COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension...

77
COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA SÉCURITÉ RÉUNION SAMEDI 26 MAI 2018 Salle des colonnes, Sejm

Transcript of COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension...

Page 1: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA SÉCURITÉ

RÉUNION

SAMEDI 26 MAI 2018

Salle des colonnes, Sejm

Page 2: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest
Page 3: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

CDS 231 CDS 17 F Original : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMPTE RENDU

de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité

Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest (Roumanie)

samedi 7 et dimanche 8 octobre 2017

www.nato-pa.int octobre 2017

Page 4: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

LISTE DE PRÉSENCE

Président Vitalino CANAS (Portugal)

Rapporteure générale Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (France)

Rapporteure de la sous-commission

sur la gouvernance démocratique Jane CORDY (Canada)

Rapporteure spéciale Ulla SCHMIDT (Allemagne)

Président de l’AP-OTAN Paolo ALLI (Italie)

Secrétaire général de l’AP-OTAN David HOBBS

Délégations membres Belgique Georges DALLEMAGNE

Brigitte GROUWELS Sébastian PIRLOT Alain TOP Luk VAN BIESEN Veli YÜKSEL

Bulgarie Spas PANCHEV Canada Marc SERRÉ Croatie Nenad STAZIC République tchèque Tomas JIRSA France Anissa KHEDHER

Joaquim PUEYO Allemagne Anita SCHÄFER Hongrie Sandor FONT Italie Bruno CENSORE

Emilio FLORIS Luca FRUSONE Domenico SCILIPOTI ISGRO Luciano URAS

Lettonie Aleksandrs KIRSTEINS Lituanie Dainius GAIZAUSKAS Luxembourg Alexander KRIEPS Monténégro Genci NIMANBEGU Pays-Bas Marjolein FABER

Raymond KNOPS Maria MARTENS

Norvège Rigmor AASRUD Pologne Pawel BEJDA Roumanie Angel TILVAR Slovaquie Anton HRNKO Slovénie Jasna MURGEL

Matej TONIN Espagne Ana Maria BOTELLA Turquie Ziya PIR

Zehra TASKESENLIOGLU Royaume-Uni Mary CREAGH

Lord JOPLING États-Unis Gerald CONNOLLY

Thomas MARINO Linda SANCHEZ

Page 5: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

Délégations associées Arménie Suren MANUKYAN

Edmon MARUKYAN Koryun NAHAPETYAN

Autriche Hubert FUCHS Anton HEINZL

Azerbaïdjan Kamran BAYRAMOV Bosnie-Herzégovine Nikola LOVRINOVIC

Asim SARAJLIC Finlande Eero HEINALUOMA

Tom PACKALEN Mikko SAVOLA

Géorgie Irakli BERAIA Irakli SESIASHVILI

République du Moldova Mihail GHIMPU Serbie Vladimir DJUKANOVIC Suède Göran PETTERSSON Suisse Isidor BAUMANN

Chantel GALLADÉ Werner SALZMANN

Ukraine Yurii BEREZA Iryna FRIZ Serhiy LARIN Oksana YURYNETS

Délégations des partenaires régionaux et

membres associés méditerranéens Maroc Mohammed AZRI

Youssef GHARBI

Observateurs parlementaires Australie Ross HART Kazakhstan Yersultan BEKTURGANOV Conseil national palestinien Abdelrahim BARHAM

Mohammed HEGAZI République de Corée Sang Don LEE

Jong-Kul LEE

Intervenants Sergiu CELAC membre, conseil scientifique du New Strategy Center

Salam KAWAKIBI directeur adjoint, Initiative de réforme arabe (ARI)

Mark GALEOTTI chercheur principal et coordinateur, centre de sécurité européenne, Institut des relations internationales, Prague

Theresa FALLON directrice, centre d’études sur la Russie, l’Europe et l’Asie (CREAS)

Secrétariat international Andrius AVIZIUS, directeur Ceylan TACI, coordinatrice Joseph SADEK, assistant de recherche

Page 6: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

1

Samedi 7 octobre 2017

I. Remarques préliminaires de Vitalino CANAS (Portugal), président

1. Dans ses remarques préliminaires, le président, Vitalino Canas (PT), souhaite la bienvenueà Bucarest aux membres de la commission et aux nouveaux collègues. Il remercie ensuite la délégation roumaine pour le remarquable travail qui a été accompli pour préparer et organiser la session annuelle de 2017. Le président appelle l’attention sur quatre questions administratives : la procédure applicable pour la séance de questions-réponses de la commission ; le rappel aux porteurs du badge rouge qu’ils doivent signer la feuille de présence ; le hashtag officiel de la session (#natopabucharest) ; enfin, la nécessité pour les délégués de sauvegarder leurs documents.

II. Adoption du projet d’ordre du jour [156 CDS 17 F]

2. Le projet d’ordre du jour [156 CDS 17 F] est adopté.

III. Adoption du compte rendu de la réunion de la commission sur la dimension civile de

la sécurité tenue à Tbilissi, Géorgie, le samedi 27 mai 2017 [144 CDS 17 F]

3. Le compte rendu [144 CDS 17 F] est adopté.

IV. Procédure pour les amendements aux projets de résolution Stabilité et sécurité dans

la région de la mer Noire [219 CDS 17 F] et Faire face à l’arsenalisation de

l’information [215 CDS 17 F]

4. M. Canas fait référence aux deux résolutions présentées à la commission et rappelle auxdélégués que la procédure applicable pour déposer des amendements est affichée dans la salle de la commission. Il précise que la date limite de dépôt des amendements est le jour même avant 10h30, et que seuls les amendements signés par le secrétaire de la commission sont acceptés.

V. Table ronde Politique et sécurité : évolution de la situation dans la région de la mer

Noire

• Exposé de Sergiu CELAC, membre, conseil scientifique du New Strategy Center, sur

La perspective roumaine sur la sécurité et la stabilité dans la région de la mer Noire

5. L’ambassadeur Sergiu Celac présente la région de la mer Noire sous l’angle stratégique,dans le contexte plus général du flanc Est de l’OTAN. L’engagement de la Roumanie auprès de l’OTAN présente deux facettes : la sécurité de chaque État membre est la préoccupation de tous les autres, et la sécurité nationale commence chez soi. C’est pourquoi M. Celac insiste sur l’importance pour les États membres de l’OTAN d’investir dans leur propre sécurité nationale, et ce pourquoi il considère les engagements pris lors du sommet du pays de Galles si importants. L’orateur appelle l’attention sur l’attachement de la Roumanie aux engagements de l’OTAN, à sa défense et aux initiatives européennes en matière de défense. L’ambassadeur fait remarquer que l’environnement sécuritaire actuel requiert une participation active de la Roumanie dans toutes les régions de l’Alliance, de la mer Baltique jusqu’au nord du pays, ainsi que de la mer Noire et de la mer Méditerranée jusqu’au sud du pays. Il précise que les autorités comme la population roumaines souscrivent à la fois aux piliers européen et américain de l’OTAN. L’argument selon lequel il conviendrait de choisir entre les deux n’est pas valable.

Page 7: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

2

6. Le deuxième point abordé par M. Celac concerne le rôle négatif joué par la Russie enmilitarisant la région et en déstabilisant la République de Moldova. Les provocations en Transnistrie sont semblables aux actions menées par les Russes en Géorgie, en Crimée, dans l’est de l’Ukraine et en Syrie. L’intervenant décrit ces actes répétés comme une tentative de la Russie de changer la situation sur le terrain et de dissimuler ses avancées géopolitiques sous un semblant de légalité. Il considère que la question de la souveraineté de la République de Moldova sur la Transnistrie a une incidence immédiate sur la sécurité transatlantique sur le plan militaire. L’ambassadeur rappelle que l’escalade militaire et la contestation de la souveraineté moldove sont deux actions aux effets déstabilisateurs, perçues toutes deux comme des menaces pour la sécurité nationale par les gouvernements ukrainien et roumain. Enfin, la militarisation de la région de la mer Noire et le déploiement en Crimée de capacités anti-accès/déni de zone constituent une menace pour l’OTAN.

7. M. Celac conclut son exposé par des remarques sur les perspectives de coopération dans larégion. La situation de corde raide dans laquelle se trouve aujourd’hui la région de la mer Noire ne pourra encore durer longtemps. Bien que les organisations multilatérales présentes sur le terrain aient toutes été fragilisées par des impératifs géopolitiques, l’ambassadeur estime qu’elles ont toujours autant d’importance et qu’elles doivent continuer d’exister. Même avec des attentes réduites, les organisations multilatérales/démocratiques auront toute leur utilité lorsque le contexte politique s’améliorera.

• Examen du projet de rapport spécial Promouvoir la stabilité dans la région de la mer

Noire [159 CDS 17 F] présenté par Ulla SCHMIDT (Allemagne), rapporteure spéciale,

suivi d’un débat

8. Ulla Schmidt (DE) présente son rapport en indiquant qu’il concerne les pays riverains de lamer Noire et qu’il faudra attendre un prochain rapport pour que les suggestions d’un élargissement de son champ d’observation soient prises en compte. Le principal message du rapport est que l’on ne peut pas parler de la région de la mer Noire en se limitant à un discours purement militaire. Cette région est extrêmement diversifiée et sur les six pays qui bordent la mer Noire, deux sont membres de l’UE, trois membres de l’OTAN, et deux de proches partenaires de l’Alliance. Et puis il y a bien sûr la Russie, qui est évidemment un voisin de premier plan, quoique difficile. La région est aussi stratégique, car elle est le point central qui réunit la Russie, l’Ukraine, la Turquie, le Caucase, les Balkans et le Moyen-Orient. La mer Noire est une plateforme énergétique de grande ampleur et un important couloir d’échanges. C’est également une région où l’activité touristique est très développée.

9. La rapporteure spéciale souligne que les violations de la souveraineté territoriale qui sontcommises sont troublantes, et que l’OTAN ne doit pas rester sans rien faire. Cela dit, la réponse de l’Alliance ne saurait se limiter à des mesures militaires de réassurance. La communauté euro-atlantique doit mettre l’accent sur des mesures à caractère civil qui permettraient de favoriser le développement des échanges, des déplacements et des contacts interpersonnels entre les pays de la mer Noire. Les États riverains eux-mêmes doivent prendre l’initiative de dynamiser la coopération régionale. En outre, l’UE, en tant que puissance de persuasion et acteur économique, a un rôle important à jouer pour aider la région à se développer.

10. Le rapport dresse la liste des intérêts communs entre tous les pays riverains de lamer Noire : la préservation de l’environnement, la lutte contre le trafic d’êtres humains et la criminalité organisée, la promotion du tourisme et la croissance économique. Le projet de rapport évoque également le recul démocratique ainsi que l’érosion des droits humains, de la liberté des médias et de l’État de droit dans certaines parties de la région, autant de questions qui occupent une place centrale dans les travaux de la commission sur la dimension civile de la sécurité.

Page 8: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

3

11. La rapporteure spéciale tire une conclusion optimiste sur la région de la mer Noire tout engardant à l’esprit le soutien dont celle-ci a besoin pour se développer, qui passe nécessairement par l’intégration et le dialogue.

12. Zehra Taskesenlioglu (TR) et Irakli Sesiashvili (GE) expriment leur désaccord quant àcertaines analyses qui sont faites dans le rapport au sujet du recul démocratique des États riverains de la mer Noire. Les deux délégués font également part de leur préoccupation concernant certains termes et formulations employés dans le rapport. Mme Taskesenlioglu précise en outre que, contrairement à ce qu’indique le rapport, la coopération dans la région de la mer

Noire se poursuit. Iryna Friz (UA) appelle l’attention sur les opérations offensives – à la fois cinétiques et cybernétiques – menées par la Russie dans la région pour porter atteinte à la

souveraineté de l’Ukraine et de la Géorgie. L’intervenant suivant, Angel Tilvar (RO), souhaite s’assurer que la résolution de la CDS sur la région de la mer Noire reflète bien les objectifs communs de l’OTAN dans la région, y compris celui d’une présence maritime. Enfin,

Mihai Ghimpu (MD) exprime son mécontentement quant au format 5+2 qui a été adopté pour pacifier la Transnistrie, en ajoutant qu’une meilleure solution serait de réunir les républiques de Moldova et de Roumanie.

13. Mme Schmidt précise tout d’abord qu’il n’est jamais dit dans le rapport que la coopérationdans la région de la mer Noire n’existe plus ou est défaillante, mais plutôt qu’elle connaît des difficultés. S’agissant du coup d’État perpétré en Turquie en juillet 2016 et de ses répercussions, la rapporteure souligne que toute réponse doit être conforme aux valeurs de l’OTAN, à savoir la démocratie et la transparence. M. Celac ajoute que la Turquie joue depuis longtemps un rôle de facilitateur au regard de la coopération dans la région de la mer Noire. Se référant à l’intervention de Mme Friz, l’ambassadeur indique que les actions menées par la Russie sont inacceptables, et décrit la situation dramatique qui règne dans la région.

14. Le président invite les délégués à voter. Le projet de rapport [159 CDS 17 F] est adopté,malgré le vote contre de la délégation turque.

VI. Table ronde sur La crise humanitaire en Syrie et en Iraq

• Examen du projet de rapport général La guerre en Syrie et en Iraq : aspects

humanitaires [157 CDS 17 F] présenté par Joëlle GARRIAUD-MAYLAM (France),

rapporteure générale

15. Joëlle Garriaud-Maylam (FR) commence en affirmant que les guerres en Syrie et en Iraqsont les plus grandes crises de l’histoire récente, en particulier dans les villes de Mossoul, Deir ez-Zor et Raqqa. Bien que Daech* recule et que sa puissance territoriale et financière s’amenuise (Daech a perdu 90 % de son territoire en Iraq et 65 % en Syrie), les causes profondes des conflits en Syrie et en Iraq ne sont toujours pas réglées. Les contributions de l’OTAN – à savoir la fourniture de conseils et de systèmes AWACS à l’armée iraquienne – ont été utiles. L’Alliance doit continuer à soutenir le gouvernement iraquien. Bien que n’ayant pas de mission de combat en Syrie et en Iraq, l’OTAN doit continuer à participer à l’action de la coalition internationale dans ces pays. Elle doit aussi assurer le respect des cessez-le-feu qui sont négociés et se conformer à la feuille de route des Nations unies pour trouver une solution politique au conflit. La rapporteure souligne que si la situation humanitaire continue de s’aggraver, l’Alliance devra envisager de contribuer à la mise en place de périmètres de sécurité et de zones d’exclusion aérienne. L’OTAN doit aussi continuer à former les soldats iraquiens à la lutte antiterroriste.

16. Mme Garriaud-Maylam appelle en outre l’attention sur le fait que les populations syriennessont victimes de violations des droits humains et de crimes de guerre, et que ces infractions ne

* Acronyme arabe utilise pour désigner l’organisation terroriste État islamique (EI).

Page 9: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

4

sauraient rester impunies. La rapporteure précise que les actions menées par les Nations unies manquent toujours de financements. Ce déficit a des conséquences sur l’aide d’urgence et pèse lourd sur les voisins de la Syrie, qui ont accueilli plus de 5 millions de réfugiés. La rapporteure encourage les délégués à accroître leur soutien à la région.

17. Mme Garriaud-Maylam rappelle que, malgré les difficultés qu’elle connaît face à l’arrivée demigrants, l’Europe n’a accueilli que 8 % de réfugiés. La rapporteure appelle instamment les pays européens à respecter la mise en œuvre de l’accord conclu entre l’Union européenne et la Turquie. Par-delà la crise humanitaire, la communauté euro-atlantique doit renforcer collectivement ses frontières.

18. Compte tenu de la présence de groupes ethniques et religieux en Syrie et en Iraq, l’avenirdes deux pays demeure incertain. Une chose est sûre en revanche : face à ces crises politiques et humanitaires, la détermination de l’Alliance doit rester intacte.

• Exposé de Salam KAWAKIBI, directeur adjoint, Initiative de réforme arabe (ARI),

En Syrie : reconstruction alléchante et enterrement de la démocratie, suivi d’un débat

19. Salam Kawakibi débute son exposé par une description pessimiste de la situation enSyrie – en la différenciant du conflit en Iraq, qui dure depuis dix ans. La violence en Syrie et les groupes radicaux sont apparus trois ans seulement après une révolution qui avait été pacifique. L’intervenant exprime son amertume après sept ans de défense des droits humains. Il retient de son expérience aux côtés d’Amis de la Syrie – une coalition de 126 pays ayant soutenu la révolution populaire en Syrie – que les sommets internationaux ont produit peu de résultats. Les conséquences de l’inaction générale sont un nombre de victimes civiles alarmant et la destruction des infrastructures du pays. M. Kawakibi veut être clair : la destruction en Syrie est le fait du régime al-Assad, qui livre une guerre contre sa propre population. De même, la montée en puissance des groupes religieux extrémistes et violents pourrait être le résultat de la campagne militaire du régime.

20. L’intervenant donne ses impressions sur les négociations de Genève et d’Astana. Ilconsidère que les négociations de Genève sont inefficaces parce que le climat en Syrie n’y est pas propice. La raison est que, dans la situation actuelle, la Russie et le régime al-Assad ne sont pas incités à faire des concessions parce qu’ils considèrent qu’ils sont en train de gagner.

21. M. Kawakibi évoque la répression orchestrée depuis longtemps par le régime syrien, enparticulier le massacre perpétré à Hama dans les années 1980. Compte tenu de la longue tradition de violence du régime, il est peu probable que la répression prenne fin en Syrie, à moins qu’il y ait un changement majeur dans le pays dans la façon de coopérer avec son allié russe. La Russie a des intérêts stratégiques bien connus en Syrie, qui peuvent être exploités. D’un autre côté, l’Iran est davantage axé sur l’idéologie, et ses choix seront différents de ceux de la Russie.

22. Comme l’indique l’intervenant, bien que les Syriens attendent que la situation sur le terrainchange, ils ont aussi mis sur pied plusieurs projets visant à décentraliser l’État et sa gouvernance. Ils mettent en pratique la démocratie. Ainsi, dans les zones non touchées par le conflit, des conseils locaux ont été créés, avec une forte représentation féminine. L’intervenant rappelle aux délégués que les Syriens se préparent à la gouvernance démocratique.

23. Zehra Taskesenlioglu appelle l’attention sur le fait qu’il est important que la communautéinternationale assume une part équitable du fardeau en accordant l’asile à des réfugiés et des

migrants. Mary Creagh (UK) partage l’avis de M. Kawakibi et note qu’il n’existe pas encore en Europe de politique cohérente sur la question de la Syrie. Elle émet par ailleurs deux observations : la première au sujet de l’économie de guerre qui s’est développée en Syrie ; la seconde concernant l’inefficacité des zones de désescalade. Le conflit actuel, signale-t-elle,

conduira à une radicalisation des jeunes Syriens. Mohammed Hegazi (PNC) revient sur la situation humanitaire dramatique en Syrie. Il se demande en particulier comment les Syriens

Page 10: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

5

pourront retourner dans les régions qu’ils ont quittées et qui étaient sous le contrôle de Daech.

Koryun Nahapetyan (AM) souhaite savoir quels efforts concrets l’Alliance pourrait déployer en Syrie pour faire parvenir l’aide humanitaire à ceux qui en ont besoin, en particulier les communautés arméniennes.

24. M. Kawakibi est d’accord avec Mme Taskesenlioglu et remercie les voisins de la Syrie pourleur accueil de réfugiés ; il appelle également les autres pays de la région et d’Europe à accroître leur soutien à l’ensemble des victimes du conflit. Mme Garriaud-Maylam rappelle par ailleurs combien il est important que la communauté euro-atlantique s’occupe de la question de la gouvernance en Syrie et s’attaque au problème de la radicalisation, en son sein et ailleurs. M. Kawakibi revient sur les préoccupations exprimées par M. Nahapetyan, en indiquant qu’il existe en Syrie de nombreuses régions – notamment celle d’Idlib – où le régime restreint l’accès des civils à l’aide humanitaire. Il avertit que cette situation aggravera encore le problème de la radicalisation.

25. Le président invite les délégués à voter. Le projet de rapport [157 CDS 17 F] est adopté.

VII. Examen du projet de rapport de la sous-commission sur la gouvernance

démocratique La révolution des médias sociaux : incidences politiques et sécuritaires

[158 CDSDG 17 F] présenté par Jane CORDY (Canada), rapporteure

26. Jane Cordy (CA) affirme pour commencer que la révolution des médias sociaux a uneincidence sur presque tous les aspects de la vie quotidienne, et ce dans le monde entier. Les réseaux sociaux ont facilité le dialogue entre les individus et les communautés, et rendu la communication interpersonnelle plus facile et moins coûteuse. Mme Cordy indique qu’il existe aujourd’hui dans le monde presque 3 milliards d’utilisateurs actifs des médias sociaux, et que ce nombre croît de quelque 20 % par an.

27. La rapporteure relève que l’impact des médias sociaux sur les sociétés au sens large a deprofondes répercussions sur les pouvoirs publics, au sein et en dehors de l’Alliance, et cite plusieurs exemples. Elle signale que les médias sociaux ne nourrissent pas toujours un discours productif et ne renforcent pas forcément les institutions démocratiques. La façon dont les algorithmes de ces réseaux distribuent les contenus accroît la polarisation politique. Les médias sociaux, indique la rapporteure, sont en outre utilisés comme des armes par les États et les acteurs non étatiques. Le rapport cite certains exemples de cette arsenalisation tels que la collecte de renseignements, la guerre psychologique, et même les activités de commandement et de contrôle. De tous les acteurs non étatiques, Daech est le plus qualifié en ce qui concerne l’utilisation des médias sociaux. L’organisation a fait preuve de grandes compétences remarquables en la matière, utilisant les réseaux pour diffuser son idéologie, recruter des membres, lever des fonds, donner des instructions et diffuser sa violence.

28. Mme Cordy considère que les opérations menées par la Russie sur les médias sociauxreprésentent des tentatives d’atteinte à la gouvernance démocratique, d’ingérence dans les affaires intérieures des États, et de mise à mal de la réputation de l’Alliance. Un point important est que l’OTAN a déjà commencé à s’attaquer aux problèmes causés par l’utilisation malveillante des médias sociaux par la Russie. Pourtant, la rapporteure insiste auprès des délégués pour que, malgré les actions menées jusqu’ici, des efforts supplémentaires soient déployés à la fois par les gouvernements nationaux et par le secteur privé.

29. Le rapport contient plusieurs recommandations qui sont reprises dans un projet derésolution sur la lutte contre l’arsenalisation de l’information. Mme Cordy conclut en soulignant que l’Alliance a la difficile tâche de protéger nos démocraties contre les forces subversives et de préserver un accès ouvert à l’internet. Elle pense qu’il est possible de trouver un équilibre entre la protection des institutions des États membres et le maintien d’un discours ferme – en ligne et hors ligne – qui défende nos valeurs et soit conforme aux principes de l’Alliance.

Page 11: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

6

30. Mikko Savola (FI) demande comment les sociétés doivent éduquer leurs citoyens pourqu’ils soient capables de faire le tri entre les vraies et les fausses informations. Mary Creagh et Iryna Friz font part des effets néfastes de la guerre de l’information et de la cyberintimidation – menées à la fois de l’intérieur et depuis l’étranger – qu’elles ont constatés dans leurs propres

pays. Veli Yuksel (BE) souhaite savoir comment l’Alliance peut trouver un compromis entre la liberté d’expression et le contrôle des propos qui sont tenus en ligne, et si cela doit être la tâche des parlementaires ou des entreprises privées. Zehra Taskesenlioglu indique qu’elle a un problème avec le paragraphe 9 du rapport concernant les manifestations dans le parc Gezi. Enfin,

Marc Serré (CA) demande si la rapporteure a cherché à savoir comment les données personnelles des citoyens sont gérées par les sociétés puis échangées via les réseaux sociaux, et comment les « trolls », les « bots » et les « fake news » peuvent générer l’information.

31. Faisant écho aux propos de M. Savola et de Mmes Creagh et Friz, Mme Cordy affirme quel’éducation est extrêmement importante et que la cyberintimidation est un problème qui doit être traité dans tous les pays de l’Alliance. Elle clarifie ensuite le texte à l’intention de la déléguée turque, en précisant que la Turquie n’est pas le seul pays mis en avant et que le rapport cite également des faits similaires dans d’autres pays de l’Alliance. Concernant la remarque de M. Serré, la rapporteure reconnaît que les parlementaires doivent avoir une meilleure compréhension des méthodes de collecte des données employées par les réseaux sociaux.

32. Le projet de rapport [158 CDSDG 17 F] est adopté.

VIII. Exposé de Mark GALEOTTI, chercheur principal et coordinateur, centre de sécurité

européenne, Institut des relations internationales, Prague, sur La guerre de

l’information menée par la Russie, suivi d’un débat

33. Mark Galeotti donne une vue d’ensemble de la guerre hybride et de la guerre del’information qui sont livrées par la Russie. La Fédération de Russie n’a pas la même conception de la guerre de l’information que les pays membres de l’OTAN ou que « l’Occident ». La guerre hybride menée par la Russie va de la guerre de l’information au piratage financier. Les Russes emploient l’expression plus générale de « guerre politique ». M. Galeotti explique que les pays occidentaux classent ces activités dans des catégories différentes, alors que pour les Russes, la corruption des entreprises, l’espionnage d’État et autres tactiques hybrides font partie d’une même doctrine.

34. L’intervenant indique que cette doctrine a trois objectifs : diviser l’Alliance, la distraire desquestions stratégiques qui intéressent la Russie, et effrayer les Alliés pour leur faire croire que la menace hybride est plus grave qu’elle ne l’est réellement. M. Galeotti évoque ensuite les priorités stratégiques de la Fédération de Russie et de son président. Il ne pense pas que M. Poutine nourrisse des ambitions territoriales au sujet de « l’Europe de l’OTAN », mais bien qu’il souhaite pouvoir décider de l’avenir des anciennes républiques soviétiques. Le président russe sait très bien comment exploiter les atouts de son pays, affirme M. Galeotti. Malgré son faible pouvoir de persuasion, la Russie mobilise ses forces pour combattre ce que M. Poutine considère comme les points faibles de l’Alliance, à savoir ses institutions démocratiques. La Russie continue d’utiliser ses outils hybrides pour exploiter les désaccords légitimes de l’Alliance, et elle le fait au travers des médias libres des Alliés.

35. Il conclut son exposé par deux points. Premièrement, les membres de l’OTAN doiventprendre conscience que la guerre de l’information a, en soi, peu d’impact. La raison pour laquelle elle en a effectivement un est que les acteurs russes qui mènent cette guerre s’appuient sur les tensions qui existent déjà au sein de l’Alliance et les exacerbent. La seule chose que font les Russes est de mettre un peu d’huile sur le feu. Deuxièmement, les dirigeants russes se réjouissent que l’Alliance fasse autant de cas de la guerre de l’information, car cela leur donne l’air d’être plus puissants qu’ils ne sont. Si les Alliés ont une vague idée des efforts qu’ils doivent

Page 12: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

7

consentir pour lutter contre les menaces cinétiques/traditionnelles, en revanche, ils ont du retard en ce qui concerne le traitement solidaire des questions de contre-ingérence.

36. Anna Fotyga (EP) et Iryna Friz approuvent les propos de l’intervenant concernant le besoinde solidarité au sein de l’Alliance et l’urgence de faire face à l’influence malveillante de la Russie. Le président, M. Canas, demande si la Russie se sert de la criminalité organisée comme d’une arme de politique étrangère. M. Galeotti répond que les Russes n’exportent pas la corruption de façon globale, mais plutôt de façon unique d’un pays à un autre. La criminalité organisée russe est plutôt une activité « haut de gamme ». Pour le meilleur ou pour le pire, l’État russe peut être décrit comme une plaque tournante. Par conséquent, le positionnement et la réussite d’une entreprise dépendent de ce que cette dernière peut faire pour l’État, en Russie ou à l’étranger.

37. Mark Galeotti conclut son exposé en passant en revue les méthodes pouvant être utiliséespar l’Alliance pour résoudre le problème de la qualité inégale des organisations médiatiques. Il estime qu’une approche fondée sur des normes serait utile. Si n’importe quelle source d’informations peut être accréditée, c’est la qualité du secteur tout entier qui en pâtit. Un ensemble de lignes directrices devrait être établi pour définir ce qu’est une organisation médiatique.

Dimanche 8 octobre 2017

IX. Exposé de Theresa FALLON, directrice, centre d’études sur la Russie, l’Europe et

l’Asie (CREAS), sur Les risques d’instabilité en Asie de l’Est, suivi d’un débat

38. Theresa Fallon débute son exposé sur les essais de missiles nucléaires et balistiqueseffectués par la Corée du Nord (République populaire démocratique de Corée, RPDC). Elle souligne que le dernier essai en date – en septembre 2017, le sixième du genre cette année – a suscité une escalade de déclarations entre les États-Unis et le leader nord-coréen, Kim Jung-Un. Malgré les propos tenus par l’administration états-unienne, il est difficile de savoir en quoi sa stratégie en Asie de l’Est a changé. Mme Fallon rappelle aux délégués l’importance que présente cette situation pour la communauté internationale, car l’emplacement géographique de la Corée du Nord lui permet de projeter des missiles balistiques intercontinentaux sur plusieurs pays membres et associés de l’OTAN. L’intervenante évoque en outre le rôle accru joué par la Chine et la Russie dans cette crise.

39. Mme Fallon décrit ensuite la situation problématique en mer de Chine méridionale. Dans unevolonté de s’opposer à la Cour internationale de justice et de maquiller la réalité, l’État chinois s’est lancé dans une opération de réaménagement des terres en vue de créer des îles, ainsi que dans le recrutement d’une « milice maritime » pour asseoir son autorité et menacer les navires japonais présents dans la région. La tactique utilisée en mer de Chine méridionale est également employée dans la mer de Chine orientale, où de nombreux cas de confrontation avec le Japon ont été relevés.

40. L’intervenante aborde ensuite la question de l’islam radical en Asie du Sud-Est. Son exposéporte plus particulièrement sur les Philippines et le régime Duterte. Elle indique que les combats font rage aux alentours de Marawi et que des insurgés venus du Moyen-Orient et d’Asie centrale affluent dans la région. Mme Fallon note très justement que cette situation aura des répercussions sur l’initiative « One Belt, One Road » de la Chine, et que l’État chinois a intérêt à intervenir dans la région.

41. L’intervenante conclut en indiquant qu’il est difficile de se prononcer sur les perspectivesd’avenir dans la région du fait que la stratégie de l’administration américaine en Asie de l’Est demeure obscure et que les relations entre Trump et Kim Jong-Un sont imprévisibles.

42. Jong-Kul Lee (KR) se dit très préoccupé par la situation sécuritaire dans la péninsulecoréenne suite aux récents essais effectués par la Corée du Nord. M. Lee exprime sa gratitude

Page 13: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

8

pour l’aide énergique apportée par l’OTAN pour mettre fin aux ambitions nucléaires nord-coréennes.

43. Le président, M. Canas, et Andrew Laming (AU) demandent des précisions sur le rôle de laChine et de la Russie dans la région, en particulier sur le rapprochement progressif des Russes avec le régime nord-coréen et sur les pratiques peu démocratiques de la Chine à Hong Kong et

dans toute l’Asie du Sud-Est. Lord Jopling (UK) demande si l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE) pourrait susciter un regain d’intérêt. Mme Taskesenlioglu appelle l’attention sur les violations des droits humains qui sont commises à l’encontre de la population rohingya du Myanmar.

X. Examen des amendements et vote sur le projet de résolution Faire face à

l’arsenalisation de l’information [215 CDS 17 F] présenté par Jane CORDY (Canada),

rapporteure

44. Mme Cordy fait remarquer que le projet de résolution compile les principaux constats figurantdans le rapport de la sous-commission, et qu’il s’appuie sur plusieurs exposés qui ont été présentés ces dernières années aux membres de la CDS au sujet des défis de la cyber-révolution.

45. La rapporteure souligne que les gouvernements des États membres doivent prendre desmesures pour s’adapter aux défis posés par l’ère de l’information. Le projet de résolution recommande en particulier la désignation d’institutions spéciales chargées de repérer les attaques de désinformation et de les contrer en leur opposant des faits. Le texte recommande que l’Alliance continue de prendre des mesures restrictives, par exemple en retirant les contenus extrémistes et en mettant sur liste noire les belligérants les plus actifs en matière de désinformation.

46. Plus spécifiquement, les forces armées de l’OTAN devront : s’adapter plus rapidement ;intégrer un volet médias sociaux dans les exercices et la formation de leur personnel ; intégrer la capacité d’utiliser les médias sociaux à tous les niveaux de commandement ; améliorer l’échange des meilleures pratiques s’agissant de la protection du processus électoral ; nouer des partenariats solides avec les groupes de médias pour renforcer leur capacité à supprimer les contenus illicites et à développer des logiciels permettant de vérifier les faits ; investir davantage dans l’éducation des citoyens et le développement de leurs compétences numériques et de leur esprit critique afin qu’ils puissent détecter l’utilisation de « trolls » et de « bots ». En même temps qu’ils s’attaquent à ces difficultés, la rapporteure appelle tous les pays à garder à l’esprit et à respecter les principes d’ouverture, de pluralisme et d’inclusion sur lesquels repose l’Alliance.

47. Le président soumet pour examen deux amendements. D’une part, la délégation françaisesouhaite que soit ajoutée dans le premier paragraphe de la résolution l’expression « dans le respect des libertés fondamentales ». D’autre part, la délégation allemande propose d’inclure une

référence aux pays des Balkans occidentaux. Le projet de résolution [215 CDS 17 F] tel

qu’amendé, est adopté.

XI. Examen des amendements et vote sur le projet de résolution Stabilité et sécurité dans

la région de la mer Noire [219 CDS 17 F] présenté par Ulla SCHMIDT (Allemagne),

rapporteure spéciale

48. Ulla Schmidt présente le projet de résolution sur la région de la mer Noire. Le texte metl’accent sur l’importance de cette région pour la communauté euro-atlantique, ainsi que du soutien aux pays membres et associés de l’Alliance dans la région. La rapporteure rappelle la vision de l’Alliance, à savoir une région de la mer Noire démocratique et pacifiée. Or, la démocratie n’est pas totalement installée, des atteintes à la souveraineté continuent d’être commises, et les tensions croissantes en matière de sécurité maritime font obstacle aux initiatives de coopération et

Page 14: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

9

de stabilité régionale. Mme Schmidt cite à cet égard le renforcement du dispositif militaire de la Russie ainsi que la violation de l’intégrité territoriale de l’Ukraine et de la Géorgie, qui requièrent une réponse ferme, prudente et proportionnée.

49. La rapporteure appelle l’ensemble des parties prenantes à continuer de chercher desmoyens de raviver une coopération régionale inclusive, de manière à réduire les tensions, favoriser la stabilité régionale et permettre un règlement pacifique des conflits. Elle encourage également tous les pays membres de l’OTAN, ainsi que l’Union européenne, à renforcer leur engagement dans la région. Enfin, elle invite instamment les Alliés à afficher leur volonté de faire respecter les lois internationales qui régissent la mer Noire.

50. La résolution a pour but de montrer que toutes les réformes démocratiques et tous lesefforts de lutte anticorruption qui sont menés dans la région de la mer Noire bénéficient d’un soutien large et durable. Il incombe à l’Alliance de dénoncer le recul démocratique et la responsabilité de tout un chacun en la matière, ainsi que de promouvoir la liberté des médias et la bonne gouvernance dans l’ensemble de la zone euro-atlantique. La sécurité euro-atlantique repose sur la stabilité politique ainsi que sur la restauration de la souveraineté, des droits humains et de la démocratie dans la région.

51. Un certain nombre d’amendements ont été déposés par les délégations azerbaïdjanaise,géorgienne, moldove, roumaine et turque. Afin d’accélérer la procédure, les délégations géorgienne et roumaine ont retiré plusieurs de leurs amendements qui présentaient moins d’importance. La majorité des amendements déposés avaient trait au rôle de l’Alliance dans la région de la mer Noire et à l’importance d’apporter un soutien à la Géorgie, la République de Moldova et l’Ukraine. À quelques exceptions près, les amendements sont adoptés à l’unanimité. L’un de ceux qui sont rejetés concernait la proposition turque de n’appliquer les points relatifs aux progrès démocratiques qu’aux États de la région non membres de l’OTAN. Les amendements des délégations azerbaïdjanaise et moldove visant à élargir la portée de la résolution sont eux aussi rejetés.

52. Le projet de résolution [219 CDS 17 F], tel qu’amendé, est adopté. Les délégués turcsexpriment leur désaccord sur certaines parties du texte.

XII. Présentation des activités futures de la commission sur la dimension civile de la

sécurité et de la sous-commission sur la gouvernance démocratique (CDSDG)

53. Le président remercie la délégation britannique pour son accueil de la sous-commission lorsde ses visites à Londres et York, ainsi que les délégués qui se sont rendus en septembre à Philadelphie et à Carlisle dans le cadre de la visite conjointe de la CDSDG. M. Canas salue tout spécialement Lord Jopling, qui a présidé les tables rondes.

54. Le président rappelle aux membres de la commission qu’une visite aura lieu au Koweït du 13au 15 novembre, et qu’ils sont invités à s’y inscrire dans les meilleurs délais. Ce déplacement inclura une visite au Centre régional OTAN - Initiative de coopération d'Istanbul (ICI), et traitera notamment de la coopération euro-atlantique avec le Koweït et la région du Golfe. En 2018, la CDS et la CDSDG devraient se rendre au Qatar, en Scandinavie (Islande ou Norvège), à Prague et à Budapest.

55. Il est ensuite question des thèmes des rapports pour 2018. Ulla Schmidt, qui vient d’êtreélue rapporteure générale de la CDS, continuera de rendre compte de la situation dans la région de la mer Noire, en s’intéressant plus spécialement à la démocratie, aux droits humains, à l’état de droit et à la lutte anticorruption. Le rapport de la CDSDG portera sur un nouveau sujet : les capacités de recherche et de sauvetage dans la zone euro-atlantique. Ces capacités jouent un rôle particulièrement important dans deux régions limitrophes de la communauté euro-atlantique : le Grand Nord et la mer Méditerranée. Enfin, le rapport spécial de la CDS en 2018 sera sans

Page 15: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

231 CDS 17 F

10

doute consacré aux défis de la guerre hybride, notamment au regard des actions menées par la Russie pour porter atteinte à l’unité euro-atlantique et à la confiance dans les institutions. M. Canas suggère que le rapport aborde, entre autres, la question de la protection des processus électoraux contre l’ingérence extérieure.

56. Le président demande aux délégués s’ils ont des commentaires à faire sur les propositions.Koryun Nahapetyan demande si les pays associés pourront participer aux visites précitées. M. Canas lui répond que cela devra être déterminé au cas par cas.

57. Pour finir, le président suggère que la commission organise une autre enquête sur la miseen œuvre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies sur les femmes, la paix et la sécurité. Il indique également que l’Assemblée envisage d’organiser cette année un événement spécial sur les questions de genre. Enfin, il propose que Mme Schmidt pilote la préparation et la réalisation de l’enquête. L’intéressée donne son accord.

XIII. Élection des membres des bureaux de la commission et de la sous-commission

58. M. Canas supervise le processus d’élection des membres des bureaux de la commission et

de la sous-commission. Joëlle Garriaud-Maylam (FR) est élue par acclamation présidente de la

CDS, succédant à Vitalino Canas (PT) qui est applaudi pour son mandat. Ce dernier est ensuite

élu par acclamation président de la CDSDG. Ulla Schmidt (GE) est élue par acclamation

rapporteure générale de la CDS, tandis que Lord Jopling (UK) est élu par acclamation rapporteur

spécial. Enfin, Brett Guthrie (US) est élu vice-président de la CDSDG, succédant à Lois Frankel (US).

XIV. Divers

59. Aucun autre sujet n’est abordé.

XV. Date et lieu de la prochaine réunion

60. Le président clôt la séance en indiquant que la prochaine réunion de la commission aura lieudans le cadre de la session de printemps 2018 à Varsovie (Pologne), du 25 au 28 mai.

Page 16: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest
Page 17: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

CDS 059 CDS 18 F Original : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA SÉCURITÉ

ENCOURAGER LA DÉMOCRATIE ET LES DROITS HUMAINS

DANS LA RÉGION DE LA MER NOIRE

PROJET DE RAPPORT GÉNÉRAL*

Ulla SCHMIDT (Allemagne) Rapporteure générale

www.nato-pa.int 20 mars 2018

* Aussi longtemps que ce document n’a pas été adopté par la commission sur la dimension civile de la

sécurité, il ne représente que le point de vue de la rapporteure générale.

Page 18: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION .............................................................................................................. 1

II. L’UKRAINE ...................................................................................................................... 2

A. LA SITUATION DANS L’EST DE L’UKRAINE CONTRÔLÉ PAR LES

REBELLES ............................................................................................................... 3

B. LA SITUATION EN CRIMÉE..................................................................................... 4

III. LA GÉORGIE ................................................................................................................... 4

IV. LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA .................................................................................... 7

V. LA RUSSIE ...................................................................................................................... 9

VI. LES PAYS DE L’ALLIANCE ........................................................................................... 11

VII. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES : AMÉLIORER L’APPROCHE DE LA

COMMUNAUTE EURO-ATLANTIQUE À L’EGARD DE LA REGION DE LA MER

NOIRE ........................................................................................................................... 15

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ....................................................................................... 17

Page 19: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

1

I. INTRODUCTION 1. Dans son dernier rapport annuel, Freedom House fournit des chiffres inquiétants qui montrent que la démocratie est en crise à l’échelle mondiale. Cet organisme de surveillance affirme que la démocratie s’est très largement détériorée partout dans le monde depuis plus de 10 ans. Des valeurs démocratiques telles que le droit de choisir ses dirigeants lors d’élections libres et régulières, la liberté de la presse ou l’état de droit, sont bafouées et en recul. Même chez certains membres de la communauté euro-atlantique - laquelle est depuis longtemps considérée comme le fer de lance de l’ordre démocratique et libéral mondial - les responsables perçoivent ces tendances préoccupantes. 2. L’ordre mondial qui avait apparemment triomphé à l’issue de la guerre froide, poussant d’aucuns à annoncer la « fin de l’histoire », est battu en brèche. Pour l’Alliance, organisation reposant sur des valeurs démocratiques libérales, cette dégradation est lourde de conséquences. La rapporteure générale est convaincue qu’un véritable débat entre les Alliés sur les moyens de renforcer les valeurs démocratiques est nécessaire ; elle estime en outre que l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) représente une instance appropriée pour la tenue de tels débats.

3. La question des valeurs démocratiques étant trop vaste pour être traitée dans le cadre d’un seul rapport, la rapporteure générale a choisi de privilégier la région de la mer Noire, en raison de son poids stratégique pour l’OTAN et pour la sécurité mondiale en général. Tout d’abord, l’importance de la région s’est considérablement accrue. Le comportement révisionniste de Moscou - y compris la violation par la Russie de l’intégrité territoriale de la Géorgie et de l’Ukraine - et le fait que la région soit proche du Moyen-Orient et des conflits qui y perdurent, ont conduit l’OTAN à se réinvestir dans cette zone. Deuxièmement, la région représente un microcosme d’acteurs majeurs pour l’OTAN, au nombre desquels figurent trois Alliés (la Turquie, la Bulgarie et la Roumanie), deux pays candidats à l’adhésion (l’Ukraine et la Géorgie), un partenaire de l’OTAN (la République de Moldova 1 ) et la Russie, qui considère l’Alliance comme son adversaire. L’attachement de ces pays aux valeurs démocratiques et à l’état de droit est très variable. Même de grandes démocraties comme la Roumanie et la Bulgarie se distinguent, dans le cadre de l’Union européenne, comme étant les seuls États membres soumis au mécanisme de coopération et de vérification (MCV) conçu pour aider ces deux pays dans les domaines de la réforme judiciaire et de la lutte contre la corruption. 4. Le présent projet de rapport donne un aperçu de l’évolution de la situation dans les pays riverains de la mer Noire (y compris des efforts entrepris, le cas échéant, pour consolider les institutions démocratiques), des défis en matière de protection des droits humains et des libertés civiles, de la lutte contre la corruption et de la mise en œuvre de programmes de réforme. La rapporteure générale montrera que la communauté euro-atlantique doit mettre davantage l’accent sur la démocratie, l’état de droit et les indicateurs des droits humains dans ses approches à l’égard de la région. Ces améliorations sont indispensables pour la cohésion de l’Alliance, pour les perspectives euro-atlantiques de la Géorgie, de la République de Moldova et de l’Ukraine, pour la normalisation des relations avec la Russie et, plus généralement, la désescalade des tensions et la prévention des conflits dans cette zone.

1 La rapporteure générale a choisi d’inclure un chapitre sur la République de Moldova pour sa proximité

immédiate de la mer Noire. Le port moldove de Giurgiulești, sur le Danube, fait de facto du pays un

État riverain de la mer Noire.

Page 20: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

2

II. L’UKRAINE 5. Plus de quatre ans après la révolution de la dignité, le retour à l’autocratie et à la censure en Ukraine semble impossible. Des élections libres et régulières y ont été organisées, le paysage médiatique ukrainien se caractérise par sa diversité et la société civile, par son indépendance et son dynamisme. 6. Si, ces quatre dernières années, l’Ukraine a pris plus d’initiatives de réforme qu’au cours des 23 années qui ont précédé la deuxième révolution de Maïdan, elle s’efforce aujourd’hui à grand-peine de poursuivre son plan de réforme. Le président ukrainien, Petro Porochenko, essuie de plus en plus de critiques. Les réformes se sont ralenties et la mise en œuvre effective des lois adoptées laisse à désirer. Le degré de confiance envers le système politique est extrêmement faible, le soutien aux responsables ou aux partis politiques dépassant rarement les 10 %. L’apathie des jeunes est l’aspect le plus déconcertant. Selon un sondage, environ deux tiers des jeunes se désintéressent de la politique et seul un tiers des personne interrogées estiment qu’accepter ou donner des pots-de-vin ne se justifie jamais (Sasse, 2018). 7. Sur le plan économique, la situation s’améliore lentement. Grâce à la compression des dépenses, combinée à la simplification du code des impôts et aux réformes destinées à favoriser la transparence économique, le PIB a augmenté de plus de 2 % en 2016 et en 2017. Dans le rapport annuel Doing Business de la Banque mondiale, il est indiqué que l’Ukraine a nettement amélioré l’environnement des entreprises, passant de la 142e place (sur 183) en 2010 à la 80e. À la suite d’importantes restructurations, le pays a considérablement réduit sa dépendance à l’égard de la Russie en matière d’importation d’énergie.

8. Malgré les obstacles persistants, Kiev a pris des mesures pour remédier à la corruption. Le Bureau national de lutte contre la corruption (NABU) s’est engagé le premier dans la lutte contre la corruption de haut niveau. Il est aidé en cela par une nouvelle loi exigeant des fonctionnaires qu’ils déclarent électroniquement leurs revenus et leur patrimoine, ainsi que ceux des membres de leur famille. La mise en place et l’adoption généralisée d’un système électronique de passation des marchés publics (ProZorro) a permis d’autre part de faire reculer le favoritisme politique en matière de passation des marchés publics, de tripler le nombre de soumissionnaires et de fournisseurs, et de réduire considérablement les dépenses de l’État. Le Parlement a récemment approuvé des réformes constitutionnelles et politiques fondamentales destinées à juguler les influences politiques au sein de l’appareil judiciaire et à favoriser le professionnalisme des magistrats. Les parlementaires ont également adopté plusieurs mesures de décentralisation habilitant les citoyens et les militants à faire leurs des questions qui concernent leurs communautés.

9. Il n’en reste pas moins que des mesures supplémentaires doivent être prises pour approfondir les efforts de lutte contre la corruption et éviter un recul démocratique. En 2016, le directeur du NABU a démissionné après avoir accusé de hauts fonctionnaires d’obstruction aux travaux de l’agence. En mai 2017, la présidente de la banque centrale ukrainienne a quitté ses fonctions après « trois années de harcèlement constant » ayant visé les efforts qu’elle déployait pour réglementer les banques privées du pays (Mufson, 2017). De plus, les procédures engagées à l’encontre de personnages puissants restent rares et les militants enquêtant sur des affaires de corruption peuvent subir des représailles. Un projet de loi prévoyant la création d’une cour anticorruption indépendante, condition préalable à l’octroi d’une aide supplémentaire, n’a pas répondu aux critères fixés par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et d’autres organisations. Les membres de la magistrature manquent encore notablement d’indépendance. Un organisme public de surveillance s’est interrogé sur les antécédents professionnels de plusieurs magistrats récemment désignés (UCMC, 2017). Enfin, les observateurs se sont dit préoccupés par les nouvelles lois sur les ONG, qui leur font obligation (de même qu’à leurs employés), à l’instar des fonctionnaires, de déclarer leur patrimoine (Freedom House, 2018).

Page 21: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

3

10. La réforme du secteur de la sécurité ne s’est pas accélérée. Les observateurs estiment que le service de sécurité ukrainien (SBU) est trop puissant et échappe à tout contrôle (Parlement européen, 2018). Depuis maintenant plusieurs années, l’OTAN serait insatisfaite de la manière dont Kiev s’acquitte de ses obligations au titre du programme national annuel, lequel précise l’étendue et le rythme des réformes à effectuer aux fins de poursuivre le rapprochement du pays avec l’OTAN. Si la corruption a reculé dans le secteur de l’énergie, les experts relèvent qu’elle s’est déplacée vers celui de la défense (Higgins, 2018). 11. Une loi récente sur l’éducation imposant, d’ici à 2020, l’utilisation de l’ukrainien comme langue principale d’enseignement dans les écoles secondaires, a été fortement critiquée tant sur le plan intérieur qu’à l’échelle internationale (notamment par la Hongrie, la Roumanie, la Pologne et la Russie) du fait qu’elle pourrait porter atteinte aux droits et aux libertés des minorités. Budapest affirme que l’intégration euro-atlantique de l’Ukraine ne sera possible que si Kiev modifie la loi et demande avec insistance qu’aucune réunion de la commission OTAN-Ukraine ne soit prévue dans l’intervalle. Les responsables ukrainiens objectent que les enfants doivent comprendre la langue majoritaire de l’État afin de participer pleinement à la société et font remarquer que la loi n’interdit pas les classes séparées d’enseignement dans la langue des minorités.

12. De source officielle, en 2016-2017, l’Ukraine comptait 581 écoles dont la langue d’enseignement était le russe, 78 écoles le roumain, 71 le hongrois et 5 le polonais. La commission de Venise a rendu son avis, dans lequel elle souligne qu’« il est légitime et louable que les États promeuvent le renforcement de la langue de l’État ». Cela dit, elle s’est inquiétée de la teneur et du rythme de la réforme, qui pourrait « constituer une atteinte excessive aux droits dont jouissent actuellement les personnes appartenant à des minorités nationales ». La commission a recommandé que l’Ukraine apporte des modifications à la loi, afin de garantir un enseignement proportionnellement suffisant dans les langues minoritaires dans le primaire et le secondaire, et de prévoir plus de temps pour la mise en œuvre d’une réforme progressive. La rapporteure générale engage les autorités ukrainiennes à tenir dûment compte des recommandations de la commission de Venise.

A. LA SITUATION DANS L’EST DE L’UKRAINE CONTRÔLÉ PAR LES REBELLES 13. En janvier 2018, le Parlement ukrainien a adopté un projet de loi redéfinissant les interventions de l’Ukraine dans les régions de Donetsk et de Louhansk d’opérations antiterroristes à « mesures visant à assurer la sécurité et la défense nationales ainsi que la prévention et la répression de l’agression armée russe ». La loi sert de fondement juridique à la présence des forces armées ukrainiennes dans la région et fait passer la responsabilité du conflit des mains du SBU à celles de tous les groupes de maintien de l’ordre et autres troupes stationnées dans la région. 14. De son côté, le cadre politico-administratif dans les territoires occupés par les rebelles continue de bafouer les droits humains et les libertés. Le haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’homme signale « des cas d’exécutions sommaires, de disparitions forcées, de détentions arbitraires, de torture, de mauvais traitements et de violences sexuelles liées au conflit ». Les personnes soupçonnées de sympathie envers l’Ukraine, au nombre desquelles figurent des membres de l’Église orthodoxe ukrainienne ou des personnes ayant travaillé pour le gouvernement, sont incarcérées ou victimes d’autres formes d’oppression. Les rapports d’Amnesty International font état de procès menés à l’encontre d’individus soupçonnées de s’opposer aux forces rebelles. Si ces situations et d’autres exactions sont, semble-t-il, monnaie courante, les observateurs internationaux et les organisations humanitaires n’ont souvent pas accès aux personnes détenues par les rebelles ou d’autres groupes. Point positif toutefois : l’Ukraine et les chefs rebelles ont procédé à un vaste échange de prisonniers en décembre 2017, 246 détenus ayant été libérés par l’Ukraine contre 74 par les rebelles.

Page 22: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

4

15. Sur le plan politique, la Russie continue de renforcer son contrôle des territoires en remplaçant peu à peu les chefs rebelles. Dans un cas précis, les forces russes et celles de la « République populaire de Donetsk » sont intervenues dans la lutte pour le pouvoir au sein de la « République populaire de Louhansk », en facilitant le retrait du dirigeant de celle-ci, Igor Plotnitsky.

B. LA SITUATION EN CRIMÉE 16. Après l’invasion et l’annexion illégale de la Crimée par les forces russes en 2014, les dissidences ont été impitoyablement réprimées. Dans tout le territoire occupé, les autorités ont conduit le procès des personnes ayant publiquement critiqué les politiques russes (HRW, 2018). La liberté d’assemblée a été diminuée, les manifestations contre l’occupation étant désormais interdites. De leur côté, les chaînes de télévision et les journaux ukrainiens ont fermé, tandis que les biens et les avoirs sont confisqués sans compensation, en violation du droit international protégeant les civils contre les saisies forcées. Les cas de disparitions forcées, les assassinats et la torture sont courants. L’absence de dispositifs de notification ou de recours pour les victimes permet aux autorités de poursuivre ces actions sans qu’elles aient trop à en craindre les conséquences. Les citoyens continuent d’être la cible de manœuvres de harcèlement et d’être interrogés pour opinions prétendument extrémistes (Parlement européen, 2018). La communauté internationale a déploré l’organisation illégale, par la Russie, en violation du droit international, d’élections législatives (à la Douma en 2016) et présidentielle (en 2018) sur le territoire de Crimée. 17. Si la Crimée présente une grande diversité et compte un nombre important de populations minoritaires, les Tatars, ainsi que d’autres groupes, sont confrontés à des descentes de police, à des arrestations, des enlèvements et des attaques menées par les autorités publiques (UNHCR, 2017). En 2016, le gouvernement russe a interdit l’organe de représentation du peuple tatar de Crimée (le Mejlis) en raison du « recours à la propagande et à la haine à l’égard de la Russie [et de] l’incitation au nationalisme ethnique ». Plusieurs personnalités du Mejlis ont par la suite été arrêtées et condamnées pour séparatisme et extrémisme. Certaines organisations de minorités subsistent, mais ces groupes sont attaqués et poursuivis en justice s’ils n’appuient pas la position officielle du gouvernement russe sur les enjeux locaux. III. LA GÉORGIE 18. La Géorgie est l’un des pays les plus libres de la région de la mer Noire ; elle s’est considérablement transformée entre la révolution des roses en 2003 et le premier transfert du pouvoir en 2012. Selon l’évaluation de Freedom House « Nations in Transit », l’indice de la Géorgie en matière de démocratie s’est amélioré, passant de 4,93 en 2010 à 4,61 en 2017 (1 correspondant au pays le plus démocratique et 7 au pays le moins démocratique). Les réformes ont permis la tenue d’élections démocratiques ainsi que la modernisation et la digitalisation des services de l’État, donné naissance à une presse libre pour l’essentiel et débouché sur une corruption moins étendue que dans plusieurs pays membres de l’UE. La société civile géorgienne est dynamique et attachée dans l’ensemble aux valeurs européennes. La Géorgie dispose d’une orientation claire et poursuit son objectif d’adhésion à l’OTAN et à l’UE. Par sa participation aux missions dirigées par l’OTAN et à d’autres missions internationales, le pays s’est transformé en pourvoyeur de sécurité à l’échelon régional et au niveau mondial. Il n’en reste pas moins qu’il se heurte toujours à des défis importants en termes de développement socio-économique, d’amélioration de l’État de droit et de remédiation à la polarisation politique. 19. La réforme du système judiciaire est urgente pour les Géorgiens, vu les informations ayant fait état d’abus de pouvoir de la part du gouvernement d’avant 2012 et les cas présumés de représailles politiques après le changement de gouvernement la même année. C’est pourquoi le gouvernement s’est engagé à promouvoir l’indépendance de la magistrature et à renforcer, par des réformes, la confiance à l’égard des tribunaux. Ces réformes judiciaires ont porté sur une démocratisation plus poussée et une plus grande transparence du conseil supérieur de la justice

Page 23: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

5

(la principale institution judiciaire) par la prise en compte des recommandations de la commission de Venise. La Géorgie a également engagé la réforme du système des poursuites dans le but de dépolitiser complètement les services du ministère public et d’assurer leur pleine indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Les recommandations de la commission de Venise touchant l’appareil judiciaire ont été prises en considération dans la nouvelle constitution. Les autorités se sont efforcées de veiller à la transparence des poursuites entamées contre des responsables de l’ère Saakachvili, y compris en invitant des observateurs nationaux et internationaux (du BIDDH de l’OSCE).

20. Cela dit, deux ONG géorgiennes de premier plan (l’Association géorgienne des jeunes juristes et Transparency International Georgia) estiment que la mise en œuvre de la réforme judiciaire est faussée dans la pratique. Elles font valoir que les rênes de l’appareil judiciaire sont aux mains d’un seul groupe, lequel s’assure que des juges incompétents de la vieille école occupent de hautes fonctions judiciaires. Dans la lettre conjointe qu’elles ont adressée au vice-président des États-Unis, Mike Pence, de passage dans le pays, 22 ONG géorgiennes ont relevé que le système judiciaire « [était] toujours exposé aux influences intempestives exercées par le gouvernement et aux intérêts particuliers de l’institution judiciaire ». 21. Pour ce qui est des accusations portées contre de hauts responsables de l’ère Saakachvili, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a décidé en novembre 2017 que la détention avant jugement de Vano Merabichvili, ancien premier ministre de Géorgie, s’était justifiée au début mais pas ultérieurement quand, selon la CEDH, l’objectif principal de la détention avait alors été d’obtenir des informations sur des affaires qui n’étaient pas reliées, y compris celle instruite à l’encontre de l’ancien président, Mikheil Saakachvili. En janvier 2018, les autorités géorgiennes ont condamné par contumace, pour abus de pouvoir, M. Saakachvili. 22. La scène politique aux niveaux municipal et national est marquée par la prépondérance du parti au pouvoir, Rêve géorgien - Géorgie démocratique (GD-DG). L’opposition est divisée et mal représentée au Parlement. La majorité écrasante du GD-DG y est légèrement contrebalancée par le président centriste, Guiorgui Margvelachvili, dont le mandat viendra à expiration fin 2018.

23. Le déroulement des élections en Géorgie est pour l’essentiel conforme aux normes électorales internationales. Malgré « un contexte électoral global marqué par la domination du parti au pouvoir » et « les cas de pression exercée sur les électeurs et les candidats », l’OSCE a estimé que les élections municipales de 2017 avaient été régulières. Quoique polarisés et perçus comme partisans, les médias ont permis aux électeurs de prendre la mesure des candidats et des enjeux. En même temps, la mentalité du « tout pour le vainqueur » se reflète dans le fait que le parti au pouvoir a recueilli environ 90 % de l’ensemble des dons de campagne (NDI, 2017). La rapporteure générale partage l’opinion de ceux qui soulignent la nécessité pour les représentants de l’État de favoriser un climat propre à promouvoir une gouvernance pluraliste et sans exclusive, où une forte opposition fait partie intégrante d’une démocratie saine.

24. Plus récemment, les députés du Rêve géorgien se sont servis de leur écrasante majorité pour modifier la constitution. Les modifications initiales avaient été critiquées par l’opposition, la présidence et plusieurs ONG, au motif que la plupart des infléchissements proposés auraient fragilisé les mécanismes de contrôle du parti majoritaire. Par la suite, tenant compte d’un grand nombre de recommandations de la commission de Venise, le parti au pouvoir a accepté de procéder à certains changements. La nouvelle constitution érige la Géorgie au rang des démocraties parlementaires, tout en supprimant l’élection du président au suffrage universel direct. Elle prévoit une plus grande indépendance des juges de la Cour suprême, ainsi que l’adoption (mais seulement à partir de 2024) d’un système de scrutin à la proportionnelle pour les élections législatives.

25. La commission de Venise a émis un avis globalement positif sur la nouvelle constitution, mais a critiqué l’ajournement du passage à la proportionnelle, faisant observer qu’il s’agissait de « l’aspect le plus important de la réforme ». Toutefois, les promesses du gouvernement d’autoriser

Page 24: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

6

la formation de coalitions électorales pour les élections de 2020 et d’abaisser le seuil électoral à 3 %, devraient dans une certaine mesure remédier aux aspects négatifs de cet ajournement. La commission a par ailleurs désapprouvé l’adoption d’un système complexe d’attribution des sièges non répartis, qui privilégie le parti le plus important du pays. Elle espère que ce système de prime sera abrogé d’ici 2024.

26. Selon Freedom House, la liberté de la presse en Géorgie s’est quelque peu améliorée par rapport à la période d’avant 2012, mais elle reste classée dans la catégorie « partiellement libre ». Rustavi-2, la chaîne de télévision la plus regardée du pays (qui critique fréquemment le gouvernement), a fait l’objet d’un différend concernant ses actionnaires après qu’un tribunal a décidé que son contrôle revenait à son ancien propriétaire - lequel avait prétendu que M. Saakachvili l’avait forcé à s’en défaire. Pour préserver la liberté de la presse, la Cour européenne des droits de l’homme a ordonné la suspension sine die de l’exécution de cette décision. Dans leur lettre au vice-président des États-Unis, les 22 ONG géorgiennes ont constaté que « [l]es récents événements touchant le paysage audiovisuel géorgien compromett[ai]ent le pluralisme des médias dans le pays. Trois sociétés de radiodiffusion appartiennent à des personnes entretenant des liens étroits avec le parti au pouvoir. La nouvelle direction de l’Organisme géorgien de radiodiffusion publique - qui bénéficie d’un substantiel financement public - est politiquement affiliée au GD-DG. Le seul organisme de télévision d’importance nationale proposant des points de vue différents et critiques (Rustavi-2) lutte pour sa survie dans le cadre d’une bataille juridique menée pour son contrôle ». 27. Si les réformes ont renforcé l’économie, cette évolution s’est inégalement fait sentir dans la société. Le taux de croissance du PIB en termes réels a chuté de 12,3 % en 2007 à 2,7 % en 2016. Selon le Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD), aujourd’hui 21 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Le chômage, le sous-emploi et les inégalités économiques sont très répandus. Certes, la corruption est faible par rapport aux pays limitrophes, mais la Géorgie a reculé depuis 2013 dans le classement de l’Indice de perception de la corruption que publie Transparency International.

28. Le gouvernement a donc annoncé l’adoption d’un plan de réformes visant à améliorer le développement économique du pays. Ce plan prévoit la libéralisation du code des impôts sur le revenu, de même qu’une réforme de la gouvernance et de l’enseignement. Les réformes de l’enseignement tenteront de régler les problèmes liés à l’emploi, en finançant les professionnels qui cherchent à suivre des cours dans des domaines en sous-effectifs. Le pays a également mis à profit l’accord d’association qu’il a signé en 2016 avec l’UE. Conformément aux engagements passés, le gouvernement a adopté en septembre 2017 un système de contrôle des déclarations de patrimoine des fonctionnaires, ainsi qu’un plan d’action révisé de lutte contre la corruption. Rendant compte de ces succès, les observateurs ont constaté une amélioration du contexte commercial, le pays étant passé de la 24e place en 2016 à la 9e place en 2018, dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale.

Les territoires occupés d’Abkhazie et d’Ossétie du sud / la région de Tskhinvali

29. Des années de contrôle de facto, par la Russie, des territoires géorgiens d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud / de la région de Tskhinvali ont entraîné des actes de persécution et des expulsions commandités par l’État, le déplacement des Géorgiens de souche, de même qu’un changement radical des caractéristiques démographiques régionales. Ces territoires dépendent de plus en plus de la Russie, qui y maintient plus de 9 000 soldats, quelque 2 600 garde-frontières du service fédéral de sécurité et des armements offensifs lourds. La Russie a érigé des barrières et autres obstacles le long de la frontière administrative - que Tbilissi appelle la ligne d’occupation -, évinçant les habitants et bouleversant les contacts de personne à personne. Les responsables de ces territoires, notamment en Ossétie du Sud, ont fait pression en faveur de l’unification avec la Russie.

Page 25: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

7

30. La faiblesse des institutions, la pauvreté généralisée, une presse très encadrée et la discrimination à l’égard des Géorgiens de souche définissent la vie en Abkhazie et en Ossétie du Sud / dans la région de Tskhinvali. Le clientélisme serait monnaie courante et bien souvent, les services de maintien de l’ordre ne bénéficient pas du contrôle nécessaire. Il semblerait que les médias locaux soient étroitement surveillés et que rares soient les possibilités pour la société civile d’exercer des activités. Les observateurs internationaux peinent à évaluer la situation des droits humains dans les deux régions, les autorités de facto leur refusant obstinément tout accès depuis 2008. Les élections comme les magistrats seraient très contrôlés par les autorités russes. IV. LA RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA 31. La République de Moldova, auparavant considérée comme un modèle parmi les États du partenariat oriental de l’UE, s’est employée ces dernières années à conserver ses perspectives d’intégration européenne. Le pays a sombré dans une profonde crise en 2014, lorsqu’1 milliard de dollars (soit environ 12,5 % de son PIB annuel) a disparu de trois banques moldoves, entraînant une forte baisse de la valeur de la monnaie nationale et le gel de l’aide internationale prodiguée par l’UE, le FMI et la Banque mondiale. À la suite de ce scandale, le gouvernement (supposément pro-européen) a pâti d’une écrasante perte de confiance, discréditant l’intégration européenne aux yeux d’une bonne partie de la population. En 2016, un candidat prorusse, Igor Dodon, a été élu à la présidence. 32. En tant que République parlementaire, le pays a conservé son gouvernement théoriquement pro-européen ; reste à savoir toutefois si la coalition pro-européenne survivra aux élections législatives qui devraient se tenir à la fin de l’année 20182. Un sondage réalisé en octobre 2017 par l’International Republican Institute a révélé que 78 % des Moldoves pensent que leur pays va dans la « mauvaise direction ».

33. Cette évolution est symptomatique de la pauvreté, de la corruption et de la faiblesse de l’État de droit qui caractérisent la République de Moldova. Il existe des possibilités d’amélioration, notamment par la coopération avec l’UE (dans le cadre de l’accord d’association UE-République de Moldova qui est entré en vigueur en juillet 2016), mais pour obtenir des changements appréciables, il faut une volonté politique.

34. La consolidation croissante du pouvoir oligarchique compte parmi les principaux problèmes auxquels le pays est confronté. Les observateurs estiment qu’il est la proie d’intérêts oligarchiques et que ses structures favorisent les intérêts particuliers de quelques oligarques et responsables politiques (TI Moldova, 2017) dont le plus puissant, Vlad Plahotniuc. Parallèlement à la gestion de sociétés présentes dans les secteurs pétrolier, bancaire, de l’hôtellerie et de l’immobilier, M. Plahotniuc détient près des trois quarts des médias moldoves, y compris quatre chaînes de télévision et trois stations de radio (Popșoi, 2018). Les observateurs font valoir qu’il a su tirer parti des tensions géopolitiques. Les relations étroites que le président Dodon entretient avec Vladimir Poutine (qu’il rencontre régulièrement) permettent à Vlad Plahotniuc et au gouvernement supposément pro-européen de se présenter aux pays occidentaux comme un rempart contre l’influence russe, et d’éviter des condamnations (Całus, 2018).

35. Après l’entrée en vigueur de l’accord d’association, le gouvernement s’est lancé dans une série de réformes visant à instaurer des normes européennes dans les domaines économique, judiciaire et de la gouvernance. Ces réformes ont eu des effets positifs. Le pays s’est quelque peu remis du scandale bancaire de 2014 et son taux de croissance économique augmente actuellement d’environ 4 % par an. L’inflation est en recul. Le déficit budgétaire a été ramené à 2 % du PIB, et la dette publique s’est stabilisée aux alentours de 40 % du PIB. Le flux des envois

2 L’ouverture d’un bureau de liaison de l’OTAN a été retardée de plus d’une année en raison de

l’hostilité présidentielle, ce qui illustre la position du nouveau président à l’égard de l’Organisation.

Page 26: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

8

de fonds aussi s’est stabilisé. La République de Moldova a par ailleurs créé des instances officielles de lutte contre la corruption et adopté une loi contre le blanchiment d’argent.

36. Cela étant, le rythme des réformes n’est pas satisfaisant au regard de la plupart des normes internationales. En octobre 2017, l’UE a bloqué le versement d’un prêt, car le pays avait échoué à réformer son système judiciaire. De plus, l’Union s’inquiète de l’application sélective de la loi dans le pays, ainsi que de son administration, elle aussi sélective, de la justice. Transparency International Moldova a noté le recours aux organes chargés de faire respecter la loi à des fins politiques, et des procédures judiciaires entachées d’irrégularités qui jouent en faveur des responsables progouvernementaux.

37. Selon l’UE, il faut en faire davantage pour assurer la mise en œuvre de la loi contre le blanchiment des capitaux et pour continuer à renforcer les capacités et l’indépendance des organismes chargés de lutter contre la corruption. Dans le sondage effectué par l’International Republican Institute en octobre 2017, 85 % des personnes interrogées avaient indiqué que la corruption était un« très gros problème » pour le pays. Celui-ci figure à la 122e place (sur 180, soit bien en deçà d’un grand nombre de ses voisins) dans le classement de l’Indice de perception de la corruption 2017 qu’a publié Transparency International. Chisinau doit encore appliquer les recommandations de la commission de Venise et du BIDDH de l’OSCE sur le financement des partis et des campagnes électorales.

38. Si la République de Moldova a obtenu de bons résultats concernant les élections (bien organisées et relativement libres), ses partenaires occidentaux - y compris la commission de Venise - critiquent vivement la nouvelle loi portant création d’un système électoral mixte. Cette réforme profite largement au parti démocrate de M. Plahotniuc (qui risquait de perdre des sièges en tombant sous le seuil de représentation parlementaire dans un système strictement proportionnel) de même qu’au parti socialiste de M. Dodon (le premier parti du pays). Les représentants de mouvements civils pro-européens - sans liens avec des hommes d’affaires locaux - auront vraisemblablement plus de difficultés à se faire élire dans le cadre de circonscriptions à scrutin uninominal.

39. En attendant, les observateurs font état d’améliorations en matière de droits des minorités. L’ONU indique que des politiques de lutte contre la discrimination sont observées dans la communication audiovisuelle et les médias, et que les juges sont formés à la prévention et à la lutte contre la discrimination. Le gouvernement a approuvé le plan d’action 2016-2020 visant à soutenir la population rom. En outre, les personnes homosexuelles, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) peuvent manifester dans la tranquillité et leurs droits sont dans l’ensemble respectés.

40. Si les médias dont M. Plahotniuc est le propriétaire dominent le secteur, la scène médiatique moldove conserve une certaine diversité. Selon Freedom House, les médias du pays sont toutefois « pris au piège des intérêts concurrents des partis politiques et des groupes d’entreprises qui y sont affiliés ». L’UE a demandé à la République de Moldova d’accélérer la mise en œuvre de la réforme du code de l’audiovisuel, qui devrait renforcer la transparence et favoriser la concurrence dans cette branche d’activité. Dans le cadre de ses efforts de lutte contre la propagande, Chisinau a interdit la retransmission des émissions de télévision et de radio russes - une démarche qui pourrait s’expliquer par l’étendue, dans le pays, de la désinformation orchestrée par le Kremlin -, même si l’UE a émis des doutes quant à la proportionnalité de cette décision. La Transnistrie 41. Deux milles soldats russes environ sont stationnés comme force de « maintien de la paix » dans la région sécessionniste de Transnistrie. Les autorités de facto se font périodiquement les championnes de son annexion par la Russie. Au cours de la campagne présidentielle de 2016, les candidats ont beaucoup joué des coudes pour manifester leur allégeance à Moscou, car l’économie locale dépend de l’aide octroyée par la Russie.

Page 27: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

9

42. La situation en matière de démocratie et de droits humains est insatisfaisante en Transnistrie. Comme dans la plupart des zones de conflits gelés dans la région de la mer Noire, le gouvernement a considérablement réduit les possibilités de pluralisme politique et maintient un système de justice arbitraire, dans lequel les arrestations pour raisons politiques sont courantes. Sheriff Enterprises, un conglomérat détenu par l’homme le plus riche de la région, occupe une place prépondérante dans tous les aspects ou presque de la vie. Le président autoproclamé de la région, Evgueni Chevtchouk, a perdu son élection en 2016 contre un candidat soutenu par Sheriff Enterprises. Alors qu’il était au pouvoir, M. Chevtchouk avait tenté de réduire la mainmise économique du conglomérat sur le pays. Après sa défaite, il s’est enfui en République de Moldova. Certes une minorité non négligeable au sein de la population se compose de Moldoves de souche, mais, selon Freedom House, ces derniers sont victimes de graves discriminations de la part des autorités au pouvoir. La criminalité, y compris le trafic d’êtres humains, y est monnaie courante. V. LA RUSSIE 43. Si la Russie est dotée des attributs officiels d’un État démocratique (élections, parlement, partis politiques et constitution libérale, notamment), elle est progressivement devenue autocratique - dans le sens plein du terme - avec Vladimir Poutine, lequel dirige le pays soit comme premier ministre soit comme président depuis 1999. Alors que sa longévité aux commandes de la Russie est d’ores et déjà la plus importante depuis Staline, M. Poutine devrait être réélu pour un quatrième mandat présidentiel en 2018. Hormis une brève période en 2011-2012, quand des protestations de masse ont obligé le Kremlin à prendre des mesures temporaires de libéralisation (telle l’adoption de règles plus souples en ce qui concerne l’enregistrement des partis), le régime a méthodiquement resserré son emprise sur le pays et assujetti tous les secteurs de l’État et de la société, en particulier les principaux canaux médiatiques, le parlement, les partis politiques, les oligarques et les entités fédérales. 44. Pour ce qui est des indicateurs de base des droits humains et de la démocratie, la Russie de Vladimir Poutine a échoué sur toute la ligne. Freedom House constate qu’elle est l’un des pays les moins libres du monde. Depuis 1999, aucune élection n’a respecté les normes de l’OSCE. Les falsifications non masquées et le bourrage des urnes lors des élections législatives de 2011 ont poussé les gens à manifester en masse dans les rues de Moscou, ce qui n’avait pas été vu depuis le début des années 1990.

45. Pour redresser la crédibilité chancelante des institutions électorales russes, en 2014 le Kremlin a nommé une militante reconnue de la société civile, Ella Pamfilova, à la présidence de la commission électorale centrale. Sous sa supervision, les aspects techniques de la procédure de vote se sont quelque peu améliorés, mais la neutralisation de l’opposition d’une manière générale et l’orientation du jeu politique en faveur du dirigeant en exercice ont perduré. Très cyniquement, les autorités ont refusé d’enregistrer la candidature d’Alexeï Navalny, champion de la lutte contre la corruption et membre le plus important de l’opposition, à l’élection présidentielle de 2018. Les autorités l’ont inculpé sur la base d’accusations forgées de toutes pièces. Son frère, Oleg, a écopé d’une peine de prison et est, de fait, retenu en otage pour forcer Alexeï Navalny au silence.

46. De son côté, le Parlement a été transformé en une chambre d’enregistrement dénuée de tout pouvoir. Les véritables partis d’opposition en ont été évincés en 2003, et les parlementaires associés à l’opposition démocratique y ont perdu leur siège lors des élections de 2016. Le rôle d’opposition à la Douma d’État est joué par le Parti libéral-démocrate d’extrême droite que dirige Vladimir Jirinovski, ainsi que par le Parti communiste réformé qui regroupe les principes du stalinisme et ceux de l’idéologie conservatrice orthodoxe. Le parti pro-Poutine, Russie unie, contrôle plus des deux tiers des sièges à la Douma et 77 des 85 postes de gouverneur de région.

Page 28: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

10

47. La plupart des journalistes et des figures de l’opposition sont constamment harcelés et victimes d’attaques pirates ; les détails de leur vie privée sont divulgués sur internet. Certains opposants au régime sont agressés physiquement par des inconnus (la journaliste d’Ekho Moskvy, Tatiana Felgenhauer), empoisonnés (le membre de l’opposition Vladimir Kara-Murza), emprisonnés (Oleg Navalny et le chef du bureau tchétchène de l’ONG Memorial, Oyub Titiyev), contraints de s’exiler (l’homme d’affaires Mikhaïl Khodorkovski, la journaliste Julia Latynina, l’économiste Sergeï Gouriev et la responsable de l’organisation Jailed Russia qui offre une assistance aux détenus, Olga Romanova), voire assassinés (l’homme politique Boris Nemtsov, la journaliste Anna Politkovskaïa, la militante des droits humains Natalia Estemirova et l’avocat Sergueï Magnitski). Les activités d’organisations indépendantes de la société civile comme Memorial (qui recueille des renseignements sur les crimes du stalinisme) ou encore « Golos » (une ONG indépendante d’observation des élections), sont régulièrement entravées, notamment en se faisant qualifier d’« agents étrangers », un terme à connotation extrêmement négative en russe. 48. Les médias, et singulièrement la télévision, sont très sévèrement contrôlés par le gouvernement. Selon un sondage réalisé en 2016 par le centre analytique Levada (également qualifié d’« agent étranger »), la télévision demeure la principale source d’information pour 80 % des Russes. Les plus grandes chaînes n’autorisent aucune critique à l’encontre du gouvernement, ni a fortiori de M. Poutine. Des opposants choisis sont occasionnellement invités à participer à des émissions diffusées aux heures de grande écoute - comme celles de Vladimir Solovyov, un propagandiste influent -, mais ils sont systématiquement interrompus lorsqu’ils prennent la parole, sont agressés verbalement et conspués par le public. Les derniers bastions de la libre expression (la station de radio Ekho Moskvy, Dozhd TV et le journal Novaïa Gazeta) sont conservés pour la forme et leur portée reste limitée. En 2016, 259 journalistes ont été incarcérés (US Helsinki Commission, 2017). En 2017, deux journalistes d’investigation (Nikolaï Androuchtchenko et Dmitry Popkov) ont été assassinés.

49. L’Internet demeure relativement libre en Russie, ce qui aide beaucoup des militants internautes comme Navalny, mais le gouvernement a pris des dispositions pour exercer un plus grand contrôle sur ce domaine. Il s’efforce notamment d’imposer à la plateforme (très suivie) de média social vKontakte, ainsi qu’au nouveau portail en ligne Lenta.ru, un changement de propriétaire, et a adopté une loi prohibant les logiciels de navigation anonyme sur internet (VPN) qui permettent aux utilisateurs de cacher leur adresse IP. Les utilisateurs des médias sociaux russes sont également passibles d’une peine d’emprisonnement s’ils y envoient des « j’aime » ou y relaient des messages que les autorités jugent inappropriés, tel le fait de remettre en question la légalité de l’annexion de la Crimée par la Russie ou de critiquer les actions russes en Syrie.

50. Si Vladimir Poutine affirme avoir délivré le pays des griffes des oligarques et de l’anarchie délinquante des années « sauvages » (les années 1990), la Russie demeure un État profondément - et de plus en plus - corrompu. Selon Transparency International, elle est le pays le plus corrompu d’Europe et l’un des plus corrompus au monde. Le secteur public s’est développé et représentait 70 % du PIB en 2015, contre 35 % en 2005 (Åslund, 2017). Alors que le régime avait pris des mesures énergiques contre les oligarques dans les années 1990, une nouvelle classe de gens extrêmement riches s’est formée, lesquels doivent souvent leur fortune aux liens personnels qu’ils entretiennent avec M. Poutine. Gennady Timchenko, Arkadi et Boris Rotenberg de même que Iouri Kovaltchouk, figurent au nombre de ces hiérarques. Selon les enquêtes d’Alexeï Navalny, la fortune que le premier ministre Medvedev a, lui aussi, amassée s’évalue en milliards de dollars, tandis que Vladimir Poutine aurait fondé un empire financier offshore géré par un mandataire, le musicien et ami de la famille, Sergeï Roldouguine. Les oligarques de l’ère Poutine n’ont pas l’indépendance dont jouissaient leurs prédécesseurs, dans les années 1990.

51. La corruption s’est répandue à tous les niveaux de l’administration et est particulièrement manifeste dans les grands projets d’infrastructures, par exemple pour les Jeux olympiques d’hiver de 2014 à Sotchi ou encore la construction du pont du détroit de Kertch qui reliera la péninsule de Taman à la Crimée. Il n’est pas entrepris de démarche systématique pour réduire la corruption et le népotisme. C’est ainsi que la condamnation de l’ancien ministre de l’économie,

Page 29: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

11

Alexeï Oulioukaïev (qui aurait tenté d’obtenir un dessous-de-table de deux millions de dollars), est davantage une manifestation des luttes qui ont cours entre élites qu’une campagne concertée. L’incapacité et le refus de Moscou de s’attaquer sérieusement à la corruption suscite le mécontentement du public. Des milliers de Russes ont participé à des manifestations anticorruption en mars et en juin 2017 dans tout le pays.

52. Les fondements idéologiques du régime de M. Poutine sont variables, on le sait, mais ils correspondent en grande partie aux principes du conservatisme social : rejet du libéralisme occidental « décadent », intérêt porté aux « valeurs traditionnelles », paternalisme de l’État, ultrapatriotisme, religion orthodoxe et militarisme manifeste. Dans les faits, cette idéologie se traduit par l’obscurantisme croissant de la société russe, par l’interdiction des mouvements religieux non-conventionnels comme les témoins de Jéhovah, la censure dans l’industrie cinématographique et le monde de l’art, ainsi que par les lois interdisant la « propagande gay »3. Le Parlement a récemment décriminalisé les actes de violence familiale n’entraînant pas de préjudices corporels graves. 53. Il est particulièrement regrettable que l’absence d’État de droit et le bilan désastreux de la Russie en matière de droits humains se soient étendus aux régions de l’Ukraine et de la Géorgie de facto sous contrôle russe. VI. LES PAYS DE L’ALLIANCE 54. La Roumanie est le chef de file de la région en matière de normes démocratiques, d’état de droit et de droits humains. Elle est une démocratie stable, dotée d’une société civile et de médias dynamiques. En 2017, selon les estimations, l’économie du pays a connu un taux de croissance impressionnant de 6,7 %. Néanmoins, dans le contexte de l’Union européenne, la Roumanie accuse toujours du retard dans certains domaines. Membre de l’UE depuis 2007, elle n’a pas encore été en mesure de rejoindre l’espace Schengen, ni la zone euro. Dans le cadre de son adhésion, elle a été soumise au mécanisme de coopération et de vérification (MCV) de l’UE, afin de remédier aux lacunes constatées en matière de réforme de son système judiciaire et de lutte contre la corruption. Au cours de cette période de 10 ans, elle a mis sur pied des institutions importantes et adopté des dispositions législatives significatives pour corriger ces points faibles. Dans son dernier rapport sur les progrès de la Roumanie (novembre 2017), la Commission européenne confirme que le système judiciaire du pays a été réformé en profondeur et que la magistrature a fait la preuve, à plusieurs reprises, de son professionnalisme, de son indépendance et de sa fiabilité. 55. De nombreux efforts ont été accomplis pour supprimer la corruption de haut niveau. Depuis 2013, la direction nationale de répression de la corruption (DNA) aurait cité à comparaître 68 hauts fonctionnaires, un premier ministre, deux vice-premiers ministres, 11 ministres et anciens ministres, 39 députés et 14 sénateurs. Parallèlement, la Roumanie a amélioré son classement dans l’Indice de perception de la corruption publié par Transparency International, passant de 43 points en 2014 à 48 points en 2017 (où 0 correspond à « fortement corrompu » et 100 « sans corruption »). Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, a annoncé qu’il s’attendait à ce que la Roumanie puisse mettre un terme au MCV d’ici la fin de son mandat, en 2019.

3 Le cas le plus choquant d’agressions perpétrées à l’encontre de la communauté LGBTI a été signalé

en 2017 par des journalistes de Novaïa Gazeta. Ceux-ci ont découvert que plus d’une centaine

d’homosexuels avaient été enlevés et torturés en Tchétchénie - voire assassinés pour certains - par

les autorités. Ces dernières nient toutes les accusations et ont clos l’enquête. Du fait de leurs

recherches, les journalistes de Novaïa Gazeta ont eux-mêmes été la cible de multiples menaces.

Page 30: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

12

56. « Deux pas en avant, un pas en arrière », telle peut être la façon de décrire une bonne partie des progrès effectués par le pays. Périodiquement, les coalitions au pouvoir adoptent des textes de lois qui pourraient être interprétés comme visant à laisser des possibilités de corrompre ou de diminuer l’indépendance de la magistrature. Ces initiatives législatives sont critiquées par l’opposition, la société civile et les institutions européennes. À deux occasions, des dispositions législatives controversées ont provoqué des protestations en masse. Les manifestations qui se sont déroulées début 2017 ont apparemment été les plus importantes qu’ait connu le pays depuis la fin de la guerre froide ; les protestataires ont réussi à persuader le gouvernement d’abroger la législation, un bon exemple de démocratie participative. Plus récemment, des dizaines de milliers de Roumains ont protesté contre des dispositions adoptées en décembre 2017. La Commission européenne, le Département d’État des États-Unis, sept pays membres de l’UE, des milliers de juges roumains et le président Iohannis lui-même ont critiqué ces dispositions susceptibles de porter atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire.

57. Selon le Conseil de l’Europe, la Roumanie a réalisé des progrès dans le développement culturel et éducatif des minorités ; il note toutefois qu’un cadre juridique cohérent pour la protection des droits des minorités fait encore défaut. En particulier, le pays a été invité à lutter plus efficacement contre la discrimination à l’égard des Roms. 58. Certes la Bulgarie est une démocratie libre et solidement établie, dont l’économie connaît une forte croissance (de 3,8 % en 2017), mais elle peine à se défaire de son image de pays le plus corrompu de l’UE. Comme la Roumanie, la Bulgarie est soumise aux procédures de suivi du MCV depuis 2007 ; néanmoins, elle n’a pas encore satisfait aux conditions requises pour rejoindre l’espace Schengen et la zone euro. Les évaluations régulières de la Commission européenne insistent sur les progrès accomplis par le pays, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée, mais son bilan concernant la réforme de son système judiciaire et la lutte contre la corruption est dans l’ensemble jugé moins positif que celui de la Roumanie voisine. La Commission pointe du doigt « la nécessité [patente] d’accélérer les réformes » et d’« instaurer un climat de débat ouvert et de transparence sur les décisions clés », tandis que le Conseil de l’UE souligne qu’« il est maintenant impératif d’accélérer les progrès ». Les lacunes susmentionnées n’ont pas empêché les États membres de confier la présidence du Conseil de l’UE à la Bulgarie au premier semestre de 2018. 59. Dans l’ensemble, le nouveau gouvernement bulgare, en place depuis la mi-2017, affiche la volonté de relancer le processus de réforme. Un nouveau projet de loi contre la corruption s’est récemment heurté au veto du président mais au final a tout de même été adopté par le Parlement, qui a passé outre ce veto. La loi prévoit la création d’un organe chargé d’enquêter sur les hauts fonctionnaires, et l’autorise à avoir recours aux écoutes. Les opposants au texte craignent que ce dernier ne puisse garantir l’indépendance de cette nouvelle instance, ni offrir de protection complète aux personnes signalant des manquements.

60. Si ces dernières réformes devraient avoir un effet positif, la situation actuelle dans le pays est loin d’être optimale. Le Centre pour l’étude de la démocratie - sis à Sofia - a établi un rapport cinglant sur la corruption en Bulgarie, allant jusqu’à affirmer que la corruption d’État a atteint de telles dimensions qu’elle peut être qualifiée de captation d’État. Le pays n’a toujours pas rendu d’arrêts ni prononcé de condamnations dans les affaires de corruption de haut niveau. Les militants anticorruption dénoncent également l’influence de certaines entités commerciales (telle que l’entreprise pétrolière privée russe Lukoil) et les signes de corruption ayant entouré l’effondrement de la Corporate Commercial Bank (Rankin, 2017).

61. Dans le classement mondial de la liberté de la presse, Reporters sans frontières place la Bulgarie derrière tous les autres pays membres de l’UE, principalement en raison de « la corruption et [de] la collusion entre médias, hommes politiques et oligarques ». L’organisme de surveillance laisse aussi entendre que les fonds de l’UE sont alloués par le gouvernement de manière non transparente à certains médias. Les groupes de défense des droits humains reprochent en outre à un membre du gouvernement ainsi qu’au dirigeant des Patriotes unis (le

Page 31: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

13

partenaire minoritaire de la coalition au pouvoir) d’avoir fait des déclarations insultantes à l’égard de la minorité rom. Amnesty International a accusé la Bulgarie de ne pas tenir suffisamment compte des cas de discours haineux ni des crimes motivés par la haine contre les groupes minoritaires, y compris les Turcs et les Roms. En mars 2017, des nationalistes bulgares ont tenté de bloquer la frontière afin d’empêcher les Turcs de Bulgarie résidant en Turquie de participer aux élections législatives bulgares. Sofia a accusé Ankara d’essayer d’interférer dans les élections en se servant de l’importante minorité turque (qui représente 9 % de la population) ; le président Erdogan a pour sa part accusé la Bulgarie d’« exercer des pressions sur la minorité turque ».

62. Note plus positive, la Bulgarie s’est vue félicitée pour les progrès qu’elle a accomplis dans la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’États contre la corruption du Conseil de l’Europe (GRECO) en matière de prévention de la corruption concernant les parlementaires, les juges et les procureurs. Le GRECO a salué les efforts déployés par le Parlement bulgare pour associer davantage la société civile à ce processus législatif, et s’attaquer aux manquements aux règles éthiques par les députés ou encore renforcer l’obligation, pour les membres de l’appareil judiciaire, de fournir périodiquement des déclarations de patrimoine. 63. Face aux pressions croissantes - tant internes qu’externes -, des changements importants ont été apportés au système politique de la Turquie. En juillet 2016, cette dernière a été ébranlée par une tentative brutale de coup d’État militaire, qui a fait 241 morts et blessé plus de 2 000 personnes. S’il avait réussi, le coup d’État aurait sans nul doute eu des conséquences désastreuses pour la sécurité régionale et probablement déclenché une guerre civile. Tous les grands partis politiques se sont unis pour le condamner.

64. Le coup d’État a été fermement et souvent condamné par la communauté euro-atlantique. Quoi qu’il en soit, de nombreux alliés occidentaux de la Turquie et bon nombre de groupes de défense des droits humains estiment que les mesures prises par le gouvernement après le coup d’État ont été disproportionnées. C’est ce qu’ont exprimé à plusieurs reprises les membres de l’AP-OTAN, lors de la session annuelle de l’Assemblée qui s’est tenue à Istanbul en novembre 2016. 65. Apparemment, quelque 50 000 personnes ont été incarcérées (hormis ceux qui ont été arrêtés puis relâchés) et 150 000 fonctionnaires et universitaires ont perdu leur emploi, tandis que 1 500 organisations de la société civile, 19 syndicats, plus de 2 000 écoles et plus de 150 médias ont été fermés. Des députés du parti démocrate des peuples (HDP, prokurde) ont été persécutés. Après la promulgation en mai 2016 d’une loi de levée de l’immunité parlementaire, 138 parlementaires et 12 députés du HDP - y compris ceux qui y occupaient des postes de responsabilité - ont été arrêtés pour faits de terrorisme. Dix de ces députés sont toujours emprisonnés et deux ont été destitués de leur mandat. L’état d’urgence a permis au gouvernement de prendre le contrôle d’un certain nombre de municipalités, en particulier dans les zones majoritairement kurdes. On estime qu’ont été remplacés les maires de 82 des 103 municipalités contrôlées par des affiliés du HDP (Freedom House, 2018). Le gouvernement turc a créé la commission OHAL [pour olağanüstü hâl ou état d’urgence], chargée d’examiner les recours déposés par les personnes écartées, suspendues ou limogées de leur poste pendant les purges ; ce mécanisme de recours s’avérerait bien lent, toutefois4. 66. Près de deux ans après la tentative de coup d’État, l’état d’urgence est toujours en vigueur. Le gouvernement soutient qu’il s’impose, étant donné la gravité des menaces auxquelles la Turquie doit faire face. Ce point de vue n’est pas partagé par les détracteurs du président Erdogan au niveau national et dans les pays occidentaux. C’est ainsi que le Parlement européen relève que

4 Sur les 105 000 recours déposés, environ 1 562 ont fait l’objet d’un examen et 42 personnes ont été

rétablies dans leurs droits (https://euobserver.com/justice/140924).

Page 32: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

14

« l’état d’urgence est actuellement appliqué pour faire taire l’opposition et [qu’il] va bien au-delà des mesures légitimes visant à contrer les menaces à la sécurité nationale ».

67. Les personnalités politiques européennes et les organisations de défense des droits humains se sont, à maintes reprises, dit préoccupés par la détention de plusieurs militants connus de la société civile, y compris le président de la section turque d’Amnesty International, Taner Kılıç, et l’homme d’affaires Osman Kavala, l’un des organisateurs des manifestations du parc Gezi en décembre 2013. Les organisations syndicales se sont élevées contre l’arrestation d’Elif Cuhadar, membre du comité exécutif de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK). Human Rights Watch a recueilli des informations sur 13 cas de torture et de mauvais traitements (à des degrés divers de gravité) de personnes ayant été arrêtées pendant la tentative de coup d’État. Les autorités turques sont également mises en cause en raison de leur position quant aux initiatives de la communauté LGBTI. Ankara a décrété l’interdiction, pour une durée indéterminée, de tout événement mis sur pied par les organisations LGBTI, après avoir interdit trois fois de suite le défilé de la « Gay Pride » à Istanbul. Point positif toutefois : ces derniers mois, le pays semble ne plus faire allusion au rétablissement possible de la peine de mort, rétablissement qui bloquerait dans les faits la demande d’adhésion de la Turquie à l’UE, selon le président de la Commission européenne, M. Juncker.

68. Selon la plupart des témoignages, le champ de la liberté d’expression dans les médias s’est réduit ces dernières années dans le pays. D’après l’Association des journalistes de Turquie, 160 correspondants environ sont en prison, la majorité d’entre eux ayant été incarcérés après l’échec du coup d’État. La détention du journaliste allemand Deniz Yücel, accusé d’espionnage par Ankara, a mis à rude épreuve les relations entre l’Allemagne et la Turquie. M. Yücel a été libéré en février 2018, mais Berlin soutient que cinq autres ressortissants allemands se trouvent toujours enfermés, sur base d’accusations sans fondement, dans des prisons turques.

69. La courte victoire remportée par le gouvernement au référendum d’avril 2017 sur la réforme de la constitution, a considérablement élargi les prérogatives du président qui devient l’unique détenteur du pouvoir exécutif. Les observateurs du BIDDH de l’OSCE ont estimé que le référendum « s’[était] déroulé sur un terrain inégal ». Les changements constitutionnels visaient à instaurer un système de type états-unien, où le président dirige le gouvernement, où le législatif est distinct (sur le plan institutionnel) de l’exécutif, et où les députés ne peuvent pas exercer de fonctions ministérielles. Dans la pratique, toutefois, le nouveau système présidentiel turc ne comporte pas les éléments d’équilibre automatique des pouvoirs inhérents au système états-unien, notamment le fait que le Parlement approuve les nominations aux postes clés et qu’il peut contraindre les membres de l’exécutif à déposer. Le président se réserve le droit de dissoudre le Parlement et dispose de pouvoirs accrus vis-à-vis du pouvoir judiciaire. La commission de Venise a jugé qu’en supprimant les indispensables contre-pouvoirs, la constitution telle qu’amendée « risquerait de transformer [le système] en un système présidentiel autoritaire ». Ce nonobstant, la Grande Assemblée nationale conserve des pouvoirs importants et peut jouer le rôle de gardienne de la démocratie turque. 70. L’évolution de la situation en 2016-2017 a convaincu Freedom House de faire passer le statut de la Turquie de « partiellement libre » à « non libre ». Ce faisant, la Turquie est le seul pays membre de l’OTAN à figurer dans cette catégorie (l’Albanie et le Monténégro sont classés dans la catégorie « partiellement libre »). Selon l’Indice de perception de la corruption publié par Transparency International, la Turquie figure à la 81e place sur 180 avec 40 points, moins que les 50 points qu’elle atteignait en 2013. Parmi les pays de l’Alliance, seule l’Albanie a une note plus basse. 71. La polarisation politique de la société turque est profonde. Un sondage d’opinion réalisé par le Center for American Progress (CAP) montre que les partisans du parti au pouvoir (le parti de la justice et du développement, AKP) sont très différents des sympathisants du parti républicain du peuple (CHP) et du parti démocrate des peuples, dans leur façon d’évaluer les réalités politiques et socio-économiques du pays. Si plus de 60 % des soutiens de l’AKP jugent ces réalités d’une

Page 33: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

15

manière favorable, 6 % seulement des partisans du CHP partagent cet avis. Les soutiens de l’APK ont également tendance à considérer « l’Occident » de façon plus négative que les militants de l’opposition (Makovsky, 2017). D’après un sondage effectué par Ipsos pour CNN-Türk, la filiale du groupe CNN International, 87 % des électeurs qui ont voté « non » au référendum d’avril 2017 estiment que celui-ci a été irrégulier ; 77 % des électeurs qui ont voté « oui » pensent au contraire qu’il a été régulier.

72. Par contre, le sondage du CAP tend à montrer que les mises en garde alarmistes des intégristes religieux, de plus en plus nombreux en Turquie, sont sans fondement. La très grande majorité des Turcs continuent de souscrire au système laïc. Atatürk, le « Père » de la Turquie laïque, est perçu positivement par plus de 80 % de la population. La base du parti au pouvoir est essentiellement pro-laïque : un quart seulement des sympathisants de l’AKP sont partisans d’un « État fondé sur la charia » et les Turcs plus jeunes, y compris les électeurs de l’AKP, sont encore moins favorables au rôle central de la religion dans les affaires de l’État (Makovsky, 2017). Quoi qu’il en soit, des mesures semblant aller à l’encontre du modèle laïque occidental sont parfois annoncées, telle la proposition du président Erdogan d’ériger l’adultère en infraction. Selon lui, « la société [turque] a un autre statut sur le plan des valeurs morales. La Turquie, sur cette question, est différente de la plupart des pays occidentaux » (Rezaian, 2018). Selon l’indicateur des inégalités entre les sexes publié par le Forum économique mondial, qui évalue l’accès aux services de santé, le niveau d’instruction, la participation économique et l’émancipation politique, la Turquie se classe à la 130e place sur les 144 pays étudiés. Seulement 34 % des femmes turques travaillent, de loin la proportion la plus faible au sein de l’OCDE - où la moyenne est de 63 % (Lowen, 2018). VII. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES : AMÉLIORER L’APPROCHE DE LA COMMUNAUTE

EURO-ATLANTIQUE À L’EGARD DE LA REGION DE LA MER NOIRE 73. De nombreux pays dans la région de la mer Noire se heurtent à des obstacles importants dans la mise en œuvre des normes internationales relatives aux droits humains, à l’état de droit et à la gouvernance démocratique. La situation est alarmante dans certaines parties de la région, notamment dans les territoires de facto sous contrôle russe. Ces zones sont en butte aux violations des libertés civiles, lesquelles sont justifiées par la menace terroriste ou les difficultés qui prévalent en matière de sécurité. Cet état de fait engendre un cercle vicieux et altère l’équilibre entre libertés et sécurité. La rapporteure générale est convaincue que le recul démocratique dans certaines parties de la région contribue largement à y exacerber les tensions et compromet les efforts de réconciliation et de dialogue entre les États de la mer Noire. 74. En tant qu’alliance politico-militaire intergouvernementale, l’OTAN s’implique dans la région essentiellement par le biais : 1) de mesures d’assurance destinées aux Alliés de la mer Noire (présence avancée adaptée) ; et 2) de l’appui apporté aux pays partenaires (Géorgie, République de Moldova et Ukraine) dans le domaine de la défense, de la réforme du secteur de la sécurité et de la diplomatie publique. Si le plan d’action pour l’adhésion de l’OTAN précise que les pays candidats doivent démontrer leur engagement envers les droits humains et l’état de droit, l’Alliance est dépourvue d’un mandat clair à cet égard et n’a pas les capacités lui permettant de procéder à une évaluation complète des progrès accomplis par les pays candidats, et encore moins par ses propres États membres. Le dialogue politique dans le cadre de la politique de partenariat de l’Organisation porte principalement sur la coopération pratique dans un contexte militaire.

75. Pourtant, la rapporteure générale croit fermement que la gouvernance démocratique, l’état de droit et les droits humains devraient aussi faire partie des priorités de la stratégie de partenariat de l’Alliance. De même, un débat ouvert sur les moyens de promouvoir un ordre mondial démocratique et libéral à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Alliance devrait, en bonne logique, figurer au programme institutionnel de l’OTAN. Comme le secrétaire d’État américain, John Kerry, l’a déclaré après la tentative de coup d’État en Turquie, « [l]’OTAN a également des exigences en matière de démocratie et le fait est qu’elle suivra de très près ce qui se passe » (Sloat, 2018).

Page 34: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

16

76. L’UE, avec son pouvoir de convaincre et ses capacités institutionnelles et financières, dispose de meilleurs instruments encore pour encourager les réformes et promouvoir les normes démocratiques en mer Noire, ainsi qu’elle l’avait fait en Europe centrale et orientale. L’initiative « Synergie de la mer Noire » de l’UE, lancée en 2007, doit se montrer plus ambitieuse et être plus largement financée. La rapporteure générale soutient les appels en faveur d’une participation et d’un appui de l’UE strictement conditionnés par les progrès que les partenaires accomplissent dans le domaine des droits humains, de la démocratie et de l’état de droit. Les dirigeants européens doivent réagir résolument et avec diligence dès l’apparition de craintes que des défenseurs des droits humains soient persécutés, qu’il soit porté atteinte à la liberté des médias, que la justice se fasse sélective, qu’il puisse exister des cas de torture, d’oppression de minorités nationales, de fraudes électorales et autres violations des droits humains et des libertés. Retarder l’adoption et la mise en œuvre de politiques rigoureuses de lutte contre la corruption ne peut être excusé.

77. Enfin, les États de la mer Noire eux-mêmes doivent en faire davantage pour promouvoir les normes démocratiques dans leur région. Le renforcement des contacts interpersonnels et des instances régionales comme l’Organisation de la coopération économique de la mer Noire (CEMN) est indispensable à une réconciliation et à une stabilité durables dans la région. Les membres de la communauté internationale doivent continuer, à l’unisson, d’exhorter la Russie à revoir ses politiques révisionnistes dans la région et à cesser de violer l’intégrité territoriale de la Géorgie, de l’Ukraine et de la République de Moldova. La rapporteure générale est aussi convaincue que des progrès plus rapides effectués par la Géorgie, l’Ukraine et la République de Moldova en matière d’adoption de normes démocratiques européennes et de l’état de droit, constitueront un puissant facteur d’attraction pour les populations des régions de facto sous contrôle étranger.

Page 35: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

17

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE

Åslund, A. (2017, avril 27). Russia’s Neo-Feudal Capitalism. Project Syndicate:

https://www.project-syndicate.org/commentary/russia-neofeudal-capitalism-putin-by-anders-aslund-2017-04?barrier=accessreg

Całus, K. (2018, janvier 31). Moldova’s political theatre. The balance of forces in an election year. Centre for Eastern Studies: https://www.osw.waw.pl/en/publikacje/osw-commentary/2018-01-31/moldovas-political-theatre-balance-forces-election-year

DG for External Policies. (2018, janvier). Human rights in Ukraine and the EU response. European Parliament. [EP/EXPO/B/DROI/FWC/2013-08/Lot8/14]

Freedom House. (2018, janvier). Democracy in Crisis. Freedom House: https://freedomhouse.org/report/freedom-world/freedom-world-2018

Higgins, A. (2018, février 19). In Ukraine, Corruption Is Now Undermining The Military. New York Times: https://www.nytimes.com/2018/02/19/world/europe/ukraine-corruption-military.html?hp&action=click&pgtype=Homepage&clickSource=story-heading&module=first-column-region&region=top-news&WT.nav=top-news

HRW. (2018, janvier 17). Ukraine: Events of 2017. Human Rights Watch: https://www.hrw.org/world-report/2018/country-chapters/ukraine

Lowen, M. (2018, mars 1). Women challenge Turkey traditions for right to work. BBC: http://www.bbc.com/news/world-europe-43197642

Makovsky, A. (2017, décembre 19). Turkey’s Parliament: An Unlikely but Possible Counterweight to New Presidency. Center For American Progress: https://www.americanprogress.org/issues/security/reports/2017/12/19/444281/turkeys-parliament/

Mufson, S. (2017, mai 6). She fixed Ukraine’s economy -- and was run out of her job by death threats, Washington Post: https://www.washingtonpost.com/business/economy/she-fixed-ukraines-economy----and-was-run-out-of-her-job-by-death-threats/2017/05/05/2f556f40-2f90-11e7-8674-437ddb6e813e_story.html?utm_term=.95f2ea8cb161

NDI. (2017, octobre 22). Statement of The NDI International Observation Mission to Georgia’s October 21, 2017 Local Government Elections. National Democratic Institute: http://civil.ge/files/files/2017/NDI%20Election%20Day%20Preliminary%20Statement%202017_Final_Eng.pdf

Popșoi, M. (2018, janvier 10). A Year in Review: Oligarchic Power Consolidation Defines Moldova’s Politics in 2017. Jamestown Foundation: https://jamestown.org/program/year-review-oligarchic-power-consolidation-defines-moldovas-politics-2017/

Rankin, J. (2017, décembre 28). Cloud of corruption hangs over Bulgaria as it takes up EU presidency.

The Guardian: https://www.theguardian.com/world/2017/dec/28/bulgaria-corruption-eu-presidency-far-right-minority-parties-concerns

Rezaian, J. (2018, février 28). Turkey’s Erdogan wants to make adultery a crime. The Washington Post: https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2018/02/28/turkeys-erdogan-wants-to-make-adultery-a-crime/?utm_term=.3b827ca06c5f

Sasse, G. (2018, janvier 18). Ukraine’s Youth: Politically Disinterested and Low Trust in the EU. Sloat, A. (2018, février). The West's Turkey Conundrum. Brookings:

https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2018/02/fp_20180212_west_turkey_conundrum.pdf

TI Moldova. (2017, juin). State Capture: The Case of the Republic of Moldova. Transparency International Moldova: http://www.transparency.md/wp-

content/uploads/2017/06/TI_Moldova_State_Capture.pdf UCMC. (2017, septembre 26). Public Integrity Council: Every fourth Supreme Court candidate is

not virtuous. Ukraine Crisis Media Center: http://uacrisis.org/60785-public-integrity-council UNHCR. (2017, septembre 25). Situation of human rights in the temporarily occupied Autonomous

Republic of Crimea and the city of Sevastopol (Ukraine). Office of the United Nations High

Page 36: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

059 CDS 18 F

18

Commissioner for Human Rights http://www.ohchr.org/Documents/Countries/UA/Crimea2014_2017_EN.pdf

US Helsinki Commission. (2017, septembre 20). Human Rights and Democracy in Russia. US Helsinki Commission report https://www.csce.gov/sites/helsinkicommission.house.gov/files/Report%20-%20Russia%20Human%20Rights%20and%20Democracy%20-%20Final.pdf

_______________________

Page 37: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

CDS 060 CDSDG 18 F Original : anglais

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA SECURITE

LA PROTECTION CIVILE DANS LE GRAND NORD ET LA RÉGION

MÉDITERRANÉENNE

PROJET DE RAPPORT*

Jane CORDY (Canada) Rapporteure

Sous-commission sur la gouvernance démocratique

www.nato-pa.int 9 avril 2018

* Aussi longtemps que ce document n’a pas été adopté par la commission sur la dimension civile de la

sécurité, il ne représente que le point de vue de la rapporteure.

Page 38: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION – L’OTAN ET LA PROTECTION CIVILE .............................................. 1 II. LA PROTECTION CIVILE ET LES INTERVENTIONS D’URGENCE DANS LE

GRAND NORD ................................................................................................................ 2 A. L’ARCTIQUE EN MUTATION ................................................................................... 2 B. SAR ET INTERVENTIONS D’URGENCE DANS LE GRAND NORD : DÉFIS

ET CAPACITÉS ........................................................................................................ 3 C. CADRES DE COOPÉRATION MULTILATÉRALE DANS LE GRAND NORD ........... 6

III. RÉPONSE À LA CRISE HUMANITAIRE EN MÉDITERRANÉE ....................................... 9

A. LA MÉDITERRANÉE : ROUTE MARITIME LA PLUS MEURTRIÈRE AU MONDE POUR LES MIGRANTS ET LES RÉFUGIÉS .............................................. 9

B. LES CAPACITÉS SAR EN MÉDITERRANÉE ........................................................ 10 C. LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS SAR SAUVE-T-IL DES VIES OU

EST-IL CONTRE-PRODUCTIF ? ............................................................................ 13 D. CONDITIONS DE VIE APRÈS SAUVETAGE ......................................................... 14

IV. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES ................................................................................. 15 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE ....................................................................................... 17

Page 39: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

1

I. INTRODUCTION – L’OTAN ET LA PROTECTION CIVILE 1. L’implication de l’OTAN dans la protection civile, c’est à-dire les politiques de protection des populations civiles contre les catastrophes et autres cas urgence, remonte aux années 1950 et à la création du Haut comité pour l’étude des plans d’urgence de l’OTAN. La protection civile ne représente pas une tâche essentielle pour l’Alliance, mais elle occupe néanmoins une place importante dans son approche globale de la sécurité. Au fil des années, l’OTAN a élaboré des moyens d’aider les pays membres à se préparer et à réagir aux catastrophes d’origine naturelle et humaine, ainsi qu’aux répercussions du terrorisme et du recours aux ADM. La contribution à la protection civile est ainsi devenue un élément important de la « puissance douce » de l’Alliance, en particulier dans les relations avec ses partenaires. 2. La fin de la guerre froide et la focalisation de l’OTAN sur les opérations hors zone ont ouvert de nouvelles perspectives aux politiques de protection civile de l’Alliance, notamment sur le plan des réactions en cas de catastrophe. En 1998, à la suite d’une proposition russe, l’OTAN a créé le Centre euro-atlantique de coordination des réactions en cas de catastrophe (EADRCC), afin de coordonner les efforts de secours aux sinistrés dans l’Alliance et les pays partenaires, ainsi que dans les pays où l’OTAN est engagée dans des opérations militaires. Ce centre est en activité toute l’année et opérationnel 24 heures sur 24 et sept jours sur sept. Il implique les 29 Alliés et tous les pays partenaires de l’OTAN. Depuis 2000, chaque année l’EADRCC mène en moyenne un important exercice pratique de gestion des conséquences. 3. L’EADRCC n’entre cependant en scène que s’il est sollicité. Son rôle se limite à la coordination plutôt qu’à la gestion opérationnelle. Conformément au rôle secondaire de l’OTAN en matière d’urgences civiles, la priorité est donnée aux États membres et aux organisations internationales pertinentes, en particulier aux Nations unies. Des ressources militaires, telles que le système aéroporté de détection et de contrôle (AWACS), la force de réaction de l’OTAN (NRF) et le bataillon de CBRN (défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire) sont également engagés lors de certaines urgences civiles. Parmi les exemples les plus marquants d’implication de l’OTAN en matière de réaction en cas de catastrophe, citons l’ouragan Katrina aux États-Unis en août 2005 et le Pakistan, après le tremblement de terre au Cachemire en octobre 2005. Il convient également de rappeler le rôle de l’EADRCC dans la coordination de l’aide humanitaire multinationale apportée aux réfugiés durant la guerre au Kosovo à la fin des années 1990. 4. En matière de recherche et de sauvetage (Search and Rescue - SAR), l’OTAN organise chaque année l’exercice Dynamic Mercy, en alternance dans l’océan Atlantique et la Baltique. Cet entraînement vise à développer la coopération et la coordination interrégionales entre les unités SAR civiles et militaires des Alliés et des pays partenaires. Cette coordination est cruciale pour sauver des vies en mer. L’OTAN développe par ailleurs des capacités de sauvetage des équipages de sous-marins. Elle mène régulièrement des exercices d’évacuation et de sauvetage des sous-marins (SMER) pour améliorer la coopération et l’interopérabilité au niveau international. Le plus récent exercice SMER – Dynamic Monarch – a eu lieu en 2017 en Méditerranée orientale. Il portait essentiellement sur le sauvetage de vies plutôt que sur la capacité de combat. Trois Alliés – Royaume-Uni, France et Norvège – ont en outre conçu conjointement le système de sauvetage sous-marin (NSRS). 5. La commission sur la dimension civile de la sécurité de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN (AP-OTAN) s’intéresse de près à la protection civile. En 2006, elle a adopté un rapport détaillé, qui analyse le réseau complexe de politiques et d’instruments conférant un rôle à l’Alliance en matière d’urgences civiles. Mais plusieurs nouveaux défis sont apparus depuis, dont l’évolution de l’environnement géopolitique sur les flancs est, sud et nord de l’OTAN. 6. Le présent projet de rapport se concentre sur deux régions où la question de la protection civile est particulièrement aiguë depuis quelques années : le Grand Nord et la Méditerranée. Bien que très différentes, ces régions présentent des défis considérables pour la protection civile. En

Page 40: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

2

raison du changement climatique, des progrès technologiques et de la concurrence réaffirmée entre les Alliés et la Russie, on constate une activité civile, économique et militaire croissante dans le Grand Nord. Ces facteurs compliquent les efforts de protection des civils, de l’environnement et des infrastructures, déjà rendus difficiles par l’immensité du Grand Nord, la rigueur du climat et le manque d’infrastructures. 7. La région méditerranéenne est confrontée à un autre type de défi : la crise des réfugiés/migrants alimentée par les turbulences au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MOAN). Les pertes bouleversantes en vies humaines en mer pèsent sur les consciences, partout dans le monde mais plus particulièrement dans la communauté euro-atlantique. 8. Le présent projet de rapport offre une évaluation plus poussée de ces défis, recense les capacités existantes en matière de protection civile – essentiellement SAR – dans ces régions et examine les moyens d’améliorer les réactions multilatérales à ces défis, dont le rôle potentiel de l’OTAN.

II. LA PROTECTION CIVILE ET LES INTERVENTIONS D’URGENCE DANS LE GRAND NORD

A. L’ARCTIQUE EN MUTATION

9. La région arctique1 connaît une transformation accélérée sous l’effet du changement climatique. Au cours des 70 dernières années, l’effet d’amplification polaire a entraîné un réchauffement deux fois plus rapide de l’Arctique comparé aux autres régions du monde. Depuis 1979, la calotte glaciaire recule d’environ 13% par décennie et la tendance s’accélère.2 Parallèlement, l’épaisseur de la glace arctique a diminué de 65% entre 1975 et 2012. D’après l’agence océanique et atmosphérique nationale états-unienne, l’Arctique se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Si la tendance perdure, les experts estiment que l’Arctique sera libre de glace durant l’été dès 2040. Même si l’accord de Paris parvient à limiter l’élévation de la température terrestre au-dessous de 2°C par rapport au niveau préindustriel, les hivers dans l’Arctique devraient être de 5 à 9°C plus chauds que durant la période 1986-2005 (The Economist, 2017). 10. Ce réchauffement et les progrès technologiques rendent l’Arctique plus accessible durant des périodes plus longues de l’année, offrant ainsi de nouvelles possibilités pour l’activité humaine dans la région. De nouvelles routes de navigation stratégiques s’ouvrent graduellement dans le nord : la route maritime arctique (NSR - Northern Sea Route), le long des côtes russes et norvégiennes, et le passage du nord-ouest (NWP - Northwest Passage), via plusieurs routes traversant l’archipel canadien et longeant les côtes septentrionales de l’Alaska. La NSR présente un intérêt économique particulier et la Russie impose des droits de transit élevés, alors que le NWP est libre de droits. (Melia, Haines, et Hawkins, 2017) La NSR raccourcit d’environ un tiers le parcours habituel entre l’Asie et l’Europe occidentale. Consciente de l’intérêt croissant que cette route suscite, la Russie construit des centres urbains le long de son parcours. Avec le rétrécissement de la calotte glaciaire, la route maritime transpolaire (TSR - Transpolar Sea Route) au centre de l’océan arctique pourrait devenir une troisième option, plus intéressante encore que le NWP et la NSR.

1 Dans ce document, les notions d’ « Arctique » et de « Grand Nord » sont utilisées indifféremment ;

elles désignent la région au nord du Cercle arctique (66°33´N). 2 Cette accélération est attribuée à la boucle de rétroaction : la contraction de la calotte glaciaire

entraîne une diminution de la lumière qu’elle reflète et une augmentation de son absorption par l’eau. Le réchauffement de l’eau marine renforce la fonte des glaces. Le dégel du pergélisol dégage par ailleurs du dioxyde de carbone et du méthane dans l’atmosphère, aggravant l’effet de serre.

Page 41: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

3

11. 71 transits via la NSR ont eu lieu en 2013, alors que quatre navires seulement avaient emprunté cette voie en 2010 (le nombre de transits est tombé à 19 en 2016, probablement en raison du regain de tensions entre la Russie et l’Occident). 33 navires ont emprunté le NWP en 2017, contre 5 seulement en 2007, dont pour la deuxième fois le Crystal Serenity, un bateau de croisière avec à son bord plus de 1 400 passagers et membres d’équipage (Headland, 2017). 12. La richesse en ressources naturelles de l’Arctique suscite également l’intérêt commercial. Le bureau des études géologiques des États-Unis estime que la région renferme d’importantes réserves pouvant atteindre 90 milliards de barils de pétrole et 1 699 billions de pieds cubes de gaz naturel. Les autorités états-uniennes et canadiennes interdisent les forages en mer dans l’Arctique3, mais les compagnies pétrolières et gazières nationales russes Rosneft et Gazprom y étendent leurs activités, tandis que les autorités norvégiennes commencent à délivrer des licences de prospection d’hydrocarbures. Certains observateurs prévoient des investissements de 100 milliards de dollars dans la région au cours de la prochaine décennie (Geiselhart, 2014). 13. Malgré l’interdiction des forages, le Canada et les États-Unis se joignent à la Russie pour l’exploitation d’autres ressources naturelles dans le nord, telles que le zinc, le fer et le nickel. Le Groenland prévoit d’exploiter ses considérables ressources en uranium à l’aide d’investissements australiens et chinois. Le réchauffement de l’eau offre également de nouvelles possibilités pour la pêche de certaines espèces, telles que la morue. 14. Ceci étant, il convient de ne pas surestimer le potentiel offert par le raccourcissement des routes maritimes et l’exploitation des ressources naturelles. L’étendue de la couverture de glace marine demeure en grande partie imprévisible, ce qui limite le recours aux routes de l’Arctique par les compagnies maritimes. L’intérêt pour l’exploitation des ressources naturelles dans l’Arctique a en outre considérablement décru, en raison de la chute des cours mondiaux du pétrole et de l’effet des sanctions occidentales sur les compagnies russes4 (Zysk et Titley, 2015). Pour l’instant, l’activité commerciale dans la région ne devrait s’accroître que modestement.

B. SAR ET INTERVENTIONS D’URGENCE DANS LE GRAND NORD : DÉFIS ET CAPACITÉS

15. L’augmentation de l’activité humaine dans le Grand Nord va de pair avec la probabilité d’incidents exigeant des opérations SAR. Navires et plateformes pétrolières et gazières off-shore peuvent connaître des accidents, tels que collisions avec des icebergs et incendies, susceptibles de menacer gravement des vies humaines et l’environnement. 55 accidents maritimes ont été recensés en 2016, contre 8 seulement en 2006. La présence accrue de grands bateaux de croisière avec plus de 1 000 passagers à bord est particulièrement inquiétante. L’évacuation d’urgence d’un navire de cette taille impliquerait une opération de sauvetage massive (MRO - mass rescue operation) qu’aucun pays de l’Arctique n’est actuellement capable de mener seul. À moindre échelle, hélicoptères, petits avions privés, skieurs et plaisanciers en mal d’aventure représentent un autre risque croissant de situations d’urgence (Ikonen, 2017). 16. La gestion des situations d’urgence dans l’Arctique est une entreprise complexe et risquée en raison des intempéries, de l’état aléatoire des glaces, des distances importantes et d’un environnement vulnérable. L’Arctique couvre 14,5 millions de km2 pour une population de 4 millions d’habitants, alors que le continent européen tout entier ne couvre que 10 millions de km2. Les températures hivernales moyennes peuvent descendre à -34ºC. Cet environnement hostile complique l’utilisation d’avions et d’hélicoptères, tandis que les navires sont confrontés à

3 D’après un récent rapport, le président Trump semble réévaluer cette interdiction :

https://www.cnbc.com/2018/01/04/trump-aims-to-open-arctic-pacific-and-atlantic-to-offshore-drilling-in-ambitious-new-plan.html

4 En raison des sanctions occidentales, le trafic de transit via la NSR est passé de 1,18 million de tonnes en 2013 à 39 000 tonnes seulement en 2015 : https://jamestown.org/program/russian-military-build-up-in-arctic-highlights-kremlins-militarized-mindset/

Page 42: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

4

l’avancée des glaces, susceptible de les immobiliser. Les collisions avec des icebergs peuvent également entraîner l’abandon d’un navire. Pendant l’hiver arctique, les longues périodes d’obscurité et la visibilité réduite due à la météo compliquent encore la navigation. En raison de la dispersion de la population, des infrastructures telles que ports, pistes d’atterrissage et hôpitaux font défaut (Steinicke et Albrecht, 2012). Toute amélioration de ces facteurs ne peut être que marginale. 17. Lors de situations d’urgence d’ampleur plus restreinte, les autorités du Grand Nord s’appuient dans une large mesure sur des intervenants et volontaires locaux. Toutefois, comme la fréquence et l’ampleur des activités s’accroissent dans la région, il faut prévoir des capacités SAR perfectionnées pour faire face à des situations d’urgence plus complexes et de plus grande ampleur. Les autorités responsables de l’état de préparation doivent prolonger leur présence (habituellement limitée aux mois d’été), ainsi que leurs capacités globales, leur perception situationnelle et leur coopération transfrontalière. La responsabilité de l’état de préparation aux situations d’urgence dans le Grand Nord échoit aux différentes autorités nationales, les principaux responsables de SAR étant civils (ex. : garde-côtes en Islande), ou militaires (ex. : marine danoise). 18. Dans certains pays comme le Canada, la responsabilité de la recherche et du sauvetage est partagée. En raison de l’immensité du territoire, de la diversité des types de terrain et de l’imprévisibilité des conditions météo, de nombreux partenaires et juridictions sont impliqués dans le programme national de recherche et de sauvetage : les garde-côtes civils pour les opérations SAR maritimes, l’aviation royale canadienne pour les opérations SAR aéronautiques, ainsi que les autorités provinciales et territoriales. Dans les zones éloignées du nord, les rangers canadiens – une force de quelque 5 000 réservistes provenant de plus de 200 communautés septentrionales – peuvent également apporter leur aide en matière de recherche et sauvetage au sol. Souvent surnommés « les yeux et les oreilles de l’armée dans le nord », de nombreux rangers canadiens sont des autochtones et apportent une connaissance locale très précieuse lors d’opérations dans des zones isolées. 19. L’héliportage est extrêmement difficile en raison de l’immensité de l’Arctique et des infrastructures limitées. Investir dans de nouvelles bases d’hélicoptères s’avère difficile à justifier, en raison des activités maritimes limitées dans la région. À l’heure actuelle, le recours à d’autres moyens de sauvetage exige beaucoup de temps et ne permet guère la prise en charge d’un grand nombre de survivants. Les brise-glaces sont particulièrement importants pour les opérations SAR. Les experts s’inquiètent néanmoins des lacunes des États arctiques, dont les flottes sont réduites et vieillissantes, dans ce domaine. Les États-Unis ne disposent que de deux brise-glaces opérationnels (CRS, 2018). La construction d’un nouveau brise-glace est envisagée, mais il est peu probable que l’activité limitée dans la région puisse justifier un coût d’un milliard de dollars l’unité (Fountain, 2017). Les garde-côtes canadiens disposent de 15 brise-glaces dont deux lourds, mais ils atteignent la fin de leur durée de vie théorique. Le Canada étudie diverses options de remplacement, d’autant que sa flotte a du mal à répondre à la demande croissante d’aide (LeBlanc – Sénat du Canada, 2018). Seule la Russie, dont la flotte se compose de plus de 40 brise-glaces, dont six nucléaires polaires lourds, possède de solides capacités dans ce domaine (Charron, mars 2017). 20. Comme les satellites de télécommunications ne couvrent pas la totalité de l’Arctique, le recours aux technologies de communication est limité dans le Grand Nord. La mise en place d’infrastructures pour la technologie à haut débit est compliquée, car les périodes propices à la construction sont courtes et les conditions de maintenance difficiles. Depuis 1999, les navires de grande taille disposent de systèmes de communication, d’alarme et d’alerte reliés au Système mondial de détresse et de sécurité en mer (SMDSM), utilisant principalement le programme de satellites COSPAS-SARSAT mis en place par le Canada, la France, les États-Unis et l’ex-URSS en 1979. Toutefois, en raison des trous dans la couverture satellitaire, les alertes ne peuvent être détectées au niveau mondial que jusqu’à environ 70-75º nord. (Steinicke et Albrecht, 2012).

Page 43: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

5

21. Les communications entre les différents intervenants SAR sont aussi une cause de préoccupations. Les services de trafic maritime et aérien des pays arctiques s’appuient sur des systèmes différents (Ikonen, 2017). Les informations relatives aux unités militaires, qui constituent souvent les ressources les plus aisément disponibles pour les opérations SAR, peuvent être considérées comme sensibles par les autorités, ce qui complique encore la coopération transfrontalière. Et la barrière linguistique demeure une entrave aux communications (Sydnes et al., 2017). 22. La Finlande, la Norvège et la Suède ont des capacités SAR adéquates dans le Grand Nord. Les États-Unis stationnent la plupart de leurs ressources SAR dans le sud de l’Alaska, mais durant les mois d’été, les garde-côtes états-uniens ouvrent des bases d’opération avancées pour soutenir les activités économiques dans des régions plus éloignées. Les garde-côtes islandais disposent de trois navires, de plusieurs hélicoptères de sauvetage et d’un avion de surveillance maritime pouvant opérer à partir de courtes pistes. Un pays de la taille de l’Islande a toutefois besoin d’un soutien international pour les interventions d’urgence majeures. 23. Le Canada et le Groenland danois sont confrontés aux plus importants défis SAR en raison de l’étendue de la zone relevant de leur responsabilité par rapport à la taille des populations. Jusqu’à récemment, les experts estimaient que le Canada ne disposait que d’infrastructures limitées dans les Territoires du Nord et que « toute tentative d’organiser une opération même à petite échelle serait difficile », les installations SAR nationales les plus substantielles étant situées à des milliers de kilomètres, dans le sud (Steinicke et Albrecht, 2012). Le gouvernement actuel a cependant adopté d’importantes mesures pour améliorer la situation. En novembre 2017, Ottawa a lancé le Plan de protection des océans (valeur : 1,5 milliard de dollars) qui, en plus de fixer des objectifs environnementaux, prévoit de doter les garde-côtes de nouvelles capacités pour intervenir efficacement en cas d’incidents liés à la sécurité. Le ministère de la défense a par ailleurs annoncé une nouvelle politique « Protection, sécurité, engagement » appelant à une augmentation de 70% des dépenses militaires au cours de la prochaine décennie. La majeure partie du financement vise à améliorer les capacités SAR et la surveillance de l’Arctique. Le gouvernement a réaffirmé son engagement à développer et à placer en orbite polaire des satellites radars de nouvelle génération, la Constellation RADARSAT, qui permettra aux forces canadiennes de voir au travers de la couverture nuageuse pour suivre le déplacement des bateaux sur l’océan. 24. Le Groenland, la plus grande île au monde, a une population de 50 000 habitants. Les ressources SAR se limitent à deux hélicoptères exploités par la compagnie aérienne Air Greenland. Ils peuvent hélitreuiller des personnes en détresse sur des bateaux ou dans l’eau, telles que des pêcheurs sur des îlots de glace à la dérive. Le Groenland adopte une approche SAR impliquant toute la communauté : pêcheurs locaux et chasseurs, bateaux de plaisance et randonneurs. Le commandement arctique danois soutient les efforts locaux à l’aide d’une frégate de patrouille avec un hélicoptère embarqué et deux navires de patrouille en été ; et d’un seul navire en hiver. Les experts constatent qu’en cas d’opération de sauvetage massive, les ressources locales seraient dépassées, tandis que la distance retarderait l’arrivée rapide de secours internationaux (Steinicke & Albrecht, 2012). En octobre 2013, l’agence publique de contrôle danoise Rigsrevisionen a conclu que les forces danoises ne disposaient ni de fonds ni d’équipements suffisants pour accomplir pleinement leurs tâches SAR et de protection de l’environnement dans l’Arctique (Wezeman, 2016). 25. La Russie est source à la fois de problèmes et de possibilités pour la protection civile dans le Grand Nord. Comme nous l’avons dit, elle dispose de l’infrastructure la plus développée dans la région, en raison de l’importance économique5 et militaire que Moscou attache à l’Arctique. Dans le cadre d’un vaste programme de modernisation de l’armée, la Russie s’est lancée dans un renforcement massif de sa présence militaire dans le Grand Nord. En décembre 2014, Moscou a

5 D’après le conseil des relations étrangères (CFR) états-unien, 20% du PIB de la Russie, dont 95% de

son gaz naturel et 75% de son pétrole, proviennent de la région arctique.

Page 44: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

6

annoncé la création du commandement stratégique unifié Nord basé à Mourmansk. Six installations militaires ont en outre été créées ou rouvertes dans la région. En 2017, le président Poutine et le Premier ministre Medvedev ont visité la base moderne de 14 000 m² dans l’archipel François-Joseph, réaffirmant ainsi la présence de la Russie dans l’Arctique. La flotte russe du nord a en outre consolidé ses capacités et accru le nombre et l’ampleur de ses exercices dans les eaux arctiques. 26. La Russie dispose d’un vaste réseau de centres urbains et d’infrastructures en bordure de sa longue côte arctique, afin d’exploiter les ressources minérales et d’assurer les services nécessités par la NSR. En 2015, le gouvernement russe a fait part de son « plan de développement intégré pour la route maritime arctique 2015–2030 ». Ce plan souligne l’importance d’assurer une navigation plus sûre et fiable le long de la NSR, ainsi que l’importance stratégique de celle-ci pour la sécurité nationale. La Russie dispose de cinq centres SAR le long de la NSR, auxquels sont affectés environ 280 hommes, et elle en construit quatre supplémentaires (LeBlanc, 2018). Les ressources militaires offrent une couverture SAR supplémentaire à la NSR. 27. Les installations russes dans la région sont cependant obsolètes et en mauvais état. Le pays manque d’infrastructures de soutien telles que chantiers de réparation, points de ravitaillement, systèmes de communication et plateformes de sauvetage (Dushkova et al., 2017). 28. Ce bref aperçu des capacités SAR dans le Grand Nord révèle leur quantité limitée et leur répartition irrégulière. Une coopération multilatérale est donc un préalable essentiel à la mise en place d’une protection civile adéquate dans la région.

C. CADRES DE COOPÉRATION MULTILATÉRALE DANS LE GRAND NORD 29. La gouvernance de l’Arctique est une mosaïque de législations nationales, de traités bilatéraux et d’accords internationaux. Outre les réglementations nationales6, les conventions internationales les plus pertinentes qui sont d’application dans l’Arctique sont : la Convention internationale sur la sauvegarde de la vie humaine en mer (Convention SOLAS - 1974), la Convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritimes (Convention SAR - 1979), la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM - 1982)7 et le recueil de règles obligatoires pour les navires exploités dans les eaux polaires (Code polaire - 2014). 30. Le Code polaire, d’application depuis le 1er janvier 2017, représente une avancée majeure en matière de directives liées au transport maritime arctique. Il établit des exigences de sécurité pour les navires empruntant les eaux arctiques et encourage la protection de l’environnement en interdisant tout rejet de déchets. Ce code est obligatoire, mais son application dépend des États membres et aucune sanction n’est prévue en cas de non-respect. 31. En termes de coopération interrégionale, le Conseil arctique est une organisation clef qui implique les gouvernements du Canada, du Danemark (via le Groenland), de la Finlande, de l’Islande, de la Norvège, de la Russie, de la Suède, des États-Unis et de six représentants des populations autochtones. Plusieurs pays sont reconnus comme observateurs, dont l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, les Pays-Bas, la Pologne et le Royaume-Uni, tous membres de l’OTAN. Fondé en 1996, le Conseil arctique est devenu une organisation régionale qui fournit des analyses conjointes sur des questions liées à l’Arctique, dont les opérations SAR, et facilite des accords intergouvernementaux légalement contraignants. Le premier secrétariat permanent du Conseil arctique a été créé en 2013, à Tromsø, en Norvège. Le statut d’observateur a été accordé à des pays aussi lointains que la Chine et l’Inde, en raison de l’importance que revêt l’Arctique

6 À la différence de l’Antarctique, le territoire de l’Arctique relève des juridictions des huit États du

Grand Nord : États-Unis, Canada, Danemark (Groenland), Finlande, Islande, Norvège, Russie et Suède.

7 Les États-Unis n’ont pas officiellement ratifié la CNUDM, mais répondent à ses normes dans l’Arctique.

Page 45: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

7

pour le monde entier. Les représentants des gouvernements des États membres se rencontrent deux fois par an, tandis que des sommets ministériels sont organisés tous les deux ans. 32. La coopération panrégionale en matière de SAR n’a été possible qu’après la fin de la Guerre froide, lorsqu’en 1993, la Russie, les États-Unis et le Canada ont organisé le premier exercice de recherche et de sauvetage SAREX en Sibérie, afin d’améliorer l’interopérabilité SAR entre ces pays. Depuis lors, SAREX et d’autres exercices SAR bilatéraux et multilatéraux sont organisés régulièrement, tels que l’exercice Arctic Chinook en Alaska en 2016, simulant une MRO sur un navire de croisière avec 200 passagers. 33. La principale réalisation du Conseil arctique a été la signature, en 2011, de l’ « Accord de coopération en matière de recherche et de sauvetage aéronautiques et maritimes dans l'Arctique ». Également connu sous le nom d’Accord SAR arctique, c’est le premier document légalement contraignant de l’organisation, qui oblige les signataires à délimiter des zones de responsabilité SAR8. Les huit pays ont décidé d’établir un centre de coordination des sauvetages aéronautiques et maritimes (RCC) sous un seul commandement et de supporter les coûts des capacités SAR dans leurs zones de responsabilité respectives. L’accord encourage toutes les parties à coopérer en partageant des informations et des infrastructures, en participant à des exercices et à des initiatives de recherche conjoints, ainsi qu’en organisant des visites réciproques d’experts SAR. Il est à noter que l’accord permet d’inclure des États non arctiques dans les opérations SAR. En 2011, le Canada a accueilli le premier exercice de simulation SAR dans le cadre de cet accord. 34. Il est sans doute trop tôt pour évaluer l’efficacité de l’Accord SAR arctique, mais certains experts font remarquer que la délimitation en zones de responsabilité nationale n’est pas un remède miracle. L’exercice SAREX 2013 a permis de conclure, entre autres, qu’une opération de sauvetage massive aurait nécessairement une dimension internationale, car aucun pays ne dispose de suffisamment de ressources pour la mener seul (Chambre des Lords, 2015). 35. Outre l’Accord SAR arctique, le deuxième accomplissement majeur du Conseil arctique est l’Accord de coopération de 2013 en matière de préparation et d'intervention en cas de pollution marine par les hydrocarbures dans l'Arctique (MOSPA). Il engage les signataires à surveiller les pollutions par hydrocarbures au sein de leur zone de responsabilité, à disposer d’équipements et de plans d’urgences appropriés pour réagir à de telles pollutions de façon efficace et en temps voulu, à avertir toutes les parties affectées en cas de pollution transfrontalière et à s’entre-aider si les capacités d’un signataire ne suffisent pas à faire face à un incident. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord en 2013, trois exercices conjoints ont été réalisés dans le cadre du MOSPA. 36. La Norvège a connu des accidents dévastateurs de plateformes pétrolières en 1977 et 19809. Elle a ensuite revu ses politiques afin de mettre l’accent sur la sécurité et les exigences environnementales et d’adopter un régime proactif fondé sur les risques et des exigences légales adaptées. La Russie est considérée par ses voisins arctiques comme l’acteur qui à la fois développe le plus ses activités d’extraction de pétrole et de gaz en mer et offre le moins de clarté au niveau de sa réglementation. Une pollution pétrolière dans l’Arctique serait particulièrement dommageable en raison de la fragilité de l’écosystème. C’est pourquoi le Canadien Michael Byers explique qu’il faut «développer rapidement la coopération en matière de normes régionales de prévention des pollutions pétrolières » (Bouffard, 2017).

8 Il est important de noter que, d’après l’accord, « la délimitation des régions de recherche et de

sauvetage n’est pas liée et ne préjudiciera pas aux frontières entre États, ni à leur souveraineté, droits souverains ou juridiction ».

9 En 1980, l’effondrement d’une plateforme a causé la mort de 123 personnes sur les 212 présentes.

Page 46: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

8

37. Autres cadres régionaux importants :

1. Le groupe de travail du Conseil arctique sur la préparation aux situations d’urgence, prévention et intervention (EPPR). Il identifie les lacunes, collecte des informations, élabore des stratégies et facilite la coordination entre les autorités nationales de préparation aux situations d’urgence. Depuis 2015, son mandat inclut explicitement les questions SAR.

2. Le Forum des gardes côtières de l’Arctique. Créé en 2015, il se réunit deux fois par an pour promouvoir la coopération multilatérale en matière de SAR maritime. Officiellement indépendant du Conseil arctique, il rassemble néanmoins des officiers des garde-côtes des États membres. Conçu pour coordonner la mise en commun des informations et ressources et partager les bonnes pratiques ; son premier exercice SAR conjoint a eu lieu en Islande en septembre 2017.

3. Les questions SAR sont également abordées lors des réunions régulières des responsables de la défense dans le cadre de la Table ronde sur les forces de sécurité de l’Arctique. La Russie n’assiste plus à ces réunions depuis la dégradation de ses relations avec l’Occident en 2014. Sa participation aux activités du Conseil arctique n’en est cependant pas affectée.

4. Rassemblant le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie, la Suède et la Commission européenne, le Conseil euro-arctique de Barents encourage la coopération dans la mer du même nom. L’un de ses groupes de travail traite des questions SAR. Le conseil a élaboré un outil opérationnel, le manuel de sauvetage conjoint de Barents, et organise régulièrement des exercices conjoints Sauvetage Barents.

5. En 2011, le Canada, la Norvège et la Russie ont mis en place un système de diffusion conjoint d’avertissements de navigation et météorologiques.

38. Quatre des cinq État littoraux de l’Arctique et cinq des huit membres du Conseil arctique sont des Alliés, mais l’implication de l’OTAN dans l’Arctique, y compris dans le domaine SAR, est limitée et ponctuelle. En 1996, dans le cadre du programme de Partenariat pour la paix, l’Alliance a parrainé un exercice SAREX, impliquant des unités militaires russes, canadiennes et états-uniennes, centré sur les procédures SAR communes et l’apport d’une aide humanitaire (Steinicke et Albrecht, 2012). Les exercices réguliers Cold Response de l’OTAN se concentrent sur l’amélioration des capacités à combattre dans l’Arctique, mais impliquent également les populations et autorités civiles locales, telles les responsables de l’environnement. Le Commandement allié Transformation procède pour sa part à des examens scientifiques et technologiques dans la région, utilisant des véhicules sous-marins sans équipage et un navire de recherche pour étudier la prévisibilité des environnements océanique et acoustique. Comme nous l’avons dit, l’OTAN organise annuellement les exercices Dynamic Mercy dans les régions adjacentes au Grand Nord, à l’océan Atlantique et à la mer Baltique. 39. Depuis des années, l’implication manifeste de l’OTAN dans l’Arctique n’est pas une option de prédilection pour certains Alliés. Le Canada par exemple considère souvent l’Arctique comme une zone de coopération et non de confrontation. Si, aux termes de sa nouvelle politique de défense « Protection, sécurité, engagement », il « [m]ène des exercices conjoints avec les alliés et partenaires de l’Arctique et soutient le renforcement de la perception situationnelle et le partage d’informations dans cette région, y compris avec l’OTAN », sa position consiste à accorder la priorité à une approche pacifique et en coopération des préoccupations relatives à l’Arctique plutôt qu’à la militarisation. 40. Lors du Forum sur la sécurité internationale d’Halifax en 2017, le secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg a présenté les plans de l’Alliance pour la création d’un commandement couvrant l’Arctique, une initiative largement soutenue par les Alliés, dont les cinq membres OTAN du Grand Nord.

Page 47: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

9

III. RÉPONSE À LA CRISE HUMANITAIRE EN MÉDITERRANÉE

A. LA MÉDITERRANÉE : ROUTE MARITIME LA PLUS MEURTRIÈRE AU MONDE POUR LES MIGRANTS ET LES RÉFUGIÉS

41. À la différence de l’Arctique, la Méditerranée est l’un des principaux centres de l’activité maritime mondiale. L’intensité du trafic entraîne naturellement un risque d’accidents exigeant des opérations SAR. Les plus vulnérables sont les réfugiés et les migrants, qui entreprennent une périlleuse traversée dans l’espoir d’une vie meilleure et plus sûre en Europe. Les flux migratoires au travers de la Méditerranée ne sont certes pas nouveaux, mais ils connaissent une croissance explosive depuis cinq ans, générée par l’éclatement ou l’aggravation de conflits sur le flanc sud de l’Europe. 42. En 2015, l’Europe a connu le plus important afflux de réfugiés et de migrants depuis la deuxième guerre mondiale, avec plus d’un million d’arrivées via la Méditerranée, ce qui a provoqué une crise humanitaire et politique. Bien que le nombre d’arrivées par voie maritime ait considérablement diminué depuis lors, la Méditerranée demeure la route migratoire maritime la plus meurtrière au monde. En 2017, l’agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a recensé 172 301 migrants arrivés en Europe par voie maritime et 3 139 morts ou disparus avant d’atteindre la côte. Selon l’organisation internationale pour les migrations (OIM), la traversée de la Méditerranée a coûté la vie à 15 000 personnes depuis octobre 2013, lorsque la crise a commencé à faire la une de l’actualité. Bien qu’extrêmement élevés, ces chiffres sous-estiment très probablement le nombre total d’arrivées et de victimes. 43. Les migrations clandestines via la Méditerranée empruntent trois routes principales : la route de la Méditerranée orientale de la Turquie vers la Grèce, la route de la Méditerranée centrale de la Libye vers l’Italie et la route de la Méditerranée occidentale principalement du Maroc vers l’Espagne. Ces routes varient considérablement à plusieurs égards : nombre de traversées, diversité des nationalités, durée et taux de mortalité. 44. Au début de la crise, la plupart des arrivées en provenance de pays du Moyen-Orient ravagés par la guerre s’effectuaient via la route de la Méditerranée orientale. En 2015, quelque 885 000 arrivées dans l’UE sur un million environ ont été recensées dans les îles grecques. Il s’agissait principalement de Syriens, suivis par des Afghans et des Somaliens. En dépit de la brièveté de la traversée – certaines îles grecques se trouvant à quelques kilomètres à peine de la côte turque – 804 migrants au moins ont perdu la vie en Méditerranée orientale cette année-là (OIM, 2018). 45. L’accord de 2016 entre l’UE et la Turquie a entraîné une brusque diminution des traversées par la route de la Méditerranée orientale. Aux termes de l’accord, la Turquie s’est engagée à endiguer le flot de migrants s’embarquant à destination des îles grecques, l’UE devant en contrepartie accélérer le processus de libéralisation des visas pour les citoyens turcs et mobiliser des fonds pour soutenir l’accueil par la Turquie de quelque trois millions de réfugiés syriens. L’accord permet en outre le renvoi en Turquie de tous les migrants sans papiers arrivant en Grèce. Pour chaque Syrien renvoyé en Turquie au départ des îles grecques, un autre Syrien sera réinstallé de la Turquie vers l’UE. Au cours des deux années qui ont suivi l’entrée en vigueur de l’accord, les migrations clandestines via la Méditerranée orientale ont chuté de 97%. En 2017, les autorités grecques ont enregistré 42 319 arrivées de sans-papiers et 62 décès en mer. 46. L’accord a certes été salué pour avoir réduit les migrations clandestines et le nombre de morts en Méditerranée orientale, mais il suscite également des critiques, surtout en raison du risque de violations des droits humains et du droit des réfugiés. Dans la plupart des cas, les migrants sans papiers font appel avec succès de la décision de les renvoyer en Turquie, en faisant valoir que ce pays n’est pas sûr. En date du 12 mars 2018, 12 489 réfugiés enregistrés en Turquie avaient été réinstallés dans l’UE, pour 2 264 migrants seulement renvoyés dans ce pays.

Page 48: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

10

47. Suite à l’application de l’accord UE-Turquie, la Méditerranée centrale est devenue le principal point d’entrée par voie maritime de migrants sans papiers en Europe. Il a toujours été difficile de juguler les migrations clandestines à partir de la Libye. Alors que le Maroc, la Tunisie et l’Algérie ont adopté une législation punissant la sortie de migrants sans papiers ou son organisation, la Libye n’a pas suivi cette voie (Fargues, 2017). Après l’effondrement du régime en 2011, elle est devenue une plaque tournante majeure des migrations via la Méditerranée. Des Libyens et des migrants venus d’Afrique du Nord, du Sahel et d’Afrique sub-saharienne continuent à profiter de la porosité des frontières libyennes et de la faiblesse des autorités pour se lancer dans de périlleuses traversées maritimes vers l’Europe. 48. La route entre l’Afrique du Nord et l’Italie est en outre la plus dangereuse car elle est nettement plus longue que celle qui traverse la Méditerranée orientale. En 2016, pas moins de 181 436 arrivées par la mer ont été recensées en Italie et 4 578 migrants ont perdu la vie. Malgré une forte diminution des départs depuis la Libye l’année dernière, les chiffres pour 2017 demeurent élevés, avec 119 369 arrivées en Italie et 2 873 morts en mer. 49. Certains observateurs font valoir que l’accord UE-Turquie a entraîné un déplacement du flux migratoire de la Méditerranée orientale vers une route plus longue et plus périlleuse. Les départs depuis la Libye ont augmenté au printemps 2016, mais la composition des nationalités montre que les migrants arrivant en Europe via la Méditerranée centrale ne sont pas ceux arrêtés en Turquie. (Fargues, 2017). Même après la fermeture de la route de Turquie vers la Grèce, la grande majorité des arrivants par mer en Italie a continué à provenir d’Afrique sub-saharienne (HCR, 2017). 50. En ce qui concerne la Méditerranée occidentale, la traversée du détroit de Gibraltar représente le moyen le plus court possible de traverser la mer. Grâce à la coopération entre le Maroc et l’Espagne, le nombre d’arrivées est cependant relativement faible. Les flux migratoires se sont déplacés vers l’Atlantique, où les migrants se lancent dans de longues traversées extrêmement dangereuses de la Mauritanie ou du Sénégal vers les Canaries. Les migrations clandestines par les routes de la Méditerranée occidentale et de l’Atlantique sont récemment reparties à la hausse : les arrivées par mer en Espagne ont plus que doublé par rapport à 2016, atteignant 28 349 (Commission européenne, 2018). La similarité de la composition des nationalités entre les arrivées en Italie et en Espagne suggère que les efforts pour juguler les migrations clandestines par la Méditerranée centrale ont entraîné un déplacement vers l’ouest du flux migratoire.

B. LES CAPACITÉS SAR EN MÉDITERRANÉE 51. Récemment encore, les opérations SAR en Méditerranée étaient menées au cas par cas, principalement par des navires marchands et les garde-côtes des États littoraux. L’augmentation alarmante de traversées mortelles depuis quelques années a toutefois suscité la création d’un système proactif d’intervention en cas d’urgence dans la région, en particulier le long de la dangereuse route de la Méditerranée centrale. Plusieurs acteurs sont désormais impliqués dans la région – UE, OTAN, ONG, pays individuels et navires marchands –, mais leurs approches et zones d’opération sont souvent très différentes. Comme le droit international oblige les capitaines à prêter assistance à toute personne en détresse en mer, tous ces acteurs sont impliqués dans une certaine mesure dans des opérations de sauvetage, même s’ils n’interviennent pas toujours dans le cadre d’un mandat humanitaire centré sur les opérations SAR. 52. Le naufrage d’une embarcation de migrants au large de Lampedusa le 3 octobre 2013 et ses 366 morts ou disparus ont provoqué une modification radicale du système d’intervention d’urgence dans la région. Moins de deux semaines après ce drame, les autorités italiennes ont initié Mare Nostrum, une opération majeure de sauvetage et contrôle des frontières sous l’autorité de la marine nationale. Disposant d’un important budget de 12 millions de dollars par mois, Mare Nostrum a entraîné le déploiement de ressources maritimes et aériennes le long du canal de Sicile, entre l’Italie et la Libye. Avant l’interruption de l’opération un an plus tard, quelque 150 000

Page 49: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

11

personnes ont été sauvées au cours de plus de 400 opérations SAR. L’importance des coûts opérationnels et la diminution du soutien de l’opinion ont toutefois conduit à la fin de l’opération le 31 octobre 2014. 53. Pour remplacer Mare Nostrum, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) a lancé l’opération Triton en novembre 2014, répondant ainsi à une demande de partage des charges émanant de l’Italie. L’opération Triton s’est déroulée en parallèle à l’opération Poséidon, une initiative similaire de Frontex en mer Égée ayant débuté en 2011. Réagissant à l’afflux de migrants clandestins via la Méditerranée et à plusieurs événements de grande ampleur, l’UE a triplé les ressources de Poséidon et Triton en 2015. Parallèlement, Triton a étendu sa zone opérationnelle de 30 à 138 miles nautiques au sud de la Sicile. Les mandats des deux opérations étaient centrés sur le contrôle et la surveillance des frontières, mais les navires participants ont pris part à de nombreuses opérations SAR d’assistance à des migrants en détresse. 54. Le 1er février 2018, Frontex a remplacé l’opération Triton par l’opération Thémis, à nouveau pour répondre à une demande de l’Italie de partage plus équitable des charges. Alors que Triton impliquait un transfert en Italie des personnes secourues, Thémis laisse cette décision au pays coordonnant le sauvetage. Toutefois, comme le centre de coordination des sauvetages en mer (à Rome) continue à traiter la grande majorité des opérations SAR en Méditerranée centrale, les modifications apportées par Thémis sont surtout un message politique adressé aux voisins méditerranéens de l’Italie (Deutsche Welle, 2018). 55. D’autres événements ont poussé l’UE à lancer l’EUNAVFOR MED opération Sophia en 2015. Son mandat initial se limitait à identifier, capturer et saisir les embarcations et moyens utilisés pour le trafic d’êtres humains et la contrebande, mais elle a considérablement évolué depuis lors. Des obstacles juridiques et politiques ont empêché la pleine mise en œuvre de son mandat, prévoyant l’éventuelle expansion de ses opérations anti-fraude dans les eaux territoriales libyennes. Toutefois, aucun des groupes prétendant constituer le gouvernement légitime pas plus que le Conseil de sécurité n’ont octroyé à l’UE la permission de pénétrer dans les eaux libyennes (Tardy, 2017). Depuis l’amendement apporté à son mandat en 2016, l’opération peut assurer la formation et l’encadrement de membres de la marine et des garde-côtes libyens. Ce mandat a à nouveau été amendé en 2017 pour inclure des activités de surveillance des trafics illicites, les informations récoltées étant transmises aux autorités libyennes compétentes. Simultanément, les ressources maritimes et aériennes de l’opération Sophia, confinées aux eaux internationales, participent en cas de besoin à des missions SAR. À ce jour, elles ont été impliquées dans le sauvetage de plus de 40 000 personnes. 56. Comme l’UE n’a pas de mandat pour endiguer le trafic et la traite des êtres humains à leur source, elle a délégué cette tâche à la Libye, un pays où la situation demeure extrêmement fluctuante et qui n’a pas de gouvernement central unifié. Dans le cadre de l’opération Sophia, l’UE a formé et encadré quelque 200 membres de la marine et des garde-côtes libyens en 2017 et prévoit d’en former 90 autres en 2018. Avec pour objectif global l’amélioration de la sécurité dans les eaux territoriales libyennes, ces programmes visent à renforcer la capacité à mener des opérations SAR et à entraver le trafic et la traite des êtres humains depuis et vers les côtes libyennes. Soutenue par un financement de l’UE, l’Italie prévoit la création d’un centre de sauvetage en mer à Tripoli au cours des 12 prochains mois (Tardy, 2017). Nonobstant toutes les critiques justifiées, les premiers succès des efforts de l’UE et de l’Italie sont apparents. D’après l’organisation internationale pour les migrants, les garde-côtes libyens ont secouru plus de 20 300 migrants en 2017. 57. L’opération Sea Guardian de l’OTAN soutient activement les efforts de l'UE pour renforcer la sécurité maritime en Méditerranée en fournissant des informations et un soutien logistique à l’opération Sophia. Lancée en octobre 2016, Sea Guardian relève du Commandement maritime allié (MARCOM) de l’OTAN et couvre un large éventail de tâches, centrées notamment sur la perception situationnelle, la lutte contre le terrorisme et le renforcement de la capacité régionale.

Page 50: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

12

Depuis février 2016, les navires et les avions de l’OTAN aident également les autorités de l’UE à endiguer le trafic et la migration illégaux en mer Égée, en menant des opérations de reconnaissance, de suivi et de surveillance, et en partageant toutes les informations pertinentes collectées dans ce cadre avec Frontex et les garde-côtes grecs et turcs. Les opérations et missions d’assistance de l’OTAN en Méditerranée au sens large ne se concentrent pas sur les opérations SAR, mais leurs navires ont bien sûr le devoir d’apporter assistance à toutes les personnes en détresse à proximité. 58. Depuis 2014, un nombre croissant d’ONG qui mènent des opérations SAR en Méditerranée centrale œuvrent à la mise sur pied d’un système proactif d’intervention en cas d’urgence. La première ONG à mener des opérations de sauvetage a été Migrant Offshore Aid Station (MOAS) basée à Malte. Elle a été rejointe par d’autres organisations européennes, telles que Médecins Sans Frontières (MSF), Sea-Watch, SOS Méditerranée, Proactiva, Sea-Eye, Jugend Rettet et Save the Children. Certaines de ces ONG disposent de grands navires de surface, qui leur permettent d’assumer des opérations SAR complètes, du sauvetage des personnes en détresse à leur débarquement dans un port sûr. Les organisations aux capacités plus limitées se concentrent sur la fourniture de soins médicaux d’urgence, de gilets de sauvetage et d’eau dans l’attente de l’arrivée de navires de plus grande taille. 59. Ces opérations SAR des ONG en Méditerranée centrale suscitent des tensions parmi les différents acteurs impliqués. Les autorités italiennes accusent les ONG de collusion avec des réseaux de trafic et de traite des êtres humains. En juillet 2017, le ministère italien de l’intérieur a rédigé, en concertation avec la Commission européenne, un « code de conduite pour les ONG menant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée ». Entre autres, ce code interdit clairement aux ONG de pénétrer dans les eaux libyennes ou de transférer les personnes secourues sur d’autres navires. Il oblige en outre les ONG à permettre l’accès à bord à des représentants des forces de l’ordre italiennes. Certaines ONG ont d’abord refusé de signer le code, prétendant qu’il viole le droit maritime international et réduit la capacité de sauvetage. Les autorités italiennes ont toutefois clairement indiqué que tout refus de souscrire à ce code entraînerait de lourdes conséquences. C’est ainsi par exemple que les ONG Jugend Rettet et Proactiva ont vu leurs navires confisqués par les autorités italiennes et font désormais l’objet d’une enquête pour aide à l’immigration illégale. À l’exception de MSF, toutes les grandes ONG impliquées dans des opérations SAR en Méditerranée ont fini par signer le code après des négociations avec le ministère de l’intérieur italien et des concessions de ce dernier. 60. Les autorités libyennes accusent en outre certaines ONG d’opérer trop près de leurs côtes, violant ainsi la souveraineté de leur pays. Depuis août 2017, la marine et les garde-côtes libyens ont commencé à réaffirmer leur autorité sur la zone SAR du pays, limitant l’accès des navires des ONG aux eaux territoriales et internationales au large de la Libye. Confrontées à une répression simultanée des autorités italiennes et libyennes, la plupart des ONG ont suspendu leurs opérations de sauvetage. Les seules ONG qui continuent à opérer en Méditerranée centrale sont SOS Méditerranée, Sea-Eye, Sea Watch et Lifeline. 61. Des navires marchands sont également impliqués dans des opérations SAR au cas par cas. Au plus fort de la crise des migrants et des réfugiés, la marine marchande s’est retrouvée en première ligne pour limiter les pertes en vies humaines en Méditerranée. En 2015, la Chambre internationale de la marine marchande (ICS) a appelé les États membres de l’UE à lancer une mission SAR adéquate pour soulager les exploitants de navires de commerce. La mise en place du système SAR proactif décrit plus haut a entraîné une importante diminution des sauvetages par des navires marchands. Ceux-ci continuent toutefois à participer régulièrement à des opérations SAR s’ils sont sollicités par un centre de coordination des sauvetages. L’ICS s’inquiète du fait que de nombreux marins ne sont pas formés pour mener des opérations de sauvetage à grande échelle et souffrent parfois de préjudices psychologiques à la suite de telles expériences.

Page 51: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

13

62. La complexité et le nombre croissants des acteurs impliqués dans la gestion des flux migratoires en Méditerranée ont incité l’UE à instaurer certains mécanismes de coordination. Sous les auspices de l’Opération Sophia, le forum SHADE Med (Shared Awareness and De-confliction in the Mediterranean) a été créé pour promouvoir le dialogue et apaiser les tensions entre les différents acteurs impliqués dans des opérations de sécurité maritime en Méditerranée. Il s’est tenu pour la 5ème fois en novembre 2017 et a attiré 156 participants de 94 organisations, dont l’OTAN et des ONG concernées.

C. LE RENFORCEMENT DES CAPACITÉS SAR SAUVE-T-IL DES VIES OU EST-IL CONTRE-PRODUCTIF ?

63. Bien plus que dans l’Arctique, les opérations SAR en Méditerranée sont fortement politisées en raison de leur lien avec la crise migratoire et des réfugiés. D’aucuns se demandent si les opérations SAR n’encouragent pas la multiplication de traversées plus risquées. Certains intervenants, donc des autorités de l’UE, affirment que l’augmentation des capacités SAR donne l’impression de traversées plus sûres et aide les réseaux de passeurs et les trafiquants à parvenir à leurs fins à moindre coût. Ces arguments ont des effets tangibles et ont poussé certains États membres à se retirer de missions impliquant des opérations SAR. Le Royaume-Uni par exemple refuse de participer aux opérations menées par Frontex en Méditerranée, faisant valoir qu’« elles génèrent une 'force d’attraction' indésirable qui encourage davantage de migrants à tenter la dangereuse traversée et entraînent ainsi plus de morts tragiques et inutiles » (Benton, 2014). D’autres, à commencer par les ONG, rejettent ces conclusions comme trop simplistes face à la complexité des causes migratoires et défendent une approche humanitaire qui se concentre sur le sauvetage des personnes en détresse immédiate, quelles qu’en soient les conséquences (MSF, 2017). 64. Plusieurs études se sont penchées sur la relation entre les tentatives de traversée et les opérations de sauvetage sur la route la plus fréquentée de la Méditerranée centrale (ex. Heller et Pezzani, 2017; Steinhilper et Gruijters, 2017). Les analyses comparatives des tendances entre des périodes de faibles et de fortes opérations SAR proactives ne confirment en général pas l’argument selon lequel des opérations de sauvetage encouragent davantage de traversées. Les autorités italiennes ont par exemple enregistré légèrement moins d’arrivées par mer de novembre 2015 à mai 2016, période au cours de laquelle un nombre important d’acteurs institutionnels et non étatiques ont activement mené des opérations de sauvetage sur la route de la Méditerranée centrale, par rapport à la même période de l’année précédente, lorsque l’opération Triton de Frontex était la seule mission SAR proactive et n’avait pas encore été étendue (Steinhilper et Gruijters, 2017). En d’autres termes, un nombre similaire de personnes a tenté de traverser la Méditerranée centrale quelle que soit l’ampleur des capacités SAR le long de cette route. Alors que ces analyses ne démontrent que des corrélations statistiques (ou plutôt leur absence), elles suggèrent de façon évidente que le renforcement des capacités SAR n’a que peu d’effet sur le nombre de tentatives de traversée. 65. Les tactiques des passeurs et les endroits qu’ils choisissent ont changé ces dernières années, entraînant des traversées plus risquées en Méditerranée centrale. Depuis la fin 2015, les passeurs ont tendance à demeurer dans les eaux libyennes, en utilisant des bateaux de pêche ou des canots pneumatiques plutôt que des voiliers, avec moins de carburant, d’eau et de nourriture à bord. (Commission européenne, 2017 ; MSF, 2017) Deux facteurs peuvent expliquer ces changements. D’une part, les passeurs pourraient adopter des pratiques plus risquées en comptant qu’une fois en haute mer les migrants soient recueillis et transportés en Europe dans le cadre d’opérations de sauvetage. D’autre part, il est possible que les passeurs aient ajusté leurs tactiques face au déploiement de l’Opération Sophia et des forces de Frontex, dont la présence signifie qu’ils ne peuvent plus naviguer impunément dans les eaux internationales (Heller et Pezzani, 2017).

Page 52: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

14

D. CONDITIONS DE VIE APRÈS SAUVETAGE 66. Les flux de migrants exercent de fortes pressions sur les camps de réfugiés en Grèce et en Italie, ainsi que sur les centres de détention en Libye. L’UE a instauré plusieurs « hotspots » en Grèce et en Italie pour accélérer l’enregistrement, l’identification et le débriefing des demandeurs d’asile. Toutefois, chacun de ces hotspots accueille actuellement au moins 2 000 personnes en plus de sa capacité et cette surpopulation génère de grandes difficultés dans les camps. Les organisations internationales en charge des camps constatent des conditions déplorables – absence d’installations sanitaires, propagation des maladies et manque de sécurité pour les femmes et les enfants (HCR, 2018). 67. Les migrants se sentent en outre souvent incapables de s’orienter dans un système d’asile lent et surchargé par de trop nombreuses demandes. Le plan ambitieux de l’UE prévoyant de transférer les réfugiés et demandeurs d’asile des camps grecs et italiens vers d’autres pays de l’UE – pour autant qu’ils remplissent certaines conditions – n’a permis d’accueillir que 33 000 d’entre eux sur les 100 000 prévus à l’origine. L’Allemagne a accueilli un tiers de ces migrants, mais même le programme allemand est récemment arrivé à son terme, laissant des milliers de migrants bloqués dans des camps où les conditions de vie ne cessent de se détériorer. 68. En Libye, la situation est alarmante, car la réglementation relative aux camps ou à la détention de migrants sans papiers est beaucoup plus laxiste que dans l’UE. Certains migrants signalent par exemple que les gardes des centres de détention vendent certains d’entre eux comme esclaves (BBC News, 2018). Le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme a jugé consternante la décision de l’UE d’aider les garde-côtes libyens à intercepter les migrants sans papiers, la Libye se révélant incapable de leur garantir des conditions décentes. L’UE a déclaré qu’il était entendu sa collaboration avec les autorités libyennes pour l’interception des bateaux et l’organisation d’opérations de recherche dépendait du fait que la Libye respecterait les normes humanitaires internationales. 69. Si les conditions dans les camps ou les centres de détention sont difficiles pour tous, les observateurs considèrent toutefois que les plus vulnérables sont les femmes et les enfants. Les enfants voyageant seuls exigent en particulier plus d’aide des pays d’accueil, car ils courent un plus grand risque d’agression ou de violence sexuelle. De même, les femmes et les jeunes filles sont confrontées à diverses formes d’agressions sexospécifiques. Elles subissent par exemple des violences sexuelles infligées par des membres des garde-côtes, des autorités du pays hôte ou des hommes dans leur camp et font également l’objet de traite et d’exploitation sexuelle (Fry 2016, Shreeves, 2016). 70. La crise des réfugiés et des migrations révèle que le Règlement Dublin, qui détermine quel est l’État membre de l’UE responsable de l’examen des demandes d’asile, exige un sérieux remaniement. La disposition qui stipule que les demandes d’asile doivent être traitées par le premier pays d’accueil impose un lourd fardeau aux États du sud de l’Europe. L’Italie et la Grèce en particulier peinent à subvenir aux besoins de leurs demandeurs d’asile. Cette situation a conduit certains États membres à suspendre l’application du Règlement Dublin. C’est ainsi que les autorités allemandes s’abstiennent périodiquement de renvoyer des demandeurs d’asile en Grèce et en Hongrie et ont suspendu de facto le règlement pour les demandeurs syriens. 71. La Commission européenne a proposé des amendements que le Parlement européen a approuvés en en proposant d’autres. Les réformes essentielles incluent une responsabilité partagée de tous les pays de l’UE envers les demandeurs d’asile, de sorte que si la capacité d’accueil d’un pays est notablement dépassée, les demandes adressées à ce pays seront redirigées vers d’autres États membres. La proposition de réforme est critiquée - mais pour des raisons différentes - par l’Allemagne, la Hongrie et la République tchèque. Sans l’accord de tous les États membres, le Parlement européen ne pourra que difficilement obtenir la prise en compte des amendements.

Page 53: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

15

IV. CONCLUSIONS PRÉLIMINAIRES 72. Dans l’environnement stratégique actuel qui se caractérise par un flou entre guerre et paix, il faut parvenir à une coopération entre militaires, civils et ONG pour assurer la protection des populations confrontées à des menaces anciennes et nouvelles. L’OTAN est source de protection civile depuis plus de 60 ans, mais ce rôle devient de plus en plus important pour l’Alliance car il recouvre une approche plus complète de la sécurité. L’OTAN s’est dotée de plusieurs domaines d’expertise très spécifiques – sécurité frontalière, surveillance, alerte précoce, aide humanitaire et SAR pour les sous-marins – susceptibles de contribuer dans une large mesure à la réponse mondiale aux crises humanitaires. Sa contribution dans ce domaine non seulement aide à sauver des vies, mais renforce également sa notoriété internationale et sa raison d’être. 73. L’OTAN et ses membres doivent fournir une réponse adéquate aux nouveaux défis pour les civils qui surviennent aux frontières méridionales et septentrionales de l’Alliance. Comme le mandat de base de celle-ci est la défense collective et que ses capacités sont limitées, son implication non militaire dans le Grand Nord et en Méditerranée demeurera complémentaire des efforts d’autres acteurs. Il existe cependant certains domaines où la contribution de l’OTAN peut être renforcée et étendue. 74. S’agissant du Grand Nord, le rapporteur suggère de :

• Réformer la structure de commandement de l’Alliance pour veiller à ce qu’un commandement désigné puisse surveiller et évaluer les opérations navales et contribuer à l’amélioration de la perception situationnelle dans l’Arctique ;

• Contribuer à l’interopérabilité des unités SAR dans la région, en organisant des exercices tels que Dynamic Mercy dans des conditions arctiques ;

• Soutenir les Alliés de l’Arctique en échangeant les bonnes pratiques et en tirant pleinement parti des projets du Programme OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité et des programmes conjoints OTAN-UE ainsi qu’en s’appuyant sur des initiatives réussies, telles que le système de sauvetage de sous-marin de l’OTAN pour développer des ressources SAR adéquates, comme des technologies de couverture et de communication satellitaires et des drones de surveillance et de livraison dans les régions reculées de l’Arctique ;

• Soutenir les initiatives d’établissement dans les régions reculées de bases SAR binationale ou multinationales détenues conjointement, où les pays concernés fourniront des capacités SAR par rotation ;

• Soutenir le dialogue entre tous les pays du Grand Nord afin de clarifier le rôle des forces armées dans les opérations de secours et les opérations SAR, particulièrement lors d’opérations multilatérales ;

• Envisager d’inclure dans l’ordre du jour du Conseil OTAN-Russie une coopération en matière d’opérations SAR dans l’Arctique ;

• Exhorter tous les Alliés à veiller à la mise en œuvre intégrale et rigoureuse du Code polaire et demander l’élaboration de normes plus rigoureuses encore en matière de sécurité et de préservation de l’environnement ;

• Promouvoir les bonnes pratiques, y compris l’obligation pour les navires de traverser par paires les régions reculées.

75. En ce qui concerne la Méditerranée, le rapporteur souligne que :

• L’OTAN devrait continuer à fournir un soutien logistique et informationnel à l’UE, Frontex et les garde-côtes nationaux par le biais de ses opérations en mer Égée et de l’Opération Sea Guardian, en étendant éventuellement la couverture de ses ressources à la Méditerranée occidentale et en utilisant de nouvelles capacités telles que l’avion piloté à distance (RPA) Global Hawk basé en Sicile, dans le cadre de l’initiative de capacité alliée de surveillance terrestre (AGS).

• Les Alliés devraient sérieusement envisager la tenue d’exercices du type Dynamic Mercy en Méditerranée.

Page 54: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

16

• La coordination de divers acteurs et opérations dans la région devrait encore être renforcée par le biais de SHADE Med.

• L’OTAN devrait consentir davantage d’efforts pour aider les États nord-africains, en particulier la Libye, en formant et en apportant d’autres formes d’assistance à leurs garde-côtes, tout en exigeant des bénéficiaires de cette assistance qu’ils respectent les normes internationales et veillent à ce que les réfugiés et les migrants bénéficient de conditions humaines.

• La nouvelle Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes devrait faire l’objet d’une dotation suffisante en matière de budget, de matériel et de ressources humaines.

• Les Alliés devraient remanier le Règlement Dublin pour veiller à un partage équitable des charges et à une approche collective plutôt que strictement nationale des problèmes liés à l’afflux de migrants et de réfugiés.

Page 55: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

17

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE (Pour des informations plus exhaustives sur les ressources utilisées, veuillez-vous adresser au directeur de

la commission)

BBC News, “Migrant slavery in Libya: Nigerians tell of being used as slaves”, 2 January 2018, http://www.bbc.com/news/world-africa-42492687

Benton, Jon, “Parliament round-up: UK withdrawal from EU Mediterranean rescue é”, 5 November 2014, https://www.theparliamentmagazine.eu/articles/special-report/parliament-round-uk-withdrawal-eu-mediterranean-rescue-operation

Bouffard, T. (2017). Managing the Barents Sea: Comparing Norwegian & Russian Offshore Oil-Spill Prevention Policies. Arctic Yearbook: https://www.arcticyearbook.com/images/Articles_2017/scholarly-articles/16_Managing_the_Barents_Sea.pdf

Charron, A. (2017, March 24). Canada, the US, Russia and the Arctic – A Pragmatic look. Retrieved from Centre for Security, Intelligence and Defence Studies: https://carleton.ca/csids/2017/canada-the-us-russia-and-the-arctic-a-pragmatic-look/

Chambre des Lords (2015, Février 27). Responding to a changing Arctic. Select Committee on the Arctic: https://publications.parliament.uk/pa/ld201415/ldselect/ldarctic/118/118.pdf

CRS, “Changes in the Arctic: Background and Issues for Congress”, Congressional Research Service, 4 January 2018, https://fas.org/sgp/crs/misc/R41153.pdf

Deutsche Welle, “Frontex launches new EU border control mission Operation Themis”, 1 February 2018, http://www.dw.com/en/frontex-launches-new-eu-border-control-mission-operation-themis/a-42417610

Dushkova, D., Krasovskaya, T., & Evseev, A. (2017). Environmental & Human Impact of the Northern Sea Route & Industrial Development in Russia’s Arctic Zone. Retrieved from Arctic Yearbook:https://www.arcticyearbook.com/images/Articles_2017/scholarly-articles/15_Environmental_&_Human_Impact.pdf

Commission européenne, “Irregular Migration via the Central Mediterranean. From Emergency Responses to Systemic Solutions”, EPSC Strategic Notes, Issue 22, 2 février 2017, https://ec.europa.eu/epsc/sites/epsc/files/strategic_note_issue_22_0.pdf

Commission européenne, “Progress report on the Implementation of the European Agenda on Migration”, Communication from the Commission to the European Parliament, the European Council and the Council, 14 mars 2018, https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/sites/near/files/com_2018_250_f1_communication_from_commission_to_inst_en_v10_p1_969116.pdf

Fargues, Philippe, “Four Decades of Cross-Mediterranean Undocumented Migration to Europe. A Review of the Evidence”, Organisation internationale pour les migrations (OIM), 2017, https://publications.iom.int/system/files/pdf/four_decades_of_cross_mediterranean.pdf

Fountain, Henry, “With More Ships in the Arctic, Fears of Disaster Rise”, The New York Times, 23 July 2017.

Fry, H. (2016, Juin). A Gender Sensitive Response to the Migrant and Refugee Influx in Europe is Needed. Assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (AP-OSCE): https://www.oscepa.org/documents/all-documents/special-representatives/gender-issues/report-17/3382-2016-annual-session-report-by-the-special-representative-on-gender-issues/file

Geiselhart, Michel T., “The Course Forward for Arctic Governance”, Washington University Global Studies Law Review, vol. 13, no. 1, 2014.

Headland, Robert K., “Transits of the Northwest Passage to End of the 2017 Navigation Season”, Scott Polar Research Institute, University of Cambridge, 14 December 2017, https://www.spri.cam.ac.uk/resources/infosheets/northwestpassage.pdf

Heller, Charles; Pezzani, Lorenzo, “Blaming the Rescuers”, Forensic Architecture agency, Goldsmiths University of London, 2017, https://blamingtherescuers.org

Ikonen, Emmi, “Arctic Search and Rescue Capabilities Survey”, Finish Border Guard/Ministry of Foreign Affairs of Finland, 2017,

Page 56: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

060 CDSDG 18 F

18

https://www.raja.fi/download/73962_Arctic_Search_and_Rescue_Capabilities_Survey.pdf?861827138740d588

LeBlanc – Sénat du Canada. (2018, Février 15). Testimony of Pierre LeBlanc, President, Arctic Security Consultants. Evidence to the Standing Senate Committee on Fisheries and Oceans. The Standing Senate Committee on Fisheries and Oceans: https://sencanada.ca/en/Content/SEN/Committee/421/pofo/53827-e

L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HRC), “Desperate Journeys: Refugees and migrants entering and crossing Europe via the Mediterranean and Western Balkans routes”, février 2017, http://www.unhcr.org/58b449f54.pdf

L'Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HRC), “Refugee women and children face heightened risk of sexual violence amid tensions and overcrowding at reception facilities on Greek islands”, 9 février 2018, https://data2.unhcr.org/en/news/20607

Melia, N., Haines, K., & Hawkins, E. (2017, July). Future of the Sea: Implications from Opening Arctic Sea Routes. UK Government Office for Science: https://www.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/634437/Future_of_the_sea_-_implications_from_opening_arctic_sea_routes_final.pdf

Médecins Sans Frontières (MSF), “Humanitarian NGOs conducting Search and Rescue Operations at Sea: ‘A pull factor’?”, Issue Brief, août 2017, http://searchandrescue.msf.org/assets/uploads/files/170831_Analysis_SAR_Issue_Brief_Final.pdf

Organisation Internationale pour la Migration (OIM), “Missing Migrants – Tracking Deaths Along Migratory Routes: Mediterranean”, 2018, http://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean

Steinhilper, Elias; Gruijters, Rob, “Border Deaths in the Mediterranean: What We Can Learn from the Latest Data”, Border Criminologies, 8 March 2017, https://www.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2017/03/border-deaths

Steinicke, S., et Albrecht, S. (2012, December). Search and Rescue in the Arctic. SWP: https://www.swpberlin.org/fileadmin/contents/products/arbeitspapiere/WP_FG2_2012_Steinicke_Albrecht.pdf

Shreeves, R. (2016, Mars 4). Gender aspects of migration and asylum in the EU: An overview. Parlement Européen: http://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document.html?reference=EPRS_BRI(2016)579072

Sydnes, Are Kristoffer; Sydnes, Maria; Antonsen, Yngve, “International Cooperation on Search and Rescue in the Arctic”, Arctic Review on Law and Politics, vol. 8, 2017.

Tardy, Thierry, “Operation Sophia’s world. Changes and Challenges”, EUISS Brief, November 2017, https://www.iss.europa.eu/sites/default/files/EUISSFiles/Brief%2032%20Operation%20Sophia_0.pdf

The Economist. (2017, April 29). The Arctic as it is known today is almost certainly gone. The Economist: https://www.economist.com/news/leaders/21721379-current-trends-arctic-will-be-ice-free-summer-2040-arctic-it-known-today

Wezeman, S. (2016, October). Military capabilities in the Arctic: a new Cold War in the High North? SIPRI: https://www.sipri.org/sites/default/files/Military-capabilities-in-the-Arctic.pdf

Zysk, Katarzyna; Titley, David, “Signals, Noise, and Swans in Today’s Arctic”, SAIS Review, vol. 35, no. 1, 2015.

__________________

Page 57: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

CDS 061 CDS 18 F Original : français

Assemblée parlementaire de l’OTAN

COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA SÉCURITÉ

PARADES AUX MENACES HYBRIDES ÉMANANT DE LA RUSSIE :

UNE MISE À JOUR

PROJET DE RAPPORT SPÉCIAL*

Lord JOPLING (Royaume-Uni)

Rapporteur spécial

www.nato-pa.int 27 mars 2018

* Tant que ce document n’a pas été adopté par la commission sur la dimension civile de la sécurité, il ne

représente que le point de vue du rapporteur spécial.

Page 58: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

TABLE DES MATIÈRES I. INTRODUCTION ................................................................................................................... 1 II. PETIT MANUEL DES TECHNIQUES HYBRIDES DU KREMLIN .......................................... 2

A. ORIGINE ET CONTEXTE ............................................................................................ 2 B. INGÉRENCE POLITIQUE ............................................................................................ 3 C. OPÉRATIONS CINÉTIQUES ....................................................................................... 6 D. DÉSINFORMATION ET PROPAGANDE ...................................................................... 7 E. CYBERGUERRE ET GUERRE ÉLECTRONIQUE ....................................................... 8 F. AUTRES TYPES DE MENACES HYBRIDES ............................................................... 9

III. FAIRE FACE AUX MENACES HYBRIDES .......................................................................... 10

A. OTAN ......................................................................................................................... 10 B. UNION EUROPÉENNE .............................................................................................. 11 C. NIVEAU NATIONAL ................................................................................................... 12 D. MÉDIAS ET SOCIÉTÉ CIVILE ................................................................................... 14

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES ........................................... 14 BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE............................................................................................. 17

Page 59: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

1

I. INTRODUCTION 1. Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, l’expression « guerre hybride »1 a fait florès dans le discours politique international après l’invasion de l’Ukraine et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. La guerre hybride peut être définie comme « l’utilisation de tactiques asymétriques pour repérer et exploiter les faiblesses du camp adverse par des moyens non militaires (tels que l’intimidation et la manipulation politiques, informationnelles et économiques) s’appuyant sur la menace d’un recours à des moyens militaires classiques ou non »2. Dans le contexte de l’OTAN, la guerre hybride est une campagne menée contre l’Alliance ou l’un de ses membres par des moyens non susceptibles de déclencher l’application de l’Article 5 du Traité de Washington. 2. En Europe et en Amérique du Nord, la situation sécuritaire regorge d’exemples d’activités hybrides. Le présent projet de rapport est spécifiquement consacré à la panoplie des tactiques hybrides du Kremlin et à son utilisation, dès lors que lesdites tactiques sont très probablement les plus perfectionnées, les plus ingénieuses, les plus complètes et les plus concertées, mais il traite aussi de la Russie elle-même, qui, dans sa doctrine militaire de 2014, désigne clairement l’OTAN comme la principale menace pesant sur sa sécurité. La guerre hybride russe vise avant tout la communauté euro-atlantique et les pays de la « zone grise » qui sépare l’OTAN et l’Union européenne, d’une part, et la Russie, d’autre part. 3. Les spécialistes occidentaux s’accordent à penser que la Russie est une puissance en déclin et que l’avenir recèle sans doute des défis bien plus grands mais que, à court terme, elle représente la menace la plus grave pour l’ordre international. En fait, le déclin russe pourrait encourager Vladimir Poutine à user des moyens dont il dispose pour revisiter tôt ou tard – avec une préférence pour la première échéance – les arrangements passés à la fin de la guerre froide (Foreign Affairs, 2017). Les tactiques hybrides peuvent conférer un avantage significatif au « plus faible des deux camps » (Saarelainen, 2017). Par exemple, elles mettent à profit le problème de l’attribution, autrement dit la difficulté en cas d’attaque de remonter la piste de l’État qui en est l’auteur, et la mondialisation. La dynamique des pouvoirs ne repose plus uniquement sur les moyens matériels et se fonde de plus en plus sur l’aptitude à influencer les convictions, les attitudes et les aspirations d’autrui, aptitude que les nouvelles technologies et l’interconnexion propre à l’ère de l’information ont décuplée (Smith, 2017). 4. L’utilisation par Moscou de tactiques hybrides ne doit rien au hasard ou à l’improvisation. C’est le fruit d’une stratégie coordonnée dûment réfléchie et financée, comme l’attestent les récents résultats des travaux des agences de renseignement états-uniennes, résultats impliquant un seul et même oligarque proche du Kremlin, Evguéni Prigojine3, dans l’emploi de ces deux tactiques hybrides très différentes que sont l’ingérence dans l’élection présidentielle aux États-Unis et l’envoi de mercenaires russes en Syrie. 5. Depuis l’invasion de la Géorgie en 2008 et, surtout, l’occupation et l’annexion de la Crimée en 2014, les pays occidentaux sont beaucoup plus conscients des manœuvres perturbatrices de la Russie. Dans un discours de novembre 2017, la première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, a explicitement accusé le Kremlin de tenter de « saper les sociétés libres » et de « semer la discorde à l’Ouest » en menant une longue campagne de cyberespionnage et de

1 L’expression date au moins de la guerre du Liban de 2006 ; elle désignait à l’époque la stratégie

employée par le Hezbollah. 2 Selon la définition qu’en donne le rapport général 2015 de la commission de la défense et de la

sécurité de l’AP-OTAN La guerre hybride : un nouveau défi stratégique pour l’OTAN ? [166 DSC 15 F bis]

3 M. Prigojine, surnommé « le cuistot de Poutine », a bâti son empire de la restauration et de la restauration collective grâce, pour une bonne part, à la passation de contrats avec l’État et aux rapports étroits qu’il entretient avec M. Poutine. Il est considéré comme l’oligarque du Kremlin expert en missions secrètes.

Page 60: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

2

déstabilisation des gouvernements et des parlements européens. Dans une déclaration commune – fait assez rare pour être signalé – datant du 15 mars 2018, les dirigeants britanniques, français, allemands et états-uniens ont condamné l’attentat à l’arme chimique de Salisbury, attentat dont ils ont estimé qu’il portait atteinte à la souveraineté du Royaume-Uni et qu’il avait « très probablement » été commis par la Russie. Au moment de la rédaction de ces lignes4, 25 pays membres ou partenaires de l’OTAN avaient manifesté leur solidarité avec Londres en expulsant plus de 140 agents diplomatiques russes. L’OTAN a condamné cette première utilisation d’un gaz innervant sur son territoire et a réduit de moitié la taille maximale de l’effectif de la délégation dont la Russie dispose auprès d’elle (effectif ainsi ramené à 10 personnes) ; elle a, ce faisant, signifié clairement au Kremlin qu’il devait subir les conséquences d’un comportement aussi inacceptable que dangereux. 6. Le présent projet de rapport vise à générer une prise de conscience encore plus approfondie des activités hybrides de Moscou (ingérence politique, utilisation d’une force de faible intensité, espionnage, assassinats et corruption, désinformation et propagande, cyberattaques et pressions économiques) et à montrer de quelle façon certaines techniques se renforcent et se complètent mutuellement. Il passera en revue les contre-mesures adoptées par la communauté euro-atlantique et proposera des méthodes supplémentaires pour renforcer la résilience et la défense des populations des pays de l’Alliance face à ces menaces complexes.

II. PETIT MANUEL DES TECHNIQUES HYBRIDES DU KREMLIN

A. ORIGINE ET CONTEXTE 7. Le recours de la Russie à la guerre hybride remonte à l’époque soviétique, au moment de la création des concepts de « mesures actives »5, « maskirovka »6 et « contrôle réflexif »7. Les tactiques hybrides sont redevenues d’actualité dans les années 2000 lorsqu’une fois de plus la Russie a désigné l’Ouest comme son adversaire stratégique, démarche attestée par l’intervention de M. Poutine à la Conférence de Munich sur la sécurité en 2007. Elles ont aussi été adoptées en raison de la comparaison désavantageuse entre les capacités militaires classiques, les moyens technologiques et les instruments de « puissance douce » de la Russie, d’une part, et ceux de l’Ouest, d’autre part, ainsi qu’au vu des progrès enregistrés dans les domaines de l’informatique et de la communication, progrès qui ont fait apparaître de nouvelles possibilités de prendre à partie la société et le système politique d’adversaires potentiels. 8. L’intention de la Russie de recourir à des tactiques hybrides transparaît dans divers documents, dont les plus récents sont la Doctrine militaire de 2014, la Stratégie de sécurité nationale de 2015 et la Doctrine pour la sécurité informatique et informationnelle de 2015. Ces textes préconisent l’élaboration de moyens effectifs d’influencer l’opinion publique à l’étranger et, en cas de besoin, l’emploi de méthodes « non traditionnelles ». Dans un article souvent évoqué où il expose les principes de la guerre hybride, le chef d’état-major des forces armées russes, Valéri Guérassimov, fait observer entre autres que « l’espace informationnel offre de vastes possibilités asymétriques de réduire le potentiel de combat de l’ennemi » (NATO StratCom, 2015). En février 2017, le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, a annoncé la création de forces

4 27 mars 2018 5 Opérations de subversion politique allant de la manipulation des médias à la prise pour cibles

d’opposants politiques

6 Dissimulation d’activités militaires à des fins de dénégation ou de tromperie. Exemple : la dissimulation d’armes offensives à destination de Cuba, qui a donné lieu à la crise des missiles de 1962.

7 Communication à un opposant d’informations susceptibles de l’inciter à réagir impulsivement en faveur du Kremlin. Un éminent expert en « contrôle réflexif » soviétique, Timothy L. Thomas, donne l’exemple de la façon dont les dirigeants soviétiques avaient fait défiler de faux missiles et mis en circulation de faux documents, l’objectif étant d’amener les services de renseignement occidentaux à conclure que l’URSS disposait d’un arsenal nucléaire plus impressionnant qu’il ne l’était en réalité.

Page 61: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

3

d’opérations informationnelles pour « lutter contre la propagande ». Par ailleurs, le Kremlin a institutionnalisé le processus décisionnel de la guerre hybride en créant, en 2014, le centre de contrôle de la défense nationale (NTsUO). Cet organe coordonne les activités des structures militaires, certes, mais aussi d’agences de sécurité ou d’entités civiles telles que le service fédéral de sécurité (FSB), le service fédéral de protection (FSO), le service des renseignements extérieurs (SVR), le ministère de l’intérieur et l’agence fédérale de l’énergie atomique (RosAtom). Il semble être doté d’« un nombre incroyable de fonctions de contrôle, de supervision et de décision dans le secteur de la défense nationale ». Selon le spécialiste de la Russie Roger McDermott, le NTsUO marque le franchissement d’une étape « sur la voie de l’élaboration d’opérations sécuritaires plus intégrées ». Il est conçu pour donner à la Russie l’avantage sur l’OTAN, s’agissant de prendre des décisions dans des délais plus courts. En même temps, d’autres tactiques figurant dans l’arsenal de guerre hybride russe sont destinées à semer la discorde entre Alliés ou à l’intérieur même de l’Alliance pour ralentir le processus décisionnel de l’OTAN (Thornton, 2016). 9. Moscou justifie son emploi de tactiques hybrides en se présentant comme la victime de « l’agression informationnelle » occidentale. Le chef du SVR, Sergueï Narichkine, a accusé les États-Unis et leurs alliés (dont le Royaume-Uni, la Pologne, les pays baltes et la Suède) de mener une guerre hybride occulte contre les États souverains membres de la Communauté des États indépendants (CEI). Il a également accusé l’Ouest de tenter d’enfoncer un coin entre ces mêmes États, de s’immiscer dans leurs « processus démocratiques » et de faire obstacle à l’intégration eurasienne (Belsat, 2017). 10. Comme l’a fait remarquer Mark Galeotti, grand spécialiste de la Russie, l’accent que le Kremlin met sur les techniques hybrides « témoigne de l’opportunisme parcimonieux d’une Russie faible mais impitoyable qui veut jouer à la grande puissance sans en avoir les moyens » (Calabresi, 2017). Les chapitres suivants passeront succinctement en revue les techniques hybrides de la Russie.

B. INGÉRENCE POLITIQUE 11. La Russie était déjà soupçonnée depuis longtemps d’immixtion dans la politique des pays de son « étranger proche » ; désormais, les preuves s’accumulent des efforts qu’elle consent pour influer sur l’évolution de la situation politique dans des démocraties établies de longue date en conjuguant cyberattaques, divulgation de données volées, utilisation de machines zombies (bots)8 et de trolls9, désinformation et soutien à des partis extrémistes10. Le rapporteur souhaite mentionner ici quelques faits et déclarations qui, pris dans leur ensemble, suggèrent l’application par Moscou d’une politique qui visait délibérément à interférer avec des élections ou des référendums récemment organisés dans des pays occidentaux. Ces interférences tendent à prendre la forme d’un soutien à des partis, candidats ou propositions de référendum s’opposant au système en place (Galleoti, 2017). Le rapporteur souhaite également souligner que l’existence d’une telle politique ne signifie en aucun cas que cette dernière a joué un rôle décisif dans le résultat des élections et référendums concernés. 12. L’exemple le plus marquant des ingérences de la Russie est la tentative d’influer sur le

résultat de l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis. En janvier 2017, les services du renseignement américains ont publié un rapport dans lequel on pouvait lire ceci : « M. Poutine et le gouvernement russe ont souhaité aider M. Trump à remporter l’élection présidentielle si cela

8 Logiciel conçu pour créer des messages automatiquement (tweets, par exemple) 9 Individus qui affichent en ligne des messages provocateurs, incendiaires, prêtant à controverse ou

hors sujet 10 Les techniques utilisées par le Kremlin pour interférer avec les processus électoraux des pays

occidentaux sont étudiées en détail dans le projet de rapport général 2018 de la commission des sciences et des technologies La cyber ingérence russe dans les processus électoraux et référendaires au sein de l’Alliance [076 STC 18 F].

Page 62: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

4

était possible en discréditant Mme Clinton. » Les auteurs du rapport tenaient « pour hautement probable que les services du renseignement militaire russes [avaient divulgué] les données de victimes américaines obtenues au cours de cyberopérations, données communiquées publiquement ou en exclusivité à des médias et transmises à WikiLeaks ». Ils observaient en outre que « ces activités attest[aient] une escalade notable du triple point de vue du caractère direct de ces activités menées au grand jour, de leur niveau et de leur ampleur par comparaison à de précédentes opérations ». Les responsables du Département de la sécurité intérieure des États-Unis (DHS) ont admis que les Russes avaient tenté d’accéder aux listes électorales de 21 États américains et qu’ils y étaient parvenus « dans un nombre de cas exceptionnellement réduit ». Le DHS a pu déterminer que « l’analyse et l’étude des bases de données électorales étaient le fait du gouvernement russe » (McFadden, Arkin & Monahan, 2018). 13. Des individus liés aux autorités russes ont dérobé et publié des milliers de messages électroniques de responsables politiques états-uniens et ont acheté des encarts publicitaires sur Facebook, tandis que des bots et des trolls soutenus par la Russie postaient des histoires mensongères sur les réseaux sociaux et la section « commentaires » de divers articles. 14. En février 2018, un grand jury fédéral a inculpé 13 ressortissants et trois entités russes accusés d’ingérence illégale dans l’élection présidentielle de 2016 aux États-Unis, y compris par l’usage d’identités fictives dans les réseaux sociaux, l’objectif étant d’influencer le débat public. Au nombre des trois entités inculpées figurait la tristement célèbre Agence d’investigation de l’Internet, une « usine à trolls » sise à Saint-Pétersbourg qui appartiendrait à M. Prigojine. 15. De hauts responsables de l’administration Trump, dont Rex Tillerson (à l’époque secrétaire d’État) et Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis à l’ONU, ont qualifié l’ingérence supposée de la Russie dans l’élection présidentielle d’acte de « guerre hybride » et accusé Moscou de tenter de « semer le chaos » dans des processus électoraux du monde entier.

16. Au Royaume-Uni, le Parlement enquête sur l’immixtion de la Russie dans le référendum consacré au Brexit. Le président de la commission parlementaire sur le numérique, la culture, les médias et le sport, Damian Collins, a indiqué que, à en juger par le premier lot de données reçues des entreprises de réseaux sociaux, des comptes pro-Kremlin essayaient « d’influencer le débat politique au Royaume-Uni, d’inciter à la haine et de dresser les communautés les unes contre les autres » ; il a reconnu que les preuves recueillies « pouvaient n’être que la partie émergée de l’iceberg » (Burgess, 2017). Un rapport de la société britannique 89up.org indique que les médias appartenant au gouvernement russe, RT (Russia Today) et Sputnik avaient publié au moins 261 articles manifestement anti-Union européenne, tandis que des trolls et des bots favorables au gouvernement russe veillaient à une large diffusion de ces articles dans les réseaux sociaux (Euronews, 2018). Une autre étude de spécialistes britanniques a recensé, dans les quelques jours qui ont précédé le vote, plus de 156 000 comptes Twitter ouverts en Russie et mentionnant #Brexit dans des messages originaux ou re-publiés et majoritairement favorables à la sortie de l’Union européenne. Ces messages ont été vus des centaines de millions de fois (BBC, 2017).

17. Des incidents similaires ont eu lieu en France lors de l’élection présidentielle. Le plus notable d’entre eux est la divulgation, avant le vote, de milliers de documents (l’équivalent de huit gigabytes) se rapportant à la campagne de M. Macron et dont plusieurs ont été signalés comme étant falsifiés ou fabriqués de toutes pièces. Si les autorités responsables de la cybersécurité en France estiment qu’elles ne disposent pas d’informations suffisantes pour établir que la fuite est d’origine russe, la société de cybersécurité Trend Micro affirme pour sa part que ladite fuite présente de fortes similitudes avec l’ingérence qu’aurait commise la Russie dans l’élection présidentielle états-unienne (Willsher et Henley, 2017). Pour sa part, le directeur de l’agence nationale de la sécurité (NSA) des États-Unis, Michael Rogers, a indiqué que ses services avaient pu imputer à la Russie au moins plusieurs actes d’ingérence dans l’élection présidentielle française. Durant la campagne électorale, la NSA avait indiqué aux responsables de la cybersécurité française que des pirates informatiques russes avaient peut-être altéré certains

Page 63: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

5

éléments du scrutin (Greenberg, 2017). Une banque russe a aidé au financement de la campagne électorale de la dirigeante d’extrême droite Marine Le Pen, bien que le parti de cette dernière nie toute malversation (Shekhovstov, 2015).

18. En Espagne également, on parle d’une éventuelle immixtion de Moscou dans les affaires intérieures du pays, dont la plus récente stratégie de sécurité nationale inclut la menace des campagnes de désinformation. Le document ne mentionne pas spécifiquement la Russie, mais des responsables espagnols parlent ouvertement d’une ingérence russe dans le référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Les ministres de la défense et des affaires étrangères d’Espagne ont indiqué que bon nombre des profils qui répandaient de fausses nouvelles se situaient sur le territoire russe. On rapporte que des comptes Twitter pro-Kremlin, dont des bots, et des médias du service public russe tels que Pierviy Kanal, Vesti et Izvestia auraient diffusé des informations mensongères ou incendiaires à l’encontre de l’Espagne. Il faut toutefois noter que la chaîne RT semble avoir assuré une couverture plus équilibrée du référendum en question, peut-être parce que certains dirigeants russes ont pensé qu’une attitude trop agressive envers Madrid pourrait déboucher sur des résultats contraires à ceux escomptés (Rettman, 2017).

19. Aux Pays-Bas, le service général de renseignement et de sécurité (AIVD) a signalé que, dans le contexte des élections législatives néerlandaises, « la Russie n’a[vait] pas hésité à recourir à des méthodes datant de la guerre froide pour acquérir une influence politique ». Dans son rapport annuel, l’AIVD affirme que les Russes ont tenté d’influer sur ces élections en propageant de fausses nouvelles, mais qu’ils ont échoué « à exercer une influence substantielle » sur le processus électoral. 20. La Russie continue d’entretenir des liens avec les partis politiques occidentaux opposés à

l’establishment et, en particulier, avec les partis d’extrême droite. En Allemagne, l’AfD (Alternative pour l’Allemagne), formation arrivée en troisième position aux élections législatives de 2017, jouit d’une popularité remarquable auprès de la diaspora russe installée dans le pays. Selon ses propres estimations, son électorat compte jusqu’à un tiers de russophones. Les dirigeants du parti se sont rendus en Russie et y ont rencontré des représentants du parti de M. Poutine, Russie unie, et d’autres responsables du Kremlin. Le succès électoral de l’AfD s’explique en partie par la montée de l’hostilité vis-à-vis des immigrés dans la société allemande. Il est notoire que des trolls et des bots pro-Kremlin ont fait en sorte d’intensifier le phénomène. Il faut évoquer à cet égard l’affaire Lisa, où des médias russes avaient affirmé mensongèrement qu’une adolescente russo-allemande avait été violée par des immigrés (Shuster, 2017). 21. La Russie mène une politique spécifiquement destinée à atteindre et à aider les communautés russophones de l’étranger et, plus spécialement, celles qui sont installées dans les anciennes républiques soviétiques. Moscou estime à quelque 17 millions le nombre de ces

« compatriotes » vivant dans son voisinage. Les trois principaux instruments mis en place pour les assister sont l’agence gouvernementale Rossotroudnitchestvo (Agence fédérale pour la CEI, la diaspora russe et la coopération humanitaire), dotée d’un budget de 95,5 millions de dollars, la Fondation Rousskii Mir, dotée d’un budget de 15 millions de dollars, et la Fondation Gortchakov pour le soutien de la diplomatie publique, dotée d’un budget de 2 millions de dollars (Kuhrt & Feklyunina, 2017). Si les objectifs officiels de ces trois entités semblent légitimes (promotion de la culture, de la langue et de la vision du monde de la Russie), leurs activités peuvent avoir des aspects politiques, par exemple en incitant ces communautés à faire pression sur les gouvernements des pays où elles vivent pour obtenir la levée des sanctions contre Moscou. 22. Il est difficile d’évaluer et de prouver l’ingérence politique ainsi que d’en mesurer les conséquences réelles. Qu’il s’agisse de financement par une banque russe ou de cyberattaques par des groupes dont on remonte la trace jusqu’en Russie, il est souvent malaisé d’établir l’existence d’un lien clair et direct entre ces actes et le Kremlin.

Page 64: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

6

23. Dans la plupart des cas, l’immixtion de la Russie ne provoque pas l’apparition de nouveaux clivages sociétaux ou tendances négatives : elle vise simplement à les renforcer. La montée des forces politiques opposées au système est une vieille tendance. Cependant, l’attitude pro-russe affichée par l’extrême droite occidentale est un phénomène récent qui coïncide avec l’intérêt que leur porte maintenant le Kremlin et avec l’aide qu’il leur accorde (Polyakova, 2016). Il pourrait être contre-productif, en fait, d’exagérer l’impact des ingérences russes, car cela reviendrait à donner au Kremlin plus d’importance qu’il n’en a vraiment. Toutefois, il ne s’agirait pas non plus de minimiser cet impact et il est urgent de prendre des mesures pour protéger les systèmes politiques du monde libre.

C. OPÉRATIONS CINÉTIQUES 24. La guerre hybride ne se compose pas uniquement d’opérations non cinétiques. Les spécialistes font observer que, dans le contexte de ses tactiques hybrides, la Russie a recouru « aux activités les plus diverses, allant de l’incitation à la violence, de l’enlèvement et de la tentative d’assassinat à l’infiltration et aux menées clandestines conjuguées à des opérations militaires » (Kramer & Speranza, 2017). L’exemple paradigmatique d’une opération cinétique est le déploiement de soldats professionnels sans insignes distinctifs – il s’agissait probablement de membres des forces spéciales russes – lors de l’occupation de la Crimée et du Donbass. Ces soldats ont été désignés depuis lors sous les appellations d’« hommes gentils » ou d’« hommes en vert ». Si aucun doute n’a jamais plané sur l’origine de ces troupes, l’absence d’insignes a permis, du moins formellement et temporairement, à M. Poutine de les dissocier de la Fédération et d’atténuer les réactions internationales. Les preuves de la présence militaire russe dans le Donbass abondent mais, faute d’identification formelle de ces forces, la Russie continue à se dire étrangère au conflit. 25. Le degré de « dénégation plausible » varie en fonction des circonstances. Si l’occupation de la Crimée consistait en une opération mal déguisée des forces spéciales russes, la revendication de la « rébellion » du Donbass par des forces locales a permis significativement à M. Poutine de minimiser l’implication de la Russie en la réduisant à la simple participation de quelques « volontaires en congé temporaire » des forces armées russes. En Syrie, le maintien en place de troupes russes après l’annonce officielle de leur retrait est entouré d’un flou encore plus grand et repose sur la présence du Groupe Wagner, une société paramilitaire privée appartenant à M. Prigojine. Un affrontement entre ces mercenaires russes bien entraînés et les forces états-uniennes a fait une centaine de morts dans les rangs du Groupe. Un affrontement aussi direct entre militaires russes et états-uniens n’a pas de précédent dans l’histoire moderne et aurait pu provoquer une dangereuse montée des tensions. Toutefois, M. Poutine a pu nier l’existence de tout rapport entre la Fédération et ces mercenaires. 26. Parmi les autres cas d’utilisation d’une force de faible intensité, citons les violations répétées de l’espace aérien de l’OTAN11, la participation supposée à une tentative de coup d’État anti-OTAN au Monténégro en octobre 2016 et diverses actions ciblées telles que l’enlèvement d’un officier estonien en septembre 2014 ou la tentative d’empoisonnement – alors qu’ils se trouvaient sur le territoire britannique –d’un ancien espion russe, Sergueï Skripal, et de sa fille au moyen de Novitchok, un gaz innervant fabriqué à l’époque soviétique par l’industrie chimique militaire. Par ailleurs, la Russie participe à des exercices périodiques de grande envergure comme

11 Au moment de la rédaction de ces lignes, la dernière en date de ces violations s’était produite

le 12 mars 2018 au-dessus de l’île estonienne de Vaindloo. Selon les autorités militaires de l’OTAN, le comportement des pilotes russes lors de ces violations est plus empreint d’un manque de professionnalisme que de véritable hostilité. Cependant, il risque de déboucher sur des incidents graves, tel celui du chasseur russe abattu au-dessus de la Turquie en 2017. Une étude de l’European Leadership Network portant sur 39 « rencontres » entre des forces aériennes ou navales russes et alliées indiquait dans ses conclusions que des violations « très préoccupantes » d’espaces aériens nationaux avaient débouché sur plusieurs incidents à l’occasion desquels le déclenchement d’un conflit ouvert ou des pertes en vies humaines avaient été évités de justesse.

Page 65: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

7

les Zapad et les Kavkaz, conçus pour démontrer ses capacités offensives en Europe de l’Est à des fins d’intimidation ou, comme cela a été le cas en 2008 et en 2014, pour dissimuler les invasions de la Géorgie et de l’Ukraine. Lorsqu’elle organise ces exercices, elle déroge régulièrement aux obligations que lui impose le Document de Vienne, s’agissant de la communication d’informations à ce propos et de la notification desdits exercices aux autres États membres. En général, la taille de ces exercices excède de beaucoup celle officiellement déclarée par Moscou. Par exemple, de 60 000 à 70 000 soldats auraient pris part à Zapad 2017, contre les 12 700 annoncés officiellement.

D. DÉSINFORMATION ET PROPAGANDE 27. Le rapport de la CDS La bataille des cœurs et des esprits : répondre aux campagnes de propagande à l’encontre de la communauté euro-atlantique publié en 2015 ainsi que celui de 2017 sur la révolution des médias sociaux analysent dans le détail la machine de désinformation et de propagande russe. Ils montrent que les grands médias traditionnels russes ne sont pas seulement partiaux : ils ont été transformés en armes et sont devenus l’un des instruments de la politique étrangère du Kremlin. Margarita Simonian, la rédactrice en chef de la chaîne RT (qui, avec Sputnik, est le vaisseau amiral des services multimédias en langue étrangère dont se sert Moscou pour influencer l’opinion publique internationale), affirme que la Russie a besoin de sa chaîne « pour pratiquement la même raison qu’elle a besoin d’un ministère de la défense » et que RT est capable de « mener une guerre de l’information contre le monde occidental tout entier » en utilisant « l’arme informationnelle » (EUvsDisinfo, 2018). 28. Les médias russes contrôlés par l’État ne répondent pas aux exigences journalistiques élémentaires : ils ne sont pas indépendants et reçoivent des instructions hebdomadaires du Kremlin (EUvsDisinfo, sept. 2017). Plus grave encore, ils n’ont ni scrupules ni éthique et sont capables de falsifier la réalité de manière éhontée ou de publier des mensonges purs et simples. De nombreux exemples de ce « journalisme » en mal d’éthique ont été exposés dans les rapports cités plus haut. M. Macron a exclu les représentants de RT et de Sputnik du groupe de journalistes accrédités auprès de l’Elysée au motif qu’il ne s’agissait pas de journalistes, mais d’agents d’influence. 29. En 2017, la Russie a poursuivi sa vaste campagne de désinformation. Dans leur analyse annuelle, les spécialistes de l’Union européenne en contre-propagande ont mentionné quelques-unes des affirmations les plus spectaculaires des caisses de résonance du Kremlin, telles que l’imminence d’une guerre civile en Suède, le lâcher d’une bombe nucléaire sur la Lituanie par un appareil américain, ou encore, une augmentation de 1 000 % du nombre de viols en Suède (en fait, ce nombre a progressé de 1,4 % depuis 2015). L’Ukraine demeure la cible d’une grande partie de ces fausses nouvelles : les Ukrainiens sont souvent décrits comme des fascistes et des oppresseurs, tandis que l’Ukraine est dépeinte comme un pays artificiel et un État failli (EUvsDisinfo, déc. 2017). 30. Tout en exploitant le paysage médiatique occidental, libre et diversifié, les médias russes appartenant à l’État tiennent un discours uniforme. À la différence de ce qui se passait du temps de l’URSS, le discours repose sur une base idéologique moins solide et s’adresse à des personnes venues d’horizons les plus divers en relayant des idées antioccidentales, antilibérales et antimondialistes. L’antiaméricanisme est un élément majeur du discours et vise à enfoncer un coin entre les États-Unis et l’Europe. Le discours porte pratiquement sur tous les concepts laissés de côté par le courant de pensée occidental traditionnel. 31. Comme cela a déjà été indiqué, de nouvelles avancées dans les technologies de l’information et de la communication, y compris l’expansion des réseaux sociaux, ont permis à Moscou de faire passer ses activités de désinformation et de propagande à la vitesse supérieure. De nombreux rapports montrent comment des trolls et des bots pro-Kremlin répandent de fausses nouvelles et des informations susceptibles d’engendrer des divisions sociales au sein des sociétés

Page 66: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

8

occidentales. Le Centre d’excellence de l’OTAN pour la communication stratégique précise que deux tiers des usagers de Twitter qui écrivent en russe à propos de la présence de l’OTAN en Europe de l’Est sont des comptes bots. Les chaînes en ligne sont utilisées de manière différente, par exemple pour semer la panique dans l’État de la Louisiane en faisant croire à une fuite de produits chimiques grâce à une vague de tweets, ou encore, pour affecter les employés des usines à trolls russes à la création de faux sites Internet (Chen, 2015). Les Russes imitent aussi les sites officiels d’institutions occidentales ; ils ont ainsi reproduit le site du Centre d’excellence européen pour la lutte contre les menaces hybrides (Hybrid CoE Helsinki) en y instillant une dimension pro-russe. L’adresse Internet du Centre – https://www.hybridcoe.fi/ – a été remplacée par http://hybridcoe.ru/, ce qui donne un aspect professionnel et légitime au site russe, lequel diffuse des considérations défavorables à l’OTAN et à l’Union européenne. 32. Il convient de noter que la « machine à désinformer » du Kremlin pourrait se doter à l’avenir d’outils encore plus efficaces. La conception d’algorithmes d’intelligence artificielle appelés « réseaux génératifs d’adversaires » (GAN) offre la possibilité de pirater aisément des bandes sonores et vidéos et de créer des images qui, par exemple, pourraient décrire de manière convaincante un dirigeant occidental tenir des propos pro-russes ou faire des déclarations destinées à semer la panique et la confusion dans les populations occidentales (The Economist, 2017).

E. CYBERGUERRE ET GUERRE ÉLECTRONIQUE 33. La Russie emploie des cyberarmes pour mener des opérations hybrides telles que de l’ingérence électorale, de l’espionnage ou des campagnes de désinformation. Cependant, une cyberattaque peut en soi constituer un type de guerre hybride à part entière. En 2017, des cyberattaques de grande ampleur ont été lancées contre des infrastructures d’importance critique ; elles ont eu de graves conséquences dans le monde réel. L’attaque mettant en œuvre le logiciel d’extorsion WannaCry12, imputée à la Corée du Nord, a mis à mal les services de santé du Royaume-Uni et d’autres pays de l’Alliance ; celle qui a utilisé un autre logiciel d’extorsion, NotPetya, et qui a été attribuée à des pirates russes, visait le système fiscal ukrainien, mais elle s’est étendue à des entreprises de tout le pays et au-delà. Les pertes subies par ces entreprises sont de l’ordre de plusieurs centaines de millions de dollars. En novembre 2017, le chef du centre national de cybersécurité (NCSC) du Royaume-Uni, Ciaran Martin, a signalé que des pirates russes avaient pris pour cibles les secteurs britanniques de l’énergie, des télécommunications et des médias. La Russie est également accusée d’attaques commises contre le Bundestag et le ministère allemand des affaires étrangères, respectivement en 2015 et en 2017, ainsi que du sabotage d’un réseau de télévision français (TV5 Monde) en 2016. 34. Le Kremlin est aussi soupçonné de lancer des attaques de guerre électronique. Le général Ben Hodges, ancien commandant de la United States Army Europe, a fait observer que, ces trois dernières années, la Russie avait mis au point des « capacités de guerre électronique significatives ». À la veille de l’exercice Zapad 2017, le réseau de télécommunications mobile de la Lettonie orientale a été brouillé par, semble-t-il, un brouilleur situé à Kaliningrad et visant la Suède. Un responsable de l’OTAN a affirmé que l’incident démontrait l’aptitude de la Russie à intercepter ou brouiller des réseaux civils « dans un rayon non négligeable et avec une relative aisance » (Gelzis & Emmott, 2017). En Norvège, la radio du service public a révélé que, pendant Zapad 2017, des appareils civils survolant le Finnmark oriental avaient signalé la perte de leur signal GPS. Les mesures relevées ont montré que les perturbations venaient de l’Est. Un rapport du centre international pour la défense et la sécurité (ICDS) estime que l’élaboration de nouveaux moyens de guerre électronique par la Russie engendrerait un grave problème sur le flanc Est de l’OTAN. Le Kremlin recourt en outre à des techniques de surveillance très avancées, tels des drones ou des antennes camouflées, pour extraire des renseignements des smartphones

12 Les pirates qui utilisent des logiciels d’extorsion bloquent les ordinateurs de leurs victimes ou

menacent d’en publier le contenu et exigent le paiement d’une rançon.

Page 67: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

9

qu’utilisent les troupes de l’OTAN dans les pays baltes et en Pologne (Grove, Barnes & Hinslaw, 2017). 35. Si le problème de l’attribution dans le cyberespace se pose avec beaucoup d’acuité, la trace de la plupart des cyberattaques de cette ampleur a pu être remontée jusqu’en Russie : il s’agit souvent de groupes de pirates baptisés Cosy Bear, également connu sous le sigle APT29, ou Fancy Bear (APT28)13. Le NCSC a accusé le Kremlin de recourir à des cyberattaques « pour saper le système international ». Selon un rapport de la commission sur le renseignement et la sécurité de la Chambre des communes britannique – rapport publié en 2017 –, la multiplication de leurs cyberactivités montre que les autorités russes ne se soucient plus d’avancer masquées et qu’elles font montre d’une plus grande hardiesse.

F. AUTRES TYPES DE MENACES HYBRIDES

36. La plupart des pays pratiquent l’une ou l’autre forme d’espionnage ou de collecte de renseignements, mais les activités des espions russes paraissent disproportionnées par rapport à l’importance de la Russie sur la scène mondiale. Des experts américains du renseignement signalent que la confrontation entre la communauté du renseignement des États-Unis et les services spéciaux russes s’intensifie au point qu’elle menace de déstabiliser les relations bilatérales et, au-delà, l’ordre mondial (Beebe, 2017). L’administration états-unienne affirme que le nombre d’espions russes présents aux États-Unis a considérablement augmenté ces 15 dernières années (Schmidle, 2017). Elle soupçonne aussi l’entreprise Kaspersky Lab, sise à Moscou, d’utiliser l’antivirus qui a fait sa renommée pour espionner les États-Unis et entraver les activités états-uniennes de collecte de renseignements. 37. De son côté, le service de renseignement britannique MI6 a déplacé la Russie dans la catégorie des « menaces de classe 1 », sur le même plan que le terrorisme islamiste. Cette information est à mettre en parallèle avec l’absence de toute mention de la Russie dans l’examen stratégique annuel de la défense et de la sécurité publié en 2010 par le conseil de sécurité nationale du Royaume-Uni. Selon les spécialistes britanniques, la Russie emploie entre 705 000 et 940 000 personnes dans ses services de sécurité. Par comparaison, le Royaume-Uni en emploie quelque 16 500. Des responsables estiment par ailleurs que les budgets des services de sécurité et de renseignement russes augmentent de 15 à 20 % chaque année et qu’ils servent essentiellement au financement d’opérations (Edwards, 2017). Des pays voisins de la Russie et non membres de l’OTAN signalent que les activités d’espionnage se sont multipliées depuis l’annexion de la Crimée (Ringstrom, 2015). 38. Des experts de la Russie comme M. Galeotti, qui s’est adressé à la présente commission lors de la session de Bucarest de 2017, détectent l’existence de liens entre le Kremlin et des

associations de malfaiteurs d’origine russe opérant en Europe. Ces mêmes spécialistes disent détenir la preuve que les autorités russes font appel à ces associations pour se procurer de l’« argent sale » et qu’elles recrutent en leur sein des meneurs de cyberattaques, des trafiquants et des criminels spécialisés dans la traite des êtres humains, voire des tueurs à gages, en leur ouvrant l’accès aux réseaux du renseignement russe. Il a été signalé que des gangs locaux auraient pris part à l’invasion de la Crimée et du Donbass (Galeotti, 2017).

39. La Russie se sert depuis longtemps de ses ressources énergétiques comme d’un instrument de politique étrangère14. Il convient de souligner que la vulnérabilité énergétique de l’Europe a fortement diminué, ce qui s’explique par 1) la diversification des approvisionnements grâce à des infrastructures supplémentaires telles que les nouveaux terminaux de gaz naturel

13 Selon la société de cybersécurité CrowdStrike, Cozy Bear et Fancy Bear sont en cheville avec,

respectivement, le FSB et la direction générale des renseignements (GRU). 14 Cette question fait l’objet d’une analyse détaillée dans le rapport 2018 de la commission de l’économie

et de la sécurité Le défi de la sécurité énergétique en Europe centrale et orientale [070 ESC 18 F].

Page 68: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

10

liquéfié construits en Pologne et en Lituanie, 2) le développement de l’exploitation des réserves de pétrole bitumineux et de gaz aux États-Unis, 3) les mesures prises par l’Union européenne dans le sens de la création d’un marché énergétique intégré au moyen du 3e « paquet Énergie », qui oblige Gazprom à vendre ses parts dans les réseaux de transmission européens, et 4) la « révolution verte » dans le secteur de l’énergie et, notamment, les avancées enregistrées dans les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (la stratégie de sécurité économique de la Russie qualifie l’essor des technologies vertes de menace pour la sécurité économique du pays, précisément). 40. Toutefois, la Russie conserve une influence considérable sur le marché énergétique européen. Ses livraisons de gaz à l’Europe vont en augmentant et près de 40 % des importations européennes de gaz proviennent de Russie. L’Union européenne discute actuellement d’un projet controversé : la construction d’un nouvel oléoduc, le Nord Stream 2, qui relierait l’Allemagne et la Russie en contournant des pays comme l’Ukraine ou la Pologne. Les adversaires du projet font valoir que celui-ci porte atteinte à la solidarité énergétique à laquelle aspire l’initiative de l’Union européenne de l’énergie (UEE). Les pays baltes ont pris de fortes mesures pour réduire leur dépendance énergétique, mais leurs marchés de l’électricité restent synchronisés avec le Réseau électrique interconnecté Russie-Bélarus (BRELL), qui est contrôlé par Moscou, et ils redoutent que les Russes ne sabotent leurs plans de désynchronisation. La Lituanie est, elle aussi, préoccupée par les activités de RosAtom, qui a entrepris la construction dissimulée d’une centrale nucléaire au Bélarus, à 50 km de Vilnius. Dans l’ensemble, le secteur énergétique européen doit améliorer sa cybersécurité pour être plus résistant aux menées d’agents hostiles étrangers (Grigas, 2017). 41. Certains spécialistes de la question, dont Sir Stuart Peach, maréchal en chef de l’air et chef d’état-major des forces armées britanniques, le député britannique Rishi Sunak et l’amiral James Stavridis, ancien commandant suprême des forces alliées en Europe, pensent que la

marine russe pourrait représenter une menace pour les câbles sous-marins qui acheminent 97 % des télécommunications mondiales et 10 billions de dollars de transferts financiers par jour. Rien ne peut remplacer ces câbles. Les économies et les sociétés modernes dépendent de manière vitale de ces infrastructures dépourvues des défenses les plus élémentaires (Murphy, Hoffman, & Schaub, 2016). L’activité des sous-marins russes dans la partie septentrionale de l’Atlantique s’est sensiblement accrue ces dernières années et lesdits sous-marins « évoluent de manière agressive » à proximité des câbles. La Russie procède à un renforcement non négligeable de ses capacités navales avec, entre autres, l’adjonction de navires de collecte de renseignements de classe Yantar et de sous-marins auxiliaires, deux types de bâtiment capables de détériorer les câbles. Sir Stuart Peach affirment que le Royaume-Uni et ses partenaires de l’OTAN sont mal préparés à l’éventualité d’une attaque de cette nature (BBC, 2017).

III. FAIRE FACE AUX MENACES HYBRIDES

A. OTAN 42. Comme cela a été dit, les attaques hybrides posent un problème à l’Alliance en ce qu’elles ne sont généralement pas susceptibles de déclencher l’application des dispositions de l’article 5 du Traité de Washington. En ces temps de guerre hybride, il faut se rabattre sur l’article 3, qui évoque la collaboration et l’assistance mutuelle sans aller jusqu’à la défense collective, et sur l’article 4, qui oblige les Alliés à se consulter lorsque la sécurité de l’un d’eux est menacée. L’action collective est fonction d’une évaluation unanime de la menace, évaluation que les tactiques hybrides de la Russie visent à empêcher. 43. Dans le prolongement de l’agression russe contre l’Ukraine, l’OTAN a élaboré un plan d’action « réactivité » (RAP) qui triplait la taille de la Force de réaction de l’OTAN (NRF) et créait

Page 69: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

11

une Force opérationnelle interarmées à très haut niveau de préparation (VJTF) mobilisable en quelques jours et affectée à une mission de dissuasion. Pour garantir l’efficacité de la VJTF, l’OTAN a également mis sur pied des unités d’intégration de ses forces (NFIU) en Europe centrale et orientale. Une mesure remarquée a été le déploiement de quatre bataillons dans les pays baltes et en Pologne, ce qui a eu pour effet d’augmenter considérablement le coût d’une éventuelle agression dirigée contre ces Alliés15. 44. Indépendamment de ces mesures classiques, l’OTAN a amélioré la coopération entre Alliés dans le domaine du renseignement en se dotant d’une division civilo-militaire renseignement et sécurité (JISD). Compte tenu de la nécessité croissante d’une stratégie holistique, un service chargé de l’analyse hybride a été créé au sein de la JISD ; il est chargé d’analyser toute la gamme des tactiques hybrides en puisant à des sources civiles et militaires, ouvertes ou classifiées. De nombreux aspects de la guerre hybride – lutte contre la désinformation, cybermenaces et sécurité énergétique – sont également traités par la division de la diplomatie publique et la division défis de sécurité émergents de l’OTAN. Celle-ci a en outre mis en place une plate-forme de coopération avec l’Ukraine ; cette structure est spécifiquement destinée à réunir des spécialistes en menaces hybrides. 45. Plusieurs centres d’excellence homologués ou appuyés par l’OTAN – dont le centre d’excellence de l’OTAN pour la communication stratégique (Riga), le centre d’excellence de cyberdéfense coopérative de l’OTAN (Tallinn), le centre d’excellence de l’OTAN pour la sécurité énergétique (Vilnius) et le Hybrid CoE Helsinki16 – analysent les menaces et formulent des recommandations pratiques. 46. Depuis la cyberattaque massive menée en 2007 contre l’Estonie par des pirates russes, l’OTAN a progressé à pas de géant dans le développement de ses capacités de cyberdéfense. La déclaration publiée au sommet de Varsovie de 2016 désignait le cyberespace comme le cinquième « domaine d’opérations dans lequel l’OTAN [devait] se défendre ». En février 2017, les Alliés ont souscrit à un plan d’action qui plaçait la cyberdéfense au cœur de la défense collective de l’OTAN et qui promouvait la coopération entre cette dernière et l’industrie. Chaque année depuis 10 ans, l’OTAN organise un cyberexercice d’une semaine pendant lequel les pays membres et partenaires réagissent à des cyberattaques simulées reflétant des menaces réelles. Grâce à l’engagement en faveur de la cyberdéfense, les pays de l’Alliance ont accepté de donner la priorité à l’amélioration de la défense de leurs réseaux nationaux. Pour sa part, l’OTAN a consolidé la défense de ses propres réseaux17. De même, elle coopère de plus en plus avec l’Union européenne dans ce domaine : les deux entités ont intensifié leurs échanges d’informations mutuels et participent à des exercices communs. Elles ont également décidé de coopérer dans les secteurs de la réaction aux incidents et de la gestion des crises.

B. UNION EUROPÉENNE 47. Ses ressources considérables et sa puissance douce font de l’Union européenne un protagoniste du processus visant à rendre l’Europe résistante aux menaces hybrides et, singulièrement, à la désinformation et aux cyberattaques. La déclaration commune OTAN-UE de 2016 contient une liste de plus de 40 secteurs spécifiques de coopération, dont pas moins de 10 concernent le renforcement de la collaboration dans la lutte contre les menaces hybrides. Cependant, la coopération entre les deux institutions se limite à leurs secrétariats internationaux et ne fait pas intervenir les pays membres.

15 Pour plus de détails sur la Présence avancée renforcée (EFP) de l’OTAN, voir le projet de rapport

général 2018 la commission de la défense et de la sécurité Renforcer la dissuasion de l’OTAN à l’Est [063 DSC 18 F].

16 Hybrid CoE Helsinki est un projet conjoint de l’OTAN, de l’Union européenne et de plusieurs pays membres des deux entités ; son inauguration remonte à octobre 2017.

17 En 2016, l’OTAN a dû parer à quelque 500 cyberattaques tous les mois.

Page 70: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

12

48. En avril 2016, la Commission européenne et la haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ont adopté un Cadre commun en matière de lutte contre les menaces hybrides. Ce cadre définit les mesures que prend l’Union en faveur de ses États membres pour les rendre résistants aux menaces hybrides, tout en reconnaissant que la lutte contre ce genre de menaces incombe avant tout aux États membres eux-mêmes. Pour améliorer la compréhension de la situation par le partage des analyses des renseignements, l’Union a créé une cellule de fusion contre les menaces hybrides. 49. Soucieuse de riposter aux campagnes de désinformation russes, l’Union a également mis sur pied un groupe de travail sur la communication stratégique de l’Est dont les membres sont aussi connus sous le nom de « briseurs de mythes ». Une équipe d’une douzaine de diplomates dénoncent quotidiennement les manœuvres de désinformation en ligne auxquelles se livre la Russie. Après des demandes répétées de la part du Parlement européen, le groupe a finalement été doté d’un budget distinct dépassant à peine un million d’euros par an. 50. Si la coopération structurée permanente (PESCO) pour la défense récemment mise en place par l’Union se concentre sur les investissements dans la sécurité dure, l’un de ses 17 projets de collaboration – dirigé par la Lituanie et rassemblant cinq États membres – envisage la création d’équipes d’intervention rapide en cas de cyberincident. En 2017, l’Union a créé une équipe d’intervention en cas d’urgence informatique (CERT-EU) couvrant l’ensemble de ses institutions, organes et agences. Elle a consacré 50 millions d’euros à l’élaboration d’un réseau de compétences en cybersécurité, réseau qui réunit des entités des secteurs public et privé (centres de recherche, programmes universitaires et partenaires du monde de l’industrie), l’objectif étant de s’atteler aux problèmes de cybersécurité et de renforcer les capacités de chaque État membre de la meilleure façon qui soit.

C. NIVEAU NATIONAL 51. En réponse aux activités hybrides de la Russie, de nombreux pays membres de l’OTAN et de l’Union européenne ainsi que des candidats à l’adhésion ont revu leur politique de sécurité nationale. Il est certes impossible de présenter ici une analyse exhaustive des travaux effectués dans ce contexte, mais le rapporteur aimerait s’attarder sur plusieurs initiatives nationales importantes.

52. En ce qui concerne l’ingérence politique, les États-Unis ont confié à Robert Mueller, procureur spécial et ancien directeur du FBI, une enquête sur l’immixtion de Moscou dans l’élection présidentielle de 2016 ; à la suite de cette enquête, cinq personnes ont plaidé coupable, tandis que Paul Manafort, ancien directeur de campagne de M. Trump, 13 ressortissants russes et trois entités russes étaient inculpés. 53. Alertés par les événements aux États-Unis et informés par les services de renseignement états-uniens, les milieux politiques français ont pu se préparer à des interférences avec la campagne présidentielle. L’équipe de M. Macron a engagé des cyberspécialistes qui ont suggéré la création de comptes-leurres de messagerie électronique et préparé une stratégie de communication en prévision de fuites éventuelles. 54. Les services de sécurité allemands sont parvenus à minimiser les ingérences étrangères dans les élections de 2017 en recherchant et en éliminant les points faibles des réseaux. De façon inhabituelle, le chef des services chargés du renseignement intérieur s’est adressé à la population pour la mettre en garde contre les campagnes de désinformation et les cyberattaques en provenance de Russie (EUvsDisinfo, 2016). Pour leur part, les autorités britanniques ont contribué à la protection du système politique en remontant la piste des principaux auteurs de cyberattaques, en fournissant aux membres de la classe politique les services de professionnels spécialisés dans la sécurité des communications et en collaborant avec des médias et des

Page 71: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

13

groupes de réflexion pour la mise au point d’un discours franc, susceptible de contrer la propagande. Abordant la dernière ligne droite des élections législatives, prévues pour septembre 2018, la Suède a donné au personnel affecté aux opérations électorales une formation leur permettant de repérer les manipulations venues de l’étranger et d’y résister, tandis que les partis politiques amélioraient la sécurité de leurs messageries électroniques. Le premier ministre a annoncé la création d’une agence responsable de promouvoir la « défense psychologique » de la population en « repérant les campagnes extérieures visant à influencer cette dernière, en les analysant et en y ripostant » (Rettman A.K., 2018). 55. Comme indiqué auparavant, les pays de l’Alliance qui se trouvent sur la ligne de front sont

particulièrement préoccupés par les menaces cinétiques, telles que les opérations de groupes armés dépourvus d’insignes militaires distinctifs. Indépendamment du soutien qu’ils attendent de l’OTAN, ces pays ont une vision de la défense qui englobe la société tout entière. Ainsi, la Lituanie a réinstauré le service militaire et publié un manuel de 75 pages intitulé Guide de résistance active et disponible dans les écoles et les bibliothèques. Ce manuel contient des conseils de désobéissance civile en cas d’invasion. De la même manière, une nouvelle stratégie a été rédigée à l’usage des forces terrestres états-uniennes pour la période 2025-2040 ; elle s’attarde sur les ennemis qui ne se déclarent pas en tant que combattants dans un contexte où la ligne de démarcation entre guerre et paix n’apparaît plus distinctement. On s’attend à ce que, pour faire face à de tels ennemis, les forces terrestres privilégient des formations plus petites, « semi-autonomes » et dotées d’une polyvalence beaucoup plus grande qui seraient capables d’opérer simultanément dans tous les types de guerre (Tucker, 2017).

56. Pour ce qui est de la désinformation, l’Allemagne a arrêté de strictes mesures visant à limiter la propagation de discours haineux et de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux et inflige de lourdes amendes (jusqu’à 50 millions d’euros) aux sociétés – de Facebook à Google – qui ne supprimeraient pas les appels à la haine et à la violence. En France, une loi a été proposée, qui autoriserait le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA, également connu sous le surnom de « gendarme de l’audiovisuel ») à supprimer des messages, fermer les comptes des utilisateurs fautifs et bloquer des sites Internet pour protéger le processus démocratique français contre la propagation de fausses nouvelles pendant les élections. En vertu de cette loi, il incomberait aux médias de coopérer avec les pouvoirs publics et de faire montre de transparence quant à leur contenu parrainé. 57. En Europe centrale et orientale, les Alliés ont pris des mesures énergiques pour contrer la désinformation russe. Récemment, l’Estonie a multiplié par 13 et même plus le budget de ses services de communication stratégique, qui sont responsables de la lutte contre la propagande. Au sein de son ministère de l’intérieur, la République tchèque a créé un centre de lutte contre le terrorisme et les menaces hybrides chargé de faire pièce à la propagande. Ce centre utilise un compte Twitter pour réfuter les histoires mensongères. La Lituanie accueille sur son territoire Radio Liberty, une station financée par les États-Unis qui émet à destination des Russes et des Bélarussiens dans leurs langues respectives. 58. La Suède et la Finlande, qui ne sont pas des pays partenaires de l’OTAN, sont de plus en plus fréquemment visées par des activités hybrides russes. Ces deux pays mettent l’accent sur l’éducation pour faire face aux fausses informations, plutôt que d’en restreindre l’accès. Ils ont mis en chantier des programmes destinés à apprendre aux enfants, dès l’école primaire, à distinguer les vraies des fausses sources d’information. Ces programmes sont présentés sous des formes amusantes, parmi lesquelles l’une des bandes dessinées les plus populaires de Suède. Des responsables du ministère des affaires étrangères de Finlande affirment que la formation à une lecture critique des médias aide la population à se détourner des sites de fausses nouvelles et de propagande et a entraîné la fermeture de l’antenne en langue finnoise de Sputnik, faute d’audience suffisante (Standish, 2017).

Page 72: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

14

D. MÉDIAS ET SOCIÉTÉ CIVILE 59. La lutte contre les menaces hybrides ne se confine pas aux milieux gouvernementaux et prend de l’ampleur parmi les entités civiles, universitaires et médiatiques. Les plus connues des démarches citoyennes et universitaires visant à démonter les mensonges russes sont StopFake.org, une initiative de journalistes et d’étudiants ukrainiens, le Digital Forensic Research Lab, entité mise en place par le Conseil atlantique (un groupe de réflexion installé aux États-Unis), et les « Elfes baltes », des volontaires des pays baltes qui interviennent sur l’Internet pour prendre à partie les trolls pro-Kremlin. 60. Les médias classiques ont instauré de nombreux mécanismes de vérification des faits, tels que le Reality Check de la BBC ou Les décodeurs du journal Le Monde. En période d’élections, de grands journaux allemands et suédois ont conjugué leurs efforts pour prévenir toute immixtion étrangère dans le domaine de l’information. 61. Les géants des réseaux sociaux et de la technologie comme Facebook, Microsoft, Twitter et YouTube se concentrent spécifiquement sur le retrait des contenus liés au terrorisme, mais Facebook coopère dans une certaine mesure avec Washington dans le contexte de l’enquête sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle aux États-Unis et a publié de nouvelles lignes directrices en matière de publicité. Twitter a fait part de projets similaires. Toutefois, les entreprises de réseaux sociaux sont de plus en plus instamment priées d’en faire davantage. En mai 2017, la commission des affaires intérieures de la Chambre des communes a publié un rapport reprochant à ces entreprises d’être « loin, scandaleusement loin » de faire échec aux contenus illégaux ou dangereux. En l’absence de frontières nationales dans le cyberespace, il est difficile pour les législateurs d’introduire de force des changements significatifs, dès lors qu’aucune mesure d’incitation commerciale ne pousse ces entreprises à partager des informations avec eux ou à les autoriser à passer leurs contenus au crible.

IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS PRÉLIMINAIRES 62. L’emploi de tactiques hybrides par la Russie constitue manifestement un défi pour la communauté euro-atlantique. Si ce pays est plus faible sur le double plan économique et culturel, il paraît souvent avoir l’avantage sur le terrain de la guerre hybride en raison de son processus décisionnel unifié et de son programme résolument antioccidental. De plus, le Kremlin n’est pas tenu par les mêmes contraintes éthiques que de nombreux pays membres de l’OTAN, comme il l’a montré, notamment, en truquant la récente « élection » présidentielle au profit du titulaire de la fonction (il est même allé jusqu’à bourrer les urnes devant les caméras), en créant des usines à trolls, voire en utilisant contre des personnes une arme de destruction massive sur un territoire étranger. Il tire parti de la liberté de la presse dont jouit le monde libre, mais élimine la liberté d’expression en Russie et utilise ses propres médias comme autant d’armes de tromperie massive. Enfin, il soutient des mouvements politiques extrémistes à l’Ouest tout en persécutant les opposants sur la scène intérieure. 63. La machinerie hybride russe est innovante et difficilement prévisible. La plupart du temps, le Kremlin exploite les divisions existant au sein des sociétés occidentales et cherche à les approfondir. Il est donc impératif de se concentrer sur un renforcement de la résistance générale de la société et sur la résolution des différends internes, plutôt que de tenter de prévoir le prochain mouvement des Russes. Les exemples qui nous viennent de la Suède et de la Finlande sont, à cet égard, d’une grande importance. Les efforts en matière de défense contre les menaces hybrides doivent être orientés vers l’intérieur plutôt que dirigés vers l’extérieur, à l’encontre d’un pays en particulier.

Page 73: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

15

64. Cela dit, le rapporteur voudrait soumettre ici diverses propositions concrètes visant à améliorer la riposte de la communauté euro-atlantique aux opérations hybrides du Kremlin.

- Les Alliés devraient revoir leurs politiques en matière d’éducation et veiller à ce que les écoles encouragent de vrais débats factuels et la formation d’un véritable esprit critique. Les nouvelles générations, ferventes utilisatrices des réseaux sociaux, devraient être incitées à s’extirper de leur bulle virtuelle et à repérer les trolls et les bots. Dans la guerre hybride, les forces armées ont un rôle d’appui, mais notre première ligne de défense est une société éduquée, patriote et résiliente. - Il faut accroître la prise de conscience stratégique. Les Alliés doivent être à même d’évaluer rapidement et unanimement les événements sur le terrain pour parer effectivement aux menaces hybrides russes. Cela demande un plus large partage des données du renseignement, le resserrement des liens entre services d’un même pays et la reprise du débat sur le rôle des forces spéciales dans la coordination de l’aide militaire entre membres et partenaires de l’OTAN. Certains commentateurs préconisent la création d’un pôle OTAN pour l’Est, sur le modèle du Pôle pour le Sud installé à Naples. Le rapporteur pense toutefois qu’il convient en priorité d’exploiter au maximum les structures existantes, telles que les commandements alliés des forces interarmées de l’OTAN.

- Ceux des Alliés qui ne l’ont pas encore fait devraient mettre sur pied des services gouvernementaux spécifiques chargés de faire constamment barrage aux fausses nouvelles et à la propagande hostile en leur opposant des faits concrets. Les structures existantes telles que la division de la diplomatie publique de l’OTAN ou le Groupe de travail sur la communication stratégique de l’Est de l’Union européenne devraient recevoir des moyens financiers et humains supplémentaires pour riposter de manière crédible aux opérations de guerre hybride chaque fois que possible.

- Tout en se concentrant sur la résilience sur le plan intérieur, il conviendrait de continuer à appliquer des mesures restrictives (retrait des fausses nouvelles, sanctions pour incitation à la haine, inscription sur une liste noire des « guerriers de la désinformation » russes les plus actifs et gel de leurs avoirs, etc.). Les Alliés devraient sérieusement réfléchir à une confiscation des avoirs des élites russes corrompues en Occident.

- Les structures électorales devraient être considérées comme des infrastructures d’importance stratégique. Les institutions vouées à la sécurité nationale et à la cybersécurité devraient aider les partis et candidats politiques à protéger leurs données et leurs réseaux.

- Si la priorité accordée à la cyberdéfense va en augmentant, il n’en reste pas moins que l’amélioration de la sécurité de nos réseaux et systèmes passe par une réflexion plus créative et par une coopération multilatérale s’étendant à toute l’Alliance. L’Alliance devrait envisager le développement de capacités de riposte dans le cyberespace. La protection des câbles de communication sous-marins doit être assurée en priorité. - Il faut certes se féliciter de l’approfondissement de la coopération entre l’OTAN et l’UE dans le domaine de la lutte contre les menaces hybrides, mais il est possible de progresser davantage. Le rapporteur recommande aux deux entités de réfléchir à la création d’une plate-forme commune de lutte contre ces menaces, plate-forme qui serait sise à Bruxelles. L’OTAN et l’Union européenne devraient aussi envisager de mettre sur pied de petites équipes mixtes anti-guerre hybride qui seraient chargées de réunir et d’analyser les informations disponibles pour une meilleure vue d’ensemble de la situation (Parlement européen, 2017).

Page 74: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

16

- Il est impératif de poursuivre les efforts consacrés à la diversification des importations de produits énergétiques et de promouvoir l’efficacité énergétique, y compris en donnant corps au projet d’Union européenne de l’énergie.

- Pour enrayer l’expansion de la guerre hybride russe, il faut s’atteler à la résolution du problème des « zones grises » en Europe de l’Est. Abandonner les pays est-européens dans les limbes revient à inciter la Russie à perpétrer de nouvelles agressions et à attiser les tensions avec l’Ouest. Il conviendrait d’offrir à la Géorgie, à l’Ukraine et à la République de Moldova, de même qu’aux pays des Balkans occidentaux, des perspectives claires d’adhésion à l’OTAN comme à l’Union européenne. L’accession de ces pays devrait n’être fonction que de leur satisfaction aux critères fixés en la matière.

65. Le rapporteur estime que les documents stratégiques de l’OTAN devraient affermir le rôle de cette dernière dans la riposte aux menaces hybrides. Il y a peu, l’ancien secrétaire aux affaires étrangères du Royaume-Uni, William Hague, a pressé les Alliés de remanier le Traité de Washington en y introduisant un Article 5 bis, lequel préciserait qu’une attaque hybride déclencherait une riposte collective de l’Alliance. Il se peut que la modification d’un traité ayant subi avec succès l’épreuve du temps ne sourie guère aux Alliés, mais le rapporteur a la conviction que les dirigeants des pays membres devraient peut-être, même dès leur prochain sommet, qui se tiendra à Bruxelles en juillet, entamer la rédaction d’un nouveau concept stratégique de l’Alliance qui refléterait la nouvelle réalité mondiale en matière de sécurité, à commencer par la montée des menaces hybrides. Comme l’a dit M. Hague : « La remise à niveau de l’OTAN [...] signifierait que l’Alliance occidentale, tellement habituée à choisir entre le noir de la guerre et le blanc de la paix, s’adapterait enfin au monde nouveau que chérit passionnément M. Poutine et que reflète la victoire électorale de ce dernier : un monde d’un gris permanent ». 66. Pour conclure, le rapporteur voudrait souligner que le Kremlin semble déterminé à perturber le processus décisionnel collectif européen et à réduire l’influence des États-Unis sur le continent. Dans ses efforts pour affaiblir la communauté de la sécurité euro-atlantique, il remet en cause notre vision commune d’une Europe entière et paisible. C’est là un redoutable défi, mais la communauté euro-atlantique est capable d’en venir à bout si elle agit dans un esprit de solidarité. L’ampleur de la réaction internationale à la scandaleuse utilisation d’une arme chimique sur le territoire britannique prouve que les tactiques hybrides de la Russie commencent à susciter dans le monde un sentiment d’impatience teintée d’agressivité. Ainsi que l’a déclaré la Première ministre du Royaume-Uni, Theresa May, en s’adressant aux dirigeants russes : « Nous savons ce que vous cherchez à faire et vous n’y parviendrez pas. Car vous sous-estimez la résistance de nos démocraties, l’attrait éternel des sociétés libres et ouvertes et l’attachement des nations occidentales aux alliances qui les unissent ».

Page 75: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

17

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE BBC (15 décembre 2017). Russia a ‘risk’ to undersea cables, defence chief warns.

http://www.bbc.com/news/uk-42362500 BBC (17 novembre 2017). UK cyber-defence chief accuses Russia of hack attacks.

http://www.bbc.com/news/technology-41997262 Beebe, G. (31 octobre 2017). Containing Our Intelligence War with Russia. The National Interest:

http://nationalinterest.org/feature/containing-our-intelligence-war-russia-22985 Belsat. (22 décembre 2017). Russia’s foreign intelligence chief accuses West of waging hybrid war.

Belsat: http://belsat.eu/en/news/russia-s-foreign-intelligence-chief-accuses-west-of-waging-hybrid-war/

Burgess, M. (10 novembre 2017). Here’s the first evidence Russia used Twitter to influence Brexit. Wired: http://www.wired.co.uk/article/brexit-russia-influence-twitter-bots-internet-research-agency

Calabresi, Massimo. “Inside Russia’s Social Media War on America.” Time, 18 mai 2017. http://time.com/4783932/inside-russia-social-media-war-america/

Chen, Adrian, “The Agency”, The New York Times Magazine, 2 juin 2015, https://www.nytimes.com/2015/06/07/magazine/the-agency.html

Edwards, J. (3 décembre 2017). British security services are vastly outgunned by the Russian counterintelligence threat. Business Insider: http://uk.businessinsider.com/british-security-services-vs-russian-counterintelligence-threat-2017-12?r=UK&IR=T

European Parliament (2017, mars). Countering hybrid threats: EU-NATO cooperation. http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2017/599315/EPRS_BRI(2017)599315_EN.pdf

Euronews. (12 février 2018). New report concludes Russian social media interfered in UK’s EU referendum. Euronews: http://www.euronews.com/2018/02/12/new-report-concludes-russian-social-media-interfered-in-uk-s-eu-referendum

EUvsDisinfo. (16 décembre 2016). A threat to democracy. EUvsDisinfo: https://euvsdisinfo.eu/a-threat-to-democracy/

EUvsDisinfo. (11 septembre 2017). Three things you should know about RT and Sputnik. EUvsDisinfo: https://euvsdisinfo.eu/three-things-you-should-know-about-rt-and-sputnik/

EUvsDisinfo. (21 décembre 2017). What didn’t happen in 2017? EUvsDisinfo: https://euvsdisinfo.eu/what-didnt-happen-in-2017/

EUvsDisinfo. (15 janvier 2018). Chief Editor: RT is like “a defence ministry”. EUvsDisinfo: https://euvsdisinfo.eu/chief-editor-rt-is-like-a-defence-ministry/

Foreign Affairs. (13 novembre 2018). How Big a Challenge Is Russia? Foreign Affairs: https://www.foreignaffairs.com/ask-the-experts/2017-11-13/how-big-challenge-russia

Galeotti, Mark, “The Kremlin’s Newest Hybrid Warfare Asset: Gangsters”, Foreign Policy, 12 juin 2017, http://foreignpolicy.com/2017/06/12/how-the-world-of-spies-became-a-gangsters-paradise-russia-cyberattack-hack/

Gelzis, G., & Emmott, R. (5 octobre 2017). Russia may have tested cyber warfare on Latvia, Western officials say. Reuters: https://www.reuters.com/article/us-russia-nato/russia-may-have-tested-cyber-warfare-on-latvia-western-officials-say-idUSKBN1CA142

Greenberg, A. (5 septembre 2017). The NSA confirms it: Russia hacked French election ‘infrastructure’. Wired: https://www.wired.com/2017/05/nsa-director-confirms-russia-hacked-french-election-infrastructure/

Grigas, A. (novembre 2017). Is Russia’s Energy Weapon Still Potent in the Era of Integrated Energy Markets? Hybrid CoE: https://www.hybridcoe.fi/wp-content/uploads/2017/12/Strategic-Analysis-November-2017.pdf

Grove, T., Barnes, J., & Hinshaw, D. (2017, octobre 4). Russia Targets NATO Soldier Smartphones, Western Officials Say. Wall Street Journal: https://www.wsj.com/articles/russia-targets-soldier-smartphones-western-officials-say-1507109402?utm_content=buffer2da6c&utm_medium=social&utm_source=twitter.com&utm_campaign=buffer

Kramer, F. D., & Speranza, L. M. (mai 2017). Meeting the Russian Hybrid Challenge. Atlantic Council: https://euagenda.eu/upload/publications/untitled-92736-ea.pdf

Kuhrt, N., & Feklyunina, V. (2017). Assessing Russia’s Power: A Report. King’s College London and Newcastle University

Page 76: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest

061 CDS 18 F

18

https://www.bisa.ac.uk/files/working%20groups/Assessing_Russias_Power_Report_2017.pdf McFadden, C., Arkin, W. M., & Monahan, K. , (7 février 2018). Russians penetrated U.S. voter systems,

top U.S. official says. NBC News: https://www.nbcnews.com/politics/elections/russians-penetrated-u-s-voter-systems-says-top-u-s-n845721?cid=db_npd_nn_fb_fbbot

Murphy, M., Hoffman, F. G., & Schaub, G. (novembre 2016). Hybrid Maritime Warfare and the Baltic Sea Region. Centre for Military Studies, University of Copenhagen: http://cms.polsci.ku.dk/publikationer/hybrid-maritim-krigsfoerelse/Hybrid_Maritime_Warfare_and_the_Baltic_Sea_Region.pdf

NATO StratCom Centre of Excellence, “Countering propaganda: NATO spearheads use of behavioural change science”, 12 mai 2015, https://www.stratcomcoe.org/countering-propaganda-nato-spearheads-use-behavioural-change-science

Polyakova, Alina, “Why Europe Is Right to Fear Putin’s Useful Idiots”, Foreign Policy, 23 février 2016, http://foreignpolicy.com/2016/02/23/why-europe-is-right-to-fear-putins-useful-idiots/

Rettman, A. (13 novembre 2017). Spain joins call for EU action on propaganda. EU Observer: https://euobserver.com/foreign/139843

Rettman, A. K. (15 janvier 2018). Sweden raises alarm on election meddling. EU Observer: https://euobserver.com/foreign/140542

Ringstrom, Anna, “Sweden security forces fear Russian military operations”, Reuters, 18 mars 2015, https://www.reuters.com/article/us-sweden-espionnage-russia/sweden-security-forces-fear-russian-military-operations-idUSKBN0ME1H620150318

Saarelainen, M. (4 septembre 2017). Hybrid threats – what are we talking about? Hybrid CoE: https://www.hybridcoe.fi/hybrid-threats-what-are-we-talking-about/

Shekhovtsov, Anthony, “Russia and Front National: Following the Money”, The Interpreter, 3 May 2015, http://www.interpretermag.com/russia-and-front-national-following-the-money/

Schmidle, Nicholas, “The U.S. Has More to Lose Than Russia in Spy Expulsions”, The New Yorker, 7 août 2017, https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-us-has-more-to-lose-than-russia-in-spy-expulsions

Shuster, S. (25 septembre 2017). How Russian Voters Fueled the Rise of Germany’s Far-Right. Time: http://time.com/4955503/germany-elections-2017-far-right-russia-angela-merkel/

Smith, H. (octobre 2017). In the era of hybrid threats: Power of the powerful or power of the “weak”? Hybrid CoE: https://www.hybridcoe.fi/wp-content/uploads/2017/11/Strategic-Analysis-October-2017.pdf

Standish, R. (12 octobre 2017). Russia’s Neighbors Respond to Putin’s ‘Hybrid War’. Foreign Policy: http://foreignpolicy.com/2017/10/12/russias-neighbors-respond-to-putins-hybrid-warlatvia-estonia-lithuania-finland/

The Economist. (1 juillet 2017). Fake news: you ain’t seen nothing yet. The Economist: https://www.economist.com/news/science-and-technology/21724370-generating-convincing-audio-and-video-fake-events-fake-news-you-aint-seen

Thornton, R. (27 octobre 2016). Russian “Hybrid Warfare” and the National Defence Management Centre (NTsUO). After ‘hybrid warfare’, what next?: http://tietokayttoon.fi/documents/10616/1266558/Understanding+and+respond-ing+to+contemporary+Russia/49bdb37f-11da-4b4a-8b0d-0e297af39abd?ver-sion=1.0

Tucker, P. (9 octobre 2017). How the US Army is Preparing to Fight Hybrid War in 2030. Defense One: http://www.defenseone.com/technology/2017/10/how-us-army-preparing-fight-hybrid-war-2030/141634/?oref=d-topstory&utm_source=Sailthru&utm_medium=email&utm_campaign=EBB+10.10.2017&utm_term=Editorial+-+Early+Bird+Brief

Willsher, Kim, and Henley, Jon, “Emmanuel Macron’s campaign hacked on eve of French election”, The Guardian, 6 mai 2017, https://www.theguardian.com/world/2017/may/06/emmanuel-macron-targeted-by-hackers-on-eve-of-french-election

________________________

Page 77: COMMISSION SUR LA DIMENSION CIVILE DE LA …...de la réunion de la commission sur la dimension civile de la sécurité Sala N Iorga, Parlement (Sénat et Chambre des députés) Bucarest