Commerce Extérieur, Compétitivité,...

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1 Cette note a été réalisée en collaboration avec Olivier Boulant et Florian Guyot Etudiants dans le Master Economics and Public Policy de l’Ecole Polytechnique, de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE) et de Sciences-Po. Commerce Extérieur, Compétitivité, Désindustrialisation 1) Ce qui a changé La désindustrialisation Lorsque Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir, la France est la sixième puissance manufacturière mondiale, derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne, et la Corée du Sud. Ses exportations de produits manufacturés représentent un peu moins de 4,5% des exportations de produits manufacturés dans le monde. Parmi les 500 premières entreprises mondiales, 35 sont françaises ; seuls les Etats-Unis en ont plus. Cependant, comme la plupart des économies avancées, la France subit la désindustrialisation : l’industrie occupe une part décroissante de la production nationale au détriment du secteur des services. Les pays émergents sont les grands bénéficiaires de ce mouvement de désindustrialisation. La désindustrialisation ne signifie en aucun cas la baisse en volume de la production industrielle. En France, cette dernière a augmenté d’environ 50% ces vingt dernières années. Cependant sa part relative dans l’économie a chuté : de 24% en 1980, elle tombe à moins de 14% en 2008. Dans le même temps, la part de la valeur ajoutée imputable au secteur des services a suivi une évolution contraire (voir Figure 1 et 2). La désindustrialisation se traduit bien évidemment par la baisse de l’emploi industriel qui passe de 22% de la population active en 1980 à 12% en 2007. Le tableau ci-dessous reporte plus précisément le taux de décroissance de l’emploi industriel depuis 1980 1 . On voit que sur la période 1980-2007, l’emploi industriel a diminué à un rythme moyen de 1,6% par an. 1980-1985 1985-1990 1990-1995 1995-2000 2000-2007 1980-2007 -2,4 -1,1 -2,5 -0,4 -1,7 -1,6 1 Lilas Demmou, «La désindustrialisation en France», Document de travail de la DG Trésor, n° 2010/01, juin 2010. http://www.tresor.bercy.gouv.fr/etudes/doctrav/pdf/cahiers-2010-01.pdf

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Cette note a été réalisée en collaboration avec Olivier Boulant et Florian Guyot Etudiants dans le Master Economics and Public Policy de l’Ecole Polytechnique, de l’Ecole Nationale de la Statistique et de l’Administration Economique (ENSAE) et de Sciences-Po.

Commerce Extérieur, Compétitivité, Désindustrialisation

1) Ce qui a changé

La désindustrialisation

Lorsque Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir, la France est la sixième puissance

manufacturière mondiale, derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l'Allemagne, et la Corée du

Sud. Ses exportations de produits manufacturés représentent un peu moins de 4,5% des

exportations de produits manufacturés dans le monde. Parmi les 500 premières entreprises

mondiales, 35 sont françaises ; seuls les Etats-Unis en ont plus. Cependant, comme la plupart des

économies avancées, la France subit la désindustrialisation : l’industrie occupe une part

décroissante de la production nationale au détriment du secteur des services. Les pays émergents

sont les grands bénéficiaires de ce mouvement de désindustrialisation.

La désindustrialisation ne signifie en aucun cas la baisse en volume de la production

industrielle. En France, cette dernière a augmenté d’environ 50% ces vingt dernières années.

Cependant sa part relative dans l’économie a chuté : de 24% en 1980, elle tombe à moins de 14%

en 2008. Dans le même temps, la part de la valeur ajoutée imputable au secteur des services a

suivi une évolution contraire (voir Figure 1 et 2). La désindustrialisation se traduit bien

évidemment par la baisse de l’emploi industriel qui passe de 22% de la population active en 1980

à 12% en 2007. Le tableau ci-dessous reporte plus précisément le taux de décroissance de

l’emploi industriel depuis 19801. On voit que sur la période 1980-2007, l’emploi industriel a

diminué à un rythme moyen de 1,6% par an.

1980-1985 1985-1990 1990-1995 1995-2000 2000-2007 1980-2007

-2,4 -1,1 -2,5 -0,4 -1,7 -1,6

1 Lilas Demmou, «La désindustrialisation en France», Document de travail de la DG Trésor, n° 2010/01, juin 2010. http://www.tresor.bercy.gouv.fr/etudes/doctrav/pdf/cahiers-2010-01.pdf

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Figure 1 - Evolution de la décomposition de la valeur ajoutée de la France. Source: INSEE

Figure 2 : Poids relatif de l'industrie et des services2

La structure de la production en France a donc largement évolué ces dernières années, au

détriment du secteur industriel, et au profit des services. A titre d’exemple, la production

d’automobiles sur le sol français a chuté de 19% entre 2000 et 2007, passant à 2,5 millions de

véhicules en 2007 contre 3,2 millions en 2000, alors que la production totale des constructeurs

français a augmenté de 15% sur la même période : la désindustrialisation s’accompagne de

délocalisations vers les pays aux conditions les plus avantageuses.

Par ailleurs, la part de la France dans les exportations mondiales est en recul depuis

quinze ans : elle est passée de 5,8 % en 1995 à 3,8% aujourd’hui. Il faut y voir un effet quasi

2 Rapport du sénateur Alain Chatillon sur La désindustrialisation des territoires, 5 avril 2011, p. 28. http://www.senat.fr/rap/r10-403-1/r10-403-11.pdf

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mécanique de la désindustrialisation : plus de 80% des échanges dans le monde sont des produits

manufacturés, si le recul industriel n’est pas compensé par une augmentation de la valeur des

produits exportés, il en résulte une perte de parts de marché et une dégradation de la balance

commerciale. C’est le cas de la France dont hérite Nicolas Sarkozy en 2006, la balance

commerciale du pays est déficitaire à hauteur de 1,4% du PIB. La Figure 3 montre que le déficit

de la balance commerciale est en fait bien plus ancien et s’est considérablement aggravé dans les

années récentes.

Figure 3 - Balance commerciale de la France (M€). Source: INSEE

Les Etats Généraux de l’industrie

Lors de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy s’est présenté comme le candidat du

volontarisme. C’est notamment le cas pour la politique industrielle et commerciale de la France.

Le programme de Nicolas Sarkozy annonçait que « contre les délocalisations, je mettrai en œuvre une

politique industrielle, en choisissant les secteurs stratégiques sur lesquels concentrer nos efforts. Notre pays doit

garder des usines ». Le 3 septembre 2009 sont lancés les Etats Généraux de l’industrie avec quatre

grands objectifs :

Une augmentation de la production industrielle de plus de 25% d’ici 2015.

La pérennisation de l’emploi industriel en France.

Le retour à une balance commerciale (hors énergie) durablement positive d’ici 2015.

Un gain de plus de 2% de la part française dans la production industrielle de l’Europe

(Europe à 15).

Suite aux Etats Généraux, 23 mesures ont été formulées, allant de l’évaluation des dispositifs

d’aides publiques en soutien à l’industrie, jusqu’à des actions de communication via la création de

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la semaine de l’industrie pour replacer ce secteur au centre de la société. Mais il est vraisemblable

qu’aucun des quatre objectifs des Etats Généraux ne seront atteints en 2015. La production

industrielle reste limitée par le dynamisme de l’économie qui ne croît qu’entre 0 et 1% par an et,

en février 2011, la balance commerciale (énergie comprise) atteignait son niveau le plus bas dans

l’histoire de notre pays.

Par ailleurs, en août 2010 a été lancé un Observatoire du « Fabriqué en France » chargé de

fournir trois indicateurs sur l’évolution de l’industrie française :

La « part française » des produits fabriqués en France, dont le but est de pouvoir

déterminer l’origine des biens intermédiaires qui interviennent dans la production de

biens finaux produits sur le territoire national. Cet indicateur est passé de 75% à 69% de

1999 à 2009.

Le positionnement des filières françaises dans les échanges internationaux, dont le but est

de déterminer si l’industrie française est globalement exportatrice ou importatrice (comme

c’est le cas aujourd’hui).

La part de produits fabriqués en France parmi les produits vendus dans l’Hexagone. Cet

indicateur est en baisse et se positionne aujourd’hui à 64%. Un travail sur l’origine et la

traçabilité est mené pour à terme aboutir au vote d’un texte législatif permettant

l’identification de l’origine des produits ainsi que leur marquage.

Depuis son lancement en août 2010, il semble que l’Observatoire du « Fabriqué en France »

soit en sommeil, aucun chiffre nouveau n’a été produit depuis sa création…

Au-delà de ces effets d’annonce sans grand lendemain, les mesures principales prises durant le

quinquennat pour tenter de relever le défi industriel du pays touchent à la fiscalité, la politique

industrielle (via le Fonds Stratégique d’Investissement et le Grand Emprunt) et la

communication.

Fiscalité

Malgré l’augmentation structurelle des dépenses de Sécurité sociale, les gouvernements

européens ont cherché à diminuer les cotisations sociales de manière à réduire le coût du travail

pour les entreprises et ainsi de favoriser l’emploi sur leur territoire. Devant le poids des

cotisations sociales, le Danemark a, dès la fin des années 1980, quasiment supprimé ses

cotisations sociales patronales et compensé le manque à gagner par une augmentation de 3 points

du taux de TVA. Suivant le même modèle, l’Allemagne a augmenté son taux de TVA de 16% à

19% en 2007. Le débat sur l’instauration d’une TVA « sociale » – aussi appelée TVA « anti-

délocalisation » car la baisse du coût du travail consécutif à la baisse des cotisations sociales

freinerait les délocalisations – revient périodiquement sur le devant de la scène dans notre pays

mais, jusqu’à ce jour, il n’est pas suivi d’effets.

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Pour les entreprises, la suppression de la Taxe Professionnelle constitue la réforme

majeure du quinquennat alors qu’elle était absente du programme électoral de Nicolas Sarkozy.

Cet impôt, unique en Europe, pesait sur les investissements productifs des entreprises et entravait

la compétitivité des sociétés installées en France. Ainsi, plus une entreprise investissait en France,

plus elle était taxée, ce qui constituait un frein à leur développement et à l’emploi. Sa suppression

à partir du 1er janvier 2010 a soulagé les entreprises d’une charge sociale de plus de 12 milliards

d’euros la même année puis de 6,3 milliards d’euros par an à compter de 20113. Cette réforme a

soulevé de fortes réserves de la part des collectivités locales, dont les recettes fiscales dépendent à

près de 30% de la Taxe Professionnelle.

Cette dernière est remplacée par une nouvelle imposition forfaitaire sur les entreprises de

réseaux et surtout par la « Contribution économique territoriale » (CET) composée d’une

cotisation foncière des entreprises (CFE) assise sur les bases foncières, et d’une cotisation sur la

valeur ajoutée des entreprises (CVAE) assise sur la valeur ajoutée (avec un taux progressif allant

de 0 à 1,5%)4. La part de l'assiette de l’ancienne Taxe Professionnelle qui reposait sur les

équipements et biens mobiliers (investissements) est ainsi supprimée. Par ailleurs, un mécanisme

de redistribution entre les collectivités les plus aisées et celles les moins aisées contribue à

compenser le cas échéant le manque à gagner de la suppression de la Taxe Professionnelle.

Le Fonds Stratégique d’Investissement

L’investissement dans la politique industrielle s’est traduit par la création en 2008 du

Fonds Stratégique d’Investissement (FSI) et par le lancement d’un Grand Emprunt de 35

milliards d’euros.

En octobre 2008, la crise financière a fermé les robinets du crédit et Nicolas Sarkozy

annonce la création du FSI doté de 20 milliards d’euros de fonds propres. Le FSI est un fond

souverain qui a pour but de soutenir les entreprises stratégiques françaises ainsi que les PME

porteuses qui ont du mal à trouver des financements. Il met ainsi à disposition de l’économie des

fonds destinés à l’investissement de long terme. Le FSI est détenu à 51% par la Caisse des

Dépôts et à 49% directement par l’Etat. Son soutien se fait le plus souvent sous forme de

participation au sein des entreprises concernées, mais toujours de façon minoritaire. Le fonds

récupère quelques participations stratégiques de l’État, dont France Télécom et Aéroports de

Paris. Il se voit aussi transférer les parts de la Caisse des dépôts dans une vingtaine d’entreprises

cotées. Au total, il dispose en cash de 6 milliards d’euros pour réaliser de nouveaux

3 Ces chiffres proviennent du site www.economie.gouv.fr 4 L’abolition de la taxe professionnelle et son remplacement par la CET basée sur la valeur ajoutée marque un

alignement sur la fiscalité allemande. En effet, l’Allemagne a réformé sa taxe professionnelle en la fondant sur l’assiette de la valeur ajoutée.

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investissements et il a la possibilité d’emprunter sur les marchés financiers. En 2010, ce fonds

était engagé pour 2,4 milliards d’euros dans 430 entreprises différentes. Le 9 Mai 2011, Christine

Lagarde, Ministre de l’Economie et des Finances, a annoncé un accroissement de 1,5 milliard sur

trois ans du FSI, portant son niveau à 21,5 milliards. Le FSI est considéré comme le bras armé de

l’Etat en ce qui concerne l’intervention directe dans l’économie, l’accent a été mis sur l’aide aux

projets productifs de type industriel.

Trois ans après sa création, le FSI a réalisé une soixantaine d’opérations, dont 28

seulement au profit des PME. Le bilan est donc maigre et il n’est pas évident que ces opérations

n’auraient pas pu être réalisées par des investisseurs classiques. Par comparaison, sur les six

premiers mois de 2011, les sociétés d’investissement en capital présentes en France ont apporté

leur soutien à près de 950 entreprises. Il est aussi reproché au FSI un manque de transparence et

une stratégie pas toujours lisible. Ainsi, le FSI qui a une mission d’investisseur sur le long terme a

cédé au bout de deux ans ses parts dans la société 3S Photonics, une ancienne filiale d’Alcatel.

Le Grand Emprunt

A côté du FSI, Nicolas Sarkozy avait demandé en 2009 à Alain Juppé et Michel Rocard de

co-présider une commission chargée d’évaluer l’opportunité d’un emprunt destiné exclusivement

à l’investissement dans des secteurs stratégiques et d’en définir les modalités. Le Grand Emprunt

est lancé en 2010 et prend plus tard le nom « d’Investissements d’Avenir ». Au début de l’année

2010, 35 milliards d’euros sont levés sur les marchés financiers. A l’origine, le Grand Emprunt est

structuré en cinq programmes : Enseignement supérieur et formation (11 milliards), Recherche

(7,9), Filières industrielles et PME (6,5), Développement durable (5,1) et Numérique (4,5). Il était

estimé que l’industrie devrait recevoir directement ou indirectement environ 18 milliards. Sur les

35 milliards d’euros levés par cet emprunt, environ 13 milliards avaient été attribués en juin 2011.

Plus de 1500 dossiers de projets ont été déposés en 18 mois et la sélection a été effectuée

par des jurys internationaux. En juin 2011, 1,7 milliard d’euros avait été dirigé vers l’enseignement

supérieur et la recherche, 2,85 milliards vers l’industrie et les PME, 1,64 milliard pour le

développement durable et 610 millions pour le numérique. Les investissements viennent ainsi

soutenir des secteurs industriels stratégiques : 82,5 millions d’euros seront consacrés à l’étude du

réacteur Ariane 5 de nouvelle génération, les grands constructeurs automobiles se sont vu mettre

à leur dispositions des prêts allant jusqu’à 6,5 milliards d’euros à un taux de 6%, auxquels s’ajoute

un fond de modernisation des équipementiers à hauteur de 600 millions d’euros.

L'OCDE, et bien d’autres observateurs, se sont interrogés sur le bien-fondé du Grand

Emprunt. Dans ses perspectives économiques de 20095, l’organisation internationale estime

5 Perspectives économiques de l'OCDE, Volume 2009, Numéro 2, France.

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qu’« une telle mesure risque d'être pro-cyclique, dans la mesure où elle interviendra trop tard pour

contribuer à la reprise et rendra encore plus difficile l'indispensable assainissement des finances

publiques ». Pour l'OCDE, les investissements d'avenir devraient être financés « par des coupes

dans des postes de dépenses moins 'productives' ou par une hausse de la fiscalité (…). Les

circonstances économiques actuelles devraient être mises à profit pour définir une stratégie de

sortie de crise pluriannuelle solide et crédible ». Par ailleurs, le Sénat a mis en garde récemment

contre une forme de politique des vases communicants. Dans son rapport sur le projet de loi de

finances 2011, on peut lire : « « La forte diminution des crédits d’intervention de l’Agence nationale de la

recherche […] ainsi que la disparition des crédits dévolus au financement de la part du ministère de l’enseignement

supérieur et de la recherche au volet « recherche » du Grenelle de l’environnement posent la question de la

substitution de certains crédits tirés de l’emprunt national au financement budgétaire

ordinaire, ce qui va à l’encontre de la nature du programme d’investissements d’avenir et ne facilite pas la lecture

du budget d’une année sur l’autre »6.

Valoriser l’image des produits français

L’action du gouvernement a aussi porté sur la promotion des produits français. Un

ouvrage récent publié par l’Ecole des Mines7 analyse la décision « d’acheter français » selon trois

types de flux : le tourisme (un acheteur décide de venir en France plutôt qu’ailleurs), les

Investissements Directs Etrangers (un investisseur décide d’investir en France plutôt qu’ailleurs)

et les exportations (un consommateur décide d’acheter un bien français plutôt qu’un autre).

L’ouvrage estime que la décision d’acheter français rapporte, tous flux confondus, 300 milliards

d’euros par an : c’est la valeur de la « Marque France ». Mais seulement 10% de cette valeur

provient des exportations, les produits français sont peu valorisés aujourd’hui dans le marché

mondial.

Dans cette optique, un rapport8 remis par Yves Jégo en mars 2010 formule des

propositions pour dynamiser l’image de marque du pays, notamment en créant un « made in

France », avec des étoiles, pour indiquer le pourcentage réel de fabrication française dans un

produit. Certains pays sont déjà sur cette voie : aux Etats-Unis, le «Made In USA» est réservé aux

produits à plus de 95% de composition américaine. Le but est d’améliorer la lisibilité des

multiples labels existants, souvent non hiérarchisés et sans transparence sur leur condition

d’attribution. Ce label compte capitaliser par exemple sur la récente inscription du Repas

http://www.oecd-ilibrary.org/economics/perspectives-economiques-de-l-ocde-volume-2009-numero-2_eco_outlook-v2009-2-fr 6 Sénat, commission des finances, rapport sur le PLF pour 2011. 7 Vincent Bastien , Pierre Dubourdeau , Maxime Leclère (2011), La Marque France, Presses des Mines 8 En finir avec la mondialisation anonyme, La Documentation Française, 2010. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/104000213/0000.pdf

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Gastronomique Français au patrimoine immatériel de l’Humanité de l’UNESCO en novembre

2010.

Une multitude de marquage produit existe. Ils portent principalement sur la qualité et sur

le prix, mais l’origine est le parent pauvre du marquage. Pourtant, le pays d’origine devient un

critère d’achat de plus en plus important. En particulier dans le domaine alimentaire plus de la

moitié des Français interrogés dans une enquête de 2009 l’incluent parmi les deux principaux

critères de choix9. Ce chiffre était de 40% en 2007. Une double explication est possible. D’une

part la France bénéficie d’une image de marque. D’autre part, dans un contexte où l’expansion

des échanges internationaux est perçue négativement, notamment pour ses effets supposés sur

l’emploi et les conditions de travail, produire localement est valorisé par les opinions publiques

(et les hommes politiques). Les consommateurs considèrent souvent qu’en modifiant leur

comportement d’achat, ils peuvent peser sur l’offre des producteurs : 72% des Français, 69% des

Italiens seraient sensibles à l’origine des produits (contre 57% des Anglais ou 48% des

Allemands). A titre d’exemple, suite au marquage de l’origine de la viande bovine, les achats de

viandes françaises ont augmenté sensiblement. On comprend que Pierre Lellouche, Secrétaire

d’Etat au commerce extérieur, ait annoncé en février 2011 le lancement d’une campagne autour

du slogan «So French So Good». De même, certaines multinationales ont déjà compris l’intérêt

du « co-branding », c’est-à-dire de l’association d’une marque et d’une origine de production.

C’est le cas notamment de McDonald et Coca-Cola qui mettent en avant, sur le marché français,

leur production locale.

2) A l’étranger

Se protéger plus et exporter plus ?

Aucun autre pays n’a construit son modèle comme l’Allemagne sur une volonté

déterminée à exporter. Cependant, de nombreux pays tirent leur épingle du jeu en jouant sur i)

une protection de leur industrie nationale, ii) la construction d’un tissu économique robuste, iii)

une fiscalité favorable.

Bien que les règles du commerce international soient fixées par l’OMC, il reste

suffisamment de marges de manœuvre pour protéger les industries nationales. Cela peut passer

par une obligation d’étiquetage ou des législations particulièrement tatillonnes en matière de

9 L’observatoire de la qualité des aliments : un nouvel état des lieux des attentes des consommateurs. Troisième vague, Ipsos pour Agri Confiance, Octobre 2009. http://www.agriconfiance.coop/agriconfiance/Documents/Enqu%DBte%20IPSOS.pdf

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normes de qualité et de sécurité. Selon une étude internationale récente10 du Perterson Institute for

International Economics, entre le troisième trimestre 2008 et le troisième trimestre 2010, chaque pays

du G-20 a instauré en moyenne 4,8 mesures protectionnistes affectant 83,6 de ces partenaires

commerciaux. Les pays usant le plus de ce genre de mesures étant les Etats-Unis, la Russie, la

Chine et l’Allemagne. La France n’est qu’en dixième position.

L’exemple du marquage obligatoire du pays d’origine peut être considéré comme une

mesure de protection indirecte. Tout d’abord à cause d’une possible discrimination selon le pays

d’origine mais surtout à cause du coût d’un système de traçabilité efficace nécessaire à

l’application d’une telle mesure.

Par ailleurs, chaque pays a construit son propre tissu économique qui est plus ou moins

favorable à l’exportation et à la compétitivité internationale. En France, il est difficile pour une

entreprise d’exporter : seulement 100 000 entreprises françaises sont exportatrices, soit près d'une

entreprise sur 20, de plus, les 1 000 premiers exportateurs assurent 70 % du chiffre d'affaires à

l'export. Ce sont donc les grandes entreprises qui accèdent aux marchés internationaux, et non les

PME. Ce constat vaut pour l’ensemble des pays européens, où, au total, 1% des entreprises

réalisent 55% des exportations. Cependant, certains pays ont misé sur le soutien aux PME pour

leur permettre d’attaquer les marchés internationaux. C’est le cas notamment des Etats-Unis, où

le Small Business Act qui permet aux PME de recevoir entre 23% et 40% de la commande

publique.

Enfin, la fiscalité reste une grande source de différenciation selon les pays. Nous avons

évoqué plus haut la mise en place d’une TVA « anti-délocalisation ». Ainsi, le Danemark a

presque totalement supprimé les cotisations sociales pour les remplacer par une TVA à 25%. En

Allemagne, la TVA est passé de 16% à 19% en 2007, dont 1% vient en allégement des cotisations

sociales.

Le cas de l’Allemagne

L’Allemagne est systématiquement citée comme le pays ayant réussi à tirer son épingle du

jeu dans la compétition internationale, en misant sur une industrie à haute valeur ajoutée qui lui

permet d’être le premier exportateur mondial de biens, et d’avoir en 2008 un solde d’échange

positif sur les produits manufacturés (hors agro-alimentaire) de 274 milliards d’euros, contre un

déficit de 21 milliards d’euros pour la France11. En 2008, 30% de la valeur ajoutée de ce pays

provenait du secteur manufacturier, contre seulement 16% pour la France, l’un des plus faible

taux européen (voir Figure 4).

10 Gary Hufbauer, Jacob Kirkegaard et Woan Foong Wong, G-20 Protection in the Wake of the Great Recession, Peterson Institute for International Economics, Washington, DC, septembre 2010. http://www.iie.com/publications/papers/hufbauer20100622.pdf 11 Source : Eurostat, base COMEXT.

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Figure 4 - Part de l'industrie manufacturière dans la valeur ajoutée marchande (%, valeur). Source: Eurostat, comptes nationaux

Pourtant, l’Allemagne est confrontée aux mêmes difficultés que la France et subit elle

aussi l’appréciation de l’euro et la compétition des pays émergents. Or, en comparaison avec

l’Allemagne, la France perd des parts de marché à une vitesse plus importante : si l’on effectue le

ratio de la valeur des exportations françaises de produits manufacturés sur celle des exportations

allemandes des produits de même type, on constate que ce ratio est passé de 56% en 2000 à 37%

en 2008. La France perd donc continument du terrain par rapport à son voisin.

D’après le COE-Rexecode12, on ne peut pas expliquer la différence de compétitivité entre

la France et l’Allemagne par une quelconque spécialisation de cette dernière dans des secteurs

plus porteurs ou sur des marchés plus dynamiques : l’étude conclut que « les exportateurs français et

allemands vendent globalement les mêmes produits sur les mêmes marchés, et sont donc en concurrence directe. » La

même étude montre en revanche que le tissu industriel français contient beaucoup plus de très

petites entreprises, moins de 10 salariés, que son voisin (voir Figure 5). L’Allemagne a su

développer des entreprises de tailles moyennes plus importantes capables d’attaquer les marchés

internationaux : parmi les entreprises entre 250 et 1000 salariés, la taille moyenne est de 387

salariés en France, contre 531 en Allemagne.

12 Mettre un terme à la divergence de compétitivité entre la France et l’Allemagne, 14 janvier 2011. http://www.coe-rexecode.fr/public/content/download/30860/307450/version/4/file/Rapport-competitivite-France-Allemagne-janvier-2011-Partie2.pdf

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Figure 5 - Comparaison du tissu industriel France/Allemagne. Source: COE-Rexecode, Données Eurostat

Par ailleurs, les entreprises allemandes investissent beaucoup plus en R&D que les

entreprises françaises. La dépense en recherche privé a diminué en France de 1,47% du PIB en

1993 à 1,27% du PIB en 2008, alors qu’en Allemagne, le ratio est passé de 1,53% à 1,84% sur la

même période. Selon le COE-Rexecode, c’est aussi grâce à sa capacité à innover et ainsi à se

différencier des pays produisant les mêmes types de biens que l’Allemagne a pu gagner des parts

de marché. Pour soutenir l’innovation, l’Etat fédéral allemand a mis en œuvre de nombreuses

mesures. Un programme de soutien aux PME innovantes a été lancé en 2008, à hauteur de 1,2

milliards d’euros, répartis dans 9 500 projets. Un fond de brevets a également été créé, et le

programme SIGNO13 inauguré en 2008 par le Ministère Fédéral de l’Economie et de la

Technologie offre un soutien aux universités, aux entreprises et aux inventeurs indépendants, en

matière de protection juridique et d'utilisation industrielle de leurs idées innovantes.

Notre faible investissement en R&D signifie que nos produits sont moins innovants et

donc que les marges des industries françaises sont inférieures à celles des entreprises allemandes,

et même de la plupart des pays européens, à part le Royaume-Uni (voir Figure 6). Or, de faibles

marges signifient de faibles capacités d’investissements en R&D, et donc moins d’innovation,

moins de différenciation des produits, plus de concurrence…et de plus faibles marges. C’est un

véritable cercle vicieux.

13 SIGNO signifie « Protection des idées à usage commercial » (Schutz von Ideen für die Gewerbliche Nutzung). Voir

http://www.signo-deutschland.de

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Figure 6 - Taux de marge en 2007 (EBE/VA au coût des facteurs en %). Source: OCDE

Au-delà de l’organisation du tissu industriel, celle du marché du travail est également un

facteur de différenciation. Ainsi, 40% des salariés possèdent un compte épargne-temps qui

permet d’accumuler des heures en cas de pleine activité et de les utiliser quand l’activité ralentit.

La première réponse à la crise de 2008 a été d’accentuer ces ajustements, en mettant en place un

plan de chômage partiel qui a permis aux entreprises de diminuer de 31% les heures travaillées.

Cette mesure a touché un million et demi de salariés. Les travailleurs allemands ont également

accepté des diminutions de salaires : le syndicat IG Metal a par exemple signé un accord en ce

sens pour les 3,4 millions d’employés du secteur de la métallurgie.

D’après le Coe-Rexcode14, une nette divergence entre les compétitivités française et

allemande est intervenue dans les années 2000 lorsque la France a commencé de perdre le seul

avantage comparatif qu’elle avait sur l’Allemagne, à savoir la compétitivité-prix. Entre 2000 et

2008, le coût horaire moyen total dans l’industrie manufacturière est passé de 24,01 euros à 37,41

euros en France, et de 28,48 euros à 33,37 euros en Allemagne. Ceci a un effet direct sur la

productivité, mesurée comme le ratio entre la Valeur Ajoutée brute des entreprises par rapport au

nombre d’heures travaillées. Un récent rapport du Sénat insiste sur ce trait. Il note que ce pays a

suivi une politique de modération salariale qui a réduit considérablement l’écart du coût horaire

du travail avec la France. La Figure 7, issue de ce rapport, montre que l’Allemagne se démarque

très nettement, non seulement de la France, mais de l’ensemble de la zone euro, avec une pente

d’évolution très inférieure à celle des autres pays15.

14 Op.cité. 15

Rapport du sénateur Alain Chatillon sur La désindustrialisation des territoires, 5 avril 2011, p. 247. http://www.senat.fr/rap/r10-403-1/r10-403-11.pdf

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Figure 7 : Évolution du coût horaire moyen de la main-d’œuvre en Europe 2000-2008 (base 100 en 2000)

3) L’état des connaissances

Un peu de théorie du commerce international

La théorie des « avantages comparatifs » a été formulée pour la première fois par

l’économiste britannique David Ricardo en 1817 dans ses Principes de l’économie politique et de l’impôt.

Elle explique que, dans un cadre de libre échange, chaque pays a intérêt à se spécialiser dans la

production de biens pour laquelle il est relativement le plus efficace. Cette théorie fut poursuivie

entre autres par Paul Samuelson (prix Nobel d’économie en 1970). Pour faire comprendre cette

théorie, Paul Samuelson expliquait qu’il tapait plus vite à la machine que sa secrétaire et qu’il

résolvait les équations bien mieux qu’elle, et pourtant il y gagnait à ce que sa secrétaire continue à

taper ses textes. Pendant ce temps, il pouvait résoudre d’autres équations ce qui lui rapportait plus

d’argent même en tenant compte du salaire de sa secrétaire. Transposer au commerce

international, la théorie des avantages comparatifs écarte l’idée selon laquelle certains pays

n’auraient rien à vendre et tout à acheter.

La théorie des avantages comparatifs explique cependant mal pourquoi la plus grande part

du commerce international se fait entre pays semblables qui s’échangent des produits

substituables. Par exemple, la France et l’Allemagne échangent des Renault contre des Audi.

Avinash Dixit et Joseph Stiglitz (prix Nobel d’économie en 2001) ont les premiers avancé l’idée

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que ce commerce « intra-branche » reflète le goût des consommateurs pour la diversité. Sur

chaque marché, la concurrence peut se faire par les prix ou par la différenciation des produits. Le

gain à l’échange ne résulte pas véritablement d’un avantage comparatif. Paul Krugman (prix

Nobel d’économie en 2008) offre une explication alternative à l’importance du commerce intra-

branche. Il avance que de nombreux marchés ont une structure oligopolistique, ce qui signifie

que la concurrence se fait entre un petit nombre d’entreprises. Mais pour ces dernières, la

concurrence est internationale. Elles mettent alors en œuvre des stratégies de dumping où

chaque firme tente de conquérir des parts de marché à l’étranger en y vendant moins cher que sur

son marché national. Dans cette situation d’oligopole, les firmes gagnent des parts à l’étranger et

en perdent sur le marché domestique. Globalement les prix baissent et l’échange entre pays de

produits similaires s’accroit.

Politique industrielle et/ou concurrence ?

Les politiques dites « industrielles » consistent à favoriser de nouvelles industries ou à

protéger certaines activités domestiques contre la concurrence étrangère à l’aide de subventions

ou en utilisant des barrières tarifaires ou non tarifaires (comme les quotas d’importation par

exemple). Ainsi, le général De Gaulle a fortement soutenu l’aéronautique (avec les programmes

Concorde et Airbus) et l’informatique en instaurant un « Plan Calcul » et en créant un « champion

national » CII-Honeywell-Bull. Philippe Aghion et Alexandra Roulet résument parfaitement la

principale critique adressée par les économistes à la politique industrielle : « elle donne aux

gouvernements le pouvoir discrétionnaire de choisir les gagnants – les bénéficiaires de l’aide – et

les perdants, ce qui favorise l’émergence de groupes de pression industriels. Ces groupes

constituent eux-mêmes une entrave à la concurrence, alors que de nombreuses études soulignent

les effets bénéfiques sur l’innovation et la croissance, de la concurrence et de l’ouverture au

commerce international »16.

Pourtant les mêmes auteurs notent que l’expérience de la Chine où l’Etat intervient pour

soutenir des secteurs susceptibles de favoriser la croissance, plaide en faveur d’une politique

industrielle ciblée. Une étude récente17 utilisant un vaste échantillon d’entreprises chinoises suivies

entre 1998 et 2007 permet de mieux comprendre les effets bénéfiques ou néfastes des politiques

industrielles. Elle montre que des subventions ciblées sur des secteurs, et non sur des entreprises,

limitent le risque de choisir un mauvais « champion ». Par ailleurs, ces subventions apparaissent

d’autant plus efficaces qu’elles sont octroyées à des secteurs fortement compétitifs et/ou qui

emploient des salariés qualifiés.

16 Philippe Aghion et Alexandra Roulet, Repenser l’Etat, La République des Idées, Seuil, 2011, p. 44. 17 Philippe Aghion, Mathias Dewatripont, L. Du, Ann Harrison et Patrick Legros, « Industrial Policy and Competition », GRASP Working Paper 17, juin 2011, Harvard University. http://www.economics.harvard.edu/faculty/aghion/files/Industrial%20Policy.pdf

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La gouvernance de la politique industrielle a aussi son importance pour précisément éviter

de favoriser telle ou telle entreprise au détriment de ses concurrentes. Dans cette optique,

Philippe Aghion et Alexandra Roulet insistent sur la complémentarité entre politique industrielle

et transparence. La transparence forme un rempart assez efficace contre les pratiques clientélistes.

A cet égard, la France est assez mal placée selon tous les classements internationaux (voir la note

de l’Observatoire du quinquennat sur la transparence des pouvoirs publics18) et il n’y pas lieu de

s’étonner que l’accusation de clientélisme soit toujours évoquée à propos de notre politique

industrielle.

Désindustrialisation, délocalisation et pertes d’emplois

Nous avons vu dans la première partie de cette note que la baisse de l’emploi industriel

est sans équivoque. Rajoutons juste un chiffre: d’après l’étude déjà citée de la Direction Générale

du Trésor19, le secteur industriel a perdu 71 000 emplois par an entre 1980 et 2007, soit 36% de

baisse d’effectifs sur l’ensemble de la période.

Ces chiffres doivent cependant être maniés avec précaution, car les causes de cette chute

d’effectifs peuvent être multiples. L’étude de la Direction Générale du Trésor en dénombre trois :

- L’externalisation vers le secteur des services ;

- Des besoins inférieurs en main-d’œuvre suite aux gains de productivité ;

- Des délocalisations vers les pays où la main-d’œuvre est moins chère.

Comment ces trois effets contribuent-ils à ce phénomène de « désindustrialisation » ?

L’externalisation vers le secteur des services

De nombreuses entreprises se sont recentrées sur leur activité principale, externalisant les

services tels que la restauration, l’entretien ou mêmes certaines tâches administratives (paie,

facturation…) à des fournisseurs appartenant au secteur des « services aux entreprises ». Entre

1980 et 2007, le secteur des services aux entreprises a cru de 115% en nombres d’effectifs,

passant de 2 millions à 4,2 millions d’emplois. De plus, la main-d’œuvre provenant des agences

d’intérim n’est pas comptabilisée parmi les emplois industriels, alors que le recours à ces agences

est de plus en plus important depuis le début des années 80. L’emploi intérimaire a ainsi bondi de

264% entre 1980 et 2007, pour arriver à un total de 653 000 personnes employées en contrats

temporaires.

18 http://referentiel.nouvelobs.com/file/2477263.pdf 19

Lilas Demmou, «La désindustrialisation en France», Document de travail de la DG Trésor, n° 2010/01, juin 2010. http://www.tresor.bercy.gouv.fr/etudes/doctrav/pdf/cahiers-2010-01.pdf

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Toutes ces formes d’externalisation des emplois auparavant comptabilisés comme

« industriels » ne correspondent pas à des pertes d’emplois, mais à des transformations d’emplois.

Il est quelque peu abusif de parler de « désindustrialisation » à leurs propos. Selon l’étude de la

Direction Générale du Trésor, 25% des emplois industriels ont été « transformés » en emplois

dans le secteur des services. Mais ce phénomène a surtout eu lieu dans les années 80 et 90. Entre

2000 et 2007, ce sont moins de 5% des emplois industriels qui auraient été « ré-étiquetés ». Le

phénomène est donc important, mais n’explique qu’en partie la chute de l’emploi industriel en

France.

Les gains de productivité

Les machines remplacent-elles les hommes ? Le progrès technique détruit-il des emplois ?

Cette question est récurrente depuis l’invention de la machine à vapeur lors de la première

révolution industrielle au XIXe siècle, jusqu’à l’avènement de l’ère du numérique à la fin du XXe

siècle. Deux effets jouent en sens contraire avec le progrès technique :

- Les gains de productivité diminuent les besoins en main-d’œuvre dans une industrie

donnée, pour produire la même quantité de biens ;

- Les prix des biens diminuent lorsque la productivité augmente, ce qui accroît le pouvoir

d’achat et donc la demande mais pas forcément dans le secteur où les prix baissent.

Il s’agit donc de savoir comment ces deux effets se combinent. En principe, plus le niveau de

revenu d’un individu augmente, plus il aura tendance à consommer des services (par exemple du

tourisme) plutôt que des biens d’origine industrielle. Les gains de productivité, en induisant une

baisse des prix, augmentent le revenu disponible des agents et modifient donc en même temps la

structure de leur consommation : ils achètent plus de services. L’étude de la Direction Générale du

Trésor indique ainsi que sur la période 1980-2007, la demande de biens industriels est passée de

39% à 32% du PIB, tandis que sur la même période la demande de services est passée de 24% à

32% du PIB.

Cette étude estime que près de 30% des pertes d’emplois industriels entre 1980 et 2007

s’expliquent par les gains de productivité et la modification de la structure de la demande, avec

une très forte accélération du processus depuis 10 ans puisque ce seraient 65% des pertes

d’emplois industriels qui seraient dues aux gains de productivité et à la modification de la

demande depuis l’année 2000. Il est cependant difficile de savoir précisément si ces pertes sont

exactement compensées par une création d’emplois symétrique dans le secteur des services.

Délocalisations

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L’internationalisation des échanges détruit incontestablement des emplois. A titre

d’illustration, selon une enquête de l’INSEE et du Comité National des Conseillers du Commerce

Extérieur (CNCCEF) menée en 2008, 12 % des chefs d’entreprise de plus de 20 salariés

déclaraient avoir délocalisé au cours de la période 2002-2007. Mais les échanges internationaux

permettent aussi de créer des emplois. En adoptant une approche comptable du nombre

d’emplois créés et détruits par secteur industriel suite à l’ouverture commerciale du pays, l’étude

de la DG Trésor trouve que 13 % des emplois industriels auraient été perdus suite aux échanges

internationaux entre 1980 et 2007. Ce qui correspond à une perte nette totale de 241 000 emplois

industriels sur une période de 27 ans, soit un peu plus de 8 900 emplois détruits tous les ans. Ce

chiffre est très faible si l’on songe que sur une année les flux bruts de créations et de destructions

d’emplois sont, en France, de l’ordre de 2 millions. Selon une étude un peu plus ancienne de

l’Insee20 les délocalisations auraient conduit à 15 000 destructions d’emplois industriels par an en

moyenne entre 2000 et 2003, et à 13 000 emplois sur la période 1995-1999.

Une autre étude de l’Insee21 raffine l’approche comptable en identifiant tout d’abord

quatre sources de création/destruction d’emplois dans chaque branche : la variation de la

demande intérieure, la variation de la productivité, la variation des importations, et la variation

des exportations. Une fois ces contributions déterminées, l’étude combine les effets des

exportations et des importations sur les destructions d’emplois, en tenant compte des

compensations qui peuvent être réalisées par la variation de la demande ou de la productivité.

Elle conclut alors que sur la période 2000-2005, environ 36 000 emplois (il ne s’agit pas que des

emplois industriels dans cette étude) ont été supprimés annuellement du fait de

l’internationalisation des échanges.

Au total, les pertes d’emploi dues à la désindustrialisation sont majoritairement le fait du

progrès technique et des modifications de la demande en faveur des services. Les délocalisations

en représentent à l’heure actuelle une part minime. On peut néanmoins songer à favoriser la

compétitivité des produits fabriqués sur le territoire national en instaurant une « TVA sociale »

parfois appelée « TVA anti délocalisation ».

Evaluation des effets d’une TVA sociale

La « TVA sociale » vise à reporter le financement de la protection sociale sur une assiette

plus large – celle précisément de la TVA – et ainsi de peser moins sur le coût du travail et donc

favoriser la compétitivité. La « TVA sociale » en abaissant immédiatement le coût du travail pour

20 Aubert P. et Sillard P., « Délocalisations et réductions d’effectifs dans l’industrie française », dans L’économie française : Comptes et dossiers, édition 2005-2006, Insee-Références, pp. 57-89. 21 Muriel Barlet, Didier Blanchet et Laure Crusson, « Globalisation et flux d’emploi : que peut dire une approche comptable ? », Economie et Statistique, n° 427-428, 2009, pp. 3-20. http://insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/ES427A.pdf

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les producteurs nationaux, crée un avantage relatif par rapport aux producteurs étrangers qui

vendent les mêmes biens mais qui ne bénéficient pas de l’allégement des cotisations sociales. Il

convient aussi de noter que cette mesure peut avoir des effets anti-redistributifs car les classes les

moins favorisées consacrent une plus grande de leur revenu à la consommation et elles seront

donc proportionnellement plus touchées par une hausse de la TVA.

Ce type de réforme a été appliqué au Danemark en 1987 dans un contexte économique

très favorable, de manière à freiner une économie en surchauffe et à redonner de la compétitivité

aux entreprises danoises en mal de débouchés. Une mesure similaire a été mise en place en

Allemagne en 2007 (également une année de forte croissance), la hausse du taux de TVA de 16 à

19 % étant accompagnée d’une baisse des cotisations sociales équivalente à un peu moins de la

moitié de cette hausse.

Dans le cas danois, la mesure semble avoir été un succès pour la plupart des observateurs,

mais à notre connaissance aucune évaluation sérieuse n’est disponible pour le confirmer.

Notamment, il est difficile de savoir ce qui, dans la hausse du niveau d’emploi, est induit par la

seule activité économique, par une certaine modération salariale, ou par la mesure elle-même.

Dans le cas allemand il est encore trop tôt pour tirer des conclusions, mais il faut noter que

l’objectif de la mesure est plus celui du rétablissement des finances publiques que celui de

l’emploi ou de la compétitivité.

* * * * *

La suppression de la Taxe Professionnelle favorisera très vraisemblablement notre

compétitivité. Cet impôt, unique en Europe, pesait sur les investissements productifs des

entreprises et entravait donc la compétitivité des sociétés installées en France. L’avenir dira peut-

être que la suppression de la Taxe Professionnelle aura été une des réformes majeures du

quinquennat alors qu’elle était absente du programme électoral de Nicolas Sarkozy. En revanche

l’instauration d’une TVA « sociale » – aussi appelée TVA « anti-délocalisation » car la baisse du

coût du travail consécutif à la baisse des cotisations sociales freinerait les délocalisations –

souvent évoquée, n’a pas été mise en œuvre.

A l’instar de nombreux autres pays, la France s’est aussi lancée dans la promotion de ses

produits via, entre autres, une politique de labellisation exigeante du « made in France ». Mais ces

politiques, qui ne doivent pas être négligées, ont peu d’influence sur la compétitivité. Sur ce point,

Nicolas Sarkozy a tenté de relancer la politique industrielle française en créant en octobre 2008 un

fonds souverain (le FSI) doté de 20 milliards d’euros de fonds propres et ayant pour but de

soutenir les entreprises stratégiques françaises et les PME « porteuses ». Trois ans après sa

création on ne dispose encore d’aucune évaluation précise mais de nombreux observateurs

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estiment que nombre d’opérations réalisées par le FSI auraient pas pu être réalisées par des

investisseurs classiques.

A côté du FSI, Nicolas Sarkozy a aussi lancé en 2010 le Grand Emprunt destiné à

l’investissement dans des secteurs stratégiques. Là encore, il est trop tôt pour tirer un bilan étayé

de cette initiative mais les craintes de l'OCDE selon lesquelles ses effets seront trop tardifs pour

favoriser la reprise et rendront encore plus difficiles l’assainissement des finances publiques

apparaissent pertinentes.