Comportement desFormica devant un obstacle «infranchissable»

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Insectes Sociaux, Paris. Volume Xll, 1965, n ~ 1, pp. 59-62. COMPORTEMENT DES FORMICA DEVANT UN OBSTACLE << INFRANCHISSABLE Par R6my CHAUVIN (Laborrttoire de Pstlchophgsiologie, Facztltd des Sciences, Strasbozzrg.) Les Formica (F. rufa, F. polyctena) paraissent capables de surmon- ter par des manoeuvres sui generis des obstacles qui s'opposent h leur progression on h la eonstruetion du nid. 1 ~ Obstacles h hz progression. Au eours de recherctles que j'ai effectu(!es en 1964 sur l'activit~ de F. poiyctena, j'ai eanalis~ la troupe des Fourmis vers l'appareil enre- gistreur h l'aide de bandes de carton de 30 em de haut et de 1,50 m de long. Elles ~taient dispos~es en X, l'enregistreur se trouvant h l'inter- section des branches dont deux s'ouvraient dans la direction de la fourmili~re, les autres vers des chSnes dont 'les pueerons int6ressaient vivement les fourrageuses. Ces bandes de carton simplement pos~es sur le sol ne sont escalad~es par les fourmis que tout ~t fait au d~but et elles y renoncent tr6s rite. I1 faut ramener un peu de terre eontre le carton pour qu'il n'y ait point d'hiatus entre son bord inf~rieur et le sol, ear les fourmis y passeraient imm~diatement, alors qu'un peu de sable les en emp~ehe aussit6t. I1 faut signaler eette r~action parce que nous verrons que sur la [ourmili~re elle-m~me, les r~actions sont bien diff~rentes et les ouw'i~res creusent aussit6t un tunnel au-dessous de l'obstacle, m6me s'il est profonddment enfoncd. Si alors au centre de I'X se trouve un autre obstacle, par exemple un passage resserr6 h l'exc6s entre deux blocs de coton de verre imbibd d'un rdpulsif (acides naphtdniques du mazout), certaines fourmis s'y engagent ndanmoins. Mais les autres qui arrivent dans les deux sens, ~t la cadence de deux ou trois par seconde, pr6sentent une vive agita- tion et refluent dans la direction de leur ,point de ddpart, la fourmi- li~re ou le chine qui hdberge les pucerons. Mais ce reflux s'arr~te au

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Insectes Sociaux, Paris. Volume Xll, 1965, n ~ 1, pp. 59-62.

C O M P O R T E M E N T DES FORMICA

D E V A N T UN OBSTACLE << INFRANCHISSABLE

Par R6my CHAUVIN (Laborrttoire de Pstlchophgsiologie, Facztltd des Sciences, Strasbozzrg.)

Les Fo rmica (F. rufa, F. po lyc t ena) para issent capables de su rmon- ter par des manoeuvres sui generis des obstacles qui s 'opposent h leur progression on h la eons t rue t ion du nid.

1 ~ Obstacles h hz progression.

Au eours de recherct les que j ' a i effectu(!es en 1964 sur l 'activit~ de F. poiyctena, j ' a i eanalis~ la t roupe des Fourmis vers l 'apparei l enre- gistreur h l 'a ide de bandes de ca r ton de 30 em de hau t et de 1,50 m de long. Elles ~taient dispos~es en X, l ' enregis t reur se t rouvan t h l ' inter- section des b ranches dont deux s 'ouvra ien t dans la direct ion de la fourmili~re, les autres vers des chSnes dont 'les pueerons int6ressaient vivement les fourrageuses . Ces bandes de car ton s implement pos~es sur le sol ne sont escalad~es par les fourmis que tout ~t fait au d~but et elles y renoncent tr6s ri te. I1 faut r amene r un peu de terre eontre le car ton pour qu' i l n ' y ait point d 'h i a tus entre son bord inf~rieur et le sol, ear les fou rmis y passe ra ien t imm~dia tement , alors q u ' u n peu de sable les en emp~ehe aussit6t . I1 faut signaler eette r~action parce que nous verrons que sur la [ourmi l i~re e l le-m~me, les r~actions son t bien dif f~rentes et les ouw'i~res creusent aussi t6t un tunnel au-dessous de l 'obstacle, m6me s'il est p r o f o n d d m e n t enfoncd.

Si alors au centre de I 'X se t rouve un autre obstacle, pa r exemple un passage resserr6 h l 'exc6s entre deux blocs de coton de verre imbibd d 'un rdpulsif (acides naph tdn iques du mazout) , certaines fourmis s 'y engagent ndanmoins . Mais les au t res qui arr ivent dans les deux sens, ~t la cadence de deux ou trois par seconde, pr6sentent une vive agita- tion et refluent dans la direct ion de leur ,point de ddpart, la fourmi- li~re ou le ch ine qui hdberge les pucerons . Mais ce reflux s 'arr~te au

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bout d ' un m~tre environ pour se t r an s fo rmer en agitat ion tr~s r ive avec courses d~sordonn6es. Au bout d 'une heure ou deux, l 'agi ta t ion est calm~e et ]es fourmis adoptent une nouvelle piste qui passe derriere les plaques de carton. Dbs qu'elles ont ~ trouv6 >> cette solution, il est tr~s diffieile de les en d~tourner. Si on ajoute de nouvelles plaques de car ton h la suite des premieres, pour ]es empScher de prendre ce d6tour, elles les con tou rnen t ~galement, et commencen t mSme h le faire 40 h 50 cm avant d ' a r r iver aux plaques. Cette manoeuvre peut ~tre ex~- cutde aussi bien dans le sens de l 'al ler que dans eelui du retour.

Ceci nous oblige h un cer tain nombre de conclusions : 1 ~ il y a ,passage d ' i n fo rma t ion sur la pr6senee d 'un obstacle h une

distance de l 'ordre du m~tre; 2 ~ le mode de t ransmiss ion consiste p robablement dans l 'agi tat ion et

le s t a t ionnement a n o r m a u x des but ineuses, alors que le trafic sur la piste est d 'hab i tude ex t r~mement r6gulier;

3 ~ la solution du d6tour est trouv~e a.u cours de t~ tonnements qui ne durent quc peu de temps;

4 ~ les fourmis sont fid~les h la direction g~n~rale du but plut6t qu'~t un chemin prdcis, ce qu ' on n ' ignora i t ,pas d 'ai l leurs chez cos cspSces douses d 'une bonne vue et qui ne sont point asservies h une piste odorante ~troite comme Dendrolasius par exemple.

2 ~ Obstacles ~ la construct ion du nld.

Dans un travail pr6c6dent (CHAUVIN, 1958), j ' avais signal6 les r6ac- tions de Formica rufa ~ des cyl indres creux pos~s sur le nid. Les fourmis les rempl issent r ap idemen t de brindilles. J 'a i voulu cette ann i e ~tudier leur compor t emen t en face de cyl indres de grandes dimensions, de 60 cm de diam~tre sur 40 de hauteur , qui en touren t compl~tement leur nid, et que j ' ava is pris la pr6caut ion d 'en ter re r assez profond~ment .

Les fourmili~res 6tudi6es ~taient au nombre de quat re et ont pr6- sent~ toutes les quat re des r~actions diff~rentes. Dans routes cepen- dant, l 'obstacle qui pouvai t pa r fa i t emen t ~tre escalad~ ne l 'a ~t6 que par quelques fourmis , qui ont tr5s vite renonc6/a ,poursuivre.

1 ~ La premiere fourmili~re a d~sert~ rap idement et compl~tement pour aller s'~tabl~r h 5 m~tres de lb.

2 ~ La seconde a prat iqu~ darts le cyl indre de car ton un orifice de 1 cm environ de diam~tre h 10 cm du sol, p a r lequel elle a fait passer les brindilles pour recons t ru i re le d6me ~t l ' int~rieur du car ton (je t 'avais presque ent i~rement d~garni).

3 ~ La troisi~me a utilis6 un orifice circulaire de l c m environ de diambtre que j ' avais m~nag6 moi-m~me au ras du sol. Les brindilles parfois tr~s longues pass~es par l 'orifice ont servi aussi h la r~fection du d6me. Puis des brindilles ont ~t~ amass~es des deux cSt~s de l 'orifice

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en f o r m a n t un d6me. Les ouvr i~res ont a lors continual l ' a p p o r t de brindil les, cet te fois en e sca l adan t la mura i l l e de car ton .

4 ~ La qua t r i~me ~tait en tour6e d 'une mura i l l e d ' a l u m i n i u m lisse que les f o u r m i s p o u v a i e n t gravi r . Cependant , elles ne Font p a s fait , ma i s ont creus~ un tunne l au -dessous de la mura i l l e pa r lequel elles ont c o m m e n t 6 ~t e h a r r i e r des br indi l les et des d6bris divers et h r~pa re r la ,partie een t ra le du d6me que j ' ava i s compI~ temen t d6garnie . P a r la suite, l ' ent rde ext~rieure du tunne l a ~t~ en t i6 remen t r e c o u v e r t e de br indi l les qui ont fini p a r f o r m e r un pet i t d6me ext@ieur . Mais les ouvri6res ont continual h ex t r a i r e des br indi l les .par-dessous et 'h les t r a n s p o r t e r en g rande a b o n d a n e e sur le d6me extdr ieur .

Nous pouvons eonc lure de tou t cela : 1" l 'h6tdrogdndit6 des r6ae t ions de diverses colonies '~ un p rob l~me

de m~me na t u r e ; 2 ~ les possibi l i t~s tr~s larges de l 'act ivi t6 de cons t ruc t ion . C o m m e je

l 'ai ddj'h signal6 plus d ' u n e lois, le carac t~re le plus r e m a r q u a b l e de ce type d 'ac t iv i t~ est sa plas t ic i t s Ici, p o u r i n t rodu i r e de longues b r in - dilles h t r ave r s l 'orifice d ' une h a u t e mura i l l e ou m i e u x encore p o u r percer e l les-mSmes un tel orifice, les ouvr i~res doivent a c c o m p l i r une s6rie de man.oeuvres tou t h fa i t inhabituel ' les @lies ne r e n e o n t r e n t sans doute j a m a i s au cour s de la cons t ruc t ion du nid d ' obs t ac l e s de cette fo rme) . I1 est s ingul ie r qu 'e l les pu i s sen t h la lois ou e r euse r un tunnel , ou a t t a q n e r la mura i l l e e l le -m~me, ou m~me passe r pa r -dessus , cette derni~re solut ion n ' 6 t an t adoptde qu 'h la fin; et p lus cu r i eux encore qu 'e l les a r r i ven t '~ fa i re f r a n c h i r un tunnel "~ des br indi l les for t longues (darts le qua t r i~me cas), a lors que les brindilles ne sont j amai s transport~es sous terre dans la nature, tout au moins d 'apr~s ce q u ' o n croyai t savoir j usqu ' i c i ;

3 ~ l 'au tomat i sme de la rdaction d 'amassage qui ne p e u t 6tre t enu en respect que p o u r peu de jour s . E n effet, dans le c a s n ~ 3, la r a i son h n m a i n e se r e fu se r a i t 'h o b s t r u e r le t rou qui sert h passe r les br indi l les . Cependant les fourmis , au bou t d ' u n e hui ta ine , << ne p e u v e n t s ' em- p~cher >> d 'en faire un tas cons iderab le h l ' ex t6r ieur et el l ' int~rieur de la murai l le , ce qui b loque cet te fois-ci les possibil i t~s de t r a n s f e r t et les oblige h passe r pa r -de s sus l 'obstacle .

3 ~ Les fourmls 6tayent-elles leurs galeries en terrain meub le ?

Au cours de ce r ta ines de ces expdriences , j ' a i bouch6 avec du sable sil iceux fin et sec les tunne l s que les f o u r m i s ava ien t p ra t iquds sous la mura i l l e de car ton . Au bou t de tr~s peu de t e m p s (une dizaine d 'heures ) , le tunnel dtait rd tabl i "~ nouveau . Je me suis donc demand6 p a r quel procdd6 les f o u r m i s p o u v a i e n t fo re r une galer ie dans un t e r r a i n qui n 'offre aucune cons is tance . Or j ' a i consta t6 p re sque auss i tb t que le tunnel con tena i t des br indi l les '~ t r ave r s lesquel les passa ien t les four -

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mis. S'agissait-il d ' un boisage h la faqon des mineurs ? Sans doute, mats il est instalM d 'une manibre tout h fait diff6rente. Lorsque le tunnel est obstru6, ou lorsque les fourmis (il s 'agit ici un iquemen t de Formica polgctena, les techniques de Rufa m ' o n t .paru diff6rentes, elle creuse le sol beaucoup moins que Polgctena) veulent dtablir un d6me, elles appor ten t d ' abo rd une grande quant i t6 de brindilles et elles excavent le sol au-dessous. Les brindil les descendent donc dans la cavit6 ainsi prat iqu~e et les fourmis circnlent au travers : le bois main- tient effectivement le sable, sans que les fourmis aient tent6 dvidem- ment un (( boisage ~> intent ionnel .

Summary.

Formica polgctena can send in fo rmat ion along their pa th about an obstacle. A simple m e c h a n i s m (abnormal workers agitation) help the ants to find another way behind the obstacle. Formica rufa can dig a tunnel under a large c i rcular wall tha t blocks all accesses to the nest. They can also dpen a hole in the wall, passing building mater ia ls through. These mater ia ls can be carr ied also underground , to repair the central par t of the nest whose access is blocked. Tha t is another proof of tl]e extreme plastiei ty of the btfilding activity among red ants.

BIBLIOGRAPHIE

CHAUVIN (R.), 1958. - - Le comportement de construction chez Formica rufa. Ins. Soc., 5, p. 273-286.