Colombie et Guyanes

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L'UNIVERS, OU HISTOIRE ET DESCRIPTION DE TOUS LES PEUPLES, DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, ETC. COLOMBIE ET GUYANES, PAR M. C. FAMIN. L'ESPAGNE avait fondé de vastes empires sur le continent des deux Amériques, d'abord par la force des armes, plus tard par la puissance de la religion. Après trois siècles d'o- béissance, les provinces américaines ont secoué le joug de la métropole. Celles dont nous avons à nous occu- per étaient connues sous certaines dé- nominations dont quelques-unes rap- pelaient les droits et les conquêtes de la mère-patrie : la Nouvelle-Grenade, le \ énézuéla ou province de Caracas , LA Guyane espagnole, ont formé de nos jours la COLOMBIE. Ce nom est un tribut de reconnaissance à la mé- m oire de l'immortel navigateur qui, le premier, posa le pied sur cette par- tie du continent américain. On ap- préciera, d'ailleurs, l'embarras que nous devons éprouver en décrivant ene contrée s'agitent encore, en moment, les brandons de la guerre intestine, dont la division administra- tive n'a rien de stable, et dont le nom lui-même est changé au moment nous écrivons. La Colombie est, après l'empire brésilien, la plus vaste contrée de 'Amérique du sud. Elle a trois cents de nos lieues d'étendue en deçà de 1re livraison. 'COLOMBIE.) l'équateur et cent cinquante au-dela. Si les eaux de la mer venaient ja- mais à se ruer sur le sol des deux Amériques, pour en balayer les par- ties terreuses, on verrait à nu un squelette formé par un système unique de montagnes dont la crête s'étend de- puis la partie la plus méridionale de la Patagonie, forme l'isthme de Panama et se perd dans les régions inconnues du pôle arctique. Cette crête, qui se déroule comme une longue chaîne de l'une à l'autre extrémité du nouveau monde, c'est la Cordillère des Andes, dont les ramifications prennent diver- ses dénominations. Ainsi, comme on le voit, nous n'admettons qu'un seul système pour le nouveau monde; et si nous adoptons les noms divers dont il a plu aux voyageurs et aux géogra- phes de baptiser les points culminants de la Cordillère , c'est en nous réser- vant, au besoin, le droit de ratta- cher ces groupes à leur noyau com- mun , que nous croyons pouvoir pla- cer dans la Colombie, et précisément sous l'équateur, entre Quits et Cuença. Le pic du Chimborazo, dont la hau- teur au-dessus du niveau de la mer est d'environ 20,000 pieds, n'est pas le point le plus élevé des Andes (voy 1

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Auteur : César Famin / Ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Bibliothèque Franconie.

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  • L'UNIVERS, OU

    HISTOIRE ET DESCRIPTION DE TOUS LES PEUPLES,

    DE LEURS RELIGIONS, MOEURS, COUTUMES, ETC.

    COLOMBIE ET GUYANES, PAR M. C. FAMIN.

    L'ESPAGNE avait fond de vastes empires sur le continent des deux Amriques, d'abord par la force des armes, plus tard par la puissance de la religion. Aprs trois sicles d'o-bissance, les provinces amricaines ont secou le joug de la mtropole. Celles dont nous avons nous occu-per taient connues sous certaines d-nominations dont quelques-unes rap-pelaient les droits et les conqutes de la mre-patrie : la Nouvelle-Grenade, le \ nzula ou province de Caracas , LA Guyane espagnole, ont form de nos jours la COLOMBIE. Ce nom est un tribut de reconnaissance la m-moire de l'immortel navigateur qui,

    le premier, posa le pied sur cette par-tie du continent amricain. On ap-prciera, d'ailleurs, l'embarras que nous devons prouver en dcrivant ene contre o s'agitent encore, en

    moment, les brandons de la guerre intestine, dont la division administra-tive n'a rien de stable, et dont le nom lui-mme est chang au moment o nous crivons.

    La Colombie est, aprs l'empire brsilien, la plus vaste contre de 'Amrique du sud. Elle a trois cents de nos lieues d'tendue en de de

    1re livraison. 'COLOMBIE.)

    l'quateur et cent cinquante au-dela. Si les eaux de la mer venaient ja-

    mais se ruer sur le sol des deux Amriques, pour en balayer les par-

    ties terreuses, on verrait nu un squelette form par un systme unique de montagnes dont la crte s'tend de-puis la partie la plus mridionale de la Patagonie, forme l'isthme de Panama et se perd dans les rgions inconnues du ple arctique. Cette crte, qui se droule comme une longue chane de l'une l'autre extrmit du nouveau monde, c'est la Cordillre des Andes, dont les ramifications prennent diver-ses dnominations. Ainsi, comme on le voit, nous n'admettons qu'un seul systme pour le nouveau monde; et si nous adoptons les noms divers dont il a plu aux voyageurs et aux gogra-phes de baptiser les points culminants de la Cordillre , c'est en nous rser-vant, au besoin, le droit de ratta-cher ces groupes leur noyau com-mun , que nous croyons pouvoir pla-cer dans la Colombie, et prcisment sous l'quateur, entre Quits et Cuena. Le pic du Chimborazo, dont la hau-teur au-dessus du niveau de la mer est d'environ 20,000 pieds, n'est pas le point le plus lev des Andes (voy

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    pl. 1 ); il le cde de 3,G00 pieds au Ni-vado de Sorato, et de 2,400 pieds au Nevado d'Illimani (*), qui, l'un et l'au-tre, se trouvent dans le Prou. On ne saurait parler de ces formidables l-vations de la Cordillre sans rveiller le souvenir des nobles travaux de M. de Humboldt.

    A 2 au sud de l'quateur, la Cor-dillre se divise en trois branches, dont l'une passe dans l'Amrique sep-tentrionale par l'isthme de Panama , et les deux autres vont aboutir la mer des Antilles, formant entre elles des valles, ou des plateaux, dont la temprature varie selon les circon-stances d'lvation ou de dveloppe-ment. L sont les terres chaudes (tierras calientes), les tempres (tem-pleadas), les froides (frias), les st-riles ( paramos ), et les rgions des neiges (nevados). Ainsi, en un seul jour, on peut passer d'une atmo-sphre brlante une temprature gla-ciale; on peut prouver au plus haut degr, en quelques heures, l'influence des quatre saisons de nos heureux cli-mats. C'est l, sans contredit, une des causes qui agissent le plus cruel-lement sur l'existence des trangers et mme des naturels.

    Les flancs de ces puissantes collines sont tapisss par des forts vierges, retraites sombres o se cache une re-doutable population de reptiles gants et de btes fauves. Dans les bas-fonds s'tendent des plaines interminables, appeles Llanos dans le pays. Les llanos de la Colombie sont de gran-des solitudes o l'herbe s'lve jusqu' une hauteur de 10 12 pieds; toute-fois, pendant une partie de l'anne , elles sont depourvues de vgtation. Dans d'autres localits de l'Amrique on les nomme Savanes ou Pampas. Ces prairies dsertes abondent dans la Basse-Guyane, dans le bassin de l'Ornoque et de l'Apur, et dans cette partie mridionale de la Nouvelle-Grenade, qui s'tend vers le fleuve

    (*) Le Nevado de Sorato a 7,696 mtres; le Nevado d'Illimani en a 7,315, et le Chimborazo 6,532.

    des Amazones, couvrant ainsi des con-tres inconnues aux Europens. Quel-ques-unes sont habites par des In-diens demi civiliss ; les autres, et c'est la plus grande partie, ne sont traverses, de longs intervalles, que par des caravanes de peuplades sau-vages. M. de Humboldt estime 29,000 lieues carres la plaine du Guaviare-Ornoque. Depuis le mois de juin jusqu' celui d'octobre, les Llanos sont inonds par des pluies

    continuelles qui les convertissent en autant de lacs boueux , impraticables et pestilentiels. Au contraire, pen-dant les mois de la belle saison , il est fort rare d'y voir un seul nuage.

    Dans certaines provinces, telles que le Cundinamarca, les pluies y sont remplaces par des brouillards froids et malsains. Dans les lieux levs, dit M. G. Mollien , on sme le fro- ment en mars; vers le milieu de la montagne, le mas en juillet; et dans la valle, en septembre. Les rcoltes se font ici en janvier, plus haut en octobre, et prs des para- mos en aot.

    Les paramos sont des solitudes situes une grande lvation. La nature n'y a rien fait en faveur des hommes; tout y est empreint du sceau de sa colre ou de son indiffrence. Surplombant des valles fertiles, de chaudes rgions, les paramos sont striles et glacs. Celui de Serinsa, dans le dpartement de Boyaca, sur la route de Tunja Socorro, est le plus redoutable. Malheur au voyageur que l'ouragan a surpris dans le pa-ramo de Serinsa, s'il n'a pas pres-senti le sort funeste qui le menace! Les nues charges de la tempte ar-rivent avec tant de prcipitation, qu'il n'y a plus d'espoir de leur chapper. Un vent glacial commence faire enten-dre dans les airs son sifflement si-nistre; il redouble de violence, et, en peu d'instants, sa furie est porte son comble. Le voyageur ne recon-nat plus les traces du chemin ; ses mules effrayes s'enfuient au hasard et roulent dans les prcipices. Plus l'infortun avance et plus il s'gare.

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    Il trouve, sur sa route, des croix leves la mmoire des voyageurs morts dans ces mmes lieux, et, ct, quelques frailecon, dont les fleurs jauntres ressemblent de p-les lumires sur des tiges d'bne. Ces sinistres prsages redoublent son pouvante; les vapeurs ,glaces qui s'exhalent de toutes parts engourdis-sent ses membres , sa poitrine, est haletante, sa vue se trouble, et, au-tour de lui, les tnbres paississent incessamment. S'il continue fuir, il a peu d'espoir d'chapper la mort; s'il s'arrte, il est perdu.

    La Colombie, ainsi que nous l'a-vons dit plus haut, renfermant sur son territoire le noyau du systme des Andes, doit offrir plus que toute au-tre contre l'apparence d'un sol vol-canis. Dans toutes les parties mon-tagneuses de cet tat, on rencontre , en effet, de larges cicatrices qu'y ont im-primes les anciens volcans. Les trem-

    ments de terre y sont encore des ph-nomnes fort communs, surtout dans les dpartements de l'quateur, de la Cauca et de Cundinamarca. C'est l que se trouvent les montagnes ignivo-BMS les plus leves et les plus formi-dables de tout le globe. Tels sont les volcans d'Antisana, de Cotopaxi, de Sanguay, de Pichincha, de Pasto,de Sotara, de Purac, du grand pic de Tolima et du paramo de Ruiz. La plupart de ces volcans offrent une s-rie de pics qui s'lvent jusqu' la hauteur des neiges ternelles, tandis que leur base se perd dans des valles brles par les feux de la zone torride. Ainsi, les montagnes neigeuses ser-vent temprer les ardeurs qui s'ex-halent d'un sol embras, et c'est l'aide de ce contraste que la nature permet aux habitants des parties in-termdiaires , dans les rgions qua-toriales, de jouir de la temprature et des productions de l'Europe.

    L'Amrique, on le sait, est arrose par les plus grands fleuves du monde, Nous ne rattacherons pas l'Amazone

    la Colombie, et cependant, ce fleuve, form par la runion du vieux et du nouveau Marannon, passe sur la partie

    la plus mridionale de son territoire, dans la province de Jan, et y reoit de nombreux affluents. Cette contre, peu prs inconnue aux Europens, est celle o se trouvent, en plus grande quantit, des hordes d'Indiens ind-pendants.

    l'Ornoque, l'un des fleuves les plus considrables de l'Amrique mri-diona'e , appartient en entier la Colombie. 11 prend d sa source dans les montagnes de la Parima, au coeur de l'ancienne Guyane espagnole, dcrit un demi-cercle" dans la pattie du sud, remonte vers le nord, et va se jeter dans l'Ocan atlantique, servant ainsi de ligne de dmarcation entre la Guyane et l'ancienne capitainerie de Caracas. Les branches de son embou-chure sont nombreuses, et plusieurs navigables pour des navires de plus de 200 tonneaux. Quelques-uns des af-fluents de l'Ornoque ne le cdent en grandeur, ni au Rhin, ni au Rhne, ni la Loire, ni au Tage ; ce sont: le Ventuari, le Caura, le Caroni, le Gua-viare, le Mta et l'Apure. On a, depuis peu, vrifi l'existence de la fameuse bifurcation de l'Ornoque. Ce grand fleuve tend un de ses bras vers le Rio-Negro et communique ainsi, au moyen de cet affluent, avec l'Amazone.

    Indpendamment de la clbrit que l'Ornoque s'est acquise par son im-portance, par le prestige qui s'attache aux rgions peu connues qu'il traverse, par les murs des hordes sauvages qui errent sur ses rives, et, enfin, par les richesses qu'il fournit l'histoire naturelle, il a reu encore une re-nomme historique de la fable du fa-meux pays d'El-dorado, qui a fait si long-temps le dsespoir des voya-geurs et des gographes. 11 parat que c'est dans la Parima, aux sources de l'Ornoque, qu'il faut chercher l'ori-gine de cette prtendue mer blanche, dont les flots roulaient un sable d'or et des cailloux de diamants, ainsi que de la ville de Manoa, dont les palais taient couverts de lames d'or massif, et de brillantes pierreries. Sans doute, les matriaux prcieux abondent dans cette partie du nouveau monde ; il

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    est certain, en outre, que les premiers habitants de la Guyane et de la Co-lombie taient dans l'usage d'lever des temples leurs divinits, sur le bord de certains lacs, et que non-seu-lement ils revtaient les parois de ces difices des plus riches offrandes, mais encore qu'ils jetaient dans le fond de ces mmes lacs des pierre-ries , des chanes d'or et les produits les plus prcieux de leur industrie. De ce nombre est le lac de Guatavita, dans la province de Bogota : les Es-pagnols et les Anglais en ont retir des objets d'un grand prix. Comme l'poque des pluies, les llanos offrent l'aspect de lacs immenses que l'on chercherait vainement au retour de la belle saison, il n'est pas impossible que l'une de ces grandes inondations ait t prise pour une mer, par un voyageur peu instruit, qui l'aura bap-tise du nom de mer blanche. A ces circonstances, si on ajoute celle de la prsence des roches micaces dans la province de l'Ornoque, on connatra probablement l'origine de cette tradi-tion qui, pendant trois sicles, a fait croire aux Europens, sur le tmoi-gnage exagr de quelques voyageurs ignorants, l'existence de i'Ll-do-rado, et a donn lieu de dsastreu-ses expditions.

    Aprs l'Ornoque, le Magdalena est le plus grand fleuve de la Colom-bie. Il prend sa source dans la Cor-dillre centrale, quelques milles au-dessus de Neyva, se dirige vers le nord en suivant toujours a peu prs le mme mridien , et se jette dans la mer des Antilies, entre Carthagne et Sainte-Marthe. Les voyageurs qui, de la premire de ces deux villes, veulent se rendre Bogota, vont s'embarquer Barrana et remontent le fleuve jusqu' Honda. Si cette na-vigation offre de grands avantages dans un pays o la civilisation a fait peu de chose pour les moyens de communication, elle n'est pas non plus exempte d'inconvnients , ni mme de dangers. Les variations de l'atmosphre, qui devient, selon l'in-fluence des vents, ou glace ou br-

    lante ; les myriades de moustiques dont les piqres ne laissent aucun re-pos ; le voisinage, des camans et des tigres quand on relche sur ces rives dsertes; la rapidit du courant, et les cueils qui barrent le passage, sont autant de circonstances qui justifie-raient suffisamment les dgots du voyageur, sans qu'il ft ncessaire d'y joindre la paresse, l'ivrognerie et l'in-subordination des Bogas, ngres ma-riniers de la Magdalena.

    L'Atrato, qui coule du nord au sud et se perd dans le golfe de Darien, et le San-Juan, qui se dirige dans le sens oppos et verse ses eaux dans le grand Ocan, mritent d'tre signals par le projet conu depuis long-temps de les runir au moyen du canal de Raspadura, et d'ouvrir ainsi une com-munication entre les deux Ocans. C'est ici le lieu de faire remarquer que des cinq projets de canalisation qui ont t conus pour fournir aux navigateurs la facult de passer de l'une l'autre mer, sans avoir a re-douter les longueurs et les dangers d'une immense navigation autour du cap Horn, il en est trois qui appartien-nent au sol de la Colombie, savoir : le canal de Raspadura, dont nous venons de parler, et qui n'est encore qu'un ravin peine praticable pour les plus petites barques ; celui de Pa-nama, qui est abandonn et doit tre remplac par un chemin de fer ; ce-lui, enfin, de l'isthme de Darien, qui runirait l'Atrato et le Rio-.Napipi.

    Chaque province de la Colombie est, en outre, sillonne par des rivires sans nombre, dont quelques-unes offrent des particularits remarquables. Tel est le Pusambio, aux environs de Po-payan, dont l'eau acide, dans laquelle les poissons ne peuvent vivre, lui a fait donner le surnom de Riovinagre.

    Les eaux qui descendent de la Cor-dillre coulent sur des lits de gravier, et sont limpides, mais froides, et con-tiennent, en outre, des parcelles de mtaux , ce qui leur vaut une rputa-tion d'insalubrit.

    Les ponts en pierres sont rares dans toute la Colombie. On y supple par

  • COLOMBIE. 5 des ponts en bois, dont la grossire structure offre peu de sret, et par des ponts en cordes, que l'on n'emploie gnralement que sur les rivires d'une grande largeur. Sur chaque bord s'lvent de forts poteaux, au sommet desquels on arrive par des gradins, ou seulement l'aide des ingalits du terrain. L, six grands cables, tresss avec des sarments de liane, sont jets de l'une l'autre rive, de manire ce que quatre d'entre eux forment le plancher, et les deux autres les garde-fous; sur les cables du milieu on at-tache de gros btons recouverts avec des branches d'arbres. Il serait impru-dent de vouloir donner ces ponts une trop grande tension: aussi forment-ils au-dessus de l'eau un arc dont les oscillations rendent le trajet souvent prilleux, et toujours effrayant. Les chevaux passent l'eau la nage, ce qui les expose maintes fois tre atta-qus par les alligators.

    Mais il en est d'autres d'une struc-ture infiniment plus simple, et qui, cependant, offrent peut-tre moins de danger que les prcdents : en certaines localits, on les nommetarabites. La tarabite est un gros cble form soit avec des cordes en liane, soit avec les fibres

    l'agave, ou mmedeslaniresdecuir; elle seule elle constitue un pont. Le voyageur s'assied sur un mannequin , ou sur un simple filet soutenu par plusieurs cordes dont les bouts, reu-nis en faisceaux, sont attachs un grand croc adapt la tarabite. Des

    hommes et des chevaux, placs sur la rive oppose, tirent cet attelage au moyen d'une seconde corde [voy.pl. 4). Mais il arrive quelquefois que le voya-geur est priv de ce secours ; il doit s'ai-der alors des pieds et des mains pour achever ce prilleux funambulisme. (Voy-pl. 5. ) Les lacs abondent sur toute la sur-

    de la Colombie, et il en est plu-sieurs d'une vaste tendue. Leur nom-bre est si considrable, qu'il serait impossible de les mentionner tous : quelques-uns mme ne sont que des marais qui disparaissent aprs la sai-son des pluies. Nous avons dj parl

    du lac Guatavita, du Parime; nous mentionnerons encore celui de Valen-cia, dans le Vnzula, remarquable par la belle culture de ses rivages.

    On concevra aisment, d'aprs ce que nous venons de dire, combien doit tre vari le climat d'une contre o les accidents du terrain offrent tant de contrastes ; o la force de la vgtation entretient une si grande humidit; o l'enfoncement des val-les sert, en quelque sorte, de rser-voir aux ardeurs du soleil equatorial ; o, enfin, les sommits volcaniques prsentent ternellement des masses de neige. Les chaleurs suffocantes par leur continuit n'y sont pas, toutefois, ce qu'on pourrait supposer. Le ther-momtre de Raumur se soutient, dans la plupart des localits les plus chaudes, entre 28 et 30 degrs, ra-rement il atteint le 34e. Quant au fa-meux plateau de Bogota, il offre, grace son lvation, la temprature et les productions de la France et de l'Alle-magne; il s'lve la mme hauteur, au-dessus du niveau de la mer, que le sommet du mont Canigou, dans les Pyrnes.

    Tel est, en peu de mots, l'aspect de ce pays, dont les colons, espagnols, hollandais ou anglais, sont venus, tour tour, fouiller les entrailles. Leur avidit tait en quelque sorte excu-sable, tant il semblait que les riches mtaux et les pierres prcieuses y avaient t prodigus par les mains gnreuses de la nature ! Mais on est convaincu aujourd'hui que l'ancien monde s'est exagr la richesse m-tallique du nouveau, dont l'impor-tance n'est rellement fonde que sur les produits de l'agriculture. La guerre de l'indpendance avait considra-blement ralenti les travaux ; des compagnies anglaises ont repris, en 1824, l'exploitation des mines aban-donnes. On estime que les lavages de la Nouvelle-Grenade ont fourni, dans les dernires annes de paix, plus de 18,000 marcs d'or. Le Choco et Barbacoas offrent en abondance l'or et le platine; la valle de Santa-Rosa, dans la province d'Antioquia, les

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    Andes de Quindi et de Guazum, prs de Cuena, du mercure sulfure. 11 existe encore des filons aurifres ou argentifres sur plusieurs points du littoral de la province de Caracas. Le plateau de Bogota fournit du sel gemme et de la houille. Mariquita, Pamplona, Leyva possdent des mines d'argent; le Cauca des mines d'or; Moniquira du minerai de cuivre; les environs de Sogamoso abondent en minerai de plomb, ceux de la Plata en minerai de fer. Les lavages de la Cordillre fournissent des meraudes, des cornalines, des agates et autres pierres prcieuses ; on trouve auprs de Muzo, dans le Cundinamarca, la plus riche mine d'meraudes connue. Enfin, il existe au Rio-Hacha, de l'le de la Marguerite; ainsi que dans l'ar-chipel de las Perlas, au golfe de Pa-nama, des pcheries de perles; ces globules ne sont pas, il est vrai, d'une aussi belle couleur que ceux qui nous viennent de l'Orient, et en peu d'an-nes ils prennent une teinte jauntre. En 1823, le congrs a cd une compagnie anglaise le privilge de cette pche.

    On voit, dans l'archipel de las Per-las, un petit lot, nomm Cubagua; il fut jadis clbre, notamment un sicle aprs la dcouverte du nouveau monde, par la fcondit de sa pche-rie de perles. On assure que le pro-duit s'en levait annuellement plus de huit cent mille dollars ( quatre millions de fr. ). Les pcheurs avaient lev Cubagua une ville opulente, le Nouveau-Cadix, dont on ne re-trouve plus mme les vestiges. Au-jourd'hui cette mine d'hutres perli-fres est entirement puise, et Cu-bagua est devenu un lot dsert et strile.

    Les mtaux prcieux cachs dans le sein des montagnes forment des zones superposes les unes sur les autres, et, par une heureuse disposition, les plus riches sont les plus porte de l'homme. Au-dessus de l'or et du pla-tine, vient la rgion de l'argent; celle du cuivre la domine, et se trouve elle-mme dpasse par la zone du fer.

    Les parties htrognes qui for-ment le sol sur lequel s'appuie la Cordillre, contiennent des agrga-tions de coquillage, et, c et l, quel-ques dbris de ptrifications animales appartenant des genres disparus ou inconnus.

    Si la nature ici s'est montre pro-digue dans la dispensation des mtaux prcieux , elle n'a pas t moins gn-reuse dans la distribution des richesses agricoles.

    Le cacaover cultiv ( theobroma-cacao) de la cte de Caracas a une grande renomme : cet arbre , qui abonde dans plusieurs autres provinces de la Colombie, appartient la fa-mille des malraces ; il a le port d'un cerisier de moyenne taille, et se plat surtout dans les terrains humides, riches et profonds. La Colombie en pos-sde plusieurs espces Th. sylvestris, guyanensis, bicolor; mais c'est le fruit du cacaoyer cultiv qui fournit ces. prcieuses amandes si recherches dans le commerce pour la confection du chocolat.

    Les plantes mdicinales y sont aussi varies qu'abondantes : nous nous bor-nerons mentionner plusieurs espces de quinquina (cinchona condaminea, cordifolia, lancifolia, oblongifolia, ovalifolia); la salsepareille, l'unona-fbrifuge, le gaac ( guaiacum offici-nale ) ; le myroxilon peruiferum (baume du Prou); l'ipcacuanha (cephalis ipecacuanha); le sang-dra-gon (pterocarpus draco); les strych-nos, les jatropha, etc.

    A la tte des plantes les plus dignes d'arrter l'attention des naturalistes, on peut faire figurer le mancenillier ( hippomane-mancenilla ). C'est sur-tout aux environs de Bogota que se trouvent les plus beaux individus de ce genre. Chacune des parties de cet arbre distille un lait vnneux, dont une seule goutte, tombe sur le corps humain, suffit pour y produire une am-poule douloureuse," qu'il faut ouvrir avec prcaution et soigner comme une plaie. Ses manations, chasses par le vent, portent au loin les maladies et la mort; les oiseaux fuient son 90

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    brage perfide, et les poissons trouvent la mort dans les eaux qui baignent ses racines. Les Indiens se servent du suc du mancenillier pour empoisonner leurs flches; ces armes conservent long-temps leur funeste proprit.

    Le bois de cet arbre est, dit on, fort bon pour les constructions na-vales. Les ouvriers chargs de le cou-per prennent pour cela beaucoup de prcautions : ils commencent par allumer un grand feu autour du tronc, afin de desscher l'humeur vnneuse qui en dcoule de toutes parts; ils s'en approchent ensuite, en ayant le soin de ne pas se trouver sous l'air de vent, et mettent devant leurs yeux une gaze trs-fine qui les prserve de tout contact avec cette plante redou-table.

    Les Indiens et les ngres ont une grande confiance dans le suc des feuilles du guaco ( mikania-guaco) pour gu-rir les morsures des reptiles venimeux ; et ici encore il faut reconnatre le soin de cette providence intelligente qui a mis le remde ct du mal. Le docteur Mutis, clbre naturaliste de Bogota, ayant communiqu, il y a peu d'annes, ce remde plusieurs Europens, l'un d'eux, plein de zle pour la science, consentit en faire l'essai sur sa personne. Il soumit sa main la morsure d'un serpent re-connu pour appartenir l'espce la plus malfaisante ; mais peine les pre-miers symptmes du venin commen-aient-ils se manifester, qu'un ngre qui dirigeait l'opration se hta d'ex-primer sur la plaie le suc de quelques feuilles de guaco, et, en peu d'in-stants , le patient, parfaitement rta-bli, se trouva en tat de retourner ses occupations.

    La flore colombienne possde en-core le bananier (musa paradisiaca),

    l'ananas, le rocou (bixa orellana), je$ palmiers de toute espce, le coco-tier, le cirier ( myrica cerifera ), et Je ceroxylon andicola, qui tous deux fournissent une cire propre l'clai-

    rage. Sur les ctes de Cumana et de

    Valencia on trouve le cactus coche-nille. le nopal, l'agave americana et

    la vaniile de Turiamo. Les forts de la Cordillre abondent en bois de tein-ture; on y voit galement l'acajou, le cedrela odorata, le peperonia, etc.

    Parmi les plantes introduites ou amliores par les Europens, nous mentionnerons la canne sucre, le cafier, le cotonnier, l'indigotier et le tabac; on y cultive enfin, avec suc-ss, l.e riz et les autres crales.

    Ce pays, couvert de vastes prairies, de forts impntrables pour le voya-geur, de montagnes d'une hauteur prodigieuse, doit offrir ncessairement une grande varit d'animaux de tout genre, chacun vivant dans la rgion qui lui est propre. Nous ne parlerons pas des animaux domestiques, dont les Europens ont introduit la majeure partie ; la nomenclature en serait aussi longue que fastidieuse. Nous nous htons d'aborder la liste de ces tres plus heureux, sans doute, qui vivent loin des lieux o l'homme a fix sa demeure, toujours prts lui disputer ses titres la royaut. Le tigre marche leur tte, et ses diverses espces forment une formidable liste capable de faire plir d'effroi le plus intrpide chasseur : le couguard, le jaguar, l'once, la panthre, le chat-tigre , le lopard et le tigre unicoiore, qui glissent sans bruit dans les liantes gramines des llanos et des pampas, d'o ils s'lancent, la nuit, en pous-sant d'affreux rugissements.

    Les eaux de l'Ornoque, celles de l'Amazone et du Magdalena servent de retraite cette varit de l'espce crocodile, connue sous le nom d'alli-gators ou camans.

    L'alligator atteint une longueur de douze a treize pieds ; son ventre est d'un bleu nuanc de vert, et son dos noirtre. On voit ces reptiles flotter par bandes, comme des troncs d'ar-bres, sans paratre effarouchs par le passage des plus grandes embarcations. Rarement ils attaquent l'homme , ex-cept dans l'eau, o ils ont sur lui un grand avantage, tandis que sur terre la lenteur de leurs mouvements les met la discrtion d'un ennemi plus agile et aussi brave. On a remarqu que les

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    alligators de la Colombie sont deve-nus plus voraces depuis que les fleu-ves de ce pays ont charri tant de ca-davres, dans la guerre de l'indpen-dance. . Mais bien long-temps aupara-vant , les ngres avaient dj pour principe de dtruire promptement l'al-ligator qui avait; une fois fait un repas de chair humaine, et cela moins par esprit de vengeance que parce qu'ils sont convaincus que le monstre, une fois mis en got, tentera audacieuse-ment de faire de nouvelles victimes.

    Dans les forts, les arbres sont unis entre eux par des guirlandes de lianes, o se balancent de nombreuses tribus de singes : l'atle, le lagotri-che, les sagouins, les sapajous et les ta-marins. La se cachent aussi plusieurs groupes de cette famille de quadru-pdes que l'homme sacrifie ses be-soins ou sa curiosit : le fourmiller l'lgante fourrure, le chinchilla, sorte d'cureuil qui habite les rgions tempres de la Cordillre, et dont la dpouille est si recherche dans le commerce; le coati, le tapir, le bi-zarre chlamyphore ou porte-manteau, et le tatou cuirass ( armadilla, ).

    Sur le versant des Cordillres, on voit errer des troupeaux de lamas (ca-melus glauca). Ces animaux, avant que les Europens eussent multipli la race des chevaux et celle des mulets, rendaient aux Amricains les mmes services que les Arabes reoivent du chameau. Ils ont les allures de ce quadrupde sans en avoir la difformit. Patients et sobres, ils sont encore uti-les en certains passages prilleux pour le transport des marchandises. Leur pas est lent et assur, mais rien ne saurait les engager acclrer leur marche. Insensibles aux coups comme aux bons traitements, ils se couchent quand on les presse trop, et se lais-seraient tuer plutt que de cder a la volont de leur conducteur. ( Voy. pl. 1.)

    Les reptiles et les insectes sont un des principaux flaux de ces belles contres. Autour des troncs robus-tes et larges se roulent des serpents gants, dont les yeux ont l'clat et

    la couleur du rubis : le boa constric-tor, le crotale dryvas, ou serpent sonnettes, l'acroehorde, l'erpton lenticul, les couleuvres, et vingt autres espces non moins redou-ter. Sous l'herbe des prairies et sous le chaume des toitures se cachent les scorpions, les acares, dont la pi-qre occasione la chute des cheveux, et ces millions de moustiques et de maringouins, qui n'pargnent ni le ngre, ni le blanc, ni l'Indien, ni l'Eu-ropen.

    Parmi les animaux malfaisants, le vampire sanguinaire vient rclamer l'une des premires places. Cette re-doutable espce de chauve-souris se cache le jour sous la toiture des ca-banes ; elle en descend la nuit furtive-ment , se glisse auprs de l'homme endormi , lui ouvre doucement la veine, se repat de son sang, et le fait ainsi passer, sans douleur, du sommeil la mort.

    Dans cette succincte nomenclature, l'ornithologie aurait mrit peut-tre la premire place, par les richesses de ses dtails.

    Sur les sommits neigeuses de la Cordillre, le condor tale son im-mense envergure et dcrit de grands cercles, ou se balance mollement sur le flanc des nuages. Tout d'un coup il s'arrte, le cou tendu, l'il en feu , les ailes ployes. Il tombe, ou plutt il se prcipite avec la rapidit de la foudre, et disparat dans les profon-deurs de la valle. Son il perant a dcouvert une proie, un cadavre d-gotant, ftide; car le condor par-tage les gots dpravs de la race ignoble des vautours. Il reparat bien-tt, treignant dans ses serres les dbris de ce hideux festin, et remonte aux solitudes ternelles o nul cho ne rptera ses cris de joie.

    L'aigle lui-mme a fix son sjour dans les rgions infrieures.

    Plus loin, nous retrouvons les do-maines o s'agitent et sautillent, se jouent et se pavanent de brillantes lgions de perroquets, d'aras, d'an* zones, de cotingas jaunes, de tanga-ras carlates, de pitpits verts , de

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    colibris et d'oiseaux mouches, me-raudes, topazes, saphirs et rubis vi-vants. L'or et l'azur, la pourpre et l'bne voltigent et se refltent sur le vert feuillage de la fort.

    Enfin, les ctes poissonneuses de la Guayra sont peuples de plicans, ce cygne difforme, dont le bec prodi-dieux fournit la blague, sorte de po-che fort recherche par les fumeurs.

    Lorsque les habitants de l'ancien monde eurent appris la route qui conduit au nouveau, ils rencontrrent, dans les contres que nous compre-lions aujourd'hui sous le nom de Co-lombie , deux socits d'hommes par-faitement distinctes. La premire tait compose d'individus sauvages, fro-ces, anthropophages, habitant les vastes plaines de Caracas, de Cumana, de l'Apure et de l'Ornoque. Ces po-pulations malheureuses vivaient de bruits ns sans culture, de pche et de chasse. Dans la saison des inon-dations, on les apercevait groupes dans le branchage des arbres, o elles tablissaient momentanment leur de-meure , l'imitation des singes. La difficult de correspondre les divisait en une innombrable quantit de pe-tites nations, diffrant entre elles par les murs et le langage. Le plus clbre d'entre ces peuples est celui des Caribes ou Carabes, dont on trouve les traces dans la Guyane et les Antilles.

    Les hommes qui formaient ce que nous pourrions appeler le second groupe, vivaient dans un tat social avanc, comparable celui des an-ciens gyptiens. Ils habitaient les parties montagneuses. C'est l'une des trois grandes nations civilises que les Europens trouvrent, leur grande surprise , rpandues sur le sol amri-cain, c'est celle des Muyscas ou Moz-

    cas dont l'histoire rentre dans le domaine de cette notice.

    Les Muyscas rsidaient dans la province de Cundinamarca. Le pla-teau de Bogota tait le centre de leur puissance. Leurs traditions fabuleuses suffiraient seules pour indiquer une societ dont la formation remonte

    la plus haute antiquit. Leurs anc-tres existaient dj, disent-ils, et la lune ne servait pas encore de compa-gne la terre. A cette poque, les habitants du plateau de Bogota vi-vaient comme des barbares. Ils taient nus, ne connaissaient point l'art de l'agriculture, ne se nourrissaient que des aliments les plus grossiers, et se trouvaient, en un mot, plongs dans l'tat le plus abject et le plus dplo-rable. Tout d'un coup, un vieillard apparat au milieu d'eux ; il venait des plaines situes l'est de la Cor-dillre de Chingosa. Il portait une longue barbe et des vtements, ce qui fit supposer qu'il appartenait une race diffrente. Cet homme avait trois noms, mais celui de Bochica prva-lut parmi les Muyscas. Il leur apprit cultiver la terre, labourer, a se-mer et tirer de la rcolte tout le parti que peut y trouver l'industrie d'un peuple agricole. Cela fait, il leur enseigna encore l'art de se vtir sui-vant la diffrente temprature des saisons, se btir des demeures so-lides, se runir pour vivre en so-cit , se secourir et s'aider mutuel-lement. Tant de bienfaits lui avaient attire la vnration publique, et rien ne se serait oppos ce qu'il jout d'un bonheur sans mlange, si ce n'et t la malice de son pouse Huythaca. Cette mchante femme se

    livra d'abominables sortilges pour faire sortir de son lit la rivire Funzha. Alors toute la plaine de Bogota fut bouleverse par les eaux; la plupart des hommes et des animaux prirent dans ce dluge, et le reste se rfugia sur le sommet des plus hautes mon-tagnes. Bochica, indign, chassa loin de la terre cette indigne compagne, ce qui veut dire qu'il la fit mourir. La tradition ajoute qu'elle devint la lune, tournant sans cesse autour de la terre pour expier sa faute. Bochica brisa les rochers qui fermaient la val-le du ct de Canoas et de Tequen-dama, pour faciliter l'coulement des eaux; il rassembla les hommes dis-perss , leur enseigna le culte du so-leil , et mourut plein de jours et de

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    gloire. Nous ferons remarquer, en passant, que ce dernier acte de la puissance de Bochica explique, dans la pense des Muyscas, le phnomne de la clbre cascade de Tequendama, o les eaux du Rio-Bogota se prci-pitent d'une hauteur de 180 mtres environ.

    Ce culte du soleil et de la lune chez les aborignes de ces contres est encore attest par des monuments d'un grand intrt pour l'histoire. Tels sont les rochers de granit des solitu-des de l'Ornoque, Caycara, Ur-bana, prs du Bio-Brancho et du Cassiquiare. On y voit des sculptures d'une haute antiquit, reprsentant, et presque la manire des gyptiens, les images du soleil, de la lune, ainsi que des serpents, des crocodiles, des tigres, et divers instruments ou us-tensiles de mnage.

    D'autres monuments dposent en-core en faveur de l'ancienne civilisa-tion des peuples trouvs sur le sol de la Colombie. On voit, par exemple, aux environs de Cuena, dans le d-partement de l'Assuay, rpublique de l'quateur, les magnifiques vestiges de la grande chausse construite par les Incas, ou souverains du Prou, et la forteresse du Cnar, ou Ingapilca. C'est un mur de trs-grosses pierres de taille coupes en biseau, formant un ovale rgulier dont le grand axe a plus de cent pieds de longueur. Au centre, se trouvent les ruines d'une petite maison dont l'ge gale celui de la forteresse. Ce monument est situ sur une plate-forme, au sommet d'une colline.

    Les environs de Latacunga, sur le versant du Cotopaxi, sont galement clbres par les restes de deux mo-numents pruviens : le Panecillo et la Maison de l'Inca. Le Panecillo, ou pain de sucre, est un tumulus co-nique qui d servir de spulture un grand personnage. La Maison de l'Inca est un vaste btiment carr o l'on voit encore quatre grandes portes extrieures semblables a celles des temples gyptiens , huit cham-bres, dix-huit niches distribues avec

    symtrie, et quelques cylindres ser-vant suspendre les armes. Les pier-res y sont aussi tailles en biseau.

    Le gouvernement des Muyscas tait une monarchie absolue. L'autorit de leur chef suprme, le zaque, n'tait tempre que par celle du souverain pontife. Le premier rsidait Iroca, le second Tunja. 11 y avait Soga-moso un temple du soleil ou de Bo-chica, que les dvots allaient visiter en plerinage, et o l'on clbrait, tous les quinze ans, un sacrifice hu-main. La victime tait un enfant en-lev de force la maison paternelle, dans un village du pays connu aujour-d'hui sous le nom de San Juan de los llanos. C'tait le guesa, ou l'errant, c'est--dire la crature sans asile; et cependant on rlevait avec un grand soin dans le temple du soleil jusqu' ce qu'il eut atteint l'ge de quinze ans. Cette priode de quinze annes forme l'indiction dite des Muyscas.

    Alors le guesa tait promen pro-cessionnelle'ment par le suna, nom donn la route que Bochica avait suivie l'poque o il vivait parmi les hommes, et arrivait ainsi la colonne qui servait mesurer les ombres qui-noxiales. Les xques, ou prtres, masqus la manire des gyptien!, figuraient le soleil, la lune, les sym-boles du bien et du mal, les grands reptiles, les eaux et les montagnes. Arrive l'extrmit du suna , la vic-time tait lie une petite colonne, et tue coups de (lches. Les xques recueillaient son sang dans des vases sacrs, et lui arrachaient le cur pour l'offrir au soleil.

    Ce peuple est encore clbre par l'usage des hiroglyphes, et par son calendrier lunaire , grav sur une pierre dont la dcouverte ne date que de la fin du seizime sicle. On sait, d'ailleurs, qu'il avait trois sortes d'an-ne, et, par consquent, trois calen-driers. La premire anne tait eccl-siastique, et se composait de 37 lunes la seconde tait civile, et se comp tait par 20 lunes ; la troisime, enfin tait l'anne rurale de 12 13 lune

    Chez les Muyscas. les lunaisons se

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    divisaient par semaines de trois jours. Aprs la dcouverte du nouveau

    monde, diverses nations de notre con-tinent se htrent d'y envoyer des colonies. Les Anglais et les Franais peuplrent les ctes; les Castillans s'avancrent jusqu'aux Andes, et os-rent mme en franchir la chane. Ils virent dans le Cundinamarca, sur le plateau de Bogota, et Quito, les tiares d'une antique civilisation, et ils traitrent avec ces peuples clairs, qui se soumirent eux , pour former un empire florissant. Les premiers, au contraire, n'avaient rencontr que des peuplades farouches, que des hor-des sauvages qui reculaient devant les nouveaux venus, et refusaient la civilisation qui leur tait offerte.

    Parmi les capitaines clbres que l'Espagne envoyai dans ses nouvelles possessions de l'Amrique, il faut ci-ter Qusada et Gonzals - Pizarre , frre du conqurant du Prou, gou-verneur de Quito, vers le milieu du seizime sicle. A dater de cette po-que, l'histoire de la Colombie se borne quelques actes d'une guerre int-rieure , o les succs sont varis entre les Espagnols d'un ct, les Portugais, les Anglais et les Indiens de l'autre. La fortune de l'Espagne l'emporta, et ses droits sur cette partie du nou-veau monde furent unanimement re-connus. Ce fut alors que s'tablit la division politique qui, peu de mo-difications prs, a subsist jusqu'en 1819.

    Les Espagnols appelrent terre ferme de l'orient les provinces situes entre la mer des Antilles au nord, l'Ornoque et l'Apure au sud ; ils y tablirent un gouverneur qui rsidait Caracas, et dont le titre tait celui de capitaine gnral de la province de Vnzuela. C'tait lui qui prsidait le grand con-seil appel real audienda ; sa juridic-tion tait illimite, et il n'tait res-ponsable de ses actions qu'envers le roi. C'tait, en effet, le propre d'un gouvernement sage, d'accorder la plus grande tendue de pouvoir un agent qui rsidait trop loin de la m-tropole pour en attendre des instruc-

    tions utiles selon les exigences du moment, et qui avait a gouverner une colonie mal soumise, en prsence de nombreux ennemis.

    A cette capitainerie gnrale tait jointe la Guyane espagnole.

    Le territoire compris entre l'Apure et X Amazone fut appel terre ferme de l'occident ou Nouvelle Grenade, et confie l'autorit d'un vice-roi dont la juridiction tait la mme que celle du capitaine gnral de Vnzula.

    Les provinces de Panama et de Da-rien, dsignes seulement sous le nom de terre ferme, taient comprises dans la vice-royaut de la Nouvelle Grenade.

    Le temps vint o l'Espagne, frap-pe par celui de qui dpendait alors la destine de tant de rois, reut, en frmissant , le nouveau matre qui lui tait impos. Les Colombiens, trop tiers pour se courber l'imitation de la mtropole, rsolurent alors de de-meurer fidles Ferdinand VII ; mais il ne faut pas perdre de vue que ce fut moins par attachement pour ce prince que par un sentiment d'or-gueil , par un instinct de libert.

    Le 19 avril 1810, une rvolution soudaine clate dans la ville de Ca-racas, o les insurgs tablissent une junte provisoire, charge spcialement de veiller la conservation des droits de Ferdinand VIL Peu aprs, l'in-surrection gagna les provinces voisi-nes enclaves dans l'ancienne capitai-nerie ; et ds lors, la junte de Caracas sentit son incomptence diriger la marche de l'insurrection ; elle se

    borna inviter les provinces lui envoyer des dputs. Cette proposition fut gnralement adopte, et le con-grs commena ses oprations.

    Les Vnzuliens prfrrent d'a-bord l'ancienne royaut la nouvelle; mais bientt ils jugrent plus conve-nable de se passer de l'une et de l'au-tre. A peine ces lgislateurs impro-viss eurent-ils essay du pouvoir, qu'ils prouvrent le besoin d'en per-ptuer l'exercice leur profit. Le 5 juillet 1811, le congrs dclare le V-nzula libre et indpendant, il le constitue rpublique. Cet acte mmo-

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    rable rompait jamais l'antique lien qui unissait la colonie la mtropole; mais , comme toutes les rvolutions, s'il lit surgir quelques hommes ta-lents, il dtruisit rapidement d'im-menses esprances, et dvora sans pi-ti plus d'une grande renomme.

    Trois hommes, parmi ceux qui chapprent l'obscurit , ont droit ici la premire mention : San - Iago Marino, Simon Bolivar, et Paz.

    Le premier, jeune tudiant, brave et intelligent, passera en peu de mois par tous les grades militaires, et de-viendra l'un des plus fermes soutiens de la rpublique.

    Le second est digne de nous arrter plus long-temps.

    Simon Bolivar, n Caracas le 24 juillet 1783, tait le plus jeune des fils de D. Juan-Vicente Bolivar y Ponte, colonel de la milice des plaines d'Ara-gua, homme riche et considr. En-voy de bonne heure en Espagne, pour y perfectionner son ducation, Simon ne tarda pas se rendre a Paris, o, pendant plusieurs annes, il mena une vie active et peut-tre dissipe. De l, il se rendit en Italie, et acquit dans ses voyages la connaissance des langues franaise et italienne, l'exp-rience du monde et l'usage de la bonne socit. En repassant par Madrid, il y pousa la fille du marquis del Toro, et augmenta par cette alliance sa for-tune dja considrable. De retour Caracas, il se retira dans une de ses terres, o il vcut pendant plusieurs annes paisiblement, et l'on pourrait mme dire obscurment, si ses ma-nires distingues, ses connaissances et son esprit ne lui eussent, ds cette poque, acquis une certaine renomme.

    Quelques biographes ont dit que Bo-livar, dans ses voyages sur le conti-nent de l'ancien monde, rvait dja l'indpendance de sa patrie; mais le gnral Ducoudray - Holstein fait ob-server avec raison que cette assertion ne repose sur aucun fondement. Il ne songeait alors qu' ses plaisirs, et, sans doute, son futur tablissement. La rvolution le surprit dans sa re-traite; il en accepta sans hsitation

    toutes les consquences, et se mon-tra digne de figurer sa tte, quoiqu'il n'en eut pas prvu l'explosion.

    Bolivar tait de petite taille, mais robuste et en tat de supporter les plus grandes fatigues. Ses yeux larges, noirs et vifs, annonaient une ame de' feu ; il avait le nez aquiiin et bien fait, le front haut comme les hommes de gnie, le visage long et le teint brun. Il joignait la bravoure qui fait m-priser le danger, la prudence qui sait le mesurer pour le mieux combattre. Port rapidement au premier grade militaire, il eut, comme Napolon, l'art de distinguer les capacits et de les mettre chacune sa place , et. comme lui encore, il eut le talent de ces mots heureux qui font oublier une grande infortune, ou qui paient, peu de frais, un service minent. Nous anticiperons sur la marche des vne-ments, pour raconter succinctement une anecdote qui achvera de faire connatre le hros de la Colombie.

    Aprs une victoire qui semblait d-cisive pour le sort de la rpublique, le gnral invite sa table les principaux chefs de l'arme libratrice; et, parmi eux, figurait un colonel anglais, plus riche en beaux faits d'armes qu'en es-pces sonnantes.- Comment donc, lui dit Bolivar en le voyant paratre, il me semble, mon brave et cher colonel, que vous avez sur vous du linge bien sale. Gnral, rpondit l'tranger d'un air confus et embarrass, je dois vous avouer que je n'ai pas d'autre chemise que celle que je porte sur moi. J'y pourvoirai, dit Bolivar. Puis se tournant vers son intendant: Allez, lui dit-il, chercher une che-mise dans ma garde-robe, et donnez-la au colonel. En recevant un pareil ordre, l'intendant manifesta une grande surprise; il ne bougeait pas, mais il voulait parler et ne pouvait que bal-butier quelques mots inintelligibles. Mais allez donc, reprit le gnral; plus tt vous serez de retour et plus tt nous nous mettrons table. Le fidle serviteur fit alors un grand effort sur lui-mme: Vous savez bien, gn-ral, que vous n'avez que deux che-

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    mises; l'une est en ce moment sur vos paules, et l'autre est chez la blan-chisseuse. Sur ce, l'assemble poussa de grands clats de rire.Vous voyez, colonel, dit Bolivar, que je ne suis pas plus riche que vous. Si les braves de votre trempe laissaient aux Espa-gnols le temps de respirer, nous au-rions celui d'attendre nos bagages.

    Aprs Bolivar et Marino, Paz fut un des gnraux les plus distingus de la rvolution vnzulienne.

    Paz tait fils d'un petit marchand de Valencia, dans le Vnzula. Il n'avait que dix-neuf ans lorsque son pre lui confia quelques centaines de dollars et un bon cheval, et l'envoya faire une tourne dans la province pour acheter diverses marchandises. En sortant de la ville, Paz est assailli par deux cavaliers qui font mine de le vouloir dvaliser ; mais le brave jeune homme montre un pistolet, le seul dont il se ft pourvu, dclarant aux bandits qu'il brlera la cervelle au premier qui aura l'audace de porter la main sur lui ; et peine cette me-nace tait-elle profre, que dja elle avait reu son excution. En voyant tomber son camarade, l'autre voleur

    sauva; mais Paz profita mal de sa victoire. Epouvant du meurtre qu'il venait de commettre, et n'osant plus reparatre dans son pays, il s'enfuit Caracas, o il entra au service d'un gentilhomme qui avait de grands biens dans cette province. Le jeune fugitif n' eut pas de peine gagner la confiance de son matre, qui en fit son inten-dant; il en remplissait les fonctions

    lorsque clata la rvolution. Paz en adopta les principes avec une ardeur

    qui appela sur lui l'attention publique, son intrpidit tait plus fougueuse, plus irrflchie , mais peut-tre plus brillante que celle des gnraux que

    venons de nommer. Dou d'une force prodigieuse, il maniait la lance avec une grande habilet : l'imitation de Murat et de Blcher , sa bravoure

    l'entranait souvent des combats sin-guliers a la manire antique. Il devint

    tavori de Bolivar, qui le poussa rapidement au grade de gnral ; alors

    Paz se mit la tte des lanciers des plaines d'Apure. Ces farouches Llane-ros, guids par un tel chef, devinrent la terreur des armes espagnoles.

    La guerre de l'indpendance eut une alternative de bons et de mauvais succs. Deux chefs espagnols, Boves et Morals, dfendaient avec enthou-siasme la cause de la royaut ; et d'a-bord ils obtinrent de grands avanta-ges. Les insurgs perdirent Puerto-Cabello, et furent contraints accepter, Victoria, une fcheuse capitulation. Ce dsastre amena momentanment la dissolution du congrs et l'anan-tissement de la rpublique de Vn-zula. L'anarchie la plus complte succda au calme phmre que les chefs de la rvolution avaient rv un instant. Peu de patriotes se prsen-taient pour recevoir des ordres, mais beaucoup aspiraient en donner. Tou-tefois , la fortune de Bolivar retrouva bientt son ascendant ; le 4 aot 1813, il fit une entre triomphale Caracas, et prit le titre de dictateur-librateur des provinces occidentales de Vn-zula ; son collgue Marino avait pris celui de dictateur des provinces orientales.

    Les royalistes ne tardrent pas reprendre une clatante revanche : Boves avait organis une division d'hommes de couleur, dont il excitait le courage par l'attrait du pillage. Cette bande furibonde mrita, moins par la couleur des hommes qui la composaient que par leur frocit, le surnom de Lgion infernale. Ce fut surtout l'aide de ce corps que Boves russit battre si complte-ment les deux dictateurs la Puerta, que la cause de l'indpendance se trouva plus gravement compromise qu'elle ne l'avait jamais t. Le vain-queur se prsenta aussitt devant Ca-racas , et y entra avec une telle pr-cipitation,' que Bolivar et Marino n'eurent que le temps de se jeter dans une frle barque, et de mettre le sa-lut de la rpublique la discrtion des lments. Cet vnement eut lieu le 17 juillet 1814.

    Nous venons de voir que le Vn-

  • 14 L'UNIVERS. zula avait commenc sa rvolution par la rvolte du mois d'avril 1810; la Nouvelle-Grenade n'avait pas tard suivre cet exemple, et, des le mois de juillet suivant, une junte provi-soire s'tait tablie Santa-E pi Bo-gota. L'un de ses premiers actes fut d'inviter les provinces envoyer des dputs pour prendre part aux dli-brations du nouveau gouvernement. Quelques-unes obtemprrent cette invitation, et concoururent ainsi la formation d'une assemble dlibrante, qui l'arrogea le pouvoir lgislat.f et excutif. Le 27 novembre 1811, le congrs publia un acte fdral et con-stitutif en soixante-huit articles; mais cet acte fut loin d'obtenir l'assenti-ment gnral, et les provinces envi-ronnantes, refusant mme de le rece-voir , lurent une nouvelle junte dite de Cundinamarca. En 1812, cette assemble publia son projet de constitu-tion , qui ne fut pas plus heureux que le prcdent. L'anarchie tait son com-ble, et le dsordre, toujours croissant, ne put tre arrt, mme par un troi-sime congrs, qui s'ouvrit Tunja le 10 septembre 1814. Les bons esprits taient las de cet tat de choses ; les turbulents commenaient galement se lasser, et tous sentaient la ncessit de se runir Vnzula, pour com-battre l'ennemi commun. Les chefs des deux tats, cdant l'expression de ce vu gnral, se mettent en communication. Bolivar et Marino, rentrs sur le territoire de la patrie, combattent pour Vnzula; Castillo, Cabal et Urdaneta agissent pour la Nouvelle-Grenade. Mais la dissension ne tarda pas clater entre les deux rpubliques, car elles avaient des moyens divers pour arriver au mme but : la Nouvelle-Grenade tait plus rserve, plus cauteleuse; elle discu-tait fort habilement, il est vrai, et s'entendait parfaitement la forma-tion des lois organiques, mais, sur les champs de bataille, elle le cdait Vnzula, dont l'ardeur et la bra-voure ne connaissaient d'autre argu-ment que celui de l'pe. Ainsi, les deux rpubliques naissantes, promp-

    tement divises, taient sur le point de faire, l'une contre l'autre, le pre-mier essai de leur libert, lorsque la mtropole leur envoya un redoutable adversaire dans le brave et fidle Mo-rillo.

    Ce gnral dbarque la tte de dix mille Espagnols, soldats d'lite; il renverse tout ce qui s'oppose lui, grossit sa troupe d'une foule de m-contents, et y incorpore les dbris des armes prdentes. Il entre eu vain queur Caracas et Carthagne, r force de nouveau Bolivar et Marino chercher leur salut dans une prompte fuite. Ces deux illustres proscrits, retirs Hati, trouvent encore une fois une gnreuse hospitalit auprs de Ptition. Le 3 mai 1816, Bolivar, que l'adversit ne peut abattre, repa-rat de nouveau sur le territoire de \ Vnzula, et prend le titre de chef suprme et capitaine-gnral des for-ces de Vnzula et de la Nouvelle Grenade. Les patriotes, reconnais-sants de tant d'efforts, cherchent faire oublier leur gnral les mal-heurs qui l'ont accabl; ils le reoi-vent avec les plus grands honneur! et lui donnent de brillantes ftes. Le gnral Arismandy, gouverneur de Margarita, lui offre un roseau sur-mont d'une tte d'or, emblme de l'autorit suprme dans un pays qui peut plover sous le vent de l'adver-sit, mais qui ne rompra pas. Et pendant la fortune trahira encore une fois les armes de Bolivar! Le 16 juil-let suivant, un lieutenant de Morillo lui fait prouver une dfaite si com-plte , que, pour la cinquime fois. le hros de la Colombie se voit con-traint se soustraire par la fuite la colre des vainqueurs. C'en tait fait de la rpublique, si son dfenseur n'et pas eu l'ame aussi forte que son pe : l'une et l'autre semblaient se retremper dans le malheur. Boli-var se montre de nouveau vers la fin de cette mme anne, et change en-core une fois son titre en celui de Librateur. Celui-l, enfin, lui Por tera bonheur ! Quelques succs ren-dent a son parti l'nergie qui com

  • COLUMBIEN. COLOMBIE KXUOMLS, 4

    Naturhche Brucken zu Icononzo

    Ponts naturels d'Icononzo

  • COLOMBIE. 15 mencait lui manquer. La persv-rance du gnral triomphe de tous les obstacles, mme des revers mili-taires. Morillo entrait-il vainqueur dans la capitale de Vnzula, Boli-var se montrait aussitt dans la Nou-velle-Orenade. Le gnral espagnol poussait-il ses soldats victorieux clans cette dernire province, le Colombien apparaissait au mme instant dans le Vnzula, et relevait le drapeau de la libert plus haut que jamais. C'-tait baucoup, dans une pareille situa-tion, que de gagner du temps, car la mre-patrie tait alors dchire par des factions qui ne lui permettaient pas de songer srieusement a recon-qurir les colonies. Enfin , en l'anne 1818, Bolivar put songer unir la politique la guerre; il convoque un congrs national Angostura, clans le dpartement de l'Ornoque , et en reoit le titre de prsident de la rpu-blique. Morillo veut enfin touffer l'Indre dans son repaire : il ordonne un de ses lieutenants de marcher sur la ville mme d'Angostura. Mais, de son ct, Bolivar envoie son lieu-tenant Marino au-devant des Espa-gnols. Les deux partis se rencontrent San-Digo ( 12 juin 1819); la ba-taille fut longue et opinitre, et la victoire se dcida enfin en faveur des indpendants. Morillo espre en vain venger l'affront fait aux armes espa-gnoles; Bolivar lui-mme se charge de le dsabuser. A la suite d'une ac-

    des plus vives, la valle de So-gamoso voit s'anantir la dernire arme de l'Espagne (7 aot 1819). Le Colombien marche aussitt sur Car-

    thagne, o il fait son entre triom-phale au milieu d'une population que la joie fait dlirer; et comme si ce n' tait pas assez d'un si mmorable

    avantage, les indpendants sont ja-mais dlivrs du redoutable Morillo. Le roi d'Espagne a rappel auprs de lui brave serviteur, dont la forte

    peut seule encore soutenir le trne chancelant.

    La Colombie commence respirer. Le congrs, assembl Angostura , sous la prsidence d'un intgre magis-

    trat, Antonio Za , dcrte la loi fon-damentale de l'union des deux tats (17 dcembre 1819). Dsormais la Nouvelle-Grenade et Vnzula for-meront la rpublique de Colombie. Peu aprs, un congrs gnral s'ouvre Rosario de Cucuta, et donne sa sanction la loi de l'union.

    Le 24 juin 1821, Bolivar cueille de nouveaux lauriers Carabobo, prs de Valencia ; et cette mmorable vic-toire lui rend toutes les villes qu'il avait prcdemment perdues. Le con-grs gnral veut alors lui dcerner les honneurs de l'ovation, mais le vainqueur s'y soustrait avec une mo-destie qui relve singulirement l'-clat de ses triomphes. 11 tente mme de refuser l'autorit de la prsidence, allguant pour excuse qu'un homme comme lui tait dangereux dans un gouvernement populaire, et qu'il d-sirait redevenir simple citoyen afin de rester libre, et pour que tous les Colombiens le fussent galement.

    L'n an s'tait peine coul que dja les tats-Unis reconnaissaient l'indpendance de la Colombie. En-hardis par ce puissant encouragement, les Colombiens marchrent de victoire en victoire, et, le 8 novembre 1823, la dernire garnison espagnole, celle de Puerto-Cabello, mit bas les armes.

    Ce n'tait pas assez que de rendre l'indpendance la Colombie, il fal-lait encore en assurer la dure en

    - aidant les colonies voisines se dli-vrer de la domination espagnole. Bo-livar, la tte de trois mille Colom-biens, vole dans le Haut-Prou ; mais nous ne le suivrons pas dans cette expdition, dont les dtails doivent se trouver ailleurs. Il sera reu avec acclamation par les Pruviens qui lui dcerneront le pouvoir suprme, et, dans l'effusion de leur reconnaissance, appelleront du nom de Bolivia leur nouvelle rpublique.

    L'anne 1824 fut signale par un vnement d'une grande porte : l'An-gleterre, qui avait vu d'un ail mcon-tent l'entre des Franais en Espagne, voulut prendre sa revanche, et fit sa-voir aux puissances continentales

  • 16 L'UNIVERS.

    Qu'elle reconnaissait l'indpendance e la Colombie. Depuis ce moment , les fluctuations de la politique rem-placrent, dans le sein de cette rpu-blique, les mouvements militaires, les hommes d'pe s clipsant peu peu devant les publicistes et les ora-teurs. Le parti qui ne voulait plus du librateur commenait se gros-sir; on se demandait si Bolivar n'tait pas un ambitieux qui voulait arriver au despotisme. Il y avait l , sans doute, exagration et ingratitude ; cependant il faudrait connatre bien peu le coeur humain pour ne pas croire que ce gnral ait pu, comme un au-tre, se laisser sduire par l'attrait du pouvoir, et que, voyant la libert de-venir, pour ses compatriotes, un instrument de discorde, il ait senti la ncessit de concentrer l'autorit dans ses mains et de garder en tutelle des enfants gars.

    Lorsqu'au mois de juin 1826 ce librateur rentra sur le territoire de la Colombie, il trouva que tous les lments de l'anarchie taient en ebul-lition, et que la rpublique se mourait, assassine par ses propres enfants. Alors il se dit que, pour sauver la libert, il fallait la suspendre et as-sumer le titre et l'autorit de dicta-teur. L'arme, qui lui tait dvoue, applaudit cette dtermination ; mais le reste de la nation ne montra pas le mme enthousiasme.

    Peu de mois aprs cet vnement, les plnipotentiaires de la Colombie, du Mexique, de Guatmala et du P-rou, s'assemblrent Panama, et con-clurent un trait d'amiti et conf-dration perptuelles en paix et en guerre.

    De son cot, Bolivar avait promis de convoquer un congrs national Ocana, l'effet de rviser la consti-tution ; mais, en ralit, il ne son-geait qu' faire sanctionner le pouvoir suprme dpos entre ses mains. Aussi les rpublicains tentrent-ils un effort dsespr pour se soustraire ce pro-jet de despotisme. Une nuit (26 sep-tembre 1828), le dictateur est veill par une pouvantable rumeur. Il ap-

    prend que les sentinelles de son PALAIS ont t gorges, et que lui-mme pas de temps perdre, s'il veut chap-per au fer des rvolts. Il ouvre alors une croise, et, demi-nu, il saute dans la rue et parvient gagner une caserne, o il convoque toutes LES troupes de la garnison. Il se met leur tte et marche contre les rebel-les, qu'il met promptement en fuite, plusieurs sont pris et excuts imm diatement. Santander, vice-prsident du congrs, souponn d'tre l'ami du complot, est jet dans une prison d'tat.

    Depuis ce moment, Bolivarpouvail songer rgner paisiblement, mai une guerre malheureuse, qu'il entre-prit contre les Pruviens, fut le pre-mier signal de ses revers. La dicta-ture de Bolivia lui chappa, et son autorit allait recevoir d'autres checs bien autrement sensibles.

    Paz, le brave Paz, son ancien lieutenant, son favori, appelle la Vnzuliens l'indpendance (1829 Une rvolution clate galement Quito, o Flors demande la liberl pour les provinces de l'quateur. Deux partis se forment sur les dbris de I constitution : celui des unitaires veut le maintien de l'union des trois rpubliques, et celui des fdraliste! qui demande leur sparation avec systme d'alliance. En vain Bolivar cherche se roidir contre cet orage; il est renvers dans la poussire, i vain aussi veut-il se plier aux vne-ments et en suivre le cours pou mieux en profiter; il se courbe pour ne plus se relever.

    Le congrs national s'tait assem-bl Bogota. Bolivar lui envoie i dmission, saisissant cette circon-stance pour rappeler ses services et se plaindre des calomnies dont il est devenu l'objet. Le congrs feint d'h-siter, puis il accepte, nomme pour son prsident Joachim Mosquera, et rappelle Santander, cet ennemi per sonnel du dictateur.

    C'en est fait du parti des unitaire L'ancienne rpublique colombienne enfant trois tats indpendants : le

  • COLOMBIE. 17

    Vnzuela, dont le sort est confi Paz, le capitaine des llaneros; la Nouvelle-Grenade, qui obit Mos-quera; et l'quateur, que le gnral Flors a appel l'indpendance.

    On le voit : dsormais Bolivar sera dplac partout, ou plutt il sera trop grand pour vivre sur ce champ mutil. Sa patrie n'est plus de ce monde. Les grandes ombres de Guillaume Tell, de Washington, de Poniatowski et de Napolon, viennent assister aux derniers moments du hros colom-bien.

    Humili dans sa gloire, froiss dans ses affections, plein de piti pour une ingrate patrie, Simon Boli-var succombe une maladie de lan-gueur le 17 dcembre 1830, San-Pdro, prs de Santa-Marta. Il tait g de quarante-sept ans.

    Nous continuerons dsigner, sous le nom de Colombie, la confdration des rpubliques de Vnzula, de la Nouvelle-Grenade et de l'Equateur. On y compte douze grands dparte-ments , savoir : le Cundinamarca, le Cauca, l'Isthme, le Magdalna, le Boyaca, Vnzula, le Zulia, l'Or-

    noque, le Maturin, l'Equateur, le Guayaquil et l'Assuay. Trente-sept provinces sont comprisses dans ces di-vers dpartements. Le nombre des villes s'lve quatre-vingt-quinze, celui des villages cent cinquante-quatre, celui des paroisses ou hameaux 2,186. La superficie totale du pays est d'environ 830,000 milles carrs de soixante au degr. La population ne s'lve qu' 2,600,000 habitants, dont 550,000 blancs et 2,050,000 hommes

    de couleur ; dans ce dernier chiffre sont compris 110,000 esclaves.

    Les Indiens des llanos n'ont reu encore qu'une demi-civilisation. Ils

    sont chrtiens, mais la religion n'a pas adouci leur frocit naturelle. Leurs occupations se bornent la garde de nombreux troupeaux, ou la chasse des chevaux sauvages et des

    btes fauves. Leur adresse manier lasso est vraiment remarquable. Le lasso est une corde d'environ trente Pieds de long, qui se bifurque son

    2E Livraison. (COLOMBIE.)

    extrmit, et s'adapte deux petites boules en fer. Lorsque le chasseur se trouve porte de sa proie, il fait tournoyer au-dessus de sa tte le lasso, ploy en forme de ganse, et le lance avec la roideur d'une fronde : les boules volent, s'entre-croisent et vont saisir,, dans sa fuite, la victime que le llanero a choisie. Quelquefois, courant cheval la poursuite d'un taureau sauvage, il le saisit par la queue, le soulve vigoureusement, le renverse, et met pied terre sans l-cher prise.

    Les habitants des llanos de l'Apur ont acquis une grande rputation de bravoure dans la guerre de l'indpen-dance, sous le commandement de Paz, le Murat de la Colombie. Ils combat-tent toujours cheval, avec des lan-ces d'une excessive longueur, et ce n'est pas leur unique trait de ressem-blance avec les Cosaques de la mer Noire. Leurs chevaux sont de petite taille, mais robustes, vifs et lgers la course; les llaneros les montent nu, et n'ont eux-mmes pour tout v-tement qu'un simple caleon.

    Quand il court, la lance en arrt, le llanero se couche horizontalement, la tte en avant, sur le dos de son cheval ; il se prcipite sur son ennemi avec la rapidit de la foudre, le frappe, et achve sa carrire sans paratre mme branl par ce choc violent.

    Les lanciers des plaines d'Apur taient devenus la terreur des soldats espagnols. Un fait historique servira faire connatre leur frocit et leur ignorance. L'un d'eux avait combattu un hussard du rgiment de, Ferdi-nand ; l'ayant terrass, il l'emmena captif pour le prsenter Paz : Et pourquoi, lui dit svrement ce gnral, as-tu transgress mes ordres? N'ai-je pas prescrit de tout tuer, et de ne faire aucun prisonnier? C'est vrai, gnral ! rpondit navement le llanero : aussi, je n'hsiterai jamais verser le sang d'un guerrier ; mais je n'ai pu me rsoudre tremper mes mains dans celui d'un capucin.

    Il parlait de bonne foi, ayant pris le hussard pour un capucin, cause

    2

  • 18 L'UNIVERS.

    de ses grandes moustaches. Paz rit beaucoup de cette simplicit , et fit grace au prisonnier, qui entra son service.

    On calcule que le nombre des In-diens indpendants, qui errent dans les forts et les montagnes, s'lve deux cent mille. Les gographes in-diquent sur leurs cartes les noms de ces peuplades indignes, dont chaque village forme, en quelque sorte, une nation qui diffre de ses voisins les plus rapprochs, par ses usages, et surtout par son langage. Aussi, nulle contre dans le monde n'offre-t-elle une plus grande varit de langues dans un espace donn.

    Une grande partie du pays, occupe par ces Amricains indignes, est en-core inconnue aux Europens, et ce n'est que par quelques traits gnraux que nous pouvons essayer de faire connatre la physionomie de la popu-lation indpendante de la Colombie. Nous continuerons donner ces peuples le nom d'Indiens, qu'ils re-urent des premiers navigateurs eu-ropens, l'poque o ceux-ci suppo-saient que l'Amrique confinait aux Indes orientales.

    Les nations les plus considrables sont, dans les provinces mridionales le la Colombie, celles qui appartien-

    nent la famille pruvienne, les Mor-nas, les Chunancas, les Papagua, etc. ; dans le bassin de l'Ornoque, les Guagivos, les Caribes ou Carabes, les Ottomaques; les Salivas dans les Missions; les Meypures, les Cahres dans les plaines de San-Juan; les Coahiros vers le golfe de Maracaybo ; les Cunacunas dans l'isthme de Pa-nama, etc. Les missionnaires ont eu peu de succs chez ces peuples, na-turellement enclins la paresse et l'ivrognerie : quelquefois ils sont par-venus , l'aide du tafia et des liqueurs fortes, former le noyau d'une tribu civilise; mais au premier jour de di-sette chacun de ces nophytes retour-nait ses forts et la vie sauvage.

    Les Indiens ont la peau cuivre, et ils la teignent en rouge avec le rocou ; il parait mme que c'est en cela que

    consistent toutes leurs ides de pu. deur. Une jeune fille n'oserait sortir de son carbet si elle n'avait la peau enduite de rocou ; mais, au moyen de cette opration, elle ne craint plus de se montrer dans un tat complet de nudit, car on ne peut donner le nom de vtement un petit tablier, peine large de trois pouces, qu'elle attache sur ses hanches. Les hommes vont galement dpourvus de toute espce de vtements. Ces sauvages sont gnralement imberbes ; ils por-tent les cheveux longs et pendants sur le cou, mais coups, sur le front, a la manire de nos enfants de chur. La polygamie chez eux est en usage : un Indien prend autant de femmes qu'il peut en nourrir. Les cousines appar-tiennent leurs cousins par droit de naissance, et ceux-ci les pousent dans l'ge le plus tendre. Le mariage se conclut sans autre formalit qu'une runion de parents et d'amis, o l'on chante, l'on boit et l'on danse pen-dant plusieurs jours ; l'inceste d'ailleurs est chose assez commune parmi eux.

    Leurs carbets consistent en quelques fourches surmontes d'un toit de paille, sous lequel ils suspendent leurs hamacs; et l, le suprme bonheur d'un Indien est de se balancer dou-cement et de fumer un cigare enve-lopp de l'corce odorante du couri-mari.

    Lorsqu'une femme indienne est ac-couche , son mari la remplace dans le hamac, o il demeure tendu pen-dant trois jours, se plaignant de grandes douleurs, et recevant les vi-sites de ses voisins, pendant que la pauvre femme continue vaquer aux soins du mnage. Le troisime jour, le prtendu malade fait ses relevante et va la chasse.

    Chez la plupart de ces sauvages, on trouve tablie la coutume barbare d'aplatir le crne aux enfants nou-veau-ns. L'anthropophagie n'est pas commune toutes ces peuplades, mais elle n'y est pas rare. Elle existe principalement chez les Guagivos qui errent le long du Mta jusqu' son confluent avec l'Ornoque. Cette

  • COLOMBIE. 19

    peuplade froce dsole les tablisse-ments colombiens, dont elle enlve les femmes, les enfants et les bes-tiaux. Les Carabes du continent am-ricain ne sont point anthropophages comme ceux des Antilles : cette na-tion fournit les hommes les plus ro-bustes et les plus grands du globe, si l'on en excepte les Patagons. Elle faisait autrefois avec les Europens le commerce des esclaves.

    De tous les usages qui caractrisent les peuplades que nous venons de nommer, il n'en est pas peut-tre de plus bizarre que celui qui distingue les Ottomaques, nation qui vit dans L'angle form par l'Apur et l'Or-noque, dans le liant de la province de San-Juan de los-llanos : les Otto-maques mangent de l'argile, et mme, pendant plusieurs mois de l'anne, ils n'ont pas d'autre nourriture.

    La religion de ces peuples est une sorte de dualisme; c'est le combat perptuel du bon et du mauvais prin-cipe. Ils ont des prtres, ou jongleurs, qui gardent les idoles. Sur les bords

    de l'Ornoque, ces idoles sont rem-places par le botuto, ou trompette sacre. Il est dfendu aux femmes, sous peine de mort, de voir le botuto. Ils ont une grande terreur du mau-vais principe, ou diable, qu'ils ap-

    pellent yrocan; c'est lui qu'ils at-tribuent les grandes temptes, que nous nommons, par corruption, ou-

    Nous ne parlerons ici ni des ngres, ni des multres de la Colombie : leur physionomie gnrale et leurs murs trouvent plus naturellement leur place dans les articles qui traitent de l'-frique. Les Mtis, produits du blanc et de l'Amricain, sont des tres g-nralement faibles. Il n'en est pas de mme des Zambi, ns du ngre et de l'Amricain. Le Zambo, d'un ujfim-noir cuivr, est robuste, mais froce, voleur, et peu susceptible de civilisation.

    Les descendants des colons euro-pens qui, les premiers, migrrent

    cette partie de l'Amrique, ont conserv les traditions de l'orgueil

    castillan, et ils y joignent l'indolence naturelle aux habitants des pays qua-toriaux. Les Colombiens sont spiri-tuels, braves, mais prsomptueux; ils ont une grande confiance dans la supriorit de leurs soldats sur les troupes europennes, et ils n'hsitent pas mettre Bolivar au-dessus de Napolon.

    L'ducation publique est fort d-fectueuse, et l'ducation particulire gnralement assez nglige.On compte quatre universits : Quito, Bogota, Caracas et Mrida.

    L'agriculture, si l'on en excepte quelques localits, et surtout les en-virons de Valencia, est dans un tat dplorable. Quant aux manufactures, elles y sont dans l'enfance.

    Depuis le triomphe de l'indpen dance, l'esclavage a t aboli, mais seulement pour ceux qui ont port les armes, ou qui peuvent payer 200 dollars (environ 1000 francs).

    Les hommes ont conserv le cos-tume espagnol, c'est--dire l'habit eu-ropen, couvert du manteau castillan, sur lequel ligure souvent une riche broderie. Les dames de la plaine ont modifi, assez maladroitement, l'l-gant costume des Andalouses par ce-lui des Anglaises; elles ne sont re-marquables que par leur petit chapeau de paille bords retrousss, semblable en tout un chapeau d'homme, mais orn de rubans et de fleurs. (Vov. la pl. 8, n 6.)

    Le costume des dames de la Cor-dillre est plus pittoresque; il a, du moins, quelque chose de local qui plat aux trangers : il consiste en une jupe de soie noire, o la taille est indique sur les hanches plutt qu'elle n'y est serre. La tte est recouverte d'une sorte de mantille triangulaire en drap bleu, qui redescend jusqu' la ceinture, et couvre les bras ordinai-rement nus. A l'imitation de l'usage espagnol, ce vtement cache la pres-que totalit du visage, et ne laisse voir que le nez et les yeux, moins qu'une heureuse maladresse, quelque-fois provoque par la coquetterie, ne la fasse s'entr'ouvrir plus que la

    2,

  • 20 L'UNIVERS.

    biensance ne le comporte. Sur cette mantille est pos un chapeau de feutre larges bords, semblable peu prs celui des paysannes de la Provence.

    Les Colombiens sont sujets de graves maladies. De bonne heure ils commencent se plaindre de douleurs rhumatismales; mais leurs vritables flaux sont la fivre jaune, la dyssen-terie, le vomissement noir, et surtout la lpre, el mal de la elefancia. La lpre passe, en ce pays, pour une ma-ladie incurable; aussi, peine un in-dividu en est-il atteint, qu'on l'ar-rache sa famille, quelque riche ou considrable qu'elle soit, pour le jeter dans un hospice spcial, appel L-proserie, et l, priv de toute com-munication avec l'extrieur, aban-donn la brutalit d'un impatient mercenaire , le malheureux se voit perdu sans ressource; le dsespoir s'empare de lui, son mal redouble, et il succombe victime de l'ignorance et des prjugs de son pays,

    Parmi les lproseries les plus re-nommes , c'est--dire parmi les bou-cheries les mieux approvisionnes, il faut compter celles de Carthagne.

    Il nous reste ajouter que, dans un grand nombre de localits de la Co-lombie, les individus de l'un et de l'autre sexe sont sujets la difformit connue sous le nom de goitre. Les trangers eux-mmes, aprs quelque temps de sjour, n'en demeurent pas exempts.

    Les murs espagnoles se retrouvent fidlement copies en tout ce qui con-cerne les pratiques extrieures de la religion. Le nombre des couvents de l'un et de l'autre sexe, les rgles un peu relches de ces tablissements, les allures mondaines des moines et des nones, leurs carts publics, tout y rappelle la mtropole. Le costume des ecclsiastiques consiste habituelle-ment en une robe noire, couverte du manteau espagnol, et en un chapeau larges bords, orn de cordons et de glands. (Voy. la pl. 8, n 1.)

    BOGOTA n'est pas la ville la plus peuple de la Colombie, mais elle en est la capitale, et, ce titre, elle

    mrite la premiere mention. Sa popu-lation est d'environ 35,000 aines. Les Espagnols la nommrent Santa-F: les Colombiens l'appellent Bogota, et les cartographes lui donnent le nom de Santa-F-di-Bogota, ou, encore, Santa-F-di-Colombia.

    Le climat y est excessivement plu-vieux; et les tremblements de terre y sont si frquents, qu'on en reconnat les traces sur tous les difices.

    On remarque la cathdrale, btie en 1814, quelques places publiques ornes de fontaines, le palais du s-nat , le muse d'histoire naturelle, et plusieurs couvents. Il y a un thtre, un htel des monnaies, une univer-sit, une cole de mdecine, une bi-bliothque, un observatoire, un jardin botanique et une acadmie.

    C'est dans les environs de Bogota, prs de Fusagusa, que se trouvent les deux ponts naturels d'Incononzo : ce sont de grands rochers tombs au-dessus du torrent de la Summa-Paz, de ma-nire se soutenir mutuellement. Le plus lev de ces ponts forme une arche d'environ 50 pieds de longueur, sur 40 de largeur. (Voy. la pl. 3. )

    Parmi les sables que charrient les eaux descendues de ta Cordillre, on trouve souvent des paillettes d'or, des pyrites ferrugineuses et des me-raudes. Quelques'esclaves, dresss ce travail, lavent ces sables pour en retirer les matires prcieuses; et on a remarqu que les ngres taient les plus habiles en ce genre d'occupation. Le Cundinamarca, dont Bogota est la principale ville, fournit les plus riches lavages d'or de la Colombie.

    C'est aussi dans ces mmes locali-ts, prs du village de Muzo, que se trouve une des plus riches mines d'meraudes connues : on les appelle tort meraudes du Prou; et c'est sous ce nom qu'on les expdie en

    Europe et mme dans l'Orient. A Mariquita, dans la mme pro-

    vince, on voit des mines d'or et d' ar-gent exploites par une compagnie de capitalistes anglais. Ces insulaires ont le monopole de l'exploitation des mines de la Colombie; mais, jusqu' pr-

  • COLUMBIEN COLOMBIE M 61 7

    Boa Constrictor Boa Constructor

  • COLOMBIE. 21

    sent, ils ont perdu leurs capitaux ce genre d'industrie. Il en a t de mme de leurs premires oprations commerciales avec ces nouvelles r-publiques. Les guerres civiles, le peu de confiance dans la stabilit des in-stitutions, et le dfaut de connais-sances locales, ont fait regretter am-rement aux Anglais la prcipitation de leurs premires spculations. Ainsi, on peut tirer de ce fait cette conclu-sion, que les chambres de commerce de nos grandes villes s'taient trop htes de reprocher au gouvernement franais la lenteur qu'il mettait ta-blir des relations officielles avec les nou-velles rpubliques de l'Amrique du sud. Sans doute cette lenteur pouvait tenir des considrations politiques susceptibles d'tre combattues sous d'autres rapports; mais il nous sera permis de dire que les rsultats ma-triels, les seuls, vrai dire, que se propose le commerce, ont justifi cette conduite, en prservant nos spcula-teurs des pertes normes que les An-glais ont prouves.

    Enfin, c'est encore dans le Cundi-namarca que l'on trouve l'usage sin-gulier , et on pourrait dire barbare, de voyager dos d'homme, comme ailleurs on voyage dos de mulet. Les malheureux cargueros qui ser-vent de monture des voyageurs peu philanthropes, sont, pour la plupart, Indiens ou Mtis. Vtus lgrement , et arms d'un long bton, ils voya-gent pendant plusieurs jours cons-cutifs, exposs l'inclmence de la temprature, travers un pays ro-cailleux et boulevers, portant sur leurs paules un fardeau qui s'lve huit arrobes ( environ J00 kilo-grammes ). Deux courroies qui leur ceignent les paules supportent une chaise sur laquelle le voyageur s'as-sied, arm d'un large parasol ; et quand il trouve que sa monture va trop lentement, ou n'a pas le pied assez sr, ni le trot assez doux, il ne craint pas de lui cingler un coup de cravache, ou de lui promener ses perons sur le flanc!!! (Vov. la pl. 8, n4.)

    Cet usage dplorable est d'autant plus difficile justifier, que le Cun-dinamarca fournit d'excellents mulets. Ces intelligents animaux ont le pied tellement sr, que le voyageur n'a rien de mieux faire, dans les pas-sages prilleux , que de s'en rapporter eux; il courrait mme de grands dangers si la vue des prcipices l'-pouvantait au point de vouloir con-trarier la volont de sa monture. Sur la route de Honda Bogota, les mau-vais pas exercent chaque instant la patience de l'homme et l'adresse des mulets. Tantt ces courageux animaux gravissent ou descendent de roides escaliers taills dans le roc ; tantt ils s'avancent avec prcaution sur le talus d'un rocher qui surplombe un affreux prcipice ; ils y ramassent prudemment leurs quatre pieds, et s'lancent sur la rive oppose, la grande satisfac-tion du cavalier, que la terreur a fait plir. (Voy. la pl. 6. )

    Nous ne quitterons pas la province de Bogota sans dire quelques mots des paysans du plateau. Ces Indiens, demi civiliss, n'ont, pour la plupart, d'autre vtement qu'une sorte de man-teau de drap qui leur couvre la tte, se serre autour du cou et descend jus-qu' l'orteil. Les deux sexes posent sin-ce vtement un petit chapeau de paille ou de feutre. Les hommes ont le menton garni d'une touffe de barbe assez semblable celle des boucs; leurs yeux, petits et brids comme ceux des Chinois, leur donnent un air de ressemblance avec ce dernier peu-ple. Ils sont assez bons cultivateurs, et moins indolents que leurs compa-triotes des basses rgions. (Voy. la pl. 8, n 3.)

    QUITO, capitale du dpartement de l'Equateur, et, aujourd'hui, de la r-publique de ce nom, est la ville la plus considrable de la Colombie, sa popu-lation s'levant au double de celle de Bogota. Quatre rues seulement y sont paves ; les autres sont tortueuses et obscures. Cependant on y remarque quelques beaux difices, ' des glises fort riches, des manufactures d'tof-fes, de coton, de lin et de flanelle,

  • 22 L'UNIVERS.

    une bibliothque publique, une cole normale et une universit renomme. L'glise des jsuites est d'une grande beaut : chacun des piliers qui en d-corent la faade est form d'un seul bloc de pierre blanche, et n'a pas moins de trente pieds de haut. L'ar-chitecte y a adopt l'ordre corinthien.

    Quito a acquis, en France, quel-que clbrit par le sjour qu'y ont fait, en 1736, les acadmiciens en-voys par l'Acadmie des sciences de Paris pour mesurer un degr du m-ridien. Ces intrpides gomtres le-vrent la croix qui devait leur servir de signal sur l'une descimes du Pichincha.

    Les environs de cette ville sont in-tressants par la prsence de plusieurs volcans, dont le moins lev surpasse l'Etna de prs de mille toises. A leur tte figure le formidable Cotopaxi, dont les flammes se pont lances quel-quefois la hauteur prodigieuse de trois mille pieds au-dessus du cratre. En 1748, ses dtonations portrent la terreur jusqu' Honda , c'est--dire une distance de deux cents lieues. Vingt annes aprs il vomit une telle quantit de cendres, que les habitants des villes voisines durent se pourvoir de lanternes pour circuler dans les rues jusqu' trois heures de l'aprs-midi.

    La cime majestueuse de l'Ilinissa est clbre , dans cette mme rgion, pour avoir t mesure, l'aide du baromtre, par Bouguer.

    Nous mentionnerons encore le vol-can d'Antisana, la plus leve de toutes les montagnes ignivomes du globe. Sur les flancs de ce volcan se trouve la mtairie dite d'Antisana: ce lieu habitable et habit est situ a environ douze mille pieds au-dessus du niveau de la mer.

    CARACAS est la capitale de la rpu-blique de Vnzula. Sa population est, dit-on , de quarante-cinq mille ames. Elle est btie dans une valle pittoresque , o quatre ruisseaux lim-pides viennent lui porter le tribut de leurs ondes ; mais les hommes et les l-ments se sont conjurs pour anantir les sources de sa proprite. Un affreux tremblement de terre la ruina en 1812;

    et les armes belligrantes se donn-rent dans ses murs plus d'un rendez-vous, dont elle conservera long-temps les traces dplorables.

    Le commerce de Caracas est assez considrable ; il se fait par le port de la Guayra, petite ville de quatre mille ames.

    CARTHAGNE , premire place forte de la Nouvelle-Grenade, est la station ordinaire de l'escadre colombienne. Les trois rpubliques peuvent armer quinze vingt btiments de guerre, dont deux vaisseaux et trois frgates.

    Le commerce de Carthagne est assez tendu, c'est l'entrept de Pa-nama. On y compte dix-huit mille habitants, dont la majeure partie se compose d'hommes de couleur, popu-lation paresseuse, et cependant vive et emporte. Les blancs, ou ceux qui en prennent la dnomination, sont plus calmes et non moins ennemis du travail. Les femmes de couleur Car-thagne sont gnralement grandes et bien faites ; les Indiennes elles-mmes ne manquent pas d'agrments.

    Carthagne, que ses rues troites et sombres, ses longues galeries, font ressembler un clotre, possde une fontaine dont l'eau est passablement bonne. Cette ville a beaucoup souffert pendant la guerre de l'indpendance C'est, d'ailleurs, un sjour malsain, o la fivre jaune exerce souvent d'affreux ravages ; mais, pendant les grandes chaleurs, les trangers et les principaux habitants se retirent Turbaco, village indien, loign seu-lement de quelques lieues.

    Turbaco est remarquable par ses volcans d'air. De sourdes dtonations, qui se succdent peu d'intervalles, donnent lieu une ruption d'air et quelquefois une jection boueuse qui se dgage d'une srie de petits cnes appels dans le pays volcan citos. ( Voy. la pl. 2. )

    La population de Panama, chef-lieu du dpartement de l'Isthme, s'lve dix mille ames. Cette ville recevait autrefois les mtaux prcieux que le Prou destinait l'Europe. Elle es' encore clbre par le projet de jonction

  • GUYANES. 23

    des deux Ocans, et par le congrs qui S'y tint en 1826. Le dpartement de l'Isthme est g-nralement malsain. On y voit sur-tout la petite ville de Portobello, sur-nomme le tombeau des Europens.

    Maracaybo est une jolie et impor-tante ville de 18 20 mille habitants, sur les bords du lac de ce nom.

    Aprs ces villes, nous signalerons Cuena, dont les environs possdent le redoutable paramo d'Assuay, ja-lonn par les cadavres des voyageurs que les temptes annuelles y font p-rir; Cumana, ville de guerre; Guaya-quil, remarquable par son chantier et son arsenal ; Popayan , flanqu par les grands volcans de Purac et de So-tara ; Tunja, ancienne capitale des Muyscas; Valencia, sur les bords pit-toresques et salubres du lac Tacarigua ou Valencia; Loxa, qu'entourent de vastes forts de quinquina (cascarilla de Loxa) ; Pasto, bti au centre d'une ceinture de volcans et de soufrieres ; Pamplona, Angostura, Quibdo et Mompox, qui ne sont pas moins dignes d'appeler l'attention du voyageur.

    Dans les vastes solitudes de l'As-suay, quelques milles de San-Jaen de Bracamoros, on trouve sur le ver-sant de la Cordillre, dans le paramo de Chulucanas, les ruines d'une an-cienne ville de ce nom, remarquable par l'alignement de ses rues et la beaut de ses difices.

    La Colombie, telle qu'elle existait sous la domination espagnole, con-sommait annuellement pour environ quinze millions de piastres ( de 5 tr. ) en marchandises trangres. L'htel des monnaies de Bogota donne an-nuellement un million cinq cent mille piastres; celui de Popayan un million. Les articles d'exportation consistent en mtaux, pierres prcieuses, cacao, sucre, caf, tabac, coton, cuirs, quinquina, bois de teinture, indigo, fourrures, etc.

    Malgr les savantes recherches des Humboldt, des Mollien, des Thomp-Son, des Rengger et des Longchamp, la statistique commerciale de ce pays est peu connue : on ne pourrait pr-

    senter ce sujet que des conjectures hasardes.

    Il est pnible, en terminant cette notice, d'avoir mettre l'opinion que la Colombie, dchire par une longue rvolution , nourrissant sur son sein une population compose des l-ments les plus htrognes, sera long-temps encore bouleverse par les flaux de la guerre et de la discorde. La civili-sation, les sciences et les lettres ne sauraient recevoir aucun dveloppe-ment sous l'empire des circonstances fcheuses qui psent encore sur ce beau et malheureux pays.

    GUYANES.

    La contre comprise sous ce nom est une vaste portion du continent amricain mridional. Ses limites na-turelles sont: l'est, l'Ocan atlanti-que; au nord et au sud, deux des plus grands fleuves du monde, l'Ornoque et l'Amazone; l'ouest, sa profon-deur est indtermine.

    En 1535, Digo de Ortaz entreprit, le premier, d'entrer dans les bouches de l'Ornoque. Son zle n'eut pas le sort qu'il mritait ; mais il ne renona son entreprise qu'aprs avoir perdu la majeure partie de ses vaisseaux et de ses compagnons. Ce dsastre ne le rebuta pas, et, dans un second voyage, il parvint remonter le fleuve jusqu' la rivire Mta.

    Vers cette mme poque, Qusada, gouverneur de la Nouvelle-Grenade, envoya Antoine Perreodans la Guyane. Cette expdition fut plus funeste en-core que les prcdentes. Les prcau-tions taient si mal prises, ou les dan-gers si formidables, que Perreo et ses gens y succombrent tous.

    Gonzals Pizarre, frre du fameux conqurant du Prou, sduit par les rcits merveilleux qu'on lui faisait de l'El-dorado, se mit en tte de conqu-rir cette contre fabuleuse ( nous en avons parl l'article Colombie). Il chargea de vivres et de provisions de toute nature un lger brigantin qui naviguait sur une rivire que nous croyons tre le Rio-Napo, et lui-mme

  • 24 L'UNIVERS. se mit en route par la Cordillre, suivi de 400 Espagnols et de 4000 Indiens. Le navire tant entr dans un fleuve qui le conduisit loin de l'expdition, le commandant rsolut d'abandonner Pizarre. Il se trouvait sur l'Amazone, qu'il descendit jusqu' son embou-chure, d'o il fit voile pour l'Espagne.

    Priv de cet important secours, Pizarre se trouva dans le dnment le plus complet : ses compagnons, acca-bls de lassitude, cdant l'excs des souffrances et des besoins, menac-rent de se rvolter. Force fut au chef de leur cder ; il opra sa retraite et retourna Quito.

    Peu de temps aprs cet vnement, Digo de Ortaz, revenu avec des let-tres de commandement octroves par Charles-Quint, fonda la ville de Saint-Thomas.

    Les Franais commencrent visi-ter la Guyane dans les premires an-nes qui suivirent la dcouverte de l'Amrique. Ils n'y taient pas attirs par l'espoir d'en retirer de riches m-taux, mais par celui d'y fonder des tablissements de commerce pour l'-change des marchandises; ils en ti-raient notamment des bois de tein-ture. En 1555, le chevalier de Villega-gnon, imbu des opinions de Calvin, conut le projet d'y tablir une colonie de protestants ; niais il lui fallut user de ruse pour obtenir de Henri II les secours dont il avait un besoin in-dispensable. Ce prince, croyant agir dans l'intrt d'une spculation com-merciale utile la France, accorda Villegagnon trois vaisseaux bien quips. L'aventureux calviniste se di-rigea vers le Brsil, o les Portugais le reurent hostilement, et le contrai-gnirent fuir dans la Guyane avec les dbris de son expdition.

    En 1624, une socit de marchands qui faisaient le commerce des bois de teinture, s'organisa Rouen, et en-voya dans la Guyane une colonie d'a-griculteurs qui s'tablit sur les bords du Sinnamary, o elle prospra mal. Mais il se forma bientt aprs une nouvelle socit, qui obtint des lettres patentes de Louis XIII, pour faire

    elle seule le commerce de la Guyane, depuis l'Ornoque jusqu' l'Amazone-elle prit le titre de Compagnie de l France quinoxiale.