Colloque AFBV -27 septembre 2016 Innovation Société ... · cf. Gérald Bronner « La démocratie...

Colloque AFBV -27 septembre 2016Innovation – Société – Sélection Végétale

Colloque de l'AFBV - 27 septembre 2016 -Brigitte Laquièze AAF

Entre science, expertise et société : de l’esquive à la parade, de la parade à la

riposte

Trois termes d’escrime pour raconter l’évolution constante mais aussi l’évolution récente et très rapide des rapports entre le monde scientifique et la société

Des questions préalables à tout débat


Désincarnation du discours : qui sont « l’opinion », « société », le monde scientifique ?

De quoi et de qui parle-t-on lorsqu’on parle de science ? De monde scientifique ? De communauté scientifique ? D’expertise ? D’opinion publique ?

Chasser les abstractions ne désignent ni un individu, ni un groupe ni une totalité

« La nature ne veut pas », « le monde dit que » « la société s’oppose à », « l’opinion est favorable à »….

Déresponsabilisation, flou et surf sur le « vague »


Le temps de l’autocritique et le temps de l’ « esquive »


Quand les savants parlait aux savants

Une science non exempte de reproches

Pas exempte de reproches quand elle recherche la notoriété, la célébrité, le profit, qu’elle est une course à la primauté de la découverte : cf. texte de Pasteur

Les indispensables controverses scientifiquesLa science a avancé par succession de débats – vifs et théoriquement non agressifs - au sein d’une communauté scientifique. Les controverses scientifiques ont permis de produire de la connaissance par la résolution des conflits sur la base de l’expérience et de l’argumentation. On pourrait dire aujourd’hui que la science s’est coconstruite de manière dialectique.

Une science qui se remettait en question mais en son sein


Discours de Pasteur pour l’inauguration de l’Institut le 14/11/1888

• « Cet enthousiasme que vous avez eu dès la première heure, gardez-le, mes chers collaborateurs, mais donnez-lui pour compagnon inséparable un sévère contrôle. N’avancez rien qui ne puisse être prouvé de façon simple et décisive.

• Ayez le culte de l’esprit critique. Réduit à lui seul, il n’est ni éveilleur d’idées, ni un stimulant de grandes choses. Sans lui, tout est caduc. Il a toujours le dernier mot. Ce que je vous demande là, et ce que vous demanderez à votre tour aux disciples que vous formerez, est ce qu’il y a de plus difficile à l’inventeur.

• Croire que l’on a trouvé un fait scientifique important, avoir la fièvre de l’annoncer, et se contraindre des journées, des semaines, parfois des années à se combattre soi-même, à s’efforcer de ruiner ses propres expériences, et ne proclamer sa découverte que lorsqu’on a épuisé toutes les hypothèses contraires, oui, c’est une tâche ardue.

• Mais quand, après tant d’efforts, on est enfin arrivé à la certitude, on éprouve une des plus grandes joies que puisse ressentir l’âme humaine, et la pensée que l’on contribuera à l’honneur de son pays rend cette joie plus profonde encore. »


Une production scientifique qui s’est profondément modifiée

• La production de science a beaucoup évolué dans ses pratiques, dans ses modes de fonctionnement, dans ses financements.

• Plus d’inventeur solitaire. Notion d’équipe, collaborations internationales, apports des innovations techniques permettant l’investigation, la modélisation

• Coûts importants, structuration, évaluation


Des modes opératoires qui s’éloignent de l’expérience du public

Bien loin des vieilles « sciences naturelles », de l’herbier et de la boite à insectes, produire la connaissance, même dans les sciences de la vie, s’éloigne aujourd’hui de l’expérience et s’appuie sur des modes opératoires complexes, sur la construction de modèles sophistiqués et sur les possibilités technologiques d’accès à l’objet qui sont inaccessibles au grand public


Chercher la vérité n’est pas la détenir

La vérité fait l’objet d’une recherche constante

• Elle peut évoluer dans le temps en fonction du niveau des connaissances et des moyens cognitifs, techniques et financiers dont on dispose à un moment donné

• La « connaissance scientifique » est toujours « hic et nunc »


Vérité et vérification

• « L’examen de différents aspects de cette recherche du vrai nous a conduits à en reconnaître simultanément la relativité et la sécuritéVérifier, dans cette perspective, a incontestablement le sens d’établir la solidité d’un énoncé provisoire concernant le réel, mais non de fixer, ne varietur, l’essence connaissable des choses et des faits. »

Pertinence du rapport entre « objectal » et « opératoire ». « Vérifier, c’est élucider le rapport entre objectal et opératoire »

• … « Il faut alors reconnaître que la catégorie fonctionnelle primitive et radicale de la connaissance est la corrélation toujours recherchée d’objets de pensée et de systèmes opératoires. On peut alors admettre sans scandale le caractère provisoire et progressif des vérités de la science » en embrassant malgré leurs différences les vérités mathématiques et les vérités de l’empirie.

• Gilles Gaston Granger « La vérification » (1991)


Quand l’opinion publique vient perturber le jeu,

Le temps de la « parade »


L’opinion publique ? Qu’est-ce ?

• Qu’est-ce que l’opinion publique ? L’expression d’une conviction homogène ?

• Un artefact ? Une représentation fabriquée qui peut se répandre comme une rumeur (cf. rumeur d’Orléans Edgar Morin), engendrant des croyances et des convictions

• Elle n’existe pas pour Bourdieu (1972, à propos des sondages), c’est une construction, une élaboration.

• Elle s’exprime pourtant grâce à une médiation : par un vote, par une manifestation, aujourd’hui par les médias et surtout par les réseaux sociaux. Il faut en tenir compte

• Lorsqu’on parle d’opinion publique comme d’une entité homogène, on ne sait pas « qui parle ».


L’opinion publique ? Qui est-ce?

Elle n’est pas « une » mais très divisée, parfois juste unie « contre »

A la fois :

- Société paradoxale de « sceptiques/crédules » qui se méfient de tout et croient n’importe quoicf. Gérald Bronner « La démocratie des crédules »

- Société qui n’est pas ignorante, (expertise citoyenne, beaucoup de diplômés ou de personnes expérimentées dans les citoyens). Cf. Bernadette Bensaude Vincent (1999 et 2003) plaidoyer en faveur de l’opinion contre les prétentions de la science et avec Latour, Callon, Lascoumes,

Barthe cf. « Agir dans un monde incertain », sociologie des sciences et des conflits.

- Appel à la coconstruction des savoirs entre scientifiques et « citoyens irremplaçables », porteurs de connaissances.


Quand la communauté scientifique s’adresse à « l’opinion »

• AFIS (Association française pour l’information scientifique)• FFAS (Fonds Français Alimentation Santé) • Interfaces avec les media (médiation, « traduction » entre scientifiques et média

qui cherchent à réduire la complexité)• Comités d’éthique (ex : Irstea/Ifsttar, ex: lancement d’une réflexion sur l’intégrité

scientifique mars 2016) – Chartes de déontologie des organismes de recherche… (cnrs, inra, inserm…)

• Déclarations solennelles concertées des Académies des Sciences, Technologies et Agriculture (sur PGM en 2013), Avis sur la mutagénèse (AAF et AT) (été 2016)

• Rapport de Pierre Corvol : 29 Juin 2016 : 16 propositions pour une éthique de la recherche.

• Etc.

• Groupes divers de rencontres avec les citoyens• Travail de fond avec les opposants (ex Inra Alsace)• Lanceurs d’alerte conséquents et informés


Le temps de la « riposte »


29 juin 2016, un petit pas pour les PGM, un grand pas pour les producteurs de science

29 juin2016 - La déclaration d’une centaine de prix Nobel : un coup médiatique ou une posture nouvelle ?

Mai 2016 - Tribune dans le Monde et délégation de scientifiques français (sept Nobel et une médaille Fields) à l’Elysée : défense « corporatiste ou position citoyenne » ?

20 Septembre 2016 : le syndrome des « Gaulois ». Tweets de

Mathilde Larrère et Laurence de Cock….

Twitter au secours de la rigueur historique … ?


Opinion et groupes de pression

• Lorsque le groupe de prix Nobel signataires du texte du 29 juin s’adresse directement en premier lieu à Green Peace, il ne s’adresse pas à l’ « opinion » mais à un puissant groupe de pression, d’influence, qui cherche à avoir prise sur l’opinion, à l’ONU, aux gouvernants du monde.

• Green Peace prétend avoir affaire à un groupe « vendu » (sauf quelques naïfs) aux lobbys de l’agrochimie.

• La menace des « Nobel », à peine voilée, dans la dernière phrase est puissante et très grave, c’est une mise en cause de la responsabilité de l’organisation.


L’expertise

• L’expertise se traduit par un discours (avis, rapport, conseil) fondée sur une analyse référencée (normes)

• Mais aujourd’hui prolifération et dévoiement de l’expertise, confondue avec l’opinion, l’expérience, avec le témoignage, voire le micro-trottoir…

Crédibilité du « vu à la télé », « dit à la radio », « lu sur le net »• Différence entre les experts, normatifs et prescriptifs qui

engagent leur responsabilité et ceux prédictifs, qui, comme les conseilleurs, ne sont pas les payeurs.

• Si toutes les personnes ont une valeur égale, tous les discours ne se valent pas, tous les avis n’ont pas le même poids.


Regards ambigus de la société sur la science et l’innovation

• Image positive mais inégale de la science dans la société en général

• Soutien fort pour la médecine pour les espoirs qu’elle suscite (succès de la FRM, des émissions de M.Cimès et M. Carrère d’Encausse) et public directement concerné

• Intérêt (curiosité : astronomie et espace, énergie, nouveautés dans les technologies information)

• Crainte (alimentation, environnement)

• Critique (lien avec l’industrie)

• Rejet (PGM, génie génétique)

• Attaque violente (IAA, OGM)


Représentativité des détracteurs

• Malgré cette image plutôt positive de la science dans la société en général, elle rencontre une opposition forte de parties de « l’opinion publique ».

• Quelle réelle représentativité de ces groupes, de leur pouvoir, de leur puissance ? L’activisme n’est pas toujours le reflet de la représentativité

• Construction et manipulation de l’opinion : sondages, interviews.


Quid des réseaux sociaux ?

- Un merveilleux outil de diffusion ? De libre circulation de l’information, de communication, à investir pour diffuser des messages scientifiques

- Un lieu d’expression libre, un style de rapport et de communication fondé sur l’assertivité sans risque psychologique du contact direct avec autrui

- Un lieu de défoulement, de dénigrement, de suspicion, de violence et de haine, compensation des frustrations avec peu de régulation effective

Entre liberté d’expression et diffusion anarchique d’informations fantaisistes ou malveillantes … Comment légiférer ? Et comment se servir de ces moyens de manière positive.

Scientifiques un peu démunis face aux contre-vérités, au dénigrement, voire à la calomnie (cf. Beaumarchais)

Complotisme : théories du complot et conspirationnisme : vision de l’Histoire comme produite par un groupe occulte cherchant à s’emparer du pouvoir absolu. Toute « réfutation » est impossible car elle est immédiatement intégrée au « complot »

Comment légiférer ?


Le web, les réseaux et la rumeur…

Entre liberté d’expression et diffusion anarchique d’informations fantaisistes ou malveillantes … Comment légiférer ? Et comment se servir de ces moyens de manière positive.Scientifiques un peu démunis face aux contre-vérités, au dénigrement, voire à la calomnie (cf. Beaumarchais – Le barbier de Séville – texte sur la calomnie)

Bazile « … susciter une méchante affaire, à la bonne heure ! Et pendant qu’elle fermente, calomnier à dire d’experts. Oui ! ….Bazile : « La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens d’en être accablés. Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien.Cf. texte intégral de Beaumarchais : Le Barbier de Séville

Complotisme : théories du complot et conspirationnisme : vision de l’Histoire comme produite par un groupe occulte cherchant à s’emparer du pouvoir absolu. Toute « réfutation » est impossible car elle est immédiatement intégrée au « complot »Comment légiférer ?


Quid du monde scientifique ?

• Il n’est pas « un », ni dans ses disciplines, ni dans ses opinions.

• Il n’est pas toujours savant (en quoi le prix Nobel de physique est-il habilité à parler de biologie et de génétique ?

• Il n’est pas toujours impartial, il est engagé (cf. nombre de scientifiques favorables à la destruction des essais OGM)


Les clivages ne sont pas où on croit

• Le monde scientifique n’a pas l’opinion comme ennemi et inversement

• Par contre la recherche de la vérité sur la bases de preuves, d’expérimentations rigoureuses, de raisonnements valides a pour ennemi le parti-pris, le préjugé, la manipulation, les prises de position liées à l’intérêt etc…


Co-produire du consensus

• On ne peut pas, au sens strict, coproduire de la science. Cela suppose des connaissances, des techniques, des moyens du temps de travail qui ne peuvent être partagés

• Mais on peut partager un part du débat sur les objectifs, une part de l’évaluation , l’information la plus large si elle est reçue avec sérénité et honnêteté.

• Une contribution active des citoyens concernés : experts, malades, agriculteurs, parents d’élèves, utilisateurs de services publics, consommateurs etc. … peut être très utile et doit donc être prise en compte mais il ne faut pas tout confondre

• Il faut du temps, de la pédagogie et du débat, de l’écoute respectueuse et beaucoup de « bonne volonté » aussi.

Pour produire ensemble un monde meilleur…


Un parallèle entre les questions de science et celles de démocratie

• Tension et conflits politiques, économiques, visions divergentes de la société, de l’avenir de l’humanité et de celui de la planète.

• De nombreux jeunes sont plus obsédés par la survie de l’humanité et l’avenir de la planète que par le profit mais ignorent tout des contraintes et des échéances.

• Nous sommes tous des « irremplaçables » comme le dit la philosophe Cynthia Fleury. Multiplicité de mouvements sociaux, associations, nouveaux acteurs économiques, nouvelles formes d’organisation.

• Société en transition ou simples mouvements alternatifs ?

• Retrouver les liens entre individus et collectif


Des vertus du doute à la restauration de la confiance

• La question très générale qui se pose aujourd’hui , en science comme en politique, est celle de la production d’un discours vrai, d’un discours fiable, d’un discours sincère, d’un discours désintéressé, d’un discours modeste pour soi-même et ambitieux pour ceux auquel il est destiné.

• L’honneur de celui qui y répond ou s’oppose à ce discours, c’est de le faire au nom de la raison, de la justice, de la vérité, pour co-construire, coproduire cette dernière et non pour l’imposer.

Il ne s’agit pas de restaurer le dieu des « vérités absolues, Mersavka » dont Romain Gary avait appris, enfant, à se méfier et qu’il s’était promis de combattre. Il s’agit de restaurer la confiance.* La promesse de l’aube


Pour finir…et continuer

• L’autorité de la science doit être sainement débattue, voire contestée. Mais il y a des lieux, des temps, des compétences pour tout. Si la recherche ne peut revendiquer une liberté sans contrôle, elle ne peut non plus consacrer tout son temps et ses efforts à légitimer son action, à se justifier, à rendre compte.

• Restent, pour la démocratie, deux questions incontournables : celle de la prise de décision et celle de la responsabilité des décideurs

• Que ces décisions soient éclairées par une recherche la plus poussée possible, la plus indépendante, la plus autonome possible, la plus responsable est un vœu auquel il est souhaitable que tous souscrivent


Une promesse de l’aube, pour ce qui reste de l’histoire humaine

• « J’ai grandi dans l’attente du jour où je pourrais tendre enfin ma main vers le voile qui obscurcissait l’univers et découvrir soudain un visage de sagesse et de pitié ; j’ai voulu disputer, aux dieux absurdes et ivres de leur puissance, la possession du monde, et rendre la terre à ceux qui l’habitent de leur courage et de leur amour. »*

• La promesse de l’aube – Romain Gary


Merci de votre attention


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