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1 Comportement individuel face au risque : nouveaux apports dans le cadre de la Prospect Theory Jacques Pelletan 1 Fondation du Risque Email : [email protected] Avril 2009 Résumé Appréhender le comportement des agents face au risque est une gageure depuis les multiples contestations dont fit l’objet le modèle d’Espérance d’Utilité. Cet article s’appuie sur le cadre de travail de la Prospect Theory initié par Kahneman et Tversky, en apportant un éclairage original à ce type de modèle dans le cas d’une imperfection informationnelle sur la probabilité d’occurrence du risque. Le modèle que nous proposons repose sur l’étude des interactions sociales. Les agents formulent des croyances successives sur les probabilités d’occurrence au sein d’un réseau. Pour cela, ils se fondent à la fois sur un signal partiellement informatif qui leur est propre et sur l’observation du comportement et, par là même, des croyances d’autrui. Il peut s’ensuivre alors un phénomène de cascade informationnelle, rationnel au niveau individuel, mais inefficient au niveau collectif. Ce travail, qui complète à la fois les travaux liés à l’évaluation du risque par les agents et ceux portant sur l’économie des interactions sociales est poursuivi par deux extensions : d’une part, en envisageant la possibilité, pour un même agent, de participer à plusieurs réseaux sociaux, c'est-à-dire de recouper les informations fournies par leur environnement ; d’autre part, en introduisant des agents ayant une confiance forte dans leur propre signal permettant de « casser » les cascades classiques et d’apporter de l’information supplémentaire au sein du réseau. Nous montrons alors que les comportements de ces deux types d’agents peuvent être coûteux au niveau individuel mais efficients au niveau collectif. Mots clés : Risque, Prospect Theory, imperfection informationnelle, réseaux sociaux. Classification JEL : D81, D83, D85. 1 Cet article s’appuie sur le cadre de travail développé dans ma Thèse. Je tiens à remercier tout particulièrement Jean-Hervé Lorenzi pour ses nombreux conseils. Mes remerciements vont également à Bertrand Villeneuve, Pierre Picard, Pierre Joxe, François Etner et Claude-Denys Fluet pour les commentaires qui ont permis une évolution de ces recherches. Que les participants au séminaire « interactions » du GREQAM, où cet article a été présenté, soient également remerciés pour m’avoir permis d’améliorer une version précédente.

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Comportement individuel face au risque : nouveaux apports dans le cadre de la Prospect Theory

Jacques Pelletan1 Fondation du Risque

Email : [email protected]

Avril 2009

Résumé Appréhender le comportement des agents face au risque est une gageure depuis les multiples contestations dont fit l’objet le modèle d’Espérance d’Utilité. Cet article s’appuie sur le cadre de travail de la Prospect Theory initié par Kahneman et Tversky, en apportant un éclairage original à ce type de modèle dans le cas d’une imperfection informationnelle sur la probabilité d’occurrence du risque. Le modèle que nous proposons repose sur l’étude des interactions sociales. Les agents formulent des croyances successives sur les probabilités d’occurrence au sein d’un réseau. Pour cela, ils se fondent à la fois sur un signal partiellement informatif qui leur est propre et sur l’observation du comportement et, par là même, des croyances d’autrui. Il peut s’ensuivre alors un phénomène de cascade informationnelle, rationnel au niveau individuel, mais inefficient au niveau collectif. Ce travail, qui complète à la fois les travaux liés à l’évaluation du risque par les agents et ceux portant sur l’économie des interactions sociales est poursuivi par deux extensions : d’une part, en envisageant la possibilité, pour un même agent, de participer à plusieurs réseaux sociaux, c'est-à-dire de recouper les informations fournies par leur environnement ; d’autre part, en introduisant des agents ayant une confiance forte dans leur propre signal permettant de « casser » les cascades classiques et d’apporter de l’information supplémentaire au sein du réseau. Nous montrons alors que les comportements de ces deux types d’agents peuvent être coûteux au niveau individuel mais efficients au niveau collectif. Mots clés : Risque, Prospect Theory, imperfection informationnelle, réseaux sociaux. Classification JEL : D81, D83, D85.

1 Cet article s’appuie sur le cadre de travail développé dans ma Thèse. Je tiens à remercier tout particulièrement Jean-Hervé Lorenzi pour ses nombreux conseils. Mes remerciements vont également à Bertrand Villeneuve, Pierre Picard, Pierre Joxe, François Etner et Claude-Denys Fluet pour les commentaires qui ont permis une évolution de ces recherches. Que les participants au séminaire « interactions » du GREQAM, où cet article a été présenté, soient également remerciés pour m’avoir permis d’améliorer une version précédente.

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Introduction La demande de sécurité a existé de tout temps, mais ses modes d’expression ainsi que les réponses apportées se sont profondément modifiés au cours des siècles. Une laïcisation, une individualisation des attentes, se sont faites jour, ce qui a conduit les populations à accorder de plus en plus d’importance aux dangers mettant en péril l’intégrité physique et matérielle. La notion de risque a remplacé celle de péril divin, devenant ainsi un sujet prêtant aux débats théoriques comme aux clivages politiques. Ulrich Beck en théorise le caractère central. Dans La société du risque, la répartition des risques a remplacé celle des richesses comme logique de segmentation de la société. Si la technologie a permis de réduire les risques naturels, tel n’est pas le cas des dangers d’origine humaine, dont la régulation est politiquement plus sensible. La difficulté à définir le risque, à la fois fait objectif et évaluation subjective renforce la sensibilité du sujet. Comme nous le disent Yates et Stone, « si nous lisons dix articles ou livres différents sur le risque, nous ne devons pas être surpris de voir le risque décrit de dix façons différentes »2. Certes, nous comprenons intuitivement qu’il y ait des risques qui sont acceptables et d’autres qui ne le sont pas mais, là encore, une définition rigoureuse des risques dits « acceptables »3 dépend du mode d’évaluation choisi. Slovic le souligne également : alors que les individus, dans les sociétés industrialisées ont des existences de plus en plus sûres, ils sont de plus en plus sensibles au risque et s’estiment de plus en plus vulnérables4. Les outils de modélisation offerts par la science économique permettent-ils de rendre compte de ce phénomène ? L’analyse du risque constitue aujourd’hui un préalable conceptuel et méthodologique à toute réflexion approfondie dans le domaine de l’assurance, de la stratégie d’entreprise, ou des politiques publiques. Pourtant, elle a longtemps été ignorée des penseurs et ne s’est imposée comme nécessaire que lorsque les exigences de sécurité se laïcisaient dans un mouvement de retour au terrestre. Avant, il s’agissait de péril – souvent divin – et aucune rationalisation réelle n’était recherchée. C’est le jeu qui a été – tardivement - le premier fil conducteur conduisant à une approche scientifique de la notion de risque à travers les travaux de Pascal et Fermat sur les probabilités. Ce n’est pas pour autant que les contingences furent ignorées jusque là, mais ce qui n’était pas prouvable par un raisonnement logique ne pouvait prétendre à une recherche scientifique : il y avait ainsi une nette séparation entre les exigences des différents domaines intellectuels. Le risque, caractéristique par excellence d’une vérité non actualisée, ne pouvait prétendre à cet intérêt. Il en fut de même à l’avènement du christianisme, pour lequel le hasard n’a pas de place : les intentions supérieures nous sont occultées, sans pour autant être des aléas. La religion musulmane n’a pas été plus prolixe en la matière. C’est seulement à la Renaissance qu’émergea véritablement la notion de risque et le concept de probabilité qui en est le noyau dur. Ces notions se développèrent, dans le contexte d’un véritable engouement pour les sciences et techniques. Une première remise en cause des outils utilisés succéda à cet engouement. Cela conduira notamment Knight à faire une distinction entre le risque (probabilisable) et l’incertain (non probabilisable) 5. Dans son ouvrage Risque, incertitude et profit, chaque cas est considéré comme si particulier que l’économiste ne veut en inférer une valeur de probabilité réelle 6.

2 Cf. Yates et Stone (1992). 3 Cf. Fischhoff et al (1981). 4 Cf. Slovic (1994). 5 Cf. Knight (1921). 6 Cf. Knight (1921).

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Keynes, dans le Traité des probabilités, critique également la possibilité d’évaluer une probabilité par la simple observation des fréquences passées. En cela, il va à l’encontre des précurseurs que furent Gauss, Laplace, Pascal ou Quételet, en méprisant la « la loi des gros nombres ». Plus fondamentalement, il repère les failles dans un mouvement qui vise à superposer l’évaluation du statisticien et celle de l’agent, considérant la seconde comme essentielle car fondée sur notre jugement7. En 1936, il va plus loin, en affirmant que la plupart de nos décisions résultent d’intuitions animales et non de la moyenne d’avantages pondérée par leurs probabilités 8. La compréhension du comportement humain est précisément la gageure de John Von Neumann et Oskar Morgenstern à l’origine de la théorie de l’espérance d’utilité9, qui bouleversa les théories du risque et constitue, encore aujourd’hui, un point de référence pour la compréhension et la gestion des aléas. Comme le souligne Etner, « Il fut alors convenu que chacun maximisait une espérance d’utilité à la façon de Bernouilli, ce qui permit d’analyser des domaines comme l’assurance, la finance, l’économie du travail et d’autres encore »10. Nous verrons en détail par la suite que cette théorie repose sur une fonction de représentation des préférences convaincante, laissant à la fois une place à l’avancée scientifique – probabiliser les événements de mieux en mieux – et à la subjectivité humaine – les utilités correspondant aux différentes issues sont propres à chaque individu. Plus tard, Savage étendra cette théorie en gommant la distinction faire par Keynes et Knight entre le risque et l’incertitude, associant aux secondes situations des probabilités subjectives : on dispose ainsi d’un nouvel horizon conceptuel11. Mais, en considérant, dans la même mesure ce qui est censé demeurer de l’ordre du scientifique – la connaissance des probabilités – et ce qui reste propre à la subjectivité humaine – l’évaluation des conséquences en jeu, on fait disparaître la distinction essentielle entre l’évaluation des événements réellement observés et celle qui en est faite par les agents, cette dernière gouvernant leur comportement. Suite aux nombreuses remises en cause dont firent l’objet ces apports théoriques, les modèles alternatifs visant à cerner le comportement des agents face au risque ont foisonné ces dernières décennies. Ces réflexions ont donné, et donneront de plus en plus, lieu à des multiples applications que ce soit dans la sphère publique ou privée. Dans cet article, nous examinerons brièvement, dans une première section, le rôle décisif joué par le critère EU dans l’appréhension du comportement des agents face au risque. Nous retracerons ainsi ses fondements et ses échecs, avant de brosser, dans une deuxième section, les propositions de modélisations alternatives qui firent suite aux nombreuses remises en cause de ce paradigme. En particulier, nous mettrons l’accent sur les horizons ouverts par la Prospect Theory. Puis, nous étudierons plus précisément, dans la troisième section, la question des imperfections informationnelles dans le processus d’évaluation du risque par les agents, en considérant que ces derniers tirent - pour partie - leur information de leur environnement social.

7 Cf. Keynes (1921). 8 Cf. Keynes (1936). 9 Cf. Von Neumann et Morgenstern (1944). 10 Cf. Etner (2000), p.175. 11 Cf. Savage (1954).

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1 - L’inaptitude du modèle EU à rendre compte de l’évaluation du risque par les agents Après les temps de relative ignorance vis-à-vis du risque, tout au moins comme objet mathématique et économique, le critère de l’espérance d’utilité, axiomatisé par Von Neumann et Morgenstern a donné une impulsion décisive à la théorie du risque. Le propos, formellement, est de trouver une fonction de valorisation :V Θ → ℝ , rendant compte du comportement de l’agent face au risque, telle que si , 'θ θ ∈Θ , alors :

( ) ( )' 'V Vθ θ θ θΘ≥ ⇔ ≥ .

1.1 - Une théorie « miracle », mais contestable Nous considérons l’aléa étudié comme une application de l’ensemble des états de la nature, noté S, vers l’ensemble des conséquences, noté ζ . Cela s’écrit formellement : :Sθ ζ→ . L’ensemble des états de la nature est muni d’une loi de probabilité considérée, dans un premier temps, connue par l’agent. Ses préférences sont représentées de manière large par la relation suivante : Θ≥ sur Θ , la relation de préférence stricte étant notée Θ≻ . Par ailleurs, il est possible d’associer à un risque θ une loi de probabilité notée P. La relation de préférence

Θ≥ induit alors sur l’ensemble des lois de probabilités à support fini dans ζ , noté Λ , une relation de préférence Λ≥ (en notant Λ≻ la préférence stricte et Λ∼ la relation d’indifférence). Le théorème de Von Neumann et Morgenstern (VNM) met en évidence que si Λ , muni de

Λ≥ satisfait aux axiomes de préordre total, de continuité et d’indépendance, alors il existe une fonction d’utilité U, représentant les préférences Λ≥ 12. En se donnant une loi de probabilité P, cette fonction peut s’écrire de la manière suivante : Dans le cas discret, en appelant ix chacune des conséquences possibles, de probabilité ip :

( ) ( )1

.n

i i

i

U P p u x=

=∑ , avec u application de ζ dans ℝ , continue, croissante et définie à une

transformation affine près. Dans le cas continu, en supposant P à support borné dans ℝ , et en

appelant f sa fonction de densité, la fonction d’utilité s’écrit : ( ) ( ) ( ).U P f x u x dx= ∫ℝ

. Ce

théorème permet ainsi, de donner une représentation cardinale des préférences des agents sur les lois de probabilité, correspondant à une représentation des préférences en situation de risque. En notant P la loi de probabilité associée à un risque θ ; P’ la loi associée à un risque

'θ , nous avons :

( ) ( ) ( ) ( )' ' ' 'P P U P U P U Uθ θ θ θΘ Λ≥ ⇔ ≥ ⇔ ≥ ⇔ ≥

Les auteurs formulaient ici une théorie séduisante, avec un formalisme épuré, permettant de déduire des résultats intéressants à partir de quelques axiomes portant sur les préférences et répondant, plus de deux siècles après sa formulation, au paradoxe de Saint-Pétersbourg de Bernoulli. Ce modèle présente la caractéristique de séparer le traitement des conséquences de 12 Voir Cohen et Tallon (2000), pour une présentation complète.

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celui des probabilités, afin de se concentrer sur l’attitude des individus à l’égard du risque. La fonction U a donc un double rôle : - elle exprime l’attitude du décideur vis-à-vis du risque - elle exprime la valorisation des conséquences dans le certain Il y a donc à la fois une place pour la subjectivité, à travers l’attitude face aux montants en jeu et l’appréciation des probabilités - si celles-ci ne sont pas parfaitement connues, et une place pour un développement scientifique de l’évaluation des risques, à travers notre connaissance des probabilités. Par ailleurs, cette théorie peut permettre de gommer la distinction entre des situations de « risque » et des situations « d’incertitudes ». Dans un contexte d’incertitude, la théorie de l’espérance subjective d’utilité repose sur des croyances représentables par des probabilités sur l’espace des états du monde et, sous l’hypothèse d’axiomes assez simples et intuitifs, Savage montre qu’il est possible de définir une mesure de probabilité cohérente – et propre à l’évaluation personnelle de l’agent - servant de fondement à une espérance d’utilité13. Une fois les croyances et les utilités identifiées, la théorie permet d’évaluer une décision en en calculant l’espérance « subjective » d’utilité, effaçant ainsi la frontière conceptuelle entre risque et incertain, tracée par Knight et Keynes. L’ensemble de ces opérations, séduisantes et pratiques, fut-il pour autant satisfaisant ? Peu après l’émergence de ce modèle, des critiques apparurent assez vite, notamment à partir d’expériences dans lesquelles les sujets révèlent des comportements en contradiction avec les modèles prédictifs, que ce soit en univers risqué 14 ou incertain 15. D’abord, en montrant que l’axiome d’indépendance peut être violé, Allais fragilise les fondements théoriques du modèle de VNM. Ensuite, on peut comprendre avec l’expérience d’Ellsberg que le risque et l’incertain n’ont en fait pas le même statut pour les agents, l’environnement incertain présentant une structure très particulière. En plus de ces violations expérimentales, le modèle EU a soulevé également plusieurs difficultés théoriques. D’abord, dans l’interprétation de la fonction d’utilité qui a, nous l’avons vu, un double rôle, représentant à la fois l’attitude de l’agent face au risque et face aux événements certains. Or, un même individu peut à la fois avoir une utilité marginale fortement décroissante et être faiblement averse au risque. Le modèle de VNM ne permet donc pas de rendre compte de cette distinction. Plus généralement, de nombreuses notions d’aversion pour le risque peuvent être définies, alors que ce type de modèle ne permet pas d’en rendre compte16. Le modèle d’espérance d’utilité, comme son extension en environnement incertain – l’espérance subjective d’utilité - furent donc confrontés à des mises en cause descriptives comme théoriques 17. 1.2 - Les principaux obstacles à la compréhension de l’évaluation du risque par les agents : cognition et émotion Le comportement de chaque agent face au risque est le produit d’une opération complexe, mettant en jeu des facteurs liés à l'environnement social comme à l’histoire personnelle. L’évaluation du risque est donc fondée sur une alchimie entre son fonctionnement personnel

13 Cf. Savage (1954). En se plaçant déjà dans une même logique, de Finetti (1937) avait montré qu’en proposant un nombre suffisant de paris à un décideur, il était possible d’extraire de ses choix une distribution de probabilités reflétant ses croyances. 14 Cf. Allais (1953). 15 Cf. Ellsberg (1961). 16 Cf. Chateauneuf, Cohen et Meilijson (1997). 17 Pour une analyse détaillée des questions soulevées par le modèle EU, voir notamment Machina (1987).

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et l’environnement dans lequel il est plongé. Cette vision des choses n’est pas nouvelle à proprement parler. Déjà, à la fin du 19ème siècle, Jevons puis Edgeworth voulaient fonder le calcul économique sur des lois psychologiques, s’inspirant en cela des travaux des allemands Fechner et Wundt. Deux sphères mentales traditionnellement distinguées scandent les modes d’évaluation et de décision individuels : la cognition et l’émotion, ces deux éléments étant générateurs de biais dans la théorie dominante. Le premier aspect qui fonde le comportement face au risque est la connaissance sur les probabilités et les conséquences des états du monde possibles. Or, dans un cadre incertain, les agents forment des croyances sans avoir toujours pour autant d’information précise. Pour cela, les individus comptent sur un nombre réduit de principes heuristiques qui réduisent l’ampleur de la tâche cognitive à des opérations de jugement plus simples. Kahneman et Tversky (1974) en relèvent trois grands types : l’heuristique de représentativité (lorsqu’un agent doit analyser une situation de risque, il le fait souvent en la rattachant à un ensemble de situations connues antérieurement et lui paraissant similaires) ; l’heuristique de disponibilité (l’évaluation du risque se fait à partir des informations qui nous viennent le plus facilement à l’esprit, c’est-à-dire les plus médiatisées, les plus saillantes ou les plus récentes) ; l’heuristique d’ancrage (l’estimation du risque se fait alors en partant d’un événement antérieur – portant le nom « d’ancre », pris comme point de référence et ajusté pour représenter la situation actuelle)18. L’heuristique de disponibilité, à présent bien documentée, montre en particulier que l’agent forme ses croyances sur les différents risques auxquels il fait face en se fondant sur peu d’information. Pour cela, il a souvent recours à l’environnement dans lequel il est plongé : ainsi, de fausses croyances peuvent se propager et créer une irrationalité collective, alors que chacun agent est individuellement rationnel19. Ces phénomènes peuvent expliquer, comme le montre Hirshleifer, à la fois la conformité et la fragilité des comportements humains20. Ce phénomène a été assez largement étudié sous le nom de « cascade informationnelle »21 . Nous le verrons plus en détail par la suite. Le rôle de l’émotion dans le comportement des individus et des groupes face à l’aléa est également prégnant. Il est certes difficile d’établir une frontière entre cognition et émotion. Si après Descartes, il était logique de penser l’âme et la raison en conflit permanent, les travaux des neurobiologistes ont permis de montrer que l’émotion jouait un rôle majeur dans la prise de décision rationnelle22. Plus, il a été montré que des personnes souffrant de lésions affectant les zones cérébrales liées à l’émotion avaient des problèmes dans la prise de décision rationnelle23. Par ailleurs, l’émotion – face au feu, par exemple, ou au bruit – peut constituer un signal permettant de se mettre à l’abri du danger. Finalement, si nous ne savons pas parfaitement comment se combinent les fonctions cognitives et affectives dans le cerveau, il est à présent bien connu que l’émotion est déterminante dans l’évaluation d’un risque. Ce trait est encore amplifié en fonction de l’environnement social : ainsi, on assiste bien souvent alors à une peur collective focalisée sur certains risques. Prenons l’exemple du risque de mortalité : le décès brutal est toujours considéré avec plus de peur par rapport aux morts naturelles, pour la raison évidente que le premier frappe l’imagination et suscite une vague d’émotion. Le terme « d’affect » est aussi fréquemment utilisé pour décrire ce phénomène. Il

18 Cf. Kahneman et Tversky (1974). 19 Cf. Hakes et Viscusi (1997). 20 Cf. Hirshleifer (1995). 21 Voir, à ce propos, les articles fondateurs de Banerjee (1992) ou Bickchandani, Hirshleifer et Welch (1992). 22 Voir notamment Changeux (1983, 2002). 23 Voir notamment Damasio (2001, 2003).

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traduit l'interaction entre le système émotionnel et la représentation que nous nous faisons des risques. Une série de travaux menés par l'équipe de Paul Slovic montre que l'affect est un facteur essentiel dans l'évaluation des risques et des bénéfices, donc un déterminant majeur des fonctions de valorisation et de pondération24. Nous le verrons, là encore, plus en détail par la suite. Les pistes théoriques permettant de surmonter les difficultés à la fois théoriques et descriptives du critère de VNM sont nombreuses. Sur quelles hypothèses reposent-elles ? Quels en sont les apports théoriques et pratiques ?

2 - Comment appréhender l’évaluation du risque par les agents ? L’approche expérimentale est souvent fondatrice pour véritablement cerner le comportement des agents face au risque. En effet, si la recherche sur le risque a longtemps consisté à partir d’axiomes et d’hypothèses pour fonder une théorie empiriquement plus ou moins vérifiable, tel n’est généralement plus le cas. En particulier, les travaux de Kahneman et Tversky, sur lesquels nous nous appuyons, partent d’observations expérimentales pour aller vers la théorie. L’expérience est donc bien souvent première en ce domaine. Elle peut répondre à trois types de motivations : - Trouver des expériences remettant en cause des modèles admis jusque là. Cette motivation

a notamment été essentielle dans les années qui suivirent l’élaboration du modèle EU. - Construire des modèles alternatifs à partir d’observations empiriques - Mener une observation systématique sans prétendre à formuler des modèles théoriques,

mais en trouvant une structure commune aux différents types de comportements. Cette troisième voie fut, par exemple, celle suivie par Machina pour déterminer la structure de risque à laquelle font face les agents dans les différentes situations rencontrées.25. De tels travaux s’inscrivent dans la lignée de l’école comportementale, qui ne se place plus dans le cadre d’une étude formelle, mais cherche une détermination de fonctions cognitives in situ26. Si nous poussons plus loin notre interrogation théorique, afin de voir quels sont aujourd’hui les modèles à même de constituer des alternatives au critère de l’espérance d’utilité, nous pouvons distinguer ceux qui reposent ou non sur la connaissance des probabilités d’occurrence. Le modèle dit « multi-prior » fait à la fois l’économie de l’axiome d’indépendance et des probabilités subjectives pour modéliser le comportement de l’individu face à l’aléa27. Les auteurs se placent dans le contexte d’un ensemble de conséquences à support fini et cherchent à formuler une évaluation en univers incertain. Sous l’Axiome d’indépendance certaine et l’ Axiome d’aversion pour l’incertitude que nous n’expliciterons pas ici 28(plus la condition de préordre total, de continuité et de monotonie), nous savons qu’il existe un ensemble de mesure de probabilité Ρ fermé et convexe, ainsi qu’une fonction d’utilité u tels que :

24 Cf. Slovic, Flynn et Layman (1991). 25 Cf. Machina (1982). 26 Voir notamment Edwards (1954, 1961), puis Newman 1982. 27 Cf. Gilboa et Schmeidler (1989). 28 Pour une présentation détaillée, voir notamment Cohen et Tallon (2000).

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min ( ) min ( )p p

P Q u P dp u Q dpΛ∈Ρ ∈Ρ

≥ ⇔ ≥∫ ∫ , la fonction u étant unique à une transformation

affine près. Cela signifie que l’agent compare deux situations d’incertitude en se fondant sur l’alternative la plus pessimiste. Si l’agent a un ensemble de croyances à priori (d’où le terme « multi-prior »), il calcule l’espérance d’utilité pour toutes les probabilités possibles et choisit le résultat minimum. Nous avons bien là l’illustration d’une grande aversion à l’incertitude : s’il doit agir face à un risque, le décideur choisira l’action qui minimise les catastrophes. D’autres approches ont été présentées pour les cas où l’agent connaît l’intervalle formé par deux valeurs 'p et ''p , à l’intérieur duquel se trouve la probabilité véritable p (on parle de probabilités imprécises). Sous l’hypothèse de quelques axiomes portant sur la distribution des probabilités, les deux probabilités extrêmes sont agrégées en se fondant sur l’indice de pessimisme – optimisme de Arrow et Hurwicz reflétant l’attitude individuelle vis-à-vis de l’ambiguïté, ce qui permet de formuler un critère d’évaluation 29. Il est alors possible de rendre compte des préférences des agents par un modèle qui s’apparente à celui de VNM. Il est donc très important de pourvoir cerner le comportement des agents face au risque dans les cas pour lesquels les probabilités ne sont pas connues parfaitement, comme nous le verrons plus précisément plus bas. Attachons-nous, dans un premier temps, au cas où ces probabilités sont connues. Nous privilégierons alors le cadre de travail de la Prospect Theory, initiée par Kahneman et Tversky, qui constitue un pas important dans les tentatives de compréhension du comportement des agents dans le risque. 2.1 - Le tournant de la Prospect Theory et ses évolutions La Prospect Theory constitue un tournant, et ce pour plusieurs raisons30. Par son apport théorique, d’abord. Aussi, parce qu’elle résulte d’un changement de paradigme déterminant dans l’approche du risque. Au lieu de partir d’une logique axiomatique fondant des théorèmes qu’il s’agirait de vérifier empiriquement par la suite, le cheminement se fait de l’observation vers les lois de comportements. Elle consiste en une double transformation : des probabilités d’occurrence des différents événements, d’abord ; des conséquences vécues, qu’il s’agisse des pertes ou des gains, d’autre part. Ces conséquences sont déterminées à partir d’un point de référence correspondant à la situation initiale. Les trois éléments clés sont alors les suivants : - Des conséquences définies par déviation par rapport à la situation initiale - Une fonction de valeur concave pour les gains et convexe pour les pertes, dont la pente est

plus grande pour les pertes que pour les gains - Une transformation non linéaire de l’échelle de probabilité, qui surévalue les événements

faiblement probables et sous évalue les événements plus probables Kahneman et Tversky modifient l’approche de VNM vue plus haut, en substituant à la fonction d'utilité classique une fonction de valorisation des pertes ou des gains notée v, et une fonction de transformation des probabilités aux probabilités objectives notée π 31. Dans le cadre de cette approche, nous obtenons la représentation suivante :

29 Cf. Jaffray (1989). 30 Cf. Kahneman et Tversky (1979). 31 L’introduction d’une fonction de transformation des probabilités doit également aux travaux d’Edwards (1962).

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( ) ( ) ( )1

.n

i i

i

V P p v xπ=

=∑

π(.) n’est pas une mesure de probabilité, mais une fonction continue, croissante et généralement non linéaire vérifiant : ( )0 0π = et ( )1 1π = . Expérimentalement, les auteurs

montrent que cette fonction est sous additive – c'est-à-dire vérifiant ( ) ( )1 1p pπ π+ − < - et

qu’elle conduit à surévaluer les petites probabilités - ( )p pπ > . La fonction v correspond à

une valorisation des conséquences de la part de l’agent. Elle est concave dans la région des gains et convexe dans la région des pertes 32, ce qui suppose auparavant la définition d’un point de référence à partir duquel on peut quantifier les déviations. Ce point de référence correspond à la situation initiale, avant que l’agent ne soit soumis au risque et vérifie :

( )0 0v = . Par ailleurs, la fonction v n'est pas symétrique, avec une pente plus prononcée dans

les pertes que dans les gains. La formalisation mise en place par Kahneman et Tversky constitue un cadre de travail permettant d’appréhender les comportements humains face au risque en les considérant non pas comme des biais, ni comme des « curiosités », mais comme des éléments constitutifs du processus individuel d’appréciation de l’aléa. Cette théorie présente d’abord l’avantage de conserver l’esprit du paradigme de l’espérance d’utilité, tout en relâchant une contrainte forte : l’attitude des individus n’est plus capturée par une seule fonction, mais par les deux fonctions v et π ce qui autorise une richesse des analyses impossible jusque là. La contrepartie de cette richesse est évidente : plus d’éléments doivent être connus si l’on veut mettre en pratique ce type de théorie. Du point de vue empirique, plusieurs comportements trouvent désormais une explication sans être taxés d’irrationalité : par exemple, nous savons que les agents ont souvent une propension à surestimer les faibles probabilités, ce qui conduit à la fois à une attraction pour l’assurance (le pire n’est jamais impossible) et à un goût pour le jeu (il est possible de gagner) 33. Ces travaux bénéficièrent dans les dernières décennies de nouveaux apports importants. D’abord, avec les modèles dits « non additifs » 34, qui mirent en évidence certaines difficultés propres à cette théorie 35, puis, par la prise en compte de cette nouvelle compréhension par les auteurs de la Prospect Theory eux-mêmes 36. Alors que l’une des faiblesses principales du modèle EU résidait dans l’axiome d’indépendance dont la vérification était très hypothétique, les modèles d’utilité dépendants du rang (RDU) sont généralement fondés sur l’axiome de la chose sûre comonotone dans le risque. Sous cet axiome et quelques autres que nous ne développerons pas ici, mais largement communs avec ceux appuyant le modèle de VNM, il est possible d’appréhender le comportement de l’agent face au risque à travers deux fonctions continues et croissantes. La première, u est une fonction d’utilité de type classique. La seconde, w s’apparente aux 32 Les auteurs nomment cette particularité, « effet de réflexion ». 33 Voir également Slovic et al. (1977). 34 La première version de ces modèles a été développées par Quiggin (1982). Yaari (1987), Segal (1987) ainsi que Chateauneuf et Wakker (1999) en ont proposé des variantes ou des généralisations. Dans le contexte des inégalités de revenus, pour l’étude desquelles le corpus théorique est connexe à celui du risque, on peut noter l’axiomatique présentée par Weymark (1981). 35 En particulier la possibilité du viol du principe de dominance stochastique du premier ordre, pourtant considéré comme un fondement essentiel de la rationalité. Pour cet aspect, voir notamment Cohen et Tallon (2000). 36 Cf. Kahneman et Tversky (1992).

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10

fonctions π déjà vues, mais s’appliquant aux probabilités cumulées et non aux probabilités prises ponctuellement. Elle est définie et prend ses valeurs sur [ ]0,1 . Par ailleurs, ( )0 0w = et ( )1 1w = . La

modélisation repose, dans une première étape, sur un classement des alternatives selon les conséquences et de manière croissante, de l’indice 1 à l’indice n. Il est alors possible de définir une fonctionnelle V rendant compte de l’évaluation du risque par les agents, sous la forme :

( ) ( ) ( ) ( )1

1 1

( ) ( ) . .n n n

j j i n n

i j i j i

V P w p w p u x w p u x−

= = = +

= − +

∑ ∑ ∑

Capitalisant sur ces travaux, des modèles « non additifs » ont été formulés en univers incertain, se fondant sur des axiomes analogues, en définissant notamment la notion de capacité sur des ensembles non probabilisés (univers incertain). On parle souvent de ces modèles sous le nom d’utilité « à la Choquet ». Nous ne rentrerons pas dans le détail de ces représentations dont l’esprit est très proche du modèle de Quiggin (1982), les capacités jouant un rôle analogue à celui de la fonction de transformation des probabilités cumulées. Dans une version ultérieure de la Prospect Theory, Kahneman et Tversky ont incorporé cette vision cumulative des probabilités tout en gardant les éléments clés de leur article précédent (comportement différencié dans les pertes et les gains, avec notamment une aversion aux pertes, fonctions de transformation des conséquences et des probabilités)37. Par ailleurs, ils ont établi expérimentalement une typologie des fonctions de transformation des probabilités et des conséquences. Ils formulent ainsi un cadre de travail unifié permettant de traiter les univers risqué comme incertain. La particularité essentielle de cette approche par rapport aux modèles classiques « non additifs » consiste en une distinction des conséquences positives et négatives, par un classement du rang de –m au rang n. La valeur que l’on cherche à évaluer est alors scindée en deux parties :

( ) ( ) ( )V P V P V P+ −= + , P+ et P− correspondant aux lois de probabilités portant sur les conséquences respectivement positives et négatives. On peut alors écrire :

0

( ) . ( )n

i i

i

V P v xπ ++

==∑ et

0

( ) . ( )i i

i m

V P v xπ −−

=−= ∑

En définissant les fonctions de pondération de la manière suivante :

( )n nw pπ + += ; ( )m mw pπ − −− −=

1

( ) ( )n n

i j j

j i j i

w p w pπ + + +

= = += −∑ ∑ pour [ ]0,..., 1i n∈ −

37 Cf. Kahneman et Tversky (1992). Pour une axiomatique détaillée de cette représentation, voir Wakker et Tversky (1993).

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11

1

( ) ( )i i

i j j

j m j m

w p w pπ −−

− −

=− =−= −∑ ∑ pour [ ]1 ,...,0i m∈ − .

Les deux fonctions w+ et w− sont strictement croissantes de l’intervalle unitaire vers lui-même, avec : ( ) ( )0 0 0w w+ −= = et ( ) ( )1 1 1w w+ −= = . Si l’on veut cerner de manière

empirique l’évaluation du risque par les agents, il est alors nécessaire de spécifier ces deux fonctions ainsi que la fonction de la valorisation des conséquences v. Kahneman et Tversky proposent les formulations suivantes pour ces deux types de fonctions :

( )( )

, 0

. , 0

x xv x

x x

α

βλ

≥ = − − ≤

( )( )( )

1

1

pw p

p p

γ

γγ γ

+ =+ −

( )( )( )

1

1

pw p

p p

δ

δδ δ

− =+ −

Par ailleurs, des estimations moyennes sont avancées38 :

0.88

2.25

0.61

0.69

α βλγδ

= ==

=

=

Les valeurs trouvées confirment les traits essentiels observés qualitativement : une attitude différenciée dans les pertes et les gains, avec notamment une aversion aux pertes (1λ > ), une sensibilité aux conséquences décroissante avec leurs valeurs absolues ( 1α β= < ). Enfin, et

c’est essentiel, une amplification des petites probabilités ( 1γ < et 1δ < ). Même si les paramètres ainsi évalués dépendent de chacun des agents et de leur insertion dans des réseaux sociaux (nous le verrons en détail dans la section suivante), ils confirment néanmoins des traits stables du comportement humain39.

38 Les quelques études empiriques effectuées jusqu’à présent sur les fonctions de transformation des probabilités donnent sensiblement les mêmes valeurs pour le paramètre γ . Voir notamment Camerer et Ho (1991). 39 Il a cependant été montré, pour des événements rares, dans le cas de décisions fondées sur l’expérience – et non la description du risque et des probabilités – que les agents peuvent se comporter comme s’ils sous estimaient les petites probabilités. Voir notamment Hertwig et al. (2004). Nous ne nous placerons pas dans le cadre de cette hypothèse, en considérant plutôt que les agents formulent des croyances en se fondant sur la description , qu’il s’agisse de leur propre signal ou des croyances de leur entourage.

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12

Nous souhaitons nous attacher ici au cas d’un aléa négatif, pouvant survenir avec une probabilité p. Dès lors, l’un des apports fondamentaux des travaux précédents, réside dans la déformation des petites probabilités, sous la forme suivante, pour une probabilité p connue :

( )( )( )

1

1

pw p

p p

δ

δδ δ

− =+ −

Plus le paramètre noté δ est faible, plus les probabilités données aux agents seront amplifiées dans leur évaluation subjective. Par ailleurs, nous savons, comme le soulignent les auteurs, que « les fonctions de pondération en univers incertain et en univers risqué diffèrent de manière importante »40. Ces éléments peuvent conduire à des fonctions de pondération beaucoup plus grandes – ou, au contraire, plus faibles - qu’en univers risqué. Ce trait peut être représenté par un paramètre δ plus faible que dans les cas où la probabilité est connue. Voyons plus précisément quels peuvent être les modes de comportement lorsqu’il existe une imprécision sur les probabilités d’occurrence du risque étudié.

3 - Des croyances hétérogènes en univers incertain Pourquoi certains risques sont-ils systématiquement surévalués et d’autres sous-évalués ? En présence d’imperfection informationnelle, il nous faut d’abord envisager une hétérogénéité des croyances sur les probabilités, qui apparaît à la fois fondamentale et difficile à cerner41. Cette hétérogénéité des croyances peut se dissiper par le partage des informations entre les agents, conduisant parfois à une estimation largement homogène et biaisée du risque. Pour le voir plus précisément, supposons que la probabilité puisse prendre deux valeurs, l’une faible - 'p - et l’autre élevée - ''p . Pour un même risque et une même probabilité d’occurrence, les croyances peuvent alors être différentes dès lors qu’il existe une imprécision sur la véritable probabilité d’occurrence. Nous supposerons dans ce qui suit que la véritable probabilité est en fait égale à 'p . Chaque individu formule donc une croyance sur la probabilité - 'p ou ''p - et adopte un comportement rationnel à partir de cette croyance. Ainsi, une partie de la population évaluera correctement la probabilité, alors qu’une autre partie surestimera le risque, ce qui peut être appréhendé à travers un paramètre δ faible. Le cas inverse, conduisant à une sous estimation des risques, est symétrique et notre modélisation ne réduit donc pas la généralité de la question. Ces éléments semblent relativement intuitifs : comme le rappellent Kahneman et Tversky, l’évaluation du risque par les agents est un processus contingent42. Les heuristiques qu’ils mettent en évidence sont commodes, mais provoquent des biais dans l’estimation43. Ces biais ne sont pas létaux pour autant : les individus peuvent fort bien réussir sans acquérir d’habileté particulière dans l’évaluation du risque. Il nous faut donc comprendre comment l’agent forme la probabilité sur laquelle il fonde son évaluation dans un contexte d’imperfection informationnelle44. Cet élément, qui constitue un biais, limite la portée de cette évaluation 40 Cf. Kahneman et Tversky (1992), p. 316. 41 Cf. Arrow (2004). 42 Cf. Kahneman et Tversky (1992). 43 Cf. Kahneman et Tversky (1974). 44 Voir également sur le sujet Hakes et Viscusi (1997).

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comme fondatrice d’une politique publique. Nous proposons, dans la section suivante, une vision originale de modélisation des croyances qui s’appuie sur les cascades informationnelles, dans un contexte d’imperfection informationnelle. Une cascade informationnelle est un phénomène dans lequel les individus en viennent à ignorer leur propre signal en reproduisant le comportement, jugé plus informatif, de ceux qui les entourent. Cet apport théorique n’a pas prétention à fournir une détermination quantitative « clé en main » du niveau de l’évaluation des risques par les agents mais, bien plutôt, à proposer un éclairage qui tienne compte des particularités d’un agent plongé dans son environnement social45.

3.1 - Modèle explicatif de l’hétérogénéité des croyances Dans un cadre d’information imparfaite, nous considérons que les agents formulent successivement des croyances sur la probabilité d’occurrence. En fonction de ces croyances, ils adoptent un comportement rationnel face au risque. Dès lors, les agents suivants peuvent inférer – par l’observation de ce comportement – les croyances formulées. Ainsi, chaque individu reçoit un signal partiellement informatif sur la probabilité et observe les croyances de ceux qui le précèdent. Les individus peuvent alors ignorer leur propre signal pour suivre les croyances d’autrui. Ce comportement, qui est rationnel au niveau individuel, conduit en fait à une destruction d’information46. Le cadre général sur lequel nous nous appuyons est en partie connu47, mais nous proposerons trois approches différentes qui constituent des extensions. Chacun des agents reçoit un signal, partiellement informatif, sur la probabilité d’occurrence p

du risque étudié. La probabilité que ce signal donne la bonne information est égale à 1

2q ≥ .

L’information est donc erronée avec la probabilité complémentaire1

12

q− ≤ . Les agents

formulent successivement des croyances sur la probabilité d’occurrence, chacun observant les comportements des individus placés avant lui dans le réseau, mais pas leurs signaux. C’est ainsi que peuvent apparaître des comportements moutonniers : il suffit que les deux premiers adoptent un comportement reflétant la même croyance sur la probabilité pour que tous les suivants l’adoptent également : on parle alors de cascade informationnelle. Examinons, après n individus, les probabilités qu’il n’y ait pas de cascade informationnelle ; qu’il y en ait une correcte ; qu’il y en ait une incorrecte. Dans ce modèle simplifié, il n’y a possibilité de cascade nouvelle qu’après un nombre pair de protagonistes. Chaque agent inférant les croyances de tous ceux qui précèdent, il ne décidera d’ignorer son signal que s’il constate qu’avant lui, le nombre d’agents ayant formulé une croyance dépasse au moins de deux celui des agents ayant formulé l’autre croyance. Si le nombre de prédécesseurs est impair, cette différence ne peut être paire. Si elle est égale à 1, il n’y a pas encore de cascade informationnelle : l’agent écoutera son signal. Si elle est

45 Le rôle de l’environnement social dans l’évaluation du risque en présence d’imperfection informationnelle a été fort peu traité. Kuran et Sunstein (1999) mettent l’accent sur l’heuristique de disponibilité déjà formulée par Kahneman et Tversky (1974) : un risque est plus présent à l’esprit et, par là même, considéré comme plus plausible s’il est fréquemment abordé dans les discussions. Cet effet d’amplification sociale présente également une parenté avec les travaux de Moscovici et Zavalloni (1969) sur la « polarisation des groupes » : ils montrent que le processus de délibération sociale peut conduire les individus à radicaliser leur vision. 46 Voir, notamment, Bickchandani, Hirshleifer et Welch (1992) ; Banerjee (1992) ; Bernheim (1994). 47 Ce cadre est inspiré du modèle de Bickchandani, Hirshleifer et Welch (1992), mais n’a jamais été mobilisé dans le cadre de l’Economie du risque.

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supérieure ou égale à 3, la cascade n’est pas « nouvelle », l’agent précédant ayant déjà ignoré son propre signal. Pour qu’il n’y ait pas de cascade, il faut que le signal reçu par un agent soit contraire à celui reçu par l’agent qui le précède. Cela arrive, pour deux agents, avec une

probabilité ( )qq −1..2 . Pour qu’il n’y ait pas de cascade après n agents, il faut que ce schéma se reproduise 2n fois. La probabilité qu’il n’y ait pas de cascade après n agents (NC) est donc :

( )( )21..2n

nc qqP −= On calcule également les probabilités que les cascades soient informatrices ou non sur la véritable probabilité d’occurrence du risque. La probabilité d’avoir une cascade correcte (CC) est obtenue en faisant la somme des probabilités qu’elle apparaisse après chacun des agents, et ce jusqu’à l’agent n. On peut l’écrire :

( )( ) ( )( ) 212

22 .1..2....1..2 qqqqqqqPn

bc−−++−+= , soit encore :

( )( )

−= ∑−

=

12

0

2 1..2.

n

k

kbc qqqP

, ce qui donne finalement :

( )( )( )( )

( )( )( )22

22

22

1

1..21.

1..21

1..21.

qq

qqq

qq

qqqP

nn

bc

−+

−−=

−−−−=

La probabilité d’avoir une cascade incorrecte (CI) est obtenue en faisant la somme des probabilités qu’elle apparaisse après chacun des agents, et ce jusqu’à l’agent n. On peut l’écrire :

( ) ( )( )

( )22

22

1

1..21.1

qq

qqqP

n

mc

−+

−−−=

Si l’on ne considère que le cas dans lequel le nombre d’agents dans le réseau est très grand, nous observons nécessairement une cascade lors du passage à la limite car ( )2. . 1 1q q− < .

Celle-ci est informative sur la véritable probabilité d’occurrence avec une probabilité :

( )22

2

1 qq

qfq

−+=

Elle est mauvaise avec la probabilité complémentaire :

( )( )22

2

1

11

qq

qfq

−+−=−

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Avec cette dernière probabilité, les agents surestimeront le risque, ce qui peut être caractérisé par un paramètre δ faible. Si la population observée comporte un grand nombre d’individus et de réseaux sociaux, alors d’après la loi des grands nombres, une proportion qf de la population évalue correctement la probabilité d’occurrence p, alors qu’une proportion complémentaire 1 qf− l’évaluera de façon biaisée sous une forme plus anxieuse que la réalité. Rappelons que ces biais collectifs ne sont pas dus à une inefficience individuelle. Chaque agent s’est comporté de manière à optimiser l’information dont il dispose sur un risque particulier. Néanmoins, il y a apparition d’une inefficience collective, qui peut être encore amplifiée si le comportement individuel n’est pas fondé sur une rationalité pure. En effet, nous avons vu plus haut que les facteurs émotionnels étaient déterminants dans la manière dont les agents appréhendent l’univers risqué ou incertain. Certains individus sont anxieux, d’autres anormalement insouciants face à certains types de risques. Or, ces agents ont le plus souvent tendance à se regrouper entre eux, ce qui accroît le biais de perception de façon systématique – c’est-à-dire non erratique. Dans le cas choisi, sans perte de généralité, nous avons la véritable probabilité qui prend une valeur faible – p’. Dès lors, réseaux d’individus anxieux amplifient leur propension à surestimer le risque. De même, des réseaux comportant des personnalités insouciantes ont largement tendance à sous estimer le risque lorsque la probabilité est haute. 3.2 - Ajout d’une destruction de l’information : l’ homophilie dans les réseaux Nous savons que des réseaux sociaux se forment entre des partenaires qui ont souvent des caractéristiques proches. C’est pour partie en raison de cette particularité que se diffusent le plus efficacement des idées, vraies ou fausses. On parle alors d’homophilie dans les réseaux48. Ce trait observé est appelé homophilie. Dans notre cas, nous considérerons que des réseaux se forment entre des partenaires qui présentent la même manière d’appréhender un risque donné – de manière insouciante ou anxieuse. Il faut préciser qu’il ne s’agit pas ici de confiance dans l’information, mais bien d’une confiance vis-à-vis du risque, qui gouverne la manière dont se construisent les cascades. Voyons alors les biais que nous voulons évoquer ici. - Alors que l’acuité du signal est de q, pour un individu rationnel, les anxieux perçoivent

l’acuité d’un signal sur une probabilité haute avec une acuité q+x ; d’un signal sur une probabilité basse avec une acuité q-x. Ainsi, ils donnent plus d’importance aux signaux pessimistes.

- Les insouciants perçoivent l’acuité d’un signal sur une probabilité haute avec une acuité q-x ; d’un signal sur une probabilité basse avec une acuité q+x. Ainsi, ils donnent plus d’importance aux signaux optimistes. On supposera x faible. Le mécanisme de décompte des signaux n’est donc pas modifié, mais il n’y a jamais d’indécision lorsque les nombres de signaux reçus dans les deux sens sont égaux.

A priori, quatre cas se présentent : une probabilité haute et un réseau d’anxieux ; une probabilité haute et un réseau d’insouciants ; une probabilité basse et un réseau d’anxieux ; une probabilité basse et un réseau d’insouciants. Les premier et quatrième cas sont en fait symétriques et nous avons pris l’exemple d’une probabilité réelle basse. Nous pouvons donc calculer les probabilités de cascades correctes et incorrectes pour des réseaux respectivement insouciants et anxieux. A ces deux types de réseaux correspondent donc deux probabilités distinctes 1qf et 2qf , d’obtenir des cascades correctes, les probabilités complémentaires étant

48 Voir notamment Sperber (1996) ou Mc Pherson, Smith-Lovin et Cook (2001).

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1- 1qf et 1- 2qf . Le premier cas est appelé « homophilies positives » dans la mesure où l’homophilie va dans le sens de la réalité ; dans le second cas, on parlera « d’homophilies négatives », l’homophilie allant dans le sens contraire à la réalité. Pour les réseaux d’insouciants, il faut et il suffit, pour qu’il y ait cascade, qu’un signal réellement informatif soit reçu par le premier, troisième, etc…agent. Ainsi, la probabilité qu’il y ait une cascade correcte s’écrit :

( ) ( ) kkbc qqqqqP .1....11 12 −−++−+= , et

( ) ( )1 2 1 2 1bc bcP n k P n k= = = −

On voit alors facilement que

11 nbc qP f→+∞

→ , avec

( )121

q qq

f fq q

= ≥− +

, et la probabilité complémentaire de cascade incorrecte, à la limite (la

probabilité d’abstention étant nulle) :

( )( )

2

12

11 1

1q q

qf f

q q

−− = ≤ −

− + .

Nous sommes ici dans le cas où le biais de perception des agents du réseau va dans le sens d’une plus grande acuité du signal (la véritable probabilité est basse et le réseaux est insouciant). On vérifie bien que la probabilité d’estimation correcte de la probabilité du risque est plus élevée que pour des agents rationnels. Pour les réseaux d’anxieux, on trouve de la même manière, à la limite :

( )2

221

q qq

f fq q

= ≤− +

, et la probabilité de cascade incorrecte complémentaire :

( )22

11 1

1q q

qf f

q q

−− = ≥ −− +

Nous sommes ici dans le cas où le biais de perception des agents du réseau va dans le sens d’une plus faible acuité du signal (la véritable probabilité est basse et le réseau est anxieux). On vérifie bien que la probabilité d’estimation correcte du profil évolutif du risque est plus faible que pour des agents rationnels. Voyons comment ces probabilités évoluent en fonction du paramètre q. B(M)CSH : bonne (mauvaise) cascade sans homophilie. Il s’agit ici du cas dans lequel il n’y a pas de modification par rapport à l’acuité q du signal. On trace alors les probabilités que la cascade informationnelle qui survient permette de connaître véritablement la probabilité d’occurrence du risque.

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B(M)CHP : bonne (mauvaise) cascade avec homophilie positive. Il s’agit du cas dans lequel il y a un regroupement d’individus insouciants (dans le cas d’une probabilité basse). B(M)CHN : bonne (mauvaise) cascade avec homophilie négative. Il s’agit du cas dans lequel il y a un regroupement d’individus anxieux (dans le cas d’une probabilité basse).

Figure 5 : variations de fq, fq1 et fq2 pour différentes valeurs de q

Figure 1 : Proportion de cascades correctes et incorrectes en présence d’homophilie

En réalité, dans une société, les proportions d’anxieux et d’insouciants sont difficiles à connaître ; elles gouvernent la part de la population qui surestime (ou sous estime) le risque d’occurrence. Si l’on appelle β la proportion d’insouciants, et 1-β celle d’anxieux, on peut écrire la part de la population estimant correctement la probabilité d’occurrence, dans le cas d’une probabilité d’occurrence réelle basse :

( ) ( )( )

2

3 1 22

. 1 .. 1 .

1q q q

q qf f f

q q

β ββ β

+ −= + − =

− +

Nous vérifions bien que l’on retrouve la probabilité initiale dès lors qu’il y a autant

d’insouciants que d’anxieux dans la population ( 12β = ) : graphiquement, on peut alors

constater que chacune des courbes – cascade réelle ou erronée – sans homophilie est toujours située au milieu de deux courbes présentant des homophilies respectivement dans le sens d’une plus grande et d’une plus faible acuité du signal reçu. Nous avons ainsi mis l’accent sur le rôle des biais d’appréhension du risque propres aux individus. Ils ont trait non seulement à une inefficience collective, mais aussi à l’émotion individuelle. Certains, appelés « anxieux » donnent plus de poids aux signaux inquiétants ; d’autres, appelés « insouciants », donnent plus de poids aux signaux rassurants. Cela peut expliquer pourquoi des pans entiers de la population surestiment ou sous estiment certaines classes de risques. Voyons à présent comment ces traits prégnants de polarisation peuvent être infléchis. Nous réfléchissons alors à deux types d’organisation fondées sur deux types

Probabilités des cascades obtenues dans différents cas

0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

0,5 0,55 0,6 0,65 0,7 0,75 0,8 0,85 0,9 0,95 1

Acuité du signal

BCSH

M CSH

BCHP

M CHP

BCHN

M CHN

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d’individus particuliers et analysons dans quelle mesure ces individus peuvent fournir des informations profitables à la collectivité. Rappelons que nous avons examiné le cas dans lequel chaque individu appartient à un unique réseau, dont le comportement permet d’inférer les croyances d’autrui à partir desquelles il tire des informations. Celles-ci peuvent être vraies ou fausses, mais conduisent nécessairement l’agent, lorsque le nombre d’agents devient très grand, à un comportement moutonnier dans l’évaluation de la probabilité d’occurrence du risque. Néanmoins, il peut être réducteur de considérer que chaque individu n’appartient qu’à un unique réseau, dont il suivrait à la lettre le comportement. Il importe, de notre point de vue, d’analyser le cas d’agents qui multiplient les insertions dans des réseaux très différents et faiblement interconnectés. Ils se comporteront alors comme des pivots qui, après avoir emmagasiné de l’information de sources diverses, peuvent la répercuter à la collectivité de manière profitable. 3.3 - Que se passe-t-il si un individu participe à plusieurs réseaux distincts ? Les agents qui participent à plusieurs réseaux distincts n’appréhendent pas le risque de la même manière que les autres. Par exemple, il a été montré que le mode d’insertion des agents dans les réseaux gouverne la perception du risque de criminalité. Les individus qui n’entretiennent des liens qu’avec un unique réseau fermé (qui comprend, dans le même cercle, les amis, la famille, les collègues, les loisirs…) ont une propension plus grande à surestimer ce risque. En revanche, l’ouverture des réseaux modifie la réaction par rapport au risque en acquérant plus d’information49. C’est ce phénomène, observé empiriquement, que l’on cherche ici à comprendre plus précisément. Considérons à présent qu’un même individu appartienne à plusieurs réseaux différents (n réseaux) : si nous admettons, là encore, que le nombre d’individus dans chaque réseau est très grand, il est possible d’affirmer qu’une cascade informationnelle survient dans tous les réseaux. Par suite, logiquement, l’agent aura plus d’information en confrontant les informations venant des différents réseaux auxquels il participe. S’il est rationnel, il formulera sa croyance en fonction de la majorité des cascades qu’il aura observées et adoptera un comportement en accord avec cette croyance. S’il y a le même nombre de comportements des deux types, l’individu suit son signal. Nous sommes donc dans un cas où les comportements peuvent être représentés à l’aide d’une loi binomiale de paramètres qf et n, si l’on considère qu’il n’y a pas de phénomène d’homophilie. Nous connaissons la probabilité que le nombre de cascades correctes soit égal à r. Elle s’écrit :

( ) ( ) ( ) rnq

rq ff

rnr

nr −−

−= 1.

!!

Nous en déduisons d’abord la probabilité pour qu’un individu suive son signal en ayant observé autant cascades de chaque type : Si n est pair, elle vaut :

49 Cf. Roché (1993).

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19

( )22 1.!

2!

2

!

2

n

q

n

q ffnn

nn −=

σ

Si n est impair, elle vaut 0. La probabilité que l’individu observant plusieurs cascades appréhende correctement la probabilité p d’occurrence du risque s’écrit alors : Si n est pair :

( ) ( ) ( )∑+=

−−−

=n

nr

rnq

rq ff

rnr

nnqg

12

1.!!

!,

Si n est impair :

( ) ( ) ( )∑+

=

−−−

=n

nr

rnq

rq ff

rnr

nnqg

2

1

1.!!

!,

Là encore, il est possible de déduire la probabilité que l’individu se trompe et considère que la probabilité d’occurrence du risque est supérieure (respectivement inférieure) par différence avec les probabilités précédentes. Regardons alors comment se comporte la fonction g en fonction de l’acuité du signal et du nombre de réseaux fréquentés :

Figure 2 : Variation de g(q,n) en fonction de ces deux paramètres

Dans le cas, comme nous l’avons vu jusque là, où qf est supérieure à ½, la fonction tend vers 1 pour n grand. En effet, selon la loi des grands nombres, la probabilité empirique (la part des cascades correctes) converge vers la probabilité théorique (la probabilité qu’une cascade donnée soit correcte) quand le nombre d’observation grandit. Formellement :

0,5 0,55

0,6 0,65

0,7 0,75

0,8 0,85

0,9 0,95

1 n=1

n=3 n=5 0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

Acuité du signal

Nombre de groupes fréquentés

Probabilité d’évaluer correctement la probabilité du risque

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20

2

1>q

n fn

r → +∞→

On en déduit

01

, , 0,2

qf nε µ∀ ≥ ≥ ∃ tel que, 0,n n∀ ≥ alors : ] [, 1q qr

P f fn

µ µ ε ∈ − + ≥ −

Ce qui permet de voir, en choisissant :

2

1−qf<µ

( ) 1, → +∞→nnqg

Nous avons donc vérifié formellement que la participation à plusieurs réseaux permet à l’individu de se faire une meilleure idée de la réalité du risque. Cette constatation, dans le cas d’une analyse des comportements en univers incertain, rejoint de nombreux travaux portant sur l’utilité des « liens faibles », qui permettent aux individus d’obtenir un surcroît d’information de la part de leur environnement social50. Il est alors possible – et souhaitable – que ces agents – notamment s’ils sont peu nombreux – répercutent l’information recoupée dont ils disposent de manière publique. Cela peut alors permettre de « casser » les cascades et d’améliorer l’acuité du signal que reçoivent les agents. Le rôle d’Internet dans une telle perspective pourrait alors, par exemple, constituer l’objet d’une recherche empirique future. Celle-ci inclurait alors un signal public dans le modèle. D’autres structures sont envisageables pour apporter une telle information. Elles sont là encore fondées sur des types d’agents présentant des caractéristiques particulières par rapport aux comportements moutonniers. 3.4 - Que se passe-t-il si une proportion non nulle des agents a une confiance excessive dans l’information ? Les personnes que nous appelons « confiantes » sont des agents qui mettent plus de poids sur leur propre information qu’une rationalité instrumentale bayésienne ne le dicte. Ainsi, même si le comportement collectif permet d’inférer des croyances, ces individus suivent de manière préférentielle leur propre signal. Leur comportement apparaît sous optimal au niveau individuel, mais peut permettre de casser des cascades et, par conséquent, d’apporter une information nouvelle au niveau collectif. Ainsi, une proportion non nulle de ces agents peut s’avérer optimale au niveau collectif si l’on veut appréhender correctement la probabilité d’occurrence d’un risque donné et mettre en place les actions de régulation les plus pertinentes. Nous supposons que la majorité des agents se comporte en accord avec le modèle que nous avons déjà posé. S’il n’y avait que ce type d’individus, à partir du moment où il y a cascade, il ne serait plus possible d’inférer le signal des agents, leur comportement étant indépendant de ce dernier. En revanche, les individus « confiants » sont plus sceptiques à propos de l’information externe et plus enthousiastes à propos de l’information interne ; leur propre information. Comment le comportement, individuel et collectif, en est-il modifié ?

50 Voir, en particulier Granovetter (1973).

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Nous pouvons dire, formellement, que tout se passe comme si les agents « confiants » croyaient – à tort – que la précision de leur signal est de 'q q> . Nous avons vu dans le cas général qu’il suffisait que les deux premiers individus adoptent la même croyance pour que tous les suivants l’adoptent également. Dans ce nouveau cadre, nous supposerons que k individus sont nécessaires (avec 2k > ) pour convaincre les agents excessivement confiants. Ainsi, si l’information apportée par la cascade est suffisamment forte, même les individus confiants suivent le comportement dit « moutonnier ». On peut discerner deux cas extrêmes : - Si 'q q= , alors tous les individus se comportent de façon bayésienne, avec k=2. - Si ' 1q = , alors l’état dit est dit « critique » et k = +∞ . Ainsi, la présence d’agents confiants sur les intervalles ] ], 2k− − et [ [2, k+ + permet d’étendre

la plage sur laquelle il n’y a pas de cascade, ce qui limite la destruction d’information. Plus formellement, notons nD la différence entre le nombre de signaux « probabilité basse » et « probabilité haute » pouvant être inférés par la collectivité, en gardant à l’esprit que la réalité est une probabilité basse (le cas inverse se traite de manière symétrique). En considérant, comme nous l’avons fait plus haut, que chacun des réseaux comporte un très grand nombre d’individus, nous pouvons calculer la probabilité de cascade correcte (respectivement incorrecte). Dès lors qu’il existe, même une très faible part d’agents confiants, il n’y a pas de cascade tant que nD k< . Nous supposons un très grand nombre

d’agents, de telle manière qu’il y ait toujours une cascade. La probabilité d’avoir une cascade correcte (respectivement incorrecte) peut alors être calculée de la même manière que le problème de la ruine du joueur. Tout se passe alors comme s’il disposait de k Euros au départ, avec une probabilité q (resp. 1-q) de gagner (resp. perdre) un Euro supplémentaire à chaque tour. Va-t-il en premier atteindre 2.k Euros ou être ruiné ? Le premier cas correspond au fait d’être dans une cascade correcte ; le second dans une cascade incorrecte. De manière générale, rappelons la solution du problème de la ruine du joueur en remplaçant 2.k par un montant N quelconque. Nous savons que sa probabilité de gagner est une somme pondérée des probabilités de gagner aux tours suivants, ce qui s’écrit :

( / ) . ( / 1) (1 ). ( / 1)P N k q P N k q P N k= + + − − Le polynôme caractéristique de cette relation de récurrence s’écrit :

2 10

x qx

q q

−− + = , qui a pour racines 1 et 1 q

q

−, ce qui donne :

1( / ) .

kq

P N k A Bq

−= +

, les conditions « aux bornes » donnant :

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22

0

1. 1

N

A B

qA B

q

+ =

−+ =

Nous avons donc :

11

( / )1

1

k

N

q

qP N k

q

q

−− = −−

, et dans le cas qui nous occupe ici :

( )1

(2. / )11

1

k

qkk kk

qP k k f

q qq

q

= = =+ − −+

De la même manière, la probabilité – complémentaire – d’avoir une cascade incorrecte (éventuellement après un très grand nombre d’agents s’il y a peu d’individus ayant une confiance excessive dans leur information) s’écrit :

( )( )( )

11

1

k

qkkk

qf

q q

−− =

+ −.

On retrouve bien, dans le cas bayésien, les proportions vues plus haut :

( )22

2

1 qq

qfq

−+=

( )( )22

2

1

11

qq

qfq

−+−=−

On peut voir ci-dessous comment évoluent les proportions établies en fonctions des paramètres q (acuité du signal) et k (degré de confiance des individus dits « confiants » dans leur information).

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0

0,2

0,4

0,6

0,8

1

1,2

0,5 0,54 0,58 0,62 0,66 0,7 0,74 0,78 0,82 0,86 0,9 0,94 0,98

Acuité du signal

bonnes cascades k=2

mauvaises cascades k=2

bonnes cascades k=3

mauvaises cascades k=3

bonnes cascades k=5

mauvaises cascades k=5

bonnes cascades k=10

mauvaises cascades k=10

Figure 3 : Proportion de cascades correctes et incorrectes en présence de confiance excessive On se rend bien compte ici que les individus confiants dans leur information permettent de limiter le comportement « moutonnier » et l’inefficience collective dans la formulation des croyances et l’adoption de comportements face au risque. Bien évidemment, le degré de confiance est déterminant dans la capacité de ces agents à résister aux cascades. Néanmoins, lorsque les groupes d’individus sont très grands, même une très faible proportion de tels individus permet de formuler un jugement plus juste sur la probabilité d’occurrence d’un risque. Gardons à l’esprit que ce type de comportement est efficient au niveau collectif, mais coûteux pour chacun de ces individus qui n’estiment pas la probabilité d’occurrence de manière optimale et peuvent ainsi mettre en place des moyens de protection peu adaptés. Ainsi, il pourrait être envisageable d’offrir une compensation à de tels agents, tout en les plaçant dans des réseaux au sein desquels la perception des probabilités constitue un obstacle à la mise en place d’une politique de sécurité efficiente. Conclusion La modélisation que nous avons effectuée tend à montrer un trait d’inefficience dans le partage de l’information qui complète à la fois les travaux liés à l’évaluation du risque par les agents – à travers leur transformation subjective des probabilités analysée par Kahneman et Tversky – et ceux portant sur l’économie des interactions sociales. Des biais apparaissent, qui peuvent être amplifiés par le regroupement d’individus similaires. Nous avons alors considéré quelques traits supplémentaires permettant d’améliorer l’efficience informationnelle collective. Tout d’abord, en regardant le cas d’individus singuliers, se fondant sur plusieurs sources d’information. Ceux-ci améliorent alors, en multipliant leurs réseaux sociaux, les possibilités d’accéder à la bonne information. Ensuite, en examinant l’impact de la présence d’agents confiants et pouvant « casser » les cascades classiques en apportant une information supplémentaire à la collectivité. Ce dernier élément permet d’augmenter la proportion des

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individus qui évaluent correctement la probabilité d’occurrence du risque. Bien évidemment, s’il nous permet de mieux comprendre comment se passe intimement le processus de transformation des probabilités, cet éclairage théorique ne nous apporte pas d’évaluation « clé en main » des biais informationnels mis en lumière. Par ailleurs, nous ne nous sommes pas attachés à modéliser ce qui conduit à une hétérogénéité des modes de perception pour différentes classes de risques et différentes classes d’agents. Pourquoi, par exemple, le risque de criminalité donne-t-il lieu à une perception plus aigue que le risque de maladies cardiovasculaires ? Une réflexion théorique sur la bonne façon de modéliser cette hétérogénéité reste encore à poursuivre. De notre point de vue, cette réflexion pourrait accorder une place importante à l’historique des occurrences des risques considérés ou à l’émotion suscitée collectivement par des atteintes volontaires à l’intégrité de la personne. Prendre en compte la typologie des individus considérés pour expliquer ce qui constitue « l’insouciance » ou « l’anxiété » face au risque au sein des réseaux sociaux serait également très intéressant. L’âge des agents, en particulier, a-t-il une incidence réelle sur leur mode de perception des risques ? Dans un contexte de vieillissement démographique, il importe de savoir si la structure d’âge d’une population modifie son attitude face à la sécurité. Une société vieillissante est-elle, en définitive, plus « anxieuse » qu’ une société jeune ? Cette question est fondamentale, non seulement pour gérer des risques particuliers, mais également parce que la réponse qui lui sera donnée gouvernera pour bonne part la capacité de nos sociétés à entreprendre et innover.

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