsmassifs que celui des rémunérations, sur celle del’employabilité des salariés. Pourquoi ? Parce quel’entreprise tout entière (actionnaires, dirigeants) aintégré le facteur humain comme facteur indispensable

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à la création de valeur et de la compétitivité et tout lemonde souhaite rémunérer du mieux possible ceux qui,chacun à son échelon, chacun à sa place savent la créer(Rozan, 2003 ; Dent, 1995 ; Tuval, 2000). Lesorganisations syndicales encouragent les salariés àdévelopper leur employabilité et demandent auxentreprises d’aider les salariés dans cette voie pourpouvoir retrouver un emploi en cas de licenciement. Lesorganisations syndicales ont un rôle à jouer dans lerespect des normes internationales comme la formationdes salariés, leur employabilité, les horaires de travail,les conditions de travail, la rémunération, lemanagement, etc.

2.4. L’ÉtatL’État va jouer un rôle important dans l’employabilitéde salariés notamment dans sa politique de formation debase de tous les salarié et par la mise en place dereformes négociées après concertation qui favorisentdes initiatives individuelles et collectives.Thierry et Tuillier (2003) soulignent que la constructiondes stratégies économiques partagées par des systèmesde veille économique permanente dans les entreprises etune volonté de doser spécialisation et diversificationsont des rôles prioritaires de l’Etat.

3. Quelles sont les stratégiesadoptées par les salariéspour développerl’employabilité dans lesréorganisations et restructurationsactuelles ?

3.1. Méthodologie de recherche etéchantillon

Pour déterminer les stratégies adoptées par les salariéspour développer leur employabilité, notre étudeempirique a été réalisée auprès de 1000 cadresd’entreprises, de profils différents et qui exercent leursactivités dans des secteurs très différents les uns desautres. Elle montre la diversité des stratégies adoptéespar les salariés afin de s’adapter et s’intégrer dans les

restructurations et réorganisations actuelles desentreprises. Sur 1000 questionnaires distribués, nousavons reçu 426 réponses dont 411 exploitables, soit untaux de réponse de 41%.

Les stratégies de maintien et de développement del’employabilité adoptées par les salariés sont évaluées àpartir de 23 énoncés. Les répondants devaient indiquersur une échelle de Lickert de 7 points, à quel degré (Pasdu tout d’accord à Tout fait d’accord), les actions ou lesintentions, les stratégies de développer l’employabilitéqui s’appliquent à eux.

3.2. Les méthodes d’analyse statistiqueAfin d’analyser les données de notre étude, nous avonsutilisé les analyses factorielles exploratoires. Nousavons d’abord vérifié certains postulats de base ; nousn’avons trouvé aucune donnée extrême. De plus lesdonnées de notre étude sont normales (aucune valeurélevée de kurtose et d’asymétrie) et linéaires.

3.3. Présentation des résultatsNous avons effectué une analyse en composantesprincipales avec une rotation orthogonale afin d’évaluerles principales stratégies adoptées par les salariés pourmaintenir et développer leur employabilité. Cetteméthode présente l’avantage de simplifier la structuredes facteurs et de rendre l’interprétation plus aisée.Nous avons utilisé la méthode de Kaiser afin dedéterminer le nombre de facteurs présents. Nous avonsalors obtenu trois facteurs avec une valeur propresupérieure à 1. Le pourcentage de variance expliquéepar ces facteurs est de 60%, ce qui est acceptable pourune étude exploratoire comme la nôtre.Le premier facteur fait référence à la dimension« formation-information » (études, formation, réseaud’information relationnel ou professionnel). Ce facteurregroupe 11 énoncés qui font ressortir les stratégies dessalariés pour maintenir et développer leur employabilitépar la formation et l’information. Les énoncés dufacteur « formation-information » présentent uncoefficient de consistance interne de 0.79.Le second facteur comprend 5 énoncés évaluant la« mobilité » comme la seconde stratégie des salariéspour développer leur employabilité (changement deposte, de service ou d’entreprise, de lieu géographique)des salariés pour développer leur employabilité. Lesénoncés de la dimension « mobilité » notent uncoefficient de consistance interne de 0.70Le troisième facteur porte sur « le développement etorientation professionnelle » (entretien annuel, bilandes compétences, projet professionnel, projetsspécifiques pour développer ses compétences). Il se

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compose de 7 énoncés. Ils affichent un coefficient deconsistance interne de 0.68.Après avoir identifié les principales stratégies dessalariés pour développer leur employabilité, nous avonsvoulu vérifier si les variables individuelles comme l’âgeou le sexe des salariés exercent une influence surchacune de ces trois principales stratégies adoptées parles salariés pour maintenir et développer leuremployabilité. Nous avons vérifié aussi si la taille del’entreprise dans laquelle les salariés travaillent aurait

également une certaine influence sur stratégiesadoptées.Au niveau méthodologique, nous avons catégorisé cesvariables individuelles (âge, sexe) et de l’emploi (taillede l’entreprise) pour les apprêter à une analyse de lavariance. Ces variables « âge » et « taille del’entreprise » et même le « sexe » du salarié ont uneinfluence significative sur les stratégies adoptées par lessalariés pour développer leur employabilité

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L’employabilité des salariés : Source de compétitivité dans les réorganisations et restructurations des entreprises.Robert HATEGEKIMANA

Tableau 1 : Facteurs identifiés par l’Analyse en Composantes Principales sur les stratégies des salariés pourdévelopper leur employabilité.

* Poids : contributions factorielles des items après rotation.Méthode d’extraction : Analyse en Composantes Principales. Méthode de Rotation : Varimax avec normalisation de Kaiser.

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3.4.1. Maintenir et développer sonemployabilité par la formation etl’information.

Développer son employabilité par la formation etl’information est une source de compétitivité pourl’entreprise dans laquelle travaille le salarié.L’information et la formation sont utiles non seulementaux salariés mais aussi à l’entreprise.Pfeffer (1998) souligne que, même motivés, lesemployés ne peuvent contribuer à l’efficacitéorganisationnelle s’ils n’ont pas l’information suffisantesur les dimensions importantes de la réussite del’organisation. Selon lui, les pratiques de partaged’information sont à la base même de l’implication desemployés dans leur travail. Par exemple, les employésdoivent connaître les orientations de leur organisation,ses stratégies, pour être en mesure de coordonner leur

travail avec les objectifs de cette dernière. Sansinformation, il est également difficile pour les employésde formuler des suggestions d’amélioration del’efficacité et de compétitivité de l’organisation. Enl’absence de partage d’information fiable et utile, lesemployés peuvent difficilement adopter descomportements de mobilisation, notamment descomportements d’alignement stratégique, d’adaptationet d’amélioration continue en vue de satisfaire le clientet par conséquent de permettre à l’entreprise plus decompétitivité. Cette relation est également soulignéepar Wills et al., (1998) qui affirment que pour être enmesure d’effectuer un travail de qualité les employésdoivent avoir des raisons et des possibilités des’engager stratégiquement. L’engagement est possibledans la mesure où les employés sont informés despriorités et stratégies organisationnelles de l’entreprise.

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L’employabilité des salariés : Source de compétitivité dans les réorganisations et restructurations des entreprises.Robert HATEGEKIMANA

Tableau 2 : Résultats de l’analyse de la variance des variables individuelles sur les différentes dimensions stratégiques del’employabilité des salariés.

* Le Test « F » est significatif

3.4. Discussions des résultatsFigure1 - Stratégies des salariés pour maintenir et développer leur employabilité et responsabilité sociale de l’entreprise.

Maintenir et développer son employabilité

Formationet information Mobilité Développement et

orientation professionnelle

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Pour développer leur employabilité, certains salariésdépensent du temps et de l’argent pour se former, pouracquérir des nouvelles compétences génériques àl’entreprise ou même des compétences transférables surle marché de travail externe à leur entreprise (Finot,2000). D’autres encore créent et entretiennent desréseaux d’information relationnelle ou professionnelleleur permettant d’avoir des informations sur l’évolutiondu marché de l’emploi interne ou externe et ses besoinsau niveau des compétences afin de s’adapter et répondreaux besoins de celui-ci (Finot, 2000 ; Dent, 1995 ;Thierry, 2002). D’autres encore se réservent une partiede leurs plages de loisirs pour se former, acquérir denouvelles connaissances, se remettre à niveau afind’éviter l’obsolescence de leurs compétences.

L’entreprise devrait alors être à l’écoute de ses salariésqui décident et qui choisissent de développer leuremployabilité par cette voie stratégique « formation-information ». Elle devra alors offrir un niveau élevé depossibilités de formation-information et de dévelop-pement de leurs compétences (Lawler, 1986) ; car unecompétence qui n’évolue pas, qui ne s’enrichit ni parexpérience ou échange, ni par la formation, est unecompétence condamnée à disparaître. Aujourd’hui, lesjeunes générations (25-35 ans) des salariés qui érigenten credo les valeurs telles que l’intérêt au travail, lesresponsabilités, l’autonomie, intègrent plus volontiersque leurs aînés cette nécessité d’enrichir en permanenceleurs compétences par la formation et information et semontrer plus ouverts sur leur environnementprofessionnel, social, national et même international(Thierry, 2002)Aujourd’hui, les entreprises se battent sur des marchéshyper concurrentiels, fusionnent ou se séparent, seréorganisent et se restructurent. Elles attendent de leurpersonnel qu’il soit réactif, mobile, performant (Roy,2003). Certaines de ces entreprises restructurées etréorganisées investissent dans des formationsapprenantes, qualifiantes. Pour ces entreprises,développer une politique de formation, qui maintient etdéveloppe l’employabilité de leurs salariés, c’estd’abord lutter contre la spirale de l’échec en empêchantle salarié de perdre confiance en lui-même (Finot,2000). Un salarié à l’aise dans son travail est en toutelogique productif et professionnel. Au 1er niveau, laformation va jouer un effet de tremplin de sécurité pourle salarié. Elle multiplie les opportunités de créer ,rebondir et dépasser ses compétences. Au secondniveau, elle garantit au salarié un sentiment de valeur,d’efficacité personnelle. La formation demeure alors lemeilleur outil d’acquisition ou de perfectionnement descompétences, et des connaissances ; le meilleur outilstratégique de développement de l’employabilité. Etdonc, le meilleur allié du salarié qui entend prendre unepart active à la performance compétitivité de sonentreprise. Dans ces nouvelles structures (réorgani-

sations et restructurations), le salarié a tout intérêt àentreprendre une formation apprenante car touteacquisition de connaissances et de compétencesconstitue un nouvel atout pour le développement de sonemployabilité et par conséquent un atout sur le marchédu travail interne ou externe (Tiberghein, 2003).Pour accroître ses chances de développer une formationen vue de son employabilité, il faut être capable demontrer à l’entreprise le bénéfice qu’elle en tirera.Beaucoup d’entreprises se montrent inquiètes de voir lesalarié formé partir chez le concurrent. Car outre sonabsence, il y a de fortes chances ou de risques que lesalarié, une fois sa formation terminée ne se transformeen un demandeur d’augmentation de salaire ou pire endémissionnaire en puissance. On ne peut pas non plusnégliger le fait qu’il soit capable d’offrir à laconcurrence contre une substantielle augmentation derevenus, son nouveau savoir. La formation est unestratégie d’employabilité des salariés pour pouvoirs’adapter à des nouvelles structures et organisations,accéder à des nouvelles responsabilités, pour envisagerune possibilité de se reconvertir ou se repositionner surle marché et de ses exigences, pour réussir une mobilité,pour diminuer le taux d’échec, par l’intérêt personnel.La formation permet ainsi de réduire un niveaud’incertitude ou augmenter ses chances de réussir enacquérant des nouvelles connaissances, de nouveauxsavoirs- faire, de nouveaux savoirs- être. C’est donc unmoyen d’accroître ses possibilités d’action et decompréhension. Se soucier de son avenir, anticiper leschangements dans son métier ou dans son entrepriseessayer de ne pas être pris au dépourvue sont despréoccupations qui doivent faire partie de la viequotidienne du salarié qui désire développer sonemployabilité (Thierry, 2003 ; Dent, 1995).A la vitesse à laquelle évoluent certaines technologies,ne pas se tenir informé, c’est prendre le risque de voirses compétences professionnelles menacéesd’obsolescence à très court terme. La formation sansinformation, c’est un peu comme la science sansconscience : le salarié doit connaître le monde danslequel nous vivons, connaître le fonctionnement dumarché sur lequel son entreprise opère, mais aussi laconjoncture économique nationale et mondiale (Dent,1995). Ni l’entreprise, ni ses salariés ne vivent à l’écartdu monde ; au rythme de la mondialisation, on ne peutpas prétendre faire sa carrière sans tenir compte del’environnement économique national ou international.Le salarié doit alors se tenir informer, se former. C’estson aptitude à savoir s’emparer d’une information utileet à en saisir rapidement les enseignements qui estdéterminante.

L’entreprise a donc la responsabilité sociale d’aider etd’encourager ses salariés à s’informer et se former, àdévelopper leur employablité et leurs compétences pourfavoriser leur adaptation aux transformations

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organisationnelles permanentes (Thierry et Tuillier,2003)Dans le respect des normes internationales, lesentreprises devraient veiller à ce que leurs partenairespartout dans le monde assurent des conditions de travailjuste dont la formation et l’information des salariés.

3.4.2. Maintenir et développer sonemployabilité par la mobilité.

La 2e stratégie des salariés pour s’adapter à desréorganisations et des restructurations actuelles desentreprises et à la dynamique du marché de l’emploiactuel, est la mobilité qui permet de développer descompétences nouvelles dans des domaines variés etd’améliorer la valeur marchande du salarié (Barjou,1997) aussi bien pour l’entreprise que sur le marché dutravail national ou mondial.Engagées dans une compétition d’autant plus rudequ’elle s’élargit au monde entier, les entreprises ont unbesoin de flexibilité. Et pas seulement en termes detemps et de travail, mais aussi des tâches et parconséquent des organigrammes. Les entreprises doiventmiser sur une plus grande mobilité et flexibilité de leurssalariés. Les restructurations et réorganisations actuellesdes entreprises telles que les rachats, les fusions, lesacquisitions, obligent les salariés à s’approprier ainsi unpérimètre en permanente évolution au niveau national etmondial. Il est important que les salariés puissent êtremobiles et saisir des opportunités d’emploi en internecomme en externe sur le marché d’emploi national ouinternational (Thierry, 2002). En changeant d’activités ou de services, et mêmed’entreprises ou de lieu géographique national ouinternational, les salariés développent des capacités às’adapter à différentes situations et sont donc mieuxpréparés à d’éventuels changements ou réorganisationsdes entreprises (Finot, 2000 ; Dent, 1995 ; Roy, 2003).Dans un environnement imposant des réactualisationspermanentes, ce n’est plus l’entreprise ou l’organisationqui établit la carrière de l’individu (Hall, 1996 ; Thierryet Tuillier, 2003) mais ce dernier doit se constituer lui-même un capital humain, c’est-à-dire un stockd’expériences et de compétences à proposer sur lemarché du travail (Barjou, 1997 ; Hall, 1996 ; Thierry,2002 ; Dent, 1995). Ainsi, un individu doit être mobilepour faire progresser son employabilité, car la mobilitéaccroît l’enrichissement du capital humain du salarié etaccroît en conséquence sa valeur marchande sur lemarché de l’emploi dont l’entreprise profite alors(Barjou, 1997 ; Finot, 2000 ; Veiga, 1983).

L’accès à l’information par le développementnotamment des nouvelles technologies de l’informationet de la communication (NTIC), de plus en plus souventaccessible depuis le lieu du travail du salarié, est uneporte ouverte sur l’extérieur même au niveau mondial et

favorise un comportement proactif et de mobilité dusalarié. C’est dire que les salariés ont le choix ousélection d’entreprises susceptibles de les accueillir(Dent, 1995). Roy (2003) fait remarquer qu’il est même courantaujourd’hui de changer d’employeur sans même quitterson bureau, car face à des marchés de plus en plusfluctuants, les entreprises doivent sans cesse fairepreuve de plus de réactivité. Elles suppriment certainesactivités, en développent des nouvelles, se restructurentet se réorganisent, créent de nouveaux produitsproduisent plus vite et à moindre coût. Elles doiventalors s’adapter continuellement en modifiant leursstratégies ou les priorités. Donc autant des défis pourl’entreprise, mais aussi autant d’opportunités pour lesalarié qui sait s’adapter à cette situation ou à cetenvironnement mondial changeant grâce à sa fortemobilité (Dent, 1995).

Selon Roy (2003), si ces réorganisations et restruc-turations des entreprises sont parfois synonymes decompression d’effectifs, ces mouvements sont aussi etdans le temps pourvoyeurs d’opportunités en internecomme en externe pour les salariés, à condition que cesderniers soient capables de se positionner en termes decompétences sur le développement futur de l’entreprise.Cela suppose que le salarié a su gérer et éviter que sescompétences ne soient menacées d’obsolescence parl’immobilisme (Peretti, 2000), car réorganisations etrestructurations sont des accélérateurs de temps. Celasuppose aussi que le salarié s’est toujours tenu informéde mutations en cours dans son développementprofessionnel afin de pouvoir pressentir ce quepourraient être les nouvelles orientations de sonentreprise ou du marché de travail externe national ouinternational (Dent, 1995).

L’évolution des techniques, l’internalisation de marchésprovoquent une certaine obsolescence des compétencessi bien qu’il ne s’agit plus pour le salarié seulementd’apprendre dans sa jeunesse mais plutôt, chercher àconnaître, produire, agir, s’adapter et apprendre tout aulong de la vie au fur et à mesure qu’on change decontexte national ou international (Roy, 2003).

Maintenir et développer l’employabilité et le potentielde son personnel permet à l’entreprise d’envisager avecsérénité des mutations d’envergure (Tuval,2000 ;Gratton, 2002). L’entreprise fait donc peser surson personnel une exigence d’adaptabilité et d’employ-abilité (Chaminade, 2003). Et toute personne ayant untant soit peu d’ambition de carrière se doit de maintenirson potentiel, son employabilité, précisément cettecapacité à apprendre, à s’adapter, à bouger, tout au longde la vie qui lui permet de répondre à cette exigenced‘adaptabilité permanente (Dent, 1995).Egalement la concurrence plonge les entreprises dans

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une profonde incertitude sur la pérennité de leursmarchés (Rigollet, 2001), si bien qu’aucune d’entreelles ne peut plus promettre à l’employé un emploi àvie, que toutes doivent simultanément licencier, muter,réorganiser, restructurer, recruter des personnes pourqui, ce sont autant de traumatisme de carrière (Hall,1996).Si quelqu’un a effectivement du potentiel, s’il ena appliqué l’intelligence, l’habilité et la sagesse àdévelopper des compétences qui ne sont pasuniquement spécifiques à son entreprise mais aussitransférables au niveau national qu’international, ilpourra les faire valoir dans d’autres organisations, dansces nouvelles restructurations et réorganisations. Cesera l’employé qui aura su s’adapter par la mobilité etdévelopper ainsi son employabilité (Chaminade, 2003).

L’entreprise a alors la responsabilité sociale de favoriserle développement de l’employabilité de ses salariés parla mobilité, c’est d’ailleurs son intérêt.Les projets de mobilité des salariés seront d’autant plusencourageants qu’ils rencontreront les projets del’entreprise. Comme la formation, il est donc importantpour le salarié de préparer ce projet de mobilité dansune relation constructive avec l’entreprise. Avec lesmoyens dont il dispose, le salarié qui souhaite évoluer àl’intérieur de son entreprise ou même sur le marché del’emploi externe, n’a d’autre choix que de se tenir prêt,en permanence, à saisir les opportunités qui lui sontoffertes. Qu’elles se présentent sous la forme d’uneoffre de formation (acquisition de nouvellesconnaissances) ou plus directement d’une prise defonction nouvelle avec responsabilités plus importantes.Il peut également tenter de précéder l’évènement en

agissant tel un offreur de services qui propose sescompétences sur un tel ou tel projet en cours dedéveloppement dans l’entreprise (Barjou, 1997). Lesalarié doit comprendre que savoir s’arrêter, ne pas sefocaliser en permanence sur son travail ou sur sacarrière, c’est aussi la gérer (Thierry, 2002).

La responsabilité sociale de l’entreprise estd’encourager aussi les salariés à développer nonseulement l’employabilité interne mais aussi descompétences transférables qui pourraient les aider àdévelopper et profiter de la mobilité externe sur lemarché de l’emploi, national ou international.Dans un marché de l’emploi globalement favorable, lamobilité externe est aujourd’hui considérée commenormale, voire saine. La responsabilité sociale del’entreprise est d’encourager les salariés qui se prêtent àla mobilité interne ou externe, nationale ouinternationale, dans cette démarche d’adaptation et dedéveloppement de leur employabilité, car le manque demobilité est cité parmi les causes principales del’inemployabilité des salariés (Peretti, 2001).Dans le respect des normes internationales, lesentreprises devraient veiller à ce que les conditions de

travail et de mobilité soient justes et qu’ils permettentaux salariés de développer leur employabilité.

3.4.3. Maintenir et développer sonemployabilité par le « développementet orientation professionnelle »

Une entreprise qui accepte d’investir dans ses employésen adoptant des pratiques de développement descompétences crée un environnement au sein duquell’employé sent qu’il peut progresser et se développer(Gratton, 2002) et par conséquent contribuer à lacompétitivité de son entreprise. Comme le soulignentPfeffer et Veiga (1999), les pratiques de formation ou dedéveloppement des compétences permettent auxemployés d’acquérir et de maîtriser les outilsnécessaires afin d’initier des changements dans leurtravail et de prendre des responsabilités. Ces pratiques,permettent aux employés d’avoir plus de contrôle surleur travail. Elles permettent aussi de pouvoir s’engagerplus aisément dans des comportements d’améliorationet de compétitivité, continuer ou prendre même desnouvelles orientations professionnelles.Comme dans toutes les étapes du pilotage de carrière, laconnaissance de soi, de ses besoins, de ses forces et deses faiblesses est essentielle au salarié avant d’adopterla stratégie de développer son employabilité parl’orientation professionnelle.

Avant de se lancer dans une formation apprenante surplusieurs semaines voire plusieurs mois, au préalable, lesalarié doit bâtir un projet professionnel et s’être assuréque ce projet rencontrera à un moment ou à un autre,ceux de l’entreprise. Recourir à un bilan decompétences s’avère souvent indispensable, car unprojet professionnel parfaitement définie a de grandeschances d’être validé par l’entreprise.En sachant construire un projet sur base decompétences, des expériences, de succès et des échecs,en approfondissant ses connaissances, en développantles compétences passerelles par la formation, la veilleprofessionnelle, en tenant compte aussi de sapersonnalité, il y a des fortes chances de réunir lesmeilleurs atouts pour jouer et réussir aux réalités dumarché de l’emploi actuel national et international. Les résultats de notre étude vont dans ce même sens.Certains salariés pour maintenir et développer leuremployabilité s’engagent dans les actions dedéveloppement des nouvelles compétences oupourraient même prendre des initiatives pour desnouvelles orientations professionnelles. Tout se passedonc comme si le développement des compétencesconstitue un levier de mobilisation de premier plan, caril est clair que, plus les employés ont la possibilité dedévelopper leurs compétences, plus ils sont prêts às’engager dans des comportements de formation, demobilité (Finot, 2000 ; Jolis, 1998 ; Hall, 1996) et par

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conséquent de compétitivité.Comme c’est le cas pour les pratiques de partaged’information fiable et utile pour l’entreprise et lessalariés, nous pensons que les employés perçoivent lamise en place des pratiques de développement descompétences par l’entreprise comme un gage deconfiance de la part de l’entreprise (Chaminade, 2003).La perception serait donc à l’effet qu’une entreprise quiinvestit dans ses employés démontre, de façon concrètequ’elle croie en leur potentiel et qu’elle est prête às’engager dans le développement de leur employabilité.Si nous nous référons à la théorie de l’échange social,les employés voudraient remercier leur entreprise pourcet engagement et cet investissement en adoptant descomportements de mobilisation et de compétitivité deleur entreprise (Tuval, 2000 ; Gratton, 2002). Alors, unebonne politique sociale proposant d’outils d’évaluation,des bilans et gestion des compétences, une bonnepolitique sociale de l’entreprise de circulation del’information sur ses besoins en compétences actuels etfuturs sont donc des leviers qui encouragent les salariésà adopter cette stratégie de développement de leuremployabilité par le développement et orientationprofessionnelle (Hategekimana, 2002). Dans un environnement mondial trop compétitif, lesentreprises attendent surtout de leurs salariés qu’ilssoient adaptables, flexibles et mobiles et sachent resterdans cette course. Les salariés ne doivent pas attendred’être obligés de se remettre à niveau, il convient qu’ilsexploitent toutes les opportunités d’acquisition denouvelles compétences. Le bilan de compétences,projet professionnel, la formation continue s’inscriventdans cette logique (Roy, 2003 ; Barjou, 1997).L’entreprise a donc la responsabilité sociale d’aider lessalariés dans cette voie.

3.4.4. Influence des variables individuelles etde l’emploi sur les stratégies adoptéespar les salariés pour maintenir etdévelopper leur employabilité

Pour maintenir et développer leur employabilité, lessalariés âgés de 25 à 35 ans adoptent des stratégiesbeaucoup plus actives dans la formation etl’information plus que d’autres groupes. Pour pouvoirévoluer dans les nouvelles réorganisations etrestructurations des entreprises, ils sont aussi trèsdynamiques dans des stratégies de mobilité, dedéveloppement et orientation professionnelle pouracquérir et développer des nouvelles compétences(Thierry, 2002). Ces jeunes sont très conscients et sonttrès actifs dans la recherche d’information utile afin demieux connaître les mécanismes du marché sur lequelles entreprises opèrent, mais aussi la conjoncture decompétitivité économique nationale et internationale(Roy, 2003 ; Thierry, 2002). Ils acceptent et cherchentmême la mobilité nationale voire même internationalepermettant d’enrichir leurs expériences et l’acquisitiondes nouvelles compétences (Dent, 1995). Pour cesjeunes, la stabilité professionnelle n’est plus perçuecomme un atout pour une carrière, ils pensent mêmequ’un C.V. en mouvement est plutôt le signe d’unecarrière active. Leur tendance est à la mobilité et à laflexibilité, certains pensent même (surtout eninformatique) que si on ne bouge pas, c’est parce quepersonne ne cherche vraiment à acheter leurs talents(Thierry, 2002 ; Roy, 2003 ; Chaminade, 2003).L’étude montre aussi que les femmes sont plus activesdans la démarche d’évaluer les atouts et leurscompétences, qui leur permettraient d’aller de l’avant,de poursuivre et même de relancer leurs carrières. Lesfemmes adoptent plus facilement des rôles nouveaux. Ilsemble que les femmes aient des motivations plus fortespour le développement et orientation professionnelle.Sans doute, parce qu’elles cherchent à trouver unéquilibre entre le travail et la famille (Dent, 1995). Maisnotre étude étant exploratoire ce résultat est à prendreavec précaution et à vérifier dans d’autres étudesultérieures.

Pour développer leur employabilité et s’adapter à desréorganisations et restructurations des entreprises, la

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L’employabilité des salariés : Source de compétitivité dans les réorganisations et restructurations des entreprises.Robert HATEGEKIMANA

Age (25 - 35 ans)

Sexe :Femme

Taille de l’entreprise

PME GrandeEntreprise

Formationet information Mobilité Développement et

orientation professionnelle

Figure 2 - Influence des variables individuelles et de l’emploi sur les stratégies adoptées par les salariés pour maintenir etdévelopper leur employabilité.

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taille de l’entreprise exerce aussi une certaine influencedans les stratégies adoptées par les salariés. Lesemployés qui travaillent dans les PME font plusd’efforts pour la formation et la recherched’information plus que dans les autres groupes. Ils sontplus mobiles et flexibles, car les PME offrent moinsd’opportunités de mobilité interne que les grandsgroupes.Dans les grandes entreprises, les employés sont orientésplutôt vers la mobilité interne le développement etorientation professionnelle, car plus l’entreprise a unetaille importante au niveau national ou international,plus elle offre d’opportunités de mobilité interne. Lesalarié peut alors y faire sa carrière tout en enrichissantson expérience dans plusieurs services ou plusieurspostes et même en changeant de région ou de pays pourune même entreprise (Roy, 2003).

Pour aider les salariés sur le marché du travail dans unenvironnement trop compétitif et concurrentiel, lesgestionnaires des ressources humaines devront semontrer imaginatifs et devraient faire en sorte que lesautres groupes puissent être motivés et suivre cemouvement des jeunes dans le développement del’employabilité profitable à l’entreprise et aux salariés(Thierry,2002).

ConclusionL’employabilité des salariés constitue une des sourcesimportantes dans la compétitivité des entreprisesrestructurées et réorganisées et par conséquent uninvestissement socialement responsable. Pour aider lessalariés à développer leur employabilité, la pierreangulaire de compétitivité durable même dans lesréorganisations et restructurations actuelles, l’entreprisedevrait privilégier une approche individuelle sur leursstratégies. Au lieu d’une approche collective de formertout le monde de la même façon ou simplement imposerdes règles rigides de mobilité, ou autre à tous sessalariés, il serait plutôt important qu’elle adopte uneapproche beaucoup plus individualisée permettant àchacun selon ses attentes et ses moyens de choisir parmiplusieurs voies de développement de ses compétenceset de son employabilité dans les bonnes conditions detravail.Cette approche stratégique individualisée dedéveloppement des compétences et d’employabilité dessalariés qui sont utiles et sources de compétitivité àl’entreprise, devrait particulièrement toucher lespopulations qui ont le moins les moyens (ouvriers ouemployés faiblement qualifiés, salariés plus âgés)L’entreprise devrait laisser aux salariés une place auchoix individuel, à la libre maîtrise de leurs stratégiessur leur devenir. L’entreprise a la responsabilité sociale

de préparer l’avenir des salariés en investissant dans laformation et l’information, la mobilité des salariés et endéveloppant leur employabilité. Cet investissement seracertes moins économique, mais durable dans sacompétitivité. En respectant les normes internationalesl’entreprise a la responsabilité d’aider le salarié àprogresser, à apprendre, à s’adapter, à se former ets’informer, à enrichir leurs expériences, à développerleur employabilité. Cette employabilité des salariés serala véritable source de leur compétitivité dans unenvironnement mondial très compétitif et trèsconcurrentiel. L’employabilité des salariés est donc uninvestissement socialement responsable qui doit êtreintégré dans les normes internationales.

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L’environnementsocial tunisien et lacompétitivité desentreprises du textile et del’habillement

Mansour HELLALVice-président de l’ARFORGHEI.S.G. TUNIS

Le secteur textile-habillement compte plus de2100 unités industrielles et emploie plus de 250000 personnes soit 50 % de l’ensemble des

emplois des industries manufacturières. Il réalise à luiseul plus de la moitié des exportations des industriesmanufacturières et contribue à concurrence de 5,4 % duP.I.B.

L’objet de cette communication consiste à identifier lescontraintes de cet environnement pour mieux formulerles recommandations.

La méthode retenue pour l’élaboration de ce travail sebase sur les données suivantes :

- l’étude sectorielle connue sous le nom de l’étudeGherzi constitue le point de départ.

- L’entretien approfondi et de nature qualitative avecdix chefs d’entreprises du secteur.

- L’entretien avec les responsables des structuresd’appui au secteur

- La collecte de toute information jugée utile pour lacompréhension de la question centrale suivante :

DANS QUELLE MESURE L’ENVIRONNEMENTSOCIAL TUNISIEN CONSTITUE-T-IL UN HAN-DICAP POUR LA COMPETITIVITE DES ENTRE-PRISES DU SECTEUR TEXTILE-HABILLEMENT ?

En partant du diagnostic effectué dans l’étude Gherzi ,il y a lieu de rappeler les principaux indicateurs del’environnement social qui semblent constituer unhandicap au développement du secteur. Il s’agitnotamment :

- Le manque de flexibilité de l’emploi constitue enTunisie comme au Maroc l’aspect le plus sensible etfavorise les autres pays : Turquie, Inde, Pologne ,Chine et l’Italie.

- La disponibilité de main d’œuvre est excellente enchiffre absolu, même si sa qualification dépend dudegré de formation qui lui est offerte à l’intérieur desentreprises. D’ailleurs dans ce secteur, la Tunisie, leMaroc et la Turquie ont développé leur avantagecomparatif sur des productions de basse qualité à forteintensité de main d’œuvre peu qualifiée et à bassalaire.

C’est pourquoi un volet important relatif àl’environnement du secteur concerne la formation. Il ya lieu de souligner le très important déficit de l’offre deformation en habillement qu’il y a lieu impérativementde résorber par l’accélération de la réalisation du

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programme prévu de création/extension de 7 centres deformation dans ce secteur.

- Le rapport personnel d’encadrement/ouvriers est enmoyenne de 1 à 25/30 dans les entreprises tunisiennes,alors qu’il est généralement d’environ 1 à 15 dans lesusines européennes.

- Les niveaux de productivité sont généralement trèsbas, d’où des prix non compétitifs.

Face donc à ce constat basé sur le benchmarking del’environnement du secteur en vue du positionnementstratégique de la Tunisie, l’étude Gherzi recommandece qui suit :

- Annualisation du temps de travail en vue d’éviter lerecours aux heures supplémentaires pendant lespériodes de pointe.

- Lever tous les obstacles afin de permettre auxentreprises du textile de travailler par an l’équivalentde 48 heures hebdomadaires.

- Réduire le taux d’absentéisme par la sensibilisation del’administration hospitalière et de l’ordre des médecinsprivés à la délivrance de certificats de complaisance etla validation des certificats médicaux par la médecinedu travail. De même, il y a lieu d’augmenter le nombrede crèches dans les zones de forte concentrationindustrielle ainsi que l’aménagement de la séanceunique durant l’été.

- Etablir des normes de production par spécialité.

- Enfin améliorer le taux d’encadrement par laformation, et l’assistance technique.

Ce rappel étant fait comme repère socio-historique, laquestion mérite d’être reposée pour faire le bilan desrecommandations déjà formulées depuis 1999.Autrement dit qu’en-t-il aujourd’hui de ces contraintesliées à l’environnement social de l’entreprise du secteurtextile-habillement ?

I. En matière de flexibilité Aux cinq formes de flexibilité touchant tantôt l’emploitantôt le travail, le droit du travail tunisien sembles’adapter difficilement parce que généralement limité àdes principes de base énoncés dans la loi sans êtreacceptés dans la négociation par les partenaires sociaux.

1. Flexibilité quantitative externe

Elle consiste à faire varier le nombre de salariés del’entreprise en fonction de ses besoins. Lestechniques appropriées à cette forme de flexibilitésont :

- Le recrutement : L’employeur est libre de choisir lanature du contrat de travail (contrat à duréeindéterminée, contrat à durée déterminée oucontrat à temps partiel). L’unique contraintejuridique est que le temporaire ne reste pas plus de4 ans dans la même entreprise, sinon il serapermanisé sans qu’il soit soumis à une périoded’essai. De même le régime juridique du contrat detravail à temps partiel a été défini pour la premièrefois en 1996 même si dans la pratique le recours àce type de contrat est resté très limité.

- Le licenciement : Le droit du travail tunisienréglemente les deux régimes de licenciement àsavoir le licenciement disciplinaire et lelicenciement économique.

Pour le premier, il s’exerce en tant que sanctiondisciplinaire et la réforme de 1994 a innové sur lespoints suivants :

- Distinguer le vice de forme du vice de fond

- Plafonner le montant des dommages-intérêts pourvice de forme à 4 mois de salaire et pour vice defond à 3 ans de salaire.

- Incorporer dans le code du travail la listeindicative des fautes graves constitutives de causeréelle et sérieuse.

- Simplifier la procédure judiciaire devant le conseilde prud’hommes.

Quant au deuxième licenciement, il ne touche que lessalariés permanents, et l’entreprise peut justifier celicenciement économique suite à sa restructurationet la réforme du code du travail en 1996 a simplifiéla procédure du contrôle administratif de l’emploien :

- Limitant les délais de la commission de contrôle delicenciements à 1 mois 3 jours

- Permettant aux parties de négocier des alternativesau licenciement économique

- Négociant les indemnités de licenciementéconomique sur une base conventionnelle

- Saisissant le juge en cas d’échec de conciliation.

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2. Flexibilité quantitative interneElle consiste à varier le nombre d’heures de travail sansmodifier le nombre de salariés. En effet la duréehebdomadaire du travail comprise entre 40 et 48 heurespeut être fixée sur la base du mois ou de l’année.Seulement cette mesure d’annualisation de la duréelégale du travail ne peut être effective que dans le cadrede la négociation collective.

En effet la production dans le secteur textile-habillement exige de plus en plus des adaptationstemporelles : nombre de pièces commandées, temps delivraison et délais d’exportation… Face à cette nouvelleexigence du donneur d’ordre, l’entreprise tunisiennedoit développer sa capacité proactive en maîtrisant sestemps flexibles. Or l’annualisation de la durée légale detravail devrait permettre la compensation des semaineset donc l’élimination des heures supplémentaires quisont par nature majorées. C’est probablement cet acquisqui freine les syndicats à accepter un nouveaucompromis social basé sur l’annualisation des heures detravail.

En plus, le repos hebdomadaire et les congés payéspeuvent s’adapter à cette nouvelle exigence, pourvu quela négociation se joue sur la base gagnant/gagnant. Orune telle culture consacre plutôt la confiance entrepartenaires sociaux et non la méfiance. D’ailleurs, sansl’intervention de l’Etat la négociation collective risquede se heurter au blocage.

3. Flexibilité qualitative ou fonctionnelle

Elle consiste à changer les affectations du personneldans les postes de travail parce que la transition dumodèle productif exige le renouvellement despratiques de gestion des ressources humaines. Orforce est de constater que la plupart des entreprisesdu secteur sont des PME et la vision du 1erresponsable reste encore technicienne. Il n’y a pasun Directeur des Ressources Humaines qui gère lepassage du poste d’emploi à la gestion descompétences. En effet les conventions collectives dutextile et de la confection s’imprègnent encore de laclassification professionnelle classique basée sur lalogique du poste d’emploi et d’une qualificationstandard et unique. Or la révision de ces conventionscollectives devrait non seulement mettre à jour cetteclassification professionnelle qui remonte auxannées 1974 mais plutôt favoriser le passage à lagestion des compétences en investissant dansl’immatériel à savoir la formation continue seulegarante d’un produit de qualité.

4. Flexibilité salarialeElle consiste à adapter le coût du travail à l’effortproductif soit individuel soit collectif. Or l’organisationdu travail dans ce secteur reste encore tayloriennepuisque basée sur deux grilles de salaires : l’une pour lepersonnel d’exécution, elle est fixée à l’heure, l’autrepour le personnel de maîtrise et cadre , elle est fixée aumois.

En plus du salaire de base fixé par la grille dans le cadred’une négociation triennale depuis 1990, s’ajoutentd’autres accessoires de salaires qui se heurtent souventencore à l’équité salariale en absence de normes deproduction. Ainsi la stratégie des entreprises du secteurest plutôt la maîtrise des coûts de la main d’œuvre etnon l’innovation par les gisements de la productivité.

5. La sous-traitance ou l’extériorisation du personnel :

Elle consiste à confier à d’autre entreprises une partde l’activité de l’entreprise jugée non stratégique.Lors de la révision du code du travail en 1996, toutun chapitre relatif aux entreprises de travailtemporaire a été retiré de la concertation suite aurefus du syndicat croyant que la réglementation detelles sociétés risque d’encourager l’apparition duphénomène. Quelques années plus tard , le mêmesyndicat regrette son attitude et revendiquel’intervention de l’Etat pour réglementer lesentreprises de travail temporaire. Face donc à cevide juridique, il y a recours de plus en plus soit auxentreprise de sous-traitance régies par les Articles28, 29 et 30 du code du travail soit aux entreprises detravail temporaire que le code de travail neréglemente pas mais n’interdit pas non plus.

Ce recours à la sous-traitance du personnel sembles’adapter aux fluctuations de l’entreprise du secteurtextile-habillement vu la contrainte de 4 ansmaximum pour le salarié temporaire.

Ainsi le code du travail dans sa version actuellesemble admettre toutes les formes de flexibilité.Mais force est de constater que les rigidités d’espritn’ont pas permis de concrétiser les pratiques de laflexibilité qui s’avèrent une exigence dans lenouveau modèle productif Plus on la reporte et plusl’entreprise est handicapée.

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II. En matière de chargessociales

Les charges sociales à la charge des employeurs sont lessuivantes :

- T.F.P .............................................................. 1 %

- Cotisation patronale ...................................... 16 %

- ATMP......................Taux variable de 1,20% à 2,80%

- FOPROLOS .................................................. 1 %

- Congés annuels payés .................................. 6 %

- Jours chômés et payés .................................. 2,5 %

- Médecine du travail ...................................... 2 %

- Vêtement du travail ...................................... 2 %

- Assurance groupe .......................................... 0,5 %

Le recours à l’assurance groupe est venue combler leslimites de l’assurance légale telle que gérée par laCNSS et dont de coût complémentaire se situe entre 10et 12 % de la masse salariale. C’est pourquoi latentative de réduction de 2 points de la contributionpatronale est restée inapplicable vu d’un côté la rigiditédes textes et de l’autre côté le refus des travailleurs derestituer leurs carnets de soins.

De même la réduction du taux de cotisation des ATMPreste tributaire d’une procédure administrative peuencourageante par rapport aux formes d’exonérationliées à l’emploi des jeunes ou des handicapés…

Enfin, le nouveau texte relatif aux avantages exclus del’assiette de cotisation au titre des régimes de sécuritésociale cherche à promouvoir le financement de lapolitique sociale, culturelle et sportive par l’entreprise(Décret N° 2003/1098 du 19 Mai 2003 )

III. En matière de producti-vité et de motivation

Face aux nouvelles exigences du système productif (production par thème et en petite série) les normes deproduction ne peuvent être élaborées au niveaunational. Il s’agit d’un non sens méthodologique de lanégociation sectorielle. Seul le niveau de l’entreprisepermet la définition des normes qui sont fonction de 3paramètres :

- La technologie utilisée - L’organisation du travail - La motivation du personnel

Or l’entreprise évolue actuellement dans unenvironnement mondial et ne peut survivre que si ellearrive à atteindre les mêmes performances que sesconcurrents à travers le monde. De ce fait, il estimpératif de s’inspirer des normes en vigueur dans lespays avancés et fixer et convenir des normesspécifiques de production au niveau de chaquespécialité. Ainsi et à partir du seuil minimum fixé par lanorme, les meilleures compétences peuvent êtrerécompensées selon une échelle à définir ce qui inciterales autres à évoluer.

Ce couple de management stratégique basé surl’implication du personnel permet de débloquer lescommissions techniques d’élaboration des normes deproduction qui deviennent plutôt des normes préétablieset intégrées dans les nouvelles techniques deproduction. IL s’agit d’un système de gestion où letravailleur se motive parce qu’il trouve son compte dansla réalisation des objectifs partagés

IV. En matière d’absentéisme

C’est un grand facteur de non productivité puisque sontaux atteint et dépasse les 10 % notamment durant lasaison estivale, la rentrée scolaire et les fêtes. Il existetoutefois des disparités en fonction de la taille desentreprises et de leur localisation géographique.

Le taux d’absentéisme est nettement plus élevé dans lesentreprises employant moins de 100 personnes selon lesrésultats d’une enquête menée par le CETTEX. Quant àla variable géographique , elle demeure peusignificative vu la diversité des facteurs exogènes quipeuvent influer sur l’absentéisme. D’ailleurs le contrôlesystématique des malades n’est pas toujours la solutionappropriée. Il s’agit d’un coût caché derrière la faussecomptabilité des absences des femmes qui sont plusfréquentes que celles des hommes. En effet, selon uneculture sociétale, c’est la femme qui assure la prise encharge en cas de maladie au sein de sa famille et c’estelle qui reçoit le maximum d’invitations pour les fêtesdurant notamment la saison estivale.

Seule une politique d’implication et de responsabi-lisation devrait permettre la réduction de ce tauxd’absence. A titre d’illustration la moitié du congé payépeut être géré à la convenance de la salariée sansl’obliger à recourir aux certificats de complaisance,

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Tableau 1 : analyse du code d’éthique d’une société de distribuiton

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chose qui a permis de réduire sensiblement le tauxd’absentéisme.

Mais ce phénomène ne peut être isolé des conditions detravail et donc du mode de gestion des ressourceshumaines qui demeure dans les entreprises du secteurtextile-habillement basé sur plutôt l’administration dupersonnel au sens classique du terme c’est –à-direcontrôler l’effectif du personnel durant le temps dutravail et payer les salaires en conséquence.

V. En matière de formationcontinue

A l’entreprise stable correspondait un personnel peuqualifié et bénéficiant d’une garantie d’emploi baséesur une qualification professionnelle acquise parl’ancienneté dans le poste occupé. Or l’entreprised’aujourd’hui et plus exactement celle du secteurtextile-habillement est devenue flexible et dont sonpersonnel doit suivre le même sort et s’il veut garderson employabilité, seule la formation continue pourraitrelever le défi de l’adaptation au nouveau contexteéconomique.

En effet la transition du modèle peut se présenter ainsi :

Poste d’emploi Compétence

- Avoir - Etre - Passif - Actif- Main-d’œuvre - Tête d’œuvre - Travail prescrit - Travail événement - Contrôle - Coopération - Formation initiale - Formation continue

Or malgré la libéralisation du marché de la formationcontinue, force est de constater que ce marchéfonctionne plutôt par l’offre de formation et rarementpar la demande. En effet toutes les études de mise àniveau ont monté la part très faible réservée àl’investissement immatériel et que dans l’esprit deschefs d’entreprises la vision stratégique si elle existe,elle est focalisé sur la technique, la finance et le marché.L’homme au travail demeure une source de productionalors qu’il dispose de ressources à développer.

Ce renouvellement dans les pratiques de la gestion desressources humaines suppose la réhabilitation del’entreprise et la valorisation du savoir faire. Au lieu desubir les retombées néfastes de son environnementsocial, l’entreprise citoyenne de demain devraitfaçonner son environnement social comme partieintégrante à sa compétitivité.

VI. En matière de contentieux du travail

La plupart des règles de travail sont des règlesimpératives d’ordre public assorties de sanctionspénales en cas de non respect. C’est pourquoi tous lescorps de contrôle exercent une mission d’assistancetechnique et parfois de conciliation des parties avant dedresser des procès verbaux d’infraction. N’a-t-on pasaffirmer que le progrès social se mesure par le recul dudroit pénal ?

Cependant, parce que la loi n’est pas toujourssuffisamment claire, on a besoin de l’interprétation. Orcertaines interprétations administratives voir mêmesjudiciaires de certaines règles sont de nature àhandicaper le développement de l’entreprise. Justequelques exemples pour illustrer ces propos :

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Tableau 2 : programme éthique d’entreprise standard

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- Une hésitation tantôt administrative tantôt judiciaireen matière de période d’essai dans le contrat de travailà durée déterminée

- La commission de contrôle des licenciements nedécide pas , mais elle émet un avis motivé sur lademande de l’entreprise.

- Le statut juridique du délégué syndical dansl’entreprise : l’hésitation de la jurisprudence enmatière d’application de l’article 166 du code dutravail ?

- La participation à une grève illégale constitue-t-elleune cause réelle et sérieuse de licenciement ou bienune faute justificative de rupture du contrat de travailimputable au salarié gréviste ?

- L’égalité de traitement entre le salarié permanent et lesalarié temporaire ? Quelle limite à cette égalitésalariale ?

- Le salarié via la sous-traitance du personnel : quelstatut juridique après les 4 ans de travail ?

- L’accident de trajet assimilé à l’accident de travailmais causé par une tierce personne : quelle voie derecours pour la CNSS ?

- Le recouvrement forcé des coti-contributions : naturejuridique de l’état de liquidation

- Peut-on renoncer à des avantages sociaux ?comment ? Quelle est la valeur juridique d’un PVnégocié avec le syndicat d’entreprise ?

Toutes ces question ne constituent qu’un échantillond’une typologie de contentieux qui peut s’avérercoûteuse pour l’entreprise et donc handicapante sacompétitivité ?

Conclusion Personne ne doute que l’environnement social peutconstituer un handicap pour la compétitivité de secteurtextile-habillement. D’ailleurs, l’objet de ce travail estd’identifier les contraintes qu’on peut synthétiser dansles points suivants :

* En matière de flexibilité : L’adaptation de l’entreprise à son nouveau contexteéconomique, caractérisé par plus de turbulence etd’incertitude, l’oblige à pratiquer toutes les formes deflexibilité. Or malgré la révision du code du travail , lesrigidités d’esprit des partenaires sociaux n’ont paspermis de concrétiser les pratiques de la flexibilité

* En matière des charges sociales : Malgré les tentatives de réduction des contributionspatronales à la sécurité sociale qui sont restées parfoisinapplicables vu la rigidité des textes ou bienl’interprétation restrictive de l’administration , il y alieu de s’orienter plutôt vers les gisements de laproductivité que la maîtrise du coût de la main d’œuvre.

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Figure 1 : catégorisation des adopteurs dans le temps.

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* En matière de productivité : La décentralisation de la négociation du niveausectoriel au niveau de l’entreprise passe nécessairementpar la question de la productivité qui devient plutôtpréétablie et intégrée dans les nouvelles techniques deproduction comme d’ailleurs en matière de sécurité autravail.

* En matière de sous-traitance du personnel :Dans le cadre de la restructuration des entreprises, il està noter que la tendance moderne en matière de gestionexige la concentration de l’activité sur le noyau dur ,autrement dit le non stratégique est confié à la sous-traitance. Mais encore faut-il que le marché puissefournir ces prestations en dehors de toute concurrencedéloyale. Il y a lieu donc de réglementer les sociétés detravail temporaire pour éviter la confusion avec lessociétés de prestations de services.

* En matière de formation professionnelle : La transition du modèle productif classique vers unnouveau modèle flexible exige le renouvellement despratiques de gestion des ressources humaines etnotamment plus d’investissement immatériel. En effetle recours à la formation continue comme levierd’adaptation, de perfectionnement et parfois dereconversion constitue un facteur essentiel del’employabilité.

* En matière de contrôle des règles :Au contrôle administratif exercé par un ensemble decorps spécialisé, vient s’ajouter un contrôle judiciaire.Or il s’avère que les interprétations de certaines règlessont de nature à handicaper le développement del’entreprise. Malgré la détermination des délais, lesvoies de recours sont assez lentes.

Cependant, malgré ces contraintes la législation socialetunisienne qui s’inspire largement des conventionsinternationales du travail, présente une conformiténotamment avec les règles relatives aux droitsfondamentaux de l’homme au travail et portant sur lesprincipes suivants : - Interdiction du travail des enfants

- Interdiction du travail forcé

- Fixation d’un salaire minimum

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- Garantie de la liberté syndicale.

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Contribution de l’audit social au respect des droits sociaux fondamenteaux. Jacques IGALENS - Jean Marie PERETTI

Contribution del’audit social au respect desdroits sociaux fondamenteaux

Jacques IGALENSProfesseur IAE de TOULOUSEChercheur LIRHE (Laboratoire Interdisciplinairede recherche sur les ressources humaines etl’emploi) et au GRG de TOULOUSEPrésident d’Honneur de l’AGRH (AssociationFrancophone de Gestion des RessourcesHumaines)Président d’Honneur de l’IAS (InstitutInternational de l’Audit Social)[email protected]

Jean Marie PERETTIProfesseur ESSEC et IAE de CORTEPrésident de l’AGRH (Association Francophonede Gestion des Ressources Humaines)Président d’Honneur de l’IAS (InstitutInternational de l’Audit Social)[email protected]

L’OIT a été créée en 1919 par le traité deVersailles. En 1946, elle est devenue la premièreinstitution spécialisée de l’ONU. Son rôle

consiste à promouvoir le respect des droits sociaux fon-damentaux. L’ensemble des membres de l’OIT, mêmes’ils n’ont pas ratifié les conventions concernées, ontl’obligation, du seul fait de leur appartenance à l’orga-nisation internatio-nale, de respecter, de promouvoir etde réaliser les principes qui sont l’objet des conventionssuivantes :

- Elimination de tout travail forcé ou obligatoire(conventions 29 et 105).

- Liberté d’association et reconnaissance effective dudroit à la négociation collective (conventions 87 et 98).

- Elimination de la discrimination en matière d’emploiset de professions (conventions 100 et 111).

- Abolition effective du travail des enfants (conventions138 et 182).

Cette obligation est fondée sur le fait que les principesde ces droits sont énoncés dans la Constitution del’Organisation et dans la Déclaration de Philadelphie.En adhérant à l’OIT chaque membre les a donc accep-tés. De plus chaque membre doit, une fois par an, pro-duire un rapport relatant les progrès réalisés sur l’un desquatre droits fondamentaux. Même si les obligations s’imposent aux Etats, d’autresacteurs internationaux, entreprises, syndicats 1, jouentun rôle important dans la promotion de ces droits,notamment en rendant effective leur application. Aprèsavoir relevé, dans un premier temps, l’insuffisance descontrôles exercés au niveau des Etats (I) nous montre-rons qu’un début de contrôle “ se met ” en place par lebiais des entreprises multinationales, notamment grâceaux apports de l’audit social (II).

I. L’insuffisance du contrôle au niveau des Etats

Au sein de l’OIT trois instances de contrôle co-existent : la commission d’experts pour l’applicationdes conventions et recommandations, la commission del’application de normes de la Conférence Internationaledu Travail et le Comité de la liberté syndicale. L’Unioneuropéenne, pour sa part essaie d’agir pour lapropagation des droits fondamentaux par le biais despréférences tarifaires.

1 Ainsi le secteur européen du textile (EURATEX) a élaboré en1997un code de conduite reprenant ces droits fondamentaux, en2001, il en fut de même pour le secteur de la coiffure et en 2003pour le sucre. Dans chaque cas ces accords sont le résultat d’unenégociation entre représentants européens des employeurs et desemployés. Telefonica et l’UNI (Union Network International) ontsigné un accord encore plus ambitieux.

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A. l’OIT

La commission d’experts est composée de personnalitésindépendantes, elle présente un caractère de juridictionet examine, une fois par an, la conformité de la situationde chaque pays membre vis à vis des conventions qu’ila ratifiées et bien sur des quatre principes fondamentauxrappelés en introduction. Dans la mesure où certainesnon-conformités apparaissent, la commission d’expertsformule des recommandations sur les mesures àprendre. Deux problèmes contribuent à rendreinefficaces le travail de cette commission : le manquede moyen et le manque de pouvoir, notammentcoercitif.

Sur le premier point, la commission est incapable definancer des contrôles où des vérifications sur place, parmanque de moyens financiers. Ses sourcesd’information sont donc essentiellement de deuxièmemain. Des rapports détaillés sont demandés aux Etatstous les deux ans pour les dix conventions suivantes :liberté syndicale (n°87 et 98), abolition du travail forcé(n°29 et 105), égalité de chances et de traitement (n°100et 111), politique de l’emploi (n°122), inspection dutravail (n°81 et 129) et consultations tripartites (n° 144).Des rapports simplifiés sont demandés tous les cinq anspour les autres conventions. Enfin, des rapportsdétaillés et des rapports non-périodiques peuventégalement être demandés, toujours aux Etats Membres.

Sur le second point, “le BIT n’a pas de dents… Il n’ajamais été doté de casques bleus ni d’instruments desanctions pour faire respecter les conventions soumisesà la ratification des Etats” 2. Ce n’est qu’en mars 2000que le conseil d’Administration du BIT a, pour lapremière fois de son histoire, décidé de saisir laConférence sur la base de l’article 33 à l’encontre de laBirmanie.

La commission d’application des normes prend encompte les observations de la commission d’expertsmais, contrairement à elle, cet organe politiquerecherche un règlement des non-conformités en accordavec les représentants des gouvernements intéressés.Dans le cas de violations des conventions ratifiées, lacommission d’application demande des explications. Siles recommandations de la commission d’enquête nesont pas mises en œuvre, l’article 33 de la constitutionde l’OIT permet d’autoriser les Etats membres del’organisation à prendre à l’encontre du paysrécalcitrant “telle mesure opportune“ en vue d’assurerle respect de conventions.

Dans cette combinaison de deux types d’organes, selonles spécialistes du droit international, “On retrouve ladistinction entre le recours au Sage, davantage garant

d’une solution équitable mais ne disposant pas desmoyens de la faire prévaloir et le recours au Prince dontl’autorité peut faciliter le règlement mais dont laneutralité n’est pas sure” 3.

Le comité de la liberté syndicale a pour missiond’examiner les situations ayant trait au droit syndical etdonc notamment les conditions d’application desconventions 87 et 98 relatives à la liberté d’associationet à la reconnaissance effective du droit à la négociationcollective. Contrairement à la commission d’applicationdes normes, le comité de la liberté syndicale n’est pascontraint, pour agir de passer par un accord avec lesgouvernements des Etats membres. Cette procédureautorise l’examen de plaintes visant même des Etats quin’ont pas ratifié les conventions traitant de cesquestions.

Pour conclure concernant l’OIT, nous pouvons formulerun constat et une perspective. Le constat :L’organisation concentre son action sur le contrôle del’application des conventions, qui repose essentiel-lement sur la persuasion et l’incitation, et non sur lasanction, réduite au prononcé d’un blâme contre l’Etatréfractaire“ 4. L’OIT est désarmée face aux Etats car elledépend directement d’eux et ses mécanismes decontrôle non contraignants ne peuvent pas mettre finaux atteintes les plus graves portées aux droits sociauxfondamentaux. “Force est de constater que si le respectdes droits fondamentaux est une obligation à la chargede tous les Etats membres, leur garantie effective nepeut être assurée en l’état actuel du contrôle réalisé parl’OIT” 5.Dans l’avenir, l’OIT devrait jouer un rôle actif dans lamise en œuvre de formation d’auditeurs sociaux, voiremême l’accréditation de ces derniers. Le BIT étudieégalement les moyens d’assurer aux entreprises desPUD un accès équitable à des cabinets d’audit ainsi quele “monitoring” leur permettant de progresser sur lavoie de la mise en œuvre des droits sociauxfondamentaux6. De même la sous-commission de lapromotion et de la protection des droits de l’homme desNations Unies a voté le 13 août 2003 une résolution par

2 “Re inventer la mondialisation” Le Monde Initiative, Juin 2002,p.14

3 Nicolas VALTICOS “Droit International du Travail” vol 8 duTraité de droit du travail publié sous la direction de G.H.CAMERLYNCK, Paris, Dalloz, 1983.

4 “Les codes de conduites et les labels sociaux” Thèse pour ledoctorat en droit, E DEHERMANN – ROY sous la direction du Pr.A. ARSEGUEL, février 2004. Université des Sciences SocialesToulouse 1, p.132.

5 E. DEHERMANN-ROY op. cit. p.133.6 “Poursuite de l’examen de la question des initiatives privées, y

compris les codes de conduite” Conseil d’Administration de l’OIT274e session du groupe de travail sur la dimension sociale de lalibéralisation du commerce international, mars 1999. www.ilo.org

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laquelle elle envisage de nommer un groupe d’expertsqui serait chargé de recevoir les informations et de“prendre des mesures” lorsque les entreprises nerespectent pas les normes fondamentales. Les suites decette initiative devront être étudiées.

B. L’Union Européenne

Le contrôle du respect des droits fondamentauxéchappant, de facto, à l’OIT, il a dès lors pu semblerlégitime de le confier à d’autres acteurs. Dans un passérécent, (2001), la Communauté Européenne s’est dotéed’un règlement portant application du schéma depréférences tarifaires généralisées pour la période du 1er

janvier 2002 au 31 décembre 2004. Le règlement vise àsimplifier et harmoniser les procédures des différentsrégimes existants afin d’améliorer le taux d’accès despays en voie de développement au marchécommunautaire tout en assurant la promotion des droitsfondamentaux de l’OIT 7. Le schéma prévoitnotamment la possibilité pour les pays bénéficiant depréférences tarifaires de souscrire à des régimesincitatifs leur permettant de profiter d’une diminutionsupplémentaire des droits de douane de 5% sur leursexportations vers l’Union européenne. Ainsi laréduction totale devient de 8.5%.

Dans le cas de la Tunisie les préférences tarifairesprévues par ce règlement ont été supprimées en 2003pour deux secteurs, l’engrais et le textile, en applicationdu principe de graduation 8. Dans le cas de la préférence tarifaire la charge de lapreuve incombe aux pays qui doivent montrer qu’ils ontincorporé les règles arrêtées dans les conventions del’OIT (29, 105, 87, 98, 100, 111, 138 et 182) dans leurlégislation nationale.

L’Europe est plus vigilante que l’OIT car les paysdésirant bénéficier de ce régime doivent déposer unedemande auprès de la Commission qui prend sadécision après avoir vérifié qu’ils disposent d’unarsenal juridique permettant de veiller à l’application deces règles. Mais le système reste encore plus incitatifque répressif. Il y a loin de l’incorporation d’un systèmede contrôle des normes de travail dans les textes à sonapplication effective sur le terrain. On peut, parexemple, prévoir la création d’une inspection du travailaux pouvoirs étendus (ce qui satisfait aux critèreseuropéens) et, par manque de moyens (ou de volonté)ne pas la doter des postes ou des ressources financièreslui permettant d’accomplir sa mission.

II. Un début de contrôle par les multinationales

Les organisations internationales concernées étantdépourvues des moyens suffisants pour contrôlerefficacement l’application des droits au travailfondamentaux, il a semblé opportun de se tourner ducoté des acteurs les plus puissants du commerceinternational, les entreprises multinationales. L’idée quiprévaut consiste à profiter des relations de dépendancedans lesquelles se trouvent nombre d’entreprises sous-traitantes ou fournisseurs de ces sociétés pour lesobliger à respecter les droits fondamentaux. Bienentendu, cette situation inégale entre un donneurd’ordre ou un client fort et un partenaire plus faible(souvent situé dans un pays du sud) pourrait apparaîtremoralement condamnable au nom de l’autonomie desacteurs économiques. Au nom de quels principes, selonquelle légitimité, un acteur commercial impose-t-il lerespect de règles de travail à un autre ? La réponse à cette question est d’autant plus ambiguëque l’on connaît les deux arguments utilisés par lesPVD pour s’opposer à l’introduction d’une clausesociale dans les accords de l’OMC. Le premier d’entreeux est économique, ces clauses entraîneraient uneaugmentation des coûts de revient qui handicaperait lescapacités de développement. Certains économistesd’Asie sont également opposés au caractère universeldes normes du travail en invoquant des “valeursasiennes” 9 Ces deux arguments ont certainement plusde force dans les (rares) pays qui ne sont pas membresde l’OIT Pour les autres, ni l’argument économique, nil’argument culturel n’emportent la conviction comptetenu des choix souverains.

7 Sont également concernées mais non étudiées ici certainesnormes environnementales. Informations obtenues sur le site :http :europa.en.int/scadplus/leg/fr/lob/r11015.htm

8 En application du principe de graduation, les préférences sont supprimées pour les produits appartenant à un secteur donné si pendant trois années consécutives le pays se trouve dans l’un desdeux cas suivants :

- son index de développement atteint un taux déterminé et lesimportations communautaires en provenance de ce pays de tous lesproduits du secteur concerné dépassent 25% des importations com-munautaires des mêmes produits en provenance de tous les paysbénéficiaires. - son index de développement atteint un taux déterminé, l’index despécialisation du secteur concerné dépasse le seuil correspondant àl’index de développement de ce pays et les importations communau-taires en provenance de ce pays de tous les produits du secteurconcerné dépassent le seuil de 2% des importations communautairesdes mêmes produits en provenance de tous les pays bénéficiaires.

9 C’est le cas notamment du prix Nobel d’Economie, l’indienAMARYA SEN, Professeur au Trinity College, position qu’ilexpose dans “Our culture, their culture”, The New Republic, 1996.

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Le contrôle du respect des droits fondamentaux dépenddes modalités retenues par les multinationales mais onobserve, sur ces bases, un début prometteur (A).L’apport de l’audit social dans l’ensemble de cesdémarches nous semble fondamental (B).

A. Le contrôle du respect des droitsfondamentaux par l’action desmultinationales à travers lecommerce international.

Trois voies s’offrent aux entreprises : l’élaboration d’uncode de conduite, la certification selon une normeprivée ou la labellisation officielle dont seule laBelgique fournit l’exemple.Le contenu des codes de conduite a été étudié à denombreuses reprises 10. Il est vrai que les quatre thèmesqui composent les droits sociaux fondamentaux ne sontpas toujours prescrits, notamment la libertéd’association et la reconnaissance effective du droit à lanégociation collective. Entre 15% et 30% des codesselon les auteurs couvrent le champ des conventions 87et 98 de l’OIT. Il arrive même que des codes deconduite prennent, sur ce sujet, des positions contrairesà la convention 87. CATERPILLAR, par exemple,“souhaite faire en sorte que les salariés ne ressentent pasle besoin d’être représentés par un syndicat ”. SARALEE KNIT PRODUCTS“ juge préférable qu’il n’y aitpas de présence syndicale sauf si la loi ou la traditionl’exige ”etc… Il semble donc nécessaire que lespressions ou des incitations soient entreprises pour quele contenu des codes de conduite s’enrichisse et prenneeffectivement en compte les quatre principes reposantsur les conventions citées en introduction. Cela étant, ungrand nombre de codes de conduite comportent deséléments concernant leur mise en application,notamment les procédures de surveillance visant àéviter et à détecter le non-respect des engagementssouscrits (66% des codes étudiés par l’OCDE).

Les modalités de contrôleTrois étapes sont susceptibles d’être mises en œuvre. Lapremière étape consiste généralement à porter le code àla connaissance des fournisseurs et des sous-traitants enleur demandant d’en respecter les termes. La secondeétape consiste à demander à ces mêmes partenaireséconomiques un engagement formel (le plus souventsous la forme d’une lettre signée par le dirigeant) parlequel le fournisseur ou le sous-traitant reconnaissentavoir eu connaissance des codes, l’avoir compris etdiffusé auprès des salariés, et l’appliquer entièrement.La troisième étape consiste à diligenter des missions decontrôle. Historiquement ces missions de contrôle ontd’abord été réalisées par les services de l’entreprise,parfois par la direction des Achats, mais le conflit

d’intérêt apparaît difficile à éviter dans le meilleur descas par la direction de l’Audit. “Pour bon nombre decodes d’entreprises, la surveillance interne estconsidérée comme faisant partie du processus régulierde gestion, des cadres supérieurs étant chargés de fairerespecter les normes, dans le cadre de leurs tâchesquotidiennes”11. Aujourd’hui nombre d’entreprisesmultinationales veillent à confier ces missions à desorganismes extérieurs spécialisés tels qu’ITS, TGROUP (en Inde), VERITAS, COTECNA, GNIES (auSan Salvador), ACCORDIA, KENAN (en Thaïlande),PHULKI et lIFT (au Bangladesh), VERITE,COVERCO (au Guatemala), etc.

Parfois ces missions sont confiées à des ONG 12 telleque FIDH dans le cas de la fédération du Commerce etde la distribution (Carrefour, Auchan, Monoprix,Leclerc). Aux Etats Unis une ONG qui veillent auxbons déroulements de ces audits sociaux de façon àgarantir aux consommateurs que les promessescontenues dans les codes de conduite sont effectivementtenues. FLA (Fair labor Association) a été créée à ceteffet sous la pression de l’administration CLINTONpour surveiller les industries de la chaussure et duvêtement. S’il est difficile de porter un jugement globalsur l’efficacité des organismes cités et donc surl’effectivité du respect de principes fondamentaux del’OIT par les fournisseurs et les sous-traitants demultinationales, force est de constater que le dispositifs’étend de plus en plus.La certification selon une norme sociale présentesouvent plus de garanties de transparence. SA 8000, lanorme la plus célèbre couvre, en plus des quatre droitsfondamentaux évoqués en introduction prend encompte l’hygiène et la sécurité du travail, la discipline,les horaires de travail, les rémunérations ainsi quel’existence d’un système de management de ces

10 Notamment mais non exclusivement par :- Jarrelle DILLER : “Responsabilité sociale et mondialiation :

qu’attendu des codes de conduite, des labels sociaux et des pra-tiques d’investissement ?” Revue Internationale du travail, 1999,Vol 138, n° 2, p.107 ;

- OCDE : “Les codes de conduite des entreprises : étude appro-fondie de leur contenu” 9 juin 2000 (cf. site de l’OCDE).

- MERCIER S. “Les chartes et codes éthiques : quel contenu,quelle utilité ?” Cahiers juridiques et fiscaux de l’exportation n°2/2000, dossier spécial Ethique et Commerce International,p.297,

- DESBARATS I. “Codes de conduite et chartes éthiques desentreprises privées. Regard sur une pratique en expansion” Juin - Classeur périodique, Edition Entreprises, n° 9, 26 février2003.

11 “Les codes de conduite des entreprises, étude approfondie de leurcontenu” OCDE, op. cit. p.43.

12 Jacques IGALENS : “Etude des relations entre les entreprises etles organismes de la société civile autour du concept de responsa-bilité sociale ” note du LIRHE, n°370 (03-1), Janvier 2003

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questions 13. Deux options existent : les entreprises quipossèdent des unités de production peuvent les fairecertifier à partir d’audits sociaux par l’un desorganismes certificateurs accrédités par SAI. Il s’agitsouvent d’organismes qui ont acquis une certaineaudience internationale dans la certification à partir desnormes ISO 9000, tels que le BVQI ou ITS. Cesorganismes sont accrédités et habilités à effectuer desaudits et à accorder la certification lorsque laconformité est établie, étant précisé que SAI conserve àleur égard un pouvoir de contrôle. L’accréditation desorganismes de certification est conditionnée par lavérification de leur professionnalisme, leur impartialitéet leur capacité à conduire des audits selon les règles del’art 14. Les entreprises de distribution peuventégalement utiliser SA 8000 comme un instrument degestion éthique pouvant déboucher sur la certificationdes fournisseurs. Cette seconde option a été retenue pardes entreprises telles que AMANA SA, AVON,CUTTER & BUCK, DOLE, EILEEN FISHER, OTTOVERSAND, TEX LINE, TOYS “R” US, UNOPS etVÖGELE MODE.

La labellisation la plus achevée concerne le label socialbelge. Elle met en jeu l’entreprise, l’organisme decontrôle et le Ministère des Affaires Economiques et leComité de Labellisation. L’entreprise adresse unedemande préliminaire au Ministère et au Comitécontenant les éléments suivants :

- Le nom, le lieu et l’entité juridique.- Le nom et la description du produit (ou marque).- Une description complète de la chaîne de production

et du processus d’approvisionnement.- Le procès verbal de la réunion pendant laquelle les

instances de dialogue social ont été informées.- Les labels sociaux et autres certificats déjà obtenus. Si

le dossier est recevable l’entreprise choisit l’auditeursocial sur le site www.label-social.be des cabinetsaccrédités (dénommées “organismes de contrôle”).

L’entreprise adresse une demande définitive àl’organisme de contrôle (avec copie au comité). Cedernier accepte et procède à l’audit.Avant la rédaction du rapport d’audit définitifl’entreprise fournit au cabinet une description desmesures consécutives qui peuvent être introduitesimmédiatement par l’entreprise pour pouvoir répondreà certaines non-conformités et un plan d’exécutionconcernant l’introduction des mesures correctives pourrépondre à des non-conformités graves et quidemandent le plus souvent des changements structurelssignificatifs au niveau du système de production.L’organisme de contrôle transmet le rapport àl’entreprise et au comité qui émet un avis motivé positifou négatif à destination du Ministre qui autorise l’octroidu label.

Il est intéressant de mettre en évidence le rôle essentielde l’audit social, qu’il s’agisse du contrôle del’application des codes de conduite, de la certificationou de l’octroi d’un label.

B. L’apport de l’audit social

L’audit social provient de l’application au domainesocial de la rigueur des démarches de l’auditfinancier 15. En France l’audit social apparaît avec la loide 1977 concernant l’obligation, pour les entreprises deplus de trois cents salariés, de mettre en place le bilansocial. En 1982, R.VATIER créé l’IAS, Institut del’Audit Social. Par la suite le CCIAS (Centre deCertification des Auditeurs Spécialisés) sera établi etaccrédité par le COFRAC.

Ainsi l’Audit Social en France offre un double intérêt :un savoir-faire et une communauté de professionnels.Sur le premier point, l’audit social est fondé sur unedémarche d’observation qui tend à vérifier qu’uneentreprise dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit, qu’ellele fait “dans les règles de l’art” et qu’elle maîtrise lesrisques qui pèsent sur elle.

L’utilisation d’un référentiel constitue la premièrecaractéristique du travail d’audit, car si l’auditeurproduit, in fine, un jugement sur la qualité d’une gestionil ne le fait pas sur la base de son propre système devaleurs mais sur celle d’un référentiel connu et accepté.Dans le cas des principes de base de l’OIT, l’auditeurtravaille non seulement à partir des conventionsconcernées qui constituent pour lui autant de standards,mais, il traduit chacun d’entre eux en exigencesconcrètes. Chaque exigence consiste à décliner lestandard dans une dimension ou une situationparticulière de telle sorte que le rassemblement desexigences couvre la totalité du standard.

Chaque exigence fera l’objet d’une diligenceappropriée compte tenu de sa nature. l’auditeur partantà la recherche d’élément probant, c’est à dire de preuveconcrète du respect ou du non-respect de l’exigence. Ace niveau apparaissent de nombreuses techniques tellesque l’échantillonnage, le croisement des sourcesd’information (la “triangulation ”), le calcul, la

13 La notion de système de management a été popularisée par la sériedes normes ISO 9000.

14 Mohamed ENNACEUR, Président de l’IAS Tunisie “la SA 8000 :de nouvelles opportunités pour l’audit social” intervention lors dela XIXe Université d’Eté de l’IAS à Toulouse les 29-30 août 2001cf. : http://www.audit-social.com

15 Jacques IGALENS “L’audit social” in Encyclopédie desRessources Humaines (2003) sous la direction de J. ALLOUCHE,Edition Vuibert, 400 pages.

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statistique descriptive mais aussi les techniquesd’entretien car l’interrogation directe des salariésconcernant leur situation constitue un apport essentiel. Sans rentrer dans le détail des techniques, il apparaîtque la pratique de l’audit social n’est pas de mêmenature que celle, par exemple de l’audit qualité.

Si l’un et l’autre reposent sur la comparaison d’unesituation par rapport à un référentiel, l’auditeur socialdoit chercher à adapter son référentiel à chaquesituation (par exemple concernant le respect deslégislations locales). Il doit également procéder à larecherche d’informations par observation directe, parentretiens à tous les niveaux de la hiérarchie. Là oùl’auditeur qualité s’intéressera essentiellement à laprésence, l’accessibilité, la mise à jour de document,l’auditeur social ajoutera des entretiens privés dans lalangue des salariés en cherchant à établir une relation deconfiance pour obtenir des informations sur lespratiques réelles et non pas sur la simple apparence.Enfin dans de nombreux cas, l’auditeur social ne secontente pas du constat de non-conformité mais il doits’inquiéter des conséquences que son rapport peutprovoquer sur la situation qu’il découvre, c’estnotamment le cas pour le respect du principe d’abolitiondu travail des enfants.

Pour ces raisons l’audit social suppose la formationd’auditeurs spécialisés. Contrairement à la pratique denombreux organismes de contrôle, on ne peut sansformation et suivi transformer des auditeurs qualité enauditeurs sociaux. SAI, le gouvernement belge et peutêtre demain l’OIT ont intégré cette nécessité. L’IAS etle CCIAS ont une expérience de la formation initiale etdu développement des auditeurs sociaux depuis unquart de siècle. l’existence d’Instituts autonomes maisœuvrant dans la même direction et avec la mêmerigueur que sont l’IAS Maroc, l’IAS Tunisie, le CLERH(au Liban), l’IAS Algérie et l’IAS Luxembourg offre laforce et la flexibilité d’un réseau de professionnels quisont prêts à mettre leur savoir-faire au service de lacause des droits fondamentaux du travail.

ConclusionIl est banal de remarquer que la mondialisationconcerne plus la dimension économique que sociale deséchanges internationaux. Partant de ce constatl’introduction de clauses sociales dans le commercesemble inévitable si l’on souhaite une applicationuniverselle des principes fondamentaux de l’OIT, maiscette introduction ne suffit pas à garantir qu’ils serontappliqués. C’est au niveau de l’application effective quel’audit social prend tout son sens mais force est deconstater que les méthodes d’audit social sont encorepeu normalisées et que parfois la formation desauditeurs laisse à désirer. Pour ces raisons laconstitution de réseaux d’auditeurs sociaux et ledéveloppement de formations adaptées doivent êtreconsidérés comme une priorité.

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Irrévérences sur l’audit social et éthique

Michel JORASPrésident du CEDS« Cercle d’Etudes pour le Développement Sociétal »

[email protected]

« Faire de la contrebande tout en étant chargé de la répression »

(Proverbe chinois)

Cette sentence proverbiale ne serait-elle pas uneincongruité capable d’interpeller tout auditeur social(même certifié CCIAS) 1 et ce d’autant plus qu’il sesentirait préoccupé par les idéaux portés par le « Cercled’Ethique des Affaires » (CEA) ?

Irrévérence sémantiqueDevant les difficultés de donner des définitionsconsensuelles de Social et Ethique, une attitude consisteà adopter le pragmatisme britannique de l’ISEA quidans son standard AA 1000 2 précise : « qu’éthiques’applique à l’interelation des pratiques del’organisation et des conduites des individus au seinmême de l’entité, alors que le social concerne lesimpacts des activités de l’entité sur des partiesprenantes, à la fois internes et externes ».

Irrévérence portée surl’auditeurSans vouloir refaire notre monde, étonné par ses utopiesde promouvoir le Développement Durable, tout enfermant les yeux sur l’asymétrie sociétale del’économie libérale de marché, n’est-il pas opportun desouligner la prétention de l’auditeur sociétal de vouloiret se sentir capable d’exercer son expertise et sadéontologie auprès d’entreprises confrontées à des« zones grises » ou pire actives dans « Pays de nondroit » comme exprimé dans les tableaux 1 et 2 ci-après.

Irrévérences sur l’audit social et éthiqueMichel JORAS

1 CCIAS, Centre de Certification Internationale d'AuditeursSpécialisés.

2 AA 1000, Norme de l'Institute of Social and Ethical Accountability(UK).

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Irrévérence politique :l’asymétrie sociétable est-elle durable, soutenable ?

La mondialisation qui se propage selon uncosmopolitisme inexorable, tel que décrit par UerichBeck 3, accentue la fluidité transnationale des flux decapitaux en leur offrant même généreusement des« paradis fiscaux », protégés sournoisement par les étatsdits éthiques, et souvent au profit des entreprisesvoyous qu’ils pourchassent d’ailleurs sur leursterritoires (ex. Parmalat, décembre 2003).

De façon asymétrique, les états dits développés ayantperdu la police des changes financiers, et abandonné latutelle de leur monnaie (euro) essaient par tous lesmoyens, et ce au détriment du respect des droits et de ladignité des travailleurs, dénommés clandestins, defreiner, de bloquer, les flux migratoires des travailleursétrangers non qualifiés, capital humain disponible etnéanmoins gage de leur survie future.

Sans-papiers, clandestins, alimentent ainsi les « enferssociaux » de la « veille Europe » 4 qui, dans une attitudeschizophrénique laisse détruire au même moment sesemplois au profit d’ « états-enfers-sociaux-émergents »,à « basse éthique ». Asymétrie insoutenable car nondurable du capitalisme de la deuxième modernité !

Aussi, la proclamation d’engagements, accompagnéede promesses de la diffusion sincère des performancessupposées, ne serait-elle pas de la part des entreprises,voire des états, de créer des palliatifs discrets, desécrans utiles à dissimuler les conséquencesinsupportables de l’asymétrie sociale, ci-dessusdénoncée.

Irrévérence portée surl’audit de la responsabilitésociale éthique de l’entreprise : utopie ou leurre ?

Fondamentaux de l’auditSous des définitions diverses, l’audit estfondamentalement « une démarche mandatée etindépendante, d’examen et d’évaluation, d’une partpour assurer que les processus (process, procédures,procédés) et les performances documentées qui enrésultent, répondent aux exigences d’un référentielstipulé et, d’autre part, pour en dégager et mesurer lesécarts en précisant éventuellement de leurs origines,leurs causes, leurs impacts et conséquences ».

Spécificités de l’audit de laResponsabilité sociétale éthiqueAppliqué à la Responsabilité éthique, l’audit devraitavoir pour but de s’assurer qu’une entreprise, à partird’une cartographie des dangers qu’elle génère dans lesdifférents domaines économique, environnemental,social, a bien pris en compte les conséquences (lesrisques) et les impacts de ses activités à l’égard desparties prenantes dans le périmètre qui lui assigné oupour lequel elle se trouve engagée, et ce dans le strictrespect des obligations réglementaires et éthiquesauxquelles elle est assujettie ou s’est volontairementastreinte.

Un référentiel composite, exubérantEn dehors du débat récurent sur la légitimité de se miseen oeuvre, de la consensualité de sa pratique, desmotivations réellement morales, tout audit de la RSErepose (comme tout audit) sur la condition essentiellequ’est l’existence d’un référentiel, qu’il soit stipulé,normatif, ou élaboré par l’auditeur ou le prescripteur.

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Irrévérences sur l’audit social et éthiqueMichel JORAS

3 Beck (U), " Pouvoir et contre pouvoir à l'ère de la Mondialisation ",Alto, Aubier, 2003.

4 Malgré la Déclaration de Barcelone (1995 - les 5+5).

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Compte-tenu des caractéristiques de la RSE (Livre VertUnion Européenne), le réferentiel RSE devraitdésigner :

- les obligations réglementaires et ou volontaires ;- les dangers encourus lors des activités ;- les risques générés par ces dangers ;- le périmètre sous contrôle réel ;- les parties prenantes « impactées ».

L’audit en zones de non droitSi certains pensent que l’examen et l’évaluation debonnes pratiques, de bonnes conduites, reprises dans unréférentiel (proposées dans une charte, une norme, uneconvention…) peuvent malgré tout être menés à biendans des zones de droit (règles énoncées, contrôlepossible, jugement neutre, pénalisation effective etéquitable, poursuites judiciaires et disciplinairesapplicables) bien que perverties par des pratiquesinéthiques, mafieuses, par contre, comment desauditeurs responsables pourraient-il diligenter desmissions d’audit dans des pays de non droit, réunissantdes états voyous, des territoires dévastés, des paradisfiscaux, des enfers sociaux ?

L’audit revisitéDans l’incapacité de diligenter une mission d’audit« social et éthique », faute d’un référentiel explicite, carinconnu et sans limites, à partir de l’examen dessystèmes d’information, il conviendrait alors de selimiter à l’audit du système de management de laResponsabilité éthique, construit sur l’architecture ISO9004/2000.

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La notion socialeen France : trente ans d’histoire

Eléonore MARBOTMaître de ConférencesCNAM, [email protected]

Jean-Luc CERDINProfesseurESSEC, [email protected]

Jean-Marie PERETTIProfesseur des UniversitésESSEC, CERGYUniversité de [email protected]

Le développement actuel du rating social s’inscritdans le prolongement d’une réflexion amorcéedans les années soixante dix lors des débats

autour de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE)et du bilan social. Il n’est pas inutile, près de trente ansplus tard, d’évoquer les travaux et recherche del’époque et de s’interroger sur l’intérêt non durablesuscité par ce thème. Parmi les raisons de la relativedésaffection qu’a connu pendant vingt ans le thème dela notation sociale et sociétale, divers auteurs ontsouligné l’effet pervers de l’obligation légale. En effet,la France a rendu obligatoire un bilan social par la loi du12 juillet 1977. Cette date marque une rupture dans laréflexion sur le diagnostic social et sociétal externe del’entreprise et sur-le-champ de la ResponsabilitéSociale de l’Entreprise (RSE) à prendre en compte.

1. 1974-1977 : Quel champ pour la RSE ?

Le mouvement pour la responsabilité sociale desentreprises s’est développé aux Etats-Unis à la fin desannées soixante. Les débats ont été amorcés tôt[(BOWEN (1953), DAVIS (1960), Mc GUIRE (1963)],Il s’est développé en France dans les années 1974-1977.Toutes les dimensions de la responsabilité sociale sont àl’époque concernées. Les réflexions s’inscrivent en France dans le débat déjàancien sur la réforme de l’Entreprise. En 1963, FrançoisBLOCH-LAINE dans son rapport intitulé « Pour uneréforme de l’entreprise » consacre un chapitre à« l’entreprise, la profession, la région et l’état» et plaide« pour une magistrature économique et sociale » (1963,page 147) Cet ouvrage, écrit dans le contexte des«trente glorieuses », apparaît inscrit dans ce contexte etreflète des préoccupations éloignées de celles quiémergent avec mai 1968. La crise de l’Entreprise est unthème important de la période post-soixante huit. Lechoc pétrolier de 1973 accentue la perception desnouveaux défis auxquels l’entreprise doit répondre.Pour Octave GELINIER convergent alors trois défis: lepolitique (montée d’exigences nouvelles du citoyen etde l’Etat tels que réduire la pollution, réduire l’inégalitédes revenus, vaincre la pauvreté, protéger leconsommateur...), le social (dans l’entreprise, avec dessalariés qui veulent une entreprise plus humaine, et àl’extérieur. « La réussite de l’entreprise commeinstitution fait qu’on lui demande d’être responsable dece qui se passe en dehors de ses murs » (SYNTEC,1976, page 13) et économique (avec les conséquencessociales de la crise).

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Dans les années de crise 1974-1977, la conviction quel’entreprise doit s’organiser pour assumer des relationsactives avec des partenaires plus nombreux apparaîtfréquemment.

Le « Rapport du comité d’étude pour la réforme del’entreprise » ( SUDREAU, 1975) ne reflète cependantpas cette vision élargie et s’intéresse toutparticulièrement aux partenaires salariés etreprésentants du personnel.. Il faut « permettre demesurer l’effort accompli en matière sociale et mieuxsituer les objectifs », « que la gestion sociale sorte durelatif et du subjectif », « donner une base chiffrée audialogue », « des indicateurs représentatifs de lasituation sociale et des conditions de travail ». Lerapport recommande « l’établissement d’un bilansocial ».

Le besoin de définir un champ du social plus large et dedévelopper des indicateurs est cependant affirmé dansde nombreux travaux. Le numéro spécial de la RevueFrançaise de Gestion consacré au Bilan Social présentede multiples contributions témoignant de la richesse desrecherches (IGALENS, PERETTI, ROY, 1977) Lespressions nouvelles que subissent à l’époque lesentreprises les amènent à prendre en compte lespartenaires externes. L’importance de l’entreprise parrapport à son environnement devient manifeste et « dèslors, le comportement à l’égard de la pollution, laparticipation aux œuvres culturelles ou aux transportscollectifs sont considérés comme inhérents à laresponsabilité de la firme » (DANZIGER, 1982) LaRSE englobe l’homme dans l’entreprise et l’entreprisedans la cité.

Les consommateurs, les citoyens, les contribuables, lesminorités, les collectivités, l’état expriment des attenteset des exigences qui étendent le champ de la RSE. Lecomportement de l’entreprise dans la cité est étudié etévalué à l’extérieur. Face aux pressions, l’entreprisejustifie son action en rendant compte. Elle doit définirl’étendue de sa responsabilité et la nature desinformations pertinentes. Les travaux sur la délimitationdu champ de la responsabilité sociale de l’entreprise etceux sur les outils de mesures sont nombreux en Francedans les années 1975-1977.

En 1975, François DALLE, alors président del’OREAL, publie « Quand l’entreprise s’éveille à laconscience sociale ». Il souligne l’influence de la crisede l’énergie dans cet éveil. Puisque « l’entreprise estune institution sur laquelle tendent à se focaliser tous lesgrands problèmes de notre temps » (DALLE, 1975, p.101), l’entreprise va se transformer et «se rend attentiveaux évolutions de la conscience sociale et s’efforce detempérer les excès du dynamisme » (page 187)« Moraliser leurs fabrications et la publicité »,

« sécuriser les consommateurs » sont des impératifspour les entreprises. Parmi les pressions mises en avantdans les années soixante-dix, les pressions desconsommateurs, des groupements d’entreprise et dessyndicats, de la société civile et de l’état sont fortes. EnFrance, la pression des investisseurs est, à l’époque,inexistante.

ACKERMAN et BAUER défendent une approcheempirique en observant comment le rôle de l’entrepriseen tant que groupement de parties prenantes est en trainde changer car « Il n’y a aucun principe permettant dedéterminer avec certitudes les limites de sesresponsabilités et de dire comment faut les assurer »(1977, p. 32) Les parties prenantes identifiées sont lessalariés, les clients, les actionnaires, les fournisseurs,les communautés locales et communautés nationales. Ilfaut donc se concentrer sur les interactions entrel’entreprise et ses parties prenantes.

PERETTI et ROY distinguent les deux étapes de laprise de conséquence et la prise en compte et soulignantque « la prise de conscience de l’engagement sociale del’entreprise résulte généralement de crises contes-tataires subies (1977, p. 19) Ils constatent unedivergence entre les pressions contestataires nord-américaines et françaises. « Les mêmes pressions nesont pas apparues avec la même intensité... La fonctiond’auditeur externe ne rencontre pas autant d’audiencedans l’esprit français que dans l’esprit anglo-saxon...Les entreprises n’ont pas fait l’objet d’études par descenseurs extérieurs... La pression des organismesd’investissement ne semble pas avoir joué. Les critèresde propreté du portefeuille ne semblent pas avoir étéapprofondis » ( 1977, p. 21).

Un écart apparaît entre l’intérêt suscité par le concept deresponsabilité sociale large et la faiblesse des pressionspour amener l’entreprise à la prendre en compte. Lesprincipaux travaux de l’époque adoptent une définitionlarge du champ de la responsabilité sociale. Le premierouvrage consacré à l’audit social est publié en 1975 enFrance, « L’audit social au service d’un management desurvie » (HUMBLE, 1975), traduction de « Socialresponsability audit ». Son champ recouvre lediagnostic des problèmes posés par les relations del’entreprise avec son environnement externe (pollution ;relations avec la communauté, les consommateurs, lesfournisseurs, les actionnaires) et interne (groupesminoritaires...) Il propose un questionnaire d’auditsocial et sociétal ( exemple: jusqu’à quel point vosemballages pourraient-ils être critiqués du point de vuede l’environnement?) Non assorti d’une évaluation.Dans sa préface Jean Léon DONNADIEU, directeurgénéral chargé des relations humaines de BSNGERVAIS DANONE, souligne la proximité de cetouvrage avec les idées développées par Antoine

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RIBOUD dans son célèbre discours prononcé àMarseille lors des assises 1972 du CNPF. Il ne s’agitdonc pas d’une réflexion isolée.

A la même époque, l’Institut de l’Entreprise conduit unerecherche pour proposer une démarche et desinstruments pour l’analyse sociale. Il propose unenomenclature et un questionnaire social qui conserventune grande actualité (CHEVALIER, 1976) Lanomenclature, conçue comme outil heuristique,comprenait neufs chapitres y compris sur «lesconséquences de l’activité de l’entreprise sur lasociété».

Les syndicats s’intéressent également au sujet. SergeBLIND, expert comptable auprès de comitésd’entreprise propose une nomenclature large de la RSEet des outils de mesure du rôle social de l’entreprise(BLIND, 1977) La nomenclature comporte neufchapitres qui ont l’ambition de « couvrir l’ensemble del’activité sociale de l’entreprise » (BLIND, 1977) Unecomparaison avec la grille des rubriques du bilan sociallégal adopté au même moment fait ressortir l’ambitionsociétale de la nomenclature. Un premier chapitreintitulé « implantation et emploi » contient, au-delà desindicateurs du chapitre « Emploi » du bilan social légal,des interrogations sur les motifs d’implantation desétablissements et les primes pour création d’emploisreçues des pouvoirs publics. Le chapitre 4 est consacréaux femmes et minorités. La condition féminine dansl’entreprise englobe l’emploi, les rémunérations, lamaternité et les enfants en bas âge, la vie syndicale... Lasituation des étrangers est évaluée en matière derémunération, formation, logement et représentation. Lasituation des handicapés et la réinsertion sociale desdélinquants sont inclus dans ce chapitre. Les chapitre 8(« Partenaires économiques ») et 9 (« politiquefinancière ») sont très riches. Le chapitre 8 aborde lalutte antipollution, avec une quinzaine d’indicateurs, lesrelations avec les fournisseurs et sous-traitants (6indicateurs), clients et produits vendus aux clients (14indicateurs) Les propositions d’indicateurs sontaccompagnées d’une cotation permettant de noter. Nousexaminerons plus loin cette intéressante tentative denotation sociale et sociétale.

Les consultants ont également proposé un contenu pourle bilan social. Dans un ouvrage collectif (SYNTEC,1976), Bernard REUMAUX classe les informations endeux groupes: paramètres du progrès social quidépendent directement de la direction des entreprises etparamètres du comportement social des salariés. Ilpropose des listes de thèmes de progrès, de domaines,d’indicateurs et de sources d’information. Par exemplel’indicateur « diminution de la quantité d’acidesulfurique par litre d’eau déversée par l’usine dans larivière » est un indicateur associé au domaine « notre

image de marque dans la région » (1976, page 159)Comparant les listes de préoccupations sociales desétats et des entreprises à partir des nomenclatures del’OCDE, de L’IDEP( organisation patronale française)et de l’institut BATELLE, ROY et PERETTI soulignentla convergence du nombre des parties prenantes et desthèmes (1977, p. 25) La préservation et l’enrichis-sement de l’héritage culturel (OCDE) rejoint le rôlesocio-culturel de l’entreprise (IDEP) L’exposition auxnuisances (OCDE), la pollution (Battelle) et les effetsdes biens et services sur l’environnement (IDEP)illustrent une commune préoccupation.REY propose de partir des activités de l’organisation etd’étudier leurs effets sur l’environnement avec unedémarche en cinq étapes : identifier les domaines de laRSE, identifier les points forts et les faiblesses,recueillir les données sur les points sensibles, définirdes objectifs opérationnels, mettre en place systèmes etprocédures (1978, p. 144) REY propose la définitionsuivante de la RSE : « La RSE est la capacité del’entreprise à percevoir, prendre en considération lesconséquences et répercussions d’ordre économique,financier, social de ses actions, peser les alternatives etrendre compte de ses décisions » (1978, p. 19). Faisant le point sur le développement du concept deRSE, Jean-Marie PERETTI et Jean-Louis ROYs’interrogeaient « Faut-il des sociétés à responsabilitéillimitée ? » (1977) Ils soulignaient l’importance del’anticipation des pressions externes sur la délimitationdu champ. Ils constatent qu’en France, les principalespressions anticipées, dans le prolongement de mai1968, sont celles des salariés et de leurs représentants.Ceci explique que la loi sur le bilan social restreint ledomaine social aux relations employeurs-salariés.D’aucuns le regrettent et militent pour une extension.Jacques IGALENS et Jean-Marie PERETTI propose unélargissement du contenu vers un bilan sociétal : « lafocalisation du rôle social de l’entreprise sur la relationentreprise-salarié présente des risques. L’appréciationportée sur les performances sociales de l’entrepriseindépendamment de toute externalité est partielle. Leconsommateur, le contribuable, le citoyen, le salarié desfournisseurs, prestataires de service et clients ne doiventpas être ignorés » (IGALENS, 1979) Dans les annéessuivantes (1980-2000), les pressions constantes desparties prenantes et intéressées aux activités del’entreprise, conduisent à redessiner le champ de la RSE(IGALENS, JORAS, 2002).

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2. 1974-1977 : Des indicateurs sociaux au rating social

Un effort important pour mesurer la prise en compte parl’entreprise de sa RSE est engagé à cette époque auxEtats-Unis comme en France. Les travaux sur lesindicateurs se multiplient. Le rôle des expertscomptables est mis en avant. Les degrés de la mesuresociale sont explorés : inventaire, mesure des actions,en coût ou en ratio, mesure des résultats, valeur desrésultats (CHURCHILL, 1977) L’évaluation de lavaleur des résultats pour la société dépasse laquantification des résultats immédiats.RAMANATHAN s’interroge sur les objectifs d’unecomptabilité sociale et insiste sur l’objectif de « mettreà la disposition de toutes les parties prenantes et dansles meilleures conditions, toutes les informationspertinentes sur les objectifs sociaux de l’entreprise, sespolitiques, ses programmes, sa performance et sacontribution aux buts sociaux (1976)Le souhait d’attribuer d’une note globale est parfoisexprimé. « La tentation pourrait venir au théoricien derechercher une synthèse de l’ensemble des ratiossociaux sous la forme d’un ratio global unique évoluantde 0 pour l’entreprise où rien ne va à 1 dans celle oùtout est parfait, de telle sorte que chacun puisse se situerd’un coup d’œil par rapport aux extrêmes et à leurmoyenne. » note l’AFCOD (1978) qui exprime, commebien d’autres alors, des réserves : « Nous croyons qu’ilne faut pas céder à cette tentation... La somme, mêmepondérée, et la moyenne, même astucieuse, de cesmesures sont sans signification » ( AFCOD, 1978, page13) Après avoir examiné les principaux indicateurssociétaux proposés alors, nous analyserons lestentatives de rating synthétique

2.1. Mesurer la responsabilité sociétaleLa prise de conscience du champ conduit à la prise encompte et cette prise en compte nécessite des outils demesure. La possibilité de définir un étalon en matièresociale est à l’époque parfois contestée. La mesure« application du nombre aux données continues etdiscontinues « n’est pas » le signe d’un quelconqueprimat accordé à la quantité. Le recours au nombres’impose en raison de sa commodité instrumentale »(VATTEVILLE, 1981)La construction d’indicateurs sociaux suscite un grandintérêt dans les années 70. Défini comme « la mesurenumérique des différents facteurs affectant lestravailleurs et les relations sociales internes àl‘entreprise « (VATTEVILLE, 1985, p. 66) ou plus

largement l’entreprise et les autres parties prenantes,l’indicateur social est souvent en « ratio social ».

Les ratios occupent une place centrale dans lespropositions d’indicateurs. L’AFCOD établit une listetrès riche de ratios sociaux définis comme un « rapportsignificatif entre deux éléments caractéristiques dustatut des salariés d’une entreprise ou du climat socialde l’entreprise (1978, page 18) en veillant à ce « qu’àdes ratios croissants correspondent des situationsmeilleures ». Ceci implique d’apprécier si une situationest préférable à une autre, ce qui, dans certains cas, estdélicat. La situation la meilleure est, par exemple, celleoù le salarié perçoit plus que les mini masconventionnels, bénéficie d’avantages sociauxsupérieurs aux obligations, d’horaires allégés, de jour,avec une faible amplitude. La stabilité du personnel,une forte ancienneté, le faible nombre de travailleursétrangers sont des points positifs.

La construction et le choix des ratios posent un doubleproblème. Il faut identifier les préoccupationsconcernées et les grandeurs propres à les traduire. Il fautégalement respecter des règles strictes. Le ratio n’estsignificatif que s’il rend compte du phénomène étudiéavec suffisamment de finesse (sensibilité), d’objectivité(fidélité) et de permanence (stabilité) Il doit être clair,précis, lisible.

SAVALL et ZARDET ont souligné l’intérêt del’utilisation conjointe des mesures qualitatives,quantitatives et financière (1985, p. 69) Les travauxconsacrés dès 1973 à l’analyse socio-économique desorganisations et, à partir de 1976, dans le cadre del’ISEOR, ont permis de faire progresser la mesure enGRH notamment à travers les méthodes d’évaluationdes « coûts cachés » (SAVALL, p100) Dans les annéessoixante-dix, la mesure des aspects qualitatifs desproblèmes sociaux se développe également (MONTIS,1976)Françoise REY a réalisé une synthèse de l’ensemble desméthodes de la comptabilité sociale (1978) Elleanalyse, avec des exemples de pratiques alorsinnovantes d’entreprises, les méthodes qualitatives,quantitatives, quantitatives combinées (méthodesmixtes coût indicateurs et coûts-bénéfices) Le travail le plus avancé de mesure du rôle social del’entreprise est celui proposé par Serge BLIND. Pourlui « une analyse sociale doit permettre de porter unjugement de valeur » (1977P.29) Il propose donc unecotation de 0 à 10 pour la plupart des indicateursretenus. Pour certaines de ces indicateurs retenus. Pourcertains de ces indicateurs la cotation est binaire (non =0, oui = 10) C’est le cas par exemple des 4 questionspermettant d’évaluer les relations avec les fournisseurset les sous-traitant.

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Les questions a et b ne font pas l’objet de cotation. Lesautres réponses sont notées soit o (non) soit 10 (oui)Pour d’autres indicateurs la cotation proposée est plusfine. Ainsi pour le recours au travail temporaire, S.BLIND propose la cotation suivante :

BLIND précise que ces cotations ne sont valables quedans un contexte social donné et « tiennent compte desaspirations du monde du travail et des idées nouvellessur la qualité de la vie » (p. 33) La démarche de cotationet de pondération des indicateurs permet de déterminerun total de point. Ce total conduit à classer chaqueentreprise par rapport aux autres. Déterminer, enfonction de seuils, des catégories d’entreprisesassumant plus ou moins correctement leursresponsabilités sociales et sociétales, est égalementpossible. Un classement est envisageable. Les médiasont tenté de le faire.

L’intérêt pour le classement social des entreprisesapparaît avec la publication, en avril 1975, du premier« Examen Socia » du magazine l’Expansion.Cependant le hit-parade qui place en premier unegrande banque (La Banque de France) et en dernier uneentre-prise sidérurgique est vivement criti-qué. En effet,

la prise en compte dutravail de nuit, dutravail posté, desaccidents du travail,de la structure deq u a l i f - i c a t i o n ,critères quidéfavorisent la sidé-rurgie par rapport àla Banque, sont descaractéristiques liéesà l’activité même dusecteur et non à laqualité des politiquessociales. Les criti-ques suscitées parcette initiative ontconduit à privilégierdes résultats sec-

toriels et à mettre l’accent sur la notation des efforts(inputs) et non seulement des résultats.Ce souhait de pouvoir noter et classer les entreprises enfonction de leurs politiques et pratiques sociales a étéfavorisé par la diffusion d’informations normaliséesavec la nomenclature de rubriques et d’indicateurs duBilan social légal. La parution au 2e trimestre 1979 despremiers bilans sociaux stimule les comparaisons et laréflexion sur un indicateur synthétique permettant declasser les entreprises.Dans les années 2000, le besoin d’une évaluationsociale réapparaît. L’émergence d’IR ( Investisseurs

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responsables) en France, d’une part, et la pression del’opinion publique prompte à réagir émotionnellementdans tous les domaines sociétaux, d’autre part, expliquecet intérêt. Comme il y a 25 ans, les pouvoirs publicssouhaitent transformer le mouvement et le traduire ‘enréglementation nouvelle. Il faut souhaiter que lacréation d’obligations ne stérilise pas les réflexions etrecherche en cours.

BibliographieAFCOD (1978), Les ratios sociaux, Les éditions

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ACKERMAN R.W, BAUER R.R (1977), Pour uneapproche empirique du champ de la RSE, in RFG,n°12-13, pp 32-33.

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BLOCH-LAINE F. (1963), Pour une réforme del’entreprise, Le Seuil, Paris.

BOWEN H.R. (1953), Social responsability of thebusinessman, Harper & Row, New York.

CHEVALIER A. (1976), Le bilan social del’entreprise, Masson, Paris.

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DALLE F., BOUNINE J. (1975), Quand l’entreprises’éveille à la conscience sociale, Robert Laffont, Paris.

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Mc GUIRE J.W. (1963), Business and Society, McGraw Hill, New York

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VATTEVILLE E. (1985), Mesure des RessourcesHumaines et Gestion de l’entreprise, Economica,Paris.

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La notion sociale en France : trente ans d’histoireEléonore MARBOT - Jean-Luc CERDIN- Jean-Marie PERETTI

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Fusions-Acquisitions,la responsabilitésociale des entreprisesLe cas HP/COMPACQ

Mohamed MATMATIProfesseurEcole de Management - [email protected]

Pierre-Yves SANSÉAUProfesseurEcole de Management - [email protected]

Laurence COMMANDEURResponsable RHHP - [email protected]

Les fusions-acquisitions constituent des phénomè-nes presque courants dans l’univers de plus enplus concurrentiel dans lequel évoluent les entre-

prises. Le rapprochement entre deux entités ou l’ab-sorption d’une entreprise par une autre est un champd’étude et de réflexion particulièrement riche en scien-ces de gestion. Dans cet article, nous présentons lesenjeux liés aux dimensions humaines des fusions-acqui-sitions et plus spécifiquement les aspects RH liés auxcompétences. Pour illustrer notre propos, nous présen-tons le traitement de ces dimensions dans la fusionHewlett Packard - Compaq. Cet exemple montre que lanotion de compétence en terme de ressource est centra-le lors des fusions et que d’un scénario à l’autre le sortdes compétences peut-être fort différent.

IntroductionA l’aube du 21e siècle, les entreprises évoluent dans unsystème économique global et mondialisé extrêmementcompétitif. Leur survie et leur développement semblentêtre axés sur l’efficacité, l’efficience, la flexibilité, lacroissance, l’adaptabilité, la veille des marchés et sou-vent une position dominante dans leur secteur d’acti-vité. Dans certains domaines comme ceux de la banqueet de l’assurance, on observe depuis une décennie, l’ex-ploration de nouveaux marchés afin de pallier à uneconcurrence de plus en plus vive, voire à la diminutiondu nombre des acteurs. Dans d’autres domaines d’acti-vité comme par exemple l’informatique ou l’industriepharmaceutique, on observe des mouvements de coopé-ration pour le développement ou la commercialisationdes produits. En portant un regard plus global, on observe une tendance de plus en plus marquée desentreprises à fusionner ou à s’entre-acquérir. La crois-sance et le développement à travers des fusions et desacquisitions, des partenariats, des alliances stratégiquesdeviendraient une des façons les plus évidentes d’af-fronter les contraintes des marchés et de la concurrence(Kohler et Mucchielli, 2000 ; Freyssinet et Boyet,2000 ; Lucenko, 2000 ; Galpin et Hemdon, 1999,Deogun et Scannel, 1998, 2001). Il semble important desouligner que, malgré un environnement financier diffi-cile et un système boursier mondial sur le déclin, lesfusions et acquisitions ont atteint pour la première foisle montant de 3,5 milliards de dollars US en 2000(Taylor, 2000).Dans cet article, nous abordons un aspect particulière-ment riche et stratégique du phénomène des fusions-acquisitions : les dimensions Ressources Humaines (RH)et compétences. Le double questionnement central quifonde notre réflexion est le suivant :• qu’en est-il vraiment de la dimension humaine et RH

lorsque des fusions s’opèrent ?

Fusions-Acquisitions, la responsabilité sociale des entreprisesLe cas HP/COMPACQ

Mohamed MATMATI, Pierre-Yves SANSÉAU et Laurence COMMANDEUR

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• comment les entreprises se positionnent par rapport àla problématique de la rétention, de la « fusion » oude la perte de compétences inhérentes à ces décisionsstratégiques ?

Pour éclairer ces liens et ces articulations entre fusion,GRH et compétences, nous avons entamé des démar-ches monographiques qui nous ont permis d’étudierplusieurs cas de fusions-acquisitions et éclairer ainsi lesdeux questionnements que nous abordons ici. Dans unepremière partie de cet article, nous exposons les princi-paux enjeux des fusions-acquisitions par rapport à ladimension RH et compétence. Ceci nous permet égale-ment de mieux situer cette notion de compétence dansle champ de la gestion lorsque l’on aborde le domainede fusions-acquisitions. Dans une seconde partie, nousprésentons le cas Hewlett Packard – Compaq. Il nouspermettra d’éclairer les enjeux RH et compétence dansune situation concrète de fusions-acquisitions.

Fusions-acquisitions et GRH1.1 Fusions – acquisitions,

quels enjeux liés aux ressources humaines ?

Les fusions et acquisitions constituent une des dernièresoptions dont disposent les entreprises dans leur souhaitde rapprochement. En effet, toute une gamme de possi-bilités s’offrent aux entreprises qui manifestent unevolonté de rapprochement. La première est le franchi-sage, suivent après les alliances et les partenariats etenfin les joint ventures. Les fusions et acquisitionsconstituent la dimension la plus avancée en terme detaille d’investissement, de contrôle, de d’intégration oude séparation d’entreprises et d’enjeux liés aux dimen-sions humaines. Nous précisons dès à présent la diffé-rence qui doit être faite entre les fusions et acquisitions,bien que les deux dimensions sont le plus souvent trai-tées conjointement dans la littérature qui y est consa-crée. Dans une fusion, deux entreprises se joignent etcréent une nouvelle entité. Dans une acquisition, uneentreprise est acquise par une autre entreprise et cettedernière gère l’intégration à son gré (Schuler etJackson, 2001 ; Doz et Hamel, 1998, Hamel, 1991,Harbison, 1996).Les raisons qui poussent les entreprises à fusionner sontbasées sur des faits parfois objectifs mais également surdes croyances plus ou moins justifiées. Parmi les rai-sons évoquées et observées le plus fréquemment, onnote la domination du marché et les économies d’é-chelle (fusions horizontales), la diminution des risquesafférents, la diminution des coûts (fusions hybrides), ladomination d’un marché mondial, la survie, la nécessi-té de liquidités ou le trop plein de dettes, le souhait d’é-

voluer rapidement sans investissements lourds, la flexi-bilité, la nécessité d’une meilleure assise pour desemprunts futurs, la recherche de gains financiers per-sonnels et la quête du pouvoir, la recherche de compé-tences stratégiques, et enfin l’acquisition des talents,des connaissances et des technologies de pointe. Cettedernière raison, dans sa dimension liée aux ressourceshumaines, serait de plus en plus présente dans les motifsde fusions. L’acquisition ou « l’achat » de ressourceshumaines hautement qualifiées ou rares, de compétencesstratégiques à travers des processus de fusions est deplus en plus présente et fréquente (Creswell, 2001).De plus, par rapport aux motifs poussant aux fusions ouregroupements d’entreprises, il faut mentionner lescroyances explicites ou implicites dont on fait état régu-lièrement. Il est en effet souvent énoncé que les fusionset acquisitions seraient le moyen le plus facile et le plusrapide de se développer, qu’elles tiennent rarementleurs promesses, qu’elles seraient difficiles à mettre enœuvre, que la création de synergies et de cultures com-munes est un défi majeur et que la préparation est unedes conditions essentielles du succès.Vu l’engouement relatif aux processus de fusions etd’acquisitions et les leçons tirées des expériences pas-sées en la matière, on pourrait penser que le succès etplus souvent au rendez-vous que l’échec. Or, il n’en estrien. Les statistiques montrent qu’aux Etats-Unis, 75 %des fusions et acquisitions conduisent à des échecs etseulement 15 % atteignent leurs objectifs financiers. EnEurope, une étude de 1995 portant sur les opérations deplus de 500 millions de dollars US révèle que la moitiédes fusions et acquisitions ont été destructrices devaleur, 30 % ont un impact minime et que seulement17 % ont été créatrices de valeur (Schuler et Jackson,2001) . Les raisons de ces échecs ou demi-succès sontmultiples. On peut citer la démesure des attentes, lamanque de préparation, la faiblesse de la dimensionstratégique, de mauvaises mise en œuvre, l’incapacité àréunir les entités sous une approche commune, le gâchisdes ressources, l’emphase mise sur les dimensions depouvoir au détriment des dimensions productives, lanon-considération du choc culturel entre les entités, l’é-chec du processus de transition, la sous estimation descoûts afférents, la résistance au changement, l’oubli oul’égarement par rapport à l’activité stratégique(Charman, 1999 ; Sparks, 1999 ; Doz et hamel, 1998).D’un autre côté, lorsque les fusions et acquisitions sontdes succès, les raisons le plus souvent évoquées sont lessuivantes : la présence d’un leadership efficace, uneréflexion préalable quant aux objectifs et aux buts, laconsidération des aspects « hard » et « soft » du proces-sus, la bonne gestion de l’équipe guidant la fusion oul’acquisition, l’enrichissement à partir des expériencesprécédentes et extérieures, une planification du déroule-ment des étapes, la rétention des talents et des hautspotentiels, une communication large et destinée à toutesles parties.

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1.2 Le rôle clé de la GRH dans les processus de fusions - acquisitions

Bien que les aspects légaux, financiers et opérationnelssoient les plus considérés dans les processus de fusions,il est aujourd’hui reconnu, notamment par des diri-geants ayant été impliqués dans des fusions–acquisi-tions, que la gestion de la dimension humaine du chan-gement constitue la réelle clé du succès (Kay et Shelton,2000, Gunther, 2001). Pourtant si cette dimensionhumaine est reconnue comme telle, elle est le plus sou-vent encore négligée. Les raisons qui induisent cettesituation seraient en particulier les suivantes : la croyanceque les individus font partie du « soft » et donc qu’il estdifficile de les « gérer », le manque de reconnaissanceou de consensus sur l’aspect critique des dimensionshumaines, le manque d’expression et d’écho par rapportà cette dimension, le manque d’outil ou de grilles pourcomprendre et gérer les problématiques RH, l’emphasemise sur les dimensions financières, comptables et deproduction.Charman (1999), Habeck et al. (1999) distinguent troisphases dans les processus de fusions-acquisitions : laphase de pré-fusion, la phase de combinaison et d’inté-gration des partenaires et enfin la phase de solidificationde la nouvelle entité. Ces phases sont le plus souventutilisées pour analyser les aspects stratégiques, finan-ciers, ou encore marketing des fusions-acquisitions.Schuler et Jackson (2001) montrent qu’il est tout à faitpossible de les utiliser pour décliner les implications etles actions reliées aux dimensions RH des fusions-acquisitions. En reprenant les trois grandes phases desprocessus de fusion-acquisition, Schuler et Jackson(2001) analysent les enjeux et les implications RH etproposent une grille qui peut s’avérer fort utile pour ali-menter la réflexion. Dans la phase de pré-fusion, il est tout d’abord impor-tant d’identifier précisément le sens et le pourquoi decette volonté de fusion-acquisition. Dans les raisons lesplus fréquemment identifiées, apparaît la volonté d’ac-quérir de nouvelles ressources humaines talentueusesou aux compétences rares et disputées. Un autre enjeudes fusions-acquisition liée aux ressources humaines estla nécessité de positionner un haut responsable décideurainsi qu’une équipe à la tête du processus de fusionacquisition. Il s’agit ensuite de rechercher et de sélec-tionner l’entreprise avec qui se fera la fusion afin que lagestion de l’ensemble du processus de fusion se dérou-le avec le moins d’obstacles possibles. Enfin, il semble-rait important de penser à la façon dont on va être capa-ble de capitaliser et d’apprendre en terme d’aspects RHdu processus de fusion. Dans cette phase de pré-fusion,en terme d’activités et d’implications RH, l’accentdevrait être mis sur une large diffusion de l’informationquant aux raisons, au sens et au déroulement de lafusion, la création d’une cellule spécialisée sur le trans-fert des connaissances et une évaluation des valeurs et

des cultures des deux entités (style de leadership, hori-zons temporels, rôle des partenaires, tolérance auxrisques, esprit d’équipe, individualisme). Les résultatsles plus satisfaisants sont obtenus lorsque le projet defusion est étudié dans la discrétion afin d’évaluer lesenjeux et les impacts des différents scénarios. La com-munication doit être progressive, suivre et faciliter l’a-vancement du projet.La seconde phase du processus de fusion-acquisition estsouvent la plus cruciale. Il s’agit de la période où, aprèsla phase de pré-fusion, les deux entreprises se rejoi-gnent réellement. Les enjeux liés aux RH sont nom-breux et importants dans le succès ou l’échec de lafusion. Un des premiers enjeux a trait à la sélection et àla nomination d’un « gestionnaire de fusion ». Cettepersonne, qui sera exclusivement dédiée à cette fonc-tion et qui sera épaulée par une équipe, aura pour mis-sions d’être à la fois un directeur de projet, un commu-nicateur, un conseiller, un facilitateur relationnel, unmeneur d’équipe, un négociateur et un solutionneur. Lesecond enjeu majeur touche à la nomination d’un ges-tionnaire en mesure de gérer l’intégration des activitésdes deux entités sur le terrain. Cette personne devras’appuyer sur un leadership affirmé et reconnu, êtresensible aux différences culturelles, être ouvert, flexi-ble, en mesure d’identifier les forces et faiblesses desdeux compagnies, être à l’écoute, visionnaire, sensibleà la rétention des employés stratégiques. Il devra aussiavoir une solide connaissance des deux entreprises. La rétention des employés clés apparaît être un aspectdéterminant dans cette phase d’intégration des deuxentreprises. C’est sans doute la dimension la plus cri-tique devant la communication, la rétention des mana-gers stratégiques, et la fusion des deux cultures (Kay etShelton, 2000). Pour faciliter cette rétention, des ententesfinancières peuvent être négociées avec ces employés,des bonus de rétention peuvent être proposés ou encoredes ententes et engagements écrits signés. La gestion du processus de communication est crucialedans un processus de fusion. Lorsqu’il est géré avecefficacité, son rôle est positif et très apprécié, spécifi-quement pour les entreprises qui sont sujettes à l’acqui-sition. Cette communication doit être active et utiliserles mots justes sinon des confusions et des rumeurss’installent très rapidement. Une déficience au niveaude la communication peut générer de la confusion, unebaisse de productivité et de l’incertitude. Enfin, dans cette phase de fusion apparaît la nécessitéde mettre en place de nouvelles façon de faire (poli-tiques et pratiques RH) pour faciliter l’apprentissage, lepartage et le transfert des connaissances. Ces nouvellesorientations RH devront être adaptées au contexte de lafusion ou de l’acquisition. Elles doivent permettre enparticulier l’harmonisation des anciennes pratiques, laflexibilité et le développement des RH dans une per-spective de long terme.La troisième phase du processus de fusion consiste à

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solidifier et à évaluer la nouvelle entité créée. En termed’enjeu relatif à la dimension RH, il s’agit tout d’abordde consolider les équipes dirigeantes et de gérer les pro-blématiques de leadership qui peuvent émerger entre lesanciens dirigeants des deux ex-entités. Il faut égalementévaluer la nouvelle culture émergeante et veiller quechacun se sente suffisamment à l’aise avec les nouvel-les valeurs fortes véhiculées. Les nouvelles politiques etpratiques RH devraient également faire l’objet d’éva-luation afin de mesurer leur pertinence, leur impact etleur efficacité. Les observations et les intérêts des « sta-keholders » doivent pouvoir remonter et être considé-rés. On entre par la suite dans un processus RH d’ajus-tement et de consolidification pas à pas mais aussi d’ap-prentissage organisationnel étalé sur plusieurs années.

1. 3 Fusion et compétences : quelleplace des compétences et quelleapproche autour de la notion de compétence ?

1.3.1 Des compétences individuelles aux compétences stratégiques

La notion de compétence a toujours été au cœur de lagestion des entreprises et de la gestion des ressourceshumaines en particulier. Une rupture s’est pourtant pro-duite, c’est le passage de la notion traditionnelle decompétences requises au profit de compétences déte-nues (Retour, 2002). Si la gestion des ressources hu-maines s’est longtemps basée et orientée autour de lanotion de poste de travail et d’emploi, les mutations etévolutions dues aux changements technologiques et àl’univers en perpétuelle mouvance ont rendu cetteapproche obsolète. L’élément qui conserve, pour l’en-treprise, une relative stabilité, c’est avant tout ses res-sources humaines. La clé se situe donc maintenant autourdes compétences détenues par les hommes et les fem-mes dans les organisations, c’est d’ailleurs le fonde-ment du modèle de la compétence. Posséder les bonnescompétences, au bon moment et dans la situation justeconstitue un facteur de succès pour beaucoup d’entre-prises. Considérer la notion de compétences amène à repérertrois niveaux : les compétences individuelles, les com-pétences collectives et les compétences stratégiques.Quelles sont les différences et les approches qui diffé-rencient ces niveaux ?La notion de compétence fait référence au découpagetraditionnel savoir, savoir-faire, savoir-être. Au gré de laproduction de multiples définitions, le terme compé-tence s’est précisé et affiné autour d’une notion de capa-cité de mise en œuvre dans un contexte donné, de réus-site potentielle dans une situation de travail. Cette

approche n’est plus « statique » mais s’oriente vers unenotion de dynamisme, d’apprentissage continu et d’o-pérationnalité. Dans cet esprit, l’accord ACAP 2000définit la compétence comme un « savoir-faire opéra-tionnel validé ». En suivant cette approche, Igalens etScouarnec (2001) nous proposent une idée de la com-pétence autour de l’action réussie et de la performance.Zarifian (2001) pour sa part souligne les notions deprise d’initiative et de responsabilité dans des situationsprofessionnelles, et d’intelligence pratique des situa-tions. Reynaud (2001) abonde dans cette direction enprécisant que dans la notion de compétence se mani-feste une idée qui constitue la rupture, c’est la respon-sabilisation du travailleur par rapport à l’atteinte durésultat, la réponse au client, la réaction au marché.La compétence peut donc s’orienter autour de trois ni-veaux. Premier niveau, les compétences individuellesqui feraient référence à ce savoir-faire opérationnelcontextuel et validé d’un individu. On s’intéresse ici àl’individu unitaire dans le contexte professionnel.Deuxième niveau, les compétences collectives. Ces der-nières font références à l’interaction de personnes dansdes situations de travail, une combinaison de compé-tences individuelles qui « offre les conditions de l’é-mergence d’une nouvelle compétence, la compétencecollective » (Matmati, 2002, p.435). La compétencecollective serait le moyen privilégié de faire face à lacomplexité. L’initiative individuelle serait obsolète sitous les acteurs ne s’engageaient pas dans la mêmedémarche. La synergie entre les individus dans l’uni-vers organisationnel serait la clé de l’efficacité et per-mettrait de pallier le mieux possible aux aléas (Chain etMoreau, 1996).Dans la lignée de la notion de « ressources » issue duchamp de la stratégie, est apparue la notion de compé-tence stratégique il y a une dizaine d’années.Contrairement à la notion de compétence individuelleoù les pratiques ont précédé les approches théoriques, lanotion de compétence en stratégie est apparue dans unpremier temps dans le champ théorique pour donnerlieu par la suite à des applications plus concrètes(Aubret et al., 2002 ; Rouby et Sole, 2002). Cette notionde compétence stratégique (qualifiée aussi de compé-tence fondamentale, de compétence organisationnelleou encore de compétence clé), repose sur l’appro-che « ressources » et connaît un vif succès dans la litté-rature en stratégie. Si cette notion semble voisine del’approche compétence en management, elle a ses pro-pres particularités qu’il convient de préciser.Hamel et Prahalad (1995) définissent la compétencestratégique comme un ensemble de plusieurs savoirs ettechnologies propres à une entreprise, savoir-faire maî-trisés par tout ou une partie du personnel qui lui confère un avantage concurrentiel durable sur le mar-ché. Les auteurs caractérisent la compétence stratégiqueautour de trois indicateurs :• la valeur aux yeux du client,

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• la différentiation par rapport aux concurrents,• l’élasticité qui est définie comme la capacité à créer

des passerelles vers les marchés de l’avenir.

Ces compétences ne seraient pas uniquement technolo-giques. Elles seraient de différentes origines et contri-bueraient à leur façon à la création de cet avantageconcurrentiel de l’entreprise et à l’assurance de son ave-nir. On peut distinguer trois catégories de compétencesfondamentales :• les compétences technologiques qui sont à la base

même du développement technologique de l’entre-prise et de leur industrialisation dans l’entreprise ;

• les compétences de processus qui sont plutôtattachées à la maîtrise d’un enchaînement au seind’un processus de travail de l’entreprise tech-nologique et administratif et qui sont transversales àplusieurs fonctions et structures ;

• les compétences de métiers qui sont en lien à lamaîtrise soit des activités d’une fonction d’entreprisesoit d’une technique donnée et correspondent à dessavoir-faire individuels maîtrisés par plusieurs per-sonnes d’un collectif.

1.3.2 Compétences individuelles etstratégiques, de convergences en divergences

Entre la dimension des compétences individuelles quiseraient l’apanage du champ de la GRH et du manage-ment et l’approche par les compétences stratégiques, ilest possible de différencier deux visions de la notion decompétence qui de prime abord sont relativement pro-ches. La première approche qui alimente depuis unequinzaine d’année le champ de la GRH est axée sur lavolonté d’un dépassement de la conception rigide dessavoirs et des savoir-faire des individus en entreprisebasée sur une vision taylorienne du travail. Les compé-tences détenues prennent le dessus sur les compétencesrequises, ce qui donnerait à l’entreprise un nouveausouffle pour s’adapter à un contexte changeant etconcurrentiel. La seconde approche basée sur la notionde compétence stratégique se préoccupe de mise enœuvre de la stratégie de l’entreprise pour assurer sondéveloppement et sa pérennité. Cependant, certains auteurs nous montrent que cetteproximité ne serait qu’apparente entre les notions decompétences en GRH et dans le domaine de la stratégie.En effet, la stratégie et la GRH ne définissent pas de lamême manière le terme « compétence ». Dans la do-maine de la stratégie, la compétence est une notion col-lective qui désigne des routines organisationnelles, ellefait référence à un avantage concurrentiel et surtout ellemet l’emphase sur ce que font les compétences plutôt quesur ce qu’elles sont. On insiste donc en stratégie davan-tage sur leurs effets que sur leur nature. A l’inverse, enGRH la notion de compétence fait référence à une notionindividuelle, précisée et détaillée et fait réfé-rence à un

ensemble de savoirs et de qualités détenues par un indi-vidu (Aubret et al., 2002 ; Defélix et Retour , 2002).

1.3.3 Les compétences stratégiques au cœurdes enjeux des fusions - acquisitions

Dans la cadre de fusions-acquisitions, qu’en est-il decette notion de compétence ? Si les recherches que nousavons présentées précédemment se penchent sur lesliens entre la GRH et la fonction RH et le phénomènedes fusions-acquisitions, peu de précisions directes surles compétences nous sont apportées directement.Pourtant, on peut repérer à travers les écrits de Schuleret Jackson (2001) des liens entre compétence et fusionsous deux dimensions. Dans un premier temps, les auteurs soulignent le faitqu’une des dimensions cruciales dans la phase de fusionde deux entreprises est la rétention des employés ou desressources humaines clés. Cette dimension est détermi-nante car la plupart des entreprises acquises perdent leurpersonnel clé après l’acquisition. Dans ce cas de figure,la fusion-acquisition s’éloignerait alors d’un de sesobjectifs initiaux, à savoir l’acquisition de talents, deconnaissance et l’émergence de « core competencies »soit d’un nouveau foyer de compétences clés. Cetterétention des compétences clés est, d’après Schuler etJackson (2001), déterminante car elle permettra d’at-teindre les objectifs de performance d’une part pendantla phase de transition que constitue la fusion en elle-même, et d’autre part le développement d’un avantagecompétitif à long terme associé à la maîtrise de connais-sances spécifiques. Ces compétences clés seront issuesd’un processus de sélection. Ce processus devra êtreaccompagné de rétributions spécifiques pour ces per-sonnels stratégiques (ententes financières, primes derétention, clauses écrites sur la durée de l’engagement).On se situe ici donc dans le champ des compétencesclés ou stratégiques et on s’éloigne donc de la concep-tion GRH de la notion de compétence comme nous l’a-vons explicité précédemment. Dans la cadre de fusionsacquisitions, c’est donc la notion de compétence clé oustratégique qui serait considérée. De prime abord, cecipeut paraître logique dans la mesure ou les décisions defusions sont avant tout liées à des stratégies qui visent àla domination de marchés, à des économies d’échelle, àdes diminutions de coûts, à la création de valeur moné-taire et à l’acquisition de technologies.La seconde dimension qui illustre le lien entre la notionde compétence et les fusions-acquisitions est la néces-sité de mettre l’emphase sur le développement des com-pétences au sein même de la fonction RH. Tout d’abord,Schuler et Jackson (2001) soulignent le fait que le pro-cessus de fusion-acquisition soit pris en charge et gérépar les meilleurs éléments de entreprises qui fusionnent.D’autre part, la gestion d’un processus de fusion-acqui-sition devrait devenir une compétence clé pour un dépar-tement des RH. La fonction RH devrait développer lescompétences autour des enjeux des fusions-acquisitions

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qui sont les suivantes : compétences liées au domainedes affaires (connaissance de la concurrence, vision stra-tégique, connaissance des processus de fusions-acquisi-tion), compétences liées à la gestion du changement et àla gestion des connaissances (conseil et communication,aide au travail de groupe, création et travail en structureflexible, négociation, création de réseau) et enfin lescompétences liées au leadership (gestion de la diversité,apprentissage culturel, adaptabilité, création de valeur).Cette deuxième dimension ferait donc référence à unedéfinition moins éloignée de l’approche RH de la notionde compétence que l’approche ressources développéepar la stratégie. A travers les processus de fusion acqui-sition, la fonction RH elle-même se devrait de dévelop-per des nouvelles compétences qui deviendraient quasi-indispensables afin d’assurer la pérennité de l’entreprisedans des situations données.

2. Regards sur un cas defusions et leurs implica-tions en terme de GRH et compétence : HewlettPackard – Compaq

Pour le cas Hewlett Packard – Compaq, nous avons eutrois rencontres approfondies avec deux membres de laDirection des ressources Humaines de la branche« Personal Systems Group Europe » dont le DRH. Troisentrevues ont été également menées avec des salariésde HP concernés par la fusion et donc sujets au licen-ciement. Nos sources ont été complétées par le recueilde documents internes et de travaux de recherche d’é-tudiants au programme de MBA de la Grenoble Ecolede Management sur des problématiques touchant à lafusion HP-Compaq.

2.1 La fusion HP1/COMPAQ ou laséparation avec des pôles de compétences

2.1.1 Le cadre stratégiqueLa décision de HP d’acquérir, à travers une offrepublique d’achat, son concurrent historique Compaqavait deux catégories d’objectifs :des objectifs de type Business pour permettre à la socié-té HP d’accroître sa compétitivité par une réduction deseffectifs de l’ordre de 10 % et une économie d’échelle

de plusieurs milliards de Dollars US par une intégrationdes activités HP et Compaq dans de pôles de compé-tences à dimensions mondiales avec l’utilisation de lamarque HP pour tous les produits.précipiter la mutation interne de HP en injectant « unnouvel ADN dans l’entreprise ». La culture de HP - leHP Way - très motivante et mobilisatrice pendant plu-sieurs décennies ce qui a permis, d’ailleurs, à HP dedevenir une des premières entreprises mondiales dehautes technologies dans l’informatique et l’imagerie, afini par devenir un cadre limitatif qui ne permettait plusde faire face efficacement à la concurrence vive que lamondialisation de l’économie a fortement libéré et exa-cerbé. Ainsi, il est devenu urgent sinon vital pour HPd’interroger sa culture et de faire évoluer ses approchesorganisationnelles.Il faut rappeler que HP et Compaq sont deux entreprisesde dimensions mondiales du secteur de l’informatiqueayant des produits concurrents et contrôlant des parts demarché élevées dans leur secteur d’activité. Il s’agitaussi de deux entreprises américaines de cultures sensi-blement différentes :• HP est une entreprise qui s’est principalement con-

struite à partir d’une croissance interne importante àpartir du « Garage »2 où elle a été créée par ses fon-dateurs en 1939; elle a connu peu d’acquisitions.C’est une entreprise imprégnée de la culture cali-fornienne, de la culture de ce bassin de la « hightech » qu’est la Silicon Valley. HP ; elle est connueaussi pour avoir développé sa propre culture d’entre-prise, « le HP Way », qui a souvent été citée commeexemple de culture permettant la responsabilisationdes salariés, leur implication et leur prise en consid-ération comme un facteur central du développementde l’entreprise.

• Compaq est une société d’informatique créée en 1982au Texas ; elle a connu une forte croissance marquéepar l’acquisition de nombreuses entreprises dontDigital Equipement et Tandem, notamment. le per-sonnel de Compaq est issu de différentes entreprisesacquises avec des cultures différentes.

Les stratégies des deux entreprises à la recherche d’undeuxième souffle, sur un marché de l’informatique mar-qué par des évolutions technologiques rapides etconnaissant quelques difficultés après le grand boum dela fin du siècle dernier, a produit la fusion de ces deuxgéants de l’informatique. En fait, il s’agit de l’acquisi-tion de Compaq par HP. Cette fusion a été concrétisée etannoncée en mai 2002. Ses conséquences organisation-nelles, économiques et sociales sont importantes. Sur ceplan, une conséquence majeure a été le regroupement à

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1 HP : Hewlett Packard (noms des deux ingénieurs fondateurs deHP).

2 Lieu de création de HP en 1939. L’image du garage a souvent étéutilisée dans des campagnes de communication sur HP.

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Houston, dans les usines de Compaq, de l’activité« PC » des deux entreprises. Cette décision dont l’ob-jectif est essentiellement économique et stratégique -faire des économies d’échelle - annoncée dans la fouléede la concrétisation de la fusion, s’est traduite par ladisparition en France de cette activité laissant sansemploi plusieurs centaines de salariés.

2.1.2 Gestion des conséquences au niveau RHLa décision du transfert à Houston (Texas, E-U) de la« Divion PC » de Grenoble (France), s’est produite dansun climat de tension latent du fait des nombreuses res-tructurations qu’a connues cette entité depuis plusieursannées déjà. Cette annonce, suivie rapidement du départdu General Manager de la Division dans des conditionsde communication inhabituelles dans ce type de cir-constances, a plongé le personnel dans une période degrande incertitude quant à leur avenir. Brutalement, lesagents concernés et leurs managers se sont retrouvésdans une situation de grand traumatisme par rapport aucadre managérial - la culture HP Way - sécurisant danslequel s’est déroulée leur carrière professionnelle. Cettenouvelle donne a accru la tension existante déjà dans laDivision. Pour le personnel, les conséquences sontnombreuses et fortes sur le plan émotionnel. Il s’agit principalement de :• un choc psychologique traumatisant ;• une perte d’identité ; • une perte des repères ;• une perte du sens du travail en plus de la perte de

l’emploi lui-même.Il nous semble important de souligner que le personnelde cette division (environ 550 personnes) s’est retrouvébrutalement sans emploi alors que rien ne permettaitd’entrevoir cette éventualité ; il s’est retrouvé brutale-ment aussi sans activité aucune puisque la ligne de pro-duction des PC a été arrêtée brutalement, l’activitéayant été affectée (il n’est pas exact de dire transférer) àl’usine de Compaq à Houston. C’est en fait à un doubletraumatisme auquel les employés de HP/Grenoble ontété subitement confrontés ; ceux qui étaient habitués àdes rythmes d’activité soutenus dans un cadre profes-sionnel sécurisant et formateur. Interpellés, les respon-sables des RH (eux-mêmes bousculés par cette nou-velle situation) ont mis au point un programme d’ac-compagnement des salariés concernés avec deux objec-tifs essentiels : aider les agents à dépasser le choc émo-tionnel produit par cette nouvelle situation, contribuer àrenforcer leur employabilité pour faciliter la reconver-sion soit au sein de l’entreprise soit sur le marché del’emploi.

Ce programme d’accompagnement a été réalisé alorsqu’un plan social était en cours d’élaboration. Dans cecontexte difficile et complexe, les responsables des RH,ont conçu un programme en trois volets :

• la réalisation d’un film pour permettre « l’expressionafin de canaliser l’émotionnel, la panique et digérerl’angoisse »3 ; cette étape est apparue, pour lesresponsables des RH comme une nécessité, un préa-lable avant d’aller vers des actions de types « bilan decompétences ». Ce film avait pour objectif, égale-ment, de travailler sur le niveau collectif (lesgroupes). Composé de plusieurs scènes où s’expri-ment différents salariés de l’entreprise (employés,managers, Responsables RH), ce film a permis l’ex-pression sur plusieurs dimensions qui caractérisent lanouvelle situation : la rupture et ses conséquencespsychologiques (le choc), le vide ou commentapprendre à ne rien faire, la perte de confiance en soi,la transition ou la perspective de quitter l’entreprise,l’humiliation (perte du statut social). Ce film a étéutilisé dans un cycle de formation « mieux vivre l’in-certitude » par session d’une journée regroupant enmoyenne 25 personnes. Les salariés ont discuté detous ces thèmes avec l’appui d’un consultant. Deuxthèmes ont été privilégiés durant les dix sessions deformation : le travail sur l’incertitude et l’émotionnel,le bilan de compétences.

• Une fois l’aspect émotionnel maîtrisé, les respon-sables des RH ont proposé un plan appelé « la gestiondes transitions sur mesure ». Il s’agit d’une série demesures exceptionnelles de transition pour la périodeseptembre 2002 à mars 2003 en attendant la mise enplace du plan social. Ces mesures sont de plusieursordres :

• création de missions internes ; • priorité sur les missions et emplois libres ;• suspension du contrat de travail ; • dispense d’activité pour formation ; • détachement à la charge de HP pour des missions de

6 mois maximum dans des start-up.

Ces mesures ont été étendues à la demande des syndi-cats aux collectifs des structures non concernées par cevide d’activité lié aux conséquences de la fusion.Le troisième volet a été mis en place à l’initiative dessalariés concernés. Il s’agit d’un ensemble d’ateliers derepositionnement professionnel. Plusieurs ateliers ontfonctionné :• des ateliers de « stratégie de repositionnement ».

• des formations au MBTI4 pour mieux se connaître ;

• des rencontres de recentrage : rencontre autour duCV, entraînement à l’entretien de recrutement, créa-tion d’entreprise avec la participation de la CCI, desrencontres avec d’anciens de HP ayant créé leur busi-ness, formation à la connaissance du tissu écono-mique grenoblois.

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3 Laurence Commandeur : DRH à HP / Grenoble4 MBTI: Myers-Briggss Type Indicator.

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• la gestion du stress avec le médecin du travail.

L’objectif poursuivi, à travers les activités de ces ate-liers, est de permettre aux salariés concernés d’avoir unlieu d’échange différent des bureaux administratifs ousalles de réunions professionnelles et de développer desactivités complémentaires au dispositif institutionnel.Un espace de rencontre « Jamaïque Café » a été aména-gé et équipé en PC et moyens de communication (pres-se, affichage libre, Internet…).

2.1.3 La fusion, une destruction de pôles de compétences ?

La fusion HP/Compaq apparaît, à travers la décision defermeture de l’activité PC de Grenoble, comme un pro-cessus de destruction d’un pôle de compétences dans laconception, la fabrication et la commercialisation d’unproduit technologique de grandes performances. C’estun processus de séparation qui est amorcé avec un col-lectif que HP a formé dans le temps pour assurer sesavantages concurrentiels sur le marché des PC. Cetteconséquence est surprenante quand on sait que HP atoujours eu une politique RH avancée dans le dévelop-pement et de rétention des compétences, la motivationet l’implication des salariés. La politique RH de HP a toujours été basée d’une partsur une sélection rigoureuse au recrutement ce qui luipermettait d’intégrer dans ses équipes de personnesayant un haut potentiel et de fortes capacités d’adapta-tion et de développement personnel d’autre part, cettepolitique RH était aussi basée sur le développementpermanent des compétences individuelles et collectivesdes salariés. Un ensemble de programmes d’actionsportant sur la formation, le développement des compé-tences, la mobilité et la gestion des carrières permettaitaux salariés de HP d’assurer, en continu, l’accroisse-ment de leurs compétences individuelles et collectiveset par voie de conséquence la compétitivité de leurentreprise. La motivation des salariés, à travers unerémunération compétitive, a toujours été perçue commeun atout de cette politique des RH. Tous les conceptsrécents de GRH – le partage de la fonction RH5, laresponsabilisation des salariés, l’introduction des TIC,la vision de la fonction RH telle que développée parUlrich (1996) - étaient appliqués chez HP. Toute cetteapproche de la GRH était conçue et réalisée dans lecadre de la culture de HP connue sous le sigle « HPWay ». L’organisation de HP, son style de managementet les valeurs de sa culture ont permis la construction desavoir-faire collectifs dans des pôles de compétencesqui prenaient en charge les compétences stratégiques deHP lui donnant ainsi des avantages concurrentiels sur lemarché des ordinateurs personnels.Seules des considérations économiques et stratégiquesfortes peuvent aux yeux de la direction de HP justifiercette démarche de destruction de pôles et réseaux de

compétences dont la construction a nécessité de grosefforts collectifs et organisationnels. C’est, à notre sens,une rupture profonde dans la culture de HP et dans sespratiques de gestion même si un dernier et gros effortest fait en direction des personnels concernés pouraccroître leur capacité dans la mise en valeur de leurscompétences et donc leur employabilité. La question estde connaître les nouvelles valeurs de HP.

2.2 Où en est-on, neuf mois après ?Comment ce programme a-t-il été suivi et perçu par lessalariés de HP (site de Grenoble, France) touchés par lamesure de fermeture de l’activité ? En terme quantitatif,le bilan est important et largement positif :• par rapport aux sessions et ateliers de « formation »

- quinze sessions de l’atelier « mieux vivre l’in-certitude » ont regroupé quelques 260 salariés ;

- deux cents agents ont réalisé un bilan de com-pétences et travaillé sur une prochaine étapeprofessionnelle (repositionnement) à l’occa-sion d’un suivi individuel ;

- une centaine de personnes (5 cycles de 20 per-sonnes) a suivi l’atelier « stratégie de reposi-tionnement » ;

- une vingtaine d’intervenants a animé les acti-vités de l’espace « Jamaïque Café ».

• par rapport aux mesures exceptionnelles de transition,les résultats sont les suivants :

- une centaine de personne a opté pour la suspen-sion du contrat de travail ;

- une dizaine de personne s’est orientée vers unedispense d’activité totale ou partielle (pour for-mation par exemple) ;

- une quinzaine d’agent a préféré le détache-ment ;

- la création de missions internes a connu unintérêt certain dans cette population.

Une grande partie des salariés concernés a fréquenté lesactivités développées durant cette phase transitoire, cequi montre a posteriori, l’ampleur du désarroi danslequel le personnel de cette division a été plongé. Si lechoc psychologique n’avait pas créé autant d’angoisseet d’incertitude chez le personnel, la fréquentation desactivités mises en place aurait été probablement plusfaible. Sur un plan qualitatif, le travail réalisé ne nous apas encore permis de faire un bilan exhaustif. Les entre-tiens individuels, en nombre limité, que nous avons eusavec les salariés concernés pour appréhender les effetsde ce dispositif nous permettent d’avancer que des

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Fusions-Acquisitions, la responsabilité sociale des entreprisesLe cas HP/COMPACQ

Mohamed MATMATI, Pierre-Yves SANSÉAU et Laurence COMMANDEUR

5 Voir sur ce point le livre « Tous DRH », sous la direction de Jean-Marie Peretti, les Editions d’organisation.

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résultats positifs sont au rendez-vous :- le climat apaisé dans lequel s’amorce la mise

en œuvre du plan social ; signe du dépassementdu choc psychologique traumatisant vécu ;

- la prise en charge par les salariés de leur aveniren rompant avec le « cocon » HP ; la construc-tion de projets personnels en est le signe fort.

- le choix du départ volontaire par la grandemajorité des salariés.

La direction des RH partage ce premier constat qui seraapprofondi par un nombre d’entretiens plus élevé avecdes agents de différentes catégories.Il est essentiel à ce stade de mettre en évidence la parti-cularité de l’approche française dans des situations deruptures par rapport à l’approche américaine. Dans l’ap-proche américaine, la rupture d’un contrat de travail,même dans des circonstances aussi spécifiques que cel-les nées d’une opération stratégique comme une fusion,est une action managériale qui doit être réalisée dans untemps très court par des managers qui, souvent, ont étépréalablement formés à la gestion de l’émotion. Si lamise en œuvre d’une pratique aussi traumatisante (dure)sur le plan humain, permet à la hiérarchie et aux salariésde passer rapidement à la phase de construction d’unenouvelle page professionnelle, cette approche ne tientpas compte des difficultés de différentes sortes que ren-contrent les salariés une fois la rupture consommée et lepassage à une période d’incertitude réalisé. Si la pertede l’emploi est un facteur de stress, la perte d’une situa-tion de « confort professionnel » avec tous les attributsqui lui sont rattachés (statut social, cadre de développe-ment personnel, …) est une source de traumatisme cer-tain dont les conséquences sont difficiles à apprécier.C’est dans ces conditions que les réductions de person-nels se sont opérées aux Etats-Unis chez HP et Compaqdès l’annonce de la fusion.La démarche française est, quant à elle, caractérisée parune approche qui privilégie « la gestion des fins ». Larupture, même si elle parait inéluctable, est digérée pardes actions qui permettent de dépasser les traumatismesafin de préparer la phase suivante. Si la législation fran-çaise crée quelques contraintes à l’employeur pour limi-ter les dégâts humains et sociaux d’une rupture, la priseen compte par les managers de la dimension humaineapparaît comme une donnée liée aux pratiques managé-riales spécifique à chaque organisation. La culture del’entreprise est une donnée fondamentale. Dans le casde HP, il est évident que le dispositif d’accompagne-ment mis en œuvre par les RH à Grenoble est le produitdes pratiques managériales issue de la culture de l’en-treprise – le HP Way - et dont les managers et le per-sonnel sont fortement imprégnés. Ces pratiques ont ren-contré, dans le cas étudié, une approche culturelle spéci-fiquement française de la gestion de la relation de travail.Les premiers travaux menés sur cette fusion nous permettent d’avancer l’hypothèse que la fusion

HP/Compaq aboutira à la création de deux collectifsséparés avec des méthodes de travail qui resteront dif-férentes. Une harmonisation, dans le temps, des pra-tiques RH sera réalisée. Arrivera-t-on à créer une culture« HP / Compaq » et à la faire partager aux deux collec-tifs HP et Compaq ?

ConclusionLe cas étudié montre que les fusions ont un impactmajeur sur les ressources humaines et les compétencesdes salariés et des entreprises concernés par de tels processus stratégiques. Dans le cas de la fusionHP/Compaq, la « destruction » de pôles de compétencesperformants construits dans le temps avec beaucoupd’efforts est la conséquence première d’une décisionstratégique. Les objectifs « business » de la fusion com-portaient dans une première étape la mise en œuvred’un processus de séparation même si un dispositif de« deuil » et d’accroissement de l’employabilité des sala-riés a été mis en œuvre. Ce dispositif apparaît commeune conséquence de la culture HP Way dont sont forte-ment imprégnés les managers de HP. A ce stade de lafusion et de nos recherches, la question reste ouvertequant à la construction par HP/Compaq d’un seul col-lectif partageant des valeurs communes et un mêmemodèle des RH et des compétences. Le contexte et lesobjectifs stratégiques d’une fusion sont des élémentsfondamentaux qui ont des conséquences sur la gestiondes RH et des compétences.

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Les dangers de l’expatriationen célibataire géographique

Olivier MÉRIGNACProfesseurIAE de LA RÉ[email protected]

Alain ROGERProffesseur des UniversitésIAE de [email protected]

Aujourd’hui encore la majorité des expatriés vivent en coupleavant leur départ à l’étranger. La norme qui, jusqu’àrécemment, voulait que les cadres s’expatrientsystématiquement en famille est remise en question. Lorsd’une expatriation, le conjoint et la famille sont généralementidentifiés par les responsables de la mobilité comme deséléments perturbateurs et pénalisants pour le cadre en quêted’intégration dans son nouvel environnement. Il est doncfréquent aujourd’hui que les cadres soient envoyés àl’étranger sans leurs familles - on parle alors de célibatairegéographique - pour contourner les difficultés dedélocalisation de la famille liées à la carrière du conjoint, àla scolarisation des enfants, à un environnementd’expatriation difficile ou, plus simplement, pour réduire lecoût de l’expatriation et simplifier la tâche des responsablesde la mobilité. Nous analysons dans un premier temps les raisons quiamènent les cadres à s’expatrier sans leurs familles puis nousévaluons l’efficacité et les conséquences de ce type demobilité. Nous comparons pour cela la situation d’adaptationdes célibataires géographiques avec celle des cadres partis enfamille. Les résultats montrent que les célibatairesgéographiques, privés du soutien de leur famille, rencontrentdes difficultés d’adaptation sévères, spécialement lorsque ledépart seul n’a pas été librement choisi par le cadre et safamille. Ces conclusions nous permettent de souligner lesdangers encourus par les entreprises lorsque, sansprécautions spéciales, elles expatrient leurs cadres sans qu’ilssoient accompagnés par leurs familles.

Dans les études menées sur les cadres expatriésdans les années 1990, environ 80 % des cadresinterrogés vivaient l’expérience internationale

accompagnés par leur famille (Cerdin, 1996).Aujourd’hui, les cadres expatriés se voient de plus enplus proposer des formules de mobilité quin’impliquent pas un chan-gement de résidenceprincipale et se traduisent par des difficultés de plus enplus importantes pour concilier vie professionnelle etvie familiale (Pol, 1996). Il est ainsi fréquent que lescadres soient envoyés à l’étranger sans leur famille. Onparle alors de célibataire géographique. Quels sont lesenjeux et les caractéristiques de cette nouvelle forme dedéplacement international ? Quelles sont les raisons quiamènent les cadres à s’expatrier sans leur famille ?Quelles sont les conséquences de ce type de mobilité ?La réponse à ces questions est essentielle pour définirune politique de gestion de la famille des cadres dans unprocessus de mobilité internationale.Lors d’une expatriation, le conjoint et la famille sontgénéralement identifiés par les responsables de lamobilité comme des éléments perturbateurs et péna-lisants pour le cadre en quête d’intégration dans sonnouvel environnement. Plusieurs auteurs soulignent quela plupart des échecs d’expatriation ont été attribués àdes causes extra professionnelles, principalement liéesau conjoint et à sa carrière (Tung 1981 ; Harvey, 1985,1996 ; Fukuda et Chu, 1994). Par ailleurs, les auteurss’intéressant à l’efficacité du cadre lors de la missionavancent que les difficultés issues de la sphère familialeont un impact négatif sur la qualité et le niveau deperformance au travail de l’expatrié (Harvey et Lusch,1982 ; Tung, 1982, 1987).A partir d’une étude qualitative par entretiens, complé-tée par une enquête par questionnaires auprès de cadresexpatriés, nous avons identifié les principaux obstaclesà l’adaptation des cadres qui n’étaient pas accompagnéspar leur famille. Avant de présenter ces résultats, il estimportant de passer en revue les recherches qui ontintégré la situation familiale dans l’étude de la mobilitéinternationale.

1. La mobilité internationaleet le facteur famille

Nous positionnerons dans un premier temps l’expa-triation en célibataire géographique parmi les différentstypes de mobilité internationale en les distinguant parles conditions de vie de famille qu’ils impliquent. Nousnous intéresserons par la suite à la question de la libertédans le choix de la mobilité et à son influence sur ledéroulement de l’expatriation. Enfin, nous analysonsles travaux de la littérature concernant l’impact que peutavoir la famille lors de l’expatriation.

Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

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1.1 Les formes de la mobilité internationale et les conditions de vie de famille

Les différents types de déplacement impliquent desconditions de vie de famille plus ou moins éclatées.L’expatriation classique, qui dure entre 2 et 5 ans,entraîne le plus souvent un changement de résidence etune délocalisation de la cellule familiale. Le cadre partaccompagné par son conjoint et ses enfants et tente derétablir un cadre de vie de famille équilibré dans le paysd’accueil. Les missions de courte durée, en généralinférieure à 6 mois, qui ont tendance à se multiplierdans les organisations multinationales (Price Water-house, 1998), n’impliquent pas une délocalisation de lacellule familiale du cadre.Dans les blocs régionaux intégrés ou en cours d’inté-gration (Etats-Unis, Europe…) l’efficacité et la rapiditédes moyens de transport permettent à certains cadreshabitant dans un pays de travailler durant la semainedans un autre pays de la zone où ils sont en poste et deretrouver leur domicile et leur famille le week-end.Bien que travaillant à l’étranger, ils ont une situation quise rapproche de celle de nombreux cadres qui travaillenten France dans une ville différente de celle où ilshabitent. Le cadre partage alors son temps entre larésidence principale familiale et une résidence secon-daire professionnelle dans le pays d’accueil. Tarrius

(1992) évoque le cas de professionnels engagés dansdes déplacements successifs de quelques journées entreles capitales de l’espace européen. On parle le plussouvent de « commuting » pour caractériser cette mobi-lité en célibataire de longue durée sur une courtedistance.Ce principe de « commuting » a également été étendupar les organisations multinationales à l’expatriation.Dans cette configuration, les cadres partent en postespour une longue durée et pour des destinations loin-taines sans pour autant être accompagnés par leursfamilles. Nous parlerons d’expatriation en célibatairegéographique ou en non-accompagné. Ce type demobilité a tout d’abord été développé par les sociétéspétrolières exploitant des plates-formes d’extractionmaritimes éloignées des côtes. Afin d’assurer la relèvedes équipes de techniciens dans ces lieux confinés etdangereux, de fait interdit aux familles des salariés, lesgroupes pétroliers ont mis en place des systèmes derotation, où l’expatrié travaille pendant quatre ou huitsemaines, puis dispose du même temps pour vivre àl’extérieur de l’entreprise. Ce système a ensuite étérepris et étendu aux cadres expatriés classiques par lesentreprises pétrolières. La plupart du temps le cadre sevoit attribuer un budget annuel de déplacement qu’ilgère comme il le souhaite pour assurer ses retours versle pays d’origine et sa famille. Cette enveloppe permetde financer par exemple une dizaine de trajets par an.

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

Figure 1 : Les formes de mobilité selon la durée, les conditions de vie et la fréquence

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Aujourd’hui, on retrouve ce type de mobilité dans unnombre croissant d’entreprises multinationales pourcontourner les difficultés de délocalisation de la familleliées à la carrière du conjoint, la scolarisation desenfants, à un environnement d’expatriation difficile(Forster, 2000 ; Pol, 1996). La population descélibataires géographiques reste cependant difficile àdénombrer. Le statut de non-accompagné n’est pasréférencé par les organisations comme une pratique demobilité à part entière et ils sont d’ailleurs généralementconsidérés comme de simples expatriés. Une enquêtemenée auprès de 82 entreprises multinationales révèleque, afin de contourner les difficultés liées à la délo-calisation de la famille, 72 % des responsables de lamobilité interrogés affirment utiliser l’expatriation encélibataire géographique (Mérignac, 2002).

1. 2 La liberté dans le choix et ses répercussions surle déroulement de l’expatriation

La mobilité s’impose aujourd’hui de plus en plus com-me un passage obligatoire pour les cadres s’inscrivantdans une logique de carrière. Le glissement termi-nologique de « l’expatriation » à la « mobilité interna-tionale » souligné par Robert-Demontrond (2000) n’estpas neutre et exprime la tendance actuelle au dévelop-pement et à la banalisation de la mobilité géographiqueintra-organisationnelle (Simon, 1998). De nombreuxauteurs soulignent que les cadres n’ont d’autres choixque d’accepter les transferts qui leur sont proposés souspeine de ralentir ou de stopper leur progression decarrière (Pinder, 1989 ; Dany, 1991). Falcoz (1999)précise par ailleurs que l’expérience internationale estun des critères principaux dans le processus dedétection du potentiel des futurs cadres dirigeants desgrandes entreprises. Cependant, un départ forcé risque de se répercuternégativement sur le déroulement de l’expatriation(Black et Stephens, 1989). Feldman et Thomas (1992)montrent que le sentiment chez les cadres d’avoiraccepté librement le transfert augmente leurs chancesde réussite de l’expatriation. Dans son modèled’analyse de la décision des expatriés et de son impactsur leur adaptation, Cerdin (1996) mesure la libertédans le choix par l’adéquation de la mobilité interna-tionale avec les sphères familiale, amicale, profes-sionnelle et loisir des individus au moment de ladécision. Il montre que la liberté dans le choix estpositivement reliée à l’adaptation du cadre au travaillors de l’expatriation.

1.3 L’impact de la famille sur l’adaptation des cadres

Dans la littérature, les auteurs se sont majoritairementintéressés aux implications de la présence du conjoint etdes enfants en considérant uniquement les situations oùle cadre s’expatrie avec sa famille. Cerdin (1996) puisWaxin (2000) intègrent bien le profil familial dans leursétudes sur l’adaptation des expatriés, mais le premiermesure le profil familial à l’aide d’une variable binaire :célibataire ou en couple lors de la mission, sans distin-guer ceux qui ne sont pas accompagnés par leur famille.La seconde définit bien les trois profils familiaux dansla population des expatriés (les cadres accompagnés parleur famille, les cadres célibataires et les cadres partissans être accompagnés par leur famille), mais sapopulation ne comprend qu’un pourcentage marginal decélibataires et de non-accompagnés. Caligiuri et al.(1999), dans leur étude des déterminants de l’adaptationdes femmes expatriées montrent que celles qui sontmariées présentent des niveaux d’adaptation supérieursaux célibataires. Les auteurs obtiennent ces résultats parentretiens téléphoniques auprès de 38 cadres, dont 18célibataires et 20 mariées. Là encore la population desnon-accompagnés n’apparaît pas dans l’analyse.Les auteurs qui ont intégré le conjoint à leurs inves-tigations (Black, 1988 ; Black et Stephens, 1989 ;Black, Mendenhall et Oddou, 1991 ; Black etGregersen, 1991a ; Cerdin, 1996) comparent lesniveaux d’adaptation des deux partenaires. Ils montrentque l’adaptation du cadre et l’adaptation du conjointsont fortement corrélées, mais leurs résultats ne permet-tent pas de déterminer si l’adaptation du conjoint est unantécédent ou une conséquence de l’adaptation du cadre(Black et Gregersen, 1991a). Caligiuri et al. (1998)soulignent quant à eux que les caractéristiques de lafamille (communication, adaptabilité, entraide) etl’adaptation du cadre sont reliés.Par ailleurs, Briody et Chrisman (1991) montrentl’importance de l’implication sociale des membres de lafamille lors de l’expatriation. Les auteurs ont montrél’existence de plusieurs réseaux sociaux fournissant unsoutien aux expatriés et à leur conjoint au cours duséjour. Leurs résultats soulignent que l’implicationsociale est reliée positivement à l’adaptation des cadreset des conjoints (Black et Gregersen, 1991b). Aucontraire, l’isolement social dont peuvent notammentsouffrir les conjoints des cadres au début du séjour aune influence négative sur leur niveau d’adaptation, desdifficultés qui se répercutent ensuite sur l’adaptation del’expatrié (Briody et Chrisman, 1991). Notre étude est centrée sur le processus d’expatriationdes cadres non-accompagnés. Nous avons notammentcherché à comprendre quel pouvait être l’impact del’absence de la famille, de la liberté dans le choix departir seul et de l’implication sociale lors du séjour surl’adaptation des cadres non-accompagnés.

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

Page 268: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

2. La méthodeNous avons adopté une démarche comparative enconfrontant à chaque étape de l’analyse la situation descadres non-accompagnés à celle des cadres accom-pagnés par leur famille lors du séjour. Nos inves-tigations ont été menées en deux temps : Une étude qualitative a été réalisée dans un premier

temps par entretiens semi-directifs auprès de cadresexpatriés dont les principales caractéristiques sontprésentées dans le tableau 1. Neuf cadres partis seuls et19 cadres accompagnés par leur famille ont étéinterviewés. Quatorze couples sont accompagnés parleurs enfants, 6 couples ont des enfants en bas âge, seulun couple n’a pas d’enfants. Les cadres partis sans leurfamille sont quatre à avoir des enfants scolarisés entre 6et 16 ans, un a des enfants autonomes.

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Tableau 1 - Les caractéristiques de l’échantillon de la phase qualitative

Par ailleurs, onze entretiens ont été effectués auprès deresponsables de la mobilité dans des organisationsappartenant aux secteurs de la chimie (2), del’agroalimentaire (2), de l’exploitation pétrolière (1),des semi-conducteurs (1), de la construction automobile(1), de la pharmaceutique (2), de l’énergie (1) et descosmétiques (1). Trois d’entre elles gèrent moins de 100cadres expatriés, cinq jusqu’à 300 et trois entre 300 et500 cadres à travers le monde. Elles sont toutesprésentes dans au moins trois pays. Les caractéristiquesdes échantillons mobilisés lors de la phase qualitativen’ont pas pour objectif une généralisation à l’ensemblede la population des expatriés, mais nous permettent defaire émerger les principaux facteurs de l’adaptation descadres selon leur situation familiale. Dans un deuxième temps, nous avons mené une étudequantitative. Un questionnaire a été construit, pré-testéet envoyé par courriel par le biais d’associationsd’expatriés mais aussi d’entreprises. Entre mai 2002 etjuillet 2002, 169 questionnaires d’expatriés vivant encouple avant le départ ont été recueillis et analysés. Cetéchantillon comprend 119 cadres accompagnés par leurfamille et 50 cadres partis seuls. Les répondants sontrépartis dans plus de trente pays différents et denombreux secteurs d’activités. Cet échantillon ne peutbien sûr pas être considérée comme représentatif de lapopulation globale des expatriés dans le monde.Compte tenu du thème de notre recherche centré sur lafamille, il est vraisemblable que les cadres non-accom-pagnés, sensibles à cette problématique, aient plusmassivement répondu et qu’ils soient surreprésentésdans notre échantillon. L’adaptation à l’expatriation a été mesurée sur la basede l’échelle de Black et Stephens (1989). Une analyseen composantes principales confirme les trois dimen-sions identifiées par ces auteurs, l’adaptation au travail

(Alpha de Cronbach : 0,91), l’adaptation à l’interaction(Alpha : 0, 79), et l’adaptation générale (Alpha : 0,82).Les trois axes expliquent 66 % de la variance. Ilscorrespondent aux trois facettes de l’adaptation inter-culturelle du modèle développé initialement par Black(1988) : l’adaptation générale (relative aux conditionsde logement, aux conditions de vie en général, à lanourriture, au shopping, au coût de la vie, aux structuresde loisirs et de soins), l’adaptation à l’interaction del’individu avec les membres de la communauté locale(la socialisation, les contacts, la communication avecles nationaux hôtes au et en dehors du travail) et, enfin,l’adaptation à la situation de travail (les responsabilitésspécifiques dans le travail, le niveau et les attentes deperformance, les responsabilités d’encadrement).Nous avons obtenu une mesure de la liberté dans lechoix de partir seul en demandant aux cadres dansquelle mesure ils avaient choisi délibérément de s’expa-trier en célibataire pour des raisons personnelles etfamiliales, ou au contraire s’ils n’avaient pas choisi lasituation de séparation (échelle fermée, deux moda-lités). Par ailleurs, une question ouverte permettait auxrépondants de s’exprimer sur les raisons qui les avaientamenés à vivre l’expatriation seul(e). Enfin, l’impli-cation sociale a été mesurée par une échelle adaptée deVaux et al. (1986) demandant aux cadres d’identifier lesmembres de leur réseau social qui pouvaient constituerpour eux un support au sein des communautés des lo-caux, des expatriés, ou des personnes extérieures aupays d’accueil (échelles de un à sept).Le traitement des données s’est appuyé sur des analysesbivariées de l’association de l’adaptation avec les va-riables retenues : des corrélations bilatérales pour l’implication avec les communautés sociales et desanalyses de variance associées à un test F pour l’ab-sence/présence de la famille et la liberté dans le choix.

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3. Les résultatsNous analyserons dans un premier temps les raisons quiamènent les cadres à s’expatrier sans leurs familles puisnous évaluerons les répercussions de la liberté dans lechoix et de l’absence de la famille sur leur adaptationavant de nous intéresser à l’implication sociale descadres non-accompagnés. Les résultats issus de la phasequalitative et de la phase quantitative seront présentéssimultanément.

3.1 Les raisons du départ en célibataire

Lors de nos entretiens avec les cadres non-accom-pagnés, les préoccupations liées à la séparation de lafamille ont largement dominé les autres thèmes.Systématiquement, en début d’entretien, les cadres ontspontanément ressenti le besoin de nous expliquer cequi les avait amenés à s’expatrier sans leur famille :« mon statut d’expatrié célibataire géographique doitvous paraître bizarre », « vous ne devez pas avoirrencontré beaucoup de cadre qui abandonnent leurfamille plutôt que leur boulot ». Les discours des cadresexpatriés et des responsables d’expatriation que nousavons rencontrés nous ont permis de faire la distinctionentre deux types de situations.

3.1.1 Le départ vécu comme un choixSur notre échantillon, quatre cadres ont choisi des’expatrier seuls en général pour des raisons liées aucontexte d’expatriation et à la situation des membres deleur famille : « ce n’est pas plus mal que je sois seul,j’aurais stressé de les savoir ici », « je fais pas mal dechoses ici en me disant que ma femme et mes enfants nepourraient pas m’accompagner […] j’aurais trop peurpour leur sécurité ». L’entreprise met souvent en avantl’hostilité ou l’insécurité du contexte pour expliquerl’expatriation non accompagnée. « Plus que l’insécuritéqui est relative à Madagascar, c’est l’extrême pauvreté,l’hygiène, les conditions sanitaire et les soins qui nouspoussent à limiter la présence des familles » ; « Jerefuse purement et simplement d’envoyer des enfantsdans les pays identifiés à risque par le ministère desaffaires étrangères » ; « Je relève beaucoup d’angoissesdes cadres pour la sécurité de leurs enfants, la qualitédes soins mais surtout par rapport à l’école […] ducoup il arrive qu’ils préfèrent partir seul ». Les cadreschoisissent également de partir seuls pour ne pas désta-biliser la situation professionnelle ou scolaire des mem-bres de la famille : « ma femme ne pouvait pas suivrepour l’instant, elle vient de retrouver un emploi […] ellen’avait pas de travail jusqu’alors et devait m’accom-

pagner, c’est mal tombé … enfin mal tombé, c’est bienqu’elle ait trouvé », « les enfants sont à une périodeimportante de leur scolarité, on a préféré ne pas lesperturber », « notre dernier est diabétique, il est mieuxpris en charge ici (en France) ». Les freins liés à lacarrière du conjoint et la scolarité des enfants ressortentégalement des propos des responsables de la mobilité :« La raison la plus évoquée par mes cadres lorsqu’ilschoisissent de partir seuls, c’est sûr, c’est le travail deleur conjoint ». « Sa femme est avocate et son cabinetmarche bien ici […] je comprends qu’elle n’ait pasvoulu sacrifier son activité […] et puis leur plus grandfils se rapproche du bac […] il a du coup choisi departir seul et de rentrer aux vacances […] c’est leurchoix ». « Plusieurs cadres n’ont pas voulu interromprela scolarité de leurs enfants […] c’est vrai que plus lesenfants avancent plus un déménagement peu lesperturber […] ils choisissent alors de partir seuls ».

3.1.2 Le départ vécu comme une contraintePour trois cadres de notre échantillon, l’expatriation encélibataire géographique s’impose comme une con-trainte implicite. Elle n’a pas été librement choisie parles cadres et leur famille : « on ne peut pas dire qu’on ale choix […] il faut bouger, surtout en début de carrièrechoix […] le choix que vous avez est de ne pasrester » ; « on a pas vraiment le choix vous savez […]quand je suis rentré chez [entreprise] je savais que celafonctionnait comme ça, mais je n’avais pas intégréqu’un jour je devrais partir seul ». « oui, c’est unepratique établie et connue de tous, du coup si voustravaillez ici, vous savez à quoi vous attendre ».Certains responsables de la mobilité soulignentégalement que la mobilité en célibataire géographiquepeut être imposée au cadre : « Nous avons eu trop deproblèmes avec la famille dans [ce pays] depuis troisans. On envoie uniquement les cadres, la famillereste… », « […] si le cadre accepte le poste il part encélibataire ou il ne part pas ». Enfin, plusieurs cadres n’ont pas choisi de vivre seull’expatriation mais se retrouvent malgré eux séparés deleur famille. : « au début je suis parti seul, ma femmedevait terminer un contrat et un paquet de formalités[…] il était prévu qu’elle me rejoigne […] il faut direque l’appartement est trop petit, que depuis je doisdéménager et que l’on ne m’aide pas beaucoup […]alors ça traîne depuis bientôt un an », « j’étais parti enrepérage et la boîte devait s’occuper d’envoyer mafemme et mon fils […] cela ne s’est pas fait tout desuite, l’année scolaire a commencé, Nicolas a fait larentrée […] maintenant je suis bloqué, seul ». L’expatriation en célibataire géographique n’est doncpas systématiquement choisie par le cadre qui peut êtreimplicitement contraint par son organisation à vivreseul l’expatriation, parfois à cause d’une mauvaisegestion logistique de l’expatriation. Le fait de ne pasavoir choisi de partir seul est souvent mal vécu par les

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expatriés : « c’est quand même un système malsain […]malsain pour la relation d’emploi, mais aussi pour lerésultat de l’expatriation », « quand on envoie des genssans leur famille, il faut s’attendre à ce que cela sepasse mal », « pour moi, honnêtement, ils [l’entreprise]n’ont pas assumé leurs responsabilités, s’ils avaient étéefficaces, je n’en serais pas là ».

Dans notre étude quantitative, une question ouverte,invitant les cadres à s’exprimer sur les raisons ayantmotivé ou imposé leur départ en célibataire, a faitl’objet d’une analyse de contenu dont les résultats sontprésentés dans le tableau 3. Ce tableau présente, sous laforme de pourcentages, les raisons invoquées par lescadres.

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

Tableau 3 - Les raisons du départ en célibataire géographique

Les résultats confirment ceux de la phase qualitative. Lacarrière du conjoint et l’équilibre des enfants appa-raissent comme les freins majeurs à la délocalisation dela cellule familiale. Plus de la moitié de notreéchantillon affirme avoir subi une pression implicite dela part de l’organisation pour un départ en céli-bataire. Un tiers d’entre eux n’a pas été rejoint par lafamille alors que sa venue était planifiée. Sur notreéchantillon, peu d’organisations imposent formellementun départ en célibataire géographique.

3.2 L’adaptation des cadres non-accompagnés

3.2.1 L’impact de l’absence de la famille et de la liberté dans le choix

Dans nos entretiens, l’absence de la famille apparaîtdifficile à gérer pour les expatriés. Que le cadre aitchoisi de partir sans sa famille ou que, au contraire,l’expatriation en célibataire géographique se soitimposée à lui, il apparaît que la situation de séparationest difficile à vivre pour le cadre mais aussi pour lesmembres de la famille. Les cadres regrettent ainsi ledéficit de soutien émotionnel et instrumental lié à laséparation : « j’avoue avoir du mal à tout gérer seul »,« la vie à deux me manque […] je n’ai personne à qui

raconter mes journées, ça fait un vide terrible »,« même si mon fils est grand, je culpabilise de ne pasêtre là pour lui […] ils me manquent tous les deux biensûr ». Les difficultés vécues par les enfants ou leconjoint semblent également se répercuter sur le cadre :« Il [son fils] ne me dit rien, mais je comprends bien quecela ne va pas […] il a du mal à accepter que je ne soispas là, ça lui fait de la peine et moi je culpabilise unmaximum », « les coups de téléphone avec ma femmesont difficiles : même si ce dont on parle est gai,j’entends que sa voix vacille et qu’elle se retient pour nepas pleurer […] le moral en prend un coup », « moiencore ça irait mais ma femme le vit mal ». Le proces-sus d’adaptation des non-accompagnés semble ainsilargement dominé par les préoccupations familiales etaffectives liées à la séparation.Interrogés sur la difficulté de leur situation, les cadressoulignent également les problèmes logistiques accom-pagnant la séparation : « En arrivant ici j’ai dû medébrouiller seul […] mes malles qui n’arrivaient pas,l’appartement trouvé par la boîte était beaucoup tropgrand pour moi seul, il a fallu en changer », « cinqvoyages dans l’année, c’est peu, ça veut dire que jerentre uniquement aux vacances […] encore faut-il queje puisse rentrer à ce moment là », « le plus difficilec’est de planifier un retour, tout le monde m’attend et audernier moment un dossier me tombe dessus et je doisrester […] c’est arrivé deux fois », « dans monentreprise, il y a bien des voyages prévus pour moi,

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mais si ma femme veut venir, il faut que nous payionsnous-mêmes le voyage », « moi je ne bénéficie mêmepas des avantages du statut de célibatairegéographique [sa femme doit le rejoindre depuis 8mois] du coup je n’ai pas de voyages prévus ».Sur la base des données quantitatives, l’analyse devariance présentée dans le tableau 2 montre que lesmoyennes d’adaptation varient grandement et demanière significative selon le profil familial. L’écart demoyenne est fortement significatif entre l’adaptation

générale des expatriés accompagnés par leur famille etceux qui sont partis seuls (F=21.96, p<0.01). Lavariance observée pour ces deux profils est égalementconséquente concernant la facette travail (F=10.64,p<0.01) et reste significative pour la facette interaction(F=7.92, p<0.01). Les expatriés non-accompagnés parleur famille présentent un niveau d’adaptation plusfaible que celui des cadres partis en famille. Les non-accompagnés sont ainsi moins bien adaptés sur les troisfacettes de l’adaptation.

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

Tableau 2 - L’analyse de variance des trois facettes de l’adaptation selon le profil familial

Sur toutes les facettes de l’adaptation, les cadresn’ayant pas choisi eux-mêmes de s’expatrier seulsprésentent des moyennes d’adaptation nettement plusfaibles que celles de leurs collègues partis seuls pourraison personnelle et familiale et après en avoir fait lechoix. Ces écarts importants sont fortement significatifspour l’adaptation générale (F=7.74 ; p<0.01) et pourl’adaptation à l’interaction (F=8.98 ; p<0.01) et sontsignificatifs pour l’adaptation au travail (F=4,99 ;p<0.05). On peut remarquer que même ceux qui ontchoisi de s’expatrier seuls n’atteignent les niveauxd’adaptation des cadres accompagnés sur aucune destrois dimensions de l’adaptation.

3.2.2 L’implication sociale et son impact sur l’adaptation

Nos résultats d’entretiens montrent que les cadrespeuvent s’impliquer plus ou moins dans leurs relationsavec d’autres expatriés, avec des locaux, ou avec lespersonnes extérieures du pays d’origine. Certainscadres sont fortement impliqués dans leurs relationsavec d’autres expatriés. C’est le cas par exemple pourcelui qui trouve sur place des voisins français : ils« vous accueillent, vous intègrent à leur réseaud’amis », ou celui qui rencontre des expatriés d’un autre

pays : « J’ai rencontré Tim, un anglais, par l’inter-médiaire de ma femme, et qui est comme moi fou detennis ». Certains cadres s’impliquent aussi dans l’inter-action avec des membres de la communauté d’accueil :« Je me suis fait des amis brésiliens dans le quartier ».« C’est une chance d’habiter dans un quartier sympa,on a pu rencontrer des sénégalais qui avaient vécu àLyon (…) Grâce à Marius, je connais des coins où lesétrangers ne s’aventurent pas ». D’autres enfin restentfortement impliqués avec leur famille restée au pays,avec des amis ou avec des personnes de leur organi-sation d’origine. « Ça me fait du bien de pouvoirdiscuter avec mes parents ». « J’ai gardé de bons con-tacts avec un collègue, qui est en fait mon supérieurdirect sur l’organigramme et, grâce à Internet, je ne mefais pas oublier ». « Dans les premiers moments del’expatriation, heureusement qu’il y avait le téléphoneet le mail pour garder le moral grâce aux amislyonnais ».Notre étude quantitative reprend ces trois niveauxd’implication des cadres au sein des communautéssociales des expatriés, des locaux et des extérieurs. Letableau 4 montre que ces niveaux d’implication sonttrès différents pour les cadres accompagnés et pour lesnon-accompagnés.

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Les cadres non-accompagnés par leur famille inter-agissent très fortement avec les extérieurs (3,22), dansune moindre mesure avec la communauté des expatriés(2,03) et très peu avec les locaux (1,75). Ils présententle plus faible niveau d’implication avec les nationauxdu pays d’accueil et interagissent au contraire largementavec leur famille et leurs relations restées au pays. Lesnon-accompagnés sont plus tournés vers l’extérieur queleurs collègues partis en famille.

4. Discussion et conclusion A l’heure où les entreprises pensent avoir trouvé uneparade aux difficultés familiales en envoyant leurscadres à l’étranger en célibataires géographiques, nosinvestigations montrent la faiblesse et les dangers detelles pratiques. Il apparaît ainsi que, au lieud’augmenter les chances d’adaptation et donc deréussite à l’expatriation, cette pratique se solde par unaffaiblissement du potentiel d’adaptation des cadresexpatriés. Privés du soutien logistique, affectif et socialde leur famille, les cadres vivent mal la séparation etprésentent de nettes difficultés d’adaptation. Cesdifficultés sont encore plus sévères lorsque le départseul n’a pas été librement choisi. Le processus déci-sionnel nous apparaît cependant plus complexe qu’uneopposition binaire entre un départ vécu comme un choixou au contraire comme une contrainte. Pour rendrecompte de façon plus complète de la problématiquegénérale, il serait utile dans des recherches futuresfondées sur une approche constructiviste et inter-disciplinaire d’analyser plus précisément la nature duchoix au moment du départ.Nous avons vu que les cadres non-accompagnésrestaient centrés sur leur famille et relations restées dansle pays d’origine, et qu’ils développaient peu d’inter-actions avec les locaux. Des comportements d’isole-ment social et d’acculturation similaires ont été décritpar Tung (1993) et Black et Gregersen (1992). Lepremier auteur parle d’attitude de séparation, lasituation la plus problématique pour l’organisation.

Pour Tung (1993), l’individu rejette la cultureétrangère, qu’il vit comme une agression de ses propresvaleurs culturelles. Il ne fera aucun effort pour com-prendre la culture d’accueil. Parler de rejet massif de laculture nous paraît excessif, mais il apparaît clairementque les cadres non-accompagnés adoptent une attitudenégative qui correspond bien à la situation exposée parBlack et Gregersen (1992) lorsqu’ils décrivent descadres ayant « le cœur à la maison ». La situation d’ex-patriation en célibataire géographique semble ainsiavoir des répercussions négatives en termes d’inté-gration sociale lors de l’expatriation qui se répercutent,comme nous l’avons vu, sur leur adaptation. Nos résultats montrent que, sur notre échantillon, laprésence du conjoint n’est pas un handicap pourl’expatrié alors que les cadres partis sans leur famillevivent mal la situation de séparation et s’adaptent moinsbien. Les difficultés liées à la présence du conjoint ontlargement été soulignées par les auteurs du champ dumanagement international qui ont négligé les impli-cations positives attachées à la présence du conjoint etde la famille lors de l’expatriation. Les cadres partis enfamille semblent appuyer fortement leur adaptation lorsde l’expatriation sur le soutien émotionnel et instru-mental fourni par les membres de la famille. Nousavons vu également qu’ils étaient fortement impliquésavec la communauté des expatriés mais également avecla communauté des locaux, bénéficiant vraisem-blablement du réseau relationnel constitué sur place parle conjoint et les enfants, réseau qui à son tour est unesource de soutien émotionnel ou instrumental. Lescadres non-accompagnés doivent ainsi se passer de cetriple soutien familial (émotionnel, tangible/logistique,social).Afin de limiter au maximum l’isolement social etaffectif du cadre lié à la séparation familiale, l’organi-sation peut faciliter son intégration dans l’entitéd’accueil en lui proposant par exemple un parrainagepar un ou plusieurs de ses collègues qui l’aideront àcomprendre le fonctionnement de l’organisation, de sonposte mais également à mieux interagir avec lesmembres de la communauté d’accueil. De même,l’organisation d’accueil pourra proposer au cadre une

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

Tableau 4 - Analyse de variance de l’implication sociale des cadres avec les trois communautés

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aide logistique concernant le déménagement, larecherche de logement et, par la suite, les voyages ducadre et de sa famille.Lorsque l’organisation impose à ses cadres vivant encouple de s’expatrier sans être accompagnés par leursfamilles, l’expatriation a de grandes chances d’être malvécue. En cherchant à contourner les problèmes liés à laprésence de la famille, l’organisation adopte une visionà court terme de la mobilité qui doit au contraires’inscrire dans une logique de carrière dans le cadred’une politique globale de gestion des ressourceshumaines. Elle ne répond alors L’expatriation non-accompagnée devrait être réservée aux situationsextrêmes où le contexte politique, économique instablene permet pas à l’organisation d’assurer la sécurité de lafamille. Le responsable de la mobilité doit s’assurer quel’expatriation en célibataire géographique est bienacceptée par tous les membres de la famille, et que cettesolution est le meilleur compromis entre les intérêtsprofessionnels du cadre et l’équilibre de sa famille.

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Les dangers de l’expatriation en célibataire géographiqueOlivier MÉRIGNAC et Alain ROGER

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Les codes deconduite des entreprises de travail temporaire :Audit des principesde responsabilitésociale envers lesintérimaires nonqualifiés.

Sandra PALMEROMaître de ConférenceLARGO - Université - [email protected]

Marc VALAXMaître de ConférenceResponsable de la MSTCommerce InternationalCREG - IAE de [email protected]

Les trois premières entreprises de travail tempo-raire dans le monde déploient des sommes consi-dérables pour favoriser leur développement com-

pétitif selon plusieurs stratégies : l’implémentation delogiciels de compétences et l’application de valeurséthiques. Au-delà des effets d’annonce, les codes deconduite ou chartes sociales trouvent petit à petit leurplace dans le changement des entreprises de travail tem-poraire, sans pour autant arriver à une éthique des affai-res généralisée. Le choix de se concentrer sur les tra-vailleurs non qualifiés permet de souligner la nature etl’application au quotidien d’une responsabilité sociale.Notre travail de recherche consiste à décrire et com-prendre les obstacles, les risques et la pertinence deleurs choix et décisions d’application de codes deconduite selon les deux voies choisies : une innovationlogicielle et un respect de l’individu.

Les entreprises de travail temporaire (ETT) doiventsans cesse s’adapter aux nouvelles situations écono-miques pour survivre et prospérer à long terme. Ilconvient pour elles d’instaurer un milieu de confianceoù le personnel serait disposé à intégrer des règles deconduite et à absorber les conflits que suscitent la ges-tion au quotidien d’une catégorie spécifique : les tra-vailleurs non qualifiés1 (Chardon, 2001).

Pour les entreprises de travail temporaire, la difficultéest, dans un premier temps, de maîtriser complètementles règles de conduite choisies, en précisant tous lesdétails qui vont être nécessaires : les procéduresconcernant les données de temps de délégation desintérimaires non qualifiés, la base des taux horaires,l’indemnité de fin de mission, les ambitions et lesvaleurs de l’entreprise.

Dans un deuxième temps, la gestion des travailleurs nonqualifiés aborde des problèmes d’évaluation dessalariés mandatés : comment détecter, à un niveauindividuel, un ensemble de connaissances, de capacitéset de volontés professionnelles ? Comment obtenir lameilleure performance de la part des intérimaires ?comment contribuer au mieux à l’efficacité

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

1 La nomenclature des professions et catégories socioprofes-sionnelles (PCS) distingue le niveau de qualification pour lesprofessions d’ouvriers mais pas celles des employés. Lesprofessions exercées en grande proportion par des personnespossédant un diplôme de la même spécialité que leur professionsont considérées comme des professions qualifiées. Les autressont des professions non qualifées ; ces dernières se sontdéveloppées en vingt ans dans le commerce, les services auxparticuliers et les services aux entreprises, secteurs en plein essoret a fortement diminué dans les postes de production. En 2003,l’emploi non qualifié représente en France 22% du volume totald’emplois salariés soit 5,5 million de personnes. 14% despersonnes en emploi non qualifié sont en situation de sous-emploi ; 17% des emplois correspondent à des contrats courts detype intérim.

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productive de l’entreprise cliente ? Comment gérer lafidélisation et l’implication maximale des intérimairesnon qualifiés dans leurs situations professionnelles ?

Ainsi, l’une des responsabilités essentielles desentreprises de travail temporaire consiste à rester auxaguets pour déceler les situations ou les personnes surlesquelles il convient d’agir pour mettre en place unecertaine éthique des affaires. Pour autant, lesmodifications stratégiques et globales liées àl’application de codes de conduite 2 visent à transformertoute l’organisation de même que le rendement qu’ellepeut offrir (Manheim, 2000). Ce changementdescendant souhaité par les Directions Générales desETT peut échouer si la mise en œuvre d’éthique et deprincipes internes fait face à une résistance excessivedes salariés et à un niveau d’engagement insuffisant descadres et de l’ensemble des salariés (Gautier, 2000).

Une analyse approfondie des logiques d’acteurspermettra de mettre en lumière l’interprétationéconomique et morale des codes de conduite (Clerc,2000 ; Maruani 2003) par les salariés, les clivagesculturels dans la détection des capacités d’action et decomportements des travailleurs non qualifiés déléguésen entreprises clientes comme dans le contrôle desprestations.

Notre analyse s’inscrit dans la continuité des travauxsur les chartes sociales de l’IAS à Corte (Palmero-Valax, 2003) et elle s’orientera dans un premier tempssur une situation des forces actuelles de la compétitivitépar une analyse du contexte et de la problématiquerenouvelée des ETT.

Dans un deuxième temps, nous porterons une attentionparticulière sur les cibles du changement interne etorganisationnel dans l’application des codes deconduite qui font l’objet d’interactions complexes.

1 – Les forces actuelles de la compétitivité dans lesecteur de l’interim

Dans les faits, tout changement touchant l’une desparties de l’organisation des entreprises de travailtemporaire entraîne un changement dans une toute autrepartie du secteur de l‘intérim. Les ETT, dont l‘évolutionest fortement dépendante du contexte économique,apportent une réponse adaptée aux besoins actuels desentreprises (augmenter la compétitivité, externaliserune partie de la gestion des ressources humaines, faireface à la demande de flexibilité). Ainsi, des forces

externes agissent sur la dynamique du compétitivité dusecteur de l’intérim telles l’économie mondiale et laconcurrence dans les marchés, la conjonctureéconomique locale, les lois et règlements, desdéveloppements technologiques et des tendances dumarché.

Jusqu’au début de l’année 2002, le marché de l’intérimen France a fait preuve d’un dynamisme tout particulier.En 2001, le travail temporaire représentait un marché de17,9 milliards d’euros. En France, les 850 entreprises detravail temporaire employaient 17 000 salariéspermanents. Près de 2,1% de la population active et3,41% des salariés du secteur marchand, soit plus dedeux millions de personnes ont été concernés par letravail temporaire.

A la fin de l’année 2002, le Syndicat des Entreprises deTravail Temporaire précise que “l’activité de l’intérima baissé de 7,3% ce qui préfigure une mauvaisetendance pour l’emploi et une obligation de réaction dusecteur dans sa relation triangulaire” 3.

Dans ce contexte de trouble qui oblige les ETT àremobiliser les acteurs organisationnels, à fidéliser lesentreprises utilisatrices et à motiver les intérimaires,innover est un choix stratégique majeur. Les logiquesd’innovation dans le secteur de l’intérim sont marquéesnotamment par un recours accru à une gestioninformatisée des compétences dont l’enjeu dépasse lesattentes. Innover technologiquement doit permettre derétablir l’activité au niveau de l’année 1998. Une autreorientation choisie par les agences est l’édiction decodes de conduite notamment envers des salariés nonqualifiés, ressources vitales pour les ETT mais pastoujours considérée dans une logique de montée encompétences.

Dans ce contexte de surchauffe, nous avons conduit uneanalyse in –situ dans les ETT et les entreprisesutilisatrices.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

2 Les codes de conduite sont appelés aussi chartes sociales ou char-tes éthiques et offrent des lignes directrices. Ils correspondent àune déclaration annonçant les principes internes, l’éthique, lesrègles de conduite, les codes de pratique ou la philosophie de l’en-treprise en matière de responsabilités envers les employés, lesactionnaires, les consommateurs, l’environnement et tous les aut-res aspects de la société.

3 Au regard de la loi, la relation triangulaire implique un salariéintérimaire, une ETT et une entreprise utilisatrice. L’intérim meten jeu deux types de contrats concomitants : un contrat commer-cial dit de “ mise à disposition ”, signé entre l’ETT et son client etun contrat de travail dit “ de mission ” conclu entre le salarié inté-rimaire et son employeur l’ETT.

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Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

1-1 - Le protocole de recherche

Les données théoriques et d’investigation ont étéarticulées au sein d’un protocole de recherche par laconduite d’une étude longitudinale exploratoire denature qualitative. Les recherches ont été conduitesauprès des filiales françaises des trois premièresentreprises de travail temporaire 4. L’objectif de cetteapproche exploratoire a été de rendre compte de lagestion informatisée des compétences comme moyend’innovation et de la mise en place des codes deconduite par la tenue de séries d’entretiens auprès desdirecteurs de région, des directeurs de secteur, desdirecteurs d’agence, des chargés d’affaires, desassistants d’agence et des interfaces RH dans lesentreprises utilisatrices au cours de l’année 2002 selonune logique de rencontres régulières sur un an.

Un guide d’entretien a été établi comportant à la foisdes éléments sur l’évaluation des compétences, sur lesdécalages entre ce qui est souhaité par les salariés et cequi se produit dans les ETT, sur les stratégies, lescontraintes d’application des codes de conduite (Igalens& Roussel, 1998). La compréhension seule ne suffisantpas à produire des effets de connaissance du processusd’application des codes de conduite, nous avons menéune enquête monographique sur une direction régionaled’ETT en cours d’application. Cette étudecomplémentaire nous a permis de conduire une séried’entretiens et d’observations en profondeur auprès de10 salariés d’ETT en entretiens non directifs surl’éthique des affaires.

Une analyse de contenu a mis en valeur les différentsenjeux et représentations des cadres et collaborateurs dusecteur de l’intérim à différents moments. Afin derespecter les dire des interviewés, nous avons tenté derendre compte de différents niveaux d’abstraction et deraisonnement.

Les éléments ont été codés selon leur nature explicativecausale tels des exemples se rapportant à leur vieprofessionnelle ou faisant partie d’une analogie, desénoncés, des théories personnelles des cadres etcollaborateurs, des postulats relatifs aux conditions deréussite et aux échecs dans leurs relations de travail.

Ces éléments ont été codés en intégrant un pôle négatifet un pôle positif sous la forme de construits etd’isotropies permettant à terme de définir la nature del’innovation produite par les logiciels de compétenceset l’application sur le terrain des codes de conduite. Lecodage des construits a donné lieu à un découpageparticulier en catégories s’articulant les unes par rapportaux autres où l’on retrouve à la fois des récitsanecdotiques, l’analyse de la situation actuelle des ETTet des considérations plus générales sur le secteur del’intérim. Un véritable travail d’inférence a guidé cette

analyse de contenu et s’est avéré riche d’intérêts pourcomparer les évolutions d’un entretien à l’autre etdégager les propriétés de complexité liées àl’implémentation.La démarche de recherche qualitative peut s’apparenterau premier abord à un assemblage de méthodes. Elle estavant tout pragmatique dans le sens où nous avons étéamené à élaborer par choix successifs des méthodes dequestionnement du terrain en fonction d’aléas. Nousavons ainsi commencé une série d’entretiens et uneanalyse de contenu avec une première analysesuccincte. Par la suite, nous avons formulé une lectureinterprétative approfondie au fur et à mesure que leslogiciels de compétences et les codes de conduite sontapparus comme la clé de voûte du système d’innovationdu secteur de l’intérim.La pertinence des résultats réside dans la vérification dela scientificité de notre recherche qualitative.L’objectivité souhaitée correspond au souci non pasd’éliminer la subjectivité qui constitue en fait la natureessentielle du matériel mais d’obtenir une rigueur delecture permettant des interconnexions. Le traitementdes données a ainsi été réalisé par une analyse decontenu des discours développant un certainformalisme tout en laissant une place confortable àl’induction.

1-2 - La difficile gestion des compétences des intérimaires non qualifiés

La gestion des compétences est une nécessité dans lesETT. Toutefois, derrière ce terme fort usité par leschargé d’affaires, se cachent des réalités fort disparatesliées à la polysémie des mots compétence ettechnologies de réseau. Il ne ressort pas de définitionstable et consensuelle des logiciels de compétences.

Pour Meignant (1990) la compétence est “un savoir-faire opérationnel validé”. Meschi (1996) 5 précise lecaractère individuel de la compétence en tant“qu’ensemble de connaissances, de capacités et devolonté professionnelles”. Selon Zarifian (1999), l’émergence de la notion decompétence est contemporaine de celle d’organisationqualifiante qui suppose que soient gérées lescompétences individuelles des agents. Il s’agit d’uneorganisation dans laquelle l’opérateur rencontre desoccasions d’apprentissage (dans la confrontation aux

4 Les 3 cas décrits peuvent être considérés comme relativementreprésentatifs de la réalité du secteur du travail temporaire

5 Meschi P-X. (1996) “ Le concept de compétence en stratégie : per-spectives et limites ”, AIMS.

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Identification des compétences

Précision des critères

16 familles de critères derecherche pour identifier etévaluer les compétences, lamobilité et la disponibilitédes candidats.

Possibilité de définirensemble les profils types lesplus recherchés à partir de800 fiches d’emploisréactualisée en moyenne tousles 4 mois.

Disponibilité maximale avecplusieurs niveaux derecherche (du local aunational).

Recherche immédiate surl’ensemble des critères etl’ensemble des candidats.

Informations mises à jour etpartagées en temps réel surla satisfaction concernant lacompétence des intérimairesdélégués.

Synergie accrue avec lebassin d’emploi.

Résultats de recherchedonnés par pourcentaged’adéquation.

Anticipation des besoins desentreprises utilisatrices(historique sauvegardé desprécédentes demandes).

Meilleure prise en compte dela mobilité des candidats.

Réponse en temps réel

Maîtrise de l’espace et de la mobilité

Evaluation des compétences Gestion des compétences

Tableau n°1 : Synthèse des potentialités des logiciels de compétences disponibles dans les ETT pour gérer les intérimaires nonqualifiés

événements) et de transfert des apprentissages (par lacommunication) mais trouve aussi des raisons poureffectuer ces apprentissages (dimension des service). Quelques soient les approches de la compétence, celle-ci débouche sur une remise en cause de l’organisationdu travail et c’est en cela qu’elle représente un enjeustratégique. La compétence est une combinaison de savoir. Elle nes’observe que dans l’action et ne peut être évaluée quelors de sa mise en œuvre. La compétence est un élémentmajeur de la performance (les moyens attribués, lesconditions de réalisation, l’environnement managérialpèsent aussi sur le niveau de performance).

Les attentes formulées à l’égard des logiciels decompétences relèvent de cette approche performanceéconomique et innovation managériale. L’identifi-cation, l’évaluation et la gestion des compétences sontdes logiques qui s’inscrivent dans des configurationsorganisationnelles spécifiques.

Management/organisation/compétence constituent untriptyque dont chaque élément est indissociable desautres. La démarche compétences doit être précédéed’une réflexion sur la meilleure organisation possible enfonction des objectifs stratégique des ETT et lapréparation du management à piloter le changement.

Defélix (2001) précise à ce sujet que “l’attention sefocalise souvent sur la dimension matérielle des

systèmes de gestion des compétences au détriment del’élément matériel central, la compétence et sontraitement”.

Il précise à ce propos que l’on peut distinguer quatreconfigurations permettant de saisir la nature de l’objetétudié :

- Une configuration uniquement langagière :l’entreprise déclare gérer les compétences, sansinstrumentation particulière, ou avec uneinstrumentation centrée sur les emplois seulement.

- Une configuration d’exploration : l’entrepriseconserve son instrumentation traditionnelle centrée surles emplois, mais décrit ces emplois en termes decompétences requises, sans chercher à mesurer lescompétences détenues et encore moins à rémunérercelles-ci.

- Une configuration de confrontation : l’entreprisedécrit et évalue ses emplois en termes de compétencesrequises et organise l’évaluation des compétencesdétenues de ses salariés en lien avec ces compétencesrequises, tout en gardant la logique de poste commeprincipe générale de rémunération.

- Une configuration d’intégration : l’entrepriseidentifie, évalue et rémunère les compétencesdétenues.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

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Cette quatrième configuration devrait être celle verslaquelle tendraient les ETT. Selon Adecco, lacompétence, “c’est quelque chose que le candidat saitfaire à l’instant T”. Les potentialités des logiciels decompétences dont disposent les ETT répondentactuellement à cette logique d’identificationd’évaluation et de rémunération des compétencesdétenues.

L’implémentation des logiciels de compétences paraitrelever d’une logique paradoxale. L’approche par lescompétences est présentée dans les ETT comme uneinnovation et une volonté stratégique alors que lesdémarches engagées l’ont été à partir d’une nécessité desurvie sur le marché du travail et de contraintes liés àl’évolution du secteur de l’intérim. De même, l’identification, l’évaluation et la gestion descompétences nécessitent des outils de mesure et devalidation fiables sans que les ETT puissent les figer pardes référentiels. Les ETT sont alors soumises à gérerces paradoxes et familiariser tous les acteurs àl’utilisation des technologies de réseau pour gérer aumieux les intérimaires non qualifiés.

C’est précisément ce point qui semble poser problème àl’épreuve du terrain.

1-3 - Les forces internes de la compétivité

La technologie et l’appropriation par les salariés deslogiciels de compétences et des codes de conduitedoivent déboucher rapidement sur la construction del’avenir du salarié, de l’ETT et de l’intérimaire nonqualifé. L’identification de cette force interne qu’est le“capital compétence” de chacun permet de déclencherune forme de pronostic d’évolution en adéquation avecles attentes de l’ETT.

Afin de faciliter la gestion des intérimaires nonqualifiés, certaines démarches s’avèrent nécessairealliant une ressource humaine et un soutientechnologique. La description des activités, ladéclinaison des compétences, la participation communedes titulaires et des non titulaires d’un emploi, laconstruction de référentiels emplois/compétences sontdes étapes essentielles qu’il convient de ne pas vouloirtrop précipiter.

La logique de l’urgence propre aux ETT ne contribuepas toujours à dégager les différentes caractéristiques del’environnement plus particulièrement sur le planrelationnel, difficile à identifier, et de mettre en valeurles différents types de relations qui se développent dansles ETT (travail en équipe, sollicitation del’encadrement, partenariat interne et externe). Leslogiciels de compétences permettent une analyse dechaque emploi et situation d’emploi dans leur globalité(repérage des domaines d’activité principaux,formulation des compétences qui y sont associés,démarche progressive de graduation) sans toutefoisspécifier le socle commun de compétences, base dedépart du développement professionnel.La technologie à elle seule ne peut constituer une forceinterne de l’implémentation. L’intervention humaine à travers des équipes projet etun travail d’équipe s’avèrent indispensables.Ainsi, la force de la compétitivité dans la gestion desintérimaires non qualifiés a engendré de nouvellesformes organisationnelles qui n’exclut pas ledéveloppement des jeux de pouvoir variés etmultiformes. Il souligne un renouvellement radical desrôles et des outils traditionnels de gestion des ressourceshumaines. L’informatisation en réseau progresse en effet trèsrapidement dans les ETT. Les changements dans lagestion de la formation, l’administration des contrats etde la paie, la gestion du temps et des recrutements fontsuite à l’implémentation d’applications en réseau dansles ETT.

Louart (1996) précise le processus d’hybridation desrelations de travail en tant que condition valable à toutchangement. Trois conditions s’avèrent nécessairesavant la mise en place d’une organisation en réseau dusystème de gestion des compétences orientée vers desintérimaires non qualifiés :

- une visibilité par tous des enjeux stratégiques des ETT,

- une implication forte de l’encadrement et descollaborateurs,

- une participation effective des salariés détachés toutau long du processus et une démarche long terme quine soient pas imposée.

Les technologies de réseau présentent quatrecaractéristiques d’un changement nécessaire dutriptyque management/organisation/compétence com-me le précise le tableau suivant.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

Page 280: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

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L’organisation de la gestion des compétences en réseauconfirme son inscription dans un SIRH. La tendance àl’uniformisation des modes d’organisation et desméthodologies d’identification des compétences estconsidérée comme un facteur d’innovation stratégiquepour la gestion des intérimaires non qualifiés.

Pour bien maîtriser les logiciels de compétences, ilconvient de bien connaître son utilité, sa potentialité,son objectif à atteindre, les choix de la méthoded’implémentation, le facteur temps et l’implicationd’une équipe projet. En conséquence, la démarched’implémentation de logiciels de compétences enréseau doit être étroitement liée au projet stratégique del’entreprise et le souci des collaborateurs de progresserpour satisfaire les intérimaires et les entreprisesutilisatrices.

2 – Les cibles du changement dans le cadre de l’application des codes de conduite

Le projet des entreprises de travail temporaired’implémenter les logiciels donne la direction etsuppose l’identification de compétences plus ou moinsimportantes des intérimaires non qualifiés par rapport àl’objectif fixé : INNOVER. Le développement du

capital de compétences des ETT nécessite des pointsd’articulation entre le projet élaboréorganisationnellement et le projet visé par lescollaborateurs. Cela implique une parfaitecompréhension des codes de conduite pour créer unesynergie, plaçant ainsi les collaborateurs, les salariésdétachés et les ETT en situation d’acteurs. L’entreprise apprenante est un axe majeur dedéveloppement des codes de conduite. Face à unelogique d’immatérialité logicielle, le code de conduiterévèle l’idée de mémoire collective pour l’organisationde travail. Cette notion fait apparaître que c’estl’expérience, le recul et l’analyse qui crée lacompétence et non le travail en lui-même. L’éthique desaffaires n’est pas non plus spontanée car elle correspondà un choix des ETT, même si elle s’impose en raisond’une modification du marché du travail en général etdu secteur de l’intérim en particulier.

La logique éthique induit une plus granderesponsabilisation et autonomie des collaborateurs. Lerôle de l’encadrement est primordial. Par leurs rôles desoutien et d’expert à une application des codes deconduite, les managers doivent à la fois convaincre etmobiliser tous les acteurs sur la nécessite stratégiqued’une éthique des affaires.Ce processus de changement entraîne dans les ETT desbouleversements à de multiples niveaux selon desrythmes asynchrones et avec des intensités différentes.L’implémentation des logiciels de compétences etl’application des codes de conduite relèvent d’unevolonté d’agir sur des cibles et d’augmenter lacontribution du SIRH à la chaîne de valeur des ETT quenous allons analyser dans cette deuxième partie.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

ContenuCaractéristiques

Immatérialité

Simultanéité

Adaptabilité

Simplification des procédures

Les technologies de réseau permettent un partenariat virtuel (sans papier) orienté vers unpartage des connaissances, des savoirs, des champs de compétences et une gestion des fluximmatériels d’information.

La quasi disparition des contraintes physiques d’attente, de réunion, de rapports papier vientmodifier les modes de gestion interne qui évoluent d’une conception itérative vers une notionde synchronisation dans l’administration des dossiers en parallèle.

La recherche constante de prestations internes de qualité s’opère au travers de logiciels decompétences adaptés et renouvelés.

L’autonomie et la décentralisation s’imposent en tant que nouveau mode de management.L’organisation est modifiée dans es contours par le développement de relationsclients/fournisseurs à partir d’une base de données unique et un traitement en temps réel.

Tableau n°2 : Les apports des technologies de réseau à la gestion des compétences des intérimaires non qualifiés dans les ETT.

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2-1 - Les travailleurs non qualifiés vuspar les acteurs

Dans les comportements managériaux sur le terrain, onpeut distinguer deux types de comportements parrapport à la gestion au quotidien des travailleurs nonqualifiés :

- Les ETT innovatrices : elles prennent des risquesd’intégrer au maximum y compris les non qualifiés,elles sont technologiquement progressistes.

- Les ETT parasites : elles attendent les résultats dequelques cas (2 ou 3 salariés non qualifiés à l’essai)pour adopter par la suite un code de conduite sans êtreconvaincue de l’importance de l’éthique des affaires.

L’application des codes de conduite dans les ETT doitalors être définie par rapport à chaque entreprise et nonen fonction du marché. Cette innovation concerne ledéveloppement de programmes d’action quiprécédemment ne faisaient pas partie du répertoire del’organisation. Cette conception semble plus cohérentedans la mesure où elle permet de mesurer l’effort desETT pour élargir leurs gammes de services ou pouradapter leur organisation à une responsabilité sociale.Cet effort demande une capacité d’adaptation etcomporte un risque. Les entreprises qui décident derelever le risque d’intégrer et de respecter les salariésnon qualifiés développent alors un processusd’innovation.

Ainsi, la recherche de l’application de codes deconduite dans les ETT se justifierait pour trois raisons :

- Les ETT ont besoin d’améliorer constamment laqualité de leurs services pour faire face à laconcurrence.

- Elles sont obligées d’accompagner l’évolution dumarché en intégrant des salariés non qualifiés,

- Elles cherchent de nouvelles technologies capables deleur donner un gain de productivité.

Au vue de ces éléments, il est logique que l’applicationde codes de conduite soit amenée à jouer un rôle capitaldans le développement des ETT. Elle leur permetd’établir un avantage concurrentiel viable et d’assurerla survie de l’entreprise. Pour les unes, l’application descodes de conduite est une force motrice. Pour d’autresc’est véritablement un processus sans lequel lechangement est impossible. Nous distinguerons plus en détails les rôles puis nousexaminerons le poids des individus dans la capacité àfaire appliquer une innovation en général et les codes deconduite en particulier.

Dans les discours des acteurs de l’intérim, on peutdistinguer trois rôles : maintenir la compétitivité desservices existants, développer une nouvelle organisa-tion et apporter un progrès significatif dans laproductivité des opérations afin de porter la capacitéconcurrentielle des ETT à un niveau supérieur.

- Maintenir la compétitivité des services par lerecours aux logiciels de compétences.C’est le rôle le plus évident de l’innovation que sontles logiciels de compétences. Traditionnellement laconcurrence au niveau des services d’intérim joue à lafois sur les attributs, les performances et le coût derevient. La réussite impose donc que soit accordé àl’innovation technologique la place qu’elle méritedans la mise en place d’une démarche compétenceproduisant de la qualité. Porter 6 considère que ce n’estpas la position mais la segmentation qui l’une desoptions de la stratégie concurrentielle. En dehors desperformances et des coûts, l’innovation technologiqueest présente dans une famille évolutive de services quicouvre une large palette d’applications proposés auxclients sur un marché de l’intérim segmenté.

- Changer les règles opérationnelles par l’appli-cation des codes de conduite. L’application des codes de conduite vient changer lesrepères établis dans les ETT. Beaucoup de ces repèresconcernent le temps à consacrer à une activité, le coûtde gestion d’un intérimaire peu qualifié, le niveau dequalité attendue d’un intérimaire fragilisé. Sur leterrain de l’intérim, les codes de conduite prennentsouvent le forme de seuils de tolérance au-delàdesquels une action corrective s’impose. Refuser detenir compte des codes de conduite qui les rendentinadaptés peut rendre les entreprises de travailtemporaire vulnérables. Le changer est l’une destaches les plus délicates du management. Contribuer àmodifier est le principal moteur du changement.Bright & Schoeman7 précisent à ce sujet que “le rôlede l’innovation est double : identifier le besoin dechangement et déclencher l’évolution des conventionsinduite par le progrès”.L’amélioration d’une certaine éthique des affairesmodifie alors les paramètres physiques dans le sens oùelle permet d’affiner les tolérances et de mieuxcontrôler les processus. Bright & Schoemanrenchérissent en spécifiant : “Les progrès ont presquetoujours une incidence à d’autres niveaux du systèmede production d’un service, mais la méconnaissancede la nature de ces conséquences ou la difficulté à

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

6 Porter M. (1985), Competitive Advantage : Creating andSustaining Supervisor Performance, New York, Free Press.

7 Bright J et Schoeman M. (1993) A Guide To A PracticalTechnological Forecasting, Prentice Hall Englewood Cliffs, NJ,p127.

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quantifier leur ampleur empêche souvent d’apporterdes ajustements supplémentaires qui pourraient êtrebénéfiques”.

- Apporter le bases d’une nouvelle organisationtendant vers une responsabilité sociale.Ce troisième rôle est de fixer ou corriger les basesd’une responsabilité sociale. De certains points devue, cette quête constante d’une responsabilité socialedes ETT a été assimilée à la quête du Saint Graal alorsque ce sont souvent des innovations mineures qui ontquelques fois le plus d’impact.

La responsabilité sociale (souhaitée par certainsdirigeants d’ETT) apparaît comme une activité quin’est pas prioritaire, elle ne doit pas occulter le besoinconstant d’améliorations progressives. Nous avons vu que l’innovation produite par leslogiciels de compétences jouait trois rôles. En gestionstratégique, tous trois exigent une vision prospective.Acquérir ce sens de l’orientation, pressentirl’apparition de d’une nouvelle capacité, faire preuved’une largeur de vue est crucial pour le développementdes entreprises de travail temporaire.

Savoir appréhender les perspectives d’évolution dusecteur de l’intérim implique deux compétencescollectives : - comprendre la dynamique des changements à venir,

leur imminence et la voie qu’ils suivront ; - prendre la mesure de l’importance de ces changements

pour les ETT et évaluer les répercussions de leurintroduction.

Il existe des critères rationnels qui permettent de passerau crible les informations émanant des études deprocess et de données secondaires.

Toutefois, les décisions doivent être prises sur la based’un juste milieu. Que peuvent faire les dirigeants pouraméliorer la qualité de la prise de décision favorisantune responsabilité sociale de l’ETT ? Tout d’abord,admettre que les décisions prises dans ces conditionsrelèvent du management et non de la technique.Elles exigent des apports techniques, mais ils sonttoujours influencés par les valeurs et la perspective dela source dont ils émanent. Prendre pour base de développement d’uneresponsabilité sociale conduit à prendre enconsidération le poids des acteurs dans la capacité àimplémenter les logiciels de compétence s et les codesde conduite dans les ETT.

2-2 - Poids des collaborateurs dans lacapacité à généraliser les codes deconduite

On sait en gestion des ressources humaines qu’unprocessus contradictoire est un bon moyen de dénouerune situation complexe. Dans le cas d’un conflit, cetteapproche implique que les différentes positions soientdéfendues par des individus compétents et reconnus.Une unité technique telle une entreprise de travailtemporaire pour être efficace devrait alors être en guerrecontrôlée et réelle contre elle-même. La responsabilité numéro un des dirigeants d’ETT seraalors d’entretenir tout en la contrôlant une situationconflictuelle analogue dans leur organisation.

Les salariés des ETT apparaissent ici comme la base-même du processus d’application des codes deconduite.

La première étape dans le cadre d’une application decodes de conduite parait être la capacité à se remettre encause et l’empathie. Or tous les salariés ne prennent paspart de la même façon au processus de gestion destravailleurs non qualifiés.Cette considération catégorielle nous conduit àreprendre la différence validée après une étudelongitudinale par Foster(1986) 8 en 1986 et Van deVen(1974) 9 auparavant au MIT entre les points de vuedes ingénieurs et techniciens supérieurs et celui desdirecteurs généraux. Nous distinguerons de notre coté lepoint de vue des chargés d’affaires experts, celui desDirecteur d’agence ou de secteur et celui des Directeursde région ou Nationaux des ETT.

- Le point de vue des Assistants d’Agence ouChargés d’Affaires.Pour eux, le risque et l’incertitude font partieintégrante du travail technique de gestion des contratset de la relation client. La récompense professionnelleest issue d’un travail original. Ce qui implique lapossibilité de l’échec, soit parce que l’intérimaire peuqualifié ne veut pas coopérer, soit parce qu’un élémentessentiel manque dans la relation avec l’entrepriseutilisatrice. Les valeurs professionnelles prônent ledépassement des limites de ce qui existe. A leurs yeux,la récompense potentielle suite à l’implémentation deslogiciels de compétences et à l’application des codesde conduite est grande par rapport à la sanction del’échec. Les assistants d’agence et les chargésd’affaires ont le point commun de ne montrer guère

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

8 Foster R. (1986), Innovation : the attackers advantage SummitBooks New York.

9 Van de Ven A. (1974), “A Task Contingent Model of Work-UnitStructure”, Administrative Science Quaterly

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d’indulgence envers ceux qui les induisent en erreur,les personnels non qualifiés sont perçus comme desfardeaux à supporter.

- Le point de vue des Directeurs d’Agence ou deSecteur. Les directeurs d’agence ou de secteurs récompensentceux qui non seulement atteignent les objectifsannoncés, mais aussi qui parviennent à faireprogresser régulièrement le chiffre d’affaires et surtoutles résultats financiers. Les échecs sont durementsanctionnés, parce qu’on estime qu’ils ont manqué deréalisme dans la définition des objectifs ou d’efficacitédans leur organisation. L’un des rôles d’un directeurd’agence ou de secteur est alors de créer de lacertitude. Les maîtres-mots sont stabilité etprévisibilité. En conséquence, on s’efforce deminimiser le risque parce que les enjeux économiquessont beaucoup plus élevés lorsque on amène latechnologie ou l’éthique à influer sur l’organisation.Nous pouvons les qualifier d’adeptes de la micro-économie qui ajusteraient les moyens de productionde service intérim jusqu’à ce que tous les rendementsmarginaux soient identiques. Les intérimaires nonqualifiés sont vus comme des contraintes à administreret non des détenteurs de compétences à développer.

- Le point de vue des Directeurs de Région ouNationaux.Pour la sociologue américaine Leonard-Barton10, “ lesDirecteurs sont des virtuoses des chiffres-(c’est engrande partie grâce à cette aptitude qu’ils ont atteintleur position) mais savent qu’ils sont faillibles ”. Les faits et les chiffres mettent en évidence lacrédibilité technique. Avec la gestion du risque et desprojets, les chiffres n’étant d’aucune façon infaillibles,la confiance apparaît comme si importante dans lesrelations humaines. Cette compétence repose sur leprincipe de double crédibilité (confiance et com-pétence technique). Les Directeurs de Région ouNationaux apprécient les intérimaires non qualifiésmais ils ne peuvent s’empêcher de se méfier un peu etsavent qu’ils doivent surveillés afin que leurenthousiasme pour une responsabilité sociale nefinisse par les mettre dans une situation difficile. Entant que dispensateur de ressources, il demandesurtout la preuve que celui qui la dirige administreefficacement ses ressources humaines et techniques.

Ainsi, les trois types d’acteurs identifiés comme ciblesdu changement participent de manière différenciée dansl’implémentation de nouvelles logiques organisation-nelles (logicielles et éthiques) interférant sur lastratégie, la nature du travail, les attitudes et lescompétences des salariés, les système de valeurs desETT et la restructuration de l’organisation. L’étape duchangement affecte de façon plus spécifique les

ressources humaines et la planification stratégique desETT.

2-3 - Le développement organisation-nel pour mieux considérer laresponsabilité sociale

Dans le développement organisationnel comme l’estl’application de codes de conduite, il s’agit de réaliserdes grands types de changement :

- Des objectifs de résultats se concentrent euxmajoritairement sur le nature du travail desintérimaires non qualifiés, les descriptions de postes etle travail d’équipe dans les ETT.

- Des objectifs de processus s’orientent eux vers uneprise en compte de la planification stratégique dansl’application des codes de conduite, de la mince libertéde choix des acteurs, du partage du pouvoir et de larelative autonomie.

2-3-1 - Les objectifs de résultats

La plupart des salariés interrogés sont enclins auchangement dans les ETT. Néanmoins l’application descodes de conduite apportent un changement majeurdans l’organisation du travail et la nature même del’activité. Une analyse approfondie des retoursd’expériences des trois ETT analysées et notamment del’étude monographique sur une direction régionaled’ETT souligne la nature progressive d’aspiration,d’implantation et de stabilisation du changement. Cestrois étapes sont apparues comme essentielles au fil desentretiens dans le développement organisationnel d’uneéthique des affaires comme en témoigne le tableau 3page suivante.

L’agent de changement dans l’application des codes deconduite est dans le cas des trois ETT la crise de secteurde l’intérim. L’appel à un nouveau type decomportement des salariés pour justifier del’application des codes de conduite fait appel à unestratégie de persuasion rationnelle emmenant avecelle chaque fois plus d’acteurs-cibles (les assistantsd’agence). Si dans l’étape de préparation, les principauxintéressés sont limités en nombre, dans l’application etla stabilisation du changement la présentation d’unerétroaction à un grand nombre d’acteurs favorisel’implication et l’engagement dans le processus.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

10 Leonard-Barton D. et Kraus W. (1985), “ Implementing NewTechnology ”, Harvard Business Review, Nov-Dec, p109.

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La valeur coût-bénéfice est en permanence mise enavant pour justifier l’application des codes de conduite.L’appui des consultants et des experts sur le thème del’éthique en vue de l’application des codes de conduitepermet d’asseoir encore davantage l’absolue nécessitédu recours généralisé à une gestion éthique Mais cettedémarche de persuasion rationnelle n’est pas à elleseule favorable à une application rapide. Il convientd’envisager une planification stratégique reposant surun partage accru du pouvoir.

2-3-2 Les objectifs de processus

La planification stratégique s’avère être une nécessitédans l’application des codes de conduite.La décision d’innover éthiquement n’apparaîttotalement rationnelle que dans la mesure où les acteursorganisationnels ont beaucoup de difficultés à cerner lesproblèmes. S’ils ne connaissent pas la problématique dela gestion des personnels peu qualifés, ils ne peuventpas prendre des décisions optimales. La gestion auquotidien des personnels non qualifiés par l’applicationdes codes de conduite dans les ETT semble présenter uncaractère satisfaisant et non optimal.

La justification de cet écart vient des éléments suivants :

- La fixation d’objectifs éthiques est déterminée par lejeu des négociations. Chaque acteur chercherait àimposer des décisions satisfaisantes à son niveaupersonnel plutôt qu’une décision optimale au niveaude l’organisation.

- La subjectivité des individus déterminerait leur choix.

- La prise de décision apparaît comme un processusconservateur, dans la mesure où subsiste constammentun écart entre les résultats obtenus et les objectifsfixés.

C’est avec une obligation de conflit dans la prise dedécision, que nous pouvons souligner le caractèreessentiel d’allier innovation technologique et gestiondes ressources humaines pour un développementharmonieux des ETT. L’innovation ne peut pas existersans un engagement humain total. Il incombe alors auresponsable du projet “Démarche compétence” deprendre lui-même et d’encourager les autres à prendrecet engagement individuel et à s’inscrire dans uneaction collective d’implication organisationnelle.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

Actions menées dans le cadre de l’application des codes de conduite Cibles internesEtapes

du changement planifié

Information sur les codes de conduite

Application des codes de conduite

Stabilisation dansl’utilisation quotidienne des codes de conduite

Dans les trois ETT, la dramatisation du reculdu secteur de l’intérim a été le facteur dedéclenchement. La compréhension que le point de blocagereste le recrutement et la fidélisation desintérimaires amène les chargés de sourcing etde recrutement à faire évoluer leurcomportement vers plus d’efficacité et àrompre avec les anciennes habitudes.

La définition de nouvelles façons de recruteret gérer les intérimaires par une recherchemulti-critères permet d’envisager une plusgrande efficacité et productivité.Les logiciels de compétences et les codes deconduite sont présentés comme une mesureindispensable aux ETT pour instaurer unchangement majeur dans un secteur en crise.

Amener tous les acteurs du secteur del’intérim à accepter les codes de conduite et àconserver ces nouveaux comportements quantà leur application.

DGDRHChefs d’agenceChargés de recrutement et de sourcing

DRH Directions régionales Chefs d’agenceAssistants d’agenceChargés de recrutement et de sourcing

DGDRHIntérimairesEntreprises utilisatricesDirections régionalesDélégués commerciauxChargés de recrutement et de sourcingChargés de clientèleResponsables de district

Tableau n°3 : les étapes analysées d’application des codes de conduite

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La stratégie d’implémenter les logiciels et d’appliquerles codes de conduite dans les ETT est plutôt unedémarche, un état d’esprit ouvert qui permet àl’entreprise de travail temporaire de réagir à unchangement, de se mobiliser à tous les niveaux del’organisation. Cela n’empêche pas un plan d’actionprécis dans la prise de décision. Si la responsabilitésociale ne passe pas à l’action, elle ne reste qu’unexercice intellectuel gratuit. Instrument de développement organisationnel, laplanification nécessaire à l’implémentation deslogiciels de compétences et l’application des codes deconduite prend en compte les actions passées. Elle estun processus par lequel les ETT analysent leurenvironnement, leurs propres possibilités, choisissentune stratégie en redéfinissant leurs objectifs etrépartissent les moyens financiers, humains et matérielspour les réaliser.

La planification est alors à la fois un processusd’information, de communication, de réflexion, dedécision et de motivation. Cette nécessaireplanification stratégique des ressourcestechnologiques et éthiques a son impact sur lastructure administrative, le développement descadres et le personnel ainsi que la cultured’entreprise. Sans prétendre que tous les assistants etdes chargés d’affaires vont devenir des entrepreneurs,des discussions peuvent permettre d’enclencher unprocessus de responsabilisation sociale.

Or tout comme le succès dans d’autres dimensions de laplanification stratégique donne naissance à une capacitéde traiter des problèmes nouveaux, une entreprise qui

modifie délibérément son caractère crée un besoin decompétences et de styles de management différents etde nouvelles formes organisationnelles.

L’application de codes de conduite est quant à elle aucœur de l’organisation et selon Argyris (1995) elle estau même titre q’une innovation ”un remarquable outilde développement organisationnel”. Convenablementdéfini, le processus d’application des codes de conduitepermet en effet la confrontation par les différentesparties prenantes de points de vue divergents, tant sur laplanification à long terme que sur les aspectsopérationnels.

Cette confrontation n’est pas seulement l’apanage desDirecteurs Nationaux ou Régionaux mais doitimpliquer l’ensemble de l’organisation à travers la miseen place d’échanges systématiques et décentralisées ausein des ETT. Cette coordination de l’application descodes de conduite passe nécessairement parl’établissement de liens forts entre les salariés, unengagement explicite de la direction, un calendrierspécifique.

A ce titre, les codes de conduite apparaissent commel’expression d’une négociation collective plutôt qued’un parachutage extérieur dont la réalité serait perçuecomme lointaine et désincarnée. L’élément essentiel estqu’une vision stratégique émerge à travers ce processusde responsabilisation sociale en prenant en compte à lafois des rationalités technico-économiques et socio-politiques propres à l’organisation dans undéveloppement organisationnel.

Les codes de conduite des entreprises de travail temporaireSandra PALMERO - Marc VALAX

Intervention orientée vers un développement organisationnelNature du changement

Degré de centralisation

Choix des solutions éthiques

Temporalité du changementlié à l’application des codes

de conduite

Positionnement des politiques de gestion

des compétences

Changement négocié dans des stratégies managériales planifiées mais aussi émergentes.

“Moins mauvaise des solutions pour gérer les compétences”. Il est le reflet des apports de pouvoir interne et des jeux d’acteurs.

Séquentiel mais difficilement programmable car l’application dépend du temps desnégociations et des rapports de force qui peuvent retarder la mise en place d’une gestion descompétences des salariés non qualifiés.

Arbitrer, négocier et trouver des compromis acceptables par tous les acteurs concernés dansune satisfaction conjointe d’intérêts divergents.

Tableau n°4 : Un modèle adapté aux ETT du développement organisationnel dans l’application des codes de conduite.

Page 286: Compétitivité et Normes Sociales Internationales

Cette vision d’un développement organisationnel,particulièrement dans les ETT, n’est pas nécessairementclaire et formalisée, mais constitue un horizonsuffisamment flexible et réaliste pour définir un cadrede référence partagé (Prax, 1997). Les décisions prisesd’implémenter des logiciels de compétences etd’appliquer des codes de conduite simultanémentrelèvent d’un construit social qui tente d’occulter lepouvoir au sein de l’organisation. La gestion del’application des codes de conduite au sein des ETTdevient un acte d’arbitrage chargé de trouver et denégocier des compromis acceptables par toutes lesparties (Delavallée, 2000). Les solutions logicielles dans la gestion descompétences dépendent du contexte organisationnelspécifique dans lequel elles sont mises en œuvre. Ilapparaît alors que les stratégies émergentes dans ceprocessus de changement ne sont plus le seul fait de laDirection Régionale ou Nationale mais bien celle desinteractions entre les membres de l’organisation.

Cela implique enfin que les structures et la gestion descompétences via les logiciels et les codes de conduite nepeuvent plus s’envisager comme des variablesdépendantes (l’objet du changement des ETT) maisbien comme des variables structurantes qui vontconditionner l’attitude des acteurs à chaque étape duprocessus de mise en place d’une éthique des affaires.

Conclusion Le développement organisationnel d’une responsabilitésociale des ETT désigne une façon globale deconsidérer l’application des codes de conduite commeun changement planifié du secteur de l’intérim. Ilpermet d’aider les ETT à mieux aborder les pressionsenvironnementales et les autres facteurs de changement,tout en rehaussant les niveaux de capacités internes derésolution des problèmes organisationnels liés à lagestion des intérimaires non qualifiés. Les entreprises de travail temporaire ont présenté unedémarche d’application des codes de conduite par lerecours à une stratégie de persuasion rationnelle desacteurs. Deux conditions majeures ont focalisé leurattention :

- Un investissement fort en temps et en matière grise(mise en place d’indicateurs, enquête de rétroaction,réunions de confrontation, réorganisation desstructures) avec un enjeu économique et social

- la nécessité d’une remise en cause organisationnellepour se maintenir sur le marché de l’emploi etaccompagner une évolution du secteur de l’intérim.

En termes de résultats, les codes de conduite et leslogiciels de compétences comprennent uneréorganisation des ETT vers des référentiels métiersoptimisés, des études de postes fournissant desinformations éthiques qui assurent aux intérimaires uneintégration rapide, des recherches multi-critères descandidats en temps réels pour une identification claire etimmédiate des compétences des candidats. Au delà deces résultats, l’application des codes de conduiteinterroge la mise en œuvre des changementsmanagériaux. Le projet de mettre en place des codes deconduite a des incidences fortes sur le rôle dumanagement, les manières de travailler, d’établir unenouvelle relation avec les partenaires et collaborateursnotamment ceux en charge des intérimaires nonqualifiés.

Les principaux freins constatés sont les réticences del’encadrement qui craint une perte de pouvoir, derepères par rapport à la relation hiérarchiquetraditionnelle et la peur de certains collaborateursd’avoir des responsabilités accrues sans en avoir decompensation. Les ETT doivent ainsi relever lechallenge de faire coïncider en temps réel les attentesdes entreprises utilisatrices et les compétences dessalariés détachés afin d’assurer la production et leservice au prix compétitif dans un contexte de courtedurée.

Les questions du changement organisationnel planifiése trouvent au cœur de la réflexion sur les codes deconduite. Ces questions fondamentales soulignentl’importance du travail coopératif à l’intérieur des ETTmais aussi avec les différents partenaires. Lefonctionnement en réseau et en cellule de l’organisationpose des problèmes de communication, de coordinationet de partage de l’information disponible sur l’intranetou l’extranet.Les codes de conduite pourraient être un premièreinnovation pour les ETT ouvrant la voie vers desnormes sociales. Les normes pour les ETT ne seraient alors plus unobjectif mais un impératif. Vendre des services detravail temporaire, faire un business socialementresponsable exigerait que chacun puisse connaître etcomprendre ces nouveaux métiers, puisse les assumer,interagir tant avec les salariés des ETT, avec lescollaborateurs détachés en mission que ses clients,fournisseurs et partenaires. Les codes de conduiteapparaissent comme une première étape. Lesentreprises de travail temporaire s’orientent vers ledéveloppement d’activités structurées conçues pouraider les ressources humaines à collaborer en vue demettre en œuvre des changements organisationnels,culturels et éthiques majeurs dans le secteur del’intérim.

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Une « GRH cafétéria »pour les entreprisessocialementresponsables

Jean Marie PERETTIProfesseur ESSEC et IAE de CORTEPrésident de l’AGRH (Association Francophonede Gestion des Ressources Humaines)Président d’Honneur de l’IAS (InstitutInternational de l’Audit Social)[email protected]

Rodolphe COLLE DoctorantIAE, AIX EN [email protected]

Les sociologues constatent que la fin du XXe siècle a étémarquée par l’émergence d’un nouveau type de salariésde moins en moins enclins à laisser les autres

décider à leur place. Ils souhaitent aujourd’hui que leursbesoins et leurs demandes soient pris en compte parl’entreprise les employant. Dans cette optique, lesresponsables de ressources humaines devront à l’avenirse tourner vers une plus grande personnalisation de lastructure de travail.

Dès lors, la question se pose de savoir comment lesentreprises socialement responsables peuvent faire faceà ces changements qui s’opèrent dans la société contem-poraine.

La « GRH cafétéria » peut être une réponse à cette inter-rogation. Nous définissons ce concept comme un para-digme selon lequel l’organisation, économiquementperfor-mante, se rapproche du projet et des besoins per-sonnels de chacun en offrant divers espaces de choix àses salariés.

Dans le cadre de cette recherche, nous avons souhaiténe pas limiter le concept « cafétéria » au seul aspect liéà la rémunération. Nous proposons donc d’élargir ceconcept à toutes les possibilités de choix mises à ladisposition des salariés dans leur emploi. Un inventairedes divers espaces de choix pouvant être offerts auxsalariés dans leur emploi est ainsi effectué dans cette recherche.

Introduction« Etre socialement responsable signifie non seulementsatisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir« davantage » dans le capital humain, l’environnementet les relations avec les parties prenantes »(Commission, 2001, p.7). A l’égard des salariés, laresponsabilité sociale de l’entreprise concerne tout d’a-bord une meilleure qualité de l’emploi et du travail.Or, dans leur recherche de compétitivité, les entreprisesse trouvent aujourd’hui face à de nouveaux impératifsen matière d’organisation du travail qui impliquentd’accorder une plus grande marge d’autonomie, de liberté et de flexibilité aux salariés. L’idée et la nécessi-té d’offrir un certain degré de choix à leurs salariés sontdès lors apparues aux gestionnaires des ressourceshumaines. Les entreprises ont une responsabilité parti-culière dans la définition d’une nouvelle forme d’orga-nisation du travail.Dans les années 1960, la littérature nord-américaine avu apparaître le concept de « cafeteria plans »1. Ceux-ciconsistent à donner à chaque salarié la possibilité de

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Une « GRH cafétéria » pour les entreprises socialement responsablesJean-Marie PERETTI - Rodolphe COLLE

1 Traduits littéralement « systèmes de rémunération cafétéria ».

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choisir son propre « mix » de rémunération en fonctionde ses besoins personnels. L’objet de ces systèmes estde satisfaire pleinement les besoins des salariés tout endiminuant les coûts salariaux de l’entreprise.Dans le cadre de cette recherche, nous avons souhaiténe pas limiter le concept « cafétéria » au seul aspect liéà la rémunération. Nous proposons donc d’élargir ceconcept à toutes les possibilités de choix mises à ladisposition des salariés dans leur emploi. Nous parlonsde « GRH cafétéria » et définissons ce concept commeun paradigme selon lequel l’organisation, économique-ment performante, se rapproche du projet et des besoinspersonnels de chaque salarié en lui offrant divers espa-ces de choix dans son emploi.En effet, l’entreprise peut difficilement apporter lesmêmes réponses à toutes les catégories de salariés.Notre société connaît actuellement une diversificationcroissante du salariat. Une gestion de carrière cibléeapparaît dès lors nécessaire : les préférences de chaqueindividu sont différentes et peuvent varier notammenten fonction de l’âge, de la situation familiale, etc.Cette diversité du salariat conduit à considérer l’émer-gence d’un nouveau type de salarié soucieux de prend-re sa vie en main et de ne plus laisser les autres choisiret décider à sa place : le « salarié autonome » (premiè-re partie). Un nouveau paradigme de gestion s’avère dèslors nécessaire pour assurer aux salariés un systèmeorganisationnel qui leur offre davantage de marges dechoix (seconde partie).

1. L’émergence d’un nouveau type de salarié :vers un « salarié autonome »

Le développement de la responsabilité sociale desentreprises suppose la définition d’une nouvelle formed’organisation du travail reconnaissant aux salariésdavantage d’autonomie dans leur emploi.

Il apparaît dès lors nécessaire d’effectuer une rapideprésentation des principales théories des organisationsavant de présenter l’accroissement de la diversité dusalariat ayant mené à l’émergence d’un nouveau type desalarié : le « salarié autonome ».

1.1. Rapide présentation des principalesthéories des organisations

L’école classique, représentée notamment par Taylor,Weber et Fayol, a été critiquée par l’école des relations

humaines et son chef de file Mayo, puis par la théorie dela contingence structurelle et la théorie de la décision.

1.1.1. La science au travail : F.W.Taylor

Le taylorisme est une théorie élaborée au début du siècle afin d’organiser scientifiquement la production.Cette théorie se fonde sur deux postulats (Taylor, 1957).Tout d’abord, elle préconise une gestion scientifiques’imposant à tous par sa rationalité indiscutable.Ensuite, Taylor part du constat que les salariés limitentvolontairement leur production en employant toutessortes de freins permettant de travailler le moins possible.Dès lors, l’Organisation Scientifique du Travail consiste àdéterminer la méthode d’exécution d’une tâche la plus effi-cace du point de vue économique et technique. Cette méthode doit être suivie sans déviation par tous les sala-riés. Il existe donc, selon cette théorie, une bonne organi-sation du travail et une seule2 pour un travail donné.Ce système d’organisation du travail est complété parun système de sélection rigoureux afin que chacun soitemployé au poste qui lui convient le mieux. Cette théo-rie suppose une conception stricte de la hiérarchie : lesouvriers exécutent le travail sous la supervision du ser-vice de contrôle et selon l’organisation préconisée par lebureau des méthodes.Il est fréquemment reproché au taylorisme de créer destâches répétitives et monotones, entraînant une formedéshumanisante de travail. On peut également regretterque la seule source de motivation des salariés, selonTaylor, soit la rémunération.

1.1.2. La bureaucratie : M. Weber

Weber (1959, 1965) a développé une nouvelle théoriede l’organisation, le modèle bureaucratique, qu’il oppo-se à deux autres modèles : le modèle charismatique et lemodèle traditionnel. Ces trois types d’organisationvarient selon la nature de l’autorité. L’autorité charis-matique est fondée sur les qualités personnelles du lea-der : l’individu est dévoué à un « héros ». L’autorité tra-ditionnelle, de son côté, implique une obéissance fon-dée sur la coutume et les usages : l’individu croit que lepassé doit se reproduire. Enfin, l’autorité bureaucra-tique est fondée sur des règles établies rationnellement.Weber considère le modèle bureaucratique comme leplus adapté aux entreprises modernes du fait de la pré-sence d’une règle rationnelle et non de l’arbitraire d’unindividu. Ce type d’organisation est caractérisé par uncorps de règles abstraites et une forte impersonnalité dutravail. En outre, à l’instar du modèle préconisé parTaylor (1957), la bureaucratie est fondée sur la spécia-lisation des tâches.

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2 The one best way

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Ce modèle organisationnel tend à éliminer le népotis-me, l’arbitraire et la discrimination dans les organisa-tions. Toutefois, force est de constater que les organisa-tions bureaucratiques de type weberien n’échappent pasà diverses formes de discrimination (selon le sexe,l’âge, la race, …). Ce modèle reste dès lors un idéal àatteindre, où discrimination et arbitraire seraient éliminés.

1.1.3. L’organisation administrative du travail : H. Fayol

Le modèle élaboré par Fayol (1916) décompose lesfonctions d’une entreprise en six catégories : les opéra-tions techniques, commerciales, financières, de sécuri-té, comptables et administratives. Cette théorie se fondeainsi sur une spécialisation des tâches permettant d’ac-croître l’efficacité et la performance des organisations.Fayol liste quatorze principes fondamentaux sur les-quels sa théorie s’appuie, tels que la division du travail,la discipline, l’unité de direction, l’objectif d’équité ouencore l’esprit d’équipe des salariés. Toutefois, il fautnoter que cette énumération de principes n’est pas limi-tative et que, à l’inverse, leur application n’est pas abso-lue et universelle. Cette flexibilité marque une différen-ce de taille entre cette théorie et les deux présentées pré-cédemment. De même, Fayol rejette l’idée d’un travailimpersonnel et prône au contraire une équité organisa-tionnelle et un esprit d’équipe dans l’entreprise.

1.1.4. L’école des relations humaines : G.E. Mayo

La théorie des relations humaines est née de la critiquedu modèle classique. Les expériences réalisées parMayo (1933) constituent certainement le point dedépart essentiel de cette théorie. La recherche menée ausein des ateliers Hawthorne de la Western ElectricCompany est la plus connue en la matière. En étudiantses employés, Mayo a montré qu’une plus grande consi-dération des salariés pouvait accroître leur rendement,outre un salaire plus élevé ou de meilleures conditionsde travail.On parle généralement d’« effet Hawthorne » : ce seraitle simple fait pour un individu d’être l’objet d’observa-tions qui modifierait son comportement. Mayo enconclut que c’est l’attention portée aux salariés qui per-met l’accroissement de la productivité et non l’amélio-ration des conditions provoquée dans cette expérience.Il s’avère donc important d’encourager de bonnes rela-tions et un esprit de cohésion entre salariés d’une mêmeunité de travail. Les relations interpersonnelles à l’inté-rieur d’une unité sont donc particulièrement importan-tes. En outre, il faut noter que le contrôle et l’autorité dusupérieur nécessitent davantage de flexibilité et de sou-plesse.La théorie des relations humaines a été vivement criti-

quée, notamment la méthodologie suivie dans les expé-riences de Mayo. Il faut surtout noter que cette théoriereste aussi déterministe que les précédentes : il y auraitune bonne forme d’organisation et une seule, celleconnaissant un bon climat affectif dans ses unités de travail.

1.1.5. Les théories de la contingence structurelle

Les théories de la contingence structurelle présententl’intérêt de ne plus préconiser une unique forme d’orga-nisation souhaitable : il faut tenir compte de situations etde variables diverses. Les différences dans les variablesaffectent essentiellement la structure de l’organisation,d’où le nom de théories de la contingence structurelle.L’idée générale qui prévaut ici est que plusieurs typesd’organisation peuvent coexister avec succès en fonc-tion de conditions et de situations différentes.Divers types de variables peuvent être amenés à faireévoluer l’organisation : l’âge de l’entreprise, sa taille, latechnologie employée par elle ou sa stratégie. De même,une variable externe est mise en évidence par les travauxde Lawrence et Lorsch (1967) : l’environnement.La théorie relativiste de Lawrence et Lorsch supposeque l’entreprise est un système segmenté en sous-systè-mes ou départements, chacun étant soumis à un sous-environnement particulier nécessitant un type d’organi-sation spécifique. Dès lors, il apparaît que le type d’or-ganisation est contingent de variables externes ou inter-nes. En outre, chaque département peut être soumis à unenvironnement différent et nécessiter ipso facto un typed’organisation particulier.Par la suite, Mintzberg (1982) a proposé une autre formede la théorie de la contingence fondée sur la structura-tion des organisations. Quatre facteurs de contingencesont ainsi mis en évidence : l’âge et la taille de l’organi-sation, son système technique, son environnement et lepouvoir. Divers types d’organisation sont dès lors possi-bles tels que l’organisation entrepreneu-riale, la bureau-cratie mécaniste ou la structure divisionnelle.

1.1.6. La théorie de la décision

La théorie de la décision se fonde sur les travaux deSimon (1947) selon lesquels un individu prend unedécision suivant un processus rationnel, mais sa ratio-nalité est limitée. Il ne passera ainsi pas en revue toutesles options offertes par manque de temps, d’informationou de capacités, mais recherchera simplement un niveauminimum de satisfaction.March et Simon (1958) s’appuient sur cette théorie pourproposer un modèle d’organisation. Les individus éva-luent leur contribution et leur rétribution : ils contribue-ront tant que les rétributions seront plus élevées que lescontributions, en fonction des valeurs et attentes dechaque individu. Il ressort des travaux de March et

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Simon que les acteurs de l’organisation agissent suivantune logique de rationalité limitée.

1.2. Une diversité croissante du salariat

Si la période des Trente glorieuses a été marquée parune très forte tendance à l’uniformisation des conditions des salariés, les auteurs et les praticiensconsidèrent aujourd’hui qu’il faut privilégier une diffé-renciation durable corrélative à l’absence de forme dominante ou de domination d’un « rapport salarialcanonique » (Beffat et al., 1999) : « la diversité descomposantes des relations d’emploi l’emporte sur laconvergence d’un modèle unifié ». Toutefois, il fautnoter que la forme dominante n’est pas forcément tou-jours un modèle unifié et généralisé comme celui qui aprévalu pendant les Trente glorieuses (Lamanthe,2001) : la référence à une tendance dominante peut par-fois être aussi pertinenteA la différence des années 1980, les salariés réclamentaujourd’hui davantage de liberté et d’autonomie.Bouchikhi et Kimberly (1999a) considèrent ainsi qu’ilfaut s’efforcer de personnaliser le milieu de travail. Ilsconstatent la création d’un fossé entre le pouvoir dechoix des consommateurs et celui des salariés. En effet,les individus ont aujourd’hui la possibilité de faire denombreux choix : vivre seuls ou en couple, avoir ou nondes enfants, acheter le produit A ou le produit B, adhé-rer ou non à certaines communautés, … En revanche,l’entreprise offre encore peu d’espaces de choix à sessalariés.Or les salariés ont aujourd’hui de plus en plus tendanceà souhaiter une plus grande personnalisation des condi-tions de travail. L’autonomie et l’offre d’espaces dechoix s’avèrent nécessaires pour leur permettre notam-ment de concilier travail et vie familiale.Nous constatons ainsi l’émergence d’un nouveau typede salarié : le « salarié autonome ». Les individus sou-haitent prendre leur vie en charge et la planifier demanière stratégique. Il n’est ainsi pas rare de voir desjeunes et/ou des cadres quitter leur emploi pour se diri-ger vers un travail plus autonome tel qu’une professionlibérale. Les individus, aujourd’hui, souhaitent partici-per aux décisions concernant leur vie professionnelle demême que leur vie privée. Ils veulent décider de cequ’ils font, mais également de quand, où, avec qui etpourquoi ils le font. L’individu ne doit donc plus êtrel’objet mais le sujet de la gestion des ressources humai-nes (Bouchikhi et Kimberly, 1999a).Une exigence s’impose dès lors : la flexibilité et l’indi-vidualisation des conditions d’emploi. La prise encompte de la diversité doit avoir pour conséquence lasortie d’un système d’organisation uniforme pour l’en-treprise et l’individualisation du rapport au travail pour

le salarié (CJD, 1995). Ceci nécessite la mise en placed’une organisation du travail davantage personnaliséequi permette un équilibre entre les besoins de l’entre-prise et ceux des salariés.

La flexibilité et la proposition d’espaces de choix auxsalariés peuvent avoir pour conséquence d’augmenter lasatisfaction au travail de ces derniers (Barber et al.,1992), ainsi que la possibilité de retenir les salariés dansl’entreprise et d’en attirer de nouveaux (Rosenbloom etHallman, 1986 ; Beam et McFadden, 1888 ; EmployeeBenefits Research Institute, 1982). La présence de telschoix pourrait ainsi permettre aux individus de fairecoïncider les avantages dont ils disposent et ceux qu’ilssouhaiteraient se voir offrir (Rosenbloom et Hallman,1986). En effet, on constate que les besoins des salariéssont aujourd’hui de plus en plus divers du fait notam-ment de l’accroissement du travail des femmes ou del’apparition des couples à double carrière (O’Brien,1992).Ceci confirme la théorie de Locke (1969) relative à lasatisfaction au travail : cette théorie pose en principeque la satisfaction au travail est une fonction du rapportperçu entre ce que l’on veut pour son travail et ce quel’on perçoit comme étant offert. En outre, l’offre dedivers espaces de choix peut fournir aux salariés un fortsentiment de contrôle de leur situation de travail. Leursatisfaction au travail s’en trouve améliorée et celarésulte sur une plus forte implication envers l’organisa-tion (Heshizer, 1994).Ensuite, offrir divers espaces de choix aux salariés peutpermettre à une entreprise de diminuer ses coûts(Meyer, 2000). En effet, la plupart des individus décla-rent accepter de quitter leur emploi pour en rejoindre unautre où ils auraient moins de choix, mais à la conditiond’obtenir un salaire sensiblement plus élevé (en moyen-ne, 4000 dollars de plus) (O’Brien, 1992).Dès lors, l’offre d’espaces de choix peut s’avérer unesolution judicieuse pour des entreprises qui souhai-teraient diminuer leurs coûts de charge salariale et quin’auraient pas la capacité financière de conserver unsalarié convoité par des concurrents.

2. L’émergence d’un nouveau paradigme : vers une « GRH cafétéria »

Nous définirons tout d’abord le concept de « GRH café-téria » en nous appuyant sur l’idée d’espaces de choixofferts aux salariés dans leur emploi. Ensuite, il s’avè-rera nécessaire de proposer un inventaire de ces diffé-rents espaces de choix.

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2.1. Une définition du concept de « GRH cafétéria »

L’évolution historique des paradigmes de gestion desXIXe, XXe et XXIe siècles proposée par Bouchikhi etKimberly (1999a) nous a conduit à proposer un essai dedéfinition de la « GRH cafétéria ».

2.1.1. Une évolution historique des paradigmes de gestion

Bouchikhi et Kimberly (1999a) ont mis en évidence uneévolution historique dans les différents paradigmes degestion. Comme l’indique le tableau 1, il est possible dedistinguer les paradigmes des XIXe, XXe et XXIe sièclesen fonction du degré de flexibilité et de la faculté d’adaptation des entreprises aux besoins et attentes desdifférentes parties prenantes (Bouchikhi et Kimberly,1999b).

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Tableau 1 : Les paradigmes de gestion des XIXe, XXe et XXIe siècles (adapté de Bouchikhi et Kimberly, 1999b, p.8).

Le paradigme de gestion du XIXe siècle :Au XIXe siècle, les entreprises étaient le plus souventfamiliales et se préoccupaient peu des attentes desactionnaires et des clients. Ces derniers se contentaientd’acheter les produits qui leur étaient proposés.De leur côté, les salariés étaient considérés, selon ce para-digme de gestion, comme étant au service de leuremployeur et n’ayant pas la possibilité de s’exprimer.Sauf dans le cas d’un employeur compréhensif pratiquantun management paternaliste, les employés restaient deséléments que l’on recrutait ou licenciait selon les besoinset ne disposant d’aucun espace de choix.

Le paradigme de gestion du XXe siècle :Le paradigme de gestion du XXe siècle se caractérisepar une prise en compte par les entreprises des attentesdes actionnaires et des clients. Ceux-ci participentdavantage au processus de décision. L’entreprise estcentrée sur le marché. En revanche, les employés n’onttoujours aucune marge de choix. Ils doivent s’adapteraux besoins de la clientèle. Aucune flexibilité n’est dèslors possible en ce qui concerne notamment l’aménage-ment des temps de travail.

Certes, la fin du XXe siècle a vu apparaître diversesinnovations telles que le management participatif ou larémunération en fonction du rendement. Toutefois, cel-les-ci ont eu un impact limité sur les attitudes et lescomportements au travail des salariés et ne paraissentplus correspondre à leurs attentes. En effet, ces pra-tiques correspondaient à une exigence de flexibilitéémanant de l’entreprise elle-même, alors que ce sontaujourd’hui les salariés qui demandent davantage deliberté et d’individualisation.Dès lors, un troisième paradigme de gestion est en passede devenir dominant dans les pays occidentaux.

Le paradigme de gestion du XXIe siècle :Bouchikhi et Kimberly (1999a) constatent l’émergenced’un nouveau paradigme de gestion pour le XXIe siècle : l’entreprise à la carte. Selon ce paradigme,les employeurs devront personnaliser le milieu de tra-vail en permettant une flexibilité tournée vers lesemployés.L’entreprise devra donc tenir compte à la fois des atten-tes des actionnaires et des clients, mais également dessalariés qui souhaitent participer au processus de déci-

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sion et devenir davantage autonomes. Les outils de mar-keting appliqués jusque là aux seuls clients devront êtreétendus également aux employés qui ne souhaitent pluslaisser les autres décider à leur place.

2.1.2. Un essai de définition du concept de« GRH cafétéria »

Comme nous venons de le constater, le paradigme degestion du XXIe siècle nécessite la mise en place d’uneorganisation du travail personnalisée et indivi-dualiséeau bénéfice des salariés. Dès 1995, le Centre des JeunesDirigeants d’Entreprise (CJD, 1995) parle d’« entrepri-se à la carte », expression reprise ensuite par Bouchikhiet Kimberly (1999a).Nous préférons parler de « GRH cafétéria », que nousdéfinissons comme un paradigme selon lequel l’organi-sation, économiquement performante, se rapproche duprojet et des besoins de chaque salarié en lui offrant uncertain nombre d’espaces de choix dans son emploi.La littérature limitait jusqu’à présent le terme « cafété-ria » au fait de pouvoir choisir son propre « mix » derémunération en fonction de ses besoins personnels : onparle de « système de rémunération cafétéria »3. Il s’a-git de permettre à chaque salarié de choisir les modali-tés de sa rémunération dans le cadre d’une enveloppe(Peretti, 2002a). Dans le cadre de cette recherche, nousavons souhaité ne pas limiter ce concept « cafétéria » auseul aspect lié à la rémunération. Nous proposons doncd’élargir le concept « cafétéria » à toutes les possibilitésde choix mises à la disposition des salariés dans leuremploi.Il s’avère dès lors nécessaire de préciser les différentsespaces de choix pouvant être offerts aux salariés.

2.2. Un inventaire des espaces de choix

A notre connaissance, la littérature s’est encore peuintéressée à cette question des choix offerts aux salariésdans leur emploi. Tout au plus certains espaces de choixont été abordés par certains auteurs. Il s’agit essentiel-lement des choix relatifs à la rémunération, l’aménage-ment des temps de travail, l’organisation du travail et lamobilité géographique. En outre, une étude qualitativea permis d’affiner et de compléter cet inventaire (Colle,2003).

2.2.1. Les espaces de choix relatifs à la rémunération

Les entreprises proposent aujourd’hui à leurs salariésun « mix » de rémunération qui intègre une partie fixe etune partie variable payées au comptant, différentes for-mules de partage du profit et divers compléments de

rémunération tels que les avantages en nature, les com-pléments retraite et la prévoyance (Soulié, 1995 et1997). Les arbitrages peuvent se faire sur les couplesfixe-variable, différé-immédiat, monétaire-non moné-taire (Cavagnac & Sire, 1994). On appelle le fait depouvoir ainsi choisir son propre « mix » de rémunéra-tion en fonction de ses besoins personnels les systèmesde rémunération « cafétéria ».Il est ainsi possible de laisser les individus libres dechoisir leur propre mode de rémunération en fonctiondes arbitrages qui correspondent à leur fonction d’uti-lité (Taylor, 1968). En effet, il n’est pas certain que leschoix de l’entreprise conviennent à tous les salariés(Cadin et al., 2002). Or, il apparaît que le rapprochementdes besoins de l’entreprise et du salarié en matière derémunération est nécessaire : « La néantisation phéno-ménologique « sartrienne » montre que le salarié qui nereçoit pas l’élément rétributif attendu est conduit à niertoute autre forme de rétribution » (Castagnos et LeBerre, 2000, p.243). Ainsi, le salarié valorisera davan-tage la composante choisie.L’offre d’espaces de choix relatifs à la rémunérationpeut faire apparaître une adéquation entre les avantagesreçus et les besoins individuels des salariés. On consta-te en effet que la main d’œuvre devient de plus en plushétérogène. Dès lors, la mise en place de plans d’avan-tages flexibles doit permettre de satisfaire les besoinspersonnels des salariés (Milkovitch et Newman, 1990).La théorie de l’échange peut ainsi être vérifiée : en sa-tisfaisant des besoins individuels importants, lesemployés peuvent répondre avec un meilleur niveau desatisfaction et une meilleure implication envers l’orga-nisation (Angle et Perry, 1983 ; Brief et Aldag, 1980).De plus en plus d’entreprises proposent ainsi des « pac-kages » de rémunération attractifs. Ceux-ci doivent êtreoptimisés en matière fiscale et sociale, en tenant comp-te des évolutions législatives récentes sur le sujet. Enoutre, il est nécessaire de soigner la communicationd’accompagnement auprès des salariés, avec notam-ment une « pédagogie active » (Jaffe et al., 2001)concernant les risques liés à l’utilisation de certainsoutils, particulièrement dans des phases de retourne-ment des tendances boursières.

2.2.2. Les espaces de choix relatifs à l’aména-gement des temps de travail

Les entreprises peuvent offrir à leurs salariés différentsespaces choix en matière d’aménagement des temps detravail, notamment en ce qui concerne les horaires, le tra-vail à temps partiel et le compte épargne temps.Tout d’abord, depuis 1973, les horaires peuvent être indi-vidualisés. Il s’agit là d’un outil important de flexibilitéqui permet au salarié de choisir chaque jour ses heuresd’arrivée et de départ dans le cadre de plages mobiles

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3 Cafeteria plans

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(Peretti, 2002b). Cette technique ne diminue pas le nom-bre d’heures travaillées dans la journée, mais elle permetune grande discrétion individuelle sur le moment où cesheures sont effectuées (Dalton et Mesch, 1990).Ensuite, les travaux de Palmero (2000) indiquent qu’ilest essentiel de distinguer le temps partiel choisi dutemps partiel imposé. Ce caractère choisi ou imposésemble avoir une influence sur les attitudes et comporte-ments au travail des salariés : il existe en effet peu de dif-férences entre les salariés à temps complet et ceux àtemps partiel lorsque le statut de l’emploi occupé estcongruent avec le statut désiré (Armstrong-Stassen et al.,1994). En effet, le travail à temps partiel doit répondreaux aspirations des salariés à ajuster la durée et les ryth-mes de travail à leur vie privée (Peretti et Joras, 1986).Enfin, le compte épargne temps (CET) est un outil appor-tant un important degré de flexibilité aux salariés dansleur emploi. Son objet est de « permettre au salarié quile désire d’accumuler des droits à congé rémunéré » (art.L. 227-1 du Code du travail). Le CET présente un carac-tère volontaire à double titre (Anonyme, 2002) : toutd’abord, sa mise en place relève d’une décision des par-tenaires sociaux. Ensuite, l’usage du CET, une fois celui-ci mis en place, dépend du seul désir du salarié et ne peutêtre imposé par l’employeur (Direction Régionale duTravail, 1994). En outre, l’Administration recommandeaux employeurs d’accorder « la plus grande souplesse »aux salariés volontaires dans l’utilisation de cet outil(Direction Régionale du Travail, 1994).

2.2.3. Les espaces de choix relatifs à l’organisation du travail

La possibilité de prendre part aux décisions stratégiqueset d’intervenir sur l’organisation du travail est un élé-ment essentiel pour expliquer les performances d’uneentreprise (Aoki, 1991). Cela pose la question de l’auto-nomie dans le travail pour les salariés. Celle-ci s’inscrit dans la problématique des nouvelles formesd’organisation du travail. Certains auteurs parlent demanagement participatif (Crandall et Parnell, 1994) : ils’agit d’impliquer les subordonnés dans les décisionsmanagériales.L’autonomie permet une plus grande responsabilisationdes individus. Les salariés souhaitent aujourd’hui être deplus en plus impliqués dans les décisions et les orientations à donner à leur travail. Il semblerait que laprésence de choix offerts en matière d’organisation dutravail puisse être liée à une satisfaction plus importantedes salariés dans leur travail (Crandall et Parnell, 1994).

2.2.4. Les espaces de choix relatifs à la mobilité géographique

La question des espaces de choix relatifs à la mobilitégéographique nous amène à nous intéresser au proces-

sus décisionnel du salarié envers la mobilité géogra-phique. Celui-ci est parfois laissé libre d’accepter ou derefuser un tel changement. Il semblerait que le fait d’of-frir un tel choix au salarié peut avoir une influence surl’adaptation de ce salarié à son nouveau travail ou à sanouvelle organisation (Black et Stephens, 1989 ;Feldman et Thomas, 1992).Cerdin (1999) distingue deux approches de la liberté dechoix relative à la mobilité : une approche directe et uneapproche indirecte.

L’approche directe de la liberté de choix :Il s’agit ici de rechercher dans quelle mesure un indivi-du a le sentiment de pouvoir choisir entre accepter ourefuser la mobilité proposée. Il semblerait que cette li-berté de choix soit assez restreinte dans les entreprises(Pinder, 1989) : le salarié serait le plus souvent contraintd’accepter une proposition de mobilité sous peine devoir sa progression de carrière freinée. Cerdin (1999,p.129) considère ainsi que « pour un cadre qui pri-vilé-gie la progression hiérarchique, le dilemme pourraitalors se résumer dans une optique shakespearienne vis-à-vis de sa carrière : être mobile ou ne pas être ».

L’approche indirecte de la liberté de choix :L’approche indirecte de la liberté de choix concerne laquestion de la compatibilité de la mobilité avec lesattentes et valeurs des salariés concernés. Ceux-ci tien-nent compte notamment de leur famille et de leur vieextra-professionnelle.Cerdin (1999) considère que la théorie des images peutexpliquer le processus décisionnel menant le salarié àprendre la « bonne décision ». La théorie des images,élaborée par Beach (1990), se fonde essentiellement surle concept de « passage au crible » : il s’agit d’un pro-cessus permettant de tester la compatibilité d’uneoption avec les valeurs et attentes du salarié intégréesdans un ensemble de trois images : l’image des valeurs,l’image de trajectoire et l’image stratégique. Le passageau crible est ainsi fondé sur « l’évaluation d’une sorteparticulière de « dissimilarité » entre les caractéris-tiques d’une option et des critères (…) privés » (Beach,1993, p.276).Cerdin (1999) note que l’approche indirecte de la liber-té de choix est la plus intéressante dans l’optique de l’a-daptation des salariés : lorsque l’individu estime lamobilité compatible avec ses attentes et valeurs, sadécision sera considérée comme « bonne » et son adap-tation sera une réussite.

2.2.5. Les autres espaces de choix offerts

D’autres espaces de choix offerts aux salariés dans leuremploi ont été mis en évidence par une étude qualitati-ve (Colle, 2003) : c’est le cas des choix relatifs à l’a-ménagement de l’espace de travail, à la retraite et à laformation.

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En ce qui concerne tout d’abord les espaces de choixrelatifs à l’aménagement de l’espace de travail, il sem-blerait que ceux-ci aient une influence sur la motivationet la satisfaction au travail des salariés. Ainsi, une per-sonne interrogée affirmait que « c’est bien, à longterme, pour le moral de pouvoir aménager notre cadrede travail à notre guise ». Un tel choix, bien que pou-vant paraître futile, semble apporter aux salariés un sen-timent de contrôle de leur situation de travail.Ensuite, certains salariés interrogés dans cette étude ontabordé la question de l’accompagnement vers la retrai-te à la demande du salarié. Une telle possibilité de choi-sir paraissait augmenter la confiance réciproque dusalarié avec ses supérieurs hiérarchiques. Cette confian-ce accrue apparaît dès lors comme un moteur de satis-faction au travail et d’implication pour les salariés.Enfin, des salariés peuvent se voir offrir divers espacesde choix en matière de formation. Il peut s’agir de lapossibilité de demander à suivre une formation, de choi-sir le contenu de celle-ci ou de participer à l’élaborationdu plan de formation. Une formation à la carte est éga-lement parfois rendue possible par la présence d’unintranet dans l’entreprise. Il semblerait que les salariésqui ont bénéficié d’un important degré de liberté dansleur formation aient des réactions plus favorables suiteà celle-ci (Colle, 2003).

ConclusionLa présente recherche nous a permis de mettre en évi-dence un nouveau concept émergent : la « GRH cafété-ria ». Celle-ci a pu être définie comme un paradigmeselon lequel l’organisation, économi-quement perfor-mante, se rapproche du projet et des besoins personnelsde chaque salarié en lui offrant divers espaces de choixdans son emploi.Nous avons ainsi proposé d’élargir le concept « cafété-ria » à toutes les possibilités de choix mises à la dispo-sition des salariés dans leur emploi. Les systèmes café-téria ne doivent donc plus être limités aux seuls aspectsliés à la rémunération.Cette question de l’autonomie et des libres choix offertspeut paraître paradoxale dans la mesure où le salarié setrouve dans une situation de subordination juridiqueenvers son employeur. En effet, le Code du travail défi-nit le contrat de travail comme la convention par laquel-le une personne s’engage auprès d’une autre à mettre saforce de travail à la disposition de ce dernier pouraccomplir une prestation sous la subordination de celui-ci en échange d’une rémunération. En outre, le salariéest soumis au pouvoir de direction de son employeur. Ildoit lui obéir, sauf si l’ordre est contraire à l’ordrepublic, illicite ou illégitime. Dès lors, Barreau (1999)préfère parler de discrétion, que l’on peut définircomme « des espaces d’action dans un processus réglé

de l’extérieur, où le sujet agissant est obligé de décideret de choisir dans un cadre de dépendance » (deTerssac, 1996, p.21).Toutefois, on constate aujourd’hui qu’il n’est plus pos-sible d’apporter les mêmes réponses à toutes les catégo-ries de salariés. L’individualisation des conditions detravail et l’offre d’espaces de choix sont de plus en plusprésentes dans les entreprises françaises. La gestion descarrières tend ainsi à devenir une gestion individualiséeou ciblée des salariés. Cette recherche peut s’adresser aux gestionnaires quisouhaiteraient inclure davantage de flexibilité et d’indi-vidualisation dans leur organisation, en proposant une« GRH cafétéria ». La présentation, dans cette étude,d’un inventaire des divers espaces de choix pouvant êtreofferts aux salariés et réclamés par eux peut ainsi s’avé-rer utile pour ces responsables des ressources humainessoucieux de voir leur employés devenir les « architectesproactifs de leur plan stratégique personnel et de leursrelations avec leur milieu de travail » (Bouchikhi etKimberly, 1999a, p.114).

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L’art du programmeéthique d’entreprise

Pierre PIRÉ-LECHALARD Docteur ès Sciences de GestionIAE- [email protected]

Le discours profane oppose souvent éthique etentreprise. Cette perception peut paraîtrejustifiée par certains égards, mais éloignée d’une

réflexion rigoureusement argumentée. Dans sonéditorial du n°23 de Décision Marketing, Volle (2003)soulève justement ce problème. Les pratiquesmarketing ne sont que les reflets des attitudes, désirs etcomportements des consommateurs. En d’autrestermes, si les individus veulent consommer de façon« responsable », le marketing suivra une démarche« responsable ». Ainsi, lorque les scientifiques ontrendu les CFC comme principaux responsables du troude la couche d’ozone, éveillant par là-même, laconscience des consommateurs, les entreprises ont trèsrapidement réagi en lançant des aérosols n’utilisant plusce type de gaz et l’on fait savoir par une forte présencepublicitaire. De la même façon, les entreprises étantreconnues comme coupables de la crise sociale,sévissant dans les pays occidentaux depuis la fin desannées 80, ont, très vite, investi, tout en le faisantsavoir, dans des opérations, fondations et actions« sociétales ». Ainsi, à cette époque, le distributeur les3 Suisses créa sa fondation pour l’insertion deschômeurs de longue durée, Rhône-Poulenc, considérécomme une entreprise pollueuse, commença à soutenirla fondation Ushuaia et à sponsoriser les émissionstélévisées du même nom. Mais, les entreprises neréagissent que si la collectivité en éprouve le besoin. Lebut essentiel : satisfaire les besoins des clients etactionnaires. Néanmoins, rien, si ce n’est l’aspectfinancier, n’empêche une entreprise de devancer lesattentes de la collectivité au risque parfois d’être malcompris.Dépolluer un site industriel, réinsérer des salariéslicenciés, ou simplement, changer la politique et laculture de l’entreprise à des fins éthiques réclame desmoyens souvent considérables qu’ils soient financiers,humains ou matériels. L’entreprise nécessite unprogramme éthique cohérent avec son activité et vis-à-vis de son environnement. L’éthique est une dimensionindividuelle de la morale, dans le sens où chaqueindividu se construit sa propre éthique en fonction de lamorale du groupe auquel il appartient. C’est pourquoi,il est important pour l’entreprise d’avoir uneconnaissance de la morale d’une société civile afin derespecter ses valeurs et d’afficher une volonté de« préserver et améliorer le bien-être individuel etcollectif », donc, d’être perçue comme une firme quisuit, effectivement, une éthique. Un programme ditéthique se doit d’être considéré par l’organisationcomme une innovation organisationnelle. Aussi, c’estau fil du temps, et de façon progressive, qu’il est mis enplace, sachant que cette démarche ne sera rentable ques’il y a adhésion des consommateurs, salariés,actionnaires, partenaires et de la collectivité de façonglobale. Dans ce sens, c’est à travers la structuration et la

L’art du programme éthique d’entreprisePierre PIRÉ-LECHALARD

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diffusion d’un programme éthique que nous proposonsd’aborder le problème de l’éthique d’entreprise. Ainsi,dans une première partie, nous définissons le conceptd’éthique d’entreprise, faisons un point sur l’éthiqueoccidentale, et construisons un orgramme éthique quipuisse être le plus généralisable possible etuniversellement reconnu, à travers l’analyse d’un codede conduite d’entreprise et de diverses conventionsinternationales. Dans une seconde partie, nous abordonsle principe de diffusion des innovations, considérant lamise en place d’un programme éthique comme étantune innovation organisationnelle. Enfin, ces deuxparties aboutissent à construire une démarche dediffusion réaliste d’un programme éthique au sein d’uneorganisation.

1. Vers un programmeéthique universel

Construire un programme éthique universel nécessitedans un premier temps, de comprendre le conceptd’éthique, souvent galvaudé et notamment dans nospays occidentaux.

1-1 Définition de la notion d’éthique

d’entreprise

Etymologiquement parlant, le mot éthique vient du grecethos qui signifie au sens propre « ce qui est propre àsoi ». L’éthique est donc le fruit de la réflexion d’unsujet libre et raisonnable sur le fondement desprescriptions qu’il choisit de suivre. Ainsi, comme lesuggère Kholberg (1981) il existe autant de manière devivre et de concevoir l’éthique que d’individus, de sorteque chaque entreprise construit la sienne en seconstruisant elle-même à travers ses relations au mondeet aux autres. D’ores et déjà, nous ne pouvons admettrel’existence d’un seul modèle d’éthique mais d’unemultitude de modèles plus ou moins acceptablesmoralement par le milieu auquel appartient l’entreprise.

Il ne faut pas confondre éthique et morale. Ce qui estéthique n’est pas forcement moral. Pour Foucault(1984), « l’éthique, contrairement à la morale, necontraint pas. Elle ne prête à aucune vérité absolue.Elle est une pratique autonome et critique qui laisse àla conscience de chacun la faculté de décider, pour lui,soit de ses choix moraux, soit de sa position sansmorale ». Ainsi, la morale est l’ensemble des valeursqu’une société donnée reconnaît comme sienne à une

époque déterminée. Elle est le contenu d’un certaincode social, d’un ensemble de règles auxquelles chacundoit se conformer pour être admis. A l’inverse, l’éthiqueest une affaire entre soi et soi. Une entreprise peut avoirune éthique qui ne correspond pas aux attentes« morales » d’une société, soit parce qu’elle est enretard, soit parce qu ‘elle en avance sur son temps.Néanmoins, il est évident qu’au cours du façonnementde son éthique, elle sera influencée par la morale, maiselle peut selon ses besoins et sa réflexion modifier ou nepas prendre en compte certaines valeurs (Mousse,1989). Ceci nous amène à retenir l’étude de Reidenbachet Robin (1991) qui classifie l’éthique des entreprises enfonction de la morale du système social retenu :

- Les Amoraux: c’est le niveau le plus bas. L’objectifest ici de réaliser le profit maximum à tout prix.L’intérêt des propriétaires et des dirigeants est le seulélément à considérer.

- Les Légalistes : ce qui est légal est éthique. La seuleobligation est le respect de la loi.

- Les Sympathisants : le maintien d’une bonne ententeavec la communauté sociale est un facteur important .

- Les Convertis : réalisation d’arbitrage entre profit etéthique. Dans sa mission, il est fait référence auxvaleurs et à des règles éthiques à respecter.

- Les Convaincus : réflexion très poussée et possessiond’un code éthique diffusé, connu et respecté par lesmembres de l’organisation..

Cette classification montre que toute entreprise a uneéthique –formelle ou informelle– acceptable ou non. Lamoralité d’un comportement éthique est fonction desmœurs, valeurs et culture de la société visée. Ainsi,lorsque l’on dit qu’une entreprise a une éthique, il s’agitd’un jugement basé sur son éthique personnelle et sur lecode moral du système auquel on appartient. Uneentreprise qui emploie des enfants peut être perçuecomme n’ayant pas d’éthique parce que contraire à lamorale occidentale, mais être reconnue commebienfaisante dans des pays où le travail des enfants estindispensable à la survie de la famille. Le point dedépart de l’éthique est la liberté de chacun, qui estorganisée autour de valeurs collectives se donnantnaissance à des lois qui permettent de bâtir nos propresvaleurs éthiques en toute liberté. Il s’agit là de mesurer,en quelque sorte, l’intégration d’une entreprise à unmilieu social et culturel. Plus l’éthique d’une entrepriseest proche de la morale d’une société, plus elle seraintégrée en son sein.

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1-2 L’éthique d’entreprise dans la

culture occidentale (protestanto-

judéo-chrétienne)

L’éthique occidentale est une combinaison de deuxvisions en parfaite opposition. D’une part, la visionprotestante qui a donné naissance à l’idéologiecapitaliste et qui s’appuie sur la phrase biblique :« croissez et multipliez » ; d’autre part, la visionchrétienne où la pauvreté est considérée commesuprême parce que seule capable de toucher le créateur.La première vision est une incitation à la recherche duprofit, dans la seconde, le profit est une manifestationdémoniaque, une illusion mise sur la route de l’hommepour le détourner de son créateur. L’objectif d’uneentreprise est de concilier ces deux approches, c’est–à-dire, rechercher le bien-être tout en accumulant duprofit : mission loin d’être aisée. Reprenant ces idéaux, selon une étude de Combe etDeschamps (1996), l’entreprise éthique est uneorganisation lisible, qui joue la transparence, s’efforced’estomper toute zone d’ombre, implique l’ensemble deses salariés aux décisions majeures et améliore leursconditions de travail. La firme doit cesser de penser quele personnel est une source de frais généraux, mais derevenus potentiels. Elle doit s’investir dans desprogrammes de respect de l’environnement ; doit établir« un climat de confiance, l’exemplarité, la responsa-bilité, qui auront pour conséquence de réintroduire unregard plus humain d’où la morale de l’autre ne seraitplus systématiquement évacuée au profit de la seulemorale de l’entreprise. » En fait l’entreprise doits’accorder à ne pas dissocier, le désir d’éthiquepersonnel des individus, des comportements éthiquesqu’elle prétend adopter pour elle-même, car la mise àl’écart de tout un pan de la personnalité descollaborateurs oblige ceux-ci à évacuer de leur vie detravail ce qui fait souvent leur plus grande richesse. Leniveau éthique de l’entreprise peut être identifié parl’analyse de son environnement croisée aux attentes deses salariés, actionnaires, clients et collectivité(Burgaud, 1994).

La plupart des non-spécialistes pensent qu’éthique etintérêt sont opposés. Le respect de principes éthiquesaurait un coût évidemment non quantifiable.Effectivement, la mise en œuvre d’une démarcheéthique suppose des coûts à court terme, mais larecherche de la pérennité de l’entreprise grâce à uneimage positive externe et une motivation interne, estune raison suffisante pour s’y engager. Les coûts d’uncomportement non-éthique peuvent s’avérer parfoisélevés. Lambin (1994) estime qu’une attitude perçuecomme contraire à la morale entraîne des coûtsorganisationnels et externes.

- Organisationnels, car une entreprise peut perdre desparts de marché ou, en tout état de cause, une perte decrédibilité. Ce fut le cas de firmes qui ont licenciéalors que leurs bénéfices et valeurs boursières étaientau plus haut, telles que Alcatel, Danone ou Michelin.

- Externes, car ces coûts découlent d’actions dont lesconséquences réclament des régulations fiscalementcoûteuses.

C’est pourquoi, Seraf (1995) établit qu’un programmeéthique doit s’articuler autour de trois axes : lesintentions, les moyens mis en œuvres et les effetsprovoqués. Sa mise en œuvre doit intéresser toutes lesactivités de l’entreprise et en particulier, la gestionfinancière, le marketing et la gestion des ressourceshumaines.- Les pratiques financières contraires à l’éthique

« occidentale » sont nombreuses et la complexité desopérations ainsi que la rapide évolution des techniquesne facilitent pas l’analyse. La presse s’en fait l’échoassez souvent à travers des exemples marquantscomme les affaires du Crédit Lyonnais ou les affairesElf. Mais, outre ces affaires dites « frauduleuses »,d’autres pratiques peuvent paraître non-éthiques. Ladiminution de la rigueur comptable, la minimisationdes pertes par des artifices périlleux et des prévisionsvolontairement optimistes, qui, lorsqu’ils sontdécouverts, mettent en péril l’existence même del’entreprise (exemple : France Télécom, VivendiUniversal). D’où l’importance des organismes decontrôle et l’existence de règles éthiques. L’ensemblede ces pratiques non-éthiques fausse le « jeu »boursier, décrédibilise le monde financier et sontsouvent à la base de crises graves, tels que celles quenous subissons depuis l’an 2000.

- Si l’on observe aujourd’hui une certaine moralisationdes pratiques marketing, c’est largement le résultat depouvoirs compensateurs forts tels que leconsumérisme et l’écologie. L’avènement de lasouveraineté du consommateur et sa prise deconscience des problèmes sociaux, écologiques etéconomiques, poussent les entreprises à adopter unmarketing responsable privilégiant la relation à longterme avec ses clients à de simples coupscommerciaux sans lendemain. La fidélisation estdevenue le souci majeur des services marketing lesobligeant à adopter des règles déontologiquescompatibles avec les valeurs de leurs clients. Nousretrouvons ici la définition de Kotler (1991) quistipule que le marketing sociétal (ou éthiquemarketing) est une orientation de gestion qui reconnaîtque la tâche prioritaire de l’organisation est d’étudierles besoins et désirs des marchés visés et faire en sortede les satisfaire de manière plus efficace que laconcurrence, mais aussi d’une façon qui préserve ou

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améliore le bien-être des consommateurs et de lacollectivité. Pour Avril et Negocia (1995), unmarketing éthique ou responsable doit (1) prendre encompte les individus tels qu’ils sont, (2) rendre leproduit utile et (3) procurer au consommateur un vraicontentement intérieur. L’entreprise responsable doitpousser cette logique le plus loin possible car il s’agitdes fondements mêmes de notre logique économiquecapitaliste qui ne peut exister qu’à travers la recherchede la satisfaction des consommateurs, du renouvel-lement des richesses exploitées, de la préservation del’environnement et du bien-être des individus (Comte-Sponville, 2004).

- La mise en œuvre de règles éthiques en matière deGRH est une nécessité pour trois raisons. Tout d’abordgérer les relations humaines, c’est gérer des rapportsentre les hommes et ceux-ci ont besoin d’un minimumde prévisibilité et de stabilité. Ceci passe par une justerémunération, le respect des droits fondamentaux desemployés et de l’équité à tous les niveaux.Deuxièmement, le travail n’est pas une marchandisecomme les autres et dans ce domaine la régulation parle marché est insuffisante car elle élimine systémati-quement les plus faibles. Enfin, il faut tenir compte detoutes les décisions de gestion du personnel dont lesconséquences sont parfois catastrophiques pourl’entreprise. Sur ce dernier point, de nombreuxexemples existent. Les plans de licenciement du débutdes années 90 ont parfois été dommageables. Combeet Deschamps (1996) citent le cas d’une entreprisefrançaise qui, pour la création d’un programmetechnique extrêmement pointu, a recherché auprès deces anciens salariés licenciés sa « mémoire » disparue.Hélas, une grande partie de ses techniciens etingénieurs avaient été embauchés par un concurrentdirect. Nous pouvons imaginer le résultat final de ceslicenciements.

Qui dit éthique ne dit pas qu’il faille outre - passer sesresponsabilités ! L’entreprise doit se concentrer sur sestâches, car un débordement sur des activités qui lui sontétrangères peut parfois être mal perçu. Pour s’enconvaincre, il suffit de « surfer » sur Internet. Denombreuses entreprises sont critiquées sur leurs actionséthiques à l’image de Mac Donald avec ses « maisonsdes parents ». Ces actions dites, par leurs détracteurs, detype « bonne conscience » sont perçues davantagecomme des artifices manipulatoires que comme devéritables engagements éthiques. De la même façon,vouloir imposer des valeurs éthiques au nom de lamorale dans d’autres pays ou régions culturellementdifférents, peut être perçu comme de l’ingérence, uneattitude non-éthique. C’est, par exemple, le casd’entreprises occidentales implantées dans des pays àdominance culturelle musulmane, asiatique, etc… Pourpallier ces risques de déviance et permettre

l’application de politiques éthiques, l’O.N.U. a introduitun « standard » éthique assimilable à toute culture« non-fondamentaliste » et politique « non-autoritaire »destiné aux firmes multinationnales : The GlobalCompact. Cette convention invite ces dernières àrespecter des principes relevant des droits de l’homme,des conditions de travail et de protection del’environnement. Ces principes demeurent assezgénéraux afin d’en faciliter l’applicabilité au niveaumondial, dans le respect des lois, mœurs, coutumes,valeurs et cultures de chaque pays.

Pour conclure l’éthique des affaires n’est rien de moinsqu’une sphère consciente de ses propres actions, deleurs conséquences et de leurs complications sur lacollectivité, les salariés, partenaires, clients et surl’environnement. Penser éthique dans l’entreprise, c’estsimplement reconnaître que l’on tient compte de toutcela et que l’on est prêt à en assumer la responsabilité.Ainsi, après avoir défini le concept d’éthique et sapratique dans les pays occidentaux, il convient derétablir les règles d’éthique réalistes et cohérentesapplicables par toute entreprise.

1-3 Programme éthique : les règles de l’art

Comme précisé cavant, un programme éthique doit êtrepropre à chaque entreprise afin de ne pas induire desperceptions de manipulation et être compatible à lamorale du pays où la démarche est mise en place. C’estpourquoi, extraire des pratiques des conventionsstandard et une stratégie pouvant être généralisée seraitun outil précieux. L’éthique peut être partie prenante dela stratégie d’une entreprise. Certaines firmesconçoivent d’ailleurs leur stratégie en fonction d’unedémarche éthique. C’est le cas d’une société dedistribution de vêtements et cosmétiques. C’est, autravers de l’analyse du code éthique de cette société,« The Conduct Code » (cf. tableau 1) et de la convention« The global Compact » de l’ONU, qu’est bâti leprogramme standard éthique. L’analyse a été réalisée àpartir de documents que la compagnie nous a transmis.

Le code de conduite mis en place par cette firme, laisseplace à l’intégration des valeurs de chaque pays etentreprises partenaires. L’application de ce code passepar la formation et non pas par des obligationscontractuelles qui pourraient être perçues comme del’ingérence parmi les entreprises partenaires. Lesdocuments ne précisent pas vraiment la situation« éthique » de cette entreprise en Europe si ce n’est enmatière d’environnement et de qualité des produits.Quel est le climat social dans les magasins du groupe ?concourt -elle au bien-être de ces salariés ? Néanmoins,

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Tableau 1 : analyse du code d’éthique d’une société de distribuiton

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la société semble respecter le droit du travail de chaquepays. Par contre, au niveau international, elle est assezcohérente dans ses actions. Elle ne semble pas souffrirde manifestes tel que Mac Donald ou certaines autresentreprises américaines qui cherchent à instaurer desvaleurs « anglo-saxones » dans l’ensemble des pays oùelles sont implantées. Au regard du cas exposé et de laconvention ONU, il est possible de dresser uneconvention standard d’éthique d’entreprise (cf.tableau 2).

Ce tableau, découle de la convention « The GlobalCompact » de L’ONU et de l’analyse du cas, un codeéthique inspiré de cette convention ONU. Néanmoins,la convention de l’ONU présente des principesdifficilement applicables, car parfois irréalistes de nosjours, dans la situation économique et sociale actuelle.C’est pourquoi, le tableau 2 répertorie des principeséthiques globaux cohérents avec la situation actuelle.Dans ce sens, il s’est avéré nécessaire d’ajouter unedimension stratégique.

- (1) l’entreprise doit rester cohérente avec son métier etactivité.

- (2) doit diffuser un programme en fonction des valeursde la collectivité visée

L’ajout de ces deux règles d’éthique stratégiquesfondamentales, finalise la construction d’un programmeéthique cohérent. Mais, comment l’entreprise dont leprogramme éthique suit une cohérence avec sonactivité, doit-elle le considérer et le mettre en place pourêtre accepté par ses partenaires, salariés, clients etcollectivités ?

2. Conduite d’un programme éthique dansl’organisation

Introduire une démarche éthique dans une entrepriserevient à introduire une innovation. Une innovation estsoit technologique soit organisationnelle. L’innovationtechnologique concerne les nouveaux produits ouprocédés alors que l’innovation organisationnelleintègre des éléments tels que les pratiques de gestion, lastructure de l’organisation, son système decommunication et de gestion de ressources humaines(Grima et Trépo, 2003). Le lancement et la diffusiond’un programme éthique au sein d’une firme relèvent del’innovation organisationnelle. Cette partie tend àdécrire la diffusion d’une innovation organisationnelle :un programme éthique. Pour y parvenir, une premièrepartie définit le concept de diffusion afin d’encomprendre les rouages, une seconde partie oppose, àtravers un exemple concret, une diffusion éthique,nécessaire, selon nous, à la crédibilité de la mise placed’un programme éthique, à une diffusion non-éthique.

2-1 Le concept de diffusion des innovations

Théoriquement, la diffusion est « le processus parlequel, à mesure que le temps s’écoule, une innovationest communiquée aux membres d’un système social, àtravers certains canaux » (Rogers, 1995). Ce processusest représenté par une courbe de Gauss, signifiant quel’adoption, dans un système social donné, suit une loinormale de sorte qu’au début, elle croît lentement dufait du faible nombre d’adopteurs initiaux, puis croît à

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Tableau 2 : programme éthique d’entreprise standard

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un rythme élevé, atteint son maximum quand la moitiédu système social a adopté le produit et commence àdécroître au fur et à mesure que les retardatairesadoptent Selon ce principe, Rogers (1995) établit uneclassification des adopteurs reprise dans le schéma ci-dessous (cf. figure 1). En règle général, il est considéréque la diffusion est une communication à deux étapes,une première s’établissant des médias de masse vers desleaders d’opinion, agents de changement et innovateurs,une seconde allant des leaders d’opinion, agents dechangement et innovateurs vers la masse du marché(Bass, 1969).

Pour faciliter l’adoption et donc la diffusion d’uneinnovation, cette dernière doit répondre à certainescaractéristiques. Elle doit présenter un avantagerelativement supérieur aux idées, pratiques et produitsexistants, doit être compatible avec les valeurs desadopteurs potentiels, ne doit pas être trop complexe àl’utilisation, doit pouvoir être testée et essayée avantson adoption véritable et ses résultats doivent êtreobservables par le plus grand nombre de personnes dusystème social visé. Parmi l’ensemble de cescaractéristiques les deux qui semblent les plusessentielles à une bonne diffusion sont l’avantage relatifet la comptabilité des valeurs. Ainsi, si l’innovation neprésente pas un intérêt véritablement supérieur, elle nesera pas adoptée, si elle n’est pas compatible avec lesvaleurs des individus du système social visé, elle serarejetée par l’ensemble des membres. L’adoption d’uneinnovation incompatible nécessite, alors, celle d’unnouveau système de valeurs.

Ce type de communication nécessite, ainsi, laparticipation de différents partenaires intermédiaires.Elle réclame la prise en compte préalable de leuracceptation de la nouveauté avant même de penser àune diffusion plus étendue, vers le marché principal oul’ensemble des salariés d’une firme. Une entreprise quisouhaite lancer une innovation doit convaincre sespartenaires de son intérêt. Si cette étape n’est pasréalisée, aucun transfert d’informations ne se fera ou,plus grave encore, des informations négatives surl’innovation et l’entreprise risquent d’être diffusées auxclients. Pour éviter ce type de déconvenue, il faut quel’innovation soit compatible avec les valeurs de cesintermédiaires. En effet, dans le cas d’une innovationproduit, aucune personnalité leader d’opinion et agentsde changements (salariés, distributeurs, vendeurs) nes’associeront à une firme si cette dernière lance unproduit qui s’appuie sur des valeurs auxquelles ilsn’adhèrent pas. Un distributeur choisira de ne pasréférencer le produit, le vendeur ne le présentera pas, etle salarié diffusera des informations dommageables àson adoption. Nous entendons par agent de changement toutepersonne, lorsqu’il s’agit de la diffusion d’uneinnovation produit, dont l’activité professionnelle est dediffuser de l’information en vue d’obtenir deschangements dans les comportements de la collectivité.Ainsi, les enseignants, les chercheurs, les médecins,vendeurs et commerciaux, les chargés des relationspubliques et, dans une moindre mesure, les salariésd’une entreprise qui souhaite lancer un nouveauproduit. Les leaders d’opinion peuvent être également

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Figure 1 : catégorisation des adopteurs dans le temps.

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considérés comme des agents de changement, maiscontrairement à ces derniers, ils n’enusent pasprofessionnellement parlant. Nous pensons que laréussite d’un nouveau produit dépend en partie del’adhésion des agents de changement mesurable parleur niveau d’implication à la diffusion de la nouveauté.

Dans le cadre de la diffusion d’une innovationorganisationnelle le principe est quelque-peusemblable. Il s’agit d’une communication descendanteallant de la direction vers les « Champions» (Grima etTrepo, 2003), c’est-à-dire des salariés possédant un fortleadership et une grande capacité de diffusion del’information. Les agents de changement sont desprofessionnels, salariés de l’entreprise, dont le rôle estde diffuser les informations au sein de l’organisation,chargés de communication, service ressourceshumaines. Lors de la diffusion d’une innovationorganisationnelle, ils ont également pour rôle de faireremonter l’information auprès de la direction afinqu’elle puisse faire les ajustements nécessaires. On setrouve, donc, face à un modèle de diffusion interactif(Leymarie, 2003).

2-2 La diffusion éthique

Appliquer des règles éthiques au niveau de la diffusiond’innovation c’est ouvrir une porte au succès de ladémarche. Pour s’en convaincre, un parallèle avec ladiffusion de la pensée chrétienne dans le monde peutêtre fait. Cet exemple correspond relativement bien ànotre propos, car il s’agit de la diffusion en quelquesorte de règles éthiques.

A l’origine de la pensée chrétienne, un petit grouped’individus a établi un ensemble de règlesfondamentales ayant l’avantage d’être très générales etuniverselles (ex : tu ne voleras point, tu ne mentiraspoint, tu ne tueras point, tu ne convoiteras pas la femmede ton voisin…). Afin de permettre une diffusion plusétendue ces initiateurs ont convaincu des leadersd’opinion (rois, princes, marchands, chefs de tribu, …)du bien fondé de cette pensée. A leur tour, ces derniersl’ont propagé auprès du « bon peuple ». Ils ont étésoutenus, dans leur entreprise, par des agents dechangement (prêtes et religieux) nommés et rémunéréspar l’église, eux-même soutenus par unecommunication de masse telle que des manifestations(messe, procession), écrits (bible) symboles et dessins.Mais le facteur clef du succès de sa diffusion relève desa faculté d’adaptation aux valeurs, mœurs, culture, etcoutumes des personnes visées. Par exemple, lesdignitaires de l’église ont assimilé les fêtes païennes audogme. Cette adaptation a abouti à l’éclosion deplusieurs églises : l’église romane, orthodoxe,

anglicane, irlandaise, ou encore copte. Les principesfondamentaux, les intentions et conséquences restentles mêmes, seuls les moyens d’action divergent. Ainsi,parce que les outils de diffusion, l’intention et lesconséquences recherchés sont compatibles avec lesvaleurs des groupes sociaux visés, il est possible dereconnaître la démarche comme éthique.

A l’inverse, lorsque les puissances européennes ontvoulu diffuser le dogme dans le nouveau monde, lesmoyens mis en œuvre se sont révélés non-éthiques. Lessupports de diffusion ont été la propagande,l’obligation, le torture, la terreur,….Résultat : si lareligion chrétienne est présente assez massivement surle continent américain, c’est davantage grâce àl’immigration des européens qu’à son assimilation parles autochtones. Ces derniers ont, dans une certainemesure, adopté le nouveau dogme, mais ils continuent àadorer leurs anciennes idoles. Certains groupes l’ontmême rejeté. Si la première vague de diffusion avaitutilisé cette façon de diffuser, il est fort probable que laphilosophie chrétienne serait restée à l’état de secte etaurait peut-être disparue au profit d’une religion plussage dans sa diffusion.

Ainsi, ce parallèle nous apprend que pour diffuser desvaleurs éthiques, il faut (1) faire intervenir desintermédiaires crédibles, (2) mettre en place un plan decommunication comprenant des outils, supports etmédias accessibles par la cible visée, (3) adapter soncode éthique et les moyens de communications etd’actions aux valeurs des groupes sociaux concernés.Pour conclure, la diffusion ne doit pas être imposée etlinéaire mais interactive pour permettre une remontéed’informations qui facilite l’adaptation.

3. Une démarche de diffusionéthique d’un véritable programme éthique

Un programme éthique, en tant qu’outil de managementorganisationnel et de structuration organisationnelle,doit suivre des règles de base généralisables à unemultitude de cultures ceci en parfaite cohérence avecson activité, son métier et sa stratégie. Pour cela,l’organisation doit réfléchir à ses intentions, moyensd’action et conséquences de ses actes vis-à-vis desdroits de l’homme, de la responsabilité sociale et del’écologie.Le lancement d’un tel programme éthique dans unefirme répondant à l’évolution des mentalités peut êtreperçu comme un lancement d’une innovation

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organisationnelle. Comme toute innovation, sadiffusion suit des règles. Mais dans le cas de ce typed’innovation, certains éléments sont essentiels. Toutd’abord, il ne s’agit pas à l’entreprise d’un changementradical de sa politique et stratégie. Ses objectifsdemeurent les mêmes, mais c’est dans ses intentions etmoyens d’actions qu’apparaissent des changements. Unobjectif s’ajoute : œuvrer pour le bien-être de sesclients, salariés, actionnaires et pour la collectivité. Comme pour toute innovation, sa diffusion suit unmodèle dynamique, c’est-à-dire, dépendant du temps.Ce qui signifie que l’adoption des nouvelles valeurséthiques NE sera totale qu’après une période d’actionset de communication plus ou moins longues. Ce délaiest fonction des caractéristiques du nouveauprogramme : avantage relatif, complexité, observabilitédes résultats, comptabilité des valeurs et possibilitéd’essai. Outre sur le temps, ces caractéristiquesinfluencent, également, la réussite ou non de ladiffusion. Parmi ces caractéristiques, la comptabilitédes valeurs recouvre une importance indéniable dans cecas. D’une part, le respect des valeurs des clients,salariés, partenaires et de la collectivité visée estindispensable. Le plan doit pouvoir s’adapter à touteculture. D’autre part, le respect de la culture et desobjectifs de l’entreprise doit être pris en compte. Uneentreprise qui se ferait l’instigatrice de certaines valeurséthiques incompatibles avec sa propre culture et imagediffusée jusqu’alors, perdrait de sa crédibilité. Unprogramme éthique doit donc être cohérent avec lesvaleurs de son environnement et de sa culture etpolitique. Dans cette logique, le nouveau programme éthique doitconcerner toutes les activités de l’entreprise et doitpouvoir être modifié et amélioré tout au long de sadiffusion grâce à de la communication rétro-active.Pour ce faire et être adopté par le plus grand nombre, ildoit être composé de règles générales et relativementuniverselles. Ce qui donne naissance, à terme, àdifférents programmes, selon les cultures, ayantnéanmoins les mêmes intentions et aboutissant auxmêmes conséquences.Pour finir, un véritable plan de diffusion doit être mis enœuvre. Il faut tout d’abord repérer, former et soutenirles leaders d’opinion et champions afin qu’ils paraissentcrédibles. Les aider avec de la communication de masse(manifestations, réunions, opérations de stimulation,…) et avec la désignation d’agents de changement – lepersonnel RH et de communication ferait de très bonsagents - dont le rôle principal est d’expliquer, informeret vendre le nouveau programme, mais aussi derecueillir les remarques et suggestions utiles àl’amélioration et régionalisation du programme.

Cette communication a pour contribution principale deposer les bases de la planification de l’éthique au seinde l’organisation. L’éthique ne saurait être une simple

vision de l’esprit ni une simple campagne decommunication visant à émouvoir le public, mais unvéritable programme structuré, cohérent, uneinnovation organisationnelle qui doit être diffuséeauprès de tous les capteurs internes et externes àl’entreprise dans les règles de l’art.

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Les normes sociales : une arme dans la batailleconcurrentielle ?

Didier RETOURProfesseur des UniversitésDirecteur de l’ESA/IAE de [email protected]

Eric VATTEVILLEProfesseur des UniversitésI.A.E. de [email protected]

L’exigence de compétitivité est pour les entreprisesla principale manifestation du défi économiqueissu de la mondialisation. La compétitivité est

une notion relative et contingente. Elle est courammentdéfinie comme l’aptitude à soutenir durablement laconcurrence ou mieux, la capacité à préserver ou à aug-menter une part de marché. Elle a deux dimensionsessentielles. L’une traduit la faculté de produire à uncoût moindre que les concurrents (compétitivité-prix).L’autre indique l’adresse à fournir des biens de meilleurequalité (compétitivité hors coûts). Elle repose largementsur la coopération et l’apprentissage. «L’efficacité estrelationnelle» (Pierre VELTZ)1.Une performance durable ne peut être atteinte que parune action sur les deux volets de la compétitivité. Uneentreprise n’est jamais définitivement ni universelle-ment compétitive. Elle l’est à un moment donné, parrapport à un environnement déterminé. La tentation estforte de le modifier pour déplacer les fondements de l’avantage concurrentiel. L’instauration de normessociales pèse sur la combinaison des facteurs de pro-duction mise en œuvre par les firmes et sur leur renta-bilité. Ces normes sont suffisamment floues, tantôtrègles de droit, tantôt mesures de politique économique,tantôt conventions entre acteurs particuliers, pour favo-riser les jeux stratégiques. Leur finalité, en revanche, estclaire : transformer les conditions de la concurrence,retrouver le contrôle du marché. Cet enjeu économiquesera présenté dans une première partie.Dans ces conditions, on pourrait s’attendre à ce que lesentreprises agissent et communiquent sur leurs actionsinscrites dans le champ des normes sociales ou plus glo-balement sur la responsabilité sociale de l’entreprise(RSE). Or, la seconde partie montrera que les moyensdéployés sont limités qu’ils s’agissent d’entreprisesinternationales ou françaises, malgré les nouvelles obli-gations légales pour les sociétés cotées en bourse àParis. Les informations fournies par les entreprises lesplus actives restent partielles voire partiales.On s’interrogera, en conclusion, sur ce paradoxe et l’é-volution possible de la situation en la matière.

1. L’enjeu économique : le contrôle de la concurrence.

Selon l’idéologie libérale, les marchandises et les fac-teurs de production doivent pouvoir circuler librement.La consolidation du libre-échange est le fondement des relations économiques internationales, réaffirmé

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sans cesse par l’Organisation Mondiale du Commercedepuis 1994. La libre concurrence est posée commel’instrument adéquat pour atteindre les fins espérées enmatière de développement, d’environnement, desanté… Elle a une valeur normative dont le bien-fondépeut être discuté.Le marché n’est pas la mécanique impersonnelle etrationnelle souvent décrite. Il est le produit d’une lon-gue histoire2 ayant conduit à un agencement particulierdes institutions et des comportements. Il présente sou-vent des imperfections et peut connaître des défaillances.Le jeu spontané des prix ne peut hiérarchiser correcte-ment les préférences que si les acteurs adoptent descomportements de type individualiste. Ce n’est pas tou-jours le cas. Les disparités de salaires observablesaujourd’hui dans le monde3 font de cette variable unpoint sensible susceptible de générer des conduites decollusion. Les normes sociales peuvent être mobiliséesde façon opportune pour réduire un écart mortel pourbon nombre d’activités localisées en Occident.La plupart des économistes mettent l’accent sur la na-ture intrinsèquement protectionniste de toute « clausesociale ». Un tel dispositif, inspiré par les droits fonda-mentaux de l’homme au travail édictés par l’Organi-sation Internationale du Travail, porte en général sur laliberté d’association, sur le droit à la négociation col-lective, sur la non discrimination dans le travail, surl’interdiction du travail forcé et sur les conditions detravail des enfants. Sur le plan strictement économique,il permet de confisquer aux pays émergents une partiede l’avantage comparatif qu’ils détiennent dans la pro-duction des biens intensifs en main d’oeuvre4. Il ne s’agit plus seulement de conditionner la demande,domaine dans lequel les spécialistes du marketing ontatteint l’excellence, mais aussi de peser sur les modali-tés de l’offre. Une telle action permet de déplacer l’équilibre du marché et ouvre la voie à un certaincontrôle de la concurrence. Cette perspective seraexplorée dans un premier point : le conditionnement desmarchés.Les normes sociales, par ailleurs, privent les Etats d’unepartie de leur souveraineté. Elles portent atteinte audroit de chaque pays de définir son propre système devaleurs, notamment le niveau de protection sociale jugéapproprié. Ces nouvelles règles tendent à promouvoirune culture uniforme, une définition du bien communfondé sur un principe d’humanité, héritage de la philo-sophie politique occidentale. Elles ont tous les traitsd’un bien public mondial5. Le marché est incapable deproduire cette catégorie de biens car il échoue à leurdonner un prix. Une des particularités de la normalisa-tion sociale est d’avoir une origine privée6. La privati-sation du bien commun s’avère une tentative originaled’altération des modèles socio-économiques nationauxdestinée à mieux maîtriser certains processus concur-rentiels. Nous en examinerons les modalités dans unsecond point.

1.1 Le conditionnement des marchés.Les marchés mettent à la disposition des entrepreneursun mécanisme puissant pour prendre et redistribuer lepouvoir et les risques. Il serait imprudent de les aban-donner à un jeu libre de toutes contraintes. Les diffé-rences de compétitivité proviennent pour une bonnepart de la nature des lois et des institutions dont chaquerégion s’est dotée7. Les normes environnementales ousociales font partie des moyens permettant de lesinfluencer.La prolifération des « codes de bonne conduite » chezles firmes multinationales et la multiplication des auditssociaux qui en découlent chez leurs fournisseurs despays émergents n’est pas principalement justifiée par unsouci éthique nouveau et impérieux. Elle coïncide avecla recherche d’avantages trivialement matériels.L’élaboration et l’application des normes sociales nesont pas extérieures à l’action économique. Elles enconstituent un volet aujourd’hui essentiel. Elles fontpartie de l’effort conduit avec persévérance par les pro-ducteurs pour prendre le contrôle des marchés. Cettestratégie peut avoir deux points d’application princi-paux : le choix des techniques de production et la cons-truction d’un code partagé. Dans le premier cas, il s’a-git d’influencer les conditions de l’offre par le jeu desprix des facteurs de production pour modifier leur com-binaison au travers de l’investissement et leur améliora-tion par le biais de l’innovation. Dans le second cas, ilest question de peser sur les préférences des consom-mateurs et sur la coordination de leurs décisions, élé-ments moteurs de la demande, deuxième déterminant del’équilibre sur tout marché. Ces deux axes seront suc-cessivement examinés.

1.1.1 L’imposition de normes nouvelles peut entraînerun changement dans les techniques de production8. Ellecrée un différentiel de coûts, voire de qualité. La des-truction des sources de profitabilité des concurrentspeut concerner n’importe quel maillon de la chaîne devaleur. La clause sociale a un effet direct sur le coût dela main d’œuvre. Elle incite les employeurs à se préoc-cuper de la productivité horaire du travail. Pour l’aug-menter ils doivent relever le taux de salaire, les théori-ciens du salaire d’efficience ont mis l’accent sur cetterelation9. Un tel changement constitue une incitation enfaveur de stratégies plus capitalistiques. Il accélère lasubstitution du capital au travail, phénomène bénéfiquepour les fournisseurs de biens d’équipement.Dans l’économie de marché traditionnelle, le consom-mateur constitue l’acteur principal. « Les ordres vontdans un seul sens, de l’individu au marché, puis dumarché au producteur » (J.K.GALBRAITH)10. Lesentrepreneurs ont déployé beaucoup d’efforts pourinverser cette séquence et substituer leur souveraineté àcelle des consommateurs. Leurs choix technologiquesjouent un grand rôle dans le conditionnement de l’offre.Ils contribuent d’un côté à l’élargissement de leur pou-

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voir de monopole envers les acheteurs et de l’autre àl’augmentation de leur pouvoir de monopsone à l’égarddes apporteurs de facteurs de production, notammentles travailleurs.La première perspective ne concerne qu’indirectementl’utilisation des ressources humaines, cibles des normessociales. Elle emprunte couramment deux voies :La mise en sommeil des marchés par le système descontrats qui trouve son aboutissement avec la firmeréseau. Ce nœud temporaire de conventions a simple-ment pour but de mettre en relation des capacités deproduction et des consommateurs. Il permet de transfé-rer sur d’autres agents économiques les problèmes deproduction et les responsabilités techniques, commer-ciales, environnementales ou sociales. En alourdissantles contraintes en ces domaines, on affaiblit le pouvoircompensateur des partenaires.Le contrôle de la durabilité des biens qui est un desaspects majeurs de la maîtrise du temps. La réductionde la longévité de la plupart des biens de consommationdurables est une des faces les plus critiquables de noséconomies. Elle contribue beaucoup à la production dedéchets et à la détérioration de la qualité de la vie11.

La seconde perspective conduit à la segmentation dumarché du travail. Confrontés à une conjoncture diffi-cile, les entrepreneurs ont remanié leur comportementd’emploi. Au nom de la productivité et de l’employabi-lité, il est devenu possible d’écarter du marché du tra-vail une partie de la population active et d’utiliser lacomplexité des relations entre un marché primaire12, unmarché secondaire et un marché clandestin pour diffé-rencier les rémunérations et les niveaux de protection

sociale tout en affaiblissant les solidarités collectives.Le pouvoir de monopsone des firmes est renforcé enoutre par la menace toujours latente de délocalisation del’activité.Les entreprises ne manquent pas de moyens pour condi-tionner l’offre et imposer leurs choix technologiques.Mais le mieux est encore de faire sanctionner la struc-ture des produits proposés par une modification des pré-férences des demandeurs eux-mêmes. Il s’agit dusecond axe stratégique, le conditionnement de lademande par la construction d’un code partagé.

1.1.2 Le consommateur n’est pas un calculateur isolé.L’élément le plus décisif de sa satisfaction est la naturedu réseau de relations qu’il entretient avec autrui. Laconsommation est un système de signes13. « L’achat oul’usage d’un produit est un langage…un discours quej’articule pour me construire moi-même et que je parleaux autres pour définir mes relations avec eux »(G.SERRAF)14. Les biens que nous utilisons permettentde communiquer. Ils ont une signification sociale fondamentale, ainsi la recherche de l’éthique sur l’éti-quette peut devenir un signe de distinction.La consommation a une valeur symbolique. Elle permetde s’intégrer à un groupe en se différenciant des autresgroupes. La satisfaction de chacun ne dépend pas uni-quement du volume absolu de sa consommation, maisaussi du rapport qu’il entretient avec les quantités utili-sées par les autres. Le système produit autant de frus-trations que de satisfactions15.Le management moderne a rapidement saisi la puis-sance de ce moteur de la croissance et la nécessité pourl’entretenir de manipuler les valeurs. Il s’est engagédans la création de styles de vie annihilant en grandepartie la souveraineté des consommateurs. Le systèmedes besoins est le produit du système de production et non l’inverse. Les entreprises sont devenues produc-trices de symboles autant que de biens.L’adoption de standards communs facilite les échangesdans une économie globalisée. Elle permet de luttercontre les asymétries de l’information. L’affichage derègles de comportement, de codes de bonne conduite estune condition de la confiance nécessaire pour pérenni-ser les relations commerciales et la rentabilité. La nor-malisation est un choix social. Elle couvre un champ deplus en plus étendu, la qualité depuis 1987 (ISO 9000),l’environnement depuis 1996 (ISO 14000, ISO 14031,SMEA II), le social depuis 1997 (SA 8000, AA 1000S)16. Construites autour d’une idéologie commune, cesnormes donnent aux consommateurs citoyens desgaranties minimales sur le respect des standards de qua-lité, de protection de l’environnement et des droitssociaux, mais elles fournissent aussi aux entreprises unpuissant outil stratégique. Elles contribuent à modelerles préférences de leurs partenaires17.Les normes, certifications, codes, chartes, labels semultiplient sans parvenir toujours à améliorer le bien-

Quelques chiffres relatifs au développementdurable :

L’eau contaminée tue chaque année 5 millions d’ha-bitants, bien davantage que le sida. Dans le monde,un enfant sur quatre âgé de 5 à 14 ans travaille. 20 %de la population mondiale de plus de 15 ans est anal-phabète. 80 % des déchets actuellement produitsdans le monde ne font pas l’objet d’un traitement.Les impacts écologiques des activités humainesdépassent de 30 % les capacités de la planète à serenouveler et à absorber les pollutions. En 1971, ilexistait 27 pays dont le PNB par habitant était infé-rieur à 900 dollars par an ; ils sont 49 dans ce casaujourd’hui dont 34 en Afrique. Sur les 6 milliardsd’habitants de la planète, 1,2 milliard vit avec moinsd’un dollar par jour et 2,4 avec moins de deux dol-lars. 80 % de la richesse mondiale est détenue par15 % des habitants. En 10 ans, la dette des pays endéveloppement a augmenté de 34 %. Depuis 10 ans,l’aide publique au développement a chuté de 29 %.(source : Anne-Marie SACQUET, Atlas Mondial du déve-loppement durable, Paris, Autrement, 2002).

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être collectif. L’opinion partagée génère une uniformitécertaine dans les discours tenus, mais plus faible dansles pratiques. Les conditions réelles de fabrication desbiens restent souvent inconnues. Les conventions nor-malisatrices peuvent dissimuler une certaine hypocrisieorganisationnelle. L’interdiction du travail des enfants,objectif éthique sur lequel il est facile d’obtenir unaccord général, fournit une bonne illustration. Lesentreprises promotrices du label social et la communau-té internationale sont-elles prêtes à prendre en chargel’éducation des enfants exclus du marché du travail et lacompensation financière nécessaire pour garantir leniveau de vie de leurs familles ?18 En l’absence demesures d’accompagnement, l’application brutale del’interdiction risque de repousser les enfants dans l’illé-galité des ateliers clandestins où leur situation seraencore plus défavorable.Les changements dans les sensibilités collectives sont àl’origine de contraintes dont les entreprises s’accom-modent difficilement. Pour s’en affranchir, elles se sontengagées sur la voie d’une privatisation du bien com-mun à laquelle nous consacrons le second point.

1.2. La privatisation du bien commun.« Les grandes firmes se sont découvertes récemmentune vocation de missionnaires… Conquérir des mar-chés ne leur suffit plus : il leur faut s’approprier les ter-ritoires immatériels de l’âme, se substituer insensible-ment à l’école, aux partis, aux spiritualités, dire le Bonet le Bien» (Pascal BRUCKNER)19. L’affirmationostentatoire de valeurs est une réponse à la forte de-mande de nouvelles règles de responsabilité socialeémanant de l’opinion publique20. La clause socialeenveloppée des oripeaux séduisants et souvent leurrantsde la communication publicitaire passe du statut de bienpublic à celui de marchandise. Nous évoquerons rapi-dement cette extension décisive de l’espace soumis auxrègles de l’économie, avant de nous tourner vers saconséquence naturelle, l’apparition d’un système juri-dique d’origine privée.

1.2.1 Les analyses contemporaines de la société deconsommation ont montré que la satisfaction descitoyens ne se construisait pas exclusivement dans ledomaine de l’échange marchand. La production insuffi-sante de conscience morale appelle une régulation horsmarché sous la forme, par exemple, de normes éthiquesminimales. Une clause sociale multilatérale peut êtreconsidérée comme un bien public international. Elleaméliore le bien-être des pays adhérents, mais égale-ment celui de la population mondiale.La labellisation fournit aux consommateurs l’informa-tion qui leur permettra de choisir entre des biens de qua-lité morale différente. L’opération entraîne des coûts detransaction21 mis le plus souvent à la charge des entre-

prises des pays émergents. Les nations développées,grâce à leur législation sociale plus que centenaire,disposent d’un avantage évident dans la production debiens de haute qualité éthique. La certification socialepeut conduire à un déplacement de la demande en leurfaveur au détriment des pays pauvres. La chute des ventes des produits de basse qualité morale peut provo-quer une dégradation des termes de l’échange des paysen voie de développement, privés d’une partie de leursdébouchés à l’exportation. Les employeurs risquent fortde réagir par un durcissement supplémentaire desconditions de travail, en contradiction avec l’objectifinitial. Une clause sociale qui entraînerait le coût du tra-vail au-delà de la productivité potentielle du pays, auraitsurtout comme conséquence l’aggravation du chômageet de la pauvreté.Il est difficile de transgresser les contraintes de l’écono-mie. Les entreprises, maîtrisant mal les externalités, ont été tentées de postuler que l’éthique pouvait seconstruire dans l’ordre des échanges marchands. Lemoyen utilisé est l’action directe sur la structure despréférences des agents pour leur faire adopter spontané-ment les comportements nécessaires à la réalisation desobjectifs nouveaux. L’introduction des valeurs commearguments dans la fonction d’utilité des consommateursest un coup de force analytique qui consiste à rendreendogène la définition des fins de l’activité écono-mique22. Il y a là une extension décisive de l’économis-me réduisant la morale à n’être plus qu’un outil de gestion23.L’achat éthique, expression du désir individuel, devientune contribution au bien-être de l’humanité24. Le rap-port aux biens moraux est pensé sur le même modèleque celui aux marchandises. Le citoyen est restreint àune fonction de consommation. L’ordre économiquerègne sur la société. Les biens moraux sont devenus desobjets de convoitise, appropriables au moins de façonindirecte. Il n’est pas surprenant que leur productionsoit progressivement transférée à la sphère marchande.

1.2.3 Les pressions collectives se sont tout d’abordexercées sous la forme d’incitations (comme les prix dela qualité), puis d’un véritable système juridique privéplus ou moins contraignant. L’exemple le plus caracté-ristique est fourni par les normes comptables émanantde l’IASB (International Accounting Standards Board),organisme fondé par les grands cabinets d’audit. Ladémarche a gagné le domaine social avec la norme SA8000 (Social Accountability) rendue publique en 1997.Elle résulte d’un accord entre quelques grandes entre-prises, associations à but non lucratif et cabinets d’au-dit. Elle s’appuie sur les conventions de l’OrganisationInternationale du Travail, sur la Déclaration Universelledes Droits de l’Homme et sur la Convention desNations Unies sur les Droits de l’Enfant. Son applica-tion repose sur une adhésion volontaire des entrepriseset son respect sur l’autodiscipline25.

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Ces normes sont promulguées de façon discrétionnairepar des ensembles dont la représentativité démocratiqueest très douteuse. La sincérité de leur mise en œuvren’est garantie que par la qualité des cabinets de certifi-cation. La gestion des standards et des labels est poureux un marché d’importance croissante. Les revenusqui y sont attachés peuvent troubler la rectitude de cer-tains jugements26. Le point faible des « codes privés »de ce genre est la difficulté du contrôle et le problèmede la sanction juridique.La première est liée à l’objet même de l’observation.Les objectifs sociaux sont multiples. Ainsi SA 8000 faitréférence au travail des enfants, au travail forcé, à l’hy-giène et à la sécurité, à la liberté syndicale, aux discri-minations, aux pratiques disciplinaires, au temps de tra-vail, aux rémunérations et même au système de mana-gement mis en place pour se conformer à la norme…,objectifs dont la conciliation et la cohérence ne sont pasévidentes. Il est difficile de les intégrer dans un do-maine d’observation et d’action unique, sur le modèled’un système comptable (privé ou national) unifié parl’utilisation d’une unité de mesure commune si impar-faite soit-elle. En matière sociale la quantification estsouvent délicate. Elle relève de conventions, souventinstables, sur lesquelles il n’existe pas de consensusentre les acteurs27. La tendance est forte, de ce fait, dedonner un contenu extensif aux standards, aux tables dela loi pour étendre leur champ d’application. Mais celaélargit l’éventail des conflits possibles et nous entraînevers le problème de la sanction juridique.Faute d’intégration dans le droit national dans la plupartdes pays, la force contraignante des normes sociales estmodeste. Les engagements moraux librement choisissont une loi douce, très permissive. Sur le plan interna-tional il n’est pas facile non plus de faire respecter ladiscipline. Si des disparités dans l’application des clau-ses sociales débouchent sur un conflit commercial, l’ar-bitrage sera laborieux. Les arguments juridiques sontfragiles28 et les circonstances de fait équivoques. Ellesn’ont pas de fondement scientifique reconnu, ce quel’on trouve déjà malaisément en matière sanitaire. Pourtenter de remédier, au moins partiellement, à cette situa-tion la Commission de Droits de l’Homme des NationsUnies a en projet un texte plus interventionniste régle-mentant plus étroitement les vérifications et leur pério-dicité. Il devrait être adopté en 2004.Le message éthique délivré par les entreprises a eu jus-qu’à maintenant une finalité économique. La morale estrentable. Elle est devenue un instrument de développe-ment du pouvoir de marché. Mais elle pourrait se trans-former à terme en facteur de vulnérabilité. Les firmessont désormais en position d’être désavouées par lesinstituts de notation qui orientent les choix des fondsd’investissement29.Cette première partie a beaucoup insisté sur les ambi-tions d’une meilleure maîtrise des processus concurren-tiels liés aux normalisations sociales. Dans ces condi-

tions, on devrait s’attendre à une série d’actions volon-taires de la part des entreprises afin d’informer les dif-férentes parties prenantes sur les moyens engagés et lesrésultats obtenus en matière de certification sociale etplus globalement sur le plan du développement durableet de la responsabilité sociale. Or, nous verrons que leurmise en œuvre, aussi bien au plan international qu’enréférence à la situation française, demeure encore trèslimitée (2.1). Cette analyse sera prolongée par l’examendu contenu de deux rapports publiés en 2003 et consa-crés à la responsabilité sociale de deux entreprises :Danone et Soitec (2.2).

2. Une mise en œuvre desnormes sociales encoretrès timide

2.1 La situation mondiale et françaiseSelon Didier Stephany, 170 entreprises seulement sontmembres de la World Business Coalition forSustainable Development30 (WBCSD), 700 adhèrent auGlobal Compact. Les analyses SAM (Sustainable AssetManagement) portant sur un millier de transnationales« montrent que moins de la moitié d’entre elles appli-quent les standards minimaux environnementaux auniveau mondial et que moins d’un tiers ont un systèmede management environnemental. Si on se réfère aunombre de rapports non financiers réalisés, les chiffresles plus récents font état de 5 000 publications. La seulecomparaison avec les quelques 60 000 groupes mondia-lisés montre qu’en tout état de cause sûrement moins de10 % et sans doute de l’ordre de 1 % des grandes entre-prises ont manifesté un engagement effectif sur le che-min du développement durable »31. D’autres chiffres confortent cette analyse. Ainsi, d’a-près une étude menée par l’Asria, l’association ISRasiatique et portant sur le reporting RSE des 100 princi-pales entreprises mondiales en termes de chiffre d’af-faires, 62 % des principales entreprises américaines nefaisaient aucun reporting RSE32.Sur les 313 entreprises qui, en octobre 2003, se sontengagées à suivre les directives de la Global ReportingInitiative33 (GRI), on ne compte que 18 entreprises fran-çaises, soit cependant 13 de plus qu’en 2002, mais onnote 41 entreprises japonaises supplémentaires et 19

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anglaises. Les firmes espagnoles sont aussi nombreusesdésormais à se référer à la GRI que les sociétés fran-çaises34. Selon Eiris, la moitié des 62 grandes entre-prises françaises cotées au FTSE All World font certi-fier leurs sites selon la norme internationale ISO 14001,qui garantit la qualité de ces systèmes. Ce taux s’avèreun peu supérieur aux 44 % de la moyenne européennemais il demeure très inférieur à ceux de l’Allemagne(75 %), de la Suisse (60 %), de la Suède ou del’Espagne (57 %)35. La situation française devrait nécessairement évoluer.En effet, une récente disposition réglementaire, issue dela loi sur les nouvelles régulations économiques et dudécret d‘application du 20 février 2002 oblige les entre-prises cotées à publier des indicateurs sociaux et envi-ronnementaux (cf. encadré ci-après).

Figurent dans les mêmes conditions, dans le rapport duconseil d’administration ou du directoire, les informa-tions suivantes relatives aux conséquences de l’activitéde la société sur l’environnement, données en fonctionde la nature de cette activité et de ses effets : la consom-mation de ressources en eau, matières premières eténergie ; les mesures prises pour limiter les atteintes à l’équilibre biologique, aux milieux naturels, aux espèces animales et végétales protégées ; les démarches

d’évaluation ou de certification entreprises en matièred’environnement ; les dépenses engagées pour prévenirles conséquences de la société sur l’environnement ;l’existence de services internes de gestion de l’environ-nement, la formation et l’information des salariés surcelui-ci, les moyens consacrés à la réduction des risquespour l’environnement ainsi que l’organisation mise enplace pour faire face aux accidents de pollution ayantdes conséquences au-delà des établissements de lasociété…Dans les faits, pour la première année d’application,seules 44 des entreprises du SBF-120 (assujetties à laloi) ont rendu publiques des informations sur l’impactsocial et environnemental de leur activité dans leur rap-port annuel 200236 ; 18 % des entreprises exercent unreporting au niveau du groupe37. Il est vrai que la loi neprécise pas le périmètre à retenir. En conséquence, denombreuses entreprises ont limité leurs réponses à leurssites français, voire à leur maison mère38. On retrouvedonc des entreprises qui respectent la législation maisles informations publiées ne concernent que la holdingdu groupe soit le plus souvent un nombre très marginalde salariés. C’est la traduction de la recommandationformulée par l’Association Française des EntreprisesPrivées (AFEP) qui a, selon Olivier RAZEMON,conseillé à ses membres de « botter en touche »39. Autotal, 16 entreprises du CAC 40 ont publié plus de 80 %des informations exigées40. Un autre élément significa-tif mérite d’être relevé : aucune entreprise n’inclut dansson rapport l’avis des instances représentatives du per-sonnel sur ces données. Les analyses conduites de son côté par le cabinet Terra-Nova précisent que 53 des 120 entreprises cotées auSBF 120 ne fournissent aucun indicateur chiffré dansleur rapport annuel. Globalement :

• 37 % des entreprises du SBF 120 ne publient quasi-ment aucune information relevant du reporting socialet environnemental.

• 27 % des entreprises publient quelques informationséparses. Elles ont à construire une véritable vision deleur développement durable.

• 36 % des entreprises sont assez ou très engagées dansla voie du reporting développement durable et ontpublié des rapports acceptables ou même bons.

Toujours selon les analystes de Terra-Nova, « les cou-vertures des sections Performance environnementale etPerformance sociale sont incontestablement les plusfaibles. Ainsi, 52 entreprises ignorent totalement lesindicateurs de performance environnementale. Quant àla performance sociale, elle est la véritable « lanternerouge » avec un taux moyen de couverture de 10 % seu-lement : 36 entreprises ne rapportent ainsi aucune infor-mation concernant les taux d’accident du travail ou lesheures consacrées aux accidents » (source : site internetde Terra-Nova). La pression des parties prenantes exté-

Décret n° 2002-221 du 20 février 2002 :

Figurent en application du quatrième alinéa de l’arti-cle L 225-102-1 du code de commerce, dans le rapport du conseil d’administration ou du directoire,les informations sociales suivantes : « l’effectif total,les embauches en distinguant les contrats à duréedéterminée et les contrats à durée indéterminée et enanalysant les difficultés éventuelles de recrutement,les licenciements et leurs motifs, les heures supplé-mentaires, la main-d’œuvre extérieure à l‘entre-prise ; le cas éché-ant, les informations relatives auxplans de réduction des effectifs et de sauvegarde del’emploi, aux efforts de reclassement, aux réembau-ches et aux mesures d’accompagnement ; l’organisa-tion du temps de travail, la durée de celui-ci pour lessalariés à temps plein et les salariés à temps partiel,l’absentéisme et ses motifs ; les rémunérations et leurévolution, les charges sociales, l’égalité profession-nelle entre les femmes et les hommes ; les relationsprofessionnelles et le bilan des accords collectifs ; lesconditions d’hygiène et de sécurité ; la formation ;l’emploi et l’insertion des travailleurs handicapés ;les œuvres sociales ; l’impor-tance de la sous-traitan-ce et la manière dont la société promeut auprès de sessous-traitants et s’assure du respect par ses filialesdes dispositions des conventions internationales del’Organisation Internationale du travail. ; l’impactterritorial des activités de l’entreprise en matièred’emploi et de développement régional .

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rieures seraient-elles plus efficaces que celles desacteurs potentiels internes ? Où est-il plus attractif etintéressant de communiquer sur des actions qui visentl’environnement que sur les moyens déployés pouraméliorer la performance sociale ?Que les entreprises soient classées en « consciencieuses »,« débutantes » ou « retardataires », « il est presque im-possible de se servir de ces rapports publiés pour éva-luer la performance extra financière de ces entre-prises »41. De plus, la loi n’a pas prévu de sanctionscontre les entreprises qui dérogent à l’obligation defournir les informations demandées ! Dans ces condi-tions, les chiffres rassemblés ci-dessus ne sont pas aussiétonnants que cela.Au-delà de ces constats génériques, nous allons mainte-nant examiner concrètement le contenu de deux rap-ports d’entreprise - Danone et Soitec -, lus attentive-ment afin de nous rendre compte des informations com-muniquées directement par deux entreprises assujettiesà la nouvelle loi. Le choix de ces deux entreprises n’estpas fortuit. Nous avons sélectionné deux sociétés trèsdifférentes à la fois sur le plan de la taille (Danone : 92200 salariés ; Soitec : 369), du secteur d’activité (agro-alimentaire et haute technologie) et classées en réfé-rence à la typologie de Terra Nova42 à des places trèscontrastées : Danone appartient au groupe des « pion-niers globaux » et Soitec à celui des entreprises qui« peuvent mieux faire ». Sans doute, le volume desinformations diffusées n’est qu’un indicateur imparfaitdes pratiques réelles. Tout discours sur la responsabilitésociale peut avoir un caractère manipulatoire et lesjugements portés sur la politique de Danone sont parexemple très contrastés aujourd’hui. Néanmoins laplace accordée à ces problèmes dans la communicationexterne43 marque le souci de ne pas ignorer la transfor-mation des préférences collectives.

2.2 Les rapports de Danone et Soitec

2.2.1 DanoneDanone est une entreprise mondialement connue qu’iln’est pas nécessaire de présenter. Avant même la publi-cation du décret du 20 février 2002, l’entreprise avaitpris l’habitude depuis 1998 de diffuser un rapport deresponsabilité sociale et environnementale. Le docu-ment que nous avons analysé est donc le 5e documentproduit par Danone.Danone est une des sociétés françaises qui a comparati-vement le plus déployé d’efforts pour rendre compte deses actions en matière de développement durable. En2002, l’entreprise crée la Direction du développementdurable et de la responsabilité sociale. Un rapportaccessible sur son site internet détaille les moyens misen œuvre, les principaux indicateurs mobilisés et lesrésultats obtenus, notamment en référence à ce que l’en-

treprise appelle le « Danone Way ». Selon FranckRiboud, Président-directeur général, « avec DanoneWay, nous nous engageons progressivement dans unpilotage global de l’entreprise qui intègre la responsabi-lité sociale et environnementale dans un processus de déci-sion économique et le management de chaque fi-liale ». La démarche de responsabilité sociale du Groupe trouveson origine dans le discours prononcé il y a trente anspar son fondateur, Antoine Riboud. Trois idées s’endégagent :

• L’affirmation d’un double projet selon lequel « il n’ya pas de progrès économique durable sans l’implica-tion et le développement des hommes » ;

• L’existence d’une responsabilité de l’entreprise à l’é-gard de la société environnante ;

• La vocation du Groupe Danone d’apporter des solu-tions novatrices aux changements socio-écono-miques.

Danone distingue cinq grands enjeux en ce qui concernesa responsabilité sociale dans sa dimension politiquehumaine : 1) respecter les droits de l’homme au tra-vail 2) garantir l’équité 3) créer les conditions du dialo-gue avec les salariés et leurs représentants 4) investirdans les hommes, les organisations et favoriser leurévolution 5) porter attention aux hommes. Chacun deces enjeux est ensuite décliné en objectifs, moyens etindicateurs.Le rapport présente les ambitions et les résultats sur uneéchelle qui va du niveau 1 (premier niveau d’application)au niveau 4 (excellence de l’application). L’intérêt de cesparagraphes consacrés à la politique humaine est deconnaître les grandes lignes de sa politique en matière deresponsabilité sociale et de prendre connaissance de ceque l’entreprise considère comme ses points forts et sesmarges de progression, le tout en s’appuyant sur lesautoévaluations de 25 filiales, complété par un avisexterne très général prononcé par deux cabinets d’au-dit : Mazars & Guérard et Coopers & Lybrand Audit,membres de PricewarterhouseCoopers. L’ensemble desinformations communiquées au titre de la politique res-source humaine dans le cadre de la responsabilité socialereprésente 12 pages.

2.2.2 SoitecSoitec est une PME de haute technologie du secteur dela micro-électronique dont l’activité consiste à traiterdes plaques de silicium afin de les rendre plus perfor-mantes. Elle rassemble désormais plus de 350 salariés.Pour la première fois, le rapport annuel publié en 2003comprend une rubrique « informations en matière sociale »et « informations en matière environnementale ». Lesdeux paragraphes respectent les grands intitulés atten-dus par la loi. Ainsi, en matière d’information sociale,les données sont présentées à partir des rubriques suivantes : état des effectifs, organisation du temps de

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travail, rémunérations – politique salariale, personnelféminin, relations professionnelles et accords d’entre-prise, conditions d’hygiène et de sécurité, formation,travailleurs handicapés et œuvres sociales. Les élémentssont pour la plupart factuels. Les commentaires sonttrès limités. Il n’y a aucune présentation de la philoso-phie ou des politiques qui président à ces résultats. Iln’est pas fait mention d’évaluation externe. Très peud’éléments permettent des comparaisons avec les an-nées précédentes. Toutes ces données sont rassembléesen un peu plus d’une page.Les rapports traduisent bien l’écart entre les deux entre-prises. Danone bénéficie de sa longue expérience en lamatière et a fait du développement durable un axemajeur de sa communication. Soitec s’est contenté derépondre aux exigences minimales prévues par la loi.

ConclusionAu terme de ces analyses conceptuelles et empiriques,le paradoxe est assez frappant. La première partie adémontré tous les intérêts et les avantages que les entre-prises peuvent retirer de l’instauration volontaire ouréglementaire de normes sociales. Or, l’ensemble deschiffres et des analyses rassemblés dans la seconde par-tie démontre que les efforts réellement opérés par cesmêmes entreprises demeurent très limités, à quelquesexceptions près. Comment va évoluer la situation ?Plusieurs éléments militent vers plus d’actions et decommunication en matière de normes sociales.En premier lieu, les entreprises soumises à des obliga-tions législatives de produire un rapport social et envi-ronnemental et qui ne respectent pas ces contraintesseront de plus en plus stigmatisées. Tout silence de leurpart sera interprété comment la volonté de cacherquelque chose. De toute façon, la justice n’hésite pas àprendre des décisions : « de plus en plus, la chambresociale de la Cour de Cassation a adopté des positionsvisant à élargir le référentiel des responsabilités. Ce futle cas notamment en matière d’accidents du travail oude travail clandestin mettant en cause des entreprisesdonneuses d’ordres via les entreprises sous-traitan-tes44 ». Ensuite, les habitants d’un bassin d’emploi etleurs représentants au sein des collectivités territorialessont davantage attentifs aux conséquences sociales etenvironnementales des décisions prises ou envisagéespar les entreprises. La pression sera croissante égale-ment de la part des investisseurs qui intègrent davantage(sous l’influence des agences de notation sociale) descritères sociaux dans leur choix de portefeuille en pre-nant en compte systématiquement désormais le climatsocial de l’entreprise ou le montant des salaires versés.Des associations seront de leur côté toujours aussipromptes à communiquer sur le fait que telle entreprisene respecte pas l’interdiction de faire travailler desenfants pour prendre un exemple désormais célèbre outout événement socialement considéré comme incor-

rect. Dans ces conditions, les entreprises prendront demoins en moins le risque de voir leur image se dégraderou d’être placées sous la menace d’un boycott de leursproduits comme le rappelle Novethic en novembre2003 : « Est-ce un hasard si les entreprises les plusdynamiques en la matière sont celles qui sont souventles plus exposées soit en raison de leurs forts impactsenvironnementaux, soit parce qu’elles gèrent desmarques de grand public ? » . Les syndicats pensentégalement que nous sommes face à un changementmajeur d’attitude : « La RSE n’est pas qu’un effet demode, c’est un mouvement de fond et les entreprises nepourront pas s’y soustraire. (…) Plus il y aura de partiesprenantes qui s’en serviront et qui feront connaître leursattentes et plus il sera difficile aux entreprises de neconsidérer ces rapports que comme de la communica-tion »45. D’autres représentants syndicaux n’hésitent pasà mettre en avant des arguments purement écono-miques, confortant les analyses présentées dans la pre-mière partie de cette communication : « De plus en plusd’entreprises comprennent qu’adopter une démarche dedéveloppement durable stimule la création de valeur etassure sa pérennité et sa croissance à long terme. Enagissant ainsi, l’entreprise socialement responsable sedote d’un avantage compétitif vis-à-vis de ses clients etde ses fournisseurs. Elle est souvent plus innovante etplus attractive voire plus productive grâce à une plusgrande motivation de ses salariés »46. Cette analyse estpartagée par les directeurs des ressources humaines(DRH) si l’on suit les réponses à un sondage publié en2002 sur le sujet : « près de trois DRH sur quatre consi-dèrent qu’il s’agit là d’une réelle préoccupation desentreprises et non d’une mode qui partira aussi vitequ’elle est venue ». 77 % d’entre eux pensent qu’unetelle démarche donne un rôle plus stratégique à la fonc-tion RH. Pour eux, l’intérêt d’une démarche RSE résidedans l’amélioration de l’image de l’entreprise auprès dupublic, une plus grande motivation du personnel del’entreprise et une meilleure attractivité de leur sociétéauprès des candidats à un emploi47. Toutes ces pressions et ces prises de position favorablesau développement des actions dans le champ de laresponsabilité sociale de l’entreprise se concrétiserontd’autant plus vite que seront levées les difficultésnotamment méthodologiques qui subsistent. Malgrél’accroissement du nombre d’outils et d’indicateurs à ladisposition potentielle des entreprises (codes de condui-te, labels, normes, rapports, notation,…), force est deconstater qu’il reste encore beaucoup de chemin à par-courir avant de disposer d’informations précises etcomplètes sur les actions sociales et environnementalesengagées par les entreprises françaises. La route versune communication complète et transparente dans lechamp des normes sociales et du développement durable sera assurément encore longue. Les efforts sontcependant essentiels car l’enjeu dépasse l’entreprise. Ilest véritablement sociétal.

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Notes1 Pierre VELTZ , « Des lieux et des liens. Politiques du ter-

ritoire à l’heure de la mondialisation » Editions del’Aube, 2002.

2 Il a fallu des siècles pour instituer les lois réglementant letransfert des droits de propriété, condition de tout échangemarchand.

3 De l’ordre de 1 à 40 pour les coûts salariaux horaires desouvriers de l’industrie entre le Chine et l’Europe occiden-tale.

4 Une présentation synthétique du problème a été faite parJean-Marc SIROËN, « Existe-t-il une justification écono-mique à la clause sociale ? Quelques éléments deréflexion » Contribution à l’ouvrage collectif dirigé parJaime de MELLO et Patrick GUILLAUMONT,« Commerce Nord-Sud. Migration et délocalisation »Economica, 1997.

5 Selon la définition célèbre de Paul SAMUELSON (« ThePure Theory of Public Expenditure », Review of Eco-nomics and Statistics, 1964), un bien public pur est carac-térisé par deux traits : non rivalité des consommations etnon exclusion des consommateurs. Pour être qualifié demondial ou global, il doit en outre être accessible à plu-sieurs territoires et préserver l’intérêt des générationsfutures.

6 Elle résulte le plus souvent de l’effet de domination exercé par les grands donneurs d’ordre du Nord sur leurssous-traitants du Sud, voire des pressions des organisa-tions non gouvernementales de défense des droits del’homme ou de l’environnement, et non d’une adhésionsouveraine à un traité international, expression d’une pré-férence politique interne pour un modèle social plushumaniste.

7 Elles dépendent aussi des expériences sociales qui y ontété accumulées. Le Nord et le Sud sont très différents dece point de vue. (Voir Anton BRENDER, « Face aux mar-chés, la politique » La Découverte, « Cahiers libres »,2002).

8 Le protocole de Montréal de 1998 relatif aux substancesqui appauvrissent la couche d’ozone atmosphérique, toutparticulièrement les CFC (chlorofluorocarbones), fournitun bon exemple dans le domaine de l’environnement. Il aopportunément coïncidé avec la mise au point de substi-tuts par Dupont de Nemours. L’Oréal, gros utilisateur deCFC pour ses laques en aérosols, a dû investir plus de 30millions d’euros pour modifier ses chaînes de fabricationen Europe.

9 La sous rémunération du travail dans les pays émergentspèse sur la productivité de ce facteur et freine leur sortiedu sous-développement.

10 J.K.GALBRAITH, « Le nouvel état industriel » Biblio-thèque des Sciences Humaines, Gallimard, 1968.

11 Elle repose sur des moyens bien connus : l’usure incorpo-rée (mise sur le marché de produits de moindre résistance),l’obsolescence provoquée par la création de modes, leretrait du marché, moyen le plus radical, accompagné sou-

vent de la disparition des pièces détachées qui interdittoute survie trop prolongée des biens concernés.

12 Il regroupe le « noyau dur » de salariés stables et protégésmais soumis à une sélection de plus en plus sévère.

13 Elle constitue pour la sémiologie un vaste champ d’inves-tigation. Sur le sujet, l’ouvrage de Jean BAUDRILLARD« Pour une critique de l’économie politique du signe »(Collection « Tel », Gallimard, 1976) est devenu classique.

14 G. SERRAF, « Marketing et stratégie des produits »Publi-Union, 1974.

15 Chacun améliore son niveau de vie avec la croissance,mais comme tout le monde suit à peu près la même évo-lution, les positions relatives demeurent contrastées. Lasociété de consommation produit la richesse et la pauvreté.

16 Geneviève FERONE, « Vers une normalisation accrue duconcept de responsabilité sociale : le rôle des bureaux d’a-nalyses sociales sur les entreprises cotées » Entreprise etEthique N°10, avril 1999. Didier STEPHANY, Déve-lop-pement durable et performance de l’entreprise, Paris,Editions Liaisons, 2003, p. 65-66. D’origine américaine,la Social Accountability (SA 8000) couvre neuf domainesessentiels : le travail des enfants, les rémunérations, letemps de travail,... Elle est accordée après un audit réalisépar des cabinets indépendants. L’Accounting Auditing(AA 1000), d’origine britannique, est axée sur le dialogueavec les parties prenantes.

17 Les sociétés de conseil ont découvert avec les multiplesformes de standardisation un marché fructueux. Ellescontribuent activement à son développement.

18 Le travail juvénile est nécessaire à la survie de la popula-tion dans certaines régions du Tiers Monde.

19 Pascal BRUCKNER, « Misère de la prospérité » Grasset,2002.

20 Le puritanisme largement répandu chez de nombreuxacteurs – notamment les partisans nord-américains dulibéralisme et leurs adversaires des courants alter-mondia-listes – n’est pas étranger à la transformation des préfé-rences collectives.

21 Audit sociaux sur les sites de production, frais de fonc-tionnement de l’organisme certificateur, incertitude surl’authenticité du label….

22 Tardive synthèse de la « Théorie des sentiments moraux »et de « La richesse des nations » qu’Adam SMITH, titu-laire d’une chaire de philosophie morale, n’aurait jamaisosé imaginer.

23 Cette transformation est clairement analysée par AnneSALMON, « Ethique et ordre économique. Une entre-prise de séduction » CNRS Editions, 2002.

24 Il suffit qu’il porte sur telle lessive qui préserve l’environ-nement ou sur tel produit qui participe à une grande causesociale. Le consommateur peut satisfaire son aspirationéthique sans trop d’engagement ni d’effort.

25 Cette tentative de moralisation des relations sociales s’ins-crit dans un courant d’opinion rigoriste porté par lesEglises et les ONG nord-américaines principalement. Unmilitantisme très voisin anime les promoteurs de la GRI

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(Global Reporting Initiative) dont les préoccupations sontplus environnementales - cf. infra - (Eric LOISELET,« GRI. Demain la transparence ? » Alternatives Econo-miques N°192, mai 2001).

26 L’application des normes financières, depuis une dizained’années, fournit de nombreux exemples de dérives délic-tueuses.

27 Bernard PERRET a présenté un intéressant rapport sur lesujet au Conseil de l’Emploi, des Revenus et de laCohésion sociale (CERC) en janvier 2002. (« Indicateurssociaux, état des lieux et perspective »)

28 Les contrevenants ne manqueront pas de s’abriter derrièrele droit des peuples à choisir librement leur niveau de pro-tection sociale.

29 Michel ALBERT y voit un moyen d’accélérer la mutationdes entreprises pour les rendre socialement responsables.(« Une nouvelle économie sociale de marché ? Quelsmodèles d’entreprise pour un développement durable ? »,Futuribles, N°287, juin 2003.)

30 Née de la réunion de deux organisations le BCSD(Business Council for Sustainable Development) et leWICE (World Industrial Council for the Environment), leWBCSD a pour objectif de faire connaître les principes dudéveloppement durable et de favoriser les échanges entreentreprises sur les bonnes pratiques en la matière. DidierSTEPHANY, op. cit., p. 23

31 Didier STEPHANY, op. cit., p. 10932 La lettre de l’économie responsable, n°15, octobre 2003,

p.1533 La Global Reporting Initiative a été créée en 1997 à l’ini-

tiative de la Coalition for Environmentally ResponsibleEconomies, avec l’appui des Nations Unies. Elle réunitplusieurs parties prenantes : ONG, cabinets d’audit, gran-des entreprises, etc. Depuis 2002, elle est devenue unefondation plurilatérale. Les mesures de performance de laGRI sont rassemblées autour de trois groupes d’indica-teurs : économiques (clients, fournisseurs, salariés, inves-tisseurs, pouvoirs publics), environnementaux (matières,énergie, eau, biodiversité, rejets, produits et services,conformité), sociaux (conditions de travail – emploi, rela-tions sociales, santé/sécurité, formation, diversité, droitshumains, société et produit). Le correspondant français estl’Observatoire de la Responsabilité Sociale en Entreprise– ORSE -. Toujours côté nord-américain, on peut citer lesefforts au Canada pour élaborer le Corporate responsabi-lity assessent tool qui synthétise et intègre les plus impor-tants codes, standards et principes internationaux relatifs àla responsabilité sociétale de l’entreprise. La version fina-le de l’outil devrait être fournie à partir de mi 2004 (sour-ce : SRI in progress, 2- janvier 2004

34 Vincent Mayer, Guillaume Duval, Les entreprises rechi-gnent à rendre des comptes, Alternatives économiques,novembre 2003, p.30

35 V. Mayer, G. Duval, op.cit. , p.30

36 Eric Loiselet, Alternatives Economiques, janvier 2004, p. 92

37 La lettre de l’économie responsable, octobre 2003

38 Alternatives économiques, novembre 2003, p. 2939 Olivier RAZEMON, « Pas mûr, le rapport vert », Le

Monde Initiatives, décembre 2003, p.740 Alternatives économiques, novembre 2003, op.cit.41 Olivier RAZEMON, op.cit., p.742 La typologie de Terra Nova distingue six grands groupes

d’entreprise après l’étude de leurs rapports annuels baséesur les lignes directrices de la Global Reporting Initiative(GRI) : 1) les « pionniers globaux » (Danone, Suez,Carrefour, Lafarge,…), 2) les « pionniers performance »(Saint-Gobain, Pechiney, Total, ST Microelectronics, …),3) les « avancés » (Orange, Axa, Schneider, Thomson,…),4) les « peuvent mieux faire » (Air France, Seb, Essilor,EADS) 5) les « retardataires » (Eurodisney, Havas,Hermès, Lagardère,…) et enfin les « totalement nonconcernés » (NRJ, Beneteau, Unilog,…).

43 Voir à titre d’illustration les dernières déclarations deFrank Riboud dans les Enjeux, mars 2004 « Il n’existe pasde résultats économiques durables sans avancées sur leplan social » ou l’article consacré à Danone dans l’éditiondu lundi 22 mars 2004 du Figaro Entreprises, p.7

44 Roland Perez, Cadre conceptuel et référentiel comptabledu management durable, d’après l’intervention de RolandPerez au congrès SMIA 03 : « le management durable enaction » ; Genève, 4-6 septembre 2003 ; site SRI inProgress : la newsletter des tendances de l’investissementsocialement responsable, 2 janvier 2004

45 Jacques Bass, secrétaire confédéral de la CFDT, proposrecueillis in Alternatives Economiques, n° 219, novembre203, p. 30

46 Syndicalisme Hebdo, supplément au numéro 2964 du 15 janvier 2004, p.7

47 Denis Boissard, Un gros tiers des entreprises passées àl’action, Liaisons sociales, septembre 2002, p.26- 29

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Aline SCOUARNECMaître de Conférences,Chercheur au C.I.M.E, et à D.M.S.P,Chargée de cours ESC Le [email protected]

Zahir YANATMaître de Conférences, Bordeaux 4Professeur, Ecole de Management Bordeaux Président IAS (Institut International Audit Social)[email protected]

Depuis plusieurs années, on observe en Franceune certaine morosité des entreprises qui nesont pas satisfaites de la formation et de la pré-

paration des candidats à la carrière de managers. Deleur côté, les étudiants en gestion ont de plus en plusl'impression que leurs études les préparent mal à unefonction immédiatement opérationnelle dans l'organisa-tion1. Alors quel contenu de formation aujourd'hui pourle professionnel de demain ? Il faut former qui ? Aquoi ? Comment ? Un généraliste ? Une formationfaisant appel à l'hémisphère gauche, siège de la logiqueet de l'analyse ou une formation faisant appel à l'hémis-phère droit, siège de l'émotion, de l'intuition et de lasynthèse ?2 Ou aux deux hémisphères à la fois ?

Etre professionnel, est-ce acquérir un diplôme pouraccéder à un poste de travail disponible sur le marchédu travail (de l'emploi) ? Si oui, après avoir parcouruquel cursus ? Ou est-ce valider une expérience acquisesur le terrain pour devenir un acteur efficace del'Entreprise ? Ou est-ce les deux réponses à la fois ?3.Ne devrions-nous pas craindre que les écoles de gestionne préparent davantage les étudiants, ces futurs cadres,à « l'administration des choses » plutôt qu'au « gou-vernement des hommes » ? Ces questions nous interpel-lent sur les réponses à apporter en terme de cursus deformation à proposer et à mettre en œuvre.

Les réponses à ce problème dépassent le champ de lasimple adéquation emploi / formation4.

Elles portent sur la nature et le niveau de compétencenécessaire pour agir et sortir le management de la crise5.

Normalisation et savoirs du manager de demainAline SCOUARNEC - Zahir YANAT

1 De nombreux ouvrages ou articles couvrent ce champ de réflexion.Nous citerons, au hasard de lectures ou relectures récentes sur cethème :

- Cannac Y. et la Cegos. La bataille de la compétence. Paris, HT.1985.

- Crozier M. L'entreprise à l'écoute. Paris, EO, 1989. - Gasse Y. Le partage des responsabilités dans la formation des

gestionnaires. Revue Gestion 2000. n°6, déc 1991, p 135-145.

2 Le concept "d'hémisphérité" du cerveau a été popularisé par les tra-vaux d'H. Mintzberg. Le Management. Voyage au centre des organi-sations. Paris.EO.

3 Pour une analyse sans complaisance des dégâts de l'efficacité et del'excellence, voir les ouvrages de

- Le Mouel et De Gaulejac. Le coût de l'excellence, Paris. Seuil,1991.

4 Voir plus particulièrement Tanguy L (sous le direction de).L'introuvable relation formation / emploi : état des recherches enFrance. Paris, La documentation française. 1986.

5 Voir l'ouvrage collectif de Paquet G et Gelinier O. Le managementen crise, pour une formation proche de l'action. Paris, Economica,1991.

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Il fut un temps où l'homme, en consacrant toute sa vie àl'étude, pouvait posséder tout le savoir de son époque.C'était le cas des grands philosophes de l'Antiquité, d'unPlaton ou d'un Aristote. Aujourd'hui, dans un contextede changement technique rapide, il est devenu impossi-ble à un seul esprit de connaître la totalité de ce qui a étéétabli par ceux qui savent. Il demeure toutefois que lescompétences requises des gestionnaires pour la crois-sance et la compétitivité des entreprises doivent être enadéquation avec les besoins d'un monde d'organisationsde plus en plus complexes6 .

Ces compétences ne seront pas nécessairement plusriches en terme de savoirs cognitifs mais certainementplus exigeantes du point de vue de l'expérience pra-tique, et des comportements7. L’objet de cet article estdonc de s’interroger sur la possible normalisation dessavoirs du manager. Dans un premier temps, nous allonsdonc montrer les insuffisances de la formation profes-sionnelle spécialisée et du savoir établi, ensuite nousdémontrerons l’intérêt d’une compétence de généralisteet d’un savoir d’ouverture, enfin nous tenterons deposer les jalons d’une normalisation des savoirs dumanager.

1. Insuffisances de la formationprofessionnelle spécialisée et du savoir établi

En France, on reconnaît8 volontiers que « l'enseigne-ment en gestion fabrique un produit fini (le diplôme)dont le savoir est constitué une fois pour toutes ». Nousnous proposons de montrer, ci-après, que cet enseigne-ment spécialisé- est révélateur de la partition de l'entreprise en fonc-tions spécialisées et de la nature fayolo-taylorienne del'organisation du travail du cadre gestionnaire.- conduit à un profil uniforme de dirigeant gestionnaire.

1.1. Nature fayolo-taylorienne du travail du cadre gestionnaire

Aujourd'hui, des voix s'élèvent pour condamner la con-ception mécaniste du travail du cadre gestionnaire9. Lalittérature managériale dispose en particulier depuis lestravaux d'H. Mintzberg (1984) d'un « classique » sur lesrôles du cadre. A partir de recherches empiriques,Mintzberg montre que « tous en ont assez de la ratio-

nalité au sens étroit du terme, de la rationalité quicherche à éliminer toute intuition au profit de l'analyse,de la rationalité… qui fait passer le système avantl'homme ». Mais cette « dénonciation » tient plus de laméthode d'auto persuasion qu'elle n'est révélatrice d'unchangement réel dans le comportement des dirigeants etl'on continue d'observer, malgré quelques inflexions,une permanence dans la logique du toujours plus degestion rationalisante comme facteur clé de succès. Ceconstat ne relève pas seulement de notre expérience per-sonnelle de gestionnaire et d'enseignant en relation avecd'autres gestionnaires. Il est corroboré par la pérennitéd'un discours qui porte l'empreinte d'un enseignementorienté vers l'acquisition de connaissances et de tech-niques traditionnelles. Fondamentalement, les tâchesd'un gestionnaire se résument à quatre grandes fonc-tions : la planification, l'organisation, la direction et lecontrôle. Les partisans de cette idéologie managérialedominante fondent leur conception de l'enseignementde la gestion sur « le besoin fondamental de tous lessystèmes empiriques de maintenir leur intégrité et leurauto-conservation » (Selznick, 1948). Il apparaît claire-ment, selon cette conception, que les organisations sontconsidérées comme des systèmes caractérisés par unbesoin fondamental, celui de leur survie. C'est pourassurer cette survie que les managers privilégient unedivision rationnelle du travail en fonctions identifiablesdans un organigramme ainsi qu'un repérage des tâchesau travers des descriptions des postes de travail. On doitremarquer que les managers ne font pas explicitementréférence à ce modèle fonctionnaliste pour justifierleurs pratiques. Par ailleurs, si des enseignants conti-nuent de former les futurs gestionnaires pour obéir auxexigences des managers traditionnels il faut voir là unecertaine banalisation du modèle fonctionnaliste d'organ-isation (Braverman, 1976). Banalisation largementfacilitée par le contexte de culture cartésienne qui nousdétermine. En fait, comme en témoigne Mintzberg(1982) le terme de « division du travail » a été forgé en1776 par Adam Smith dans « la richesse des nations »alors même que les premiers vrais organisateurs n'appa-raîtront qu'avec Taylor, Fayol et Weber dignes représen-tants du fonctionnalisme.

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6 Idée développée dans les travaux de Simon HA, eux-mêmes popularisés par Mintzberg.

7 Godet. L'avenir autrement, Paris, A.Colin, 1991, p.99

8 Cuzzi C., secrétaire général de la FNEGE

9 Aktouf O. Le management entre tradition et renouvellement.Montréal, Gaêtan Morin éditeur, 1989

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Les travaux de ces auteurs sont suffisamment connuspour ne pas avoir à les rappeler dans le cadre de ce tra-vail. Il convient d'observer toutefois que leur influencesur le fonctionnement des entreprises a dépassé les fron-tières du contexte de l'économie de marché10. Selon laformule de De Montmollin (1984) « il paraît difficile deremplacer le taylorisme et le fayolisme à moins derenoncer à l'idée même d'organisation du travail de laproduction et de l'administration ».

1.2. Vers un profil uniforme du dirigeant gestionnaire ?

L'enseignant, s'il ne s'inspire que du modèle fonction-naliste dominant sera amené à proposer un enseigne-ment reposant sur des critères traditionnels de manage-ment et produisant un profil uniforme de dirigeants ges-tionnaires. Il serait vain de tracer un portrait uniformedu décideur. Il en existe autant qu'il existe de types d'en-treprises. Il est cependant possible de soutenir que lasocialisation des décideurs et la formalisation de leurcomportement constituent deux caractères fondamen-taux du manager traditionnel d'aujourd'hui. Selon E. Schein11 la socialisation est « le processus par lequelle nouvel arrivant apprend le système de valeurs, lesnormes et les comportements de la société ou du groupequ'il vient de joindre ». Cette définition s'applique àtoutes les entreprises à forte cohésion sociale et cultu-relle mais également aux entreprises en voie de consti-tution et d'élaboration d'un projet commun. La tech-nique juridique dite de période d'essai constitue, à cetégard, la manifestation la plus formelle de cette sociali-sation. Au delà de sa signification civiliste et propre-ment juridique de réciprocité, pour chaque partie aucontrat de travail, de pouvoir reprendre sa liberté, cette technique vise également à accéder à l'anticham-bre de l'intégration. Cette technique -opposable à toutes les catégories socio-professionnelles- apparaît donc comme latraduction du modèle « fayolo-taylorio-wébérien » et« légal-rationnel-déterministe ». Mais ainsi, l'entreprisene risque-t-elle pas de choisir les salariés potentielle-ment les plus conformes à ce modèle au lieu de chercherà intégrer les meilleurs, c’est-à-dire les plus compé-tents ? La formalisation des comportements apparaîtdans ces conditions comme une compétence complé-mentaire nécessaire au décideur dévoué corps et âme àl'organisation12. Depuis Weber, le concept de formalisa-tion occupe en permanence le champ d'étude de la lit-térature managériale. Certaines définitions insistent surle « degré de précision et le mode de définition desfonctions » comme pour Anastassopoulos (1985) ou sur« l'accroissement de la rigidité des conduites des exécu-tants ». comme pour March et Simon (1971) ou encoresur le lien à établir avec « la standardisation des procé-dures et des rôles » comme pour Tabatoni et Jarniou(1975). On constate que ces définitions n'introduisent

pas véritablement de différences notables. Elles insistent toujours sur trois caractéristiques quisont :• la mise en place de procédures et postes opératoires

standardisés.• l'installation des individus dans des rôles parfaite-

ment typés• la stabilisation des comportements individuels.

En définitive, la formalisation « représente la façon qu'al'organisation de limiter la marge de manœuvre de sesmembres ». L'une des conséquences de la socialisation-formalisation sur le comportement du décideur est d'enfaire un élément interchangeable, programmé pour ac-complir des tâches préalablement définies. Le quanti-tatif, la rationalité, l'objectivité, l'aisance dans la spé-cialisation, les chiffres, les grands systèmes sont autantde dimensions qui « font » la compétence de ces diri-geants. Ces qualités correspondent à celles des ingé-nieurs, des experts qui ont été « fabriqués » en grandemasse dans les business schools depuis une trentained'années. Des programmes ont été rajoutés pour faireappel à l'affectivité des gens. Mais le professionnalismerecherché pour le décideur reste toujours subordonné autriomphe de l'organisation et du système de gestion. Levrai changement consisterait à prendre l'homme commeréférence au lieu de l'organisation.

2. Nécessité d'une compétencede généraliste et d'unsavoir d'ouverture

Le décideur de demain, s'il veut abandonner une spé-cialisation appauvrissante, s'il veut se libérer des con-

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10 Ainsi, Lénine dans sa lettre à Avamessov, proposait-il de se procu-rer de la littérature allemande et américaine, de réunir tout ce qui aquelque valeur, surtout en ce qui concerne la normalisation du tra-vail de bureau. N'assiste-t-on pas aujourd'hui, avec les dirigeantsdes pays de l'Est, au même engouement vis à vis du modèle occi-dental ?

11 Schein EH. Organisational socialisation and the profession ofmanagement. Industrial management review. Cité par Mintzberg.Structure et dynamisme des organisations. Paris, 1982.

12 C’est-à-dire « un homme d'organisation » selon la formule deWhyte, « un héros qui doit choisir entre ce qu'il estime juste et ceque le système estime juste ».

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traintes de l'organisation qu'il sert par son travail, s'ilveut se doter d'une marge de manœuvre, tant dans l'éla-boration de ses objectifs que dans la mise en œuvre deses actions quotidiennes devra consacrer du temps àacquérir une compétence de généraliste qui le préparemieux à un savoir d'ouverture, moins dogmatique, plushumanisé. Dans ce qui suit, nous prenons le contre-piedde notre réflexion précédente. Il s'agit de se démarquerdu paradigme fonctionnaliste qui, nous l'avons vu, pri-vilégie le statu quo et tend à faire du décideur, formé« au savoir établi », « l'homme de l'organisation » laissantpeu de place au changement social et à la créativité.

Notre analyse s'appuiera plus particulièrement :• d'une part sur les travaux de Chanlat (1985), Dufour

et Aktouf (1989), ainsi que ceux de Paquet et Gelinier(1991).

• d'autre part sur les résultats d’une étude réalisée en2003.

Nous tenterons de montrer que le profil du décideur, telqu'il se dégage de notre proposition, est directement liéaux conditions contextuelles d'une gestion autrement.

2.1. Une gestion autrement. Pourquoi ?Cette gestion autrement repose essentiellement sur lanécessité de tenir compte à la fois d'un contexte de plusen plus complexe et d'une sévère critique qu'il convientde faire « aux effets de mode » de la gestion d'excel-lence ou à son fondement unidisciplinaire.

2.1.1. Un contexte de plus en plus complexeet incertain.

Sur trois fronts – économique, social, politique – lemanagement doit faire face à de nouvelles réalités, denouveaux défis, de nouvelles incertitudes. Au planéconomique, le monde est plus intégré et plus inter-dépendant que jamais. Les gouvernements ont de moinsen moins de puissance réelle et les entreprises mesurentpériodiquement leurs difficultés d'être. Au plan social,une des grandes innovations de ce siècle est la sociétédes salariés. Ceci implique de nouvelles politiques, sou-vent radicales : ils créent de nouvelles responsabilitéspour les dirigeants des petites et moyennes entreprisescomme pour ceux des grandes sociétés. Il est largementadmis, par ailleurs, que la turbulence de l'environ-nement continuera de s'accroître (Forgues, 1991) impli-quant par là même une incertitude accentuée sur les conséquences des actions que l'on souhaite entre-prendre. En situation de crise on a plus souvent ten-dance à agir sur un symptôme particulier plutôt que surla crise proprement dite ou sur ses causes. Cependant, ledécideur, en agissant sur un aspect précis, doit prendregarde aux effets secondaires de la décision sur d'autresfacettes du problème, d'autres dimensions. Par ailleurs,

les situations de crise vont impliquer un grand nombred'acteurs, dont les intérêts vont souvent diverger.Chacun, représentant un corps particulier aura à cœurde voir les intérêts qu'il défend pris en compte. L'enjeu,les conséquences réelles ou potentielles de l'événemententraînent une forte implication des acteurs, laquelleprend souvent une forme émotionnelle; le fait d'avoir àréagir sans délai contribue également à l'élévation duniveau de stress. Cette présentation permet de conclure,avec Crozier, que « le bon décideur est celui qui a com-pris la structure des problèmes à résoudre et quiparvient à mettre sur pied un système de décision suf-fisamment ouvert et imaginatif, apte à découvrir la solu-tion la moins mauvaise compte tenu des contraintesinhérentes à la situation » (Crozier, 1980). Le bondécideur c'est aussi celui à qui on aura appris la néces-sité d'abandonner les modèles de management rationnelet performant dans le seul contexte de stabilité maisaussi les modèles de management médiatisés et nevalant que le temps d'une mode.

2.1.3. Les ruptures à réaliserNous constaterons avec de Gaulejac (1987) que la lit-térature récente sur le management insiste sur l'idée de« gestion des paradoxes ». Il s'agit pour ces auteurs d'a-bandonner la perspective taylorienne de l'organisationdisciplinaire et hiérarchique du travail pour proposer unnouveau modèle plus performant dans lequel oncherche à provoquer l'adhésion et la motivation du per-sonnel. On ne demande plus l'obéissance mais le respectdes règles. On passe ainsi progressivement d'un modèleautoritaire et disciplinaire à un modèle participatif etlégaliste, d'un gouvernement par les ordres à un gou-vernement par les règles, de l'obéissance à un chef àl'adhésion à une logique. Il s'agit de produire l'attache-ment des individus non pas en les contraignantphysiquement mais en suscitant chez eux une dépen-dance psychologique qui opère selon le même proces-sus que le lien amoureux, c’est-à-dire l'identification, leplaisir, l'angoisse (de Gaulejac, 1987). Ces différentescaractéristiques du management moderne ne sont passans conséquences sur les individus à qui l'on demande« l'excellence », les soumettant à une pression psy-chologique intense. Les tenants de l'excellence vontjusqu'à sombrer dans ce que nous appelons le fatalismede la performance. Ceux qui voudraient s'en défairesont avertis : s'attaquer au stress, ce serait aussi risquéque de se priver d'un carburant considéré comme effi-cace (Aubert, 1991). Il résulte de ce paradoxe quel'Entreprise se comporte à l'égard de ses salariés commePygmalion à l'égard de la statue qu'il a décidé de mo-deler. A l'évidence, il apparaît bien que si notre sociétéproduit des non acteurs, non autonomes, c'est parce queles écoles elles-mêmes préparent davantage les étu-diants, ces futurs cadres, à « l'administration des chosesqu'au gouvernement des hommes ». Il résulte de cetterecherche de l'efficacité et de la rentabilité, de la per-

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formance et de l'excellence, le recours au travail salariécomme forme privilégiée d'action sociale dans lessociétés industrielles.Pour rompre avec cette situation, il convient, au planéthique, de s'interroger sur l'homme lui-même et- suivre Gusdorf pour qui il faudrait éviter de réduire,jusqu'à l'anéantir, l'espace où chaque personne se prenden charge, sapant ainsi les fondements de l'autonomieexistentielle, mais aussi les fondements de la sociétévécue et de tissu relationnel.- se rappeler Phèdre pour qui « enseigner, ce n'est pasinculquer à une âme des idées figées et sans vie, maisl'ensemencer de telle sorte que la moisson qui lèvera enelle ensemencera, à son tour, d'autres âmes, impéris-sablement »13.C'est donc d'un changement radical qu'il convient de sesoucier, d'une véritable rupture épistémologique. Celaconduit à une remise en cause de la formation en ges-tion telle qu'elle est conduite aujourd'hui et engage l'en-seignant sur la voie d'une nouvelle responsabilité.

2.2. Le nouveau profil du décideur de demain

L'enseignant possède la double responsabilité- de former les décideurs de demain en veillant à formerdes hommes qui ne « se cantonnent pas dans le splen-dide isolement de la technicité » (Gusdorf, 1977)- de mettre en place des programmes qui dénoncent « latyrannie des idées dominantes » (Allais, 1989)et, au total, de prendre position sur la nature interdisci-plinaire des connaissances.Sans doute, l'excellence demeurera encore une valeurconstante pour les années à venir. Pourtant nous consta-tons sur le terrain qu'un autre objectif s'impose : larecherche de l'équilibre. Les dirigeants d'entrepriseressentent de plus en plus le besoin d'un équilibre entrevie professionnelle et relations individuelles, réussitematérielle et épanouissement. Ce contexte n'est pas sansinfluencer le profil du décideur : disposer des avantagescombinés du leader et du manager. Le leader, avec saréflexion sur le long terme, est un vrai visionnaire. Lemanager privilégie le court et le moyen terme.

2.2.1. Les apports de Mintzberg et Aktouf Sur le plan de la formation, un des moyens de faire faceaux exigences antagonistes du leadership et du manage-ment nous est fourni par Mintzberg. Nous retiendronsles trois principaux conseils suivants.

• l'enseignement de la gestion ne devrait être dispenséqu'à ceux qui ont une substantielle expérience organ-isationnelle associée à une capacité prouvée de lead-ership et à l'intelligence nécessaire.

• l'enseignement idéal de gestion contiendra moinsd'analyse et de prescription et plus de substance

informelle et de perspicacité.• la véritable tâche de l'enseignant est de donner aux

managers les moyens d'analyser les théoriesimplicites qu'ils utilisent à la lumière d'autres optionsthéoriques dont les développements sont plus systé-matiques.

S'appuyant sur des enquêtes dignes d'intérêt et sur sapropre expérience, O. Aktouf (1989), pour sa part, attirenotre attention sur les carences des titulaires de MBAque nos entreprises semblent tellement priser.• ils manquent de perspective générale• ils ont des connaissances trop techniques et étroites• ils manquent de sensibilité humaine• ils analysent et calculent à l'excès• ils manquent de réelles capacités de réflexion• ils sont inutilement hyperactifs• ils sont souvent imbus de leur supériorité• ils sont enclins à croire tout savoir• ils témoignent d'une grande insensibilité aux valeurs

sociales et humaines• ils sont trop préoccupés du court terme.

Pour gommer ces carences, Aktouf préconise de formernon pas des salariés mais des complices, capables d'in-terpeller, en toute bonne foi et intelligence, leurs diri-geants. Mais, selon Lesourne (1981), il faut compléterce mode de « gestion interpelable » par l'ouverture aumonde, ne pas livrer nos futurs décideurs sans défenseaux agressions du monde. Il faut qu'ils « puissent seforger une grille de lecture du monde en s'appropriant ànouveau leur passé, en connaissant la genèse et les évo-lutions des autres civilisations, en se situant dans l'espace et dans le temps pour « comprendre les autrescultures », percevoir l'œuvre du temps dans la fermen-tation de la pâte sociale, prendre conscience de l'essor etdu déclin des groupes humains ». Il faut enfin, à nosfuturs décideurs, donner un sens à leur existence enréinventant une éthique de la découverte, de la créationet du dépassement. Nous, enseignants, dans le cadre d'unecoopération permanente école/entreprise, devrions êtrecapables de former ce que de Foucault appelle d'une for-mule saisissante des « acteurs éthiques », c’est-à-diredes acteurs qui mettront du sens, de l'humain, là où il ya du non-sens et de l'inhumain (De Foucault, 1991).Pour atteindre ces objectifs nous adopterons volontiersles grands principes généraux énoncés il y a déjàquelques années par Vuilliez (1978) « …former des ges-tionnaires qui ne soient plus encombrés de certi-tudes…donner des schémas flexibles de compréhensionafin de rendre les jeunes plus capables de résoudre uncertain nombre de problèmes. Enfin, plus que jamais,

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13 Platon, Œuvres complètes, La Pléiade.

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former des généralistes et diminuer, en quantité et enimportance relative les cours dits techniques ». Est-ilpossible, est-il souhaitable, de proposer un modèle deprogramme intégrant l'essentiel des recommandationset principes analysés précédemment. C'est la question àlaquelle il convient de répondre maintenant.

2.2.2. Résultats d’une étudeDans le cadre d’une étude sur le devenir des compé-tences et des métiers en Basse-Normandie, nous avonseu l’occasion de déceler des éléments intéressants quantau manager de demain. Cette étude a été réalisée ensuivant la méthode PM présentée ci-après, auprès d’unetrentaine d’acteurs-experts de tous secteurs d’activités.Cette méthode, nommée P.M pour Prospective Métiercomprend plusieurs étapes que nous détaillons dans letableau ci-après :

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Cette méthode présente l'avantage de la souplesse d'u-tilisation et de la pertinence des résultats obtenus. Elle est adaptée à une conception constructive de laréflexion sur le devenir des métiers grâce en particulierà la sollicitation d'acteurs-experts. Dans le cadre de laméthodologie P.M., que nous avons déployée auprèsd’une trentaine d’acteurs-experts représentatifs du tissuéconomique local, nous avons dans un premier tempsréalisé des entretiens en profondeur d’une heure trenteenviron, puis nous avons réalisé une analyse de contenude ces entretiens afin de pouvoir réalisé un question-naire de 145 questions regroupant tous les thèmes évo-qués lors de ces entretiens exploratoires.Nous avons réalisé 30 entretiens en profondeur auprèsd’experts représentatifs des secteurs d’activités commel’industrie agroalimentaire, automobile, le tourisme, lasanté, la banque, la grande distribution, le transport,l’imprimerie, le bâtiment, etc. Il s’agit donc bien d’uneapproche qualitative de nature exploratoire compte tenudes personnes interrogées.

Ces entretiens ont tous été réalisés de la même manièreautour de trois thèmes essentiels :

• Quelles sont les principales mutations externes (liéesà l'environnement externe de votre entreprise) quevous êtes en train de vivre et qui ont ou auront unimpact sur votre organisation et sur vos métiers ? (cesmutations peuvent être d'origine économique,juridique, technologique, sociologique ou politique)

• Quelles sont les principales mutations internes quevous êtes en train de vivre et qui ont ou auront unimpact sur votre organisation et sur vos métiers ? (cesmutations peuvent être d'origine économique,juridique, technologique, sociologique, politique ouorganisationnelle)

• et enfin, quels sont vos souhaits de changements prio-ritaires en Basse-Normandie tous secteurs d’activitésconfondus.

Après retranscription intégrale de ces entretiens, nousavons réalisé une analyse de contenu qui nous a permis

Encadré 1 : Les 4 étapes de la démarche P.M.

Les étapes

1. L'appréhension contextuelle

2. La pré-formalisation

3. La construction

4. La validation

Leurs caractéristiques

Etat de l'art théorique sur le sujet, Choix de l'échantillon des entreprises et desacteurs experts, Rédaction d'un questionnaire ouvert pour des entretiens semi-directifs, Réalisation de ces entretiens.

Analyse de contenu des entretiens et structuration du phénomène, rédactiond'un questionnaire et envoi aux acteurs-experts.

Organisation d'une journée de travail : analyse en groupes de focus et séanceplénière de confrontation.

Intégration des résultats des groupes de focus et du terrain, proposition d'unmodèle général et validation en fin de journée ; enquête en extension complé-mentaire possible.

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de formaliser un questionnaire que nous avons ensuiteadressé aux acteurs-experts. Vingt-quatre question-naires nous ont été retournés. Vingt ont pu être utiliséspour le traitement statistique. L’analyse de contenu réa-lisée puis l’exploitation des questionnaires par un logi-ciel spécialisé, nous a permis de mettre en évidence 9axes de réflexion quant à l’avenir des métiers et descompétences en Basse-Normandie. Ces axes de réflex-ion ont été ensuite soumis aux experts réunis « en cham-bre » afin de pouvoir les faire réfléchir collectivementsur ces thèmes et pouvoir imaginer des projets concretsd’action pour l’avenir des métiers et des compétencesdans la région. Nous ne présentons qu’une partie desrésultats dans cette communication.Les difficultés d’évaluation du devenir des métiers etdes compétences mettent en évidence la nécessité d’uneprise en compte de facteurs organisationnels et com-portementaux. L’évolution des modes d’organisation dutravail et des modes de vie en société sont des facteursimportants à prendre en compte dans la construction descompétences et des métiers de demain. L’étude réaliséea montré que les contextes d’activités étaient marquéspar des ruptures des frontières « classiques » de l’orga-nisation qui nécessitaient beaucoup plus de transversa-lité et de compétences comportementales. Nous avonsété particulièrement surpris de l’importance accordéepar les acteurs-experts lors des entretiens individuels àla dimension comportementale. Nous allons donc dansun premier temps présenter les principaux résultatsobtenus dans cette étude quant au comportement au tra-vail, puis nous nous attacherons à préciser les évolu-tions organisationnelles les plus à même de générer desruptures.

A. Le comportement au travailLe moment actuel semble marqué par une double ten-sion entre, d’une part un besoin de responsabilisationplus grand des acteurs aux sein des organisations et,d’autre part, une implication dans le travail moins forte.Cette double tension représente bien plus une tendancelourde que des signaux faibles, à tel point que tous lesacteurs-experts ont vivement abordé ce problème et ontsouhaité y accorder un fort développement. A titre d’exemple, nous présentons quelques verbatims signifi-catifs : « Je trouve que le problème essentiel, c'est l'engage-ment au travail. On est rentré dans l'ère des merce-naires : je viens travailler mais ce qui m'intéresse, c'estd'aller faire de la planche le week-end. Un BTS avant,il avait le profil cadre, aujourd'hui, on constate undésengagement au travail, surtout en production. Ils neveulent pas être responsables en amont et en aval de cequ'ils font. Les compétences purement techniques, ellessont transmises par l'entreprise en deux mois environ.Ce qu'on attend avant tout, c'est qu'ils aient envie detravailler ; Il y a un problème de savoir-être ».« Aujourd’hui, on n’est plus dans cette situation

offre/demande mais on a toujours des problèmes dementalités : moins de fidélité, elles nous « lâchent » encours de mission car elles ont trouvé autre chose, pluscher, plus long. Le problème, c’est que comme on est enpénurie, on est obligé de les reprendre. Il y a un véri-table climat d’opportunisme. Les mentalités ont beau-coup évolué ».« L’esprit de famille a disparu chez nous, on vient autravail mais ce n’est pas un aboutissement. C’est unproblème de société, il faut gérer les gens différemment.On nous demande de plus en plus d’accompagnementquand on recrute des jeunes. Les visions au travail sonttrop étroites alors qu’aujourd’hui, on demande de lapolyvalence, de voir large. Les gens ont de plus en plusde mal ».« En terme de comportement au travail, c’est tendanciel,on constate une approche différente du travail par rap-port à 10 ou 15 ans plus tôt. On travaille plus sur l’au-tonomie, la responsabilisation sur le produit ou sur lesite. On constate que les gens sont plus facilementabsents, en retard, pas respectueux du cadre de travail ». « Pour l’encadrement, le phénomène 35 H leur a faitprendre conscience qu’il n’y avait pas que le travaildans la vie. On note ce phénomène de séparation tempsde travail/temps de loisirs. La conséquence, on lamesure sur la façon de se comporter, d’être au travail :moins de motivation, d’implication, plus de calcul,etc. ». Les acteurs-experts réunis en groupe ont mis en évi-dence que les 35 H avaient généré de nouveaux com-portements ou accéléré des processus existants, commela baisse de la valeur travail. « On passe beaucoup detemps à planifier ses congés. Il y a des comportementsdifférenciés selon les CSP. Des cadres commencent àcompter leur temps. Des ouvriers capitalisent leur RTTet souhaiteraient les échanger contre de l’argent. Le col-lectif s’efface, le salarié réagit de manière individua-liste. Il faut développer la polyvalence des équipes pour85 % des experts. Face à ces évolutions, les pistes d’ac-tion possibles peuvent se formuler ainsi : • Soit on peut imaginer que le choc de la réduction du

temps de travail finira progressivement par êtreabsorbée et qu’un nouvel équilibre entre temps de tra-vail et temps de loisirs s’opèrera.

• Soit on considère que des actions sont nécessaires etalors les pistes possibles pour contrecarrer cette ten-dance passent semble-t-il par le développement de laformation continue en entreprise (en particulier ledéveloppement de formation continue en manage-ment d’équipe) mais aussi par le développement et lavalorisation de l’apprentissage pour les jeunes. Ladichotomie existante aujourd’hui entre le monde de laformation et le monde de l’entreprise ne peut qu’ac-centuer cette double tension. La moitié des expertsestiment que l’introduction de connaissances en psy-chologie ou la sociologie pourrait également amélior-er le comportement au travail.

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B. Les évolutions organisationnellesLes évolutions du comportement au travail sont à mettre en perspective avec les évolutions des modesd’organisation du travail. La caractéristique déjà amor-cée qui semble prendre de l’ampleur est celle de latransversalité qui a comme conséquence une ouvertureaux autres et un fonctionnement en mode projet ouréseau qui bouleverse les structures classiques. Même sices éléments ne présentent en soi aucun caractère nova-teur, il n’en reste pas moins que les organisations con-temporaines ont et auront à travailler différemment dumodèle classique taylorien hérité de quelques centcinquante ans d’industrialisation. Entre les approchesconceptuelles qui parlent depuis de nombreuses annéesde ces évolutions structurelles et les conséquences pra-tiques vécues par les acteurs en organisation, les dif-férences peuvent s’exprimer comme suit : « Ce qui me frappe globalement a trait aux compé-tences des salariés, c’est-à-dire à la nécessité d'ouver-ture du champ d'action. Ce qui caractérisait l'organisa-tion taylorienne, c'était un homme / une tâche, un postede travail. Il y avait une segmentation très forte. C'estdifférent de ce qu'on attend aujourd'hui. On attend unchamp d'observation de leur environnement plus large.Chez nous par exemple, un conducteur de tour, il a lamaîtrise en amont du flux et en aval, il doit faire atten-tion au mélange. Son environnement de travail s'ouvre,il a des problématiques nouvelles, il est une interface :idée de chaîne humaine ».« De même pour le comptable, avant il rentrait deschiffres. Aujourd'hui, il doit être capable d'être critiquepar rapport aux chiffres qu'il rentre. C'est la mêmechose pour les commerciaux. Avant, ils devaient vendre.Aujourd'hui, ils doivent s'assurer en plus de leur mis-sion de base que les clients payent bien, qu'ils sont sol-vables, que ce qu'ils vendent existent bien en produc-tion, etc. une des compétences primordiales : l'ouver-ture : capacité à regarder ce qui se passe autour. Ontravaille de plus en plus en groupes projets transver-saux pour résoudre des problèmes ponctuels et demoins en moins en logique pyramidale ».« Un autre point très important est le développement dufonctionnement matriciel et des projets. Avant on avaitun client = une entreprise. Aujourd’hui, on peut avoirtrois entreprises qui vont travailler avec un mêmeclient. Il faut donc que l’on monte un projet et un chefde projet qui va diriger les interventions de nos troisentreprises chez un même client. Au début, les salariésétaient « paumés » quand on leur parlait de projet. Ona d’ailleurs beaucoup de mal à trouver des chefs deprojet ».A côté de compétences techniques spécifiques, ce sontdes compétences comportementales qui seront néces-saires, du type : S’adapter facilement, Travailler enéquipe, S’adapter aux valeurs de l’entreprise, Jouer latransparence, Respecter l’autre, Etre autonome.

L'organisation de demain, c'est l'organisation-projet.Cela nécessite de :

• Développer des formations à la gestion de projet :100 % des experts d’accord

• Développer l'autonomie et la responsabilisation :100 % des experts d’accord

• Développer la capacité à travailler ensemble (espritd'équipe) : 95 % des experts d’accord

• D'avoir une approche systémique de la finalité de sonposte : 95 % d’experts d’accord

Le développement des structures projets implique unchangement dans les compétences recherchées des indi-vidus. Autonome et responsable sont les deux qualitésdu salarié appartenant à un groupe projet. Des forma-tions seraient donc souhaitées pour développer cescapacités chez l’individu. Notons également que l’indi-vidu doit avoir conscience de la finalité de son travail.De plus en plus, chaque collaborateur doit avoir unevision systémique de son environnement de travail. Cetapprentissage pourrait certainement se concevoir danstous les programmes de formation initiale par un effortde décloisonnement des enseignements.De plus, pour une majorité des experts, il sera de plusen plus difficile de trouver des individus acceptant deprendre des responsabilités. Il y a lieu également deréfléchir sur l’évolution des conditions de travail quipeuvent en partie expliquer les évolutions comporte-mentales précédemment citées. Pour devenir manager,il ressort de l’étude que les compétences en manage-ment seront de plus en plus importantes. Cela passe parle développement de formations de cadre au manage-ment sur des thèmes tels que : Communication interne ,Entretien annuel d'évaluation, Management d'équipe.La capacité à manager une équipe nécessite en effet deplus en plus des compétences particulières en matièrede communication et d’évaluation du personnel.

3. Comment penser la normalisation des savoirsdu manager ?

La prise compte de ce qui précède nous engage à pro-poser une formation proche de l'action (Paquet etGelinier, 1991) et mettre en place un programme quireprésenterait, pour parler comme Gusdorf, « une sortede contrepoison épistémologique de la spécialisation etserait une pensée qui rassemblerait par opposition à lapensée qui divise et subdivise ».

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3.1. Plaidoyer pour une interdisciplinarité des connaissances

Une formation proche de l'action est une formation qui,selon la terminologie dite d'Ottawa, définit le conceptfondamental de « type Delta ». Cette connaissance detype Delta14 procède d'une tradition qui va chercher sesracines chez Aristote et Thomas d'Aquin à une époqueoù la philosophie pratique dominait et où il était de bonaloi de pratiquer les quatre vertus cardinales :• prudencia : avoir le sens de ce qui est possible• justicia : avoir le sens de ce qui est bon• fortitudo : avoir le sens du tout• temperentia : avoir le sens des limitesLe territoire de connaissance delta – le verbal, le spéci-fique, le local, le ponctuel – est celui du monde de laréflexion dans l'action, de la pensée par, dans et pour l'a-gir. La connaissance de type delta va prendre en compteles principaux éléments fondamentaux suivants :• elle emploie une méthode heuristique fondée sur une

épistémologie de la pratique• elle privilégie une approche centrée sur le savoir faire

au lieu du savoir théorique• elle favorise l'informel et permet d'imposer une péda-

gogie exploratoire qui donne le goût d'expérimenter,de découvrir. En fait, l'avènement de ce paradigmen'est pas nouveau. Paquet (1991) reconnaît lui-mêmeque, déjà en 1938, Barnard, l'un des théoriciens lesplus renommés du management, distinguait les« processus de pensée formelle » des « processus nonlogiques ». Il soulignait que « la tendance à la penséeformelle qui aveugle les spécialistes des sciencessociales les empêche de voir les processus non-logiques omni-présents dans la pratique efficace ». Lemessage de Barnard fut repris notamment, commenous l'avons vu plus haut, par Chanlat/Dufour en1980 ainsi que par Sadler en 1984 : «Managementhas much less to do with rationality, logic and quan-titative analysis than we previously believed and ismuch more closely related to non-rational elementssuch a vision, creativity, leadership and attitude ofmind».

Le développement de cette faculté de pensée créatricesera favorisé par l'avènement de la perception, du leadership et par la combinaison d'apprentissage parexpérience et de partage de cette expérience avecd'autres. La prise en compte de cette dimension renvoieà la valorisation par Mintzberg de l'intuition, de l'im-plicite, de l'expérimental de l'hémisphère droit, paropposition à la logique, l'explicite, le théorique del'hémisphère gauche. Elle permet de favoriser ce quenous avons appelé « l'invariance de la marge de ma-nœuvre » indispensable à tout acteur en situation dedécideur (Yanat, 1987). Fondée essentiellement sur l'in-duction et l'émergence du savoir commun, la connais-

sance de type delta nous permet, selon les principes del'ethnométhodologie (Yanat, 1990) de « coller » à laréalité et, selon l'expression de Gélinier, de « trouverdes solutions pour l'action dans une configurationinédite de circonstances et de buts ». Pour Gélinier,l'émergence du concept de « connaissance de typedelta » devrait permettre de positionner le système édu-catif et l'ensemble des entreprises sur un même créneaude responsabilité : « cesser de gérer les carrières par lesdiplômes pour les gérer davantage par les résultats surle terrain » (1991).

L'avantage méthodologique est de faire un va et viententre théorie et pratique :

• recourir à la théorie, c’est-à-dire aux connaissancesvéhiculant le discours et la méthode nécessaires aumétier du futur décideur mais qui ne permet pas d'ytrouver une réponse complète.

• retour au concret – connaissance delta – pour puiserdans son expérience et son imagination une approchenouvelle.

Dans ces conditions, l'institution doit fournir des con-naissances formalisées, adaptées aux emplois consi-dérés, l'Entreprise doit s'engager à y ajouter le savoirfaire du métier enrichi par l'école de la vie quidéveloppe le savoir vivre, la communication, la culture,le caractère, la capacité d'écoute produites. On rejointici les travaux de Chris Argyris et Donald Schön quidistinguent deux formes d’apprentissage au sein d'uneorganisation.En premier lieu, il y a apprentissage en simple bouclelorsque les membres d'une organisation se bornent àchanger de stratégie d'action sans s’interroger sur lesvaleurs qui les sous-tendent. Un tel apprentissage serencontre lorsque les membres de l'organisation, à com-mencer par ses dirigeants, effectuent des attributions,portent des jugements et défendent leur point de vuesans expliciter leur raisonnement, sans vérifier le bien-fondé des attributions émises ou des évaluations qu'ilsont faites. Deuxièmement, l’apprentissage à doubleboucle consiste à remettre en question les valeurs quiguident les stratégies d'action. Les valeurs les plus pro-pices à ce type d'apprentissage sont celles qui inclinentles individus à disposer d'informations valides pourfaire les choix informés et à contrôler la mise en œuvrede ces choix pour pouvoir repérer et corriger les erreurs.De la part des dirigeants de l'organisation, cela supposede savoir défendre son point de vue, faire des évalua-tions et émettre des attributions en illustrant ses propos.Pour cela il invite autrui à confronter son raisonnement,et cherche à tester la validité de ses attributions et ses

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14 Appelé ainsi par Gilles et Paquet, texte rédigé en février 89 à l'in-tention du comité du conseil en recherches en sciences humaines duCanada.

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évaluations. Pour Argyris et Schön (1978) une organi-sation est apprenante lorsqu’elle parvient à réaliser demanière durable un apprentissage en double boucle.

3.2. De la normalisation des savoirs du manager de demain ?

Dans un tel contexte, on constate que la normalisationpermettrait de jeter les bases des fondamentaux exigéspar les organisations et donc des savoirs que le systèmede formation devraient développer pour former lesfuturs managers. Il apparaît au travers de cette re-cherche exploratoire que les choses sont loin d’être sta-bilisées et qu’il semble difficile de s’engager dans unprocessus de normalisation. En effet, ce type de proces-sus est long, complexe et demande beaucoup d’énergiede la part des acteurs concernés. Nous rappelons lesgrandes étapes de normalisation ci-après. Le cycle de la normalisation est généralement composéde cinq phases : • La phase initiale peut être qualifiée d’embryonnaire.

C’est le moment où un secteur ayant reconnu lanécessité d’établir des normes, cherche à en déter-miner les contours en fonction des conditions de sonenvironnement (besoins de la clientèle, état de latechnologie…). Cette phase permet de recenser et d’i-dentifier les exigences auxquelles les normesdevraient répondre. C’est en quelque sorte l’étape del’élaboration du cahier des charges.

• La deuxième phase est celle de la définition ou del’élaboration de spécifications. Pendant cette phase,les intervenants (développeurs, consortiums, groupesde travail…) élaborent des ensembles structurés etprécis de spécifications techniques visant à répondre,de façon opérationnelle, aux exigences recenséesdans la phase précédente. A ce stade, les intervenantsn’agissent pas nécessairement encore de façon con-certée. Chacun y va selon sa vision des choses et sonpropre agenda. Des efforts de rapprochement se fontsentir et conduisent à des tentatives de collaboration.C’est aussi le stade où le besoin se fait sentir pour le« testing » et « l’évaluation » des produits et servicesélaborés selon les spécifications connues. En effet, cequi assure la validité des spécifications se résume endeux mots : leur stabilité et leur testabilité.

• La troisième phase est la phase de testabilité. C’est àce moment qu’apparaissent ou se consolident desgroupes qui développent des projets pilotes, des pro-totypes, etc., susceptibles de tester la validité des spé-cifications dans la réalité concrète. Plus les tests sontconcluants et plus ils sont répétés et affinés, plus lesspécifications sont jugées « stables ». C’est à cemoment que des documents écrits sont préparés afinde préciser les spécifications et leur donner corps.

• La quatrième phase est celle de la standardisation. Ace stade, le raffinement et la consolidation des acquisde l’expérience se font sentir. Les succès des modèlessont comptabilisés et se confirment. Les échecs sontéliminés ou retournés à la planche à dessin. A cestade, se développent ce que l’on appelle des « stan-dards de fait », c’est-à-dire des modèles dominantsqui prennent le pas sur l’industrie et s’imposentd’eux-mêmes comme des exemples à suivre. C’estaussi à ce moment qu’apparaissent, ou se spé-cialisent, des organes d’accréditation ou de certifica-tion en mesure de garantir la conformité de produitset services aux standards devenant ainsi des « stan-dards de droit » ou « standards accrédités ».

• La dernière phase est celle de la normalisation. C’estla phase où les standards venus à maturité sont dis-cutés, validés et sanctionnés officiellement dans lecadre d’un processus ouvert qui vise à assurer un hautdegré de précision et de consensus. Ils deviennent desnormes. Cette étape intervient à la fin et ne peut êtreexercée que par un organe reconnu légalement à cettefin sur un plan national (norme nationale), régional(norme régionale) ou international (norme interna-tional type ISO).

En effet comme le rappellent Gintrac et Igalens (2002) :« la norme n’est jamais simple à définir, car soumise àdes forces contraires qui déterminent sa qualité : l’ap-plicabilité d’une norme pousse à sa simplicité (petitnombre de critères, souvent quantitatifs) tandis que sapertinence exige une plus grande complexité pour luipermettre de mieux embrasser le réel (critères plusnombreux et plus qualitatifs) ». C’est dire que l’ho-mogénéité doit être produite, grâce à l’édiction denormes ou standards, qui assurent une communauté decontenu : il s’agit essentiellement d’user de définitions(indicateurs, ratios, nomenclatures, etc.) et de procé-dures de collectes similaires. Les effets de cettehomogénéisation sont tantôt réels, tantôt illusoires(Besson, 1988), mais ils ont un point commun, la réduc-tion du sens de l’information. La normalisation rap-proche effectivement, mais c’est au prix d’un appau-vrissement du langage (par extension de la synonymie),qui se répercute sur la production d’information, car lanomenclature est la syntaxe du système informationnel(Comte, 1989).L'intérêt d'une analyse des savoirs dans la perspectived’une normalisation est multiple. Tout d'abord, mettreen évidence l'évolution des savoirs requis sur un métierdonné permet de cerner un élément de base de la com-pétence. De plus, cette analyse permet de s'interrogersur le contenu des formations initiales ou continuesnécessaires aux métiers de demain. Dans une optique demanagers opérationnels, cette analyse permet defaciliter les démarches de recrutement ou de gestion decarrière. Afin d’engager une démarche de normalisationdes savoirs du manager de demain, il serait intéressant

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de partir des quatre types de savoirs mis en évidence parProbst et Buchel (1995) :

• Le savoir de référence : (dictionary knowledge ou« What ») qui comprend les définitions, les descrip-tions utilisées et partagées par les membres de l'or-ganisation, et tout le langage spécifique.

• Le savoir relationnel : (directory knowledge ou le« How ») qui comprend la connaissance des person-nes et les pratiques communes de travail ainsi que lesrelations de causes à effet généralement admises.

• Le savoir procédural : (recipe knowledge ou le« Should ») qui comporte les règlements et recom-mandations.

• Le savoir axiomatique : (axiomatic knowledge ou le« Why ») qui englobe les axiomes et hypothèses quisous-tendent les actions de l'organisation telles queles valeurs ou objectifs de l'entreprise.

Pour conclure provisoirement

Dans ce cadre, cette contribution a pour objet de montr-er que :• toute formation professionnelle qui viserait à l'accu-

mulation pure et simple de connaissance pours'adapter au réel serait incomplète sans le développe-ment de capacités à s'auto interroger avec humilitésur la relativité des acquis

• inversement, toute « formation générale » qui viseraità un apprentissage de la créativité et des facultés deconstruire du réel serait incomplète sans la prise d'ap-pui sur le résultat de connaissances antérieures.

Notre démarche• ne fut pas tant de valoriser la thèse du savoir moderne

contre celle du savoir établi, le savoir de type forma-tion générale contre le savoir de type formation pro-fessionnelle, les connaissances de type delta contre laconnaissance de type alpha, bêta, gamma, le profil dedécideur analytique.

• que de mettre en valeur des nouvelles grilles desavoir.

Cela peut certes ébranler certaines convictions, ouvrir lavoie à d'autres réflexions pour enrichir les débats et lacommunication mais parfois aussi générer des résis-tances réelles.

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Normalisation et savoirs du manager de demainAline SCOUARNEC - Zahir YANAT

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Investors In People, norme sociale privée britanniqueen France - Retourd’expérience despremières applications : del’exposé des motifsà l’évaluation depertinence.

Véronique SOL-HERNANDEZChargée de mission, Développement Nouveaux Projets« Développement Durable et Compétences »Chambre de Commerce et d’Industrie, DE MONTAUBAN ET DE TARN ET [email protected]

I nvestors In People (IiP) ou « Investir dans sonpersonnel » est un référentiel de certification demanagement des ressources humaines ; il fournit

un cadre de travail aux organisations qui souhaitentaméliorer leur performance par le développement del’ensemble du personnel. Il constitue un outil à l’usagetant des responsables que de l’ensemble du personnel,permettant notamment d’évaluer les bénéfices globauxdes actions exercées en faveur du personnel et l’impactdes actions sur la performance de l’individu, de l’équipeet de l’organisme.A l’origine, les initiateurs du référentiel (gouvernementbritannique) n’avaient pas pour propos de créer unenorme internationale mais bien de trouver réponse à unepréoccupation politique interne : l’accroissement del’efficacité économique des entreprises britanniques.Une analyse des pratiques des entreprises les plusperformantes avait identifié des liens de cause à effetentre les pratiques stratégiques de management etl’efficacité des résultats de l’organisme. L’originalité tient dans la rédaction d’un référentiel dontl’apparente facilité de lecture ne doit pas occulter leniveau d’expertise pour le mettre en œuvre. La qualitédes résultats des entreprises certifiées a conduit à unessaimage notamment par l’intermédiaire des filialesdélocalisées des entreprises britanniques. A cetteoccasion, des organismes de pays étrangers ont« découvert » la référence et en ont organisé le recourssur leur territoire. C’est dans le cadre d’une veille surles outils mobilisateurs d’une professionnalisation del’approche « capital humain » dans les PME-PMI pourrépondre à diverses pressions endogènes et exogènes(partie 1) que la Chambre de Commerce et d’Industriede Montauban et de Tarn et Garonne (CCI.) a identifiéla version d’origine de Investors In People. Cetteversion a été analysée, présentée à un panel d’expertsRessources Humaines et Qualité, puis à des entrepriseslocales, à des organismes représentatifs d’intérêtséconomiques et sociaux, aux pouvoirs publics locaux.La convergence des « a priori » permit de structurer lesconditions d’une démarche pilote pour valider lafaisabilité d’une déclinaison adaptée au contextefrançais tout en sauvegardant les bénéfices de laméthode d’origine. Cette expérience d’une durée de trois ans (2000-2003),soutenue par des partenaires publics et institutionnels apermis à des entreprises de secteur et d’effectifdifférents de déployer un management selon les valeursdu référentiel et d’être certifiées « entreprise Investor InPeople ». (partie 2) L’observation de cette expériencepermettra notamment d’apprécier l’adaptation (et non latransposition) d’une logique « management deshommes » initiée dans un contexte spécifique (leRoyaume-Uni, début des années 1990) dans un cadreéconomique, social, culturel et juridique différent (laFrance, début des années 2000 et plus spécifiquementencore, dans la région Midi-Pyrénées).

Investors In People, norme sociale privée britannique en FranceVéronique SOL-HERNANDEZ

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1 - Principales attentes à l’égard d’une démarchede management par lescompétences

La recherche de l’avantage concurrentiel pourl’entreprise est synonyme d’une quête continue de lacombinatoire optimale entre les trois leviersd’amélioration de la valeur ajoutée créée : l’outil(moyens techniques, équipements, infrastructures…), laméthode (organisation du travail, structuration etgestion des processus d’activité,…) et la Compétence.Si les deux premiers leviers ont fait l’objet d’attentionsfinancières, fiscales et plus récemment Qualité, le levier« compétence » semble être redécouvert avec unepuissance qu’illustre la très complète littérature de cesdernières années tant dans le domaine de la recherchefondamentale que dans la documentation profession-nelle. La norme ISO 9001 dans sa version de décembre2000 consacre dans son chapitre 6-2 la nécessité de saprise en compte pour l’efficacité du processus enparticulier et de l’organisation en général. AFNORpubliait en 2002 un fascicule de documentation relatif àla gestion des ressources humaines dans un système demanagement qualité 1. Le principe selon lequel « lecapital humain constitue le moteur de la réussite » 2

apparaît comme objet d’un consensus partagé au niveaumicro et macro économique, normatif, scientifique etpolitique. Le 22 octobre 2003, Monsieur le MinistreFrancis MER introduisait la conférence de lancementd’un « web livre » porté sur le site Internet du Ministèrede l’Economie, des Finances et des Finances (MINEFI)« Capital humain : mode d’emploi pour les PMI » 3 etvalorisait la « matière grise » comme la seule ressourceinépuisable de la France. Attendue comme un levier de performance, la ressourcehumaine serait, tant dans le discours que la convictiondes praticiens le dernier levier de « productivité »disponible : les gains potentiels sur les leviers « outils »et « méthodes » devenant marginaux dans lesentreprises ayant acquis une organisation rationnelle.Comme le démontre P. Iribarne, l’équation : E = MC2

(ou E= efficacité, M= motivation, C= compétence) 4

devient pour le dirigeant la nouvelle (?) clé del’amélioration de son entreprise. Mais l’apparentesimplicité de la formule ne peut cacher la difficulté, nonseulement d’appréhension des concepts derrière cestrois mots, mais aussi des techniques et méthodes pourdéclencher la relation attendue. On sait que laperformance ne résulte pas de la simple juxtapositiondes compétences et performances individuelles, lasynergie entre les éléments produisant des effets d’un

ordre différent et une mobilisation collective peutdéboucher sur une compétition entre les acteurs dès lorsque les mécanismes de coordination destinés à assurerla cohérence globale ont maladroitement relié lesmissions par exemple.

1-1 L’équation : E = M C 2

A. Bichon 5 relève la tendance à l’intensification del’individualisation des pratiques de gestion des hommespour stimuler la performance individuelle, faireprogresser les compétences et potentialités des acteurs.Cette pratique s’inscrit dans un courant sociétal quiprône l’individualisme, l’affirmation et la réalisation desoi : le personnel doit être autonome, responsable etcréatif. L’évaluation personnalisée de la contributionproductive de la personne, la gestion des classificationset évolutions professionnelles, l’individualisationsubséquente des rémunérations contribuent à la mise enœuvre de « contrats personnalisés » de travail.Néanmoins des pratiques opposées (grégarisation)participent de l’objectif de consolider le travaild’équipe et privilégient l’évaluation par les pairs et lessystèmes de rémunérations variables collectives :l’objectivation collective protège notamment le salariéd’un potentiel arbitraire managérial. Entre grégarisation et individuation, le dirigeantrecherche toutefois à faire converger les effortsindividuels et collectifs en les intégrant dans unedynamique globale satisfaisant à ses objectifs et encongruence avec ses valeurs. (Cette recherche prend unsens tout particulier dans les PME-PMI dès lors que lafonction ressources humaines n’est pas assurée par desspécialistes mais par le dirigeant lui-même, leresponsable administratif et financier, ou un autreproche collaborateur du dirigeant.)

1-1-1 La notion de compétence

« Ce que recherche l’entreprise n’est pas seulementque les personnes aient des compétences mais

que les personnes sachent agir avec compétence en situation de travail » 6

La compétence globale se définit alors comme lacombinaison des ressources optimales de la personne etla mobilisation des ressources externes pour produire lerésultat attendu (le prescrit). La personne sélectionne,combine et mobilise l’ensemble le plus pertinent desressources personnelles (aptitudes, connaissances,savoir-faire méthodologique ou technique, ressourcesémotionnelles, leçons de l’expérience, comportementsprofessionnels,…) et des ressources externes ou outils(procédure, instruction, réseau de coopération, fiche decapitalisation de savoir…). La compétence globale secaractérise par la capacité à combiner ses ressources

Investors In People, norme sociale privée britannique en FranceVéronique SOL-HERNANDEZ

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(agir avec compétence) et non par leur seule possessionqui ne témoigne alors que d’une simple connaissance(être savant). (cf. note 5). La performance s’analyse auniveau du résultat atteint : elle est l’attestation de lacompétence. La compétence s’appuie sur trois leviers classiquementidentifiés par : « vouloir – savoir - pouvoir ».Le savoir correspond aux diverses ressources,apprentissages, échanges, accompagnement, expéri-ence, formation. Le pouvoir résulte de la dotation enmoyens de l’organisme notamment les méthodes mêmed’organisation du travail, la définition des missions etattributions, les conditions de travail, les réseaux… Levouloir participe du sens donné à l’emploi, de l’imagede soi, de la reconnaissance et du contexte incitatif danslequel la personne s’inscrit 7.La compétence de la personne a des origines exogènesque l’organisme doit s’appliquer à optimiser.Le fascicule de documentation AFNOR FD X 50-183pré-cité synthétise les principaux paramètres d’actionet/ou d’attention que le management doit privilégier.

Les auteurs du fascicule précisent que la compétence estun processus itératif, qui ne se voit pas, (seul sonrésultat est observable) et qui s’acquiert, se développe,s’entretient, se perd, se réduit, devient indisponible ouobsolète. Elle n’est en aucun cas un acquis pour lapersonne donc pour son employeur. Pour le dirigeant, identifier les compétences requises etdisponibles pour son activité est un exercice d’autantplus délicat qu’il doit identifier les moyens qui lacontingentent et fournir l’environnement approprié àson développement. La compétence implique uneattitude active des deux parties qui repose sur le« vouloir » dont le lien avec la motivation est assuré parl’étymologie « mettre en mouvement ».

1-1-2 La notion de motivationElle ne se décrète pas et ne peut se confondre avec laseule satisfaction de la personne qui en est unecomposante mais seulement une composante.

La dualité identitaire des individus les conduit àcombler simultanément leur besoin d’appartenance etleurs souhaits de singularisation ; le compromisnécessaire est parfois difficile à atteindre dès lors queles managers, notamment les responsables de proximiténe sont pas formés à la gestion des relations humaines. En 2002 une enquête internationale GALLUP relevaitque 26% de salariés se déclaraient activementdésengagés de leur entreprise (pour 32% qui sedéclaraient engagés envers leur société). Sans lamotivation, la compétence se perd ; les conditionsd’adéquation entre l’organisation et les variablespersonnelles ont pour objectif de développer descomportements positifs et performants chez lessalariés 8. De nombreuses théories ont contribué à la conception etmise en œuvre d’outils et méthodes de managementsans que « La Solution » universelle puisse êtreidentifiée : • Selon la théorie des besoins, la motivation résulte des

activités déployées par la personne pour obtenir lasatisfaction de ses besoins.

• La motivation intrinsèque mobilise la personne sur lesactivités liées au plaisir, l’intérêt et contribue à sonbesoin de se sentir compétent et auto-déterminé.

• La capacité motivationnelle selon la théorie deHackman et Oldman repose sur cinq caractéristiquesinterdépendantes s’agrégeant dans la formule :

variété des compétences + identité de la tâche +importance de la tâche)/3 * autonomie * feedback

Si les deux dernières caractéristiques sont proches dezéro, le score se rapprochera de zéro. Par contre, unscore faible sur les premières caractéristiques seracompensé par la force des deux dernières (axes clésde Investors in People)

• L’approche affective positionne le travail commecontribution à l’estime de soi et développe ou non uneappartenance psychologique ressentie à l’égard del’organisation.

• Le concept de justice organisationnelle issu de lathéorie de l’équité prend sa source dans lacomparaison par le salarié de sa contribution et de sarétribution dans le temps et l’espace. La rémunérationconstitue une marque d’estime et devient un outild’action sur les comportements pour motiver,développer ou reconnaître et satisfaire selon l’axeintrinsèque ou extrinsèque de la motivation (soit lié ounon lié au contenu de travail) 9.

• La théorie de la métacognition, sur laquelle repose enpartie le référentiel Investors in People, identifie lelien causal entre les attentes et la motivation. Lesobjectifs sont considérés comme les régulateursimmédiats de l’activité de la personne. Pour être« motivant » l’objectif doit :- Attirer l’attention (orientation de l’effort).- Mobiliser les efforts sur les tâches permettant

d’atteindre les objectifs (intensité de l’effort).

Investors In People, norme sociale privée britannique en FranceVéronique SOL-HERNANDEZ

compétencecompétence

DESIRDESIRsens

motivation

CONNAISSANCESCONNAISSANCES

Générales

spécialisées

EXPERIENCEEXPERIENCE

analyse résultat

capitalisation

COGNITIONCOGNITIONcapacité

d ’assimilation -aptitudes

potentiellesORGANISATIONORGANISATION

formation - tutorat

échanges, ….

POUVOIRPOUVOIRdroit -

hiérarchie

maîtrise..

ERGONOMIEERGONOMIE

Agencement duposte - horaires -

santé

RECONNAISSANCERECONNAISSANCE

diplôme - qualification -confiance - rétribution -

sanction

RELATIONNELRELATIONNEL

Communication -ambiance -

harcèlement,..

VALEURSVALEURSculture - croyances

rituel d ’entreprise

Figure 1 : FD X 50-183 - annexe A

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- Encourager la mobilisation des efforts sur la tâche(persistance de l’effort)

- Faciliter le développement de la stratégie (gestiondes efforts)

L’indicateur de la motivation est donc ici l’effort qui,quand il s’élève, génère une attente de rétribution, dereconnaissance significative et proportionnelle.Cette approche cognitive participe d’une théorie desavantages comparatifs : le salarié évalue les bénéfices etles coûts professionnels et personnels de sonimplication ; ceci engendre un processus de jugement.Néanmoins cette attitude peut se réaliser par défaut(implication « faute de mieux » !)Le postulat selon lequel la motivation est actionnablegrâce à des dispositifs managériaux de plus en plusnombreux ne peut occulter leurs dérives potentielles etles excès tels : l’engagement peut conduire à unesoumission, manipulation, conditionnement (manage-ment « gourou »), la congruence « individu-environnement » peut générer des erreurs, dérives,stress ; l’évaluation de la performance induit celle de lanon performance justifiant de frustrations,insatisfactions, manques…10

Z. Yanat a relevé les contradictions du managementactuel 11, contradictions qu’il convient de gérer,d’anticiper en reconnaissant au salarié une qualité deClient interne. Ces oppositions sont liées à la dualitépropre à la personne et se traduisent par :- la recherche notamment de mesure et de quantitatif

pour reculer les limites de l’arbitraire et sécuriser lesfondements des décisions contre le besoin affectif etl’attachement au parcours professionnel ;

- par le besoin de procédures et de normes pour éviterl’anarchie et assurer la régulation des relations et desefforts contre le besoin d’autonomie et de créativité ;

- par l’instrumentalisation notamment en matière degestion des ressources humaines et des compétencescontre le besoin de donner un sens, une valeur, uneéthique à l’activité.

Le dépassement de ces contradictions résultera tantd’une politique anticipatrice notamment en terme dedéploiement des objectifs que d’un comportement auquotidien des managers.

Cette considération du salarié comme Client internedont la satisfaction est essentielle à la réussite del’entreprise a été présentée par JM Perreti en 1998 quien 5 mots clés résument les attentes :

Equité – Employabilité – Epanouissement – Ethique – Ecoute

Très factuellement, ces cinq « E » peuvent constituerpour le dirigeant les valeurs à décliner dans sa balancedscorecard sur l’axe personnel. Trois éléments essentiels(que l’on retrouve dans la norme Investors in People)doivent garantir le succès de cette gestion desressources humaines : le support de leaders clés, uneculture forte et une utilisation efficace des ressources

humaines 12 La fonction Ressources Humaines prenddès lors une dimension stratégique en recherchant laconciliation de l’économique et du social. Mais cettefonction est encore méconnue dans nombreuses PMI-PME.Un outil d’évaluation de la motivation déployé en2003 13 auprès d’entreprises volontaires confirme lepostulat selon lequel on peut établir un scoring duniveau de motivation des salariés et de l’encadrement etidentifier les bases vectrices de motivation du systèmede management et de la personnalité de la Direction ;néanmoins la capacité d’analyse que l’on en retire nepermet pas d’assurer un quelconque prédictif. Lesrésultats permettent un descriptif et un explicatif etisolent les axes forts du potentiel motivant d’un systèmeà un instant T.Dans un sens équivalent, M. Brasseur 14 conclut sonanalyse de l’implication des salariés sur le constat desimplications multiformes et reliées aux situationssingulières des individus en relevant que les dimensionsaffectives, cognitives et conatives peuvent êtresollicitées conjointement. Tout en reprenant la formule de M. Thévenet

« On ne peut pas impliquer les personnes, ce sont elles qui s’impliquent ! »,

M. Brasseur relève aussi en quoi l’implication peut êtresource de résistance.Dès lors le dirigeant PME-PMI aura tendance àreconnaître la motivation par sa répercussion sur lerésultat obtenu soit la performance individuelle.

1-1-3 La notion de performance

La performance se définit consensuellement comme lerapport du résultat obtenu sur les moyens mis en œuvrepour l’obtenir. Elle est le résultat positif d’une action ;ce résultat est mesurable. Elle est la résultante d’unensemble de facteurs dont le plus récurrent est lamotivation associée à la compétence des personnes.Face à la nécessité d’impliquer, les managers ont pourmission de mettre en œuvre la démarche la plusefficiente pour impliquer le personnel. Si l’on admet la définition du management 15 comme :

(1)Assurer la survie et le développement d’un système (2) Garantir un niveau de sécurité en lien avec l’activité

(3) Créer de la richesse et de la valeur,

le métier de Manager va donc consister à diriger,conduire, organiser pour une stratégie donnée, desindividus ayant à atteindre des objectifs fixés. Simanager les personnes équivaut à les conduire à laperformance, alors c’est obtenir des résultats non parsoi-même mais par l’intermédiaire des autres enmobilisant les ressources à disposition. Une démarchepragmatique en sept étapes est traditionnellementpréconisée par les consultants en organisation auxdirigeants 16 :

Investors In People, norme sociale privée britannique en FranceVéronique SOL-HERNANDEZ

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1.Expliquer la mission, la situer dans son contexte,préciser les finalités et le périmètre desresponsabilités.

2.Définir les objectifs, les priorités et déterminer lesindicateurs pour apprécier l’atteinte des résultats.

3. Identifier les compétences requises et disponibles, le« comment faire ? ».

4.Superviser et assurer la complémentarité des diversesactions.

5.Evaluer la contribution, apprécier les résultats,assurer le feedback et les encouragements.

6.Assumer la contrepartie (rétribution).7.Prévoir et assumer l’évolution de carrière,

l’employabilité soit la capacité de l’individu às’adapter à une situation de travail et d’emploi eninterne comme en externe.

La pratique témoigne de la difficulté de certaines PME-PMI à satisfaire aux deux premières étapes en raison del’historique des pratiques professionnelles, d’un tempsde travail légal réduit qui impose la polyvalence denécessité, d’une promotion au poste d’encadrement de« techniciens » qui ne sont pas nécessairement formésou aptes aux fonctions de mobilisation d’équipe ouencore des ruptures de l’environnement économiqueimposant une flexibilité incompatible avec la définitiond’axes stratégiques à moyen terme, la réactivitél’emportant sur la pro-activité.Dès lors que la compétence se définit par le résultatobtenu, que la motivation implique un effort pourobtenir un résultat reconnu, l’absence de définitionprécise de responsabilité et d’objectif ou des indicateursdestinés à apprécier les conséquences de l’action peutengendrer une dispersion des actions et une dilution desefforts nonobstant une volonté réelle des personnes debien collaborer et de contribuer au succès del’entreprise.

Tous les observateurs s’entendent à constater l’attentionplus forte portée à l’implication des hommes et à leurcontribution à la performance globale de l’organisation.Toutefois, les experts insistent sur les limites d’unrecours à un développement exponentiel du couple« compétence/performance » et le hiatus entre lescompétences de l’homme à la fois immenses quant àson potentiel créatif mais très limitées quant à sonpotentiel biologique. Les analogies entre entraînementdes sportifs et dynamique des équipes de travailtraduisent une course à la compétitivité et en parallèlel’évaluation continue et la tension voire la « peur » quipeut en découler qui n’est pas sans emporter des risquesrelevés par le BIT dont les informations statistiques surle niveau de stress et de dépression chez les salariés sontalarmantes 17. La recherche de la performance ne doitpas en entraîner le culte et les systèmes d’évaluation desperformances se doivent d’être attentifs auxconséquences qu’ils peuvent induire dans une approchepérenne et durable des compétences et de la motivation.

Le management par les compétences tel qu’il estentendu 18 intègre alors des éléments de prise en comptede « l’humain » et du niveau de raisonnable /supportable / durable dans la recherche de performance.Le modèle EFQM dans son critère 7 relatif aux« résultats personnel » implique deux types de mesuredont la corrélation permet d’évaluer la qualité dumanagement : la mesure de la perception par lepersonnel (motivation et satisfaction : critère 7a) et lesindicateurs de performance (mesures internes effectuéespar l’organisation pour suivre, comprendre, prévoir etaméliorer les performances du personnel et pouranticiper la perception de l’organisation par lepersonnel : critère 7b). Il en découle une veille sur lemaintien à minima du niveau de motivation et desatisfaction et la rétroaction performance/motivation.

La problématique se situe donc dans la mesure del’efficacité du management des compétences dès lorsque les enjeux nombreux et polymorphes qui pèsent surles entreprises accroissent la pression sur la réussite dela combinatoire et développent une sensibilisation auxenjeux du management des compétences.

1-2 Les enjeux de la combinatoire :compétence - motivation -performance

Jeanne Seyvet, Directrice Générale de la DIGITIP 19,dans l’éditorial de l’ouvrage « Capital humain : moded’emploi pour les PMI » s’interroge sur les causes del’implication croissante des dirigeants et isole la facteurclé 20 que constituent la mondialisation de l’économie etl’exacerbation de la concurrence. La production dequalité au meilleur prix n’est plus un argumentsuffisant : il faut concevoir, produire, innover plus vite.Seul un développement des compétences et une gestionoptimale du capital humain permettent le dynamismenécessaire à la performance économique. Le postulat de la ressource humaine comme avantageconcurrentiel est l’objet d’un consensus. Au niveaumacroéconomique, le développement du chômage etdes inégalités des pays occidentaux est imputé à lamondialisation, aux délocalisations subséquentes et àl’outsourcing notamment ; elles génèrent un appauvris-sement des travailleurs les moins qualifiés des paysriches. La perte d’emplois en France imputable auxdélocalisations a été évaluée entre 2 et 3% soit environtrois cent mille emplois en moins entre 1980 et 2000 etne touche pas que l’industrie comme il peut êtrecommunément admis (l’Inde et l’Irlande sont les deuxpremiers pôles de délocalisation des services ; à titred’exemple la société AXA a transféré 800 postes enInde). Une analyse de la banque d’affaires GoldmanSachs estime à six millions les emplois dans les services

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qui vont quitter les Etats-Unis en direction des pays envoie de développement dans les prochaines années.Dans le même sens c’est un million d’emplois dansl’industrie financière que perdrait l’Europe. Or dans lespays industrialisés, 60% du PIB provient du secteur desservices fournisseur de deux tiers des emplois 21. Laperte d’emplois français a été compensée par la créationd’emplois plus qualifiés notamment dans les secteursdes échanges internationaux et des services auxentreprises d’industrie de l’information. La tendance estaux unités plus spécialisées, plus flexibles donc ferméesaux moins qualifiés et à ceux dont l’employabilité estjugée insuffisante. Le manque de règles au plan mondial et la limite despouvoirs des instances internationales justifient deconsensus difficiles à obtenir pour une régulation et unediffusion des « bonnes pratiques » 22. L’absence depouvoir coercitif réel laisse place au développement desinitiatives privées, sans véritable légitimitédémocratique, leur crédibilité étant subordonnée à cellede leur initiateur. (D’aucuns ont qualifié les codes deconduite de « foire d’empoigne »). Néanmoins lesdernières années témoignent d’une sensibilisationaccrue des dirigeants à la notion de « développementéconomique raisonnable » et de prise en considérationdes conditions de réalisation des produits sous l’effet defacteurs divers mais convergents.

1-2-1 Le déploiement du concept deDéveloppement Durable et sesimplications sur la performance sociale

Le concept d’éco-développement créé en 1972 par laconférence des Nations Unies sur l’Homme etl’Environnement jetait les bases de la compatibilité dudéveloppement économique, de l’équité sociale et de laprudence écologique. La commission mondiale surl’environnement et le développement présidée par MmeGro Harlem Bruntland reste célèbre par son rapport quidéfinit la notion de « sustainable dévelopment » 23. LaCommission des Communautés Européennes préciseracette définition unanimement admise « une politique etune stratégie visant à assurer la continuité dans le tempsdu développement économique et social, dans le respectde l’environnement (…) ». La Conférence des NationsUnies sur l’environnement et le développement de 1992à Rio de Janeiro (le sommet de la terre) isole dansl’Action 21, huit chapitres sur le thème économique etsocial ; le but avoué est de mettre l’Homme au centredes préoccupations ; le moyen est la mobilisation desparties prenantes : l’Etat mais aussi les collectivitéspubliques et privées 24.

Concrétisation du concept de Développement Durable Progressivement la France met en œuvre les principes ;le gouvernement affecte un secrétariat d’Etat au

Développement Durable 25, adopte une StratégieNationale du Développement Durable (3 juin 2003) 26,organise une semaine nationale dédiée auDéveloppement Durable 27, mobilise les relaisterritoriaux. Le Parlement lance un colloque en octobre2003 intitulé « Développement Durable : de l’intentionaux engagements ». Même si pour le dirigeant PME-PMI, ces approchesrestent encore lointaines de son activité, elles sontl’objet d’un relais médiatique et de l’émergence d’unsentiment plus précis dans l’opinion publique ; leDéveloppement Durable justifie d’un passage d’unmonde économique fondé sur une logique d’obtentionde résultats à celui fondé sur une obligation demoyens 28. Si la perception du concept DéveloppementDurable est à forte dominante « ressourcesenvironnementales », le volet social est appréhendé àl‘occasion « d’affaires » relayées par les médias et decommunication tant des ONG que des OIG 29.Progressivement une notion d’éthique, de respect desdroits de l’homme au-delà du simple respect de lalégalité se développe dans la conscience collective etpolitique.Au niveau international les initiatives se développent,touchant les grandes sociétés internationales : le 26juillet 2000 à l’initiative du secrétaire général desNations Unies, Kofi Annan, le Global Compact assuraitla promotion de neuf principes dans les domaines desdroits de l’homme, du travail et de l’environnement.Cent cinquante entreprises internationales s’unissaientpar un engagement commun envers le DéveloppementDurable (World Business Council for SustainableDevelopment - WBCSD). Le ministère britanniquelançait l’initiative du projet SIGMA (SustainibilityIntegrated Guidelines for Management). Le standardAA 1000 élaboré par l’institut de responsabilité socialeet éthique (Institute of Social and EthicalAccountability) contribue au développement d’undialogue plus effectif avec les parties prenantes. Enfinla SA 8000 (social accountability) aborde neuf thèmes (Le travail des enfants, la santé et la sécurité destravailleurs, la discrimination, la liberté d’association,le droit à la négociation collective, les pratiquesdisciplinaires, les horaires de travail, la rémunération,le SME) et justifie de certifications de sites d’entreprisesdont l’organisation est conforme aux recommandations.Les labels 30 liés au commerce équitable se développent. La loi belge du 27 février 2002 crée un label socialdécerné à un produit pour une gestion socialeresponsable à tous les niveaux de la chaîneopérationnelle Le code français des marchés publics ouvre lapossibilité en 2001 pour la personne publiqued’introduire des exigences sociales (sociétales) etenvironnementales dans son cahier des charges 31.

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La notion de Responsabilité socialeEn juillet 2001 paraît le Livre Vert « Promouvoir uncadre européen pour la responsabilité sociale desentreprises » de la Commission des communautéseuropéennes qui dans son article 2-1 explore les pistesde la dimension interne de la Responsabilité Sociale desEntreprises (RSE) et notamment : » attirer et garder lestravailleurs qualifiés,l’éducation et la formation tout aulong de la vie, la responsabilisation du personnel,l’égalité des chances, la santé et sécurité au travail,l’adaptation au changement,…Une communication dela commission des communautés européennes en datedu 2 juillet 2002 « La responsabilité sociale desentreprises : une contribution des entreprises auDéveloppement Durable » précise que la RSE est liée àdes emplois de qualité, à l’éducation et la formation toutau long de la vie, à l’information, la consultation et laparticipation des travailleurs, à l’égalité des chances, àl’intégration des personnes handicapées ainsi qu’àl’anticipation des mutations industrielles et desrestructurations

Les indicateursDes organisations spécialisées dans l’observation desbonnes pratiques tant au niveau social qu’environne-mental et éthique se développent dans le domaine duscoring, (pas moins de trente deux agences de notationen France dont Core Ratings de G. Férone et Vigeo deN. Notat ) dans le domaine de l’analyse comme l’ORSEou de l’information financière (NOVETHIC). La loi française du 15 mai 2001 sur les NouvellesRégulations Economiques et son décret d’applicationdu 20 février 2002 emportent obligation aux entreprisescôtées au CAC 40 de produire un rapportDéveloppement Durable/RSE 32 (rapports objet de« concours » 33). La Global Reporting Initiative identifie la dimensionsociale du Développement Durable dans les impacts del’organisation sur les systèmes sociaux dans lesquelselle opère ; la performance est ici appréciée par uneanalyse de ces impacts de l’organisation sur les partiesprenantes au niveau local, national, mondial. Lesindicateurs sociaux mesurent les aspects des pratiquesen matière d’emploi en respect de la convention del’OIT, de la déclaration des droits de l’Homme desNations Unies et des principes directeurs de l’OCDE.Les indicateurs de performance sociale participent à lamesure de la contribution de l’entreprise au respect desdroits élémentaires, à l’amélioration de la qualité del’environnement de travail et à la valorisation desrelations avec le personnel 34. Créé en France en 1997 par la Caisse d’Epargne et laCaisse des Dépôts et Consignations, ARESE proposedes techniques de modélisation de performance socialeselon une structure d’analyse par critère (une catégoriepar partie prenante : société civile - communauté,gouvernance d’entreprise, clients - fournisseurs,

hygiène – sécurité - environnement, ressourceshumaines) et évaluation sur trois axes (leadership,déploiement, résultat). Les entreprises appréciées par lemodèle disposent d’un scoring sectoriel (et non d’unrating financier) 35. Les indicateurs sociaux ainsi dégagés permettent auxentreprises de valoriser leurs actifs incorporels : capitalintellectuel, capacité d’innovation, investissements enrecherche et développement, réseaux et partenariats.Ces actifs sont subordonnés à l’engagement del’entreprise en matière de formation, de développementdes compétences et des connaissances, relations avec lepersonnel. Les analystes financiers y apportent unintérêt croissant ; ces informations sociales peuventfaciliter une analyse des risques de vulnérabilité ducapital humain notamment en terme de productivité 36.

La prise de conscience du rôle de l’homme et del’impact de son activité sur les ressources naturelles etsur lui-même s’est principalement développée à la suited’accidents graves frappant les mémoires collectives(three miles island en 1979, exxon valdez en 1989,tchernobyl en 1986, bhopal en 1984, erika en 1999, azfen 2001, la déforestation en Amazonie, la destructionde la couche d’ozone, l’amiante, les « affaires »économiques et de délits d’initiés,…) ; ces faits onttouché la personne tant dans son statut de citoyen, qued’homme et de salarié ou dirigeant. On constate uneréintégration consensuelle progressive du rôle del’homme et de ses valeurs dans la société civile et dansl’entreprise « lieu de vie, chambre d’écho des courantsde la société civile 37 ».

1-2-2 Facteurs contextuels favorisantl’imprégnation du concept deperformance sociale.

L’intérêt actuel du dirigeant pour la notion de« compétence – motivation - performance » tientégalement au constat que les connaissances acquises enformation initiale ne suffisent pas à conduire uneactivité professionnelle, que la séniorité comme levierde promotion est sans efficacité, que la hiérarchie nesuffit pas à gérer une carrière et que les compétencesdes personnes constituent un « stock » pour l’entreprised’autant plus précieux que l’activité de l’entrepriserepose sur un effectif peu important.

Contexte démographiqueEn 2000, une personne sur cinq a plus de soixante ansen France métropolitaine. La première génération debaby-boom aura l’âge de la retraite en 2005-2006 38. LeCommissariat Général au Plan dans ses ateliers sur leseffets démographiques de l’offre de travail a tenté derépondre aux questions sur les impacts dans lesorganisations. Sont particulièrement sensibles etattentifs à cette gestion prévisionnelle les établis-

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sements à main d’œuvre qualifiée ou dont l’activiténécessite une forte réactivité au marché. Ainsi leComité de bassin d’emploi du nord-est toulousain s’estmobilisé dans le cadre d’un programme européen sur lagestion prévisionnelle des âges et l’aboutissement descarrières pour sensibiliser les entreprises à capitaliserles savoirs et savoir-faire. Les Grandes Entreprisesconcernées par une forte prévision de départ attirent les« compétences » de leurs sous-traitants et recrutent lesmieux qualifiés entraînant alors une paupérisation desavoir-faire des PMI qui se mobilisent pour fidéliseret/ou intégrer et former du personnel ; le trouble étantgénérateur d’une réduction de productivité.

Culture QualitéLe développement de la culture ISO 9001 : 2000 dansles entreprises a introduit le principe de mesured’efficacité des processus et l’exigence pourl’organisme de démontrer que chaque salarié estcompétent dans sa fonction, ce qui induitl’identification des compétences nécessaires (requises)et disponibles, l’analyse des écarts, la définitiond’actions correctives et l’évaluation d’efficacité de cesactions. La Direction est amenée à intégrer, si ce n’étaitfait, les ressources humaines dans sa stratégie 39 et às’assurer de la sauvegarde des connaissances. LaFonction Ressources Humaines joue un rôle deconsultant et apporte les outils aux opérationnelscontribuant à relayer l’engagement fort et continu de laDirection 40. La synthèse publique des rapports d’auditsrelève toutefois que les remarques et non conformitéssur ce thème sont dans le « palmarès » des dixanomalies les plus récurrentes observées 41.

Cadre légal françaisLa préoccupation d’efficacité de la mobilisation desressources humaines et de la capitalisation du savoir acertainement acquis avec le dispositif « 35 heures » sonapogée dans nombre de PME-PMI. Le cadre légalfrançais renforce l’implication des dirigeants dans lagestion des compétences avec notamment la loi demodernisation sociale du 17 janvier 2002, la mise enplace des mécanismes de validation d’acquisd’expérience 42 (qui constitue un processus structurantde réflexion sur l’expérience, la compétence et leursacquis) et l’accord national interprofessionnel du 20septembre 2003 sur le droit d’accès à la formation(projet de loi en cours d’ adoption 43 au moment del’écriture de la présente communication). Le droit de laformation tel qu’il résultait du dispositif de 1971 tend àdevenir un droit de la compétence avec une approcheindividualisante (création d’un droit individuel à laformation). La distinction qu’il devrait s’ensuivre desactions de formation selon trois catégories (actiond’adaptation directement utilisable au poste actuel detravail, actions d’évolution du poste et actions dedéveloppement des compétences pour aller au-delà de

la qualification actuelle) oblige les dirigeants àqualifier les actions de formation et à s’intéresser àl’analyse de la situation de l’emploi (avec un intérêtrenforcé du fait des systèmes de rétribution différenciéedu salarié en formation hors temps de travail) 44. Dansun souci marqué d’incitation à l’appropriation desenjeux de la gestion RH, un décret du 24 juillet 2003définit le dispositif d’aide au conseil aux entreprisespour l’élaboration de plans de gestion prévisionnelledes emplois et des compétences.Le processus lié au document unique de recensementdes risques professionnels contribue également àrenforcer l’attention portée aux conditions d’exercicede l’activité.

Externalisation de la gestion des RessourcesHumainesCe cadre complexe conduit nombreux dirigeants àexternaliser leurs problématiques RH notammentauprès des experts-comptables dont les activités degestion sociale développent des actions connexes degestion RH, exigeant de leurs propres collaborateurs denouvelles compétences. La maîtrise de la Fonction RHest transférée du dirigeant à l’expert extérieur, qui dansle cadre des prestations offertes aux PME-PMI n’est passouvent un spécialiste de la RH. Néanmoins cessociétés offrent une première réponse de proximité poursatisfaire ce besoin accru de réflexion RH dansl’entreprise.

Environnement public et institutionnel et nouvellesoffresLe dirigeant est également au centre des attentions desdiverses institutions publiques ou professionnellesassurant une veille sur la combinatoire et undéveloppement d’outils. Quelques exemples : - Branche professionnelle (exemple de l’UIMM Midi-

Pyrénées qui a développé l’outil « plan compétence-compétitivité » 45).

- Chambres de Commerce et d’Industrie (exemples del’expérience Investors In People et du diagnostic RHde l’AFDEC) 46.

- Le MINEFI à travers l’ouvrage précité « capitalhumain : mode d’emploi pour les PMI » et lapossibilité offerte aux dirigeants d’exploiter lelogiciel-méthode qui les aide à structurer leur stratégieRessources Humaines.

- Le MEDEF Pays de la Loire qui a organisé et diffuséune étude sur « le développement de l’entreprise parles compétences ».

- L’AFNOR qui propose aux entreprises et organismesdepuis 2003 un guide 47 sur la traduction concrète duDéveloppement Durable dans leur organisation et dansle contexte économico-légal français. Ce guide précisesur le volet social : « La prise en compte du principede Développement Durable est une démarche propre àchaque entreprise qui doit apprendre la gestion des

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interfaces : respect des droits sociaux et des règles debonne gouvernance, communication des objectifs etappropriation par le personnel, objectif de socio-efficience, respect de l’intégrité physique et mentaledu personnel, évaluation du climat social, santé,gestion des risques professionnels (…) L’entreprisedoit mettre en œuvre des actions de sensibilisation, deformation, de développement des compétences, decommunication et de partage des connaissances » 48.

- Développement d’une offre d’évaluation despersonnes et notamment des assesment centers, outilsd’évaluation des personnalités (SOSIE, MTBI)d’analyse des emplois (F JAS, PAQ) d’inventaire declimat social (ICE, QCE), des tests de quotientémotionnel (Bar ON EQ I), l’objectif commun étant deréduire l’arbitraire et de rationaliser les prises dedécisions dans le domaine RH et de tester lespotentiels dont dispose l’organisation. Le titre 5 de laloi du 31 décembre 1992 sur les dispositions relativesau recrutement et aux libertés individuelles pose leprincipe que seules les dimensions ayant un lien directavec la capacité d’occuper l’emploi peuvent êtreévaluées et que les techniques présentant une marged’erreur importante doivent être évitées.

- Développement des référentiels de compétences ;création du Répertoire National des CompétencesProfessionnelles, des Référentiels Emplois, Activités,Compétences (AFPA), des Certificats de CompétenceProfessionnelle, des certifications de personne(Institut d’accréditation des auditeurs, certification desAgents privés de recherche de l’AFAQ)…

- …

Ce déploiement des efforts et cette synergie sur lafinalité permettent au dirigeant PME-PMI, sansnécessairement d’expertise Ressources Humaines ausein de son entreprise, de disposer des appuisnécessaires à une concentration de son attention sur lacapitalisation et le développement des compétences parrapport à ses préoccupations : adaptations à desexigences nouvelles, développement de la structure,mobilité ou phase de décroissance à gérer. Toutefois, face à la panoplie des outils, méthodes, etdans une finalité de performance sociale tant internequ’externe, la volonté d’expérimenter la méthodologie« Investir dans son personnel » déjà éprouvée dans uncontexte politico-légal différent, s’est concrétiséeauprès d’entreprises volontaires.

2 - Le retour d’expériencede l’opération « Investirdans son Personnel »

La prise de conscience de lier les attentes économiquesaux emplois et donc aux hommes est en phase dedéveloppement et le concept de « management par lescompétences » devient plus familier dans le mondeprofessionnel. Ne serait-ce que parce qu’il peutapporter, par défaut, une réponse aux problématiquesexprimées par les dirigeants face à cette contradictionmacro-économique d’un niveau de chômage encoreimportant et de reproches de pénurie de main d’œuvrequalifiée et fidèle. Les besoins de l’entreprise peuvents’exprimer en verbes d’action par : « cibler – attirer –recruter – informer – sélectionner – intégrer – impliquer– former – motiver – qualifier – fidéliser – adapter –faire évoluer – dynamiser » 49.Une étude de 1999 portant sur 2079 entreprisescertifiées selon le modèle britannique Investors inPeople conclut que l’application de la norme a améliorésignificativement le haut de bilan, a renforcé laconfiance des clients et partenaires, a diminuévisiblement les tensions quotidiennes et a développé unesprit de compétition collective 50. La norme affirmeque les résultats s’améliorent si chacun dansl’entreprise, quel que soit son niveau, est capabled’expliquer les objectifs de l’activité, a les compétenceset qualifications requises pour son travail, s’il peutexpliquer comment il contribue aux résultats del’entreprise et s’il s’engage à améliorer sescompétences pour lui-même et l’entreprise.

Comment les différents partenaires impliqués dansl’expérience française ont-ils dépassé l’ordi-naire « frilosité » latine par rapport aux modèles anglo-saxons sur un thème aussi difficile à appréhender ?Comment un référentiel britannique, initié par ungouvernement 51 pour donner réponse à un besoinspécifiquement national et a priori contextuel, peut-ilmobiliser, quelques années après, des dirigeantsd’entreprises français, indépendants de toute pressioncommerciale pour une telle certification de leurentreprise et néanmoins prêts à souligner la rigueur dudroit social français et/ou la pesanteur de lanormalisation des systèmes de management ?

La réponse se trouve dans la veille de la CCI 82 qui, àl’instar de nombreux autres organismes, s’interrogeaitfin des années 90 sur la « mesure d’efficacité » despolitiques de gestion des ressources humaines pourl’ensemble des raisons précédemment exposées et avecune préoccupation d’opérationnalité et pour une cibleidentifiée : la PME-PMI. La norme existait, son

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efficacité dans le contexte anglo-saxon était démontréemais l’adaptation au contexte français devait se fairedans le cadre d’une opération « prototype » dont leretour d’expérience permettrait de mesurer lapertinence.En juin 2001, un accord à durée déterminée (deux ans)avec le référent britannique Investors In People UKautorisait la CCI à organiser lesconditions de traduction duréférentiel, d’adaptation aucontexte français, de mise en œuvrede la démarche IiP en entreprises,de formation de spécialistesfrançais (conseillers IiPhomologués).

2-1 Structure et enjeuxdu processus« Investir dans sonPersonnel »

Le référentiel 52 comprend à l’imagede la « Roue de Deming » quatre phases : engagement– planification – action – évaluation. A ces quatrephases sont associés douze critères précisés par trentetrois preuves.Ainsi à la phase Evaluation : « l’entreprise mesure sursa performance l’impact de son investissement dans sonpersonnel » correspondent trois critères :- Le développement de l’ensemble du personnel

améliore la performance de l’entreprise, des équipes etde chaque individu

- Le personnel comprend l’impact de sondéveloppement sur la performance de l’entreprise, deséquipes et de chaque individu

- L’entreprise améliore ses pratiques et techniques dans ledéveloppement de l’ensemble de son personnel.

Sur ce dernier critère est attendue la preuve : « le personnelpeut fournir des exemples d’améliorations pertinentes etopportunes d’activités de dévelop-pement ».

Le référentiel par cette logique amène l’entreprise àconstituer un portefeuille de preuves. Ces preuvess’organisent sur la base de faits, de résultats, de liens decausalité. La méthode se caractérise par un rapport depreuves d’amélioration de performance sans exigernéanmoins la mobilisation de tel ou tel outil pouratteindre le résultat.

2-1-1 Mise en œuvre de la démarche« Investir dans son personnel » dansl’entreprise

La démarche « Investir dans son Personnel » (IiP)engage l’entreprise dans une évaluation de l’efficacité

de ses actions à destination du personnel sur sesrésultats économiques. C’est donc une démarchedémonstrative que l’entreprise mène directement (avecou sans appui formation d’un chef de projet interne) ouavec l’appui d’un conseiller homologué 53.

Le choix de la certificationUne entreprise peut demander le bénéfice d’un audit decertification sans avoir à justifier du recours à undiagnostic préalable ou au suivi d’un conseillerhomologué ; elle n’a pas à faire la preuve d’unecompétence interne spécifique dédiée ; l’auditeur validela conformité des faits aux preuves exigées par leréférentiel et non les moyens mis en œuvre au préalable.Inversement une entreprise peut auto-évaluer sonmanagement des ressources humaines et ne pasprétendre à la certification, le bénéfice de la démarcheétant concrètement assuré par l’amélioration de sesrésultats et de l’implication du personnel. Ce cas defigure nécessite une capacité « puissante » del’entreprise à entretenir et faire évoluer la démarche et àdemeurer dans le cadre du référentiel (interprétation aminima des exigences ou inversement à maximiser lesattentes pouvant alors induire au niveau du personneldes conséquences inverses à celles attendues comme ladémotivation liée à un excès de pression). Ce constat estapplicable à toutes les situations professionnelles demise en œuvre de référentiel et n’est pas propre à ladémarche qui nous intéresse ici.

L’appréciation des résultats et la qualification desévaluateursLe référentiel peut être caractérisé par une « obligationde résultats » à atteindre ; en aucun cas il n’impose oune suggère une méthode ou une pratique managériale ouressources humaines déterminée. Il appartient àl’entreprise d’identifier les pratiques pertinentes etadaptées au vu de son contexte, de ses valeurs,missions, activités mais aussi de sa culture et de la

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Figure 2 : schéma classique d’une démarche IiP

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« personnalité » de son dirigeant et de l’aptitude« motivante » de l’encadrement de proximité. Celajustifie le soin et les « précautions » apportés àl’homologation des conseillers spécialisés IiP. Uneattention particulière est portée à la vérification de leurcapacité à satisfaire à une vision « large » desproblématiques de management. Le candidat àl’homologation 54 doit s’auto-évaluer sur septcompétences clés (et sera évalué sur ces critères par lecomité d’homologation à l’issue d’une période deformation et de tutorat d’actions en situation réelle ) :

Orientation ClientCommunication

CrédibilitéSens du relationnel

PlanificationRaisonnement critique

Dynamisme (drive)Par ailleurs, il doit témoigner d’une expertise préalableen management (direct ou par conseil 55) et démontrerune adaptabilité à différentes situations d’entreprise:secteur, activités, effectif,…Cette diversité doit«fertiliser» l’approche du contexte de l’entreprise etconstitue une préconisation ferme du cahier des chargesde déploiement sur le territoire français du référentiel.C’est bien un référentiel compétences-aptitudes duconseiller homologué qui doit enrichir en continu sonexpertise et ses connaissances 56 pour garantir auxentreprises une prestation à forte valeur ajoutée. Cetteexigence est d’autant plus légitime que le référentiel esten première lecture d’une « grande simplicité », l’expertRessources humaines pourra même se trouver frustré depas y trouver de quelconques innovations. L’originalitétient en fait dans l’assignation d’une obligation derésultat du management des Ressources Humaines. Leconseiller doit, du fait de cette fausse simplicité, êtreparticulièrement apte à identifier la correcteinterprétation des termes, à isoler les preuvespertinentes lors du diagnostic essentiellement (car c’estla base du plan d’action sur lequel s’engageral’entreprise si elle le souhaite).

Sensibilité de l’évaluationUne des difficultés principales de la mission est lacollecte des données devant aboutir à la conclusion queles preuves sont établies et les critères atteints, et dansle cas contraire, l’appréciation des écarts etl’identification des outils et méthodes les plus à mêmede les corriger dans le contexte donné de l’entreprise. Dans cette collecte de données, l’enquête et l’entretiensont des outils particulièrement délicats dans la mise enœuvre et ce pour deux raisons majeures : en toutpremier lieu, les attitudes des personnes interrogées (onpeut aisément imaginer tous les cas de figure du« hâbleur » à « l’introverti » en passant par le timide,le rancunier, le grincheux, le « toujours favorable à saDirection », le craintif, le « que dois-je répondre sans

crainte de représailles ? »…) ou encore la difficulté delecture ou de compréhension des items dequestionnaires écrits). Seconde difficulté, le croisementcohérent des réponses acquises au niveau Direction,encadrement et personnel sachant qu’un même fait peutêtre exprimé de manière totalement différente. Cesdifficultés ont une résonance particulière dans lesentreprises à fort effectif 57 dès lors que le référentieldonne une acception large au terme « personnel » : ilfaut l’entendre par toute personne contribuant àl’activité de l’entreprise quel que soit son statutjuridique d’intégration à l’entreprise. Cela comprenddonc le personnel intérimaire, voire « bénévole » ausens d’un stagiaire par exemple.

2-1-2 Enjeux de la démarche « Investir dans son personnel »

Conçue comme une norme « introspective », ladémarche engendre deux types d’enjeux : ceuxparticipant à la performance de l’entreprise (finalité duréférentiel) et ceux sur le niveau de compétence desdiverses parties prenantes.

Enjeux sur la performance de l’organisationLa préoccupation principale des PME-PMI d’attirer,sélectionner, fidéliser dynamiser son personnel trouveun élément de réponse dans ce positionnement dupersonnel au centre de la stratégie de l’entreprise qui luipermet de « valoriser » son capital humain. Ladémarche constitue une approche de DéveloppementDurable en assurant la synergie entre le volet socialinterne et l’économique. Elle permet aux entreprises endémarche ISO 9001 de conforter (dépasser ?) lesexigences d’implication de la Direction dans lacommunication et le déploiement de ses objectifs à tousles niveaux de l’organisme.Essentiellement IiP constitue pour la Direction un outild’évaluation continue de ses propres progrès etstructure la définition des objectifs et leur déploiementau niveau des équipes et des personnes ; il estprincipalement dans le cas des entreprises qui n’ont passtructuré une fonction ressources humaines pour enfaire un facteur de passage d’un management intuitif àune stratégie organisée. Inversement dans les entre-prises dotées d’un service ressources humaines, ilfavorise son positionnement au niveau stratégique. Laconstitution du portefeuille de preuves identifie les liensde causalité de l’action et du résultat obtenu ; dès lors leretour d’expérience facilite les décisions et fiabilise ladéfinition des axes stratégiques. La structure d’éva-luation ou d’audit (recueil des données factuellesprobatoires) évite toute situation de décalage entre le« discours » et la réalité, cette dimension est source deconfiance et constitue un contexte promoteur del’effort.

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Enjeux sur le niveau de compétencesLa démarche IiP implique un développement de lacompétence tant au niveau de la Direction que del’encadrement et au niveau de la personne.La Direction est par évidence, totalement impliquéedans la démarche et de façon active. S’engager danscette démarche signifie néanmoins faire acte d’humilitédès lors qu’elle est fondée sur la reconnaissance del’efficacité du système de management. L’absence enFrance de quelconque pression commerciale oumarketing sur les entreprises pour se faire certifier surce référentiel 58 a permis des applications dans desentreprises volontaires ; les démarches ont été engagéesdélibérément et consciemment en fonction d’attentes etd’objectifs propres à chaque entreprise. Il n’en reste pas moins que la Direction sera soumise au« feedback » du personnel dans l’efficacité tant de sacommunication que de ses actions. Ainsi sur le premier critère « l’entreprise est engagéedans le développement de l’ensemble de sonpersonnel », quatre preuves sont recherchées à tous lesniveaux de l’entreprise. - Au niveau de la Direction elle-même : « la Direction

peut décrire les stratégies mises en place pour soutenirle développement du personnel, afin d’améliorer laperformance de sa structure » ;

- preuve ensuite recherchée auprès de l’encadrement :« les responsables peuvent décrire les actionsspécifiques qu’ils ont réalisées et qu’ils réalisent poursoutenir le développement du personnel ».

- Auprès du personnel on vérifiera deux autres preuves :« le personnel confirme que ces stratégies et cesactions spécifiques décrites par la direction et lesResponsables, ont lieu » et « le personnel estconvaincu que l’entreprise est engagée véritablementdans l’effort de soutenir son développement ».

De la même manière sur le quatrième critère relatif àl’égalité des chances pour le personnel il convient dedémontrer que le « personnel est convaincu quel’entreprise s’engage véritablement à assurer l’égalitédes chances. »

L’enjeu « compétence » est accentué au niveau dumanagement intermédiaire « les Responsables » dansl’acception d’IiP. Compétence explicitement attenduedans le référentiel critère 8 : « les responsables sontefficaces dans le soutien du développement del’ensemble du personnel ». L’entreprise doit s’assurerde la réelle compétence de son encadrement auxfonctions de management des hommes et dedéploiement de ses objectifs. De la même manière lepersonnel est en mesure de confirmer la réalité desactions de développement de la part de sonencadrement.

Le critère 9 pose tout aussi explicitement le principe dela compétence du personnel « le personnel apprend et

évolue de façon efficace » et l’entreprise doit pouvoir« démontrer l’évolution des compétences globales deson personnel » (preuve 9-2).

Cette constante de recherche d’adéquation entre lesobjectifs, les compétences requises et les compétencesdisponibles facilite donc l’émergence d’uneorganisation apprenante apte à démontrer lesimplications de son management sur ses résultats.

2-2 Observation de l’expérience pilote

L’opération collective intégrant six entreprisesvolontaires a été menée de 2001 à 2003 pour valider la« faisabilité terrain » des premiers travaux d’adaptationdu référentiel et identifier la valeur ajoutée pourl’entreprise. La difficulté initiale a consisté à synchroniser laqualification de conseillers IiP français experts dans lemanagement des organisations avec les besoins deformation des chefs de projet des entreprises. Un tutoratpar des experts britanniques francophones (dont deuxrésidant en France) a conservé aux travaux d’adaptationle bénéfice du modèle britannique qui avait démontré savaleur ajoutée sur la dernière décennie. La phase detraduction/adaptation s’est donc réalisée au seind’ateliers réunissant des spécialistes RH, Qualité etManagement et des dirigeants. Les adaptations ont étévalidées par le centre qualité britannique.

2-2-1 Résultats de la démarche sur lesentreprises du programme pilote

Présentation des six entreprises engagées(Voir tableau page suivante)Les six entreprises obtiendront leur certification IiP àdes échéances différentes, le processus de mise enœuvre ayant duré de douze à vingt mois. Laconfidentialité des rapports ne permet pas de donnerd’informations précises dans cette présentecommunication 59. Il n’en reste pas moins acquis que cessix situations diverses ont satisfait à l’ensemble descritères (la certification ne pouvant être acquise si uneseule preuve ne peut être rapportée).

Les constatsA l’instar des autres organisations certifiées IiP sur leterritoire français (mais en amont de cette expériencepilote et donc sur la base du référentiel britannique) cesentreprises ont reconnu unanimement l’absence desdéfauts de « lourdeur » classiquement imputés auxsystèmes de management normatifs. Le référentieln’exige, en toute logique, aucun document spécifique :pas de manuel, pas de procédures. La documentationexistante sera générée par le véritable besoin interne de

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l’entreprise non par une pression exogène. Les preuvessont des faits recueillis par témoignages et enquêtes ;des documents d’engagement ou des plans d’actions nepeuvent suffire à conforter la conviction de l’auditeurou évaluateur de la réalité des faits.Cette approche factuelle constitue le principal avantagerelevée par les entreprises : la constitution des preuvestémoigne de l’efficacité de la démarche mise en œuvre ;elle implique par sa méthodologie tous les individus.Concrètement elle génère une véritable motivation parla mise en place d’un système centré sur le personnelqui va au-delà du charisme et leadership d’un dirigeantet qui professionnalise la fonction managériale descadres de proximité. Le système, par l’attention qu’ilfait porter sur les personnes est générateur d’une prisede conscience de besoin d’outils RH.Enfin l’expérience a prouvé qu’elle pouvait répondre àdes attentes stratégiques différentes : capitaliser dessavoir-faire dans un contexte de forte croissance etfédérer le personnel 60, professionnaliser l’encadrementdans le cadre d’une politique forte de délégation pourgérer plusieurs sites, stimuler la productivité collectivede l’organisme, mettre en valeur le savoir-faire despersonnes dans un contexte économique critique…

L’accord AFNOR AC X 50-184 61 sur « la Prise encompte des Compétences dans le Management del’entreprise » est un document rédigé collectivementpar des dirigeants et experts ; ce guide « propose defaire évoluer le management des Hommes d’un modèleempirique à un modèle structuré « ; il est écrit par « des

dirigeants pour des dirigeants ». Deux entreprisesengagées dans l’expérience IiP se sont impliquées dansle groupe de travail et ont pu confronter leurs pratiquesà celles d’autres entreprises 62. C’est sur le thème del’évaluation des actions de management que leurspratiques ont démontré leur qualité.

2-2-2 Critiques et commentaires liés àl’observation de la mise en œuvre de ladémarche IiPl 63

Les constats précédents généraux positifs ne doiventpas cacher des réserves sur des attentes excessives àl’égard du référentiel. Celui-ci est un outil donc unutilitaire adéquat dans un emploi donné, il n’est enaucun cas un système universel générateursystématique de la combinatoire «Compétence –Motivation – Performance ».

« Il ne peut y avoir que des démarches à succès »Dans le contexte français, l’absence de pressionexogène (à ce jour) pour un dirigeant à engager une telledémarche justifie donc de sa part d’un engagementvéritable. Mettre le personnel au cœur de sespréoccupations constitue un enjeu dont il a la convictionque ne pas mener l’action à son terme serait pire que depas engager la démarche. Un organisme qui avaitannoncé son intention d’engager la démarche et qui y arenoncé, a enclenché une démotivation de durée courtemais assez intense pour remettre en cause la crédibilitédes décideurs voire la confiance dont ils étaient

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Secteur - Activité Effectif Fonction du chef de projet Observation

Métallurgie – fabrication de benneset de bras de levage hydrauliques 350 Directeur des

Ressources Humaines

DRH spécialement recruté par le Dirigeantpour la mise en place du programme IiPdans un contexte de changement stratégiquefort. L’entreprise mène concomitammentune démarche iso 9001:2000.

Métallurgie – sous-traitanceaéronautique 52 Dirigeant

2e Prix «Performance » MFQ Midi-Pyrénées2003Témoignera de son retour d’expérience auMINEFI en octobre 2003 (extrait en noteinfra)

Service – location de matérielsinformatiques – bureautiques 35 Dirigeant Besoin de réactivité

Service – organisme de formation enlangues 12 Dirigeant Le dirigeant fait le choix concomitant de se

qualifier « conseiller homologué »

Service – concessionnaireautomobile 210

Dirigeant & Responsableressources humaines/responsable qualité

1er Prix « Motivation du personnel » MFQMidi-Pyrénées 2003

Service – organisme d’aide àl’insertion 7 Dirigeant Le dirigeant fait le choix concomitant de se

qualifier « conseiller homologué ».

Présentation des six entreprises engagées

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crédités. Cela ne signifie pas pour autant que lacertification IiP est la finalité de toutes les démarches ;sans engagement « tapageur », une organisation peutengager de fait la démarche, les pratiques et en tirer lesbénéfices. Toutefois, la certification, la reconnaissancepar tierce partie apporte une confiance quant à lapérennité de l’engagement à l’égard du personnel.

Assumer la réalité des faitsL’évaluation des résultats des actions peut traduire dessituations non conformes aux attentes. Les actions deréduction ou d’élimination des écarts peuventégalement ne pas produire les effets attendus. La miseen valeur des défauts de l’organisation peut être sourcede frustration chez les acteurs. Il faut donc pouvoirassurer un fort professionnalisme de l’approche RH etcommunication interne. Par ailleurs la définition desrôles, responsabilités, objectifs et la reconnaissance descontributions peuvent conduire à des constats remettanten cause des situations réputées acquises. Une politiquede dissimulation est incompatible avec les effets IiP.

IiP n’est pas une garantie de performance écono-miqueSi la contribution du capital humain sur la performanceest reconnue, elle n’est pas exclusive ; d’autresparamètres implémentent les résultats de l’entreprise.La transparence de l’information peut aussi affecter lamotivation des personnes les plus sensibles aux notionsde sécurité.

IiP est un « médicament ».Cette affirmation d’un auditeur IiP britanniqueexpérimenté laisse supposer que l’entreprise est malade.Ce serait exagérer sa formule ; IiP doit procéder d’unvrai besoin, la direction le ressent d’autant plus qu’ellea conscience de difficultés avérées ou prévisibles, delacunes réelles ou supposées dans son système RH etqu’un potentiel de progrès existe. Par contre unmédicament ne se préconise pas sans examen préalable.IiP n’est d’aucune valeur ajoutée dans des entreprisesayant déjà un management RH performant. En tout étatde cause le diagnostic préalable à toute démarchepermet de définir « la prescription » appropriée, celle-cipouvant être «ne pas engager de démarche IiP» parceque les pratiques sont acquises ou a contrario parce quele management n’a pas la maturité nécessaire àl’engager sans préalable.

IiP et l’élévation des compétences managérialesLe référentiel dans son ensemble mais essentiellementle critère 8 : «les responsables sont efficaces …» exigeun recentrage des compétences des responsables sur lesfonctions de management d’équipe. Or l’organisationde nombreuses entreprises françaises témoigne d’uneaffectation à des postes d’encadrement de personnesexpertes dans un domaine mais pas forcément évaluées

sur la compétence de mobilisation d’autrui. Uneentreprise de l’expérience pilote a ainsi formé tous sescadres à l’animation d’équipe, au recrutement, l’éva-luation professionnelle et requalifié les cadres dont lescompétences managériales n’ont pu être démon-trées,dans des fonctions ne justifiant de mobilisation decollaborateurs. Sans une Personne Ressource apte audialogue ce type de décision peu conforme à la traditiondes «droits acquis» s’apparente à un «coup d’Etat».

IiP et les critiques de la RSE 64

Les entreprises sont accusées de récupérer le concept deRSE comme argument marketing pour se concilier lesopinions publiques susceptibles de faire défection,éviter les conflits sociaux nocifs, s’assurer unelégitimité sociale pour être acceptées. Le recours auxcodes de conduite est réputé écarter la formalisation desrègles qui limiteraient la liberté des entreprises quirefusent dès lors tout modèle standardisé et prône lesdémarches volontaires. (les codes de conduite sesubstituent aux droits sociaux). Enfin la notation n’estqu’une publicité sur la visibilité sociale…. La RSE est« l’habit neuf du paternalisme 65». Les outils SA 8000,AA1000, GRI sont aussi accusés de manquer decrédibilité du fait de l’absence d’intervention despouvoirs publics. (opposition système normatif etsystème juridique). IiP ne peut manquer d’être touchépar ces critiques. Il est clair que IiP ne vise pas à entreren droit positif même si dans certains pays (Angleterre,Pays-Bas) il est un outil gouvernemental 66 Même si àl’instar des audits dont SA 8000, il se fonde sur unecollecte de preuve pour attribuer la certification(réalité), il n’en reste pas moins une démarchevolontaire de l’entreprise.

IiP n’est pas un audit socialEn aucun cas IiP ne peut se substituer à un audit social.S’il met l’homme au centre d’une préoccupation, ilrepose néanmoins sur les valeurs et la culture d’uneDirection dans un contexte économico-légal donné. Lecadre légal français qualifié de protecteur des droits dusalarié facilite la mise en œuvre de IiP qui présupposeson respect mais ne l’exige pas expressément. Il n’estpas acquis que le développement soit aussi positif dansun cadre légal social réduit. Pas plus que la RSE, IiP nese substitue au droit social. De la même manière, IiP nepeut attester d’un respect éthique de l’entreprise ; salogique reste économique. Il appelle donc encomplément la mesure de l’éthique de sonmanagement 67 selon d’autres méthodologies éprouvées.

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ConclusionAu-delà de ses qualités intrinsèques, le référentiel IiPprésente l’intérêt d’offrir un cadre structuré auxentreprises pour organiser, gérer leur politique RH enlien direct avec des objectifs définis.Par l’attention apportée à la mobilisation descompétences, il permet de répondre à diverses attentesde la responsabilité sociale notamment en termed’égalité des chances et de responsabilisation etd’amorcer la combinatoire « compétence – motivation -performance ». Il est facteur de développement durecours à l’expertise RH et trouve naturellement saplace dans l’intégration de systèmes de managementqualité ou sécurité qu’il renforce.Les résultats de l’expérience pilote achevée en juillet2003 encouragent à poursuivre l’appui aux démarchesde cette nature. La constitution programmée en 2004d’un centre français de qualité IiP composé notammentd’un « comité scientifique multipartite » veillera à lapertinence de l’adaptation faite et de ses évolutionsnaturelles et garantira la rigueur et la déontologie de laqualification des acteurs et des certifications desorganismes.

Notes et bibliographie1 AFNOR - FD X 50-183 « Outils de management :

ressources humaines dans un système de management dela qualité – management des compétences ». Juillet 2002.

2 O. BOUTOU – « Investors in People » in Qualité enMouvement N° 59 – page 43 – Juin-Juillet 2003.

3 MINISTERE de l’ECONOMIE, des FINANCES et del’INDUSTRIE - « Capital Humain : mode d’emploi pourles PMI » site du MINEFI ou www.capitalhumain.org

3 P. IRIBARNE – Les tableaux de bord de la performance –Dunod – 2003.

5 A. BICHON – « L’audit des pratiques de GRH à l’aune dela dialectique individuel/collectif. – actes de la XXIe

Université de l’IAS - 2003.

6 G. Le BOTERF – « compétence : de quoi s’agit-il »conférence Labège – octobre 2003 et « Construire lescompétences individuelles et collectives – Editionsd’Organisation – 2000 – 3e édition 2004

7 G. Le BOTERF – « Développer la compétence desprofessionnels » - Editions d’organisation – 1997 – 4e

édition 2003.

8 V. SOL – « la motivation du personnel » - MFQ Midi-Pyrénées – février 2003.

9 B. SIRE – « comment faire de la reconnaissance du mériteet des compétences un levier de la performance ? »conférence IGS – Blagnac – 21 octobre 2003.

10 I. BARTH et J. RIVE - « la motivation est-elle un conceptjetable ? » acte AGRH – 2003

11 Z. YANAT – « ressources humaines et qualité en PME :convergence et complémentarité des fonctions ? » atelierMFQ Aquitaine – décembre 2003.

12 JL CERDIN – « vers quelles innovations RH dans lesentreprises françaises ? » AGRH - 2003.

13 V. SOL - CCI 82 – Outil d’évaluation de la motivation –Prix Régional « Motivation « 2003 - Mouvement Françaisde la Qualité Midi-Pyrénées.

14 M. BRASSEUR et H JANET MZABI « motivation etimplication : peut-on encore innover ? » colloque « RH :Innovons ! » atelier « implication des salariés : clé deréussite du changement » actes AGRH – Grenoble – 2003.

15 O. BOUTOU – Investir dans son personnel : le capitalhumain, moteur de la réussite –AFNOR – collection ASAVOIR - 2003.

16 D. NOYE – Manager les personnes – le managementsituationnel – insep consulting – 2003.

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17 cité dans Performance N° 10 – mai-juin 2003 :BIT : un adulte sur dix en âge de travailler souffre dedépression, 7% des départs en retraite sont liés à dessyndromes dépressifs en Allemagne, trois salariésbritanniques sur dix connaissent des problèmes de santémentale.CSA/Manpower in Liaisons Sociales 2000 : un salariéfrançais sur dix a connu un ou plusieurs arrêts maladieliées au stress.

18 Définition du management par les compétences :«ensemble de pratiques organisées qu’un organisme meten place pour déterminer les compétences individuelles etcollectives qui lui sont nécessaires pour le présent et leseront dans le futur, les mesurer, les développer, lesexploiter soit dans une perspectives d’adaptation, soit detransformation de l’environnement en fonction de sescaractéristiques internes (….) seul un personnel satisfait,motivé et impliqué pourra mobiliser ses compétences oucelles de son organismes en vue de répondre à des attentesparfois complexes ou imprévues ». in FD X 50 – 183AFNOR.

19 DIGITIP: Direction Générale de l’Industrie, desTechnologies de l’Information et des postes – Service despolitiques d’innovation et de compétitivité – sous-direction de l’innovation et de l’emploi – bureau desmutations industrielles.

20 Parmi les autres causes relevées figurent: la prise encompte des compétence dans les processus sousl’influence des pratiques Qualité ISO 9001 : 2000 ; levieillissement global de la population ; les évolutionstechnologiques sources d’émergence de nouvellesqualifications ; la mutation de la place du travail dans lavie quotidienne, les nouvelles pratiques de reconnaissance(ou exigence) telles la Validation d’acquis d’expérience ;la négociation des partenaires sociaux.

21 Données citées par Philip J. Jennings, secrétaire généraldu syndicat United Network International – outsourcing -in le Monde du 10 février 04.

22 P. ROBERT-DEMONTROND - « Clauses, normes etchartes sociales : principes et enjeux de nouvelles règlesdu jeu concurrentiel » - in Sciences de la Société n° 57« Autour du Développement Durable » – octobre 2002

23 Définition du Développement Durable selon le rapportBruntland : « Un développement qui répond aux besoinsdu présent sans compromettre la capacité des générationsfutures à répondre à leurs propres besoins »

24 La loi du 2 février 1995 relative au renforcement de laprotection de l’environnement qui définit leDéveloppement Durable (article L110-1 du code del’environnement) est la première à introduire le conceptde Développement Durable dans le domaine légalfrançais.

25 Tokia Saïfi, secrétaire d’Etat au Développement durable,auprès de la ministre de l’Ecologie et du Développementdurable.

26 La SNDD précise six axes : la pleine participation detous les acteurs, la relation entre les territoires et leDéveloppement Durable, les activités économiques : desentreprises aux consommateurs, la prévention des risqueset des pollutions, le chemin vers un Etat exemplaire etl’action internationale.

27 V. SOL – « le capital humain, levier du DéveloppementDurable » - Journée du Développement Durable en Midi-Pyrénées – 6 juin 2003.

28 Sur l’émergence et la consécration du Dévelop-pementDurable se reporter à la communication de D Khouatra –« Stratégie de création de valeur intégrale de l’entrepriseet Développement Durable « - actes de la XXIe Universitéde l’IAS - 2003.

29 Exemple : article de L. CARAMEL : « Eliminer les travaildes enfants : un pari à 760 milliards de dollars – l’OITdémontre la faisabilité d’un programme de scolarisationsystématique « – in le Monde économie – 10 février 04.L’OIT estime à 182 millions le nombre des enfants« travailleurs ». Etude OIT consultable sur www.ilo.org. Ace jour 80 pays participent au programme IPEC(International Programm on the elimination of childlabour) lancé en 1992.

30 H. BRUN et P. ROBERT-DEMONTROND – « lalabellisation sociale de l’offre commerciale : de l’exposédes principes à la proposition de signalétiqueergonomique ». actes de la XXIe université d’été de l’IAS– 2003.

31 Une directive européenne «marchés publics» est enpréparation et devrait reprendre ce principe.

32 J. IGALENS et M. JORAS – « Le rapport deresponsabilité sociale de l’entreprise » - actes de la XXIe

université d’été de l’IAS – 2003.

33 Prix du meilleur Rapport de Développement Durable créépar Entreprise et Progrès en partenariat avec ARESE,Ernst & Young, Euro RSCG Omnium, Investir et l’ORSE.

34 Quatre axes sont analysés : l’emploi et le travail décent(emploi, relations sociales, santé, sécurité, formation etéducation, diversité et égalité des chances), les droits del’homme (stratégie et management, non discrimination,liberté d’association et négociation collective, travail desenfants et travail forcé, mesures disciplinaires, mesure desécurité, droits des populations autochtones), la sociétécivile (collectivité, corruption, financement des partispolitiques, concurrence et tarifs), et enfin la responsabilitédes produits (santé et sécurité du consommateur, produits,publicité, respect de la vie privée).

35 J. IGALENS et JP GON – « La mesure de la performancesociale de l’entreprise : une analyse critique et empiriquedes données ARESE « – colloque AGRH « RH :innovons ! » - Grenoble - novembre 2003.

36 Exemple d’une PMI dont les résultats étaient parfaitementsains, les équipements adéquats avec des processus de

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production bien maîtrisés. Le dirigeant n’a trouvé aucunrepreneur au motif que 80% de ces salariés étaient prochesde l’âge de la retraite et qu’aucune action n’avait étéengagée à ce stade pour préserver le capital « savoir-faire » dans un métier technique où sa transmission estessentielle au maintien et développement de laproductivité. L’entreprise fermera ses portes.

37 P. HURSTEL Ernst and Young - « L’entreprise, lieu deconstruction et d’épanouissement » - in Qualitiquen° 153 – décembre 2003.

38 INSEE – économie et statistiques N° 355 – 356 – 2002.

39 V. SOL et C. ATTAL-VIDAL – Enjeux pour le personnelde la démarche qualité - AFAQ-CCI.82 – 2003.

40 P. DELES – « Compétences et système de managementqualité » – in Management et systèmes N° 35 – janvier2003.

41 Source : AFAQ

42 La VAE satisfait un besoin de garantie sur les personnespar rapport à leurs savoirs de base. Le retour d’expériencedémontre que des situations d’échec ou de réussite dedémarches VAE peuvent générer une frustration chez lessalariés dès lors que cette démarche n’est pasaccompagnée par l’entreprise ni en lien avec ses objectifsou ses projets.

43 Projet de loi relatif à « la Formation professionnelle toutau long de la vie et au dialogue social » voté en premièrelecture à l’Assemblée Nationale le 06 janvier 2004.

44 JP WILLEMS – Fiches pratiques de la formation –février 2004.

45 IUMM MIPY – « Plan Compétence - Compétitivité » inAccord AFNOR AC X 50 –184 « prise en compte desCompétences dans le Management des entreprises ».

46 AFDEC : Association Française des DéveloppeursEmplois-Compétences.

47 SD 21 000 : Développement Durable : responsabilitésociétale des entreprises - AFNOR - 2003 - FD X 30 – 021.

48 Le guide s’appuie sur les principes de management de laQualité dont le leadership et l’implication du personnel,« principes incontournables pour une atteinte des niveauxmaximum de créativité et de productivité de l’entreprise.Le capital humain est un gage d’innovation etd’adaptation à un environnement changeant. L’entreprisedoit attirer et fidéliser les talent ».

49 R. GODIN – « Former pour l’entreprise : notre métier » -séminaire d’accueil Centre de Formation CCI 82 reposantsur deux axes complémentaires : Performance del’Entreprise – Compétence à l’Emploi.

50 C. MARECHAL – Investor In People : une norme pourle personnel – in Qualité références – octobre 2002.

51 Au Royaume-Uni plus de 5 500 000 personnes sontimpliquées dans des entreprises Investors in People. Autotal 25000 entreprises sont certifiées dans le monde.

52 Référentiel disponible sur www.iip.fr ouwww.montauban.cci.fr lien Ressources Humaines

53 Un conseiller homologué est un praticien formé à laméthodologie du référentiel, ayant fait la preuve descompétences attendues par un tutorat sur ses premièresactions et ayant satisfait aux épreuves d’homologation IiP.La personne est alors enregistrée sur un registre etbénéficie d’une actualisation continue de cesconnaissances et d’un retour d’information sur lesexpériences IiP menées sur le territoire français. Un suivide ses compétences est assuré pour garantir la fiabilité desprestations de conseil délivrées aux entreprises.

54 Guide du praticien IiP – disponible sur demande auprèsdu service IiP France – 61, avenue Gambetta – BP 527 –82065 Montauban cedex.

55 Dans l’expérience pilote, sur six entreprises qui se sontengagées dans la démarche IiP, deux dirigeants qui ontamené leur entreprise à la certification IiP, ont passé avecsuccès l’homologation de conseiller IiP et assurent desactions de formation et soutien aux entreprises quis’engagent dans la démarche.

56 Practionner handbook – IIP UK – diffusion restreinte auxconseillers homologués IiP.

57 Dans le cadre des actions IiP déployées sur le territoirefrançais, les effectifs des entreprises est compris entre 6 et3500 salariés.

58 Ce constat n’est pas vrai pour d’autres référentiels parfoisimposés, ou conseillés par des donneurs d’ordre à leurfournisseur ou présumés satisfaire à des exigences desconsommateurs.

59 Extrait du témoignage du dirigeant de la société témoin. Question : Quelle(s) réalité(s) traduit pour vous la notion

de « capital humain » ?Réponse :J’ai le conviction intime que la valeur des hommes estindispensable à la pérennité de l’entreprise.S’engager comme on l’a fait dans une démarche« Compétence » c’est d’abord maîtriser les rôles et lesfonctions pour chacun y compris ceux de la Direction.C’est aussi maîtriser les conditions ressources pour que lespersonnes puissent donner le maximum. Pour cela respecterla hiérarchie des besoins de la pyramide de Maslow et à labase se soucier des conditions ergonomiques, del’organisation du temps de travail, de la fourniture destenues et de la blanchisserie, de la fourniture de café… ainsiles pauses cafés sont collectives (l’entreprise est fermée ) etil est « interdit » de parler « boulot ».C’est aussi assurer la continuité du travail par laconstitution de binômes : quand une personne est absente,son équipe assure le remplacement ; réactivité etpolyvalence sont une réalité. Nous nous sommes attachésà structurer et systématiser la polyvalence des équipes. Lapolyvalence est aussi un objectif attribué individuellement

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à chacun. (…)Le recours au référentiel « Investors In People » a fournià la Direction une référence communicable de l’étatd’esprit du Dirigeant ; il a permis d’étayer la visionpréalable du dirigeant ; cela a facilité la programmation deplans d’action.Et la reconnaissance de cette contribution c’est aussi dansles choses les plus simples et des témoignages spontanés :remercier une équipe de nuit de son effort pour faire faceà un surplus d’activité en organisant à l’improviste unepause « pizza ». Il ne peut y avoir d’engagement defaçade, d’implication partielle de la direction, il ne peut yavoir une attitude contradictoire aux engagements pris.

60 Interview de S. DUMAS – PDG ANTAVIA –« Epanouissement au travail » dans dossier « Le bonheurdans l’entreprise » - in Qualité en mouvement n° 60 –octobre-novembre 2003. Serge DUMAS commente lesapports de la démarche IiP en termes de motivation,d’implication et de bien-être au travail.

61 Accord AFNOR AC X 50-184 sur » la prise en compte desCompétences dans le Management de l’entreprise :bonnes pratiques et retours d’expériences » – 2004

62 MC BARTHET – « Les compétences au cœur duprogrès » - in Enjeux n°236 – juillet-août 2003.

63 Pour cette partie, les observations portent sur uneconnaissance générale des démarches et non plusseulement du périmètre de l’expérience pilote.

64 A. CHAUVEAU et JJ ROSE– L’entreprise responsable :Développement Durable – responsabilité sociale – éthique« Editions d’Organisation – 2003 – Voir notamment lerelevé de critiques telle que la RSE est du greenwashing(« peindre en vert son image ») alors que le business estidentique.

65 UGICT-CGT – contribution au symposium d’Eurocadresdes 4 et 5 décembre 2002 – B. SAINCY et PY CHANU – « la responsabilité socialede l’entreprise : du politiquement correct à l’évaluationdémocratique « - Les Echos – 4 avril 2002V. SMEE – « les cadres revendiquent leur responsabilitésociale –in lettre électronique de Novethic – janvier 2004B. SAINCY et M. DESCOLONGES – « la responsabilitésociale des entreprises : entre mode managériale etexigences de la société ? » - site Internet CGT Cadres

66 En France le référentiel est confié à la Chambre deCommerce et d’Industrie de Montauban et de Tarn etGaronne, établissement public, avec autorisation duMinistère de Tutelle.

67 JJ. NILLES – L’éthique dans le comportement desacheteurs industriels : une application de la méthode desscénarios – actes de la XXIe Université IAS – 2003.

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Investors In People, norme sociale privée britannique en FranceVéronique SOL-HERNANDEZ