Comptes rendus

3

Click here to load reader

Transcript of Comptes rendus

Page 1: Comptes rendus

Comptes rendus / Sociologie du travail 55 (2013) 245–276 247

la « délinquance rémunératrice qui domine la rue » (p. 41), restent très en retrait d’une monographiequi ne fait qu’évoquer les rapines, les agressions, les séjours en prisons, les liens avec le milieu,les mille trafics, etc. Il résulte de ce quasi-silence que la bande est saisie presqu’uniquement parses dimensions expressives ; or, même si la délinquance n’est pas la principale « fonction » de labande, il est difficile de la tenir pour marginale. De manière générale, alors que les descriptionset les propos des jeunes rapportés par M. Mohammed sont les éléments les plus passionnantsde La Formation des bandes, les analyses sociologiques, toujours très savantes, associées à cesmatériaux bruts paraissent parfois moins convaincantes tant elles sont soucieuses de ne rien céderaux stigmates et aux clichés qui écrasent l’image des bandes et des quartiers, et qui justifient lagestion strictement policière des problèmes. La manière dont la bande s’impose dans le quartier enmanipulant la peur qu’elle peut inspirer aurait mérité quelques lignes supplémentaires qui auraientmontré comment la ségrégation objective finit par être relayée par un auto-enfermement. Il y adans la vie des bandes une dureté et une violence des échanges, un aspect épuisant de la vie socialedu groupe, de ses défis, de ses embrouilles, de ce que A. K. Cohen appelait la « méchanceté »,sur lesquels le chercheur semble parfois glisser afin de n’être pas instrumentalisé par ceux qui nevoient dans les bandes qu’une forme de sauvagerie. Il en résulte parfois un sentiment de décalageentre le ton du commentaire sociologique et celui d’un matériau nettement plus brutal. Peut-êtreest-ce là le prix nécessaire de l’empathie du chercheur envers son « objet » quand, justement,celui-ci n’est jamais traité comme un objet.

Francois DubetUMR 5116, centre Émile-Durkheim, université de Bordeaux Segalen et EHESS,

3ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux cedex, FranceAdresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 29 janvier 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2012.12.024

Réinventer la famille. L’histoire des baby-boomers. Catherine Bonvalet, Céline Clément etJim Ogg (dir.). Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2011. (420 p.)

L’ouvrage de Catherine Bonvalet, Céline Clément et Jim Ogg se présente comme une his-toire des baby-boomers — définis comme l’ensemble des cohortes nées entre 1945 et 1954 — enFrance et en Grande-Bretagne, centrée sur les évolutions de la famille. Pour répondre à cet ambi-tieux programme de recherche, les auteurs — respectivement démographe, socio-démographeet sociologue — convoquent des travaux d’horizons disciplinaires variés et s’appuient sur unegrande diversité de sources et de méthodes. Les données issues du recensement éclairentles principales évolutions démographiques au cours des xixe et xxe siècles. L’exploitationde grandes enquêtes nationales (telles Situations familiales ou encore Biographies et entou-rage) réalisées à l’Institut national d’études démographiques (INED) permet de situer lescohortes qui intéressent les auteurs dans leur contexte socio-historique. Enfin, une enquêtepar entretiens, menée auprès de 90 baby-boomers (30 à Londres et 60 en région parisienne),apporte un éclairage qualitatif aux transformations de l’institution familiale au cœur de laréflexion.

« Pourquoi les générations nées entre 1915 et 1930, élevées à l’époque de l’enfant rare,vont-elles engendrer des familles nombreuses ? » (p. 56) : tel est le mystère auquel s’attaque lapremière partie de l’ouvrage en remontant à l’enfance des parents et des grands-parents des baby-boomers (chapitre 1). Cette genèse du baby-boom est documentée par une analyse des principauxcadres de socialisation qu’ont connus les mères des baby-boomers. Au lendemain de la Première

Page 2: Comptes rendus

248 Comptes rendus / Sociologie du travail 55 (2013) 245–276

Guerre mondiale, celles-ci font tout d’abord l’objet d’une propagande nataliste dans le cadrescolaire où des enseignements de démographie sont introduits pour créer un « climat familial ».Elles connaissent ensuite le développement des mouvements de jeunesse (Jeunesse ouvrièrechrétienne, Jeunesse agricole catholique, Jeunesse étudiante catholique, scoutisme, ou encoreJeunesse communiste) où elles expérimentent une sortie de l’espace domestique et la prise de res-ponsabilités. Cette première redéfinition des rôles féminins préfigure, selon les auteurs, la remiseen cause de l’institution familiale que leurs filles – baby-boomers – accompliront à la générationsuivante.

C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale que naissent les baby-boomers, dans un contextemarqué par l’austérité et la pénurie, notamment de logements. Mais ceux-ci connaissent au coursde leur jeunesse une véritable révolution des conditions de logement, de scolarisation — avecla généralisation de l’enseignement secondaire dans les années 1960 — et plus généralementdes conditions de vie (chapitre 2). Les auteurs dépeignent des baby-boomers qui profitent alorspleinement des Trente glorieuses et participent à l’émergence d’une société de consommationdont la « culture jeune » qu’ils incarnent constitue un trait saillant. Si la richesse des travauxmobilisés doit être saluée, l’effort de contextualisation du corpus de baby-boomers enquêtés faitparfois passer ces derniers au second plan de l’analyse. Le statut des enquêtés reste ambigu dans ladeuxième partie de l’ouvrage — « Les baby-boomers contre la famille » — consacrée aux transfor-mations de la famille dans les années 1960–1970 : sont-ils acteurs ou témoins des transformationsanalysées ? Peu d’enquêtés semblent par exemple avoir participé aux événements de Mai 68, etpourtant les auteurs consacrent plusieurs développements à cet événement, qui a certes eu desincidences majeures sur la remise en cause de l’institution familiale, mais qui n’est pas le seul faitdes baby-boomers (ce qu’ils reconnaissent par ailleurs). La restitution des rapports différenciésdes enquêtés aux événements de Mai-juin 68, par un usage moins illustratif des entretiens, auraitdavantage mis en valeur les résultats de l’enquête et la richesse du matériau recueilli.

Le rapport des femmes au travail et les différents arrangements qu’elles mettent en œuvrepour concilier leurs engagements familiaux et professionnels sont au cœur de la troisième partie— « les baby-boomers ou la famille autrement ». Les auteurs nous livrent ici une critique richeet empiriquement fondée des travaux qui présentent en termes de « choix » l’alternative entredifférents modèles professionnels féminins, ou qui concluent hâtivement à la fragilisation de lafamille — « Finalement, nous sommes assez éloignés de l’affaiblissement de la famille » (p. 331)écrivent-ils en conclusion. Ils reprennent néanmoins à leur compte des typologies — de modèlesféminins, de divorces, de relations intrafamiliales, etc. — sans les rapporter aux différences socialeset plus largement aux contraintes et aux conditions de possibilité des différentes configurationsfamiliales observées. On comprend par exemple que nombre des enquêtées qui deviennent femmesau foyer ont des mères qui l’étaient, et ont recu une éducation catholique, mais ces variables nesont pas convoquées dans l’analyse.

L’ouvrage se clôt sur une analyse des différents rôles familiaux endossés par les baby-boomersà l’heure de la retraite. Il s’agit ici de la « génération pivot », coincée entre des rôles d’enfantsdevant faire face à des parents vieillissants — et parfois dépendants — et des rôles de parents devantfaire face à l’insertion de leurs enfants sur un marché du travail largement dégradé par rapportà celui qu’ils ont connu au même âge. Cette dernière partie donne à voir la diversité des configu-rations familiales dans lesquelles les baby-boomers occupent des positions centrales en termesd’aides et de solidarités intergénérationnelles. Les tensions qui peuvent naître entre les intérêtspotentiellement divergents des baby-boomers, de leurs parents vieillissants et de leurs enfants quipeinent à s’autonomiser sont documentées dans toute leur complexité. L’analyse aurait gagné icià emprunter le concept de maisonnée aux travaux d’anthropologie de la parenté pour documenter

Page 3: Comptes rendus

Comptes rendus / Sociologie du travail 55 (2013) 245–276 249

les différentes configurations d’aides qu’entretiennent les baby-boomers avec leur entourage(chapitre 8).

En définitive, les baby-boomers forment-ils une génération spécifique ? Les auteurs concluentsur cette question qui sous-tend leur réflexion tout au long de l’ouvrage. L’enquête leur permet dedéconstruire, à juste titre, l’image d’une « génération dorée », et de montrer qu’il n’existe pas unegénération de baby-boomers mais une « grande hétérogénéité des parcours et des situations » (p.333). Cependant, les ressorts de cette hétérogénéité ne sont pas toujours clairement appréhendés.Si des différences en termes d’âge et de genre — notamment entre les cohortes nées avant ou après1950 — apparaissent assez nettement, elles ne sont pas analysées de manière systématique et elleslaissent souvent dans l’ombre les différences sociales. La comparaison annoncée entre la France etla Grande-Bretagne — malheureusement elliptique dans l’ouvrage — aurait enfin pu enrichir cettefructueuse réflexion sur la genèse d’un ou plusieurs ensembles générationnels de baby-boomers.

Julie PagisCentre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales,

CERAPS (UMR 8026), 1, place Déliot, BP 629, 59024 Lille cedex, FranceAdresse e-mail : [email protected]

Disponible sur Internet le 14 mai 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.soctra.2013.03.003

Économie des déchets : une approche institutionnaliste, Sylvie Lupton. De Boeck, Bruxelles(2011). 268 p.

Cet ouvrage, le premier de l’auteur, est présenté, dans la préface, comme un « manuel deréférence » sur la gestion des déchets. À juste titre : le livre est à la fois très documenté, clairet concis. S’il s’adresse à différents publics (étudiants, enseignants, entreprises, administrateursterritoriaux, législateurs, associations, etc.), l’expression est toutefois assez didactique pour qu’ilne soit pas réservé aux initiés. De surcroît, l’ouvrage aborde des problématiques relatives à toustypes de déchets (municipaux, industriels, agricoles, nucléaires, etc.) et celles-ci sont illustréespar des exemples précis de filières et d’initiatives issues de nombreux pays d’Europe, d’Amériquedu Nord et du Japon. Le cas francais est plus particulièrement approfondi.

Ainsi, après s’être penchée sur la trajectoire erratique du marché d’épandage des bouesd’assainissement en France, du fait d’une problématique de tracabilité et de qualité1, Sylvie Lup-ton élargit-elle ici son analyse au domaine, peu conceptualisé, des déchets solides. Elle s’emploieà délimiter « les contours de l’économie des déchets en termes de droits de propriété, de valeur,d’échange, de processus productif et d’externalités » (p. 37) et va même au-delà, convoquant tourà tour les disciplines : économie, sociologie, gestion, histoire, droit. Le sous-titre « une approcheinstitutionnaliste » paraît, de ce fait, réducteur.

L’ouvrage s’organise en cinq chapitres. Le premier chapitre est un nécessaire exercice dedéfinition. Le deuxième chapitre est descriptif : l’auteur y présente une typologie des déchets, lesfilières de gestion, assorties de données quantitatives européennes fiables. Le troisième chapitreest une relecture originale de l’histoire de la gestion des déchets ménagers en France, à la lumièredes modes de coordination de Karl Polanyi, revus par Mehrdad Vahabi (à qui le livre est dédié).Le quatrième chapitre dresse un panorama très complet et nuancé des instruments de politique

1 Lupton, S, 2002. Incertitude sur la qualité et économie des biens controversés. Le marché d’épandage des boues destations d’épuration urbaines. Thèse de doctorat en économie de l’environnement, sous la direction d’O. Godard, EHESS.