CInÉMA - Les Missionnaires d'Afrique Pères Blancs...

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18 VOIX D’AFRIQUE - CInÉMA V.A. Éléonore, « Le Cimetière des Éléphants » que vous venez de présenter au FESPACO n’est pas votre premier film. Quels thèmes vous inspirent dans vos choix ? Je fais des films qui parlent à l’humain, qui tentent de capter l’essence même des choses et des situations. J’observe mon environ- nement, je trouve des liens et des différences entre le mode et les conditions de vie des populations de mon pays natal et de mon pays d’accueil, la France. Au-delà des frontières je vois des êtres humains. C’est par une telle appro- che que j’apporte ma contribution, à travers mes films, à l’édification d’une société plus humaine où nous pouvons dialoguer et nous construire dans le respect des Interview de Éléonore Yaméogo, réalisatrice burkinabé de ce film Le Cimetière des ÉLÉPHANTS Sans aucune interférence des Pères Blancs, un film, « Le cimetière des Éléphants », vient d’être présenté au FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma à Ouagadougou). Sa réalisa- trice burkinabé, Éléonore Yaméogo, répond aux questions de « Voix d’Afrique ». Ce film, qui sortira en DVD dans quelques mois pour respec- ter les contrats d’auteur avec divers pays, est presque un miracle arrivé juste à point pour célébrer le 150 ème anniversaire de notre fondation. Énorme MERCI, Éléonore !

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18 VOIX D’AFRIQUE -

CInÉMA

V.A. Éléonore, « Le Cimetière desÉléphants » que vous venez deprésenter au FESPACO n’est pasvotre premier film. Quels thèmesvous inspirent dans vos choix ?

Je fais des films qui parlentà l’humain, qui tentent de capterl’essence même des choses et dessituations. J’observe mon environ-nement, je trouve des liens et desdifférences entre le mode et lesconditions de vie des populationsde mon pays natal et de mon paysd’accueil, la France. Au-delà desfrontières je vois des êtreshumains. C’est par une telle appro-che que j’apporte ma contribution,à travers mes films, à l’édificationd’une société plus humaine oùnous pouvons dialoguer et nousconstruire dans le respect des

Interview de Éléonore Yaméogo, réalisatrice burkinabé de ce film

Le Cimetière des

ÉLÉPHANTS

Sans aucune interférence des PèresBlancs, un film, « Le cimetière desÉléphants », vient d’être présenté auFESPACO (Festival Panafricain duCinéma à Ouagadougou). Sa réalisa-trice burkinabé, Éléonore Yaméogo,répond aux questions de « Voixd’Afrique ». Ce film, qui sortira enDVD dans quelques mois pour respec-ter les contrats d’auteur avec diverspays, est presque un miracle arrivéjuste à point pour célébrer le 150ème

anniversaire de notre fondation.Énorme MERCI, Éléonore !

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droits de chacun. C’est naturelle-ment donc que dans mes films j’aitoujours abordé des sujets qui tou-chent à la condition humaine : - « La main tendue », tourné enBelgique, abordait la question dessans-abri à Bruxelles.- « Paris mon paradis » traitait del’immigration. - « Le cimetière des éléphants », avoulu recueillir, au crépuscule deleur vie, les paroles des mission-naires Pères Blancs ayant servi enAfrique et particulièrement auBurkina.

V.A. Justement, comment vousest venue l’idée de faire un filmsur les Pères Blancs « âgés » ?

L’idée de faire un film surles Pères Blancs, les missionnairesqui ont baigné mon enfance, m’estvenue lors d’un séjour en Italie ;j’étais logée dans une résidencequi abritait des anciens prêtresmissionnaires, des Comboniens.Africaine, j’ai été émerveillée decroiser la route de ces hommesd’Église qui avaient une si bonneconnaissance de mon continent etdont certains même parlaient leslangues locales. Depuis cette ren-contre, sept années ont passé jus-qu’à la présentation du film « Le

Cimetière des éléphants » auFESPACO. L’écriture du film n’apas été simple, car j’avais cons-cience d’aborder un sujet délicatqu’il fallait traiter avec du recul.La production du film aussi a étéun parcours du combattant, parceque cet univers était étrange pourmoi. Je me devais de prendre dutemps pour comprendre leur quo-tidien, soigner mon contact aveceux car le milieu des prêtres estsouvent très discret. J’ai eu dumal à avoir les autorisations pourle tournage. Même quand on les aeues, le premier jour à Pau, on aété refoulé. Il a même fallu repor-ter le tournage de quatre mois. Ça

n’a pas été évident du tout.Mais lors du tournage,

c’est comme si les pensionnairesdes maisons de retraite des PèresBlancs attendaient ce film… Ilssont la dernière génération de mis-sionnaires européens, et j’ai prisconscience que leur mémoire n’avait jamais été filmée. Quandje suis arrivée avec ma caméra,beaucoup souhaitaient me racon-ter une histoire, une anecdote, merecevoir dans leur chambre, memontrer des archives, tout cequ’ils avaient pu faire en Afrique,bref libérer cette parole trop long-temps contenue. C’était importantpour eux de parler, et pour moiqu’ils donnent leur point de vue

sur leur rôle dans l’histoire de lacolonisation entre autres. Si onlaisse cette dernière génération demissionnaires partir, commentpourrait-on après connaître ce quis’est vraiment passé, et ce qu’ilspensent eux-mêmes de l’aujourd’-hui de mon continent l’Afrique ?

V.A. Et votre film a été nominépour le FESPACO.

La participation du film auFESPACO en février 2019, quimarquait les 50 ans du Festival,fut pour moi un moment de gran-de tension, car cela faisait sept ansque je n’y étais pas venue avec unfilm, et l’avant-première à Paris

L’affiche du film “Le cimetière des éléphants”Une eucharistie dans la maison des Pères Blancs à Bry-sur-Marne

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du « Cimetière des éléphants » etles articles de presse qui ont suivi,avaient créé un contexte tel que lefilm était très attendu. Les pronos-tics même m’étaient favorablespour le premier prix (pour figurerdans le palmarès). C’est en toutelogique que lors de la premièreprojection, une foule de gens apris d’assaut la salle du cinéNeerwaya à Ouagadougou. C’étaitune belle salle avec un publicassez diversifié, composé de pro-

fessionnels, d’amis et de conci-toyens venus soutenir leurconsœur. Au cours de cette diffu-sion je ne faisais qu’observer, son-der les réactions des gens poursavoir comment le film allait êtreaccueilli. J’ai été surprise que mal-gré le caractère sérieux du sujet etmes questions incisives dans lefilm, des éclats de rire s’échap-paient quand par exemple le PèreBillot prenait la parole avec sonstyle direct et combatif.

V.A. Mais je suppose que tout lemonde n’était pas d’accord avecle fond du film ?

En effet, un film c’estaussi des critiques, et j’en aireçues : les uns déplorent de nepas avoir abordé des probléma-tiques qui sont courantes dansl’actualité et qui concernent lesprêtres et l’Église catholique.D’autres, nombreux, me repro-chent d’avoir omis de traiter le

Pendant le tournage dans le cimetière des Pères Blancs à Bry-sur-Marne.

Photos au FESPACO

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film sur le plan politique enincluant les intentions du Vaticandès les premières heures de l’évangélisation des pays afri-cains. Les panafricanistes sontsouvent remontés et trouvent quej’ai fait un film à la gloire des mis-sionnaires. Pour un bon nombred’Afri-cains, lesmissionnaires sontceux-là mêmes quileur ont appris àprier les yeux fer-més pour que lescolons viennentexploiter nos ter-res. Mais les mis-sionnaires, eux,que pensent-ils detout cela ? Qu’ont-ils à répondre auxafricains qui pen-sent ainsi ? Ce filmétait justement pour eux une occa-sion de pouvoir s’exprimer sur laquestion. À l’opposé, les catho-liques pratiquants eux ont trouvéque le film ne rendait pas suffi-samment hommage au travaillouable abattu par les missionnai-res en Afrique. Monsieur AlphaBarry, Ministre des affaires étran-gères du Burkina qui a parrainé laPremière du film au FESPACO, alivré un discours où il n’a pasmanqué de saluer l’action desMissionnaires qu’il connaît trèsbien, et considère que le filmconstitue une œuvre qui sauvegar-de la mémoire de l’histoire de cepays et souhaite qu’il soit vu parun large public.

C’est étrange de constaterque sur le même film, on puisseavoir des critiques aussi différen-tes, voire contradictoires. Quandon est auteur et réalisateur d’unfilm, on comprend très vite qu’ilfaut permettre à chacun d’expri-mer son point de vue, mais surtoutde conserver ses propres certitu-des pour rester débout… Le

métier de réalisateur est très com-plexe dans la mesure où il deman-de une certaine exigence enverssoi-même, mais aussi une ouvertu-re à l’autre, à son environnement.Non seulement il faut avoir descertitudes, mais il faut accepter ledoute qui aide à sortir des sentiers

battus pour percevoir et capter denouvelles choses, en résumé « créer ».

V.A. Et votre film, a-t-il étérécompensé ?

Le FESPACO, qui s’estachevé le 2 mars, a décerné le pre-mier prix à une compatriote ; jesuis sincèrement ravie pour elle.Cependant, beaucoup de gens pré-sents au Festival n’avaient pasenvisagé qu’il soit possible que « Le Cimetière des éléphants » nereçoive aucun prix ; ce fut vrai-ment une très grande surprise,mais le sujet est trop sensible…Sans écarter le fait qu’un jury a unregard très subjectif, je suis vrai-ment satisfaite du film que j’airéalisé et sincèrement beaucoupde personnes bien avisées parta-gent aussi cet avis.

V.A. Votre déception est compré-hensible, mais tout est loin d’êtrenégatif ?

Oh oui, il y a beaucoup deraisons d’être satisfaite, car avant

tout, le FESPACO est un cadre derencontres. Il a permis au film d’être repéré par des programma-teurs de Festivals et de la télévi-sion d’autres pays, et cela donnedéjà des résultats avec notammentla sélection du film pour leFestival du Cinéma et de

l’Audiovisuel duBurundi (FESTI-CAB).

D ’ a u t r e sFestivals ont mani-festé leur intérêt pourle film et j’en attendsla demande officielle.Après le FESPACO,le film a été projetéen France au Festivaldu film Francophonede Villers Cotteretsainsi qu’au miniFESPACO à Paris,

donnant l’occasion à chaque foisd’échanger avec le public. Defaçon générale, les premières réac-tions que je reçois sont des félici-tations pour avoir créé un filmémouvant et instructif.

Presque toujours, malheu-reusement, les débats tournent surle rôle des missionnaires dans leprocessus de colonisation del’Afrique. J’ai l’impression quec’est la partie du film qui intéressele plus les cinéphiles, principale-ment les africains ; et pourtant àmon avis ce lien avec la colonisa-tion n’est qu’une parenthèse de lathématique que j’ai voulu apporterdans ce film. Je le regrette carl’humain est un peu oublié dansles réactions. La fin de vie de cesgrands aventuriers qui ont parcou-ru l’Afrique et se retrouvent ausoir de leur vie, à l’étroit dans unemaison de retraite, ayant perduparfois leurs repères, est passée ausecond degré. Oui, dommage !

Éléonore YaméogoRéalisatrice

Des Pères Blancs dans la maison de Billère.