Clinique Psy en Institution Zenoni-

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Question préliminaire : quelle orientation psychanalytique ? Les termes dans lesquels une question est formulée impliquent déjà par eux-mêmes le choix d’une orientation préalable dans le champ même où la question est posée * . Poser, par exemple, la question de l’âge auquel un enfant accéderait au complexe d’Oedipe présuppose une conception de la clinique, liée à la fois à une conception de la causalité de la pathologie humaine et de l’action psychanalytique, qui est tout à fait différente de celle que présuppose la question de savoir quelle place un enfant peut venir occuper, en tant que produit de la rencontre sexuelle entre deux sujets, dans le désir de l’Autre. De même, la formulation des questions qui encadrent une pratique institutionnelle renvoie à des présupposés qui nouent à une même orienta- tion à la fois une conception de la clinique, une conception du transfert et une position analytique. Ainsi, la question qui préside le plus souvent à l’exposé d’une pratique institutionnelle : “peut-on exercer, ou comment exercer, la psychanalyse dans un hôpital, un centre de santé mentale, une communauté ?” comporte par sa formulation même une orientation de cette pratique dont les préalables, inaperçus, ne commandent pas moins sa différence par rapport à l’orientation que suppose une tout autre manière d’introduire le problème : “quelles structures cliniques, quelles positions subjectives, quelles demandes rencontre-t-on dans un centre de santé mentale, un hôpital, une communauté ?” La première formulation met d’emblée l’accent sur le “faire” des opérateurs et témoigne d’une préoccupation identificatoire. Comment et jusqu’à quel point est-il possible d’appliquer ou d’adapter une méthode et un savoir à un autre contexte que le contexte classique du “privé” ? Que ALFREDO ZENONI Clinique psychanalytique en institution

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  • Question prliminaire : quelle orientation psychanalytique ?

    Les termes dans lesquels une question est formule impliquent djpar eux-mmes le choix dune orientation pralable dans le champ mmeo la question est pose * . Poser, par exemple, la question de lge auquelun enfant accderait au complexe dOedipe prsuppose une conception dela clinique, lie la fois une conception de la causalit de la pathologiehumaine et de laction psychanalytique, qui est tout fait diffrente decelle que prsuppose la question de savoir quelle place un enfant peutvenir occuper, en tant que produit de la rencontre sexuelle entre deuxsujets, dans le dsir de lAutre.

    De mme, la formulation des questions qui encadrent une pratiqueinstitutionnelle renvoie des prsupposs qui nouent une mme orienta-tion la fois une conception de la clinique, une conception du transfert etune position analytique. Ainsi, la question qui prside le plus souvent lexpos dune pratique institutionnelle : peut-on exercer, ou commentexercer, la psychanalyse dans un hpital, un centre de sant mentale, unecommunaut ? comporte par sa formulation mme une orientation decette pratique dont les pralables, inaperus, ne commandent pas moins sadiffrence par rapport lorientation que suppose une tout autre maniredintroduire le problme : quelles structures cliniques, quelles positionssubjectives, quelles demandes rencontre-t-on dans un centre de sant mentale,un hpital, une communaut ?

    La premire formulation met demble laccent sur le faire desoprateurs et tmoigne dune proccupation identificatoire. Comment etjusqu quel point est-il possible dappliquer ou dadapter une mthode etun savoir un autre contexte que le contexte classique du priv ? Que

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    pouvons-nous faire pour toutes ces personnes ? Autrement dit, sommes-nousen institution ce que dautres sont, ou ce que nous-mmes sommes, horsinstitution ? Questionnement sur lidentit propre qui est lorigine duprojet, du souci dtre utile, du dveloppement de la gamme des techni-ques, distribues selon les diplmes et les formations, qui laisse pure-ment et simplement dans lombre la question clinique. Ce que confirmedailleurs le simple fait que toutes les conceptions qui sauto-dfinissentpar un terme compos avec thrapie thrapie familiale, behaviour-thrapie,Gestalt-thrapie, etc. ne comportent strictement pas de chapitre clini-que, cest--dire ne fournissent pas les concepts permettant de dire cequest une paranoa, une nvrose obessionnelle, une mlancolie, etc.

    Laccent mis sur loriginalit de la mthode, sur le projet, sur letravail des oprateurs, senracine dans une rfrence lidal do lon sevoit tre, qui aveugle compltement sur la dimension pralable de laclinique. Tout se passe alors comme sil allait de soi que nous ne rencon-trions quune sorte de sujet psychiatrique moyen ou gnralis, ni psycho-tique, ni nvros, ni pervers, sorte dinvalide des degrs divers, quoibon sinterroger en effet sur la structure clinique dun sujet si ce quimimporte est le niveau de ma place dans la hirarchie des comptences auquel il sagirait dappliquer indistinctement la mthode ou les techni-ques que linstitution dtient. Lorsque la proccupation premire est ceque je peux faire, la dimension des diffrences structurales entre posi-tions subjectives tend rester dans limplicite, comme si sa simple voca-tion, en venant rappeller le point de difficult, voire dimpossibilit, quela clinique comporte, menaait dj ltre suppos dont se supporte le fairede loprateur. Il est dailleurs courant de constater que l o laccent estmis sur le potentiel thrapeutique dun soignant ou dune quipe soignante,cest en gnral la mfiance ou lirritation qui accueillent la question dudiagnostic, sous couvert dun souci thrapeutique (ce qui importe est ceque nous pouvons faire pour lui et non ce quil est ...) qui recle en faitle souci pour sa propre identit de thrapeute.

    En oprant donc comme si le mme mode de rponse au transferttait pertinent dans toute conjoncture clinique, la diffrence se rdui-sant ventuellement une diffrence de niveau dans le contenu desinterprtations adresses au sujet -, cest en fait une clinique du conti-nuum volutif quon se rfre. Derrire lapparente indiffrence pour laquestion du diagnostic ou derrire la mfiance pour le symptme, cest uneclinique bien prcise, quoique implicite, quon suppose : une clinique dela rgression sur lchelle volutive qui met en continuit les diffrentesformes cliniques comme autant de manifestations, plus ou moins graves,de la perturbation dune mme structure globale de la personnalit. Enconcevant les types cliniques sur le mode de leur succession, une tellepespective finit, peu ou prou, par les homogniser et par en faire desdegrs dune mme pathologie :

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    Psychose Perversion Nvrose

    >

    Cest pourquoi cette clinique sous-jacente nest pas incompatible,et est mme tout fait identique une clinique de la coexistence chez lemme sujet de diffrents noyaux diagnostiques, voire du passage dunniveau diagnostique un autre.

    Or, si cest une telle clinique que lidal thrapeutique tend commede lui-mme scrter, cest parce que, dune part, il repose sur uneconception du transfert comme rptition du pass infantile plus oumoins archaque selon la gravit des dficits actuels et que, dautrepart, cette mme conception du transfert suppose lextriorit de linter-prte de lanalyste, du thrapeute au transfert. Do il en drive uneconception de laction qui se rduit une rponse du savoir notammentcomme interprtation du transfert lui-mme , excluant donc du champ lerapport actuel du dsir du sujet au dsir de lAutre. Conception qui repro-duit au sein du champ analytique le schma de laction mdicale :

    Patient Thrapeute

    Clinique du continuum volutif

    transfert commemise en acte dupass

    identification ausujet-suppos-savoir

    On voit ainsi que la dvaluation ou loubli initial de la clinique auprofit de lidal thrapeutique est en fait solidaire dune orientation analy-tique qui noue dans une dtermination rciproque, une thorie bien prcise

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    de la causalit des phnomnes cliniques, une conception du transfert etune dfinition de lacte qui y rpond :

    nversment, loption, implicite ou explicite, pour ce triangle analyti-que dtermine une configuration de la pratique institutionnelle qui met aucentre de gravit son idal, son potentiel, son projet, au dtriment de laclinique du sujet.

    Une rotation de 180 se produit dans lorientation de la pratiquelorsquelle prend son dpart non dans la proccupation identificatoire(qui sommes nous ?) mais dans la proccupation clinique (qui sont-ils?). Dj, le simple fait de dcrire les diverses formes cliniques, modalitsde la demande et histoires subjectives souvent objet de nombreusesactions thrapeutiques antrieures, dailleurs rend tout fait impratica-ble lexpos gnrique de la mthode, du projet, de la finalit de linstitu-tion aux conditions de laquelle nimporte quel sujet aurait souscrirepour bnficier de ses effets -, tellement grandes sont les diffrences entreles projets de chaque sujet, et notamment entre un sujet dont le rapport lAutre est foncirement perscutif et un sujet dont ltre par ou pourlAutre est, au contraire, lenjeu essentiel de son existence.

    Au lieu de se reporter sur les paliers dune seule ligne volutive, lesdiffrents types cliniques se distinguent ici entre eux comme trois lignesvolutives qui divergent entre elles, partir de ce quon pourrait appelerun manque dunit initial : .

    Psychose

    Perversion Nvrose

    A

    Aussi, lorsque la difficult objective que pose, et oppose, toutebonne volont de lAutre, la dimension de ce que Freud dsigne du termede pulsion de mort, agissante dune manire parfois ravageante danslexistence des sujets qui frquentent ou qui sjournent dans les institu-

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    tions, lorsque cette difficult est prise en compte dabord, cest moins lediscours sur notre travail, notre mthode, notre projet qui a de limpor-tance que la question de lenjeu de jouissance du sujet, au-del de toutevise de bien-tre, qui aimante sa relation lAutre suppos pouvoirgurir.

    Cette modification du point de dpart non seulement rend doncdsormais intenable un discours sur la pratique institutionnelle qui setiendrait dans la gnralit, et ferait abstraction des diffrences cliniques,mais, en dplaant laccent de lidal de linstitution au rel en jeu pourchaque position subjective, modifie aussi ou, disons plutt, saccompagnedune modification au niveau de lapprhension du transfert et de laposition analytique qui y rpond.

    Une clinique diffrentielle structurale qui ne met pas en continuitchronologique les types cliniques mais les distingue par leurs diffrencessynchroniques selon les trois modes diffrents de se rapporter au dsirde lAutre implique, en effet, une thorie du transfert qui rinclut lerapport actuel du dsir du sujet au dsir de lAutre, et donc une tout autrethorie du transfert que celle qui en fait essentiellement un anachronismeaffectif on aime toujours une figure du pass sous la figure de lamourprsent. La considration des diffrences synchroniques entre structurescliniques est, au contraire, corrlative dune conception du transfert commeactualit du rapport lAutre : quil sagisse de la mre, du mdecin, delducateur ou de la psychologue, la tromperie de lamour nest pas celledune erreur sur la personne, mais celle de lamour en lui-mme, celle,pour le dire ici rapidement, par o le rapport actuel au dsir de lAutre,cest--dire aussi le transfert, tend sexercer dans le sens de ltre que lesujet croit y obtenir plutt que dans le sens du dvoilement de son manque.

    Du mme coup, ce qui devient crucial pour la rponse au transfertnest plus le type de savoir destin dissiper lerreur du sujet, mais ledsir, et la nature de ce dsir, de celui qui y rpond, maintenant. Car lestatut de ce dsir de lAutre nest pas le mme dans la nvrose et dans lapsychose, tout comme nest pas le mme le statut de lobjet perdu. Do,donc, limportance du moment clinique, en tant que prliminaire larponse institutionnelle au transfert, puisque ce nest pas la mme rponse,la mme position dans le transfert, quexige chacune des structures. Et onne sait que trop bien la difficult du diagnostic diffrentiel dans certainscas si, pour citer Lacan dans le sminaire sur Les psychoses, il ny a rienqui ressemble le plus une symptomatologie nvrotique quune sympto-matologie pr-psychotique.

    On peroit donc ici aussi le rapport circulaire qui existe entre le choixdune orientation analytique et le point de dpart du discours institution-

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    nel. Si le point de dpart de la pratique est pris dans le rel de la clinique,ce nest pas en raison dun vain got de thoricien, cest en fonction detoute une orientation analytique quil est pris. Avec le choix initial pourlimportance de la clinique il ne sagit pas seulement dune question degot, il sagit dj du choix dune clinique plutt que dune autre et, avecelle, dune conception du transfert et dune dfinition de lacte. Par com-paraison avec lorientation qui sexprime dans la proccupation pour liden-tit thrapeutique, reprsentons aussi lorientation qui soustend le dpla-cement daccent du projet thrapeutique de lAutre la structure cliniquedu sujet, avec le petit graphe de tout lheure, mais en y modifiant lestermes chacun des sommets :

    M

    M M>

    clinique des dif frences synchroniques

    non identification ausujet-suppos-savoir

    transfert en tant quemise en acte del'insconscient

    Jajouterai, sans le dvelopper maintenant, que la racine de ladiffrence entre les deux triangles rside dans la distinction entre ledsir dtre analyste et ce que Lacan dsigne comme dsir de lanalyste,en tant que fonction de la rponse au transfert.

    Je tenterai maintenant de dvelopper quelques consquences deloption pour cette deuxime orientation. Il a d sans doute dj vousparatre clair que la premire consquence ne consistera en rien dautrequ mettre la place dun discours sur une pratique institutionnelle engnral un discours diffrentiel selon les structures cliniques. Ne pouvantparler de tout la fois, je parlerai ici dune pratique institutionnelle avecdes sujets nvross adultes.

    La nvrose dans le champ psychiatrique

    Par rapport au schma psychothrapeutique, une modification radi-cale sintroduit dans le champ de sa pratique lorsque ce simple dplace-

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    ment daccent du projet thrapeutique de lAutre au projet, quel quilsoit, du sujet est mis en acte dans le fonctionnement de linstitution.Lorsque la question nest plus celle de savoir ce que nous faisons ici,comment nous travaillons, quel est notre objectif, mais ce que le sujet veutfaire, compte faire ou ne pas faire, quest-ce qui fait quil vient ici pluttque daller ailleurs, etc, dj toute la dimension du faire, du projet, delidal se dplace du champ de lAutre au champ du sujet. Et, du mmecoup, cest maintenant une question qui va surgir lendroit de la mthode,des objectifs, du projet, cest--dire de la demande, de cet ensemble degens, qui laissent parler le sujet plutt que de parler de ce quils vont fairepour lui. Les deux phnomnes sont corrlatifs.

    Si cest au sujet de dire son projet tre soign (1), sans doute,mais aussi parler quelquun, ne pas tre seul, avoir une occupation, avoirun logement, tre empch de boire, apprendre grer son argent, etc. , linstitution o il va trouver toutes ces choses assistance, occupations,hbergement, vie collective, mdication, etc. se trouve du mme coupdporte du ct de linstrument, de lobjet dont le sujet va se servir, sansquelle ait une finalit, un projet, une demande elle, plutt que du ctdun Autre qui se sert de ses instruments pour modifier le sujet. Linstitu-tion nonce, bien sr, quelques rgles du jeu, ou quelques interdits respecter, mais ceux-ci nont rien voir avec des demandes quelle formu-lerait lendroit du sujet en vue datteindre la modification des traits decomportement dont il se plaint telle lobligation de participer desgroupes pour soigner sa timidit, par exemple. Linstitution simplementprend acte, adopte le projet du sujet. Mais lendroit de ce quelle veut,de son projet elle, de son idal, rien nest formul, il reste un blanc, placedonc dune question pour le sujet. Au centre de lensemble des personnes,des activits, des rponses aux demandes transitives du sujet, la placede lidal institutionnel, il y a un x.

    Le schma psychothrapeutique inverse cette configuration initiale.Dun ct nous avons le sujet qui vient avec ses problmes, qui pose saquestion lAutre et qui le fait travailler : il ne comprend pas, il ne peutpas, et cest lAutre de dire ce quil sait et ce quil peut faire pour lui.De lautre ct, nous avons lensemble institutionnel avec un projet detravail, un ensemble de techniques et un savoir en attente dtre appliqus son cas. Lx est du ct du sujet; lidal lobjectif, la finalit, la raisondtre est du ct de linstitution. Le sujet frquentera le centre ousjournera dans linstitution en vue de sinscrire dans le programme dac-tivits et de pratiques qui sont destines amliorer son tat et, la limite, le gurir. Un contrat est tabli qui accorde la demande du sujet avec lademande de lAutre. Il demande tre soign ? La condition pour quilsjourne ou frquente le centre est quil accepte de se laisser soigner, quilsuive donc le programme que linstitution a mis en place pour raliser sa

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    raison dtre. Au coeur de tout le dispositif il y aura la contre-demande delAutre.

    La frquentation ou le sjour se trouvent ainsi justifis par un but,une raison, un objectif qui ne sont autres que ceux de linstitution, commeil devient sensible lorsque au sujet qui ny met pas assez de conviction etqui nest l, en somme, que pour les avantages quil peut en retirer, il estdit sur un ton de menace : ce nest pas un htel ici, ce nest pas un clubici , qui sous-entend que loprateur nest pas l pour faire du gardien-nage ou de lanimation, mais de la thrapie...

    Or, ce que le schma psychothrapeutique empche de reconnatreest le fait que cette inertie du sujet est prcisment la consquence dumaintien du schma lui-mme. Le sujet vient avec sa question, ses probl-mes, ses difficults et lAutre lui rpond en se proposant comme dtenteurde la mthode, du programme, et du savoir qui sont supposs les rsoudre.Moyennant quoi rien ne change dans la position qui a toujours t celle dusujet dans son rapport lAutre; celle dune identification au manque ce qui manque au savoir, ce qui manque la satisfaction qui estdfense dun dsir la hauteur duquel aucune satisfaction, aucun savoir nepeuvent prtendre se hisser : ce nest jamais a. Position qui permetdobtenir en retour un gain dtre, celui prcisment que le sujet obtientpar le fait mme de faire de sa ngativit la cause de linconsistance delAutre, la cause de son embarras comme de son inquitude, la cause, ensomme, de son dsir. Tout en participant au programme prvu, tout en seconformant au projet de lquipe, le sujet campe toujours dans la positionde ce qui pose question lAutre, provoque son effort, son travail, sasollicitude (mais quest-ce quil faut lui dire, comment le prendre, quelprogramme lui proposer ? ). Il reste le x qui met lAutre au dfi de ledchiffrer. Au coeur de sa demande, il y a lobjet du dsir de lAutre.

    D R

    (x)

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    L x reste du ct de la demande du sujet; lidal, le savoir, du ctde la rponse de lAutre.

    Lajout dune pratique de parole, ft-elle avec un psychanalyste, comme jai eu loccasion de le dvelopper ailleurs (2) ne change rien aucircuit demande-rponse (parole-coute) si elle laisse inchang le schmaqui comporte le maintien du projet, du faire, de lidal, du ct de larponse. Tant que lAutre est l laborer la mthode, la technique, lesavoir qui seraient censs faire revenir le sujet de ses fausses ides sur lesautres, les femmes, les hommes, lautorit, le travail, le plaisir, etc. etlorienter ainsi vers les objets naturels de son dsir, rien ne change lastructure de ladresse qui laisse le sujet la place de la question quil estpour lAutre et lAutre la place du savoir quil croit pouvoir proposer enguise de rponse. Plus lAutre se mobilise et se donne de la peine pourlaborer cette rponse, plus son idalisation transfrentielle est secrte-ment soutenue par la jouissance de lnigme que le sujet se fait tre pourson savoir. Etre-question est une position dtermine de fermeture, le sujety trouvant, se faire cause du dsir de lAutre, la contrepartie dun tre quiest plus prcieux que toute satisfaction quil pourrait atteindre sil semettait au travail, alors mme que cet tre est aussi la racine de ce dontil ne cesse de se plaindre.

    Par contre, que se passe-t-il si lensemble qui accueille la demande laquelle est toujours dans son fond dernier, comme Lacan la montr,une demande damour, (une demande dtre entendu au-del de tout cequon demande) que se passe-t-il si cet ensemble institutionnel y r-pond de telle sorte que le sujet ne sache pas quel sont le projet, le but etla finalit qui motivent cet accueil ? Que peut-il se passer si au champ dela rponse sa demande, le sujet rencontre non pas un vide total car ily rencontre beaucoup de gens et beaucoup de choses mais un videcentral lendroit o le projet et lidal viendraient de la part de lAutrejustifier et donner la raison de sa prsence dans ce champ ? Eh bien, il sepasse tout simplement que cest la charge du sujet quil revient mainte-nant de sinterroger sur la raison de sa demande : pourquoi veut-il frquen-ter le centre plutt quautre chose ? Pourquoi veut-il loger, faire de lar-tisanat, du sport, de lexpression, de linformatique et dautres merveilleu-ses activits ici plutt que dehors ? Bref, cest au sujet quil revientdlaborer, en de de ce quil vient chercher ici (et que le discoursambiant lui souffle dj : tre encadr, aid, soign...) quelque chose dupourquoi de sa dmarche du pourquoi au sens de cause de quoi.

    Il ne faut pas oublier, en effet, que la frquentation dun centre, laparticipation des activits soi-disant thrapeutiques et la vie dans unecollectivit pas comme les autres sont dabord la consquence dunedifficult. Elles ne sont mme que cela. Car il est manifeste que ces

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    activits et cette vie constituent dabord quelque chose qui vient la placedactivits et dune vie quil est difficile, problmatique ou insupportablede faire et de vivre dehors. Elles sont donc dabord la consquence desdifficults quengendre le symptme avant den tre leur prtendu remde.On ne voit dailleurs pas trs bien en quoi le fait dprouver de langoissedans les liens sociaux, par exemple, pourrait tre soign par lexpriencede liens sociaux artificiels, empreints de bonhomie, de disponibilit ou detoute autre qualit thrapeutique, pas plus quon ne voit comment uneanorexie pourrait tre rsorbe sous laction dune modalit qualitative-ment diffrente de nourrissage. Les amliorations obtenues dans le p-rimtre institutionnel se dfont comme neige au soleil une fois que le sujeten sort, lorsquune modification de sa position subjective dans le rapport lAutre du savoir ne sest pas produite. Cest pourquoi habiller le sjourou la frquentation dune institution psychiatrique dune finalit thrapeu-tique empche prcisment que le sujet sinterroge sur la nature sympto-matique de ce mme sjour et de cette mme frquentation. Cela faitlimpasse sur le dploiement possible de cette interrogation jusqu lamise en cause de ce qui dans sa vie se rpte, se coince, reste opaque lui-mme et lamne, entre autres, se retrouver ici. Avant dtre ceuxdont il se plaint dans linstitution, les symptmes sont dabord ceux qui,dans la vie hors institution, le placent dans la ncessit de sjourner eninstitution et postposent, ventuellement, le moment de la quitter. Condi-tion de possibilit dune mise au travail, non de lquipe, mais du sujetlui-mme, cette interrogation sur sa destine, y compris sur son tre enpsychiatrie, est dj une modification de la position subjective initiale depatient ou de victime, l o llimination de ce moment donne lieu seule-ment lobscnit de rituels professionnels qui ne font quentriner las-similation dune condition institutionnelle momentane due au symp-tme une dfinition sociale : se soigner devient alternatif lacondition sociale ordinaire, sorte de mtier ou dtat civil. Les habillerdune finalit thrapeutique empche de reconnatre leur nature substitu-tive, palliative, et donc leur nature symptomatique. Par contre, lorsquel-les ne sont pas justifies par un but thrapeutique, elles peuvent apparatreau sujet dans le prolongement de ce qui a motiv sa prsence en institutionet se connecter ds lors ce qui lempche ou lembarrasse dans la vie horsinstitution.

    Mais quel est alors le but de linstitution ? A quoi servent toutes cesactivits et toutes ces personnes ? Quest-ce que lquipe attend du sujet ?Cest prcisment partir de ces questions, qui viennent lendroit o lademande attendue de lAutre manque, que le sujet est amen sinterrogersur ce qui le pousse ou loblige rester ici. Et, loccasion, cest proposde ce quil finit par reconnatre comme une contradiction intime lors-

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    quil se plaint, par exemple, du caractre drisoire ou inutile de ces activits,ou refuse de cohabiter plus longtemps avec des gens qui ont des probl-mes, alors quil nenvisage mme pas ou quil ne fait rien pour sortir del , cest dans un moment pareil que la raison clinique de son sjour vale dplacer vers une laboration de ses difficults, malaises, peurs, absencedintrts qui larrtent prcisment devant la perspective de partir ,plutt que lentraner vers un autre remde encore, une autre thrapeutique,une autre institution. Le vide quil rencontre la place de lidal institution-nel se rpercute ainsi en une question o cest dsormais comme signesdune division interne, dune opposition de soi soi, dun corps propretranger lui-mme, que les raisons de sa prsence dans linstitutionprennent la forme. Dnude dans sa dimension clinique, la prsence eninstitution le renvoie un questionnement pralable et constitue une mo-dification, ft-ce minime, de sa position. Le sjour se transforme en unsjour clinique, au sens dune interrogation sur la cause de ce sjourlui-mme.

    On pourrait reprsenter la logique de ce moment de la faon sui-vante :

    3 D RX

    Le x dsignant, au lieu de la rponse rponse constitue par toutce que linstitution est suppose contenir en rapport la demande qui luiest adresse le point de manque lendroit de la demande de lAutre de son projet, de son idal. En cet x prend origine un autre vecteurrtroactif o il ne sagit plus, pour le sujet, de la question quil pose lAutre, mais de la question qui se pose lui, de ce qui cause son adresse,de ce qui cloche dans sa vie (3).

    Ce nest pas du tout pareil de motiver linscription dans le champpsychiatrique par un but ou par une cause. Dans le premier cas, le momentclinique est court-circuit au profit de la finalit de linstitution. Lorsque, lnonc dune souffrance, dune difficult, dune incapacit, il estrpondu par un programme thrapeutique, la forme du symptme ne dif-fre gure de celle dun symptme mdical, sorte de corps tranger dontle soin de lexpliquer et de le traiter est laiss au savoir de lAutre quand ce nest pas dj comme tel que le sujet le formule lui-mme (on

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    ma conseill de frquenter ce centre, parce que je fais une dpression).Lorsquau contraire la rponse institutionnelle, qui nest pas un pur vide,puisquelle comporte toutes ces mmes activits et personnes quon ren-contre dans les institutions qui sorientent autrement que la ntre, lorsquecette rponse inclut un vide la place de son idal (4), ce silence centraldevient le ressort dune mutation de la structure mme du rapport lAutre, et avec elle, du statut du symptme. Il ne sagit plus, en effet, devrifier si la motivation du sujet correspond bien au projet de linstitution,mais de laisser au sujet llaboration de la cause de sa venue. Cettediffrence, qui na lair de rien, dans laccueil de la demande, marquepourtant un seuil essentiel : pas moins que le passage de la structurerelationnelle propre au champ psychothrapeutique la structure relation-nelle propre au champ de la clinique psychanalytique.

    psychothrapie clinique analytique tche analysante

    1 2 3

    Le passage entre les deux champs, entre 1 et 2, est corrlatif dunemutation de la position subjective du demandeur. Elle comporte dj undplacement, ft-il infinitsimal, le long du vecteur qui va de la puredemande damour qui est la position native, pour ainsi dire, du sujetnvros au dsir de savoir. Avec ce passage du x cest--dire de cequi fait causer, de ce qui fait travailler du ct du sujet au ct delAutre, le sujet cde un peu sur sa position de fermeture et peut sengagerdans llaboration du savoir qui rpondrait sa demande.

    Le renoncement lidal psychothrapeutique, labandon de notrepouvoir dexpliquer, conseiller, diriger, surtout si lon sait, par exprience,quils nont dautres rsultats que de provoquer le dmenti rptitif de

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    lau-del du principe de plaisir, valent bien la mutation subjective qui estici en jeu. Six mois, un an, de sjour symptomatique valent bien desannes damliorations thrapeutiques qui ne modifient en rien la positiondu sujet, ni lgard de la jouissance, ni mme dans le circuit de la scuritsociale. Et aprs tout, ne savons-nous pas que des demandes danalysepeuvent mettre six mois, un an, si pas plus, pour atteindre le seuil dunedcision ?

    Nous considrons, au Foyer, que lapplication du discours de lana-lyste ne correspond pas linjection dun psychanalyste dans le champpsychothrapeutique, mais la substitution dun champ clinique permet-tant la subjectivation du symptme, au champ psychothrapeutique (5).

    clinique analyt ique tche analysante

    1 2 3

    thrapeutique

    (idal) (cause)

    dsir d'tre analyste dsir de l'analyste

    Naturellement, cette mutation de la position subjective nest pasautomatique, comme lest, au contraire, lapplication du projet thrapeu-tique. Il reste encore au sujet la possibilit de ne pas cder sur la jouissancede sa question et de sa vrit ineffable. Du moins, nous najoutons paslalibi dun programme thrapeutique son refus de se mettre au travail,ce qui est, aprs tout, son droit. Et ce nest pas de le vouloir sa place quese modifiera quoi que ce soit de sa position subjective.

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    NOTES

    * Rcriture dune confrence tenue au Courtil, le 25 mai 1991. Alfredo Zenoni,psychanalyste, travaille dans un Foyer dit de post-cure pour adultes, Bruxel-les, depuis 1975.

    (1) Remarquons dj que sil ny avait que lobjectif dtre soign, on ne voit pasen quoi celui-ci suffirait justifier la prsence en institution. Cest doncquavant mme de venir ici pour tre soign, il vient ici cause du fait quilne peut pas ltre dehors. Laxe de lidal : pour tre soign (do procdelidentification des responsables comme soignants) passe sous silence laxe dela cause : parce qu il refuse ou ne peut tre soign dehors.

    (2) A. Zenoni, Objet du transfert et rponse de lanalyste (expos la Rencontrede lE.C.F., Namur, 2-3 mars 1991), paru dans Quarto, 44/45, Le transfert,la passe lEcole, octobre 1991, pp. 59-64.

    (3) Dsigne par la lettre comme initiale de symptme.(4) Ce qui nest, par contre, pas le cas lorsque lactivit est rfre un spcialiste

    do elle ressort transforme en activit thrapeutique, lquitation devenanthyppothrapie, lartisanat ergothrapie, lentretien psychothrapie, etc.

    (5) En somme, le choix qui doit guider une pratique dorientation analytique eninstitution nest pas celui de faire exception lensemble du champ institution-nel, mais de modifier le champ. Autrement dit, il ne sagit pas quun analystesajoute une institution projet thrapeutique comme llment qui ne sesoumet pas la demande de linstitution, mais, pour le dire en raccourci quilsoit partie prenante dans la transformation de cette institution mme, voire dansla cration dune autre institution.