Claude Simon_路面電車extrait_1868

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    CLAUDE SIMON

    LETRAMWAY

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    L'w mO N O RIG IN AL E D E C ET O UV RA GE A E T E T I R EE AQUATRE -V ING T-DI X- NEU F EXEMPLA IR ES S UR VERGEDESPAPETER IE SDE V IZILLE ,NUMEROTE s DE 1A 99PLUSD IX EXEMPLA IR ES HORS COMMERC E NUMEROTE s D E

    H_-C.I A H . -C . X

    d R ea , encore.

    2 00 1 b y L ES E nm oN s D E MINurr7, rue Bemard-Palissy, 75006 ParisEn application de Ia loi du 11mars 1957, ilest interdit de reproduire

    integralement ou partiellement Ie present ouvrage sans autorisation de I'editeurou du Centre fran~ais d'exploitation du droit de copie,20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris

    ISBN 2-70731732 2

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    ...pour lui Ie sens d'un episode ne se trouvepas a l'interieur, comme d'une noix, mais al'exterieur, et enveloppe Ie conte qui l'a sus-cite, comme une lumiere suscite unevapeur ... Joseph Conrad

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    Les graduations en bronze jaune et en reliefdessinaient sur le cadran un arc de cercle verslequel pointait un ergot solidaire de la manette

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    devant l'espece de colonne a section ovale auhaut de laque11ese trouvait ce sommaire tableaude bordoRester dans la cabine (par O U il failait d'ailleurspasser pour penetrer dans le tramway) au lieud'ailer s'asseoir a l'interieur sur les banquettes,semblait etre une sorte de privilege non seulementpour mon esprit d' enfant mais aussi, a l'evidence,de ceux des deux ou trois voyageurs qui, mepri-sant de meme les banquettes, s'y trouvaient regu-lierement, non pas sans doute penetres commemoi de 1'importance du lieu, mais, simplement,parce qu'il etait permis d'y fumer, a l'exemple duconducteur apparemment taciturne - ou contraintau silence, comme en temoignait dans un franco-anglais approximatif l'inscription : Defense deparler au wattman qui faisait en quelque sortede lui un personnage a la fois assez miserable,d'une caste inferieure, condamne a une muettesolitude, en meme temps que nimbe d'une aurade pouvoir, comme ces rois ou ces potentats detragedies auxquels il etait interdit par un severeprotocole (et parfois sous peine de mort) d'adres-ser directement la parole, statut (ou position - oufonction) qu'il assumait avec gravite, l'ceil toujours

    fixe sur les rails qui venaient au-devant de lui,comme absorbe par le poids de sa responsabilite,se bornant aux arrets, en attendant le coup desonnette liberateur du receveur, de railumer aumoyen d'un briquet de fer le megot colle a sa levreinferieure d'un bout du trajet a l'autre (ce qui, dela plage a la ville, demandait, arrets compris, envi-ron trois quarts d'heure), petit tube ventru, grisa-tre, dont l'enveloppe de mince papier imbibee desalive et rendue transparente laissait entrevoir lacouleur brune du tabac maladroitement enrobe,bossele parfois, presque creve, par quelque brin(une buche ) trop gros ou mal tasse.n me semblait voir cela, y etre, me trouverparmi les deux ou trois privilegies admis a se tenirdebout dans l' etroit habitacle d' environ deuxmetres sur deux pourvu qu'ils ne parlent ni negenent l'homme silencieux vetu d'une chemise deflanelle grise au col sans cravate mais ferme, d'uncomplet fatigue, gris lui aussi, et dont le pantalonelime tombait sur une paire d' espadrilles auxsemelles de corde non pas exactement elimeesmais comme moustachues, effilochees, sur les-quelles il se tenait, les pieds legerement ecartes,personnage quasi mythique a la cigarette eteinte,

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    a l'impassible visage, et dont les gestes - du moinsames yeux d'enfant - semblaient avoir quelquechose d'a la fois rituel et sacre, qu'il poussat deses petits coups de paume la manivelle des vites-ses, se baissat pour actionner le volant du freinou appuyer a coups presses de son pied droit Iechampignon du timbre avertisseur lorsque letramway s'engageait dans une courbe sans visibi-lite ou presque continuellement quand, une foispasse I'octroi, la motrice penetrait dans la ville,descendait d' abord la longue pente qui menait aujardin public, longeait le mur de celui-ci, tournaitsur la gauche a hauteur du monument aux mortset, suivant le boulevard du President-Wilson,ralentissait peu a peu le long de I'Allee des Mar-ronniers pour s'immobiliser en fin de course, pres-que au centre-ville, en face du cinema a I'entreeprotegee par une marquise de verre et aux agui-chantes affiches qui, dans des couleurs violentes,proposaient aux eventuels spectateurs les gigan-tesques visages de femmes echevelees, aux tetesrenversees et aux bouches ouvertes dans un crid'epouvante ou l'appel d'un baiser.

    Une quinzaine de kilometres separaient la plagede la ville a travers un paysage legerement bossele

    aux pentes recouvertes de vignes, Ie trajet jalonne(sur la droite en venant de la mer) d'opulentesresidences dont les batiments datant du siecle pre-cedent, espaces de deux ou trois kilometres et plusou moins caches par les arbres de leurs pares,offraient comme un inventaire de ce que la vanitede fortunes recemment acquises ou consolideesavait pu inspirer a leurs proprietaires ainsi qu' auxarchitectes qui se pliaient a leurs desirs (ou memeles devancaient) a une epoque O U les ambitionsd'une classe provinciale aisee et d'un niveau cultu-rel moyen (s'inspirant parfois de decors medie-vaux ou orientalistes d'operas vus a Paris au coursde quelque voyage de noces) proposaient auxregards un eventail d'architectures (tours couron-nees de gracieux balustres de terre cuite ou, aucontraire, massives, carrees et vaguement sarrasi-nes), d'un gout parfois discutable mais, dansI'ensemble, plaisantes , sans ostentation tropgenante (sauf l'une d'entre elles, plus recente), auxnoms desuets (comme leurs meubles Louis-Phi-lippe ou Napoleon III) et d'une naive fraicheur,tels Miraflores ou, simplement, Les Aloes .Dans un sens comme dans l'autre (de la ville ala mer ou inversement) deux tramways partis cha-

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