Comprendre et appliquer Sun Tzu - La pensée stratégique ...

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Comprendre et appliquer Sun Tzu La pensée stratégique chinoise : une sagesse en action 2 e édition enrichie Pierre FAYARD

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La stratégie est comme l’eau qui fuit les hauteurs et remplitles creux…Cette citation est extraite du plus ancien traité destratégie, L’Art de la guerre de Sun Tzu, livre de chevetd’un nombre croissant de décideurs dans le monde.Trop souvent, cependant, il est malaisé de dépasser lesformules imagées du texte et d’accéder au cœur decette philosophie pratique. L’objectif de cet ouvrage estde fournir des clés pour comprendre et mettre en œuvreles préceptes d’action contenus dans cette sagesseancienne. Il présente :• une introduction générale à la pensée stratégique

chinoise,• la description de 25 stratagèmes traditionnels adaptés

et commentés par Sun Tzu, dont 6 nouveaux dans cetteédition enrichie,

• des exemples, classiques ou originaux, pour faciliterla compréhension des concepts chinois.

De cette culture stratégique ancestrale, le lecteur retiendral’intelligence des situations, l’éloge de l’astuce et de lacréativité, le décryptage des signes annonciateurs dechangement, le souci d’économie et la recherche del’harmonie… un ensemble de principes à mettre auservice de l’action professionnelle comme de la viepersonnelle.

Best seller : + de 15.000 ex vendus

P.FA

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Comprendre et appliquer

Sun Tzu La pensée stratégique chinoise :

une sagesse en action

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www.comprendreetappliquersuntzu.com

STRATÉGIES ET MANAGEMENT

2e éditionenrichie

Pierre FAYARD

Pierre Fayard

COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU La pensée stratégique chinoise :une sagesse en action

PIERRE FAYARD

Aïkidoka et professeur à l’Université de Poitiers, il est à l’origine du pôleintelligence économique del’Institut de la communicationet des nouvelles technologies. Ses recherches portent surl’approche comparée descultures de la stratégie.Actuellement directeur duCentre franco-brésilien dedocumentation scientifiqueet technique à Sao Paulo, il est l’auteur, chez le même éditeur, du :Le réveil du samouraï.

6655708ISBN 978-2-10-051329-1

2e éditionenrichie

2e

édition

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Comprendreet appliquer

Sun Tzu

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PPPPoooolllliiiiaaaa ÉÉÉÉddddiiiittttiiiioooonnnnssss :::: rrrreeeelllliiiioooonnnnssss lllleeeessss ssssaaaavvvvooooiiiirrrrssss

À l’heure de la globalisation et des réseaux planétaires d’informa-tion, la question de l’interculturalité revient sans cesse dans lesdiscours et les préoccupations des entreprises. S’implanter enChine, développer une franchise à Dubaï, ouvrir un bureau àMiami, ou racheter un constructeur automobile japonais n’est pasmince affaire. Et ceux qui l’ont pris à la légère ont connu des échecsretentissants. Mais l’interculturalité n’est pas limitée aux rapportsentre les peuples : les mêmes difficultés de communication seposent aujourd’hui entre les spécialités (chercheur, marketing,juriste), entre les secteurs (privé, public), entre les classes sociales(travailleurs, patrons), entre les générations (

baby boomers

,

Nintendo generation

)…

La Société du Savoir

, annoncée par Peter Drucker, sera une sociétéoù la division du travail devra faire place à l’intelligence collectivecomme source de création de valeur et de développement. Unesociété où les systèmes isolés, cloisonnés et ignorants de l’« autre »,feront place à une

ouverture

à des réalités multidimensionnelles,source d’enrichissement réciproque et d’innovation. Une société oùles savoirs fragmentés, compartimentés, engoncés dans l’autosuffi-sance et l’arrogance des spécialités et des statuts, feront place à larecherche de synergie et de

lien

, intellectuel et social.Les ouvrages proposés par Polia Éditions ont pour ambition d’aiderles hommes et les organisations à comprendre et à construire cettenouvelle société. À partir d’idées, de réflexions et de pratiques «exotiques » (c'est-à-dire différentes des nôtres), nos auteurs, vérita-bles « passeurs de savoirs », tissent un corpus intelligible et appro-priable par tous, qui repose sur deux principes :

l’ouverture et lelien

.À l’image de la Société du Savoir, Polia est un réseau ouvert, deréflexion et d’action, auquel chacun peut participer en fonction deson champ d’expertise, un carrefour où se rencontrent et s’allientles cultures, les générations, les époques et les disciplines.

Jean-Yves PRAXDirecteur de collection

www.polia-editions.com

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Pierre FAYARD

Comprendreet appliquer

Sun Tzu

La pensée stratégique chinoise :une sagesse en action

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édition

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Idéogrammes de couverture réalisés par Madame Loi Dieu, disciple de M. Ma.

La traduction littérale de ces idéogrammes est : « La pensée de la stratégie chinoise ».

© Dunod, Paris, 2007

© Dunod, Paris, 2004 pour la première édition

ISBN 978-2-10-051329-1

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À Marc-Aurèle et à Gala

et en mémoire d’Antonin.

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DU MÊME AUTEUR

Le Réveil du Samouraï

, Dunod, Paris, 2006.

Trayectoria en la comunicacion publica de la ciencia

,Editorial Divulgacion de la Ciencia, Universum,Mexico, 2005.

L’Impossible formation à la communication

, (directionconjointe avec Denis Benoît et Jean-Paul Géhin),L'Harmattan, Paris, 2000.

O Jogo da interaçao. Informaçao e comunicaçao em estra-tegia

, EDUCS, Caxias do Sul, R.S. Brésil, 2000.

La Maîtrise de l'interaction. L'information et la commu-nication dans la stratégie

, Zéro Heure Éditions Culturel-les, Paris, 2000.

Le Tournoi des dupes

(roman de stratégie), L’Harmattan,Paris, 1997.

Fusion Chaude, sciences, communication et adaptation

,(avec Delphine Carbou), Éditions de l'Actualité,Poitiers, 1995.

Sciences aux Quotidiens, l'information scientifique dans lapresse quotidienne européenne

, Z'Éditions, Nice, 1993.

La Culture Scientifique, enjeux et moyens

, (textes choisispar), La Documentation Française, Paris, 1990.

La Communication scientifique publique, de la vulgarisa-tion à la médiatisation

, La Chronique Sociale, Lyon,1988.

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AVANT-PROPOS À LA 2

e

ÉDITION

e succès de la première édition de ce livre témoigne del’actualité d’une pensée stratégique, et de son texte deréférence

1

, dont l’origine remonte à près de vingt-cinqsiècles. Plus que jamais aujourd’hui la familiarisation avec cettepensée s’avère nécessaire pour chacun et c’est à sa vulgarisationque cet ouvrage est consacré. Dans l’époque tumultueuse oùnous vivons, elle représente un éloge de la fluidité, de la libertéet de l’ouverture d’esprit, en même temps qu’une ode à la créati-vité astucieuse.

Par définition, la stratégie est contraire à la fatalité. Depuis quele monde est monde, elle n’a de cesse de faire mentir ce que lesmécaniques prévisionnelles désignent comme inéluctable. Auxcôtés, mais distincte, de la science, elle représente une entreprisedes plus humaines et partagées qui soit, des plus spontanémentnécessaires aussi. Dans sa version chinoise, elle s’inscrit particuliè-rement à l’encontre de prétendus modèles fixes et définitifs, assu-rant qu’il existe des méthodes infaillibles pour parvenir à ses fins.Comme s’il était envisageable d’enchaîner la volonté des autreshommes en leur dictant comment se comporter pour être encohérence avec les attentes et vues de généralissimes aussi omni-potents que le dieu de l’évangile ! Ces illusions désastreusesoublient un détail, mais de taille, c’est que la réalité n’attend pasles lumières de tel ou tel stratège, si brillant soit-il, pour obtempé-rer à ses injonctions et obéir à ses définitions. Par bonheur, elle estautrement riche et malléable que ce que la seule linéarité de laraison enferme dans ses interprétations.

La voie chinoise de la stratégie est relationnelle, elle se définittoujours en fonction de la gamme des possibles qu’une situationrecèle en elle-même. C’est en le révélant, puis en s’associant à cepotentiel qu’elle se manifeste. L’architecte sino-américain Pei, en

1.

L’Art de la guerre

de Sun Tzu.

L

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VIII COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

charge de la réorganisation du Musée du Louvre, commença parressentir et s’imprégner du lieu avant d’émettre une quelconqueidée de plan. Pour lui, la majestueuse pyramide de verre qui lecoiffe à présent était comme déjà contenue et portée par l’espacemême de la Cour Napoléon. De là à dire que l’harmonie eststratégique, il n’y a qu’un pas, mais cela nous entraînerait au-delà de ce simple avant-propos. À l’instar de la culture stratégi-que japonaise

1

, celle de la Chine ancienne compte sur la sensa-tion pour appréhender des tendances à l’état naissant. En semettant à l’école de la nature, en l’accueillant avec sensibilité etperspicacité, le stratège devient à même de s’en faire une inspira-trice et une alliée. Se mettre à l’écoute amplifie ses capacités etfait naître des ouvertures et des scénarios que la seule réflexionisolée et coupée du réel ne saurait ni concevoir ni imaginer. Dequoi méditer et sans doute appliquer dans les turbulencesactuelles dont les fertilités demeurent à révéler !

Par rapport à la première édition, la présente comporte sixstratagèmes supplémentaires, choisis parmi ceux des troisdernières familles du classique des trente-six stratagèmeschinois : des situations de chaos (4), d’impasse (5) et désespérées(6). Chacune de ces familles comporte ici deux stratagèmes :« 19. travailler en montagne » et « 20. la confusion opportune »(

de chaos

), « 29. Enrôler la force adverse » et « 30. Rendrel’inutile indispensable » (

d’impasse

), et enfin « 31. La faveurfatale » et « 32. La déception paradoxale » (

désespérées

). Plutôtque de conserver la numérotation originale de l’édition chinoise,nous avons préféré indiquer leur continuité dans ce livre et lesregrouper dans une seule partie intitulée « stratagèmes de ladernière extrémité ». Comme dans l’édition précédente, laconclusion demeure le trente-sixième stratagème : la grandeurde la fuite. Pour aider à la mémorisation des stratagèmes, touten associant leurs intitulés traditionnels à ceux proposés parl’auteur, un tableau synthétique les propose en annexe, en yassociant une phrase qui résume leur principe et la mention del’histoire de référence utilisée dans le texte.

Sao Paulo, juillet 2007.

1. Fayard Pierre,

Le Réveil du samouraï. Culture et stratégie japonaise dans lasociété de la connaissance

, Dunod, Paris, 2006.

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TABLE DES MATIÈRES

Introduction

1

PARTIE I

STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

1 Cacher dans la lumière

25

2 L’eau fuit les hauteurs

31

3 Le potentiel des autres

39

4 Les vases communicants

47

5 Le chaos fertile

55

6 La stratégie adore le vide

63

PARTIE II

STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

7 Créer à partir de rien

73

8 Vaincre dans l’ombre

83

9 Profiter de l’aveuglement

91

10 Le sourire du tigre

97

11 Qui sait perdre gagne

103

12 La chance se construit

111

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X COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

PARTIE III

STRATAGÈMES D’ATTAQUE

13 La pince des louanges

119

14 Le potentiel du passé

127

15 La victoire par la situation

133

16 Lâcher pour saisir

139

17 Du plomb pour de l’or

145

18 Le poisson pourrit par la tête

151

PARTIE IV

STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

19 Travailler en montagne

159

20 La confusion opportune

169

21 (29) Enrôler la force adverse

181

22 (30) Rendre l’inutile indispensable

191

23 (31) La faveur fatale

199

24 (32) La déception paradoxale

207

Conclusion

Grandeur de la fuite

215

Tableau synoptique des stratagèmes,de leurs intitulés et des histoires qui y sont associées

219

Bibliographie

225

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INTRODUCTION

n ne compte plus aujourd’hui les référenceset les citations tirées du classique de Sun Tzu,

L’Art de la guerre

1

, pourtant écrit plus de quatresiècles avant notre ère. En ce début de millénaire etsur tous les continents, un nombre croissant depolitiques, d’entrepreneurs, d’administrateurs, demilitants, de militaires ou de simples citoyensavouent en avoir fait un livre de chevet. Pourtant,entre la fascination intellectuelle, voire poétique, etl’application de ses principes et recommandations,autant dans l’analyse que dans la mise en œuvre,force est de constater que le pas n’est guère aisé àfranchir. Dire que

l’art de la guerre est comme l’eauqui fuit les hauteurs et remplit les creux

est unechose, l’interpréter comme l’exhortation à éviter lesrésistances et à se conformer aux contours d’unesituation pour progresser inexorablement et insensi-blement en est une autre !

Le lecteur occidental, dont la représentation del’action tend spontanément vers ce qui est direct et

1. La première édition de l’ouvrage en Europe remonte à 1772et fut effectuée par un jésuite français, le père Jean JosephMarie Amiot.

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visible, a besoin de clefs et d’images qui lui soientpropres pour percevoir et intégrer les orientationsspécifiques de la pensée stratégique chinoise. C’està cet apprivoisement qu’invite le présent ouvrage,avec pour ambition d’enrichir la manière d’appré-hender la réalité dans tout le potentiel

1

qu’ellereprésente et d’exercer la volonté. Cette perspectiveest d’autant plus d’actualité que le réseau, le flux,l’échange et la transformation progressive sontautant au cœur de la culture chinoise que de lasociété informationnelle à l’échelle planétaire.

La culture stratégique de la Chine traditionnelleest profondément marquée par les caractères physi-ques et démographiques d’un vaste pays dontl’histoire se compte en millénaires et la populationen centaines de millions. Pour survivre et parvenirà ses fins dans la Chine d’hier comme d’aujourd’hui,deux principes clefs s’imposent : l’économie etl’harmonie. La bonne gestion des ressources poursoi et leur ruine éventuelle chez l’autre s’il est unopposant, constituent ici un pivot de la relationstratégique et du travail de l’interaction des volontés.Qui sait optimiser l’usage des moyens est considéré

1. Cette notion de

potentiel

est essentielle dans la pensée straté-gique chinoise. Elle recouvre tout l’échantillon des possiblescontenus dans une situation donnée du fait même de sadynamique propre et des ressources qu’elle recèle. L’art dustratège consiste précisément à l’identifier et à en compren-dre les mécanismes sous-jacents afin d’en tirer profit en lesmettant en œuvre au service de ses projets.

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Introduction 3

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comme sage et vertueux. Son efficacité est d’autantplus célébrée qu’elle mobilise des ressources qui luisont extérieures : celles de collaborateurs, deconcurrents, voire d’ennemis par le biais de subter-fuges et autres stratagèmes.

Toute l’histoire de la Chine tourne autour dela conquête et de la préservation de l’État en tantqu’unité qui fonctionne et qui régule les échangesde manière suffisamment harmonieuse pour assu-rer la durée. Jusque dans les périodes troublées,dites des

Royaumes Combattants

, où les seigneursde la guerre se disputaient l’espace du pays, laréférence demeurait l’unité de l’Empire à recons-truire sur de nouvelles bases. L’art de durer est aucœur de cette culture de la stratégie au point queles Chinois soient parvenus à transformer dutemps en espace en retournant des défaitestemporaires en victoires territoriales par le biaisde la sinisation de leurs conquérants mongolspuis mandchous. Aujourd’hui, une part de laMongolie est chinoise et la Mandchourie l’estintégralement. Dans l’Empire du Milieu, la raretérelative des biens contraste avec une grande habi-lité à utiliser le temps. C’est sur cette dimensiontemporelle que les Chinois se procurent uneliberté de manœuvre et tirent profit du change-ment des circonstances.

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4 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

Quand la vertu est stratégique

À l’image du jeu d’origine chinoise le

wei chi

, plusconnu sous son appellation japonaise de jeu de

go

,la maîtrise du territoire est synonyme de vie enChine. La sécurité de la création, du maintien oude l’expansion des territoires dépend avant tout dela solidité et de la fiabilité des communicationsinternes entre ses éléments constitutifs. Ici, les rela-tions sont plus importantes que les composanteselles-mêmes. Pour Sun Tzu

1

, contemporain duGrec Thucydide, la qualité des liens entre le généralet ses troupes, ou entre le prince et ses sujets, est lameilleure des garanties de l’invincibilité.

Les intermédiaires jouent un rôle prépondérantdans la culture stratégique chinoise car ils représen-tent des articulations essentielles, des élémentspivots de la stabilité ou de son contraire, le désé-quilibre. Pour s’assurer de l’invincibilité, tâchepremière selon Sun Tzu, le stratège s’attache àmettre en place un tissu de relations légitimes etritualisées qui structure en un ensemble cohérent etréactif une armée, une entreprise ou un pays. Pourlui, l’invincibilité ne dépend pas prioritairement del’accumulation de moyens physiques offensifs etdéfensifs, mais de la confiance qui unit un pouvoir,reconnu comme juste et légitime, avec ses sujets ou

1. Auteur du plus vieux traité de stratégie (cinq siècles avantJ.-C.) qui est aussi le plus lu aujourd’hui dans le monde entier.

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ses administrés. Faute de quoi, qui prétend détenirla force n’est, en définitive selon l’expression deMao Tse Toung, qu’un

tigre en papier

1

: il a toutesles apparences de la force du tigre, mais sa réalitéest aussi vulnérable que le papier que l’on froisse,déchire ou brûle aisément.

C’est pourquoi, le souverain, en partageant véri-tablement les peines et les joies de son peuple,s’assure de la solidité de son soutien. Une foisl’invincibilité acquise du fait d’une harmonie inté-rieure et de l’excellence de l’administration, leserreurs adverses offrent des opportunités de gainsou de victoires. Puisque la qualité des communica-tions constitue la force réelle, son contraire engen-dre la faiblesse et c’est cela que le stratège révèle oususcite chez ses adversaires ou concurrents. Plus lesrelations entre les composantes de l’édifice socialadverse sont défectueuses, plus celui-ci gaspille sesressources et en conséquence plus l’avantage dustratège vertueux s’affirme. Car en Chine, la vertuest stratégique !

Harmonie et économie permettent de durer, dese défendre et de conquérir. On les développe poursoi et on les accable chez les autres en cas de conflitou de concurrence. Sur ce registre, le recours auxstratagèmes est l’instrument le plus recommandé,

1. À l’époque du maoïsme triomphant et de la RévolutionCulturelle chinoise, cette expression désignait les États-Unisd’Amérique, taxés d’impérialisme.

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précisément par souci d’économie ! La fluidité desrelations et la circulation des énergies font vivre etassurent le maintien et la santé du collectif, qu’ils’agisse d’une famille, d’une entreprise, de la sociétédans son ensemble ou de son instrument militaire.

On retrouve cela dans les mouvementscoulants, fluides et continus du

Taï chi chuan

, artmartial emblématique de la Chine, qui se tradui-sent dans une activité d’ensemble et de chaquepartie du corps dans un ballet sans fin. Toutbouge simultanément et évite le blocage, qui estcoagulation génératrice de désordre et de maladie.L’énergie circule en permanence et c’est autant legage d’une bonne santé que de l’invincibilité. Ilest dit que la médecine chinoise traditionnelleavait pour objet premier de maintenir en bonnesanté (invincibilité) et de soigner uniquement encas d’échec du médecin à interpréter, à réguler et àréorienter les flux. Sur un autre registre, le manda-rin, fonctionnaire lettré, assurait le maintien deséquilibres dynamiques, c’est-à-dire des flux, dansle grand tout que constituait l’administration del’Empire.

La philosophie du

yin

et du

yang

, qui voit lemonde comme une transformation permanente,forme le soubassement de la culture de la stratégiede la Chine traditionnelle. De l’interaction cons-tante de ces deux principes opposés

et

complémen-taires résulte un changement incessant dont ilconvient de distinguer les prémices. On s’y adapte

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pour en tirer profit plutôt que de les subir. Or, cen’est pas le fort en muscles qui est le plus à mêmed’interpréter les signes ténus des modifications encours ou à venir, mais bien plutôt le sage, l’hommede vertu et de connaissance. C’est pourquoi, dansl’antiquité chinoise, les princes et les empereurs onttoujours cherché à s’assurer les services desmeilleurs conseillers, de ceux qui étaient riches ensagesse, en prescience et en ruses.

L’intelligence du réel, connaissance intime desmutations en cours, permet de gérer et d’agir à bonescient en anticipant et en se laissant porter par lesdynamiques transformatrices et pourvoyeuses devigueur ou de dépérissement. Encore et toujoursles notions d’économie et d’harmonie ! Connais-sant le sens des flux, c’est en les épousant que, para-doxalement, le stratège les dirige. Il se maintient ensynergie avec eux et s’inscrit dans leur logique. Enles accompagnant, il se fait accompagner par plusfort que lui, et c’est ainsi que la plus grande dessoumissions peut se révéler être une dominationparadoxale mais invisible. La plus grande souplessese transforme en une force redoutable car insaisis-sable. On dit que l’océan qui ne peut être saisi,saisit ! Mais si le stratège est homme de vertu, celuiqui échoue en revanche n’a aucune excuse car c’estle résultat, si ce n’est la preuve, de son manque devertu. Il est dès lors légitime et naturel qu’il dispa-raisse sans que la notion de pardon puisse êtreinvoquée !

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8 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

C’est toujours ce même souci de l’économie quifait dire à Sun Tzu que les armes sont des instru-ments de mauvais augure auxquels on ne doitrecourir qu’en toute dernière limite ! L’affronte-ment est coûteux, hasardeux et destructeur. Unecontrée soumise par la force est difficilementcontrôlable et le bénéfice de la victoire en est moin-dre. Surmonter le ressentiment, atténuer le désir devengeance, effacer les douleurs… tout cela estcontraire à l’économie. C’est pourquoi la meilleuredes stratégies ne cherche pas l’affrontement directet ouvert avec les troupes adverses ou l’assaut desplaces fortes, mais elle s’attaque aux plans del’adversaire et à son esprit, écrit Sun Tzu !

Le stratège qui parvient à percer les intentionsde son adversaire et à en développer la connais-sance a déjà presque partie gagnée. On mesure ladifférence avec le grand classique occidental de lastratégie,

De la guerre

de Carl von Clausewitz

1

, quirecommande d’annihiler en priorité la forcemajeure de l’adversaire afin de le mettre en situa-tion de ne plus pouvoir se défendre et ainsi luidicter sa volonté. À l’inverse en Chine, la subtilité,

1. Général prussien, contemporain de la Révolution Françaiseet de l’Empire, qui s’efforça de produire une théorie de laguerre, à partir de l’histoire et de l’observation des batailleset campagnes, notamment celles de Napoléon Bonaparte,mais aussi de Frédéric II de Prusse et d’autres. Clausewitz estconsidéré comme la référence pour les guerres majeures de lafin du

XIX

e

et du

XX

e

siècle.

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voire la sensibilité, fait la différence pour apprécierqualitativement le mode de fonctionnement del’esprit adverse. L’accumulation ou l’engagement demoyens matériels n’intervient qu’en second temps.Plutôt que de s’attaquer aux forces opposées par lavoie extérieure des armes, il est plus avantageux deles affecter de l’intérieur par la déstabilisation, parexemple en pourrissant les liens qui unissent leursdifférentes composantes. Dans cette perspective, laconnaissance de l’autre, de la nature de ses commu-nications internes et avec son environnement eststratégique. Le sage-stratège fait jouer ce potentiel àson profit, en l’orientant à partir des courants quil’animent. Discorde et gaspillage sont les meilleursvecteurs de la déstabilisation adverse. Passions,égoïsmes, prétentions, fléaux naturels, fractions,jalousies, ambitions… représentent non seulementdes points d’appuis mais des moteurs de déstabili-sation que le stratège met en œuvre avec tact, touten demeurant invisible. La proie tombe alors dansla main du prédateur sans que celui-ci n’apparaissele moins du monde comme tel. Ce n’est, en appa-rence, que le simple travail de la nature qui trans-forme les situations sans que l’on puisse y détecter

stratège sous roche !

L’intelligence du changement et la créativité« stratagémique » permettent de vaincre àdistance, idéalement sans s’exposer. Plutôt que dese développer dans la sphère du visible, solide etqui résiste, c’est au niveau des prémices qu’il est

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10 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

économique d’agir. Par la suite, les cycles des trans-formations, de la croissance et de la décroissance,font le reste et il ne s’agit là que du déroulementnaturel des choses…

Comme le sage, le stratège idéal est sansvolonté

1

, sans dispositions fixes et ni credo coulédans le bronze. C’est au contraire sur l’image del’eau qu’il règle son comportement, si tant est quel’on puisse oser une telle formulation. Parce quel’eau n’a pas de forme déterminée, écrit Sun Tzu,elle emprunte celle de ce qui la contient, elle seconforme à la topologie du terrain ou de la situa-tion où elle se trouve. Dans un vase elle est vase,dans une cuvette elle est cuvette, sur une surfaceplate elle s’étale, dans la chaleur elle est vapeur,dans le froid intense elle est glace, givre ou gelée,sur un relief accidenté ou dans une déclivité elle estfarouche… C’est en s’adaptant aux conditionschangeantes que l’eau demeure ce qu’elle est. Ainsidoit-il en être de l’art de la guerre ou plus générale-ment de la stratégie selon Sun Tzu. Clausewitz lerejoint lorsqu’il écrit que la guerre est un véritablecaméléon. Mais surtout, l’eau est potentiel du faitde la gravité et l’art du stratège consiste à en tirer lemaximum d’effet par un travail de configurationdes situations.

Sun Tzu recommande au stratège de ne pasattendre la victoire de ses soldats, mais du contexte

1. Voir à ce propos les livres de François Jullien.

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dans lequel il les dispose. Pour lui, la force ou lafaiblesse, le courage ou la couardise ne sont pas desqualités définitives liées à la nature même dessoldats. Elles découlent des situations dans lesquel-les ils sont plongés car ce sont elles qui rendent lescombattants forts, courageux ou l’inverse. Unpotentiel d’action se concentre, à l’image d’unbarrage où s’accumulent de grandes quantités d’eauet dont on ouvre les vannes au moment opportun.Plus grande est la déclivité, plus puissant sera lecourant qui emportera tout sur son passage et vien-dra naturellement à bout des résistances les plushautes. C’est de la qualité de ce

rapport de situations

que découle la décision, bien plus que du simplerapport numérique de forces. L’art stratégique de laChine ancienne est manipulateur de situations.Mais cette culture, qui fonde l’existence multimil-lénaire de ce pays, peut aussi être entendue commeune école de sagesse, une voie ou un

do,

au sensjaponais d’un chemin de perfectionnement pouraccéder à la connaissance et à l'harmonie.

L’art majeur de la ruse

En Occident, ce que l’on qualifie de ruse de guerrerelève d'un art mineur, voire complémentaire. Enrevanche, elle représente en Chine un mode straté-gique majeur, économique et adapté à une culturedans laquelle l’usage du temps est une inclinationde prédilection. L’esprit de stratagème s’enracine

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12 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

dans des représentations du monde, dans unephilosophie, voire dans une véritable cosmogonie.Épouser les voies de la nature, s’y fondre et s’yconformer pour mieux les orienter, la propositionne manque pas de surprendre un esprit occidental,habitué à distinguer entre des états

inaltérables,

etporté à appliquer, de l’extérieur, sa volonté au réelpour le transformer.

Dans la philosophie du

yin

et du

yang

, la plusgrande des soumissions est le prélude à la naissancede la plus grande des forces. Cela passe par la prati-que d’une sensibilité intelligente qui perçoit, sous-jacente aux manifestations tangibles, l'œuvre descontraires-complémentaires (

yin

et

yang

) dontl’interaction permanente préside aux changements.Pour les Chinois, le plus et le moins, le fort et lefaible, le vrai et le faux, le plein et le vide, le lumi-neux et l'obscur… n'existent pas en tant que quali-tés fixes et indépendantes. Ils sont au contrairefondamentalement relatifs et

inter

dépendants. L'

un

est aussi la condition de l'

autre

dans un processussans fin ne pouvant, par définition, exclure soncontraire et le priver d’existence. De fait, il fautfaire avec. Si l’un des versants de la montagne estplongé dans l'ombre, l’autre est baigné delumière… L'homme n'existe pas sans la femme et

vice versa

, le cycle d’une relation sexuelle inverse lesqualités du dur et du mou. La graine porte l'exis-tence de la plante qui, atteignant son apogée, donnenaissance à la graine. Modalités momentanées de

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l’énergie, tout se transforme à terme en soncontraire après lui avoir donné naissance.

L’art stratagémique dans sa version chinoise nes’impose pas en s’opposant, mais en épousant pourconduire

1

de telle sorte que le

je

disparaisse appa-remment dans le travail de la nature. L’intelligencesensible perçoit les potentiels contenus dans lessituations animées par le jeu dynamique descontraires. La voie stratégique chinoise procède duféminin vers le masculin à l'inverse du modemajeur occidental. Au jeu de

go

, le vide préexiste auplein alors qu’aux échecs l’ensemble des pièces(potentiel) occupe l’échiquier dès le début de lapartie. À l’inverse aucune

pierre

ne figure sur le

go-ban

2

et c’est le joueur aux pierres noires qui joue lepremier en commençant par les bords !

D’essence indirecte, le premier temps de l’atti-tude stratagémique néglige temporairement lesintérêts propres de l’acteur car ils risquent de letroubler et de limiter sa perception en finalisanttrop ses attentes. Les signaux faibles annonciateurs dutravail de la nature sont délicats et s’appréhendentmal avec de gros sabots, pourrait-on dire. De

1. Sur ce propos, le lecteur pourra se référer aux travaux desinologues comme Cyrille Javary, Ivan Kamenarovic ouencore François Jullien.

2. Tableau ou échiquier sur lequel se joue le

go

. Il se composed’un ensemble de dix-neuf lignes verticales croisant dix-neuflignes horizontales, soit de trois cent soixante et une inter-sections.

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14 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

préférence à la mise en avant d’intérêts particulierset immédiats, la réceptivité et la disponibilité face àl’environnement sont hautement recommandées.L’approche initiale est stratégique, ouverte, globaleet considère de grandes échelles de temps parcequ’il s’agit d’identifier et de rassembler le plus vastepotentiel sans idées préconçues. Elle se différencied’une préoccupation d’abord tactique, fermée,locale et soucieuse d’atteindre ses objectifs à trèscourt terme.

Les définitions trop hâtives, tout comme lafermeté des intentions,

arrêtent le monde des possi-bles.

Elles sont contraires à l’identification de flux etde potentiels disponibles où s’inscrire en agissant

avec

l’environnement. Paradoxe, ou pour le moinssurprise, toute l’actualité de la pensée stratégiquede la Chine traditionnelle se révèle dans le mondeglobal et interdépendant que nous connaissonsaujourd’hui. Ceci étant posé, ni la volonté ni ladétermination ne sont en reste et l'approche directepeut avoir son moment favorable une fois lesconditions réunies, en Chine comme ailleurs.

L'art stratégique chinois est rebelle à l'idéed'action individuelle, atomisée, souveraine etcoupée du concours de la nature. Parce que lemonde est évolution permanente, toute situationn'est qu'un instant particulier dans un cycle. Uneposition de force est souvent le produit d'unefaiblesse antérieure que l'on a transformée. Unevulnérabilité peut résulter d'une trop grande habi-

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tude de la force, devenue illusion du fait de laconfusion entre la nature

relative

du moment oùl'on est fort, et une prétendue force absolue, intem-porelle, incorruptible et indépendante des circons-tances et des évolutions. La faiblesse succède à laforce selon des rythmes plus ou moins longs.

Chaque principe,

yin

ou

yang

, naît de l'intérieurde son opposé, qui lui est en outre complé-mentaire. Ils n’existent pas isolément et celaconduit à penser leur interaction et celle des volon-tés

1

comme une source de créativité stratégiquesans limite. Si les rythmes longs ne sont pas favora-bles, le recours à des rythmes courts ou encore à demicrorythmes où l'alternance entre force etfaiblesse connaît un tempo accéléré, ouvre despossibilités

2

. Ce que l'on ne peut réussir tactique-ment contre une brute armée jusqu'aux dents, onpeut aussi y parvenir si l'on sait lire et tirer parti del'alternance des rythmes constitués par des couplescomme la respiration, le va-et-vient entre attentionet relâchement ou encore en recadrant les termesde l’interaction des volontés sur d’autres terrains ousur des échelles plus vastes.

1. Sur ce sujet, voir

Introduction à la stratégie

d’André Beaufreet

La Maîtrise de l’interaction. L’information et la communica-tion dans la stratégie

de Pierre Fayard.2. L’usage de microrythme est extrêmement développé dans la

culture stratégique, du Japon en particulier.

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16 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

L’attitude stratagémique enseigne à voir derrière lesmanifestations visibles non pas tant une réalitédéfinitive à affronter, mais bien plutôt un étattransitoire manifestant le moment d'une transfor-mation d'énergie. L’art stratégique chinois recom-mande de ne pas chercher à agir localement auniveau de l’immédiat, mais sur l’évolution globaledes flux. Cartographe avisé, le sage-stratège calculeses positions, accélère ou ralentit sans tomber sousle joug de l'attraction trompeuse et piégeante desformes. Un sabre n'est pas dangereux en soi maisen fonction de l'état et de l'habilité de qui le mani-pule et de la situation dans laquelle celui-ci setrouve.

Le classique des

Trente-Six Stratagèmes

Pour aborder plus avant la pensée stratégique de laChine ancienne et l’adapter en des termes que lelecteur de culture occidentale puisse entendre afinde s’en inspirer dans ses pratiques de tous les jours,il existe un traité de référence. Depuis des siècles, letraité dit des

Trente-Six Stratagèmes

rassemble dansle monde chinois l'interprétation de différentsauteurs sur une suite d’items que nous pourrionsqualifier de

logiciels stratagémiques

.Chaque stratagème se présente sous la forme

d’une collection de quatre idéogrammes que l’ondoit interpréter et adapter aux situations qui lesappellent. À la différence de

L’Art de la guerre

de

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Sun Tzu, l’ouvrage ne fait pas référence à un auteurexclusif mais à plusieurs qui se succèdent à traversles âges et les implantations diverses de la diasporachinoise. Le nombre d’interprètes occidentaux deces

logiciels

ne cesse aujourd’hui de croître. D’unemanière générale, ces stratagèmes s’appliquent àtoute situation où interagissent des volontésqu’elles soient politiques, militaires ou économi-ques, mais aussi à la gestion, à la négociation et auxrelations interpersonnelles.

Dès lors qu’une volonté se manifeste dans uncontexte plus ou moins difficile, elle peut s'inspirerde ces

logiciels stratagémiques

pour parvenir à sesfins. Mais leur connaissance ne garantit pas pourautant la réussite absolue, pas plus qu’un logiciel detraitement de texte ne crée des génies littéraires dusimple fait de son usage. L'application de ces stra-tagèmes à des situations particulières requiert nonseulement de l'intelligence, dans le sens d'unecompréhension subtile des potentiels, des inten-tions et des relations, mais aussi de la créativité, del’astuce et un grand sens du rythme. Pas plus que lastratégie en général, le stratagème ne relève d’unescience exacte où des conditions prétendument

identiques

produiraient des résultats calculables etprévisibles.

Les circonstances et surtout les protagonistes nesont jamais les mêmes. Leurs capacités respectiveset leurs niveaux de connaissance demeurent en perpé-tuel apprentissage et continuelle transformation.

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18 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

Affaire de volontés aux prises dans des environne-ments changeants et peu maîtrisés, le stratagèmerelève de l'art plus que de la science.

Les versions et commentaires du classique des

Trente-Six Stratagèmes

sont innombrables et varientselon les auteurs, les époques et les lieux, mais aussiles domaines d’application. C’est ainsi, par exem-ple, qu’il existerait une variante particulière dévo-lue au champ de l’action familiale et des relationsentre hommes et femmes. Dans le présent ouvrage,on trouvera des références à une dizaine de versionsen français, anglais et espagnol. Alors pourquoidonc en rajouter une de plus ? Cela résulte d’untravail de plusieurs années d’étude et d’enseigne-ment, mais aussi, et avant tout, d’un constat qu’ilconvient d’éclairer.

Les lecteurs de

L’Art de la guerre

de Sun Tzusavent d’expérience que le mode d’expression de lapensée chinoise diffère notablement de ce dontnous avons coutume en Occident. La compréhen-sion d’une culture stratégique asiatique supposeque nos modes de pensée occidentaux s'adaptent àune autre forme de pensée, de conceptualisation,de représentation mais aussi d'expression. Nous envoulons pour preuve la diffusion des arts martiauxjaponais. En tant qu’ancien aïkidoka, j’ai person-nellement le souvenir de stages avec de véritablesmaîtres nippons (

sensei

) où la logique eût vouluqu’au niveau de perfection des enseignants corres-ponde une progression similaire des pratiquants.

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Quel enchantement devant la maîtrise des senseipendant que leurs déplacements donnaient àcomprendre une technique particulière : toutparaissait fluide, spontané, esthétique, sans effort etd’une efficacité à toute épreuve. À l'issue de ladémonstration, le maître lançait le ai dozo caracté-ristique qui invitait à l’exercice, mais force étaitalors de constater que la suprême facilité, la justesseet l’économie du geste n’étaient pas au rendez-voussur le tatami ! Un écart terrible s’interposait entre laperception fascinée que nous ressentions lors de ladémonstration d’une part, et nos capacités effecti-ves à traduire l’enseignement en actes d’autre part !

Par chance, des professeurs français prenaient lerelais et expliquaient ultérieurement, et au moyend’une pédagogie tout occidentale, commentenchaîner les phases successives du mouvement.Tout y passait : de la position des pieds à celle descoudes, du niveau des épaules à la direction dubassin… le détail était précis, explicite et séquencélà où l’enseignement à la japonaise livrait uneforme globale à reproduire1. Sans cette occidentali-sation, le risque est permanent de passer à côté et dene pouvoir approcher la saveur et la profondeur

1. Au Japon, la transmission du savoir et de la compétencefonctionne essentiellement sur un mode tacite et silencieux,de hara (centre vital) à hara, dit-on. Le travail de l’apprenantse fait à partir de l’essence d’un mouvement plus que de sonséquençage. Le global l’emporte sur le local.

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20 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

d’un contenu masqué par la force gravitationnellepropre à une culture lointaine.

Il est plaisant d’entendre Sun Tzu comparer l’artde la guerre à l’eau qui fuit les hauteurs pourremplir les creux, mais… so what ? Il est frustrantque ce constat glisse sur la toile cirée de nos neuro-nes sans y pénétrer ni les fertiliser ! C’est pouréviter cet effet toile cirée sur laquelle glisse l’eau dela lecture que ce livre se veut un apprivoiseur deculture, un intermédiaire à la fois déconstructeur etbâtisseur de passerelles.

Pour comprendre et appliquer Sun Tzu, le choixde cet ouvrage porte sur une sélection de vingt-quatre des trente-six stratagèmes, entendue commeun support pour aborder la pensée stratégique de laChine ancienne.

L’ensemble se conclut sur le stratagème des strata-gèmes selon les auteurs, celui de la fuite ! Lorsqu’unconflit ne peut trouver d’issue favorable tant lasituation est désespérée, le meilleur choix est des’enfuir car cela signifie préserver son potentielpour les temps meilleurs qui ne manqueront pas desurvenir tôt ou tard.

Le lecteur trouvera dans ce livre, la présentationde ces vingt-quatre logiciels stratagémiques, rassem-blés en quatre familles et selon une présentationidentique. Un titre, la plupart du temps original,introduit chacun d’entre eux, agrémenté par une

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Introduction 21

ou deux citations, et par quelques images et expres-sions indicatives qui donnent l’ambiance et l’espritdu stratagème. À titre de référence, mention estfaite des titres habituels tirés de versions publiéesen français, en anglais et en espagnol du classiquedes Trente-Six Stratagèmes. Une histoire, tradition-nelle ou originale, rend ensuite compte d’uneapplication exemplaire de chacun de ces stratagè-mes. Ces récits servent d’armature au développe-ment d’un aspect particulier de la penséestratégique chinoise.

Souhaitons à présent bonne lecture et décou-verte de cette culture qui introduit aussi à uneforme de sagesse. Notre vœu le plus cher est qu’elleenrichisse et stimule l’intelligence et l’ouvertured’esprit du lecteur ainsi que sa créativité stratégi-que.

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PARTIE I

STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

1 Cacher dans la lumière2 L’eau fuit les hauteurs3 Le potentiel des autres4 Les vases communicants5 Le chaos fertile6 La stratégie adore le vide

ette première série du classique des Trente-SixStratagèmes est dite de la position supérieure

dans le sens où celui qui y recourt se situe horsd’atteinte des menées adverses. Le stratège consi-dère l’environnement sans trop en subir lescontraintes et dispose de la possibilité de prised’initiatives. En termes stratégiques, il bénéficied’une liberté d’action dominante par rapport aux

Stratagèmes en situation de domination / Strata-gems when winning / Stratagèmes des bataillesdéjà gagnées / Stratagems when in superior posi-tion / Estrategias cuando se domina la superioridad

C

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24 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

autres acteurs et dans sa relation avec la situationproprement dite.

Le revers de la médaille réside en ce que seschoix sont exposés en pleine clarté, d’où la néces-sité d’user de ruses et de faux-semblants en mêlantsubtilement vrai et faux, ombre et lumière, leurre etréalité… afin d’éviter de dérouler un jeu trop prévi-sible. Cette première série procède d’une approcheplutôt directe, bien qu’en matière de stratagèmesles choses ne soient jamais aussi simples, évidenteset unidirectionnelles.

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1

CACHER DANS LA LUMIÈRE

Ce qui est familier n’attire pas l’attention.Proverbe chinois

L’habitude sécurise le secret –

Un secret en habit de lumière – Aveugler

Au cours d'une campagne militaire, l'empereur duNord, victorieux, campe avec son armée au bordd’un fleuve de l'autre côté duquel les restes destroupes ennemies vaincues sont rassemblés. Lefranchissement du fleuve assurerait une victoiretotale mais le souverain, craintif, tergiverse en

Mener l'Empereur en bateau / Abuser l'Empereuret traverser la mer / Cacher le ciel pour traverser lamer / Cross the sea under camouflage / Cross thesea by deceiving the sky / Crossing the sea by trea-chery / Cross the sea without heaven's knowledge /Cruzar el mar confundiendo al cielo / Cruzar almar a simple vista

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26 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

dépit des recommandations offensives pressantesde ses conseillers.

Refusant d’argumenter plus avant, l'un d'entre euxfait construire un îlot artificiel suffisamment vastepour présenter toutes les apparences d’un vraicamp de campagne sur la terre ferme. Arbres,chevaux, tentes… rien ne manque. L’esprit sansinquiétude, l’Empereur s’installe comme à l’ordi-naire sur cet îlot, qu'il ne sait pas flottant tant ilprésente toutes les apparences d’un bivouac surla terre ferme. Dans la nuit, l’îlot se détache,traverse le fleuve et au petit matin l'armée, qui afranchi l’obstacle dans la suite immédiate del’Empereur, réduit dans son élan les dernièresrésistances de l’ennemi dont la déroute finale estconsommée.

Dans une quiétude totale du fait des apparencessécurisante du camp, le Fils du Ciel1 a traversél’obstacle pour son plus grand avantage, l’espriten paix au milieu des dangers qu’il craignait leplus…

Comment assurer la sécurité d'un secret quandrègne la plus grande des circonspections ? Réponseparadoxale : en supprimant tous les signes et lesindicateurs d’une dissimulation volontaire. Dans sanouvelle intitulée La Lettre volée, Edgar Allan Poedécrit une enquête minutieuse, dans les recoins lesplus obscurs, traquant les cachettes les plus impro-bables pour retrouver ladite lettre, alors qu’elle est

1. Dénomination traditionnelle donnée à l’empereur de Chine.

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épinglée aux yeux de tous dans le bureau dususpect numéro un ! Retournant l'aphorisme quiveut qu'une anguille (une intention secrète) aitbesoin d'une roche (un couvert pour se dissimu-ler), ce stratagème met à profit la croyance généraleselon laquelle l’absence de roches suppose aussicelle des anguilles ! Sans obscurité, pas de secret,pense-t-on habituellement.

Dans la nouvelle de Poe, le zèle investigateur sedépense en pure perte car il ne fait aucun cas desapparences quotidiennes. C’est donc en pleinelumière que la pièce à conviction essentielle est lemieux gardée. Une évidence éblouissante provoqueson contraire : la cécité ! On s’accorde à penserqu’un dessein occulte, un mystère ou une mani-gance se sécurise dans l’ombre pour ne pas êtreéventé ou révélé trop tôt. À la manière de la nuitqui précède le jour, l’intrigue a besoin du couvertde la discrétion avant de pouvoir se manifester sansrisque au grand jour. Si de telles intentions secrètesévitent la pleine lumière, alors c'est dans les replisobscurs, dans l'étrange et les ténèbres que se foca-lise l’attention en vue de les débusquer. Lescomplots se trament dans le silence de la nuit endehors des lieux fréquentés. Le non manifesté (yin)a une prédilection pour ce qui lui est similaire.

En usant de ces représentations spontanées, cestratagème procède à l’encontre d’une représentationnaturelle des choses. Mettant à profit ce comporte-ment habituel, il recommande de pratiquer le para-

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doxe, car on ne se méfie pas de ce qui est quotidienet ordinaire. C’est donc au sein de la pleine lumière(yang extrême) que l’on cache et sécurise le germedu plus grand secret (yin). C’est aux yeux de tous etsans défense apparente que l’on sème le germe dustratagème.

Ce premier stratagème enseigne aussi que lemanque de vigilance dans les détails du quotidienpeut s’avérer fatal. Le bouddhisme zen recom-mande de prendre à la légère les grands problèmeset d'appliquer beaucoup de soin et d'attention auxpetits. Plus les obstacles ou les enjeux sont grands,plus ils sont défendus et plus il en coûte de s’enemparer ou de s’en affranchir. L’art du stratagème,tout d’esprit et de finesse, investit dans l’insigni-fiant et le sans importance pour renverser unesituation a priori défavorable ou difficilementsurmontable. On demeure souvent obnubilé par cequi est visible et résistant alors que le tissu quotidiendes habitudes offre des opportunités inespérées.

La conception et l’action stratagémiques n’ontque faire de l’hyperbole d’une fermeté à l’apparenceinaltérable. Par nature souples et créatives, leursmaîtres mots sont liberté et mouvement. Leurgenèse se situe dans l’esprit même du stratège quise refuse à figer son raisonnement sous le diktatd’une orthodoxie de pensée, de représentations etd’attitudes communes. La vie est flux, elle nes’arrête jamais et le grand yang, la force, enfante deson sein même sa propre faiblesse, le petit yin, et

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cela depuis que le monde est monde. Lorsque l'ondoit entreprendre une manœuvre dangereuse, lefaire aux yeux de tous dans le confort familier deshabitudes peut assurer la sécurité de l'opération. Enrevanche, l’annoncer à grand renfort de mobilisa-tion ne fait qu’accroître la détermination de ceuxqui s’y opposent.

Telle une citadelle imprenable, la vigilance del’Empereur est exacerbée (yang) dans sa relationavec ses conseillers qui l’enjoignent à traverser lefleuve, mais elle se relâche (yin) là où il se croit dansla plus grande tranquillité. Plus le conflit aura ététendu et plus la propension de l’Empereur à sedétendre sera grande. C’est dans cet état que lamanigance le prend à défaut et à moindre coût, caril n’est plus nécessaire de se battre à coup d’argu-ments pour convaincre. Sun Tzu recommanded’éviter de s’attaquer aux forteresses, mais de préfé-rer mettre les stratégies adverses en péril car ellessont plus malléables.

Le simple cache le plus grand secret, et l’invisi-ble (yin) s'habille des apparences de son contraire.Plus la résistance est résolue plus elle sera suivie, tôtou tard, d’une chute de la vigilance qui ouvrira unespace de manœuvre sans défiance. Une oppositionextrême n’a que deux alternatives dans son évolu-tion tant il est peu concevable de maintenir un étatde tension permanent : soit elle emporte la déci-sion rapidement, soit elle se rétracte et refluecomme l’océan en marée descendante. En refusant

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30 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

de poursuivre son argumentation devant l’Empe-reur, le conseiller avisé supprime le point d’appui quipermettait au souverain de se cabrer dans son refuset d’imposer ainsi sa volonté. Dès lors, celui-ci serelâche… La plus grande des déterminations est leprélude de son contraire, c’est pourquoi la penséestratégique chinoise recommande d’éviter les extrê-mes, car leur durée de vie en tant que tels est limitée.

Ce premier stratagème ne s’oppose pas, maisépouse la polarité adverse. Comme le recommandeSun Tzu, là où l’autre est fort et déterminé, le stra-tège s’estompe et acquiesce ; là où il est paisible etconfiant, le stratège est déterminé et redoutable. Lavolonté initiale explicite qui incitait à traverser lefleuve structurait la résistance du souverain au seind’une relation d’où seul le poids de l’autoritépouvait sortir gagnant. Dans ce développementstratagémique, la volonté du conseiller n’a pasdisparu, mais une mise en scène trompeuse l’arendue invisible, a assuré sa sécurité et sa réussite.Parce que le souverain a résisté, la ruse aboutit ! Dela succession de ces deux moments (visible puisinvisible) résulte son efficacité. Provoquer insensi-blement le changement est préférable à l’annoncer.Si l’Empereur, qui traverse le fleuve, tire finalementprofit de ce subterfuge, il ne s’agit rien moins qued’une manipulation qui aurait pu aussi le conduireà sa perte. Le stratagème n’est pas une scienceexacte, mais un art risqué qui joue avec les circons-tances et la volonté en acte d’autres acteurs.

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2

L’EAU FUIT LES HAUTEURS

Construire sa victoire en se réglantsur les mouvements de l’ennemi.

Sun Tzu

Le contre stratégique – Se régler sur

les contours des situations – La base pour

la force – L’empennage pour la flèche –

Frapper à la racine – Jouer le vide pour

conduire le plein – Déplacer

Dans les temps anciens de la Chine, trois royau-mes voisins coexistent avec difficultés. Qi et Zhao

Encercler Wei pour sauver Zhao / Assiéger Weipour sauver Zhao / Encercler le royaume de Weipour sauver le royaume de Zhao / Besiege Wei tosave Zhao / Besiege Wei to rescue Zhao / Sintiar elreino de Wei para salvar el Reino de Zhao / Sintiara un país para rescatar a otro

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32 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

sont alliés mais Wei est le plus puissant. Un jour,Wei lance une attaque en force contre le plusvulnérable Zhao et assiège sa capitale. Acculé,Zhao appelle à la rescousse son allié Qi, maiscelui-ci temporise car un affaiblissement relatif desdeux autres ne peut que servir à terme sa positionpersonnelle. Lui faudra-t-il cependant envoyer enraison de son engagement, ses troupes là oùl'agresseur Wei a massé une redoutable forceoffensive sous les murailles de Zhao ? Il est unautre choix, moins coûteux et plus efficace.

Plutôt que de rencontrer une force armée en pleinélan de conquête, Qi délaisse le théâtre principaldu conflit et assaille la capitale sans défense deWei. Devant cette attaque à contre-pied, Wei estcontraint de battre en retraite en catastrophe pourvoler au secours de la source même de sonpouvoir. L’initiative dans le conflit lui échappe et,pris par l'urgence, il emprunte le chemin le pluscourt, qui est aussi le plus prévisible. Qi a toutloisir de tendre une embuscade aux abords de lacapitale de Wei au moment où ses troupes sont aucomble de la fatigue et de la désorganisation.Dans la rencontre, Wei en situation dominée estdéfait. Honorant ses engagements, Qi a sauvéZhao sans prendre de gros risques, tout en renfor-çant sa position relative dans ce jeu à trois.

Le second stratagème de cette série recommandede ne pas se laisser imposer le jeu et de s’emparer del’initiative afin de dicter soi-même des règles favo-rables. Par son offensive initiale à l’intérieur dusystème relationnel triangulaire qui les unit, Wei

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L’eau fuit les hauteurs 33©

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contraint la liberté de mouvement des deux autres.Les alternatives disponibles pour Qi sont soit de nerien faire et de trahir ainsi sa parole pour se retrou-ver à brève échéance en situation très défavorable,soit d’entrer dans une surenchère tactique sous lesmurailles de Zhao, là où les troupes offensives deWei sont au plus haut de leur force et de leur orga-nisation. Foncer dans l’urgence au secours de Zhaoaurait signifié concentrer la force yang de Qi contrela force yang moralement et physiquement supé-rieure de Wei alors en plein élan et en situationpositive de conquête.

Dans un cas comme dans l’autre, Qi aurait régléson comportement sur l’initiative de Wei. Mais,puisque le siège de la capitale de Zhao ne repré-sente pas un théâtre favorable, la liberté d’action deQi vient d’un contre, joué stratégiquement sur unedimension plus globale, qui contraint celui quicontraignait. Toute force yang, dans le cas présentmâle et offensive, n’existe que par rapport au yindont elle tire son origine et son impétuosité. Dansle récit emblématique de ce stratagème, la puis-sance de Wei se fonde sur sa relation à un centrepolitique solide, mais temporairement sans défensepour cause d’offensive contre Zhao. La force orga-nisée de Wei est l’expression du potentiel et de larichesse de sa cité d’origine, or celle-ci est devenuevulnérable du fait même de l’opération lointainequ’il a lancée. Délaissant le plein de l'offensive surZhao, l'attaque de Qi sur la base vidée de ses

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34 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

meilleures troupes ôte l'initiative des mains de Wei.De magnifique et superbe qu’il était dans son élanoffensif, Wei doit se conformer à l’option que luiimpose le mouvement stratégique de Qi.

Tout comme l’eau fuit les hauteurs et emplit lescreux, rappelle Sun Tzu, Qi évite la force (plein) deWei pour frapper sa faiblesse (vide). Cette logiquedu contre stratégique tourne le dos à celle d’unhéroïsme où la force du bon droit et des alliancesest le moteur d’une action aveugle aux circonstan-ces et à tout principe d’économie de l’action. Il estdifficile, hasardeux et téméraire d’affronter unadversaire puissant alors qu’il est engagé dans uneoffensive déterminée sur le terrain qu’il a choisi.Mais si ses forces conventionnelles1 sont dominan-tes, il est possible d’en frapper la source.

En menaçant ce que l’autre 2 doit défendre à toutprix, on lui dicte les règles d’un jeu qui lui ôtel’initiative. De souveraine sa liberté d’actiondevient contrainte. Toute force explicite plonge sesracines dans un ailleurs auquel elle est intimementliée. L’action directe sur ces fondements a un effetindirect sur la force qui en dépend. Face à un

1. Nous verrons ultérieurement la différence établie dans laChine ancienne entre la force dite conventionnelle (Zhengou Cheng) et la force extraordinaire (Ji ou Ch’i).

2. Tout au long de cet ouvrage la désignation le même renvoie àl’acteur dont on emprunte le point de vue et les finalités,alors que celle de l’autre désigne celui qui s’y oppose.

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acteur au sommet de sa puissance ou disposantd’un solide avantage, il est téméraire de le heurterde front. Dans une situation bloquée, un change-ment de cadre peut modifier une donne tactique(locale) par une redistribution stratégique (globale)des cartes. En refusant les termes d'une interactiondéfavorable, on préserve ses moyens, puis en jouantdans un vide qui va attirer le plein adverse dans demauvaises conditions, on se saisit de l'initiative.Cette stratégie, dite aussi du joueur en second,temporise dans un premier temps pour prendreensuite les dispositions adverses à contre-pied.

Pour Sun Tzu, qui utilisa tant et tant l’image del’eau pour illustrer l’art du management desressources en situation de conflit, le flot se règle surle relief et il en va de même pour une armée quiprend ses dispositions par rapport aux circonstan-ces et à la situation de l'autre. Si celui-ci est fort, ilconstitue un obstacle, soit une hauteur. Il convientalors de rechercher sa faiblesse et d’user de la décli-vité pour la réduire. Mais faire de cette propositionun dogme serait contraire à l’esprit même de lastratégie.

La souplesse adaptative et sans forme de l'eau està même d’emprunter toutes les configurationspossibles et imaginables. En lieu et place d'unetentative d’aide directe et hasardeuse qui auraitrenforcé le jeu Wei, la manœuvre indirecte de Qiretourne la situation en usant du vide, d’une failledans le dispositif offensif et en jouant sur la relation

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vitale de la force avec son origine. L'énergie initia-lement concentrée de Wei (yang) est détournéeselon des itinéraires qui l'affaiblissent, à l’image decanaux de dérivation qui tempèrent puis réduisentle tumulte des eaux du fait de la topologie d’uneconfiguration qui disperse.

Ce stratagème enseigne à ne pas se laisserconduire par les initiatives tierces et à rechercher laliberté de l’action avec élégance et économie. Lecontre stratégique peut aussi être utilisé de manièredissuasive. En désignant ostensiblement une vulné-rabilité adverse, le stratège communique explicite-ment à son opposant que le moment est mal choisi,ou que celui-ci s’expose à de graves désagréments1.Pour ce faire, il faut apprendre à lire et à identifierle potentiel des situations en termes de pleins et devides, de topologies qui accélèrent et dynamisentles flux ou au contraire qui les ralentissent et lesdissipent dans le cadre de relations d'interdépen-dance et de transformations continuelles.

D’une manière générale, le stratagème dans saversion chinoise procède d’un raisonnement plusstratégique (global) que tactique (local). On peutciter l’exemple d’un axe de la stratégie internatio-nale de la République Nationaliste de Taïwan.Diplomatiquement, il est malaisé pour elle de

1. Sur ce point, voir « La dissuasion, une stratégie decommunication », in La Maîtrise de l’interaction. L’informa-tion et la communication dans la stratégie de Pierre Fayard.

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convaincre les grandes puissances de la soutenir audétriment de la grande Chine continentalecommuniste. Outre que les grands de ce mondecommercent et parlent d’abord avec les grands de cemonde, poursuivre une telle stratégie l’épuiserait etla transformerait à terme en un fruit mûr pour songrand voisin. Mais ce qui est rude, d’un coût élevé,voire hors d’atteinte vis-à-vis des puissances domi-nantes, est plus aisé à concrétiser en s’adressant àdes nations faibles qui ont un besoin essentield’aide pour survivre.

C’est ainsi que la République nationaliste deTaïwan s’est constitué un lobby d’alliés à moindrecoût par son assistance auprès de quelques paysparmi les plus pauvres de la planète, mais dont lesmembres ont tous voix au chapitre à l’Organisationdes Nations unies !

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LE POTENTIEL DES AUTRES

Si tu veux réaliser quelque chose, fais en sorte que tesennemis le fassent pour toi.

Proverbe chinois

User de la stratégie des autres comme

d’un potentiel – L’inconscience du

contexte rend manipulable – La composition

stratégique – Instrumentaliser

Un grand groupe pharmaceutique met sur lemarché un patch contenant une molécule favori-sant le rééquilibrage hormonal des femmes attei-

Tuer avec un couteau d'emprunt / Faire périr parla main de quelqu’un d’autre / Kill with a bor-rowed knife / Murder with a borrowed knife /Matar con un cuchillo prestado / Pedir un armaprestada para matar al verdadero enemigo

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gnant la ménopause1. Le marché est immensemais la publicité médicamenteuse est très régle-mentée dans le pays concerné. Par ailleurs, cegroupe pharmaceutique veut éviter d’apparaîtreau premier plan dans la promotion de son produit.

La ménopause et ses conséquences représententun vrai sujet d’actualité journalistique de santépublique. Fort de cet élément, le groupe incite lelaboratoire qui a synthétisé la molécule à produireun efficace dossier de presse et à le diffuser dansles rédactions des médias de masse. Ces dernierss’en emparent et traitent le sujet journalistique-ment, les patients potentiels consultent leursmédecins, qui, informés professionnellement parle groupe pharmaceutique, prescrivent le patchque les patients achètent !

Lorsque quelque chose est difficile à réaliser ou àatteindre, faire en sorte que d’autres le fassent poursoi ! Tel est l’essence de ce troisième stratagème.L’exemple ci-dessus, tiré de l’actualité, développe laspécificité d’une stratégie de communication indi-recte.

Pour de multiples raisons, le groupe pharmaceu-tique s’interdit la voie directe de l’information dupublic, information qu’il diffuserait par ses propres

1. Il s’agit d’un cas réel présenté dans les années quatre-vingt-dix lors de Journées de la communication médicale à Barce-lone. À cette époque, le traitement hormonal de la méno-pause n’était pas remis en cause dans les mêmes proportionsqu’aujourd’hui.

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soins et en s’exposant aux premières loges. Lapublicité est coûteuse en achat d’espace, mais aussipeu flexible : une fois qu’une campagne est lancée,elle est difficilement adaptable. La relation quiexiste entre les produits, objets de promotion,d’une part et les intérêts de l’annonceur d’autrepart étant évidente, le public-cible peut douter etrechigner à accorder à cette information un labeld’objectivité. En d’autres termes, il sait et voit à quiprofite le crime et en l’occurrence la vente du patch.En revanche, si des journalistes couvrent le sujetdans les médias comme d’un thème de santé publi-que et d’actualité scientifique, il en va de l’intérêtgénéral de la société elle-même et non plus de celuid’un groupe pharmaceutique en particulier. Enquelque sorte, le traitement par les médias blanchitle sujet et fait passer au second plan sa relation avecles intérêts du groupe pharmaceutique.

Peut-on dès lors parler de manipulation ? Àpremière vue, les journalistes ne font qu’exercerleur métier en procédant aux vérifications d’usagede leurs sources et du contenu de leurs informa-tions. Ils expliquent en recourant à des médecins,voire au témoignage de patientes, ils détaillent lemode opératoire de la molécule par rapport aumécanisme de la ménopause… mais, ce faisant, ilsparticipent objectivement à la promotion dupatch ! Indirectement, le groupe pharmaceutiqueutilise le mode de fonctionnement des médias pourson propre bénéfice et tout le monde en sort

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gagnant ! Le laboratoire qui a synthétisé la molé-cule développe sa notoriété, les journalistes, toutcomme les médecins, font leur travail et les femmesménopausées évitent les désagréments liés à cetteépoque de leur vie. Tout le monde est satisfait auregard de ses propres préoccupations locales ! Larelation entre le producteur et le destinataire finalpasse par une chaîne d’intermédiaires. Chacun yinvestit sa compétence et son énergie, et contribueainsi à l’efficacité de ce dispositif de communica-tion indirecte.

Les exemples d’application de ce troisième stra-tagème reposent tous sur la connaissance et la miseà profit de l’articulation des différents niveaux de lastratégie, notamment entre ceux relevant de la fin(objectif ) et des moyens (stratégie). On ne fait pasde la stratégie pour la stratégie, pas plus que l'oncommunique pour communiquer ou que l’ons’informe pour s’informer. La stratégie, toutcomme la communication ou l’information, parti-cipe des moyens pour atteindre une fin. Elle contri-bue à défendre un intérêt ou à réaliser un projet.Tout acteur, collectif ou individuel, met en œuvreimplicitement ou explicitement des stratégies, car ily va de la permanence de son existence et, au-delà,de son développement.

Dès lors qu’un stratège avisé saisit avec intelli-gence la logique des couples fins/moyens propres àd’autres acteurs, il est à même de concevoir unecomposition stratégique où ces derniers, tout en

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servant leurs finalités spécifiques, contribuent àréaliser celles propres au stratège au sein d’uneconfiguration englobante. Dans notre exemple, leschercheurs, les journalistes et les médecins ne fontqu’exercer leur activité, pourtant ils participenttous à la finalité du groupe pharmaceutique : lavente effective des patchs. En conséquence, les stra-tégies de ces différents professionnels sont instru-mentalisées à un niveau supérieur qui les intègre,c’est-à-dire à l’intérieur de la stratégie indirecte dugroupe pharmaceutique !

Par souci d’invisibilité et d’économie, l’art stra-tagémique chinois considère toute stratégied’acteur comme un potentiel ni bon ni mauvais ensoi mais disponible pour qui sait en lire les logiqueset les ressorts sous-jacents. À partir du moment oùles couples fins/moyens sont correctement identifiéset que des dispositifs adéquats les agencent et lesmettent en œuvre, l’intelligence peut les conduirede manière implicite sans que leurs porteurs s’enrendent compte. L’engagement des scientifiques,des journalistes et des médecins ne résulte pasd’une action de persuasion frontale, de lobbying oude relations publiques, car ils ont tous agi selonleurs propres logiques professionnelles.

En poussant plus avant le raisonnement, on envient à considérer que les moyens d’un ennemi oud’un compétiteur ne représentent pas forcément un

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obstacle. Ils peuvent être mis à profit par le savoir-faire englobant d’un stratège créatif qui nes’encombre pas d’un rejet absolu de l’autre sousprétexte qu’il ne fait pas officiellement partie deson camp ! L'ensemble de ses moyens n'est nimenaçant ni inoffensif en soi, mais leur insertion etleur usage dans le cadre d’une stratégie pertinenteet astucieuse leur confèrent une efficacité spécifi-quement orientée. En chef d’orchestre invisible, lestratège conduit et maîtrise discrètement l’interac-tion des volontés dans un concert dont il est seul àconnaître la partition. C’est à partir de la compré-hension de la logique journalistique et des médiasque les hommes politiques calibrent et cisèlentleurs déclarations afin qu’images et slogans soientrelayés efficacement vers l’opinion et les électeurs.

Les acteurs les plus manipulables sont toujoursceux dont le champ de vision se limite au strictpérimètre local de leur activité. Ceux-ci négligentde reconnaître et de prendre en compte le point devue et la spécificité des projets et des stratégies deprotagonistes qu’ils ignorent et avec qui pourtantils sont objectivement en relation. Pour revenir àl’exemple emblématique de ce stratagème, plus lesscientifiques, les journalistes et les médecins secomportent exclusivement comme des scientifi-ques, des journalistes et des médecins, moins ilsprennent de distance avec leur action et moins ilscontextualisent (global) l’exercice de leur profes-sion.

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Ils deviennent ainsi objectivement manipula-bles, sans en être conscients, mais à qui la faute, sice n’est à leur déficit de conscience ou de…citoyenneté ? Dans le registre du conflit, pourquoiun stratège n’engagerait-il que ses moyens, si dansson environnement, ou en jouant sur des relationsou des rivalités, il peut se procurer des alliés, qui,en s’engageant, vont contribuer à la réalisation deses propres objectifs ? Dans les situations délicateset peu favorables, les actions directes et frontalesrenforcent souvent la cohésion des résistances plusqu’elles ne les n'affaiblissent, surtout en matière decommunication. À l’inverse, jouer sur la distancedonne de l’espace et de l’oxygène à l’expressiond’activités, voire à d’utiles querelles internes.

Les rivalités récurrentes qui, de tout temps,sourdent dans la relation entre les califes et les vizirsde n’importe quelle organisation, bien plus quemésententes à déplorer, constituent aussi un poten-tiel d’action. Ces ressources peuvent être enrôléesdans des opérations où la main discrète du stratègeprivilégie l’efficacité aux feux de l’actualité. Desstratégies tierces sont alors stimulées et encouragéesmais objectivement instrumentalisées et composéesdans la finalité d’un plan qui les intègre et lesdépasse.

Ce jeu complexe des interactions doit êtremanagé subtilement et avec suffisamment dediscrétion pour que l’on ne distingue pas qu’il y aanguille sous roche. Si l’intervention extérieure se

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fait sensible car trop directe, la révélation au grandjour de la composition stratégique peut donner lieuà une dénonciation et à un mécanisme de rejet quipeut s’avérer foudroyant. La ruse est un artpérilleux où le rapport faible investissement/grandeffet peut jouer autant pour soi que contre soi encas de maladresse.

Ce troisième stratagème recommande une atti-tude très particulière du stratège par rapport à unenvironnement dans lequel il ne voit pas l’expres-sion de qualités intrinsèques ou d’appartenancesdéfinitives, mais l’expression évolutive de potentielsdisponibles parce que soumis à l’effet de conditionschangeantes. Ce faisant, nul ne saurait être blâméde ne pas disposer des moyens nécessaires à laconduite d’une stratégie lui permettant d’atteindreses fins, mais il serait coupable de ne savoircomment se les procurer par son art.

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LES VASES COMMUNICANTS

Le stratège attire l’ennemi et ne se fait pas attirer par lui.Sun Tzu

Concentration et dispersion – Jouer la

montre – Attirer et ne pas se faire attirer –

Remplir sa bourse – Épouser le rythme

favorable – Transvaser

Attendre tranquillement un ennemi qui s'épuise /Utiliser le repos pour fatiguer quelqu’un / Entrete-nir ses forces et conserver son énergie en attendantun acte décisif / Wait at ease for the fatiguedenemy / Relax and wait for the adversary to tirehimself out / Let the enemy make the first move /Wait leisurely for an exhausted enemy / Relajarsemientras el enemigo se agota a si mismo / Afrontara quienes están cansados mientras uno mismo estárelajando

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Des élections approchent et les candidats sebousculent. Tous rêvent d’en découdre. Les argu-ments affûtés ne demandent qu’à s’étaler augrand jour. Les militants et les supporters sontgonflés à bloc dans la proche perspective del’instant de vérité où les programmes entreront enconfrontation et où la lumière de l’évidences’imposera aux électeurs…

Pourtant, l’élu sortant ne se manifeste pas alorsque tous l’attentent, voire le pressent à se décla-rer. Voulant le faire sortir de sa réserve, lescompétiteurs le provoquent en exposant leursatouts, leurs projets et d’acerbes critiques àl’encontre de la politique conduite jusque-là.

Le temps passe et l’élu sortant temporise. Puis, audernier moment et fort du bénéfice d’une visionglobale des argumentaires de ses opposants, illance avec calme, détermination et légitimité sestroupes à l’assaut d’un électorat fatigué par lesarguties et les programmes concurrents alors queles partisans adverses n’ont plus l’énergie de leursdébuts. Et le sortant, tel un sauveur, ramasse lamise !

Ce stratagème se fonde sur une relation de vasescommunicants entre accumulation et dispersion,renforcement et affaiblissement, sommet de lamontagne et horizontalité réceptive de la plaine.Pour se consolider par rapport à une concurrence,il n’est pas toujours nécessaire de choisir uncomportement offensif à tous crins surtout sil’autre se situe au faîte de sa concentration et de sadétermination.

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En termes de yin et de yang, l’extrême d’un étataugure du début de son contraire. C’est pourquoi ilest parfois avantageux de temporiser, d’accumulerdes forces, de ne pas les dépenser et d’attendre quela relation devienne favorable. À l’image de laplaine qui reçoit les flux de la montagne, celui quidiffère l’engagement renforce sa position parallèle-ment à l’érosion relative de celle de l’autre. Clau-sewitz nommait point culminant d’une offensive leseuil au-delà duquel les qualités s’inversent et où ledéfenseur passe à offensive alors que l’attaquant,qui n’a pas emporté la décision, se retrouve dans uneposition défensive de grande vulnérabilité étantdonné l’étirement de ses lignes de communication.

Ainsi en fut-il des campagnes de Napoléon puisde Hitler dans la profonde Russie. Leurs armées,réputées invincibles, se sont délitées au-delà de ceseuil fatidique. Ce quatrième stratagème recom-mande de ne pas agir ou réagir passionnellement,mécaniquement ou hâtivement, car cela revient àsubir et à se conformer au jeu de celui qui a choisile lieu, le moment et les formes d’une interaction apriori favorable pour lui. Si les moyens de la sécu-rité dans le non-engagement existent, il est préféra-ble d’attendre que se retourne le rapport des forcessous l’effet de la durée. Alors seulement, et enconnaissance de cause, le stratège s’emparera del’initiative.

Le temps qui passe fait tourner le cycle destransformations qui veut qu'au maximum de la

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force corresponde aussi le germe de la faiblesse.Midi est le début de la nuit, comme minuit celuidu jour. Passée la douzième heure, la lumière aufaîte de son expansion et ne pouvant plus progres-ser, enfante en son sein la nuit qui lui succède. Ens’insérant dans cette logique, le stratège n’agit plusseul mais avec le concours du temps dont il se faitun allié.

D’ordinaire la force brute cherche à s’imposer àcourt terme et à travers une relation frontale. Eneffet, pourquoi faire lentement et compliquélorsqu’une décision rapide est mathématiquementà portée de main ? Mais celui qui ne dispose pas dela supériorité du nombre choisit la souplesse etl’adaptabilité. Sans espoir d’atteindre une décisionà brève échéance, il investit dans le travail dutemps, il prend du champ, il n’offre pas de pointd’appui à l’offensive adverse et évite toute confron-tation immédiate. Le repos augure de l’activité etl’activité est suivie de fatigue. Celui qui se reposeaccumule des moyens là où l’actif crée les condi-tions d’un repos d’autant plus nécessaire que sonénergie se disperse.

Par ailleurs, une tranquillité apparente, doubléed’une absence de réaction face à une agression donton se tient à distance a un pouvoir de contagionsusceptible d’atténuer la tension de la détermina-tion adverse. Le point culminant de l’offensivesurvient alors que l’autre n’a pas concrétisé l’objec-tif qu’il poursuit. Une nouvelle mobilisation de sa

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part passe par une phase préalable de repos. Celafait le jeu du stratège qui se saisit de l’avantage dutemps et de l’initiative lors d’une phase de relâche-ment de son ou de ses concurrents à l’instant où lesqualités sont sur le point de s’inverser. En Chine, ilest dit que l'homme a l'apparence de la force et dela supériorité sur la femme mais que celle-ci ledomine en définitive par une docilité extérieure quimasque une volonté intérieure et à long terme.

La posture rusée de ce quatrième stratagème estfondée sur la relativité et l'interchangeabilité desétats entre eux. Nous sommes là dans la premièrefamille, celle dite de la position supérieure dans leclassique des Trente-six Stratagèmes. N'étant pasacculé, le même temporise en mettant à profit saliberté d'action tout en imposant à l'autre ladépense et l’usure de ses forces. Cette relationdialectique est pensée dans un tout, au sein d’uneinteraction où l’augmentation d’une faiblesse quel-que part signifie l’accroissement d’une forceailleurs. En observant et en se plaçant avec intelli-gence sur une position hors d'atteinte (globale) onse procure à terme l’avantage (local).

Ce stratagème témoigne d’une caractéristiquemajeure dans la culture stratégique chinoise qui,philosophiquement, évite de jouer force contreforce, yang contre yang, explicite et orthodoxecontre explicite et orthodoxe… Elle privilégie aucontraire l'alchimie transformatrice de la complé-mentarité qui fait circuler l'énergie d'un pôle à un

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autre. C'est ainsi que l’on engage le petit contre legros, le changeant contre l'immobile, le station-naire contre le mobile. La référence n’est pasl’opposition et la confrontation mais le jeu rythmi-que des flux qui rappelle le cycle des saisonss’enchaînant les unes les autres.

Le stratagème des vases communicants requiertune attente active et vigilante. L'aïkidoka n'opposepas force contre force. L'art dynamique de sonpositionnement épouse le mouvement adverse et leconduit du fait d’une intelligence globale et d’unsens du rythme qui lui permet d’agir dans lesinterstices vides du mouvement de l’autre. En étantjuste dans son anticipation et en accompagnant ledéploiement de la force offensive, il l’inscrit dans lalogique supérieure d’un cheminement vers les fina-lités de toute expression d’une énergie : le repos aumoyen d’une immobilisation ou la projection quila disperse dans l’espace. C’est en se conformant,plus qu’en s’opposant, au mouvement agressif del’autre, qu’il l’oriente et le transforme selon la logi-que éternelle du yin et du yang.

L'aïkidoka n'agit pas de manière indépendanteet isolée. En s’élevant au niveau de l'interaction desdeux volontés, il réalise le travail de la nature enaccompagnant une force vers le sommet à partirduquel elle décline pour renaître ensuite. Il n'y apas opposition mais composition ! L'intelligence, lepositionnement et l'aptitude au rythme dominentla possession temporaire de l'énergie et/ou de la

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force supérieure. La logique de ce stratagème, quireproduit un mécanisme naturel en jouant sur letemps, est tout aussi applicable à des situations deconflit qu’à des relations de collaboration.

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LE CHAOS FERTILE

La tâche première du général est de se rendre invincible.Les occasions de victoires sont fournies

par les erreurs adverses.Sun Tzu

La victoire est le fruit de l’ordre internequi règne dans un État.

Jean Levi 1

À quelque chose malheur est bon – L’ordre

se délite, opportunité – Le réseau fait

la force – Décadence/construction – Profiter

1. Voir la traduction par Jean Lévi de L’Art de la guerre de Sun Tzu.

Piller les maisons qui brûlent / Profiter d'un incen-die pour commettre un vol / Tirer profit du mal-heur d’autrui / Loot a burning house / Saquearuna casa en llamas / Observar los problemas ajenosdesde un punto de observación seguro

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56 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

Deux jeunes ambitieux sans convictions particuliè-res veulent entrer en politique. Surviennent desélections. Le Parti Bleu en charge des affairesdepuis plus de deux décennies essuie un raz demarée électoral qui le chasse du pouvoir au profitd’une écrasante majorité de députés du PartiRouge. Voyant l’opportunité à saisir, le premier desjeunes ambitieux prend immédiatement contactavec des responsables du Parti Rouge et fait uneoffre de services en arguant de ses grandescompétences, car la tâche des vainqueurs prometd’être considérable… Le second, plus stratège,prend modestement sa carte au Parti Bleu.

Quelques années plus tard, le premier, qui a adhéréau Parti Rouge, espère encore être désigné candi-dat à la députation en vue des prochaines législati-ves quand celui qui a choisi le Parti Bleu est déjàministre du fait d’une alternance ! Qui a misé sur leParti Rouge a dû batailler ferme pour s’imposer dansun trop plein de bonnes volontés et de personnelpolitique frustré depuis vingt ans et désireux d’êtrepayé en retour pour sa fidélité et son militantisme. Enrevanche, celui qui épousa la cause du Parti Bleulorsqu’il était au plus bas a été magistralementpropulsé au titre de rénovateur de conviction…

Le jeune adhérent du Parti Rouge a joué seulcontre une marée de militants. Celui du Parti Bleu aété porté par un mouvement de fond. Il s’est placéfacilement à la naissance d’une vague quand sonprétentieux collègue a voulu chevaucher une défer-lante sans y avoir été invité !

Pour Sun Tzu, l’invincibilité dépend de soi et lesoccasions de victoire résultent des erreurs d’autrui.

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C’est pourquoi il recommande au stratège de s’atta-cher prioritairement à la solidité de son organisa-tion en la fondant sur un tissu humain de relationslégitimes, confiantes et ritualisées pour en faire untout solidaire et réactif. Cette injonction rejointl’application du principe de l’économie des forces,qui, en articulant dynamiquement des moyensdans un système souple et communicant, les faitconcourir de manière optimale aux tâches fixéespar le stratège. La concentration en fonction desbesoins devient aisée.

Le même Sun Tzu considérait les armes commedes instruments de mauvais augure dont l’usage nedevait être fait qu’en toute dernière extrémité etparce que les autres procédés, plus nobles et plusrecommandables, avaient préalablement échoué.L’attention première du stratège ne s’attache doncpoint aux armes, mais à la concorde civile interne àson organisation. Si la culture du stratagème1 recou-vre le grand art de la manipulation, elle apprendaussi à s’en garder et elle représente en cela uneforme d’enseignement, une voie vers la sagesse.Construire solidement et ne pas prêter flanc à ladéstabilisation en provenance de l’extérieur supposeune excellence dans le management des hommes etdans la lecture de l’évolution des circonstances.

1. Voir La Maîtrise de l’interaction. L’information et la communi-cation dans la stratégie de Pierre Fayard.

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58 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

On n’a que trop tendance à confondre de façonréductrice stratégie avec destruction et violence, cequi, pour les anciens Chinois, ne manifeste quel’échec de la grande stratégie ! Comme le médecinchinois était rétribué parce qu’il maintenait enbonne santé, le stratège est d’autant plus admirableque son recours à la force est limité.

Une fois un bon fonctionnement relationnelétabli, il est possible de jouer sur les vulnérabilitésdes organisations proches, lointaines ou concurren-tes afin d’en tirer avantage. Pour se procurer desoccasions de victoire et de prospérité, le rôle del’information, de la surveillance et de l’intelligenceest critique. Mais plutôt que de jouer contre laforce de l'autre, on cherche plutôt à l’affaiblir enaugmentant ses dysfonctionnements internes. End'autres termes, le chaos est profitable pours'approprier ce qui a de la valeur, si l’on est prêt eten sécurité. Cette relation d'échange entre un lieude désorganisation et un autre de croissance obéit àun mécanisme selon lequel une stabilité grandis-sante attire et sédimente les éléments épars en malde boussole.

La force gravitationnelle d’une organisation effi-cace1, fonctionne tel un aimant, elle fait la différencepar l’excellence. Au besoin, ses acquisitions résul-

1. Voir à ce propos les thèses du Maréchal Lyautey sur la guerrecoloniale qui assimilait la conquête à une administration quifonctionne (voir Le rôle social de l’officier).

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tent de l’application d’une force minime, comme siles jeux étaient préalablement faits. Le potentielaccumulé par le stratège et la libre disposition deses moyens le rendent à même de saisir les occa-sions de telle sorte qu’il gagne avant de s’engager. Ilest possible de rapprocher l’esprit de ce stratagèmede la philosophie de l’awélé 1, jeu emblématique ducontinent africain, où il n'est pas recommandé des'emparer de l'initiative d’emblée pour conduire lapartie. L’accumulation d’un potentiel de graines,initialement en partage, a pour effet de restreindrela part de l’autre, dont la marge de manœuvres’amenuise jusqu’à ce qu’il soit acculé à subir lesdécisions du même.

Force et faiblesse croissent parallèlement en sensinverse. Le refus de saisir l’initiative tactique, c’est-à-dire à court terme et pour peu de profit, crée lesconditions ultérieures de l’initiative stratégique,dont l’amplitude et les résultats sans communemesure. Pour ce faire, on calcule et prévoit afin detirer avantage de la pleine disposition de sesmoyens avant un engagement décisionnel longue-ment préparé. En Chine, le yin précède le yangcomme la nuit précède le jour, c’est pourquoi aujeu de go le détenteur des pierres noires entame la

1. Dit aussi jeu des semailles, voir L’Awélé, jeu de stratégie afri-cain de François Pingaud, L’Awélé, le jeu des semailles africai-nes de François Pingaud & Pascal Reysset et Stratégie desjoueurs d’awélé de Jean Retschitzki.

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60 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

partie à l’inverse des échecs. Le sans-forme précèdela forme, dont le devenir est sans forme.

La désorganisation de l’autre peut se manifesterdans l’espace mais aussi dans le temps. L’aviateurnord-américain John Boyd1, à travers sa théorie dela paralysie stratégique, montre comment prendrede vitesse et vaincre au moyen d’un raccourcisse-ment de la boucle dite OODA2 qui permet aumême de ne pas donner prise à l’autre et de seprocurer des fenêtres temporelles d’opportunités,manifestées sous la forme de vides dans la défense.

John Boyd développe cette théorie à partir de laréférence tactique de la rencontre entre deux avionsde chasse. Celui qui l’emporte est souvent celui quibénéficie d’une plus grande mobilité renseignée pardes capacités de perceptions, d’interprétation, dedécision et de mise en œuvre plus rapides que sonadversaire. Qui Observe, s’Oriente, Décide et Agitplus vite que l’autre dispose d’une marge de libertéd’action supérieure et peut profiter de ces gains detemps pour adapter l’engagement de ses moyens. Àpartir de la compréhension du mode de fonction-nement de la boucle OODA adverse, il est aussienvisageable de la ralentir en la grippant. Commela liberté d’action dans une situation de concur-rence ou de conflit, le gain de temps fait la diffé-

1. Voir La paralysie stratégique par la puissance aérienne, JohnBoyd et John Warden de David Fadok.

2. Observer, Orienter, Décider, Agir, voir www.belisarius.com.

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rence, car si l’un est plus agile c’est que l’autre estplus lent. La victoire revient à qui est le plus justetemporellement dans son adéquation aux circons-tances et qui a la libre disposition de ses moyens1.

1. Sur le concept d’agilité stratégique découlant des travaux deJohn Boyd, voir ceux d’Ana-Cristina Fachinelli.

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6

LA STRATÉGIE ADORE LE VIDE1

Celui qui sait quand s’engager, fait en sorte que l’autreignore quand se défendre.

Sun Tzu

Faux plein et faux vide – Jouer des

apparences avec tromperie – Confondre

sur le danger – Dériver

1. Voir Le Tournoi des dupes de Pierre Fayard.

Mener grand bruit à l'est pour attaquer à l'ouest /Clameur à l'est, attaque à l'ouest / Faire du bruit àl’est et attaquer à l’ouest / Make a feint to the eastwhile attacking in the west / Feint to the east,attack to the west / Make noise in the east andattack in the west / Fingir ir hacia el este, mientrasse ataca por el oeste

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64 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

Depuis des mois les troupes d’un souverains’efforcent de s’emparer d’une cité qui résisteavec succès à un siège acharné. À l'abri des hautsmurs, les défenseurs observent les mouvementsdes assaillants, adaptent leurs efforts en consé-quence et réduisent systématiquement lesassauts. Devant cette situation bloquée, unconseiller avisé recommande au souverain desortir au plus tôt de cette relation d’équilibre figésans autre issue à terme qu’une retraite honteuseet prochaine. Pour redonner vie à cette relation,déclare-t-il, il faut dissocier apparence et réalité,fixer la force ennemie sur un leurre et concentrerla nôtre sur son lieu de dispersion.

Le temps passe et une inactivité pesante inquièteles assiégés qui s’interrogent avec une angoissecroissante sur les intentions non-manifestes desassiégeants ! Soudain, les attaquants engagentde grandioses préparatifs en vue d’une offensivesur les remparts de l’Est comme s’il s’agissait d’unultime effort, qui, se soldant par un échec mettraitun terme au siège. Au vu des dimensions de lamobilisation, les assiégés sentent leur anxiété serelâcher car désormais ils connaissent la directionde l’assaut et peuvent en conséquence s’y prépa-rer activement. Leurs efforts ont un point d’appli-cation et une direction.

Au petit matin de l’attaque, les remparts de l’Estsont garnis de troupes d’élites et tous les instru-ments et matériels de défense s’y massent. Maisau soir, les assiégeants après avoir brisé lesdéfenses de l’Ouest, sont entrés dans la cité et ontobtenu la reddition de leurs adversaires qui atten-daient le péril de l’Est (apparence) alors qu’il est

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venu de l’Ouest (réalité) ! En se déterminant surdes apparences trompeuses, les défenseurs onteux-mêmes organisé leur vulnérabilité !

Lorsque deux mouvements s’annulent et qu’unesituation est bloquée, rien ne sert de foncer têtebaissée et de consommer ainsi son potentiel. Yangcontre yang ne donne que destructions stériles lors-que les forces jetées dans la bataille s’équilibrent ouque la décision ne peut être atteinte. Aucun déve-loppement nouveau ne permet à la situationd’évoluer et de se transformer dans un sens ou dansl’autre. Plein contre plein n’a d’autre issue quel’épuisement mutuel et au mieux le statu quo 1.

Dans la culture stratégique de la Chineancienne, vaincre au prix d’importantes destruc-tions est contraire à l’art, et signifie plutôt absenced’intelligence et de savoir-faire. Il est dès lors néces-saire de provoquer du mouvement, des modifica-tions et du flux dans les énergies de sorte à générerdes espaces de liberté d'action tactique et d’user derythmes contraires pour prendre l’adversaire àdéfaut. Tel fut le cas de la manœuvre allemande dela Percée des Ardennes en 1940 alors que l’état-major français, confiant dans la solidité et la

1. En général, ce sont les protagonistes situés dans l’environne-ment des belligérants qui tirent les marrons du feu.Voir l’épuisement des puissances européennes au cours desdeux guerres mondiales du XXe siècle qui a favorisé la supré-matie grandissante des États-Unis d’Amérique et de l’URSS.

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66 STRATAGÈMES DE L’EMPRISE

concentration de ses meilleures troupes sur la ligneMaginot se pensait hors d’atteinte. Cette présomp-tion l’a aveuglé et la colonne de chars de Guderian,concentrée sur un axe étroit, appuyée par une avia-tion offensive et coordonnée par radio, désorganisaen quelques jours un pays entier doté, pensait-on,des meilleures forces armées terrestres de l’époque !Mais ce mouvement offensif n’aurait vraisembla-blement pas eu autant de chances de succès enl’absence de la ligne Siegfried qui, de l’autre côtédu Rhin, donnait le change à la ligne Maginot etpolarisait l’attention de l’état-major français sur unaxe de focalisation non-décisif des efforts.

Pour André Beaufre1, le vainqueur d’un conflitest celui qui sait maîtriser l’interaction des volontésdes protagonistes, c’est-à-dire son jeu, celui de sonadversaire et la confrontation des deux qui s’adap-tent au changement des circonstances. C’est à partirde cette dynamique évolutive qu’il conviendrait deconcevoir et de conduire toute stratégie. Dansl’exemple de la ville assiégée, au départ la dynamiqueest figée, le mouvement de l’un est annulé par celuide l’autre et il n’est d’espace pour la vie, pour latransformation. Dans ce face-à-face tactique, l’actionde l'un lie celle de l'autre, mais le stratège qui lecomprend effectue un premier pas vers la victoire.Dès lors, il peut maîtriser conceptuellement le jeudu même, celui de l’autre et leur interaction.

1. Voir son Introduction à la stratégie.

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La stratégie adore le vide est d’autant plus aisé àmettre en œuvre que l'adversaire est en attente d’uneinitiative sur laquelle se régler. Plongé dans uneexpectative angoissante pour cause d’incertitude, ilse sent soudain libéré par l’information que lui livrefaussement le même. C’est alors qu’il s’engage dansdes dispositions concrètes et déploie une énergiejusque-là orientée sur la longueur d’onde angoisse etimpossibilité d’action ! Plus l’attente se prolonge,moins par la suite il est enclin à la prudencelorsqu’enfin des signes indicateurs s’accumulentpour indiquer la direction des efforts.

Pour qui choisit de mettre en œuvre un tel stra-tagème, temporiser préalablement est stratégique etparticipe de la ruse elle-même ! Ce qui apparaîtcomme des signes avant coureur du yang (clameurà l'Est) n'est en fait que désinformation (yin) etcrée les conditions yin yang favorables à l'assaillantà l’Ouest où sa force rencontre la faiblesse adverse.Ce stratagème joue sur la relation complexe quiexiste entre vrai et faux, réel et apparences… Ilmodèle et conduit la perception de l’autre en lefourvoyant quant aux places respectives du vrai etdu faux, du manifesté et du non-manifesté, du yanget du yin et l’incite à prendre des dispositions prévi-sibles et calculables. Pour conduire la tension del’adversaire, on se règle sur les propres attentes del’autre, sur son système de valeurs et sur son juge-ment plutôt que de s’efforcer à lui en imposer del’extérieur.

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L'efficacité de ce jeu s'évalue à ce que l’autrepense effectivement de l'action du même. Ce moni-toring de l'esprit adverse est une nécessité perma-nente car les protagonistes, unis par l'interaction deleurs volontés, n'agissent pas indépendammentl'un de l'autre. Le sage-stratège s'élève au-dessus deson point de vue particulier, il prend en comptecelui de son opposant pour penser et gérer ladialectique de l'interaction. Sa stratégie intègre lestrois échiquiers. La nature d’une attente est poten-tiellement porteuse de réponse, il s’agit là d’unesituation favorable car le désordre recherchel'ordre, l’incertitude recherche la certitude. Dansl’exemple utilisé pour illustrer ce stratagème, lesdispositions défensives à l’Est se mettent en placesur la foi de signes non-vérifiés. Cette manipula-tion qui présente toutes les apparences d'un ordresera d'autant plus efficace qu’une expectativeangoissée la précède. Pour Sun Tzu, le bon généralgagne à distance en s'attaquant à la stratégie de sonennemi et en manipulant son esprit.

En stratégie, l’absence de mouvement est préju-diciable. L’équilibre statique ne relève pas du règnede la nature car l’interaction permanente et trans-formatrice du yin et du yang préside à ses rythmes.Vouloir figer un état de fait, sous prétexte qu’il estsatisfaisant pour l’un des protagonistes, revient àprétendre rester jeune éternellement, dominerperpétuellement ou croire qu’un empire estimmortel, parce que les contemporains n’envisa-

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gent pas d’alternative et que l’on s’en contente. Untel état d’esprit préfigure des chutes brutales etsouvent catastrophiques. À trop vouloir que rien nebouge, à répéter que l’éternité d’un état est de cemonde, on se rend sourd et aveugle au travail descirconstances. La grande stratégie qui permit àl’empire Byzantin de durer près d’un millénaires’est fondée sur des menées agressives et dissuasivespermanentes sur ses confins. Le nirvana politiquene s’acquiert pas dans une pochette surprise, pasplus qu’il ne se fonde sur un bréviaire de croyancesproférées rituellement dans la chaude protectionouatée d’œillères confortables, aujourd’hui souventmédiatiques et incantatoires.

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PARTIE II

STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

7 Créer à partir de rien8 Vaincre dans l’ombre9 Profiter de l’aveuglement10 Le sourire du tigre11 Qui sait perdre gagne12 La chance se construit

ette seconde famille de stratagèmes est pourpartie annoncée par le dernier de la série

précédente. D'une manière générale, elle s'appliqueà des situations à l’équilibre instable, susceptiblesde basculer d’un moment à l’autre vers un change-ment d’état possiblement durable. L’instant eststratégique, les risques sont importants et le péril

Stratagèmes de confrontation et des batailles incer-taines – Stratagèmes en position de contre-attaque – Stratagems for confronting the enemy –Opportunistic strategies. – Estrategias de confron-tacion

C

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bien réel. Si le fléau de la balance oscille progressi-vement dans une direction, inverser la tendancedevient vite illusoire car l’amplification peut deve-nir inexorable.

Cette famille de stratagèmes s’applique à dessituations de bifurcations. Les moyens engagés oules forces classiques s’annulent dans leurs effets sansaboutir à d’autre résultat que le maintien d’unestabilité fragile et dangereuse. C’est alors quel’astuce, le secret et les montages non-convention-nels prennent la relève pour amorcer une perturba-tion créatrice d’un état favorable et durable. Le sensdu rythme est ici pleinement sollicité, les fenêtresd’opportunités, une fois identifiées, sont saisies auvol car elles sont brèves et les renversements sonttoujours possibles.

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7

CRÉER À PARTIR DE RIEN

Toute chose dans l’univers a été créée à partirde quelque chose qui a été créé du néant.

Lao Tseu 1

Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute.Jean de La Fontaine

Quand le mirage crée la réalité – Toute chose

de ce monde procède du néant – Le corbeau

et le renard – Accoucheur de futur – Créer

1. in Tao Te King : le livre de la Tao et de sa vertu.

Transformer le mirage en réalité / Créer quelquechose à partir de rien / Là où il n’y a rien, inventerquelque chose / Create something out of nothing /Make something out of nothing / Crear algo apartir de nada

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74 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

Un conseiller sans maître, sans le sou et qui n’aque son intelligence pour lui ne dispose d'aucunappui dans sa recherche d’un employeur. À l’affûtde tout renseignement utile, il apprend qu’un roisans reine et passionné par le beau sexe entre-tient de nombreuses concubines. Comment tirerprofit de ces informations connues de tous afin detrouver un emploi ? Un soir que le cortège royalpasse par la cité, le conseiller chômeur vante àhaute voix la beauté, la grâce, la subtilité et lasensualité des dames d'un royaume très lointain.Le monarque le fait convoquer séance tenante etle missionne en vue de revenir avec quelques-unes de ces créatures de rêve. Las, le conseilleravoue son indigence ! Qu’à cela ne tienne, le roilui fait verser une somme rondelette pour ses fraiset sa peine.

Apprenant la nouvelle, les concubines s’affolent :nous qui réussissions tant bien que mal à mainte-nir une harmonie dans nos relations, quellefuneste concurrence se profile à l’horizon ! Ellesconvoquent le conseiller séance tenante pour leconvaincre de ne pas s’acquitter de sa mission.Mais le roi m’a payé et je suis engagé, protestecelui-ci ! Qu’à cela ne tienne, nous t’en donnons letriple pour que tu n’honores pas tes engagementsauprès du souverain. Elles s’acquittent aussitôt dela moitié de leur promesse, l’autre restant à veniren fonction des résultats ! De sans ressourcesqu’il était, le conseiller devient doublement riche,mais comment assurer la durée et la sécurité decette situation ?

Le temps passe, vient le moment de rendre descomptes au roi. Le conseiller visite préalablement

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les concubines et les enjoint de feindre d’êtresouffrantes pour ne pas satisfaire le roi dans lesnuits qui précèdent sa convocation. Pour couron-ner de succès la mission qu’elles lui ont confiée, illeur demande de pénétrer dans la cour royalevêtues de leurs plus beaux et affriolants atours aumoment même de sa comparution devant le roi. Illes presse d'user de tous les artifices que leurintelligence conçoit et que leur expérience ensei-gne pour séduire le monarque. Vient le momentcritique.

Alors que le conseiller entre seul dans le palais, leroi s'étonne de le voir ainsi, mais aussitôt lecortège éblouissant des concubines s'engagedans la cour. Brusquement, le conseiller se jette àterre, se prosterne, gémit, blanchit, il s'arrache lescheveux, déchire ses vêtements et se maudit enrevendiquant sa mise à mort immédiate… Le roi,surpris, le fait taire. Pourquoi gémir, mais surtout,pourquoi est-il seul ? Le désespoir du conseillerredouble et il s’accuse d'être menteur et fourbe (cequi est vrai), dépourvu d’intelligence et de discer-nement (ce qui est faux).

Ces dames qui se tiennent auprès du roi, déclare-t-il en désespoir de cause, sont sans nul douteaucun les créatures les plus gracieuses, les plussubtiles et distinguées, les plus élégantes et raffi-nées, les plus magnifiques que la face du mondeait eu le loisir de contempler ! L’homme qui en estle maître est béni du Ciel, sa gloire est appelée às’étendre par-delà les fleuves, les montagnes etles océans… L’homme aimé par ces dames n’estpas seulement le plus riche, le plus juste et plussage, mais son peuple ne peut que se glorifier de

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l’avoir pour souverain… Ces dames lointainesdont ma prétention m’a conduit à vanter les méri-tes ne sont que des fleurs passagères… qu’ilserait outrageux de présenter à la face d’un telmonarque. Moi qui me gaussais de pouvoirconseiller les princes et les monarques, je ne suisque le plus misérable des ignorants et je mérite dene plus nuire !

Charmé par ce discours tenu en public dans sonpalais, mais aussi par la magnificence de sesconcubines, le roi conclut que ce conseiller aeffectivement très bon goût. Il ordonne en consé-quence qu'on le relève et qu’on lui accorde unecharge fixe à la cour. Quant aux concubines, ellessavent d'expérience qu'il est effectivement unconseiller précieux, puisqu'il sait défendre dans lemême temps, une cause et son contraire tout ens'enrichissant par le service de la sienne propre !

C’est en usant des tensions existantes dans unesituation, c’est-à-dire des penchants et sentimentsdu roi et de ses concubines, que le conseiller sanscharge met en œuvre le dispositif qui donneprogressivement consistance à son objectif d’obte-nir un emploi. La conception et l’articulation de cestratagème requièrent la création d'un espace,matrice et vide, propice pour que la manigancegerme et se développe. Mais un tel vide ne flottepas dans le néant, il s’enracine dans les passions(potentiels) des acteurs de la cour. Peu à peu, il estinnervé et comme vascularisé par les effets de ladynamique des interactions entre les acteurs, et

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c’est ce qui fonde la marge de manœuvre du stra-tège. L’intention, ou l’inexistant, se fraie passagevers la lumière et prend de la consistance sousl’effet des interactions du couple intelligence créa-tive/sens du rythme, dont les temps forts actualisentles changements qualitatifs dans la situation. Il estdit des personnes innovantes qu’elles savent seprojeter dans l’avenir parce qu’elles devinent avantles autres de quoi le présent peut être porteur.

Ce stratagème de création apparaît sans doutecomme l'un des plus emblématiques, non seule-ment de cette série, mais de l'ensemble des trente-six stratagèmes, et au-delà, de la culture stratégiquede la Chine ancienne elle-même. Il fonctionne surla relation dynamique qui lie d’une part le non-existant, le non-évident, l’obscur et le caché àl’existant, le reconnu et validé, ce qui apparaît enpleine lumière d’autre part. Le manifeste observa-ble par tous (yang) plonge ses racines dans le non-existant, le non-manifesté, ce que l'on ne voit pas(yin). L'invisible constitue les limbes et la matricede ce qui, demain, sera tangible et accepté par tous.Tirer parti de cette logique nécessite d’avoir du flairet de le combiner avec un certain sens de la mise enscène et un à propos fondé sur une vision stratégi-que globale et flexible.

Ce stratagème, qui fonctionne aussi sur l’alter-nance du faux et du vrai, de l’illusion et du réel,peut être schématisé selon trois phases successivesqui intervertissent les positions de contraires

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comme, par exemple, le sentiment du danger ou deson absence. Une autre application en témoigne :celle d’une ville assiégée qui se trouve dans l’inca-pacité de prévenir ses alliés afin qu’ils volent à sonsecours. Tous ses messagers successifs sont promp-tement capturés et passés par les armes. C’est là quele stratagème intervient. Un beau jour à midi, lepont-levis de la cité se baisse et un petit groupe decavaliers en sort. Branle-bas de combat chez lesassaillants pour contrer la sortie ! Mais les soldats,placides, installent quelques cibles sous lesremparts, s’exercent au tir à l’arc puis rentrent àl’issue d’une heure de pratique. Cette activité sereproduit quotidiennement à la même heure tantet si bien que la vigilance des assiégeants s’amenuisejusqu’à disparaître totalement tous les jours sur lecoup de midi ! C’est alors qu’un cavalier sort àl’heure dite, traverse les lignes démobilisées ettransmet l’alerte aux alliés qui accourent et déli-vrent la cité assiégée.

Le stratagème peut être modélisé comme suit.On se méfie et on se garde de ce qui a la réputation,ou qui présente les signes, de la menace lorsquecette dernière se manifeste (1). L'attention se pola-rise sur l'apparent et la réaction est conséquente.Mais à la longue, si le signe du danger n’est en défi-nitive qu’une illusion, la vigilance se relâche jusqu’àentraîner une absence de réaction (2). C'est alorsque la situation devient favorable pour que l’illu-sion de danger sécurise un acte bien réel, qui a tout

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loisir et avantage pour emporter la décision (3). End’autres termes, il est important que le "vrai jouécomme faux" (1) soit pris pour du faux par l’adver-saire (2), car cela sécurise ensuite une manifestationréelle, puisqu’elle est entendue comme illusoire (3).Le mirage abrite l'enfantement du réel à travers larelation entre le vrai et le faux, l'existant et le non-existant.

Le stratagème numéro sept tisse la trame d’uneréalité produite par le jeu même des interactionsentre acteurs. L’intervention du stratège estminime mais toujours à point nommé. Il use dupotentiel d’un contexte initial qu’il oriente dans lesens de l'enfantement, puis de la création d'unesituation favorable. Puisque le roi aime lesfemmes (politique, fin), le stratège lui fait entre-voir la possibilité de la réalisation de cette finalité.Il conduit ainsi la stratégie du roi, en la faisanttravailler à son propre compte pour s’enrichir(stratégie, moyen). Puisqu'il n'existe pas de reine,mais que chacune des concubines peut espérer ledevenir (politique, fin), toutes désirent empêcherun accroissement de la rivalité qu’engendreraitl'arrivée de concurrentes nouvelles et exotiques(stratégie, moyen). Il est de l’intérêt des concubi-nes de réagir au changement de la situation ensollicitant la collaboration du conseiller, qu’ellesrétribuent en conséquence. Ce dernier instru-mente les stratégies de ces acteurs (moyen) pourdonner corps à son objectif d’emploi (fin).

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L’espace est mobilisé à travers un usage spécifi-que des lieux : promenade du roi, royaume loin-tain, palais des concubines, cour du roi. Lesruptures de rythme confèrent de la vitesse et de laréalité à ce qui devient substance. Le faible poten-tiel initial (yin) prend de la vigueur et se révèleyang. L'attention se polarise (plein) sur l'apparence,le non-existant (vide). Pour que l’attention (plein)se polarise sur un leurre (vide), il est souhaitableque celui-ci surprenne suffisamment par son aspectprovoquant, voire paradoxal. Dans l’exemple de laville assiégée, les messagers étaient systématique-ment éliminés. Mais lorsque les assaillants seconvainquent d’avoir à faire à un acte sans impor-tance (mirage), la situation est mûre pour l’actionvéritable.

Le timing est stratégique car, avec un temps deretard, le stratagème s’évente. Une telle logique seretrouve dans le montage de projets multiparte-naires où l'un ne s'engage que si d'autres sont dela partie. Le soutien, mentionné mais non signé,du banquier à une affaire engage l’implication del’assureur qui tranquillise le premier partenairequi entraîne le second… Tout est affaire d’intelli-gence, de vitesse et de rythme. Le dispositif trans-forme le plein (la garde, la méfiance et la non-adhésion) en vide propice (la non-garde, laconfiance et le mouvement) et lorsque l'autre serend compte de la manœuvre, il est trop tard carles jeux sont faits !

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Si l’on interprète ce stratagème dans un cadreconflictuel, le faux coup joué en premier n’a paspour vocation de tromper l’adversaire, mais aucontraire de l’inciter à considérer sa vraie nature decoup inoffensif (1). Lorsqu'il est convaincu qu’il nes’agit que de poudre aux yeux, il ne s'en méfie plus(2) et l’interprète comme le mirage d'une "réalité".Pour le stratège, la force réelle croît dans la sécuritédes apparences. L'illusion (yin) enfante la force(yang), le vrai est estompé au sein du faux alorsqu’il progresse vers le but. La feinte a précisémentpour objet d’être identifiée comme feinte. Cefaisant, l’autre est saisi dans le jeu et l'initiative dustratège qui conduit l’alternance des phases tout engardant un temps d’avance. La non-substance peutse transformer en son contraire à partir du momentoù l'autre l'identifie comme non-substance. Àl’instar de tout stratagème, ce septième se règle et semodèle à partir des représentations, des valeurs,voire des convictions, de l’autre et c’est à partir decelles-ci que la ruse s’élabore.

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VAINCRE DANS L’OMBRE

Attaquer en pleine lumière, vaincre en secret.Sun Tzu

Bien que le dispositif stratégique se résume aux deuxforces, régulières et extraordinaires, elles engendrent des

combinaisons si variées que l’esprit humain estincapable de les embrasser toutes. Elles se produisent

l’une l’autre pour former un anneau qui n’ani fin ni commencement.

Sun Tzu

S’engager dans le visible, l’emporter dans

l’invisible – Gesticulation diurne,

action nocturne – Détourner

Une trompeuse apparence / Montée discrète àChencang / Réparer ostensiblement les passerellesde bois, marcher secrètement vers Chencang /Construire bruyamment des passerelles de bois lelong de la falaise / Se donner une apparence trom-

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84 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

Depuis des lustres, les royaumes de la Plaine etde la Montagne sont en conflit permanent selondes phases plus ou moins chaudes. Lors de leurultime confrontation, la Montagne a envahi laPlaine, mais a finalement subi une défaite humi-liante qui a consacré la perte de ses provincespiémontaines. Dans sa retraite en catastrophe, laMontagne a brûlé l’unique pont de bois qui auraitpermis à la Plaine de l’envahir facilement, lesautres voies de communication étant difficilementpraticables.

Dès lors, isolée et à l’abri, la Montagne travaillesecrètement à sa revanche. Elle entraîne ses trou-pes et accumule du matériel de guerre alors quela Plaine se sent en sécurité tant que le pont debois, qu’elle surveille en permanence, est détruit.La Plaine, au fait des préparatifs de sa rivale, resteconfiante dans ses ressources numériquement etqualitativement supérieures. Son réseaud’espions dans le royaume adverse fait le reste.

Un beau jour, la Montagne semble se sentir assezforte pour prendre sa revanche, elle entame augrand jour la réparation du pont de bois incendiélors de sa précédente retraite humiliante. LaPlaine ne s'en alarme pas outre mesure, mais

peuse tout en cachant la véritable intention d’atta-que / Advance to Chencang by a hidden path /Pretend to advance down one path while takinganother hidden path / Secret cross at Chencang /Aparentar tomar un camino mientras se entra ahurtillas por otro

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concentre des moyens suffisants de l’autre côtédu pont, afin de prévenir et décevoir toute velléitéd’incursion. La sérénité règne chez le vainqueurdu dernier conflit. Il focalise son attention surl’évolution des réparations du pont et sur lamontée en puissance des moyens ennemis quil’accompagne. La Plaine, prête à toute éventua-lité, saura faire face.

Tout en maintenant un rideau de forces de soncôté du pont, la Montagne transfère nuitammentl'essentiel de ses troupes par des chemins acci-dentés et non gardés par la Plaine. Au matin, elleenvahit dans la surprise la plus totale les provin-ces qu’elle avait perdues ainsi que quelques citéssans défense du royaume de la Plaine. Dépour-vues de support logistique, coupées de leurs arri-ères, les troupes de la Plaine massées de l’autrecôté du pont se rendent très vite.

Ce stratagème numéro huit permet d’aborder lathéorie des deux forces qui caractérise la culturechinoise de la stratégie. La force Zheng ou Cheng,désigne ce qui relève de l'orthodoxe et du classiqueen termes de moyens, de manières de procéder, demoments et de lieux d’interaction. En bref, ellerassemble tout ce que des belligérants peuventmettre en œuvre de manière conventionnelle. Laforce Ji ou Ch’i, au contraire, désigne l'ensembledes procédés, méthodes et moyens non-orthodo-xes, hors norme pour parvenir à ses fins. Zheng et Jise définissent mutuellement autant par l’opposi-tion que par la complémentarité de leurs traits

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respectifs. L’existence de l’une suppose nécessai-rement celle de l’autre, et l’efficacité commande deles mettre en œuvre à bon escient en les articulantensemble. Une guérilla ou une guerre de partisansuse de manière privilégiée de la force Ji du fait de safaiblesse en moyens conventionnels.

En 1940, les lignes Siegfried et Maginot qui sefaisaient face incarnaient toutes deux la forceZheng. Par contre, la percée allemande par lesArdennes procéda de la force Ji. Aucune de cesdeux forces n’est recommandable ou condamnableen soi. L’art stratagémique réside dans leur combi-naison en temps, lieux et procédés, eux-mêmeschoisis en fonction des attentes et des dispositionsadverses, afin d’agir avec efficacité.

L'une des particularités de cette approche desdeux forces est que les moyens qu'elles désignentrespectivement n'entrent pas de manière absolue etexclusive dans l'une ou dans l'autre des catégories.Lorsqu'un mouvement, initialement Ji par soncaractère irrégulier, comme un contournementsoudain, est identifié, dès lors sa nature se modifieet il devient Zheng car manifeste, visible et observa-ble (yang). Il s’ensuit que la force, initialementZheng, qui fixait l'attention et les moyens adverses,peut se transformer en Ji et prendre l’autre à défaut.Ji identifié devient Zheng et vice versa.

Cette combinatoire, sans limite dans le temps nidans l'espace, se règle sur les représentations et les

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attentes de l’autre, ainsi que sur le décryptage quecelui-ci fait de l’interaction. En sus de cette intelli-gence, l’usage pertinent de ces deux forces estaffaire de tempo et d’anticipation. Harceler l’adver-saire par une méthode conventionnelle pour cacherune méthode exceptionnelle visant à le surprendre et àle mettre hors d’état de nuire, recommande Shi Bo,auteur d’une interprétation des Trente-Six Stratagè-mes 1.

On trouve en abondance la mention de ces deuxforces dans l'ensemble de la littérature stratégiquechinoise. Lorsque Mao Tse Toung utilisait le sloganmarcher sur ses deux jambes, il désignait la nécessairedynamique complémentaire entre l'Armée Rougerégulière (Zheng) et les partisans (Ji) disséminés telsdes poissons dans l’eau dans les zones sous contrôleennemi. Cette théorie souligne toute l'importanceaccordée dans la culture du stratagème à lasouplesse adaptative et au sens du rythme, car lemonde est une transformation permanente et, àl’image de l’eau, la stratégie s'adapte aux circons-tances. En se donnant des apparences de faiblesse,le fort gagne à moindre coût, car il n’incite pas àune mobilisation importante des moyens adverses.

Ce comportement stratégique du même estporteur de conséquences dans les décisions del’autre. Le faible peut gagner en provoquant ladispersion ou encore des concentrations adverses

1. Voir bibliographie.

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88 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

en pure perte ou isolées. Tout se régule en jouantde vitesse par rapport à la perception et aux dispo-sitions de l’autre. Dans l’exemple mentionné, laforce de la Plaine est solidement établie aux abordsdu pont (Zheng), ce qui signifie nécessairementl’existence de faiblesses ailleurs, et celles-ci setraduisent pour la Montagne sous la formed’opportunités sur lesquelles se régler. Lors dudernier conflit mondial, les solides défenses britan-niques de l'île de Singapour (Zheng) contrôlaient lamer à l’ouest, au sud et à l’est, mais l'attaque japo-naise (Ji) est arrivée du nord par l'arrière paysmalais alors sans défenses sérieuses.

Ce stratagème à la simplicité trompeuse peutêtre utilisé pour penser de manière englobante laconduite d’une interaction entre protagonistes.Lorsque deux acteurs sont aux prises ou collabo-rent, il se manifeste une relation d'interdépendanceselon laquelle le mouvement de l’un entraîne uneréaction de l’autre qui ne peut y rester insensible.Rien que de très logique dans tout cela. Celui quis'élève au-dessus de la simple considération et dusimple management de ses moyens propres pourraisonner et conduire la relation elle-même,maîtrise les conditions générales de l’interaction. Ilpeut dès lors aspirer à diriger ses moyens, ceux deson adversaire (ou collaborateur) et les modalitésde leur dynamique interactionnelle.

Lorsque le royaume de la Montagne entame laréparation du pont de bois, son action visible

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(Zheng) enchaîne et lie la force Zheng du royaumede la Plaine au détriment de la garde des cheminsmontagneux, qui deviennent alors favorables ! LaMontagne ne joue pas seulement avec ses propresmoyens mais conduit ceux de son adversaire parcequ'elle connaît sa stratégie et son mode deraisonnement : attendre et contenir le péril del’autre côté du pont. Renforcé dans sa conviction,le comportement de la Plaine est dès lors lisible,prévisible et sans surprise. Plutôt que de s'attaqueraux seules forces Zheng, la Montagne compose larelation stratégique dans sa globalité en s'élevant auniveau de la maîtrise de l'interaction elle-même.Les signes annonciateurs du mouvement normal(Zheng) du royaume de la Montagne en quête derevanche rassurent la Plaine et libère son angoisse1

quant au où et quand son rival actualisera sa volontéde vengeance.

En agissant sur ses propres dispositions de manièreostensible, la Montagne conduit et modèle les réac-tions de la Plaine ! Sa manœuvre détermine pour laPlaine une horloge, un calendrier, une formed’organisation de l’action, et c'est dans le vide quecette représentation crée ailleurs qu’aux abords dupont que la Montagne saisit l’avantage.

Intelligence et rythme permettent l’initiativedans les combinaisons sans fin du Zheng et du Ji en

1. Objectivement, la Montagne offre une économie de réflexionà la Plaine.

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fonction de l’évolution des situations, des stratégieset des attentes. Là où le raisonnement de la Plaineest tactique et local, celui de la Montagne est straté-gique et global. De part et d’autre du pont de bois,l’économie des moyens et la liberté d’actionpenchent du côté de la Plaine, mais dans le grandchamp 1 les deux principes jouent en faveur de laMontagne. C’est sur ce modèle que la grande stra-tégie maritime de l’Empire britannique étouffa lasuprématie continentale française (tactique) endominant les mers (stratégie) qui lui ouvraient lemonde.

On s’égare à ne considérer ruses et stratagèmesqu’au titre d’expédients temporaires qui ne procè-dent que de la tactique. La culture du stratagèmedans sa version chinoise requiert une véritablevision stratégique globale fondée sur l’interdépen-dance et la transformation. C’est à ce titre qu’elleprend toute son actualité dans le monde du XXIe

siècle. Ce huitième stratagème illustre commentprovoquer une concentration tactique adverse pourdégager des marges stratégiques dans la sécurité. Enpassant par les Alpes, Hannibal puis NapoléonBonaparte prirent au dépourvu Romains et Autri-chiens qui ne les attendaient pas aux débouchés descols.

1. Ce terme désigne au rugby la partie du terrain où l’espace estouvert et les joueurs moins concentrés.

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PROFITER DE L’AVEUGLEMENT

Le bon stratège maîtrise l’art du délai.Sun Haichen 1

L’attente stratégique – Rien ne se perd, rien

ne se crée, tout se transforme – Le bonheur

des uns fait le malheur des autres –

L’inaction précède l’action – Incendiaires et

secouristes – Accroître

1. in The Wiles of war : 36 military strategies from ancient China.

Contempler l'incendie sur la berge d'en face /Observer l'incendie sur la rive opposée / Contem-pler l’incendie de la rive opposée / Observer le com-bat en attendant que les deux adversaires s’entre-tuent pour en tirer profit / Watch the fire burningacross the river / Watch the fire from the oppositeshore / Watch the fire from across the river / Obser-var los fuegos que arden al otro lado del río.

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Une huître baille au soleil en exposant ses valvu-les, un martin-pêcheur fond brusquement surelle et introduit son bec à l’intérieur de la coquillepour s’en repaître alors que celle-ci se refermedans l’urgence. L’oiseau proteste : tu es à moi et tune pourras m’échapper ! Le mollusque réplique :et toi, tu ne pourras me manger parce que je nelaisserai pas ton bec sortir de ce piège. Mais tuvas mourir si nous en restons là ! reprend lemartin-pêcheur. Toi aussi l’oiseau, car tu ne pour-ras te nourrir, rétorque le coquillage.

Et le martin-pêcheur de s’épuiser en s’envolantavec difficulté tant l’huître le leste lourdement, etcelle-ci d’affermir sa prise sur le bec du préda-teur… Le soleil se couche alors qu’aucun desprotagonistes n’a lâché prise. Bien que faiblissant,les bruits de la lutte acharnée se propagent auxabords du plan d’eau. Survient un hibou qui sesaisit du martin-pêcheur, incapable de voler effica-cement, et l’emporte. L’huître libérée tombe du ciel,se brise sur un rocher et son poids l’entraîne dansl’eau. Les crevettes à l’affût se repaissent de sachair sans défense et le martin-pêcheur est dévorépar le hibou.

Lorsque des protagonistes aux prises s’acharnentau point d’en perdre la vision d’ensemble, ilsdeviennent vulnérables pour des acteurs extérieursqui s’enrichissent de leur aveuglement. Ce strata-gème démontre à quel point un enfermement tacti-que détourne l’attention des fins que l’on poursuitau profit exclusif et fatal d’une opposition vaine devolontés. De manière imagée, autant l’huître que le

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martin-pêcheur veulent survivre (fin), mais le repasde coquillage de l’oiseau n’est qu’un moyen de cettesurvie, et non sa finalité suprême. Les alternativespour l’huître sont plus réduites, car lâcher prisepour elle revient à être mangée, c’est-à-dire dispa-raître à très court terme.

L’histoire démontre de quelle manière lescombats à outrance, qui oublient leur pourquoi etperdent de vue la réalité d’un contexte global, nonseulement épuisent leurs protagonistes, maisrenforcent relativement le pouvoir de ceux qui sesituent dans leur environnement. Ainsi en fut-il desdeux conflits mondiaux du XXe siècle où l’Europesortit vaincue au profit de l’URSS et des États-Unisd’Amérique, dont le rôle international devintprépondérant. Plus récemment, la guerre entrel’Iran et l’Irak a reproduit le même modèle.

De l'individualisme et de la défense aveugle etrésolue d’intérêts particuliers découlent desconflits qui affaiblissent les parties prenantes.Cela renforce des juges de paix extérieurs qui seservent tout en mettant de l’ordre, comme lehibou apporte une solution au dilemme irréducti-ble entre l’huître et le martin-pêcheur. Médiateurimpartial, appelé par la situation elle-même, sonoffre de service est supérieure aux options sansissue des protagonistes initiaux. Le nouvel équili-bre atteint passe par la réduction au silence de quirefuse de renoncer à ne considérer que son intérêtparticulier. Ce faisant, le médiateur providentiel

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n’agit pas seulement de ses seules forces pourconcrétiser ses buts, mais en utilisant celles desirréductibles à son profit. Comment ne pasévoquer la conquête en douceur des cités grecquespar Philippe de Macédoine qui usa du grandsavoir-faire et des hautes compétences de ces citésà se quereller et à s’affaiblir mutuellement. Lesintérêts partisans et particuliers ruinèrent leprécieux bien que ces cités avaient en commun :l’indépendance !

Dans cette seconde famille de stratagèmes, celledes batailles indécises, la vision étroite, la précipita-tion et l'action au mauvais moment provoquentdes configurations nuisibles pour des protagonistesopposés, devenus sourds à la prise en compte ducontexte stratégique de leur opposition. À l'abri ethors d'atteinte, il est avantageux pour un stratèged'observer à loisir le jeu des croyances et des dissen-sions car elles génèrent des marges de libertéd'action. Leur donner de l’espace renforce lesdissensions dans leur aveuglement, les rend prévisi-bles et crée les conditions de l’intervention stratégi-que à point nommé. Il est bénéfique d’attendre quel’évolution des situations révèle par elle-même desopportunités. À l’inverse, manifester trop vite, troptôt et ostensiblement sa volonté est susceptible defavoriser une union des ennemis d’hier contrel’incursion d’un tiers dans le jeu. L’enfermementd’un conflit épuise ses acteurs alors que des tiersextérieurs s’en enrichissent relativement. L’heure

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venue, ces derniers ramassent la mise au détrimentdes belligérants irascibles.

En revanche, une action précipitée, même àl'encontre du maillon faible d'une querelle, risquede provoquer une mobilisation générale qui feraittaire les dissensions internes. La non-implicationapparente et la patience (yin) sont favorables, ellespermettent aux potentiels agressifs de se développeren faisant perdre le nord de l'intérêt commun quiles unit. Un yang débridé chez les autres fait le lit del'intervention future du stratège. Si on laisse vivreet croître les dissensions au sein d’une allianceconcurrente, la force et l'énergie de l'alliance nesont plus focalisées sur le maintien de l'unité, sur lacoordination et sur l'action extérieure, mais sedépensent en conflits internes. Par contraste, ils'agit pour un stratège extérieur d'une excellenteapplication du principe d'économie des moyens,car il préserve les siens alors que d’autres les dépen-sent. Cette non-implication ne signifie aucune-ment ne rien faire, mais agir avec tact, intelligenceet à propos. L'attente stratégique reste un art diffi-cile et dangereux.

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LE SOURIRE DU TIGRE

Quand l’ennemi cherche à attaquer, songez à négocier.Quand il cherche à négocier, songez à l’attaquer !

Sun TzuQui a le miel sur les lèvres, cache le crime dans son cœur.

Proverbe chinoisLa bouche est aussi douce que le miel, mais l’estomac est

aussi dangereux que le sabre !Proverbe chinois

Le plaisir des yeux – Adoucir

Cacher une épée dans un sourire / Cacher un poi-gnard derrière un sourire / Cacher un poignarddans un sourire / Bouche de miel, cœur de fiel /Conceal a dagger in a smile / Hide a dagger with asmile / Hide a dagger in a smile / Ocultar la dagatras la sonrisa / Ocultar las intenciones agresivasdetrás de una fachada agradable

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Vous conduisez votre véhicule en ville et stoppezbrusquement parce qu’un chien traverse la chaus-sée. La voiture qui vous suit freine à son tour maisvous percute par l’arrière. Selon le code de laroute, elle est en tort. En toute logique, vous vousestimez autorisé à vous offusquer, à crier au non-respect des règles et à exiger réparation… De soncôté, le conducteur en faute se prépare et écha-faude des arguments à partir d’indices ténusrenforcés par une certaine mauvaise foi… En finstratège, vous jouez du paradoxe.

Votre première réaction, après avoir quitté votrevéhicule, est de vous enquérir avec beaucoupd’attention et de compréhension, des dégâtsoccasionnés à la voiture qui vous suivait, et devous préoccuper de l’état physique et psychologi-que de son conducteur. Privée de point d’appui, lavolonté de résistance et d’en découdre de celui-cise désamorce tant et si bien qu’il n’est plus encondition de résistance lorsque votre intransi-geance, sympathique mais implacable, vousconduit à remplir selon votre vision des faits, leconstat à l’amiable de l’accident !

Le dictateur d’un État pétrolier riche et puissantdésire étendre ses possessions. À sa frontière sudsubsiste un émirat ridiculement petit mais immen-sément riche en gisements. Il est gouverné par unjeune prince inexpérimenté et célibataire. Saconquête militaire ne serait qu’une affaired'heures, mais un vieux conseiller de ce jeuneprince, méfiant vis-à-vis de son voisin expansion-niste du Nord, recommande la mise en place d’un

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jeu d’alliances multiples afin de rendre impossibleune annexion.Pour arriver à ses fins à moindre coût, le dictateuroffre sa propre fille aînée en mariage au prince,qui ne peut qu’accepter ce qui a tout l’air devouloir sceller un pacte familial. Puis, moyennantune certaine publicité, le dictateur convoque sonGrand Conseil avec pour ordre du jour les plushautes affaires de l’État : à savoir ses projetsd’expansion non seulement économique, scientifi-que et technologique mais aussi territoriale ! Quelui suggèrent ses conseillers les plus dévoués ?À l’issue d’un certain nombre de tergiversations,l’un d’entre eux ose évoquer la richesse de l’émiratpeu défendu du Sud… Le Raïs entre brusquementdans une colère noire devant une telle recomman-dation… contre son propre gendre ! Peu de tempsaprès, on apprend que ce conseiller a eu un acci-dent fatal. La vie continue et le jeune prince du Sudrevient partiellement sur sa méfiance à l’égard deson voisin septentrional. Les mois passent.Vient une nouvelle convocation du Grand Conseil,même question du dictateur et même suggestiontimidement reprise d’annexion de l’émirat. Lemalheureux qui a osé est cette fois-ci publiquementexécuté ! Pleinement rassuré quant aux intentionsde son puissant voisin, le prince congédie le vieuxsage qui l’importune avec ses craintes ! C’est alorsque l’émirat est conquis en quelques heures etdevient l’énième province de l’État du Nord1 !

1. Bien sûr cet exemple est fictif. Toute ressemblance avec desfaits réels serait le fait du plus pur des hasards.

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100 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

Durant sa visite des souks, le visiteur fatiguéaccepte l’invitation souriante du marchand à entrerse reposer un instant dans son échoppe. Pour leplaisir des yeux, assure-t-il, pas pour acheter. Laconversation se noue de manière informelle etdécontractée. Visiteur et marchand partage un,puis deux, puis trois thés à la menthe. Qu’il estagréable d’être assis dans l’ombre ! D’où viens-tudit l’un, tu es en voyage d’affaire, tu as desenfants… moi j’en ai deux… et ta femme… ?

Rien qu’un échange de banalités, peut-on penserde l’extérieur ! En fait, il s’agit d’une redoutable etinsidieuse opération d’intelligence rusée qui four-nit une montagne d’argument au vendeur à mêmede prendre à défaut le visiteur plongé dans leconfort confiant d’une relation cordiale. Vient lemoment de partir et c’est là que le scénarios’inverse car comment le visiteur, qui est venusans sa femme et que ses enfants attendent… va-t-il pouvoir repartir sans un petit cadeau pourchacun de ceux qu’il aime tant, ne serait-ce quepour tranquilliser sa conscience !

Pourquoi agir de manière Zheng, qui est pardéfinition coûteuse et hasardeuse, quand la voie Jipermet de réussir avec économie ? Dans la concep-tion de l'interaction qui unit les faits et gestes desprotagonistes dans une dynamique englobante etcomplémentaire, la manifestation extérieure d'unsourire incite à la confiance et au relâchement.

Ce dixième stratagème combine deux plans :d’une part celui d’une illusion trompeuse dont lafonction consiste à faire baisser la garde, et d’autre

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part celui bien réel d’une détermination cachée. Lebut véritable est sécurisé sous des dehors bonsenfants, sous l’apparence d’un esprit de concordequi rassure et transmet la confiance comme parcontagion. Dans le premier exemple, le stratègeagit paradoxalement soit avec sympathie là où ilserait prévisible qu’il soit agressif. En conséquence,celui qui se préparait à argumenter et à résistermodifie lui aussi son comportement. Le pointd’appui sur lequel il se réglait pour se défendre estsupprimé. Devant une personne si compréhensiveet avenante, pourquoi batailler ?

La stratégie adore le vide car elle s'y réalise plusaisément. Ce stratagème se fonde sur la relationdialectique méfiance/confiance et sur un différen-tiel de tempo entre la lenteur de celui qui est misen confiance et le stratège qui maintient la possibi-lité de brusques accélérations sous des dehors tran-quilles, paisibles et inoffensifs. La confiancefonctionne sur le long terme avec l’amplituded’une rythmique paisible. Quitter cette formed’engourdissement de manière brusque est délicatet cela nécessite au moins une phase d’adaptation.En d’autres termes, de profondes dispositions yinrendent impropre à contrecarrer une soudaineoffensive yang. Tout au contraire, le yin accueille leyang. Dans le climat stratégique de la confiance,l'offensive tactique brève et concentrée emporte ladécision car elle a fait disparaître préalablement lacarapace de protection.

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102 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

Ce stratagème du tigre souriant s'adapte particu-lièrement aux situations de batailles et de concur-rences indécises où il est préférable de cheminermasqué. L'absence d’une attitude belliqueusepermet d'acquérir de nombreuses informations surla situation de l'autre et sur les qualités de ses lienset de ses alliances… Cette récolte sera ensuite miseà profit lors du changement de phase, moment del'action brève et décisionnelle qui sonne comme uncoup de tonnerre dans un ciel serein et débonnaire.Lors de négociations, ne rien vouloir en apparencepermet de s'introduire dans le secret de confidencesqui ne se seraient jamais manifestées à la lumière sila méfiance régnait. En pénétrant comme le vent,doucement dans les interstices créés, alors seule-ment les dehors et apparences bonhommes sonttransformés en leur contraire.

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QUI SAIT PERDRE GAGNE

Sacrifier les détails pour réaliser les grands desseins.Proverbe chinois

Lorsque les protagonistes sont de force égale,le recours à la stratégie assure la victoire.

Sun Bin

Les atouts de la faiblesse – Perdre petit pour

gagner gros – Calculer la part du feu –

Le sacrifice utile – Gagner la guerre plutôt

que des batailles – La partie pour le tout –

Sacrifier.

Stratagème du sacrifice / Sacrifier le prunier poursauver le pêcher / Le prunier se dessèche à la placedu pêcher / Le prunier malade dessèche à côté dupêcher en fleurs / Sacrifier les détails pour sauverl’essentiel / Sacrifice the plum for the peach / Sacrifyplums for peaches / Sacrificar el ciruelo por el melo-cotón / Se sacrifica un árbol para salvar a otro

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104 STRATAGÈMES DU FIL DU RASOIR

Un procès aux assises retentissant est sur le pointde se tenir. Deux équipes d’avocats s’affrontent.Curieusement, leur composition est similaire,chacune d’entre elles aligne un praticien expéri-menté, rusé, convainquant et difficile à contrecar-rer avec succès, un professionnel honorable deniveau moyen et enfin un nouveau venu facile àdéstabiliser.

Le parti de l’accusation choisit de frapper fortd’emblée, il pense ainsi impressionner durable-ment les jurés et se créer un climat favorable toutau long du procès. Il programme en premier laplaidoirie du vieux rusé, suivra le jeune et le collè-gue honorable a pour mission de conclure la jouteen reprenant les arguments initiaux. La défense,au fait de cet ordre d’engagement, communiqueau président du tribunal la liste des interventionsde ses avocats. Quel ordre permettra de prendrel’avantage de manière la plus sûre ?

Au meilleur des trois du parti de l’accusation, ladéfense oppose le jeune inexpérimenté et perd unpoint aux yeux du jury. À l’inexpérimenté ensecond lieu, elle oppose l’honorable moyen ce quilui donne un point. Elle conclut en ordre inverse auparti opposé en engageant le rusé contre lemoyen adverse. En sacrifiant le jeune expéri-menté, la défense perd un point mais annule lepoint fort de l’accusation et gagne ainsi par deuxplaidoiries contre une. Le choix délibéré d’unsacrifice tactique lui assure le gain stratégique !

Dans toute compétition ou simple concurrence,il est rare d’espérer être victorieux dans tous les enga-gements. C’est pourquoi il est souvent avantageux

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de choisir où et quand perdre localement pourgagner globalement. En d’autres termes, où seconcentrer et où abandonner la part au feu. Dansl’interaction conflictuelle, la sagesse enseigne à seservir de tout, c’est-à-dire tout autant de la forceque des atouts de la faiblesse ! Dans l’exemple ci-dessus, en engageant sa faible contre la fortecontraire, le stratège neutralise le principal atoutadverse et, ce faisant, le sacrifice du jeune inexpéri-menté assure la sécurité de ses deux collègues.Cette défaite consentie est aussi importante, si cen’est plus, que les victoires mathématiques des deuxautres, car c’est elle qui les rend possibles ! Le stra-tège en tire un rendement maximum qui accroîtglobalement sa marge de manœuvre et son jeu audétriment du celui de l’autre. Cela revient à acheterdu long terme en payant de court terme.

La manœuvre dite de Médine1 mise en œuvrepar Lawrence et Fayçal dans la péninsule arabiqueentre 1916 et 1918, contournaient et négligeaientles places fortes turques installées le long de la lignede chemin de fer Damas-Médine, mais surtout lesdéconnectait les unes des autres. C’est en progres-sant parallèlement à cette voie stratégique que laRévolte arabe a atteint Damas sans jamais affronterl’ensemble des forces turques, immobilisées sur une

1. Sur ce sujet voir Le Tournoi des dupes ou La Maîtrise de l’inte-raction. L’information et la communication dans la stratégie dePierre Fayard.

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multitude de places fortes plus au sud. Le sacrificede la partie (emprises locales) assura le gain du tout(emprise globale). Ces petits renoncements tacti-ques participèrent de l’acquisition de la victoirestratégique. En revanche, le seul gain de décisionstactiques accompagne parfois la défaite stratégiqueà l’instar de celle de l’armée française qui a gagnémilitairement la bataille d’Alger mais qui, politi-quement, a perdu l’Algérie.

Le paradoxe de la stratégie1 veut que le mieuxsoit l'ennemi du bien. Un acteur supérieur etdominant en toutes circonstances est non seule-ment proprement insupportable mais en sustravaille à sa perte en incitant les autres à la créati-vité. L’attaque des Twin Towers de New York pardes avions de ligne sacrifiés s’inscrit dans cette logi-que créative, contrainte par l’absolu de l’emprisepolitique, économique et miliaire des États-Unisd’Amérique. La pression d’une telle dominationrenforce objectivement et oblige l’ensemble desautres acteurs à inventer des parades et des modali-tés Ji qui déroutent et trompent les attentes de lasuperpuissance. Pour le dominé, seuls des scénariinon-orthodoxes sont susceptibles de lui donner desmarges de manœuvre tant le conventionnel lui estinaccessible et interdit. L'hégémonie affronte alorsdes formes offensives dont elle ignore les règles et

1. Voir Le Paradoxe de la stratégie, d’Edward Luttwak.

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contre lesquelles ses armes, ses moyens et sesconcepts d’usages sont inadéquats.

La créativité stratégique d’Al Quaïda a pris audépourvu l’hyper-puissance américaine le11 septembre 2001. Dans la Chine ancienne, onrecommandait d’anéantir sans état d’âme jusqu’audernier d’une lignée afin qu’aucun descendant nepuisse un jour mettre en œuvre une vengeance aunom de celle-ci. Faute de cette possibilité, on doitcomposer et éviter d’user de pressions qui suppri-ment toute liberté d’action et dont l'effet objectifest de contraindre les perdants à imaginer des alter-natives insoupçonnables. Acculée militairementdans le conventionnel (Zheng) et sans espoir defaire avancer sa cause par les canaux de la négocia-tion et de la diplomatie, une mouvance politiquetrouve dans le terrorisme (Ji) une voie qui luipermet de manifester ses choix et son existence1.

Comment dissuader des combattants en lesmenaçant de mort quand celle-ci signifiel'héroïsme, dans un présent pensé comme inviva-ble, et le martyr qui conduit au Paradis ! Parce queles marges n'existent plus dans le champ classique(Zheng), le parti dominant contraint ses opposantsà imaginer des alternatives non-conventionnelles(Ji). Pas plus qu'il n'est judicieux d'acculer un chatau fond d'un couloir et d’avancer vers lui, il n'est

1. Voir Écran/Ennemi : terrorismes et guerres de l'information deFrançois-Bernard Huyghes.

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pas recommandé de supprimer toute marge deliberté à un acteur que l'on se refuse à détruire tota-lement en supprimant toute possibilité de renais-sance.

La guerre de course des corsaires français contrele commerce britannique est née de la dominationnavale de l’Empire britannique dans le convention-nel. Tant que des perspectives existent, l'oppositiondéroule son jeu dans le cadre des règles conflictuel-les d’un système en place. En d'autres termes, unesage hégémonie accorde des gains mineurs quipermettent de maintenir sa domination globale.Au contraire, se battre à tout prix pour des enjeuxde détails risque de compromettre un enjeu majeur.Savoir perdre pour gagner assure la durée à lasuprématie, qui use intelligemment de la faiblesse.

L’enseignement stratégique rejoint celui d’unecertaine sagesse politique. Loin de saper une supré-matie, des pertes limitées constituent la partobscure (yin) du maintien de cet son état de domi-nation dans le visible (yang). Mais, si la supérioritéglobale doit se nourrir parfois de quelques défaiteslocales, mieux vaut les choisir délibérément en lesanticipant, plutôt que de se les faire imposer là oùl’on n’est pas prêt à le faire. La faiblesse n'est pointtant sacrifiée que jouée avec son maximum depotentiel puisque c'est de son engagement querésultent les conditions de la victoire. Elle ne repré-sente en aucune manière une quantité négligeable,bien au contraire ! Il n'est pas aisé d'intégrer ce

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mécanisme, qui ruine le rendement et l’économiedes moyens du parti adverse.

En stratégie tout sert, les détails ne doivent pasêtre négligés mais considérés. Lors du dernierconflit mondial, le déchiffrement des codes utiliséspar les Nazis, aurait permis à Churchill de faireévacuer la ville de Coventry avant que l’aviationallemande ne la frappe. Mais ce faisant, il auraitpratiquement communiqué aux Allemands queleur code était cassé. Le sacrifice « local » deCoventry assura la sécurité du secret de la connais-sance du code allemand dont les messages furentlus jusqu'à la fin de la guerre. Cela contribua à lavictoire globale des Alliés et à sauver de nombreu-ses vies sur d'autres terrains… Convenons que cetype de dilemme est malaisé à évacuer d'un simplerevers de la main.

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LA CHANCE SE CONSTRUIT

Le stratège s’adapte aux variations de la situationde l’ennemi pour obtenir la victoire.

Sun TzuLe mouton se trouve là par hasard,

mais ce n’est pas par hasard que l’on s’en empare.Jean-François Phélizon 1

L’occasion fait le larron – Profiter

1. in Trente-Six Stratagèmes.

Croissance et décroissance / Emmener un moutonen passant / Dérober un mouton en passant /Improviser une tromperie en utilisant ce que l’on asous la main / Leave a goat away by passing / Totake a goat in passing / Lead away a goat by pas-sing / Aprovechar la oportunidad para robar unacabra

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Un futur diplômé en intelligence économique esten recherche de stage pour valider son année deformation et amorcer son insertion profession-nelle. Il multiplie l’envoi de son curriculum vitæ enciblant les groupes et grandes entreprises en fonc-tion des annonces qu’ils font paraître, mais enusant parallèlement de la procédure dite de lacandidature spontanée. Féru d’informatique, ils’est spécialisé dans l’usage de logiciels derecherche sur Internet. Son offre retient l’attentiond’une entreprise qui n’a publié ni demande destagiaire ni offre d’emploi. Le futur diplômé obtientun entretien avec le directeur du personnel decelle-ci. Le rendez-vous, qui se tient en fin de jour-née, porte classiquement sur les outils, les métho-des, l’intérêt et les bénéfices de la veille surInternet.

Au fur et à mesure de la conversation, le candidatsent que la motivation de son interlocuteur n’estpas d’un niveau qui lui permette d’entrevoir desperspectives favorables à ses attentes. S’il laissela conversation se poursuivre dans les mêmestermes et sur le même tempo, il repartirabredouille. Il prend une initiative pour perturber lamécanique trop bien huilée de cet entretien dontl’issue négative est trop certaine. Il amène le chefdu personnel, fatigué par une longue journée detravail, à parler de l’entreprise. Il apprend alorsque le directeur de la stratégie prendra prochaine-ment sa retraite.

La connaissance des marchés asiatiques qu’il aaccumulée tout au long de sa carrière va fairedéfaut à l’entreprise dans un moment crucial deson développement… En raisonnant à haute voix,

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le chef du personnel définit devant le futur diplôméla mission, le timing et surtout les compétencesrequises pour un stage visant à favoriser la transi-tion et surtout la capitalisation des acquis du futurretraité. L’annonce ne dépassera pas le bureau duchef du personnel et le stagiaire prendra ses fonc-tions dans la semaine qui suit.

Sans idées préconçues et définitives quant à lanature précise d’un objectif, ce stratagème recom-mande présence et disponibilité d'esprit pour agirdans le rythme d’une opportunité qui se présente,ou que l’on cherche, de manière inattendue. Lemonde bouge, les situations changent et desbesoins inexistants hier s’imposent aujourd’huicomme des nécessités. Des signaux, ténus et faiblesdans le présent, peuvent être développés et renfor-cés par l’art du stratège jusqu’à devenir unetendance porteuse. S’il est illusoire de tout savoir etde tout prévoir, fort d'une préparation stratégique,d’un entraînement de la sensibilité aux conditionset de réactivité, il est possible de saisir des opportu-nités non-manifestées un instant auparavant.

Les époques de changements et de troubles sontfavorables à l’application de ce douzième strata-gème. Les appartenances, les fidélités, lesconnexions s’y distendent, les relations se relâchentet des enjeux peuvent se retrouver isolés et sansprotection. Ce stratagème procède par rythmescourts selon un jeu agressif et opportuniste sur lesproximités qui se présentent. Il articule attention,

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imagination et à propos, mais surtout évite lespièges, les œillères et les kystes d’une observationétroitement focalisée sur un but trop précis, quiexclut la perception d’alertes imprévues. Ne pas seconcentrer sur un seul point, avoir une vue large etouverte à toutes les éventualités, y compris cellesdont on ne pouvait avoir idée ! Concentré sur rienen particulier mais pleinement présent, le samouraïest à même de percevoir le danger et l’opportunitéd’où qu’ils viennent.

Bien que souvent les stratagèmes réalisent dansle temps long ce qu'il coûterait d'atteindre dans lecourt terme, ce dernier de la série des situationsindécises fonctionne sur la réactivité la plus brèvepossible 1. Mais pour être réactif, il faut être prêt,vigilant et tenir l'ensemble ses moyens dans lamain, comme le recommandait Napoléon Bona-parte qui recherchait pour ses missions deconfiance des individus qui avaient de la chance !

Nous avons là une illustration du principed'économie des moyens au niveau tactique. Lacapacité créative à imaginer des solutions dansl’instant est d’autant plus essentielle que l’on setrouve dans une situation difficile ou périlleuse.Toute fissure dans un dispositif peut être mise à

1. Cette orientation stratagémique se retrouve dans le jeitinhobrasileiro, voir « Fluidité et génie tactique au pays de la terreet du vent. Approche de la culture stratégique brésilienne »(par Pierre Fayard), in Les Chemins de la puissance.

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profit. Même au sein de la plus grande offensive(yang) il se manifeste quelques vides (yin), qui,faisant l'objet d'un contre (yang) rapide, contri-buent à renverser une situation en prenant audépourvu et en déséquilibrant le centre de gravitéd’une force ou d’un immobilisme. Le yin, vide etfaiblesse relative, attire le yang de l'initiativeimpromptue ! Pour ce faire, il convient de colleravec délicatesse à l'autre et ne rien laisser passercomme « petit avantage » du fait de ses négligenceset des grains de sables dans sa mécanique. Celasuppose de disposer d’une capacité d'accélération àla fois flexible et déterminée.

Il ne s'agit donc pas d'un mode d'action directe,mais en fonction de ce qui se présente. Si le stratègene profite pas aujourd'hui d'une faiblesse, celle-cipeut se retourner contre lui lorsqu’elle deviendraune force. L’histoire traditionnelle illustrant ce stra-tagème en Chine parle de chèvre ou de mouton.Faute de s’en emparer aujourd’hui est-il dit, cetanimal est susceptible de se transformer en loupdangereux dans d'autres circonstances. Fauted'avoir agi à propos, on se retrouve dans une situa-tion périlleuse alors qu'auparavant les circonstancesrendaient l'action aisée.

La grande force est le début de la faiblesse et lafaiblesse engendre la force. Le détail donne naissanceà une lame de fond comme le battement d’une ailede papillon à Pékin peut se transformer en ouragandans les Caraïbes à l’issue d’un long cheminement.

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La représentation symbolique du yin et du yang faitfigurer le shaoyang (petit cercle blanc) dans le grandyin (zone noire). De ce point de lumière surgira lecontraire du grand yin. Dans l’expansion du yingerme le yang, celui qui l’identifie à temps en tireavantage et s’associe au travail de la nature. La stra-tégie enseigne la sagesse. Raisonner stratégique nesignifie pas tout prévoir et n’entendre les relationsqu’en termes de rapports de forces. La créativité, lasensibilité et la liberté lui sont essentielles et c’est cequ’enseigne ce douzième stratagème. La chance seconstruit et le flair y participe.

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PARTIE III

STRATAGÈMES D’ATTAQUE

13 La pince des louanges14 Le pouvoir du passé15 La victoire par la situation16 Lâcher pour saisir17 Du plomb pour de l’or18 Le poisson pourrit par la tête

vec cette troisième famille, nous entronsdans l'usage de stratagèmes au service de

projets nettement offensifs et plutôt directs mêmesi leur réalisation passe par des phases qui consis-tent, comme d'ordinaire, à repérer préalablementforces et faiblesses. Attaque signifie danger car lesdispositions et les menées offensives sont explicites,c'est pourquoi les temps propres à l'action sontréduits au minimum pour se concentrer sur les

Stratagèmes de situations de bataille, offensifs ouen position d’assaut – Stratagems for attack –Offensive strategies – Estrategias de ataque

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118 STRATAGÈMES D’ATTAQUE

moments et les lieux les plus rentables et favora-bles. L'intention est de réduire, détruire ou acqué-rir dans un mouvement positif moyennantl’application du principe de l’économie desmoyens. Obtenir beaucoup en investissant peudemeure la règle !

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LA PINCE DES LOUANGES

Une armée sans espions est comme un corpssans yeux et sans oreilles.

Sun TzuFaire s’envoler avec des louages,

puis saisir par des pinces.Proverbe chinois

Débusquer les intentions cachées avant

d’agir – L’action hivernale – Stratagème de la

floraison hâtive – Révéler

Sonder les intentions dans l’environnement / Bat-tre l'herbe pour réveiller le serpent / Frapperl'herbe pour débusquer le serpent / Frapper lesherbes pour lancer des avertissements auxserpents / Beat the grass to startle the snake / Beatthe grass to frighten the snake / Golpear la hierbapara asustar al serpiente

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Un Premier ministre ambitieux réussit à mettre surla touche un vieux monarque au profit d’un princehéritier timoré et sans expérience. À l’issue dequelques années, le goût du pouvoir le grise et ildécide de déposer à son tour le fils pour prendresa place et fonder une nouvelle dynastie. Avant demettre en œuvre une stratégie qui lui permette deréaliser ses fins, il éprouve le besoin de sonder lesintentions et les dispositions des membresinfluents de la cour. À cette fin, il offre un cerf aujeune roi en déclarant que ce cheval est unhommage et un gage de sa fidélité. Le roi éclatede rire en lui répondant qu’il n’a jamais encore vude cheval à cornes et que la langue de son minis-tre favori a dû fourcher. Que nenni, répond-il, cecheval est l’un des plus nobles qui soit, je l’ai faitacheter dans une province lointaine réputée pourla qualité de ses étalons…

Le jeune roi ouvre alors de grands yeux et regardeson Premier ministre afin de comprendre jusqu’àquel point il plaisante. Le malentendu jette la cons-ternation parmi les membres de la cour au pointque le ministre demande à chacun de se pronon-cer sur la nature de l’animal. Pris au dépourvu,chacun est contraint de prendre position, caraucune échappatoire n’est permise. Les unsraillent et se rangent du côté du monarque car detoute évidence il s’agit d’un cerf. D’autres setaisent prudemment en évoquant des caractéristi-ques communes au cerf et au cheval sansmentionner ni les bois ni l’allure. D’autres encoreprennent fait et cause pour le ministre.

Maintenant que les membres de la cour ont révéléleurs positions respectives, le ministre ambitieux

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est à même de concevoir ses plans avec intelli-gence et en tenant compte des qualités et posi-tions respectives de chacun. Le présent en formede cerf lui a permis de battre l’herbe pour débus-quer les intentions de chacun.

L'hiver est la saison du repos et de la gestation.Enfouies dans la protection de la terre, les grainespréparent leur germination. Lorsque les circonstan-ces seront propices elles révéleront leur potentielsous l’effet conjugué de la chaleur et de la lumière.Ainsi en va-t-il aussi des actions humaines, qui,d’une intention initiale, se traduisent ensuite endispositions préalables avant de s’actualiser dansdes faits. Ces trois phases peuvent être associées àl'hiver (conception), au printemps (éclosion) puis àl'été (récolte).

Dans la nature, des arbres fruitiers réveillés hâtive-ment par des journées chaudes et ensoleillées voientleurs récoltes compromises par un retour d'hiverbrutal. Toute manifestation prématurée de propos oude dispositifs non seulement les rend vulnérables,mais compromet gravement leurs fruits voire leurréalisation. Les germes développés alors que lesconditions favorables de l'environnement ne sont pasencore rassemblées, sont irrémédiablement condam-nés. L'intelligence de l'environnement est essentiellepour s’assurer le concours des circonstances.

Le stratagème numéro treize, premier des six dela famille des stratagèmes d'attaque, recommande

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d'agir de manière limitée, mais néanmoins brusqueet déterminée, alors que le milieu concerné parl’action future est encore en sommeil. Le caractèreyang d’une telle initiative entre alors en résonanceavec des intentions en gestation et les révèle alorsque la situation n’est pas mûre. Cette ruse repro-duit le mécanisme de floraison hâtive alors que lescirconstances ne lui assurent pas la sécurité de ladurée. Il en résulte une manifestation avant termed'intentions et de dispositions non-matures et dece fait vulnérables. Le stratège se procure l’avantagedu fait d’une avance temporelle qui permet deréduire des intentions non encore traduites et assu-rées dans les faits. Cette action hivernale repose surle contraste entre le rythme lent de la germinationdans le sein protecteur de la terre (yin) et uneaction volontaire manifestée en plein jour (yang).Le serpent endormi et en sécurité dans l’herbesèche est soudain réveillé pour faire face à descirconstances qu’il ignore et ne maîtrise pas.

Les applications de ce stratagème sont multiples.Sur le terrain politique, un décideur organise desfuites en forme de ballon d'essai afin que se révè-lent sous la pression les positions d'une oppositionet de l'opinion concernant un projet de réforme.Une fois « le serpent débusqué », il déclare que cesfuites lui sont étrangères et il adapte son projet etson argumentation avec le bénéfice de l'informa-tion récoltée. Dans le domaine économique, un effetd'annonce oblige des concurrents à révéler leurs

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dispositions et à détailler leurs plans plus tôt queprévu et dans l'impréparation. Non seulement ils sedécouvrent en situation de vulnérabilité, mais ensus le stratège est à même d’agir en connaissance decause. Faire s'envoler avec des louanges, puis saisiravec des pinces 1, ce proverbe chinois décrit un usagede la parole, non pas tant pour dire quelque chose,mais plutôt pour inciter l'autre à le faire.

La reconnaissance est un facteur premier del'intelligence, à la suite de quoi plus le milieu esthostile plus le coup doit être bref, mais la retraitetoujours à portée de main. L'inquiétude face à desvelléités agressives potentielles, ou du souci demaintenir la sécurité d’une situation, peut êtrelevée du fait de l’envoi d’une sonde qui révèle augrand jour les pensées et les intentions malveillan-tes. S’il n’est pas aisé de contrer des desseins non-révélés, il est en revanche possible de les réduireune fois qu’ils se sont manifestés sous la contrainte.En battant l'herbe pour débusquer le serpent, lavibration induite dans le milieu entre en résonanceavec le serpent (l'intention) où il se trouve et le faitréagir ou fuir.

Harro von Senger2 relate l'histoire d’unconseiller qui provoque la décision d'un prince quitemporisait à demander en mariage sa concubine

1. Voir Traité de l’efficacité de François Jullien.2. Voir ses Stratagèmes : trois millénaires de ruses pour vivre

et survivre.

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favorite. Le conseiller prétend qu’un puissantmonarque va faire connaître son désir de mariageavec elle et cela entraîne la demande immédiate duprince qui crée ainsi une union irréversible. Lemonarque étranger joue le rôle de l'herbe ou dumilieu qui pousse à la révélation les intentions(serpent) du prince qui tergiversait.

Une variante de ce stratagème recommande depunir très lourdement une entorse mineure à unrèglement, car cela dissuade de commettre desfautes autrement importantes. On agit avec écono-mie en un temps où la répression est aisée pour nepas risquer l’échec au moment où des enjeux élevésseraient plus difficiles à négocier. En tuant unepoule pour effrayer le singe1, on réalise ses fins àmoindre coût et indirectement. L’étalage d'unedétermination, voire d'une cruauté farouche, àl'égard d'un acteur non-dangereux (poule),dissuade celui (singe) qu’il serait plus osé et hasar-deux d’affronter en direct.

Un tel stratagème correspond aussi à pousser à lafaute par des louanges qui mettent en confiance etincitent à livrer le fond de sa pensée. Cette ruseconduit à la révélation d’intentions secrètes ou engestation mais dont la mise en lumière comprometle projet. En heurtant le rythme tranquille de lamaturation lente, un coup brusque et imprévuperturbe au point de casser un élan. Le dessein est

1. Proverbe chinois.

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désamorcé à la suite de cette opération de dévoile-ment.

En sondant préalablement le terrain en période« hivernale », on sait où l’on s’engage. Le premiermouvement du stratège n'est pas animé par lavolonté d'aboutir dans l’immédiat, mais de faire serévéler la carte des circonstances et des intentionsavant d’agir en fonction de l'information rassem-blée. Cette ruse, qui pousse celui qui temporisait àl’action en catastrophe, s’inscrit dans un schématriangulaire qui implique le stratège, les intentionsde l’autre et son milieu.

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LE POTENTIEL DU PASSÉ

Celui qui peut encore agir pour son propre compte ne selaisse pas utiliser. Celui qui ne peut plus rien faire

supplie qu’on l’utilise.François Kircher 1

Ce qui ne sert plus implore qu’on l’utilise –

Rhabiller Jérusalem - Redonner vie à ce qui

a vécu pour le faire servir à nos fins –

Réincarner

1. in Les Trente-Six Stratagèmes : traité secret de stratégie chinoise.

Redonner vie à un cadavre / Emprunter un cada-vre pour le retour de l'âme / Reprendre vie sousune autre forme / Raise a corpse from the dead /Reincarnation / Find reincarnation in another'scorpse / Levantar un cadaver de entre los muertos /Servirse temporalmente de un cadaver para revivirun espíritu

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Une nouvelle religion apparaît. Celles qui luipréexistent s’efforcent de la marginaliser ens’appuyant sur des traditions enracinées, desrituels, des pèlerinages, des hiérarchies, descommunautés organisées, des édifices embléma-tiques symboliques et puissants. La nouvelle reli-gion affiche une vocation universelle. Elle seretrouve objectivement dans une relation de jeu àsomme nulle1 avec celles qui lui sont antérieures.Pour s’imposer, elle doit les exclure ou les intégreren se posant comme une synthèse supérieure.

Le prophète de cette confession monothéiste estvisité en songe par un ange qui le conduit nuitam-ment dans la cité sainte des religions préexistan-tes. Dès lors, cette ville devient l’une des citéssaintes de la nouvelle foi. Par un procédé simi-laire, la pierre noire de la Qaaba à La Mecque estdésignée comme une étape d’un pèlerinage quetout croyant doit s’efforcer de réaliser durant sa vieterrestre. La nouvelle religion paie ainsi tribu à unecoutume antérieure à laquelle les clans deLa Mecque tenaient…

Cette même logique opère la transformation deRome, capitale politique, économique et militaired’un empire, en Ville éternelle de la Chrétienté.Toujours dans le même esprit, ce n’est qu’en 354,soit près de quatre siècles après Jésus-Christ, que

1. Un jeu, ou une relation, est dit à somme nulle à partir dumoment où le gain de l’un des protagonistes se traduitmathématiquement par une perte correspondante chezl’autre.

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Le potentiel du passé 129©

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l’Église dite alors apostolique et romaine fixe lejour anniversaire de la naissance du Christ enreprenant la date d’une fête païenne correspondantau culte du dieu Mithra. Que de lieux sacrés etautres cathédrales ne s’élèvent en lieu et place detemples romains ayant eux-mêmes succédé à desespaces sacrés celtes ou gaulois ! Ce qui s'est mani-festé un jour dans une forme est le produit d'unmoment dans un cycle, ce qui a disparu renaîtra, cequi a décliné connaîtra un renouveau.

Le sage-stratège observe et accompagne les cyclesde la nature qu’il accélère lorsque son art et lescirconstances le lui permettent. Ce que tout lemonde recherche est coûteux, il fait objet decompétition et le ticket d'entrée est élevé. Àl’inverse, ce qui est faible ou qui a cessé d'exister serévèle disponible et au besoin implore qu'on luidonne une nouvelle existence. Fondé sur la convic-tion que la vie n'est qu'un éternel recommence-ment, ce stratagème recommande d’user de lacharge émotionnelle de ce qui a fonctionné par lepassé. Œdipe devient le nom d’un complexe,Thalès celui d’une multinationale, Schopenhauercelui d’un logiciel… En situation difficile aprèsl’invasion allemande, Staline réhabilite la SainteMère Russie et capitalise sur lui l’énergie del’histoire russe en devenant le Petit Père desPeuples !

Un acteur aux abois est une proie facile pourqui veut l’aider. Bon Samaritain, un grand frère

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magnanime prend possession des biens de sonprotégé, puis gère son potentiel. Même si celui-cin’est pas considérable, le coût de l’acquisition estdérisoire ! Sur le terrain économique, lorsqu’unchevalier blanc vient à la rescousse d’une entreprisesubissant une OPA hostile, il n’est pas rare qu’il endevienne le maître. Dans cette opération, le nouvelacquéreur bénéficie des énergies et des ressourcesde l'entreprise victime et de sa détermination à nepas tomber dans les griffes du groupe responsablede l’OPA. Le chevalier blanc se trouve porté par unmouvement qui a bien plus de poids que s’il avait agiseul en ne comptant qu’avec ses propres forces. À lalimite, provoquer préalablement une OPA est àmême de favoriser le terrain pour une contre-OPA.

C'est dans les vieux pots que l'on fait lameilleure soupe. Le designer Philippe Starck s’estaussi rendu célèbre en relookant systématiquementdes formes et des objets basiques qui avaient faitleurs preuves dans le passé. À coups de choix dematériaux et d’un design situé entre la reproductionfidèle et des concessions limitées au modernisme, illeur confère une nouvelle existence sans prendre lerisque d’une invention radicale plus difficile àpropager. À quand les charentaises en plastiqueaprès les couteaux Laguiole ? Ces formes consacréesretrouvent une fonctionnalité adaptée aux goûts dujour et du marché.

Nul brevet ne protège un passé révolu qui renaîtde ses cendres sans pouvoir se révolter ! En Chine,

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Le potentiel du passé 131

il est dit que les faibles ont besoin d’aide et, qu’à cetitre, ils se prêtent aisément, voire par nécessité, auxprojets qui leur donnent des perspectives. L’alliancedes faibles est moins coûteuse et surtout moinsrisquée que celle des puissants.

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LA VICTOIRE PAR LA SITUATION

Le général ne demande pas la victoire à ses soldatsmais à la situation.

Sun Tzu

Sur le sable de la grève,le dragon est dévoré par les crevettes.

Proverbe chinois

Les circonstances font le succès ou l’échec –

Retourner la force en faiblesse – L’arroseur

arrosé – Disjoindre

Dans l’Antiquité, le Grec Xénophon relate commenten choisissant la topologie du terrain de confronta-tion avec une armée très supérieure, il dissuade

Amener le tigre à quitter sa montagne / Attirer letigre de la montagne vers la plaine / Faire quitter àl’ennemi sa position forte pour le maîtriser / Lurethe tiger of the mountain / Lure the tiger out ofthe mountain / Atraer el tigre fuera de las monta-ñas

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celle-ci de s’engager contre lui. Pour ce faire, ildispose ses maigres troupes le dos à une falaise enprenant soin qu’un vaste espace de retraite soitpleinement accessible pour ses adversaires.Alors que les seules alternatives pour ses soldatsse résument à survivre grâce à la victoire oumourir jusqu’au dernier à moins d’être réduits enesclavage, celles de leurs adversaires sont decombattre une troupe d’enragés coupés de leursbases et n’ayant plus rien à perdre ou bien debattre facilement en retraite et attendre éventuelle-ment une occasion plus favorable. L’Anabase1

raconte que l’engagement fut différé et que lesGrecs furent sauvés.

Au Moyen-Âge pendant la bataille d’Hastings surla côte sud de l’Angleterre, les offensives succes-sives du normand Guillaume se brisent sur lesdéfenses saxonnes. Il simule alors une retraite endésordre qui laisse le champ libre aux troupesennemies.Pensant tenir enfin la victoire, les défenseurs quit-tent leurs retranchements et s’engagent à décou-vert sur un terrain sans protection. Ils sont battuspar le détail, l’Angleterre devient normande etGuillaume devient le Conquérant !

Pour espérer venir à bout d’un ennemi puissant, ilconvient tout d’abord de le déconcerter, de l’isolerpuis de le conduire sur un terrain favorable, recom-

1. L’Anabase relate l’expédition du jeune Cyrus et la retraite desGrecs qui formaient une partie de son armée.

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mande un proverbe chinois. Dans la culture stratégi-que de la Chine ancienne, on considère que force etfaiblesse ne dépendent pas de la nature des combat-tants, mais de la situation dans laquelle ils se trou-vent. On n’est pas lâche ou courageux en soi, maisparce que les circonstances dans lesquelles on se situerendent comme tel. En d'autres termes, les qualitésne sont pas intrinsèquement liées aux acteurs, ellessont produites par l'effet des situations sur eux.

Contre un ennemi supérieur et en relationharmonieuse avec son environnement, l'attaquefrontale est suicidaire ! La force redoutée du tigredes montagnes ne résulte pas seulement de sonénergie, de ses griffes et de sa souplesse, mais del'adéquation de ses atouts avec un contexte fait decreux, de bosses et de défilés qui magnifient sacapacité de surprise et l’exercice de sa puissance. Àl’inverse, ce relief rend vulnérable l’étranger qui s’yaventure. L’absence de maîtrise du terrain signifieaussi celle de l’interaction.

Dans la montagne, le tigre dispose d’un plus deliberté d’action, il peut choisir le rythme et décider durepos ou de l’attaque à sa guise. La sécurité est dansson camp. À l’inverse, les chasseurs sont dans l’attenteanxieuse de son initiative. À la manière des puissancesnavales qui dominent l'espace de la communicationmaritime, le tigre peut prendre de la guerre1 à loisir

1. Voir Principe de stratégie maritime de Julian Corbett. Compren-dre ici que le tigre a le loisir de décider ou non de l’attaque.

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sans se laisser imposer ni le lieu ni le moment.Contre un tel opposant, avancer signifie augmenterle péril. Plus l’espace de l’interaction physique seréduit, plus l'avantage grandit pour l’autre ets'amenuise pour le même. Sur les reliefs accidentésles options sont multiples pour le fauve, ses ryth-mes courts le favorisent. Localement, le tigredomine dans ce milieu, et c’est pourquoi il estpréférable de raisonner stratégiquement en vued’aménager d’autres formes de relations entre letigre et le terrain sur lequel on le rencontre. Dans laplaine indifférenciée, le rapport s’inverse et de chas-seur le fauve devient la proie. L’homme peut letraquer, le fatiguer, le harceler et le cerner sans quele tigre ne bénéficie du couvert et de la complexitéde la montagne.

Dans le jeu de go, une collection de pierres n'estpas forte en soi mais du fait des relations qui les lientet articulent entre elles. Pour affaiblir le tigre préala-blement à la traque, il faut affecter en priorité ce qui lerend fort et l’attirer sur un terrain qui développe savulnérabilité. À l'instar du tigre, un acteur hégémoni-que oublie souvent que sa puissance dépend surtoutde son adéquation à la particularité d’un contexte. Ildevient vite aveugle en pensant être fort en lui-même,comme par nature ! En jouant sur cette illusion, unappât habilement disposé l’incitera à s’aventurer sanscrainte hors de la base qui fonde sa suprématie. Sonsentiment de puissance est le meilleur des pointsd'appui pour le conduire à sa perte.

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En déplaçant le lieu et le moment de l'interac-tion, la relation qui fait la force n’opère plus.Temporiser, choisir le terrain de rencontre, ou sonordre du jour, est stratégique. Les experts dans l'artde la négociation savent d’expérience que lesdernières minutes sont souvent décisives aumoment où les interlocuteurs, fatigués et désireuxd'en finir, sont prêts à d’ultimes concessions. Lamise en œuvre de ce stratagème suppose aussi lapossibilité de se mettre à couvert et de différerl'interaction tant qu’elle n’est pas favorable.

Contre un adversaire concentré, il faut le disper-ser en l’attirant sur un terrain qui dilue sa force1.Le poisson qui convoite l’appât est déjà pris dit leproverbe. Ce stratagème est utilisé par les Chinoislors de négociations avec des étrangers coupés deleur pays, de leur culture, de ce qui leur est familier,us et coutumes… En faisant miroiter la perspectived’une fin des tractations, ils arrachent d’ultimesavantages avant de changer l’équipe des négociateurs !Ces derniers, en reprenant le dossier intègrent cesconcessions comme un acquis et engagent denouvelles discussions…

Ce stratagème insiste sur l'idée de manœuvre etde fluidité. L’eau fuit les hauteurs, évite les reliefs etremplit les creux et le terrain est source d’effet2.

1. Voir le descriptif des neuf terrains dans L’Art de la guerre deSun Tzu.

2. Voir Traité de l’efficacité de François Jullien.

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Avant toute interaction, il est essentiel de manœu-vrer préalablement pour la situer sur un espacefavorable de rencontre. Une astuce rhétorique, uneprovocation (appât), fait sortir l'autre de sa réserveen jouant sur sa présomption de force. Une telleruse est courante dans l’histoire militaire.

Les Mongols, suivis en cela par les Turcs, enusaient lorsqu’une victoire rapide s’avérait hors deportée. Devant des Chrétiens trop puissants et soli-dement organisés, leur retraite apparente grisait leursadversaires qui estimaient la décision atteinte : « on agagné ! » Progressivement, leur bel ordonnancementse délitait et inversait la balance des forces en faveurdes Mongols qui cueillaient des troupes débandées.À Austerlitz, Napoléon abandonna la dispositionfavorable du plateau de Pratzen aux Austro-russes.Le leurre d'une apparence de retraite créa un videhappant les troupes russes vers le sud ce qui désorga-nisa le centre de gravité des coalisés que les Françaisdéséquilibrèrent en y pénétrant. La retraite crée leyin propice à la désorganisation et le yang du mêmese procure la victoire en s’insérant dans ce vide. Lorsd'une négociation, on appelle aussi cela : sortir uninterlocuteur de sa réserve en le mettant en situationde confiance.

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LÂCHER POUR SAISIR

Avant de détruire, il faut construire ; avant d’affaiblir,il faut consolider ; avant d’abolir, il faut encourager ;

avant de prendre, il faut donner ; avant d’attaquer,il faut laisser partir.

Lao Tseu

Duper en se servant du propre mode de penser del’adversaire, il devient l’otage de sa propre illusion.

Proverbe chinois

Consolider pour affaiblir –

La volonté ennemie comme alliée –

L’action paradoxale – Retourner

Laisser courir pour mieux saisir / Pour saisir quel-que chose, commencer par lâcher / Laisser partirquelqu’un à dessein pour mieux le rattraper / Letthe adversary off in order to snare him / Allow theenemy some latitude so you can finish him offlater / Leave at large, the better to capture / Desha-cerse del enemigo permitiendo escapar

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Alexandre le Grand assiège une cité depuis delongues semaines. Les défenseurs, n’ayantd'autres issues que la mort, l’esclavage ou lavictoire font preuve d'un courage et d’une détermi-nation exemplaires. L'encerclement est herméti-que mais la situation est bloquée malgrél’épuisement des ressources de la cité. La forceassiégeante dispose de deux alternatives : lavictoire ou la honte d’une retraite avec la perte dubénéfice de la campagne. Le recours au strata-gème s’impose.Feignant la lassitude, mais tout en maintenant sapression sous les remparts, Alexandre allègeprogressivement le contrôle de la voie sud d’accèsà la cité. Un maigre ravitaillement parvient auxassiégés, mais sans inverser pour autant latendance vers la famine. Peu à peu, ces derniersen arrivent à considérer la possibilité d’unenouvelle alternative : la fuite !La situation intérieure empirant, les assiégés sedécident à s’évader nuitamment en emportant unéquipement léger nécessaire à leur défense. Lavoie se révèle sûre et ils ne sont pas arrêtés auxabords immédiats de la ville. Une fois en dehorsde la cité, et pour aller plus vite, ils se défont desarmes qui les ralentissent.Progressivement, ils n’ont plus qu’une idée entête : mettre la plus grande distance entre eux etle champ de bataille. La volonté d’en découdre etde défendre chèrement leur vie n’est plus de mise.Ils tombent alors dans une embuscade mortelle aumoment de leur plus grande vulnérabilité ! La villeest conquise et les fuyards capturés.

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Tout conflit est une affaire coûteuse et le vain-queur perd parfois plus de plumes que le vaincu.La pression frontale et directe constitue souvent lemeilleur des points d'appui à une résistance farou-che. Qui se voit acculé, jette toutes ses forces dansla balance en un sursaut ultime, ne serait-ce quepour l’honneur ! S'il existe une issue, l’envisagercomme possibilité entame déjà sa détermination àen découdre.

La culture du stratagème porte au plus hautl'économie des procédés et évite les destructionsautant que faire se peut. Pour Sun Tzu, les armesdemeurent des instruments de mauvais auguredont l’usage ne doit être fait qu’en ultimeextrémité ! Venir à bout d’un adversaire opiniâtrerequiert des efforts considérables là où un manage-ment subtil de la situation permet d'emporter ladécision de manière moins dispendieuse.

Comme il a été souligné précédemment, leniveau de la détermination dépend pour beaucoupde la nature des circonstances. Plutôt que d’acculerune proie dangereuse et de la contraindre ainsi à ungeste désespéré, il est plus astucieux de lui laisserune sortie par laquelle elle s’engouffre pensantsauver sa peau alors qu’un piège mortel l’yattend… juste un peu plus loin ! En aidant la proieà trouver une solution à première vue avantageuse,sa vigilance s’évanouit et elle met bientôt toute sonénergie à se sauver. En aménageant les conditionsde la réalisation de son vœu le plus cher (survivre),

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on s’en fait une alliée paradoxale dans la conduitede l’interaction. Son énergie concentrée (yang)change de polarité en se fixant sur la fuite et ladispersion. L’apparence d’une faiblesse dans ledispositif du chasseur est en fait une ruse redouta-ble.

La littérature chinoise relate l'histoire d'unsouverain pacifique aux prises avec un vassal arro-gant qui rêve d’indépendance. Tout en se préparantà un affrontement armé, ce dernier demande enmariage, et par provocation, l’une des favorites duroi. Contre toute attente, le monarque satisfait sarequête ce qui a pour effet de mettre en fureur sacour, son armée et son peuple. Puis le vassal exigel’abolition de droits de péages et le roi obtempère ànouveau. L’outrage est tel que l’on murmure que lesouverain, jadis respecté pour son courage et sonsens de la justice, est devenu timoré. Survient laréclamation par le vassal, d’une province limitro-phe à ses possessions. Il s’agit de là d’une attaquecontre l’unité et de la stabilité de l’État et le coupa-ble doit être châtié sans attendre, déclare le roi quia tôt fait de mobiliser l’ensemble de ses moyenscontre le perturbateur et d’en venir à bout.

L’arrogant s’est affaibli dans la croyance en lafaiblesse du souverain, qui, tout au contraire, créaitsouterrainement les circonstances qui allaienttendre la détermination de son peuple, de sonarmée et de sa cour. À la suite de quoi, une fois cesconditions favorables réunies, il ne restait plus qu’à

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attendre une opportunité pour lâcher le ressort decette volonté de réparation. Le souverain acomposé son jeu avec celui de son adversaire dansune interaction maîtrisée. Par son apparentefaiblesse, le souverain a accumulé comme dans unbarrage l’eau de la rage de son peuple, puis fort dece potentiel il a attendu le bon moment pour libé-rer ce flot indomptable.

Un peu de patience assure le succès, dit le Livre destransformations 1. Vouloir aboutir trop hâtivementôte le bénéfice de la collaboration d’autres énergies,voire de celles d’un adversaire lui-même ! Laperfection ne doit pas être recherchée trop tôt, soitlorsque les conditions ne sont pas remplies. Elle seconstruit progressivement. Il faut savoir donner dutemps au temps, dit-on en Occident. Dans unesituation d’enseignement, exposer d’emblée etmagistralement l’ensemble des questions et desréponses réduit l’espace et le temps d’une interac-tion permettant aux élèves d’intégrer les contenuset au professeur de les adapter en fonction de leursensibilité et de leurs réactions. De petits vides,quelques absences ou imprécisions donnent vie à larelation et à une dynamique complémentaireouverte.

Accepter en apparence de menus revers tacti-ques, laisser une marge de manœuvre et ne pas

1. Voir Yi Jing : le livre des changements par Cyrille Javary etPierre Faure.

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s’efforcer de tout définir, circonscrire et maîtriserest souvent l'assurance de l’emporter stratégique-ment dans un temps différé. Comme la stratégie(moyens) doit demeurer inféodée à la fin, il fautsavoir parfois perdre localement pour gagner globa-lement. Durant sa conquête du pouvoir, plutôt quede vouloir convaincre à tout prix ses prisonniersd’adhérer à sa cause, Mao Tse Toung recomman-dait de très bien les traiter puis de les relâcher.Ainsi, nombre d'entre eux se transformaient d’eux-mêmes en actifs propagandistes de la causecommuniste. Délaissant la volonté d'aboutir tacti-quement à court terme, le raisonnement stratégi-que génère plus d'efficacité.

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DU PLOMB POUR DE L’OR

Abandonner un avantage momentané pour assurer unevictoire durable ultérieure.

Proverbe chinois

Payer en banalités des idées brillantes –

Donner peu pour obtenir beaucoup –

L’or des poubelles – Investir

Un obscur mais ambitieux universitaire désirerencontrer le célèbre professeur Jean Nobel1,sommité de la vie académique. La tâche paraît à

Jeter une brique pour récolter du jade / Jeter unebrique pour gagner un morceau de jade / Lancerquelques banalités pour attirer des idées brillantes /Petits présents pour grande acquisition / Cast abrick to attract a jade / Throw out a brick to attracta jade / Fabricar un ladrillo para obtener un jade

1. Il s’agit là d’un personnage, bien entendu, tout à fait fictif !

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première vue hors d’atteinte. En effet, non seule-ment cette personnalité voyage en permanence àtravers le monde, mais l’accès à son agenda estjalousement gardé par une secrétaire acariâtre quidispose de toute sa confiance. La fonction princi-pale de ce Cerbère semble être d’éconduire lesinnombrables sollicitations que subit son patron.

Un jour, par hasard, alors que la porte du bureaude cette secrétaire est entrouverte, le prétendant àun rendez-vous y pénètre en prétextant chercherle secrétariat particulier de la présidence del’université. Vous faites erreur, lui dit la secrétaireen souriant qui lui précise qu’il se trouve dans leslocaux du professeur Nobel. L’universitaire seconfond en excuses. Puis, à la manière del’inspecteur Colombo : il a subitement un éclair degénie alors qu’il s’apprêtait à sortir.

Ah, mais oui, s’écrit-il soudain, je suis dans lelaboratoire du professeur Jean Nobel qui vient defaire une intervention remarquée à l’Unesco aprèsune mission de recherche dans plus de vingt paysen développement… Cette mission a été confiée àcet éminent scientifique, par ailleurs professeurvisitant à l’Université de Stanford à l’invitation de laNational Science Foundation nord-américaine etavec le soutien du Conseil de l’Europe et… Oh,mais je suis navré de vous importuner, vous êtesresponsable de son département n’est-ce pas ?

Flattée, la secrétaire du professeur Jean Nobel,considérée au moins comme son assistante,rassure l’universitaire et apprécie la connaissancedétaillée qu’il a des activités et de la réputation deson patron, dont l’aura académique déborde aussisur elle !

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En quoi puis-je vous être utile, demande-t-ellecontre toute attente alors que son interlocuteurpoursuit à haute voix : l’intervention du professeurfut brillante lors de la Conférence de Logrono…En général, on fait plus de cas du Sommet deBerlin, mais c’est bien à Logrono qu’il a jeté lesbases de propositions largement reprises… Etc’est vous qui assurez la coordination de sondépartement ! Ah, mais puisque je suis ici parmégarde, s’il arrivait que monsieur le Professeurpuisse m’accorder quelques minutes de sonprécieux temps…

Au retour de Jean Nobel, la secrétaire qui leconnaît bien, sait trouver elle-même les mots quivont persuader cette sommité d’accorder un entre-tien avec cet universitaire si brillant… elle s’enporte garante, elle la secrétaire du grandprofesseur !

Ce récit prend le contre-pied de l’adage selonlequel il vaut mieux s’adresser au bon dieu qu’à sessaints. Lorsque le bon dieu est inaccessible, l’inter-médiation des saints est fort utile ! Pour acquérir, ilfaut investir, alors comment investir le minimumtout en gagnant le maximum ? Ce dix-septièmestratagème fonctionne selon une logique indirecteassez similaire aux précédents de cette troisièmefamille. Dans le premier d'entre eux, on agit parl'environnement (13e), dans le second, on mobiliseun souvenir ou une réputation (14e), dans le troi-sième, on déplace le terrain de l'interaction aumoyen d'un appât (15e), dans le quatrième, on

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donne du lest afin d'inverser la polarisation del'énergie adverse (16e).

Ici, pour acquérir quelque chose de valeur, onoffre préalablement des présents qui ne coûtentrien. Dans chacun de ces stratagèmes, la décisionn'est pas visée directement, elle passe par un biaisqui rend la situation favorable et concrétise la déci-sion de façon plus aisée et plus économique. Obte-nir des gains importants requiert beaucoupd'énergie, et cela d'autant plus que le succès relèvedu bon vouloir d’un personnage difficilementaccessible. Le convaincre d'accorder un privilège,un prêt ou un don n'est pas une mince affaire quise joue sur un coup. Étant donnée cette difficulté,ce stratagème recommande d’investir patience etlongueur de temps.

Par définition, celui qui possède se méfie de ceuxqui sont en mesure de convoiter ce qui lui estpropre. Il se garde et se préserve dans une attitudeméfiante, défensive, voire parfois carrément offen-sive. Ce comportement représente un rempart(yang) a priori infranchissable qu'il convient derendre mou, tendre et poreux par un travaild’approche non identifiable comme tel. Le moyenconsiste à mettre l’autre dans des dispositions tellesque sa résistance diminue et que l'on puisse leprendre par surprise, sans qu'il soit en mesure des'opposer à une demande, voire qu’il la conduiselui-même !

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Convertir ce qui est disponible, aisé et d’un coûtdérisoire en un investissement en vue d'en tirerprofit fonde ce stratagème où ce qui a peu de prix setransforme à terme en valeur. Les briques produisentdu jade en liant et en obligeant des intermédiairesde sorte que leur esprit de garde s’atténue et qu’ilsentrent dans la chaleur ouatée d’un tempo paisibleet confiant. C’est alors qu'une cadence accélérée,brusque en réalité mais sous des dehors doux, lesprend à défaut sans que rien n’y paraisse. Pourquoien revenir à la rigidité et la défiance alors que l’onpartage une si enivrante atmosphère de bonheurcomplice et de reconnaissance !

Ce stratège paie dans le court terme sans souciapparent de retour, puis il encaisse sur le longterme. Tout flatteur vit aux dépens de celui quil'écoute, déclare le renard en s’emparant du fromageque le corbeau tenait en son bec. Le corbeau, quis’est cru beau, a lâché la proie pour l’ombre. Unmouvement du même provoque un changementchez l'autre et dans le réglage opportun de cettedialectique, l’objectif est atteint. Pour manœuvrerl’ennemi, commencez par vous manœuvrer vous-même, dit un proverbe chinois. L'important est demaîtriser le cours des événements à la manièred’une cuisson progressive faite d’étapes qualitativessuccessives.

Dans la culture stratégique de la Chineancienne, cette pratique se nomme : modelerl'esprit de l'autre par la création d'une situation de

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connivence où l'on donne le ton par des dons. Parexemple, lors d'un voyage sur la Singapore Airlines,les passagers au départ de Paris se voient offrir unmagnifique stylo… par pure courtoisie ! Or cetteligne fait l’objet d’une très forte concurrence entreles compagnies aériennes. Qu'est-ce que le prixd'un stylo (brique) par rapport à l'enjeu de la préfé-rence pour un futur billet d'avion (jade) ? Qui veuttout n'obtient rien et tout lui coûte. Un faibleinvestissement tactique immédiat savammentcalculé peut assurer un avantage stratégiqueprochain.

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LE POISSON POURRIT PAR LA TÊTE1

Savoir modeler l’esprit du général adverse.Sun Tzu

Le sage montre la lune, le fou regarde le doigt.Proverbe arabe

Dégager l’essentiel – Frapper à la tête –

La clef de voûte – Le talon d’Achille –

Viser

1. Proverbe chinois.

Pour prendre les bandits, il faut prendre leur roi /Pour neutraliser une bande de brigands, capturerd'abord leurs chefs / Viser l’ennemi principal / Tocatch rebels, nab their leader first / To catch ban-dits, rab their ringleader first / Capturar al cabe-cilla para prender a los bandidos

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152 STRATAGÈMES D’ATTAQUE

Le groupe pharmaceutique japonais Eisai1 s’inter-roge sur la meilleure façon d’améliorer ses perfor-mances sur le marché. Plusieurs scénarios seprésentent à lui : renforcer la recherche-dévelop-pement, nouer des alliances stratégiques, investirdes secteurs jusque-là non-prioritaires pour legroupe… L’éventail est vaste et relativement clas-sique mais Eisai préfère réfléchir à sa raison d’êtreen tant qu’entreprise pour dépasser la seuleconsidération de son point de vue particulier.Quelle est la raison majeure de son existence etde son activité ? Réponse : l’attention aux mala-des pour les soigner et leur faciliter la vie !

Dans cette optique, le développement de connais-sances nouvelles et opérationnelles est vital pourles patients, ceux qui gravitent dans leur environ-nement et a fortiori pour Eisai ! La productioncollaborative de connaissance au service del’ensemble de ces acteurs se traduit alors dans leprogramme mobilisateur Human Health Care(HHC) dont les valeurs servent de boussole quoti-dienne et stratégique à tous les échelons et pourtous les secteurs du groupe pharmaceutique.

Les occasions de rencontres avec les maladesdans leurs environnements respectifs sont multi-pliées. Ces implications, cette écoute participativeet attentive contribuent non seulement à l’amélio-ration de la compréhension mutuelle, mais aussi àproduire les connaissances nécessaires dans unprojet collaboratif d’ensemble. Tout le monde estgagnant et les produits suivent ! Dans ce redé-ploiement, la philosophie HHC devient la clef de

1. Référence authentique.

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voûte d’une coopération qui dépasse les stricteslimites de l’entreprise et de ses compétences1.

Dans toute question stratégique, il existe uncentre de gravité, une clef de voûte en l'absence delaquelle l'ensemble des dispositions et des résistan-ces adverses s'effondrent. Identifier et affecterspécifiquement cette clef, l'empêcher de fonction-ner permet de démultiplier l'action du stratège. Lepoisson pourrit par la tête, dit-on en Chine, mieuxvaut s'adresser au bon dieu qu'à ses saints, réplique-t-on en Occident.

Mao Tse Toung, incitait en priorité à résoudre lacontradiction principale d'un problème pour ensuites’attaquer aux secondaires. La meilleure approchestratégique consiste à viser l'esprit de son adversaireou de la personne sur laquelle on se propose d'agir.Sun Tzu recommande de privilégier dans l’ordre :l’esprit du général adverse, ensuite sa stratégie, sesplans, ses alliances, ses dispositions et seulement endernier recours ses troupes et ses places fortes. Surun registre dissuasif, en parvenant à convaincre unacteur de l'impossibilité de réaliser son intentionou son projet, on évite de se confronter à sesmoyens et à ses dispositions offensives. Mais pour

1. Ce cas, qui relève d’une méthode originale de gestion dusavoir (knowledge management), sera présenté plus en détaildans un prochain livre centré sur la création collaborativedes connaissances au Japon.

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154 STRATAGÈMES D’ATTAQUE

autant qu’il s’agisse là du chemin le plus court, cen’est pas pour autant le plus visible.

Ce stratagème préconise d'agir avec économie etde manière décisive pour que le problème rencon-tré disparaisse avant même qu’il ne se traduise dansles faits. Depuis la Révolution dans les AffairesMilitaires 1 de la fin du XXe siècle, on considère quela clef de voûte de la puissance et de la capacitéeffective réside dans les systèmes d'information etde communication2. Leur destruction entraînel’impossibilité de mise en œuvre des moyens physi-ques. Ainsi, les systèmes d’information et decommunication, véritables systèmes nerveux desforces, sont visés préalablement aux armementseux-mêmes. Les premiers temps des guerres duGolfe, du Kosovo, d’Irak ou d’Afghanistan ont étéconduits selon ce principe.

Pour Sun Tzu en un autre temps, une armée sansespions est comme un corps sans yeux et sans oreilles.C’est pourquoi supprimer ou manipuler les espionsennemis est d’une suprême efficacité. Dans sonroman Le Montage, Vladimir Volkoff montre

1. Ce mouvement est né dans l’ex-URSS à partir du constatque le développement technologique, en particulier dansl’information et la communication, allait bouleverserprofondément les affaires militaires. Repris aux États-Unis, ilinspire aujourd’hui autant les programmes que les opéra-tions.

2. On les nomme aussi C4I pour : Command, Control, Compu-ter, Communication & Information.

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comment les opérations d'influence soviétiques dela Guerre Froide se focalisaient sur les élites euro-péennes en raison de leur effet démultiplicateur surles opinions publiques et sur la stabilité du fonc-tionnement des États et de leurs institutions. Dusuccès de cette concentration des efforts dépendaitcelui de l'accomplissement d'un dessein beaucoupplus vaste : l'extension de la zone d'influence sovié-tique.

Ce stratagème dix-huit recommande de voirderrière les formes ce qui en fait la puissance etéventuellement le danger. S'attaquer aux inten-tions, au cœur des projets, de préférence à leursdispositions matérielles se révèle d’autant pluséconomique que la situation dans son apparence etdans ses composantes est complexe. Agir sur lecentre de gravité1 plutôt que sur les muscles adver-ses. Il s'agit d'un principe de concentration desefforts sur le point clef d'une force et d'une organi-sation. Cela peut être aussi bien une élite intellec-tuelle, un corps administratif ou des relations deconfiance mutuelle au sein d'un organisme. À ladifférence des autres stratagèmes d'attaque, il s'agitici d'un modèle très direct dont l'applicationdépend, comme toujours, des circonstances. Saisirl'essence des fins qui se trouvent derrière une

1. C’est ce que Clausewitz appelait le point lourd, mais avec ladifférence de l’élégance dans le cas de la culture du strata-gème.

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156 STRATAGÈMES D’ATTAQUE

stratégie rend aussi possible la composition de cettestratégie, son orientation dans un cadre d'ensembledans lequel on va la faire travailler à ses desseins.

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PARTIE IV

STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

19 Travailler en montagne20 La confusion opportune21 (29) Enrôler la force adverse22 (30) Rendre l’inutile indispensable23 (31) La faveur fatale24 (32) La déception paradoxale

ette famille regroupe six stratagèmes corres-pondant à des situations chaotiques, d’impasse

ou désespérées. Celles-ci ont en commun le faitque le stratège dispose de moyens insuffisants, ouabsents, pour faire face au péril. Le chaos désignedes états de confusions, dangereux mais riches enpotentiel de bifurcation si l’on fait preuve de

Stratagèmes du chaos ou de la mêlée – En positiondéfensive – Des batailles presque perdues ou enposition d’échec – Stratagèmes de déplacement,d’union ou d’annexion – Des situations désespé-rées.

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158 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

réalisme. L’effacement, temporaire ou définitif,d’un ordre préexistant ouvre le champ à un imbro-glio relationnel instable où inspiration et savoir-faire immédiat sont des atouts indispensables.Dans les situations d’impasse, la seule logiquerationnelle et cohérente manifeste ses limites et ilconvient d’investir dans des procédés insolites,voire paradoxaux, pour transformer en leurcontraire des conditions initialement défavorables.Le recours à des déplacements et à des inversionsde qualités y est indispensable. Enfin, les situationsdésespérées donnent naissance à une inventivitéessentielle pour se sauver alors que tout indiqueque c’est la fin ! De manière générale, les ruses etdispositifs de cette quatrième partie mettent tousen œuvre des procédés Ji (extraordinaires) pourfaire mentir ce qui s’annonce comme inéluctable etirréversible. Cela constitue sans nul doute le necplus ultra de l’art « stratagémique ».

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19

TRAVAILLER EN MONTAGNE

La faiblesse l’emporte sur la forceYi King – Le livre des transformations

Le sage montre la lune, le fou regarde le doigtProverbe africain

Affecter la source qui fait la force – Tarir le

puits – Modifier les conditions initiales –

Aller au-delà des dispositions apparentes –

Déplacer le point d’appui – L’attaque

sur les arrières – Outre-passer

Retirer les bûches sous le chaudron – Retirer lesbûches de dessous la marmite – Pulling out thefirewood from beneath the cauldron – Take awaythe fire from under the cauldron – Robar la lenade debajo de la caldera – Tirar a lenha de debaixodo caldeirao.

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160 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

Au crépuscule d’une journée étouffante, le repor-ter Robert Arnaud, assis paisiblement aux côtésd’un vieux sage africain, contemple le soleil quidécline. À quelques centaines de mètres, unbaobab solitaire détache sa silhouette imposantedans le contre-jour d’un foisonnement de rougess’étirant dans un ciel où les bleus s’assombris-sent. En cet instant unique, suspendu entrelumière et obscurité, une tenace question s’agitedans l’esprit du reporter. Dis-moi vieux sage, celafait plus de dix ans que je parcours ce continent enévitant ses métropoles et je ne sais toujours pasdire ce qui fondamentalement distingue l’Afriquede l’Europe ?

Pas de réponse immédiate, puis, à l’issue d’unsilence, comme pour mieux savourer la demande,le vieux sage réplique doucement en désignant lepaysage d’un geste ample. Que vois-tu là devant ?Ce que je vois, reprend Robert Arnaud ? Eh bien,un magnifique baobab qui se découpe sur l’hori-zon. Et tu peux me le décrire plus précisément,renchérit le sage ? Oui, bien sûr, il a quatre bran-ches principales au-dessus d’un tronc qui enreprésente à peu près les deux tiers. Devantl’absence de réaction de son interlocuteur quiacquiesce en dodelinant du chef, moitié dubitatifmoitié ironique, le reporter insiste. Mais toi, vieuxsage, que vois-tu donc ? Dans un souffle etcomme sur un ton de surprise : ce que je vois ? Etbien… ce sont les racines !1

1. Annecdote, tirée de « L’Afrique du jour et de la nuit » deRobert Arnaud, et librement reprise par l’auteur.

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Le baobab domine la savane de sa hauteurmajestueuse au point que le regard ne sait y échap-per. Dans la brousse aux lignes horizontales et à lavégétation rabougrie, il livre tous les signes de lasolidité et de la force (yang). Rien ne le supplante etil est le seul à procurer un peu de fraîcheur repo-sante. Mais cette auguste présence, autant maté-rielle que visuelle, n’existe pas en soi, comme unedonnée intemporelle, un état de fait sans cause. Leyin du baobab, le potentiel obscur qui alimente samagnifique stature ne se perçoit pas à l’œil nu. Unréseau de racines plonge très profondément dans laterre où il se ramifie sur une étendue plus spacieuseque l’ombre projetée par ses branches. Sans lui cene serait que bois de chauffage sans vie.

Considérer de manière privilégiée l’origine c’estreconnaître l’importance de la face cachée, ouimmergée de la réalité, celle où se noue la genèseinvisible des manifestations tangibles. Cela conduità prendre en compte ce qui se situe en amont de ceque les sens perçoivent, ou de ce que le stratègedoit affronter, réduire, soumettre ou encore enrôlerdans son jeu. Au-delà de ce tactique perceptible etanalysable (l’arbre tel que les sens l’appréhendent),il s’agit de reconnaître la dimension stratégique desmanifestations (le réseau des racines).

Lutter contre une inondation alors que les flotsse déchaînent dans la vallée est de bien peu d’effet,tout au plus peut-on aspirer à sauver l’essentiel ou àlimiter les dégâts. La prévention est de loin plus

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efficace que le contre, soit en temps et lieu où secréent les conditions de l’accumulation dangereused’eau, soit en montagne ! Lorsque le tonnerre éclate,il est trop tard pour se boucher les oreilles, dit leproverbe. En d’autres termes, il est plus économi-que de s’attaquer à la racine des phénomènes depréférence à ceux-ci. Tel est l’enseignement, sommetoute élémentaire mais combien nécessaire, de cestratagème numéro dix-neuf. Son intitulé tradi-tionnel, retirer les bûches sous la marmite, reprendde manière imagée l’une des recommandationscentrales de Sun Tzu : viser l’esprit adverse, réduirece qui enfante ses intentions et sa stratégie plutôtque ses dispositions, ses troupes ou, pire encore, sesplaces fortes !

Pour refroidir le liquide brûlant d’une marmite,rajouter de l’eau glacée n’a qu’un effet temporaireet s’en prendre au feu est dangereux. En revanche,il est décisif d’ôter ce qui représente la condition del’ébullition : le combustible lui-même. Supprimerles bûches s’effectue à mains nues, sans précautionparticulière et en toute sécurité dans la mesure oùl’on s’y prend correctement et à temps. Il est aiséd’en supprimer l’arrivée, l’acheminement etjusqu’aux lieux de leur stockage voire de la coupeen forêt, là où la marmite n’a pas accès !

Ce stratagème conseille de ne pas réagir etsurtout de ne pas se régler sur les termes d’unepression imposée par un tiers, mais de quitter laligne de l’opposition frontale au profit d’un contre

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indirect au fondement de celle-ci, soit sur lesraisons qui l’expliquent et qui la rendent possible.Lorsque l’on subit l’offensive d’une force supé-rieure, il est vain de s’engager dans une montée auxextrêmes, dans un surenchérissement défavorable.Plutôt que de se confronter au yang adverse, ons’applique avec économie sur le yin situé à sasource. En se dérobant à une confrontationouverte, l’incursion derrière le rideau des apparen-ces, quelque redoutables et effrayantes soient-elles,suppose de se tenir à distance de l’eau bouillante etde développer l’intelligence des fondements del’agression. En refusant de reconnaître une fatalitédans la chaleur insupportable du contenu de lamarmite, on considère alors un contexte plus vastedans le temps et l’espace. L’identification des rela-tions de causes à effets crée les conditions d’actionsen profondeur, là où les dispositions sont, a priori,moins hostiles ou défavorables en termes d’adver-sité, soit en montagne ! Ce stratagème se révèleutile et salutaire dans la situation de qui se sentacculé. En amont de la pression d’un supérieurhiérarchique intraitable, il désigne un théâtred’opération plus étendu et plus malléable.

Au cours d’un duel, celui qui fixe obstinément lesabre adverse aliène sa liberté dans l’attente d’uneinitiative contre laquelle, tout au plus, il espèreréagir sans trop de retard. Un tel champ de percep-tion, subi et limité, restreint la marge de manœuvreet rend prévisibles donc vulnérables, les parades.

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164 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

Voir plus large requiert un effort délibéré et volon-taire pour ne pas s’inféoder aux termes d’une inte-raction choisis par l’adversaire. Le préalable de cequi en détermine les orientations ne peut pas selimiter au seul apparent et tangible. Le visible n’estque la partie émergée d’une réalité complexe,souvent moins déterministe, qui l’englobe et quirecèle des degrés de liberté et de possibles bifurca-tions. Or, dans les conflits, le moral et la logistiquecontribuent de manière souvent décisive à rendre laforce combattante effective, déterminée, confiante,ou le contraire. Casser le moral (le feu) ou ruiner lalogistique (l’acheminement des bûches) quialimentent une offensive constitue le préliminaired’un affrontement ultérieur éventuel dans desconditions moins défavorables.

Celui qui mène une offensive a tout intérêt àlimiter le champ de vision de ceux à qui il s’oppose,et à leur présenter un nombre restreint d’optionsd’autant plus fatales qu’il sera prêt à toutes lesréduire ! Pour celui qui reçoit l’agression, acceptercet appauvrissement a le parfum d’un début dedéfaite. Toute manifestation objective (yang)possède sa propre histoire (yin) qui l’engendre.Abattre un baobab nécessite un effort colossal, enrevanche, affecter le réseau de ses racines, là où ellessont le plus tendres, n’impose pas la même dépensed’énergie ! Ce faisant, on s’émancipe d’uneconfrontation coûteuse et dangereuse (abattre lebaobab en pleine lumière) pour prendre une initia-

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tive là où les défenses ne sont pas formatées pourrésister.

En usant de l’image des mouvements de l’eausur un relief donné, Sun Tzu recommande de frap-per la faiblesse (déclivités, creux) et d’éviter ce quiest ferme et qui résiste (hauteurs). Cela se traduitpar un art stratégique et tactique du positionne-ment et d’une application de la force qui ne s’enlaisse pas compter par les apparences. Le bon géné-ral n’escompte pas la victoire de ses soldats mais desconditions dans lesquelles il les place ! C’est ainsique Xénophon organisa les restes de ses troupes ledos à une falaise face à des forces perses nettementsupérieures mais qui disposaient d’une plaine trèspraticable pour la retraite. L’alternative pour lesGrecs se réduisait à vaincre ou mourir, alors que lesPerses avaient le choix entre affronter une banded’enragés n’ayant plus rien à perdre, ou bientemporiser dans l’attente d’une situation plus favo-rable. C’est en agissant sur le contexte de l’inter-action que Xénophon évita la défaite et les Grecs sesauvèrent !

Ce dix-neuvième stratagème ne procède pasd’une philosophie héroïque où, sûr de son bondroit, on s’engage aveuglément. Dans les toutespremières pages de son traité, Sun Tzu souligne quedans l’art de la guerre il y va de l’existence même del’État ou des acteurs concernés. C’est pourquoi unaffrontement armé ne doit être envisagé que dans

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166 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

la mesure où les chances de succès sont préalable-ment rassemblées. En cas contraire, mieux vautrenoncer et trouver une voie qui permette, demanière subreptice et invisible, de parvenir à sesfins ailleurs, autrement ou plus tard.

D’un point de vue stratégique, travailler enmontagne signifie œuvrer là où naît la puissance,puis s’appliquer à orienter les multiples ruisselle-ments qui constituent progressivement les grandsfleuves. Cela suppose de refroidir ses perceptions etles émotions qui en naissent spontanément, pourregarder au-delà des phénomènes perceptibles etdistinguer ce qui les détermine. Une fois encore enmatière d’efficacité, le stratégique, global et moyen-long terme, s’impose sur le tactique, local et courtterme. C’est au travail indirect des conditions quel’on s’attache plutôt qu’à l’action centrale sur lesacteurs engagés. À la recherche d’une solutionurgente, sans recul et souvent illusoire, on préfèrece qui assure un résultat durable. À la réactionchaude, emportée et frontale, on substitue l’exer-cice d’une intelligence qui ne s’arrête pas à la seuleconsidération des rapports de forces immédiats ettangibles. Loin de contrer un yang, visible, solide etrésistant, viser le yin qui lui fournit son potentielest moins hasardeux et plus économique. Celasuppose de ne pas se laisser absorber émotionnelle-ment par la contemplation fascinée des faits appa-rents, ce qui en soi est un gage de sagesse.

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Les enseignements d’un tel stratagème sont salu-taires dans la vie quotidienne que cela soit dans ledomaine du travail, des relations sociales ou amica-les. Il incite à ne pas se focaliser sur ce qui est ditmais sur qui en tisse le contenu. Cela revient à élar-gir sa vision et à donner plus d’amplitude aux ryth-mes en œuvre dans une interaction des volontés, às’ouvrir sur les contextes et à ne pas se laisser allerau fatalisme, voire à un défaitisme résigné.

Travailler en montagne, cette formule embléma-tique résume le principe chinois de la stratégie quiconsidère les potentiels de préférence aux disposi-tions palpables. C’est en amont, en montagne, quese construit de manière plus aisée la liberté d’actionet que s’organise l’économie des moyens, hyper-principes clefs dans la culture stratégique française.

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20

LA CONFUSION OPPORTUNE

Les temps difficiles créent les héros.

La meilleure façon de contrôler son ennemi est de laisserla nature faire son œuvre.

Proverbes chinois

Pêcher en eau trouble – Tirer profit du

brouillard – Estomper les relations de

causes à effets – L’opportunité soudaine –

Le profit du chaos – O jogo da cintura –

Confondre

Pêcher du poisson en eaux troubles – Troublerl’eau pour attraper les poissons – Muddle thewater to seize fish – Fish in trouble waters –Fishing in trouble waters – Catching a fish in trou-ble waters – Pescar en aguas turbias – Pegar umpeixe em aguas turbulentas.

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170 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

Dona Maria, qui habite Copacabana, vient devider son compte épargne pour payer le voyagede son fils en Europe. Sur le retour, elle fait uncrochet par une pâtisserie dont elle affectionneparticulièrement les délicieux éclairs au chocolat.Alors qu’elle attend tranquillement son tour, entrede manière brutale un jeune homme nerveux quia tôt fait de brandir une arme et menace clients etpâtissière en leur enjoignant de se délester,séance tenante, de tout l’argent dont ils dispo-sent. Terreur et consternation. Derrière la caissela tenancière, livide, est paralysée de peur.Atterré de constater que rien ne bouge, le voleuravertit d’une voix blanche qu’il ne faut pas lepousser car il ne répond de rien, alors que DonaMaria serre le précieux sac contenant ses écono-mies.

La tension déforme les visages et l’agresseur sesent contraint d’en rajouter. Brusquement inspirée,Dona Maria s’exclame en direction de la pâtissière :« Vous ne comprenez pas ? Donnez-lui de l’argentcar il en a besoin ! » Stupéfaction, une clientedéfend la cause du braqueur qui saisit au voll’argument qui lui est offert comme une solution.« J’ai besoin d’argent pour ma famille », fait-ilmenaçant ! Et Dona Maria de renchérir : « Vousdevez l’aider, et nous aider aussi », ajoute-t-elleen prenant l’assistance à témoin qui timidementacquiesce. Le voleur enhardi, sentant peu d’hosti-lité de la part des clients, se dirige précipitammentvers la pâtissière qui lui ouvre son tiroir-caisse.N’en demandant pas plus, l’agresseur disparaît ettout le monde souffle. Dona Maria s’empressevers l’agence de voyage pour s’acquitter du

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montant du voyage de son fils. Tant pis pour leséclairs au chocolat1.

Rien ne sert de courir, il faut partir à pointJean de Lafontaine

Dans une banlieue de Tokyo, un train sans freinsfonce à tombeau ouvert et les passagers sontterrorisés. Au beau milieu de cette panique géné-rale, un homme demeure serein, un livre posé surles genoux. La tension s’accroît, on tente d’ouvrirles fenêtres, on déverrouille les portes, on sechamaille pour savoir s’il faut briser les vitres… Lecalme voyageur ne bouge pas alors que le trem-blement de la vitesse augmente. Enfin le train ens’approchant d’une colline ralentit pour se stabili-ser ensuite. Livides les passagers, qui se sententmiraculés, demandent à l’homme pourquoi il nes’est pas angoissé. « J’attendais l’occasion desauter, elle ne s’est pas présentée et le train s’estarrêté de lui-même ».

Lorsque les eaux d’un fleuve se troublent, les repè-res disparaissent et le souci central devient l’espoird’un éclaircissement ou d’une occasion soudaine.Dans de telles situations, le savoir-faire inspiré ettactique, l’opportunisme et le jogo da cintura2 consti-

1. Histoire racontée par Salomao Schwartzman sur RadioCultura, Sao Paulo, et librement reprise par l’auteur.

2. Expression brésilienne, littéralement « le jeu de la taille » oudes hanches, que l’on pourrait traduire par jouer des coudesmême au prix de roublardises pour se tirer d’affaire.

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172 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

tuent des atouts de survie. Dans les flots agités, laconfusion entre le haut et le bas, la gauche, ladroite et l’impossibilité de voir avec précisionautant le loin que le proche ruinent les prévisions,tout comme les plans d’action organisés et séquen-cés. Les notions d’ami et d’ennemi deviennent rela-tives et le climat de tension laisse peu de loisir à laréflexion. Dona Maria ne sait comment se tirerd’affaire, pas plus que l’homme tranquille dans lemétro de Tokyo. Tous deux ont néanmoins laferme résolution d’attendre l’opportunité. Face à cetype de configuration, il est judicieux de saisir sachance en un éclair lorsqu’elle se présente et d’ycroire !

Fondamentalement, ce stratagème s’applique àdes situations où les caractéristiques de l’environ-nement ne sont pas fixes. Sous l’effet d’uneperturbation violente, les échelles de valeurspréexistantes et les régulations qui structuraientles relations n’ont plus la même pertinence nicohérence. Le fort peut se révéler faible et vice-versa. L’apesanteur relative des positions, disposi-tions ou convictions rend le contexte dangereux etmenaçant pour qui ne sait s’adapter ou innover àpoint nommé. Dans ce moment crucial de possi-bles redistributions des cartes, vigilance et réacti-vité s’imposent. Alors que l’affolement n’estd’aucune utilité, il est urgent de savoir attendre,sans les pesanteurs d’a priori et en restant prêt àtout.

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Lorsque le milieu s’opacifie, il est futile d’exigerla clarté. Les rayons du soleil ne savent pénétrer autravers des eaux opaques, tout au plus ils y dévelop-pent une zone brumeuse plus troublante quelimpide. Il est vain d’espérer que l’incertitude sedisperse aussi rapidement que l’on voudrait. Sonnel’heure des démagogues qui polarisent et rassurentles égarés en leur faisant miroiter des solutionsmiraculeuses. Leur verve (yang) oriente des énergiesen perdition (yin), il les transforme en potentiel auservice de leurs propres intérêts. Aveugle dans sarivière, le poisson est incapable d’identifier la rela-tion fatale qui relie l’appât à la canne du pêcheur.La nébulosité est favorable à la définition d’ordon-nancements nouveaux susceptibles de s’imposerune fois le brouillard dissous. Un stratège avisé enressort avec avantage, ou du moins sans dommagecomme dans le cas de Dona Maria.

Les périodes d’incertitude sont plus favorablesaux marginaux créatifs qu’aux gens de pouvoir habi-tués à se reposer sur un establishment lisse, sans acci-dents, et qui les sert au point qu’ils en ontabandonné leur sens de la survie. Le chaos corres-pond à un moment de disponibilité de potentielssans amarres, et des espaces apparaissent là où l’orga-nisation antérieure les verrouillait. L’agile et lemobile l’emportent alors sur le lourd et le puissant.Les crises sont porteuses de nouvelles donnes qui nes’inscrivent pas dans les logiques qui prévalaient.Qui s’arc-boute sur des procédés Zheng perd plus de

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174 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

plumes que n’en gagnent ceux qui misent sur le Ji. Ilest préférable de jouer Ji et de passer à Zheng lorsquela confusion se dissipera au profit d’un nouvel ordreen émergence, celui de l’affermissement de légitimi-tés neuves ou celui des nouveaux riches…

Le stratagème de la confusion opportune s’appli-que dans deux espèces de circonstances : celles où iln’est d’autre voie que de s’adapter, et celles où l’onescompte délibérément un profit du chaos suscité.Perturber et obscurcir à dessein un milieu peut êtrestratégiquement utile pour concrétiser un objectif.Plongé dans les eaux troubles, qui perd le Norddevient le jouet de celui qui reste ferme dans sarésolution. Les indécis sans boussole s’enrôlentalors dans le projet de ceux qui affirment en avoirune, qu’ils soient d’authentiques et sages stratègesou de dangereux démagogues. Pour un prédateur,cela se traduit par une capacité d’action au plusproche de ses proies sans être détecté, ou trop tard.

Une autre interprétation, plus positive queprédatrice, consiste à suivre le précepte de Sun Tzuselon lequel l’absence de confusion dans une orga-nisation constitue l’un des facteurs de l’invincibi-lité. En cela, ce vingtième stratagème conduit à unesagesse de management : produire des plans et deprocédures clairs, se défier d’une communicationambiguë, se soucier de feedback, prohiber lesmessages et les signaux contradictoires, régler lescontentieux au plus tôt de leur naissance… En

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réduisant les occasions de trouble on améliored’autant la capacité à agir de manière unie et consé-quente. À l’inverse, lorsque les indications ne sontpas évidentes pour tous et que la politique commela stratégie ne sont pas partagées, chacun dansl’entreprise est conduit à penser à ses petites affairesindépendamment de sa contribution à l’ensemblecomme des petits poissons dans l’eau trouble. Laconfusion non seulement modifie les comporte-ments, les relations et les plans, elle représente unpotentiel de bifurcation.

Dans l’exemple initial illustrant ce stratagème,on retrouve une figure tactique très commune auBrésil et que l’on qualifie affectueusement dejeitinho 1 qui vient du verbe ajeitar : arranger,apprêter, disposer de manière spécifique. L’anthro-pologue carioca Roberto da Matta le définitcomme « une pratique sociale destinée à résoudre lesconflits, à rendre compatibles des intérêts, à créer desalternatives originales pour chaque situation problé-matique et à assouplir les processus de décision2 ».Pour tout problème compliqué, il existe unemanière de s’en sortir au moyen d’un truc, d’untour, d’une ruse, d’un expédiant peu conventionnel

1. La forme diminutive de jeito est jeitinho, ce qui lui donne ensus une nuance affective. Littéralement, le mot signifie :tournure, forme, adresse, habilité, mouvement, entorse.

2. In Carnavais, Malandros e Herois, Éd. Zahar, Rio do Janeiro,1980.

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mais qui marche. Le jeitinho est avant tout un biais,une pratique astucieuse, souvent un peu limite,voire totalement. Dans la société brésilienne, lejeitinho se traduit dans des procédés agiles et« élégants » pour se sortir dans l’instant, de manièreimprévue et à très court terme, d’un mauvais pas,ou pour tirer profit d’un avantage. Le penaltyretardé de Pelé est un exemple de jeitinho sportif.En différant sa frappe, Pelé trompe le gardien quis’élance dans une direction, ce qui lui laisse letemps d’ajuster son tir en connaissance de cause etde marquer !

Comme dans l’inspiration soudaine de DonaMaria, le jeitinho met en jeu l’intelligence, l’inven-tivité et la rapidité à l’encontre des conventions ethabitudes, règles et usages établis. Il revendique laliberté de la personne, du « je » envers et contre unelégalité et une norme estimées extérieures et faitespour d’autres. Il ne s’accorde pas à reconnaître lalégitimité d’un intérêt collectif supérieur, d’unaménagement juste et logique des choses. Enrevanche, la pénombre de la confusion représenteun potentiel créatif, plastique et à disposition pourse procurer des marges de manœuvre dans dessituations bloquées ou insupportables. Derrière lerecours au jeitinho, se profile une représentationselon laquelle on ne peut survivre honorablementen respectant des réglementations entenduescomme absurdes, illogiques, voire profondémentinjustes au regard de l’intérêt personnel. Au gré des

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circonstances, chacun se voit comme placé dansl’obligation de corriger cet ordre et de le subvertirau moyen de solutions inspirées, ce qui revient, endéfinitive, à se faire justice soi-même !

Autre concept comparable, le jogo da cinturaconsiste à se faufiler dans l’imbroglio du monde encomptant sur un savoir-faire fondé sur une moraleindividuelle. Puisque les choses sont mal faites,l’individu doit nécessairement redistribuer lescartes de manière opérationnelle pour s’ouvrir uneissue favorable immédiate comme Dona Maria,même si d’autres en profitent aussi. En termestactiques, cela se manifeste dans une capacitévéloce à créer des relations originales entre leséléments d’une situation intolérable. Dans le Cubacastriste, on parle de miracle permanent : alors querien n’est objectivement possible, on trouvetoujours une solution. En Colombie, le jeitinho setraduit dans la malicia indigena. Dans le Panthéonde la Grèce Antique, il correspond aux attributionsde Métis, déesse de l’intelligence rusée1. En Francece qui s’en rapprocherait le plus serait le système D.Lorsque la seule considération rationnelle desconditions démontre à l’envi la contradiction entrele blocage et la nécessité, il n’est d’autre recours quede faire mentir cette logique insupportable et nonconforme aux besoins des personnes, dont le

1. Voir à ce sujet le très excellent livre de Jean-Pierre Detienneet Marcel Vernant, cf. bibliographie.

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jeitinho revendique la légitimité ne serait-ce qu’aunom de la survie.

L’aptitude au jeitinho suppose une grande sensibi-lité doublée d’une pertinence fine et instantanée dansle traitement du signal faible et de l’information.Libres d’a priori, d’engagements et de contraintes, lespersonnes doués de jeitinho se créent des ouvertureslà où la rationalité de l’analyse n’en identifie aucune.Cette « réussite » se présente comme miraculeuse etmagique dans son pied de nez à l’ordre, aux conven-tions et aux canons dominants. Lorsque considérerune situation posément est l’assurance de l’échec, quele temps manque et que la logique officielle travaillecontre soi, planifier n’est d’aucun secours. Confianceet conviction intérieures se conjuguent pour inventerou débusquer une issue jouée prestement. Le jeitinhose manifeste sans signes annonciateurs. Il surgitcomme l’éclair sans que l’épaisseur d’un cheveu nes’immisce entre l’identification du moment propiceet sa saisie, car il ne faut pas laisser le temps à l’ordredes choses de dicter à nouveau sa cohérence. Commedans la Métis, il répugne aux définitions trop clairescar contraires à la liberté de qui est sous l’emprised’une situation impossible.

Le jeitinho économise le coût de l’oppositionfrontale, au besoin en versant dans la roublardise.Son indépendance et son inventivité s’adaptent à laréalité dans les termes où elle se présente. Sonschéma est tactique plus que stratégique car le

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jeitinho est immédiatiste 1. Comme n’importe quelstratagème, il ne s’impose pas, a priori, mais dérivedes caractéristiques même qu’une situation porteen elle. Tout investissement ou posture trop stricteou définitive restreint la marge de mouvement etl’éventail de ce qui est concevable. Une fois la solu-tion trouvée et jouée, le jeiinhto disparaît pouréviter de se voir opposer à l’avenir, une contre-stra-tégie qui le rendrait inefficace. Sa fertilité s’enracinedans un trouble, vital pour son existence. Il effaceses traces à dessein car cette absence de mémoirereprésente une condition de ses possibilités futures.Il échappe ainsi à une modélisation explicite,reconnue publiquement, qui le rendrait prévisibleet de ce fait inopérant.

C’est la capacité au jeitinho qui importe et nonune quelconque base de données de procédésmécaniquement applicables en fonction d’uneanalyse rationnelle. Chaque personne commechaque situation dans sa singularité, est porteuse depotentiels. On ne se vante pas d’un jeitinho parceque, par définition, il procède du non-recomman-dable, de l’ombre et de la pénombre, de la limite,de la marge, de l’extrême, en anglais on dirait qu’ilest borderline et c’est à ce titre qu’il est efficient ! Ilpose la supériorité de la personne à la norme enten-

1. Autre concept brésilien que l’on peut définir comme l’absencede prise en considération des conséquences futures des déci-sions et actions présentes, contraire à la planification.

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due comme dévalorisante, immobilisante etcontraire à la liberté. Fort d’une intelligence situa-tionnelle, il se manifeste là où l’action convention-nelle est impuissante. Lorsqu’un problème survientaux États-Unis, plaisantent les Brésiliens, onrecommande de consulter la notice technique,texte explicite d’un processus qui dit comment leschoses doivent, ou sont faites pour fonctionner. AuBrésil en revanche, on ne s’attarde pas à de sembla-bles considérations, mais se da um jeito ! Oninvente un jeitinho porteur d’une solution ponc-tuelle, peu généralisable, et qui défait momentané-ment l’absurdité de règles qu’il faut nécessairementinterpréter et adapter car le monde est mal fait.Plus importante que le système, la personnel’emporte sur les procédures.

Les réseaux relationnels sont propices aux jeitin-hos et l’institution officieuse dans la société brési-lienne du despachante est éloquente en la matière. Ils’agit d’un professionnel dont les connaissances etles contacts permettent des prestations coupe-filqui font gagner un temps précieux dans des démar-ches administratives complexes et interminables.La fonction, tolérée, a pignon sur rue. En mettantde l’huile dans les rouages, elle évite une contesta-tion révolutionnaire de l’ordre établi, tout ens’affirmant, comme le jeitinho, porteuse de beau-coup plus de réalisme et d’efficacité ! Lorsque laclarté aveugle et oppresse, la fécondité du trouble,joué mezza voce, est salutaire.

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ENRÔLER LA FORCE ADVERSE

En absence de troupes, utilise celles de ton ennemiSun Tzu

Soyez crédibles, rendez vos adversaires crédulesJean-François Phélizon

User d’avantages dont on ne dispose pas –

Crédibiliser un mensonge – Emprunter une

belle apparence – Stratagème de l’emphase

et de l’emballage –

A massagem do ego1 – Dramatiser

Orner de fleurs un arbre sec – Décorer l’arbre avecbeaucoup de fleurs – Deck the tree with flowers – Putting fake blossoms on the tree – Flower bloomon the tree – Adornar los arboles con flores falsas –Cobrir a arvore de flores.

1. Littéralement : le massage de l’ego, expression brésiliennequi parle d’elle-même !

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Acculé, Goupil le Renard n’a plus de sortie possi-ble. Le Lion, pesant et nonchalant, qui sait qu’il apartie gagnée, se rapproche d’un pas lent pourmieux savourer le goût de sa victoire et le désarroide sa victime. C’est alors que contre toute attente,celle-ci l’interpelle avec un culot qui le sidère.« Salut à toi, ô Roi des Animaux, entre presqueégaux nous nous devons déférence. » L’outrageest tel que le Lion en demeure interdit, lui qui nereconnaît chez les autres que peur et soumission.« Oh, je te vois surpris compère Lion, continuecrânement le Renard, mais tu dois savoir toi aussiqu’en dépit de nos apparences, Dieu m’a doté dupouvoir suprême parmi les animaux, l’aurais-tudonc oublié ? » Reprenant ses esprits le fauverugit de rage contre ce crime insigne de lèse-majesté. Comble de surprise, bien que transi depeur sans le laisser paraître, Goupil persiste etsigne ! « Oui, ô Roi des Animaux, le Tout-Puissantdans son immense compassion pour ma frêlestature, voulut y associer une sagesse si redouta-ble que nos semblables s’en effraient à ma seuleprésence. Y ferais-tu défaut ? Ne craindrais-tupoint Dieu ? »

Le poids, la force, la taille, les attributs, rien nepermet au Roi des Animaux d’accréditer cequ’avance ce vermisseau de Renard. « Eh bien,poursuit celui-ci enhardi par la perplexité du Lion,je te le démontre à l’instant si tu daignes m’accom-pagner. À travers moi, le Très Haut t’enseigneral’un des mystères qu’Il ne réserve qu’à un nombreinfime de Ses élus. » Fichtre, se dit le Lion,l’animal paraît si convaincu que je vais le suivre,j’aurais bien le temps de lui faire son affaire plus

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tard. « Allons-y donc, ricane le félin, mais faisonsvite car j’ai faim. » Séance tenante, le Lion à lasuite du Renard se faufile entre les herbes pouratteindre bientôt un troupeau de gnous paissantpaisiblement. Mais avant qu’ils ne les aperçoivent,Goupil s’est élancé devant eux en gesticulant pourse manifester. L’effet est stupéfiant et les bovinsdétalent ventre à terre dans un brouhaha desabots qui fait trembler la brousse. « Vois compèreLion, vois comme ils me respectent, non, je blas-phème, comme ils respectent Dieu qui dans Sagloire et Son infinie miséricorde nous enseigne àLe craindre pour notre salut à tous. » Jusqu’à lanuit, le Lion constatant que tous les animaux fuientsystématiquement à l’approche du Renard, décidede remettre son repas à plus tard. Non seulementGoupil est sauf, mais il a instillé dans l’esprit desautres animaux un respect qui n’est pas prêt dedisparaître1.

Alors que, selon toute vraisemblance, la fin estproche, il est essentiel d’user d’un moyen extraordi-naire (Ji) pour se sauver. Lorsque l’inégalité desforces conventionnelles (Zheng) est plus quecriante, l’argumentation rationnelle est sans espoir.Dans un tel extrême, plus déroutant sera le para-doxe, plus il aura quelque chance d’effet. Plongerl’autre dans la perplexité et l’y maintenir jusqu’à cequ’il renonce, ou obtempère, passe par une rythmi-que soutenue qui ne laisse place ni à l’initiative

1. Conte chinois traditionnel, librement repris par l’auteur.

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184 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

adverse, ni au raisonnement logique et posé. Ledésappointement doit être tel qu’il interdit dedistinguer l’illusion du réel. La surprise produit untemps d’arrêt, puis l’usage des moyens adversesrendus aveugles par l’étonnement, retourne lasituation. En convainquant courtoisement le Lionde l’accompagner dans sa démonstration, le Renardse sert de la force et de la terreur que celui-ciinspire. De réduite à son plus bas niveau, cetteliberté d’action, soudainement accrue, est preste-ment jouée jusqu’à concrétiser une issue favorable.Lorsque l’on est dépourvu de ressources, il faut seservir de celles des autres et jusqu’à celles de sonpropre adversaire, recommande Sun Tzu.

Ce stratagème met en œuvre un processus detransformation du faux en vrai. Le Lion estd’évidence le Roi des Animaux, celui devant lequeltous se soumettent. À ses yeux, ce rang et ce respect ledispensent de la nécessité d’une intelligence astu-cieuse et perspicace puisqu’il lui suffit d’être ce qu’ilest. Les choses étant ce qu’elles sont, elles ne sauraientêtre ce qu’elles ne sont pas ! Aucune anguille sousroche, pas de lézard, le Lion accrédite ce réel qui lesert si bien, et n’accorde pas l’ombre d’un crédit à dequelconques spéculations, ou viles suppositions, quiprétendraient que ce que les sens perçoivent n’est pastoute la réalité. De ce fait, il en vient à ne pas recon-naître la possibilité même, si ce n’est la légitimité,d’autres points de vue, d’autres valeurs, ainsi que lacréativité indispensable aux dominés.

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Pour le Renard, cette vision léonide est unebénédiction. Dans ce monde taillé à la mesure deson despotisme sans appel, le Lion est incapable deconcevoir l’existence d’une force d’une autre natureque la sienne. Cette cécité du pouvoir fait le litd’une réelle faiblesse car il ne sait pas même imagi-ner un autre ordre des choses, absurde, déraisonna-ble et contraire au comme cela et pas autrement ! Cedominant sans partage, si béatement heureux etcomblé, n’a pas besoin d’être futé et c’est pourquoi,pour son malheur, le Roi des Animaux est un benêtpotentiel manipulable. Sa vision unidirectionnelleest aveugle à l’inventivité de survie des faibles.Dans cette zone d’ombre de la perception adverse,le Renard da um jeito 1. Il instille un argument quele Lion, habitué et à l’aise dans la considérationexclusive de ce qui est rationnel, ne peut prendrecomme illusoire, et cela d’autant plus que soninterlocuteur est à l’article de la mort. Il serait futileet peu conséquent de mentir dans une telle situa-tion, donc, si Goupil prétend qu’il est Élu de Dieu,cela mérite examen. Le système de croyance dufélin est le meilleur couvert pour la manœuvre duRenard.

Si l’on étudie comparativement le jeu de chacundes protagonistes, on constate que le dominantn’use que d’un échiquier, le sien, alors que ledominé maîtrise la dialectique de l’interaction des

1. Voir stratagème précédent.

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186 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

volontés 1, en les articulant tous deux et l’ensemblequ’ils composent. L’un est mécanicien, instrumen-tiste pourrait-on dire, quand l’autre est stratège,chef d’orchestre ou dramaturge. Nous avons là uneparfaite illustration de la nature de la stratégie, quiconsiste à faire mentir l’ordre normal des choses enmettant du mouvement, du désordre et du neuf, làoù il n’y en avait pas. Fruit de la nécessité, l’innova-tion est du côté de celui qui subit, quand l’autre secontente de ce qui est. Comme le jour enfante lanuit et vice-versa, l’absolu de la force du Lions’accompagne d’inconscience, de crédulité et demanipulabilité. Si le Roi des Animaux n’en reste pasmoins redoutable et redouté, cela ouvre des pers-pectives à l’imagination et… à la stratégie !

Ce stratagème de survie est risqué, il suppose quela cible soit suffisamment tourneboulée pourqu’elle ne puisse reprendre ses esprits et raisonnerposément tout au long de la mise en scène qui laprend en défaut. Les gnous détalent à la vue de lasilhouette du Lion qui les terrorise, mais cela accré-dite aux yeux de celui-ci que le Renard en est lacause. L’à propos (timing), la vitesse et le rythme dela succession des séquences sont déterminants :allegro sin moderato ! Alors que l’illusion occupeopportunément le premier plan, c’est la réalité du

1. Voir André Beaufre, Introduction à la stratégie, Economica,1985.

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félin en arrière-plan qui provoque l’effet. Ce strata-gème de l’emballage se retrouve dans le marketingdu luxe qui donne à voir un déséquilibre flagrantentre le volume, la matière et le coût de l’esbrouffede la présentation, d’une part, et la petitesseconcentrée du produit, d’autre part. Cette dynami-que valorise un désir d’acquisition où miroite leprestige scintillant de la possession d’un bien sirare… La théâtralisation de la silhouette du Lion,conduit vers l’acte d’achat : les gnous détalent !

Les services personnalisés aux riches clients desbanques mettent en œuvre le même type de dupe-rie. L’emphase, la valorisation, le massage de l’égoqui insistent pour dire que ceux-ci sont exclusive-ment réservés à quelques happy few, chacun muitoespecial 1, a pour fonction d’empêcher de penser à lafacture. L’ostentation et la considération (les fleurs)sont telles qu’elles estompent la réalité de leurmontant sonnant et trébuchant bien réel (l’arbresec). Au Brésil, le Banco Real a créé ainsi un ensem-ble de prestations intitulé rien moins que VanGogh en transformant en code couleurs publici-taire les œuvres majeures du maître. On ne sollicitepas une adhésion à Van Gogh, on y est élu et invitépar la banque elle-même. On peut aussi y voir une

1. Très spéciales, expression brésilienne très utilisée : uniques enleur genre, différentes des autres par leur qualité intérieure,ce qu’elles sont…

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188 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

application du stratagème numéro quatorze :redonner vie à un cadavre.

D’aucuns parmi les hommes politiques saventd’expérience que plus la ficelle, la promesse, estgrosse, plus elle a de chance de passer inaperçue oud’être crue. Plus le mensonge est éhonté, moins ilpeut paraître comme tel car il va de soi qu’unepersonnalité publique ne saurait se rabaisser à detelles mystifications ! Les citoyens ont besoin decroire en leurs représentants, sinon, cela en seraitfait de la démocratie ! Promettre des lendemainsqui chantent, alors que l’on est sans instruments demusique, ni partition sérieuse, revient à orner defleurs un arbre sec. Ce vingt-neuvième stratagèmeest appelé par les situations où l’on est enclin àpréférer voir des fleurs sur un arbre sec, même si laraison doit en reconnaître l’impossibilité ! Ilconvient, cela dit, d’harmoniser la nature de l’arbreavec celle des fleurs et ne pas mettre des nénupharssur un arbre fruitier, encore que ?

Il arrive que des fleurs finissent par redonner vieà l’arbre sec qu’elles ornent. Ce type de ruse estcourant dans les organisations lorsqu’un porteur deprojet s’assure de la présence du PDG lors de saprésentation. Au moyen de sa duperie, le Renardfinit par incorporer la force du Lion car il n’est guèred’animaux qui parviennent à se faire suivre docile-ment par celui qui les terrorise tous. En engendrantcette impression authentique d’effroi, l’artifice de

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Goupil créé un effet bien réel et présent, trans-formé en crédit pour l’avenir. Ce stratagème serapproche du septième, créer quelque chose àpartir de rien. L’assertion du Renard est fausse (jesuis l’Élu de Dieu), mais sa démonstration est juste(les gnous détalent), ce qui revient, en termes deperception, à transformer du faux en vrai ! C’est enprenant à son propre jeu le dépositaire de la force,que la créativité stratégique le conduit par le boutde son nez. Juste revanche ?

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RENDRE L’INUTILE INDISPENSABLE

Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.Aller à vide, revenir à plein

Proverbe chinois

Stratagème du grignotage – Révéler les vul-

nérabilités pour s’y engouffrer – Le pied

dans la porte entrebâillée – Inverser les posi-

tions – La meilleure défense est l’attaque –

Retourner

Échanger les places de l’hôte et de l’invité – Inter-vertir les rôles de maître de maison et de l’invité –The guest plays the host – Reverse the positions ofhost and guest – Turn yourself into a host frombeing a guest – The guest takes over as host – Hostand guest reversed – Hacer que el anfitrion y elinvitado intercambien sus sitios – O convidado nopapel do ànfitriao.

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192 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

Profondément affecté par le désarroi de son amiGeorges, remercié sans indemnités par sonemployeur, André, PDG d’un grand groupe indus-triel, l’invite chez lui pour lui éviter de se retrouverà la rue. Au fil des mois qui ont suivi son licencie-ment, la situation de Georges s’est rapidementdétériorée. Ses problèmes financiers aggravantune situation familiale déjà désastreuse, sonépouse et ses enfants refusent désormais de levoir. Il sombre dans l’alcoolisme et son laisser-aller s’accroît au point que son apparence physi-que en pâtit de jour en jour. Crasseux, mal rasé etmalodorant, il débarque dans la grande maison dela banlieue chic de Paris. Fanny, l’épouse de sonhôte, qui s’ennuie à mourir dans le luxe, fait ensorte qu’il se reconstitue une apparence décente.Avec le temps, dont ils disposent tous deux enabondance, ce qui n’est pas le cas d’André, lesdeux oisifs s’apprivoisent l’un et l’autre, se trou-vent des points communs et s’ouvrent sur lesincompréhensions dont ils souffrent. La cuisinedevient enjouée, les promenades régulières, puisla fréquentation des cinémas…

« Quelle charmante idée que l’invitation de tonami », confie une Fanny ressuscitée à son époux.« Quel bonheur de te sentir heureuse », se féliciteAndré dans ses rares moments de disponibilitétant ses affaires l’absorbent ! « À propos, j’ai unservice à te demander, cela concerne une fusionacquisition et tu es bien la seule personne en quij’ai toute confiance. » Avant de se marier, Fannyétait une professionnelle renommée dans ledomaine, et c’est à contrecœur qu’elle renonça àses activités. Il y a de la restructuration dans l’air.

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Georges, qui s’y connaît, propose à Fanny del’aider, et le repreneur, directement contacté, sedéclare admiratif du travail. Le climat se tend entreles époux. Fanny se sent à l’aube d’une nouvellevie, alors qu’André s’épuise à défendre ce qui luireste de prérogatives en jouant ses appuis politi-ques… Quelques mois plus tard, Fanny ademandé le divorce et Georges est engagé autitre de conseiller spécial du nouveau PDG dugroupe.

Le maître de maison qui reçoit domine la situa-tion, alors que son invité, sans autorité dans laplace, n’y joue aucun rôle décisionnel. Dansl’exemple ci-dessus, cette relation initiale s’inverseprogressivement à travers une prise de pouvoirinsensible de l’intérieur. Le classique des 36 strata-gèmes détaille ce mouvement en six étapessuccessives : se faire inviter, développer l’intelli-gence de la situation, saisir les opportunités qui seprésentent, avoir son mot à dire dans un nombrecroissant de domaines, assurer son pouvoir par lecontrôle des opérations pour finir par prendre laplace de l’hôte ! Tout au long du processus, l’initia-tive, et paradoxalement la liberté d’action, sont ducôté de l’oisif quand l’hôte est empêtré dans tousles impératifs de la gestion et de ses engagements.

C’est au plus près de la force que sourdent lesgermes de la faiblesse, selon le Yi King, le Livre destransformations. La place, le rang, le rôle et la réus-site professionnelle du maître de maison l’absor-

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194 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

bent au point d’entraîner un grand nombre depetites déficiences, jusque-là acceptables et accep-tées, avant l’incursion d’un nouvel acteur dans lejeu. L’invité, en situation d’observation, n’est liépar aucune obligation, il ne demande rien etn’assure aucune responsabilité particulière, aucuncadavre dans un placard ne l’handicape ! Viergedans ce contexte, il dispose d’une belle marge demanœuvre pour identifier d’éventuelles opportuni-tés dans les carences de la gestion des affairescourantes de son hôte. Sa capacité d’initiative n’estpas limitée par les pesanteurs des obligations maté-rielles ou morales, des précédents fâcheux… Or,Fanny s’ennuie, les nombreuses responsabilités deson époux l’ont conduit à mettre un terme à unecarrière prometteuse et ce vide n’a pas été comblésentimentalement…

Dès son amorce, puis tout au long de sa mise enœuvre, ce stratagème évite de distinguer trop nette-ment les places de l’hôte et de l’invité appelées às’inverser insensiblement. Georges se fond dans lepaysage, ses actes s’inscrivent dans le cours natureldes relations à l’intérieur de la maison. Celasuppose une certaine intelligence, innocente, voirebienveillante, de la situation. Dans le creuxaccueillant des manques et des absences, des regretset des frustrations, ou des limites et des incapacitésd’André, l’invité s’insère où la gestion l’appelle :écoute, considération, cuisine, promenades, ciné-mas et… jusqu’au conseil en restructuration ! Le

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sommet de la possession (situation de l’hôte)génère en son sein même, les germes et pointsd’appui de son déclin. L’invité ne s’impose pas apriori mais en fonction des vides (yin) qu’il rencon-tre et qui lui permettent de se construire une place(yang) portée par les nécessités.

Dans la pensée chinoise, le statut d’invité estoffensif parce qu’en absence d’acquisition. Celui del’hôte est défensif en ce qu’il est installé, dispose dupouvoir, des ressources, de l’autorité et de la légiti-mité dont l’autre est dépourvu. Dans l’exemplechoisi, André est au faîte de sa puissance et Georgesne représente plus rien alors qu’il est accueilli surson terrain. Le moteur du cycle des transforma-tions peut s’amorcer en faveur de celui qui part del’inexistant (yin) au détriment de celui qui possède(yang). Les dynamiques relationnelles constituentun théâtre d’excellence pour ce grignotage endouce, mais l’influence de l’invité grandit s’il saitéviter le risque d’être chassé. En se rendant indis-pensable, son changement de statut est graduel,imperceptible. D’humble, passive et réceptive, sonactivité se fait délicatement conquérante demanière si insignifiante qu’elle n’éveille aucuneréaction, aucun contre brutal et objectif de la partd’un invitant, initialement en pleine maîtrise de sesmoyens. L’introduction dans les failles est subtile.C’est ainsi que la Chine assimila ses conquérantsmongols puis mandchous en les sinisant de l’inté-

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196 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

rieur au fil des siècles. C’est dans le sein d’IBM queMicrosoft est né pour devenir un géant autrementpuissant que Big Blue. Ce processus emprunte lavoie de la non-opposition au point que le termesemble résulter d’une évolution parfaitement logi-que et naturelle, sans anguille sous roche !

L’application militaire de ce stratagèmeretourne, temporairement et à dessein, les statutsd’attaquant et de défenseur. Le Roman des troisroyaumes 1 relate comment un agresseur incapabled’emporter la décision face à un adversaire solide-ment retranché, s’engagea dans une série de harcè-lements timides suivis de dérobades systématiquespour accréditer le doute sur ses capacités effectives.Ne supportant plus ces escarmouches constantes etjamais décisives, et oubliant la réalité du rapportdes forces, le défenseur voulut livrer bataille en rasecampagne. Abusé par des succès tactiques mineurs,il se transforma en attaquant sans en avoir lesatouts et c’est ainsi qu’il fut défait ! Pour le stratège,le processus se déroule en trois temps. Tout d’abordlivrer les signes d’un renoncement apparent austatut d’attaquant, puis agir pour que s’instille dansl’esprit adverse la conviction que la distribution desrôles a changé. Lorsque l’autre sort de sa réserve,l’assaillant initial le redevient et l’emporte dans uncontexte devenu favorable. Sur ce modèle, lesNormands venus de France gagnèrent la bataille

1. Classique chinois, voir bibliographie.

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Rendre l’inutile indispensable 197©

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d’Hastings qui leur livra l’Angleterre au XIe sièclede l’ère chrétienne. Une fausse retraite incita lesSaxons à rompre le rang au travers d’une sortiejusqu’au moment où les prétendus fuyards seretournèrent pour affronter des troupes désorgani-sées par l’illusion d’une victoire facile !

L’usage de ce stratagème est beaucoup pluscourant que l’on pourrait le penser tant les situa-tions où se retrouvent hôtes et invités sontnombreuses et variées. C’est pourquoi son étudeest fort utile, ne serait-ce que pour s’en préserver !De manière générale, son mécanisme ne s’imposejamais violemment et l’invité peut être loué pourson efficacité à se révéler comme l’homme ou lafemme de la situation. De par sa position originel-lement extérieure, il est à même de lire la situationsans pâtir des contentieux qui peuplent les placardsde la vie en société. Personnage neuf, il condensesur lui ce qui n’était pas assumé jusque-là et sonréseau se met en place jusqu’à le transformer enMaître de Céans ! D’inutile, il se fait indispensablesous le couvert et avec la complicité des besoinsmêmes du théâtre d’opération où il pénètre insi-dieusement. Tout au long du processus, il s’agitpour lui de ne jamais perdre la main et de ne pas setromper de rythme. Pour se prémunir d’un tel stra-tagème, il convient de revenir une fois de plus auconstat de Sun Tzu selon lequel l’invincibilité,tâche première du stratège, dépend de soi, et lesopportunités de gains : des erreurs adverses !

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LA FAVEUR FATALE

Nul homme ne peut traverser, indemne et insensible,le Défilé des Belles.

Un pas en arrière crée les conditions d’un bond futur.Proverbes chinois

O dieux, donnez-moi la sérénité d’accepter ce que je nepuis changer, le courage de changer ce que je puis et la

sagesse d’en connaître la différence« Prière de la sérénité » attribuée

à l’Empereur Marc-Aurèle

Céder ce que l’on a déjà perdu – Investir

dans l’abandon – Acheter du temps avec une

faveur – La soumission gagnante – Venin sur

un plateau d’argent – Dégager une avenue

fatale – Sacrifice criminel –

La stratégie du calife – Vider

Stratagème de la belle – User de la séduction d’unejolie femme – Aller au devant des désirs dequelqu’un dans un but inavoué – The beauty trap– Use the beauty to ensure a man – Utilizar unamujer para tender una trampa a un hombre – Atrama da beleza.

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200 STRATAGÈMES DE LA DERNIÈRE EXTRÉMITÉ

Le parti du Président de la République a perdu lesélections législatives et le chef de la nouvellemajorité, fort de la légitimité des urnes, vient luisoumettre le projet de liste des membres de sonprochain gouvernement. Celui qui est appelé àdevenir Premier Ministre sait que le chef del’exécutif est un politique redoutable, et c’est avecune volonté de fer qu’il se prépare à défendre seschoix. Certaines personnalités sollicitées pour despostes importants dérangent le Président, maisqu’à cela ne tienne puisque clairement il y a ungagnant et un perdant.

Contre toute attente, la prise de contact, cour-toise, est sans froideur. Dans son élan, le chef dela nouvelle majorité propose d’emblée les nomsqui fâchent. Surprise, le premier est accepté,puis le deuxième, le troisième… La perspectivede l’affrontement disparaît et la discussion portesur le contenu des dossiers à traiter en priorité.Le chef du parti majoritaire, satisfait de la consi-dération dont fait preuve le détenteur de la fonc-tion présidentielle, se détend au point dereconnaître qu’il a affaire à un homme sage etintelligent. Dans ce climat d’entente cordiale, lePrésident sollicite alors, simple détail, quelquesnominations difficilement réfutables au regard dela relation constructive qui s’établit. La stratégiede reconquête vient de marquer ses premierspoints et la défaite du Président relève dès lorsde l’histoire, pas du présent, encore moins dufutur.

Pour abaisser, d’abord éleverTao Te King

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Après avoir sérieusement défait les Romains,Hannibal s’établit à Capoue dans l’extrême sud dela péninsule italienne pour jouir en toute quiétudedes fruits de ses victoires et de son emprise surtout le pourtour de la Méditerranée occidentale.Cette pause crée un vide favorable, un répit pourune Rome humiliée qui considère n’avoir perduqu’une bataille, pas la guerre. Se refusant à serisquer dans un nouvel affrontement direct, en unsursaut désespéré, elle lance une offensive enEspagne pour couper les communications terres-tres carthaginoises, en mettant à profit l’avantagenaval dont elle dispose. Sur ce théâtre lointain, lerapport des forces lui est favorable. C’est ainsi quela cité défaite construit l’avantage stratégique quilui permet ensuite d’annihiler la puissanced’Hannibal de manière conventionnelle, dans uneconfrontation terrestre qui assure sa dominationsur l’Afrique du Nord.

Dans une situation désespérée, rassembler sesdernières forces en vue d’un affrontement héroïqueultime sert la cause du vainqueur qui dispose detous les atouts, de la liberté d’action et de l’écono-mie des forces. Contraire à la sagesse, cet effortsuprême représente le meilleur des points d’appuipour que celui-ci en finisse une bonne fois pourtoutes. Il ne tombe pas sous le sens de considérer ladéroute comme les prémices d’une possiblevictoire. C’est pourtant là que le stratège se révèle !En faisant la part du feu et en préservant l’essentiel,il se consacre à un nouveau chapitre qui enterre leprécédent fâcheux de la défaite, alors qu’un engage-

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ment classique (Zheng) concrétiserait plus encorel’humiliation au risque de la rendre définitive. Il estplus astucieux d’offrir au dominant de parvenir àses fins en plein éclat dans des circonstances quifiniront par l’enchaîner, par consommer sa puis-sance et en dévier le cours (manœuvre Ji). Tempo-riser atténue les effets de la défaite et travaille auxconditions de la réparation. En se refusant aumirage d’une montée aux extrêmes, d’une crispa-tion à l’issue fatale, ce qui a été perdu dans lalumière peut être regagné dans l’ombre.

En anticipant les effets d’une défaite avantqu’elle soit pleinement consommée, le stratègeinduit chez le conquérant le sentiment d’un gainde temps. « Va, je ne te hais point », concèdeChimène à Rodrigue. Ainsi, le meurtrier de sonpère, démuni par tant de complaisance, ne peutplus rien exiger d’elle. En réalité, si le vainqueuréconomise un peu de temps tactique et immé-diat, le vaincu en acquiert dans la dimensionstratégique, globale, moyen-long terme. Il sauve-garde les restes de son potentiel, sans lescompromettre, et s’installe dans un processus oùsa liberté d’action, alors au plus bas, ne peut plusqu’augmenter.

Privé de raison d’être, la concentration adversetend à se déliter pour passer à autre chose. Lesvaleurs viriles ne sont plus polarisées par le combatmais par la gestion ou le repos du guerrier. Les flotsde la fougue belliqueuse se dérivent dans les canaux

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multiples et accaparants de la gestion des affairesou des délices de Capoue. Les signes de la résigna-tion apparente périment l’actualité d’un affronte-ment yang contre yang. L’attitude yin exalte le yangopposé qui se révèle dans toute sa majesté, maissubrepticement, elle accélère les conditions de satransformation en son contraire-complémentaire(yin). La faiblesse croît à l’intérieur de la force, dèslors que le vainqueur quitte la lutte pour l’adminis-tration dans le cas du Premier Ministre, ou les plai-sirs pour Hannibal.

Selon les circonstances, il est mille manières dedécliner un tel stratagème. L’image du cadeauempoisonné en rend compte, comme dans le cas dela promotion d’une personne dont on escomptesecrètement la perte. L’inversion « élève pour abais-ser » comme le recommande le Tao Te King. Ceprocédé fatal est si redoutable que les victimes s’ensortent rarement. Par le don plutôt que la défense,l’anticipation délégitime l’effort et endort la vigi-lance adverse. Cette tournure d’esprit n’est pasl’apanage exclusif de la culture chinoise. Commentoublier l’impact politico-stratégique profond deNicolas Machiavel sur le savoir-faire politiqueeuropéen. Combien de présidents ou de chefs departis contraints par un rival, négligèrent cette sageet rusée recommandation de l’honorer par unenomination dans une fonction exposée et risquéepour mieux le perdre !

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Vizirs, dauphins ou premiers ministres n’ontd’autre horizon de progression que d’être calife à laplace du calife. Une autre vérité historique, toutaussi profonde, veut que de tout temps les califesaient toujours voulu continuer à être calife ! Ledilemme du dauphin est de savoir partir à point,tout en comptant aussi sur le Ciel, soit dans lapensée chinoise sur les aléas, l’imprévisible et lehasard. Mais le calife, tant qu’il demeure calife,reste le maître des horloges. La tentation du coupd’État, pour séduisante qu’elle soit et outre lesdangers qu’elle comporte, affecte et quelque partdévalorise le prestige et la légitimité du statutconvoité. Il est malaisé de défendre la fonctionsupérieure que l’on sert tout en attaquant celui quien est dépositaire et qui, dans son immensemansuétude et sagesse, l’a nommé à son rang devizir. Brutus le parricide peut difficilement sedraper dans la toge ensanglantée de César, et impo-ser le respect !

Abandonner ce à quoi l’on tient pour sauverl’essentiel, relève typiquement de la dernièrefamille de stratagèmes : celle de la dernière chanceou du tout pour le tout ! En limitant délibérémentsa liberté d’action, un stratège prive l’autre de lapossibilité de le faire pour en tirer gloire et profit.Cette concession tactique se traduit en crédit stra-tégique, l’un accumule quand l’autre dépense. Enallant si bien au-devant des désirs d’un rival dange-

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reux, on masse son ego en le rendant manipulable…Le déséquilibre entre le don et l’effet escompté àterme est sans commune mesure. Un épisode del’histoire chinoise mentionne comment un empe-reur affaibli mit une femme entre deux de ses plusgrands féodaux en la promettant à chacun d’eux endes temps différents. Aveuglés par une passion,convenablement alimentée, ceux-ci finirent pars’entre-tuer. Ce que la force militaire ne pût obte-nir, la beauté d’une femme le permit de manière àla fois économique et efficace.

Plutôt que s’attaquer au mur puissant d’unbarrage fait pour résister et contenir, s’adresser àl’eau qui est derrière en favorisant son écoulement.Le courant, faible au début, deviendra de plus enplus fort, et la voie jusque-là étroite, se creusera aupoint que le barrage, sans raison, tombera endésuétude. Ainsi en va-t-il des plus fortes résistan-ces et déterminations. Les prendre frontalement lesjustifie et met en cohérence leur pourquoi (yang),tout en leur octroyant la possibilité de l’exprimer !En abandonnant ce qui est de toute façon prati-quement déjà perdu, on amollit la déterminationadverse jusqu’à la rendre obsolète. L’élégance et lasagesse de ce stratagème enseignent à ne pas s’éver-tuer à défendre l’indéfendable, tout en en tirant undernier profit avant de se concentrer sur le possible.

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LA DÉCEPTION PARADOXALE

Lorsque le roi est nu,parader est le seul atout qui lui reste

Proverbe chinois

Fausse anguille sous roche – Le vide

déroute le plein – Suppression du point

d’appui de la force – La faiblesse emporte la

décision – Stratagème du rien pour le tout –

Killing applications – Décevoir

Montrer la ville déserte à l’ennemi – Tendre uneembuscade à l’adversaire en montrant son pointfaible – Open the gate of an undefended city –Empty-city scheme – Empty city ploy – Theempty city fort ploy – Estrategia de la casa contecho de paja – Abrir de par en par las puertas deuna ciudad vacia / Aparenta que tu fortaleza estavacia – A trama da cidade vazia.

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Zhuge Liang, expert en ruses, sait que sonennemi mortel Sima Yi arrive sur les hauteurs quidominent la cité où il se retrouve coupé du grosdes forces de son souverain. Le déséquilibre desforces est criant et la défense à l’abri des rempartsest illusoire. Alors que la défaite s’annonce, ZhugeLiang, paisible et en habits de soie, se fait porterun luth sur une tour bien dégagée des fortifica-tions et ordonne, sous peine de châtiments exem-plaires, à chacun de vaquer calmement à sesoccupations comme si de rien n’était. La soldates-que se fera invisible, aucune préparation aucombat ne doit transparaître, et toutes les portesde la cité seront maintenues grandes ouvertes.Avant que les rumeurs de l’approche ennemie neparviennent, il a déjà entonné plusieurs chants,accompagné de son luth.

Confiant dans la victoire, Sima Yi apprend queZhuge Liang est concentré dans l’exécution depièces musicales complexes et se désintéresse del’agitation à l’entour, tout comme les habitants,apparemment peu concernés par les mouvementshostiles qui convergent vers la cité. Le bétail, pour-tant essentiel en temps de guerre, n’a même pasété rapatrié à l’intérieur des murs ! Par prudenceon ordonne un arrêt momentané de la progressionoffensive. Que se passe-t-il donc ? Au lieu d’unaffolement général, de fuite désordonnée ou dedispositions défensives, ce calme est trompeur.Zhuge Liang est trop fin stratège pour ne pascacher une ruse redoutable, mais où et commentla débusquer ? Le doute saisit les troupes habi-tuées à profiter de l’effroi et de la panique pours’engager dans des attaques animées par le

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courage confiant de qui sait la partie gagnée. Laperspective du butin facile se brouille et l’esprit degarde se propage déjà. Sima Yi a beau fouiller desa longue-vue remparts, portes et déclivitéspermettant de cacher des soldats, rien ne luipermet d’identifier l’artifice alors que Zhuge Liangs’est fait rejoindre par d’autres musiciens.

Par précaution, les troupes d’attaque reculent dequelques centaines de mètres. L’incertitude gran-dit alors que tout indiquait une conquête aisée.Paradoxalement, rien ne permet de déceler lamoindre crainte dans la cité. Quelques soldatsdéguisés en marchands en reviennent pour témoi-gner que tout y est en ordre. Le doute paralyse lemouvement tant ce qui est observable estcontraire à la logique. Sur la tour, ce damné deZhuge Liang se fait à présent servir le thé etrejoindre par quelques courtisanes alors que lesoir s’annonce. Le piège ne manquera pas de sedéclencher une fois l’obscurité tombée, conclutSima Yi qui se décide immédiatement à la retraite !

Une situation de dernière extrémité signifieretraite impossible, combat fatal, ou… ruse délibé-rément très osée. Comment, dans un vrai dénue-ment, ne pas se laisser imposer le jeu parl’adversaire ? Comment prendre une initiative dedéfense alors que la balance des moyens est sidéfavorable ? Le stratagème de la déception para-doxale consiste, non pas à s’efforcer de paraître plusfort et menaçant que l’on est, mais plus faibleencore que dans la réalité. Dans l’incapacité deconcevoir un plan d’action classique (Zheng) crédi-

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ble, cette option Ji dispose l’adversaire de telle sortequ’il conçoive et accrédite lui-même l’existenced’un piège pour combler et donner forme au vide(yin) effrayant qu’il rencontre. En l’absence dedispositions visibles pour s’y confronter, l’attaquantse sent contraint de chercher et au besoin d’imagi-ner ce qu’il ne perçoit pas. Ce stratagème s’articuleen deux temps : ne rien afficher que l’autre attend,puis l’inciter par une mise en scène à inventer unemanigance qui n’existe pas, ce qui peut aussi leconduire à révéler ses propres craintes et vulnérabi-lités, en l’occurrence : la peur du savoir-faire straté-gique fameux de Zhuge Liang. Rien n’empêche,dans un troisième temps, de profiter du succès dustratagème pour réduire l’adversaire.

Lorsqu’une impuissance s’affiche au grand jour,alors qu’elle se trouve dans le plus extrême despérils, qui veut en venir à bout se voit privé d’unpoint d’appui pour l’exercice de sa supériorité. Enn’accordant aucune prise à la rage adverse et enl’ignorant souverainement, Zhuge Liang inocule levirus d’un doute d’autant plus redoutable qu’iln’est accrédité par rien ! Inversant les qualités et lesplaces respectives du réel et de l’apparent, de lapuissance et de la débilité, il induit une mutationdans la perception adverse. La vulnérabilité suprêmese transforme en la plus dérangeante des intimida-tions pour aboutir à une dissuasion d’autant plusdécisive que non manifestée ! Cette posture décon-certe et déstabilise un agresseur en force qui y perd

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ses repères, sa confiance en l’élan et sa foi dans unevictoire à portée de main. Confronté à des signesparadoxaux, il subodore le piège, une manœuvre Ji(ce qui est vrai), et se heurte à la question impossi-ble du comment soumettre ce qui n’est ni discernéni estimable (mais qui n’existe pas). Où appliquerl’effort, où se diriger, où frapper, mais, beaucoupplus grave : où et comment se garder ? Une menaceinformelle et non localisée est susceptible des’actualiser n’importe où et de n’importe quellemanière. Pour s’en prémunir il convient par consé-quent de diviser ses moyens et d’abandonner uneposture exclusivement offensive.

Le plus machiavélique dans ce stratagème estque la définition de la nature, de la mesure et desformes du danger incombe… à l’agresseur lui-même ! Puisque l’agressé se décharge complète-ment de cette responsabilité, c’est à l’autre qu’ilrevient de pallier cette carence ! La stratégie étantaffaire d’interaction des volontés, si l’une d’entreelles se dérobe à son rôle, l’autre se doit decombler ce manque. Incapable d’action militairefaute de moyens, Zhuge Liang confie à Sima Yi lacharge de la conception d’un supposé stratagèmeà son encontre. L’impuissance, soulignée et assu-mée à l’extrême, se convertit en énergie occulte.Plus vraie que nature, elle fait naître l’angoissedans le camp qui précisément devait la semer, etl’agresseur perd le moyen d’apprécier et de mesu-rer la force qui lui est opposée.

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Comme dans toute dissuasion1, l’efficacité decette ruse résulte non tant d’une action premièresur l’autre mais d’abord sur soi-même ! ZhugeLiang n’offre aucun signe d’inquiétude ou de résis-tance. En agissant sur l’un des termes de l’interac-tion dans un sens apparemment incohérent, ilgénère le doute chez celui à qui le triomphesemblait promis à court terme. Les chances desuccès d’un tel coup de poker reposent sur unethéâtralisation confirmée. Le dispositif se fonde surla propension spontanée à se méfier de ce qui s’affi-che trop ouvertement ou que la mariée soit tropbelle pour être honnête. L’agresseur déduit l’exis-tence d’une manœuvre obscure (Ji) qu’il lui fautdébusquer avant qu’il ne soit trop tard. L’initiativechange de camp. L’absence de résistances visiblesn’offrant aucun point d’appui à l’offensive, Sima Yise retire pour sauver l’essentiel ! Les killing applica-tions, qui confient au client l’administration de sescommandes, sont une illustration de ce stratagème.L’usage des technologies de l’information et de lacommunication, allège considérablement les coûtset charges de la gestion des transactions au profitd’une relation directe régie par la demande elle-même.

Le stratagème de la ville vide peut aussi s’appli-quer à la séduction. Dans ce domaine de « la

1. Voir Fayard Pierre, La maîtrise de l’interaction, Zéro HeureÉditions, Paris, 2000.

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drague », les termes, attitudes, conventions etapproches sont tellement attendues et codifiéesqu’elles ouvrent des avenues à la pratique du para-doxe. Le schématisme de la conquête des cœurs estsi enfantin que s’en prémunir ou le déjouer est tropaisé ! La répartition des rôles y est figée, soit àl’opposée de la créativité tactique. La représenta-tion d’une séduction centrée sur la figure du héros,homme ou femme, exhibant ses atouts et soumet-tant sa cible est d’une pauvreté lamentable etprimaire, pour ne pas dire primate, qui fait fi de larichesse de l’autre, être autonome, volontaire, dési-rant, imaginatif et inventif. En termes d’économiedes forces, cela revient à ne compter que sur lamoitié du potentiel d’une interaction rabattue à lacaricature d’une relation sujet-objet !

Aller à vide en la matière consiste à laisser àl’autre le soin d’indiquer et d’expliciter lui, ou elle-même, les formes et les chemins de son désir dansun espace non prédéterminé. Toute relationhumaine étant par nature interactive, elle estsoumise à la dynamique du yin et du yang s’attirantet se donnant naissance l’un et l’autre. Plutôt qued’appliquer de l’extérieur une stratégie sur unecible, laisser le champ libre à l’expression de celle-cifinit par l’impliquer d’autant plus fortement qu’ils’agit d’elle, de ses aspirations, de ses goûts ou deses fantasmes… En d’autres termes, lui laisser lepinceau et la palette de couleurs en lui présentantla toile d’une réceptivité idéale où elle se trouvera

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bientôt trop impliquée pour se dérober. Etcomment résister à la perspective de ses désirspossibles, jusqu’à ceux que l’on ignorait ?

Dans la mesure où elle permet de saisir en sous-main l’initiative des opérations, Sun Tzu recom-mande la pratique systématique de cette inversion.Donner à croire que l’on pense loin quand on viseprès, paraître débile lorsqu’on est robuste…toujours dans le but, économique, de gagner àmoindre coût du fait des dispositions inadéquatesadverses. Éviter la prévisibilité passe par le monito-ring de l’esprit ennemi, question centrale ! Aucours d’une discussion d’affaire, laisser penser quetout va bien et que la cause progresse. La confianceest d’autant bienvenue que la situation semblaitfort complexe. Le partenaire se trouve dépourvu,saisi en plein relâchement, lorsque le stratège repartà l’offensive en termes durs. Dans le cas de la villevide, la ruse s’appuie sur la propension commune àne pas se fier à une faiblesse reconnue au grandjour. Un procédé visible et trop grossier ne sauraitêtre innocent. Trop beau pour être vrai !

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CONCLUSION

GRANDEUR DE LA FUITE

Une bonne retraite vaut mieux qu’un mauvais combat.Proverbe chinois

La Longue Marche – Sauver les meubles !

our conclure ce voyage au cœur de la culturedu stratagème dans le monde chinois tradi-

tionnel, faisons une ultime référence au trente-sixième d’entre eux qui conduit à l’essence de laruse : l’économie. Mettre à l’abri ses moyenslorsqu’il n’existe pas d’autre solution est la suprêmepolitique. Pour les Chinois, il s’agit là du stratagème

La fuite est la suprême politique / La fuite est lestratagème suprême / Faire des concessions pourmieux l’emporter ultérieurement / When retreat isthe best / Retreat is the best option / Sometimesretreat is the best option / Running away as thebest choice / Retirarse

P

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des stratagèmes car l’entêtement est coupable.Acculé, et dans une situation sans espoir, Mao TseToung initia la Longue Marche pour sauver ce quipouvait l’être en se mettant hors de portée physi-que de ses ennemis. En se dérobant à une interac-tion funeste dans ses effets, ce recul lui a permis deprendre ultérieurement un nouvel élan. Le coût dela manœuvre fut élevé mais créa les conditions d’unrenouveau qui submergea à terme le camp nationa-liste et assura la victoire de l’Armée Rouge. Au lieude mourir en héros, le leader chinois s’est soustraità la prégnance de l’initiative adverse. Il s’estcomporté comme un sage plutôt que comme unhéros qui meurt au combat et dont la saga nourrirales histoires que l’on se raconte : s’il avait gagné,l’histoire aurait peut-être pris un autre tour…

Lorsque se battre ou se rendre mène également àl’échec, à l’humiliation, voire à la disparition pureet simple, survivre et en assurer les conditionsdevient un impératif, car le bon sens veut que lestratège agisse pour réussir et non pour perdre.L’héroïsme est une criminelle imbécillité selon SunTzu s’il ouvre à une issue fatale et sans avenir.Envers et contre tout et quelles que soient lesconditions, le stratagème trente-six enseigne qu’il ya toujours moyen d’agir et de faire quelque choselorsque l’on garde l’esprit libre.

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Tout au long de ce livre, nous espérons avoiraidé à la compréhension du comportement stratégi-que propre à la culture du stratagème dans saversion chinoise. Celui-ci est fait d’idées si simplesqu’il faut les méditer à maintes reprises afin deparvenir à les intégrer dans sa pratique. Il incite àraisonner globalement, sans se limiter aux termesd’une situation isolée ou à la considération exclu-sive des seuls protagonistes en conflit. Ce faisant, ilouvre à des marges de manœuvre favorables à lacréativité. Il est aujourd’hui d’autant plus utile depenser grand et diversifié que le champ de lamondialisation, non seulement y est propice, maisnous y contraint. Cependant, cette dimension del’espace n’est pas la seule pertinente pour le strata-gème, il convient d’y ajouter celle du temps quitransforme et dont on peut se faire un allié commeil a été démontré dans ces pages.

L’inversion des contraires et l’action paradoxalecaractérisent aussi cette pensée chinoise tradition-nelle de la stratégie. Générateurs de liberté, ilss’opposent souvent aux comportements spontanéset à ce que l’on pense être la logique des choses.Enfin, la culture du stratagème incite à se distancierou à se décentrer de son propre point de vue, afinde le considérer dans le cadre d’un champ plusvaste et de faire de même pour le jeu des autresacteurs. Cette indispensable intelligence représentel’une des conditions de la conduite de l’interactiondes volontés.

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218 CONCLUSION

L’étude du stratagème ouvre à des capacitésinsoupçonnées et nous ne voudrions pas terminercet ouvrage sans insister à nouveau sur le fait que lastratégie est créative par nature, même dans ladestruction. Lorsqu’elle est couronnée de succès,elle fait toujours appel à l’imagination. Elle existeparce que nous sommes des êtres volontaires tantau niveau individuel que collectif. C’est pourquoi ilserait coupable de ne pas l’étudier dans ce qu’elleest et dans tout l’éventail de ses capacités.

Le lecteur a pu découvrir dans cet ouvrage quel-ques exemples de manipulations et autres manigan-ces que l’on peut identifier dans la vie quotidienne.Par la suite, chacun est libre de ses valeurs, de seschoix, de ses modalités d’action et d’en tirer lesconséquences. Au-delà du comment atteindre sesfins à moindre coût, la culture chinoise du strata-gème est une voie de sagesse qui considère le courtterme à partir de tout le potentiel du long terme etdes transformations inévitables qui l’accompa-gnent. D’aucuns aiment y lire un chemin pourtenter de mieux penser, de mieux vivre et d’assu-mer ses responsabilités dans un monde riche enpossibilités. Le plus bel enseignement de la straté-gie est sans doute que la liberté ne saurait jamaisêtre totalement réduite. Elle demeure toujours àl’état de graine et c’est déjà du potentiel !…

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TABLEAU SYNOPTIQUE DES STRATAGÈMES,DE LEURS INTITULÉS

ET DES HISTOIRES QUI Y SONT ASSOCIÉES

I. Stratagèmes de l’emprise

1. Cacher dans la lumière / Mener l’Empereur enbateau. Ce qui est familier n’attire pas l’attention –La lettre volée d’Edgar Poe est visible, donc ellen’est pas secrète.

2. L’eau fuit les hauteurs / Encercler Wei poursauver Zhao. Construire la victoire en se réglant surles mouvements de l’ennemi – L’offensive de Wei surZhao crée l’opportunité d’une attaque dans le videde la défense de sa capitale.

3. Le potentiel des autres / Tuer avec une épéed’emprunt. Si tu veux réaliser quelque chose, fait ensorte que d’autres le fassent pour toi. – En accomplis-sant leur travail en toute bonne conscience, cher-cheurs, médecins et journalistes œuvrentobjectivement aux objectifs d’un groupe pharma-ceutique.

4. Les vases communicants / Attendre tranquille-ment un ennemi qui s’épuise. Le stratège attire

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l’ennemi, il ne se fait pas attirer par lui. – Le prési-dent sortant, candidat à sa réélection, attend queles prétendants épuisent leurs cartouches avant dese déclarer en connaissance de cause et de l’empor-ter.

5. Le chaos fertile / Piller les maisons qui brûlent.La première tâche consiste à se rendre invincible, lesoccasions de victoire sont fournies par les erreursadverses – Un politique ambitieux s’engage dans lecamp défait (vide) car plus porteur à terme quecelui de la victoire (plein).

6. La stratégie adore le vide / Mener grand bruit àl’Est pour attaquer à l’Ouest. Celui qui sait quandet où s’engager fait en sorte que l’autre ignore où etquand se défendre. – La cité assiégée impatiente, quiattend depuis longtemps de connaître la directionde l’offensive, n’est plus critique sur les signauxqu’elle reçoit enfin !

II. Stratégèmes du fil du rasoir

7. Créer à partir de rien / Transformer le mirage enréalité. Toute chose dans l’univers a été créée à partirde quelque chose qui vient du néant. – Le conseillerau chômage crée une illusion qui suscite unmouvement qui le rend riche puis indispensable.

8. Vaincre dans l’ombre / Montée discrète à ChenCang. Attaquer en pleine lumière, vaincre en secret. –Le Royaume de la Montagne fait ostensiblement

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réparer le pont de connexion avec le Royaume de laPlaine, puis l’envahit à partir d’un chemin escarpé.

9. Profiter de l’aveuglement / Observer l’incendiesur la berge en face. Le bon stratège maîtrise l’art dudélai. – Le Martin-pêcheur et l’huître s’obstinentdans leur affrontement, la chouette et les crevettesles dévorent à la fin.

10. Le sourire du tigre / Cacher une épée dans unsourire. La bouche est aussi douce que le miel, maisl’estomac est aussi dangereux que le sabre. – Le dicta-teur fait exécuter publiquement qui lui conseilled’attaquer son voisin, puis annexe celui-ci.

11. Qui sait perdre gagne / Sacrifier le prunierpour sauver le pêcher. Sacrifier les détails pour réali-ser de grands desseins. – Le sacrifice consenti dufaible annule la force majeure adverse et crée lesconditions de la victoire.

12. La chance se construit / Emmener un mouton enpassant. L’occasion fait le larron. – Le candidat stagiaireadapte sa proposition en fonction de l’actualité del’entreprise qu’il découvre.

III. Stratagèmes d’attaque

13. La pince des louanges / Battre l’herbe pourdébusquer le serpent. Faire s’envoler avec des louan-ges puis saisir par des pinces. – En qualifiant decheval le cerf qu’il offre au roi, le comploteurcompte ses alliés à la cour.

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14. Le potentiel du passé / Redonner vie à uncadavre. Celui qui peut agir ne se laisse pas manipu-ler. Celui qui ne peut plus rien faire supplie qu’onl’utilise. – Visitée en rêve, Jérusalem devient unecité sainte de la nouvelle religion.15. La victoire par la situation / Amener le tigre àquitter la montagne. Le général ne demande pas lavictoire à ses soldats mais à la situation. – Xénophondispose le reste de ses troupes le dos à la montagnepour vaincre psychologiquement les Perses.16. Lâcher pour saisir / Laisser courir pour mieuxsaisir. Avant de détruire, il faut construire ; avantd’affaiblir, il faut consolider ; avant de prendre, ilfaut donner. – Une brèche dans un siège crée unespoir grandissant qui affaiblit la volonté des encer-clés d’en découdre.17. Du plomb pour de l’or / Jeter une brique pourramasser du jade. Octroyer un avantage momentanépour assurer une victoire durable ultérieure. – Enséduisant la secrétaire, le chercheur obscur prendrendez-vous avec une sommité scientifique.18. Le poisson pourrit par la tête / Pour capturerles bandits, mettez d’abord la main sur leur chef.Modeler l’esprit du général adverse. – En s’associantaux malades, le groupe pharmaceutique acquiert laconnaissance tacite de leurs affections.

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IV. Stratagèmes de la dernière extrémité

19. Travailler en montagne / Retirer les bûchessous le chaudron. La faiblesse l’emporte sur la force –Le sage africain voit les racines du baobab, le repor-ter français décrit son tronc et ses branches.20. La confusion opportune / Troubler l’eau pourattraper les poissons. Les temps difficiles créent leshéros – En prenant la cause du braqueur, unecliente sauve ses économies.21. Enrôler la force adverse / Orner de fleurs unarbre sec. En l’absence de troupes, utilise celle de tonennemi. Les gnous détalent devant le Renardaccompagné docilement par le Lion.22. Rendre l’inutile indispensable / Échanger lesplaces de l’hôte et de l’invité. Rien ne se perd, rien nese crée, tout se transforme. Le presque SDF crée sonstatut en remplissant les vides dans la gestion deson amphitryon.23. La faveur fatale / Stratagème de la belle. Un pasen arrière crée les conditions d’un bond futur – Enaccordant des faveurs qu’il n’est pas en mesure derefuser, le président qui a perdu les électionsreprend l’initiative.24. La déception paradoxale / Stratagème de laville vide. Lorsque le roi est nu, parader est le seulatout qui lui reste – À l’approche d’une armée enne-mie à la supériorité écrasante, le général laisse lesportes de la cité grandes ouvertes et s’en va jouer duluth sur la plus haute tour.

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224 COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU

Conclusion

25. Grandeur de la fuite / La fuite est la suprêmepolitique. Une bonne retraite vaut mieux qu’unmauvais combat. – Acculé, Mao Tse Toung s’engagedans une longue marche qui lui assure les moyensd’une renaissance future.

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Achevé d’imprimer sur les presses de SNEL Grafics saZ.I. des Hauts-Sarts - Zone 3 – Rue Fond des Fourches 21 – B-4041 Vottem (Herstal)

Tél +32(0)4 344 65 60 - Fax +32(0)4 286 99 61 — Septembre 2007 – 42844

Dépôt légal de la 1re édition : août 2004Dépôt légal : septembre 2007

Imprimé en Belgique

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La stratégie est comme l’eau qui fuit les hauteurs et remplitles creux…Cette citation est extraite du plus ancien traité destratégie, L’Art de la guerre de Sun Tzu, livre de chevetd’un nombre croissant de décideurs dans le monde.Trop souvent, cependant, il est malaisé de dépasser lesformules imagées du texte et d’accéder au cœur decette philosophie pratique. L’objectif de cet ouvrage estde fournir des clés pour comprendre et mettre en œuvreles préceptes d’action contenus dans cette sagesseancienne. Il présente :• une introduction générale à la pensée stratégique

chinoise,• la description de 25 stratagèmes traditionnels adaptés

et commentés par Sun Tzu, dont 6 nouveaux dans cetteédition enrichie,

• des exemples, classiques ou originaux, pour faciliterla compréhension des concepts chinois.

De cette culture stratégique ancestrale, le lecteur retiendral’intelligence des situations, l’éloge de l’astuce et de lacréativité, le décryptage des signes annonciateurs dechangement, le souci d’économie et la recherche del’harmonie… un ensemble de principes à mettre auservice de l’action professionnelle comme de la viepersonnelle.

Best seller : + de 15.000 ex vendus

P.FA

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Comprendre et appliquer

Sun Tzu La pensée stratégique chinoise :

une sagesse en action

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STRATÉGIES ET MANAGEMENT

2e éditionenrichie

Pierre FAYARD

Pierre Fayard

COMPRENDRE ET APPLIQUER SUN TZU La pensée stratégique chinoise :une sagesse en action

PIERRE FAYARD

Aïkidoka et professeur à l’Université de Poitiers, il est à l’origine du pôleintelligence économique del’Institut de la communicationet des nouvelles technologies. Ses recherches portent surl’approche comparée descultures de la stratégie.Actuellement directeur duCentre franco-brésilien dedocumentation scientifiqueet technique à Sao Paulo, il est l’auteur, chez le même éditeur, du :Le réveil du samouraï.

6655708ISBN 978-2-10-051329-1

2e éditionenrichie

2e

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