Commençons Par Les Premiers Intervenants Qui Ont Sonné La Charge

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Commençons par les premiers intervenants qui ont sonné la charge. Ce sont les héritiers du Malg les plus orthodoxes qui sont montés au créneau, sitôt le livre sorti. Les arguments furent à la mesure de ce qu’on pouvait attendre d’un appareil dont le fonctionnement atteste, au moins à postériori, qu’il fut conçu pour doubler et cornaquer sinon les soumettre les instances légales de la révolution. La cacophonie fut telle qu’il a souvent fallu laisser passer trois ou quatre salves avant de réagir pour dégager les invariants des attaques qui tenaient en deux idées. En substance tous les écrits étaient sous tendus par la mise en accusation de la contestation d’un dogme scrupuleusement observé dans le pays depuis 1962 : « nous avons établi une fois pour toutes les règles et définit les éléments qui doivent figer l’histoire de la guerre de libération, tout ce qui y déroge doit être assimilé à une trahison nationale. Et dans cette congélation, Amirouche est déclaré sans appel « un criminel de guerre » par ceux là même qui ont assassiné Abane. C’est dire la nature des paradigmes qui inspirent la doxa officielle. Seconde considération, pour des raisons que l’on développera plus loin, la wilaya III ne devant en aucune façon se voir reconnue dans le rôle qui fut le sien dans le combat libérateur est projetée dans une zone grise qui autorise les fantasmes les plus excentriques et nourrit les préjugés les plus délirants. Cette donnée qui pèse pourtant lourdement sur le champ politique et historique algérien reste tabou. De tels interdits hypothèquent la vie des peuples avec une incidence mortifère qui restera prégnante tant qu’elle n’est pas évacuée dans une démarche cathartique. L’Afrique du Sud n’a pu dépasser la violence, refoulée ou non, de l’apartheid que le jour où la collectivité nationale a accepté de regarder ses vérités en face. Mais on verra, et c’est ce qui pose question sur la santé morale du pays, qu’il n’y a pas que ces agents du Malg qui accommodent leur conscience avec ces abominations historiques et symboliques. Supplétifs de la censure Dans la foulée de l’escouade de hussards qui sont montés au front, il y a d’autres politiques, dont certains cultivent des ambitions très actuelles. Les remarques ou les invectives portent sur deux registres : certains arguent que compte tenu de mon âge, je n’avais pas à traiter d’événements dont je n’étais pas acteur ; d’autres, rejoints par divers « observateurs », insistent pour dire qu’un médecin ou un politique n’a pas à interférer dans le témoignage historique, domaine qui, selon eux, serait réservé aux seuls spécialistes de la discipline. On se souvient d’Ali Kafi qui avait condamné mon livre avant de l’avoir lu. Mais la plus grande hypocrisie vient des éléments appartenant au personnel encore actif qui, pour ne pas avoir à assumer leur opinion dans une tragédie qui est un concentré du naufrage éthique et politique du pays, s’en remettent à une censure implicite qui délègue la responsabilité de chacun à l’expertise de l’historien.

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Commençons par les premiers intervenants qui ont sonné la charge. Ce sont les héritiers du Malg les plus orthodoxes qui sont montés au créneau, sitôt le livre sorti. Les arguments furent à la mesure de ce qu’on pouvait attendre d’un appareil dont le fonctionnement atteste, au moins à postériori, qu’il fut conçu pour doubler et cornaquer sinon les soumettre les instances légales de la révolution. La cacophonie fut telle qu’il a souvent fallu laisser passer trois ou quatre salves avant de réagir pour dégager les invariants des attaques qui tenaient en deux idées.

En substance tous les écrits étaient sous tendus par la mise en accusation de la contestation d’un dogme scrupuleusement observé dans le pays depuis 1962 : « nous avons établi une fois pour toutes les règles et définit les éléments qui doivent figer l’histoire de la guerre de libération, tout ce qui y déroge doit être assimilé à une trahison nationale. Et dans cette congélation, Amirouche est déclaré sans appel «  un criminel de guerre » par ceux là même qui ont assassiné Abane. C’est dire la nature des paradigmes qui inspirent la doxa officielle. Seconde considération, pour des raisons que l’on développera plus loin, la wilaya III ne devant en aucune façon se voir reconnue dans le rôle qui fut le sien dans le combat libérateur est projetée dans une zone grise qui autorise les fantasmes les plus excentriques et nourrit les préjugés les plus délirants. Cette donnée qui pèse pourtant lourdement sur le champ politique et historique algérien reste tabou.

De tels interdits hypothèquent la vie des peuples avec une incidence mortifère qui restera prégnante tant qu’elle n’est pas évacuée dans une démarche cathartique. L’Afrique du Sud n’a pu dépasser la violence, refoulée ou non, de l’apartheid que le jour où la collectivité nationale a accepté de regarder ses vérités en face.

Mais on verra, et c’est ce qui pose question sur la santé morale du pays, qu’il n’y a pas que ces agents du Malg qui accommodent leur conscience avec ces abominations historiques et symboliques.

Supplétifs de la censure

Dans la foulée de l’escouade de hussards qui sont montés au front, il y a d’autres politiques, dont certains cultivent des ambitions très actuelles. Les remarques ou les invectives portent sur deux registres : certains arguent que compte tenu de mon âge, je n’avais pas à traiter d’événements dont je n’étais pas acteur ; d’autres, rejoints par divers « observateurs », insistent pour dire qu’un médecin ou un politique n’a pas à interférer dans le témoignage historique, domaine qui, selon eux, serait réservé aux seuls spécialistes de la discipline. On se souvient d’Ali Kafi qui avait condamné mon livre avant de l’avoir lu. Mais la plus grande hypocrisie vient des éléments appartenant au  personnel encore actif qui, pour ne pas avoir à assumer leur opinion dans une tragédie qui est un concentré du naufrage éthique et politique du pays, s’en remettent à une censure implicite qui délègue la responsabilité de chacun à l’expertise de l’historien.

Que valent en réalité ces ruses et ces esquives ?

D’une part, les interventions d’acteurs politiques dans le champ historique sont partout et de tout temps légions. J’ai pu acquérir en Tunisie une dizaine d’ouvrages traitant de l’histoire contemporaine du pays, y compris du temps de Ben Ali. Ils étaient l’œuvre de politiques, de syndicalistes, d’hommes de culture, d’universitaires, de journalistes ou de simples retraités qui veulent transmettre ce que leur fonction, leur activité militante ou les hasards de la vie leur ont permis de vivre ou de découvrir. Tous les sujets sont abordés : l’époque Bourguiba avec l’opposition de Ben Salah , l’histoire des droits de l’homme, les luttes des femmes, les combats menés pour préserver les franchises universitaires, les infiltrations de l’enseignement par le fondamentalisme…La dernière parution nous vient de Faouzia Charfi*, veuve du défunt Mohamed Charfi, ancien ministre de l’éducation nationale, lui même auteur de plusieurs ouvrages politico-historiques.

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Connaissant la tendance de notre personnel politique à accompagner voire devancer les désidérata des officines, j’ai tenté de désamorcer cette attaque en signalant, dès le premier chapitre, que j’ai pu acheter au Maroc une demi douzaine de livres écrits par des profanes sur le régime de Hassan II. En vain.

En France, il n’y a pratiquement pas un responsable à visibilité politique notable qui n’ait pas écrit sur l’histoire ancienne ou récente de son pays. François Bayrou a rédigé une biographie d’Henri IV, Dominique de Villepin a consacré deux ouvrages à Napoléon, Alain Peyrefitte est l’auteur d’une saga du gaullisme…

Le plus cocasse est que certains de ces responsables qui surjouent la partition de la condamnation de mon égarement hérétique ont, eux-mêmes, écrit sur la même matière !!

Mais, avec le recul, je crois que ce qui pose problème dans cette classe politique ectoplasmique, c’est que ses dirigeants ne se sont résolus à jeter l’anathème sur mon travail que lorsqu’on leur a demandé de descendre dans l’arène. On voit comment un opportunisme, et c’est là un euphémisme, peut contenir sa charge d’utilité en dévoilant  – dans le cas d’espèce il s’agit plus d’une confirmation –  le niveau de vassalisation des cadres d’une nation.

Fracture intellectuelle

J’ai essayé autant que le temps m’a permis de le faire d’accorder la plus grande attention possible à la troisième catégorie qui s’est invitée dans le débat car elle est composée d’universitaires dont certains sont historiens. Ces acteurs dirigent des étudiants qui seront les chercheurs de demain ou influent sur les mouvements d’idées censés aider à la formation de l’opinion publique.