Chine plus mars 2013

N° et date de parution : 26 - 01/03/2013

Diffusion : 5000 Page : 6-7

Périodicité : Trimestriel Taille : 100 %

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42 L ' INTERVIEW

LE PLUS FRANÇAIS DES PATRONS CHINOIS

« C' EST EN FRANCE , QUE

S' EST FORMÉE MA VISION

DU MONDE »

CHINEPLUS N° 26 ? MARS MAI 2013

LINCHENG P.-D.G . ZTE FRANCE

1 / 4Copyright (Chine Plus)

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«Pour approcher la Chine ,il ne faut pas s' appuyer sur ses référentiels occidentaux . Il faut se mettre dans

la peau d '

un nouveau-né , tout expérimenter par soi-même . Je le sais : à mon retour de Chine , je voyais

le monde à travers mes apprentissages français et si j' ai eu des réussites , je me suis souvent " planté " ».

PROPOS RECUEILLIS PAR MADELEINE BARBIER

EN 1979 , LIN CHENG

ARRIVE EN FRANCE

avec les premiers étudiants envoyés à l '

étranger par Deng Xiao Ping . « J' avais

18 ans , je suis venu comme

une feuille blanche , mon pays sortait de la révolution Culturelle et c' est en France , à travers

des professeurs français

que sést formée ma vision

du monde , ma manière de

penser . »Il retourne en

Chine , travaille pour des

entreprises françaises , puis gravit en un temps record

les échelons de ZTE ,

numéro 5 mondial

des équipements en

télécommunications.

En 2004 , il revient en France à la tête de ZTE.

Appuyé sur ses deux

cultures , quasiment les

deux parts de lui-même ,

il décrypte pour nous

les stratégies chinoises

à l '

international.

INVESTIRCHINEPws Lorsque vous revenez en France , à la tête de ZTE , quels sont vos plans pour l '

Europe? LIN CHENG Je sais qu' en Chine , nous avons des plans ,

à trois ans , à cinq ans.. . Mais dans une entreprise chinoise , ces plans ne sont pas les seuls facteurs déterminants dans le processus de décision . À tous les niveaux de l '

entreprise , nous nous fions en plus aux personnes , aux personnalités . C' est peut-être là une des grandes différences entre les cultures économiques européenne et chinoise . En Europe , l '

entreprise est

focalisée sur la création de valeur . En Chine , vous avez d ' abord la personne , sa personnalité , sa famille ,

la création de valeur ne vient qu' ensuite , le Chinois

pense qu' elle suivra automatiquement si vous avez

trouvé la bonne personne , si la confiance est là . Pour

nous , les qualités de l ' homme sont essentielles . C' est

vrai dans les affaires comme dans l '

art où , pour nous ,

l

'

homme est au moins aussi important que l '

oeuvre. Prenez un poète comme Li Bai , bien sûr on vous

traduit ses poèmes , mais immédiatement et sur le même

plan , on vous décrit sa personnalité . En Europe ,

lorsqu' on raconte des bribes de la vie d '

un peintre ,

comme Van Gogh , on le fait d '

une manière

anecdotique . Pour nous , la connaissance de l '

artiste , de l

'

homme , passe avant tout.

Donc , pour ZTE , le choix de la France est ,

d ' abord , passé par vous?

L.C. :Il se trouve que le président m' a très rapidement accordé une confiance qu' il m' a gardée , même

après que , au début de nos activités , j' ai , en quelques mois , perdu beaucoup d '

argent sur l '

Europe . Je lui ai alors demandé ce qu' il comptait faire , si la société

pouvait accepter ces pertes . Il m' a répondu : «

Pourquoi pas ? Puisque nous devons être présents en

Europe . Dans le business , on ne gagne pas à tous les coups ».

Est-ce que beaucoup de patrons chinois ,

auraient réagi ainsi? L.C. :Je le crois . Je pense que beaucoup de patrons chinois font semblant d être occidentalisés et de prendre , eux aussi , des décisions en s' appuyant sur la création de valeur alors qu' au plus profond d '

eux

mêmes , ils font plus confiance aux hommes qu' aux

chiffres . J' ai essayé de comprendre pourquoi ils réagissent ainsi et ma théorie est que , contrairement aux

entreprises européennes qui , vu la taille de leurs marchés locaux , sont obligées d '

aller à l ' international , les sociétés chinoises peuvent très bien acquérir la taille

critique , voire devenir des leaders mondiaux , sans sortir de Chine.

La concurrence effrénée que se livrent les entreprises chinoises et internationales sur le marché intérieur ne les encourage pas à aller voir ailleurs? L.C . :La compétition est difficile en Chine mais , pour une entreprise chinoise , cela reste une compétition maîtrisable , dont elle pourra anticiper les conséquences . Quand vous vous lancez dans cette compétition aux États-Unis , vous ne savez pas comment cela va se terminer...

RÉUSSIR On reproche aux champions chinois de ne pas jouer avec les mêmes règles que les autres à l

' international . Ils bénéficient par exemple d

'

exceptionnelles facilités de financement ,

qu' en dites-vous? L.C. :Je ne pense pas que ces éléments-là soient déterminants . Si nous parlons des équipementiers ,

Alcatel en a bénéficié , tous les équipementiers ont

bénéficié de ce type de financement , les États soutiennent leurs entreprises à l

'

international.

Pas au niveau des financements et prêts qu' octroient les pouvoirs publics chinois? L.C. : J' ai travaillé dans une entreprise française ,

comme Sagem , j' ai fait avancer en Chine des protocoles pour des sociétés françaises . Je ne pense pas que ce soit la seule raison expliquant le fait que les Chinois décrochent des contrats.

Ce serait une excuse que se trouvent les Occidentaux?

L.C . :Très franchement , oui . Je le pense et s' ils

continuent ainsi , je pense qu' ils partent sur de très mauvais chemins . Les grands leaders n' ont pas eu besoin de 13

MARs /MAI 2013 ? N° 26 CHINEPLUS

43

GILLESCOULON

/ TENDANCE

FLOUE







SERVIRLES PAUVRES EST RENTABLE , ILS SERONT

TOUJOURS PLUS NOMBREUX QUE LES RICHES

facilités de financement pour réussir , regardez Apple ,

Samsung , Google , Gemalto [ leader mondial de la sécurité numérique ,

NDLR ] .. .En fait , les facilités de financement servent plutôt les faibles . Tout ce que je souhaite

, c' est que ma société se détache de ces

facilités de financement , s' il y en a . Le sujet est compliqué ,

mais je pense , d '

une manière extrêmement honnête ,

que ce n' est sûrement pas grâce à ces financements que nous en sommes arrivés là.

S' OUVRIR

L ' INTERVIEW

Vos premières sorties du marché chinois visaient les pays en développement . Les différents rythmes d ' évolution qui cohabitent en Chine vous donnent-ils un avantage sur les pays riches pour mieux cerner leurs besoins? L.C . :Un énorme avantage . Quand vous

, vous devez

vous mettre dans la peau d '

un Africain ou d '

un

Chinois pour proposer les produits attendus , nous ,

nous n' avons qu' à utiliser ceux que nous proposons chez nous

, en reprenant les mêmes business models.

Les Européens ont parfois du mal à s' adapter aux réalités de ces marchés ;que vous soyez Allemand ou

Français , vous tenez à la qualité , mais la qualité a un

prix et certains produits sophistiqués ne conviennent

pas à certains bassins de consommation .Cela dit , en allant en Europe et aux États-Unis

, nous avons - nous

aussi - à faire de la qualité.

Quand vous parlez de ces business models ,

vous pensez au risque pris du « taux de défaut supportable » par rapport au « zéro défaut »

que des millions de consommateurs ne peuvent pas s' offrir? L.C . :Je pense effectivement qu' en refusant de

prendre en compte une clientèle moins aisée , on se

coupe des grands marchés . Il faut au contraire

travailler en l '

ayant en tête :lorsque vous sélectionnez

les composants entrant dans la fabrication d '

un

téléphone , vous pouvez exiger un 99 ,9 %% de fiabilité

, cela

a un prix . À 99 ,5 %% de fiabilité , le prix est inférieur , et

à 99 ,1%% aussi , à la sortie , cela fait la différence . Pour

CHINEPLUS N° 26 " MARS /MAI 2013

ZTEcle

nous , il est essentiel d '

adapter le produit à la situation des pays . Arriver

, comme le font les équipementiers

américains ou européens avec des prix mondiaux et dire à ces marchés :« Vous n' avez pas les moyens de payer? Je vais vous aider avec un protocole . Vous n' avez

toujours pas les moyens? Alors attendez d '

être plus riches »ne rime à rien . C' est pourtant ce que font des

sociétés comme Apple avec l '

iPhone.. . Mais je m' interroge :peut-on durer lorsqu' on ignore les besoins de 3 milliards de personnes?

Les prendre en compte peut aussi rejaillir négativement sur l '

image de la marque ?

L.C . :Je sais , l '

image de la marque est une notion très chère aux Occidentaux parce que cela fait cinquante ans que vous avez accès à des produits sophistiqués ;

elle n' a aucune valeur pour un paysan chinois ou un

paysan africain . Eux , ils ont besoin du produit .Quand vous n' avez pas de quoi manger ,

est-ce que vous re

104 H UAWE I

CHINOIS CONTRE CHINOIS ,epuis près de deux ans , nuawei , numéro 3 moudrai et ZTE , le

uméro 5 , s' attaquent mutuellement , en Europe ou en Afrique , pou non-respect de la propriété intellectuelle

, que sin&fip cette

entre Chinois ?

De concurrents , nous sommes devenus des frères ennemis ;de grief en grief , les positions de l '

un et de l '

autre sont devenues inconciliables . Je peux vous établir une liste des coups que nous a portés Huawei et les gens de Huawei peuvent faire la même chose de leur côté.

Aucurg .4 . possible? La con ,"-

une pratique chinoise. , . La conciliation , oui , mais entre les gens de « même sorte »

, ZTE n' est pas semblable à Huawei. Nous sommes

différents dans une foule de secteurs , à tel point que cela se voit à nos allures. Je vais vous donner un exemple , au début lorsqu' un employé allait chercher un

collègue de ZTE à Roissy , il brandissait notre logo aux arrivées . Cela n' a pas duré

longtemps , très vite nous nous sommes reconnus au look. le look L '

employé de ZTE est généralement mince , il porte des lunettes , un costume simple , souvent bleu et une sacoche d

'

ordinateur ou un sac à dos . Toute son allure est réservée. Moi , je le reconnaîtrais à son brushing et à ses

vêtements , plus voyants , il a aussi plus d '

assurance.







gardez la marque du lait? Vous prenez ce qui arrive. Les vraies clés de nos réussites tiennent à la manière

dont certaines de nos sociétés après avoir travaillé sur les différents marchés chinois ont bien compris leurs différents besoins . Des sociétés comme ZTE savent comment il faut les accompagner , faire coïncider les moyens réels aux besoins , ce type d '

approche n' est pas encore naturel à tous . En nous comportant ainsi nous contribuons à accélérer la diffusion de technologies auprès de populations qui n' en avaient pas les moyens jusque-là , mais que nous mettons à leur portée . Il y a une certaine noblesse à agir ainsi , non ?

À l ' arrivée on peut le voir ainsi , mais l ' intention

première est quand même de prendre les acheteurs tels qu' ils sont , parfois désargentés. L.C . :Nous y arrivons . La Chine peut , dans ce contexte , être un bon levier pour les entreprises européennes et leur permettre d '

acquérir la taille critique.

Quand j' ai commencé à travailler pour ZTE en Europe , il se disait que la 3G n' était pas pour l '

Afrique ;

trop cher! Le prix d '

un terminal , même fabriqué en Chine était de 80 euros à l

'

époque . En deux ans , après l

'

adoption de la 3G en Chine , il est passé à 30 euros , à ce prix-là , l

'

Afrique pouvait s' offrir elle aussi la 3G. Nous pensons qu' il est rentable de servir le peuple des pauvres , ils seront toujours beaucoup plus nombreux

que les riches . Les Français sont les rois dans les produits destinés aux riches , mais les riches sont peu nombreux . Nous , nous préférons nous appuyer sur le double créneau , où se retrouvent riches et pauvres , il

est bien plus vaste . Et , in fine , nous le prouvons , la

UN COSTUME ET SA

CRAVATE pendus à une armoire . « Pour les

Chinois , le costume est un

déguisement qu' on ne porte

pas hors du bureau » ,

s' amuse Lin Cheng.

REGARDS CROISÉS . Fin 2010 , trois photographes

passent plusieurs semaines

sur les sites de BoulogneBillancourt et de Poitiers ,

au coeur du melting pot culturel. quantité nous conduit à la qualité.

« LABONNE RAISON »

Que trouvez-vous de plus déroutant dans le comportement français ?

Ce besoin systématique des Français de trouver une bonne raison pour prendre une décision , entamer une action.. . Nous , Chinois , avons le sentiment de toujours devoir expliquer le pourquoi , devoir absolument chaque fois trouver la bonne raison.

Au point qu' on se demande parfois si vous ne fabriquez pas de « bonnes raisons »qui nous sont destinées.. . Cela vous arrive? Oui.. . Cela arrive , mais c' est dommage . Je pense que ,

pour aider les Occidentaux à mieux comprendre notre fonctionnement , nous aurions tout intérêt à prêter plus d

' attention à la « bonne raison »initiale.

Notre « bonne raison »n' étant généralement pas l

'

unique élément décisif du choix , nous ne la mettons pas spontanément en avant . C' est pourtant ce que nous devrions faire lorsque nous travaillons avec des Français.

L ' essentiel des décisions que prennent

les Chinois , y compris dans l 'entreprise ,

s' appuierait donc sur d ' autres critères qu' une « bonne raison »?

Je pense même que , lorsqu' à l '

examen ,on trouve une raison , cela tient à l '

influence occidentale , mais que les Chinois sont profondément impulsifs et intuitifs. D

'

ailleurs cette confiance ancestrale , accordée à

l

'

intuition , aux énergies... , revient avec l '

assurance

chinoise , le retour des traditions , du fengshui...

Une forme d ' ouverture à ce qui n' est pas directement visible ?

Une ouverture que les Occidentaux inhibent ,

dont ils pensent parfois qu' elle va à l '

encontre du raisonnement rationnel . Pourtant , même en France ,

on voit que ceux qui réussissent sont justement ceux

qui savent « ouvrir leurs antennes ».

MARS /MAI 2013 ? N° 26 CHINEPLUS



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