Complément sur le parler "E → I" ("parler du progrès" ou "parler constructeur") tel que défini...

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Complément sur le parler "E → I" ("parler du progrès" ou "parler constructeur") tel que défini par l'Analyse des Logiques Subjectives © Jean-Jacques Pinto Dans mon article de la revue Marges Linguistiques intitulé Linguistique et psychanalyse, une approche logiciste, j'ai du écourter certains passages, par contrainte éditoriale sur le nombre de pages. Je publie ici des compléments extraits du chapitre méthodologique complet Esquisse d'une psychanalyse scientifique tiré du livre La parole est aux discours (co-écrit avec Éliane Pons), et augmentés d'exemples. • Le parler "E → I" ("du progrès"), parler de la rédemption, du rachat, de la réparation, avec sa biographie en deux étapes (jeunesse "folle" et âge mûr "rangé"), semble résulter d'un jugement en deux temps du parent, qui rejette au début un enfant non conforme à son attente, puis « se fait une raison », s'en accommode, et remédie au "défaut" naturel par l'éducation, la "formation", la "construction de la personnalité de l'enfant". • La langue E → I est celle qui dans la jeunesse valorise le point de vue "extraverti", puis à l'âge mûr le point de vue "introverti". • On trouve dans ce parler, au moment de la transition entre les points de vue E et I, des verbes de changement d'état : (se) calmer, (s')assagir, (s')endurcir, (se) ranger, (s')établir, décrivant le passage d'un adjectif de la série A ( fou, nomade) à un adjectif de la série B ( sage, sédentaire). Consulter sur ce site : Tableau des atomes sémantiques concrets et abstraits entrant en jeu dans l'Analyse des Logiques Subjectives© • L'existence de ces mots spécifiques ne semble pas, toutefois, justifier la création d'une "série A → B". • Quand un verbe de changement d'état (Ex: " ranger") se rencontre à l'actif dans le parler "E → I", son participe passé ("rangé") figure en général comme adjectif dans la série B. Ce parler connaît plusieurs variantes, plusieurs « itinéraires » qui se combinent souvent, et qui dépendent de la manière dont sont métaphorisés l'état initial « mauvais » et l'état final « idéal » : * itinéraire « guérison » : c'est la métaphore médicale si couramment appliquée à la vie psychique. mal = maladie, bien = santé : il faut guérir les autres et se guérir en même temps. * itinéraire « travail, construction, édification » : mal = matériaux épars, bien = produit fini, « œuvre » : c'est la morale de l'effort rédempteur .

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Dans mon article de la revue Marges Linguistiques intitulé "Linguistique et psychanalyse, une approche logiciste", j'ai du écourter certains passages, par contrainte éditoriale sur le nombre de pages. Je publie ici des compléments extraits du chapitre méthodologique complet "Esquisse d'une psychanalyse scientifique" tiré du livre "La parole est aux discours" (co-écrit avec Éliane Pons), et augmentés d'exemples.Le parler "E → I" ("du progrès"), parler de la rédemption, du rachat, de la réparation, avec sa biographie en deux étapes (jeunesse "folle" et âge mûr "rangé"), semble résulter d'un jugement en deux temps du parent, qui rejette au début un enfant non conforme à son attente, puis « se fait une raison », s'en accommode, et remédie au "défaut" naturel par l'éducation, la "formation", la "construction de la personnalité de l'enfant".On trouvera dans la suite de l'article, à travers le parcours de Louis Aragon, un exemple détaillé du fonctionnement du parler constructeur.

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  • Complment sur le parler "E I" ("parler du progrs" ou "parler constructeur") tel que dfini par l'Analyse des Logiques Subjectives

    Jean-Jacques Pinto

    Dans mon article de la revue Marges Linguistiques intitul Linguistique et psychanalyse, uneapproche logiciste, j'ai du courter certains passages, par contrainte ditoriale sur le nombre de pages. Jepublie ici des complments extraits du chapitre mthodologique complet Esquisse d'une psychanalysescientifique tir du livre La parole est aux discours (co-crit avec liane Pons), et augments d'exemples. Le parler "E I" ("du progrs"), parler de la rdemption, du rachat, de la rparation, avec sa biographieen deux tapes (jeunesse "folle" et ge mr "rang"), semble rsulter d'un jugement en deux temps duparent, qui rejette au dbut un enfant non conforme son attente, puis se fait une raison , s'enaccommode, et remdie au "dfaut" naturel par l'ducation, la "formation", la "construction de lapersonnalit de l'enfant". La langue E I est celle qui dans la jeunesse valorise le point de vue "extraverti", puis l'ge mr lepoint de vue "introverti". On trouve dans ce parler, au moment de la transition entre les points de vue E et I, des verbes dechangement d'tat : (se) calmer, (s')assagir, (s')endurcir, (se) ranger, (s')tablir, dcrivant le passage d'unadjectif de la srie A (fou, nomade) un adjectif de la srie B (sage, sdentaire). Consulter sur ce site :Tableau des atomes smantiques concrets et abstraits entrant en jeu dans l'Analyse des Logiques Subjectives

    L'existence de ces mots spcifiques ne semble pas, toutefois, justifier la cration d'une "srie A B". Quand un verbe de changement d'tat (Ex: "ranger") se rencontre l'actif dans le parler "E I", sonparticipe pass ("rang") figure en gnral comme adjectif dans la srie B.Ce parler connat plusieurs variantes, plusieurs itinraires qui se combinent souvent, et qui dpendentde la manire dont sont mtaphoriss l'tat initial mauvais et l'tat final idal :

    * itinraire gurison : c'est la mtaphore mdicale si couramment applique la vie psychique.mal = maladie, bien = sant : il faut gurir les autres et se gurir en mme temps.

    * itinraire travail, construction, dification :mal = matriaux pars, bien = produit fini, uvre : c'est la morale de l'effort rdempteur.

  • Il y a combinaison de ces deux mtaphores dans le fantasme du travail thrapeutique au coursd'une psychanalyse.

    * itinraire enrichissement, capitalisation, accumulation .mal = pauvret, dnuement, bien = richesse : la valeur du locuteur est celle de sa fortune (cf l'expression je vaux tant ).

    * itinraire gain de sagesse, d'rudition :mal = absence de savoir, bien = tte bien pleine : c'est, par exemple, le cursus universitaireaccumulateur de connaissances, incompatible avec la croyance la science infuse propre au parler conservateur .

    * itinraire passage de l'impit la foi (Marie-Madeleine, pcheresse repentie) :mal = pch, bien = saintet : l'extraverti blasphmateur et iconoclaste se dcouvre une vie intrieure.Dans beaucoup de traditions religieuses l'abstinence sexuelle est prsente comme un moyen d'lever sonme vers Dieu (ascse).

    Exemple attest : une de mes amies me raconte l'histoire suivante : son amie, une femme detrente ans, "dbauche", ayant "tout essay" en matire de sexualit se tourne vers lamditation et fait des "retraites" dans des ashrams (monastres). Lors d'un voyage avecmon amie en ex-Yougoslavie, elle a une aventure avec un homme nettement plus jeunequ'elle. son retour elle s'en culpabilise, fait une petite dpression, s'accusant d'avoircommis un "pch", et redouble de pit rdemptrice .

    Deux autres exemples trouvs il y a quelques annes dans un programme de tlvisionimprim (sur TF1):22h25 Mea culpa

    Magazine propos et anim par Patrick Meney.

    Du trottoir la ferme. 1972. Des prostitues dfilent dans la rue, elles veulent tre considres par la socit etpayer moins d'impts. Ulla est le leader incontrl du mouvement. Vingt ans aprs,la "belle de nuit" s'est range.Pour sa rinsertion, elle a choisi un petit village de 600 habitants, Saint Hostien en Haute-Loire. Mais les chosess'avrent difficiles, s'intgrer se rvle impossible, mme si, pour se racheter, Ulla a choisi de s'occuperd'enfants dlinquants. L'mission propose un face face entre les habitants de Saint Hostien et la jeune femme.

    22h25 Prostitution

    Srie documentaire (n3 et fin). Propose et ralise par Mireille Dumas.

    La maman du trottoir. Monique, 48 ans, s'est prostitue durant treize ans, vivant des moments horribles.Aujourd'hui, elle a cess afin de rcuprer ses enfants avec lesquels elle vit depuis quatre ans dans unecommunaut religieuse o elle a fait vu de chastet... (penser pour ce parcours l'expression atteste : "pch de jeunesse")

    * itinraire accession la dignit de parent :faire un enfant idal, enfanter le Messie rend le parent idal en retour (telle Marie devenue sainte).

    * itinraire voyage qui rapporte , diffrent du voyage-perdition , du voyage sans retour (propre auparler E E), et couronn par la rconciliation familiale aprs le rejet initial ("retour du filsprodigue") :

    Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage Et puis est retourn plein d'usage et raison Vivre entre ses parents le reste de son ge .

  • Exemple attest : le fils du prfet de POLICE d'une grande ville d'Amrique latine participepar dfi avec sa bande plusieurs hold-up main arme o il y a des morts DANS LAPOLICE. Ils sont pris et condamns. Somm de choisir entre la prison et l'exil, il vient enEurope, qu'il visite. Il commence crire des nouvelles (point de vue E). Il tombe par hasardsur un livre de Victor Brard qui voit dans l'Odysse, outre le mythe, un guide de navigationantique avec les dangers viter. Pris de passion pour cette histoire, il refait le voyaged'Ulysse tout autour de la Mditerrane. Ses textes s'paississent, deviennent de plus en plusconsistants, ce sont des romans (point de vue I). Son temps d'exil termin il rentre dansson pays natal, et mme dans sa ville natale, trouve un emploi dans une bibliothque, publieses romans, devient clbre, commence s'enrichir, accde la notorit (voir itinrairesuivant) et se rconcilie avec son pre que l'autorise revenir habiter sa ville natale !

    * itinraire conqute de la notorit :mal = anonymat, bien = reconnaissance sociale : il faut se faire un nom , devenir quelqu'un ,entreprendre une carrire politique ou autre pour se couvrir de gloire .

    * itinraire rencontre du grand amour , trs voisin de l'itinraire accession la dignit de parent :

    rencontrer le partenaire idal ( le Messie pour Louis Aragon et d'autres), former un couple idal destin durer toujours, rend le sujet idal en retour (rdemption par l'amour).

    Voici justement, travers le parcours de Louis Aragon, un exemple dtaill du fonctionnement du parlerconstructeur :

    Commenons par ces trois extraits de l'avant-lire et des prfaces de son livre "Le libertinage", de LouisAragon (republi en 1964, quarante ans aprs la premire parution en 1924) ?

    Pour gagner du temps, les sries sont dj notes (italique : srie A, gras : srie B), mais pas les valeurs. Attention, conventions particulires ici :

    les mots en italique gras ne sont pas comme l'accoutume des mots "mixtes" (mlange de traits Aet traits B), mais des mots exprimant un certain processus, que les lecteurs de l'article rsum dansWikipedia devraient pouvoir identifier rapidement . . . les groupes de mots souligns sont des indices pour la dcouverte du processus en question.

    Avant-lire (1964) Je ne raconterai pas ma vie. Ce qui est ici mon objet, ce sont mes livres, l'criture.

    [ ... ] ceux qui en concluraient que je renie mes premiers crits, je dirai que l'homme n'est pas langation de l'enfant, mais son dveloppement, et malheur qui veut barrer ce qu'il fut ! L'insens necomprend-il pas que rien de ce qu'il est ne serait sans ce qu'il a t ? La pense, c'est la conscience : et laconscience n'existe pas en dehors de ses cheminements. Si l'enfance chez moi fut prolonge, en vais-jecontester le charme ? Je me mfie de ceux qui sont venus au monde en sachant d'emble ce qui est lebeau et le bien, qui n'ont jamais vers dans l'ornire, qui ont la lvre superbe des vrits rvles. Ainsise montrent les robots. [ ... ] Clment Grindor, que prend le vertige de commettre l'acte vraiment indfendable, accusant cet autrelui-mme, B. (Bonnot, bien sr), de devenir exemplaire par la voie paradoxale du crime. Dans monesprit [ ... ] B. et Grindor sont un seul personnage [ ... ]. Ce ddoublement du hros, donnant naissance l'anti-hros, cette incarnation de la contradiction intrieure de l'homme, aboutissait former unpersonnage lyrique, comme d'un feuilleton suprieur : c'tait Fantmas dpass, l'au-del de la morale,des morales, l'anarchie pousse la ngation de soi-mme (perdre ce que nous chrissons). J'avaisdcid d'atteindre une fois le monstrueux. L'extraordinaire est que par la suite une phrase de cepersonnage invent assez horrible [ ... ] pour tre enfin sr que je l'avais cr et non point emprunt

  • moi-mme [ ... ], l'extraordinaire est qu'une phrase de Clment Grindor : "Un beau jour, je compris que jenourrissais en moi ce dmon, le besoin de trahir", devait pendant des annes m'tre jete la tte,comme si on l'avait tire d'un manifeste, comme si cela avait-t un aveu de l'auteur [ ... ].

    Prface l'dition de 1924 Le plus complet abandon rgne dans l'amour. [ ... ] La charmante activit qu'on y rencontre n'est enralit que l'activit la plus superficielle. Ce qui permet l'emportement de l'amour, c'est avant tout unescurit, une communication de plain-pied, et l'absence des inquitudes qu'on lui dcrit. La forme la pluscourante de ce laisser-aller est cette logorrhe qui effraie tant les dlicats.[ ... ] C'est une ivresse trssingulire, une sorte de disqualification de l'esprit qui s'y abandonne, une prostitution de l'attention. Lesmots de la femme bavarde font une nuit dans ma cervelle. [ ... ] Perdre pied tous les deux en mmetemps, voil l'essentiel. [ ... ]

    Ainsi s'expliquent pour moi et ma vie et mon insolence : vous n'y pouvez rien, vous autres, contrel'ombre o s'tend mon royaume. Quand je relis la phrase prcdente, il me vient une douce envie de rire, une douce envie de rigoler.C'est que je pense une invention rcente de quelques imbciles de la pire espce, l'espce qui crit. Ilscondamnent tout ce qui a quelque grandeur, ils font l'apologie de tout ce qui est plat et inoffensif. Danscette querelle o l'on voudrait voir les modernes s'opposer aux anciens, il n'y a que le bourdonnement desmouches sur les cadavres qui rsonne. [ ... ] Ainsi nous dfendons la cause du diable. [ ... ] Acceptons une fois pour toute l'pithte "messianique".Soit. l'ide traditionnelle de la beaut et du bien, nous opposerons la ntre, si infernale qu'elleparaisse. [ ... ] L'accent d'horreur que certaines gens mettent prononcer certains adjectifs est une deschoses les plus drles du monde : cela vaut le voyage. [ ... ] Voil comment nous avions imagin [ ... ] qu'au mouvement Dada venait de succder un tat d'espritabsolument nouveau que nous nous plaisions nommer le mouvement flou. Je fais ici l'apologie du flou, et non celle du compromis. [ ... ] C'est par ce dtour, qui rappelle lesmensonges pieux, que les timides acclimatent dans leurs petites serres toutes les rvoltes et tous lescrimes du grand air. On met une feuille de vigne Ravachol : et tout de suite l'anarchiste le moinsrductible prend tournure de premier communiant. [ ... ] Ce n'est pas d'aujourd'hui que je me sais untenant du dsordre. [ ... ] Je recopie aujourd'hui, sain de corps et d'esprit, ce petit placard qui parut dansLittrature au mois de Mars 1921.

    Le scandale pour le scandale

    Je n'ai jamais cherch autre chose que le scandale et je l'ai cherch pour lui-mme.Belle occasion aux yeux tendres, [ ... ] belle occasion pare des charmes du plaisir ; je t'ai toujoursreconnue au bas de ces rverbres intellectuels qui brillent dans le sicle nocturne au dbutduquel nous promenons nos corps ardents, avec des lvres de dfi et un peu de dynamite dans legousset. Je voudrais que tout ce qui me passe par la tte y durt si peu, que moi-mme je ne retrouvejamais la mmoire de ma pense. Que la dmarche de mon esprit soit un pas, et non une trace. [ ... ] Il n'y a pas une ide qui soit maturit au moment qu'on la fixe. Par le signe magique del'encre, je limite ma pense dans ses consquences. Il n'y a plus grand'chance qu'elle se dpasse,qu'elle s'oublie. Il devrait tre interdit de planter ainsi des bornes kilomtriques sur les routes :les arpenteurs ont une maigre notion de l'infini. Circonscrire l'infini, voici l'absurde propos del'homme, et pourquoi il ne s'en tient plus aux gestes purs de la sduction. [ ... ] Quelqu'un va-t-ilprendre enfin la dfense de l'infini ? [ ... ] L'important est de penser une minute qu'on n'crira plus. Il ne s'agit pas de serment surune tombe ou sur un principe, personne n'est jamais li par une parole donne, et du coupperdue. L'avenir aujourd'hui m'est plus obscur que jamais. Je ne songe point l'accorder monpass, je ne songe qu' cette minute qui me brle. Je sais tout instant ce qui meurt, et je ne croispas que quelque chose un jour renaisse.

  • Prface l'dition de 1964 [ ... ] J'tais presque assur d'avoir rinvent le roman. Je me mis en crire un, dcid la plus folledmesure. C'tait tout d'abord un secret, que des pomes masqurent, et ce brusque exercice o j'entrai unbeau jour, comme la recherche d'un nouveau langage [ ... ]. Mais l'ensemble de l'ouvrage, assez avanc,devait pour de toutes autres considrations tre dtruit de mes mains Madrid la fin de 1927. J'avaistrente ans. Le drame tait pour moi de se contenter la fois de ce que j'crivais et de ce que je devenais.Au dbut de cette anne-l, j'avais la fois fait le geste le plus important de ma vie, alors que je me jetaisdans une passion tout autre... oh, ce dsordre de la destine ! Et l'anne suivante je n'ai pas dchir qu'unmanuscrit. Mais ceci est un tout autre roman. C'est celui o la vie commence. O ce ne seront plus les interdits des enfants du sicle qui jouent auComanches, la langue de Sioux des jeunes gens ensemble contre leurs ans dresss qui vont faire la loi,ni les disciplines inventes de la puret, une ascse en plein vent qui rpond la Foire sur la Place, auxjeux du Cirque, selon le dcor explicatif qu'on se plante pour expliquer les choses . . . Mais je n'y suis pasencore, phalne qui toutes les lumires se heurte, et vaguement je sais dj que j'arrive ce rivageextrme, vaguement je crois encore pouvoir jouer ces rles qu'on m'offre, et je suis las de plaire, tous lespas croyant aimer. Il y a les romans qui ne s'crivent pas, et se dchirent. Oh, qu'ils durent tre affreuxces temps o l'homme sentait dj prochaine la naissance du Messie, et doutait vivre jusque l ! J'ai bienfailli ne pas t'attendre. Enfin vinrent les temps de toi [ Elsa ].

    Avril 1964

    Complment prcieux pour l'analyse, ce pome d'Aragon chant par Ferrat :

    Que serais-je sans toi qui vins ma rencontre Que serais-je sans toi qu'un cur au bois dormant Que cette heure arrte au cadran de la montre Que serais-je sans toi que ce balbutiement J'ai tout appris de toi sur les choses humaines Et j'ai vu dsormais le monde ta faon [ ... ] Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne O l'homme ne sait plus ce que c'est qu'tre deux

    Voici, pour les textes qui prcdent, notre analyse par l'A.L.S., obtenue en rajoutant les valeurs (cettefois, les mots souligns sont les mots que valorise Aragon, les mots non souligns ceux qu'il dvalorise :

    L'Avant-lire de 1964 voque d'emble ce "parcours personnel" que l'A.L.S. dcrit sous le nom deparler E I ou "parler constructeur", dont les mots sont mis en italique gras :

    "l' homme n'est pas la ngation de l'enfant, mais son dveloppement" "rien de ce qu'il est ne serait sans ce qu'il a t" "La pense, c'est la conscience : et la conscience n'existe pas en dehors de ses cheminements" Aragon revendique les deux tapes de ce parcours, Extraverti puis Introverti, en valorisant le charmede l'enfance prolonge, et en critiquant longuement, du point de vue E, le parler I I ("ceux qui sontvenus au monde en sachant d'emble ce qui est le beau et le bien, qui n'ont jamais vers dans l' ornire,qui ont la lvre superbe des vrits rvles. Ainsi se montrent les robots").

    (Rappel : pour l'Analyse des Logiques Subjectives ou A.L.S., La langue "E I" est celle qui dansla jeunesse valorise le point de vue "extraverti", puis l'ge mr le point de vue "introverti ).

  • Le personnage de Clment Grindor (malgr la sorte de dngation d'Aragon : "ce personnageinvent assez horrible [ ... ] pour tre enfin sr que je l'avais cr et non point emprunt moi-mme, [ ... ] phrase jete la tte, comme si on l'avait tire d'un manifeste, comme si cela avait-t un aveu de l'auteur", dngation qu'invalide le contexte donn plus bas par la prface de 1924)correspond notre description du parler Extraverti :

    "vertige, commettre l'acte vraiment indfendable, voie paradoxale du crime, anti-hros, contradictionintrieure de l'homme, personnage lyrique, Fantmas dpass, au-del de la morale, anarchie pousse la ngation de soi-mme (perdre ce que nous chrissons), atteindre le monstrueux, personnage horrible".

    La prface l'dition de 1924 confirme qu'Aragon se situait alors dans le parler Extraverti :

    "abandon, charmante activit, activit la plus superficielle, emportement, communication plain-piedde, laisser-aller, logorrhe qui effraie tant les dlicats, ivresse, disqualification de l'esprit qui s'yabandonne, prostitution de l'attention, femme bavarde, perdre pied voil l'essentiel, mon insolence, vousn'y pouvez rien, douce envie de rire, de rigoler" (exceptions = "mots-intrus" : scurit, absenced'inquitudes, nuit dans ma cervelle, ombre). avec la critique du parler Introverti : "imbciles de la pire espce, l'espce qui crit, condamnent la grandeur, apologie du plat et del'inoffensif, bourdonnement des mouches sur les cadavres". Dans les pages qui suivent, Aragon persiste et signe dans son emploi du parler Extraverti : "dfendre la cause du diable, l'ide traditionnelle de la beaut et du bien opposer la ntreinfernale, imaginer un tat d'esprit nouveau, le mouvement flou, apologie du flou et non du compromis,je me sais un tenant du dsordre, scandale pour le scandale, yeux tendres, charmes du plaisir, rverbresqui brillent, corps ardents, lvres de dfi, dynamite dans le gousset, que tout ce qui me passe par la tte ydure peu, ne pas retrouver la mmoire de ma pense, un pas et non une trace, ide pas maturit,pense qui se dpasse, qui s' oublie, gestes purs de la sduction, prendre la dfense de l' infini", ... avec la critique du parler Introverti : "mensonges pieux, les timides acclimatent dans leurs petites serres les rvoltes et les crimes dugrand air, feuille de vigne Ravachol , l' anarchiste le moins rductible prend tournure de premiercommuniant", planter des bornes kilomtriques, maigre notion de l' infini, circonscrire l' infini". Et enfin :

    "penser qu'on n'crira plus, pas de serment sur une tombe ou un principe, personne n'est li par uneparole", ... avec ce pronostic que les faits dmentiront car du sein du parler Extraverti, Aragon ne peutprvoir son passage au parler Introverti, donc la renaissance (et pour cause : c'est dans l'inconscient quece changement est programm) :

    L'avenir aujourd'hui m'est plus obscur que jamais. Je ne songe point l'accorder mon pass, je nesonge qu' cette minute qui me brle. Je sais tout instant ce qui meurt, et je ne crois pas que quelquechose un jour renaisse.

    La prface l'dition de 1964 raconte comment s'est fait le changement Extraverti Introverti(parler E I ou "parler constructeur") :

    "ce brusque exercice o j'entrai un beau jour, comme la recherche d'un nouveau langage". "Ledrame tait pour moi de se contenter la fois de ce que j'crivais et de ce que je devenais". "oh, cedsordre de la destine !". "Mais ceci est un tout autre roman". Curieusement, et contrairement d'autres rcits de ce genre de parcours, Aragon (mais il n'estpas le seul) russit l'exploit de critiquer en langue Extravertie le parler Extraverti qu'il a quitt,

  • lequel se trouve donc paradoxalement affubl de traits Introvertis dvaloriss ! (Ce fait reste expliquer) : "la vie commence". "ce ne seront plus les interdits des enfants du sicle qui vont faire la loi, ni lesdisciplines inventes de la puret, une ascse en plein vent".

    Le passage du trait "multiple" au trait "unique" (voir Tableau des atomes) est difficile et pnible, et lepaen polythste se convertit littralement (vocabulaire religieux) au monothisme, quitte la sductionpour l'amour rdempteur :

    "Mais je n'y suis pas encore, phalne qui toutes les lumires se heurte" "vaguement je sais dj que j' arrive ce rivage extrme" "je suis las de plaire, tous les pas croyant aimer" "Oh, qu'ils durent tre affreux ces temps o l'homme sentait dj prochaine la naissance du Messie, etdoutait vivre jusque l ! J'ai bien failli ne pas t'attendre" "Enfin vinrent les temps de toi [ Elsa ].

    Voici comment l'A.L.S. interprte cette rencontre salvatrice (destin comparable chez Paul luard etchez Salvador Dali) :

    "Le parler E I ( du progrs ), parler de la rdemption, du rachat, de la rparation, avec sabiographie en deux tapes (jeunesse "folle" et ge mr "rang"), semble rsulter d'un jugement endeux temps du parent, qui rejette au dbut un enfant non conforme son attente, puis se fait uneraison , s'en accommode, et remdie au dfaut naturel par l'ducation, la formation , la construction de la personnalit de l'enfant ".

    Ce parler se dcline en diffrentes variantes, parmi lesquelles figure "l'itinraire rencontredu grand amour , trs voisin de l'itinraire accession la dignit de parent : rencontrer lepartenaire idal ( le Messie ), former un couple idal destin durer toujours, rend le sujet idalen retour (rdemption par l'amour)."

    Le paradis ("tre deux") qui fait suite "l'enfer moderne" du pome d'Aragon est la reconstitution dela dyade "mre idale-enfant idal" aprs le rejet initial qui avait vou l'enfant l'errance et ladrliction : "Tu m'as pris par la main dans cet enfer moderne O l'homme ne sait plus ce que c'est qu'tre deux"

    Les choses peuvent dsormais ("la vie commence") reprendre leur cours normal, l'enfant abandonn("Que serais-je sans toi qui vins ma rencontre") peut quitter le stade du "balbutiement" pour entrer dansl'identification "formatrice" ("voir le monde ta faon") au parent aimant : "J'ai tout appris de toi sur les choses humaines Et j'ai vu dsormais le monde ta faon"

    Voici prsent, en complment, un extrait de Wikipedia sur une phase du parcours politique d'Aragon,o les mots que l'A.L.S. repre dans ses citations confirment, dans ce domaine aussi, les thmes derdemption, rachat, rparation caractristiques du parler E I ( du progrs ) :http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Aragon En 1935, lors du Congrs mondial des crivains pour la dfense de la culture, il n'est pas de ceux quimettent en doute le socialisme du rgime sovitique, malgr les informations sur la terreur qui s'installe,sous paravent rvolutionnaire, en URSS. [...] en 1935, il vante les mrites du systme concentrationnairesovitique, le Goulag :

  • "Je veux parler de la science prodigieuse de la rducation de l'homme, qui fait du criminel unhomme utile, de l'individu dform par la socit d'hier, par les forces des tnbres, un homme dumonde de demain, un homme selon l'Histoire. L'extraordinaire exprience du canal de la merBlanche la Baltique, o des milliers d'hommes et de femmes, les bas-fonds d'une socit, ontcompris, devant la tche accomplir, par l'effet de persuasion d'un petit nombre de tchkistes quiles dirigeaient, leur parlaient, les convainquaient que le temps est venu o un voleur, par exemple,doit se requalifier, dans une autre profession Cette extraordinaire exprience joue par rapport la nouvelle science le rle l'histoire de la pomme qui tombe devant Newton par rapport laphysique. Nous sommes un moment de l'histoire de l'humanit qui ressemble en quelque chose la priode du passage du singe l' homme. Nous sommes au moment o une classe nouvelle, leproltariat, vient d'entreprendre cette tche historique d'une grandeur sans prcdent : larducation de l'homme par l'homme." (Pour un ralisme socialiste. Ed. Denol et Steele, Paris1935). (c'est nous qui soulignons).

    C'est cet optimisme indestructible et naf qui s'effondrera aprs le XXe Congrs du Parti Communisted'URSS [...].

    la Libration, fort de l'influence qu'il a gagne dans la Rsistance, Louis Aragon acquiert le statut del'intellectuel communiste, dfenseur d'une ligne politique. [...] Il se fait le chantre de Staline :

    "Merci Staline pour ces hommes qui se sont forgs son exemple, selon sa pense, la thorie etla pratique stalinienne ! Merci Staline qui a rendu possible la formation de ces hommes, garantsde l'indpendance franaise, de la volont de paix de notre peuple, de l'avenir d'une classeouvrire, la premire dans le monde monte l'assaut du ciel et que l'on ne dtournera pas de sadestine en lui faisant voir trente-six toiles trangres, quand elle a de tels hommes sa tte !"(Les lettres franaises, mars 1953) .

    Dans l'optimisme naf d'Aragon, Staline, "petit pre des peuples", jouerait alors ici, selon l'A.L.S., lerle du parent, qui [dans un second temps...] remdie au "dfaut" naturel par "l'ducation", la"formation", la "construction de la personnalit de l'enfant" .

    [ Une suite ce texte sera crite ds que possible... ]

    Complment sur le parler "E I"("parler du progrs" ou "parler constructeur")Tableau des atomes smantiques concrets et abstraits entrant en jeu dans l'Analyse des Logiques Subjectives